A B C D E F G H I J K L M N O P Q R S T U V W X Y Z

    
TSubst. masc. (Gramm.) c'est la vingtieme lettre, & la seizieme consonne de notre alphabet. Nous la nommons té par un é fermé ; il vaudroit mieux la nommer te par l'e muet. La consonne correspondante chez les Grecs est ou , & ils la nomment tau : si elle est jointe à une aspiration ; ce qui est l'équivalent de th, c'est

ou , & ils l'appellent thêta, expression abrégée de tau hêta, parce qu'anciennement ils exprimoient la même chose par . Voyez H. Les Hébreux expriment la même articulation par , qu'ils nomment teth ; le t aspiré par , qu'ils appellent thau ; & le t accompagné d'un sifflement, c'est-à-dire, ts par , à quoi ils donnent le nom de tsade.

La lettre t représente une articulation linguale, dentale, & forte, dont la foible est de. Voyez LINGUALE. Comme linguale, elle est commuable avec toutes les autres articulations de même organe : comme dentale, elle se change plus aisément & plus fréquemment avec les autres articulations linguales produites par le même méchanisme ; mais elle a avec sa foible la plus grande affinité possible. De-là vient qu'on la trouve souvent employée pour d chez les anciens, qui ont dit set, aput, quot, haut, pour sed, apud, quod, haud ; & au contraire adque pour atque.

Cette derniere propriété est la cause de la maniere dont nous prononçons le d final, quand le mot suivant commence par une voyelle ou par un h aspiré ; nous changeons d en t, & nous prononçons grand exemple, grand homme, comme s'il y avoit grant exemple, grant homme. Ce n'est pas absolument la nécessité du méchanisme qui nous conduit à ce changement ; c'est le besoin de la netteté : si l'on prononçoit foiblement le d de grand écuyer, comme celui de grande écurie, la distinction des genres ne seroit plus marquée par la prononciation.

Une permutation remarquable du t, c'est celle par laquelle nous le prononçons comme une s, comme dans objection, patient. Voyez S. Scioppius, dans son traité de Orthopoeiâ, qui est à la fin de sa grammaire philosophique, nous trouve ridicules en cela : Maximè tamen, dit-il, in eâ efferendâ ridiculi sunt Galli, quos cùm intentio dicentes audias, intentio an intensio illa sit, discernere haud quaquam possis. Il ajoute un peu plus bas : Non potest vocalis post i posita eam habere vim, ut sonum illum qui T litterae suus ac proprius est immutet : nam ut ait Fabius, hic est usus litterarum ut custodiant voces, & velut depositum reddant legentibus : itaque si in justi, sonus litterae T est affinis sono D, ac sine ullo sibilo, non potest ille alius atque alius esse in justitiâ.

Il abuse, comme presque tous les géographes, de la maxime de Quintilien : les lettres sont véritablement destinées à conserver les sons ; mais elles ne peuvent le faire qu'au moyen de la signification arbitraire qu'elles ont reçue de l'autorité de l'usage, puisqu'elles n'ont aucune signification propre & naturelle. Que l'on reproche à notre usage, j'y consens, de n'avoir pas toute la simplicité possible : c'est un défaut qui lui est commun avec les usages de toutes les langues, & qui par conséquent, ne nous rend pas plus ridicules en ce point, que ne le sont en d'autres les autres nations.

La lettre & l'articulation t sont euphoniques chez nous, lorsque, par inversion, nous mettons après la troisieme personne singuliere les mots il, elle, & on, & que cette troisieme personne finit par une voyelle ; comme a-t-il reçu, aime-t-elle, y alla-t-on : & dans ce cas, la lettre t se place, comme on voit, entre deux tirets. La lettre euphonique & les tirets désignent l'union intime & indissoluble du sujet, il, elle, ou on, avec le verbe ; & le choix du t par préférence vient de ce qu'il est la marque ordinaire de la troisieme personne. Voyez N.

T dans les anciens monumens signifie assez souvent Titus ou Tullius.

C'étoit aussi une note numérale qui valoit 160 ; & avec une barre horisontale au-dessus, vaut 160000. Le T'avec une sorte d'accent aigu par enhaut, valoit chez les Grecs 300 ; & si l'accent étoit en-bas, il valoit 1000 fois 300, T'= 300000. Le des Hébreux vaut 9 ; & avec deux points disposés au-dessus horisontalement, vaut 9000.

Nos monnoies marquées d'un T, ont été frappées à Nantes. (E. R. M. B.)

T t t t, ces trois premiers t, dans leur figure sont de vrais i en ôtant le point & barrant la partie supérieure. Le quatrieme a de plus une ligne mixte renversée à sa partie inférieure. Ils se forment dans leur premiere partie du mouvement simple du poignet, & dans la seconde le poignet agit de concert avec les doigts. Voyez les Planch. de l'Ecriture.


Tterme de Chirurgie, c'est le nom d'un bandage ainsi dit à raison de sa figure. Il est destiné à contenir l'appareil convenable à l'opération de la fistule à l'anus, aux maladies du périnée & du fondement. On le fait avec deux bandes longues d'une aune, & plus ou moins larges, suivant le besoin. La bande transversale sert à entourer le corps sur les hanches ; la perpendiculaire est cousue au milieu de celle-ci ; elle est fendue jusqu'à six ou huit travers de doigt de la ceinture. Le plein de cette bande passe entre les fesses, & s'appuye sur le périnée ; les deux chefs sont conduits à droite & à gauche entre la cuisse & les parties naturelles, pour venir s'attacher à la ceinture par un noeud en boucle de chaque côté. Voyez ce que nous avons dit de ce bandage à l'article FISTULE A L'ANUS, au mot FISTULE. La figure 14. Planche XXVI. représente un T simple ; & la figure 13. montre un double T. Dans celui-ci il y a deux branches perpendiculaires, cousues à quatre travers de doigt de distance l'une de l'autre. Le double T convient plus particulierement pour l'opération de la taille & pour les maladies du périnée ; parce qu'on croise les deux branches sur le lieu malade, & qu'on laisse l'anus libre & à découvert : avantage que n'a point le T simple. Sur les conditions du linge propre à faire le bandage en T, voyez le mot BANDE. (Y)

T, en terme de mines ou d'Artillerie, se dit d'une figure qui a beaucoup de rapport à celle d'un T, & qui se forme par la disposition & l'arrangement des fourneaux, chambres, ou logemens, qui se font sous une piece de fortification pour la faire sauter. Voyez MINE. (Q)


Ten Musique ; cette lettre se trouve quelquefois dans les partitions, pour désigner la partie de la taille, lorsque cette taille prend la place de la basse, & qu'elle est écrite sur la même portée, la basse gardant le tacet. Voyez TAILLE.

Quelquefois dans les parties de symphonie le T signifie tous ou tutti, & est opposé à la lettre S, ou au mot seul ou solo, qui alors doit nécessairement avoir été écrit auparavant dans la même partie.

Enfin, le T ou tr, sur une note, marque dans la musique italienne, ce qu'ils appellent trillo, & nous, tremblement ou cadence. Ce T, dans la musique françoise, a pris la forme d'une petite croix. (S)


Tdans le Commerce, est d'usage dans quelques abréviations ; ainsi T R s, abregent traits ou traites, & pour livres sterlings, on met L. S T. Voyez ABREVIATION. Dictionnaire de Commerce.


TAou SA, ou TSJA, s. m. (Hist. nat. Botan.) c'est un arbre fruitier du Japon, dont les branches poussent sans ordre dès le pié. Ses feuilles deviennent semblables à celles du cerisier, après avoir ressemblé, dans leur jeunesse, à celles de l'évonyme ; sa fleur differe peu de la rose des champs. La capsule séminale, qui est comme ligneuse, s'ouvre dans sa maturité, & donne deux ou trois semences, dont chacune contient un seul noyau de la figure d'une châtaigne, & couvert d'une écorce fort semblable, mais plus petit.


TA-JASSOUS. m. (Hist. nat.) c'est le nom que les habitans sauvages du Brésil donnent à une espece de sanglier, qui a sur le dos une ouverture naturelle qui sert à la respiration ; quant aux autres parties de cet animal, elles ressemblent parfaitement à celles de nos sangliers ; ses défenses sont tout aussi dangereuses, mais il en differe par son cri, qui est effrayant.


TAAS(Géog. mod.) grande riviere de l'empire Russien, au pays des Samoyédes. Cette riviere semble tirer sa source d'une vaste forêt qui n'est pas loin de Jéniscéa ; & après avoir arrosé une vaste étendue de pays, elle se jette dans l'Oby, à la gauche de ce fleuve. (D.J.)


TAATA(Géog. mod.) ville de la haute Egypte, entre Girgé & Cardousse, à une centaine de lieues du Caire, & seulement à un demi-mille du rivage du Nil. Paul Lucas ne dit que des mensonges sur cette ville ; la montagne qui borne le Nil, les grottes de la montagne, les tombeaux, & le serpent qui s'y trouvent. (D.J.)


TAAUTS. m. (Mythol. Egypt.) Taautes, Taautus, Thautes, Theuth, Thot, Thooth, Thoith, &c. car ce mot est écrit dans les auteurs de toutes ces manieres différentes ; c'est le nom propre d'un dieu des Egyptiens, & autres peuples ; tout ce que nous en savons nous vient de Sanchoniaton, par Eusebe qui même, selon les apparences, ne nous a pas toujours rendu les vrais détails de l'auteur égyptien. (D.J.)


TABou TABO-SEIL, s. m. (Hist. mod.) c'est le nom sous lequel les Negres qui habitent la côte de grain en Afrique désignent leur roi, dont le pouvoir est très-arbitraire, vû que les peuples le regardent comme un être d'une nature fort supérieure à la leur. Sentiment qui est fortifié par les prêtres du pays, qui, comme en beaucoup d'autres endroits, sont les plus fermes supports de la tyrannie & du despotisme, lorsqu'ils n'y sont point soumis eux-mêmes.


TABACS. m. (Hist. nat. Bot.) herbe originaire des pays chauds, ammoniacale, âcre, caustique, narcotique, vénéneuse, laquelle cependant préparée par l'art, est devenue dans le cours d'un siecle, par la bisarrerie de la mode & de l'habitude, la plante la plus cultivée, la plus recherchée, & l'objet des délices de presque tout le monde qui en fait usage, soit par le nez, en poudre ; soit en fumée, avec des pipes ; soit en machicatoire, soit autrement.

On ne la connoît en Europe, que depuis la découverte de l'Amérique, par les Espagnols ; & en France, depuis l'an 1560. On dit qu'Hernandès de Tolede, est un des premiers qui l'ait envoyée en Espagne & en Portugal. Les auteurs la nomment en latin nicotiana, petunum, tabacum, &c. Les Amériquains qui habitent le continent l'appellent pétun, & ceux des îles yolt.

Les François lui ont aussi donné successivement différens noms. Premierement, ils l'appellerent nicotiane, de Jean Nicot, ambassadeur de François II. auprès de Sébastien, roi de Portugal en 1559, 1560, & 1561 ; ministre connu des savans par divers ouvrages, & principalement par son Dictionnaire françois-latin, in-fol. dont notre langue ne peut se passer. Il envoya cette plante de Portugal en France, avec de la graine pour en semer, dont il fit présent à Catherine de Médicis, d'où vient qu'on la nomma herbe à la reine. Cette princesse ne put cependant jamais la faire appeller médicée. Ensuite on nomma le tabac, herbe du grand-prieur, à cause du grand-prieur de France de la maison de Lorraine qui en usoit beaucoup ; puis l'herbe de sainte-croix & l'herbe de tournabon, du nom des deux cardinaux, dont le dernier étoit nonce en France, & l'autre en Portugal ; mais enfin, on s'est réduit à ne plus l'appeller que tabac, à l'exemple des Espagnols, qui nommoient tabaco, l'instrument dont ils se servoient pour former leur pétun.

Sa racine est annuelle ; son calice est ou long, tubuleux, & partagé en cinq quartiers longs & aigus ; ou ce calice est court, large, & partagé en cinq quartiers obtus. Sa fleur est monopétale, en entonnoir, découpée en cinq segmens aigus & profonds, étendus en étoile ; elle a cinq étamines : son fruit est membraneux, oblong, rondelet, & divisé par une cloison en deux cellules.

On compte quatre especes principales de tabac ; savoir, 1°. nicotiana major, latifolia, C. B. P. en françois grand tabac, grand pétun ; 2°. nicotiana major, angusti folia, I. R. B. C. B. P. 3°. nicotiana minor, C. B. P. 4°. minor, foliis rugosioribus.

La premiere espece pousse une tige à la hauteur de cinq ou six piés, grosse comme le pouce, ronde, velue, remplie de moëlle blanche. Ses feuilles sont très-larges, épaisses, mollasses, d'un verd sale, d'environ un pié de long, sans queue, velues, un peu pointues, nerveuses, glutineuses au toucher, d'un goût âcre & brûlant. Ses fleurs croissent au sommet des tiges ; elles sont d'un rouge pâle, divisées par les bords en cinq segmens, & ressemblant à de longs tubes creux. Ses vaisseaux séminaux sont longs, pointus par le bout, divisés en deux loges, & pleins d'un grand nombre de petites semences brunes. Sa racine est fibreuse, blanche, d'un goût fort âcre. Toute la plante a une odeur fort nauséabonde. Cette espece diminue considérablement en séchant, & comme on dit aux îles, à la pente ; cette diminution est cause que les Anglois en font moins de cas que de la seconde espece. En échange, c'est celle qu'on préfere pour la culture en Allemagne, du côté d'Hanovre & de Strasbourg, parce qu'elle est moins délicate.

La seconde espece differe de la précédente, en ce que ses feuilles sont plus étroites, plus pointues, & attachées à leur tige par des queues assez longues ; son odeur est moins forte ; sa fumée plus douce & plus agréable au fumeur. On cultive beaucoup cette espece dans le Brésil, à Cuba, en Virginie & en d'autres lieux de l'Amérique, où les Anglois ont des établissemens.

La troisieme espece vient des Colonies françoises dans les Indes occidentales, & elle réussit fort bien dans nos climats.

La quatrieme espece nommée petit tabac anglois, est plus basse & plus petite que les précédentes. Ses tiges rondes & velues, s'élevent à deux ou trois piés de hauteur. Ses feuilles inférieures sont assez larges, ovales, émoussées par la pointe, & gluantes au toucher ; elles sont plus petites que les feuilles des autres especes de tabacs ; celles qui croissent sur les tiges sont aussi plus petites que les inférieures, & sont rangées alternativement. Ses fleurs sont creuses & en entonnoir ; leurs feuilles sont divisées par le bord en cinq segmens ; elles sont d'un verd jaunâtre, & placées dans des calices velus. Ce tabac a la semence plus grosse que la premiere espece ; cette semence se forme dans des vaisseaux séminaux ; on la seme dans des jardins, & elle fleurit en Juillet & en Août.

Toutes les nicotianes dont on vient de parler, sont cultivées dans les jardins botaniques par curiosité ; mais le tabac se cultive pour l'usage en grande quantité dans plusieurs endroits de l'Amérique, sur-tout dans les îles Antilles, en Virginie, à la Havane, au Brésil, auprès de la ville de Comana, & c'est ce dernier qu'on nomme tabac de Verine.

Le tabac croît aussi par-tout en Perse, particulierement dans la Susiane, à Hamadan, dans la Caramanie déserte, & vers le sein Persique ; ce dernier est le meilleur. On ne sait point si cette plante est originaire du pays, ou si elle y a été transportée. On croit communément qu'elle y a passé d'Egypte, & non pas des Indes orientales.

Il nous vient du tabac du levant, des côtes de Grece & de l'Archipel, par feuilles attachées ensemble. Il s'en cultive aussi beaucoup en Allemagne & en Hollande. Avant que sa culture fût prohibée en France, elle y étoit très-commune, & il réussissoit à merveille, particulierement en Guyenne, du côté de Bordeaux & de Clerac, en Bearn, vers Pau ; en Normandie, aux environs de LÉry ; & en Artois, près Saint-Paul.

On ne peut voir, sans surprise, que la poudre ou la fumée d'une herbe vénéneuse, soit devenue l'objet d'une sensation délicate presque universelle : l'habitude changée en passion, a promtement excité un zele d'intérêt pour perfectionner la culture & la fabrique d'une chose si recherchée ; & la nicotiane est devenue par un goût général, une branche très-étendue du commerce de l'Europe, & de celui d'Amérique.

A peine fut-elle connue dans les jardins des curieux, que divers médecins, amateurs des nouveautés, l'employerent intérieurement & extérieurement, à la guérison des maladies. Ils en tirerent des eaux distillées, & de l'huile par infusion ou par distillation ; ils en préparerent des syrops & des onguens qui subsistent encore aujourd'hui.

Ils la recommanderent en poudre, en fumée, en machicatoire, en errhine, pour purger, disoient-ils, le cerveau & le décharger de sa pituite surabondante. Ils louerent ses feuilles appliquées chaudes pour les tumeurs oedémateuses, les douleurs de jointures, la paralysie, les furoncles, la morsure des animaux venimeux ; ils recommanderent aussi ces mêmes feuilles broyées avec du vinaigre, ou incorporées avec des graisses en onguent, & appliquées à l'extérieur pour les maladies cutanées ; ils en ordonnerent la fumée, dirigée dans la matrice, pour les suffocations utérines ; ils vanterent la fumée, le suc & l'huile de cette herbe, comme un remede odontalgique ; ils en prescrivirent le syrop dans les toux invétérées, l'asthme, & autres maladies de la poitrine. Enfin, ils inonderent le public d'ouvrages composés à la louange de cette plante ; tels sont ceux de Monardes, d'Everhartus, de Néander, &c.

Mais plusieurs autres Médecins, éclairés par une théorie & une pratique plus savante, penserent bien différemment des propriétés du tabac pour la guérison des maladies ; ils jugerent avec raison, qu'il n'y avoit presque point de cas où son usage dût être admis. Son âcreté, sa causticité, sa qualité narcotique le prouvent d'abord. Sa saveur nauséabonde est un signe de sa vertu émétique & cathartique ; cette saveur qui est encore brûlante & d'une acrimonie qui s'attache fortement à la gorge, montre une vertu purgative très-irritante. Mais en même tems que la nicotiane a ces qualités, son odeur foetide indique qu'elle agit par stupéfaction sur les esprits animaux, de même que le stramonium, quoiqu'on ne puisse expliquer comment elle possede à la fois une vertu stimulante & somnifere ; peut-être que sa narcoticité dépend de la vapeur huileuse & subtile, dans laquelle son odeur consiste.

Sa poudre forme par la seule habitude, une titilation agréable sur les nerfs de la membrane pituitaire. Elle y excite dans le commencement des mouvemens convulsifs, ensuite une sensation plus douce, & finalement, il faut pour réveiller le chatouillement, que cette poudre soit plus aiguisée & plus pénétrante. C'est ce qui a engagé des détailleurs pour débiter leur tabac aux gens qui en ont fait un long usage, de le suspendre dans des retraits, afin de le rendre plus âcre, plus piquant, plus fort ; & il faut avouer que l'analogie est bien trouvée. D'autres le mettent au karabé pour l'imbiber tout-d'un-coup d'une odeur ammoniacale, capable d'affecter l'organe usé de l'odorat.

La fumée du tabac ne devient un plaisir à la longue, que par le même méchanisme ; mais cette habitude est plus nuisible qu'utile. Elle prive l'estomac du suc salivaire qui lui est le plus nécessaire pour la digestion ; aussi les fumeurs sont-ils obligés de boire beaucoup pour y remédier, & c'est par cette raison que le tabac supplée dans les camps à la modicité des vivres du malheureux soldat.

La machication du tabac a les mêmes inconvéniens, outre qu'elle gâte l'haleine, les dents, & qu'elle corrode les gencives.

Ceux qui se sont avisés d'employer pour remede le tabac, en petits cornets dans les narines, & de l'y laisser pendant le sommeil, ont bientôt éprouvé le mauvais effet de cette herbe ; car ses parties huileuses & subtiles, tombant dans la gorge & dans la trachée artere, causent au reveil, des toux séches & des vomissemens violens.

Quant à l'application extérieure des feuilles du tabac, on a des remedes beaucoup meilleurs dans toutes les maladies, pour lesquelles on vante l'efficace de ce topique. Sa fumigation est très-rarement convenable dans les suffocations de la matrice.

L'huile du tabac irrite souvent le mal des dents ; & quand elle le dissipe, ce n'est qu'après avoir brûlé le nerf par sa causticité. Si quelques personnes ont appaisé leurs douleurs de dents, en fumant la nicotiane, ce sont des gens qui ont avalé de la fumée, & qui s'en sont enyvrés. On ne persuadera jamais aux Physiciens qui connoissent la fabrique délicate des poumons, que le syrop d'une plante âcre & caustique soit recommandable dans les maladies de la poitrine.

La décoction des feuilles de tabac est un vomitif, qu'il n'est guere permis d'employer, soit de cette maniere, soit en remede, que dans les cas les plus pressans, comme dans l'apopléxie & la léthargie.

L'huile distillée de cette plante est un si puissant émétique, qu'elle excite quelquefois le vomissement, en mettant pendant quelque tems le nez sur la fiole dans laquelle on la garde. Un petit nombre de gouttes de cette huile injectées dans une plaie, cause des accidens mortels, comme l'ont prouvé des expériences faites sur divers animaux, par Harderus & Redi.

Si quelque recueil académique contient des observations ridicules à la louange du tabac, ce sont assurément les mémoires des curieux de la nature ; mais on n'est pas plus satisfait de celles qu'on trouve dans la plupart des auteurs contre l'usage de cette plante. Un Pauli, par exemple, nous assure que le tabac qu'on prend en fumée, rend le crâne tout noir. Un Borrhi, dans une lettre à Bartholin, lui mande, qu'une personne s'étoit tellement desséchée le cerveau à force de prendre du tabac, qu'après sa mort on ne lui trouva dans la tête qu'un grumeau noir, composé de membranes. Il est vrai que dans le tems de tous ces écrits, le tabac avoit allumé une guerre civile entre les Médecins, pour ou contre son usage, & qu'ils employerent sans scrupule, le vrai & le faux pour faire triompher leur parti. Le roi Jacques lui-même, se mêla de la querelle ; mais si son regne ne fut qu'incapacité, son érudition n'étoit que pédanterie. (D.J.)

TABAC, culture du, (Comm.) ce fut vers l'an 1520 que les Espagnols trouverent cette plante dans le Jucatan, province de la Terre-ferme ; & c'est delà que sa culture a passé à Saint-Domingue, à Mariland, & à la Virginie.

Vers l'an 1560, Jean Nicot, à son retour de Portugal, présenta cette plante à Catherine de Médicis ; ce qui fit qu'on l'appella la nicotiane. Le cardinal de Sainte-Croix & Nicolas Tornaboni la vanterent en Italie sous le nom d'herbe sainte, que les Espagnols lui avoient donné à cause de ses vertus. Cependant l'herbe sainte, loin d'être également accueillie de tout le monde, alluma la guerre entre les Savans ; les ignorans en grand nombre y prirent parti, & les femmes mêmes se déclarerent pour ou contre une chose qu'elles ne connoissoient pas mieux que les affaires sérieuses qui se passoient alors en Europe, & qui en changerent toute la face.

On fit plus de cent volumes à la louange ou au blâme du tabac ; un allemand nous en a conservé les titres. Mais malgré les adversaires qui attaquerent l'usage de cette plante, son luxe séduisit toutes les nations, & se répandit de l'Amérique jusqu'au Japon.

Il ne faut pas croire qu'on le combattît seulement avec la plume ; les plus puissans monarques le proscrivirent très-séverement. Le grand duc de Moscovie, Michel Féderowits, voyant que la capitale de ses états, bâtie de maisons de bois, avoit été presque entierement consumée par un incendie, dont l'imprudence des fumeurs qui s'endormoient la pipe à la bouche, fut la cause, défendit l'entrée & l'usage du tabac dans ses états ; premierement sous peine de la bastonnade, qui est un châtiment très-cruel en ce pays-là ; ensuite sous peine d'avoir le nez coupé ; & enfin, de perdre la vie. Amurath IV. empereur des Turcs, & le roi de Perse Scach-Sophi firent les mêmes défenses dans leurs empires, & sous les mêmes peines. Nos monarques d'occident, plus rusés politiques, chargerent de droits exorbitans l'entrée du tabac dans leurs royaumes, & laisserent établir un usage qui s'est à la fin changé en nécessité. On mit en France en 1629 trente sols par livre d'impôt sur le pétun, car alors le tabac s'appelloit ainsi ; mais comme la consommation de ce nouveau luxe est devenue de plus en plus considérable, on en a multiplié proportionnellement les plantations dans tous les pays du monde. On peut voir la maniere dont elles se font à Ceylan, dans les Transact. philos. n °. 278. p. 1145 & suiv. Nous avons sur-tout des ouvrages précieux écrits en anglois, sur la culture du tabac en Mariland & en Virginie ; en voici le précis fort abrégé.

On ne connoît en Amérique que quatre sortes de tabacs ; le petun, le tabac à langue, le tabac d'amazone, & le tabac de Verine ; ces quatre especes fleurissent & portent toutes de la graine bonne pour se reproduire ; toutes les quatre peuvent croître à la hauteur de 5 ou 6 piés, & durer plusieurs années, mais ordinairement on les arrête à la hauteur de deux piés, & on les coupe tous les ans.

Le tabac demande une terre grasse, médiocrement forte, unie, profonde, & qui ne soit pas sujette aux inondations ; les terres neuves lui sont infiniment plus propres que celles qui ont déja servi.

Après avoir choisi son terrein, on mêle la graine du tabac avec six fois autant de cendre ou de sable, parce que si on la semoit seule, sa petitesse la feroit pousser trop épais, & il seroit impossible de transplanter la plante sans l'endommager. Quand la plante a deux pouces d'élevation hors de terre, elle est bonne à être transplantée. On a grand soin de sarcler les couches, & de n'y laisser aucunes mauvaises herbes, dès que l'on peut distinguer le tabac ; il doit toujours être seul & bien net.

Le terrein étant nettoyé, on le partage en allées distantes de trois piés les unes des autres, & paralleles, sur lesquelles on plante en quinconce des piquets éloignés les uns des autres de trois piés. Pour cet effet, on étend un cordeau divisé de trois en trois piés par des noeuds, ou quelques autres marques apparentes, & l'on plante un piquet en terre à chaque noeud ou marque.

Après qu'on a achevé de marquer les noeuds du cordeau, on le leve, on l'étend trois piés plus loin, observant que le premier noeud ou marque ne corresponde pas vis-à-vis d'un des piquets plantés, mais au milieu de l'espace qui se trouve entre deux piquets, & on continue de marquer ainsi tout le terrein avec des piquets, afin de mettre les plantes au lieu des piquets, qui, de cette maniere, se trouvent plus en ordre, plus aisées à sarcler, & éloignées les unes des autres suffisamment pour prendre la nourriture qui leur est nécessaire. L'expérience fait connoître qu'il est plus à-propos de planter en quinconce, qu'en quarré, & que les plantes ont plus d'espace pour étendre leurs racines, & pousser les feuilles, que si elles faisoient des quarrés parfaits.

Il faut que la plante ait au-moins six feuilles pour pouvoir être transplantée. Il faut encore que le tems soit pluvieux ou tellement couvert, que l'on ne doute point que la pluie ne soit prochaine ; car de transplanter en tems sec, c'est risquer de perdre tout son travail & ses plantes. On leve les plantes doucement, & sans endommager les racines. On les couche proprement dans des paniers, & on les porte à ceux qui doivent les mettre en terre. Ceux-ci sont munis d'un piquet d'un pouce de diametre, & d'environ quinze pouces de longueur, dont un bout est pointu, & l'autre arrondi.

Ils font avec cette espece de poinçon un trou à la place de chaque piquet qu'ils levent, & y mettent une plante bien droite, les racines bien étendues : ils l'enfoncent jusqu'à l'oeil, c'est-à-dire, jusqu'à la naissance des feuilles les plus basses, & pressent mollement la terre autour de la racine, afin qu'elle soutienne la plante droite sans la comprimer. Les plantes ainsi mises en terre, & dans un tems de pluie, ne s'arrêtent point, leurs feuilles ne souffrent pas la moindre altération, elles reprennent en 24 heures, & profitent à merveille.

Un champ de cent pas en quarré contient environ dix mille plantes : on compte qu'il faut quatre personnes pour les entretenir, & qu'elles peuvent rendre quatre mille livres pesant de tabac, selon la bonté de la terre, le tems qu'on a planté, & le soin qu'on en a pris ; car il ne faut pas s'imaginer qu'il n'y a plus rien à faire, quand la plante est une fois en terre. Il faut travailler sans-cesse à sarcler les mauvaises herbes, qui consommeroient la plus grande partie de sa nourriture. Il faut l'arrêter, la rejettonner, ôter les feuilles piquées de vers, de chenilles, & autres insectes ; en un mot avoir toujours les yeux & les mains dessus jusqu'à ce qu'elle soit coupée.

Lorsque les plantes sont arrivées à la hauteur de deux piés & demi ou environ, & avant qu'elles fleurissent, on les arrête, c'est-à-dire, qu'on coupe le sommet de chaque tige, pour l'empêcher de croître & de fleurir ; & en même tems on arrache les feuilles les plus basses, comme plus disposées à toucher la terre, & à se remplir d'ordures. On ôte aussi toutes celles qui sont viciées, piquées de vers, ou qui ont quelque disposition à la pourriture, & on se contente de laisser huit ou dix feuilles tout-au-plus sur chaque tige, parce que ce petit nombre bien entretenu rend beaucoup plus de tabac, & d'une qualité infiniment meilleure, que si on laissoit croître toutes celles que la plante pourroit produire. On a encore un soin particulier d'ôter tous les bourgeons ou rejettons que la force de la seve fait pousser entre les feuilles & la tige ; car outre que ces rejettons ou feuilles avortées ne viendroient jamais bien, elles attireroient une partie de la nourriture des véritables feuilles qui n'en peuvent trop avoir.

Depuis que les plantes sont arrêtées jusqu'à leur parfaite maturité, il faut cinq à six semaines, selon que la saison est chaude, que le terrein est exposé, qu'il est sec ou humide. On visite pendant ce tems-là, au-moins deux ou trois fois la semaine, les plantes pour les rejettonner, c'est-à-dire en arracher tous les rejettons, fausses tiges ou feuilles qui naissent tant sur la tige qu'à son extrêmité, ou auprès des feuilles.

Le tabac est ordinairement quatre mois ou environ en terre, avant d'être en état d'être coupé. On connoît qu'il approche de sa maturité, quand ses feuilles commencent à changer de couleur, & que leur verdeur vive & agréable, devient peu-à-peu plus obscure : elles panchent alors vers la terre, comme si la queue qui les attache à la tige, avoit peine à soutenir le poids du suc dont elles sont remplies : l'odeur douce qu'elles avoient, se fortifie, s'augmente, & se répand plus au loin. Enfin quand on s'apperçoit que les feuilles cassent plus facilement lorsqu'on les ploie, c'est un signe certain que la plante a toute la maturité dont elle a besoin, & qu'il est tems de la couper.

On attend pour cela que la rosée soit tombée, & que le soleil ait desséché toute l'humidité qu'elle avoit répandue sur les feuilles : alors on coupe les plantes, par le pié. Quelques-uns les coupent entre deux terres, c'est-à-dire, environ un pouce au-dessous de la superficie de la terre ; les autres à un pouce ou deux au-dessus ; cette derniere maniere est la plus usitée. On laisse les plantes ainsi coupées auprès de leurs souches le reste du jour, & on a soin de les retourner trois ou quatre fois, afin que le soleil les échauffe également de tous les côtés, qu'il consomme une partie de leur humidité, & qu'il commence à exciter une fermentation nécessaire pour mettre leur suc en mouvement.

Avant que le soleil se couche, on les transporte dans la case qu'on a préparée pour les recevoir, sans jamais laisser passer la nuit à découvert aux plantes coupées, parce que la rosée qui est très-abondante dans ces climats chauds, rempliroit leurs pores ouverts par la chaleur du jour précédent, & en arrêtant le mouvement de la fermentation déja commencée, elle disposeroit la plante à la corruption & à la pourriture.

C'est pour augmenter cette fermentation, que les plantes coupées & apportées dans la case, sont étendues les unes sur les autres, & couvertes de feuilles de balisier amorties, ou de quelques nattes, avec des planches par-dessus, & des pierres pour les tenir en sujétion : c'est ainsi qu'on les laisse trois ou quatre jours, pendant lesquels elles fermentent, ou pour parler comme aux îles françoises, elles ressuent, après quoi on les fait sécher dans les cases ou sueries.

On y construit toujours ces maisons à portée des plantations ; elles sont de différentes grandeurs, à-proportion de l'étendue des plantations ; on les bâtit avec de bons piliers de bois fichés en terre & bien traversé par des poutres & poutrelles, pour soutenir le corps du bâtiment. Cette carcasse faite, on la garnit de planches, en les posant l'une sur l'autre, comme l'on borde un navire, sans néanmoins que ces planches soient bien jointes ; elles ne sont attachées que par des chevilles de bois.

La couverture de la maison est aussi couverte de planches, attachées l'une sur l'autre sur les chevrons, de maniere que la pluie ne puisse entrer dans la maison : & cependant on observe de laisser une ouverture entre le toit & le corps du bâtiment, ensorte que l'air y passe sans que la pluie y entre, parce qu'on entend bien que le toit doit déborder le corps du bâtiment. On n'y fait point de fenêtres, on y voit assez clair, le jour y entrant suffisamment par les portes & par les ouvertures pratiquées entre le toit & le corps du bâtiment.

Le sol ordinaire de ces maisons est la terre même ; mais comme on y pose les tabacs, & que dans des tems humides la fraîcheur peut les humecter & les corrompre, il est plus prudent de faire des planchers, que l'on forme avec des poutrelles & des planches chevillées par-dessus. La hauteur du corps du bâtiment est de quinze à seize piés, celle du toit jusqu'au faîte de dix à douze piés.

En-dedans du bâtiment, on y place en-travers de petits chevrons qui sont chacun de deux pouces & demi en quarré ; le premier rang est posé à un pié & demi ou deux piés au-dessous du faîte, le deuxieme rang à quatre piés & demi au-dessous, le troisieme de même, &c. jusqu'à la hauteur de l'homme : les chevrons sont rangés à cinq piés de distance l'un de l'autre, ils servent à poser des gaulettes, auxquelles on pend les plantes de tabac.

Dès que le tabac a été apporté dans des civieres à la suerie ; on le fait rafraîchir en étendant sur le plancher des lits de trois plantes couchées l'une sur l'autre. Quand il s'est rafraîchi environ douze heures, on passe dans le pié de chaque plante une brochette de bois d'une façon à pouvoir être accrochée & tenir aux gaulettes, & tout-de-suite on les met ainsi à la pente, en observant de ne les point presser l'une contre l'autre. On laisse les plantes à la pente jusqu'à ce que les feuilles soient bien seches ; alors on profite du premier tems humide qui arrive, & qui permet de les manier sans les briser. Dans ce tems favorable on détache les plantes de la pente, & à mesure on arrache les feuilles de la tige, pour en former des manoques ; chaque manoque est composée de dix à douze feuilles, & elle se lie avec une feuille. Quand la manoque n'a point d'humidité, & qu'elle peut être pressée, on la met en boucaux.

Le tabac fort de Virginie, se cultive encore avec plus de soin que le tabac ordinaire, & chaque manoque de ce tabac fort, n'est composée que de quatre à six feuilles, fortes, grandes, & qui doivent être d'une couleur de marron foncé ; on voit par-là, qu'on fait en Virginie deux sortes de manoques de tabac, qu'on nomme premiere & seconde sorte.

Quant au merrain des boucaux, on se sert pour le faire du chêne blanc, qui est un bois sans odeur ; d'autres sortes de bois sont également bons pourvu qu'ils n'ayent point d'odeur. On distribue le bois en merrain, au-moins six mois avant que d'être employé. Les boucaux se font tous d'une même grandeur ; ils ont 4 piés de haut sur 32 pouces de diametre dans leur milieu ; ils contiennent cinq ou 600 liv. de tabac seulement pressées par l'homme, & jusqu'à mille livres lorsqu'ils sont pressés à la presse ; les boucaux du tabac fort, pesent encore davantage.

Telle est la culture du tabac que les fermiers de France achetent des Anglois pour environ quatre millions chaque année. Il est vrai cependant que quand le revenu du tabac seroit, comme on l'a dit, pour eux de quarante millions par an, il ne surpasseroit pas encore ce que la Louisiane mise en valeur pour cette denrée, produiroit annuellement à l'état au bout de quinze ans ; mais jamais les tabacs de la Louisiane ne seront cultivés & achetés sans la liberté du commerce. (D.J.)

TABAC, manufacture de. Le tabac regardé comme plante usuelle & de pur agrément, n'est connu en France que depuis environ 1600. Le premier arrêt qui survint à ce sujet, fut pour en défendre l'usage, que l'on croyoit pernicieux à la santé ; ce préjugé fut promtement détruit par la certitude du contraire, & le goût pour le tabac s'étendit assez généralement & en très-peu de tems dans toute l'Europe ; il est devenu depuis un objet important de commerce qui s'est accru de jour en jour. Cette denrée s'est vendue librement en France au moyen d'un droit de 30 sols qu'elle payoit à l'entrée jusqu'en 1674, qu'il en a été formé un privilege exclusif qui depuis a subsisté presque sans interruption.

A mesure que le goût de cette denrée prenoit faveur en France, il s'y établissoit des plantations, on la cultivoit même avec succès dans plusieurs provinces ; mais la difficulté, pour ne pas dire l'impossibilité, de faire concourir cette liberté avec le soutien du privilege, fit prendre le parti de supprimer toutes plantations dans l'intérieur de l'extension du privilege ; on s'est servi depuis de feuilles de différens crûs étrangers en proportion & en raison de qualité des fabriques auxquelles chacun d'eux s'est trouvé propre.

Les matieres premieres que l'on emploie dans les manufactures de France, sont des feuilles de Virginie, de la Louisiane, de Flandres, d'Hollande, d'Alsace, du Palatinat, d'Ukraine, de Pologne & de Levant.

Les feuilles de l'Amérique en général, & surtout celles connues sous le nom de l'inspection de Virginie, sont celles qui pour le corps & la qualité conviennent le mieux à la fabrique des tabacs destinés pour la rape ; celles d'Hollande entrent avec succès dans la composition des mêmes tabacs ; parmi tous ces crûs différens, les feuilles les plus jaunes, les plus légeres & les moins piquantes, sont celles qui réussissent le mieux pour les tabacs destinés à fumer, & par cette raison celles du Levant & celles du Mariland y sont très-propres.

Il seroit difficile de fixer le degré de supériorité d'un crû sur l'autre ; cela dépend entierement des tems plus ou moins favorables que la plante a essuyés pendant son séjour sur terre, de la préparation qui a été donnée aux feuilles après la récolte, & des précautions que l'on a prises ensuite pour les conserver & les employer dans leur point de maturité ; de même il ne peut y avoir de procédé fixe sur la composition des tabacs ; on doit avoir pour principe unique, lorsque le goût du consommateur est connu, d'entretenir chaque fabrique dans la plus parfaite égalité ; c'est à quoi on ne parvient qu'avec une très-grande connoissance des matieres, une attention suivie sur la qualité actuelle, non-seulement du crû, mais, pour ainsi dire, de chaque feuille que l'on employe ; l'expérience dicte ensuite s'il convient de faire des mêlanges, & en quelle proportion ils doivent être faits.

Une manufacture de tabacs n'exige ni des machines d'une méchanique compliquée, ni des ouvriers d'une intelligence difficile à rencontrer ; cependant les opérations en apparence les plus simples demandent la plus singuliere attention ; rien n'est indifférent depuis le choix des matieres jusqu'à leur perfection.

Il se fabrique des tabacs sous différentes formes qui ont chacune leur dénomination particuliere & leur usage particulier.

Les tabacs en carottes destinés à être rappés & ceux en rolles propres pour la pipe, font l'objet principal de la consommation.

On se contentera donc de faire ici le détail des opérations nécessaires pour parvenir à former des rolles & des carottes, & on a cru ne pouvoir donner une idée plus nette & plus précise de cette manoeuvre, qu'en faisant passer le lecteur, pour ainsi dire, dans chacun des atteliers qui la composent, par le moyen des Planches placées suivant l'ordre du travail avec une explication relative à chacune.

Mais pour n'être point arrêté dans le détail de la fabrication, il paroît nécessaire de le faire préceder de quelques réflexions, tant sur les bâtimens nécessaires pour une manufacture & leur distribution, que sur les magasins destinés à contenir les matieres premieres & celles qui sont fabriquées.

Magasins. L'exposition est la premiere de toutes les attentions que l'on doit avoir pour placer les magasins ; le soleil & l'humidité sont également contraires à la conservation des tabacs.

Les magasins destinés pour les matieres premieres doivent être vastes, & il en faut de deux especes, l'une pour contenir les feuilles anciennes qui n'ont plus de fermentation à craindre, & l'autre pour les feuilles plus nouvelles qui devant encore fermenter, doivent être souvent remuées, travaillées & empilées à différentes hauteurs.

La qualité des matieres de chaque envoi est reconnue à son entrée dans la manufacture, & les feuilles sont placées sans confusion dans les magasins qui leur sont propres, afin d'être employées dans leur rang, lorsqu'elles sont parvenues à leur vrai point de maturité ; sans cette précaution, on doit s'attendre à n'éprouver aucun succès dans la fabrication, & à essuyer des pertes & des déchets très-considérables.

Il ne faudroit pour les tabacs fabriqués que des magasins de peu d'étendue, si les tabacs pouvoient s'exposer en vente à la sortie de la main de l'ouvrier ; mais leur séjour en magasin est un dernier degré de préparation très-essentiel ; ils doivent y essuyer une nouvelle fermentation indispensable pour revivifier les sels dont l'activité s'étoit assoupie dans le cours de la fabrication ; ces magasins doivent être proportionnés à la consommation, & doivent contenir une provision d'avance considérable.

A l'égard de l'exposition, elle doit être la même que pour les matieres premieres, & on doit observer de plus d'y ménager des ouvertures en oppositions droites, afin que l'air puisse y circuler & se renouveller sans-cesse.

Bâtimens & atteliers. Les magasins de toute espece dans une manufacture de tabac devant supporter des poids énormes, il est bien difficile de pouvoir les établir assez solidement sur des planchers ; on doit, autant qu'il est possible, les placer à rez-de-chaussée ; la plupart des atteliers de la fabrique sont nécessairement dans le même cas, parce que les uns son remplis de matieres préparées entassées, & les autres de machines dont l'effort exige le terrein le plus solide ; ainsi les bâtimens destinés à l'exploitation d'une manufacture de tabac, doivent occuper une superficie considérable.

Cependant rien n'est plus essentiel que de ne pas excéder la proportion nécessaire à une manutention facile ; sans cette précaution, on se mettroit dans le cas de multiplier beaucoup la main-d'oeuvre, d'augmenter la perte & le dépérissement des matieres, & de rendre la régie plus difficile & moins utile.

Opérations de la fabrique. I. opération, Epoulardage. L'époulardage est la premiere de toutes les opérations de la fabrique ; elle consiste à séparer les manoques (on appelle manoque une poignée de feuilles plus ou moins forte, suivant l'usage du pays, & liée par la tête par une feuille cordée) à les frotter assez sous la main pour démastiquer les feuilles, les ouvrir, & les dégager des sables & de la poussiere dont elles ont pu se charger.

Dans chaque manoque ou botte de feuilles de quelque crû qu'elles viennent, il s'en trouve de qualités différentes ; rien de plus essentiel que d'en faire un triage exact ; c'est de cette opération que dépend le succès d'une manufacture, il en résulte aussi une très-grande économie par le bon emploi des matieres ; on ne sauroit avoir un chef trop consommé & trop vigilant pour présider à cet attelier.

Il faut, pour placer convenablement cet attelier, une piece claire & spacieuse, dans laquelle on puisse pratiquer autant de bailles ou cases, que l'on admet de triage dans les feuilles.

Les ouvriers de cet attelier ont communément autour d'eux, un certain nombre de mannes ; le maître-ouvrier les change lui-même à mesure, les examine de nouveau, & les place dans les cases suivant leur destination.

Sans cette précaution, ou les ouvriers jetteroient les manoques à la main dans les cases & confondroient souvent les triages, ou ils les rangeroient par tas autour d'eux, où elles reprendroient une partie de la poussiere dont le frottement les a dépouillées.

Mouillade. La mouillade est la seconde opération de la fabrique, & doit former un attelier séparé, mais très-voisin de celui de l'époulardage ; il doit y avoir même nombre de cases, & distribuées comme celles de l'époulardage, parce que les feuilles doivent y être transportées dans le même ordre.

Cette opération est délicate, & mérite la plus grande attention ; car toutes les feuilles ne doivent point être mouillées indifféremment ; on ne doit avoir d'autre objet que celui de communiquer à celles qui sont trop seches, assez de souplesse pour passer sous les mains des écoteurs, sans être brisées ; toutes celles qui ont assez d'onction par elles-mêmes pour soutenir cette épreuve, doivent en être exceptées avec le plus grand soin.

On ne sauroit en général être trop modéré sur la mouillade des feuilles, ni trop s'appliquer à leur conserver leur qualité premiere & leur seve naturelle.

Une légere humectation est cependant ordinairement nécessaire dans le cours de la fabrication, & on en fait usage dans toutes les fabriques ; chacune a sa préparation plus ou moins composée ; en France, où on s'attache plus particulierement au choix des matieres premieres, la composition des sauces est simple & très-connue ; on se contente de choisir l'eau la plus nette & la plus savonneuse à laquelle on ajoute une certaine quantité de sel marin proportionnée à la qualité des matieres.

L'Ecotage. L'écotage est l'opération d'enlever la côte principale depuis le sommet de la feuille jusqu'au talon, sans offenser la feuille ; c'est une opération fort aisée, & qui n'exige que de l'agilité & de la souplesse dans les mains de l'ouvrier ; on se sert par cette raison par préférence, de femmes, & encore plus volontiers d'enfans qui dès l'âge de six ans peuvent y être employés ; ils enlevent la côte plus nette, la pincent mieux & plus vite ; la beauté du tabac dépend beaucoup de cette opération ; la moindre côte qui se trouve dans les tabacs fabriqués, les dépare, & indispose les consommateurs ; ainsi on doit avoir la plus singuliere attention à n'en point souffrir dans la masse des déchets, & on ne sauroit pour cet effet les examiner trop souvent, avant de les livrer aux fileurs.

On doit observer, que quoique la propreté soit essentielle dans tout le cours de la fabrication, & contribue pour beaucoup à la bonne qualité du tabac, elle est encore plus indispensable dans cet attelier que dans tout autre ; on conçoit assez combien l'espece d'ouvriers que l'on y employe, est suspecte à cet égard, & a besoin d'être surveillée.

On choisit dans le nombre des feuilles qui passent journellement en fabrique, les feuilles les plus larges & les plus fortes, que l'on reserve avec soin pour couvrir les tabacs ; l'écotage de celles-ci forme une espece d'attelier à part, qui suit ordinairement celui des fileurs, cette opération demande plus d'attention que l'écotage ordinaire, parce que les feuilles doivent être plus exactement écotées sur toute leur longueur, & que si elles venoient à être déchirées, elles ne seroient plus propres à cet usage : on distingue ces feuilles en fabrique, par le mot de robes.

Toutes les feuilles propres à faire des robes, sont remises, lorsqu'elles sont écotées, aux plieurs.

L'opération du plieur consiste à faire un pli, ou rebord, du côté de la dentelure de la feuille, afin qu'elle ait plus de résistance, & ne déchire pas sous la main du fileur.

Déchets. Le mot de déchet est un terme adopté dans les manufactures, quoique très-contraire à sa signification propre : on appelle ainsi la masse des feuilles triées, écotées, qui doivent servir à composer les tabacs de toutes les qualités.

Ces déchets sont transportés de nouveau dans la salle de la mouillade ; c'est alors que l'on travaille aux mêlanges, opération difficile qui ne peut être conduite que par des chefs très-expérimentés & très-connoisseurs.

Il ne leur suffit pas de connoître le cru des feuilles & leurs qualités distinctives, il y a très-fréquemment des différences marquées, pour le goût, pour la seve, pour la couleur, dans les feuilles de même cru & de même récolte.

Ce sont ces différences qu'ils doivent étudier pour les corriger par des mêlanges bien entendus ; c'est le seul moyen d'entretenir l'égalité dans la fabrication, d'où dépendent principalement la réputation & l'accroissement des manufactures.

Lorsque les mêlanges sont faits, on les mouille par couche très-légerement, avec la même sauce dont on a parlé dans l'article de la mouillade, & avec les mêmes précautions, c'est-à-dire uniquement pour leur donner de la souplesse, & non de l'humidité.

On les laisse ainsi fermenter quelque tems, jusqu'à ce qu'elles soient parfaitement ressuyées ; bientôt la masse prend le même ton de couleur, de goût, & de fraîcheur : alors on peut la livrer aux fileurs.

Attelier de fileurs. Il y a deux manieres de filer le tabac, qui sont également bonnes, & que l'on employe indifféremment dans les manufactures ; l'une s'appelle filer à la françoise, & l'autre à la hollandoise ; cette derniere est la plus généralement en usage ; la manufacture de Paris, sur laquelle la Planche qui répond à cet attelier a été dessinée, est montée à la hollandoise.

Il n'y a aucune préférence à donner à l'une ou l'autre de ces manieres, pour la beauté, ni pour la qualité du tabac ; il n'y a de différence que dans la manoeuvre, & elle est absolument imperceptible aux yeux. La facilité ou la difficulté de trouver des ouvriers de l'une ou l'autre espece, décident le choix.

L'opération de filer le tabac à la hollandoise, consiste à réunir les soupes ensemble, par le moyen d'un rouet, & de les couvrir d'une seconde robe, qui les enveloppe exactement.

La soupe est une portion de tabac filé à la main, de la longueur d'environ trois piés, & couverte d'une robe jusqu'à trois ou quatre pouces de chaque extrêmité, ce sont les chevelures des bouts que le fileur doit réunir & enter l'un sur l'autre.

L'habileté du fileur est de réunir ces soupes de maniere que l'endroit de la soudure soit absolument imperceptible ; ce qui constitue la beauté du filage est que le boudin soit toujours d'une grosseur bien égale, qu'il soit bien ferme, que la couverture en soit lisse & bien tendue, & par-tout d'une couleur brune & uniforme.

Le reste de la manoeuvre est détaillée dans la Planche, de la maniere la plus exacte.

Les fileurs sont les ouvriers les plus essentiels d'une manufacture, & les plus difficiles à former ; il faut pour cette opération des hommes forts & nerveux, pour résister à l'attitude contrainte, & à l'action où ils sont toujours ; les meilleurs sont ceux qui ont été élevés dans la manufacture, & y ont suivi par degré toutes les opérations ; ce qui les accoutume à une justesse dans la filature, qu'une habitude de jeunesse peut seule donner.

Roleurs. Lorsque les rouets des fileurs sont pleins, on les transporte dans l'attelier des roleurs, pour y être mis en roles, dans la forme représentée dans la figure.

Les roles sont de différentes grosseurs, suivant leur destination & leurs qualités : on observe généralement de tenir les cordons des roles très-serrés, afin que l'air ne puisse les pénétrer, ce qui les dessecheroit considérablement ; c'est le dernier apprêt de ce qu'on appelle la fabrique des roles ; chaque role est enveloppé ensuite dans du papier gris, & emmagasiné, jusqu'à ce qu'il ait acquis par la garde, le point de maturité nécessaire pour passer à la fabrique du ficelage.

Fabrique du ficelage. La fabrique du ficelage est regardée dans les manufactures, comme une seconde fabrique, parce que les tabacs y reçoivent une nouvelle préparation, & qu'ils ont une autre sorte de destination : les tabacs qui restent en roles sont censés être destinés uniquement pour la pipe, & ceux qui passent par la fabrique du ficelage, ne sont destinés que pour la rape.

Lorsque les roles ont essuyé un dépôt assez considérable, & qu'ils se trouvent au point de maturité désirable pour être mis en bouts, on les livre à la fabrique du ficelage.

Coupeurs de longueurs. La premiere opération de cette fabrique est de couper les cordons du role en longueurs proportionnées à celles que l'on veut donner aux bouts, y compris l'extension que la pression leur procure ; on se sert à cet effet d'une matrice ferrée par les deux bouts, & d'un tranchoir. Cette manoeuvre est si simple qu'elle ne mérite aucune explication, la seule attention que l'on doive prendre dans cet attelier, est d'accoutumer les ouvriers à ne point excéder les mesures, à tenir le couteau bien perpendiculairement, & à ne point déchirer les robes.

Attelier des presses. De l'attelier des coupeurs, les longueurs passent dans l'attelier des presses, où elles sont employées par différens comptes, suivant la grosseur que l'on veut donner aux carottes : on fait des bouts composés depuis deux jusqu'à huit longueurs.

On conçoit que pour amalgamer un certain nombre de bouts, filés très-ronds & très-fermes, & n'en former qu'un tout très-uni, il faut une pression fort considérable, ainsi il est nécessaire que les presses soient d'une construction très-forte. Voyez la fig.

Pour que le tabac prenne de belles formes, il faut que les moules soient bien ronds & bien polis, qu'ils soient entretenus avec la plus grande propreté, & que les arêtes sur-tout en soient bien conservées, afin d'éviter qu'il ne se forme des bourlets le long des carottes, ce qui les dépare.

Ces moules sont rangés sur des tables de différens comptes, & les tables rangées sous la presse, à cinq, six, & sept rangs de hauteur, suivant l'intervalle des sommiers.

Ces tables doivent être posées bien d'aplomb en tout sens sous la presse, afin que la pression soit bien égale par-tout ; le tabac & la presse souffriroient de la moindre inégalité.

On doit observer dans un grand attelier, de ne donner à chaque presse qu'un certain nombre de tours à la fois, & de les mener ainsi par degré, jusqu'au dernier point de pression ; c'est le moyen de ménager la presse, & de former des carottes plus belles, plus solides, & d'une garde plus sûre.

Cet attelier, tant à cause de l'entretien des machines, que pour la garniture des presses, est d'un détail très-considérable, & doit être conduit par des chefs très-intelligens.

Le ficelage. A mesure que les carottes sortent des moules, on a soin de les envelopper fortement avec des lisieres, afin que dans le transport, & par le frottement, les longueurs ne puissent se desunir, & elles sont livrées en cet état aux ficeleurs.

Le ficelage est la parure d'un bout de tabac ; ainsi, quoique ce soit une manoeuvre simple, elle mérite beaucoup de soin, d'attention, & de propreté ; la perfection consiste à ce que les cordons se trouvent en distance bien égale, que les noeuds soient rangés sur une même ligne, & que la vignette soit placée bien droite ; la ficelle la plus fine, la plus unie, & la plus ronde, est celle qui convient le mieux à cette opération.

Lorsque les carottes sont ficelées, on les remet à quelques ouvriers destinés à ébarber les bouts avec des tranchoirs : cette opération s'appelle le parage, & c'est la derniere de toutes ; le tabac est en état alors d'être livré en vente, après avoir acquis dans des magasins destinés à cet usage, le dépôt qui lui est nécessaire pour se perfectionner.

TABAC, presser le, (Manuf. de tabac) c'est mettre les feuilles de tabac en piles, après qu'elles ont été quelque tems séchées à la pente, afin qu'elles y puissent suer ; quand la sueur tarde à venir, on couvre la pile de planches, sur lesquelles on met quelques pierres pesantes. La pile, ou presse, doit être environ de trois piés de hauteur. Labat. (D.J.)

TABAC, torquettes de, (Manuf. de tabac) ce sont des feuilles de tabac roulées & pliées extraordinairement ; elles se font à-peu-près comme les andouilles, à la reserve qu'on n'y met pas tant de feuilles dans le dedans. Lorsque les feuilles de tabac dont on veut composer la torquette, ont été arrangées les unes sur les autres, on les roule dans toute leur longueur, & l'on plie ensuite le rouleau en deux, en tortillant les deux moitiés ensemble, & en cordonnant les deux bouts pour les arrêter. Dans cet état, on les met dans des barriques vuides de vin, que l'on couvre de feuilles, lorsqu'on n'y veut pas remettre l'enfonçure ; elles y ressuent, & en achevant de fermenter, elles prennent une belle couleur, une odeur douce, & beaucoup de force. Savary. (D.J.)

TABAC, ferme du, (Comm. des fermes) les fermiers généraux ont enlevé la ferme du tabac à la compagnie des Indes ; ils ont réuni les sous-fermes ; ils ont joint à leur bail une partie des droits annexés à la ferme des octrois de Lyon ; ils ont tenté finalement la réunion de la ferme des postes, ensorte que s'ils vont toujours en augmentant, il leur faudra le royaume & les îles. Mais sans détailler les inconvéniens de donner continuellement à une compagnie si puissante, nous nous contenterons d'observer au sujet de la ferme du tabac, qu'il seroit plus avantageux à l'état de faire administrer cette ferme en finance de commerce, qu'en pure finance ; & alors une compagnie commerçante, faisant cultiver ses tabacs à la Louisiane, à S. Domingue, & dans les autres endroits de nos îles les plus propres à cette plante, tireroit tous ses besoins de nos colonies, éviteroit une dépense annuelle au-moins de cinq millions, vis-à-vis l'étranger, & peut-être parviendroit à faire du tabac, une branche de commerce d'objet avec les étrangers mêmes. Or cinq millions à deux cent livres de consommation par personne, peuvent faire subsister vingt-cinq mille ames de plus. La culture des tabacs à la Louisiane, se feroit, supposons, par dix mille ames, chefs & enfans ; voilà un total de trente-cinq mille personnes d'accroissement dans les colonies, & si le succès des plantations devenoit un peu considérable, il arriveroit que les cinq millions dont nous avons parlé, se trouveroient annuellement dans la balance avec l'étranger, & que par cette seule branche de commerce, la France recueilleroit de quoi nourrir tous les ans trente cinq-mille hommes de plus, qui sont aujourd'hui dans la misere. Ajoutons qu'il est dangereux de mettre en pure finance, une régie qui par sa nature devoit être essentiellement en finance-commerce. Un autre avantage de cette opération, c'est que le commerce, par son activité & ses retours, jette par-tout l'abondance & la joie, tandis que la finance, par sa cupidité, & l'art quelle a de parvenir à son but, jette par-tout le dégoût & le découragement. On ose bien assurer qu'il n'entre dans ce jugement, ni haine, ni satyre ; mais on croit voir dans la plus grande impartialité, que les choses sont ainsi. (D.J.)

TABAC, voyez NICOTIANE.


TABACOSS. m. (terme de relation) les espagnols du Mexique appellent tabacos des morceaux de roseaux creux & percés, longs de trois piés ou environ, remplis de tabac, d'ambre liquide, d'épices & d'autres plantes échauffantes ; ils allument ces roseaux par un bout, & ils attirent par l'autre la fumée, qui les endort en leur ôtant toute sensation de lassitude & de travail ; c'est là l'opium des Mexiquains, qu'ils nomment dans leur langue pocylt. (D.J.)


TABAE(Géog. anc.) Etienne le géographe connoît trois villes de ce nom : l'une dans la Carie, l'autre dans la Pérée, & la troisieme dans la Lydie. Tite-Live, l. XXXVIII. c. xiij. en nomme une quatrieme aux confins de la Pisidie, du côté de la mer de Pamphylie. (D.J.)


TABAGIES. f. (Hist. mod.) lieu où l'on va fumer. Celui qui tient la tabagie, fournit des pipes & du tabac à tant par tête. On cause, on joue & l'on boit dans les mêmes endroits. Il y a des tabagies publiques en plusieurs villes de guerre ou maritimes ; on les appelle aussi estaminets. On donne aussi le nom de tabagie à la cassette qui renferme la pierre, le briquet, l'amadou, le tabac & la pipe, en un mot, l'attirail du fumeur.


TABAGou TABAC, île de, (Géog. mod.) cette île la plus méridionale de toutes les Antilles ou îles Caraïbes, est située par les 11 deg. 23 min. au nord de l'équateur, à dix-huit ou vingt lieues dans le sud-est de la Grenade ; sa figure est oblongue, & son circuit peut être d'environ 20 lieues ; toute cette étendue se trouve occupée par des montagnes couvertes de forêts, laissant entr'elles des espaces assez considérables au milieu desquels coulent des torrens & des rivieres qui ne contribuent pas peu à fertiliser le terrein dont on pourroit tirer un très-grand parti, si le pays étoit habité. Cette île a plusieurs bonnes rades ; les meilleures sont celle de Jean le more, située vers le nord, & celle de Rocbaye placée sur le côté oriental dans la partie du sud ; cette derniere est la plus sûre, étant presque fermée par un banc de craies & de rochers à fleur d'eau, dont la disposition naturelle ne laisse qu'un passage suffisant pour les gros vaisseaux, qui sont obligés de ranger la pointe de tribord, afin d'éviter les rochers qui restent à bas-bord, & de venir mouiller en-dedans sur un fond assez inégal.

Ce fut vers le commencement du siecle dernier, qu'une compagnie de Flessingue jetta les premiers fondemens d'une colonie dans cette île ; les Hollandois l'augmenterent considérablement ; ils y bâtirent une ville & un fort qui furent détruits par l'armée navale aux ordres du maréchal d'Estrée. Depuis cette conquête les François ont toujours resté en possession de Tabago, dont ils ont négligé le rétablissement par des raisons qui seroient trop longues à déduire dans cet article.


TABAKIDES(Géog. anc.) village de Grece, dans la Béotie, à trois cent pas de la ville de Thèbes. On y voit un sépulcre de marbre dans une église grecque, que les papas disent être de S. Luc l'évangeliste, & que M. Spon soupçonne avec plus de raison pouvoir être de S. Luc l'hermite, qui a un monastere de son nom dans une montagne voisine. (D.J.)


TABALTHA(Géog. anc.) ville de l'Afrique propre, dans la Byzacène. L'itinéraire d'Antonin la marque sur la route de Tuburbum à Tabacae, à 20 milles de Septimunicia, & à 32 de Cellae-Picentinae : c'étoit une ville épiscopale. (D.J.)


TABARCA(Géog. mod.) ville maritime d'Afrique, sur la côte de la mer Méditerrannée, au royaume de Tunis, entre la côte maritime de la ville de Tunis & celle d'Alger, à 20 lieues à l'est de Bonne. Long. 25. 2. latit. 37. 28. (D.J.)


TABARDILLOS. m. (Médec.) nom espagnol d'une maladie commune aux étrangers nouvellement débarqués en Amérique. C'est une fievre accompagnée des symptomes les plus fâcheux, & qui attaque presque tous les Européens quelques semaines après leur arrivée dans l'Amérique espagnole. La masse du sang & des humeurs ne pouvant par s'allier avec l'air d'Amérique, ni avec le chyle formé des nourritures de cette contrée, s'altere & se corrompt. On traite ceux qui sont attaqués de cette maladie, par des remedes généraux, & en les soutenant peu-à-peu avec les nourritures du pays. Le même mal attaque les espagnols nés en Amérique, à leur arrivée en Europe ; l'air natal du pere est pour le fils une espece de poison.

Cette différence qui est entre l'air de deux contrées, ne tombe point sous aucun de nos sens, & elle n'est pas encore à la portée d'aucun de nos instrumens. Nous ne la connoissons que par ses effets ; mais il est des animaux qui paroissent la connoître par sentiment ; ils ne passent pas même quelquefois du pays qu'ils habitent dans le pays voisin où l'air nous semble être le même que l'air auquel ils sont habitués. On ne voit pas sur les bords de la Seine une espece de grands oiseaux dont la Loire est couverte. L'instinct des bêtes est bien plus fin que le nôtre. (D.J.)


TABASCO(Géog. mod.) gouvernement de l'Amérique septentrionale, dans la nouvelle Espagne. Il est borné au nord par la baie de Campèche, au midi par le gouvernement de Chiapa, au levant par l'Yucatan, & au couchant par la province de Guaxaca. Ce pays a environ quarante lieues de long sur autant de large. Comme il y pleut presque pendant neuf mois continus, l'air y est extrêmement humide, & cependant fort chaud ; la terre y est fertile en maïs, miel & cacao ; mais cette province abonde aussi en tigres, lions, sangliers, armadilles & en moucherons très-incommodes ; aussi est-ce un pays fort dépeuplé ; les Espagnols n'y ont qu'une seule ville de même nom, & qui est située, sur la côte de la baie de Campèche. L'ile de Tabasco formée par les rivieres de S. Pierre & de S. Paul, peut avoir douze lieues de longueur, & quatre de largeur vers son nord ; il y a dans cette île quelques baies sablonneuses d'où les tortues vont à terre poser leurs oeufs. (D.J.)

TABASCO, riviere de, (Géog. mod.) riviere de l'Amérique septentrionale, dans la nouvelle Espagne, au gouvernement de même nom, dans la baie de Campèche. C'est la riviere la plus remarquable de toutes celles qui y ont leur embouchure. Elle prend sa source sur les hautes montagnes de Chiapo, & après s'être grossie d'autres rivieres, elle court dans la mer par une bouche qui a près de deux milles de large ; c'est là que cette riviere abonde en veaux marins, qui trouvent de bonne pâture dans plusieurs de ses criques. Le veau marin d'eau douce n'est pas aussi gros que le veau marin qui vit dans la mer, mais il a la même figure & le même goût. (D.J.)


TABATIERES. f. en terme de Bijoutier, sont des boëtes d'or, enrichies de pierres fines ou fausses ; il y en a de toute espece, unies, gravées, ciselées, incrustées, émaillées, tournées, &c. quarrées, rondes, à huit pans, à contour, à bouge, à doussine, en peloton, &c. L'on ne finiroit pas si l'on vouloit nommer tous les noms qu'on a donnés à la tabatiere d'or. Il suffit de dire en général que l'on les a tirés des choses naturelles & communes, auxquelles elles ressemblent, comme artichaux, poires, oignons, navettes, &c.

TABATIERE PLAINE, en terme de Bijoutier, est une boëte dont le corps est massif d'or, & enrichie de diverses manieres, selon le goût du public & de l'ouvrier.

La partie la plus difficile à faire dans une tabatiere d'or ou d'argent, ou montée en l'un ou l'autre de ces métaux, c'est la charniere : voici comment on l'exécutera. Il faut d'abord préparer le fil de charniere. Pour cet effet, on prend un brin de fil d'or ou d'argent, quarré ou rond, qu'on applatit par-tout excepté à son extrêmité, à l'épaisseur d'un quart de ligne, ou à-peu-près, selon la force dont on veut la charniere ; il faut que l'épaisseur de la partie soit bien égale : l'on roule cette partie applatie, selon sa longueur, sur un fil de fer ou de cuivre rond, & on la passe à la filiere. Cette opération assemble & applique exactement les deux bords de la lame l'un contre l'autre, détruit la cavité & allonge le fil. On tire à la filiere, jusqu'à ce que le trou soit du diametre qu'on desire ; & quand il y est, on a un fil d'acier tiré, bien poli, que l'on introduit dans le trou, & l'on remet le tout ensemble dans la filiere : cette seconde opération applique les parties intérieures de la charniere contre le fil, & diminue son épaisseur sans diminuer le diametre. On a soin de graisser le fil d'acier avant de l'introduire, avec du suif ou de la cire. On tire jusqu'à un trou marqué de la filiere. On retire le fil d'acier, & comment ? Pour cet effet, on passe son extrêmité dans un trou juste de son diametre de la filiere. Alors l'épaisseur du fil de charniere se trouve appuyée contre la filiere ; on prend les tenailles du banc, & on tire le fil d'acier qui vient seul. Ou bien on prend le bout du fil d'acier dans un étau à main : on passe le fil de charniere dans un trou plus grand que son diametre. On prend la pointe resserrée du fil de charniere avec la tenaille du banc, & on tire. Il arrive assez souvent que le fil d'acier se casse dans le fil de charniere, alors on coupe le fil de charniere par le milieu ; on fait ensorte que dans la coupure ou entaille puisse être reçu un fil de fer : on le tord autour ; & on passe & repasse le tout dans une filiere, plus grande que le fil de charniere, mais moindre que le fil de charniere avec le fil de fer mis dans la coupure, & on tire. Quand le fil d'acier est tiré de la charniere, on la passe dans son calibre, dont la différence des ouvertures n'étant pas perceptible à la vue, l'entrée est marquée. Il y a très-peu de différence entre le trou de la filiere, & le trou du calibre ; c'est pour cela qu'on a marqué le trou de la filiere. On tire la charniere plusieurs fois par le calibre, afin qu'il puisse y rentrer plus aisément ; & le fil de charniere est fini : c'est de ce fil qu'on fait des charnons.

Les charnons sont des bouts de fil de charniere. Pour avoir des charnons on commence par couper le fil de charniere par bouts d'un pouce & demi ou deux pouces de longueur. On ébarbe un des bouts, & on le présente dans le calibre du côté de son entrée ; après l'avoir passé, on a un morceau de bois, dans lequel on place le calibre à moitié de son épaisseur. On fait entrer dans le calibre le fil de charniere avec un maillet, jusqu'à ce qu'il soit à ras du trou de sortie, & un peu au-delà. On a une lame de couteau, taillée en scie, qu'on appelle scie à charnon, avec laquelle on coupe le bout de charniere excédant à ras du trou d'entrée. On lime ensuite les deux faces avec une lime douce. Il faut que le calibre soit trempé dans toute sa dureté, afin que les limes ne mordent pas sur ces faces. Cela fait, on fraise les deux entrées du trou du charnon ; puis avec un outil appellé repoussoir, voyez REPOUSSOIR, on fait sortir le charnon, & on le repare. On a une pointe conique, qu'on fait entrer avec force dans le charnon, pour en écarter l'assemblage & l'appercevoir. Il faut observer que la matiere dont on a tiré le fil de charniere, est crud & non recuit, afin de lui conserver son élasticité.

On a un burin, & afin de ne plus perdre de vue l'assemblage que la pointe a fait paroître, on tire un trait de burin dans toute sa longueur, mais qu'on rend plus sensible sur les extrêmités. Puis on barre ce trait avec la lime, ou l'on y fait de petites tranchées perpendiculaires ; puis avec le burin, on emporte un peu de la vive-arrête du trou libre, car la pointe est toujours dans le charnon ; puis on ébarbe le bord extérieur, puis on change la pointe de trou, & l'on en fait autant à l'autre bout : pour lors le charnon est prêt à lier, & à former la charniere.

Il faut avoir les porte-charnieres. Les porte-charnieres sont deux parallélipipedes soudés que les Artistes appellent quarrés, que l'on met appliqués l'un au-dessus, & l'autre à la cuvette : celui qui tient à la cuvette est quelque peu profilé. Il faut que les surfaces de ces parallélipipedes s'appliquent l'une contre l'autre, sans se déborder par dehors. Quand cela est fait, on divise la circonférence du charnon en trois parties égales. On prend la moitié de la corde du tiers, & l'on trace la coulisse sur toute la longueur des quarrés, prenant sur la hauteur de chaque porte-charnieres la moitié de la corde du tiers, & sur la profondeur, les deux tiers du diametre. Il est évident que quand les charnons seront fixés dans les coulisses, la boëte s'ouvrira d'un angle de 120 degrés. Il est évident que voilà les vive-arêtes des coulisses déterminées.

Après cela, je fais sur ces traits qui déterminent les vives-arêtes, autant de traits de paralleles qui servent de tenons aux précédens ; car il est évident que quand on fera la coulisse, les premiers traits disparoîtront. Pour faire les cent quatre-vingt coulisses, on commence par enlever les angles ; pour évider le reste, on a des échopes à coulisses. Ce sont des especes de burins qui ont la courbure même du charnon sur leur partie tranchante. On enleve avec cet outil la matiere, & l'on acheve la coulisse ; pour la dresser on a des limes à coulisses. Ce sont des limes cylindres, rondes, du diametre de la coulisse, ou un peu plus petit, afin que le charnon ne porte que sur les bords de la coulisse. Avant que de souder les charnons, on s'assure que la coulisse est droite au fond par le moyen d'une petite regle tranchante, que l'on pose par-tout, & sur toute la longueur. Il faut que le nombre des charnons soit impair, afin que les charnons des deux bouts qu'on laisse plus longs que les autres, à discrétion, soient tous deux soudés en-haut. On enfile tous les charnons dans un fil de fer, on pose les deux coulisses l'une sur l'autre, & on y place les charnons ; & l'on marque avec un compas sur les porte-charnieres d'en-haut, la longueur des charnons des deux bouts, ou maîtres charnons ; puis avec une pointe on marque au-dessus & au-dessous sur les porte-charnieres, les places de tous les charnons. On désassemble le tout, puis dans les coulisses, partout où il doit y avoir un charnon soudé, on donne 2 ou 3 traits de burin transversalement pour donner de l'air à la soudure. On remet les charnons enfilés dans la coulisse du dessous ; on commence par lier les deux charnons du bout avec du fil de fer, puis les autres alternativement. Ensuite on retire le fil de fer passé dans les charnons, & tous les charnons de la coulisse d'en-bas tombent. On les reprend, & on les place & lie dans les intervalles de la coulisse d'en-bas, qui leur ont été marqués par la pointe à tracer, & les coups de burin transversals. Cela fait, on tient avec une pince à charnon, les charnons, & on les range selon l'assemblage marqué par les traits du burin donnés fort sur les bouts, dans le milieu des coulisses ; on commence par faire le couvercle sur la cuvette par le devant, & l'on abaisse les coulisses l'une vers l'autre, jusqu'à ce que les charnons se touchent ; puis avec une pointe on les fait engager les uns entre les autres, puis on pose un des maîtres charnons sur une enclumot perpendiculairement, & l'on frappe sur l'autre maître charnon avec un petit marteau, pour les serrer tous les uns contre les autres : en observant de se régler sur les traits de compas faits au-dessus qui déterminent la longueur des maîtres charnons. On voit bien qu'il y a entre chaque charnon & la coulisse opposée, l'intervalle au-moins du fil de fer ; on frotte les fils de fer de sel de verre, pour empêcher la soudure de s'y attacher, puis on les soude ou ensemble, ou séparément. Si ensemble, on sépare beaucoup les coulisses ; si séparément, on commence par rocher avec une eau de borax, le dedans de la coulisse. On charge les charnons de soudure, coupée par paillons, qu'on ne met que d'un côté ; on roche d'eau de borax, on fait sécher, en posant après sur un feu doux ; & l'on observe que les paillons de soudure ne s'écartent point, jusqu'à ce que le borax ait fait son effet d'ébullition. Il est essentiel qu'une charniere soit proprement soudée. Pour cet effet, il faut mettre une juste proportion de soudure, tant pour ne point porter plusieurs fois au feu, s'il en manquoit, que pour éviter d'en charger les coulisses, ou de boucher quelques charnons, ou de souder la cuvette avec le dessus. Si on soude ensemble les deux pieces, on arrange sa piece sur un pot à souder, où l'on a préparé un lit de charbons plats ; on arrange sur la piece & autour, d'autres charbons allumés, laissant ou à découvert, ou facile à découvrir, la partie à souder. On a sa lampe allumée ; on entretient le feu avec un soufflet de loin, pour échauffer également la piece, en prenant soin de ne lui pas donner trop de chaleur : puis on la porte à la lampe, où on soude au chalumeau. On la tire du feu, on la laisse refroidir, on la déroche, & on la nettoye, c'est-à-dire qu'on enleve exactement toute la soudure, sans toucher au charnon, ni à la coulisse d'aucune façon. Pour cet effet, on a deux échopes plates & inclinées ; l'une pour nettoyer à droite, l'autre à gauche, ou une seule à face droite. La charniere nettoyée, on la rassemble & on y passe une goupille facile. On a eu le soin de frotter les charnons de cire, afin que l'action de la soudure, s'il en est resté sur les charnons, soit moins violente. On fait aller les deux côtés, & si l'on apperçoit des traces sur les charnons, c'est une marque qu'il est resté de la soudure. Il faut tout démonter, & l'ôter ; c'est un défaut préjudiciable : & voilà la charniere montée.

TABATIERE DE CARTON, maniere de fabriquer les tabatieres de carton, rondes, quarrées & ovales. Il faut avoir des moules d'un bois bien sec ; les plus grands moules pour homme sont du numéro 36.

Ils vont toujours en diminuant d'une ligne jusqu'au numéro 30 inclusivement.

Les moules pour femmes sont des numéros 25 & 24, & plus petits si l'on veut, mais les deux premiers numéros sont les plus en usage.

Il faut observer qu'il faut que le bas des cuvettes ait une ligne de plus que le haut.

Il faut que les couvercles aient une ligne de plus que le haut des cuvettes, & le bas deux lignes, ainsi qu'aux boîtes quarrées & aux ovales.

Pour faire la colle il faut avoir de bonne farine de froment que l'on délaye bien avec de l'eau de fontaine ou de riviere ; quand elle est bien délayée & qu'il n'y reste plus de grumeaux, on la met dessus le feu, & on la remue toujours avec une grande spatule de bois de tous côtés, & au milieu du chaudron, afin qu'il n'y ait aucune partie qui s'y prenne, qu'elle ne soit ni trop claire, ni trop épaisse, mais sur-tout qu'elle soit bien cuite.

Il ne faut point s'en servir qu'elle ne soit froide, & lorsqu'elle l'est, on leve la peau qui s'est formée dessus, que l'on jette.

Il faut que les bandes de papier aient 18 lignes de hauteur, & pour les couvercles 9, & toute la longueur du papier, les feuilles de papier ouvertes en deux.

Les bandes pour les boîtes pour femmes auront 16 lignes, & pour les couvercles 8, & elles seront de la même longueur que les bandes pour les grandes.

Il faut mettre sous les grandes cuvettes pour homme 20 bandes, & autant aux couvercles.

Pour femmes il faut mettre 16 bandes, & autant aux couvercles. Aux cuvettes pour hommes on mettra 36 quarrés, & autant aux couvercles. Aux cuvettes pour femmes on mettra 30 quarrés & autant aux cuvettes. On donnera ci-après la grandeur des quarrés, & la maniere de les arranger.

Pour les boîtes quarrées & les ovales, il faut que les bandes aient 20 lignes de hauteur pour les cuvettes, & 10 pour les couvercles.

Il faut pour celles pour hommes 40 quarrés & 20 pour les couvercles.

A celles pour femmes 36 quarrés, & 18 aux couvercles.

Il faut avoir attention de donner à chaque coleuse le nombre de bandes & de quarrés qu'il lui faut, & prendre bien garde que chacune emploie le nombre qu'on lui aura donné, y en ayant beaucoup qui en cachent pour avoir plutôt achevé leur ouvrage, s'embarrassant fort peu que leurs boîtes soient fortes ou non ; ce qui cause beaucoup de préjudice à ceux qui entreprennent cette fabrique.

Il faut aussi avoir l'oeil qu'elles ne cassent point leurs bandes & leurs quarrés.

Pour mettre les bandes, il faut avoir soin de coller la table, & de mettre les quatre bandes l'une à côté de l'autre, & mettre de la colle sur les bandes ; après quoi l'on prend une bande que l'on tourne au-tour du moule, ayant attention, lorsqu'on la tourne, de bien faire sortir la colle avant de mettre l'autre, & de même jusqu'à la fin des quatre bandes.

Il faut avoir attention que les quatre premieres bandes ne surpassent point le haut des cuvettes, ainsi que les bandes des couvercles.

Avant de mettre les bandes aux couvercles, il faut mettre aux cuvettes sept quarrés, trois d'abord collés l'un sur l'autre, & croisés, & les quatre autres ensuite, lorsqu'on aura bien fait sortir la colle de dessous les trois premiers, & ensuite faire sortir la colle des quatre autres.

Ensuite vous mettez les cuvettes au four pour les sécher, pendant lequel tems vous mettez les bandes aux couvercles, & ensuite les quarrés de la même façon qu'aux cuvettes.

Pour les quarrés, il faut mettre aussi de la colle sur la table, & mettre le quarré dessus ; ensuite mettre de la colle sur le quarré, & ainsi jusqu'à la fin : il faut se souvenir de mettre les quarrés en triangle ; il faut que les pointes des quarrés soient bien applanies, après avoir bien fait sortir la colle, & fassent bien le rond.

Aux moules pour femmes on mettra 3 bandes pour les quatre premieres couches, & quatre à la derniere, ce qui composera les 16 bandes.

On mettra six quarrés à chaque couche trois à trois, ce qui composera les 30 quarrés.

Maniere de monter les boîtes à l'eau. Il faut commencer par tremper un quarré de papier dans de l'eau, & l'appliquer sur le haut de la cuvette & du couvercle ; il faut qu'il déborde, afin qu'il puisse s'abattre un peu sur les côtés de la cuvette ; ensuite vous mettez une bande de la hauteur de la cuvette trempée dans l'eau, que vous serrez le plus que vous pouvez autour de la cuvette, & prendre garde qu'elle ne se casse, de peur de découvrir le bois ; il ne faut pas que la bande soit si longue que celle ci-dessus, il suffit qu'un bout croise de deux ou trois doigts dessus l'autre ; il faut aussi observer que la bande ne doit pas passer le haut de la cuvette, ainsi qu'à la premiere couche, parce que cela feroit creuser les boîtes.

Lorsque les boîtes où l'on aura mis les premieres bandes & les quarrés, seront seches, il faudra qu'un rapeur, avec une rape à bois, rape les pointes des quarrés, & les rende unies aux bandes, & qu'il fasse bien attention s'il n'y a point de vents ou cloches aux bandes ; & au cas qu'il y en ait, qu'il les rape afin qu'il ne reste aucun creux.

Aux quatre dernieres couches, on ne mettra que les quatre bandes, que l'on fera un peu passer le haut des cuvettes, & on mettra sécher ; & pendant que les cuvettes sécheront, on mettra les bandes aux couvercles ; quand les cuvettes seront seches, on rapera le dessus des quarrés, afin que les bandes qui excéderont les moules soient ôtées, & on mettra les quarrés ; on en fera autant jusqu'à la fin ; à la derniere couche on mettra huit quarrés, & on observera de ne les mettre que quatre à quatre, & de bien faire sortir la colle.

Le meilleur papier & le plus en usage, est appellé grand quarré de Caen ; pour la longueur des bandes, on ouvre une main de papier en deux, & on prend toute la longueur pour les bandes.

Pour les quarrés on prend la mesure du haut des moules, & on coupe les quarrés de façon qu'ils débordent un tant soit peu les moules, & cela pour les 2 premieres couches ; & ensuite on les fait un peu plus grands, à proportion que les boîtes grossissent.

Ensuite on les donne au tourneur pour les tourner en-dedans & en-dehors ; lorsqu'elles sont achevées & bien seches, il faut faire attention qu'il ne faut point que le rapeur rape les boîtes lorsque la derniere couche est achevée, parce que c'est l'affaire du tourneur.

Maniere de vernir les boîtes. Quand les boîtes sont tournées, on y met une couche de vernis à l'apprêt, d'un jaune brun ; & ensuite on les met sur une grille, la cuvette séparée du couvercle, cependant de façon qu'on puisse reconnoître le couvercle de la cuvette ; on les met dessus la grille le cul en haut, & on observe qu'elles ne se touchent point ; on les met dans le four : quand elles sont seches, on y met une autre couche, & on fait de même jusqu'à sept couches, observant de les faire sécher à chaque couche, & qu'elles soient bien seches.

Après la derniere couche, on les donne au tourneur pour ôter ce qu'il pourroit y avoir de graveleux, & les poncer en-dedans & en-dehors avec de la ponce bien fine trempée dans de l'eau ; ensuite on y met sept à huit couches de vernis noir ; & surtout qu'elles soient bien seches à chaque couche ; & il faut observer que le pinceau ne soit point trop chargé de vernis, & que les couches ne soient point épaisses, ni le vernis trop épais.

Quand toutes les couches sont mises, vous les faites poncer par le tourneur en-dedans, & à la main en-dehors avec de la ponce bien fine, & ensuite du tripoli avec de l'eau ; ensuite vous les faites graver, ou guillocher en or creux, ou en or plat ; ou vous en faites poser avec de la nacre, du burgos & des feuilles de cuivre très-minces, il en faut avoir de toute espece.

Pour mettre en or les gravées, ou guillochées, il faut passer dessus très-légerement un vernis qu'on appelle mordant, & avant qu'il soit tout-à-fait sec, avoir de petits livrets de feuilles d'or ; on applique une feuille d'or dessus doucement avec la main ; aux boîtes gravées & guillochées en or creux, on en met deux feuilles.

Pour les boîtes en couleur, il faut mettre deux ou trois couches de couleur l'une après l'autre, c'est-à-dire, qu'il faut que l'une soit seche avant que de mettre la suivante ; après quoi on les donne au tourneur pour les polir en-dedans ; ensuite on y met trois ou quatre couches de vernis blanc, l'une après l'autre, la précédente toujours seche avant celle qui suit ; & puis on les lustre avec du tripoli bien fin dans de l'eau.

On se sert du mordant avant de poser la nacre, le burgos ou le cuivre.

On met toutes ces boîtes dans le four à un feu lent, de peur que l'or ou les couleurs ne noircissent ; il faut faire aussi attention qu'il n'y ait point de fumeron dans le charbon ; quand ce sont des boîtes gravées, il ne faut mettre de feuilles d'or que sur la gravure ; & l'on ôtera quand la boîte sera seche, l'or qui est dans l'entre-deux de la gravure avec un petit outil pointu.

Quand ce sont des boîtes guillochées à-plat, on ne met point de mordant, mais les couleurs à deux ou trois couches ; après quoi, trois à quatre couches de vernis blanc ; il faut prendre garde que le feu des fours soit bien modéré, de crainte que le vernis ne gerse.

Pour celles que l'on veut mettre en peinture, il ne faut graver qu'autour du couvercle de la cuvette ; la peinture se fait au milieu ; on grave des cartouches aux côtés, dans lesquelles on représente des fleurs ; mais quand elles sont peintes, il ne faut pas les mettre au four, il faut qu'elles sechent d'elles-mêmes.


    
    
TABAXIRS. m. (Mat. méd. des Arabes) Avicenne désigne par le nom tabaxir, la cendre des racines de cannes à sucre brûlées, & les interpretes ont rendu ce mot tabaxir, par celui de spode ; mais, selon les apparences, ce spode prétendu, que l'on n'apportoit en Europe qu'en petite quantité des pays orientaux, étoit une espece de sucre encore impur, & non raffiné ; & c'est aussi ce qu'a prouvé Saumaise dans son traité du sucre. Il n'est donc pas surprenant que les Arabes, & ceux qui les ont suivis, ayent donné tant d'éloges à ce spode pris intérieurement ; car ils avoient été trompés par la couleur de cendre, & par le rapport des marchands, qui disoient que cette poudre de couleur cendrée, avoit été tirée des roseaux ; & de-là on s'est persuadé que c'étoit de la cendre de roseaux ; Bachin appelle plus justement tabaxir, la canne à sucre, arundo saccharifera, le maraba des Indiens. Voyez MARABA. (D.J.)


TABEA(Géog. anc.) ville de l'Asie mineure dans la grande Phrygie, selon Strabon, liv. XII. p. 575.


TABÉITES(Hist. du mahomét.) c'est-à-dire, les suivans, sectateurs, ou adhérens de Mahomet, & ils forment le second ordre de musulmans qui ont vécu de son tems. Les tabéistes ont de commun avec les sahabi ou compagnons du prophete, que plusieurs d'entr'eux ont été ses contemporains, mais la différence qu'il y a, c'est qu'ils ne l'ont point vu, ni n'ont conversé avec lui. Quelques-uns ont seulement eu l'honneur de lui écrire, & de l'informer de leur conversion à l'islamisme. Tel fut le Najashi, ou roi d'Ethiopie, le premier prince, selon Abd'al-Baki, que Mahomet invita à embrasser sa religion ; mais qui ne le vit jamais, & eut seulement commerce avec quelques-uns de ses compagnons. Tel fut aussi Badhan le persan, gouverneur de l'Arabie heureuse, avec tous les persans, qui, à son exemple, embrasserent sans difficulté l'islamisme. Tels furent enfin tous les peuples de l'Arabie, & les princes que le prophete convertit à sa religion. (D.J.)


TABELLIONS. m. (Jurisprud.) est un officier public qui expédie les contrats, testamens & autres actes passés par les parties.

On confond quelquefois le terme de tabellion avec celui de notaire, sur-tout dans les campagnes, où les notaires des seigneurs sont communément appellés tabellions. Cependant ces termes notaire & tabellion pris chacun dans leur véritable signification, ne sont point synonymes, & le terme de tabellion n'a point été introduit pour désigner des notaires d'un ordre inférieur aux notaires royaux, qui résident dans les grandes villes.

Le terme de tabellion vient du latin tabula, seu tabella, qui dans cette occasion signifioit ces tablettes enduites de cire dont on se servoit autrefois au lieu de papier. On appella chez les Romains tabularius seu tabellio, l'officier qui gardoit les actes publics ; il exerçoit en même tems la fonction de greffier ; c'est pourquoi les termes de scribae & de tabularii sont presque toujours conjoints dans les textes du droit, & souvent pris indifféremment l'un pour l'autre.

Les tabellions romains faisoient même à certains égards la fonction de juges, tant envers les parties, qu'envers leurs procureurs, & il n'y avoit point d'appel de leurs jugemens ; ainsi que le remarque Cassiodore en sa formule des notaires.

Les notaires, qui n'étoient alors que les clercs ou les aides des tabellions, recevoient les conventions des parties, qu'ils rédigeoient en simples notes abrégées ; & les contrats dans cette forme n'étoient point obligatoires ni parfaits, jusqu'à ce qu'ils eussent été écrits en toutes lettres, & mis au net, in purum seu in mundum redacti, ce qui se faisoit par les tabellions.

Ces officiers ne signoient point ordinairement la note ou minute de l'acte ; ils ne le faisoient que pour les parties qui ne savoient pas signer.

Quand le notaire avoit fait la grosse ou expédition au net, il la délivroit sur le champ à la partie sans être tenu de la faire enregistrer préalablement, ni même de conserver la note ou minute, laquelle n'étoit plus regardée que comme le projet de l'acte.

Mais ce qu'il faut encore remarquer, c'est que les contrats ainsi reçus par les notaires, & expédiés par les tabellions, ne faisoient pas à Rome une foi pleine & entiere, jusqu'à ce qu'ils eussent été vérifiés par témoins ou par comparaison d'écritures ; c'est pourquoi pour s'exempter de la difficulté de faire cette vérification, on les insinuoit & publioit apud acta.

En France les juges se servoient anciennement de leurs clercs pour greffiers & pour notaires ; ces clercs recevoient en présence du juge les actes de jurisdiction contentieuse ; & en son absence, mais néanmoins sous son nom, les actes de jurisdiction volontaire.

Dans toutes les anciennes ordonnances jusqu'au tems de Louis XII. les greffiers sont communément appellés notaires, aussi-bien que les tabellions, & la fonction de greffiers & tabellions y est confondue, comme n'étant qu'une seule & même charge.

Les greffes & tabellions étoient communément donnés à ferme ; ce qui continua sur ce pié jusqu'au tems de François I. lequel par un édit de l'an 1542, érigea les clercs des tabellions en titre d'office, & en fit un office séparé de celui du maître, voulant qu'en chaque siege royal où il y avoit un tabellion, il y eût un certain nombre de notaires, au lieu des clercs ou substituts que le tabellion avoit auparavant ; & que dans les lieux où il y avoit plusieurs notaires, il y eût en outre un tabellion : on attribua aux notaires le droit de recevoir les minutes d'actes, & aux tabellions le droit de les mettre en grosse.

Mais depuis, Henri IV. réunit les fonctions de notaire & de tabellion, ce qui a eu son exécution, excepté dans un petit nombre d'endroits, où la fonction des tabellions est encore séparée de celle des notaires.

On entend par droit de tabellionage, le droit de créer des notaires & tabellions ; ce droit n'appartient qu'au roi, & les seigneurs ne peuvent en établir dans leurs justices qu'autant qu'ils ont ce droit par leurs titres, & que la concession est émanée du roi.

On donne quelquefois le nom de tabellion aux notaires des seigneurs, comme pour les distinguer des notaires royaux, quoiqu'ils ayent les mêmes fonctions, chacun dans leur district. Voyez la Novelle 44. de Justinien ; Loyseau, des offices, liv. II. ch. v. le recueil des ordonnances, & le mot NOTAIRE. (A)


TABELLIONAGES. m. (Gramm. & Jurisprud.) charge & fonction du tabellion.


TABELLIONERv. act. (Gramm.) mettre en forme un contrat, quand on le livre en parchemin & grossoyé, à la différence de la note ou copie de minute de contrat ou obligation qui se délivre en parchemin, & sans faire mention du garde-scel.


TABENNE(Géog. anc.) lieu d'Egypte, dans la haute Thébaïde, sur le bord du Nil, au diocèse de Tentyre. C'est à Tabenne que saint Pacôme bâtit le premier un monastere de sa congrégation. Il le gouverna depuis l'an 325 de Jesus-Christ, jusqu'à 349. (D.J.)


TABENUS CAMPUS(Géog. anc.) pays de l'Asie mineure, dans la Mysie, apparemment aux confins de la Phrygie.


TABEOUNS. m. terme de relation, ce mot veut dire les suivans ; c'est ainsi que les musulmans appellent les personnages qui ont suivi les compagnons de Mahomet, & qui ont enseigné sa doctrine ; comme ils n'ont paru qu'après la centieme année de l'hégire, leur autorité est beaucoup moindre que celle de leurs prédécesseurs. (D.J.)


TABERNA(Géog. anc.) ce mot a été employé dans la géographie pour désigner certains lieux où les voyageurs s'arrêtoient, où il y avoit une hôtellerie, ou un cabaret ; & comme quelquefois il s'est formé des villes dans ces sortes d'endroits, elles en ont pris leur nom. Ainsi Tabernae, aujourd'hui Rheinzabern ; un autre Tabernae est Bergzabern, forteresse qui assuroit une des principales gorges de la montagne des Vosges ; c'est à celle-ci qu'Adrien de Valois rapporte le Tabernae d'Ausone. Tres Tabernae, Faverne à l'entrée des Vosges ; l'Italie & l'Epire avoient aussi des villes de ce même nom. Voyez TRES TABERNAE.

Enfin les Romains ont appellé ainsi quelques places frontieres, à cause des tavernes qui s'y établirent pour la commodité des troupes. (D.J.)

TABERNA, PILA, (Littérat.) Horace entend par taberna non-seulement ce que nous appellons une taverne, mais toutes sortes de boutiques où les gens oisifs s'assembloient pour jaser, & pour apprendre des nouvelles. Les Grecs appellent ces boutiques . Le même poëte désigna par pila, les boutiques des libraires, parce que ces boutiques étoient ordinairement autour des piliers des édifices publics, c'est pourquoi Catulle joint ensemble taberna & pila ;

Salax taberna, vosque contubernales

A pileatis nona fratribus pila.

" Infâme boutique, & vous qui l'habitez, & qui vous tenez au neuvieme pilier à compter depuis le temple des jumeaux si connus par le bonnet romain qu'ils portent sur la tête.... " (D.J.)

TABERNA MERITORIA, (Antiq. rom.) l'hôtel de Mars ; c'étoit une espece d'hôtel des invalides à Rome, où l'on nourrissoit, aux dépens de la république, les soldats qui avoient combattu vaillamment pour elle. (D.J.)


TABERNACLES. m. (Menuiserie, Orfévrerie) ouvrage de menuiserie, ou d'orfévrerie, fait en forme de petit temple que l'on met sur un autel, pour y renfermer le ciboire où sont les saintes hosties.

On appelle tabernacle isolé, un tabernacle dont les quatre faces, respectivement opposées, sont pareilles. Tel est le tabernacle de l'église de sainte Génévieve, & celui des peres de l'Oratoire rue saint Honoré à Paris.

Le mot de tabernacle vient du latin tabernaculum, une tente.

TABERNACLE, (Hist. sacr.) temple portatif où les Israélites, durant leur voyage du désert, faisoient leurs actes de religion, offroient leurs sacrifices, & adoroient le Seigneur. Moyse voulant établir chez les Israélites un culte uniforme, & des cérémonies réglées, fit dresser au milieu de leur camp, ce temple portatif conforme à un état de peuples voyageurs. Ce temple portatif pouvoit se monter, se démonter, & se porter où l'on vouloit.

Il étoit composé d'ais, de peaux, & de voiles ; il avoit trente coudées de long sur dix de haut, & autant de large, & étoit partagé en deux parties. Celle dans laquelle on entroit d'abord, s'appelloit le saint, & c'étoit-là qu'étoient le chandelier, la table avec les pains de proposition, & l'autel d'or sur lequel on faisoit brûler le parfum. Héb. ix. 2.

Cette premiere partie étoit séparée par un voile, de la seconde partie, qu'on nommoit le sanctuaire, ou le saint des saints, dans laquelle étoit l'arche d'alliance. L'espace qui étoit au-tour du tabernacle, s'appelloit le parvis, dans lequel, & vis-à-vis l'entrée du tabernacle, étoit l'autel des holocaustes, & un grand bassin d'airain plein d'eau, où les prêtres se lavoient avant que de faire les fonctions de leur ministere. Cet espace qui avoit cent coudées de long, sur cinquante de large, étoit fermé d'une enceinte de rideaux, soutenus par des colonnes d'airain ; tout le tabernacle étoit couvert de voiles précieux, par-dessus lesquels il y en avoit d'autres de poil de chevre, pour les garantir de la pluie & des injures de l'air.

Les Juifs regardoient le tabernacle, comme la demeure du Dieu d'Israël, parce qu'il y donnoit des marques sensibles de sa présence, & que c'étoit-là qu'on devoit lui offrir ses prieres, ses voeux, & ses offrandes. C'est aussi pour cette raison, que le tabernacle fut placé au milieu du camp, & entouré des tentes des Israélites, qui étoient rangées tout-autour selon leur rang. Judas, Zabulon, & Issachar, étoient à l'orient ; Ephraïm, Benjamin, & Manassé, à l'occident ; Dan, Azer, & Nephtali, au septentrion ; Ruben, Siméon, & Gad, au midi.

Le grand tabernacle fut érigé au pié du mont Sinaï, le premier jour du premier mois de la seconde année après la sortie d'Egypte, l'an du monde 2514. Il tint lieu de temple aux Israélites, jusqu'à ce que Salomon en eût bâti un, qui fut le centre du culte des Hébreux. L'Ecriture remarque qu'avant que le grand tabernacle, dont nous parlons, fut construit, Moyse en avoit fait un plus petit, qui étoit une espece de pavillon, placé au milieu du camp ; il l'appella le tabernacle de l'alliance ; mais il le dressa loin du camp, lorsque les Israélites eurent adoré le veau d'or. (D.J.)

TABERNACLE, (Critiq. sacrée) ce mot, dans l'Ecriture, a une signification fort étendue ; il se prend quelquefois pour toutes les parties du tabernacle, le sanctuaire, le lieu saint, & le temple même ; il se prend aussi pour maison, I. Rois, xiij. 2. pour tente, Gen. ix. 21. pour l'église des fideles, Apoc. xxj. 3. enfin pour le ciel, Hébr. viij. 2. Le monde, dit Philon, est le vrai tabernacle de Dieu, dont le lieu très-saint est le ciel. Le même auteur remarque que si les Israélites, en sortant d'Egypte, étoient d'abord arrivés dans le pays qui leur étoit promis, ils auroient bâti un temple solide, mais qu'étant obligés d'errer plusieurs années dans le désert, Moyse leur fit dresser le tabernacle, qui étoit un temple portatif, afin de faire par-tout le service divin. (D.J.)

TABERNACLES, fête des, (Hist. des Hébr.) l'une des trois grandes fêtes des Juifs ; ils la célébroient après la moisson, le quinzieme du mois Tizri, pendant sept jours, qu'ils passoient sous des tentes de verdure, en mémoire de ce que leurs peres avoient ainsi campé dans le désert. On offroit chacun des jours que duroit la fête, un certain nombre de victimes en holocauste, & un bouc en sacrifice, pour le péché du peuple. Les Juifs, pendant tout ce tems, faisoient des festins de réjouissance avec leurs femmes & leurs enfans, où ils admettoient les LÉvites, les étrangers, les veuves, & les orphelins.

Les sept jours expirés, la fête se terminoit par une solemnité qu'on célébroit le huitieme jour, & où tout travail étoit défendu de même que le premier jour ; tous les mâles, en ce jour, devoient se rendre d'abord au tabernacle, & ensuite au temple ; & ils ne devoient point y paroître les mains vuides, mais offrir au Seigneur des dons & des sacrifices d'actions de graces, chacun à proportion de son bien. (D.J.)

TABERNACLE, (Marine) terme de galere. C'est une petite élévation vers la poupe, longue d'environ quatre piés & demi, entre les espaces où le capitaine se place, quand il donne ses ordres. (Q)


TABERNAETABERNAE

Miller en compte les deux especes suivantes. Tabernae montana lactescens, lauri folio, flore albo, siliquis rotundioribus, Houst. Tabernae montana laiteuse, à feuilles de citron ondées. Tabernae montana lactescens, lauri folio, flore albo, siliquis rotundioribus.

La premiere espece est commune à la Jamaïque, & dans plusieurs autres contrées des climats chauds de l'Amérique, où elle s'éleve à la hauteur de quinze ou seize piés, & a le tronc droit, uni, & couvert d'une écorce blanchâtre ; du sommet du tronc, partent des branches irrégulieres, & couvertes de feuilles d'un verd luisant ; les fleurs sont placées sur le pédicule des feuilles, elles sont jaunes ; & extrêmement odoriférantes, elles sont suivies de deux siliques fourchues, qui contiennent les semences.

Ce genre de plantes a beaucoup de rapport à celui du laurier-rose, sous lequel quelques auteurs de botanique les ont rangées ; cependant leurs semences n'ont point de duvet, ainsi que celles du laurier-rose ; elles sont seulement contenues dans une substance molle & pulpeuse.

Le P. Plumier en a fait une classe, en l'honneur du docteur Jacques Théodore, qu'on appelloit tabernae montanus, d'un village d'Allemagne où il avoit pris naissance. C'étoit un des plus savans botanistes de son siecle, & il publia à Francfort un volume in-fol. an. 1590. qui contient les figures de 2250 plantes.

On trouvera la seconde espece à la Véra-Cruz, ce fut le docteur Guillaume Houston, qui en envoya en Angleterre des semences qui multiplierent cette plante. Miller. (D.J.)


TABERNARIAETABERNARIAE


TABERON(Géog. mod.) ville de Perse. Long. selon Tavernier, 80. 34. latit. 55. 20. (D.J.)


TABESS. m. TABIDE, adj. en Médecine, qui convient généralement à toutes sortes de consomption. Voyez CONSOMPTION, PHTHISIE, ATROPHIE, MARASME, &c.

TABES dorsalis, est une espece ou plutôt un degré de consomption, qui vient quelquefois d'excès dans l'acte vénérien.

Le malade n'a ni fievre, ni dégoût, mais une certaine sensation, comme si une multitude de fourmis lui couroit de la tête le long de la moëlle de l'épine ; & lorsqu'il urine, ou qu'il va à la selle, il rend une matiere liquide, qui ressemble à la semence.

Après un violent exercice, il a la tête pesante, & un tintement d'oreille ; & à la fin il meurt d'une lipyrie, c'est-à-dire d'une fievre où les parties externes sont froides, tandis que les internes sont brûlantes.

Les causes sont les mêmes que dans la consomption, l'atrophie & la phthisie, en général & en particulier ; la cause ici est un épuisement, causé par la partie la plus spiritueuse de nos fluides qui est la semence ; elle est aussi ordinaire aux femmes épuisées par les fleurs blanches continuelles. La phthisie dorsale est une maladie incurable ; elle est suivie d'insomnie, de sécheresse, d'anxiété, de douleurs nocturnes, de tourmens, de tiraillemens dans les membres, & sur-tout dans l'épine du dos.

La cure est la même que celle de la consomption : ainsi les restaurans, les fortifians, les gêlées, le vin vieux pris modérément, l'eau de gruau, le lait coupé, les alimens restaurans aromatisés ; & surtout les bouillons de veau, de boeuf : on doit aller par degré des alimens légers aux plus nourrissans.

L'air doit être pur, celui de la campagne dans une plaine, & tempéré, est le meilleur, le malade s'y proménera. Voyez GYMNASE & EXERCICE.

Le sommeil sera long & pris sur un lit modérément mollet, chaud & sec. On le placera dans un lieu airé, on en écartera toute vapeur mal saine.

Les passions seront tranquilles, on donnera de la gaieté, on animera l'esprit par les compagnies. Voyez MALADIE DE L'ESPRIT.

La meilleure façon de guérir cette maladie, est de rendre au sang sa partie balsamique & spiritueuse, emportée par l'excès des plaisirs de l'amour.

Tous les symptomes des autres maladies s'y rencontrant, on doit les calmer ; mais la cause seule étant une fois extirpée, mettra en état d'y remédier. V. CONSOMPTION, PHTHISIE. Car cette maladie prend la forme de toutes les différentes especes de consomption & de phthisie.


TABIAE(Géog. anc.) lieu d'Italie, dans la Campanie, entre Naples & Surrento, mais plus près de ce dernier lieu. On le nomme aujourd'hui Monte de la Torre, selon André Baccio. (D.J.)


TABIANA(Géogr. anc.) île du golfe Persique. Ptolémée, l. VI. c. iv. la marque près de la côte septentrionale du golfe, au voisinage, & à l'occident de l'île Sophtha. (D.J.)


TABIDIUM(Géogr. anc.) ville de l'Afrique intérieure, selon Pline, qui, l. V. c. v. la met au nombre des villes subjuguées par Cornelius Balba ; c'est le Tabadis de Ptolémée, l. IV. c. v. (D.J.)


TABIENA(Géog. anc.) petite contrée d'Asie dans la Parthie, aux confins de la Carmanie, selon Ptolémée, l. VI. c. v. (D.J.)


TABISS. m. (Soierie) espece de gros taffetas ondé, qui se fabrique comme le taffetas ordinaire, hors qu'il est plus fort en chaîne & en treme ; on donne des ondes aux tabis, par le moyen de la calandre, dont les rouleaux de fer, de cuivre, diversement gravés, & appuyant inégalement sur l'étoffe, en rendent la superficie inégale, ensorte qu'elle refléchit diversement la lumiere quand elle tombe dessus. Savary. (D.J.)

Il y a aussi le tabis, Draperie. Voyez l'article MANUFACTURE EN LAINE.


TABISERv. act. (Manufacture de Soierie) c'est passer sous la calandre une étoffe, pour y faire paroître des ondes comme au tabis. On tabise la moire, les rubans, des toiles à doublure, des treillis, &c. (D.J.)


TABLAE(Géog. anc.) lieu de l'île des Bataves, selon la carte de Peutinger, qui le marque à 18 milles de Carpingium, & à 12 de Flenium. On croit que c'est aujourd'hui Alblas. (D.J.)


TABLALEMS. m. (Hist. mod.) titre que l'on donne chez les Turcs à tous les gouverneurs des provinces ; on le donne aux visirs, bachas, begs. Alem est un large étendart porté sur un bâton, surmonté d'un croissant ou d'une demi-lune. Le tabl est un tambour. Les gouverneurs sont toujours précédés de ces choses.


TABLAS(Géog. mod.) île de l'Asie, une des Philippines, au couchant de l'île de Panay, dont elle est éloignée de quinze milles. On lui donne quatre lieues de largeur, & douze de tour. (D.J.)


TABLATURES. f. en Musique ; ce sont les lettres dont on se sert au lieu de notes, pour marquer les sons de plusieurs instrumens, tels que le luth, la guittare, le théorbe, & même autrefois la viole.

On tire plusieurs lignes paralleles semblables à celles d'une portée, & chacune de ces lignes représente une corde de l'instrument. On écrit ensuite sur ces lignes des lettres de l'alphabet, qui indiquent le doigt dont il faut toucher la corde. La lettre a indique la corde à vuide : b indique le premier doigt : c le second : d le troisieme, &c.

Voilà tout le mystere de la tablature ; mais comme les instrumens dans lesquels on l'employoit, sont presque entierement passés de mode, & que dans ceux même dont on joue encore aujourd'hui, on a trouvé les notes ordinaires plus commodes, la tablature est depuis long-tems entierement abandonnée en France & en Italie. (S)


TABLES. f. Ce mot a dans la langue un grand nombre d'acceptions diverses. Voyez les articles suivans.

TABLES, en Mathématiques. Ce sont des suites de nombres tout calculés, par le moyen desquels on exécute promptement des opérations astronomiques, géométriques, &c.

TABLES ASTRONOMIQUES, sont des calculs des mouvemens, des lieux & des autres phénomenes des planetes premieres & sécondaires. Voyez PLANETE, SATELLITE, &c.

Les tables astronomiques les plus anciennes sont celles de Ptolémée, que l'on trouve dans son Almageste ; mais elles sont bien éloignées d'être conformes aux mouvemens des corps célestes. Voyez ALMAGESTE.

En 1252, Alphonse XI. roi de Castille, entreprit de les faire corriger. Le principal auteur de ce travail fut Isaac Hazan, astronome juif : & on a cru que le roi Alphonse y avoit aussi mis la main. Ce prince dépensa 400000 écus pour l'exécution de son projet. C'est ainsi que parurent les tables alphonsines, auxquelles on dit que ce prince mit lui-même une préface : mais Purbachius & Regiomontanus en remarquerent bientôt les défauts, ce qui engagea Regiomontanus, & après lui Waltherus & Warnerus, à s'appliquer aux observations célestes, afin de rectifier ces tables, mais la mort les arrêta dans ce travail.

Copernic, dans ses livres des Révolutions célestes, au-lieu des tables alphonsines, en donne d'autres qu'il a calculées lui-même sur les observations plus récentes, & en partie sur les siennes propres.

Eras. Reinholdus se fondant sur les observations & la théorie de Copernic, compila des tables qui ont été imprimées plusieurs fois & dans plusieurs endroits.

Ticho-Brahé remarqua de bonne-heure les défauts de ces tables ; ce qui le détermina à s'appliquer lui-même avec beaucoup d'ardeur aux observations célestes. Il s'attacha principalement aux mouvemens du Soleil & de la Lune. Ensuite Longomontanus, outre les théories des différentes planetes publiées dans son Astronomia danica, y ajouta des tables de leurs mouvemens que l'on appelle tabulae danicae ; & après lui Kepler en 1627 publia les tables rudolphines qui sont fort estimées : elles tirent leur nom de l'empereur Rodolphe à qui Kepler les dédia.

En 1680, Maria Cunitia leur donna une autre forme.

Mercator essaya la même chose dans ses Observations Astronomiques, qu'il publia en 1676 ; comme aussi J. Bapt. Morini qui mit un abregé des tables rudolphines à la tête d'une version latine de l'astronomie caroline de Street publiée en 1705.

Lansberge n'oublia rien pour décrire les tables rudolphines ; il construisit des tables perpétuelles des mouvemens célestes, ainsi qu'il les appelle lui-même : mais Horroxius astronome anglois, attaqua vivement Lansberge, dans sa défense de l'astronomie de Kepler.

Depuis les tables rudolphines, on en a publié un grand nombre d'autres : telles sont les tables philosophiques de Bouillaud, les tables britanniques de Vincent Wing, calculées sur l'hypothèse de Bouillaud, les tables britanniques de Newton, les tables françoises du comte de Pagan, par les tables carolines de Street, calculées sur l'hypothèse de Ward, les tables novalmagestiques de Riccioli.

Cependant parmi ces dernieres, les tables philolaïques & carolines sont les plus estimées. M. Whiston, suivant l'avis de M. Flamstéed, astronome d'une autorité reconnue en pareille matiere, jugea à propos de joindre les tables carolines à ses leçons astronomiques.

Les tables nommées tabulae ludovicae, publiées en 1702 par M. de la Hire, sont entierement construites sur ses propres observations, & sans le secours d'aucune hypothèse ; ce que l'on regardoit comme impossible avant l'invention du micrometre, du telescope & du pendule.

M. le Monnier, de l'académie royale des Sciences de Paris, nous a donné en 1746 dans ses Institutions astronomiques, d'excellentes tables des mouvemens du soleil, de la lune, des satellites, des réfractions, des lieux de plusieurs étoiles fixes. L'auteur doit publier de nouvelles tables de la Lune, dressées sur ses propres observations. Les Astronomes & les Navigateurs attendent avec impatience cet important ouvrage.

Nous avons aussi d'excellentes tables des planetes par M. de la Hire, des tables du Soleil par M. de la Caille, &c.

Pour les tables des étoiles, voyez CATALOGUE.

Quant à celles des sinus, des tangentes & des sécantes de chaque degré & minute d'un quart de cercle, dont on fait usage dans les opérations trigonométriques, voyez SINUS, TANGENTES, &c.

Sur les tables des logarithmes, des rhumbs dont on fait usage dans la Géométrie, & dans la Navigation, &c. Voyez LOGARITHME, RHUMB, NAVIGATION.

TABLES LOXODROMIQUES, ce sont des tables où la différence des longitudes & la quantité de la route que l'on a courue en suivant un certain rhumb, sont marquées de dix en dix minutes de latitude. Voyez RHUMB & LOXODROMIQUE. Chambers. (O)

C'est à ces dernieres tables, & à celles de M. le Monnier qu'il faut s'en tenir aujourd'hui, comme étant les plus modernes & les plus exactes.

Dans les tables d'équations du mouvement des planetes, on met d'abord le nom de l'argument, par exemple, distance du Soleil à la Lune. Ensuite, comme un signe est de 30 degrés, on écrit à gauche dans une ligne verticale tous les degrés depuis 0 jusqu'à 30 en descendant ; & à droite dans une ligne verticale tous les degrés depuis 0 jusqu'à 30 en montant. Cela posé, si on trouve, par exemple, au haut de la table ces mots, ajoutez ou ôtez en descendant, & au haut de la même table le signe VII, par exemple, ou tout autre ; cela signifie, que si on a pour argument VII sign. + 10 degr. il faudra ajouter ou ôter l'équation qui est au-dessous de VII, & vis-à-vis de 10 degrés dans la colonne qui est à gauche ; & si on a au-bas de la table ôtez ou ajoutez en montant, & au-bas de la même table le signe IV, par exemple, cela signifie, que si on a pour argument IV signes + 7 degr. il faudra ôter ou ajouter l'équation qui est au-dessus de 4 & vis-à-vis de 7 dans la colonne qui est à gauche, & ainsi des autres. Voyez EQUATION.

Sur les tables de la Lune, voyez LUNE..

TABLES DES MAISONS, en termes d'Astrologie. Ce sont certaines tables toutes dressées & calculées pour l'utilité de ceux qui pratiquent l'Astrologie, lorsqu'il s'agit de tracer des figures. Voyez MAISON.

TABLES, pour le jet des bombes ; ce sont des calculs tout faits pour trouver l'étendue des portées des bombes tirées sous telle inclinaison que l'on veut, & avec une charge de poudre quelconque. Voyez MORTIER & JET DES BOMBES.

Les plus parfaites & les plus complete s que l'on ait, sont celles du Bombardier françois par M. Belidor. (Q)

TABLE DE LA LOI, (Théolog.) on nomme ainsi deux tables que Dieu, suivant l'Ecriture, donna à Moïse sur le mont Sinaï, & sur lesquelles étoient écrits les préceptes du décalogue. Voyez DECALOGUE.

On forme plusieurs questions sur ces tables, sur leur matiere, leur forme, leur nombre ; l'auteur qui les a écrites, & ce qu'elles contenoient.

Quelques auteurs orientaux cités par d'Herbelot, Biblioth. orientale, p. 649. en comptent jusqu'à dix, d'autres sept ; mais les Hébreux n'en comptent que deux. Les uns les font de bois, les autres de pierres précieuses ; ceux-ci sont encore partagés, les uns les font de rubis, & les autres d'escarboucle ; ceux qui les font de bois les composent d'un bois nommé sedrou ou sedras, qui est une espece de lot que les Musulmans placent dans le paradis.

Moïse remarque, que ces tables étoient écrites des deux côtés. Plusieurs croyent qu'elles étoient percées à jour, ensorte qu'on pouvoit lire des deux côtés ; d'un côté à droite, & de l'autre à gauche. D'autres veulent que le législateur fasse simplement cette remarque, parce que pour l'ordinaire, on n'écrivoit que d'un côté sur les tablettes. Quelques-uns enfin, comme Oleaster & Rivet, traduisent ainsi le texte hébreu, elles étoient écrites des deux parties, qui se regardoient l'une l'autre ; ensorte qu'on ne voyoit rien d'écrit en-dehors. Il y en a qui croyent que chaque table contenoit les dix préceptes, d'autres qu'ils étoient mi-partis, cinq sur chaque table ; enfin, quelques-uns font ces tables de dix ou douze coudées.

Moïse dit expressément, qu'elles étoient écrites de la main de Dieu, digito Dei scriptas, ce que quelques-uns entendent à la lettre. D'autres expliquent, par le ministere d'un ange ; d'autres de l'esprit de Dieu, qui est quelquefois nommé le doigt de Dieu. D'autres enfin, que Moïse inspiré de Dieu & rempli de son Esprit les écrivit, explication qui paroît la plus naturelle.

On sait que Moïse descendant de la montagne de Sinaï, comme il rapportoit les premieres tables de la loi, les brisa d'indignation en voyant les Israëlites adorer le veau d'or : mais quand ce crime fut expié, il en obtint de nouvelles qu'il montra au peuple, & que l'on conservoit dans l'arche d'alliance.

Les Musulmans disent que Dieu commanda au burin céleste, d'écrire ou de graver ces tables, ou qu'il commanda à l'archange Gabriel de se servir de la plume, qui est l'invocation du nom de Dieu, & de l'encre qui est puisée dans le fleuve des lumieres pour écrire les tables de la loi. Ils ajoutent que Moïse ayant laissé tomber les premieres tables, elles furent rompues, & que les Anges en rapporterent les morceaux dans le ciel, à la reserve d'une piece de la grandeur d'une coudée, qui demeura sur la terre & qui fut mise dans l'arche d'alliance. D'Herbelot, biblioth. orientale, p. 649. Calmet, Dict. de la Bible.

TABLE des pains de proposition, (Critiq. sacrée) c'étoit une grande table d'or, placée dans le temple de Jérusalem, sur laquelle on mettoit les douze pains de proposition en face, six à droite, & six à gauche. Il falloit que cette table fut très-précieuse, car elle fut portée à Rome, lors de la prise de Jérusalem, & parut au triomphe de Titus, avec d'autres richesses du temple. Il paroît par les tailles-douces, qu'on porta devant l'empereur, le chandelier d'or & une autre figure, que Villalpand, Cornelius à Lapide, Ribara, & presque tous les savans qui ont vu autrefois l'arc de triomphe à Rome, prennent pour la table des pains de proposition. Il est vrai cependant que l'obscurité des figures, presqu'entierement rongées & effacées par le tems, rendroient aujourd'hui le fait des plus douteux ; mais dans d'anciennes copies, on a cru voir manifestement la table dont nous parlons, sur-tout à cause des deux coupes qui sont au-dessus ; car on mettoit toujours sur cette table deux de ces coupes remplies d'encens. Enfin, Josephe qui avoit été présent au triomphe de Titus, leve le doute. Il nous parle de bello judaico, lib. VII. c. xvij. de trois choses qui furent portées devant le triomphateur : 1°. la table des pains de proposition ; 2°. le chandelier d'or, dont il fait mention dans le même ordre que cela se trouve rangé dans l'arc de triomphe ; 3°. la loi qui ne se voit point sur cet arc, & qui apparemment n'y fut pas sculptée, faute de place. (D.J.)

TABLE DU SEIGNEUR, (Crit. sacrée) c'est la table de l'Eucharistie, où en mangeant le pain & en buvant le vin sacré, le fidele célebre la mémoire de la mort & du sacrifice de J. C. c'est pourquoi les Chrétiens du tems de Tertullien, appellerent leur culte sacrifice, & se servirent du mot d'autel, en parlant de la table du Seigneur. On donna ce nom d'autel, parce que le fidele qui s'approche de la table du seigneur, vient lui-même s'offrir à Dieu, comme une victime vivante : car l'expression être debout à l'autel, désigne proprement la victime qui se présente pour être immolée ; comme il paroît par ce vers de Virgile, Géorg. l. II. & ductus cornu stabit sacer hircus ad aram. Ainsi quand S. Paul dit, Epit. aux Hébreux, ch. xiij. v. 10. nous avons un autel ; c'est une expression figurée, dont le sens est " nous avons une victime, savoir J. C. à laquelle ceux qui sont encore attachés au culte lévitique, ne sauroient avoir de part ". En effet, les premiers chrétiens n'avoient point d'autels dans le sens propre, & les payens leur en faisoient un crime, ne concevant pas qu'il pût y avoir une religion sans victimes & sans autels. Philon appelle les repas sacrés, la table du Seigneur. (D.J.)

TABLES, loix des douze, (Hist. Rom.) code de loix faites à Rome, par les décemvirs vers l'an 301 de la fondation de cette ville.

Les divisions qui s'élevoient continuellement entre les consuls & les tribuns du peuple, firent penser aux Romains qu'il étoit indispensable d'établir un corps de loix fixes pour prévenir cet inconvénient, & en même tems assez amples, pour régler les autres affaires civiles. Le peuple donc créa des décemvirs, c'est-à-dire dix hommes pour gouverner la république, avec l'autorité consulaire, & les chargea de choisir parmi les loix étrangeres, celles qu'ils jugeroient les plus convenables pour le but que l'on se proposoit.

Un certain Hermodore, natif d'Ephèse, & qui s'étoit retiré en Italie, traduisit les loix qu'on avoit rapportées d'Athenes, & des autres villes de la Grece les mieux policées, pour emprunter de leurs ordonnances, celles qui conviendroient le mieux à la république Romaine. Les décemvirs furent chargés de cet ouvrage, auquel ils joignirent les loix royales ; c'est ainsi qu'ils formerent comme un code du Droit romain. Le sénat après un sérieux examen, l'autorisa par un sénatus-consulte, & le peuple le confirma par un plébiscite dans une assemblée des centuries.

L'an 303 de la fondation de Rome, on fit graver ces loix sur dix tables de cuivre, & on les exposa dans le lieu le plus éminent de la place publique ; mais comme il manquoit encore plusieurs choses pour rendre complet ce corps des loix romaines ; les décemvirs dont on continua la magistrature en 304, ajouterent de nouvelles loix qui furent approuvées, & gravées sur deux autres tables, qu'on joignit aux dix premieres, & qui firent le nombre de douze. Ces douze tables servirent dans la suite de jurisprudence à la république Romaine. Ciceron en a fait un grand éloge en la personne de Crassus, dans son premier livre de l'Orateur, n °. 43. & 44. Denys d'Halicarnasse, Tite-Live & Plutarque traitent aussi fort au long des loix décemvirales, car c'est ainsi qu'on nomma les loix des douze tables.

Elles se sont perdues ces loix par l'injure des tems ; il ne nous en reste plus que des fragmens dispersés dans divers auteurs, mais utilement recueillis par l'illustre Jean Godefroy. Le latin en est vieux & barbare, dur & obscur ; & même à mesure que la langue se poliça chez les Romains, on fut obligé de le changer dans quelques endroits pour le rendre intelligible.

Ce n'est pas-là cependant le plus grand défaut du code des loix décemvirales. M. de Mosites qui va nous l'apprendre ; la sévérité des loix royales faites pour un peuple composé de fugitifs, d'esclaves & de brigands, ne convenoit plus aux Romains. L'esprit de la république auroit demandé que les décemvirs n'eussent pas mis ces loix dans leurs douze tables ; mais des gens qui aspiroient à la tyrannie, n'avoient garde de suivre l'esprit de la république.

Tite-Live, liv. I. dit, sur le supplice de Métius-Fuffétius, dictateur d'Albe, condamné par Tullus-Hostilius, à être tiré par deux chariots, que ce fut le premier & le dernier supplice où l'on témoigna avoir perdu la mémoire de l'humanité ; il se trompe ; le code des douze tables a plusieurs autres dispositions très-cruelles. On y trouve le supplice du feu, des peines presque toujours capitales, le vol puni de mort.

Celle qui découvre le mieux le dessein des décemvirs, est la peine capitale prononcée contre les auteurs des libelles & les poëtes. Cela n'est guere du génie de la république, où le peuple aime à voir les grands humiliés. Mais des gens qui vouloient renverser la liberté, craignoient des écrits qui pouvoient rappeller l'esprit de la liberté.

On connut si bien la dureté des loix pénales, insérées dans le code des douze tables, qu'après l'expulsion des décemvirs, presque toutes leurs loix qui avoient fixé les peines, furent ôtées. On ne les abrogea pas expressément ; mais la loi Porcia ayant défendu de mettre à mort un citoyen romain, elles n'eurent plus d'application. Voilà le vrai tems auquel on peut rapporter ce que Tite-Live, liv. I. dit des Romains, que jamais peuple n'a plus aimé la modération des peines.

Si l'on ajoute à la douceur des peines, le droit qu'avoit un accusé de se retirer avant le jugement, on verra bien que les loix décemvirales s'étoient écartées en plusieurs points de l'esprit de modération, si convenable au génie d'une république, & dans les autres points dont Ciceron fait l'éloge, les loix des douze tables le méritoient sans-doute. (D.J.)

TABLE DE CUIVRE, (Jurisp. rom.) aes, table sur laquelle on gravoit chez les Romains la loi qui avoit été reçue. On affichoit cette table dans la place publique ; & lorsque la loi étoit abrogée, on ôtoit l'affiche, c'est-à-dire, cette table. De-là ces mots fixit legem, atque refixit. Ovide déclare que dans l'âge d'or, on n'affichoit point des paroles menaçantes gravées sur des tables d'airain.

Nec verba minantia fixo

Aere ligabantur.

Dans la comédie de Trinummus de Plaute, un plaisant dit, qu'il vaudroit bien mieux graver les noms des auteurs des mauvaises actions, que les édits. (D.J.)

TABLE ABBATIALE, (Jurisprud.) est un droit dû en quelques lieux à la mense de l'abbé par les prieurs dépendans de son abbaye. Voyez le Diction. des Arrêts de Brillon, au mot ABBE, n. 107. (A)

TABLE DE MARBRE, (Jurisprud.) est un nom commun à plusieurs jurisdictions de l'enclos du Palais, savoir la connétablie, l'amirauté & le siege de la réformation générale des eaux & forêts. Chacune de ces jurisdictions, outre son titre particulier, se dit être au siege de la table de marbre du palais à Paris.

L'origine de cette dénomination, vient de ce qu'anciennement le connétable, l'amiral & le grand-maître des eaux & forêts tenoient en effet leur jurisdiction sur une grande table de marbre qui occupoit toute la largeur de la grand'salle du palais ; le grand chambrier y tenoit aussi ses séances.

Cette table servoit aussi pour les banquets royaux. Du Tillet, en son recueil des rangs des grands de France, pag. 97. dit que le dimanche 16 Juin 1549, le Roi Henri II. fit son entrée à Paris ; que le soir fut fait en la grand'salle du palais le soupé royal ; que ledit seigneur fut assis au milieu de la table de marbre.

Cette table fut détruite lors de l'embrâsement de la grand'salle du palais, qui arriva sous Louis XIII. en 1618.

Outre la table de marbre dont on vient de parler, il y avoit dans la cour du palais la pierre de marbre, que l'on appelloit aussi quelquefois la table de marbre. Quelques-uns ont même confondu ces deux tables l'une avec l'autre.

Mais la pierre de marbre étoit différente de la table de marbre, & par sa situation, & par son objet. La pierre de marbre étoit au pié du grand degré du palais. Elle existoit encore du tems du roi Jean en 1359. Elle servoit à faire les proclamations publiques. Elles se faisoient pourtant aussi quelquefois sur la table de marbre en la grand'salle du palais. Voyez le recueil des ordonnances de la troisieme race, tome III. p. 347. aux notes.

Quand on parle de la table de marbre simplement, on entend la jurisdiction des eaux & forêts qui y tient son siege. Elle connoît par appel des sentences des maîtrises du ressort. Les commissaires du parlement viennent aussi y juger en dernier ressort les matieres de réformation. Voyez EAUX & FORETS.

Il y a aussi des tables de marbre dans plusieurs autres parlemens du royaume, mais pour les eaux & forêts seulement. Elles ont été créées à l'instar de celle de Paris ; elles furent supprimées par édit de 1704, qui créa au lieu de ces jurisdictions une chambre de réformation des eaux & forêts en chaque parlement ; mais par différens édits postérieurs, plusieurs de ces tables de marbre ont été rétablies. Voyez EAUX & FORETS, GRURIE, MAITRISE, AMIRAUTE, CONNETABLIE, MARECHAUSSEE. (A)

TABLE DU SEIGNEUR, signifie domaine du seigneur ; mettre en sa table, c'est réunir à son domaine. Ce terme est usité en matiere de retrait féodal. Voyez l'article 21 de la coutume de Paris. Quelques-uns prétendent que table en cette occasion signifie catalogue, & que mettre en sa table, c'est comprendre le fief servant dans la liste des biens & droits qui composent le fief dominant. Voyez FIEF, RETRAIT FEODAL. (A)

TABLE RONDE, s. f. (Hist. mod.) chevaliers de la table ronde : ordre militaire qu'on prétend avoir été institué par Arthur, premier roi des Bretons, vers l'an 516. Voyez CHEVALIER.

On dit que ces chevaliers, tous choisis entre les plus braves de la nation, étoient au nombre de vingtquatre, & que la table ronde, d'où ils tirerent leur nom, fut une invention d'Arthur, qui voulant établir entr'eux une parfaite égalité, imagina ce moyen d'éviter le cérémonial, & les disputes du rang au sujet du haut & bas bout de la table.

Lesly nous assure qu'il a vu cette table ronde à Winchestre, si on en veut croire ceux qui y en montrent une de cette forme avec beaucoup de cérémonies, & qu'ils disent être celle même dont se servoient les chevaliers ; & pour confirmer la vérité de cette tradition, ils montrent les noms d'un grand nombre de ces chevaliers tracés autour de la table. Larrey, & plusieurs autres écrivains, ont débité sérieusement cette fable comme un fait historique. Mais outre que Camdem observe que la structure de cette table est d'un goût beaucoup plus moderne que les ouvrages du sixieme siecle, on regarde le roi Arthur comme un prince fabuleux, & le P. Papebrok a démontré qu'avant le dixieme siecle on ne savoit ce que c'étoit que des ordres de chevalerie.

Il paroît au contraire que la table ronde n'a point été un ordre militaire, mais une espece de joûte ou d'exercice militaire entre deux hommes armés de lances, & qui différoit des tournois où l'on combattoit troupe contre troupe. C'est ce que Matthieu Paris distingue expressément. " Non in hastiludio illo, dit-il, quod TORNEAMENTUM dicitur, sed potius in illo ludo militari qui MENSA ROTUNDA dicitur ". Et l'on croit qu'on donnoit à cette joûte le nom de table ronde, parce que les chevaliers qui y avoient combattu venoient au retour souper chez le principal tenant, où ils étoient assis à une table ronde. Voyez encore sur ce sujet l'abbé Justiniani & le pere Helyot.

Plusieurs auteurs disent qu'Artus, duc de Bretagne, renouvella l'ordre de la table ronde, qu'on supposoit faussement avoir existé. Paul Jove rapporte que ce ne fut que sous l'empire de Frederic Barberousse qu'on commença à parler des chevaliers de la table ronde : d'autres attribuent l'origine de ces chevaliers aux factions des Guelphes & des Gibelins. Edouard III. fit, selon Walsingham, bâtir un palais qu'il appella la table ronde, dont la cour avoit deux cent piés de diametre.

TABLE, en terme de Blason, se dit des écus ou des écussons qui ne contiennent que la simple couleur du champ, & qui ne sont chargés d'aucune piece, figure, meuble, &c. On les appelle tables d'attente, ou tables rases.

TABLES DU CRANE, (Anatomie) les os du crâne sont composés de deux lames osseuses, qu'on appelle tables : il y a pourtant quelques endroits du crâne où on ne les trouve pas ; & dans ces endroits-là, il n'y a point de diploé ; c'est ce qu'il faut bien observer quand il est nécessaire d'appliquer le trépan.

La table extérieure est la plus épaisse & la plus polie ; elle est recouverte du péricrâne : l'intérieure est plus mince, & la dure-mere est fortement attachée à sa surface interne, particulierement au fond & aux sutures. De plus, on remarque dans cette table plusieurs sillons, qui y ont été creusés par le battement des arteres de la dure-mere, non-seulement lorsque les os étoient encore tendres dans la jeunesse, mais même jusqu'à leur accroissement parfait.

Ruysch dit qu'il a vu plusieurs fois le crâne des adultes sans diploé ; desorte que l'on ne remarquoit aucune séparation d'une table d'avec l'autre.

On trouve entre les deux tables du crâne, une infinité de petites cellules osseuses appellées par les Grecs diploé, & par les Latins meditullium. Ces cellules sont évidentes dans les crânes de ceux qui sont nouvellement décédés particulierement à l'os du front, à l'endroit où ces os sont le plus épais ; on trouve dans ces cellules un suc moëlleux, & quantité de vaisseaux sanguins, qui portent non-seulement la nourriture aux os, mais aussi la matiere de ce suc médullaire.

Quand on fait l'opération du trépan, & que l'on voit la scieure de l'os prendre une teinture rouge, c'est une marque que l'on a percé la premiere table, & qu'on est arrivé au diploé ; il faut percer la seconde table avec une grande précaution, parce qu'elle est plus mince que la premiere, & qu'il ne faut point s'exposer à donner atteinte à la dure-mere, parce que cette faute seroit suivie de funestes accidens.

A l'occasion d'un coup reçu sur la tête, ou d'une chûte, les vaisseaux sanguins peuvent se rompre dans le diploé ; & le sang épanché se corrompant, cause dans la suite par son âcreté une érosion à la table intérieure du crâne, sans qu'il en paroisse aucun signe à l'extérieur ; la corruption de cette table se communique bien-tôt aux deux méninges, & à la substance même du cerveau ; de maniere que l'on voit périr les malades, après qu'ils ont souffert de longues & cruelles douleurs, sans que l'on sache bien précisément à quoi en attribuer la cause.

Il arrive aussi à l'occasion du virus vérolique, dont le diploé peut être infecté, que les deux tables du crâne se trouvent cariées ; ce qui fait souffrir des douleurs violentes aux malades, quand l'exostose commence à paroître dans ces véroles invétérées, à cause de la sensibilité du péricrâne ; quelquefois même la carie ayant percé la premiere table, on en voit partir des fungus, qui sont des excroissances en forme de champignons. C'est un terrible accident ; car un nouveau traitement de la vérole n'y peut rien, & les topiques contre la carie & le fungus, ne font que pallier le mal. (D.J.)

TABLE DU GRAND LIVRE, (Commerce) que les marchands, négocians, banquiers, & teneurs de livres, nomment aussi alphabet, répertoire, ou index. C'est une sorte de livre composé de vingt-quatre feuillets dont on se sert pour trouver avec facilité les endroits du grand livre où sont débitées & créditées les personnes avec lesquelles on est en compte ouvert. Voyez DEBITER, CREDITER, COMPTE & LIVRE.

Les autres livres dont se servent les négocians, soit pour les parties simples, soit pour les parties doubles, ont aussi leurs tables ou alphabets particuliers ; mais ces tables ne sont point séparées ; elles se mettent seulement sur deux feuillets à la tête des livres. Voyez LIVRES. Dictionnaire du Commerce.

TABLE, poids de, (Commerce) on nomme ainsi une sorte de poids en usage dans les provinces de Languedoc & de Provence. Voyez POIDS.

TABLE, (Archit.) nom qu'on donne dans la décoration d'Architecture, à une partie unie, simple, de diverses figures, & ordinairement quarré-longue ; ce mot vient du latin tabula, planche.

Table à crossette, table cantonnée par des crossettes ou oreillons ; il y a de ces tables à plusieurs palais d'Italie.

Table couronnée, table couverte d'une corniche, & dans laquelle on taille un bas-relief, où l'on incruste une tranche de marbre noir, pour une inscription.

Table d'attente, bossage qui sert dans les façades, pour y graver une inscription, & pour y tailler de la sculpture.

Table d'autel, grande dale de pierre, portée sur de petits piliers ou jambages, ou sur un massif de maçonnerie, laquelle sert pour dire la messe.

Table de crépi, panneau de crépi, entouré de naissances badigeonnées dans les murs de face les plus simples, & de piés droits, montans, ou pilastres & bordures de pierre dans les plus riches.

Table de cuivre, table composée de planches ou de lames de cuivre, dont on couvre les combles en Suede, où on en voit même de taillées en écailles sur quelques palais.

Tables de plomb, piece de plomb, fondue de certaine épaisseur, longueur & largeur, pour servir à différens usages.

Table de verre, morceau de verre de Lorraine qui est de figure quarrée-longue.

Table en saillie, table qui excede le nud du parement d'un mur, d'un pié-destal, ou de toute autre partie qu'elle décore.

Table fouillée, table renfoncée dans le dé d'un pié-destal, & ordinairement entourée d'une moulure en maniere de ravalement.

Table rustique, table qui est piquée, & dont le parement semble brut ; il y a de ces tables aux grottes & aux bâtimens rustiques. Daviler. (D.J.)

TABLE DE CALANDRE, (Calandrerie) on appelle ainsi deux pieces de bois fort épaisses plus longues que larges, qui font la principale partie de la machine qui sert à calandrer les étoffes ou les toiles. C'est entre ces tables que se mettent les rouleaux sur lesquels sont roulés ces toiles & ces étoffes. (D.J.)

TABLE A MOULE, terme de Chandelier, longue table percée de divers trous en forme d'échiquier, sur laquelle on dresse les moules à faire de la chandelle moulée, lorsqu'on veut les remplir de suif ; au-dessous de la table est une auge pour recevoir le suif qui peut se répandre. (D.J.)

TABLE A MOULE, terme de Cirerie, les blanchisseurs de cire donnent ce nom à de grands chassis soutenus de plusieurs piés, sur lesquels ils mettent leurs planches à moules, dans lesquels on dresse les pains de cire blanche. Dictionnaire du Com. (D.J.)

TABLES AUX VOILES, terme de Cirerie, autrement dites carrés, & établis ; ce sont chez les mêmes blanchisseurs de cire, de grands bâtis de bois, sur lesquels sont étendues les toiles de l'herberie, où l'on met blanchir les cires à la rosée & au soleil, après qu'elles ont été grélonées. (D.J.)

TABLE DE CAMELOT, terme de Commerce ; on nomme ainsi à Smyrne les ballots de ces étoffes qu'on envoye en chrétienté ; ce nom leur vient de ce que les ballots sont quarrés & plats. (D.J.)

TABLE, en terme de Diamantaire, est la superficie extérieure d'un diamant ; les tables sont susceptibles de plus ou moins de pans, selon qu'elles sont plus ou moins grandes, & que le diamant le mérite.

TABLE DE NUIT, terme d'Ebéniste, c'est une petite table sans ou avec un dessus de marbre, qui se place à côté du lit, & sur laquelle on pose les choses dont on peut avoir besoin durant la nuit. (D.J.)

TABLE DE PLOMB, (outil de Ferblantier) c'est un morceau de plomb de l'épaisseur d'un pouce & demi, sur six pouces ou environ de large, & quinze pouces de long, qui sert aux Ferblantiers pour piquer les grilles de rapes & découper certains ouvrages. Voyez la figure, Planches du Ferblantier.

TABLE DE LA MACHINE, en termes de Friseur d'étoffes, est une espece de table couverte d'une moquette sur laquelle on met l'étoffe à friser. Elle est soutenue à droite sur la troisieme traverse, & à gauche sur la seconde, & percée d'un trou à chacune de ses extrêmités sur lequel sont placées des grenouilles à mi-bois. Voyez GRENOUILLE. Voyez les Planches de la Draperie.

TABLE, (Manufact. de glaces) les ouvriers qui travaillent à l'adouci des glaces brutes, appellent la table, le bâti de grosses planches sous lequel est mastiquée avec du plâtre une des deux glaces qui s'adoucissent l'une contre l'autre ; c'est au-dessus de cette table qu'est couchée horisontalement la roue dont les adoucisseurs se servent pour user les glaces. Savary. (D.J.)

La table à couler est une table de fonte de plus de cent pouces de longueur, & du poids de douze ou quinze milliers, sur laquelle on coule le verre liquide dont on fait les glaces. La largeur de cette table s'augmente ou se diminue à volonté, par le moyen de deux fortes tringles de fer mobiles qu'on place aux deux côtés plus proches ou plus éloignés, suivant le volume de la piece qu'on coule ; c'est sur ces tringles que pose par ses deux extrêmités le rouleau de fonte qui sert à pousser la matiere jusqu'au bout de la table. (D.J.)

TABLE, piece de presse d'Imprimerie, est une planche de chêne environ de trois piés quatre pouces de long sur un pié & demi de large, & de douze à quatorze lignes d'épaisseur, sur laquelle est attaché le coffre, où est renfermé le marbre de la presse ; elle est garnie en-dessous de deux rangs de crampons ou pattes de fer, cloués à cinq doigts de distance l'un de l'autre. Voyez dans les Planches d'Imprimerie, & leur explication, la table & les crampons qui glissent sur les bandes de fer du berceau de la presse.

TABLE dont les Facteurs d'orgues se servent pour couler l'étain & le plomb en tables ou feuilles minces, est une forte table de bois de chêne inclinée à l'horison, au moyen de quelques morceaux de bois qui la soutiennent par un bout, ou d'un tréteau. Cette table est couverte d'un coutil sur lequel, au moyen du rable qui contient le métal fondu, on coule les lames de plomb ou d'étain, en faisant couler le rable en descendant le long de la planche. Voyez la fig. 59. Pl. d'Orgue & l'article ORGUE, où le travail du plomb & de l'étain est expliqué.

TABLE D'ATTENTE, (Menuiserie) est un panneau en saillie au-dessus des guichets des grandes portes, sur lesquels on fait des ornemens en sculpture. Voy. les Planches de Menuiserie.

TABLE DE BRACELET, en termes de Metteur en oeuvre, est une plaque en pierreries montées sur des morceaux de velours, ou autres étoffes qui entourent le bras, & qui se lient & délient par un ressort pratiqué sous cette plaque. Voyez BOITE DE TABLE.

TABLE DES MIROITIERS, (ustensile des Miroitiers) les miroitiers qui mettent les glaces au teint, nomment pareillement table, une espece de long & large établi de bois de chêne, soutenu d'un fort chassis aussi de bois, sur lequel est posée en bascule la pierre de liais, où l'on met les glaces au teint. (D.J.)

TABLE, en termes de Pain d'épicier, ce sont des especes de tours parfaitement semblables à ceux des Boulangers & Pâtissiers.

TABLE DE BILLARD, (Paumier) c'est un chassis fait de planches de bois de chêne bien unies & bien jointes ensemble, sur lequel on applique le tapis de drap verd sur lequel on joue au billard. Cette table est posée solidement & de niveau sur dix piés ou piliers de charpente ou de menuiserie joints ensemble par d'autres pieces de bois qui les traversent.

TABLE DE PLOMB, (terme de Plombier) ou plomb en table, c'est du plomb fondu & coulé par les plombiers sur une longue table de bois couverte de sable. Les plombiers appellent aussi quelquefois de la sorte ce qu'ils nomment autrement des moules, c'est-à-dire, des especes de longs établis garnis de bords tout-au-tour, & couverts ou de sable ou d'étoffe de laine & de toile, sur lesquels ils coulent les tables de plomb. Il y en a de deux sortes ; les unes posées de niveau pour les grandes tables de plomb, & les autres qui ont de la pente pour les petites tables. Dict. du Comm. (D.J.)

TABLES D'ESSAI, (terme de Potier d'étain) ou rouelles d'essai ; on appelle ainsi deux plaques d'étain, dont l'une est dans la chambre du procureur du roi du châtelet, & l'autre dans celle de la communauté ; c'est sur ces tables que les maîtres potiers d'étain sont obligés d'empreindre ou insculper les marques des poinçons dont ils doivent se servir pour marquer leurs ouvrages, afin d'en assurer la bonté. Dict. du Com. (D.J.)

TABLE D'UN MOULIN, (Sucrerie) on appelle la table d'un moulin, une longue piece de bois qui est placée au milieu du chassis d'un moulin ; c'est dans cette piece que sont enchâssées la platine du grand rôle, & les embases des petits tambours, c'est-à-dire les crapaudines dans lesquelles roulent les pivots des trois tambours. (D.J.)

TABLE A TONDRE, (terme de Tondeurs de draps) espece d'ais ou planche de chêne ou de noyer, épaisse d'environ trois pouces & demi, large de quinze à seize pouces, & longue de neuf à dix piés. Cette planche est garnie par le dessus de plusieurs bandes d'une grosse étoffe appellée tuf, mises l'une sur l'autre, entre lesquelles sont plusieurs lits de paille, d'avoine, ou de bourre tontisse très-fine, & par-dessus le tout est une couverture de treillis attachée par des bouts, & lacée par-dessus. La table à tondre est posée sur deux trétaux de bois inégaux, ensorte qu'elle se trouve un peu en talud, ce que les ouvriers appellent placée en chasse ; elle sert à étendre l'étoffe dessus pour la tondre avec les forces. Les tondeurs se servent encore d'une autre table assez semblable à la premiere, à la reserve qu'elle est faite en forme de pupitre long ; & parce que c'est sur cette table qu'ils rangent ou couchent le poil d'étoffe avec le cardinal & la brosse, & qu'ensuite ils la nettoyent avec la tuile, ils l'appellent, suivant ces différens usages, tantôt table à ranger & à coucher, & tantôt table à nettoyer. Savary. (D.J.)

TABLE DE VERRE, s. f. (Vitrerie) c'est du verre qu'on appelle communément verre de Lorraine, qui se souffle & se fabrique à-peu-près comme les glaces de miroirs ; il est toujours un peu plus étroit par un bout que par l'autre, & a environ deux piés & demi en quarré de tout sens : il n'a point de boudine, & sert à mettre aux portieres des carosses de louage ou de ceux où l'on ne veut pas faire la dépense de véritables glaces ; on en met aussi aux chaises à porteurs. Les tables de verre se vendent au ballot ou ballon composé de plus ou moins de liene, suivant que c'est du verre commun ou du verre de couleur. Savary. (D.J.)

TABLE se dit au jeu de trictrac des deux côtés du tablier où l'on joue avec des dames, & dont on fait des cases.

La table du grand jan est celle qui est de l'autre côté vis-à-vis celle du petit jan. On l'appelle table du grand jan, parce que c'est là qu'on le fait.

La table du petit jan, c'est la premiere table où les dames sont empilées.

Le mot de table se prend encore quelquefois pour les dames mêmes. Voyez DAMES.

TABLE, (Econom. domestiq.) c'est un meuble de bois, dont la partie supérieure est une grande surface plane, soutenue sur des piés ; il est destiné à un grand nombre d'usages dans les maisons ; il y a des tables à manger, à jouer, à écrire. Elles ont chacune la forme qui leur convient.

TABLE, mensa, (Antiq. rom.) les Romains étalerent une grande magnificence dans les tables dont ils ornerent leurs salles & leurs autres appartemens ; la plupart étoient faites d'un bois de cedre qu'on tiroit du mont Atlas, selon le témoignage de Pline, l. XIII. c. xv. dont voici les termes : Atlas mons peculiari proditur sylvâ ; confines ei Mauri, quibus plurima arbor cedri, & mensarum insania quas foeminae viris contrà margaritas, regerunt. On y employoit encore quelquefois un bois beaucoup plus précieux, lignum citrum, qui n'est pas notre bois de citronnier, mais d'un arbre beaucoup plus rare que nous ne connoissons pas, & qu'on estimoit singulierement à Rome. Il falloit être fort riche pour avoir des tables de ce bois ; celle de Cicéron lui coutoit près de deux mille écus ; on en vendit deux entre les meubles de Gallus Asinius, qui monterent à un prix si excessif, que s'il en faut croire le même Pline, chacune de ces tables auroit suffi pour acheter un vaste champ. Voyez CITRONNIER.

L'excès du prix des tables romaines provenoit encore des ornemens dont elles étoient enrichies. Quant à leur soutien, celles à un seul pié se nommoient monopodia, celles sur deux piés bipedes, & celles sur trois piés tripedes ; les unes & les autres étoient employées pour manger ; mais les Romains ne se servoient pas comme nous d'une seule table pour tout le repas, ils en avoient communément deux ; la premiere étoit pour tous les services de chair & de poisson ; ensuite on ôtoit cette table, & l'on apportoit la seconde sur laquelle on avoit servi le fruit ; c'est à cette seconde table qu'on chantoit & qu'on faisoit des libations. Virgile nous apprend tout cela dans ces deux vers de l'Enéide, où il dit :

Postquam prima quies epulis, mensaeque remotae

Crateras magnos statuunt, & vina coronant.

Les Grecs & les Orientaux étoient dans le même usage. Les Hébreux même dans leurs fêtes solemnelles & dans leurs repas de sacrifice avoient deux tables ; à la premiere ils se régaloient de la chair de la victime, & à la seconde ils donnoient à la ronde la coupe de bénédiction, appellée la coupe de louange.

Pour ce qui regarde la magnificence des repas des Romains & le nombre de leurs services, nous en avons parlé sous ces deux mots. Autant la frugalité étoit grande chez les premiers Romains, autant leur luxe en ce genre étoit extrême sur la fin de la république ; ceux même dont la table étoit mesquine étaloient aux yeux des convives toute la splendeur de leurs buffets. Martial, l. IV. épigr. se plaint agréablement de cet étalage au milieu de la mauvaise chere de Varus.

Ad coenam nuper Varus me fortè vocavit

Ornatus, dives ; parvula coena fuit.

Auro non dapibus oneratur mensa, ministri

Apponunt oculis plurima, pauca gulae.

Tunc ego : non oculos, sed ventrem pascere veni,

Aut appone dapes, Vare, vel aufer opes.

Ces vers peuvent rappeller au lecteur le conte de M. Chevreau, qui est dans le Chevreana, tome II. " Je me souviens, dit-il, que Chapelle & moi ayant été invités chez * * * qui nous régala suivant sa coutume, Chapelle s'approcha de moi immédiatement après le repas, & me dit à l'oreille : Où allons-nous dîner au sortir d'ici " ?

J'ai parlé ci-dessus des tables des Romains, à un, à deux & à trois piés, mais je devois ajouter que leur forme fut très-variable ; ils en eurent de quarrées, de longues, d'ovales, en fer à cheval, &c. toujours suivant la mode. On renouvella sous le regne de Théodore & d'Arcadius celle des tables en demi-croissant, & on les couvroit après avoir mangé d'une espece de courte-pointe ou de matelas pour pouvoir coucher dessus & s'y reposer ; ils ne connoissoient pas encore nos lits de repos, nos duchesses, nos chaises longues. A cela près, le luxe des seigneurs de la cour du grand Théodore & de ses fermiers méritoit bien la censure de saint Chrysostome. On voyoit, dit-il, auprès de la table sur laquelle on mangeoit, un vase d'or que deux hommes pouvoient à peine remuer, & quantité de cruches d'or rangées avec symmétrie. Les laquais des convives étoient de jeunes gens, beaux, bienfaits, aussi richement vêtus que leurs maîtres, & qui portoient de larges braies. Les musiciens, les joueurs de harpes & de flûtes amusoient les conviés pendant le repas. Il n'y avoit point à la vérité d'uniformité dans l'ordre des services, mais tous les mets étoient fort recherchés ; quelques-uns commençoient par des oiseaux farcis de poisson haché, & d'autres donnoient un premier service tout différent. En fait de vins, on vouloit celui de l'île de Thasos, si renommé dans les auteurs grecs & latins. Le nombre des parasites étoit toujours considérable à la table des grands & des gens riches ; mais les dames extrêmement parées en faisoient le principal ornement ; c'est aussi leur luxe effréné que saint Chrisostome censure le plus. " Leur faste, dit-il, n'a point de bornes : le fard regne sur leurs paupieres & sur tout leur visage ; leurs jupes sont entrelacées de fils d'or, leurs colliers sont d'or, leurs bracelets sont d'or ; elles vont sur des chars tirés par des mulets blancs dont les renes sont dorées, avec des eunuques à leur suite, & grand nombre de femmes & de filles de chambre ". Il est vrai que ce train de dames chrétiennes respire excessivement la molesse. Mais quand saint Chrisostome déclame avec feu contre leurs souliers noirs, luisans, terminés en pointe, je ne sai quels souliers plus modestes il vouloit qu'elles portassent. (D.J.)


TABLEAUS. m. (Peinture) représentation d'un sujet que le peintre renferme dans une espace orné pour l'ordinaire d'un cadre ou bordure. Les grands tableaux sont destinés pour les églises, sallons, galeries & autres grands lieux ; les tableaux moyens, qu'on nomme tableaux de chevalet, & les petits tableaux se mettent par-tout ailleurs.

La nature est représentée à nos yeux dans un beau tableau. Si notre esprit n'y est pas trompé, nos sens du-moins y sont abusés. La figure des objets, leur couleur & les reflets de la lumiere, les ombres, enfin tout ce que l'oeil peut appercevoir se trouve dans un tableau, comme nous le voyons dans la nature. Elle se présente dans un tableau sous la même forme où nous la voyons réellement. Il semble même que l'oeil ébloui par l'ouvrage d'un grand peintre croit quelquefois appercevoir du mouvement dans ses figures.

L'industrie des hommes a trouvé quelques moyens de rendre les tableaux plus capables de faire beaucoup d'impression sur nous ; on les vernit : on les renferme dans des bordures qui jettent un nouvel éclat sur les couleurs, & qui semblent, en séparant les tableaux des objets voisins, réunir mieux entr'elles les parties dont ils sont composés, à-peu-près comme il paroît qu'une fenêtre rassemble les différens objets qu'on voit par son ouverture.

Enfin quelques peintres des plus modernes se sont avisés de placer dans les compositions destinées à être vues de loin des parties de figures de ronde-bosse qui entrent dans l'ordonnance, & qui sont coloriées comme les autres figures peintes, entre lesquelles ils les mettent. On prétend que l'oeil qui voit distinctement ces parties de ronde-bosse saillir hors du tableau en soit plus aisément séduit par les parties peintes, lesquelles sont réellement plates, & que ces dernieres font ainsi plus facilement l'illusion à nos yeux. Mais ceux qui ont vu la voûte de l'Annonciade de Gènes & celle de Jesus à Rome, où l'on a fait entrer des figures en relief dans l'ordonnance, ne trouvent point que l'effet en soit bien merveilleux.

Les hommes qui n'ont pas l'intelligence de la méchanique de la peinture, ne sont pas en état de décider de l'auteur d'un tableau, c'est aux gens de l'art qu'il faut s'en rapporter ; cependant l'expérience nous enseigne qu'il faut mettre bien des bornes à cette connoissance de discerner la main des grands maîtres dans les tableaux qu'on nous donne sous leurs noms. En effet les experts ne sont bien d'accord entr'eux que sur ces tableaux célebres qui, pour parler ainsi, ont déja fait leur fortune, & dont tout le monde sait l'histoire. Quant aux tableaux dont l'état n'est pas déja certain en vertu d'une tradition constante & non interrompue, il n'y a que les leurs & ceux de leurs amis qui doivent porter le nom sous lequel ils paroissent dans le monde. Les tableaux des autres, & sur-tout les tableaux des concitoyens, sont des originaux douteux. On reproche à quelques-uns de ces tableaux de n'être que des copies, & à d'autres d'être des pastiches. L'intérêt acheve de mettre de l'incertitude dans la décision de l'art, qui ne laisse pas de s'égarer, même quand il opere de bonne foi.

On sait que plusieurs peintres se sont trompés sur leurs propres ouvrages, & qu'ils ont pris quelquefois une copie pour l'original qu'eux-mêmes ils avoient peint. Vasari raconte, comme témoin oculaire, que Jules Romain, après avoir fait la draperie dans un tableau que peignoit Raphaël, reconnut pour son original la copie qu'André del Sarte avoit faite de ce tableau.

Lorsqu'il s'agit du mérite des tableaux, le public n'est pas un juge aussi compétent que lorsqu'il s'agit du mérite des poëmes. La perfection d'une partie des beautés d'un tableau, par exemple, la perfection du dessein n'est bien sensible qu'aux peintres ou aux connoisseurs qui ont étudié la peinture autant que les artistes mêmes. Mais il seroit trop long de discuter quelles sont les beautés d'un tableau dont le public est un juge non-recusable, & quelles sont les beautés d'un tableau qui ne sauroient être appréciées à leur juste valeur que par ceux qui savent les regles de la Peinture.

Ils exigent, par exemple, qu'on observe trois unités dans un tableau, par rapport au tems, à la vue & à l'espace, c'est-à-dire qu'on ne doit représenter d'un sujet 1°. que ce qui peut s'être passé dans un seul moment ; 2°. ce qui peut facilement être embrassé par une seule vue ; 3°. ce qui est renfermé dans l'espace que le tableau paroît comprendre.

Ils prescrivent aussi des regles pour les tableaux allégoriques, mais nous pensons que les allégories, toujours pénibles & souvent froides dans les ouvrages, ont le même caractere dans les tableaux. Les rapports ne se présentent pas tous de suite, il faut les chercher, il en coute pour les saisir, & l'on est rarement dédommagé de sa peine. La peinture est faite pour plaire à l'esprit par les yeux, & les tableaux allégoriques ne plaisent aux yeux que par l'esprit qui en devine l'énigme. (D.J.)

Maniere d'ôter les tableaux de dessus leur vieille toile ; de les remettre sur de neuve, & de raccommoder les endroits enlevés ou gâtés. Il faut commencer par ôter le tableau de son cadre, & l'attacher ensuite sur une table extrêmement unie, le côté de la peinture en-dessus, en prenant bien garde qu'il soit tendu, & ne fasse aucuns plis. Après cette préparation, vous donnerez sur tout votre tableau une couche de colle-forte, sur laquelle vous appliquerez à-mesure des feuilles de grand papier blanc, le plus fort que vous pourrez trouver ; & vous aurez soin avec une molette à broyer les couleurs, de bien presser, & étendre votre papier, afin qu'il ne fasse aucun pli, & qu'il s'attache bien également par-tout à la peinture. Laissez secher le tout, après quoi vous déclouerez le tableau, & le retournerez, la peinture en-dessous & la toile en-dessus, sans l'attacher ; pour lors vous aurez une éponge, que vous mouillerez dans de l'eau tiede, & avec laquelle vous imbiberez petit-à-petit toute la toile, essayant de tems-en-tems sur les bords, si la toile ne commence pas à s'enlever & à quitter la peinture. Alors vous la détacherez avec soin tout le long d'un des côtés du tableau, & replierez ce qui sera détaché, comme pour le rouler, parce qu'ensuite en poussant doucement avec les deux mains, toute la toile se détachera en roulant. Cela fait avec votre éponge & de l'eau, vous laverez bien le derriere de la peinture, jusqu'à ce que toute l'ancienne colle, ou à-peu-près, en soit enlevée : vous observerez dans cette opération que votre éponge ne soit jamais trop remplie d'eau, parce qu'il pourroit en couler par-dessous la peinture, qui détacheroit la colle qui tient le papier que vous avez mis d'abord.

Tout cela fait avec soin, vous donnerez une couche de votre colle, ou de l'apprêt ordinaire dont on se sert pour apprêter les toiles sur lesquelles on peint, sur l'envers de votre peinture ainsi bien nettoyée, & sur le champ vous y étendrez une toile neuve, que vous aurez eu soin de laisser plus grande qu'il ne faut, afin de pouvoir la clouer par les bords, pour l'étendre de façon qu'elle ne fasse aucun pli, après quoi avec votre molette vous presserez légerement en frottant pour faire prendre la toile également partout, & vous laisserez sécher ; ensuite vous donnerez par-dessus la toile une seconde couche de colle par partie & petit-à-petit ; ayant soin, à-mesure que vous coucherez une partie, de la frotter & étendre avec votre molette, pour faire entrer la colle dans la toile, & même dans la peinture, & pour écraser les fils de la toile ; le tableau étant bien sec, vous le détacherez de dessus la table, & le reclouerez sur son cadre ; après quoi avec une éponge & de l'eau tiede vous imbiberez bien tous vos papiers pour les ôter ; après qu'ils seront ôtés vous laverez bien pour enlever toute la colle & nettoyer toute la peinture ; ensuite vous donnerez sur le tableau une couche d'huile de noix toute pure, & le laisserez secher pour mettre ensuite le blanc d'oeuf.

Remarques. Lorsque les tableaux que l'on veut changer de toile se trouvent écaillés, crevassés ou avoir des ampoules, il faut avoir soin sur les endroits défectueux de coller deux feuilles de papier l'une sur l'autre pour soutenir ces endroits, & les empêcher de se fendre davantage, ou de se déchirer dans l'opération, & après avoir remis la toile neuve on rajustera ces défauts de la maniere suivante. Ceux que l'on change de toile se trouvent raccommodés par l'opération même ; mais si la toile est bonne, & que l'on ne veuille pas la changer, on fait ce qui suit.

Il faut avec un pinceau mettre de la colle-forte tiede sur les ampoules, ensuite percer de petits trous avec une épingle dans lesdites ampoules, & tâcher que la colle les pénetre de façon à passer dessous. Il faut après cela essuyer légerement ladite colle, & avec un autre pinceau passer sur les ampoules seulement un peu d'huile de lin ; après quoi on aura un fer chaud, sur lequel on passera une éponge ou un linge mouillé, jusqu'à ce qu'il ne frémisse plus (crainte qu'il ne fût trop chaud), & alors on poussera ledit fer sur les ampoules, ce qui les ratachera à la toile, & les ôtera tout-à-fait.

Il faut cependant remarquer qu'après avoir ôté ces ampoules, il est nécessaire de mettre par-derriere une seconde toile pour maintenir l'ancienne, & empêcher que les ampoules ne viennent à se former de nouveau ; en voici la maniere.

Il faut mettre d'abord sur l'ancienne toile une couche de colle-forte tout le long des bords le long du cadre, & rien dans le milieu, après quoi on appliquera la seconde toile qu'on fera prendre, en passant la mollette légerement dessus ; on clouera ensuite le tableau sur la table, & on couchera de la colle par parties, que l'on pressera & étendra avec la molette, comme pour changer les tableaux de toile.

Pour raccommoder les crevasses & les endroits écaillés tant aux tableaux changés de toile qu'aux autres. Il faut prendre de la terre glaise en poudre & de la terre d'ombre, délayer ensuite ces deux matieres avec de l'huile de noix, de façon qu'elles forment comme une pâte ; on y ajoûte si l'on veut un peu d'huile grasse pour faire secher plus vîte ; on prend ensuite de cette pâte avec le couteau à mêler les couleurs, & on l'insinue dans les crevasses & dans les endroits écaillés, essuyant bien ce qui peut s'attacher sur les bords & hors des trous : cette pâte étant bien seche, on donne sur tout le tableau une couche d'huile de noix bien pure, & lorsqu'elle est seche, on fait sur la palette les teintes des couleurs justes aux endroits où se trouvent les crevasses, & on les applique avec le couteau ou avec le pinceau.

Pour faire revivre les couleurs des tableaux, ôter tout le noir, & les rendre comme neufs. Il faut mettre par-derriere la toile une couche de la composition suivante.

Prenez deux livres de graisse de rognon de boeuf, deux livres d'huile de noix, une livre de céruse broyée à l'huile de noix, une demi-livre de terre jaune, aussi à l'huile de noix, une once : faites fondre votre graisse dans un pot, & lorsqu'elle sera tout-à-fait fondue, mêlez-y l'huile de noix, ensuite la céruse & la terre jaune, vous remuerez ensuite le tout avec un bâton pour faire mêler toutes les drogues ; vous employerez cette composition tiede.

Pour les tableaux sur cuivre. Prenez du mastic fait avec de la terre glaise & la terre d'ombre délayée à l'huile de noix, remplissez-en les endroits écaillés, après quoi vous prendrez du sublimé corrosif, que vous ferez dissoudre dans une quantité suffisante d'eau, vous l'appliquerez dessus, & le laisserez secher ; au-bout de quelques heures vous laverez bien avec de l'eau pure ; & s'il n'est pas encore bien dégraissé, vous recommencerez : on peut aussi se servir de cette eau de sublimé sur les tableaux sur bois & sur toile.

Pour ôter le vieux vernis des tableaux, il suffit de les frotter avec le bout des doigts, & les essuyer ensuite avec un linge mouillé.

TABLEAU EN PERSPECTIVE, c'est une surface plane, que l'on suppose transparente & perpendiculaire à l'horison. Voyez PERSPECTIVE.

On imagine toujours ce tableau placé à une certaine distance entre l'oeil & l'objet : on y représente l'objet par le moyen des rayons visuels qui viennent de chacun des points de l'objet à l'oeil en passant à-travers le tableau. Voyez PERSPECTIVE. Chambers.

TABLEAU VOTIF, (Antiq. rom.) tabula votiva ; c'étoit la coutume chez les Romains pour ceux qui se sauvoient d'un naufrage, de représenter dans un tableau tous leurs malheurs. Les uns se servoient de ce tableau pour toucher de compassion ceux qu'ils rencontroient dans leur chemin, & pour réparer par leurs charités les pertes que la mer leur avoit causées. Juvenal nous l'apprend.

Fracture nave naufragus assem

Dum rogat, & picta se tempestate tuetur.

" Pendant que celui qui a fait naufrage me demande la charité, & qu'il tâche de se procurer quelques secours en faisant voir le triste tableau de son infortune ". Pour cet effet, ils pendoient ce tableau à leur cou, & ils en expliquoient le sujet par des chansons accommodées à leur misere, à-peu-près comme nos pelerins font aujourd'hui. Perse dit plaisamment à ce sujet :

Cantet si naufragus, assem

Protulerim ? Cantas cum fracta te in trabe pictum

Ex humero portes. Sat. 1.

" Donnerois-je l'aumône à un homme qui chante, après que les vents ont mis son vaisseau en pieces ? Ne chantes-tu pas toi-même dans le même tems que ce tableau qui est à ton col, te représente parmi les débris de ton naufrage ? "

Les autres alloient consacrer ce même tableau dans le temple du dieu auquel ils s'étoient adressés dans le péril, & au secours duquel ils croyoient devoir leur salut.

Cette coutume passa plus avant, les avocats voulurent s'en servir dans le barreau, pour toucher les juges par la vue de la misere de leurs parties & de la dureté de leurs ennemis. " Je n'approuverai pas, dit Quintilien, l. VI. c. j. ce que l'on faisoit autrefois, & ce que j'ai vu pratiquer moi-même lorsque l'on mettoit au-dessus de Jupiter, un tableau pour toucher les juges par l'énormité de l'action qu'on y avoit dépeinte ".

Ce n'est pas encore tout, ceux qui étoient guéris de quelque maladie alloient consacrer un tableau dans le temple du dieu qui les avoit secourus, & c'est ce que nous fait entendre ce passage de Tibulle. Eleg. I. livre I.

Nunc, dea, nunc sucurre mihi, nam posse mederi

Picta docet templis multa tabella tuis.

" Déesse, secourez-moi maintenant ; car tant de tableaux qui sont dans vos temples, témoignent bien que vous avez le pouvoir de guérir ".

C'est sur cela que les premiers chrétiens, lorsqu'ils relevoient de maladie, offroient au saint dont ils avoient éprouvé le secours, quelques pieces d'or ou d'argent, sur lesquelles étoit gravée la partie qui avoit été malade. Et cette même coutume dure encore aujourd'hui, car on voit des gens qui après être relevés de maladie, se font peindre eux-mêmes dans le triste état où ils étoient, & qu'ils dédient ce tableau au saint par l'intercession duquel ils ont obtenu leur guérison.

Récapitulons en deux mots les sujets des tableaux votifs. Ceux qui s'étoient sauvés du naufrage, faisoient représenter leur avanture sur un tableau qu'ils consacroient dans le temple du dieu à qui ils croyoient devoir leur salut ; ou bien ils le portoient pendu à leur col, pour attirer la compassion & les charités du public. Les avocats employoient aussi quelquefois ce moyen pour toucher les juges, en exposant aux yeux la misere de leurs parties, & la cruauté de leurs ennemis. Enfin ceux qui relevoient de quelque fâcheuse maladie, consacroient souvent un tableau au dieu à qui ils attribuoient leur guérison.

Comme Diagoras étoit dans un temple de Neptune, on lui montra plusieurs tableaux, monument de reconnoissance offerts par des personnes échappées du naufrage. Douterez-vous après cela, lui disoit-on, de l'heureuse puissance de ce dieu ? Je ne vois point, reprit-il, les tableaux de ceux qui ont péri malgré toutes leurs promesses. Autre réflexion.

Tant de tableaux votifs de voyageurs échappés au naufrage, devoient défigurer étrangement les autels de Neptune ; mais de telles institutions étoient nécessaires pour maintenir les hommes sous la puissance des divinités. Horace se moquoit de ce que lui dit Egnatia, que l'encens brûloit & fumoit de lui-même sur une pierre sacrée ; mais ce prétendu miracle en imposoit utilement aux imaginations foibles de la populace. (D.J.)

TABLEAU, (Littérat.) ce sont des descriptions de passions, d'événemens, de phénomenes naturels qu'un orateur ou un poëte répand dans sa composition, où leur effet est d'amuser, ou d'étonner, ou de toucher, ou d'effrayer, ou d'imiter, &c.

Tacite fait quelquefois un grand tableau en quelques mots ; Bossuet est plein de ce genre de beautés ; il y a des tableaux dans Racine & dans Voltaire ; on en trouve même dans Corneille. Sans l'art de faire des tableaux de toutes sortes de caracteres, il ne faut pas tenter un poëme épique ; ce talent essentiel dans tout genre d'éloquence & de poésie, est indispensable encore dans l'épique.

TABLEAU, (Marine) partie la plus haute d'une flûte sous le couronnement, où l'on met ordinairement le nom du vaisseau. On l'appelle miroir dans les autres bâtimens. Voyez MIROIR.

TABLEAU, (Commerce) se dit d'un cadre qui contient une liste imprimée des noms de plusieurs ou de toutes personnes d'un même corps, communauté, métier ou profession par ordre de date & de réception, ou selon qu'elles ont passé dans les charges.

Ces tableaux se mettent ordinairement dans les chambres ou bureaux de ces corps ou communautés, & quelquefois dans les greffes de jurisdictions des villes, comme on en voit au châtelet de Paris, où sont inscrits les maîtres jurés maçons, charpentiers, greffiers de l'écritoire, écrivains vérificateurs des écritures, &c.

On dit qu'on parvient aux charges d'un corps ou communauté par ordre de tableau, lorsque ce n'est pas par le choix du magistrat, ou par l'élection des maîtres, mais selon la date de sa réception qu'on devient garde, juré, ou esgard. Voyez GARDE, JURE, ESGARD.

TABLEAU MOUVANT, est un tableau dans lequel sont inscrits dans les bureaux des communautés les noms de tous ceux qui ont été gardes ou jurés. On l'appelle tableau mouvant, parce que chacun de ces noms est écrit séparément sur une petite carte large d'un pouce, insérée dans le tableau ; à mesure qu'il meurt quelqu'un de ceux qui sont ainsi inscrits, le concierge a soin de tirer de sa place le nom du défunt, & de la remplir aussi-tôt du nom de celui qui suit, en faisant remonter tous les autres jusqu'au dernier, ensorte que les places d'en-bas qui demeurent vacantes soient destinées pour les premiers gardes ou jurés qu'on élira. Dictionn. de Commerce.

TABLEAU, on donne aussi ce nom à certaines pancartes, où en conséquence des ordonnances ou par ordre de justice, on inscrit les choses que l'on veut rendre publiques. Ces tableaux, lorsque les affaires concernent le commerce, se déposent dans les greffes des jurisdictions consulaires, où il y en a, sinon dans ceux des hôtels-de-ville des juges royaux ou des juges des seigneurs. Selon l'ordonnance de 1573, l'extrait des sociétés entre négocians, & la déclaration de ceux qui sont venus au bénéfice de cession, doivent être insérées dans ces tableaux publics. Voyez CESSION. Id. ibid.

TABLEAU DE BAIE, (Archit.) c'est dans la baie d'une porte ou d'une fenêtre, la partie de l'épaisseur du mur qui paroît au-dehors depuis la feuillure, & qui est ordinairement d'équerre avec le parement.

On nomme aussi tableau le côté d'un piédroit ou d'un jambage d'arcade sans fermeture. (D.J.)

TABLEAU, (Courroyer.) c'est un morceau de cuir fort dont la figure est quarrée. (D.J.)

TABLEAU, (Jardinage) se dit d'une piece de parterre qui occupe tout le terrein en face d'un bâtiment ; ainsi l'on dit un parterre d'un seul tableau. On pourroit encore nommer un parterre qui se répete en deux pieces paralleles, un parterre séparé en deux tableaux.


TABLÉES. f. (Tonder. de draps) ce terme se dit de l'étoffe qui est attachée avec des crochets sur la table à tondre, lorsque cette partie de l'étoffe a été entierement tondue. Chaque tablée porte ordinairement un tiers d'étoffe de long. (D.J.)


TABLERv. n. (Trictrac) c'est la même chose que caser ou disposer ses dames convenablement pour le gain de la partie. Voyez TRICTRAC.


TABLETIERS. m. (Corps de métier) celui qui travaille en tabletterie. Les maîtres tabletiers ne font qu'un corps avec les peigniers. Leurs ouvrages particuliers sont des tabliers pour jouer aux échecs, au tric-trac, aux dames, au renard, avec les pieces nécessaires pour y jouer ; des billes & billards, des crucifix de buis ou d'ivoire ; d'où ils sont appellés tailleurs d'images d'ivoire : enfin toutes sortes d'ouvrages de curiosité de tour, tels que sont les bâtons à se soutenir, les montures de cannes, de lorgnettes & de lunettes, les tabatieres, ce qu'on appelle des cuisines, des boëtes à savonnettes, &c. où ils employent l'ivoire, & toutes les especes de bois rares qui viennent des pays étrangers, comme buis, ébene, bresil, noyer, merisier, olivier, &c. Savary. (D.J.)


TABLETTES. f. (Archit.) pierre débitée de peu d'épaisseur pour couvrir un mur de terrasse, un bord de réservoir ou de bassin. Toutes les tablettes se font de pierre dure.

On donne aussi le nom de tablette à une banquette.

Tablette d'appui, tablette qui couvre l'appui d'une croisée, d'un balcon, &c.

Tablette de bibliotheque, assemblage de plusieurs ais transversans, soutenus de montans, rangés avec ordre & symmétrie, & espacés les uns des autres à certaine distance, pour porter des livres dans une bibliotheque. Ces sortes de tablettes sont quelquefois décorées d'architecture composée de montans, pilastres, consoles, corniches, &c. On les appelle aussi armoires.

Tablette de cheminée, c'est une planche de bois ou une tranche de marbre profilée d'une moulure ronde, posée sur le chambranle, au-bas d'un attique de cheminée.

Tablette de jambe étriere, c'est la derniere pierre qui couronne une jambe étriere, & qui porte quelque moulure en saillie sous un ou deux poitrails. On la nomme imposte ou coussinet, quand elle reçoit une ou deux retombées d'arcade. Daviler. (D.J.)

TABLETTE, LA, (Fortification) c'est dans la fortification le revêtement du parapet au-dessus du cordon. (q)

TABLETTE, (ustencile d'ouvriers) la tablette du boulanger est un ais sur lequel il met le pain dans sa boutique.

La tablette du chandelier est une espece de petite table sur laquelle il pose le moule dont il se sert pour faire de la chandelle. (D.J.)

La tablette de la presse d'imprimerie est faite de deux planches de chêne, chacune environ de deux piés de long sur quatre pouces de large & seize à dix-huit lignes d'épaisseur, jointes l'une contre l'autre ; elles sont arrêtées par les deux extrêmités (au moyen de deux especes de chevilles de bois quarrés, qui vont néanmoins un peu en diminuant d'une extrêmité à l'autre ; leur longueur est de cinq à six pouces sur quatre pouces de diametre ; elles servent, & on les appelle aussi clé de la tablette), parce qu'elles entrent avec elles dans des mortaises prises dans l'épaisseur & dans le dedans de chaque jumelle : ces deux planches sont cependant entaillées quarrément dans leur milieu, pour donner passage à la boëte qu'elles entourent dans sa circonférence, & maintiennent dans un état fixe & stable, ainsi que la platine liée aux quatre coins de cette même boëte. Voyez BOETE, PLATINE. Voyez les Planches de l'Imprimerie.

TABLETTE EN CIRE, (Littérat.) en latin tabula cerâ linita ou illita ; on appelle tablettes de cire des feuillets ou planches minces enduites de cire, sur lesquelles on a longtems écrit, à l'exemple des Romains, avec une espece de stile ou de poinçon de métal. Ces sortes de tablettes étoient communément enduites de cire noire, & quelquefois de cire verte, pour l'agrément de la vue. On en faisoit un grand nombre de portatives de différentes grandeurs & largeurs, qu'on renfermoit dans un étui fait exprès, ou dans un coffre, ou même dans un sac.

Toutes ces sortes de tablettes ne sont pas encore perdues ; on en conserve à Paris dans la bibliotheque du roi, dans celle qui étoit au college des Jésuites, dans celle des Carmes déchaux, dans celle de Saint-Germain des prés & de Saint-Victor ; on voit encore des tablettes en cire à Florence & à Genève.

Les tablettes en cire de la bibliotheque du roi sont dans un maroquin rouge doré, & y sont conservées apparemment depuis long-tems, puisque le portefeuille a déja été coté trois fois, premierement 1272, ensuite 5653, & enfin 8727 B. Ce porte-feuille a huit tablettes, toutes enduites de cire noire des deux côtés, excepté une qui ne l'est que d'un côté, & qui est vraisemblablement la derniere du livre. Toutes ces petites planches sont détachées & sans numero. On y distingue cependant le folio recto d'avec le folio verso, par le moyen de la dorure qui est seulement du côté extérieur qu'on regardoit comme celui de la tranche.

Les huit tables dont nous parlons, contiennent les dépenses d'un maître d'hôtel ; mais elles sont assez difficiles à déchiffrer, à cause de la poussiere qui couvre la plûpart des mots. Il y a des articles pro coquinâ, pro pullis, pro avenâ : des articles pour les bains, ad balnea ; tout y est spécifié en latin ; les sommes sont toujours cotées en chiffres romains ; les jours que se sont faites les dépenses, y sont marqués ; ensorte qu'on s'apperçoit qu'il n'y a dans chaque tablette ou feuillet que la dépense de quatre ou cinq jours : ce qui fait que tous les huit ensemble ne renferment que la dépense d'un mois ou environ. L'écrivain n'y nomme jamais le lieu où s'est faite la dépense, non plus que l'année ; mais par la ressemblance pour la grandeur des formes & pour le caractere de l'écriture avec d'autres tablettes, on peut conclure que ces tables de cire sont de la fin du regne de Philippe le hardi. Dans le haut d'une des pages se lit distinctement die lunae, in festo omnium sanctorum : ce qui suffit pour désigner l'an 1283, auquel la toussaint tomba effectivement un lundi ; il y a des pages entieres qui paroissent avoir été effacées en les présentant au feu.

Les tablettes en cire qui étoient au college des Jésuites, forment, comme celles de la bibliotheque du roi, sept ou huit planches dont l'écriture est la même que celles des tablettes dont je vais bientôt parler. Ce sont des comptes de dépenses, autres que pour la bouche, mais toujours pour le roi ou pour la cour. L'année y est marquée simplement par anno LXXXIII. ce qui veut dire, selon les apparences, l'an 1283 ; le comptable fait souvent des payemens à un Marcellus, lequel se trouve nommé fréquemment dans celles que les Carmes conservent, & qui sont certainement de l'année 1284.

Les tablettes écrites en cire, les moins mal conservées, & les plus dignes de l'attention des historiens par rapport au regne de Philippe le hardi, sont celles qui sont renfermées avec les manuscrits de la bibliotheque des Carmes déchaux de Paris. Elles consistent en 12 planches, dont il y en a deux qui contiennent la recette des deniers du roi, & dix autres qui contiennent la dépense. Lorsqu'on a lu les quatre pages de la recette, & qu'on veut lire les vingt pages de la dépense, il est bon de retourner les planches du haut en-bas.

Les tablettes de Saint-Germain des prés sont fort gâtées ; dans les 16 pages qui les composent, & dont les feuillets sont séparés, sans avoir jamais été chiffrés, on apperçoit seulement qu'il y a des dépenses pour les achats de faucons, pour des messagers chargés d'aller présenter des cerfs à tels ou telles personnes ; & d'autres messagers qui acheterent des drogues à Orléans pour l'impératrice de Constantinople qui étoit malade.

Le docteur Antoine Cocchi Muchellani a publié une notice imprimée des tablettes de Florence. Elles contiennent les voyages d'été du roi Philippe-le-bel en 1301 ; & les tablettes de Saint-Victor, dont nous parlerons bientôt, contiennent les voyages d'hiver de la même année. Elles ont été écrites par le même officier qui a rédigé les précédentes, & n'en sont, à ce qu'on dit, qu'une continuation.

M. Cocchi a fait remarquer en général que dans ces tablettes, à chaque jour du voyage, il y a la dépense de la cour en six articles, savoir pour le pain, le vin, la cire, la cuisine, l'avoine & la chambre, & qu'après une traite d'un mois ou environ, le comptable donne l'état du payement des gages des officiers, puis des chevaliers & des valets pendant cet intervalle. Après cela, il continue les différentes stations du voyage ; & afin qu'on pût juger de l'utilité de ces tablettes, il rapporte les noms des officiers, chevaliers & valets qui furent payés, &c. M. Cocchi finit par quelques réflexions sur l'usage où l'on étoit alors d'user d'eau rose & de grenade après le repas, & cela à l'occasion de quelque dépense de cette nature.

Les tablettes de Saint-Victor ont été écrites par le même officier qui a rédigé les précédentes, & n'en sont qu'une continuation ; elles renferment 26 pages.

Les tablettes que la ville de Genève possede, sont des planches fort minces de la grandeur d'un in-folio, enduites de cire noire. Elles contiennent la dépense journaliere de Philippe-le-bel durant six mois, & la suite de celle de Saint-Germain des prés, ce qui forme onze pages. Les savans de Genève ont pris la peine de les déchiffrer, & d'en publier la notice dans la bibliotheque raisonnée, tome XXVIII. Ils en ont aussi communiqué une copie très-exactement figurée à M. Schoeflin, membre de l'académie des Inscript. de Paris.

Ces tablettes postérieures à celles de Saint-Victor de 6 ou 7 ans, comprennent les articles des sommes payées à ceux qui apportoient des présens au roi, des aumônes distribuées dans les lieux de son passage aux pauvres, à des religieux ou religieuses, à des gens qui venoient de tous côtés pour être guéris de ce qu'ils appelloient morbus regis (des écrouelles), de la dépense pour les funérailles des officiers qui mouroient sur la route, des sommes données à l'abbaye de S. Denis pour des anniversaires, aux hôpitaux des lieux par où la cour passoit, à certains officiers, lorsque cela étoit d'usage, outre leurs gages, pour l'achat de chevaux en place de ceux qui mouroient : d'autres sommes pour les offrandes que le roi & les princes, ou la reine, faisoient aux églises qu'ils visitoient : pour celles qu'ils employoient aux jeux : les sommes à quoi étoient évaluées les dixmes, soit du pain seul, soit du pain & du vin que le roi s'obligeoit de payer à quelques monasteres voisins des lieux où il s'arrêtoit pour les repas, suivant d'anciennes concessions : le payement des gages des nouveaux chevaliers, à mesure que le roi en créoit dans ses voyages, & le coût du cheval, ou au-moins du frein doré dont il leur faisoit présent. En général les tablettes de Genève paroissent très-instructives, & il seroit à souhaiter qu'on en eût conservé beaucoup d'autres de ce genre.

On peut tirer plusieurs utilités de ces sortes de tablettes, par rapport à d'anciens usages de la cour, du prince, ou de la nation, comme aussi pour la vérification de certaines époques, sur lesquelles on n'a pas de monumens plus certains. On y trouve avec plaisir le prix de diverses choses de ce tems-là ; par exemple, dans les tablettes en cire de Genève on voit que le cheval de somme & le roussin étoient payés 8 liv. le palfroi 10 liv. le cheval de trait simplement appellé equus, 12, 14 & 16 liv. un grand cheval (sans-doute de bataille) fut payé 32 liv. Le sieur de Trie pour avoir employé 24 jours en son voyage d'Angleterre, demanda 150 liv. mais pour son palfroi & deux roussins qui étoient morts, il requit 120 liv. ce qui faisoit alors une somme fort considérable. On accorde à un valet du roi 2 sols 6 deniers pour ses gages par jour, & au cuisinier le double : ce qui est fort cher, si l'on évalue l'argent d'alors à celui de nos jours.

L'article des aumônes de nos rois forme dans les tablettes de Genève plus de trois grandes pages in-fol. parce qu'on y marquoit le nom, la qualité & le pays des personnes auxquelles elles se faisoient. Mais ce qui mérite d'être observé dans ce détail, c'est qu'on y apprend que les malades qui étoient alors affligés des écrouelles, venoient trouver le roi de toutes les provinces du royaume, & même d'Espagne & d'Italie.

Il n'est pas à présumer que ces gens accourussent de si loin, seulement pour avoir 20 ou 30 sols qu'on leur donnoit en aumône, mais apparemment parce que Philippe-le-bel les touchoit, quelque jour que ce fût, & sans se faire attendre. Voyez ECROUELLES.

Remarquons encore qu'on qualifioit du titre d'aumône, per elemosynam, tout ce qui se donnoit gratuitement. En vertu de cet usage, l'écrivain de ces mêmes tablettes marque au jeudi 29 Novembre 1308, que ce jour-là, le roi étant à Fontainebleau, Pierre de Condé, clerc de sa chapelle, reçut huit livres, per elemosynam.

Le pere Alexandre, dominicain, voulant établir que la tradition des Provençaux sur la possession du corps de la Magdelaine est très-ancienne, se sert d'une inscription écrite sur une petite tablette enduite de cire, & pour donner du poids à cette inscription, il dit qu'elle est du ve. siecle de Jesus-Christ, parce qu'on n'a point écrit sur la cire depuis ce siecle-là. M. l'abbé Lebeuf, dans un mémoire sur cette matiere, inséré dans le recueil de l'académie des Belles-Lettres, & dont nous venons de profiter, prouve invinciblement contre le dominicain, que l'usage d'écrire sur des tablettes de cire, loin d'avoir cessé avec le v. siecle, a été pratiqué plus ou moins dans tous les siecles suivans, & même dans le dernier siecle.

L'abbé Chatelain de Notre-Dame de Paris témoigne qu'en 1692 les tables du choeur de S. Martin de Savigny, au diocèse de Lyon, qui est une maison d'anciens religieux de Clugny, étoient de cire verte, & qu'on écrivoit dessus avec un stilet d'argent. La même chose est attestée pour la fin du même siecle, à l'égard de la cathédrale de Rouen, par le sieur de Brun des Marettes, auteur du voyage liturgique composé alors, & imprimé en 1718, à la réserve qu'on n'écrivoit le nom des officiers qu'avec un simple poinçon. Peut-être que cet usage ne subsiste plus aujourd'hui à Rouen ; mais il y étoit encore en vigueur en 1722 ; car M. Lebeuf y vit alors les officiers de la semaine courante in tabulis sur de la cire. Les Romains s'en servoient à d'autres usages, & presque toujours pour les lettres qu'ils écrivoient à table, souvent entre les deux services, au sénat, au théâtre, en voyage dans leurs litieres, &c. Ils nommoient ces petites planches ou tablettes enduites de cire, codicillos. Cicéron les employoit volontiers pour ses billets à Atticus. (D.J.)

TABLETTES, (Hist. anc. & mod.) les tablettes que nous employons pour écrire, sont une espece de petit livre qui a quelques feuilles d'ivoire, de papier, de parchemin préparé, sur lesquelles on écrit avec une touche, ou un crayon, les choses dont on veut se souvenir.

Les tablettes des Romains étoient presque comme les nôtres, excepté que les feuillets étoient de bois, dont elles eurent le nom de tabellae, c'est-à-dire, parvae tabulae ; elles contenoient deux, trois, ou cinq feuillets ; & selon le nombre de ces feuillets, elles étoient appellées diptycha, à deux feuillets ; triptycha, à trois feuillets ; penteptycha, à cinq feuillets ; celles qui avoient un plus grand nombre de feuillets se nommoient polyptycha, d'où nous avons fait puletica, des poulets, terme dont on se sert encore pour dire des lettres de galanterie, des lettres d'amour. Les anciens écrivoient ordinairement les lettres d'amour sur des tablettes, & la personne à qui on avoit écrit la lettre amoureuse, faisoit réponse sur les mêmes tablettes, qu'elle renvoyoit, comme nous l'apprenons de Catulle, ode 43. (D.J.)

Maniere de faire les tablettes blanches pour écrire avec un poinçon de cuivre. Prenez du gypse criblé & passé par le tamis ; détrempez-le avec de la colle de cerf, ou autre, & en donnez une couche sur les feuilles de parchemin ; quand elle sera seche, vous la raclerez pour la rendre unie & polie ; puis vous donnerez encore une couche comme dessus, & raclerez une seconde fois, après quoi, avec de la céruse bien broyée & tamisée, détrempée dans l'huile de la graine de lin cuite, vous oindrez lesdites tablettes, & les laisserez sécher à l'ombre pendant cinq ou six jours ; cela fait, avec un drap ou linge un peu mouillé, vous les frotterez & unirez ; cela fait, lorsqu'elles auront encore seché dix-huit ou vingt jours, elles seront faites.

TABLETTES de bibliotheque, (Antiq. rom.) les latins appelloient pegmata, ou platei, les tablettes des bibliotheques, sur lesquelles on plaçoit les livres.

Cicéron écrit à Atticus, ep. 8. l. IV. en lui parlant de sa bibliotheque : la disposition des tablettes est très-agréable, nihil venustius quam illa tua pegmata. On avoit coutume de ranger dans un même lieu tous les ouvrages d'un auteur, avec son portrait. Quant au terme plutei, Juvenal s'en est servi dans la seconde satyre, vers 7. où il se moque de ceux qui veulent paroître savans, par la beauté & la grandeur d'une bibliotheque : car, dit-il, entr'eux, celui-là passe pour le plus savant, dont la bibliotheque est ornée d'un plus grand nombre de figures d'Aristote & de Pittacus.

Nam perfectissimus horum est

Si quis Aristotelem similem, vel Pittacon emit,

Et jubet archetypos pluteum servare cleanthas.

(D.J.)

TABLETTE, s. f. ouvrage de Tabletier, petit meuble proprement travaillé, composé de deux ou plusieurs planches d'un bois léger & précieux, qui sert d'ornement dans les ruelles, ou dans les cabinets, particulierement des dames, & sur lequel elles mettent des livres d'usage journalier, des porcelaines, & des bijoux de toutes sortes. C'est de ces especes de tablettes qu'une communauté des arts & métiers de Paris a tiré son nom.

TABLETTE, (Pharm.) médicament interne, sec, de différentes figures, composé de différentes matieres, qui, à l'aide du sucre dissout & cuit, prend une forme solide & cassante : on voit par-là en quoi il differe du trochisque.

La matiere est ou excipiende ou excipiente.

L'excipiende est presque tout ce qui entre dans l'électuaire, tant les excipiens, que les excipiendes.

L'excipiente est toujours le meilleur sucre dissous, dans une liqueur appropriée, aqueuse, & cuit à consistance convenable.

Le choix demande quelques particularités.

Il faut que le remede dont il s'agit, soit solide & cassant, cohérent sans être visqueux, qu'il se fonde aisément dans la bouche, & qu'il ne soit pas désagréable à prendre.

Ainsi on ne doit guere y faire entrer les gommes, les extraits, les sucs épais, les terreux gras, & autres semblables qui donnent trop de ténacité.

Ce n'est pas ici non plus le lieu des matieres qui ont une saveur ou une odeur désagréable, parce que le remede doit ou se fondre dans la bouche, ou être mâché.

On ne fait point usage ici de sels, sur-tout de ceux qui se fondent, ou qui s'exhalent : on employe les poudres grossieres, mais qui sont molles ; point d'acides fossiles, ils empêcheroient le sucre de se coaguler.

On doit éviter les noyaux qui sont remplis d'une huile qui se corrompt facilement, si le malade doit user du remede pendant longtems. La tablette étant solide on peut y faire entrer des remedes très-puissans, & qui même pesent beaucoup, pourvû que le mêlange soit bien exact.

On peut donner une bonne odeur au remede, en y mettant un peu d'ambre, de musc, de civette, ou bien lorsque la masse est congelée, en la frottant avec des liqueurs qui sentent bon, comme des huiles essentielles, des essences odoriférantes, &c. On peut aussi lui donner une couleur gracieuse, en répandant dessus, un peu avant qu'elle se refroidisse, des feuilles d'or ou d'argent, ou bien des fleurs de différentes couleurs hachées bien menues. Le nombre des ingrédiens doit être en petite quantité ; l'ordre est le même que dans les trochisques, & dans les pilules, quoique souvent il ne s'accorde pas avec celui de la préparation.

La figure est indifférente, comme elle ne fait ni bien ni mal à la vertu du remede, on peut en laisser le choix à l'apoticaire : car, ou lorsque la masse est prête à se geler, on la verse dans une boëte pour qu'elle en prenne la figure, & c'est ce qu'on appelle pandaléon ; ou bien l'ayant versée, soit toute entiere, soit par parties, sur un plan, on la forme en petites masses, en maniere de quarrés oblongs, de rhombe, &c.

La masse de la tablette se détermine très-rarement par les poids, ou par les mesures. Elle n'est pas si limitée, qu'elle ne puisse bien aller depuis une drachme jusqu'à demi-once.

La dose s'ordonne par le nombre, par exemple, suivant que les tablettes sont plus grandes ou plus petites ; par morceaux, quand la masse n'est pas divisée ; par le poids, quand on y fait entrer des ingrédiens efficaces, & alors la dose est plus grande ou plus petite, selon la force & la proportion de ces ingrédiens : elle ne va cependant guere au-delà d'une once.

La quantité générale, quand elle est au-dessous de quatre onces, ne se prépare pas commodément. Si cependant on se sert des tablettes officinales, on n'en prescrit qu'autant qu'il en est besoin pour peu de jours.

La proportion des ingrédiens excipiendes entr'eux, se détermine facilement, en ayant égard à la nature de chacun, au but qu'on se propose, aux précautions indiquées ; celle de l'excipient à l'égard des excipiendes, se connoît par ce qui suit.

En général, on employe fort bien le quadruple, ou le sextuple de sucre, à raison des excipiendes.

Il faut avoir égard à la pesanteur spécifique, & à la consistance des excipiendes. Ceux qui sont très-legers par rapport à leur grand volume, demandent une quantité plus considérable d'excipient ; ceux qui sont secs, durs, poreux, joints avec une petite quantité de sucre, deviennent presque aussi durs que la pierre.

Si les excipiendes contiennent en eux-mêmes du sucre, on doit diminuer la quantité de l'excipient au prorata ; ce qu'il faut observer pour les conserves, les condits, &c. cependant on laisse à l'apoticaire à déterminer la quantité de sucre, excepté quand on veut que la dose soit pesée, parce qu'il en coute peu de lever tous les doutes.

La souscription. On laisse à l'apoticaire la maniere & l'ordre de la préparation : on indique aussi, si bon semble, de quelle liqueur on doit arroser la masse, & si on doit l'orner avec des feuilles d'or, ou de petites fleurs : on mentionne quelquefois le poids que doit avoir chaque tablette.

Le sucre fait qu'on n'a pas besoin de véhicule ; le but détermine le tems & la maniere d'user du remede, on le mâche, ou on le laisse fondre dans la bouche peu-à-peu.

On donne quelquefois sous la forme de tablettes les purgatifs, les antivermineux, les stomachiques, les carminatifs, les antiacides, les antiglutineux, les aphrodisiaques, les alexipharmaques, les béchiques. Cette forme est d'ailleurs utile pour l'usage domestique, & pour les voyageurs ; elle est commode pour faire prendre bien des remedes aux enfans & aux gens délicats ; mais elle ne convient pas dans les cas où il faut que l'action soit prompte, ni à ceux qui ont de la répugnance pour les choses douces. (D.J.)


TABLETTERIES. f. (Art méchan.) art de faire des ouvrages de marqueterie, des pieces curieuses de tour, & autres semblables choses, comme des trictracs, des dames, des échecs, des tabatieres, & principalement des tablettes agréablement ouvragées, d'où cet art a pris sa dénomination. (D.J.)


TABLIERS. m. terme de Lingere, morceau de toile fine, baptiste ou mousseline, ourlé tout-au-tour, & embelli quelquefois de dentelle, avec une ceinture en-haut, & une bavette que les dames mettent devant elles. Il y a de ces tabliers bordés, d'autres lacés, & d'autres bouillonnés, tous agrémens faits de rubans de couleurs, autrefois à la mode. Il y a des tabliers de taffetas qui sont tout unis ; il y en a de toile commune, de serge pour les femmes du petit peuple, & de toile grossiere pour les cuisinieres. (D.J.)

TABLIER, en terme de Batteur d'or, c'est une peau clouée à la table de la pierre, que le batteur avance sur ses genoux, pour y recevoir les parcelles d'or qui s'échappent de dessous le marteau.

TABLIER, ustencile de Boyaudiers, qui leur sert à garantir leurs hardes.

Les boyaudiers ont trois sortes de tabliers, qu'ils mettent les uns par-dessus les autres ; le premier est appellé simplement tablier ; il est fait de grosse toile qui sert simplement à garantir leurs hardes.

Le second est appellé le tablier poissé ; il se met par dessus le premier, & sert à le garantir ; on l'appelle poissé, parce qu'il reçoit une partie de l'ordure qui passe à-travers le troisieme.

Le troisieme est le tablier à ordure ; il se met pardessus le second, & c'est lui qui reçoit toute l'ordure & la saleté qui sort des boyaux.

Ces trois tabliers sont faits de grosse toile forte, & s'attachent au-tour des reins avec des cordons ; ils descendent jusqu'au coup de pié.

TABLIER DE CUIR, des Cordonniers, Savetiers, est une peau de veau qui a un licol pour retenir la bavette, & une ceinture que l'ouvrier attache au-tour de lui. Voyez la Planche du Cordonnier bottier.

TABLIER, terme d'Ebeniste, table divisée en soixante-quatre carreaux blancs & noirs, sur lesquels on joue aux échecs, aux dames, & à d'autres jeux : on dit aujourd'hui damier ; mais le mot tablier est bien ancien, car nous lisons dans Joinville, que le roi ayant appris que le comte d'Anjou, son frere, jouoit avec messire Gautier de Nemours, " il se leva, & alla tout chancelant, pour la grande foiblesse de la maladie qu'il avoit, & quand il fut sur eux, il print les dez & les tables, & les gesta en la mer, se courroussant très-fort à son frere, de ce qu'il s'estoit sitoust prins à jouer au dez, & que autrement ne lui souvenoit plus de la mort de son frere, le comte d'Artois, ne des périls desquels notre Seigneur les avoit délivrés ; mais messire Gautier de Nemours en fut le mieux payé, car le roi gesta tous ses deniers, qu'il vit sur les tabliers, après les dez & les tables, en la mer ". Dict. du Commerce. (D.J.)

TABLIER DE TYMBALE, terme de Tymbalier, c'est le drapeau ou la banderolle en broderie d'or & d'argent, qui est autour des tymbales, & qui les enveloppe. Il y a un pareil drapeau, mais plus petit, qui pend aux trompettes militaires, & ce drapeau se nomme banderolle. (D.J.)

TABLIER, (Comm.) terme usité en Bretagne, particulierement à Nantes, pour signifier un bureau, ou recette des droits du roi.

TABLIER, on nomme aussi à la Rochelle droit de tablier & prevôté, un droit de quatre deniers par livres de l'évaluation des marchandises sortant par mer de cette ville pour les pays étrangers, & la Bretagne seulement. Voyez PREVOTE. Dict. du Comm.


TABLINUMS. m. (Littér.) les auteurs donnent des significations différentes à ce mot tablinum ; les uns disent que c'est un lieu orné de tableaux, les autres un lieu destiné à serrer des titres & papiers, & d'autres enfin prétendent que c'est simplement un lieu lambrissé de menuiserie & de planches. (D.J.)


TABLOUINS. m. (terme d'Artillerie) planche ou madrier dont est faite la plate-forme où l'on place les canons que l'on met en batterie. Les tablouins soutiennent les roues des affuts, & empêchent que la pesanteur du canon ne les enfonce dans les terres. On fait un peu pancher cette plate-forme vers le parquet, afin que le canon ait moins de recul, & qu'il soit plus aisé de le remettre en batterie. (D.J.)


TABOGA(Géog. mod.) île de la mer du Sud, dans la baie de Panama. Elle a trois milles de long sur deux de large, & appartient aux Espagnols ; son terroir est en partie aride, & en partie couvert d'arbres fruitiers, sur-tout de cacaotiers. Latit. mérid. 1. (D.J.)


TABONS. m. (Hist. nat. Ornithol.) nom donné par les habitans des îles Philippines à un oiseau qu'on appelle ailleurs dai, & qui est remarquable pour la grosseur des oeufs qu'il pond ; mais tout ce que le pere Nieremberg dit de cet oiseau est purement fabuleux. (D.J.)


TABOOE(Géog. anc.) ville d'Asie, dans les montagnes de la Parétacene, sur les frontieres de la Perse & de la Babylonie, suivant Quinte-Curce & Strabon.


TABORITESS. m. p. (Hist. ecclés.) branche ou secte d'anciens Hussites. Voyez HUSSITES.

Vers la fin du quinzieme siecle, les Hussites s'étant divisés en plusieurs sectes, il y en eut une qui se retira sur une petite montagne située en Bohème, à 15 lieues de Prague, se mit sous la conduite de Zisca, se bâtit un fort ou château, & lui donna le nom de Tabor, soit par rapport à ce que le mot thabor signifie en esclavon, un château, soit par allusion à la montagne de Tabor, dont il est fait mention dans l'Ecriture ; quoi qu'il en soit, c'est de-là qu'ils ont été appellés Taboristes.

Ces sectaires pousserent la prétendue réformation plus loin que Jean Huss ne l'avoit fait lui-même ; ils rejetterent le purgatoire, la confession auriculaire, l'onction dans le Baptême, la transubstantiation, &c.

Ils réduisirent les sept sacremens de l'église romaine à quatre ; savoir le Baptême, l'Eucharistie, le Mariage & l'Ordination.

Ils soutinrent hardiment la guerre contre l'empereur Sigismond ; le pape Martin V. fut obligé de publier contr'eux une croisade, qui ne produisit aucun effet. Cependant leur château de Tabor fut assiégé en 1458 par Pogebrac, roi de Bohème, & chef des Calixtins. Les Taboristes, après un an entier de résistance, furent emportés d'assaut & passés au fil de l'épée sans en excepter un seul ; la forteresse fut ensuite rasée.


TABOTS. m. (Hist. mod.) c'est ainsi que l'on nomme, chez les Ethiopiens, une espece de coffre qui sert en même tems d'autel sur lequel leurs prêtres célebrent la messe. Ils ont la plus grande vénération pour ce coffre, dans l'idée que c'est l'arche d'alliance conservée dans le temple de Jérusalem, mais qui, suivant eux, fut enlevée furtivement par des missionnaires juifs, qui furent envoyés en Ethiopie par le roi Salomon pour instruire les peuples dans la loi du vrai Dieu. Les Abyssins, quoique convertis au christianisme, conservent toujours le même respect pour le tabot. Le roi lui-même n'a point la permission de le voir. Ce coffre est porté en grande cérémonie par quatre prélats qui sont accompagnés de beaucoup d'autres ; on dépose le tabot sous une tente qui sert d'église dans les camps où le roi fait sa demeure ordinaire. Les missionnaires portugais ayant voulu soumettre les Abyssins au siege de Rome, tâcherent de se rendre maîtres de cet objet de la vénération du pays. Mais des moines zélés le transporterent secrettement dans des endroits inaccessibles, d'où le tabot ne fut tiré qu'après l'expulsion des missionnaires catholiques, que l'on avoit trouvés trop entreprenans.


TABOURETS. m. (Hist. nat. Botan.) je ne sais pourquoi ce genre de plante est ainsi appellé. Il est mieux nommé bourse, ou malette à berger. Tournefort en compte cinq especes, dont nous décrirons la principale, bursa pastoris major, folio sinuato, I. R. H. 216. en anglois : the great shepherd's-purse.

Sa racine est blanche, droite, fibreuse, menue, d'une saveur douçâtre, & qui cause des nausées ; sa tige est haute d'une coudée, quelquefois unique, partagée en des rameaux situés alternativement. Ses feuilles inférieures sont quelquefois entieres, mais le plus souvent découpées profondément des deux côtés, & sans découpures.

Les fleurs naissent dans une longue suite au sommet des rameaux ; elles sont petites, en croix, ou composées de quatre pétales arrondis, blancs, & de quelques étamines chargées de sommets jaunes : leur calice est aussi partagé en quatre parties ; le pistil se change en un fruit applati, long de trois lignes, en forme de coeur, ou semblable à une petite bourse un peu large. Il est partagé en deux loges par une cloison mitoyenne, à laquelle sont attachés des panneaux de chaque côté ; ces loges renferment de très-petites graines, de couleur fauve, ou roussâtre.

Cette plante vient sur les vieilles décombres, le long des chemins, & dans les lieux incultes & deserts. Elle est toute d'usage ; on lui donne des vertus vulnéraires, astringentes, rafraîchissantes, & presque spécifiques dans l'épuisement de sang ; on la prescrit par ces raisons dans les diarrhées, les dyssenteries & le pissement de sang ; on en applique le suc sur les plaies récentes pour resserrer les vaisseaux & prévenir l'inflammation. (D.J.)

TABOURET, s. m. (Econ. dom.) placet, siege quarré qui n'a ni bras, ni dossier.

Droit de tabouret, en france, est le privilege dont jouissent les princesses & duchesses, & qui consiste à s'asseoir sur un tabouret en présence de la reine.

TABOURET, (Charpent.) espece de lanterne garnie de fuseaux en limande, à l'usage des machines pour puiser les eaux dans les carrieres.


TABOURINS. m. terme de galere ; c'est un espace qui regne vers l'arbre du trinquet, & vers les rambades, d'où se charge l'artillerie, & d'où l'on jette en mer les ancres. A la pointe de cet endroit est l'éperon qui s'avance hors le corps de la galere, soutenu à côté par deux pieces de bois qui s'appellent cuisses.


TABRAS. m. (Superstition) c'est le nom d'un rocher qui se trouve en Afrique, sur la côte du cap, & contre lequel les barques des negres font souvent naufrage ; c'est pour cette raison que les habitans en ont fait une divinité ou un fétiche, auquel ils offrent des sacrifices & des libations, qui consistent à lui immoler une chevre dont on mange une partie, & dont on jette le surplus dans la mer ; cependant un prêtre, par des contorsions ridicules & des invocations, prétend consulter le dieu pour savoir les momens qui seront favorables pour la navigation, & il se fait récompenser de la peine par les matelots qui lui font quelques présens.


TABROUBAS. m. (Hist. nat. Botan.) fruit qui croît à Surinam sur un grand arbre de même nom, dont les fleurs sont d'un blanc verdâtre. A ces fleurs succede un fruit qui renferme des graines blanches semblables à celles des figues. On en tire un suc qui devient noir au soleil, & qui fournit aux Indiens une teinture pour se peindre le corps. Des branches de cet arbre il sort un suc laiteux fort amer, dont les sauvages se frottent la tête pour écarter les insectes incommodes.


TABUDA(Géog. anc.) fleuve de la Gaule belgique. Ptolémée, liv. II. ch. jx. le marque dans le pays des Marini, entre Gessoriacum-navale, & l'embouchure de la Meuse. On le nomme aujourd'hui l'Escaut, selon M. de Valois. Dans le moyen âge on l'appella par corruption Tabul & Tabula.


TABULAE NOVAE(Antiq. rom.) c'est-à-dire nouveaux régistres ; c'étoit le nom d'un plébiscite qui se publioit quelquefois dans la république romaine, & par lequel toutes sortes de dettes généralement étoient abolies, & toutes obligations annulées. On l'appelloit tabulae, tablettes, parce qu'avant qu'on se servît du papyrus ou du parchemin, pour écrire les actes, on les gravoit avec un petit stile sur de petites tablettes de bois mince enduites de cire. Ce nom latin tabulae demeura même à tous les actes publics, après qu'on eut cessé de les graver sur des plaques de cuivre, & lorsqu'on les écrivit sur du parchemin & sur du papier. On appelloit l'édit du peuple romain tabulae novae, parce qu'il obligeoit de faire de nouvelles tablettes, de nouveaux registres pour écrire les actes, les créanciers ne pouvant plus se servir de leurs anciens contrats d'obligation. Aulu-Gelle, liv. IX. c. vj. (D.J.)

TABULAE, NOMINA, PERSCRIPTIONES, (Littérat.) tabulae, chez les Romains, étoient leurs livres de comptes, sur lesquels ils écrivoient les sommes qu'ils prêtoient, ou qu'ils empruntoient sans intérêt, ou pour lesquelles ils s'obligeoient. Nomina signifie proprement les sommes empruntées sans intérêt. Perscriptiones est à-peu-près la même chose que nos billets payables au porteur. Ainsi ces trois mots désignent les livres de compte des Romains, les sommes qu'ils prêtoient ou empruntoient sans intérêt, & leurs billets payables au porteur, soit que lesdits billets fussent à intérêt, ou sans intérêt. (D.J.)

TABULAE, TABULARII, TABULARIA, (Littér. & Inscrip. rom.) tabulae, contrat qu'on passe ; tabularii, sont les notaires chez qui on passe les contrats : tabularia sont les greffes où l'on déposoit les minutes. Il y avoit à Rome un tabularium de l'état, où étoient déposés les titres, actes & monumens touchant les biens publics, comme domaines, droits de port, impositions, & autres revenus de la république. Ce dépôt étoit dans une salle du temple de la Liberté. " Le sage cultivateur, dit Virgile, Géorg. liv. II. borné à cultiver le fruit de ses vergers, & les dons de la terre libérale, ne connoît ni le greffe du dépôt public, ni la rigueur des loix, ni les fureurs du barreau :

Nec ferrea juga

Insanumque forum, aut populi tabularia vidit ".

(D.J.)


TABULARIUM(Ant. rom.) on nommoit ainsi le dépôt au greffe de Rome, où étoient les titres, actes & monumens touchant les biens publics, comme domaines, droits de port, impositions & autres revenus de la république. Ce dépôt étoit dans une salle du temple de la Liberté. (D.J.)


TABULCHANAS. m. (Hist. mod.) c'est ainsi qu'on nomme chez les Turcs l'accompagnement ou le cortege militaire que le sultan accorde aux grands officiers qui sont à son service. Le tabulchana du grand visir est composé de neuf tambours, de neuf fifres, sept trompettes, quatre zils, ou bassins de cuivre qu'on heurte les uns contre les autres, & qui rendent un son aigu & perçant. On porte devant lui trois queues de cheval tressées avec art. Un étendard de couleur verte, nommé alem, & deux autres étendards fort larges, qu'on nomme bairak. Les autres bachas n'ont point un tabulchana si considérable ; ils ne font porter devant eux que deux queues de cheval avec les trois étendards. Un beg n'a qu'une seule queue de cheval avec les étendards. Les officiers inférieurs n'ont qu'un sanjak, ou étendard, & ils ne font point porter la queue de cheval devant eux. Voyez Cantemir, hist. ottomane.


TABURNE(Géog. anc.) Taburnus ; montagne d'Italie dans le Samnium, au voisinage de Caudicum, ce qui lui a fait donner le surnom de Caudinus. Vibius Sequester, en parlant de cette montagne dit, Taburnus Samnitum olivifer. Gratius, Cyneget, vers. 5. 8. néanmoins ne la décrit pas comme une montagne agréable & chargée d'oliviers, mais comme une montagne hérissée de rochers.

Veniat Caudini saxa Taburni

Dardanumque trucem, aut Ligurias desuper Alpes.

Le sentiment de Vibius est appuyé du témoignage de Virgile.

Juvat Imara Baccho

Conserere, atque oleo magnum vestire Taburnum.

Tout cela se concilie ; une partie de cette montagne pouvoit être fertile, & l'autre hérissée de rochers. (D.J.)


TABUTS. m. (Langue gauloise) ce vieux mot signifie selon Nicot, querelle, débat, vacarme, tracas. Il se trouve dans Cotgrave & dans Montagne. Il n'y a pas longtems, dit ce dernier, que je rencontrai l'un des plus savans hommes de France, entre ceux de non médiocre fortune, étudiant au coin d'une salle, qu'on lui avoit rembarrée de tapisserie, & autour de lui un tabut de ses valets plein de licence.


TACon donne ce nom à la salamandre aquatique, dans diverses provinces de France. Voyez SALAMANDRE.


TACAHAMACAS. m. (Hist. des drog. Exot.) nommé par les Médecins tacamahaca, est une substance résineuse, seche, d'une odeur pénétrante, dont on connoît deux especes dans les boutiques de droguistes & d'apoticaires.

L'une qui est plus excellente, s'appelle communément tacahamaca sublimé ou en coque ; c'est une résine concrete, grasse cependant, & un peu molle, pâle, tantôt jaunâtre, tantôt verdâtre ; que l'on couvre de feuilles, d'une odeur aromatique ; pénétrante, suave, qui approche de celle de la lavande, & de l'ambre gris ; d'un goût résineux & aromatique ; mais elle est très-rare.

L'autre espece est la tacamahaca vulgaire, qui est en grains, ou en morceaux blanchâtres, jaunâtres, roussâtres, verdâtres, ou de différentes couleurs, à demi transparens, d'une odeur pénétrante, approchante de celle de la premiere espece, mais moins agréable. Les Espagnols l'ont apportée les premiers de la nouvelle Espagne en Europe, où auparavant elle étoit entierement inconnue. On en recueille aussi dans d'autres provinces de l'Amérique, & dans l'île de Madagascar.

L'arbre d'où découle cette résine, ou par elle-même, ou par incision que l'on fait à son écorce, s'appelle arbor populo similis, resinosa, altera, C. B. P. 430. Tecomahaca, dans Hernandès, 55. Tacamahaca foliis crenatis, lignum ad ephippia conficicienda aptum, dans Pluk. Phyt.

C'est un grand arbre qui ressemble un peu au peuplier, & qui a beaucoup d'odeur. Ses feuilles sont médiocres, arrondies, terminées en pointe & dentelées. Les auteurs que nous avons cités ne font aucune mention de ses fleurs. Ses fruits naissent à l'extrêmité des mêmes branches, ils sont petits, arrondis, de couleur fauve, & renferment un noyau qui differe peu de celui de la pêche.

Il découle naturellement de cet arbre des larmes résineuses, pâles, qui par leur odeur, & la finesse de leurs parties, donnent la bonne tacahamaca ; mais le suc résineux qui découle des incisions de l'écorce, prend différentes couleurs, selon les différentes parties de l'écorce sur lesquelles il se répand ; étant épaissi par l'ardeur du soleil, il forme des morceaux de résine, tantôt jaune, tantôt roussâtre, & tantôt brune, & panachée de paillettes blanchâtres : on préfere avec raison la premiere tacahamaca ; on ne les employe l'une ou l'autre qu'extérieurement, pour résoudre & faire mûrir les tumeurs, ou pour appaiser la passion hystérique, en appliquant des emplâtres sur le nombril. (D.J.)


TACATALPO(Géog. mod.) ville de l'Amérique septentrionale, dans la nouvelle Espagne, au gouvernement de Tabasco, sur la riviere de ce nom, à trois lieues au-dessus de Halpo. Elle a dans son terroir une espece de cacao blanc, qu'on ne trouve point ailleurs, & qui fait le chocolat beaucoup plus mousseux que le cacao ordinaire. (D.J.)


TACATUA(Géog. anc.) ville de l'Afrique propre, sur la côte, entre Rusicades & Hippone. Ptolémée, l. IV. c. iij. Le P. Hardouin dit que le nom moderne est Mahra. (D.J.)


TACAZE(Géogr. mod.) ou Tagaze, petite ville d'Afrique au royaume de Fez, sur le bord de la riviere de son nom, à une demi-lieue de la Méditerranée. Cette ville fut bâtie par les anciens africains ; ses habitans vivent de pain d'orge, de sardines ou autres poissons, & de quelques herbes potageres. (D.J.)

TACAZE ou TAGAZE, (Géog. mod.) riviere considérable d'Abyssinie. Elle a sa source dans les montagnes qui séparent les royaumes d'Angoste & de Bégameder, & tombe enfin dans le Nil du côté de l'orient.

La riviere de Tacaze grande comme la moitié du Nil, pourroit bien être l'Astaboras des anciens ; c'est l'opinion de Jean de Barros, le Tite-Live des Portugais : & c'est aussi le sentiment de M. Delisle, par deux raisons. La premiere, dit-il, est que selon les jésuites qui ont été en Ethiopie, elle entre dans le Nil à dix-sept degrés & demi de latitude, qui est à quelques minutes près, la même hauteur que Ptolémée donne à l'embouchure de l'Astaboras, 700 stades au-dessus de la ville Méroé, comme on voit par Strabon, par Diodore & autres.

La seconde chose qui fait croire à M. Delisle que la Tacaze est le même que l'Astaboras, est que cette riviere s'appelle autrement Atbara, comme on le voit par le rapport des scheiks de Nubie, & par celui d'un récollet qui a passé cette riviere en allant en Ethiopie. Or les noms d'Atbara & d'Astaboras ne sont pas fort différens. Il suppose que l'Atbara est son véritable nom, & que les Grecs l'ont altéré comme ils ont fait tant d'autres mots ; puisque cela arrive encore très-souvent à ceux qui sont obligés d'employer des noms étrangers dans leurs écrits. Mém. de l'académ. royal. des Scienc. ann. 1708. pag. 371. (D.J.)


TACETS. m. terme latin qu'on employe dans la Musique, pour indiquer le silence. Quand, dans le cours d'un morceau de musique, on a des mesures à compter, on les marque avec des bâtons & des pauses. Mais quand quelque partie doit garder le silence durant un morceau entier, on indique cela par le mot tacet, écrit au-dessous du nom de l'air, ou des premiers mots du chant. (S)


TACHA(Géog. mod.) ville du royaume de Bohème, aux confins du haut-Palatinat, sur la riviere de Mies. Ziska, chef des Hussites, la prit d'assaut en 1427, & y mit garnison. Long. 30. 42. latit. 49. 55. (D.J.)


TACHAN(Géog. mod.) ville du royaume de Tunquin, située dans une plaine vis-à-vis d'une île de même nom, laquelle est couverte d'oiseaux qui viennent s'y retirer dans les grandes chaleurs.


TACHARI(Géog. anc.) peuples d'Asie, dans l'Hyrcanie. Selon Strabon, l. XI. pag. 511. ils étoient Nomades, & ils furent du nombre de ceux qui chasserent les Grecs de la Bactriane. Ortelius croit que ce sont les Tachori que Ptolémée, l. VI. c. xij. place dans la Sogdiane, contrée voisine. (D.J.)


TACHETâCHE, s. f. (Lang. franç.) la prononciation détermine le sens de ces deux mots, qui signifient deux choses toutes différentes. Le premier veut dire une marque, une impression étrangere qui gâte quelque chose ; & le second, un ouvrage que l'on doit finir dans un certain tems, soit par devoir, soit pour de l'argent. La premiere syllabe du premier mot est breve ; on allonge au contraire la premiere syllabe du second mot, & l'on y met un accent circonflexe. Ménage avoue qu'il ignore l'origine du mot tache ; mais Caseneuve a remarqué qu'autrefois on s'en servoit pour exprimer les bonnes & les mauvaises qualités d'un homme, ou d'une bête. L'ancienne chronique de Flandres, parlant de Marguerite, comtesse de Flandres, dit ch. xxvj. " Et elle avoit quatre taches ; premierement, elle étoit une des plus grandes dames du lignage de France ; secondement, elle étoit la plus sage & la mieux gouvernant terre qu'on sçeust ", &c. Les autres deux taches sont qu'elle étoit libérale & riche. Le livre intitulé, Li établissement de li roi de France. " Or si aucun, menoit sa bête au marché, ou entre gens, & qu'elle mordist ou prist aucun, & cil qui seroit blessé se plaingnist à la justice, & li autres dist, sire, je n'en sçavoye mie qu'elle eût telle tache, &c. "

Quant au mot tâche, les uns le dérivent de taxa, taxatio ; d'autres nous apprennent pour expliquer son étymologie, qu'on appelloit autrefois tâche, une pochette, parce que plus on travaille à la tâche, & plus on rassemble d'argent dans sa poche. On prétend même qu'on appelle encore tâche en Bourgogne, une pochette.

On dit dans quelques provinces, donner des fonds à tâche, c'est-à-dire, sous la redevance d'une certaine partie des fruits, selon que l'on en convient. Le fonds est appellée tachable ou tachible. Ce droit ressemble au champart qui ne porte ni lods, ni mi-lods, & ne change point la qualité de l'héritage. (D.J.)

TACHES, en Astronomie, ou maculae, endroits obscurs qu'on remarque sur les surfaces lumineuses du soleil, de la lune, & même de quelques planetes. Voyez SOLEIL, LUNE, PLANETE, FACE, &c.

En ce sens, taches, maculae est opposé à facules, faculae ; ces taches du soleil sont des endroits obscurs d'une figure irréguliere & changeante qu'on observe sur la surface du soleil ; entre toutes les taches que nous voyons, il y en a qui ne commencent à paroître que vers le milieu du disque, & d'autres qui disparoissent entierement après s'être détruites peu-à-peu, à mesure qu'elles se sont avancées. Souvent plusieurs taches se ramassent ou s'accumulent en une seule, & souvent une même tache se résout en une infinité d'autres extrêmement petites.

Il n'y a pas long-tems qu'on a remarqué des taches dans le soleil : elles varient beaucoup quant au nombre, &c. Quelquefois il y en a beaucoup, & quelquefois point du tout. Galilée est le premier qui les ait découvertes aussitôt après l'invention du télescope : Scheiner les observa dans la suite avec plus de soin, & a publié un gros livre à ce sujet : dans ce tems-là on en voyoit plus de cinquante sur le soleil ; mais depuis 1653 jusqu'en 1670, à peine en a-t-on découvert une ou deux ; depuis elles ont reparu assez souvent en abondance, & il n'y a presque point de volume de l'académie des sciences où il n'en soit fait mention. Il semble qu'elles ne suivent aucune loi dans leurs apparitions.

Quelques-uns s'imaginent que ces taches peuvent devenir en si grand nombre, qu'elles cachent toute la face du soleil, ou du-moins la plus grande partie, & c'est à cela qu'ils attribuent ce que dit Plutarque, la raison pour laquelle la premiere année du regne d'Auguste la lumiere du soleil fut si foible & si obscure, qu'on pouvoit aisément la considérer sans en être ébloui.

Les histoires sont pleines de remarques sur des années entieres où le soleil a paru fort pâle & dépouillé de cette vive lumiere à laquelle les hommes sont accoutumés ; on prétend même que sa chaleur étoit alors sensiblement ralentie ; ce qui pourroit bien venir d'une multitude de taches qui couvroient alors le disque apparent du soleil. Il est certain que l'on voit souvent des taches sur le soleil dont la surface excede non-seulement l'Asie & l'Afrique, mais même occupent un plus grand espace que n'occuperoit sur le soleil toute la surface de la terre. Voyez ÉCLIPSE.

A quoi Kepler ajoute qu'en 1547 le soleil paroissoit rougeâtre, de même que quand on l'apperçoit à-travers d'un brouillard épais ; & il conjecture delà que les taches qu'on voit dans le soleil sont une espece de fumée obscure, ou nuages qui flottent sur sa surface.

D'autres prétendent que ce sont des étoiles ou des planetes qui passent devant le corps du soleil. Mais il est beaucoup plus probable que ce sont des corps opaques en maniere de croûtes qui s'y forment, comme l'écume sur la surface des liqueurs.

Plusieurs de ces taches paroissent n'être autre chose qu'un amas de parties hétérogenes, dont les plus obscures & les plus denses composent ce qu'Hevelius appelle le noyau, & elles sont entourées de tous côtés de parties plus rares & moins obscures, comme si elles avoient des atmospheres ; mais la figure, tant du noyau que des taches entieres, est variable. En 1644 Hevelius observa une petite tache qui en deux jours de tems devint deux fois plus grosse qu'il ne l'avoit vue d'abord, paroissant en même tems plus obscure, & avec un plus gros noyau, & ces changemens soudains étoient fréquens. Il observa que le noyau commença à diminuer insensiblement, jusqu'à ce que la tache disparut, & qu'avant qu'il se fut entierement évanoui, il se partagea en quatre portions qui se réunirent de nouveau en deux jours de tems : il y a eu des taches qui ont duré 2, 3, 10, 15, 20, 30, & même, quoique rarement, 40 jours. Kirchius en a observé une en 1681, depuis le 26 Avril jusqu'au 17 Juin. Les taches se meuvent sur le disque du soleil d'un mouvement qui est un peu plus lent près du limbe que près du centre. Celle que Kirch observa fut douze jours visible sur le disque du soleil, & elle fut quinze jours derriere le disque, selon la regle ordinaire qu'elles reviennent au limbe 27 ou 28 jours après qu'elles en sont parties.

Il faut enfin observer que les taches se contractent près du limbe ; que dans le milieu du disque elles paroissent plus étendues, y en ayant de séparées les unes des autres vers le limbe, qui se réunissent en une seule dans le disque ; que plusieurs commencent à paroître dans le milieu du disque, & que plusieurs disparoissent au même endroit, qu'on n'en a vu aucune qui s'écartât de son orbite près de l'horison, au-lieu qu'Hevelius observant Mercure dans le soleil près de l'horison, se trouve écarté de 27 secondes au-dessous de la route qu'il avoit d'abord tenue.

On peut conclure de ces phénomenes, 1°. que puisque la dépression apparente de Mercure au-dessous de la route qu'il devroit suivre, vient de la différence des parallaxes de cet astre & du soleil ; ces taches, dont la parallaxe est la même que celle du soleil, doivent être beaucoup plus près de lui que Mercure ; mais puisqu'elles ont été cachées derriere cet astre trois jours de plus qu'elles n'en ont passé sur celui de son hémisphere qui nous est visible : il y a des auteurs qui concluent delà qu'elles n'adherent pas non-plus à la surface du soleil, mais qu'elles en sont un peu éloignées ; mais il est d'autres auteurs qui ne sont point de cet avis, & qui croyent que les taches sont adhérentes à la surface du soleil. Voyez SOLEIL.

2°. Puisqu'elles naissent & disparoissent au-milieu du disque, & qu'elles subissent diverses altérations, eu égard à leur grandeur, à leur figure & à leurs densités ; on peut conclure delà qu'elle se forment & se dissolvent ensuite fort près du soleil, & que ce sont très-probablement des especes de nuages solaires formés des exhalaisons du soleil.

3°. Puis donc que les exhalaisons du soleil s'élevent de son corps, & se tiennent suspendues à une certaine hauteur de cet astre, il s'ensuit delà, selon les loix de l'hydrostatique, que le soleil doit être entouré de quelque fluide qui puisse porter ces exhalaisons vers en haut ; fluide qui comme notre atmosphere doit être plus dense vers le bas, & plus rare vers le haut ; & puisque les taches se dissolvent & disparoissent au milieu même du disque, il faut que la matiere qui les compose, c'est-à-dire, que les exhalaisons solaires retombent en cet endroit ; d'où il suit que c'est dans cet endroit que doivent naître les changemens de l'atmosphere du soleil, & par conséquent du soleil lui-même.

4°. Puisque la révolution des taches au-tour du soleil est très-réguliere, & que leur distance du soleil est ou nulle, ou au-moins très-petite, ce ne sont donc pas, à proprement parler, les taches qui se meuvent au-tour du soleil, mais c'est le soleil lui-même qui tournant au-tour de son axe, emporte avec lui les taches, soit qu'elles nagent sur la surface de cet astre, ou dans son atmosphere, & il arrive de-là que les taches, étant vues obliquement près du limbe, paroissent en cet endroit étroites & oblongues.

Les taches de la lune sont fixes : quelques-uns prétendent que ce sont les ombres des montagnes ou des endroits raboteux qui se trouvent dans le corps de la lune ; mais leur immobilité détruit cette opinion. L'opinion la plus générale & la plus probable est que les taches de la lune sont des mers, des lacs, des marais, &c. qui absorbent une partie des rayons du soleil, & ne nous en renvoyent qu'un petit nombre, de maniere qu'elles paroissent comme des taches obscures ; au-lieu que les parties terrestres refléchissent à cause de leur solidité, toute la lumiere qu'elles reçoivent, & ainsi paroissent parfaitement brillantes. M. Hartsoeker est d'un autre avis, & prétend que les taches de la lune, ou du-moins la plupart, sont des forêts, des petits bois, &c. dont les feuilles & les branches interceptent les rayons que la terre réfléchit, & les renvoye autre part.

Les astronomes comptent environ 48 taches sur la surface de la lune, à chacune desquelles ils ont donné un nom différent. La 21e est une des plus considérables, & est appellée Tycho.

Taches des Planetes. Les astronomes trouvent que les autres planetes ont aussi leurs taches. Jupiter, Mars & Venus en font voir de bien considérables quand on les regarde avec un télescope, & c'est par le mouvement de ces taches que nous concluons que les planetes tournent sur leur axe, de même que nous inférons le même mouvement dans le soleil, à cause du mouvement de ses taches.

Dans Jupiter, outre ces taches, nous voyons plusieurs bandes paralleles qui traversent son disque apparent. Voyez BANDES, PLANETES, SOLEIL, PHASES, &c. Wolf, & Chambers.

Le mouvement des taches du soleil est d'occident en orient, mais il ne se fait pas précisément dans le plan de l'orbite de la terre : ainsi l'axe au-tour duquel tourne le soleil n'est pas perpendiculaire à cet orbite. Si l'on fait passer par le cercle du soleil une ligne parallele à celle de l'orbite terrestre, on trouve que cette ligne fait avec l'axe du soleil un angle de 7 degrés ou environ : ainsi l'équateur du soleil, c'est-à-dire le cercle qui est également éloigné des deux extrêmités de son axe, ou de ses deux poles, fait un angle de 7 degrés avec l'équateur de la terre ; & si on imagine la ligne où ces deux plans se coupent, prolongés de part & d'autre jusqu'à la circonférence de l'orbite terrestre, lorsque la terre arrivera dans l'un ou l'autre de ces deux points diamétralement opposés, la trace apparente des taches observée sur la surface du soleil sera pour lors une ligne droite : ce qui est évident, puisque l'oeil est alors dans le plan où se fait leur vrai mouvement : mais dans toute autre situation de la terre sur son orbite, l'équateur solaire sera tantôt élevé au-dessus de notre oeil, & tantôt abaissé, & pour lors la trace apparente des taches observées sur le soleil, sera une ligne courbe.

Si dans un corps aussi lumineux que le soleil il y a différentes matieres, dont la plus épaisse ou la plus grossiere forme les taches qui l'obscurcissent, on ne doit pas être étonné si les planetes qui sont opaques, contiennent aussi des parties solides & fluides qui réflechissent une lumiere plus ou moins vive, & qui l'absorbent presqu'entierement. La surface de toutes les planetes doit donc nous paroître couverte d'une infinité de taches, & c'est aussi ce qu'on a reconnu, soit à la vue simple, soit avec des lunettes. Inst. Astron. (O)

TACHE de naissance, (Physiol.) un nombre infini d'arteres & de veines aboutissent à la peau. Leurs extrêmités réunies y forment un lacis recouvert par l'épiderme. Dans leur état naturel, ces extrêmités des vaisseaux sanguins, ne laissent presque passer que la portion séreuse du sang, la partie rouge continue sa route par d'autres vaisseaux dont le diametre est plus grand ; mais les vaisseaux qui forment le lacis peuvent acquérir plus de diametre, donner un libre passage à la partie rouge du sang, devenir variqueux, & par conséquent causer sur la peau une élévation variqueuse, qui paroîtra rouge & bleuâtre, selon que dans cette dilatation, les tuniques dont les vaisseaux sont composés, auront plus ou moins perdu de leur épaisseur.

Cet accident qui arrive quelquefois après la naissance, n'arrive que trop souvent sur le corps des enfans renfermés dans le sein de leur mere ; les vaisseaux peuvent être trop dilatés lors de la fécondation, & pour peu qu'ils ayent été portés au-delà de leur diametre, le mal va presque toujours en augmentant, parce que ce lacis vasculeux n'est contraint par aucune partie voisine. Delà vient que ces taches qu'on attribue faussement à l'imagination de la mere qui a desiré de boire du vin, ou sur qui on en a répandu, s'étendent, s'élevent, débordent au-dessus de la peau, & causent souvent une difformité considérable.

Ce lacis des vaisseaux est différemment disposé & figuré dans les divers endroits du corps. Il est tout autre sur la peau du visage qu'ailleurs ; il est même différent en divers endroits du visage ; on pourroit peut-être expliquer par-là pourquoi une partie du corps rougit plutôt qu'une autre.

C'est sans-doute par la raison de cette même différence, que les taches de vin sont plus fréquentes au visage que dans d'autres parties du corps, car une partie du corps ne rougit plus facilement qu'une autre, qu'autant que la partie rouge du sang y trouve un moindre obstacle à passer dans le lacis des vaisseaux. La rougeur se montre plus facilement au visage qu'ailleurs par cette même raison, ensorte qu'un effort léger qui ne produit rien sur une autre partie, produira sur le visage un effet sensible ; aussi quand on examine ces taches à l'aide d'un bon microscope, la dilatation des vaisseaux s'apperçoit clairement, & l'on y voit couler les parties du sang qui les colorent. (D.J.)

TACHE DU CRYSTALLIN, (Médecine) j'entends par tache du crystallin, une espece de cicatrice qui est communément blanche, qu'on remarque sur sa superficie, & qui blesse la vue.

Elle est le plus souvent la suite d'un très-petit abscès ou pustule qui se forme sur la superficie du crystallin, dont l'humeur étant en très-petite quantité & bénigne, se résout & se consomme, sans causer d'autre altération au crystallin, que celle du lieu où cette petite pustule se trouve ; & cet endroit du crystallin se cicatrise ensuite.

Dans son commencement, on la connoît par un nuage fort léger qui paroît sur le crystallin, & par le rapport du malade qui se plaint que sa vue est brouillée ; dans la suite ce nuage devient plus épais, & blanchit enfin.

On ne peut cependant dans les premiers mois assurer positivement que ce ne soit pas le commencement d'une cataracte, ou d'une ulcération ambulante du crystallin, parce qu'on ne peut juger de la nature de la pustule : mais quand après un, deux ou trois ans, cette tache reste dans le même état, on peut probablement assurer qu'elle y restera toute la vie.

Quand cette tache est blanche, on la voit aisément, & quand elle est noirâtre ou très-superficielle, on ne la peut distinguer ; mais on conjecture qu'elle y est par le rapport du malade.

Selon l'endroit que cette tache occupe, les malades semblent voir devant l'oeil, & en l'air, un nuage qui suit l'oeil en tous les lieux où la vue se porte.

Les malades en sont plus ou moins incommodés, suivant qu'elle est plus grande, ou plus petite, ou plus profonde, ou plus superficielle.

Les taches du crystallin ne s'effacent point, ainsi les remedes y sont inutiles : elles n'augmentent point, à-moins qu'elles ne s'ulcerent de nouveau ; & elles ne s'ulcerent pas, sans qu'il se fasse une nouvelle fluxion d'humeurs sur cette partie ; mais quand cela arrive, le crystallin s'ulcere quelquefois entierement, & il se forme ainsi une cataracte purulente, ou au-moins une mixte qui tient de la purulente. (D.J.)


TACHÉOGRAPHIES. f. (Littérat.) on appelloit ainsi chez les Romains l'art d'écrire aussi vîte que l'on parle, par le moyen de certaines notes dont chacune avoit sa signification particuliere & désignée. Dès que ce secret des notes eut été découvert, il fut bien-tôt perfectionné ; il devint une espece d'écriture courante, dont tout le monde avoit la clé, & à laquelle on exerçoit les jeunes gens. L'empereur Tite, au rapport de Suétone, s'y étoit rendu si habile, qu'il se faisoit un plaisir d'y défier ses secrétaires mêmes. Ceux qui en faisoient une profession particuliere, s'appelloient en grec , & en latin notarii. Il y avoit à Rome peu de particuliers qui n'eussent quelque esclave ou affranchi exercé dans ce genre d'écrire. Pline le jeune en menoit toujours un dans ses voyages. Ils recueilloient ainsi les harangues qui se faisoient en public.

Plutarque attribue à Cicéron l'art d'écrire en notes abregées, & d'exprimer plusieurs mots par un seul caractere. Il enseigna cet art à Tiron son affranchi ; ce fut dans l'affaire de Catilina qu'il mit en usage cette invention utile, que nous ignorons en France, & dont les Anglois ont perfectionné l'idée, l'usage & la méthode dans leur langue. Comme Caton d'Utique ne donnoit aucune de ses belles harangues, Cicéron voulut s'en procurer quelques-unes. Pour y réussir, il plaça dans différens endroits du sénat deux ou trois personnes qu'il avoit stylées lui-même dans l'art tachéographique, & par ce moyen il eut, & nous a conservé le fameux discours que Caton prononça contre César, & que Salluste a inséré dans son histoire de Catilina : c'est le seul morceau d'éloquence qui nous reste de ce grand homme. (D.J.)

L'art tachéographique est encore en usage en Angleterre.


TACHI-VOLICATI(Géogr. mod.) bourg de Grece dans la Macédoine ; Nardus croit que c'est l'ancienne Gyrtone. (D.J.)


TACHOSA(Géog. mod.) riviere d'Asie, dans le Turquestan ; elle se jette dans le Sihun, & les villes de Casba & de Tescan, sont situées à son embouchure. (D.J.)


TACHUACHES. m. (Hist. nat. Botan.) c'est le nom sous lequel les Indiens de quelques parties de la nouvelle Espagne désignent la plante appellée méchoacan. Voyez cet article.


TACHYGRAPHIES. f. (Littérat.) la tachygraphie ou tachéographie, parole composée de mots grecs , vîte, & , écriture, est l'art d'écrire avec rapidité & par notes ; elle est aussi quelquefois nommée brachygraphie de , court, & , j'écris, en ce que pour écrire rapidement, il faut se servir de manieres abregées.

Aussi les Anglois qui sont ceux de tous les peuples du monde qui s'en servent le plus généralement & y ont fait le plus de progrès, l'appellent-ils de ce nom short-hand, main brieve, courte écriture ou écriture abregée.

Herman Hugo dans son traité, de primo scrib. origin. en attribue l'invention aux Hébreux, fondé sur ce passage du pseaume xliv. Lingua mea calamus scribae velociter scribentis. Mais nous ferons voir, en parlant du notariacon, que leurs abréviations sont beaucoup plus modernes, purement Chaldaïques, & inventées par les rabbins, long-tems après la destruction de Jérusalem.

Cependant les anciens n'ignoroient point cet art. Sans remonter aux Egyptiens, dont les hiéroglyphes étoient plutôt des symboles qui représentoient des êtres moraux, sous l'image & les propriétés d'un être physique. Nous trouvons chez les Grecs des tachéographes & semmeiographes, comme on le peut voir en Diogene Laërce & autres auteurs, quoiqu'à raison des notes ou caracteres singuliers dont ils étoient obligés de se servir, on les ait assez généralement confondus avec les cryptographes.

Les Romains qui avec les dépouilles de la Grece transporterent les arts en Italie, adopterent ce genre d'écriture, & cela principalement, parce que souvent les discours des sénateurs étoient mal rapportés & encore plus mal interprétés, ce qui occasionnoit de la confusion & des débats en allant aux voix.

C'est sous le consultat de Cicéron qu'on en voit les premieres traces. Tiron, un de ses affranchis, prit mot à mot la harangue que Caton prononçoit contre Catilina ; Plutarque ajoute qu'on ne connoissoit point encore ceux qui depuis ont été appellés notaires, & que c'est le premier exemple de cette nature.

Paul Diacre, cependant attribue l'invention des premiers 1100 caracteres à Ennius, & dit que Tiron ne fit qu'étendre & perfectionner cette science.

Auguste charmé de cette découverte, destina plusieurs de ses affranchis à cet exercice ; leur unique emploi étoit de retrouver des notes. Il falloit même qu'elles fussent fort arbitraires & dans le goût de celles des Chinois, puisqu'elles excédoient le nombre de cinq mille.

L'histoire nous a conservé le nom de quelques-uns de ces tachygraphes, tels que Perunius, Pilargirus, Faunius & Aquila, affranchis de Mécene.

Enfin Séneque y mit la derniere main en les rédigeant par ordre alphabétique en forme de dictionnaire ; aussi furent-elles appellées dans la suite les notes de Tiron & de Séneque.

Nous remarquerons à ce sujet contre l'opinion des savans, que les caracteres employés dans le pseautier, que Tritheme trouva à Strasbourg, & dont il donne un échantillon à la fin de sa polygraphie, ne sauroient être ceux de Tiron, non plus que le manuscrit qu'on fait voir au Mont Cassin, sous le nom de caracteres de Tiro. Ceci saute aux yeux, lorsqu'on examine combien ces caracteres sont composés, arbitraires, longs & difficiles à tracer, au-lieu que Plutarque dit expressément en parlant de la harangue de Caton.

Hanc solam orationem Catonis servatam ferunt Cicerone consule velocissimos scriptores deponente at docente, ut per signa quaedam & parvas brevesque notas multarum litterarum vim habentes dicta colligerent : c'est-à-dire qu'elle fut prise à l'aide de courtes notes, ayant la puissance ou valeur de plusieurs lettres. Or dans les figures que nous en a conservé Gruter, la particule ex, par exemple, exprimée par plus de 70 signes différens, tous beaucoup plus composés, plus difficiles, & par conséquent plus longs à écrire que la proposition même. Ces vers d'Ausone, au contraire, font voir qu'un seul point exprimoit une parole entiere.

Quâ multa fandi copia

Punctis peracta singulis

Ut una vox absolvitur.

Ou cependant punctis doit se prendre en général pour des signes ou caracteres abregés dont plusieurs à la vérité n'étoient que de simples points, comme on verra plus bas dans l'hymne sur la mort de S. Cassien.

On peut donc hardiment conclure d'après ces autorités, que les notes qu'on nous donne pour être de Tiro, & celles imprimées sous le titre de, de notis ciceronianis, ne sont point les notes de Tiro, ou au-moins celles à l'aide desquelles cet affranchi a écrit la harangue de Caton.

Mais comme la Tachygraphie est une espece de cryptographie, il se pourroit très-bien que Tiro eût travaillé en l'un & l'autre genre, & que ce fut ces derniers caracteres qui nous eussent été conservés.

Ce qui paroît appuyer cette conjecture est un passage du maître de Tiro ; Ciceron à Atticus, liv. XIII. ép. xxxij. dit lui avoir écrit en chiffre : Et quod ad te decem legatis scripsi parùm intellexisti credo, quia scripseram.

Saint Cyprien ajouta depuis de nouvelles notes à celles de Séneque, & accommoda le tout à l'usage du Christianisme, pour me servir de l'expression de Vigenere qui dans son traité des chiffres, ajoute que c'est une profonde mer de confusion, & une vraie gêne de la mémoire comme chose laborieuse infiniment.

En effet, de retenir cinq ou six mille notes, presque toutes arbitraires, & les placer sur le champ, doit être un très-laborieux & très-difficile exercice. Aussi avoit-on des maîtres ou professeurs en Tachygraphie, témoin l'hymne de Prudence sur la mort de S. Cassien martyrisé à coups de stile par ses écoliers.

Praefuerat studiis puerilibus, & grege multo.

Septus magister litterarum sederat

Verba notis brevibus comprendere cuncta peritus,

Raptìmque punctis dicta praepetibus sequi.

Et quelques vers après,

Reddibus ecce tibi tam millia multa notarum,

Quam stando, flendo, te docente excepimus.

Non potes irasci, quod scribimus ipse jubebas,

Nunquam quietum dextera ut ferret stilum :

Non petimus toties, te praeceptore, negatas,

Avare doctor, jam scholarum ferias.

Pangere puncta libet, sulcisque intexere sulcos,

Flexas catenis impedire virgulas.

Lib. . Hymn. IX.

Ceux qui exerçoient cet art, s'appelloient cursores (coureurs), quia notis cursìm verba expediebant, à cause de la rapidité avec laquelle ils traçoient le discours sur le papier ; & c'est vraisemblablement l'origine du nom que nous donnons à une sorte d'écriture que nous appellons courante, terme adopté dans le même sens par les Anglois, Italiens, &c.

Ces cursores ont été nommés depuis notarii, à cause des notes dont ils se servoient, & c'est l'origine des notaires, dont l'usage principal dans les premiers siecles de l'Eglise, étoit de transcrire les sermons, discours ou homélies des évêques. Eusebe, dans son Histoire ecclésiastique, rapporte qu'Origènes souffrit à l'âge de soixante ans, que des notaires écrivissent ses discours, ce qu'il n'avoit jamais voulu permettre auparavant.

S. Augustin dit dans sa CLXIIIme épître, qu'il auroit souhaité que les notaires présens à ses discours, eussent voulu les écrire ; mais que comme pour des raisons à lui inconnues, ils s'y refusoient, quelques-uns des freres qui y assistoient, quoique moins expéditifs que les notaires, s'en étoient acquités.

Et dans l'épître CLII, il parle de huit notaires assistans à ses discours ; quatre de sa part, & quatre nommés par d'autres, qui se relayoient, & écrivoient deux à deux, afin qu'il n'y eût rien d'obmis ni rien d'altéré de ce qu'il proferoit.

S. Jérôme avoit quatre notaires & six libraires : les premiers écrivoient sous sa dictée par notes, & les seconds transcrivoient au long en lettres ordinaires ; telle est l'origine des libraires.

Enfin, le pape Fabien jugeant l'écriture des notaires trop obscure pour l'usage ordinaire, ajouta aux sept notaires apostoliques sept soudiacres, pour transcrire au long ce que les notes contenoient par abréviations.

Ceux qui voudront connoître plus particulierement leurs fonctions & distinctions, pourront recourir à l'article NOTAIRE.

Il paroît par la 44 me novelle de Justinien, que les contrats d'abord minutés en caracteres & abregés par les notaires ou écrivains des tabellions, n'étoient obligatoires que lorsque les tabellions avoient transcrit en toutes lettres ce que les notaires avoient tracé tachygraphiquement. Enfin il fut défendu par le même empereur, d'en faire du-tout usage à l'avenir dans les écritures publiques, à cause de l'équivoque qui pouvoit naître par la ressemblance des signes.

Le peu de littérature des siecles suivans les fit tellement tomber dans l'oubli, que le pseautier tachygraphique cité par Tritheme, étoit intitulé dans le catalogue du couvent, pseautier en langue arménienne. Ce pseautier, à ce que l'on prétend, se conserve actuellement dans la bibliotheque de Brunswick.

Il nous reste à parler d'un autre genre de Tachygraphie qui s'opere par le retranchement de quelques lettres, soit des voyelles comme dans l'hébreu, & supprimant quelquefois des consonnes ; ce qui est assez suivi par ceux qui écrivent dans les classes, comme sed. pour secundùm, &c. sur quoi on peut voir l'article ABREVIATION.

De cette espece est le notariacon, troisieme partie de la cabale judaïque, qui consiste à ne mettre qu'une lettre pour chaque mot. Les rabbins le distinguent en rasche theboth, chefs de dictions, lorsque c'est la lettre initiale, & sophe theboth, fin des mots, lorsque c'est la derniere.

Ils en composent aussi des paroles techniques & barbares, comme par exemple, ramban pour rabbi ; moïse bar Maiemon, c'est-à-dire, fils de Maiemon. Ceux qui voudront connoître plus particulierement ces abréviations, en trouveront plus de mille au commencement de la Bibliotheque rabbinique de Buxtorf : ils peuvent aussi consulter les Recueils de Mercerus, David de Pomis & Schinder. Les rabbins cabalistiques vont bien plus loin : ils prétendent que presque toute l'Ecriture sainte est susceptible de cette interprétation, & qu'en cela & la gémare consiste la vraie intelligence ou l'esprit de la loi.

Ainsi dans la premiere parole de la Genese, au commencement, ils ont trouvé : bara rackia-ares schamaim jam theomoth, il créa au commencement les cieux & la terre & l'abîme.

Il est facile d'appercevoir que le but des rabbins, par ces interprétations forcées, étoit d'éluder les passages les plus formels des prophetes sur l'avénement du Messie ; prophéties accomplies littéralement dans la personne de Jesus-Christ.

Les Grecs ont ainsi trouvé dans le nom d'Adam les quatres parties du monde, , orient, , occident ; , nord ; , midi ; & il y a beaucoup d'apparence que le fameux abraxadabra & autres noms barbares qui se trouvent sur les talismans & autres monumens des bassilidiens & gnostiques, noms qui ont donné la torture à tant de savans, ne sont que des mots techniques qui renferment plusieurs paroles. Ce qui donne plus de probabilité à cette conjecture, est qu'un grand nombre de caracteres qui se trouvent sur les talismans & dans les oeuvres des démonographes sont visiblement des monogrammes. On voit dans Agrippa les noms des anges Michaël, Gabriel, & Raphaël, exprimés de cette maniere & à l'aide de la figure quadrilinéaire ou chambrée, rapportée par le même auteur.

On en peut résoudre un très-grand nombre en leurs lettres constituantes. Il ne seroit donc pas surprenant que ceux qui se sont étudiés à combiner tous les élémens d'un mot dans une seule lettre, eussent réuni les lettres initiales dans une seule parole.

Les Romains se servoient aussi de lettres initiales pour désigner certaines formules usitées dans les inscriptions long-tems avant Cicéron, comme S. P. Q. R. pour senatus populusque romanus ; D. M. dis manibus, &c. dont Gruter nous a donné une ample collection dans son traité de Inscriptionibus veterum. On peut aussi consulter Mabillon de re diplomaticâ, ainsi que Sertorius, Ursatus, Valerius-Probus, Goltzius, qui nous ont laissé des catalogues d'abréviations usitées dans les inscriptions, les médailles & les procédures. Cet usage qui ne laisse pas de charger la mémoire, & ne s'étend qu'à un petit nombre des mots ou formules, a lieu dans presque toutes les langues. Voyez ABREVIATION.

Quant aux caracteres tachygraphiques qui sont plus immédiatement de notre sujet, il y en a d'universels : tels sont les caracteres numériques, algébriques, astronomiques chimiques, & ceux de la Musique, dont on peut voir les exemples sous leurs articles respectifs & particuliers, telles sont l'écriture chinoise, quelques traités françois manuscrits à la bibliotheque du roi, & la tachygraphie angloise.

Les anglois enfin, ont perfectionné ce genre d'écriture ; & c'est parmi eux ce que peut-être étoit l' chez les Egyptiens : ils l'ont poussé au point de suivre facilement l'orateur le plus rapide ; & c'est de cette façon qu'on recueille les dépositions des témoins dans les procès célebres, les harangues dans les chambres du parlement, les discours des prédicateurs, &c. de sorte qu'on n'y peut rien dire impunément même dans une compagnie, pour peu que quelqu'un se donne la peine de recueillir les paroles.

Cet art y est fondé sur les principes de la langue & de la Grammaire ; ils se servent pour cet effet d'un alphabet particulier, composé des signes les plus simples pour les lettres qui s'emploient le plus fréquemment, & de plus composés pour celles qui ne paroissent que rarement.

Ces caracteres se peuvent aussi très-facilement unir les uns aux autres, & former ainsi des monogrammes qui expriment souvent toute une parole ; tels sont les élémens des tachéographes anglois, qui depuis un siecle & demi ont donné une quarantaine de méthodes, dont nous donnons le titre des principales au-bas de cet article. Elles se trouvent actuellement réduites à deux, qui sont les seules usitées aujourd'hui ; savoir celle de Macaulay & celle de Weston ; nous nous bornerons à donner ici une légere idée de la méthode de ce dernier, comme la plus généralement suivie, & parce qu'on trouve plusieurs livres imprimés dans ses caracteres ; entre autres, une grammaire, un dictionnaire, les pseaumes, le nouveau-Testament, & plusieurs livres l'église.

Le docteur Wilkins & quelques autres, vouloient à l'aide de ce genre d'écriture, former un langage ou plutôt une écriture universelle, c'est-à-dire, que le méme caractere qui signifie cheval, le françois le lût cheval ; l'anglois, horse ; l'allemand, pferd ; l'italien, cavallo ; le latin, equus ; & ainsi des autres.

Mais en outre, la différence de construction dans les différentes langues qui seroit un grand obstacle, & la forme des verbes auxiliaires qui dans l'allemand & l'anglois, different totalement de celle usitée en françois & en latin, on tomberoit dans l'inconvénient de la méthode de Tiro, qui requéroit presque autant de signes différens qu'il y avoit d'objets à présenter. Un anglois, par exemple, n'aura pas de peine à comprendre que n signifie horse, parce que ce signe est composé de la particule or suivi d'une s, c'est-à-dire, les trois seules lettres qui se prononcent, l'h tenant lieu d'une simple aspiration, & l'e muet final ne servant qu'à prolonger le son ; mais ces trois lettres orz ne communiquent à aucune autre nation l'idée d'un cheval.

En attendant qu'on trouve quelque chose de mieux, il y auroit peut-être une méthode simple & facile à proposer, à l'aide de laquelle, sur le champ, & sans étude, un chacun pourroit se faire entendre, & entendre les autres, sans savoir d'autres langues que la sienne.

Il s'agiroit de numéroter les articles d'un dictionnaire en un idiome quelconque, & que chaque peuple mît le même chiffre après le même terme dans leurs dictionnaires respectifs. Ces dictionnaires devroient être composés de deux parties ; l'une à l'ordinaire, suivant l'ordre alphabétique ; l'autre, suivant l'ordre numérique.

Ainsi je suppose un françois à Londres ou à Rome, qui voudroit dire je viendrai demain ; ignorant la langue du pays, il cherchera dans la partie alphabétique de son dictionnaire je, que je suppose comme premiere personne désignée par le n °. 1. venir, par 2800, demain, par 664.

Il écrira 1. 664. 2800, l'anglois ou l'italien cherchant suivant l'ordre numérique, liront, J come tomorrou, jo venire domani.

Et répondront par d'autres chiffres, dont le françois trouvera l'explication en cherchant le numéro.

Je n'ai mis ici que l'infinitif du verbe pour suivre l'ordre des dictionnaires ; mais il seroit aisé d'y ajouter un signe ou point qui en déterminât le tems.

Nous avons aussi quelques auteurs françois qui se sont exercés sur la Tachygraphie ; telle est la plume volante, & quelques manuscrits dans la bibliotheque du roi ; mais ils ne se sont point appliqués à simplifier leurs signes, ni à en généraliser l'usage, ni n'ont donnés cette attention suffisante au génie de la langue ; & au lieu de recourir aux racines de l'idiome, ils se sont pris aux branches.

Il ne seroit cependant pas impossible de rendre à la langue françoise le même service qu'à l'angloise ; ce seroit une très-grande obligation que le public auroit à messieurs de l'académie françoise, si à la suite de leur dictionnaire, ils compiloient une méthode facile & analogue à la langue. Il ne faut cependant pas se flatter qu'elle puisse être aussi simple, ni consister en aussi peu de caracteres que pour l'anglois, qui n'ayant point de genre, le même article exprime le masculin & le féminin, & le singulier & le pluriel. De plus, les terminaisons des verbes auxiliaires ne variant guere que dans le présent, occasionne une bien plus grande facilité.

La méthode de Weston est fondée sur cinq principes.

1°. La simplicité des caracteres.

2°. La facilité de les joindre, insérer, & combiner les uns aux autres.

3°. Les monogrammes.

4°. La suppression totale des voyelles, comme dans les langues orientales.

5°. D'écrire comme l'on prononce ; ce qui évite les aspirations, les lettres doubles & lettres muettes. Les caracteres sont en tout au nombre de 72, dont 26 comprennent l'alphabet, y ayant quelques lettres qui s'écrivent de différentes façons, suivant les circonstances ; & cela pour éviter les équivoques que la combinaison pourroit faire naître. Les 46 caracteres restans sont pour les articles, pronoms, commencemens, & terminaisons qui se répetent fréquemment, & pour quelques adverbes & propositions.

Pour se rendre cette méthode familiere, on commence par écrire en entier les paroles dans le nouveau caractere, à l'exception des voyelles que l'on supprime ; mais le lieu où commence la lettre suivante l'indique, c'est-à-dire, si le commencement de cette lettre est au niveau du haut de la lettre précédente, cela marque la voyelle a ; si c'est au pié, c'est un u ; si c'est au milieu, c'est un i ; un peu plus haut ou un peu plus bas désigne l'e & l'o.

On croiroit d'abord que cette précision de placer les lettres empêcheroit d'aller vîte ; mais cela ne retarde aucunement ; car le sens fournit naturellement la voyelle au lecteur comme dans les lettres missives ou phrases, dont la plûpart des élémens pris séparément, pourroient à peine se déchiffrer ; ce qui n'empêche pas qu'on n'en lise la totalité très-vîte.

Comme rien ne nuit davantage à la célérité de l'écriture que de détacher la plume de dessus le papier, la personne se joint au verbe, comme dans l'hébreu celui-ci est uni inséparablement avec son verbe auxiliaire, & ordinairement avec son adverbe ; ce qui loin d'apporter de la confusion, donne de la clarté, en ce que par l'étendue & forme de ce grouppe de caracteres, on voit tout-d'un-coup que c'est un verbe dans un tems composé.

Quand on est parvenu à écrire ainsi couramment, on apprend les abréviations ; car chaque lettre isolée signifie un pronom, adverbe, ou proposition, &c.

Chaque union de deux lettres, ab, ac, ad, par exemple, en exprime aussi un mot relatif aux élémens qui la composent. Il y a aussi quelques autres regles d'abréviations générales, comme au lieu de répéter une parole ou une phrase, de tirer une ligne dessous ; quand une consonne se trouve répétée dans la même syllabe, de la faire plus grande, par exemple même, non-pape où l'm n, & le p, sont le double de leur grandeur naturelle, en ce qu'ils représentent deux m, deux n, deux p ; ceux-ci sont ordinairement des commencemens de mots, & en y ajoutant les terminaisons finales, on fait les paroles mémoire - nonain papauté | : ciseaux. Ainsi pour les terminaisons, toutes les paroles qui finissent en son ou en sion, s'expriment par un point dans la lettre, exemple, hameçon en le décomposant on trouve un a ^ & un m \ avec un point au milieu de l'a coction .

Les terminaisons ation, étion, ition, otion, ution, s'écrivent avec deux points placés à l'endroit de la voyelle, par exemple, nation : notion :

pétition passion, la marque du pluriel quand on l'exprime, se fait par un point derriere la derniere, exemple, passions. la terminaison ment, s'exprime par un t final redoublé, exemple, parlement sciemment, humainement : ces regles peuvent s'appliquer indifféremment à toutes les langues.

Nous avons dit que la Tachygraphie angloise n'exprime que les sons, sans avoir égard à l'orthographe, par exemple, si on veut écrire de cette façon en françois ils aiment, on retranche l'nt final comme superflu, dès que le verbe est précédé du signe de la troisieme personne du pluriel ; ce qui abrégeroit la parole d'un tiers, & feroit aime, comme on ne prononce dans cette parole que l'm seule, on écriroit en Tachygraphie ils m. De plus, comme pour former l'm, il faut 7 traits, savoir trois lignes droites, & quatre lignes courbes, & que l'm est fréquemment usité ; la Tachygraphie l'admet parmi ses caracteres simples, & réduit les sept lignes à une simple diagonale, & y joignant le caractéristique de la troisieme personne du pluriel, ils aiment, s'écriroit aussi en françois composé de deux traits, au lieu de 28 que nous employons. En anglois, ce seroit différent ; car aimer se disant to love, on se sert de l au lieu d'm ; & ils aiment s'écriroit ils aimoient , aima ntaimer / qui dérive du substantif love amosar, ainsi que amant loveless sans lovely amour aimable lovelyness, substantif d'aimable, & qui ne se pourroit rendre en françois que par le terme d'amabilité.

Quand on suit un orateur rapide, on peut supprimer entierement les articles qui se placent ensuite en relisant le discours.

Il y a apparence que l'écriture chinoise, où chaque parole s'exprime par un caractere particulier, n'est pas essentiellement différente de notre Tachygraphie, & que les 400 clés sont 400 caracteres élémentaires dont tous les autres sont formés, & dans lesquels ils peuvent se résoudre. En cela la Tachéographie angloise lui seroit fort préférable, à cause de son petit nombre de caracteres primitifs, qui par la même raison, doivent être infiniment moins composés que dans un plus grand nombre qui supposent nécessairement une multiplicité de traits.

Pour n'avoir rien à désirer sur cette matiere, il faut se procurer l'alphabet de Weston, avec ses 26 caracteres, & 46 abréviations, l'abrégé du dictionnaire & des regles, & y joindre l'oraison dominicale, le symbole des apôtres, & les dix commandemens écrits suivant ces principes.

En outre des méthodes de Weston & de Macaulay, on peut consulter les suivantes, qui ont eu cours en différens tems.

Steganographia, or the art of short writing, by Addy.

Willis's abbreviation, or writing by characters, London 1618.

Sheltons, art of short hand writing, Long. 1659.

Mercury, or the secret and swift messengers, by Wilkins, 1641.

Rich's short hand.

Masons, art of short writing. London 1672.

Easy method of short hand writing. Lond. 1681.


TACINA(Géog. mod.) lieu d'Italie ; l'itinéraire d'Antonin le marque sur la route d'Equotuticum, à Rhegium, entre Meto & Scyllacium, à 24 milles du premier de ces lieux, & à 22 milles du second. Simler croit que Tacina pourroit être la même chose que le promontoire Lacinium. (D.J.)

TACINA, LA, (Géog. mod.) riviere d'Italie, au royaume de Naples, dans la Calabre ultérieure. Elle prend sa source vers les confins de la Calabre citérieure, & se perd dans le golfe de Squillace, où elle a son embouchure, entre celles du Nascaro & du Dragone-Rio. Tacina est le Targis ou Targines des anciens. (D.J.)


TACITAS. f. (Mythol.) déesse du silence ; elle fut inventée par Numa-Pompilius, qui jugea cette divinité aussi nécessaire à l'établissement de son nouvel état, que la divinité qui fait parler. (D.J.)


TACITEadj. (Gramm.) sous entendu, quoique non exprimé. On dit une condition tacite, un consentement tacite, une paix tacite, une clause tacite.

TACITE RECONDUCTION, (Jurisprud.) voyez ci-devant RECONDUCTION.


TACITURNE(Gram.) il se dit du caractere de l'homme sombre, mélancolique, & gardant le silence. La taciturnité n'a jamais été prise pour une bonne qualité ; elle inspire l'éloignement ; elle renferme. Elle est si souvent la compagne de la méchanceté, ou du-moins de l'humeur, qu'où l'on remarque l'une, on suppose l'autre. On suppose que l'homme taciturne parleroit, s'il ne craignoit de se démasquer, & qu'il laisseroit voir au fond de son ame, s'il n'y receloit quelque chose de honteux ou de funeste. Ce n'est cependant quelquefois qu'une maladie, ou la suite d'une maladie. Il y a des nations taciturnes, des familles taciturnes ; on devient taciturne avec ceux qu'on craint.


TACITURNITÉS. f. (Morale) comme la nation Françoise est fort vive, & qu'elle aime beaucoup à parler, il lui a plû de prendre ce mot en mauvaise part ; & d'entendre par taciturnité, l'observation du silence, dont le seul principe est une humeur triste, sombre & chagrine ; mais nous n'adoptons pas cette idée vulgaire, parce qu'elle ne nous paroît pas trop philosophique.

La taciturnité, en latin taciturnitas dans Ciceron, est cette vertu de conversation qui consiste à garder le silence quand le bien commun le demande.

Les deux vices qui lui sont opposés dans l'excès, sont le trop parler lorsqu'il est nuisible, & le silence hors de saison, qui est préjudiciable à la communication qu'on doit faire de ses connoissances, & aux principaux services de la société humaine.

La parole étant le principal interprete de ce qui se passe en-dedans de notre ame ; & un signe dont l'usage est particulier au genre humain, la loi naturelle qui nous prescrit de donner à-propos des marques d'une sage bienveillance envers les autres, regle aussi la maniere dont nous devons user de ce signe, & en détermine les justes bornes. La taciturnité, par exemple, est requise, toutes les fois que le respect dû à la Divinité, à la religion établie, ou aux hommes mêmes qui sont nos supérieurs, exige de nous cette vertu. Elle est encore nécessaire quand il s'agit des secrets de l'état, de ceux qui regardent nos amis, notre famille, ou nous-mêmes, & qui sont de telle nature, que si l'on en découvroit, on causeroit du préjudice à quelqu'un ; sans que d'ailleurs en les cachant, on nuise au bien public. (D.J.)


TACODRUGITESS. m. (Hist. ecclés.) nom de quelques hérétiques montanistes ; il leur fut donné d'une affectation de recueillement qui leur faisoit porter leur second doigt dans une narine, ou plutôt sur leurs levres, comme des harpocrates ; ensorte que ce doigt étoit comme le pivot du nez. On les appelloit par la même raison passalosnichites, phrygiastes & montanistes. Tacodrugites est formé de , pivot, & de , nez.


TAÇONon donne ce nom aux jeunes saumons. Voyez SAUMON.


TACONS. m. (Imprimerie) on appelle tacon les morceaux de la frisquette que l'Imprimeur y entaille, pour donner jour aux endroits de la forme qu'on veut imprimer en rouge, & qu'il colle sur le grand tympan, afin de voir si l'ouverture de la frisquette & les morceaux qu'on en a enlevés se rencontrent parfaitement. (D.J.)


TACRIou TECRIT, (Géog. mod.) & par M. de la Croix, Tecrite ; ville d'Asie, sur le Tigre, au voisinage de la ville de Bagdat. Tamerlan s'en rendit maître l'an 796. de l'Hégire. Long. selon les tables arabiques de Nassir-Eddin & d'Ulug-Beg, 78. 20. lat. 34. 30. (D.J.)


TACTLE, (Physiol.) le tact, le toucher, l'atouchement, comme on voudra le nommer, est le plus sûr de tous les sens ; c'est lui qui rectifie tous les autres, dont les effets ne seroient souvent que des illusions, s'il ne venoit à leur secours ; c'est en conséquence le dernier retranchement de l'incrédulité. Il ajoute à cette qualité avantageuse, celle d'être la sensation la plus générale. Nous pouvions bien ne voir ou n'entendre, que par une petite portion de notre corps ; mais il nous falloit du sentiment dans toutes les parties pour n'être pas des automates, qu'on auroit démontés & détruits, sans que nous eussions pû nous en appercevoir, la nature y a pourvu : partout où se trouvent des nerfs & de la vie, on éprouve plus ou moins cette espece de sentiment. Il paroît même que cette sensation n'a pas besoin d'une organisation particuliere, & que la simple tissure solide du nerf lui est suffisante. Les parois d'une plaie fraîche, le périoste, ou un tendon découvert, ont un sentiment très-vif, quoiqu'ils n'ayent pas les houpes nerveuses qu'on observe à la peau : on diroit que la nature, obligée de faire une grande dépense en sensation du toucher, l'a établi à moins de fraix qu'il lui a été possible ; elle a fait ensorte que les houpes nerveuses ne fussent pas absolument nécessaires ; ainsi le sentiment du toucher est comme la base de toutes les autres sensations ; c'est le genre dont elles sont des especes plus parfaites.

Tous les solides nerveux animés de fluides, ont cette sensation générale ; mais les mamelons de la peau, ceux des doigts, par exemple, l'ont à un dégré de perfection qui ajoute au premier sentiment une sorte de discernement de la figure du corps touché. Les mamelons de la langue enchérissent encore sur ceux de la peau ; ceux du nez sur ceux de la langue, & toujours suivant la finesse de la sensation. Ce qui se dit des mamelons, n'exclut pas le reste du tissu nerveux, de la part qu'il a à la sensation. Les mamelons y ont plus de part que ce tissu dans certains organes, comme à la peau & à la langue ; dans d'autres, ils y ont moins de part, comme à la membrane pituitaire du nez qui fait l'organe de l'odorat. Enfin, ailleurs le tissu du solide nerveux fait presque seul l'organe, comme dans la vue ; ces différences viennent, de ce que chaque organe est proportionné à l'objet dont il reçoit l'impression.

Il étoit à-propos pour que le sentiment du toucher se fît parfaitement, que les nerfs formassent de petites éminences sensibles, parce que ces pyramides sont beaucoup plus propres qu'un tissu uniforme, à être ébranlées par la surface des corps. Le goût avoit besoins de boutons nerveux, qui fussent spongieux & imbibés de la salive, pour délayer, fondre les principes des saveurs, & leur donner entrée dans leur tissure, afin d'y mieux faire leur impression. La membrane pituitaire qui tapisse l'organe de l'odorat a son velouté, ses cornets & ses cellules, pour arrêter les vapeurs odorantes ; mais son objet étant subtil, elle n'avoit pas besoin ni de boutons, ni de pyramides grossieres. La choroïde a aussi son velouté noir pour absorber les images ; mais le fond de ce velours, fait pour recevoir des images, devoit être une membrane nerveuse, très-polie & très-sensible.

Nous appellons donc tact ou toucher, non pas seulement ce sens universel, dont il n'est presque aucune partie du corps qui soit parfaitement dépourvue ; mais sur-tout ce sens particulier, qui se fait au bout de la face interne des doigts, comme à son véritable organe. La douleur, la tension, la chaleur, le froid, les inégalités de la surface des corps se font sentir à tous les nerfs, tant intérieurement qu'extérieurement.

Le tact cause une douleur sourde dans les visceres, mais ce sentiment est exquis dans les nerfs changés en papilles, & en nature molle : ce tact n'a point une différente nature du précédent, il n'en differe que par degrés.

La peau quî est l'organe du toucher, présente un tissu de fibres, de nerfs & de vaisseaux merveilleusement entrelacés. Elle est collée sur toutes les parties qu'elle enveloppe par les vaisseaux sanguins, lymphatiques, nerveux ; &, pour l'ordinaire, par une couche de plusieurs feuillets très-minces, lesquels forment entr'eux des cellules, où les extrêmités artérielles, déposent une huile graisseuse ; aussi les anatomistes nomment ces couches de feuillets le tissu cellulaire ; c'est dans ce tissu que les bouchers introduisent de l'air quand ils soufflent leur viande, pour lui donner plus d'apparence.

La peau est faite de toutes ces parties mêmes qui l'attachent aux corps qui l'enveloppe. Ces feuillets, ces vaisseaux & ces nerfs capillaires sont appliqués les uns sur les autres, par la compression des eaux qui environnent le foetus dans le sein de la mere, & par celle de l'air lorsqu'il est né. Plusieurs de ces vaisseaux, creux d'abord, deviennent bien-tôt solides, & ils forment des fibres comme tendineuses, qui font avec les nerfs la principale tissure de cette toile épaisse. Les capillaires nerveux, après avoir concouru par leur entrelacement à la formation de la peau, se terminent à la surface externe ; là se dépouillant de leur premiere paroi, ils forment une espece de réseau : qu'on a nommé corps réticulaire. Ce réseau nerveux est déjà une machine fort propre à recevoir l'impression des objets ; mais l'extrêmité du nerf dépouillé de sa premiere tunique s'épanouit, & produit le mamelon nerveux ; celui-ci dominant sur le réseau est bien plus susceptible d'ébranlement, & par conséquent de sensation délicate. Une lymphe spiritueuse abreuve ces mamelons, leur donne de la souplesse, du ressort, & acheve par-là d'en faire un organe accompli.

Ces mamelons sont rangés sur une même ligne, & dans un certain ordre, qui constitue les sillons qu'on observe à la surpeau, & qui sont si visibles au bout des doigts, où ils se terminent en spirale. Quand ils y sont parvenus, Ils s'allongent suivant la longueur de cette partie, & ils s'unissent si étroitement, qu'ils forment les corps solides que nous appellons ongles.

Les capillaires sanguins, que nous appellons lymphatiques & huileux, qui entrent dans le tissu de la peau, s'y distribuent à-peu-près comme les nerfs ; leur entrelacement dans la peau forme le réseau vasculaire, leur épanouissement fait l'épiderme qui recouvre les mamelons, & qui leur est si nécessaire pour modérer l'impression des objets, & rendre parlà cette impression plus distincte. Enfin, les glandes situées sous la peau servent à abreuver les mamelons nerveux.

Il suit de ce détail, 1°. que l'organe corporel qui sert au toucher, est formé par des mamelons ou des houpes molles, pulpeuses, médullaires, nerveuses, muqueuses, veloutées, en un mot de diverses especes, infiniment variées en figure & en arrangement, produites par les nefs durs qui rampent sur la peau, lesquels s'y dépouillent de leurs membranes externes, & par-là deviennent très-mols, & conséquemment très-sensibles. Il suit 2°. que ces houpes sont humectées, & arrosées d'une liqueur très-fluide qui abonde sans cesse ; 3°. que cette membrane fine & solide qu'on appelle épiderme, leur prête des sillons, des sinuosités, où elles se tiennent cachées, & leur sert ainsi de défense, sans altérer leur sensibilité.

Ces houpes ont la vertu de se retirer sur elles-mêmes, & de ressortir. Malpighi qui a tant éclairci la matiere que nous traitons, a dit une fois qu'en examinant au microscope les extrêmités des doigts d'un homme délicat à un air chaud, il vit sortir les houpes nerveuses des sillons de l'épiderme, qui sembloient vouloir toucher & prendre exactement quelque chose au bout du doigt. Mais ailleurs le même Malpighi ne paroissant pas bien certain de ce qu'il avoit vu, révoque presque en doute cette expérience. Il est probable cependant que ces houpes s'élevent, comme il arrive dans le bout du téton, qui s'étend par le chatouillement. Quand on présente des sucreries à un enfant qui les aime, & qu'on lui fait tirer la langue devant un miroir, on y voit de toutes parts s'élever de petits tubercules. Le limaçon en se promenant fait sortir ses cornes, à la pointe desquelles sont ses yeux, qui n'apperçoivent jamais de corps durs, sans que le craintif animal n'entre dans sa coquille. Nos houpes en petit sortent comme les cornes du limaçon en grand ; ainsi, l'impression que les corps font sur les houpes de la peau, constitue le tact, qui consiste en ce que l'extrêmité du doigt étant appliquée à l'objet qu'on veut toucher, les houpes présentent leur surface à cet objet, & le frottent doucement.

Je dis d'abord que l'extrêmité des doigts doit être appliquée à l'objet qu'on veut toucher ; j'entens ici les doigts de la main plutôt que du pié ; cependant le tact se feroit presque aussi-bien avec le pié qu'avec la main, si les doigts du pié étoient plus flexibles, plus séparés, plus exercés, & s'ils n'étoient pas encore racornis par le marcher, le poids du corps & la chaussure. J'ajoute, que les houpes présentent leur surface à l'objet, parce qu'en quelque sorte, semblables à ces animaux qui dressent l'oreille pour écouter, elles s'élevent comme pour juger de l'objet qu'elles touchent. Je dis enfin que ces houpes frottent doucement leur surface contre celle de l'objet, parce que le tact est la résistance du corps qu'on touche. Si cette résistance est médiocre, le toucher en est clair & distinct ; si elle nous heurte vivement, on sent de la douleur sans toucher, à proprement parler : c'est ainsi que lorsque le doigt est excorié, nous ne distinguons point les qualités du corps, nous souffrons de leur attouchement : or, suivant la nature de cet attouchement, il se communique à ces houpes nerveuses un certain mouvement dont l'effet propagé jusqu'au sensorium commune, excite l'idée de chaud, de froid, de tiede, d'humide, de sec, de mol, de dur, de poli, de raboteux, de figuré, d'un corps mû ou en repos, proche ou éloigné. L'idée de chatouillement, de démangeaison, & le plaisir naissent d'un ébranlement leger ; la douleur d'un tiraillement, d'un déchirement des houpes.

L'objet du toucher est donc de tout corps qui a assez de consistance & de solidité pour ébranler la surface de notre peau ; & alors le sens qui en procede nous découvre les qualités de ce corps, c'est-à-dire sa figure, sa dureté, sa molesse, son mouvement, sa distance, le chaud, le froid, le tiede, le sec, l'humide, le fluide, le solide, &c.

Ce sens distingue avec facilité le mouvement des corps, parce que ce mouvement n'est qu'un changement de surface, & c'est par cette raison qu'il s'apperçoit du poli, du raboteux, & autres degrés d'inégalité des corps.

Il juge aussi de leur distance ; bonne & belle observation de Descartes ! Ce philosophe parle d'un aveugle, ou de quelqu'un mis dans un lieu fort obscur, qui distinguoit les corps proches ou éloignés, pourvu qu'il eût les mains armées de deux bâtons en croix, dont les pointes répondissent au corps qu'on lui présentoit.

L'homme est né ce semble, avec quelque espece de trigonométrie. On peut regarder le corps de cet aveugle, comme la base du triangle, les bâtons comme ses côtés, & son esprit, comme pouvant conclure du grand angle du sommet, à la proximité du corps ; & de son éloignement, par la petitesse du même angle. Cela n'est pas surprenant aux yeux de ces géometres, qui maniant la sublime géométrie avec une extrême facilité, savent mesurer les efforts des sauts, la force de l'action des muscles, les degrés de la voix, & les tacts des instrumens de musique.

Enfin le sens du toucher discerne parfaitement le chaud, le froid & le tiede. Nous appellons tiede, ce qui n'a pas plus de chaleur que le corps humain, réservant le nom de chaud & de froid, à ce qui est plus ou moins chaud que lui.

Quoique tout le corps humain sente la chaleur, ce sentiment se fait mieux par-tout où il y a plus de houpes & de nerfs, comme à la pointe de la langue & des doigts.

La sensation du chaud ou de la chaleur est une sorte d'ébranlement léger des parties nerveuses, & un épanouissement de nos solides & de nos fluides, produit par l'action modérée d'une médiocre quantité de la matiere, qui compose le feu ou le principe de la chaleur, soit naturelle, soit artificielle. Quand cette matiere est en plus grande quantité, ou plus agitée ; alors au-lieu d'épanouir nos solides & nos liqueurs, elle les brise, les dissout, & cette action violente fait la brûlure.

La sensation du froid au contraire, est une espece de resserrement dans les mamelons nerveux, & en général dans tous nos solides, & une condensation ou défaut de mouvement dans nos fluides, causé ou par l'attouchement d'un corps froid, ou par quelqu'autre accident qui supprime le mouvement de notre propre feu naturel. On conçoit que nos fluides étant fixés ou ralentis par quelqu'une de ces deux causes, les mamelons nerveux doivent se resserrer ; & c'est ce resserrement, qui est le principe de tous les effets du froid sur le corps humain.

Le sens du toucher nous donne aussi les sensations différentes du fluide & du solide. Un fluide differe d'un solide, parce qu'il n'a aucune partie assez grosse pour que nous puissions la saisir & la toucher, par différens côtés à la fois ; c'est ce qui fait que les fluides sont liquides ; les particules qui le composent ne peuvent être touchées par les particules voisines, que dans un point, ou dans un si petit nombre de points, qu'aucune partie ne peut avoir d'adhérence avec une autre partie. Les corps solides réduits en poudre, mais impalpable, ne perdent pas absolument leur solidité, parce que les parties se touchant de plusieurs côtés, conservent de l'adhérence entr'elles. Aussi peut-on en faire des petites masses, & les serrer pour en palper une plus grande quantité à-la-fois. Or par le tact on discerne parfaitement les especes qu'on peut réunir, serrer, manier avec les autres ; ainsi le tact distingue par ce moyen les solides des fluides, la glace de l'eau.

Mais ce n'est pas tout-d'un-coup qu'on parvient à ce discernement. Le sens du toucher ne se développe qu'insensiblement, & par des habitudes réitérées. Nous apprenons à toucher, comme nous apprenons à voir, à entendre, à goûter. D'abord nous cherchons à toucher tout ce que nous voyons ; nous voulons toucher le soleil ; nous étendons nos bras pour embrasser l'horison ; nous ne trouvons que le vuide des airs. Peu-à-peu nos yeux guident nos mains ; & après une infinité d'épreuves, nous acquérons la connoissance des qualités des corps, c'est-à-dire, la connoissance de leur figure, de leur dureté, de leur mollesse, &c.

Enfin le sens du toucher peut faire quelquefois, pour ainsi dire, la fonction des yeux, en jugeant des distances, & réparant à cet égard en quelque façon chez des aveugles, la perte de leur vue. Mais il ne faut pas s'imaginer que l'art du toucher s'étende jusqu'au discernement des couleurs, comme on le rapporte dans la république des lettres (Juin 1685) d'un certain organiste hollandois ; & comme Bartholin dans les acta medica Hafniensia, anno 1675, le raconte d'un autre artisan aveugle, qui, dit-il, discernoit toutes les couleurs au seul tact. On lit encore dans Aldrovandi, qu'un nommé Ganibasius, natif de Volterre & bon sculpteur, étant devenu aveugle à l'âge de 20 ans, s'avisa, après un repos de 10 années, d'essayer ce qu'il pourroit produire de son art, & qu'il fit à Rome une statue de plâtre qui ressembloit parfaitement à Urbain VIII. Mais il n'est pas possible à un aveugle, quelque vive que soit son imagination, quelque délicat qu'il ait le tact, quelque soin qu'il se donne à sentir avec ses doigts les inégalités d'un visage, de se former une idée juste de la figure de l'objet, & d'exécuter ensuite la ressemblance de l'original.

Après avoir établi quel est l'organe du toucher, la texture de cet organe, son méchanisme, l'objet de ce sens, son étendue, & ses bornes, il nous sera facile d'expliquer les faits suivans.

1°. Pourquoi l'action du toucher est douloureuse, quand l'épiderme est ratissée, macérée ou brûlée : c'est ce qu'on éprouve après la chûte des ongles, après celle de l'épiderme causée par des fievres ardentes, par la brûlure, & dans le gerse des levres, dont est enlevé l'épithélion, suivant l'expression de Ruysch. Tout cela doit arriver, parce qu'alors les nerfs étant trop à découvert, & par conséquent trop sensibles, le tact se fait avec trop de force. Il paroît que la nature a voulu parer à cet inconvénient, en mettant une tunique sur tous les organes de nos sensations.

2°. Pourquoi le tact est-il détruit, lorsque l'épiderme s'épaissit, se durcit, devient calleuse, ou est deshonorée par des cicatrices, &c. ? Par la raison que le toucher se fait mal quand on est ganté. Les cals font ici l'obstacle des gants : ce sont des lames, des couches, des feuillets de la peau, plusieurs fois appliqués les uns sur les autres par une violente compression, qui empêche l'impression des mamelons nerveux ; & ces cals se forment sur-tout dans les parties où la peau est épaisse, & serrée comme au creux de la main, ou la plante des piés. C'est à la faveur de ces cals, de ces tumeurs dures & insensibles, dans lesquels tous les nerfs & vaisseaux entamés sont détruits, qu'il y a des gens qui peuvent, sans se brûler, porter du fer fondu dans la main ; & des verriers manier impunément le verre brûlant. Charriere, Kaw & autres, ont fait la même observation dans les faiseurs d'ancres.

Plus le revêtement de la peau est dure & solide, moins le sentiment du toucher peut s'exercer ; plus la peau est fine & délicate, plus le sentiment est vif & exquis. Les femmes ont entr'autres avantages sur les hommes, celui d'avoir la peau plus fine, & par conséquent le toucher plus délicat. Le foetus dans le sein de la mere pourroit sentir par la délicatesse de sa peau, toutes les impressions extérieures ; mais comme il nage dans une liqueur, & que les liquides reçoivent & rompent l'action de toutes les causes qui peuvent occasionner des chocs ; il ne peut être blessé que rarement, & seulement par des corps ou des efforts très-violens. Il a donc fort peu, ou plutôt il n'a point d'exercice de la sensation du tact général, qui est commune à tout le corps ; comme il ne fait aucun usage de ses mains, il ne peut acquérir dans le sein de sa mere aucune connoissance de cette sensation particuliere qui est au bout des doigts. A peine est-il né, qu'on l'en prive encore par l'emmaillottement pendans six ou sept semaines, & qu'on lui ôte par-là le moyen d'acquérir de bonne heure les premieres notions de la forme des choses, comme si l'on avoit juré de retarder en lui le développement d'un sens important duquel toutes nos connoissances dépendent.

Par la raison que les cals empêchent l'action du toucher, la macération rend le toucher trop tendre en enlevant la surpeau ; c'est ce qu'éprouvent les jeunes blanchisseuses, en qui le savon amincit tellement l'épiderme, qu'il vient à leur causer un sentiment désagréable, parce que le tact des doigts se fait chez elles avec trop de force.

3°. Quelle est la cause de ce mouvement singulier & douloureux, de cette espece d'engourdissement que produit la torpille, quand on la touche ? C'est ce que nous indiquerons au mot TORPILLE. Mais pour ces engourdissemens universels qu'on observe quelquefois dans les filles hystériques, ce sont des phénomènes où le principe de tout le genre nerveux est attaqué, & qui sont très-difficiles à comprendre.

4°. D'où vient que les doigts sont le principal organe du toucher ? Ce n'est pas uniquement, répond l'auteur ingénieux de l'histoire naturelle de l'homme, parce qu'il y a une plus grande quantité de houpes nerveuses à l'extrêmité des doigts que dans les autres parties du corps ; c'est encore parce que la main est divisée en plusieurs parties toutes mobiles, toutes flexibles, toutes agissantes en même tems, & obéissantes à la volonté ; ensorte que par ce moyen les doigts seuls nous donnent des idées distinctes de la forme des corps. Le toucher parfait est un contact de superficie dans tous les points ; les doigts peuvent s'étendre, se raccourcir, se plier, se joindre & s'ajuster à toutes sortes de superficies, avantage qui suffit pour rendre dans leur réunion l'organe de ce sentiment exact & précis, qui est nécessaire pour nous donner l'idée de la forme des corps.

Si la main, continue M. de Buffon, avoit un plus grand nombre d'extrêmités, qu'elle fût, par exemple, divisée en vingt doigts, que ces doigts eussent un plus grand nombre d'articulations & de mouvemens, il n'est pas douteux que doués comme ils sont de houpes nerveuses, le sentiment de leur toucher ne fût infiniment plus parfait dans cette conformation qu'il ne l'est, parce que cette main pourroit alors s'appliquer beaucoup plus immédiatement & plus précisément sur les différentes surfaces des corps.

Supposons que la main fût divisée en une infinité de parties toutes mobiles & flexibles, & qui pussent toutes s'appliquer en même tems sur tous les points de la surface des corps, un pareil organe seroit une espece de géométrie universelle, si l'on peut s'exprimer ainsi, par le secours de laquelle nous aurions dans le moment même de l'attouchement, des idées précises de la figure des corps que nous pourrions manier, de l'égalité ou de la rudesse de leur surface, & de la différence même très-petite de ces figures.

Si au contraire la main étoit sans doigts, elle ne pourroit nous donner que des notions très-imparfaites de la forme des choses les plus palpables, & il nous faudroit beaucoup plus d'expérience & de tems que nous n'employons, pour acquérir la même connoissance des objets qui nous environnent. Mais la nature a pourvu suffisamment à nos besoins, en nous accordant les puissances de corps & d'esprit convenables à notre destination. Dites-moi quel seroit l'avantage d'un toucher plus étendu, plus délicat, plus raffiné, si toujours tremblans nous avions sans-cesse à craindre que les douleurs & les agonies ne s'introduisissent en nous par chaque pore ? C'est Pope qui fait cette belle réflexion dans le langage des dieux :

Say what the use, were finer senses given

And touch, if tremblingly alive all o'er

To smart and agonize at ev'ry pore ?

(D.J.)

TACT DES INSECTES, (Hist. nat.) la plupart des insectes semblent être doués d'un seul sens qui est celui du tact ; car ils ne paroissent pas avoir les organes des autres sens. Les limaçons, les écrevisses, les cancres se servent du toucher pour suppléer au défaut des yeux.

Ce sens unique & universel, quel qu'il soit dans les insectes, est sans comparaison plus fin & plus exquis que le nôtre. Quoiqu'il s'en trouve plusieurs qui ont l'usage de l'odorat, de la vue & de l'ouïe, il est aisé de comprendre que la délicatesse de leur tact peut suffire à toutes leurs connoissances ; l'exhalaison de la main qui s'avance pour prendre une mouche, peut recevoir par le mouvement une altération capable d'affecter cet insecte d'une maniere qui l'oblige à s'envoler. D'ailleurs on a lieu de douter qu'une mouche voie la main qui s'approche, parce que de quelque côté qu'on l'avance, elle sent également, & qu'il n'y a pas plus de facilité à la prendre par-derriere que par-devant. Quand un papillon se jette dans la flamme d'une chandelle, il y est peut-être plutôt attiré par la chaleur que par la lumiere ; enfin parmi les insectes qui excellent dans la subtilité du toucher, on doit compter les fourmis & les mouches ; je croirois même que la subtilité du tact de la mouche l'emporte sur celui de l'araignée ; en échange la mouche ne paroît avoir ni goût fin, ni odorat subtil. Il est du moins constant qu'on empoisonne les mouches avec de l'orpin minéral, dont l'odeur & le goût sont assez forts pour devoir détourner cet insecte d'en goûter. (D.J.)

TACT en Chirurgie, de la guérison des maladies par le tact. Les auteurs anciens & modernes rapportent comme une chose merveilleuse, & en même tems comme un fait positif, la guérison de plusieurs maladies incurables ou opiniâtres, par le seul attouchement. Le roi Pyrrhus passoit pour avoir la vertu de guérir les rateleux, en pressant doucement de son pié droit le viscere des malades couchés sur le dos, après avoir fait le sacrifice d'un coq blanc. On lit dans Plutarque qu'il n'y avoit point d'homme si pauvre ni si abject auquel il ne fît ce remede, quand il en étoit prié ; pour toute reconnoissance il prenoit le coq même qui avoit été sacrifié, & ce présent lui étoit très-agréable. Suetone attribue pareillement aux empereurs Adrien & Vespasien la vertu de guérir plusieurs maladies ; & Dion rapporte qu'Agrippa faisoit des cures singulieres par le pouvoir d'un anneau qui avoit appartenu à Auguste. Des naturalistes ne voyant aucun rapport entre la cause & l'effet prétendu, ont regardé ces oeuvres comme des illusions & des prestiges dont le diable étoit l'opérateur, par la raison que ces princes étoient payens, & qu'il est impossible au diable de faire de vrais miracles. C'est une des raisons que donne Gaspard à Rejes dans son livre intitulé Elysius jucundarum quaestionum campus. Mais cet auteur qui n'a point de principes fixes, prétend ailleurs que la vanité des princes, la bassesse des courtisans & la superstition des peuples ont été la source des singulieres prérogatives qu'on a attribuées aux maîtres du monde qui vouloient exciter l'admiration en s'élevant au-dessus de la condition humaine. Bientôt après il change d'opinion, & croit que la nature opere des merveilles en faveur de ceux qui doivent commander aux autres hommes, & que Dieu a pu accorder, même à des princes payens, des dons & des privileges extraordinaires. C'est ainsi, dit-il, que les rois d'Angleterre guérissent de l'épilepsie, les rois de France des écrouelles ; mais en bon & zélé sujet de la couronne d'Espagne, il croit qu'il convenoit que le plus grand roi de la chrétienté eût un pouvoir supérieur, c'est celui de faire trembler le démon à son aspect, & de le chasser par sa seule présence du corps de ceux qui en sont possédés. Tel est, selon lui, le privilege des rois d'Espagne.

André Dulaurens, premier médecin du roi Henri IV. a composé un traité de la vertu admirable de guérir les écrouelles par le seul attouchement, accordée divinement aux seuls rois de France très-chrétiens. Cette cérémonie se pratiquoit de son tems aux quatre fêtes solemnelles, savoir à pâques, à la pentecôte, à la toussaint & à noël, souvent même à d'autres jours de fête, par compassion pour la multitude des malades qui se présentoient ; il en venoit de tous les pays, & il est souvent arrivé d'en compter plus de quinze cent, sur-tout à la fin de la pentecôte, à cause de la saison plus favorable pour les voyages. Les médecins & chirurgiens du roi visitent les malades pour ne recevoir que ceux qui sont véritablement attaqués d'écrouelles. Les Espagnols avoient le premier rang, sans aucun titre que l'usage, & les François le dernier ; les malades des autres nations étoient indifféremment entre-deux. Le roi en revenant de la messe où il a communié, arrive accompagné des princes du sang, des principaux prélats de la cour romaine & du grand aumonier, trouve les malades à genoux en plusieurs rangs ; il récite une priere particuliere, & ayant fait le signe de la croix, il s'approche des malades ; le premier médecin passe derriere les rangs, & tient à deux mains la tête de chaque écrouelleux, à qui le roi touche la face en croix, en disant, le roi te touche, & Dieu te guérit. Les malades se levent aussi-tôt qu'ils ont été touchés, reçoivent une aumône, & s'en vont. A plusieurs, dit Dulaurens, les douleurs très-aiguës s'adoucissent & s'appaisent aussi-tôt ; les ulceres se dessechent à quelques-uns, aux autres les tumeurs diminuent ; ensorte que dans peu de jours, de mille il y en a plus de cinq cent qui sont parfaitement guéris.

L'auteur fait remonter l'origine de ce privilege admirable à Clovis qui le reçut par l'onction sacrée. Il rapporte tout ce que différens écrivains ont dit à ce sujet, & il refute Polidor Virgile qui attribue la même vertu aux rois d'Angleterre. Il est vrai qu'on tient pour certain qu'Edouard a guéri une femme de scrophules ; mais c'est un cas particulier, & cette guérison fut accordée au mérite de ce roi qui pour sa grande piété a été mis au rang des saints. On traite dans cet ouvrage avec beaucoup plus d'érudition que de goût, de tout ce qui a été écrit d'analogue à ce sujet par les anciens ; on prouve que l'imagination ne peut en aucune façon contribuer à la guérison des écrouelles à l'occasion de l'attouchement des rois, & l'on réfute une objection qui méritoit une discussion particuliere. Pour contester le pouvoir surnaturel qui fait le sujet de la question, l'on convenoit que les Espagnols, & en général les étrangers, recouvroient effectivement la santé, & que c'étoit l'effet du changement d'air & de la façon de vivre, ce qui réussit pour la guérison de plusieurs autres maladies ; mais des considérations pathologiques sur le caractere du mal & sur la guérison radicale des François sans changement d'air ni de régime, on conclud que ce n'est point à ces causes que les étrangers doivent rapporter le bien qu'ils reçoivent, mais à la bonté divine, qui par une grace singuliere a accordé le don précieux de guérir aux rois très-chrétiens.

L'application de la main d'un cadavre ou d'un moribond sur des parties malades, a été regardée par quelques personnes comme un moyen très-efficace de guérison. Suivant Van-Helmont, la sueur des mourans a la vertu merveilleuse de guérir les hémorrhoïdes & les excroissances. Pline dit qu'on guérit les écrouelles, les parotides & les goëtres, en y appliquant la main d'un homme qui a péri de mort violente : ce que plusieurs auteurs ont répété. Boyle s'explique un peu plus sur l'efficacité de ce moyen, à l'occasion d'une personne qui a été guérie d'une tumeur scrophuleuse par la main d'un homme mort de maladie lente, appliquée sur la tumeur jusqu'à ce que le sentiment du froid eût pénétré ses parties intimes. Quelques-uns recommandent qu'on fasse avec la main du mort des frictions assez fortes & assez longtems continuées, jusqu'à ce que le froid ait gagné la tumeur, ce qu'il est difficile d'obtenir, puisque le mouvement doit au contraire exciter de la chaleur. Il y en a qui préferent la main d'un homme mort de phthisie, à raison de la chaleur & de la sueur qu'on remarque aux mains des phthisiques, qu'on trouve très-souvent fort humides à l'instant de leur mort. Suivant Bartholin, des personnes dignes de foi, ont usé avec succès de ce moyen, & croyent que la tumeur se dissipe à mesure que le cadavre se pourrit, ce qui arrive plutôt en été qu'en hiver. J'ai vu plusieurs femmes venir dans les hôpitaux me demander la permission de tenir la plante du pié d'un homme à l'agonie sur un goëtre jusqu'à ce que cet homme fût mort, assurant très-affirmativement que leurs meres ou d'autres gens de leur connoissance avoient été guéries par ce moyen. L'expérience doit tenir ici lieu de raisonnement : comment nier à des gens la possibilité des faits qu'ils attestent, & qui leur donne de la confiance pour une pratique qui par elle-même ne peut inspirer que de l'aversion ? (Y)


TACTILEadj. (Phys.) se dit quelquefois de ce qui peut tomber sous le sens du tact ou du toucher.

Quoique les petites parties des corps soient matérielles, cependant elles ne sont ni tactiles, ni visibles, à cause de leur petitesse.

Les principales qualités tactiles sont la chaleur, le froid, la sécheresse, la dureté & l'humidité. Voyez CHALEUR, FROID, DURETE, &c. Chambers.


TACTIQUE(LA), est proprement la science des mouvemens militaires, ou, comme le dit Polybe, l'art d'assortir un nombre d'hommes destinés pour combattre, de les distribuer par rangs & par files, & de les instruire de toutes les manoeuvres de la guerre.

Ainsi la tactique renferme l'exercice ou le maniement des armes ; les évolutions, l'art de faire marcher les troupes, de les faire camper, & la disposition des ordres de bataille. C'étoit-là ce que les anciens Grecs faisoient enseigner dans leurs écoles militaires, par des officiers appellés tacticiens. Voyez GUERRE.

Il est aisé de s'appercevoir de l'importance de la tactique dans la pratique de la guerre ; c'est elle qui en contient les premieres regles ou les principaux élémens, & sans elle une armée ne seroit qu'une masse confuse d'hommes, également incapable de se mouvoir régulierement, & d'attaquer ou de se défendre contre l'ennemi. C'est par leurs grandes connoissances dans la tactique, que les anciens capitaines faisoient souvent ces manoeuvres inattendues au moment du combat, qui déconcertoient l'ennemi, & qui leur assuroient la victoire. " Ils étoient plus assurés que nous de la réussite de leurs projets, parce qu'avec des troupes dressées selon les vrais principes de l'art militaire, ils pouvoient calculer avec plus de justesse le tems & la distance que les différens mouvemens requéroient. Aussi ne bornoient-ils pas les exercices aux seules évolutions. Ils faisoient faire des marches d'un endroit à l'autre, en donnant attention au tems qu'ils y employoient, & aux moyens de remettre aisément les hommes en bataille. Ces principes, d'après lesquels tout le monde vouloit paroître se conduire, assuroient la supériorité du général qui les possédoit le mieux. C'étoient les généraux qui décidoient du sort des guerres. Le victorieux pouvoit écrire, j'ai vaincu les ennemis, & on ne le taxoit point de vanité. Le sage Epaminondas s'approprioit les victoires gagnées sous son commandement. N'en déplaise à Cicéron, César en pouvoit dire autant de la plûpart des siennes. Un savant architecte ne fait point injustice à ses maçons, en prenant pour lui seul l'honneur de la construction d'un bel édifice ". Mém. milit. par M. Guischardt, tom. I. p. 70.

C'est aux Grecs qu'on doit les premiers principes ou les premiers écrits sur la tactique ; & c'est dans Thucydide, Xenophon & Polybe qu'on voit les progrès de cet art, qui des Grecs passa aux Romains, chez lesquels il parvint à sa plus haute perfection. Du tems de Xénophon, la science de la guerre s'étoit déja beaucoup accrue ; elle augmenta encore sous Philippe, pere d'Alexandre, & sous ce prince, dont les successeurs, formés par son exemple & ses principes, furent presque tous de grands capitaines.

On peut observer les mêmes progrès de l'art militaire chez les Romains. " Toujours prêts à renoncer à leurs usages pour en adopter de meilleurs, ils n'eurent point honte d'abandonner les regles que leurs peres leur avoient laissées. La tactique du tems de César n'a presque rien de commun avec celle de Scipion & de Paul-Emile. On ne voit plus dans la guerre des Gaules, du Pont, de Thessalie, d'Espagne & d'Afrique, ni ces manipules de cent vingt hommes rangés en échiquier, ni les trois lignes des hastaires, des princes & des triaires distinguées par leur armure. Voyez LEGION. Le chevalier de Folard a tort, quand il dit que cet ordre de bataille en quinconce subsista jusqu'au tems de Trajan. César lui-même nous décrit la légion sous une autre forme. Toutes ces manipules étoient réunies & partagées ensuite en dix cohortes équivalentes à nos bataillons, puisque chacune étoit depuis cinq jusqu'à six cent hommes. L'élite des troupes mises autrefois en un corps séparé, qu'on appelloit les triaires, n'étoit plus à la troisieme ligne. On trouve dans Salluste une disposition de marche & un ordre de bataille qu'on prendroit pour être de Scipion. C'est le dernier trait que l'histoire fournisse de cette ancienne tactique. D'exactes observations fixent l'époque de la naissance de la nouvelle après le consulat de Métellus, & en font attribuer l'honneur à Marius.

En suivant les Romains dans leurs guerres sous les empereurs, on voit leur tactique perdre de siecle en siecle, ainsi qu'elle avoit gagné. La progression est en raison de la décadence de l'empire. Sous LÉon & Maurice, il est aussi difficile de reconnoître la tactique que l'empire de César ". Discours préliminaire des mém. milit. par M. Guischardt.

Plusieurs anciens ont traité de la tactique des Grecs. V. GUERRE. Outre ce que Xénophon & Polybe en ont écrit, il nous reste l'ouvrage d'Elien & celui d'Arrien, qui ne sont que des extraits des meilleurs auteurs sur ce sujet. M. Guischardt, qui a traduit la tactique d'Arrien, lui donne la préférence sur celle d'Elien ; parce que, dit-il, l'auteur a retranché judicieusement tout ce que l'autre contenoit de superflu & d'inutile dans la pratique, & que d'ailleurs les définitions sont plus claires que celles d'Elien. Comme Arrien n'a écrit que quelque tems après Elien, on croit assez communément que sa tactique n'est qu'une copie abrégée de celle de ce dernier auteur ; mais c'est une copie rectifiée par un maître de l'art, très-consommé dans la science des armes, au lieu qu'on peut présumer qu'Elien n'avoit jamais été à la guerre. Je parierois, dit M. le chevalier de Folard, que cet auteur n'avoit jamais servi, & que s'il étoit vrai qu'il eût fait la guerre, il en raisonnoit très-mal. Ce jugement est sans-doute trop rigoureux. Car comme Elien n'a travaillé que d'après les auteurs originaux, dont les écrits subsistoient de son tems, ce qu'il enseigne doit naturellement se trouver conforme à la doctrine de ces auteurs ; & en effet, comme l'observe M. Bouchaud de Bussy, qui vient de donner une nouvelle traduction de la tactique d'Elien, la plûpart des choses que cet ouvrage contient, se trouvent confirmées par le témoignage des historiens grecs. Il est vrai qu'Elien, dans son traité, paroît s'être plus attaché à la tactique des Macédoniens qu'à celle des Grecs ; mais comme ils exécutoient les uns & les autres les mêmes évolutions ou les mêmes mouvemens, le livre d'Elien n'en est pas moins utile pour connoître l'essentiel de leur tactique.

Quoiqu'il en soit, il paroît qu'Arrien ne trouvoit pas les auteurs qui l'avoient précédé suffisamment clairs & intelligibles, & que son objet a été de remédier à ce défaut. M. Guischardt prétend en avoir tiré les plus grands secours pour l'intelligence des faits militaires rapportés par les auteurs grecs.

A l'égard de la tactique des Romains, il ne nous reste des différens traités des anciens, que celui de Vegece, qui n'est qu'une compilation & un abrégé des auteurs qui avoient écrit sur ce sujet. On lui reproche, avec assez de fondement, de n'avoir pas assez distingué les tems des différens usages militaires, & d'avoir confondu l'ancien & le moderne. " Quand Vegece parut, dit M. Guischardt, le militaire romain étoit tombé en décadence : il crut le relever en faisant des extraits de plusieurs auteurs déja oubliés. Le moyen étoit bon, si Vegece avoit eu de l'expérience & du discernement ; mais il compila sans distinction, & il confondit, comme Tite-Live, la tactique de Jules-César avec celle des guerres puniques. Il semble avoir tiré de la discipline militaire de Caton l'ancien, ce qu'il y a de moins mauvais dans ces institutions.... En général, il est maigre dans ses détails, & il ne fait qu'effleurer les grandes parties de l'art militaire ". Il est certain que cet auteur ne donne qu'une très-légere idée de la plûpart des manoeuvres militaires ; les évolutions y sont sur-tout traitées avec une briéveté excessive ; Vegece ne fait, pour ainsi dire, qu'énoncer les principales. Cependant, malgré tous les défauts de cette espece qu'on peut lui reprocher, il n'y a, dit M. le chevalier de Folard, rien de mieux à lire ni de mieux à faire, que de le suivre dans ses préceptes. Je ne vois, ajoute ce même auteur, rien de plus instructif. Cela va jusqu'au merveilleux dans ses trois premiers livres, le quatrieme est peu de chose. Aussi l'ouvrage de Vegece est-il regardé comme un reste précieux échappé à la barbarie des tems. Les plus habiles militaires s'en sont utilement servi, & l'on peut dire qu'il a beaucoup contribué au rétablissement de la discipline militaire en Europe ; rétablissement qu'on doit particulierement au fameux Maurice prince d'Orange, à Alexandre Farnèse duc de Parme, à l'amiral Coligny, à Henri IV. Gustave Adolphe, &c. Ces grands capitaines chercherent à s'approcher de l'ordre des Grecs & des Romains autant que le changement des armes pouvoit le permettre ; car les armes influent beaucoup dans l'arrangement des troupes pour combattre, & dans la pression des rangs & des files.

Pour ce qui concerne l'arrangement particulier des troupes grecques & romaines, ou le détail de leur tactique, voyez PHALANGE & LEGION. A l'égard de la tactique moderne, voyez ARMEE, ÉVOLUTIONS, ORDRE DE BATAILLE, MARCHE & GUERRE.

Le fond de la tactique moderne est composé de celle des Grecs & des Romains. Comme les premiers, nous formons des corps à rangs & à files serrés ; & comme les seconds, nous avons nos bataillons qui répondent assez exactement à leurs cohortes, & qui peuvent combattre & se mouvoir aisément dans tous les différens terreins.

Par la pression des rangs & des files, les troupes sont en état de résister au choc des assaillans, & d'attaquer elles-mêmes avec force & vigueur. Il ne s'agit pour cet effet que de leur donner la hauteur ou la profondeur convenable, suivant la maniere dont elles doivent combattre.

Notre intention n'est point d'entrer ici dans un examen raisonné de notre tactique, le détail en seroit trop long, & il exigeroit un ouvrage particulier. Nous nous contenterons d'observer qu'il en doit être des principes de la tactique, comme de ceux de la fortification, qu'on tâche d'appliquer à toutes les différentes situations des lieux qu'on veut mettre en état de défense.

Qu'ainsi la disposition & l'arrangement des troupes doit varier selon le caractere & la façon de faire la guerre de l'ennemi qu'il faut combattre. Lorsqu'on est bien instruit des regles de la tactique, que les troupes sont exercées aux à-droite, aux à-gauche, doublemens & dédoublemens de files, de rangs & aux quarts de conversion ; qu'elles ont contracté d'ailleurs l'habitude de marcher & d'exécuter ensemble tous les mouvemens qui leur sont ordonnés, il n'est aucune figure ni aucun arrangement qu'on ne puisse leur faire prendre. Les circonstances des tems & des lieux doivent faire juger de la disposition la plus favorable pour combattre avec le plus d'avantage qu'il est possible. En général la tactique sera d'autant plus parfaite, qu'il en résultera plus de force dans l'ordre de bataille ; que les mouvemens des troupes se feront avec plus d'ordre, de simplicité & de promtitude ; qu'on sera en état de les faire agir de toutes les manieres qu'on jugera à-propos, sans les exposer à se rompre ; qu'elles pourront toujours s'aider & se soutenir réciproquement, & qu'elles seront armées convenablement pour résister à toutes les attaques des troupes de différentes especes qu'elles auront à combattre. Il est encore important de s'appliquer dans l'ordre & l'arrangement des différens corps de troupes, à faire ensorte que le plus grand nombre puisse agir offensivement contre l'ennemi, & cela, en conservant toujours la solidité nécessaire pour une action vigoureuse, & pour soutenir le choc ou l'impétuosité de l'ennemi.

De ce principe, dont il est difficile de ne pas convenir, il s'ensuit qu'une troupe formée sur une trop grande épaisseur, comme par exemple, sur seize rangs, ainsi que l'étoit la phalange des Grecs, n'auroit pas la moitié des hommes dont elle seroit composée, en état d'offenser l'ennemi, & qu'un corps rangé aussi sur très-peu de profondeur, comme deux ou trois rangs, n'auroit aucune solidité dans le choc.

Comme il est des positions où les troupes ne peuvent se joindre pour combattre la bayonnette au bout du fusil, & que la trop grande hauteur de la troupe n'est pas favorable à une action où il ne s'agit que de tirer, on voit par-là qu'il est nécessaire de changer la formation des troupes, suivant la maniere dont elles doivent combattre.

Dans les actions de feu, les troupes peuvent être sur trois ou quatre rangs, & dans les autres sur six ou huit. Voyez sur ce sujet les élémens de tactique, p. 10. 33. & 34.

Nous finirons cet article, en observant que les Romains perfectionnerent leur tactique en prenant des nations qu'elles avoient à combattre tout ce qui leur paroissoit meilleur que ce qu'ils pratiquoient. C'est le véritable moyen d'arriver à la perfection, pourvu que l'on sache distinguer les choses essentielles de celles qui sont indifférentes, ou qui ne conviennent point au caractere de la nation. Par exemple, on prétend qu'on a tort en France de vouloir imiter nos voisins dans l'usage qu'ils font de la mousqueterie, parce que nous leur envions à cet égard une propriété qu'ils n'ont peut-être éminemment que parce qu'ils ne peuvent pas avoir les nôtres.

" L'on n'entend parler, dit l'auteur du traité manuscrit de l'essai de la légion, que de cette espece d'imitation, qui est pernicieuse en ce qu'elle répugne au caractere national. Les Prussiens, les Allemands sont des modeles trop scrupuleusement détaillés. On pousse jusqu'à l'excès la vénération qu'on a pour leurs usages, même les plus indifférens. Il est très-raisonnable sans-doute de chercher à acquérir les bonnes qualités dont ils sont pourvus, mais sans renoncer à celles que l'on a, ou que l'on peut avoir supérieures à eux. Si l'on veut imiter, que ce soit dans les choses de principe, & non d'usage & de détail (a). Par exemple, pense-t-on à la discipline ? il faut chercher à en introduire une équivalente à celle des étrangers, mais conforme au génie de la nation. Imitons-les particulierement dans l'attention qu'ils ont eue à ne pas nous imiter, & à faire choix avec discernement d'une discipline & d'un genre de combat assorti à leur génie & à leur caractere. Il résultera alors de cette imitation l'effet précisément contraire à l'action de les copier dans les détails. Car nous prendrions d'aussi bonnes mesures pour mettre notre vivacité dans tout son avantage, qu'ils en prennent pour tirer parti de leur flegme & de leur docilité. Soyons comme des gens de génie, qui avec un caractere & une façon de penser qui leur est propre, ne dédaignent point d'ajouter à leurs qualités celles qu'ils apperçoivent dans les autres, mais qui se les approprient si bien, qu'ils ne sont jamais les copies ni l'écho de qui que ce soit. Il faut de l'instruction & des modeles sans-doute, mais jamais l'imitation scrupuleuse ne doit passer en principes.

Il fut un tems où notre infanterie formée par les guerres d'Italie, sous François I. fut assujettie à un

(a) On pourroit dire sur ce sujet comme Armande dans les Femmes savantes de Moliere :

Quand sur une personne on prétend se régler,

C'est par les beaux côtés qu'il faut lui ressembler ;

Et ce n'est point du tout les prendre pour modeles,

Ma soeur, que de tousser & de cracher comme elles.

bel ordre & à une belle discipline par le maréchal de Brissac ; mais elle perdit bientôt tous ces avantages par le désordre & la licence des guerres civiles.

L'histoire de France, depuis Henri II. jusqu'à Henri IV. n'expose que des petites guerres de partis & des combats sans ordre ; les batailles étoient des escarmouches générales. Cela se pratiquoit ainsi faute de bonne infanterie. La cessation des troubles nous fit ouvrir les yeux sur notre barbarie ; mais les matieres militaires étoient perverties, ou plutôt perdues. Pour les recouvrer il falloit des modeles. Le prince Maurice de Nassau éclairoit alors toute l'Europe par l'ordre & la discipline qu'il établissoit chez les Hollandois. On courut à cette lumiere ; on se forma, on s'instruisit sous ses yeux à son école ; mais l'on n'imita rien servilement. On prit le fond des connoissances qu'il enseignoit par sa pratique, & l'on en fit l'application relativement au génie de la nation.

Les grands principes sont universels ; il n'y a que la façon de les appliquer qui ne peut l'être. On établit alors le mêlange des armes & des forces ; on fixa le nombre des hommes du bataillon, & les corps furent armés des différentes armes qui se prêtoient un mutuel secours. On vit sous les mêmes drapeaux des enfans perdus, des mousquetaires, des piques, des halebardes & des rondaches. Les exercices qui nous restent de ce tems-là annoncent des principes de lumiere & de méthode dans l'instruction, mais ils n'indiquent point l'abandon de l'espece de combat qui nous étoit avantageux : au contraire, sans imiter précisément les Hollandois, nous profitâmes des lumieres du prince Maurice, conformément à notre génie, & nous surpassâmes bientôt notre modele.

C'est ainsi que l'on peut & que l'on doit imiter, sans s'attacher aux méthodes particulieres. Car quelques bonnes qu'elles puissent être chez les étrangers, il faut toujours penser que puisqu'elles leur sont habituelles & dominantes, elles sont analogues à leur caractere. Car le caractere national ne peut se communiquer ; il ne s'imite point ; c'est, s'il est heureux, le seul avantage d'une nation sur une autre que l'ennemi ne puisse pas s'approprier ; mais quand on y renonce par principe, & qu'on se dépouille de son naturel pour imiter, on finit par n'être ni soi ni les autres, & l'on se trouve fort au-dessous de ceux qu'on a voulu imiter.

Je ne doute pas que les étrangers ne voient avec plaisir que nous nous sommes privés volontairement de l'avantage de notre vivacité dans le choc qu'ils ont toujours redouté en nous, & qu'ils ont cherché à éluder parce qu'ils n'ont pas cru pouvoir y résister, & encore moins l'imiter. Cette imitation étoit hors de leur caractere ; elle leur a paru impraticable ; ils se sont servi de leur propre vertu, & ils se sont procuré des avantages dans un autre genre, en se faisant un principe constant de se dévoyer autant qu'ils le peuvent à l'impétuosité de notre choc.

Il faut chercher sans-doute à se rendre propre au genre de combat auquel ils nous forcent le plus souvent ; mais il est nécessaire en même tems de s'appliquer à employer cette force qu'ils redoutent en nous, & dont ils nous apprennent la valeur par l'attention qu'ils ont à l'éviter.

Il est donc nécessaire que notre ordre habituel n'ait pas cette tendance uniquement destinée à la mousqueterie, & à la destruction de toute autre force. C'est pourquoi il faut fixer des principes & un ordre également distant de l'état de foiblesse, & celui d'une force qui n'est propre qu'à certaines circonstances, ou qui est employé au-delà de la nécessité ". (Q)


TADGIES(terme de relation) nom qu'on donne aux habitans des villes de la Transoxane, & du pays d'Iran, c'est-à-dire à tous ceux qui ne sont ni tartares, ni mogols, ni turcs, mais qui sont naturels des villes ou des pays conquis.


TADINAEou TADINUM, (Géogr. anc.) & ses habitans Tadinates ; ville d'Italie au pié du mont Apennin, & des frontieres de l'Umbrie. Elle étoit sur la voie Flaminienne, & le fleuve Rasina mouilloit ses murs. On la nomme aujourd'hui Gualdo ; cependant Gualdo n'est pas dans le même lieu que Tadinae, mais sur une colline voisine. (D.J.)


TADMOR(Géog. mod.) on écrit aussi Thadmor, Tamor, Thamor, Thedmor, Tedmoor & Tedmor ; mais qu'on écrive comme on voudra, c'est l'ancien nom hébraïque & syriaque de la ville célebre, que les Grecs & les Romains ont nommée Palmyre. Voyez PALMYRE.


TADORNETARDONNE, s. f. (Hist. nat. Ornitholog.) tadorna bellonii, oiseau de mer qui est plus petit que l'oie, & plus gros que le canard ; il a le bec court, large, un peu courbe, & terminé par une espece d'ongle ; cet ongle & les narines sont noires ; tout le reste du bec a une couleur rouge ; il y a près de la base de la piece supérieure du bec, une prééminence oblongue & charnue ; la tête & la partie supérieure du cou sont d'un verd foncé & luisant ; le reste du cou & le jabot ont une belle couleur blanche ; les plumes de la poitrine & des épaules sont de couleur de feuille morte, cette couleur forme un cercle au-tour de la partie antérieure du corps ; le bas de la poitrine & le ventre sont blancs ; les plumes du dessous de l'anus ont une couleur tirant sur l'orangé, à-peu-près semblables à celle des plumes du dessus de la poitrine ; les plumes du dos & des aîles, à l'exception de celles de la derniere articulation de l'aîle, sont blanches ; les longues plumes des épaules ont une couleur noire ; celles de la queue sont blanches, à l'exception de la pointe qui est noire. Rai, synop. meth. avium. Voyez OISEAU.


TADOUSSAou TADOUSAC, (Géog. mod.) port & établissement de l'Amérique septentrionale, dans la nouvelle France, au bord du fleuve S. Laurent, à 30 lieues au-dessous de Québec, près de l'embouchure de la riviere Saguenai ; c'est un petit port capable au plus de contenir vingt navires. Longit. 309. lat. 48. 33. (D.J.)


TAEDAS. m. (Botan. & Littérat.) taeda en botanique, est le pin des montagnes converti en une substance grasse. Rai, Dalechamp, Clusius & Parkinson ont, je crois, raison de penser que le mot taeda est homonyme, & signifie quelquefois le bois gras & résineux, , du pin que l'on brûle en forme de torche ; & quelquefois une espece particuliere d'arbre que Théophraste n'a point connue. On tire de la partie inférieure du pin des montagnes, qui est près de la racine, des morceaux de bois résineux dont on se sert pour allumer du feu, & pour éclairer dans plusieurs endroits de l'Allemagne ; la seve se jettant sur la racine cause une suffocation, par le moyen de laquelle l'arbre se convertit en taeda. Le sapin & la melèse se convertissent quelquefois en taeda ; mais cela est assez rare, car c'est une maladie particuliere au pin des montagnes.

L'usage que l'on faisoit des morceaux de taeda pour éclairer, est cause que l'on donne le même nom à toutes sortes de flambeaux, & sur-tout au flambeau nuptial. Aussi le mot taeda se prend-il dans les poëtes pour le mariage. Catulle appelle un heureux mariage, felices taedae ; & Séneque nomme taeda, l'épithalame ou la chanson nuptiale. Aristenete, dans sa description des noces d'Acoucés & de Cydippé, dit qu'on mêla de l'encens dans les flambeaux nuptiaux, afin qu'ils répandissent une odeur agréable avec leur lumiere ; c'est un luxe qui nous manque encore.

, ou , signifient proprement un flambeau ou une torche, de , j'allume ; d'où est venu le latin taeda, comme de , tescum, , tina. On appelloit ainsi une torche faite de plusieurs petits morceaux de bois résineux attachés ensemble, & enduits de poix. Pline se sert du mot taeda pour signifier un arbre de l'espece du pin. On tiroit les taedae du picaea, du pin, & ex omnibus , c'est-à-dire, de tous les arbres tédiferes. Saumaise vous en diroit bien davantage, mais je n'ose transcrire ici ses remarques d'érudition. (D.J.)


TAELS. m. (Poids chinois) les Portugais disent telle, & les Chinois, leam. C'est un petit poids de la Chine, qui revient à une once deux gros de France, poids de marc ; il est particulierement en usage du côté de Canton. Les seize taels font un catis, cent catis font le pic, & chaque pic fait cent vingt-cinq livres poids de marc. Savary. (D.J.)

TAEL D'ARGENT, (Monnoie du Japon) monnoie de compte du Japon, qui passe encore à la Chine pour vraie monnoie. Le taël d'argent japonois, vaut trois guldes & demi d'Hollande. (D.J.)

TAEL-PE, s. m. (Hist. nat.) nom d'un animal aussi petit qu'une hermine, dont les Chinois de Pékin font des fourrures. Ces animaux se trouvent dans la Tartarie orientale, chez les Tartares appellés Kalkas ; ce sont des especes de rats, qui forment dans la terre des rangées d'autant de trous qu'il y a de mâles dans la société ; l'un d'eux fait toujours sentinelle pour les autres à la surface de la terre, dans laquelle il rentre à l'approche des chasseurs ; ces derniers entourent leur retraite, ils ouvrent la terre en deux ou trois endroits, jettent de la paille allumée dans les trous qu'on y a faits, & par là ils font sortir ces petits animaux de leurs trous.


TAENARUM FLUMEN(Géog. anc.) fleuve de Thrace, près la ville Aenus, selon Chalcondyle, cité par Ortelius. Leunclavius dit que le nom vulgaire est Tunza, & que ce fleuve se jettoit dans l'Hébrus, aux environs d'Hadrianopolis. M. de Lisle, dans sa carte de la Grece, appelle ce fleuve Tuncia.


TAENIAS. m. (Hist. nat. Insectologie) autrement le ruban ; c'est une espece de ver fort irrégulier du corps humain ; il est d'une grandeur indéfinie, car on prétend en avoir vû de dix à vingt toises de long ; en même tems il n'a guere que quatre à cinq lignes de largeur ; enfin il est plat comme un lacet, d'où lui vient son nom de ruban. Son corps est composé d'anneaux enchâssés régulierement les uns dans les autres, mais avec quelques différences ; les onze premiers anneaux, du côté de la tête, sont unis par une membrane fine, qui les sépare tant-soit-peu les uns des autres ; ils sont encore un peu plus épais, & plus petits que les anneaux du reste du corps ; au-dessous des six premiers articles, il y a plusieurs petites éminences rondes, placées en long, comme les piés des chenilles ; la partie supérieure de chaque articulation, c'est-à-dire celle qui est vers la tête, est reçue dans l'articulation précédente, & la partie inférieure reçoit l'articulation suivante ; ce qui fait une articulation perpétuelle ; la cavité où chaque articulation est jointe, paroît traversée par des fibres musculeuses, qui laissent entr'elles de petits espaces, par où les visceres communiquent d'un anneau à l'autre. Sur les côtes de chaque articulation, on apperçoit une petite ouverture en forme d'issue, où aboutit un canal qui s'étend jusqu'au milieu de l'articulation. M. Andry a le premier observé ces ouvertures ; il les prend pour des trachées, parce que certaines especes d'insectes en ont effectivement qui sont disposées ainsi tout le long de leur corps, à chaque articulation ou incision.

La peau du taenia en fait toute la substance ; c'est un véritable muscle, formé de fibres disposées en plusieurs sens, & entrecoupées aux jointures. Elle ne paroissent cependant qu'à l'intérieur de la peau. Le ver se plie facilement dans toute son étendue, mais principalement aux jointures.

Il est à présumer que ce ver vient d'un oeuf comme tous les autres animaux ; mais comment cet oeuf se trouveroit-il dans le corps d'un homme ? y est-il venu de dehors, enfermé dans quelque aliment, ou même, si l'on veut, porté par l'air ? on devroit donc voir sur la terre des taenia, & l'on n'en a jamais vu. On pourroit bien supposer que le chyle dont ils se nourrissent dans le corps humain, leur convient mieux que toute autre nourriture qu'ils pourroient trouver sur la terre, sans y parvenir jamais à plusieurs toises de longueur ; mais du moins devroit-on connoître les taenias de terre, quelque petits qu'ils fussent, & l'on n'en connoît point.

Il est vrai qu'on pourroit encore dire que leur extrême petitesse les rend absolument méconnoissables, & change même leur figure, parce que tous leurs anneaux seront roulés les uns dans les autres ; mais que de cette petitesse qui les change tant, ils puissent venir à avoir dix à vingt toises de longueur, c'est une supposition un peu violente ; quel animal a jamais crû selon cette proportion ? il seroit donc commode de supposer que puisque le taenia ne se trouve que dans le corps de l'homme, ou de quelqu'autre animal, l'oeuf dont il est éclos, est naturellement attaché à celui dont cet animal est venu ; & ceux qui soutiennent l'hypothèse des vers héréditaires, s'accommoderoient fort de cette idée.

Ce qu'il y a de plus sûr, c'est qu'on peut longtems nourrir un taenia, sans s'en appercevoir. Cet hôte n'est nuisible que par des mouvemens extraordinaires, & il n'y a peut-être que de certains vices particuliers des humeurs, qui l'y obligent en l'incommodant, & en l'irritant ; hors de-là il vit paisiblement d'un peu de chyle, dont la perte se peut aisément supporter, à moins que le ver ne soit fort grand, ou qu'il n'y ait quelqu'autre circonstance particuliere, difficile à deviner. (D.J.)


TAENIOLONGA(Géog. anc.) ville d'Afrique, dans la Mauritanie tingitane, sur l'Océan ibérique, selon Ptolémée, liv. IV. j. Le nom moderne, selon Castald, est Mesenna. (D.J.)


TAFALLA(Géog. mod.) ville d'Espagne, dans la Navarre, proche la riviere de Cidaço, à cinq lieues de Pampelune. Elle est fortifiée, & dans un terroir fertile en excellent vin. (D.J.)


TAFARAS. f. (Hist. nat. Bot.) plante de l'île de Madagascar, dont la décoction & le marc appliqué, ont une vertu admirable pour la guérison des hernies.


TAFFETASS. m. (Soierie) on donne le nom de taffetas à toutes les étoffes minces & unies, qui ne sont travaillées qu'avec deux marches, ou faites comme la toile, de façon que toutes les étoffes de cette espece pourroient être travaillées avec deux lisses seulement ; si la quantité des mailles dont chaque lisse seroit composée, & qui doit être proportionnée au nombre de fils, ne gênoient le travail de l'étoffe, chaque maille occupant plus de place que le fil dont la chaîne est composée, qui doit être très-fin, surtout dans les taffetas unis. C'est uniquement pour parer aux inconvéniens qui proviendroient de la quantité de mailles, si cette étoffe étoit montée avec deux lisses, qu'on s'est déterminé à les monter sur quatre, afin que le fil de la chaîne ait plus de liberté & ne soit point coupé par le resserrement des mailles beaucoup plus fortes & plus grosses que le même fil. Les moëres qui ne sont qu'une espece de taffetas ont jusqu'à dix lisses, pour lever moitié par moitié ; & cela, pour que les mailles ne soient pas serrées.

L'armure du taffetas est donc la même que celle du poil du double fond, ou de la persienne ; & quoiqu'elle soit très-simple, nous en ferons la démonstration, parce qu'on se servira du terme d'armer les poils en taffetas, dans les étoffes riches dont nous parlerons, de même que de les armer en raz de saint Maur, dans les occasions où il sera nécessaire.

Démonstration de l'armure des taffetas.


TAFFIAS. m. (Art distill.) le taffia, que les Anglois appellent rhum, & les François guildive, est un esprit ardent ou eau-de-vie tirée par le moyen de la distillation des débris du sucre, des écumes & des gros syrops, après avoir laissé fermenter ces substances dans une suffisante quantité d'eau.

Voici de quelle façon on opere. On commence par mettre dans de grandes auges de bois construites d'une seule piece, deux parties d'eau claire, sur lesquelles on verse environ une partie de gros syrop, d'écumes & de débris de sucre fondus ; on couvre les auges avec des planches, & on donne le tems à la fermentation de produire son effet. Au bout de deux ou trois jours, selon la température de l'atmosphere, il s'excite dans les auges un mouvement intestin, qui chasse les impuretés grossieres, & les fait monter à la surface de la grappe, c'est-à-dire de la liqueur, laquelle acquiert une couleur jaune & une odeur aigre extrêmement forte, signe évident que la fermentation a passé de son état spiritueux à celui d'acidité. C'est à quoi les Distillateurs de taffia ne font nulle attention, se conduisant d'après une ancienne routine : on croit devoir les avertir de veiller soigneusement à saisir l'instant juste entre ces deux degrés de fermentation, ils y trouveront leur avantage par la bonne qualité de la liqueur qu'ils distilleront.

C'est ordinairement à la couleur, aussi-bien qu'à l'odeur, que l'ouvrier juge si la grappe est en état d'être passée à l'alembic. Alors on enleve fort exactement toutes les ordures & les écumes qui surnagent, & on verse la grappe dans de grandes chaudieres placées sur un fourneau, dans lequel on fait un feu de bois. Ces chaudieres, dont on peut voir la figure dans nos Planches de Sucrerie, sont de grandes cucurbites de cuivre rouge, garnies d'un chapiteau à long bec, auquel on adapte une couleuvre, espece de grand serpentin d'étain en spirale, formant plusieurs circonvolutions au milieu d'un tonneau plein d'eau fraîche, qu'on a grand soin de renouveller lorsqu'elle commence à s'échauffer, l'extrêmité inférieure du serpentin passe au-travers d'un trou fort juste percé vers le bas du tonneau ; c'est par cette extrêmité que coule la liqueur distillée dans des cruches ou pots de raffineries servant de récipiens.

Lorsqu'il ne monte plus d'esprit dans le chapiteau, on délute les jointures du collet ; & après avoir vuidé la chaudiere, on la remplit de nouvelle grappe, & on recommence la distillation, pour avoir une certaine quantité de premiere eau distillée, laquelle étant foible, a besoin d'être repassée une seconde fois à l'alembic. Par cette rectification, elle acquiert beaucoup de limpidité & de force. Elle est très-spiritueuse ; mais par le peu de précaution, elle contracte toujours de l'âcreté, & une odeur de cuir tanné fort désagréable à ceux qui n'y sont pas accoutumés. Les Anglois de la Barbade distillent le taffia avec plus de soin que nous ne faisons. Ils l'employent avec de la limonade, pour en composer le punch dont ils usent fréquemment. Voyez PUNCH. C'est encore avec le taffia, mêlé des ingrédiens convenables, qu'ils composent cette excellente liqueur connue sous le nom d'eau des Barbades, qui cependant est beaucoup plus fine & bien meilleure lorsqu'elle est faite avec l'eau-de-vie de Coignac. On employe communément le taffia pour frotter les membres froissés, pour soulager les douleurs rhumatismales. On y ajoute quelquefois des huiles de frégate, de soldat, ou de serpent tête-de-chien : si on le mêle avec des jaunes d'oeufs cruds & du baume de copahu un peu chaud, on en compose un excellent digestif propre à nettoyer les plaies.

Quoique le fréquent usage de l'eau-de-vie & des liqueurs spiritueuses soit pernicieux à la santé, on a remarqué que de toutes ces liqueurs le taffia étoit la moins malfaisante. Cela paroît démontré par les excès qu'en font nos soldats & nos negres, qui résisteroient moins long-tems à la malignité des eaux-de-vie qu'on fait en Europe. Art. de M. LE ROMAIN.


TAFILET(Géog. mod.) royaume d'Afrique, en Barbarie, compris dans les états de Maroc. Il est borné au nord par les royaumes de Tremecen & de Fez, au midi par le desert de Barbarie, au levant par le pays des Béréberes, & au couchant par les royaumes de Fez, de Maroc & de Sus. On le divise en trois provinces, qui sont Dras, Sara & Thuat. Les grandes chaleurs qu'il y fait, & les sables en rendent le terroir stérile ; cependant il y croît beaucoup de dattes. Ses principales villes sont Tafilet, capitale, Sugulmesse, Timescuit & Taragale. (D.J.)

TAFILET, (Géog. mod.) ville d'Afrique, capitale du royaume, & sur une riviere de même nom. Elle est peuplée d'environ deux mille béréberes, & son terroir produit les meilleures dattes de Barbarie. Long. 16. 5. lat. 28. 30. (D.J.)

TAFILET, riviere, (Géog. mod.) riviere d'Afrique dans la Barbarie, au royaume du même nom qu'elle traverse. Elle a sa source dans le mont Atlas, au pays des Sagars, & se perd dans les sables du Sara, ou desert de Barbarie. (D.J.)


TAFOE(Géog. mod.) ou Tafou ; province d'Afrique, dans la Guinée proprement dite, au royaume d'Akim. Vers le midi de cette province, est la montagne de Tafou, où l'on prétend qu'il y a des mines d'or.


TAFURES(Géog. mod.) petite ville d'Asie, dans l'Archipel des Moluques, à 80 lieues de Ternate. Elle a trois lieues de circuit, des palmiers, du coco, plusieurs autres fruits, un grand étang, &c. en un mot, elle est fertile, & néanmoins fort dépeuplée par les ravages qu'y commirent les Espagnols en 1631, & dont elle n'a pu se relever. (D.J.)


TAGAE(Géog. anc.) ville de la Parthie aux confins de l'Hyrcanie, près du fleuve Oxus, selon Polybe, l. X. n °. 26. & selon Solin.


TAGAMA(Géog. anc.) ville d'Afrique dans la Lybie intérieure, sur le bord du Niger, entre Vellégia & Panagra, selon Ptolémée, l. IV. c. vj. Elle a été épiscopale.


TAGAOST(Géog. mod.) ville d'Afrique, au royaume de Maroc, dans la province de Sus, à 20 lieues de la mer. Les Juifs qui s'y trouvent vivent dans un quartier séparé, & y font un bon commerce. Long. 10. lat. 28. 30. (D.J.)


TAGASTE(Géog. anc.) ville d'Afrique dans la Numidie, entre Hippone & Sicca-Veneria, ou comme le marque l'itinéraire d'Antonin, sur la route d'Hippone à Carthage, entre Hippone & Naraggara, à 53 milles de la premiere de ces villes, & à 25 de la seconde. Pline nomme Tagaste, Tagestense oppidum. C'étoit un siege épiscopal, qui a subsisté long-tems après les ruines de Carthage & d'Hippone.

Cette ville a été encore célebre par la naissance de S. Augustin, en l'an 354 de J. C. & d'Alypius son bon ami, qui en devint évêque l'an 394. Tandis que S. Augustin réfutoit les Pélagiens avec la plume, Alypius obtint contr'eux de l'empereur Honorius, les arrêts les plus séveres. Ce sont ces arrêts, dit le P. Maimbourg, qui exterminerent l'hérésie pélagienne de l'empire, parce qu'on chassa de leurs sieges tous les évêques qui ne voulurent pas souscrire à la condamnation impériale. Le P. Maimbourg goûtoit fort la conversion produite par le glaive ; celle de la persuasion n'est-elle pas au contraire dans l'esprit du Christianisme ? Notre Sauveur n'en vouloit point d'autre. (D.J.)


TAGAT(Géog. mod.) montagne d'Afrique, au royaume de Fez, à 2 lieues au couchant de la ville de Fez. Elle est fort longue & étroite : toute sa face du côté de Fez est couverte de vignes ; mais de l'autre côté & sur le sommet, ce sont des terres labourables. Les habitans de cette montagne sont tous des gens de travail, & demeurent dans des hameaux. (D.J.)


TAGE(Géog. mod.) ville de l'Arabie heureuse, sur la route de Moka, entre Manzéri & Manzuel, à 18 lieues des la premiere de ces villes. Celle-ci a quelques belles mosquées ; elle est fermée de murs, & a un château pour la commander ou la défendre.

TAGE, LE, (Géog. mod.) en latin Tagus ; grande riviere d'Espagne, qui selon les anciens, rouloit des paillettes d'or avec son sable. Tagus auriferis arenis celebratur, dit Pline, l. IV. c. xxij. Elle ne roule plus d'or aujourd'hui, mais elle en porte beaucoup à l'Espagne & au Portugal, par le commerce.

Ce fleuve a sa source dans la partie orientale de la nouvelle Castille, aux confins du royaume d'Aragon. Il traverse toute la Castille de l'orient à l'occident, & baigne Tolede : de-là il passe à Almaraz & à Alcantara, dans l'Estramadoure d'Espagne, d'où entrant dans l'Estramadoure de Portugal, il lave Santaren, & va former un petit golfe d'une lieue de largeur, qui sert de port à Lisbonne ; & deux lieues audessous il se décharge dans l'Océan atlantique. La marée monte à Lisbonne ordinairement douze piés à pic, & plus de dix lieues en avant vers sa source.

Le Camoens, dans sa Lusiade, apostrophe ainsi les nymphes du Tage. " Nymphes, dit-il, si jamais vous m'avez inspiré des sons doux & touchans, si j'ai chanté les bords de votre aimable fleuve, donnez-moi aujourd'hui des accens fiers & hardis ! Qu'ils aient la force & la clarté de votre cours ! Qu'ils soient purs comme vos ondes, & que désormais le dieu des vers préfere vos eaux à celles de la fontaine sacrée " !

Cette apostrophe est charmante, quoiqu'elle ne renferme point le beau contraste qui se trouve dans celle de Denham à la Tamise, comme le lecteur en pourra juger en lisant le mot TAMISE. (D.J.)


TAGERAS. f. (Hist. nat. Botan. exot.) cette plante croît aux Indes orientales dans les lieux sablonneux, & s'éleve à la hauteur de trois ou quatre piés. Sa racine est fibreuse & noirâtre ; ses tiges sont rondes, ligneuses & vertes. Ses feuilles viennent par paires sur des pédicules courts ; elles sont d'un verd-pâle, lisses, larges, oblongues, émoussées par la pointe, & cannelées vers la queue. Ses fleurs ont la couleur & la figure de celles du saphora. Cette plante est le sena spuria Malabarica, de l'Hort. Malab. (D.J.)


TAGÈSS. m. (Mythologie) demi-dieu trouvé endormi sous une motte de terre, & reveillé par un laboureur avec le soc d'une charrue. On lui attribue d'avoir porté l'art de la divination en Etrurie ; c'est-là qu'Ovide le fait naître de la terre. D'autres poëtes nous le donnent pour le fils du Génie, & petit-fils de Jupiter. C'étoit un homme obscur, mais qui se rendit célebre, en enseignant aux Etruriens l'art des aruspices qui fit fortune à Rome, & immortalisa le nom de l'inventeur ; d'où vient que Lucain dit :

Puisse l'art de Tagès être un art captieux,

Et toute ma science un songe spécieux !

(D.J.)


TAGETESS. m. (Botan.) Tournefort distingue dix especes de ce genre de plante, nommée par les Anglois the african marygold, & par les François oeillet-d'inde. L'espece la plus grande à fleur double, nommée tagetes maximus, rectus, flore maximo, multiplicato, J. R. H. 488. pousse à la hauteur d'environ trois piés une tige menue, nouée, rameuse, remplie de moëlle blanche. Ses feuilles sont semblables, en quelque maniere, à celles de la tanesie, oblongues, pointues, dentelées en leurs bords, vertes, rangées plusieurs sur une côte terminée par une seule feuille, d'une odeur qui n'est pas bien agréable ; ses fleurs naissent seules sur chaque sommet de la tige & des branches, belles, radiées, rondes, & quelquefois grosses comme le poing, composées d'un amas de fleurons de couleur jaune dorée, soutenus sur un calice oblong, ou formé en tuyau dentelé par le haut. Quand cette fleur est tombée, il lui succede des semences longues, anguleuses, noires, contenues dans le calice.

Cette plante nous vient de Catalogne. Quelques auteurs la recommandent dans la suppression des regles & des urines, tandis que d'autres prétendent que c'est une plante dangereuse, ainsi que toutes les especes d'oeillets-d'Inde. Il est vraisemblable que le tagetes est du nombre de ces plantes qui sont vénéneuses dans un pays & salutaires dans un autre. On peut dont négliger celle-ci dans le nôtre, puisque Dodonée prétend avoir éprouvé, par plusieurs expériences, qu'elle devoit être mise au nombre des plantes nuisibles ; mais il est certain qu'elle fait un des ornemens de nos jardins par la beauté de ses fleurs, dont cependant l'odeur est dangereuse. Miller vous en enseignera la culture. (D.J.)


TAGGALou TEGGAL, (Géog. mod.) ville des Indes, dans l'île de Java, sur la côte septentrionale, vers le milieu de l'île, entre Japara au levant, & Tsiéribon au couchant. On y voit de vastes campagnes de ris, & les Hollandois y ont un fort, qui porte le nom de Taggal. Au midi de cette ville, est un volcan, appellé par les mêmes Hollandois, Berg Taggal. (D.J.)


TAGHMOND(Géogr. mod.) petite ville d'Irlande, dans la province de Leinster, au comté de Wexford, à sept milles à l'orient de Wexford. Elle envoye deux députés au parlement de Dublin. Long. 11. 16. latit. 52. 10. (D.J.)


TAGIOUAH(Géog. mod.) ville du pays des Negres, qui confine à la partie occidentale de la Nubie. Cette ville donne son nom à une province, dont les peuples sont appellés Tagiouins, gens qui ne sont attachés à aucune religion, c'est-à-dire, qui ne sont ni juifs, ni chrétiens, ni musulmans. (D.J.)


TAGLIACOZZO(Géog. mod.) petite ville d'Italie, au royaume de Naples, dans l'Abruzze ultérieure, à huit milles au couchant du lac Célano, avec titre de duché. Quelques géographes ont avancé qu'elle a été bâtie des ruines de l'ancienne Carséoli ; mais outre que l'identité de lieu ne s'y rapporte point, les restes de Carséoli se voyoient encore dans le dernier siecle dans une plaine qui en conserva le nom, & qu'on appelle piano di Carsoli, où est un bourg nommé Carsoli.

Argoli (André), né à Tagliaccozzo sur la fin du seizieme siecle, publia en Médecine & en Astronomie quelques ouvrages latins, qui lui valurent la chaire de Padoue, avec le titre de chevalier de saint Marc. Il mourut vers l'an 1655. (D.J.)


TAGOLANDAILE, (Géog. mod.) île d'Asie, dans l'Archipel des Moluques. Elle a six lieues de tour, une bonne riviere, deux ports & un volcan, qui n'empêche point qu'elle ne soit fertile en palmiers de coco, en ris, en sagou & en fruits. (D.J.)


TAGOMAGOILE, (Géog. mod.) petite île presque ronde de la mer Méditerranée, près du cap le plus oriental de l'île d'Yvica. (D.J.)


TAGONIUS(Géog. anc.) riviere d'Espagne, dont Plutarque parle dans la vie de Sertorius. C'est aujourd'hui l'Hénarés, selon Amb. Morales. Les traducteurs de Plutarque rendent Tagonius par le Tage. (D.J.)


TAGRUM(Géog. anc.) nom que Varron, rei rustic. l. II. c. v. donne à un cap de la Lusitanie, appellé aujourd'hui monte di sintra. (D.J.)


TAGUMADERT(Géog. mod.) ville d'Afrique, aux états du royaume de Maroc, dans le royaume de Tafilet, proche la riviere de Dras, avec un château sur une montagne, où on tient garnison. Les environs de cette ville sont fertiles en blé, en orge & en dattes. (D.J.)


TAGUZGALPA(Géog. mod.) Wafer écrit Téguzigalpa ; province de l'Amérique septentrionale, dans la nouvelle Espagne ; c'est un petit pays aux confins de Guatimala & de Nigaragua, entre la riviere de Yairepa & celle de Désaguadéro. (D.J.)


TAHABERG(Géog. mod.) montagne de Suede, dans la province de Smaland. Elle est très-haute, & peut-être la montagne du monde où il se trouve le plus de fer. (D.J.)


TAHNAHou TAHANAH, (Géog. mod.) ville du Zanguebar, au pays des Cafres. Elle est sur la côte de Sofala, c'est-à-dire, sur le rivage de l'Océan éthiopique. (D.J.)


TAHONVoyez TAON.


TAIES. f. (Hist. nat. & Chim.) crusta, l'espece d'écaille ou de coquille des crustacées. Voyez CRUSTACEE & SUBSTANCE ANIMALE. (b)

TAIE, s. f. (maladie de l'oeil) tache blanche qui se forme à la cornée transparente. Voyez ALBUGO & LEUCOMA, termes que l'usage a francisés.

TAIE, (Maréchallerie) mal qui vient aux yeux des chevaux. Il y a deux sortes de taies ; l'une est une espece de nuage qui couvre l'oeil ; l'autre une tache ronde, épaisse & blanche, qui se forme sur la prunelle. On appelle cette taie la perle, parce qu'elle lui ressemble en quelque façon. Ces maux peuvent venir d'un coup, ou d'une fluxion, & ne sont autre chose que des concrétions d'une lymphe épaissie sur la cornée. On les dissipe en mettant sur la taie de la poudre de fiente de lézard jusqu'à guérison, ou de la couperose blanche, sucre candi, & tutie, parties égales, ou du sucre.


TAIF(Géog. mod.) petite ville de l'Arabie, au midi de la montagne de Gazouan. Son terroir, quoique le plus froid de tout le pays d'Hégiaz, abonde en fruits.


TAIIBIS. m. (Hist. nat. Zool.) nom d'un animal d'Amérique décrit par Marggrave & par d'autres auteurs, qui nous le donnent pour être le mâle de l'opossum. Les Portugais appellent cet animal cachorro de mato, & les Hollandois boschratte. Son corps est allongé ; sa tête est faite comme celle du renard ; son nez est pointu, & ses moustaches sont comme celles du chat. Il a les yeux noirs, sortant de la tête ; les oreilles sont arrondies, tendres, douces & blanches. La queue a des poils blancs près de son insertion, ensuite de noirs, & en est dénuée au bout, où elle est couverte d'une peau semblable à celle d'un serpent.


TAIKIS. m. (Hist. mod.) c'est ainsi qu'on nomme chez les Tartares monguls, les chefs qui commandent à chaque horde ou tribu de ces peuples. La dignité de taïki est héréditaire, & passe toujours à l'aîné des fils. Il n'y a point de différence entre ces chefs, sinon celle qui résulte du nombre des familles qu'ils ont sous leurs ordres. Ces chefs sont soumis à un kan dont ils sont les vassaux, les conseillers & les officiers généraux.

TAI-KI, (Hist. mod. Philosophie) ce mot en chinois signifie le faîte d'une maison. Une secte de philosophes de la Chine, appellée la secte des ju-kiau, se sert de ce mot pour désigner l'Etre suprême, ou la cause premiere de toutes les productions de la nature. Voyez JU-KIAU.


TAILse dit dans l'Ecriture, d'une plume que l'on prépare avec le canif à tracer des caracteres quelconques. Pour le faire comme il faut, mettez le tuyau de la plume sur le doigt du milieu gauche, tournez-la du côté de son dos ; faites une légere ouverture à l'extrêmité, retournez-la ensuite sur son ventre, sur lequel vous ouvrirez un grand tail ; de-là sur le dos, pour commencer une fente entre les deux angles de la plume, en mettant perpendiculairement l'extrêmité de la lame du canif sous le milieu de ces angles ; pour faire une ouverture nette & proportionnée à la fermeté ou à la mollesse de la plume, tenez le pouce gauche fermement appuyé sur l'endroit où vous voulez terminer la fente ; ensuite insérez l'extrêmité du manche du canif, qui par un petit mouvement de coude, mais vif, achevera la fente : cela fait, remettez la plume sur son ventre, pour en former le bec, que vous déchargerez proportionnément à la foiblesse ou à sa fermeté : le bec étant déchargé, & le grand tail & les angles formés comme il convient, selon le volume ou le style que vous voulez donner à votre caractere, insérez une autre plume dans celle dont vous voulez achever le bec ; coupez légerement le dessus de son extrêmité, le canif horisontal du côté de la plume. Enfin pour donner à la plume le dernier coup, coupez le bec vivement, obliquement pour le caractere régulier, & également pour l'expédition. Voyez les Planches.


TAILLABLEadj. (Gramm. Gouvern. & Polit.) qui est sujet à la taille. Voyez TAILLE.


TAILLADES. f. (Gramm.) grande coupure. On portoit autrefois des sabots à taillades, c'est-à-dire, ouverts en plusieurs endroits par des grandes coupures.


TAILLADINS. m. en Confiserie, se dit de petites bandes de la chair de citron ou d'orange, &c. fendues extrêmement minces, & en longueur comme des lardons.


TAILLANDERIES. f. (Fabrique de fer) la taillanderie désigne ou l'art de fabriquer les ouvrages de fer, ou les ouvrages mêmes que font les taillandiers.

L'on peut réduire à quatre classes les ouvrages de taillanderie ; savoir les oeuvres blanches, la vrillerie, la grosserie, & les ouvrages de fer blanc & noir.

Les oeuvres blanches sont proprement les gros ouvrages de fer tranchant & coupant qui s'aiguisent sur la meule, & qui servent aux charpentiers, charrons, menuisiers, tonneliers, jardiniers, bouchers, &c.

La classe de la vrillerie, ainsi nommée des vrilles, comprend tous les menus ouvrages & outils de fer & d'acier qui servent aux orfevres, graveurs, sculpteurs, armuriers, tabletiers, épingliers, ébénistes, &c.

Dans la classe de la grosserie sont tous les plus gros ouvrages de fer qui servent particulierement dans le ménage de la cuisine, comme toutes sortes de crémaillers, poëles, poëlons, léchefrites, marmites, chenets de fer, feux de cuisine & de chambre, chaudron, chaîne, chaînon, &c. C'est aussi dans la grosserie qu'on met les piliers de boutique, les pinces, couprets à paveurs, valet & sergent des menuisiers, toutes les especes de marteaux de maçons, les fers de poulies & autres semblables.

Enfin, la quatrieme classe comprend tous les ouvrages qui se peuvent fabriquer en fer blanc & noir par les taillandiers-ferblantiers ; comme des plats, assiettes, flambeaux, rapes, lampes, plaques de tole, chandeliers d'écurie, & quantité d'autres.

La taillanderie est comprise dans ce qu'on nomme quinquaillerie, qui fait une des principales parties du négoce de la mercerie. (D.J.)


TAILLANDIERS. m. (Corps d'ouvriers) artisan qui travaille aux ouvrages de taillanderie. La communauté des Taillandiers de Paris, est très-considérable, & l'on peut dire qu'il y a en quelque sorte quatre communautés réunies en une seule. Les maîtres de cette communauté sont qualifiés Taillandiers en oeuvres blanches, grossiers, vrilliers, tailleurs de limes, & ouvriers en fer blanc & noir. La qualité de maître Taillandier est commune à tous les maîtres ; les autres qualités sans diviser la communauté, se partagent entre quatre especes d'ouvriers, qui sont les Taillandiers travaillans en oeuvres blanches, les Taillandiers grossiers ; les Taillandiers vrilliers, tailleurs de limes ; & les Taillandiers ouvriers en fer blanc & noir. Savary. (D.J.)


TAILLANTS. m. (Art méchaniq.) c'est le côté tranchant de tout instrument, propre à diviser & à couper.

TAILLANS, (Grosses forges) on appelle taillans, les parties tranchantes de la machine appellée machine à fendre.


TAILLARCAP, (Géog. mod.) cap de France sur la côte de Provence, dans le golfe de Gènes, entre Aiguebonne & le cap Lardier.


TAILLES. f. (Jurisprud.) est une imposition que le roi ou quelqu'autre seigneur leve sur ses sujets.

Elle a été ainsi nommée du latin talea, & par corruption tallia, parce qu'anciennement l'usage de l'écriture étant peu commun, l'on marquoit le payement des tailles sur de petites buchettes de bois appellées taleae, sur lesquelles on faisoit avec un couteau de petites tailles, fentes ou coches pour marquer chaque payement. Cette buchette étant refendue en deux, celui qui recevoit la taille, en gardoit un côté par-devers lui, & donnoit l'autre au redevable ; & lorsqu'on vouloit vérifier les payemens, on rapprochoit les deux petits morceaux de bois l'un de l'autre, pour voir si les tailles ou coches se rapportoient sur l'un comme sur l'autre ; de maniere que ces tailles ou buchettes étoient comme une espece de charte-partie.

Ces buchettes qui furent elles-mêmes appellées tailles, étoient semblables à celles dont se servent encore les Boulangers pour marquer les fournitures du pain qu'ils font à crédit à leurs pratiques ordinaires, & c'est sans-doute de-là qu'on les nommoit anciennement talemarii ou talemelarii, & en françois talemeliers.

La taille étoit aussi appellée tolta ou levée, du latin tollere. Les anciennes chartes se servent souvent de ces termes talliam vel voltam, & quelquefois maletoltam, à cause que cette levée paroissoit onéreuse, d'où l'on a donné le nom de maltotiers à ceux qui sont chargés de la levée des impôts publics.

La taille est royale ou seigneuriale : celle qui se paye au roi, est sans-doute la plus ancienne ; & il y a lieu de croire que la taille seigneuriale ne fut établie par les seigneurs sur leurs hommes, qu'à l'imitation de celle que le roi levoit sur ses sujets.

L'origine de la taille royale est fort ancienne ; on tient qu'elle fut établie pour tenir lieu du service militaire que tous les sujets du roi devoient faire en personne ; nobles, ecclésiastiques, roturiers, personne n'en étoit exempt.

On convoquoit les roturiers ou villains lorsque l'on avoit besoin de leur service, & cette convocation se nommoit halbannum seu heribannum, herban ou arriere-ban ; & ceux qui ne comparoissoient pas, payoient une amende qu'on appelloit le hauban.

Les nobles faisant profession de porter les armes, & les ecclésiastiques étant aussi obligés de servir en personne à cause de leurs fiefs, ou d'envoyer quelqu'un à leur place, n'étoient pas dans le cas de payer une contribution ordinaire pour le service militaire ; & c'est de-là que vient l'exemption de taille dont jouissent encore les nobles & les ecclésiastiques.

Les roturiers au contraire qui par état ne portoient point les armes, ne servoient qu'extraordinairement, lorsqu'ils étoient convoqués ; & ce fut pour les dispenser du service militaire que l'on établit la taille, afin que ceux qui ne contribueroient pas de leur personne au service militaire, y contribuassent au moins de leurs deniers pour fournir aux fraix de la guerre.

On attribue communément l'établissement des tailles à S. Louis ; elles sont cependant beaucoup plus anciennes. Pierre Louvet, médecin, en son histoire de la ville de Beauvais, rapporte une chartre de l'an 1060, par laquelle il paroît que la taille étoit déja établie, puisqu'il est parlé d'une décharge qui fut donnée de plusieurs coutumes injustes, savoir la taille & autres oppressions, talliam videlicet & alias oppressiones.

La plus ancienne ordonnance qui fasse mention de la taille, est celle de Philippe Auguste en 1190, appellée communément le testament de Philippe Auguste. Elle défend à tous les prélats & vassaux du roi de faire aucune remise de la taille ou tolte, tant que le roi sera outre-mer au service de Dieu ; & comme la taille n'étoit point encore alors ordinaire ni perpétuelle, & qu'on la levoit seulement pour les besoins extraordinaires de l'état, il y a grande apparence que celle dont il est parlé dans ce testament, avoit été imposée à l'occasion du voyage que Philippe Auguste se disposoit à faire outre-mer.

Les seigneurs levoient quelquefois des tailles non pour eux, mais pour le roi. Les prélats en levoient en trois cas, 1°. pour l'ost ou la chevauchée du roi, 2°. pour le pape, 3°. pour la guerre que leur église avoit à soutenir.

Lorsque la taille se levoit pour l'ost du roi, elle duroit peu, parce que le ban qui étoit la convocation & assemblée des nobles & ecclésiastiques pour le service militaire, ne duroit alors que 40 jours.

En général les nobles & ecclésiastiques non mariés & non marchands ne payoient point de taille.

Les clercs mariés payoient la moitié de ce qu'ils auroient payé, s'ils n'eussent pas été clercs.

Les nobles & les clercs contribuoient même en certains lieux ou pour certains biens, suivant des lettres du mois d'Avril 1331, pour la sénéchaussée de Carcassonne, dans lesquelles il est dit que les nobles & ecclésiastiques avoient coutume ailleurs de contribuer aux tailles & collectes pour les maisons & lieux qu'ils habitoient.

On exempta aussi de la taille quelques autres personnes, telles que ceux qui étoient au service du roi, les baillis royaux, les ouvriers de la monnoie.

Les bourgeois & même les villains ne pouvoient aussi être imposés à la taille la premiere année qu'ils s'étoient croisés ; mais si la taille avoit été assise avant qu'ils se fussent croisés, ils n'en étoient affranchis que pour la seconde année, à moins qu'il ne se fît quelque levée pour l'armée : ce qui fait connoître que l'imposition qui se faisoit pour l'ost & chevauchée du roi, étoit alors différente de la taille.

C'est ce que l'on trouve dans une ordonnance de Philippe Auguste de l'an 1214, touchant les croisés, où ce prince dit encore qu'ils ne sont pas exempts de l'ost & de la chevauchée, soit qu'ils aient pris la croix avant ou après la convocation.

Suivant cette même ordonnance, quand un croisé possédoit des terres sujettes à la taille, il en payoit la taille comme s'il n'étoit pas croisé : ce qui fait voir qu'il y avoit dès-lors deux sortes de taille, l'une personnelle qui étoit une espece de capitation dont les croisés étoient exempts, l'autre réelle qui étoit dûe pour les maisons & terres taillables, c'est-à-dire, roturieres ; les gentilshommes même payoient la taille pour une maison de cette espece, lorsqu'ils ne l'occupoient pas par eux-mêmes.

La taille fut levée par S. Louis en 1248, à l'occasion de la croisade qu'il entreprit pour la terre sainte ; mais ce n'étoit encore qu'une imposition extraordinaire.

Les lettres de ce prince du mois d'Avril 1250, contenant plusieurs réglemens pour le Languedoc, portent que les tailles qui avoient été imposées par le comte de Montfort, & qui peu après avoient été levées au profit du roi, tandis qu'il occupoit en paix ce pays, demeureroient dans le même état où elles avoient été imposées, & que s'il y avoit eu quelque chose d'ajouté, il seroit ôté.

Que si dans certains lieux il y avoit eu des confiscations considérables au profit du roi, la taille seroit diminuée à proportion jusqu'à ce que les héritages confisqués parvinssent à des gens taillables.

Il est encore dit que dans les lieux où il n'y auroit plus de taille, les anciens droits qui étoient dûs dans le pays d'Alby, & qui avoient cessé d'être payés depuis l'imposition des tailles, seront confisqués ; qu'à l'égard des tailles de Calvison & autres lieux des environs de Nismes & des places qui avoient été mises dans la main du roi, & qui servoient aux usages publics, on en composeroit suivant ce qui seroit juste.

Le roi permettoit quelquefois aux communes ou villes & bourgs érigés en corps & communautés, de lever sur elles-mêmes des tailles autant qu'il en falloit pour payer leurs dettes ou les intérêts qui en étoient échus.

Les Juifs levoient aussi quelquefois sur eux des tailles pour leurs affaires communes.

S. Louis fit un réglement pour la maniere d'asseoir & de lever la taille ; nous en avons déja parlé au mot ELECTION.

La taille n'étoit pas encore perpétuelle sous le roi Jean en 1358, puisque Charles V. son fils, en qualité de lieutenant du royaume, promit que moyennant l'aide qui venoit d'être accordée par les états, toutes tailles & autres impositions cesseroient.

Dans une ordonnance du roi Jean lui-même du 20 Avril 1363, faite en conséquence de l'assemblée des trois états de la sénéchaussée de Beaucaire & de Nismes, il est parlé des charges que les peuples de ce pays avoient souffertes & souffroient tous les jours par le fait des tailles qui avoient été imposées tant pour la rançon de ce prince que pour l'expulsion des ennemis, que pour les gages des gens d'armes & autres dépenses.

Les autres cas pour lesquels le roi levoit la taille, étoient pour la chevalerie de son fils ainé, pour le mariage de leurs filles. Ces tailles ne se levoient que dans les domaines du roi.

Dans ces mêmes occasions les vassaux du roi tailloient aussi leurs sujets pour payer au roi la somme dont ils devoient contribuer ; & ordinairement ils trouvoient bénéfice sur ces levées.

Ce ne fut qu'en 1445, sous le regne de Charles VII. que la taille fut rendue annuelle, ordinaire & perpétuelle. Elle ne montoit alors qu'à 1800000 liv. & la cotte de chacun étoit si modique, que l'on s'empressoit à qui en payeroit davantage.

Depuis ce tems les tailles ont été augmentées par degré & quelquefois diminuées ; elles montent présentement à une somme très-excédente.

La taille est personnelle ou plutôt mixte, c'est-à-dire, qu'elle s'impose sur les personnes à raison de leurs biens. En quelques provinces, comme en Languedoc, elle est réelle : ce sont les biens qui la doivent.

Dans les pays où la taille est personnelle, elle n'est dûe que par les roturiers ; les nobles & les ecclésiastiques en sont exempts. Il y a encore beaucoup d'autres personnes qui en sont exemptes, soit en vertu de quelque office, commission ou privilege particulier.

L'édit du mois de Novembre 1666 veut que tous sujets taillables qui se marieront avant ou dans leur vingtieme année, soient exempts de tailles jusqu'à ce qu'ils aient 25 ans. Mais l'arrêt d'enregistrement porte que ceux qui contracteront mariage en la vingt-unieme année de leur âge ou au-dessous, & qui prendront des fermes, seront taillables, à proportion du profit qu'ils y feront.

Le grand âge n'exempte point de la taille.

Le montant général de la taille & des autres impositions accessoires, telles que taillon, crue, ustensile, cavalier, quartier d'hiver, capitation, est arrêté tous les ans au conseil du roi ; on y fixe aussi la portion de ces impositions que chaque généralité doit supporter.

Il se fait ensuite deux départemens de ces impositions, l'un général, l'autre particulier.

Ce département général se fait sur chaque élection par les trésoriers de France en leur bureau, en conséquence du brevet ou commission qui leur est adressé par le roi. L'intendant préside au bureau, & après avoir ouï le rapport de celui qui a fait les chevauchées, on expédie en présence de l'intendant les attaches & ordonnances qui contiennent ce que chaque élection doit porter de taille.

Le département particulier sur chaque paroisse se fait aussi par l'intendant avec celui des trésoriers de France qui est député à cet effet, & trois des présidens & élus nommés & choisis par l'intendant ; on appelle à ce département le procureur du roi, le receveur des tailles & le greffier de l'élection.

Cette répartition faite, l'intendant & les officiers de l'élection adressent des mandemens aux maires & échevins, syndics & habitans de chaque paroisse, par lesquels il leur notifie que la paroisse est imposée à une telle somme pour le principal de la taille, crues & impositions y jointes.

Ce mandement porte aussi que cette somme sera par les collecteurs nommés à cet effet repartie sur les habitans, levée par les collecteurs, & payée ès mains du receveur des tailles en exercice, en quatre payemens égaux : le premier au 1er. Décembre, le second au 1er. Février, le troisieme au dernier Avril, le quatrieme au 1er. Octobre.

Ces rôles se font ordinairement dans le mois de Novembre.

On y impose aussi 6 deniers pour livre de la taille attribués aux collecteurs pour leur droit de collecte, & une certaine somme pour le droit de scel, suivant le tarif.

Quand il y a quelque rejet à faire sur la paroisse, on ajoute la somme au rôle des tailles en vertu d'ordonnance de l'intendant.

Les taxes d'office sont marquées dans le mandement qui est adressé aux collecteurs, & doivent être par eux employées dans le rôle sans aucune diminution, si ce n'est qu'il fût survenu depuis quelque diminution dans les facultés du taillable.

Ceux qui étant taxés d'office, se prétendent surchargés, doivent se pourvoir par opposition devant l'intendant.

On ne doit pas comprendre dans les rôles des tailles les ecclésiastiques pour les biens d'église qu'ils possedent, les nobles vivant noblement, les officiers des cours supérieures, ceux du bureau des finances, ceux de l'élection qui ont domicile ou résidence dans le ressort d'icelle, & tous les officiers & privilégiés dont les privileges n'ont point été révoqués ou suspendus.

Les gens d'église, nobles vivans noblement, officiers de cour supérieure & secrétaires du roi ne peuvent faire valoir qu'une seule ferme du labour de quatre charrues à eux appartenante, les autres privilégiés une ferme de deux charrues seulement.

Les habitans qui vont demeurer d'une paroisse dans une autre, doivent le faire signifier aux habitans en la personne du syndic, avant le premier Octobre, & faire dans le même tems leur déclaration au greffe de l'élection dans laquelle est la paroisse où ils vont demeurer.

Nonobstant ces formalités, ceux qui ont ainsi transféré leur domicile, sont encore imposés pendant quelque tems au lieu de leur ancienne demeure, savoir les fermiers & laboureurs pendant une année, & les autres contribuables pendant deux, au cas que la paroisse dans laquelle ils auront transféré leur domicile, soit dans le ressort de la même élection, & si elle est d'une autre, les laboureurs continueront d'être imposés pendant deux années, & les autres contribuables pendant trois années.

Ceux dont les privileges ont été révoqués, qui transferent leur domicile dans des villes franches, abonnées ou tarifiées, sont compris pendant dix ans dans le rôle du lieu où ils avoient auparavant leur domicile.

Les habitans qui veulent être imposés dans le lieu de leur résidence pour tout ce qu'ils possedent ou exploitent en diverses paroisses, doivent en donner leur déclaration au greffe de l'élection avant le premier Septembre de chaque année.

Les rôles sont écrits sur papier timbré avec une marge suffisante pour y écrire les payemens.

Aussi-tôt que le rôle est fait, les collecteurs doivent le porter avec le double d'icelui à l'officier de l'élection qui a la paroisse dans son département, pour être par lui vérifié & rendu exécutoire.

Lorsqu'il est ainsi vérifié, il doit être lu par les collecteurs à la porte de l'église, à l'issue de la messe paroissiale, le premier dimanche ou jour de fête suivant.

Ceux qui étant cottisés à l'ordinaire, se prétendent surchargés, doivent se pourvoir devant les officiers de l'élection ; mais le rôle est toujours exécutoire par provision. Voyez le glossaire de du Cange & celui de Lauriere au mot taille, le code & le mémorial alphabétique des tailles, & les mots AIDES, COLLECTEURS, COTTE, SURTAUX. (A)

TAILLE ABONNEE, est celle qui est fixée pour toujours à une certaine somme.

L'abonnement est ou général pour une province, ou particulier pour une ville, bourg ou village.

Ces abonnemens se font en considération de la finance qui a été payée au roi pour l'obtenir.

Il y a des tailles seigneuriales qui ont été abonnées de même avec les seigneurs.

Pour l'abonnement de la taille royale on obtient des lettres en la grande chancellerie, par lesquelles, pour les causes qui y sont exprimées, sa majesté décharge un tel pays ou un tel lieu de toutes tailles moyennant la somme de.... qui sera payée par chacun an, au moyen de quoi, dans les commissions qui sont adressées pour faire le département des tailles, il est dit qu'un tel pays ou lieu ne sera taxé qu'à la somme de.... pour son abonnement. (A)

TAILLE ABOURNEE, est la même que taille abonnée ou jugée. (A)

TAILLE ANNUELLE, est celle qui se leve chaque année, à la différence de certaines tailles seigneuriales qui ne se levent qu'en certain cas & extraordinairement. Voyez TAILLE AUX QUATRE CAS. (A)

TAILLE ES CAS ACCOUTUMES, c'est la taille seigneuriale dûe dans les cas déterminés par la coutume ou par les titres du seigneur. Voyez TAILLE SEIGNEURIALE & TAILLE AUX QUATRE CAS. (A)

TAILLE ES CAS IMPERIAUX, étoit celle que les dauphins de Viennois levoient, comme plusieurs autres seigneurs en certains cas. On l'appelloit ainsi parce qu'apparemment les dauphins tiroient ce droit des empereurs, & on lui donnoit ce surnom pour la distinguer de la taille serve ou mortaille. Voyez l'hist. de Dauphiné par M. de Valbonay, quatrieme discours sur les finances. (A)

TAILLE COMTALE, tallia comitalis, étoit une taille générale que les dauphins étoient en possession de lever dans plusieurs de leurs terres, comme dans celle de Beaumont, de la Mure d'Oysans, de Vallouyse, de Queras, d'Exille & d'Aulx ; celle-ci étoit différente de l'ancienne taille ou mortaille, qui conservoit encore quelques traces de la servitude. La recette s'en faisoit sur tous les corps de la châtellenie ; elle étoit toujours réglée sur le même pié. On voit dans un compte de 1336, qu'elle y est distinguée du subside du seigneur, qui étoit apparemment le fouage. Cette taille comtale n'a pas été supprimée dans les lieux où elle étoit anciennement établie ; elle fait encore partie de la dotation du monastere de Montfleury, lequel a conservé les portions qui lui en furent cédées par le dauphin Humbert dans le tems de sa fondation. Voyez l'histoire de Dauphiné par M. de Valbonay, quatrieme discours sur les finances. (A)

TAILLE COUTUMIERE, est celle qu'en vertu d'un ancien usage on a accoutumé de percevoir en certains tems de l'année. Ces tailles sont ainsi nommées dans plusieurs anciennes chartes, notamment dans la charte de commune de la ville de Laon en 1128. Les termes ordinaires étoient à la Toussaints, à Noël, à Pâque & à la St. Jean. Quelquefois la taille coutumiere ne se levoit que trois fois l'an, savoir en Août, Noël & Pâque. Voyez la coutume de Bourbonnois, art. 202.

TAILLE A DISCRETION, voyez TAILLE A VOLONTE.

TAILLE DOMICILIAIRE, est la même chose que taille personnelle ; c'est celle que l'on paye au lieu de son domicile. Voyez Collet sur les statuts de Bresse, part. 359. col. I.

TAILLE FRANCHE ou LIBRE, est une taille seigneuriale qui ne rend point la personne serve, quoiqu'elle soit imposée sur son chef. Cette taille franche est dûe dans les cas portés par la coutume, ou fixés par l'usage ou la convention par l'homme franc, ou tenant héritage en franchise à devoir d'argent. Voyez la coutume de Bourbonnois, art. 189. celle de la Marche, art. 69 & 132 & les mots MORTAILLE, TAILLE SERVE & TAILLE MORTAILLE.

TAILLE HAUT ET BAS, dans la coutume du duché de Bourgogne, est la taille aux quatre cas qui se leve sur les taillables hauts & bas, c'est-à-dire tant sur les vassaux & autres tenanciers libres, que sur les serfs & main-mortables. Voyez le ch. x. de cette coutume, art. 97.

TAILLE JUGEE ou ABONNEE est la même chose.

TAILLE JUREE, étoit celle qui se payoit sans enquérir de la valeur des biens des habitans, parce qu'elle étoit abonnée & jugée. Il en est fait mention ès arrêts de Paris du 26 Mai & 1 Juin 1403, & 3 Juillet 1406 & dernier Mai 1477. Voyez le glossaire de M. de Lauriere, au mot taille.

TAILLE LIBRE, ou FRANCHE, voyez ci-devant TAILLE FRANCHE.

TAILLE A MERCI, voyez ci-après TAILLE A VOLONTE.

TAILLE A MISERICORDE, voyez ci-après TAILLE A VOLONTE.

TAILLE MIXTE, est celle qui est partie personnelle, & partie réelle, c'est-à-dire qui est dûe par les personnes à proportion de leurs biens : dans tous les pays où la taille est proportionnelle, on peut dire qu'elle est mixte. Voyez Collet sur les statuts de Bresse, p. 362.

TAILLE MORTAILLE, tributum mortalium, est celle que le seigneur leve sur ses hommes de corps & de condition servile ; savoir la taille une fois l'an, soit à la volonté du seigneur, ou selon quelque abonnement, & la mortaille se paye au décès seulement de l'homme serf sur les biens par lui délaissés, soit qu'il ait des enfans ou non. (A)

TAILLES NEGOCIALES, sont des tailles extraordinaires qui sont pour le général de la province, ou pour les lieux & les communautés particulieres. Voyez Collet sur les statuts de Bresse, p. 359.

TAILLE DU PAIN ET DU VIN, tallia panis & vini, étoit une levée qui se faisoit sur le pain & le vin en nature au profit du roi ou autre seigneur.

Suivant une charte de Philippe-Auguste, de l'an 1215, pour la ville d'Orléans, il est dit que cette levée seroit faite depuis deux ans.

Louis VIII. accorda en 1225 aux chanoines de l'église de Paris, que la taille du pain & du vin qui avoit coutume de se lever à Paris tous les trois ans, seroit levée par eux dans toute leur terre de Garlande, & dans le cloître St. Benoît, depuis le commencement des moissons, & depuis le commencement des vendanges jusqu'à la St. Martin d'hiver, & que depuis cette fête jusqu'à Pâques, le roi auroit ladite taille, excepté sur les propres blés & vins des chanoines, & autres personnes privilégiées.

Le roi levoit néanmoins les tailles sur les terres de certains seigneurs, & même de quelques églises, comme il paroît par une charte de Philippe le Hardi de l'an 1273, pour l'église de St. Mery de Paris, laquelle charte porte que le roi aura dans toute la terre de cette église & sur ses hôtes le droit de dan, le guet, la taille, host & chevauchée, la taille du pain & du vin, talliam panis & vini, les mesures, la justice, &c.

Dans une délibération de la chambre des comptes de Paris, de vers l'an 1320, il est dit qu'il seroit à propos que le roi fît refondre tous les vieux tournois & parisis qui étoient usés, que le roi est tenu de les tenir en bon point, ou état, car il en a la taille du pain & du vin de sa terre, &c. On voit par-là que cette taille étoit donnée au roi pour la fonte des monnoies. Voyez le glossaire de du Cange, au mot tallia, & Sauval aux preuves, p. 72 & 77. (A)

TAILLES PATRIMONIALES, on entendoit autrefois sous ce nom les impositions qui se faisoient pour les réparations des chemins, des ponts, des édifices publics & des décorations. Voyez Collet, sur les statuts de Bresse, p. 361.

TAILLE PERSONNELLE, est celle qui s'impose sur les personnes à proportion de leurs facultés ; elle est opposée à la taille réelle, qui est due par les biens, abstraction faite de la qualité des personnes. La taille personnelle a lieu dans dix-sept généralités. Voyez TAILLE REELLE.

TAILLE DE POURSUITE, est la taille serve qui se leve sur le main-mortable en quelque lieu qu'il se transporte. Voyez la coutume de Troies.

TAILLE PROPORTIONNELLE, (Finances) le beau rêve de l'abbé de St. Pierre ne s'accomplira-t-il jamais ? Avant sa mort la taille proportionnelle fut établie à Lizieux en 1717, & cet établissement transporta les habitans d'une telle joie, que les réjouissances publiques durerent pendant plusieurs jours. Depuis toutes les paroisses du pays supplierent instamment que la même grace leur fût accordée. Diverses villes présenterent d'un voeu unanime des placets. Des raisons qu'il ne nous appartient pas de deviner, firent rejetter ces demandes ; tant il est difficile de faire un bien dont chacun discourt beaucoup plus pour paroître le vouloir, que dans le dessein de le pratiquer ! La ville de Lizieux vit même avec douleur diverses atteintes données à une régie qui dans un seul jour rétablissoit l'aisance & les consommations. Un trait décisif achevera de donner une idée des avantages que le roi en retireroit ; l'imposition de 1718, avec les arrérages des cinq années précédentes, fut acquittée dans douze mois, sans fraix ni discussion. Par un excès le plus capable peut-être de dégrader l'humanité, le bonheur commun fit des mécontens de tous ceux dont la prospérité dépend de la misere d'autrui. C'est alors que le peuple en gémissant s'écrie, si le Prince étoit servi comme nous l'aimons !

Depuis ce tems on a essayé d'introduire la même nature d'imposition en diverses provinces du royaume ; mais elle n'a point réussi dans les campagnes, parce qu'on l'a dénaturée en voulant imposer le fermier à raison de son industrie particuliere, au-lieu de l'imposer uniquement à raison de l'occupation du fonds : dès-lors l'arbitraire continue ses ravages, éteint toute émulation, & tient la culture dans l'état languissant où nous la voyons. C'étoit précisément sur cette répartition plus juste des tailles que se fondoient les plus grandes espérances pour l'avenir ; parce qu'on voyoit clairement qu'augmenter l'aisance du peuple, c'est augmenter les revenus du prince. Considérat. sur les finances. Voyez TAILLE. (D.J.)

TAILLE AUX QUATRE CAS, est une taille seigneuriale que dans certains lieux les seigneurs ont droit de lever sur leurs hommes taillables en quatre cas différens.

On l'appelle taille aux quatre cas, parce qu'elle se leve communément dans quatre cas qui sont les plus usités ; savoir, pour voyage d'outre-mer du seigneur, pour marier ses filles, pour sa rançon quand il est fait prisonnier, & pour faire son fils chevalier.

Quelques coutumes n'admettent que trois cas.

Dans les pays de droit écrit, cette taille est perçue en certains lieux dans sept ou huit cas, selon que les seigneurs ont été plus ou moins attentifs à étendre ce droit par leurs fermiers. Les barons de Neufchâtel en Suisse la levoient dans un cinquieme cas ; savoir, pour acheter de nouvelles terres.

En pays coutumier, ce droit ne se leve ordinairement qu'en vertu d'un titre ; les coutumes qui l'admettent sont celles d'Anjou & Maine, Normandie, Bretagne, Auvergne, Bourbonnois, Bourgogne, Lodunois, Poitou, Tours. Les trois premieres ne reconnoissent que trois cas, les autres en admettent quatre.

Dans la coutume de Bourgogne ce droit est appellé aide, en Normandie, aide-chevel ; en Poitou & ailleurs, loyaux-aides ; en Anjou & Maine, doublage ; en Bourbonnois, quête ou taille aux quatre cas ; en Forez, droit de muage ; en d'autres lieux, droit de complaisance, coutumes volontaires.

L'origine de ce droit est fort ancienne. Quelques-uns la tirent des Romains, chez lesquels les cliens étoient obligés d'aider leurs patrons lorsque ceux-ci manquoient d'argent, & qu'il s'agissoit de se rédimer eux ou leurs fils de captivité, ou de marier leurs filles.

D'autres rapportent cet usage au tems de l'institution des fiefs.

Quoi qu'il en soit, il paroît qu'au commencement cette taille ne consistoit qu'en dons & présens volontaires que les vassaux & tenanciers faisoient à leurs seigneurs dans des cas où il avoit besoin de secours extraordinaires, que les seigneurs ont depuis tourné en obligation & en droit.

Cette taille extraordinaire est différente de la taille à volonté, à miséricorde & à merci, qui sont aussi des tailles seigneuriales, mais qui ne se levent que sur les serfs, à la différence de la taille aux quatre cas, qui est aussi dûe par les vassaux & autres tenanciers non main-mortables.

Le cas de chevalerie étoit autrefois lorsque l'on recevoit la ceinture ou le baudrier ; présentement c'est lorsque l'on reçoit le collier de l'ordre du Saint-Esprit, qui est le premier ordre du roi.

Le cas de rançon n'a lieu que quand le seigneur est pris prisonnier portant les armes pour le service du roi.

Quand les titres ne fixent pas la quotité de la taille aux quatre cas, l'usage est de doubler les cens & rentes des emphitéotes, c'est pourquoi quelques coutumes appellent ce droit doublage.

Cette taille est différente de la taille à volonté, qui est annuelle & ordinaire.

Chaque seigneur ne peut la lever qu'une fois en sa vie dans chacun des cas dont on a parlé ; encore les voyages d'outre-mer n'ont-ils plus lieu, ni les cas de rançon, vû que le service militaire ne se fait plus pour les fiefs, si ce n'est en cas de convocation du ban & de l'arriere-ban ; mais dans ce cas même les prisonniers de guerre ne payent plus eux-mêmes leur rançon.

A l'égard du cas de mariage, quelques coutumes ne donnent la taille que pour le premier mariage de la fille aînée, d'autres pour le premier mariage de chaque fille.

Les coutumes qui admettent cette taille sont celles de Normandie, Bretagne, Auvergne, Bourbonnois, Bourgogne, Anjou, Maine, Lodunois, Poitou, Tours ; elles ne reconnoissent en général que quatre cas, Anjou & Maine n'en admettent même que trois.

Dans les pays de droit écrit on en admet un plus grand nombre, ce qui dépend de la jurisprudence de chaque parlement.

En général la quotité de cette taille, & les cas où elle peut-être perçue, descendent des titres & de l'usage, lesquels ne doivent point recevoir d'extension, ces droits étant peu favorables.

Ce droit est pourtant imprescriptible parce qu'il est de pure faculté, à-moins qu'il n'y eût eu refus & contradiction de la part du taillable, auquel cas la prescription couroit seulement du jour de la contradiction. Voyez Cujas, liv. II. de fundis, tit. 7. Dolive, liv. II. ch. vij. Lapeirere, let. T, n °. 8. Despeisses, tom. III. tit. 6. sect. 1. Salvaing, des fiefs, ch. xljx. (A)

TAILLE RAISONNABLE ou A VOLONTE RAISONNABLE. Voyez TAILLE A MERCI, A PLAISIR & A VOLONTE.

TAILLE REELLE, est celle qui est dûe par les héritages taillables, abstraction faite de la qualité du propriétaire, soit qu'il soit noble ou non.

Les héritages sujets à la taille réelle sont les biens roturiers, il n'y a d'exempts que les héritages nobles.

Le clergé & la noblesse, & autres privilégiés, payent la taille réelle pour les héritages roturiers ; elle est établie en Languedoc, Guyenne, Provence & Dauphiné.

TAILLE SERVE, est celle qui ne se leve que sur les personnes de condition serve & qui les rend mortaillables ou mainmortables. Voyez MAINMORTE, MORTAILLE, TAILLE FRANCHE, & les coutumes de Bourbonnois, art. 189. & la Marche, art. 69. & 132.

TAILLE TARIFEE, est la même chose que la taille proportionnelle.

TAILLE A VOLONTE ou A DISCRETION, A MERCI ou A MISERICORDE, ad beneplacitum, c'est une taille serve que le seigneur leve annuellement sur ses hommes ; on l'appelle taille à volonté, non pas que le seigneur soit le maître de la lever autant de fois que bon lui semble, mais parce que dans l'origine le seigneur faisoit son rôle aussi fort & aussi léger qu'il le vouloit ; présentement il se fait arbitrio boni viri, & selon la possibilité. Voyez la Peyrere, lettre T. n. 8.

L'historique de cette imposition est court, mais les réflexions sur la nature de la chose sont importantes.

Les états généraux de France, dit M. de Voltaire, ou plutôt la partie de la France qui combattoit pour son roi Charles VII. contre l'usurpateur Henri V. accorda généreusement à son maître une taille générale en 1426, dans le fort de la guerre, dans la disette, dans le tems même où l'on craignoit de laisser les terres sans culture. Les rois auparavant vivoient de leurs domaines, mais il ne restoit presque plus de domaines à Charles VII. & sans les braves guerriers qui se sacrifierent pour lui & pour la patrie, sans le connétable de Richemont qui le maîtrisoit, mais qui le servoit à ses dépens, il étoit perdu.

Bientôt après les cultivateurs qui avoient payé auparavant des tailles à leurs seigneurs dont ils avoient été serfs, payerent ce tribut au roi seul dont ils furent sujets. Ce n'est pas que, suivant plusieurs auteurs, les peuples n'eussent payé une taille dès le tems de saint Louis, mais ils le firent pour se délivrer des gens de guerre, & ils ne la payerent que pendant un tems ; au-lieu que depuis Charles VII. la taille devint perpétuelle, elle fut substituée au profit apparent que le roi faisoit dans le changement des monnoies.

Louis XI. augmenta les tailles de trois millions, & leva pendant vingt ans quatre millions sept cent mille livres par an, ce qui pouvoit faire environ vingt-trois millions d'aujourd'hui, au-lieu que Charles VII. n'avoit jamais levé par an que dix-huit cent mille livres.

Les guerres sous Louis XII. & François I. augmenterent les tailles, mais plusieurs habitans de la campagne ne pouvant les payer, vinrent se réfugier à Paris, ce qui fut la cause de son accroissement & du dommage des terres.

Ce fut bien pis sous Henri III. en 1581, car les tailles avoient augmenté depuis le dernier regne d'environ vingt millions.

En 1683 les tailles montoient à trente-cinq millions de livres, ou douze cent quatre-vingt-seize mille deux cent quatre-vingt-seize marcs d'argent, ce qui fait sept pour cent de la masse de l'argent qui existoit alors. Aujourd'hui, c'est-à-dire avant les guerres de 1754, les recettes générales de la taille & de la capitation, étoient estimées à soixante & douze millions de livres, ou quatorze cent quarante mille marcs d'argent, ce qui fait environ six pour cent de la masse de l'argent. Il paroît d'abord que la charge des campagnes de France est moins pesante qu'alors, proportionnellement à nos richesses ; mais il faut observer que la consommation est beaucoup moindre, qu'il y a beaucoup moins de bestiaux dans les campagnes, & que le froment vaut moins de moitié ; au-lieu qu'il auroit dû augmenter de moitié. Mais passons à quelques réflexions sur l'impôt en lui-même ; je les tirerai de nos écrivains sur cette matiere.

M. de Sully regardoit l'impôt de la taille comme violent & vicieux de sa nature, principalement dans les endroits où la taille n'est pas réelle. Une expérience constante lui avoit prouvé qu'il nuit à la perception de tous les autres subsides, & que les campagnes avoient toujours dépéri à mesure que les tailles s'étoient accrues. En effet, dès qu'il y entre de l'arbitraire, le laboureur est privé de l'espérance d'une propriété, il se décourage ; loin d'augmenter sa culture il la néglige pour peu que le fardeau s'appesantisse. Les choses sont réduites à ce point parmi les taillables de l'ordre du peuple, que celui qui s'enrichit n'ose consommer, & dès-lors il prive les terres du produit naturel qu'il voudroit leur fournir jusqu'à ce qu'il soit devenu assez riche pour ne rien payer du-tout. Cet étrange paradoxe est parmi nous une vérité que les privileges ont rendu commune.

L'abus des privileges est ancien ; sans-cesse attaqué, quelquefois anéanti, toujours ressuscité peu de tems après, il aura une durée égale à celle des besoins attachés au maintien d'un grand état, au desir naturel de se soustraire aux contributions, & plus encore aux gênes & à l'avilissement. Les privileges sont donc onéreux à l'état, mais l'expérience de tant de siecles devroit prouver qu'ils sont enfantés par le vice de l'impôt, & qu'ils sont faits pour marcher ensemble.

Un premier président de la cour des aides, M. Chevalier, a autrefois proposé de rendre la taille réelle sur les biens. Par cette réforme le laboureur eût été véritablement soulagé ; ce nombre énorme d'élus & officiers qui vivent à ses dépens devenoit inutile ; les fraix des exécutions étoient épargnés ; enfin le roi étoit plus ponctuellement payé. Malgré tant d'avantages, l'avis n'eut que trois voix. Ce fait est facile à expliquer ; l'assemblée étoit composée d'ecclésiastiques, de gentilshommes, de gens de robe, tous riches propriétaires de terres, & qui n'en connoissant pas le véritable intérêt, craignirent de se trouver garants de l'imposition du laboureur, comme si cette imposition leur étoit étrangere. N'est-ce pas en déduction du prix de la ferme, & de la solidité des fermiers, que se payent les contributions arbitraires ? La consommation des cultivateurs à leur aise ne retourneroit-elle pas immédiatement au propriétaire des terres ? Ce que la rigueur de l'impôt & la misere du cultivateur font perdre à la culture, n'est-il pas une perte réelle & irréparable sur leur propriété ?

Les simples lumieres de la raison naturelle développent d'ailleurs les avantages de cette taille réelle, & il suffit d'avoir des entrailles pour desirer que son établissement fût général, ou du-moins qu'on mît en pratique quelque expédient d'une exécution plus simple & plus courte, pour le soulagement des peuples.

Il y auroit beaucoup de réflexions à faire sur l'imposition de la taille. Est-il rien de plus effrayant, par exemple, que ce droit de suite pendant dix ans sur les taillables qui transportent leur domicile dans une ville franche, où ils payent la capitation, les entrées, les octrois, & autres droits presque équivalens à la taille ? Un malheureux journalier qui ne possede aucun fonds dans une paroisse, qui manque de travail, ne peut aller dans une autre où il trouve de quoi subsister sans payer la taille en deux endroits pendant deux ans, & pendant trois s'il passe dans une troisieme élection. J'entends déja les gens de loi me dire, que c'est une suite de la loi qui attachoit les serfs à la terre. Je pourrois répondre, que tous les taillables ne sont pas, à beaucoup près, issus de serfs ; mais sans sonder l'obscurité barbare de ces tems-là, il s'agit de savoir si l'usage est bon ou mauvais, & non pas de connoître son origine. Les rois trouverent avantageux pour eux & pour leur état d'abolir les servitudes, & comme l'expérience a justifié leur sage politique, il ne faut plus raisonner d'après les principes de servitude. (D.J.)

TAILLE, s. f. terme de Chirurgie, c'est l'opération de la lithotomie, par laquelle on tire la pierre de la vessie. Voyez CALCUL.

Cette opération est une des plus anciennes de la Chirurgie ; on voit par le serment d'Hippocrate qu'on la pratiquoit de son tems, mais on ignore absolument la maniere dont elle se faisoit. Aucun auteur n'en a parlé depuis lui jusqu'à Celse, qui donne une description exacte de cette opération. L'usage s'en perdit dans les siecles suivans ; & au commencement du seizieme, il n'y avoit personne qui osât la pratiquer, du-moins sur les grands sujets. Les vestiges que l'ancienne Chirurgie a laissés de l'opération de la taille ne sont que les traces d'une timidité ignorante : la plûpart de ceux qui avoient la pierre, ne trouvoient aucun soulagement : les enfans pouvoient espérer quelque ressource jusqu'à l'âge de quatorze ans ; après cet âge, l'art étoit stérile pour eux.

C'est en France qu'on a d'abord tenté d'étendre ce secours sur tous les âges ; les tentatives effrayerent ; les préjugés des anciens médecins les rendoient suspectes. Selon Hippocrate, les plaies de la vessie étoient mortelles. Germain Collot méprisa enfin cette fausse opinion ; pour tirer la pierre, il imagina une opération nouvelle. Ce cas est célebre dans notre histoire. Voyez l'histoire de Louis XI. par Varillas, page 340. Un archer de Bagnolet (d'autres disent un franc-archier de Meudon) étoit condamné à mort ; heureusement pour lui, il avoit une maladie dangereuse. Le détail n'en est pas bien connu ; l'ignorance des tems l'a obscurci ; la description qu'en ont donnée les historiens, est confuse & contradictoire : on y entrevoit seulement que ce misérable avoit la pierre. Mezeray assure sans fondement que cette pierre étoit dans les reins ; il paroît évident qu'elle étoit dans la vessie. Quoi qu'il en soit, il ne dut la vie qu'à sa pierre. L'opération qui pouvoit le délivrer de ses maux, fit la seule punition des crimes qu'il avoit commis : c'étoit un essai qui paroissoit cruel ; on ne voulut pas même y soumettre ce misérable par la violence ; on le lui proposa comme à un homme libre, & il le choisit. Germain Collot tenta l'opération avec une hardiesse éclairée, & le malade fut parfaitement rétabli en quinze jours. Voyez les recherches historiques sur l'origine, sur les divers états, & sur les progrès de la Chirurgie en France, Paris 1744. La plus ancienne des méthodes connues de faire l'opération de la taille est celle de Celse, à laquelle on a donné le nom de petit appareil. Voici la maniere d'y procéder.

Méthode de Celse ou petit appareil. Un homme robuste & entendu, dit cet auteur, lib. VII. c. xxvj. s'assied sur un siege élevé, & ayant couché l'enfant sur le dos, lui met d'abord ses cuisses sur les genoux ; ensuite lui ayant plié les jambes, il les lui fait écarter avec soin, lui place les mains sur ses jarrets, les lui fait étendre de toutes ses forces, & en même tems les assujettit lui-même en cette situation ; si néanmoins le malade est trop vigoureux pour être contenu par une seule personne, deux hommes robustes s'asseyent sur deux sieges joints ensemble, & tellement attachés qu'ils ne puissent s'écarter. Alors le malade est situé de la même maniere que je viens de le dire, sur les genoux de ces deux hommes, dont l'un lui écarte la jambe gauche, & l'autre la droite, selon qu'ils sont placés, tandis que lui-même embrasse fortement ses jarrets.

Mais soit qu'il n'y ait qu'un homme qui tienne le malade, ou que deux fassent cette même fonction, les épaules du malade sont soutenues par leur poitrine, ce qui fait que la partie d'entre les îles qui est au-dessus du pubis est tendue sans aucunes rides, & que la vessie occupant pour-lors un moindre espace, on peut saisir la pierre avec plus de facilité ; de plus, on place encore à droite & à gauche deux hommes vigoureux, qui soutiennent & empêchent de chanceler celui ou ceux qui tiennent l'enfant. Ensuite l'opérateur, de qui les ongles sont bien coupés, introduit dans l'anus du malade le plus doucement qu'il lui est possible l'index & le doigt du milieu de la main gauche, après les avoir trempés dans l'huile, tandis qu'il applique légérement les doigts de la main droite sur la région hypogastrique, de peur que les doigts venant à heurter violemment la pierre, la vessie ne se trouvât blessée. Mais il ne s'agit pas ici, comme dans la plûpart des autres opérations, de travailler avec promtitude, il faut principalement s'attacher à opérer avec sûreté ; car lorsque la vessie est une fois blessée, il s'ensuit souvent des tiraillemens & distensions des nerfs qui mettent les malades en danger de mort. D'abord il faut chercher la pierre vers le col de la vessie ; & lorsqu'elle s'y trouve, l'opération en est moins laborieuse. C'est ce qui m'a fait dire qu'il ne falloit en venir à l'opération, que lorsqu'on est assuré par des signes certains que la pierre est ainsi placée ; mais si la pierre ne se trouve pas vers le col de la vessie, ou qu'elle soit placée plus avant, il faut d'un côté passer les doigts de la main gauche jusqu'au fond de la vessie, tandis que la main droite continue d'appuyer sur l'hypogastre jusqu'à ce que la pierre y soit parvenue. La pierre une fois trouvée, ce qui ne peut manquer d'arriver en suivant la méthode prescrite, il faut la faire descendre avec d'autant plus de précaution, qu'elle est plus ou moins petite, ou plus ou moins polie, de peur qu'elle n'échappe, & qu'on ne soit obligé de trop fatiguer la vessie ; c'est pourquoi la main droite posée au-delà de la pierre s'oppose toujours à son retour en arriere, pendant que les deux doigts de la main gauche la poussent en-bas, jusqu'à ce qu'elle soit arrivée au col de la vessie, vers lequel, si la pierre est de figure oblongue, elle doit être poussée, de façon qu'elle ne sorte point par l'une de ses extrêmités ; si elle est plate, de maniere qu'elle sorte transversalement ; la quarrée doit être placée sur deux de ses angles, & celle qui est plus grosse par un de ses bouts, doit sortir par celle de ses extrêmités qui est la moins considérable ; à l'égard de la pierre de figure ronde, on sait qu'il importe peu de quelle maniere elle se présente ; si néanmoins elle se trouvoit plus polie par une de ses parties, cette partie la plus lisse doit passer la premiere.

Lorsque la pierre est une fois descendue au col de la vessie, il faut faire à la peau vers l'anus une incision en forme de croissant qui pénetre jusqu'au col de la vessie, & dont les extrêmités regardent un peu les cuisses ; ensuite il faut encore faire dans la partie la plus étroite de cette premiere ouverture & sous la peau une seconde incision transversale qui ouvre le col de la vessie, jusqu'à ce que le conduit de l'urine soit assez dilaté, pour que la grandeur de la plaie surpasse celle de la pierre, car ceux qui par la crainte de la fistule, que les Grecs appellent , ne font qu'une petite ouverture, tombent, & même avec plus de danger, dans l'inconvénient qu'ils prétendent éviter, parce que la pierre venant à être tirée avec violence, elle se fait elle-même le chemin qu'on ne lui a pas fait suffisant, & il y a même d'autant plus à craindre, suivant la figure & les aspérités de la pierre : de-là peuvent naître en effet des hémorragies & des tiraillemens & divulsions dans les nerfs ; & si le malade est assez heureux pour échapper à la mort, il lui reste une fistule qui est beaucoup plus considérable par le déchirement du col, qu'elle ne l'auroit été si on y avoit fait une incision suffisante.

L'ouverture une fois faite, on découvre la pierre dont le corps & la figure sont souvent très-différens ; c'est pourquoi si elle est petite, on la pousse d'un côté avec les doigts, tandis qu'on l'attire de l'autre. Mais si elle se trouve d'un volume considérable, il faut introduire par-dessus la partie supérieure un crochet fait exprès pour cela : ce crochet est mince en son extrêmité, & figuré en espece de demi-cercle, applati & mousse, poli du côté qui touche les parois de la plaie, & inégal de celui qui saisit la pierre : dès qu'on l'a introduit, il faut l'incliner à droit & à gauche pour mieux saisir la pierre & s'en rendre le maître, parce que dans le même instant qu'on l'a bien saisie, on penche aussi-tôt le crochet : il est nécessaire de prendre toutes ces précautions, de peur qu'en voulant retirer le crochet, la pierre ne s'échappe au-dedans, & que l'instrument ne heurte contre les levres de la plaie, ce qui seroit cause des inconvéniens dont j'ai déja parlé.

Quand on est sûr qu'on tient suffisamment la pierre, il faut faire presque en même tems trois mouvemens, deux sur les côtés & un en-devant, mais les faire doucement, de façon que la pierre soit d'abord amenée peu-à-peu en devant ; ensuite il faut élever l'extrêmité du crochet, afin que l'instrument soit plus engagé sous la pierre, & la fasse sortir avec plus de facilité ; que s'il arrive qu'on ne puisse pas saisir commodément la pierre par sa partie supérieure, on la prendra par sa partie latérale, si on y trouve plus de facilité ; voilà la maniere la plus simple de faire l'opération.

Celse dit plus loin, que Mege imagina un instrument droit, dont le dos étoit large, le tranchant demi-circulaire & bien affilé ; il le prenoit entre l'index & le doigt du milieu, en mettant le pouce par-dessus, & le conduisoit de façon qu'il coupoit d'un seul coup tout ce qui faisoit saillie sur la pierre.

Telle est la description que Celse fait de la lithotomie. Tous les auteurs qui l'ont suivi, n'ont presque fait que le copier. Gui de Chauliac donna assez de réputation à cette méthode, pour qu'elle en prît le nom ; & c'est à elle que l'art a été borné jusqu'au commencement du xvj. siecle. Elle ne peut être pratiquée que sur des petits sujets, & la chirurgie étoit absolument sans ressource pour les grands, à-moins que la pierre ne fut engagée dans le col de la vessie ; car hors cette circonstance, il n'est pas possible d'atteindre la pierre avec les doigts, & de la fixer au périnée.

C'est cette opération à laquelle on a donné depuis le nom de petit appareil. On appelle encore ainsi l'incision qu'on fait sur la pierre engagée dans l'urethre. Pour la pratiquer on tire un peu la peau de côté ; on incise la peau, & le canal de l'urethre dans toute l'étendue de la pierre ; on la tire avec le bout d'une sonde, ou une petite curete. La peau reprenant sa situation naturelle, couvre l'ouverture qu'on a faite à l'urethre, & empêche que l'urine ne sorte par la plaie, qui très-souvent est guerie en vingt-quatre heures.

Du grand appareil. La méthode de Celse étoit une méthode imparfaite à plusieurs égards : les grands sujets attaqués de la pierre étoient abandonnés aux tourmens & au désespoir. Le petit appareil étoit la ressource des seuls enfans ; encore cette opération se faisoit ridiculement. Gui de Chauliac prescrivoit la précaution de faire sauter le malade, pour que la pierre se précipitât vers les parties inférieures. On fouilloit sans lumiere dans la vessie, on n'avoit aucun égard à la structure & à la position des parties que le fer intéressoit. Enfin on chercha des regles pour conduire les instrumens avec certitude. Germain Collot tenta le premier une opération nouvelle qu'il imagina. Cette tentative entreprise avec une hardiesse éclairée, donna les plus grandes espérances ; le malade qui en fut le sujet fut parfaitement gueri en moins de 15 jours, comme nous l'avons dit au commencement de cet article.

Cette opération, malgré de si heureux commencemens, est restée long-tems dans l'oubli. Jean des Romains rechercha la route qu'on pouvoit ouvrir à la pierre, & enfin par ses travaux l'art de la tirer dans tous les âges devint un art éclairé. Marianus Sanctus son disciple, publia cette méthode en 1524. Elle a souffert en différens tems & chez différentes nations des changemens notables en plusieurs points, & principalement dans l'usage des instrumens.

Pour la pratiquer, on fait situer le malade convenablement. Voyez LIENS. On lui passe un catheter dans la vessie, sur lequel on fait avec un lithotome à lancette, une incision commune à la peau & à l'urethre, avec les précautions que nous avons prescrites en parlant de l'opération de la boutonniere ; laquelle ne differe point de l'ancienne méthode de faire le grand appareil pour l'extraction de la pierre.

Les bornes de cette incision exposoient les malades, pour peu que leurs pierres eussent de volume, à des contusions & à des déchiremens dont les suites étoient presque toujours fâcheuses ; après l'incision, on mettoit le conducteur mâle dans la cannelure de la sonde, & on le poussoit jusque dans la vessie. On glissoit un dilatatoire sur le conducteur, afin d'écarter tout le passage, on retiroit le dilatatoire pour placer le conducteur femelle, & à la faveur de ces deux instrumens on portoit une tenette dans la vessie pour tirer la pierre.

Toutes ces précautions ne mettoient point à l'abri du déchirement & de la contusion du col de la vessie. On sentit la nécessité d'étendre davantage l'ouverture vers cette partie. C'est cette coupe à laquelle on a donné le nom de coup de maître : elle a donné lieu à la variation des lithotomes, comme nous l'avons expliqué à cet article. Voyez LITHOTOME.

M. Maréchal a supprimé le dilatatoire ; il suppléa à son usage par l'écartement des branches de la tenette, lorsqu'elle est introduite dans la vessie. Il trouva de même qu'il étoit moins embarrassant de se servir du gorgeret que des conducteurs, & il abandonna totalement ceux-ci. Voyez GORGERET.

Quelque perfection qu'on ait tâché de donner à cette opération, elle a des défauts essentiels : la division forcée d'une portion de l'urethre, du col de la vessie, & de son orifice, la contusion des prostates, leur séparation du col de la vessie, comme si elles eussent été disséquées, sont des marques du délabrement qui suit nécessairement cette opération. Si la pierre est grosse, & que le malade ait eu le bonheur d'échapper aux accidens primitifs de l'opération, il reste le plus souvent incommodé d'une incontinence d'urine, & souvent de fistules. La considération de ces inconvéniens & du danger absolu de cette méthode, a fait recourir au haut appareil, ou taille hypogastrique, opération au moyen de laquelle on tire la pierre hors de la vessie par une incision que l'on fait à son fond, à la partie inférieure du bas-ventre, au-dessus de l'os pubis. On doit cette méthode à Franco, chirurgien provençal. Voyez HAUT APPAREIL.

Corrections du grand appareil, connu sous le nom d'appareil latéral. Le grand appareil, tel que nous l'avons décrit, consiste à faire une incision au périnée parallelement & à côté du raphé : cette incision, comme nous l'avons dit, a été étendue inférieurement du côté du col de la vessie par une coupe interne. Pour la faire cette coupe interne, sans risque de couper le rectum, on a diminué la largeur du lithotome, on l'a même échancré, pour que le tranchant supérieur pût glisser dans la cannelure de la sonde, en s'ajustant à sa convexité. Voyez LITHOTOME. Toutes ces précautions, & l'attention tant recommandée de ne point faire violemment l'extraction de la pierre, & d'en préparer le passage par des dilatations lentes au moyen de l'écartement des branches des tenettes, précédé de l'introduction du doigt trempé dans l'huile rosat tiede, & coulé dans la gouttiere du gorgeret, toutes ces précautions & ces attentions ne mettent point à l'abri des accidens que nous avons rapportés. Il n'est pas possible d'ouvrir à toutes les pierres un passage qui leur soit proportionné, & l'on ne peut éviter un délabrement fâcheux, pour peu que la pierre ait de volume, parce qu'on est obligé de la tirer par la partie la plus étroite de l'angle que forment les os pubis par leur réunion. On est même fort borné pour l'incision des tégumens ; on ne peut la porter en-bas à cause du rectum ; & si on coupe trop haut, la peau des bourses qu'on a été obligé de tirer vers l'os pubis, se remettant dans sa situation naturelle, recouvre toute la partie supérieure de l'incision de l'urethre, ce qui donne lieu à l'infiltration de l'urine & de la matiere de la suppuration dans le tissu graisseux du scrotum, source des abscès qui surviennent fréquemment à cette méthode, & dont on accuse, souvent mal-à-propos, celui qui a troussé les bourses.

On évite ces inconvéniens en faisant une incision oblique qui commence un peu au-dessus de l'endroit où finit celle du grand appareil décrit, & qui se porte vers la tubérosité de l'ischion. C'est à cette coupe oblique & plus inférieure que celle du grand appareil ordinaire, que les modernes ont donné le nom d'appareil latéral. Mais doit-on donner ce nom à une méthode qui ne permet l'entrée de la vessie qu'en ouvrant l'urethre & le col de cet organe ? La taille de frere Jacques n'étoit que le grand appareil ; son peu de lumieres en anatomie, sur-tout dans les premiers tems, permet de croire qu'il n'étoit que l'imitateur d'un homme plus éclairé que lui, à qui il avoit vu pratiquer cette opération qu'on croyoit nouvelle. On lit dans Fabricius Hildanus, lib. de lithotom. vesicae, que l'incision de la taille au grand appareil se doit faire obliquement, ab osse pubis versus coxam sinistram. La pratique de notre opération au grand appareil étoit défectueuse ; c'étoit un des effets de la décadence de la chirurgie par l'état d'avillissement où elle avoit été plongée quarante ans auparavant que frere Jacques se fît connoître en France. Voyez le mot CHIRURGIEN.

De l'opération de frere Jacques. Frere Jacques étoit une espece de moine originaire de Franche-Comté, qui vint à Paris en 1697. Il s'annonça comme possesseur d'un nouveau secret pour la guérison de la pierre. Il fit voir aux magistrats une quantité de certificats qui attestoient son adresse à opérer. Il obtint la permission de faire des essais de sa méthode à l'hôtel-Dieu sur des cadavres, sous les yeux des chirurgiens & des médecins de cet hôpital. M. Méry, qui en étoit alors chirurgien major, fut pareillement chargé par M. le premier président d'examiner les épreuves de frere Jacques, & de lui en faire son rapport.

M. Méry dit que " frere Jacques ayant introduit dans la vessie une sonde solide, exactement ronde, sans rainure, & d'une figure differente de celles des sondes dont se servent ceux qui taillent suivant l'ancienne méthode, il prit un bistouri semblable à ceux dont on se sert ordinairement, mais plus long, avec lequel il fit une incision au côté gauche & interne de la tubérosité de l'ischium, & coupant obliquement de bas en haut, en profondant, il trancha tout ce qui se trouva de parties depuis la tubérosité de l'ischium jusqu'à sa sonde qu'il ne retira point. Son incision étant faite, il poussa son doigt, par la plaie, dans la vessie, pour reconnoître la pierre. Et après avoir remarqué sa situation, il introduisit dans la vessie un instrument (qui avoit à-peu-près la figure d'un fer à polir de relieur) pour dilater la plaie, & rendre par ce moyen la sortie de la pierre plus facile sur ce dilatatoire qu'il appelloit son conducteur, il poussa une tenette dans la vessie, & retira aussitôt ce conducteur ; & après avoir cherché & chargé la pierre, il retira la sonde de l'urethre, & ensuite sa tenette avec la pierre de la vessie par la plaie, ce qu'il fit avec beaucoup de facilité, quoique la pierre fût à-peu-près de la grosseur d'un oeuf de poule.

Cette opération étant faite, je disséquai, continue M. Méry, en présence de MM. les médecins & chirurgiens de l'hôtel-Dieu, les parties qui avoient été coupées. Par la dissection que j'en fis, & en les comparant avec les mêmes parties opposées que je disséquai aussi, nous remarquâmes que frere Jacques avoit d'abord coupé des graisses environ un pouce & demi d'épaisseur, qu'il avoit ensuite conduit son scalpel entre le muscle érecteur & accélérateur gauche sans les blesser, & qu'il avoit enfin coupé le col de la vessie dans toute sa longueur par le côté, à environ demi-pouce du corps même de la vessie. "

Sur ce rapport on permit à frere Jacques de faire son opération sur les vivans. Il tailla environ cinquante personnes ; mais le succès ne répondit pas à ce qu'on en attendoit ; on fit de nouveau l'examen des parties blessées, & on reconnut que les unes étoient tantôt intéressées, & tantôt les autres, ensorte qu'on peut dire de frere Jacques qu'il n'avoit point de méthode ; car une méthode de tailler doit être une maniere de tailler suivant une regle toujours constante, au moyen de laquelle on entame les mêmes parties toutes les fois. Ce sont les termes de M. Morand, dans ses Recherches sur l'opération latérale insérées dans les Mém. de l'ac. royale des Scienc. ann. 1731. Frere Jacques n'avoit donc point de méthode : il entamoit la vessie, tantôt dans son col tantôt dans son corps ; il séparoit quelquefois le col du corps ; souvent il traversoit la vessie, & l'ouvroit en deux endroits ; enfin il intéressoit l'intestin rectum qui ne doit point être touché dans cette opération, &c.

M. Méry publia en 1700 un traité sous le titre d'Observations sur la maniere de tailler dans les deux sexes pour l'extraction de la pierre, pratiquée par frere Jacques. L'auteur releve vivement toutes les fautes commises par le nouveau lithotomiste, en donnant des louanges à sa fermeté inébranlable dans l'opération.

Frere Jacques profita de la critique de M. Méry & des conseils qui lui furent donnés par MM. Fagon & Felix, premiers médecin & chirurgien du roi. La principale cause des désordres de l'opération venoit du défaut de guide. Freres Jacques opéroit sur une sonde cylindrique ; mais lorsqu'il eut fait usage de la sonde cannelée, il pratiqua son opération avec beaucoup de succès. On a de lui un écrit intitulé, Nouvelle méthode de tailler, munie des approbations des médecins & des chirurgiens de la cour, qui lui virent faire à Versailles trente-huit opérations sans perdre un seul de ses malades. Frere Jacques y reproche à MM. Méry & Saviard de l'avoir décrié comme sectateur d'un nommé Raoulx qui étoit un fripon, de n'avoir pas assez examiné par eux-mêmes, & d'avoir écrit contre lui par des ouï-dires, par plaisir de blâmer l'opérateur & l'opération.

M. Rau, fameux professeur en Anatomie & en Chirurgie à Leyde, vit opérer frere Jacques, & pratiqua ensuite l'opération de la taille avec un succès étonnant ; mais il ne publia rien là-dessus. M. Albinus a donné un détail circonstancié de tout ce qui regarde l'opération de M. Rau son prédécesseur. Il prétend qu'il avoit perfectionné la taille du frere Jacques, & qu'il coupoit le corps même de la vessie au-delà des prostates. Mais en suivant la description de M. Albinus, & se servant de la sonde de M. Rau, on voit qu'il est impossible de couper le corps de la vessie sans toucher aux prostates, à son col & à l'urethre, & on pense que M. Albinus s'est mépris sur la méthode de M. Rau dont nous ignorons absolument les particularités, autres que les succès extraordinaires dont elle étoit suivie.

Opération de Cheselden. La dissertation de M. Albinus sur la taille de Rau, excita l'émulation des chirurgiens, & les porta à faire des expériences propres à les conduire à la perfection annoncée dans cet ouvrage.

M. Cheselden fit les premieres tentatives ; il rencontra en suivant ponctuellement la description de M. Albinus, des inconvéniens qui le conduisirent à une nouvelle opération ; voici la méthode de la pratiquer.

On fait situer le malade à l'ordinaire : on introduit un cacheter dans la vessie par l'urethre : on couche le manche de la sonde sur l'aine droite du malade, où, un aide qui doit être très-adroit & très-attentif, la tient assujettie d'une seule main, pendant que de l'autre il soutient les bourses ; par cette situation de la sonde, l'urethre est collé & soutenu contre la simphyse des os pubis, ce qui l'éloigne du rectum autant qu'il est possible de le faire, & la cannelure de la sonde regarde l'intervalle qui est entre l'anus & la tubérosité de l'ischion.

L'opérateur prend un lithotome particulier (Pl. VIII. fig. 3.), avec lequel il fait une très-grande incision à la peau & à la graisse, commençant à côté du raphé, un peu au-dessus de l'endroit où finit la section dans le grand appareil ordinaire, & finissant un peu au-dessous de l'anus, entre cette partie & la tubérosité de l'ischion. Cette incision doit être poussée profondément entre les muscles, jusqu'à ce qu'on puisse sentir la glande prostate : alors on cherche l'endroit de la sonde, & l'ayant fixée où il faut, supposé qu'elle eût glissé, on tourne en-haut le tranchant du bistouri : comme la main gauche de l'opérateur n'est pas occupée à tenir la sonde, le doigt index de cette main étant introduit dans la plaie, reconnoit la cannelure de la sonde, & sert à y conduire surement la pointe du lithotome, & en le poussant de bas en haut, entre les muscles érecteur & accélérateur, on coupe toute la longueur des prostates de dedans en dehors, poussant en même-tems le rectum en-bas, avec un ou deux doigts de la main gauche ; par ces précautions on évite toujours de blesser l'intestin : l'opération se termine de la maniere ordinaire, par l'introduction du gorgeret sur la cannelure de la sonde, & par celle des tenettes sur la gouttiere du gorgeret.

Cette opération a l'avantage d'ouvrir une voie suffisante pour l'extraction des pierres, par la partie la plus large de l'ouverture de l'angle des os pubis, & on est sûr de ne point intéresser le rectum. Toutes les parties qu'on déchire & qu'on meurtrit dans le grand appareil ordinaire, sont coupées dans l'opération de Cheselden ; & c'est un principe reçu que la section des parties est plus avantageuse que leur déchirement, sur-tout lorsque ce déchirement est accompagné de contusion.

M. Cheselden pratiquoit cette opération en Angleterre avec de grands succès ; il avoit abandonné le haut appareil pour cette nouvelle façon de tailler, dont M. Douglas donna la description ; mais les maîtres de l'art ne la jugerent point suffisamment détaillée, pour savoir en quoi consistoit positivement la nouvelle méthode. M. Morand voulut s'assurer des choses par lui-même, il passa en Angleterre, & vit opérer M. Cheselden ; il lui promit de ne rien publier de cette opération, avant la description que l'auteur se proposoit de communiquer à l'académie royale des Sciences. Voyez les recherches sur l'appareil latéral ; mém. de l'acad. des Sciences, année 1731.

Pendant le voyage de M. Morand à Londres, M. de Garengeot, & M. Perchet, premier chirurgien du roi des deux Siciles, qui gagnoit alors sa maîtrise à l'hôpital de la Charité, firent dans cet hôpital plusieurs tentatives sur des cadavres : guidés par les fautes de frere Jacques, & par les observations de M. Méry, ils parvinrent à faire le grand appareil obliquement, entre les muscles érecteur & accélérateur gauches, & à inciser intérieurement le col de la vessie & un peu de son corps. M. Perchet, après bien des expériences, pratiqua cette opération avec réussite. Voyez ce détail dans le traité des opérations, par M. de Garengeot, sec. édit. tom. II.

L'opération de la taille, étoit, comme on voit, l'objet des recherches des grands maîtres de l'art. Feu M. de la Peyronie, premier chirurgien du roi, aussi distingué par ses grandes connoissances que par la place qu'il occupoit, fut consulté de toutes parts sur la matiere en question. Les chirurgiens lui rendoient compte de leurs travaux, & demandoient qu'il les éclairât de ses conseils ; les magistrats des villes du royaume où il y avoit, ou bien où l'on vouloit avoir des lithotomistes pensionnés pour exercer l'opération, & pour y former des éleves, écrivoient au chef de la chirurgie, pour qu'il décidât quelle étoit la meilleure méthode de tailler. Il travailla en conséquence à la description d'une méthode où l'on incise les mêmes parties que dans l'opération de M. Cheselden, mais par un procedé différent. L'opérateur, entr'autres choses, tient lui-même le manche de la sonde ; ce que M. Cheselden fait faire à un aide, & qui, selon quelques auteurs, est un inconvénient, parce que la position juste de la sonde, fait toute la sûreté de l'opération ; un aide mal adroit, ou plus attentif à ce que fait l'opérateur qu'à ce dont il est chargé, peut donc faire manquer la route que l'on doit tenir. Je vais donner ici la description dont M. de la Peyronie est auteur, parce qu'elle est faite avec beaucoup de précision, & qu'elle n'a jamais été imprimée.

Opération de M. de la Peyronie. " Il faut situer le malade sur une table, le lier, & le faire tenir à l'ordinaire, le couchant un peu plus sur le dos que dans le grand appareil ; dans cette situation, la partie inférieure du périnée, sur laquelle on doit opérer, se présentant mieux, on opere avec plus de facilité ; la sonde cannelée doit être d'acier ; on l'introduit dans la vessie (voyez CACHETERISME), & ensuite l'aide qui est chargé de trousser, assujettit avec le creux de la main droite, tout le paquet des bourses, qu'il range sans le blesser, vers l'aine droite : il étendra le doigt indicateur de la même main, le long du raphé sur toute la longueur du muscle accélérateur gauche, qu'il cache tout entier sous le doigt, il ne découvre tout-au-plus qu'une très-petite portion latérale gauche de ce muscle.

Cet aide couche le doigt indicateur de la main gauche, à trois ou quatre lignes de l'indicateur droit, sur le muscle érecteur gauche, & le couvre entierement aussi, suivant sa direction ; enfin ce même aide étendra autant qu'il pourra la peau qui se trouve entre ses deux doigts indicateurs, en faisant effort comme pour les écarter l'un de l'autre.

L'opérateur panche vers l'aine droite la tête de la sonde, qu'il tient de la main gauche : alors la partie convexe de la courbure de la sonde, où est la rainure, s'applique à gauche sur toutes les parties où l'on doit opérer ; car premierement elle répond à la partie latérale gauche du bulbe, qui est le premier endroit où le canal de l'urethre sera ouvert, ensuite à la partie latérale gauche de la portion membraneuse de l'urethre ; enfin à la prostate du même côté, & l'extrêmité de la sonde s'étend dans la cavité de la vessie, environ à deux ou trois lignes au-delà de son col ; cette courbure de la sonde ainsi placée, fait extérieurement entre les deux doigts de l'aide, une petite éminence à la peau, dont l'endroit le plus saillant répond à-peu-près au bulbe, qui est le lieu par où l'on commencera l'incision.

Pendant que l'opérateur tient de la main gauche la sonde assujettie en cet état, il s'assure au juste, avec l'indicateur de la main droite, du point le plus saillant de la convexité de la sonde, lequel doit répondre à la partie inférieure latérale gauche du bulbe de l'urethre. Il coupe ensuite avec son bistouri la peau qui couvre cette portion du bulbe, & il continue son incision de la longueur de deux ou trois travers de doigts, ou davantage, selon la grandeur du sujet, en suivant toujours le milieu de l'intervalle qui se trouve entre les doigts indicateurs de l'aide ; cette incision coupe seulement la peau & la graisse, car pour les muscles, il n'y a tout au plus que l'accélérateur qui puisse être effleuré dans sa partie latérale gauche.

Après cette incision, les parties du conduit qui sont poussées par la courbure de la sonde, forment dans l'endroit où la peau & les graisses sont coupées, une bosse fort sensible, sur-tout vers la partie inférieure latérale gauche du bulbe. Il faut commencer alors par couper cette partie ; pour cet effet on porte la pointe du bistouri au point le plus éminent de cet endroit qui fait bosse, on pénetre jusque dans la cannelure de la sonde, que l'on tient toujours bien assujettie, & l'on coupe la partie latérale gauche du bulbe ; on continue de glisser la pointe du bistouri le long de la cannelure, on coupe tout de suite la partie membraneuse de l'urethre, le muscle transversal gauche, & la bande tendineuse située derriere ce muscle : on coupe enfin la prostate gauche & le bourrelet de la vessie : la prostate se trouve coupée dans une épaisseur de deux ou trois lignes, & environ deux lignes à côté du verumontanum.

Après cette derniere incision, on fait tenir le manche du bistouri par l'aide, avant de retirer la pointe dudit bistouri hors de la cannelure de la sonde, le chirurgien prend le gorgeret avec sa main droite, & le conduit, à la faveur de la lame du bistouri, dans cette cannelure ; lorsqu'il y est placé, l'aide retire le bistouri, afin que l'opérateur puisse glisser ce conducteur, le long de la rainure qu'il ne doit jamais abandonner jusqu'à ce qu'il soit arrivé dans la vessie ; dès qu'il y est, il retire la sonde ; il prend ensuite le manche du gorgeret de la main gauche, & le baisse doucement vers le fondement, pour glisser le long de ce conducteur le doigt indice de la main droite, graissé d'huile : on écartera peu-à-peu avec ce doigt, sans secousses, les levres de l'incision, jusque dans la vessie, afin de dilater l'ouverture que l'on a faite, & de détruire les brides s'il s'y en trouve, & même de les couper s'il y en avoit quelqu'une qui résistât au doigt, ou qui empêchât de l'introduire facilement. Il sera aisé de les couper avec un bistouri ordinaire, conduit sur ce doigt, ou bien le long de la rainure du conducteur ; outre tous ces avantages que l'on retire de l'introduction du doigt dans la vessie, on a souvent celui de toucher la pierre, de s'assurer du lieu où elle est située, de sa figure, de son volume, & de la maniere la plus facile de la charger, & la plus avantageuse pour la tirer : on peut d'ailleurs s'assurer de son adhérence s'il y en a.

Après avoir ainsi préparé les voies, on introduit aisément la tenette à la faveur du gorgeret ; on touche la pierre avec la tenette, que l'on ouvre & que l'on tourne ensuite de façon qu'une des serres passe dessous la pierre & l'embrasse en maniere de cuillere ; on la charge, & on la tire doucement & sans effort.

L'opération faite selon cette méthode n'est sujette à aucune variation. On coupe toujours les mêmes parties ; ce qu'on incise, ce qu'on divise ou écarte avec le doigt ou les instrumens, n'est susceptible par lui-même d'aucun accident fâcheux. La seule artere qu'on peut ouvrir, est une branche de la honteuse interne qui se distribue dans le bulbe de l'urethre. Elle se trouve rarement sur la route de l'incision ; quand même on ouvriroit cette artere, l'inconvénient ne seroit pas grand ; elle n'est pas considérable, elle se retire dans les graisses, & tarit ordinairement sans secours. Si elle s'opiniâtre à fournir, il est facile d'en arrêter le sang par la compression. S'il y a des fragmens, ou une seconde ou troisieme pierre dans la vessie, on se conduit comme on a fait pour la premiere pierre.

Les instrumens pour faire cette opération sont ;

1°. La sonde cannelée, qui est la même que dans le grand appareil ordinaire. Voyez CACHETER. Cependant elle satisferoit mieux aux vues de cette méthode, si elle étoit un peu plus convexe, & que le bec fût plus long de deux lignes ou environ que les sondes ordinaires.

2°. Il faut un bistouri (voyez LITHOTOME), dont le tranchet soit large environ de quatre ou cinq lignes, & long environ de neuf ou dix, & que la pointe soit courte. Le manche doit être fixé à la lame ; s'il est mobile, on l'assujettira à l'ordinaire, avec une bandelette.

3°. Le gorgeret, comme pour l'opération ordinaire. (Voyez GORGERET).

4°. On a besoin de tenettes de toutes especes, pour employer celle qui paroîtra la plus convenable à chaque opération en particulier ".

Toutes ces différentes manieres de pratiquer la taille au périnée, ont été imaginées dans la vue d'ouvrir un passage suffisant aux pierres qui ont un volume plus que médiocre, & d'éviter les contusions inévitables dans l'opération du grand appareil tel qu'on le pratiquoit avant frere Jacques. Malgré ces perfections, il faut avouer qu'il n'est pas possible de faire, par l'urethre & par le col de la vessie, une ouverture proportionnée au volume des grosses pierres, c'est-à-dire, une ouverture qui mette à l'abri de meurtrissures & de déchiremens violens. On n'exagere point en disant que depuis vingt ans cent chirurgiens plus ou moins versés dans l'opération de la taille, ont imaginé des instrumens particuliers pour inciser le col de la vessie avec les prostates, des bistouris lithotomes, des gorgerets à lames tranchantes, qui agissent par des méchaniques différentes ; mais quelqu'attention qu'on donne pour étendre ensuite par l'introduction du doigt & par l'écartement gradué des branches de la tenette la plaie du col de la vessie par de-là son orifice, on sent toujours beaucoup de résistance pour l'extraction d'une grosse pierre ; sa sortie est difficile, la nature des parties s'y oppose : l'urethre est tissu des fibres aponévrotiques qui ne cedent pas aisément ; leur déchirement sera d'autant plus douloureux & accompagné de meurtrissure, que les parties extérieures auront été plus ménagées ; car plus l'incision extérieure sera étendue, moins il y aura de résistance, & plus l'extraction sera facile, sur-tout lorsqu'on aura coupé obliquement fort bas pour pouvoir tirer la pierre par la partie la plus large de l'ouverture de l'angle que les os pubis forment par leur réunion.

Les expériences qui nous ont procuré les différentes méthodes dont nous venons de parler, avoient pour objet d'ouvrir le corps même de la vessie. Tous les praticiens à qui nous en sommes redevables cherchoient à découvrir la route que l'on disoit avoir été tenue par M. Rau. On convenoit généralement qu'une pierre passeroit avec moins de difficulté entre des parties charnues, capables de prêter ou de se déchirer sans peine, qu'entre des parties aponévrotiques qui offroient beaucoup de résistance. Ce seroit sans contredit un avantage des plus grands, surtout dans le cas des pierres molles, qui, malgré toutes les attentions de l'opérateur, se brisent au passage par la résistance des parties ; cet inconvénient oblige à rapporter plusieurs fois les tenettes dans la vessie : on fatigue cet organe, & pour peu qu'il y ait de mauvaise disposition de la part du sujet, les accidens qui surviennent causent souvent des desordres irréparables.

C'est par toutes ces considérations qu'on desiroit pouvoir mettre communément en usage le haut appareil ; il met à l'abri des délabremens du col de la vessie, d'où résultent les fistules & les incontinences d'urine : dans cette méthode la pierre ne trouve à son passage que des parties d'une tissure assez lâche : l'incision des parties contenantes peut être suffisamment étendue ; le corps de la vessie souffre sans résistance une extension assez considérable, & une division qui disparoît presque tout-à-fait aussi-tôt que la pierre en est sortie ; ce seroit donc la méthode de préférence, si certaines circonstances que nous avons rapportées ne la rendoient souvent impraticable ; il y a même des cas où elle seroit possible sans qu'on dût la mettre en usage, comme lorsqu'il faut faire suppurer & mondifier une vessie malade. Tout concourt donc à faire sentir le prix d'une méthode par laquelle on ouvriroit le corps même de la vessie par une incision au périnée, sans intéresser le col de la vessie ni l'urethre. Cette méthode a été trouvée par M. Foubert ; elle est le fruit des recherches qu'il a faites pour découvrir la maniere de tailler attribuée à M. Rau par M. Albinus.

La méthode de M. Foubert est la seule à laquelle on a pu donner légitimement le nom de taille latérale. Nous allons en donner la description, d'après le mémoire communiqué par l'auteur à l'académie royale de Chirurgie, & qui est inséré dans le premier volume des recueils de cette compagnie.

Opération de M. Foubert. La méthode de M. Foubert consiste à ouvrir un passage aux pierres, par l'endroit le plus large de l'angle que forment les os pubis, sans intéresser le col de la vessie ni l'urethre. Toutes les perfections qu'on a données au grand appareil, en procurant une ouverture plus grande que celle qu'on pratiquoit anciennement, tendoient à diminuer les inconvéniens de cette opération, parce qu'elles facilitent l'introduction des instrumens, & qu'elles épargnent une partie du déchirement que feroit la pierre si l'ouverture étoit moins étendue. Cependant il est toujours vrai qu'elles n'empêchent pas que les pierres un peu grosses ne fassent une dilacération fort considérable, & qu'elles ne remédient point à d'autres inconvéniens qui dépendent du lieu où l'on opere, qui est trop serré par l'angle que forment les os pubis, ce qui rend l'extraction de la pierre fort difficile, & occasionne des contusions qui ont souvent des suites fâcheuses. D'ailleurs on ne peut éviter de couper ou de déchirer diverses parties organiques qui accompagnent le col de la vessie, comme un des muscles accélérateurs, le vérumontanum, le prostate, le col même de la vessie & le conduit de l'urine. Le déchirement ou la section de ces parties, qui de plus sont meurtries par la pierre, peuvent avoir beaucoup de part aux accidens qui arrivent à la suite de l'opération, & sur-tout aux incontinences d'urine, & aux fistules incurables qui restent après ces opérations, comme nous l'avons dit plus haut.

La méthode de M. Foubert n'est point sujette à ces inconvéniens. Il entre dans la vessie par le lieu le plus favorable, en ouvrant cet organe à côté de son col & au-dessus de l'urethre. On n'a dans cet endroit d'autres parties à couper que la peau, le tissu des graisses, le muscle triangulaire, un peu du muscle releveur de l'anus, un peu du ligament de l'angle du pubis & la vessie. La figure 3. de la Planche XIII. représente le périnée, où est marquée la direction de l'incision extérieure, selon la méthode de M. Foubert. La figure 4. de cette Planche est une dissection des muscles du périnée, & montre l'endroit de la vessie coupée par l'opération.

Pour pratiquer cette opération, il faut des instrumens particuliers. On pénetre dans la vessie à-travers la peau & les graisses avec un long trocar dont la cannule est cannelée. (Voyez TROCAR.) La ponction de la vessie est ou impossible ou dangereuse, si ce viscere ne contient pas une suffisante quantité d'urine. Ainsi cette opération ne convient pas à ceux qui ne gardent point du tout ce liquide. Les personnes fort grasses ne sont pas non plus dans le cas d'être taillées par cette méthode, parce que leur vessie n'est pas ordinairement susceptible d'une suffisante extension, & qu'il y a de l'inconvénient à chercher la vessie cachée profondément sous l'épaisseur des graisses qui recouvrent la partie de cet organe qu'il faut inciser. Dans les cas où la vessie est capable de s'étendre suffisamment & de retenir l'urine, on pratique la méthode de M. Foubert d'une maniere brillante. La difficulté de mettre la vessie d'un pierreux dans l'état convenable à cette opération, n'a été surmontée qu'après bien des tentatives & des réflexions. M. Foubert essaya d'abord les injections : c'est à ce moyen qu'il eut recours pour dilater la vessie du premier malade qu'il tailla en Mai 1731. Il remarqua qu'il étoit extrêmement difficile d'injecter la vessie : car non-seulement l'injection fut fort douloureuse au malade, mais elle ne se put faire même que fort imparfaitement, parce que la douleur l'engageoit à faire des mouvemens ou des efforts qui chassoient une grande partie de l'eau qu'on poussoit dans la vessie. Dans un second malade, M. Foubert s'étant apperçu, en le sondant, que sa vessie étoit spatieuse, & en ayant jugé encore plus sûrement par la quantité d'urine qu'il rendoit à chaque fois qu'il pissoit, il lui recommanda, la veille de l'opération, de retenir le lendemain matin ses urines, ce qu'il fit facilement, M. Foubert l'ayant trouvé endormi lorsqu'il arriva pour le tailler.

La circonstance avantageuse d'une grande vessie se trouve rarement dans ceux qui ont des pierres, sur-tout lorsqu'elles sont grosses ; & c'est dans ce cas précisément où il convient le plus de pratiquer la méthode dont nous parlons. L'auteur, consulté par un malade dont la vessie étoit fort étroite & qui rendoit avec beaucoup de douleur très-peu d'urine à-la-fois, crut que son opération ne pouvoit convenir dans ce cas. Il lui vint cependant en l'idée que s'il accoutumoit le malade à boire beaucoup, la quantité d'urine qui formeroit cette boisson pourroit dilater peu-à-peu la vessie : cette tentative eut tout le succès possible ; car non-seulement la vessie parvint à contenir une quantité d'urine assez considérable pour permettre l'opération, mais de plus le malade sentoit beaucoup moins de douleur en urinant.

M. Foubert eut recours au même expédient pour pouvoir tailler par sa méthode un homme qui urinoit à tout instant & très-peu à-la-fois. Il commença à lui faire boire par verrées, de demi-heure en demi-heure, le matin une chopine de tisane faite avec du chiendent, de la reglisse & de la graine de lin. Il lui augmenta cette boisson de jour en jour de demi-septier, jusqu'à ce qu'il fût parvenu à deux pintes. On s'appercevoit chaque jour de la dilatation de la vessie par la quantité d'urine que le malade rendoit à chaque fois. Au bout de huit jours, il en urinoit au-moins un verre & demi à-la-fois, & avec bien moins de douleur qu'auparavant.

Je me suis étendu sur cette préparation, parce qu'elle est d'une grande utilité. En cherchant à étendre l'usage de la méthode, M. Foubert a rendu un service essentiel à toutes les autres, dont le succès dépend très-souvent de l'état de la vessie. Si cet organe est racorni, les instrumens qu'on y introduira le fatigueront, & pourront même le blesser, quoique conduits par les mains les plus habiles. J'ai éprouvé plusieurs fois l'utilité de la préparation prescrite par M. Foubert ; elle doit passer en dogme, & être mise au rang des découvertes les plus avantageuses qu'on ait faites sur la taille, depuis cinquante ans qu'on travaille sans relâche dans toute l'Europe, à la perfection de cette opération.

Il ne suffit pas que la vessie soit capable de contenir une suffisante quantité d'urine, il faut qu'elle en contienne effectivement pour que l'on puisse tailler suivant la méthode de M. Foubert. Cet auteur a manqué quelquefois d'entrer dans la vessie avec le trocar dans des cas où il ne s'y trouva point d'urine, les malades ayant pissé un peu avant l'opération, sans en avoir donné avis. Pour se garantir de cet inconvénient, il a trouvé un moyen bien simple, par lequel on peut s'assurer du degré de plénitude de la vessie. On introduit un doigt dans l'anus, & avec la main appuyée sur l'hypogastre, on fait plusieurs mouvemens alternatifs, par lesquels on peut connoître exactement à travers les membranes du rectum le volume ou la plénitude de la vessie. On s'appercevroit facilement, par cet examen, si la vessie n'étoit pas assez remplie d'urine ; alors on différeroit l'opération.

Pour s'assurer de la plénitude de la vessie, il y a encore un autre moyen très-facile & bien sûr. C'est qu'après avoir accoutumé les malades à boire plusieurs jours, jusqu'à ce que leur vessie soit parvenue à contenir un verre ou deux d'urine : il faut, le jour qu'on doit faire l'opération, que le malade boive le matin une ou deux pintes de sa tisane ordinaire, & attendre pour opérer que le besoin d'uriner le presse : dans ce moment, on appliquera le bandage de l'urethre pour retenir les urines (Planche IX. fig. 5.), & on fera sur le champ l'opération.

Elle exige différentes précautions : on doit être attentif, sur-tout dans les personnes âgées, à examiner la capacité du rectum, parce qu'il y a des sujets où cet intestin est extrêmement dilaté au-dessus du sphincter. Dans ce cas, on risqueroit non-seulement dans cette méthode, mais dans toutes les autres d'ouvrir le rectum, s'il se trouvoit rempli de matieres, alors il vaudroit mieux remettre l'opération & vuider l'intestin.

Cette précaution est d'ailleurs nécessaire pour que la vessie puisse, lorsqu'on la comprime, comme nous le dirons dans l'instant, affaisser le rectum & approcher davantage de l'os sacrum, afin d'être percée plus sûrement par le trocart à l'endroit qu'il convient : dans cette vue, il ne faut pas manquer la veille de l'opération de faire donner le soir un lavement au malade.

Pour pratiquer cette opération, on place le malade comme dans le grand appareil. Voyez Planche XII. fig. 3. & 4. Un aide releve les bourses de la main droite, & de la main gauche il comprime l'hypogastre avec une pelote. Voyez Planche XIII. fig. 3. Le chirurgien introduit le doigt index de sa main gauche dans l'anus ; il pousse le rectum du côté de la fesse droite pour bander la peau du côté gauche à l'endroit où il doit opérer, & pour éloigner l'intestin du trajet de l'incision qu'il faut faire. Ensuite il cherche à-travers la peau & les chairs avec le doigt index de la main droite, la tubérosité de l'ischium & le bord de cet os depuis l'extrêmité de cette tubérosité jusqu'à la naissance du scrotum. Dans les premieres épreuves sur les cadavres, M. Foubert marqua avec un crayon de pierre noire un peu mouillé par le bout, un point environ à deux lignes du bord de la tubérosité & environ à un pouce au-dessus de l'anus, abaissé & tiré du côté opposé par le doigt placé dans le fondement ; il marqua un autre point à quatorze ou quinze lignes plus haut que le premier, environ à deux lignes du raphé, & environ aussi à deux lignes du bord de l'os pubis. Il tira une ligne de l'un de ces points à l'autre pour marquer extérieurement le trajet de l'incision qu'il devoit faire, & qui devoit régner le long du muscle érecteur sans le toucher (Planche XIII. fig. 4.), & aller se terminer au bord de l'accélérateur. Ces mesures bien prises, la ligne qui devoit regler toute l'opération marquée avec exactitude, & le doigt toujours placé dans le fondement pour abaisser le rectum & le porter du côté droit, il prit son trocart de la main droite, il en plaça la pointe à l'extrêmité inférieure de la ligne. La cannelure du trocart regardoit le scrotum : il enfonça cet instrument jusque dans le corps de la vessie, en le conduisant horisontalement sans l'incliner ni d'un côté ni d'autre ; il perça la vessie à quatre ou cinq lignes au-dessus de l'urethre, & à-peu-près à la même distance à côté du col de la vessie. La figure 1. de la Planche XIV. est une coupe latérale de l'hypogastre, qui représente la direction du trocart plongé dans la vessie.

Aussi-tôt qu'on a pénétré dans la capacité de ce viscere, on en est averti par la sortie de l'urine qui s'échappe par la cannelure du trocart ; alors on retire le doigt du fondement : on quitte le manche du trocart qu'on tenoit avec la main droite pour le prendre de la main gauche, sans le déranger ; on tire le poinçon de sa cannule de quatre ou cinq lignes seulement, afin que la pointe de cet instrument ne déborde pas le bout de la cannule. On prend le lithotome (voyez Planche XXII. fig. 1.) de la main droite ; on glisse le dos de sa lame dans la cannelure jusqu'à ce que la pointe de cet instrument soit arrêté par le petit rebord, qui est à l'extrêmité de cette cannelure. La résistance qu'on sent à la pointe du lithotome & une plus grande quantité d'urine qui s'écoule, font connoître avec certitude que l'instrument est suffisamment entré dans la vessie. Il faut alors faire l'incision aux membranes de la vessie ; & pour cet effet, la main droite, avec laquelle on tient le lithotome, étant appuyée fermement sur la main gauche, avec laquelle on tient le manche du trocart, on leve la pointe du lithotome, & dans le même moment on abaisse un peu le bout du trocart, pour faciliter l'incision des membranes de la vessie ; voyez la fig. 2. de la Planche XIV. on incline un peu le tranchant de la lame du couteau du côté du raphé, afin de donner à cette incision une direction pareille à celle de la ligne que nous avons dit avoir été tracée extérieurement pour les épreuves sur les cadavres. Lorsque l'extrêmité du lithotome paroît assez écartée de celle du trocart, pour avoir fait à la vessie une ouverture suffisante, qui, sur un sujet adulte de taille ordinaire, doit être d'environ treize ou quatorze lignes ; on rabat la pointe du couteau dans la cannelure du trocart en le retirant d'environ un pouce ; & l'on fait ensuite une manoeuvre contraire à celle que je viens de décrire. Car au lieu d'écarter le trocart, la pointe du lithotome, c'est le manche de cet instrument qu'il faut éloigner de celui du trocart, afin d'achever entierement l'incision qu'on a faite à la peau, aux chairs & aux graisses qui se trouvent depuis la surface de cette peau jusqu'à la vessie, & on dirige le tranchant du lithotome selon la ligne que nous avons dit avoir été tracée dans les premiers essais de cette méthode, mais il ne faut pas trop l'étendre, de crainte d'approcher trop de l'urethre & de couper l'accélérateur. On est moins retenu sur l'incision de la peau & des graisses : en retirant le lithotome, on peut étendre cette incision extérieure jusque proche le scrotum. La fig. 2. de la Planche XIV. est une coupe latérale de l'hypogastre qui représente l'incision de la vessie, & les lignes ponctuées montrent l'incision des chairs.

Lorsque l'incision est entierement achevée, on quitte le lithotome, & on prend le gorgeret particulierement destiné à cette opération. Voyez GORGERET. On glisse son bec dans la cannelure du trocart, pour le conduire dans la vessie de la même maniere qu'on y a conduit le lithotome, c'est-à-dire jusqu'à ce que l'on soit arrêté par le rebord de la cannelure : alors on retire le trocart ; on retourne en-dessus la gouttiere, qui étoit en-dessous lorsqu'on a introduit le gorgeret : ce gorgeret est formé de deux pieces ou branches, qui peuvent s'écarter & servir s'il est besoin de dilatation. On porte le doigt dans cette gouttiere pour examiner l'étendue de l'incision, on introduit les tenettes, on retire le gorgeret, & l'on termine l'opération à la façon ordinaire.

Après l'extraction de la pierre, il faut mettre une cannule dans la vessie, voyez figure 2. Planche XIII. pour entretenir, autant de tems qu'il est nécessaire, le cours des urines & des matieres de la suppuration. Sans cette méthode de panser, lorsque les urines s'arrêtent, ou bien lorsque les suppurations deviennent abondantes, & qu'elles n'ont pas un cours assez libre, le tissu cellulaire s'enflamme & s'engorge ; ce qui occasionne des infiltrations, & même des abscès gangréneux qui causent quelquefois la mort. La cannule a encore un autre usage que je ne dois pas omettre, qui est que lorsqu'une pierre trop grosse ou irréguliere a ouvert quelques vaisseaux considérables, on peut facilement par son moyen se rendre maître du sang, parce qu'elle sert à contenir la charpie qu'on emploie pour comprimer les vaisseaux.

Quelques mauvais succès ont fait découvrir un avantage très-important dans cette nouvelle maniere de tailler.

Aucunes méthodes n'ont pu ouvrir aux grosses pierres une issue suffisante pour pouvoir les tirer, sans exposer les parties par où elles passent à une violence, qui a ordinairement des suites funestes ; & quoique M. Foubert ait eu dans ses premieres opérations la satisfaction de tirer heureusement des pierres d'un volume considérable, il lui est cependant arrivé en tirant des pierres extrêmement grosses d'avoir eu à forcer une si grande résistance, que ces pierres ont causé dans leur passage des contusions & des déchiremens qui ont fait périr les malades, les uns fort promtement, & les autres à la suite d'une suppuration très-considérable & très-longue.

Ces malheurs porterent M. Foubert à faire l'examen des parties qui paroissent former le plus d'obstacle à la sortie de ces pierres. Il reconnut que c'étoit le cordon des fibres du bord inférieur du muscle triangulaire, & la partie du muscle releveur qui descend, à la marge du sphincter de l'anus, qui causoient la principale résistance. Voyez Planche XIII. figure 4. Lorsque le volume de la pierre excede l'incision que l'on fait à ces muscles, elle entraîne avec elle vers le fondement les portions de ces muscles qui s'opposent à son passage, & forme en ramassant leurs fibres, une bride très-difficile à rompre. Quand M. Foubert eut reconnu que la résistance dépendoit principalement de ces portions de muscles, il comprit qu'il étoit aisé de lever l'obstacle, non-seulement parce qu'il n'y avoit aucun inconvénient à couper la bride qui le forme, mais encore parce que la pierre qui la porte vers le dehors, rend cette petite opération très-facile. Dans cette idée il fit faire un bistouri courbe à bouton (voyez fig. 1. Pl. XIII.) qui pût être porté facilement entre les branches de la tenette sur la pierre, à l'endroit de la bride, pour la couper. On a quelquefois recours au même expédient dans les autres méthodes, mais avec bien moins d'avantage, parce que l'on coupe la prostate & le col de la vessie ; au lieu que M. Foubert ne coupe qu'un petit paquet de fibres qui est sans conséquence : & depuis qu'il a observé cette pratique, il a tiré des pierres fort grosses avec un heureux succès.

Nouvelle méthode latérale. M. Thomas, persuadé des avantages de la méthode dont nous venons de parler, a travaillé à la rendre plus facile, & a cru pouvoir y ajouter des perfections, en la pratiquant de haut en-bas ; au-lieu que M. Foubert incise les parties de bas en-haut : le procédé est tout-à-fait différent ; c'est une autre méthode d'inciser le corps de la vessie vis-à-vis le périnée, à côté de son col. Il y a aussi quelque différence dans la coupe des parties. M. Thomas a présenté à l'académie royale de Chirurgie un mémoire dans lequel il admet la supériorité de l'opération, par laquelle on fait la section du corps de la vessie, à la pratique de couper son col ; ensuite il met sa méthode d'opérer en parallele avec celle de M. Foubert. Dans celle-ci le trajet du trocart dans la ponction qui fait le premier tems de l'opération, devient la partie inférieure de l'incision complettée, parce qu'on la fait sur la cannelure du trocart de bas en-haut. M. Thomas agit différemment ; il porte le trocart immédiatement au-dessous de l'os pubis, un peu latéralement ; & le trajet de cet instrument forme la partie supérieure de l'incision. Par cette inversion de méthode, si l'on peut se servir de ce terme, M. Thomas craint moins de manquer la vessie ; il y pénétre sûrement, quoiqu'elle contienne une moindre quantité d'urine. L'incision se fait ensuite de haut en-bas, & l'instrument tranchant après avoir fait l'ouverture suffisante au corps de la vessie, coupe en glissant vers l'extérieur, du côté de la tubérosité de l'ischion, & fait jusqu'aux tégumens une gouttiere, que M. Foubert n'obtient qu'accessoirement par un débridement, au moyen d'un bistouri boutonné, dans le cas de résistance des parties externes à la sortie des pierres considérables : encore la borne-t-il aux fibres du muscle transversal. La section prolongée jusqu'à la peau, est essentiellement de la méthode de M. Thomas, & elle prévient l'infiltration de l'urine dans le tissu cellulaire dont M. Foubert a reconnu les mauvais effets, & qu'il empêche par l'usage d'une cannule ; mais dans la nouvelle méthode il n'en faut point, si ce n'est en cas d'hémorrhagie ; & l'expérience a déja montré que cet accident n'étoit point ordinaire. M. Thomas pour pratiquer son opération, a un instrument qui réunit au trocart une lame tranchante qui s'ouvre à différens degrés, & un petit gorgeret pour conduire les tenettes dans la vessie lorsque l'incision est faite.

J'ai donné dans un mémoire imprimé, à la fin du III. tome des Mémoires de l'académie royale de Chirurgie, mes réflexions pour la perfection de cet instrument, & pour le plus grand succès de la méthode. J'avois vu à Bicêtre un malade opéré deux mois auparavant par M. Thomas, il étoit resté un petit trou par où suintoit de l'urine fort claire ; la cicatrice étoit d'ailleurs très-solide dans toute son étendue. Quoique cet homme guérît par le seul secours de l'embonpoint qu'il recouvra, je crus pouvoir dire d'après les expériences que j'avois faites de cette méthode de tailler sur différens cadavres que la fistule pouvoit avoir lieu lorsque l'angle inférieur de la plaie de la vessie seroit au-dessous du niveau de son orifice ; parce que l'urine trouveroit moins de résistance à passer par-là, qu'à reprendre sa route naturelle. Je proposai un moyen fort simple d'éviter cette cause de fistule ; c'étoit de faire coucher le taillé sur le côté opposé à la plaie, & de placer dans la vessie par l'urethre, une algalie, pour déterminer constamment le cours de l'urine par cette voie ; j'avançai même, comme on peut le voir dans le mémoire cité, qu'on obtiendroit en peu de jours la consolidation parfaite de la plaie, lorsque rien d'ailleurs n'y mettroit obstacle. Le succès a passé mes espérances. M. Thomas a taillé en ma présence, & de plusieurs de nos confreres, un jeune homme de vingt ans ou environ : il suivit le conseil donné, & au bout de cinquante heures la plaie étoit très-parfaitement cicatrisée. Cet exemple est très-frappant, & mérite bien qu'on en conserve la mémoire. M. Busnel a pratiqué cette méthode avec succès, & il y a apparence que ceux qui voudront s'y exercer trouveront qu'elle est aussi facile à pratiquer qu'avantageuse. Il en sera sans-doute fait une mention plus étendue, dans une dissertation particuliere qu'on lira dans la suite des volumes de l'académie royale de Chirurgie.

Méthode de tailler les femmes. Les femmes sont en général moins sujettes aux concrétions calculeuses dans la vessie que les hommes. La conformation des parties permet en elles la sortie de germes ou de noyaux pierreux assez gros. Cette construction particuliere des organes fait aussi que les différentes manieres de tailler les hommes ne leur sont point appliquables. Je ne rapporterai point ici les différentes méthodes qu'on a proposées, ou mises en usage, pour tirer la pierre de la vessie des femmes. J'en ai fait le parallele dans un ouvrage particulier sur cette matiere, destiné à être publié dans un des premiers volumes que l'académie royale de Chirurgie mettra au jour ; je me bornerai à la description sommaire des opérations d'usage, & auxquelles les Chirurgiens paroissent s'être fixés.

Celle qui est la plus généralement pratiquée se nomme le grand appareil. Elle est fort facile, & c'est probablement cette raison qui en a si long-tems caché les défauts. Pour y procéder, on place la malade de même que les hommes : un aide écarte les levres & les nymphes ; l'opérateur introduit au moyen d'une sonde cannelée, le conducteur mâle dans la vessie, puis le conducteur femelle, voyez CONDUCTEUR ; & à l'aide de ces deux instrumens, on pousse la tenette dans la vessie ; on retire les conducteurs ; on charge la pierre & l'on en fait l'extraction. Les instrumens tranchans sont bannis de cette maniere d'opérer ; on croit dilater simplement l'urethre & le col de la vessie très-susceptible d'extension, comme on le prouve par des exemples bien constatés, de la sortie spontanée de très-grosses pierres. J'ai eu occasion d'examiner ces sortes de faits ; j'ai vu à la vérité, des pierres considérables poussées naturellement hors de la vessie, mais ç'a toujours été par un travail très-long & très-pénible. Les pierres sont quelquefois plus de six mois au passage avant que de le pouvoir franchir, & les malades pendant ce tems souffrent beaucoup, & sont incommodées d'une incontinence d'urine dont ordinairement elles ne guérissent jamais, à raison de la perte du ressort des parties prodigieusement dilatées, & depuis un si long tems. Pour juger du grand appareil, il faut observer ce qui se passe dans les différens tems de l'opération. Les conducteurs se placent assez commodément ; mais l'introduction des tenettes n'est pas à beaucoup près si facile. C'est un coin que l'on pousse, & qui ne peut pénétrer qu'aux dépens du canal de l'urethre, dont le déchirement est fort douloureux. En forçant ainsi tout le trajet, on meurtrit le col de la vessie ; & il faut avoir grand soin de retenir les croix des conducteurs avec la main gauche ; de les tirer même un peu à soi, pendant que par une action contraire, on pousse les tenettes avec la main droite. Faute de cette précaution, on pourroit par l'effort de l'impulsion, percer le fond de la vessie avec l'extrêmité des conducteurs. On lit dans Saviard, observ. xxxvij. un fait sur cet accident.

Lorsque les tenettes sont introduites, & qu'on a chargé la pierre le plus avantageusement qu'il a été possible, on en vient à l'extraction qui ne se fait qu'avec beaucoup de désordre & de difficultés : en tirant du dedans au dehors, on étend forcément le corps de la vessie à la circonférence de son orifice ; on meurtrit & on déchire le col de cet organe ; on en détache entierement le canal de l'urethre, effet nécessaire de l'effort considérable qu'il faut faire, parce que les parties en se rapprochant les unes sur les autres du dedans au dehors, forment un obstacle commun très-difficile à surmonter, ou du-moins qu'on ne surmonte jamais qu'avec violence. Le délâbrement que cette opération occasionne est plus ou moins grand, suivant le volume des pierres ; il est de conséquence même dans le cas des petites : je l'ai remarqué dans toutes les épreuves que j'ai faites avec attention, pour m'assurer de l'effet de cette méthode dans différentes circonstances ; & ces épreuves ont été considérablement multipliées pendant six ans que j'ai passés à l'hôpital de la Salpêtriere, où j'ai disposé à mon gré d'un très-grand nombre de cadavres féminins.

C'est à ces extensions forcées & à ces déchiremens inévitables, que l'on doit attribuer les incontinences d'urine que tous les praticiens disent être fréquemment la suite de cette opération ; maladies fâcheuses dont il n'est pas possible d'espérer le moindre soulagement lorsque la pierre est grosse, & qu'en conséquence le délâbrement a été considérable. En supposant même, comme le dit M. Ledran dans son traité d'opérations, que la malade ne périsse pas de l'inflammation ; ce que plusieurs personnes préféreroient, s'il étoit permis, à une guérison qui leur laisse une infirmité aussi désagréable que l'est une incontinence d'urine.

Pour éviter les déchiremens que cause une grosse pierre, M. Ledran pratiquoit la méthode suivante. Il introduit une sonde dans la vessie ; il tourne la cannelure de cette sonde de maniere qu'elle regarde l'intervalle qui est entre l'anus & la tubérosité de l'ischion. On passe le long de cette cannelure un petit bistouri, jusque par-delà le col de la vessie, pour l'inciser. L'opérateur a un doigt dans le vagin, pour diriger la cannelure de la sonde, afin de ne pas couper le vagin. Après avoir fendu par l'introduction du bistouri, l'urethre & le col de la vessie, on retire le bistouri ; on introduit un gorgeret, le long duquel on porte le doigt dans la vessie, pour frayer le passage à la tenette avec laquelle on saisit la pierre.

Cette opération est précisément pour les femmes, ce qu'est l'opération attribuée à M. Cheselden pour les hommes. C'est la même méthode d'opérer ; il faut dans l'une & dans l'autre un aide pour tenir la sonde : ce sont les mêmes parties qui sont intéressées, l'urethre & le col de la vessie ; elles doivent donc avoir les mêmes inconvéniens. On peut les voir dans le parallele des tailles de M. Ledran, à l'article de la méthode qu'il attribue à M. Cheselden. J'ai pratiqué la méthode de M. Ledran sur les cadavres ; elle permet l'introduction des tenettes sans résistance : mais pour peu que la pierre ait de volume, elle ne sort pas sans effort. M. Ledran a parfaitement observé les déchiremens que produit la sortie de la pierre dans cette méthode ; & il décrit en praticien éclairé, les pansemens méthodiques qui conviennent pour donner issue aux suppurations qui en sont la suite. J'ai examiné en différentes occasions, qu'elles pouvoient être les causes de ces desordres ; je me suis apperçu que l'ouverture intérieure étoit, dans cette méthode, plus étendue que l'extérieure ; & qu'ainsi toutes les parties à-travers lesquelles la pierre doit passer, se rassemblant pendant l'extraction, formoient une résistance commune qu'on ne pouvoit vaincre qu'en froissant, meurtrissant & déchirant comme dans le grand appareil. Si au contraire la coupe externe avoit plus d'étendue, la pierre passeroit toujours d'un endroit étroit par un plus large ; la résistance des fibres ne seroit point commune, leur rupture seroit successive ; on éviteroit par-là les inconvéniens de meurtrissures & des déchiremens forcés.

J'ai cru qu'une opération, au moyen de laquelle on feroit une incision des deux côtés, auroit tous ces avantages. Il n'y a certainement par rapport à la plaie, aucun inconvénient à faire des deux côtés, ce qui se pratique à un. Je fis faire d'abord une sonde fendue des deux côtés, pour pouvoir faire deux sections latérales à l'urethre en même-tems. Les épreuves de cette opération sur les cadavres, m'y firent remarquer des avantages essentiels. 1°. On peut tirer des grosses pierres avec facilité, l'urethre étant coupé latéralement dans toute son étendue, & le bourrelet musculeux de l'orifice de la vessie, étant incisé intérieurement. J'ouvre par cette double incision une voie d'autant plus libre à la sortie des pierres, que l'ouverture est toujours plus grande à l'extérieure que dans le fond, parce que l'instrument tranchant qui entre horisontalement, fait son effet en poussant vers l'intérieur les parties externes qui sont les premieres divisées : de façon, qu'en retirant du dedans au-dehors les tenettes chargées de la pierre, elles passent successivement par une voie plus large. Le second avantage essentiel, est de pouvoir mettre dans beaucoup de cas, les malades à l'abri de l'incontinence d'urine, parce que la plaie étant faite par un instrument bien tranchant, & les parties divisées faisant peu d'obstacles pendant l'extraction, elles n'en sont pas fatiguées ; leur réunion peut donc se faire d'autant plus facilement, que l'incision qui a été faite transversalement, lorsque le sujet étoit en situation convenable, ne forme plus ensuite que deux petites plaies latérales & paralleles, qui viennent obliquement du col de la vessie aux deux côtés de l'orifice du vagin ; plaies dont les parois s'entretouchent exactement même sur le cadavre, en mettant un peu de charpie mollette dans le vagin, pour lui servir de ceintre.

Assuré par un grand nombre d'épreuves, de l'effet que produisoit cette méthode, je fis faire un instrument qui la rend plus promte, plus sûre & plus facile à pratiquer. Cet instrument réunit à la fois les avantages de la sonde, du lithotome & du gorgeret. Il est composé de deux parties, dont l'une est le bistouri, & l'autre un étui ou chape, dans laquelle l'instrument tranchant est caché. Voyez la description que j'en ai donné au mot LITHOTOME.

Pour faire l'opération, il faut mettre le sujet en situation convenable, & qu'un aide souleve & écarte les nymphes. Je prends alors l'instrument, la soie du bistouri dégagée du ressort qui la fixoit. J'en introduis le bec dans la vessie. Je le contiens avec fermeté par l'anneau avec le doigt index & le pouce de la main gauche. Mon instrument étant placé, & dans une direction un peu oblique, ensorte que l'extrêmité soit vis-à-vis du fond de la vessie, je presse le lithotome, & je fais invariablement deux sections latérales d'un seul coup. Je retire de suite le tranchant dans la chape, & je tourne mon instrument d'un demi-tour de poignet gauche, en rangeant la cannule dans l'angle de l'incision du côté droit. J'introduis les tenettes dans la vessie à l'aide de la crête qui est sur la chape, après leur avoir fait le passage par l'introduction du doigt index de la main droite, trempé dans l'huile rosat. On cherche la pierre & on la tire avec facilité : cette opération se fait très-promtement, & l'on est sûr des parties qu'on coupe, l'instrument ne pouvant faire ni plus ni moins que ce que l'on a dessein qu'il fasse. M. de la Peyronie, dont le nom est si cher à la Chirurgie, approuva les premiers essais de cette méthode : je l'ai pratiquée avec le plus grand succès, & entr'autres sur une dame âgée de plus de soixante ans, qui souffroit depuis dix ans de la présence d'une pierre considérable dans la vessie. Au bout de huit jours elle a été parfaitement guérie ; & dès le quatrieme elle conservoit ses urines. M. Buttet, maître ès arts, & en Chirurgie à Etampes, témoin de cette opération, l'a pratiquée depuis avec un pareil succès, dans un cas qui en promettoit moins, puisque les pierres étoient multipliées, & que la grosse se brisa en plusieurs parties, les fragmens sortirent d'eux-mêmes dans la suite du traitement, & le malade malgré une réunion plus tardive de la plaie, guérit sans incontinence d'urine. M. Caqué, chirurgien en chef de l'hôtel-dieu de Rheims, a aussi adopté ma méthode qui lui a réussi ; je donnerai l'histoire de l'origine & des progrès de cette opération dans un plus grand détail, mais qui seroit déplacé dans un dictionnaire universel. (Y)

TAILLE, s. f. (Minéralogie) c'est ainsi qu'on nomme dans les mines de France l'endroit où des ouvriers détachent la mine ou le charbon de terre.

TAILLES DE FOND, & TAILLES DE POINT. (Marine) Voyez CARGUES DE FOND, RGUES POINTOINT.

TAILLE, s. f. tenor, s. m. la seconde, après la basse, des quatre parties de la Musique. C'est la partie qui convient le mieux à la voix ordinaire des hommes ; & qui fait qu'on l'appelle aussi voix humaine.

La taille se divise quelquefois en deux autres parties ; l'une plus élevée, qu'on appelle premiere ou haute-taille ; l'autre plus basse, qu'on appelle seconde ou basse-taille.

Cette derniere est, en quelque maniere, une partie mitoyenne ou commune entre la taille & la basse, & s'appelle aussi à cause de cela concordant. Voyez PARTIES. (S)

TAILLE DE HAUT-BOIS, (Lutherie) instrument de Musique à vent & à anche, & qui est en tout semblable au haut-bois ordinaire, au-dessous duquel il sonne la quinte. Son étendue est comprise depuis le fa de la clé de f ut fa des clavecins, jusqu'au sol, à l'octave au-dessus de celui de la clé de g re sol des mêmes clavecins. Voyez la table du rapport de l'étendue des instrumens, & l'article HAUT-BOIS.

TAILLE DE VIOLON, (Lutherie) instrument de Musique, est la même chose que la quinte de violon. Voyez QUINTE DE VIOLON.

TAILLE, (Gravure) incision qui se fait sur les métaux, ou sur d'autres matieres, particulierement sur le cuivre, l'acier & le bois. Ce mot se dit aussi de la gravure qui se fait avec le burin sur des planches de cuivre, & tailles de bois, de celles qui sont gravées sur le bois. Les Sculpteurs & Fondeurs appellent basses-tailles, les ouvrages qui ne sont pas de plein ronde-bosse ; on les nomme autrement bas-reliefs. Taille se dit aussi de la gravure des poinçons quarrés qui servent pour frapper les diverses especes de monnoies, d'où les ouvriers qui y travaillent sont appellés tailleurs. (D.J.)

TAILLES, c'est dans la gravure en bois la même chose que traits ou hachures dans celle de cuivre.

Les tailles courtes ou points longs, servent comme dans celles en cuivre, à ombrer les chairs, & doivent se retoucher à propos, mais elles ne sont guere d'usage dans la premiere, parce qu'on y fait rarement des figures assez grandes pour devoir y être finies avec cette propreté que donne le burin dans les estampes gravées en cuivre.

Les tailles perdues, ce sont des tailles ou traits rendus trop fin & plus bas que la superficie des autres, ce qui les empêche de marquer à l'impression, particulierement quand elles se trouvent dans une continuité de tailles égales, & toutes d'une même teinte ; c'est un défaut irrémédiable, parce qu'on ne peut remettre le bois qui aura été ôté mal-à-propos à de telles tailles.

TAILLES TROISIEMES, se dit dans la gravure en cuivre des tailles qui passent sur les contre-tailles ou secondes tailles ; on les appelle aussi triples-tailles, mais particulierement dans la gravure en bois.

TAILLE, (Joaillerie) ce terme se dit des diverses figures & facettes que les Lapidaires donnent aux diamans & autres pierres précieuses, en les sciant, les limant & les faisant passer sur la roue. (D.J.)

TAILLE, (Marchands Détailleurs) morceau de bois sur lequel ils marquent par des hoches ou petites incisions, la quantité de marchandise qu'ils vendent à crédit à leurs divers chalans : ce qui leur épargne le tems qu'il faudroit employer à porter sur un livre tant de petites parties. Chaque taille est composée de deux morceaux de bois blanc & léger, ou plutôt d'un seul fendu en deux dans toute sa longueur, à la réserve de deux ou trois doigts de l'un des bouts ; la plus longue partie qui reste au marchand, se nomme la souche ; l'autre qu'on donne à l'acheteur, s'appelle l'échantillon. Quand on veut tailler les marchandises livrées, on rejoint les deux parties, ensorte que les incisions se font également sur toutes les deux ; il faut aussi les rejoindre, quand on veut arrêter le compte ; l'on ajoute foi aux tailles représentées en justice, & elles tiennent lieu de parties arrêtées. Dict. de Savary. (D.J.)

TAILLE, (Monnoyage) c'est la quantité d'especes que le prince ordonne être faites d'un marc d'or, d'argent ou de cuivre : ce qui fait proprement le poids de chaque piece. On dit que des especes sont de tant à la taille, pour signifier qu'on en fait une certaine au marc. Ainsi l'on dit que les louis d'or sont à la taille de vingt-quatre pieces, & les louis d'argent ou écus à la taille de six pieces, lorsqu'on fait vingt-quatre louis d'or d'un marc d'or, & six écus du marc d'argent. La taille des especes a de tout tems été réglée sur le poids principal de chaque nation, comme de livre chez les Romains qui étoit de douze onces ; en France la taille se fait au poids de marc qui est de huit onces ; c'est aussi au marc que se fait la taille de la monnoie en Angleterre & dans d'autres états : ce qui s'entend selon que le marc est plus fort ou plus foible dans tous ces endroits. Boissard. (D.J.)

TAILLE, (Maréchal.) les chevaux sont de diverses tailles ; les plus petits ont trois piés, & les plus grands cinq piés quatre ou six pouces. Différens corps de cavalerie sont fixés pour leurs chevaux à des tailles différentes ; ainsi il y a des chevaux taille de dragons, de mousquetaires, de gendarmes, &c. Les chevaux de belle taille pour la selle ne doivent être ni trop grands ni trop petits.

TAILLE, (terme de Peigniers) on nomme taille dans la fabrique & commerce des peignes à peigner les cheveux, la différence qui se trouve dans leur longueur, & ce qui sert à en distinguer les numeros. Chaque taille est environ de six lignes, qui ne commencent à se compter que depuis les oreilles, c'est-à-dire entre les grosses dents que les peignes ont aux deux extrêmités. Savary. (D.J.)

TAILLE se dit de la hauteur & de la grosseur du corps humain. Cet homme est d'une haute taille ; il se dit plus particulierement de la partie du corps des femmes comprise depuis le dessous des bras jusqu'aux hanches ; si elle est toute d'une venue, grosse, courte, on dit que cette femme n'a point de taille, & qu'elle est mal faite ; si elle est légere, svelte, qu'elle aille depuis la poitrine jusqu'aux hanches en diminuant selon une belle proportion, & qu'au-dessus des hanches elle soit très-menue, on dit qu'une femme a la taille belle. Les vêtemens de nos femmes sont destinés à leur donner de la taille quand elles en manquent, & à la faire valoir, quand elles en ont ; pour cet effet on tient ce qu'on appelle leurs corps très-évasés par le haut, & très-étroits par le bas, d'où il arrive qu'on les étrangle, qu'on les coupe en deux comme des fourmis, & qu'on rend mal par art ce que la nature avoit bien fait. Grace aux précautions qu'on prend pour faire la taille, à l'usage des jarretieres & à celui des mules étroites & des petits souliers, il est presque impossible de trouver une femme qui n'ait le pié, la jambe, la cuisse & le milieu du corps gâté.

TAILLE, au pharaon, à la bassette, au lansquenet & autres jeux pareils, où l'on retourne les cartes deux-à-deux, dont l'une fait perdre & l'autre gagner le banquier ou celui qui taille, les pontes, ou ceux qui jouent contre le banquier. Ces deux cartes retournées s'appellent une taille.


TAILLÉ(Gram.) participe du verbe tailler. Voyez les articles TAILLE & TAILLER.

TAILLE en gouttiere, c'est ainsi que les botanistes expriment la figure des feuilles de quelques plantes qui sont creusées en forme de gouttiere de toît. Voyez FEUILLE.

TAILLE, on appelle, en terme de Blason, écu taillé celui qui est divisé en deux parties par une diagonale tirée de l'angle senestre du chef au dextre de la pointe. Lorsqu'il y a une tranche au milieu de la taille, on dit taillé tranché, & quand il y a une entaille sur la tranche, on dit tranché taillé. Ce mot vient du latin talea, qui signifie un rejetton, une petite branche d'arbre qu'on plante en terre. Clercy au pays de Vaud près des Suisses, taillé d'or & de gueules, à un sanglier issant de sable & mouvant de gueules sur l'or.


TAILLE-MAou TAILLE-MER, (Marine) c'est la partie inférieure de l'éperon. Voyez GORGERES.


TAILLE-MECHES. m. en terme de Cirier, c'est une planche d'environ trois pouces de large, & dont la longueur n'est point fixée. Elle est percée d'un bout à l'autre de plusieurs trous dans lesquels on plante deux chevilles dans une distance égale à la longueur qu'on veut donner aux meches ; on remplit ces chevilles dans toute leur hauteur, & on coupe ensuite les meches toutes ensemble. Voyez les fig. Planches du Cirier.


TAILLEBOURG(Géog. mod.) en latin du moyen âge Talleburgus & Talcaburgus, autrefois petite ville, maintenant bourg de France, dans la Saintonge, sur la Charente, élection de Saint-Jean d'Angely, à trois lieues de Saintes. Long. 37. 5. latit. 45. 41. (D.J.)


TAILLERv. act. (Gram.) c'est couper, séparer, diviser, donner la forme & la grandeur convenables avec un instrument tranchant convenable. On taille la pierre, les arbres, la vigne, un habit, un homme attaqué de la pierre, une armée en pieces, &c. Voyez les articles suivans.

TAILLER, (Charp.) c'est couper, retrancher. La taille du bois se fait en long avec des coins, de travers avec la scie, & en d'autres sens avec la coignée, la serpe & le ciseau. Dict. de Charpent. (D.J.)

TAILLER LA FRISQUETTE, (terme d'Imprimerie) c'est découper le morceau de parchemin qui couvre la frisquette, pour que la forme ne porte que sur les endroits qui doivent être imprimés dans les feuilles qu'on tire. Savary. (D.J.)

TAILLER EN ACIER, en terme de Fourbisseur, c'est l'art d'orner une garde d'acier de toutes sortes de figures qu'il plait à l'ouvrier d'y graver ; cet art tient beaucoup de la sculpture & de la gravure : de l'une, en ce qu'il consiste à découvrir dans une piece d'acier les figures qu'on y a imaginées ; de l'autre, en ce que dans ses opérations il se sert des burins, comme elles. Pour l'exercer avec succès, non-seulement il faut posséder le dessein, & avoir du goût, mais encore une attention & une adresse particuliere pour finir des morceaux d'histoire entiers dans un si petit espace.

TAILLER, L'ART DE, les pierres précieuses est très-ancien ; mais cet art comme bien d'autres, étoit fort imparfait dans ses commencemens. Les François y ont réussi le mieux, & les Lapidaires de Paris, qui depuis 1290 se sont formés en corps, ont porté cet art à son plus haut point de perfection, sur-tout pour la taille des brillans.

Ils se servent de différentes machines pour tailler les pierres précieuses, suivant la qualité de celles qui doivent passer par leurs mains. Le diamant le plus dur se taille & se forme sur une roue d'un acier fort doux, tournée par une espece de moulin avec de la poussiere de diamant, trempée dans l'huile d'olive ; ce qui sert à polir le diamant aussi-bien qu'à le tailler. Voyez DIAMANT, &c.

Les rubis, saphirs & topazes d'Orient, se forment & se taillent sur une roue de cuivre avec de l'huile d'olive & de la poussiere de diamant, & on les polit sur une autre roue de cuivre, avec du tripoli & de l'eau. Voyez RUBI.

Les émeraudes, hyacinthes, améthistes, les grenats, agates & autres pierres moins dures, se taillent sur une roue de plomb, avec de l'émeril & de l'eau, & on les polit sur une roue d'étain avec du tripoli. Voyez EMERAUDE, &c.

La turquoise de l'ancienne & de la nouvelle roche, le lapis lazuli, le girasol & l'opale se taillent & se polissent sur une roue de bois avec du tripoli. Voyez TURQUOISE, &c.

TAILLER, v. act. terme de Monnoie ; c'est faire d'un marc d'or, d'argent ou de cuivre, la juste quantité des especes qui sont ordonnées dans les réglemens sur le fait des monnoies. Il y a dans chaque monnoie, des ouvriers & ouvrieres ; ces dernieres s'appellent plus ordinairement tailleresses, qui taillent & coupent les flaons ou flans, c'est-à-dire les morceaux d'or, d'argent ou de cuivre, destinés à être frappés & qui les liment & les ajustent au juste poids des especes. (D.J.)

TAILLER CARREAU, terme d'ancien monnoyage ; c'étoit emporter des lames de métal, des morceaux quarrés, pour ensuite les arrondir & en former des flancs.

TAILLER UN HABIT, terme de Tailleur ; qui signifie couper dans l'étoffe les morceaux nécessaires pour en composer un habit, & leur donner la largeur & la longueur requise, pour pouvoir servir à l'usage de la personne qui le fait faire.

Pour tailler un habit, l'ouvrier étale sur la table ou établi l'étoffe destinée pour le faire, & comme toutes les pieces ou morceaux d'un habit, ainsi que de la doublure, doivent être doubles, afin d'être employés, l'une du côté droit, & l'autre du côté gauche ; il met ordinairement l'étoffe en double pour tailler les deux morceaux à la fois. Alors il applique sur cette étoffe un patron ou modele de la piece qu'il veut couper ; & avec de gros ciseaux faits exprès pour les gens de cette profession, il coupe l'étoffe tout-au-tour du patron, en observant cependant de donner aux pieces qu'il coupe l'ampleur nécessaire pour en former de tous les morceaux cousus & joints ensemble, un tout de la longueur & de la largeur qu'on lui a prescrite.

TAILLER LE PAIN, LE VIN, (Commerce) ou les autres denrées ou marchandises, qu'on vend ou qu'on prend à crédit ; c'est faire des entailles sur un double morceau de bois, dont l'un est pour le vendeur, & l'autre pour l'acheteur, afin de se souvenir des choses qu'on livre ou qu'on reçoit, ce qui sert comme d'une espece de journal ; on appelle ce morceau de bois taille. Voyez TAILLE. Dict. de Commerce.

TAILLER, v. n. (Jeux de cartes) c'est tenir les cartes & les paris mis sur ces cartes. Voyez l'article TAILLE.


TAILLERESSES. f. à la Monnoie, sont les femmes ou filles de monnoyeurs, qui nettoyent, ajustent les flancs au poids que l'ordonnance prescrit ; elles répondent de leurs ouvrages, & les flancs qu'elles ont trop diminués sont rebutés & cizaillés.

Les tailleresses ajustent les pieces avec une écouanne, après avoir placé le flanc au bilboquet. Voyez BILBOQUET.

On leur a donné le nom de tailleresse, dans le tems que l'on fabriquoit les especes au marteau, parce qu'elles tailloient alors les carreaux (les monnoies anciennes étoient quarrées) les ajustoient, &c.


TAILLEROLLES. f. (Soierie) instrument pour couper le poil des velours, coupés & frisés.

La taillerolle n'est autre chose qu'un fer plat de 3 pouces de long & un pouce & demi de large, il a une petite échancrure à un bout, laquelle forme une lancette qui entre dans la cannelure du fer & qui sert à couper le poil du velours.


TAILLETTES. f. (Ardoisiere) petite espece d'ardoise qui se coupe dans les carrieres d'Anjou.


TAILLEURS. m. (Gram.) celui qui taille. Voyez TAILLE & TAILLER.

TAILLEUR-GRAVEUR SUR METAL, (Corps de jurande) on le dit des maîtres d'une des communautés des Arts & Métiers de la ville de Paris, à qui il appartient exclusivement à tous autres de graver sur l'or, l'argent, le cuivre, le leton, le fer, l'acier & l'étain, des sceaux, cachets, poinçons, armoiries, chiffres, &c. soit en creux, soit en relief. (D.J.)

TAILLEUR D'HABITS, est celui qui taille, coud, fait & vend des habits.

Les maîtres-marchands tailleurs, & les marchands pourpointiers formoient autrefois deux communautés séparées, qui furent réunies, en 1655, sous le nom de maîtres-marchands tailleurs pourpointiers ; & il fut dressé de nouveaux statuts, qui ayant été approuvés par les lieutenant civil & procureur du roi au Châtelet, le 22 Mai 1660, furent confirmés par lettres-patentes, & enregistrés au parlement les mêmes mois & an.

Ces statuts ordonnent qu'il sera élu tous les ans deux jurés, maîtres & gardes de ladite communauté pour la régir, avec deux anciens qui restent en charge.

Ils défendent à tous marchands fripiers, drapiers, &c. qui ne seront point reçus tailleurs, de faire ni vendre aucuns habits d'étoffe neuve, ni de façon neuve.

Ils fixent le tems d'apprentissage à trois ans, défendent de recevoir un apprenti à la maîtrise, s'il n'a travaillé outre cela trois autres années chez les maîtres, & ordonnent que l'aspirant fera chef-d'oeuvre.

Ces statuts contiennent en tout trente articles, dont la plûpart concernent la discipline & la police de cette communauté.

TAILLEUR DE LIMES, (Taillandiers) ce sont les mêmes que parmi les maîtres taillandiers de la communauté de Paris ; on les nomme taillandiers-vrilliers. Ils ont le nom de tailleurs de limes, parce qu'entr'autres ouvrages ils taillent & coupent les limes d'acier de diverses hachures, avant que de les tremper. On les appelle vrilliers, parce que les vrilles, petits outils de menuisiers, sont du nombre de ceux qu'ils fabriquent. (D.J.)

TAILLEUR DE PIERRE, (Coupe des pierres) c'est l'ouvrier qui travaille à tailler la pierre ; il se sert pour cette fin de plusieurs outils, qui sont 1°. un testu ou masse de fer marquée A dans la Pl. III. fig. 28. ses deux extrêmités ont chacune un redent pour que l'outil ait plus de prise sur la pierre, sur les bords de laquelle on frappe pour en faire sauter des éclats : le plan du même outil est en a.

B, Laye ou marteau brételé, qui a du côté étroit un tranchant uni, & de l'autre un tranchant denté, qui fait des sillons ; son plan est en b.

C, Ciseau à ciseler, il y en a de plusieurs grandeurs.

D, Maillet pour pousser le ciseau.

E, Marteau à deux pointes pour la pierre dure ; lorsqu'il est un peu plus long, on l'appelle pioche ; son plan est en e.

F, Rifflard brételé pour la pierre tendre.

G, Crochet.

H, Ripe.

I, Compas à fausse équerre. Voyez COMPAS D'APPAREILLEUR.

TAILLEUR GENERAL DES MONNOIES, (Monn.) c'est celui à qui il appartient seul de graver & tailler les poinçons & matrices sur lesquelles les tailleurs particuliers frappent & gravent les quarrés qui doivent servir à la fabrique des especes dans les hôtels des monnoies, où, suivant leur office, ils sont attachés. Boizard. (D.J.)

TAILLEUR DE SEL, (Saline) on nomme ainsi à Bourdeaux, & dans toute la direction, des commis préposés à la mesure & visite des sels qui y arrivent. Savary. (D.J.)

TAILLEUR, (Jeux de hazard) c'est au pharaon, lansquenet, &c. celui qui tient les cartes & les paris que les pontes proposent sur chacune, & qui les retourne deux-à-deux, ce qui s'appelle une taille.


TAILLEVASS. m. (Lang. gaul.) c'étoit une espece de bouclier différent de la targe, en ce qu'il étoit courbé des deux côtés, comme un toît ; depuis il a été appellé pavois, selon Fauchet. (D.J.)


TAILLEVENTS. m. (Ornitholog.) oiseau maritime, qu'on trouve en revenant de l'Amérique en Europe ; je dis en revenant, parce qu'on prend route beaucoup plus au nord en revenant, qu'en allant. Cet oiseau est gros comme un pigeon ; il a le vol de l'hirondelle & rase la mer de fort près, sans-doute que c'est pour y chercher pâture, soit de quelques petits poissons ou de quelques insectes qui volent sur l'eau. Les taillevents sont toujours dans un mouvement rapide, & sans interruption ; ils ne perchent ni jour, ni nuit sur les vaisseaux ; comme on en voit à des centaines de lieues de terre, il y a grande apparence, qu'ils font leur séjour sur la mer même, & qu'ils se reposent sur la lame quand ils sont las : ce qui fortifie cette opinion, c'est qu'ils ont les jambes courtes, & les piés comme ceux d'une oie. (D.J.)


TAILLISS. m. (Eaux & Forêts) bois que l'on met en coupe réglée, ordinairement de neuf en neuf ans ; on le dit par opposition à bois de futaye. Richelet. (D.J.)


TAILLOIRS. m. (Archit.) c'est la partie supérieure d'un chapiteau ; elle est ainsi nommée, parce qu'elle ressemble aux assiettes de bois qui anciennement avoient cette forme. On l'appelle aussi abaque, particulierement quand elle est échancrée sur ses faces.


TAILLONS. m. (Gram. & Jurisprud.) étoit une nouvelle taille ou augmentation de taille qui fut établie par Henri II. en 1549, pour l'entretenement, vivres & munitions de la gendarmerie. Ce taillon montoit au tiers de la taille principale ; mais il a depuis été aboli & confondu avec le pié de taille. Voyez TAILLE. (A)


TAILLURES. f. terme de Brodeur ; ce mot se dit quand on se sert de diverses pieces couchées de satin, de velours, de drap d'or & d'argent, qui s'appliquent comme des pieces de rapport sur l'ouvrage, & qui s'élevent quelquefois en relief. On l'appelle plus communément broderie de rapport.


TAINS. m. (Miroiterie) feuille ou lame d'étain fort mince, qu'on applique derriere la glace d'un miroir, pour y fixer la représentation des objets. (D.J.)


TAINE(Géog. mod.) bourg à marché de l'Ecosse septentrionale, dans la presqu'île de Cromarty, proche le golfe de Dornock, à quarante-cinq lieues au nord-ouest d'Edimbourg. Long. 14. 5. latit. 57. 48. (D.J.)


TAINFU(Géog. mod.) état d'Asie vers la Chine ; il forme une espece de petit royaume à dix journées de Gonse. Samson croit que c'est le pays que Ptolémée nomme Aspachara. (D.J.)


TAINS(Marine) voyez TINS.


TAIPARAS. m. (Hist. nat. Zoolog.) nom d'une espece de perroquet du Brésil. Il est de la grosseur d'une alouette ; son plumage est d'un jaune citron ; sa queue est courte, & ne s'étend pas au-delà du bout des aîles ; ses jambes sont grises ; son bec est rouge, avec une petite tache en demi-cercle de la même couleur près de la tête ; il fait son nid sur les arbres des lieux déserts, où se trouvent les fourmis. (D.J.)


TAIREv. act. & neut. (Gram.) c'est garder le silence, renfermer au-dedans de soi, ne communiquer à personne. On dit taire un secret ; se taire sur une affaire ; faire taire un impertinent. Il est des occasions où il est bien difficile de se taire, quoiqu'il soit très-dangereux de parler. Si on ne parloit que quand on est assez instruit pour dire la vérité, on se tairoit souvent : on se tairoit bien souvent encore, si on se respectoit assez pour ne dire que des choses qui valussent la peine d'être écoutées d'un homme de sens. C'est mentir quelquefois que de se taire. On a fait taire le canon de l'ennemi. Les vents se sont tus. Les loix se taisent au milieu des armes, cela n'est que trop vrai. La terre se tut en sa présence.


TAISSON(Zoolog.) en latin taxus, melis, en anglois the badger, animal à quatre piés qui tient du chien, du cochon & du renard ; nous le connoissons communément en françois sous le nom de blaireau, voyez-en l'article. (D.J.)


TAIYVEN(Géog. mod.) ville de la Chine, premiere métropole de la province de Xanci, sur le bord du fleuve Fuen. Elle est grande, peuplée & décorée de superbes édifices. Son territoire est d'une vaste étendue, & renferme plusieurs villes & plusieurs temples dédiés à des héros. Elle est, selon le P. Martini, de 4 degrés 35 minutes plus occidentale que Péking, sous 38°. 33'. de latitude. (D.J.)


TAJACUS. m. (Hist. nat. Zoolog.) animal quadrupede, auquel on a donné le nom de sanglier du Mexique : en effet, il a beaucoup de ressemblance au sanglier & au cochon par la figure du corps, de la tête, & même du groin. Il a le pié fourchu ; il est couvert de piquans, qui ont plus de rapport aux piquans du hérisson, qu'aux soies du sanglier & du cochon, & qui sont en partie blanches ou fauves, & en partie noires ou brunes. Il y a au-dessus de la croupe un orifice qui communique au centre d'une grosse glande ; il en sort une liqueur qui a une odeur très-desagréable & très-forte : on l'a comparée à celle du musc ; c'est pourquoi on a donné au tajacu le nom de porcus moschiferus.


TAJAMENTOLE, (Géog. mod.) en latin Tilaventum majus ; riviere d'Italie dans le Frioul. Elle prend sa source dans la partie orientale du pays qu'on appelle Cargua, arrose plusieurs bourgs, reçoit dans son sein quelques rivieres, & va se jetter dans le golfe de Venise, où elle forme à son embouchure un petit port qui prend son nom.


TAJAOBAS. m. (Hist. nat. Botan.) plante du Brésil qui a beaucoup de ressemblance avec les choux, mais à qui l'on attribue une vertu purgative.


TAJUNALA, (Géog. mod.) riviere d'Espagne, dans la nouvelle Castille, elle prend sa source à quelques lieues au midi de Siquença, & se perd dans le Xarama, un peu avant que ce fleuve se jette dans le Tage.


TAKIASterme de relation ; nom que les turcs donnent aux monasteres des dervis, & dans lesquels ces moines logent avec leurs femmes. Il leur est néanmoins défendu d'y danser, & d'y jouer de la flûte. Les takias sont plus ou moins grands. Il y en a en Turquie de très-beaux, & d'autres très-médiocres. (D.J.)


TALABou TALANO, (Géog. mod.) golfe de l'île de Corse, sur la côte occidentale de cette île, entre Capo-Negro & Calo di Agnelo. Il n'est séparé du golfe d'Ajazzo que par une presqu'île. C'est le Titanus Portus de Ptolémée. Deux rivieres assez considérables ont leur embouchure dans ce golfe ; savoir, Fiuminale d'Ornano & Fiume Bozzo. (D.J.)


TALABONGS. m. (Hist. nat. Ornithol.) nom donné par les habitans des îles Philippines à une espece de héron commun dans le pays, plus petit que notre héron, & entierement blanc sur tout le corps. (D.J.)


TALABRIGA(Géog. anc.) ville de la Lusitanie, selon Ptolémée, l. II. c. v. & Appien le premier, la place dans les terres, entre Concordia & Rusticana. Aretius juge que c'est aujourd'hui Talavera della Reyna. L'itinéraire d'Antonin marque Talabrica sur la route de Lisbonne à Bracara Augusta, entre Aemium & Lagobriga, à 40 milles de la premiere de ces places, & à 18 milles de la seconde.


TALAEDITESS. m. (Antiq. grecq.) , exercices gymniques des Grecs en l'honneur de Jupiter , Téleien. Potter, arthaeol. graec. l. II. c. xx. tit. j. p. 432.


TALAIRESS. m. pl. (Littérat.) talaria, nom qu'on donne aux aîles que Mercure porte aux talons, & qu'on appelle aussi talonnieres. Comme il est le messager des dieux, les poëtes ont feint qu'ils lui avoient donné des talaires, afin de faire leurs messages plus vîte. Au revers d'une médaille d'Antinoüs, on voit un Pégase avec Mercure, ayant ses talaires & son caducée. (D.J.)


TALANDAou TALENDA, ou THALANDA, (Géog. anc.) ville de Grece, dans la Baeotie. Elle est située sur la croupe d'une montagne ; il paroît par les ruines qui sont au-dehors, dans l'étendue d'une demi-lieue, qu'elle étoit autrefois fort grande. On le connoît aussi par quelques vieilles églises, & par quelques tours qui sont encore debout au-dessus sur la montagne.

Wheler qui parle de cette ville dans son voyage d'Athènes, dit qu'elle est trop grande pour être le village Halae, que Pausanias place au bord de la riviere Platania, sur la côte de la mer, qu'elle paroît la métropole du pays, & que s'il entend bien Strabon, ce ne peut être qu'Opus, ville des anciens, qui donnoit le nom à la campagne & à la mer, & d'où les habitans du pays étoient appellés Locri-Opuncii. La distance où Strabon la met de la mer, qui est d'une lieue ou de 15 stades y est conforme. D'ailleurs, la petite île dont il parle auparavant appellée alors Atalanta, & qui n'a point aujourd'hui de nom, donne lieu de croire que la ville qui subsiste présentement l'a pris & l'a conservé jusqu'à ce jour, le tems ayant seulement fait retrancher la premiere lettre.

Quant au village d'Halae, il peut avoir été à l'embouchure de la riviere qui s'étend davantage à l'est, & avoir fait les limites de la Baeotie & des Loires. Enfin, toute cette plaine fertile entre Talanda & le mont Cnémis, étoit, selon toutes les apparences, le , la plaine heureuse des anciens. (D.J.)


TALAPOINou TALEPOIS, (Hist. mod.) c'est le nom que les Siamois & les habitans des royaumes de Laos & de Pégu donnent à leurs prêtres : cependant, dans les deux derniers royaumes, on les désigne sous le nom de Fé. Ces prêtres sont des especes de moines qui vivent en communauté dans des couvens, où chacun, comme nos chartreux, a une petite habitation séparée des autres.

Le P. Marini, jésuite missionnaire, nous dépeint ces moines avec les couleurs les plus odieuses & les plus noires ; sous un extérieur de gravité qui en impose au peuple, ils se livrent aux débauches les plus honteuses ; leur orgueil & leur dureté sont poussées jusqu'à l'excès. Les talapoins ont une espece de noviciat, ils ne sont admis dans l'ordre qu'à l'âge de vingt-trois ans ; alors ils choisissent un homme riche ou distingué qui leur sert, pour ainsi dire, de parrein lorsqu'ils sont reçus à la profession ; elle se fait avec toute la pompe imaginable. Malgré cette profession, il leur est permis de quitter leurs couvens & de se marier, ils peuvent ensuite y rentrer de nouveau si la fantaisie leur prend. Ils portent une tunique de toile jaune qui ne va qu'aux genoux, & elle est liée par une ceinture rouge ; ils ont les bras & les jambes nuds, & portent dans leurs mains une espece d'éventail pour marque de leur dignité ; ils se rasent la tête & même les sourcils, le premier jour de chaque nouvelle lune. Ils sont soumis à des chefs qu'ils choisissent entr'eux. Dès le grand matin ils sortent de leurs couvens en marchant d'abord deux à deux ; après quoi ils se répandent de divers côtés pour demander des aumônes, qu'ils exigent avec la derniere insolence. Quelques crimes qu'ils commettent, le roi de Laos n'ose les punir ; leur influence sur le peuple les met audessus des loix, le souverain même se fait honneur d'être leur chef. Les talapoins sont obligés de se confesser de leurs fautes dans leur couvent, cérémonie qui se fait tous les quinze jours. Ils consacrent de l'eau qu'ils envoyent aux malades, à qui ils la font payer très-chérement. Le culte qu'ils rendent aux idoles consiste à leur offrir des fleurs, des parfums, du riz qu'ils mettent sur les autels. Ils portent à leurs bras des chapelets composés de cent grains enfilés. Ces indignes prêtres sont servis par des esclaves qu'ils traitent avec la derniere dureté : les premiers de l'état ne font point difficulté de leur rendre les services les plus bas. Le respect qu'on a pour eux vient de ce qu'on les croit sorciers, au moyen de quelques secrets qu'ils ont pour en imposer au peuple, qui se dépouille volontairement de tout ce qu'il a pour satisfaire l'avarice, la gourmandise & la vanité d'une troupe de fainéans inutiles & nuisibles à l'état. La seule occupation des talapoins consiste à prêcher pendant les solemnités dans les temples de Shaka ou Sommona-Kodom qui est leur législateur & leur dieu. Voyez cet article. Dans leurs sermons ils exhortent leurs auditeurs à dévouer leurs enfans à l'état monastique, & ils les entretiennent des vertus des prétendus saints de leur ordre. Quant à leur loi, elle se borne, 1°. à ne rien tuer de ce qui a vie ; 2°. à ne jamais mentir ; 3°. à ne point commettre l'adultere ; 4°. à ne point voler ; 5°. à ne point boire du vin. Ces commandemens ne sont point obligatoires pour les talapoins, qui moyennant des présens en dispensent les autres, ainsi qu'eux-mêmes. Le précepte que l'on inculque avec le plus de soin, est de faire la charité & des présens aux moines. Tels sont les talapoins du royaume de Laos. Il y en a d'autres qui sont beaucoup plus estimés que les premiers ; ils vivent dans les bois ; le peuple, & les femmes sur-tout, vont leur rendre leurs hommages ; les visites de ces dernieres leur sont fort agréables : elles contribuent, dit-on, beaucoup à la population du pays.

A Siam les talapoins ont des supérieurs nommés sancrats. Il y en a, comme à Laos, de deux especes ; les uns habitent les villes, & les autres les forêts.

Il y a aussi les religieuses talapoines, qui sont vêtues de blanc, & qui, suivant la regle, devroient observer la continence, ainsi que les talapoins mâles. Les Siamois croient que la vertu véritable ne réside que dans les talapoins : ces derniers ne peuvent jamais pécher, mais ils sont faits pour absoudre les péchés des autres. Ces prêtres ont de très-grands privileges à Siam ; cependant les rois ne leur sont point si dévoués qu'à Laos ; on ne peut pourtant pas les mettre à mort, à-moins qu'ils n'aient quitté l'habit de l'ordre. Ils sont chargés à Siam de l'éducation de la jeunesse, & d'expliquer au peuple la doctrine contenue dans leurs livres écrits en langue balli ou palli, qui est la langue des prêtres. Voyez Laloubere, description de Siam.


TALARIUSLUDUS, (Littérat.) Je suis obligé de ne point mettre de mots françois, ne sachant comment on doit appeller dans notre langue le talarius ludus des Romains. Il est vrai seulement que c'étoit une sorte de dez d'or ou d'ivoire, qu'on remuoit comme les nôtres, dans une espece de cornet (pyrrus) avant que de les jetter ; mais il y avoit cette différence qu'au lieu que nos dez ont six faces, parce qu'ils sont cubiques, les tali des Romains n'en avoient que quatre, parce qu'il y en avoit deux opposées des six qu'ils auroient dû avoir, qui étoient arrondies en cone.

On s'en servoit, pour deviner aussi bien que pour jouer, & l'on en tiroit bon ou mauvais augure, selon ce qu'on amenoit. Comme on en jettoit d'ordinaire quatre à la fois, la plus heureuse chance étoit quand on amenoit les quatre points différens. Parce qu'on appelloit ces deux faces du nom de quelques animaux, comme le chien, le vautour, le basilic, ou de quelques dieux, comme Vénus, Hercule.

Il y a des auteurs qui ont cru qu'elles étoient marquées des figures de ces animaux, & non pas de nombres ni de points, comme nos dez. Mais si cela est, il faut que ces images fussent affectées à signifier chacune un certain nombre particulier ; car il est constant que de deux faces opposées l'une valoit un, & l'autre six ; & de deux autres opposées, l'une valoit trois, & l'autre quatre.

Ce jeu étoit bien ancien, puisque les amans de Pénelope y jouoient déja dans le temple de Minerve, car c'étoit la coutume de jouer dans les temples. C'étoit un jeu de vieillard chez les Romains, comme Auguste même le dit, & chez les Grecs un jeu d'enfant ; comme il paroît 1°. par la description d'un excellent tableau de Polyclete cité dans Pline ; 2°. par Apollodore qui y fait jouer Cupidon avec Ganymede ; 3°. par Diogene de Laërce, qui dit que les Ephésiens se moquoient d'Héraclite, parce qu'il y jouoit avec les enfans. (D.J.)


TALASIUSS. m. (Mythol.) tout le monde sait l'histoire de ce romain célebre par sa valeur, par ses vertus, & par la jeune sabine d'une beauté admirable, que ses amis enleverent pour lui. Il la rendit heureuse, & fut pere d'une belle & nombreuse famille, ensorte qu'après sa mort on souhaitoit aux gens mariés le bonheur de Talasius ; bien-tôt on en fit un dieu du mariage, que les Romains chanterent comme les Grecs hyménée. (D.J.)


TALASSAS. f. (Hist. nat. Botan.) plante des Indes orientales, qui ne produit ni plante, ni fleurs, ni fruits. Ses feuilles servent à assaisonner les alimens ; mangées vertes, elles excitent à la volupté.


TALAURIUM(Géogr. anc.) campagne dans l'endroit où le Danube se courbe, pour couler du côté de la mer Cronium, selon Ortelius qui cite Apollonius. Par la mer Cronium, Apollonius entend la mer Adriatique ; ainsi la campagne en question, devoit être au voisinage de Strigonie, ou de Bude. (D.J.)


TALAVERA(Géog. mod.) ville d'Espagne, dans la nouvelle Castille, sur le bord septentrional du Tage, à 20 lieues au sud-ouest de Madrid. Cette ville fut prise sur les maures l'an 949 par Ramire II. Il s'y est tenu un synode l'an 1498 ; les archevêques de Tolede en jouissent, & y ont un vicaire général ; cependant cette ville est gouvernée par un juge de police, & douze recteurs perpétuels. Elle est grande, fortifiée, contient 7 paroisses & plusieurs couvens. Long. 13. 27. lat. 39. 45.

Mariana (Jean), célebre jésuite, & l'un des plus habiles hommes de son siecle, naquit à Talavera en 1537, & mourut à Tolede en 1624, à 87 ans. Son traité du changement des monnoies, lui fit des affaires à la cour d'Espagne, car il y découvrit si bien la déprédation des finances, en montrant les voleries qui se commettoient dans la fabrique des especes, que le duc de Lermes qui se reconnut là visiblement, ne put retenir sa colere. Il ne lui fut pas mal aisé de chagriner l'auteur, parce que Philippe III. étoit censuré dans cet ouvrage comme un prince oisif qui se reposoit du soin de son royaume sur la conduite de ses ministres. Mariana sortit de prison au bout d'un an ; mais il ne s'étoit pas trompé en annonçant que les abus qu'il représentoit, plongeroient l'Espagne dans de grands désordres.

On auroit eu bien plus de raison de l'inquiéter au sujet d'un autre livre, que l'Espagne & l'Italie laisserent passer sans blâme, & qui fut brûlé à Paris par arrêt du parlement, à cause de la pernicieuse doctrine qu'il contenoit. Ce livre a pour titre, de rege & regis institutione, & parut à Tolede l'an 1598 avec privilege du roi, & avec les approbations ordinaires. C'est un ouvrage capable d'exposer les trônes à de fréquentes révolutions, & la vie des princes au couteau des assassins, parce que l'auteur affecte de relever le courage intrépide de Jacques Clément, sans ajouter un mot qui tende à le rendre odieux au lecteur. Ce livre valut aux jésuites de France mille sanglans reproches, & des insultes très-mortifiantes.

Un autre traité de Mariana a fait bien du bruit, c'est celui où il remarque les défauts du gouvernement de sa compagnie ; mais ses confreres ne demeurent pas d'accord qu'il soit l'auteur de cet ouvrage, intitulé del governo de la compañia de Jesus. Il se trouve tout entier en espagnol & en françois, dans le second tome du mercure jésuitique, imprimé à Genève en 1630. Il a aussi paru à Bordeaux en espagnol, en françois, en italien & en latin ; l'édition est de 1625, in-8°.

Les scholies du P. Mariana sur l'Ecriture, ont mérité l'approbation de M. Simon, & l'on ne peut disconvenir qu'il n'y regne beaucoup de jugement & de savoir. Il choisit d'ordinaire le meilleur sens, & il n'est point ennuyeux dans les différentes interprétations qu'il rapporte.

Son histoire d'Espagne en XXX livres, est son ouvrage le plus important, & le plus généralement estimé dans la république des lettres. Il nous seroit facile d'en indiquer les différentes éditions, les traductions, les continuations, les critiques & les apologies. Mais pour en abréger le détail nous nous contenterons de remarquer,

1°. Que l'édition latine la plus ample, est celle de la Haye, en 1733, in-fol. 4. vol. cependant on auroit pu rendre cette édition encore plus belle & plus complete , en y ajoutant le summarium de Mariana, qui l'auroit conduite jusqu'en 1621, les tables chronologiques des souverains des divers états de l'Espagne, l'explication des mots difficiles qui se trouvoient dans les anciennes éditions, & sur-tout les additions & corrections de l'édition espagnole de 1608, soit dans le texte entre des crochets, soit à la marge par des renvois.

2°. Que les traductions espagnoles sont de l'auteur même, qui nous apprend qu'entre les raisons qui le déterminerent à ce nouveau travail, la principale fut l'ignorance où les Espagnols étoient alors de la langue latine. Mariana mit au jour son ouvrage dans cette langue, à Tolede, en 1601, in-fol. 2. vol. & l'enrichit de quantité de corrections & d'augmentations, qui rendent la traduction préférable à l'original latin. Cette traduction fut réimprimée à Madrid en 1608, 1617, 1623, 1635, 1650, 1670, 1678. Cette derniere est la meilleure de toutes, ou quelqu'autre postérieure, bien entendu qu'elle ait été faite exactement sur celle de 1608, à laquelle l'auteur donnoit la préférence, en quoi il a été suivi par les savans de son pays ; mais cette édition de 1608, ne va que jusqu'en 1516 ; au-lieu que celle de 1678, continuée par dom Felix de Luzio Espinoza, va jusqu'en 1678.

3°. Qu'il y en a deux traductions françoises, l'une par Jean Rou, non encore imprimée ; & l'autre par le pere Joseph-Nicolas Charenton, jésuite. Cette derniere, tout-à-fait semblable au manuscrit de la premiere, a été très-bien reçue du public, & a paru à Paris en 1725, in-4°. en cinq gros vol.

4°. Que la traduction angloise faite sur l'espagnole, par le capitaine Stevens, & publiée à Londres, en 1699, in-fol. 2 vol. est beaucoup plus complete que la traduction françoise, parce qu'elle renferme les deux continuations de Ferdinand Camargo, & de F. Basil de Soto, jusqu'en 1669.

5°. Enfin, nous remarquerons que pour faire à l'avenir une bonne édition de l'histoire de Mariana, dans toutes les langues dont nous venons de parler, il conviendroit de suivre le plan de la traduction angloise, y joindre Miniana, & Luzio Espinoza, avec les critiques de Pedro Mantuano, & de Cohon-Truel, ou Ribeyro de Macedo, &c. suivie de l'apologie de Tramaio de Vargas ; & mettre à la tête du tout, la vie de Mariana, composée par ce dernier auteur. (D.J.)


TALBES. m. terme de relation, nom qu'on donne à un docteur mahométan, dans les royaumes de Fez & de Maroc. (D.J.)


TALC(Hist. nat.) talcum ; c'est le nom qu'on donne à une pierre, composée de feuilles très-minces, qui sont luisantes, douces au toucher, tendres, flexibles, & faciles à pulvériser ; l'action du feu le plus violent, n'est point capable de produire aucune altération sur cette pierre ; les acides les plus concentrés n'agissent point sur elle. Le talc varie pour les couleurs, pour la transparence, pour l'arrangement, & pour la grandeur des feuilles qui le composent.

M. Wallerius compte quatre especes de talcs ; 1°. Le talc blanc dont les feuillets sont demi transparens ; on lui a donné les noms d'argyro damas, de talcum lunae, stella terrae. 2°. Le talc jaune, composé de lames opaques ; on le nomme quelquefois talcum aureum. 3°. Le talc verdâtre, tel que celui que les François appellent très-improprement, craie de Briançon. Voyez cet article. 4°. Le talc en cubes, qui est octogone, & qui a la figure de l'alun. Voyez la minéralogie de Wallerius, tom. I. Ce savant auteur auroit pu y joindre un talc noir, qui, suivant Borrichius, se trouve en Norwege, & qui devient jaune lorsqu'il a été calciné. Il y a aussi du talc gris.

Il paroît que c'est à tort que M. Wallerius a distingué le mica du talc, & qu'il en a fait un genre particulier ; en effet le mica n'est autre chose qu'un talc jaune ou blanc, en particules plus ou moins déliées, qui quelquefois se trouve à la vérité répandu dans des pierres d'une autre nature, mais qui ne perd pas pour cela ses propriétés essentielles, qui sont les mêmes que celles du talc.

Il faut en dire autant du verre de Russie, qui est un talc en grands feuillets transparens, ainsi nommé parce qu'il tient lieu de vitres en plusieurs endroits de la Russie & de la Sibérie. Voyez l'article VERRE DE RUSSIE.

Le talc est une des pierres sur laquelle les naturalistes ont raisonné avec le plus de confusion, & à laquelle ils ont le plus donné de noms différens. On croit que le mot talc vient du mot allemand talch, qui signifie du suif, parce que cette pierre paroît grasse au toucher comme du suif ; cependant comme il a été employé par Avicenne, on pourroit le croire dérivé de l'arabe. Cette pierre a été appellée par quelques auteurs, stella terrae, à cause de son éclat : d'autres ont cru que c'est le talc que Dioscoride a voulu désigner sous le nom de aphroselme & de sélénites ; ce que nous entendons par sélénite est une substance toute différente : Avicenne l'appelle pierre de lune ; les Allemands le nomment glimmer, lorsqu'il est en petites particules : on le nomme aussi or de chat, ou argent de chat, selon qu'il est jaune ou blanc. Quelques auteurs l'ont confondu avec la pierre spéculaire qui est une pierre gypseuse que l'action du feu change en plâtre. Voyez cet article. Enfin on le trouve désigné sous le nom de glacies mariae, c'est un tale transparent comme du verre.

Ces différentes dénominations, & ces erreurs, viennent de ce que les anciens naturalistes n'avoient point recours aux expériences chimiques, pour s'assurer de la nature des pierres, & ils ne s'arrêtoient qu'à l'extérieur, & à des ressemblances souvent trompeuses. Le célebre M. Pott a suppléé à ce défaut, par un examen suivi qu'il a fait du talc ; le résultat de ses expériences est qu'il n'y a aucun acide qui agisse sur le talc, cependant l'eau régale concentrée, versée sur le talc noir calciné, ou sur le talc jaune, devient d'une belle couleur jaune, ce qui vient de ce qu'elle se charge d'une portion ferrugineuse, qui étoit jointe à ces talcs, & qui les coloroit ; c'est-là ce qui a donné lieu aux alchimistes de travailler sur le talc, pour y chercher cet or qu'ils croyent voir par-tout. Après que cette extraction est faite, on retrouve le talc entierement privé de couleur.

Le talc ayant été exposé pendant quarante jours au feu d'un fourneau de verrerie, n'y a éprouvé aucune altération ; le grand feu ne diminue ni son éclat, ni son poids, ni son onctuosité ; il ne fait que le rendre un peu plus friable, & plus aisé à partager en feuillets ; mais on prétend que le miroir ardent fait entrer le talc en fusion, & le change en une matiere vitrifiée ; il reste encore à savoir si c'est véritablement du talc qui a été employé dans cette expérience, rapportée par Hoffman & Neumann. Ainsi Morhof & Boyle se sont trompés doublement, lorsqu'ils ont dit que le talc se changeoit en une heure de tems, & à un feu doux en chaux ; ils auront pris de la pierre spéculaire, ou du gypse feuilleté, pour du talc, & du plâtre pour de la chaux. M. Pott a combiné le talc avec un grand nombre de sels & d'autres substances, ce qui lui a donné différens produits. Voyez la traduction françoise de la lithogeognosie, tom. I. Le même auteur a observé que le talc uni avec des terres argilleuses, forme une masse d'une très-grande dureté, & l'on peut se servir de ce mêlange pour faire des vaisseaux très-propres à soutenir l'action du feu, & des creusets capables de contenir le verre de plomb, qui est si sujet à traverser les creusets ordinaires. Les Chinois se servent d'un talc très-fin, jaune ou blanc, pour faire ces papiers peints en figures ou en fleurs, dont le fond paroît être d'or ou d'argent.

On mêle aussi du talc fin dans les poudres brillantes dont on se sert pour répandre sur l'écriture.

Le talc se trouve en beaucoup d'endroits de l'Europe ; mais on n'en connoît point de plus beau que celui de Russie & de Sibérie, que l'on nomme verre de Russie. Voyez cet article.

Comme l'action du feu ne peut rien sur cette pierre, il est très-difficile de connoître la nature de la terre qui lui sert de base ; toutes les conjectures qui ont été faites là-dessus, sont donc très-douteuses & hasardées. Les grenats & les mines d'étain sont ordinairement accompagnés de pierres talqueuses, qui leur servent de matrices ou de minieres. (-)

TALC, huile de, (Chimie cosmétique) c'est une liqueur fort vantée par quelques anciens chimistes, qui lui attribuoient des qualités merveilleuses & incroyables, pour blanchir le teint, & pour conserver aux femmes la fraîcheur de la jeunesse, jusque dans l'âge le plus avancé. Malheureusement ce secret, s'il a jamais existé, est perdu pour nous : on prétend que son nom lui vient de ce que la pierre que nous appellons talc, étoit le principal ingrédient de sa composition.

M. de Justi, chimiste allemand, a cherché à faire revivre un secret si intéressant pour le beau sexe : pour cet effet il prit une partie de talc de Venise, & deux parties de borax calciné ; après avoir parfaitement pulvérisé & mêlé ces deux matieres, il les mit dans un creuset, qu'il plaça dans un fourneau à vent, après l'avoir fermé d'un couvercle ; il donna pendant une heure un feu très-violent ; au bout de ce tems il trouva que le mêlange s'étoit changé en un verre d'un jaune verdâtre ; il réduisit ce verre en poudre, puis il le mêla avec deux parties de sel de tartre, & fit refondre le tout de nouveau dans un creuset ; par cette seconde fusion il obtint une masse, qu'il mit à la cave sur un plateau de verre incliné, au-dessous duquel étoit une soucoupe ; en peu de tems la masse se convertit en une liqueur dans laquelle le talc se trouvoit totalement dissout.

On voit que par ce procédé, l'on obtient une liqueur de la nature de celle qui est connue sous le nom d'huile de tartre par défaillance, qui n'est autre chose que de l'alkali fixe, que l'humidité a mis en liqueur. Il est très-douteux que le talc entre pour quelque chose dans ses propriétés, ou les augmente ; mais il est certain que l'alkali fixe a la propriété de blanchir la peau, de la nétoyer parfaitement, & d'emporter les taches qu'elles peut avoir contractées ; d'ailleurs il paroît que cette liqueur peut être appliquée sur la peau sans aucun danger. Voyez les oeuvres chimiques de M. de Justi. (-)

TALC de verre de Venise, (Verrerie) nom qu'on donne au verre de Venise dont on a soufflé un globe très-mince, & qu'on a ensuite réduit en poudre. Les Emailleurs vendent cette poudre brillante toute préparée. (D.J.)


TALCAN(Géog. mod.) ville d'Asie, dans la partie occidentale du Turquestan ; c'étoit proprement une forte citadelle, que Genghiscan ne put prendre en 1221 qu'après sept mois de siege. M. de Lisle place le canton, auquel elle a donné son nom, vers les 36 deg. de latitude entre les 85. & 90. deg. de longitude. (D.J.)


TALCATAN(Géog. mod.) ville de Perse, dans le Khorassan, sur la riviere de Margab. Quelques-uns la prennent pour l'ancienne Nissa ou Nisaea, ville de la Margiane. (D.J.)


TALCINUM(Géog. anc.) ville de l'île de Corse ; elle étoit dans les terres, selon Ptolémée, l. III. c. iij. qui la marque entre Sermicium & Venicium. Ce n'est plus aujourd'hui qu'un village, appellé Talcini, à deux lieues de la ville de Corse, vers le levant. (D.J.)


TALEDS. m. (Hist. judaïq.) nom que les Juifs donnent à une espece de voile quarré, fait de laine blanche ou de satin, & qui a des houpes aux quatre coins. Ils ne prient jamais dans leurs synagogues qu'ils ne mettent ce voile sur leur tête ou autour de leur col, afin d'éviter les distractions, de ne porter la vue ni à droite ni à gauche, & d'être plus recueillis dans l'oraison, si l'on en croit LÉon de Modene. Mais dans le fond, ce taled n'est qu'une affaire de cérémonial ; les Juifs le jettent sur leur chapeau qu'ils gardent sur la tête pendant la priere, à laquelle ils sont si peu attentifs qu'ils y parlent de leur négoce & autres affaires, & qu'ordinairement ils la font avec une extrême confusion.


TALEMELIERTALMELIER, TALLEMANDIER, s. m. termes synonymes, qui signifioient anciennement boulanger, en latin talemetarius seu talemarius.

Il y a lieu de croire que ce mot talemetarius venoit de taleâ metari, compter sur une taille, parce qu'en effet de tout tems les Boulangers sont dans l'usage de marquer sur des tailles de bois la quantité de pain qu'ils fournissent.

Les statuts donnés par S. Louis aux Boulangers de Paris, & leurs lettres de maîtrise, leur donnent la qualité de Boulangers talemeliers. L'ordonnance du roi Jean, du pénultieme Février 1350, tit. II. art. 8. dit que nuls boulangers ou talemeliers ne pourront mettre deux sortes de blés dans le pain ; & art. 9. que les prud'hommes qui visiteront le pain, ne seront mi talemeliers. Le tit. 4. des talemeliers & pâtissiers porte ; art. 1. que toute maniere de talemeliers, fourniers & pâtissiers, qui ont accoutumé à cuire pain à bourgeois, le prépareront ès maisons desdits bourgeois, & l'apporteront cuire chez eux. Dans une autre ordonnance du même roi du 16 Janvier 1360, il est parlé des taillemeliers, sur quoi M. Secousse a noté en marge qu'il y a taillemandiers dans la premiere des deux copies de cette ordonnance envoyées de Montpellier, & que ce sont les Pâtissiers, ce qui peut en effet convenir aux Pâtissiers dans les endroits où ils étoient confondus avec les Boulangers. Il est encore parlé des talemeliers, qui sont les Boulangers, dans une ordonnance de Charles V. du 9. Décembre 1372 ; les pâtisseries, appellées talemouses, ont pris leur nom des talemeliers. (A)


TALENTS. m. (Gram.) c'est en général de l'aptitude singuliere à faire quelque chose, soit que cette aptitude soit naturelle, soit qu'on l'ait acquise. On dit le talent de la Peinture, de la Sculpture, de la Poésie, de l'Eloquence ; la nature a partagé les talens. Il est rare qu'on ait deux grands talens ; il est plus rare encore qu'on ne fasse pas plus de cas dans la société des talens agréables que des talens utiles, & des uns & des autres que de la vertu. On dit encore, il a du talent dans son métier. Il a le talent de plaire.

TALENT, (Monnoie anc.) fameux poids & monnoie des anciens, qui étoit de différente valeur nonseulement dans les divers pays, mais dans le pays même, selon que les especes qui composoient le talent étoient plus ou moins fortes.

Le talent d'argent en poids chez les Hébreux pesoit trois mille sicles, ou 125 livres de 12 onces chacune, ou 12 mille drachmes. Quant à sa valeur, cinquante mines faisoient le talent hébraïque d'argent ; ce qui revient à 450 livres sterlings. Le talent d'or des Hébreux sur le pié de seize d'argent, reviendroit à 7200 livres sterlings.

Le talent d'Athènes comprenoit soixante mines, qui reviendroient, selon le docteur Bernard, à 206 livres sterlings 5 schellings. Le talent d'or, à raison de 16 d'argent, 3300 livres sterlings.

Le talent d'argent de Babylone contenoit 7000 dragmes d'Athènes, faisant 240 livres sterlings 12 schellings 6 sols. Le talent d'or, à raison de 16 d'argent, 3850 livres sterlings.

Cinquante mines faisoient le talent d'argent d'Alexandrie, qui revient à 450 livres sterlings. Le talent d'or, à raison de 16 d'argent, 7200 livres sterlings.

Le talent de Cyrène étoit égal à celui d'Alexandrie. Le talent de Corinthe étoit le même que celui d'Egine, savoir de cent mines attiques. Le talent de Rhodes étoit de 4502 deniers romains. Le talent thracien étoit du poids de 120 livres, l'égyptien de 80 livres.

Les Romains avoient de grands & de petits talens. Soixante douze livres romains faisoient leur grand talent, que le docteur Bernard évalue à 216 livres sterlings. Plaute désigne toujours le grand talent romain par magnum talentum ; considéré comme poids, il pesoit 125 livres.

Hérodote, en parlant du talent de Babylone, dit qu'il valoit 70 mines d'Eubée. Elien, en parlant du même talent, dit qu'il valoit 72 mines d'Athènes. De-là il s'ensuit que 70 mines d'Eubée en valoient 72 d'Athènes ; & comme le talent étoit toujours de 60 mines, on voit par-là la différence du talent d'Eubée & de celui d'Athènes.

Mais il faut qu'il y eut encore deux autres sortes de talens d'Eubée, ou que les auteurs se contredisent ; Festus dit : Euboicum talentum numno graeco septem millium, nostro quatuor millium denariorum : le talent d'Eubée est de 7 mille drachmes grecques, & de 4 mille deniers romains. Tout le monde convient qu'il y a ici quelque faute de copiste, & qu'au-lieu de 4 mille deniers romains, il doit y avoir 7 mille ; la preuve en est que, selon le même Festus, la drachme des Grecs & le denier des Romains étoient de même valeur. En effet il dit que le talent d'Athènes, qui étoit de six mille drachmes, contenoit aussi six mille deniers romains. Selon lui donc, le denier romain & la drachme d'Athènes étoient de même valeur, & il y en avoit sept mille au talent d'Eubée. Cependant le talent d'Eubée de la somme que devoit payer Antiochus aux Romains étoit bien plus fort ; Polybe dit, legat. XXV. p. 817. & Tite-Live aussi, l. XXXVII. & XXXVIII. qu'il contenoit 10 livres romaines. Or la livre romaine contenoit 96 deniers romains, & par conséquent 10 de ces livres faisoient 7680 deniers romains, c'est-à-dire 240 livres sterlings.

Mais il faut remarquer qu'il y a une différence dans le traité entre Tite-Live & Polybe ; car quoique Tite-Live, dans le projet du traité, dise, aussi-bien que Polybe, que les 15 mille talens étoient des talens d'Eubée ; dans le traité même, il les appelle talens d'Athènes ; Tite-Live en traduisant ici Polybe, a fait une faute ; car Polybe dit seulement que l'argent du payement qu'on donneroit aux Romains seroit, , du meilleur argent d'Athènes, & Tite-Live ne faisant pas assez d'attention à ces expressions qui marquent la qualité de l'argent, & non pas l'espece de monnoie, a traduit des talens d'Athènes. Or comme le talent d'Eubée étoit le plus pesant, la monnoie d'Athènes étoit aussi la plus fine de toutes ; & selon le traité, le payement se devoit faire de la maniere la plus favorable aux Romains. Ils obligerent Antiochus, pour acheter la paix, de leur payer cette somme, déja prodigieuse en elle-même, de la maniere la plus onéreuse pour lui, en talens les plus forts, & pour la qualité du meilleur ou du plus fin argent.

On ne trouve jamais nos auteurs françois d'accord sur l'évaluation des talens des anciens, parce qu'ils ne l'ont jamais faite d'après le poids & le titre, mais toujours d'après le cours variable de nos monnoies ; ainsi Budée évalue le talent d'Athènes à 1300 livres ; Tourreil à 2800, & nos derniers écrivains à 4550 livres. (D.J.)

TALENT HEBRAÏQUE, (Monnoie des Hébreux) monnoie de compte des Hébreux, qui valoit trois mille sicles ; &, selon le docteur Bernard, 450 livres sterlings. Voyez-en les preuves détaillées à l'article MONNOIES des Hébreux. (D.J.)

TALENT, peintre à, (Peint.) c'est le nom qu'on donne à un artiste qui s'applique à quelque genre particulier de peinture, comme à faire des portraits, à peindre des fleurs, à représenter des animaux, des paysages, des noces de village, des tabagies, &c. (D.J.)


TALEVAS. m. (Hist. nat. Ornitholog.) oiseau aquatique de l'île de Madagascar ; il est de la grosseur d'une poule ; ses plumes sont violettes ; sa tête, son bec & ses piés sont rouges.


TALIS. m. terme de relation, nom que les Indiens de Carnate donnent au bijou que l'époux, dans la cérémonie du mariage, attache au cou de l'épouse, & qu'elle porte jusqu'au décès de son mari, pour marque de son état ; à la mort du mari, le plus proche parent lui coupe ce bijou, & c'est-là la marque du veuvage. (D.J.)


TALICTRUMS. m. (Hist. nat. & Mat. méd.) nom donné dans la matiere médicale à la graine d'une espece de sisymbrium à feuilles d'absynthe ; on estime cette graine astringente ; on en introduit la poudre dans les narines, pour arrêter les petites hémorrhagies du nez, mais je crois cette pratique assez mauvaise. (D.J.)


TALIIR-KARAS. m. (Hist. nat. Botan. exot.) grand arbre de Malabar toujours verd ; son tronc est blanchâtre ; son écorce est unie, poudreuse & cendrée. Il porte quantité de branches, qui s'étendent au loin, & qui sont armées d'épines oblongues, dures & roides. Sa racine est cendrée & couverte d'une écorce obscure. Son odeur est forte, & son goût astrigent. Ses feuilles sont vertes en-dessus, & verdâtres en-dessous, elliptiques, pointues, légerement dentelées par les bords, fortes, épaisses, luisantes, très-odorantes & très-âcres au goût ; les feuilles tendres qui croissent au sommet sont pour la plûpart d'un rouge purpurin. On n'a point encore vu de fleurs, ni de fruits sur cet arbre. C'est pourquoi dans le livre du jardin de Malabar on le nomme arbor indica spinosa, flore & fructu vidua. (D.J.)


TALINGUERÉTALINGUER, v. n. (Marine) c'est amarrer les cables à l'arganeau de l'arcre.


TALIONS. m. (Gram. & Jurisprud.) talio, loi du talion, lex talionis, est celle qui prononçoit contre le coupable la peine du talion, poena reciproca, c'est-à-dire, qu'il fût traité comme il avoit traité son prochain.

Le traitement du talion est la vengeance naturelle, & il semble que l'on ne puisse taxer la justice d'être trop rigoureuse, lorsqu'elle traite le coupable de la même maniere qu'il a traité les autres, & que ce soit un moyen plus sûr pour contenir les malfaiteurs.

Plusieurs jurisconsultes ont pourtant regardé le talion comme une loi barbare, & contraire au droit naturel ; Grotius entr'autres, prétend qu'elle ne doit avoir lieu ni entre particuliers, ni d'un peuple à l'autre ; il tire sa décision de ces belles paroles d'Aristide : " ne seroit-il pas absurde de justifier & d'imiter ce que l'on condamne en autrui comme une mauvaise action ".

Cependant la loi du talion a son fondement dans les livres sacrés ; on voit en effet dans l'Exode, que Moïse étant monté avec Aaron sur la montagne de Sinaï, Dieu après lui avoir donné le Décalogue, lui ordonna d'établir sur les enfans d'Israël plusieurs loix civiles, du nombre desquelles étoit la loi du talion.

Il est dit, chap. xxj. que si deux personnes ont eu une rixe ensemble, & que quelqu'un ait frappé une femme enceinte, & l'ait fait avorter, sans lui causer la mort, il sera soumis au dommage tel que le mari le demandera, & que les arbitres le jugeront ; que si la mort de la femme s'est ensuivie, en ce cas Moïse condamne à mort l'auteur du délit ; qu'il rende ame pour ame, dent pour dent, oeil pour oeil, main pour main, pié pour pié, brûlure pour brûlure, plaie pour plaie, meurtrissure pour meurtrissure.

On trouve aussi dans le LÉvitique, ch. xxjv. que celui qui aura fait outrage à quelque citoyen, sera traité de même, fracture pour fracture, oeil pour oeil, dent pour dent.

Dieu dit encore à Moïse, suivant le Deutéronome, ch. xix. que quand quelqu'un sera convaincu de faux témoignage, que les juges lui rendront ainsi qu'il pensoit faire à son frere ; tu ne lui pardonneras point, dit le Seigneur ; mais tu demanderas ame pour ame, oeil pour oeil, dent pour dent, main pour main, pié pour pié.

Il semble néanmoins que la peine du talion doive s'entendre dans une proportion géométrique plutôt qu'arithmétique, c'est-à-dire, que l'objet de la loi soit moins de faire souffrir au coupable précisément le même mal qu'il a fait, que de lui faire supporter une peine égale, c'est-à-dire, proportionnée à son crime ; & c'est ce que Moyse lui-même semble faire entendre dans le Deutéronome, ch. xxv. où il dit que si les juges voient que celui qui a péché soit digne d'être battu, ils le feront jetter par terre & battre devant eux selon son mesfait, pro mensurâ peccati erit & plagarum modus.

Jésus-Christ prêchant au peuple sur la montagne (suivant saint Matthieu, chap. v.) dit : vous avez entendu que l'on vous a dit oeil pour oeil, dent pour dent ; mais moi je vous dis de ne point résister au mal ; & que si quelqu'un vous frappe sur la joue droite, de lui tendre la gauche ; mais il paroît que cette doctrine eut moins pour objet de réformer les peines que la justice temporelle infligeoit, que de réprimer les vengeances particulieres que chacun se croyoit mal-à-propos permises, suivant la loi du talion, n'étant réservé qu'à la justice temporelle de venger les injures qui sont faites à autrui, & à la justice divine de les punir dans l'autre vie.

Il est encore dit dans l'Apocalypse, chap. xiij. que celui qui aura emmené un autre en captivité, ira lui-même ; que celui qui aura occis par le glaive, sera occis de même ; mais ceci se rapporte plutôt à la justice divine qu'à la justice temporelle.

Les Grecs à l'exemple des Juifs, pratiquerent aussi la loi du talion.

Par les loix de Solon, la peine du talion avoit lieu contre celui qui avoit arraché le second oeil à un homme qui étoit déja privé de l'usage du premier, & le coupable étoit condamné à perdre les deux yeux.

Aristote écrit que Rhadamante roi de Lycie, fameux dans l'histoire par sa sévérité, fit une loi pour établir la peine du talion qui lui parut des plus justes ; il ajoute que c'étoit aussi la doctrine des Pythagoriciens.

Charondas, natif de la ville de Catane en Sicile, & qui donna des loix aux habitans de la ville de Thurium, rebâtie par les Sybarites dans la grande Grece, y introduisit la loi du talion ; il étoit ordonné : si quis cui oculum eruerit, oculum reo pariter eruito ; mais cette loi fut réformée, au rapport de Diodore de Sicile, à l'occasion d'un homme déja borgne, auquel on avoit crevé le bon oeil qui lui restoit, il représenta que le coupable auquel on se contenteroit de crever un oeil, seroit moins à plaindre que lui qui étoit totalement privé de la vue ; qu'ainsi la loi du talion n'étoit pas toujours juste.

Les décemvirs qui formerent la loi des 12. tables, prirent quelque chose des loix de Solon par rapport à la peine du talion, dans le cas d'un membre rompu ; ils ordonnerent que la punition seroit semblable à l'offense, à moins que le coupable ne fît un accommodement avec sa partie, si membrum rupit, ni cum eo pacit, talio esto : d'autres lisent, si membrum rupit, ut cum eo pacit, talio esto.

Lorsqu'il s'agissoit seulement d'un os cassé, la peine n'étoit que pécuniaire, ainsi que nous l'apprend Justinien, dans ses institutes, tit. de injur. §. 7. On ne sait pas à quelle somme la peine étoit fixée.

Cette portion de la loi des 12 tables est rappellée par Cicéron, de legibus, Festus, sous le mot talionis, par le jurisconsulte Paul, receptarum sentent. liv. V. tit. 4. & autres jurisconsultes.

Il paroît néanmoins que chez les Romains la loi du talion n'étoit pas suivie dans tous les cas indistinctement ; c'est pourquoi Sextus Caecilius dans Aulugelle, liv. XX. dit que toutes les injures ne se réparent pas avec 25 as d'airain ; que les injures atroces, comme quand on a rompu un os à un enfant ou à un esclave, sont punies plus séverement, quelquefois même par la loi du talion ; mais avant d'en venir à la vengeance permise par cette loi, on proposoit un accommodement au coupable ; & s'il refusoit de s'accommoder, il subissoit la peine du talion ; si au contraire il se prêtoit à l'accommodement, l'estimation du dommage se faisoit.

La loi du talion fut encore en usage chez les Romains longtems après la loi des 12 tables, au-moins dans les cas où elle étoit admise ; en effet, Caton cité par Priscien, liv. VI. parloit encore de son tems de la loi du talion, comme étant alors en vigueur, & qui donnoit même au cousin du blessé le droit de poursuivre la vengeance, si quis membrum rupit, aut os fregit, talione proximus agnatus ulciscitur.

On ne trouve pas cependant que la loi des 12 tables eût étendu le droit de vengeance jusqu'au cousin de l'offensé ; ce qui a fait croire à quelques auteurs, que Caton parloit de cette loi par rapport à quelque autre peuple que les Romains.

Mais l'opinion de Théodore Marsilius, qui est la plus vraisemblable, est que l'usage dont parle Caton, tiroit son origine du droit civil.

Les jurisconsultes romains ont en effet décidé que le plus proche agnat ou cousin du blessé pouvoit poursuivre au nom de son parent, qui étoit souvent trop malade ou trop occupé pour agir lui-même. On chargeoit aussi quelquefois le cousin de la poursuite du crime, de crainte que le blessé emporté par son ressentiment, ne commençât par se venger, sans attendre que le coupable eût accepté ou refusé un accommodement.

Au reste, il y a toute apparence que la peine du talion ne se pratiquoit que bien rarement ; car le coupable ayant le choix de se soustraire à cette peine par un dédommagement pécuniaire, on conçoit aisément que ceux qui étoient dans le cas du talion, aimoient mieux racheter la peine en argent, que de se laisser mutiler ou estropier.

Cette loi ne pouvoit donc avoir lieu que pour les gens absolument misérables, qui n'avoient pas le moyen de se racheter en argent ; encore n'en trouve-t-on pas d'exemple dans les historiens.

Il en est pourtant encore parlé dans le code théodosien, de exhibendis reis, l. III. & au titre de accusationibus, l. tit. quaest. 14. on peut voir Jacques Godefroy, sur la loi 7 de ce titre, formule 29.

Ce qui est de certain, c'est que longtems avant l'empereur Justinien, la loi du talion étoit tombée en désuétude, puisque le droit du prêteur appellé jus honorarium, avoit établi que le blessé feroit estimer le mal par le juge ; c'est ce que Justinien nous apprend dans ses institutes, liv. IV. tit. 4. de injur. §. 7 : la peine des injures, dit-il, suivant la loi des 12 tables, pour un membre rompu, étoit le talion, pour un os cassé il y avoit des peines pécuniaires selon la grande pauvreté des anciens ; les interpretes prétendent que ces peines pécuniaires avoient été imposées comme étant alors plus onéreuses.

Justinien observe que dans la suite les prêteurs permirent à ceux qui avoient reçu quelque injure, d'estimer le dommage, & que le juge condamnoit le coupable à payer une somme plus ou moins forte, suivant ce qui lui paroissoit convenable : que la peine des injures qui avoit été introduite par la loi des 12 tables, tomba en désuétude : que l'on pratiquoit dans les jugemens celle qui avoit été introduite par le droit honoraire des prêteurs, suivant lequel l'estimation de l'injure étoit plus ou moins forte, selon la qualité des personnes.

Il y a pourtant certains cas dans lesquels les loix romaines paroissent avoir laissé subsister la peine du talion, comme pour les calomniateurs ; celui qui se trouvoit convaincu d'avoir accusé quelqu'un injustement étoit puni de la même peine qu'auroit subi l'accusé, s'il eût été convaincu du crime qu'on lui imputoit ; il n'y avoit qu'un seul cas où l'accusateur fût exempt de cette peine, c'est lorsqu'il avoit été porté à intenter l'accusation par une juste douleur pour l'offense qu'il avoit reçue dans sa personne ou dans celle de ses proches. Voyez au code la loi derniere de accusation. & la derniere du titre de calomniat.

Les prévaricateurs subissoient aussi la peine du talion, l. ab imp. ff. de praevar.

Il en étoit de même dans quelques autres cas qui sont remarqués au digeste quod quisque juris, &c.

Le droit canon se conformant à la pureté de l'évangile, paroît avoir rejetté la loi du talion, ainsi qu'il résulte du canon haec autem vita xx. quaest. 4 du canon quod debetur, xiv. quaest. 1. du canon sex differentiae, xxiij. quaest. 3, & le canon sex differentiae dans la seconde partie du decret, cause 23, quaest. 3 ; mais ce que ces canons improuvent, & singulierement le dernier, ce sont les vengeances particulieres. Nous ne parlons ici que de ce qui appartient à la vindicte publique.

Ricard, roi des Wisigots, dans le VI. liv. des loix des Wisigots, tit. 4, c. iij. ordonne que la peine du talion soit subie par le coupable, de maniere qu'il ait le choix ou d'être fouetté de verges, ou de payer l'estimation de l'injure, suivant la loi ou l'estimation faite par l'offensé.

La peine du talion avoit aussi lieu anciennement en France en matiere criminelle. On en trouve des vestiges dans la charte de commune de la ville de Cerny, dans le Laonnois, de l'an 1184, quòd si reus inventus fuerit, caput pro capite, membrum pro membro reddat, vel ad arbitrium majoris & juratorum, pro capite aut membri qualitate dignam persolvet redemptionem.

Il en est aussi parlé dans la charte de commune de la Fere de l'an 1207 rapportée par la Thomassiere, dans ses coutumes de Berry, dans les coutumes d'Arques de l'an 1231, dans les archives de l'abbaye de S. Bertin, dans la 51e. lettre d'Yves de Chartres.

Guillaume le Breton rapporte qu'après la conquête de la Normandie, Philippe Auguste fit une ordonnance pour établir la peine du talion dans cette province : qu'il établit des champions, afin que dans tout combat qui se feroit pour vuider les causes de sang, il y eût, suivant la loi du talion, des peines égales, que le vaincu, soit l'accusateur ou l'accusé, fût condamné par la même loi à être mutilé ou à perdre la vie ; car auparavant c'étoit la coutume chez les Normands, que si l'accusateur étoit vaincu dans une cause de sang, il en étoit quitte pour payer une amende de 60 sols ; au lieu que si l'accusé étoit vaincu, il étoit privé de tous ses biens, & subissoit une mort honteuse : ce qui ayant paru injuste à Philippe Auguste, fut par lui abrogé, & il rendit à cet égard les Normands tous semblables aux Francs : ce qui fait connoître que la peine du talion avoit alors lieu en France.

Les établissemens faits par S. Louis en 1270, liv. I. ch. iij. contiennent une disposition sur le talion. Si tu veux, est-il dit, appeller de meurtre, tu seras oïs ; mais il convient que tu te lies à souffrir telle peine comme tes adversaires souffriroient, s'ils en étoient atteints, selon droit écrit en digeste, novel, de privatis l. finali. Au tiers livre on a eu en vue la loi derniere de privatis delictis, qui ne parle pourtant pas clairement du talion.

Le chap. ij. du II. livre de ces mêmes établissemens parle aussi de la dénonciation ou avertissement que la justice devoit donner à celui qui se plaignoit de quelque meurtre. La justice, dit cette ordonnance, lui doit dénoncer la peine qui est dite ci-dessus ; ce que l'on entend du talion.

Cette peine a été abrogée dans quelques coutumes, comme on voit dans celle de Hainaut, chap. xv.

On tient même communément que la loi du talion est présentement abolie en France ; & il est certain en effet que l'on n'observe plus depuis longtems cette justice grossiere & barbare, qui faisoit subir à tous accusés indistinctement le même traitement qu'ils avoient fait subir à l'accusateur. L'on n'ordonne plus que l'on crévera un oeil, ni que l'on cassera un membre à celui qui a crevé l'oeil ou cassé un membre à un autre ; on fait subir à l'accusé d'autres peines proportionnées à son crime.

Il est cependant vrai de dire que nous observons encore la loi du talion pour la proportion des peines que l'on inflige aux coupables.

On observe même encore strictement cette loi dans certains crimes des plus graves ; par exemple, tout homme qui tue, selon nos loix, mérite la mort ; les incendiaires des églises, villes & bourgs sont condamnés au feu.

Les princes usent encore entr'eux en tems de guerre du droit de représailles, qui est proprement une espece de justice militaire qu'ils se font, conformément à la loi du talion. Voyez REPRESAILLES, voyez Alberic, Balde, Bartole, Felix speculator Augustinus, les constitutions du royaume d'Aragon, Imbert, le gloss. de du Cange au mot talio, celui de Lauriere, l'hist. de la Jurisprud. romaine de M. Terrasson. (A)


TALISMANS. m. (Divination) figures magiques gravées en conséquence de certaines observations superstitieuses, sur les caracteres & configurations du ciel ou des corps célestes, auxquelles les astrologues, les philosophes hermétiques & autres charlatans attribuent des effets merveilleux, & surtout le pouvoir d'attirer les influences célestes. Voyez THERAPHIM.

Le mot talisman est purement arabe ; cependant Menage, après Saumaise, croit qu'il peut venir du grec , opération ou consécration. Borel dit qu'il est persan, & qu'il signifie littéralement une gravure constellée ; d'autres le dérivent de talamascis litteris, qui sont des caracteres mystérieux ou des chiffres inconnus dont se servent les sorciers, parce qu'ajoutent-ils, talamasca veut dire phantôme ou illusion. M. Pluche dit qu'en Orient on nommoit ces figures tselamim, des images ; & en effet, comme il le remarque, " lorsque dans l'origine, le culte des signes célestes & des planetes fut une fois introduit, on en multiplia les figures pour aider la dévotion des peuples & pour la mettre à profit. On faisoit ces figures en fonte & en relief, assez souvent par maniere de monnoie, ou comme des plaques portatives qu'on perçoit pour être suspendues par un anneau, au cou des enfans, des malades & des morts. Les cabinets des antiquaires sont pleins de ces plaques ou amuletes, qui portent des empreintes du soleil ou de ses symboles, ou de la lune, ou des autres planetes, ou des différens signes du zodiaque. " Hist. du ciel, tom. I. pag. 480.

L'auteur d'un livre intitulé les talismans justifiés, prétend qu'un talisman est le sceau, la figure, le caractere ou l'image d'un signe céleste, d'une constellation, ou d'une planete gravée sur une pierre sympathique ou sur un métal correspondant à l'astre ou au corps céleste pour en recevoir les influences.

L'auteur de l'histoire du ciel va nous expliquer sur quoi étoient fondées cette sympathie & cette correspondance, & par conséquent combien étoit vaine la vertu qu'on attribuoit aux talismans.

" Dans la confection des talismans, dit-il, la plus légere conformité avec l'astre ou le dieu en qui l'on avoit confiance, une petite précaution de plus, une légere ressemblance plus sensible faisoit préférer une image ou une matiere à une autre ; ainsi les images du soleil, pour en imiter l'éclat & la couleur, devoient être d'or. On ne doutoit pas même que l'or ne fût une production du soleil ; cette conformité de couleur, d'éclat & de mérite en étoit la preuve. Le soleil devoit donc mettre sa complaisance dans un métal qu'il avoit indubitablement engendré, & ne pouvoit manquer d'arrêter ses influences dans une plaque d'or où il voyoit son image empreinte, & qui lui avoit été religieusement consacrée au moment de son lever. Par un raisonnement semblable, la lune produisoit l'argent, & favorisoit de toute l'étendue de son pouvoir les images d'argent auxquelles elle tenoit par les liens de la couleur, de la génération, de la consécration. Bien entendu que Mars se plaisoit à voir ses images, quand elles étoient de fer ; c'étoit-là sans-doute le métal favori du dieu des combats.... Vénus eut le cuivre, parce qu'il se trouvoit en abondance dans l'île de Chypre dont elle chérissoit le séjour. Le langoureux Saturne fut préposé aux mines de plomb. On ne délibéra pas longtems sur le lot de Mercure ; un certain rapport d'agilité lui fit donner en partage le vif-argent. Mais en vertu de quoi Jupiter sera-t-il borné à la surintendance de l'étain ? Il étoit incivil de présenter cette commission à un dieu de sa sorte : c'étoit l'avilir ; mais il ne restoit plus que l'étain, force lui fut de s'en contenter. Voilà certes de puissans motifs pour assigner à ces dieux l'inspection sur tel ou tel métal, & une affection singuliere pour les figures qui en sont composées. Or telles sont les raisons de ces prétendus départemens ; tels sont aussi les effets qu'il en faut attendre. " Hist. du ciel, tom. I. pag. 482 & 483.

Il étoit aussi aisé de faire ces raisonnemens, il y a deux mille ans, qu'aujourd'hui ; mais la coutume, le préjugé, l'exemple de quelques faux sages qui, soit persuasion, soit imposture, accréditoient les talismans, avoient entraîné tous les esprits dans ces superstitions. On attribuoit à la vertu & aux influences des talismans tous les prodiges qu'opéroit Appollonius de Tyane ; & quelques auteurs ont même avancé que ce magicien étoit l'inventeur des talismans ; mais leur origine remonte bien plus avant dans l'antiquité ; sans parler de l'opinion absurde de quelques rabbins qui soutiennent que le serpent d'airain que Moyse fit élever dans le désert pour la destruction des serpens qui tourmentoient & tuoient les Israëlites, n'étoit autre chose qu'un talisman. Quelques-uns en attribuent l'origine à un Jacchis qui fut l'inventeur des préservatifs que les Grecs appelloient , des remedes cachés contre les douleurs, des secrets contre les ardeurs du soleil & contre les influences de la canicule. Ce Jacchis vivoit, selon Suidas, sous Sennyés, roi d'Egypte. D'autres attribuent cette origine à Necepsos, roi d'Egypte, qui étoit postérieur à Jacchis, & qui vivoit cependant plus de 200 ans avant Salomon. Ausone, dans une lettre à S. Paulin, a dit :

Quique magos docuit mysteria vana Necepsos.

Le commerce de ces talismans étoit fort commun du tems d'Antiphanes, & ensuite du tems d'Aristophane ; ces deux auteurs font mention d'un Phertamus & d'un Eudamus, fabricateurs de préservatifs de ce genre. On voit dans Galien & dans Marcellus Empiricus, quelle confiance tout le monde avoit à leur vertu. Pline dit qu'on gravoit sur des émeraudes des figures d'aigle & de scarabées ; & Marcellus Empiricus attribue beaucoup de vertus à ces scarabées pour certaines maladies, & en particulier pour le mal des yeux. Ces pierres gravées ou constellées étoient autant de talismans où l'on faisoit entrer les observations de l'astrologie. Pline, en parlant du jaspe qui tire sur le verd, dit que tous les peuples d'Orient le portoient comme un talisman. L'opinion commune étoit, dit-il ailleurs, que Milon de Crotone ne devoit ses victoires qu'à ces sortes de pierres qu'il portoit dans les combats, & à son exemple ses athletes avoient soin de s'en munir. Le même auteur ajoute qu'on se servoit de l'hématite contre les embuches des barbares, & qu'elle produisoit des effets salutaires dans les combats. Aussi les gens de guerre en Egypte, au rapport d'Elien, portoient des figures de scarabées pour fortifier leur courage, & la grande foi qu'ils y avoient, venoit de ce que ces peuples croyoient que le scarabée consacré au soleil étoit la figure animée de cet astre qu'ils regardoient comme le plus puissant des dieux, selon Porphyre. Trébellius Pollion, rapporte que les Macriens révéroient Alexandre le grand d'une maniere si particuliere, que les hommes de cette famille portoient la figure de ce prince gravée en argent dans leurs bagues, & que les femmes la portoient dans leurs ornemens de tête, dans leurs bracelets, dans leurs anneaux & dans les autres pieces de leur ajustement ; jusque-là même que de son tems, ajoute-t-il, la plupart des habillemens des dames de cette famille en étoient encore ornés, parce que l'on disoit que ceux qui portoient ainsi la tête d'Alexandre en or ou en argent, en recevoient du secours dans toutes leurs actions : quia dicuntur juvari in omni actu suo qui Alexandrum expressum, vel auro gestitant vel argento.

Cette coutume n'étoit pas nouvelle chez les Romains, puisque la bulle d'or que portoient au col les généraux ou consuls dans la cérémonie du triomphe, renfermoit des talismans. Bulla, dit Macrobe, gestamen erat triumphantium, quam in triumpho prae se gerebant, inclusis intrà eam remediis, quae crederent adversus invidiam valentissima. On pendoit de pareilles bulles au col des enfans, pour les défendre des génies malfaisans, ou les garantir d'autres périls, ne quid obsit, dit Varron ; & Asconius Pedianus, sur un endroit de la premiere verrine de Cicéron où il est mention de ces bulles, dit qu'elles étoient sur l'estomach des enfans comme un rempart qui les défendoit, sinus communiens pectusque puerile, parce qu'on y renfermoit des talismans. Les gens de guerre portoient aussi des baudriers constellés. Voyez BAUDRIERS & CONSTELLES.

Les talismans les plus accrédités étoient ceux des Samothraciens, ou qui étoient fabriqués suivant les regles pratiquées dans les mysteres de Samothrace. C'étoient des morceaux de métal sur lesquels on avoit gravé certaines figures d'astres, & qu'on enchâssoit communément dans des bagues. Il s'en trouve pourtant beaucoup dont la forme & la grosseur font voir qu'on les portoit d'une autre maniere. Pétrone rapporte qu'une des bagues de Trimalcion étoit d'or & chargée d'étoiles de fer, totum aureum, sed planè ferreis veluti stellis ferruminatum. Et M. Pithou convient que c'étoit un anneau ou un talisman fabriqué suivant les mysteres de l'île de Samothrace. Trallien, deux siecles après, en décrit de semblables, qu'il donne pour des remedes naturels & physiques, , à l'exemple, dit-il, de Galien, qui en a recommandé de pareils. C'est au livre IX. de ses traités de médecine, ch. jv. à la fin, où il dit que l'on gravoit sur de l'airain de Chypre un lion, une lune & une étoile, & qu'il n'a rien vu de plus efficace pour certains maux. Le même Trallien cite un autre philactere contre la colique ; on gravoit sur un anneau de fer à huit angles ces mots, , c'est-à-dire, fuis, fuis, malheureuse bile, l'alouette te cherche. Et ce qui prouve que l'on fabriquoit ces sortes de préservatifs sous l'aspect de certains astres, c'est ce que ce médecin ajoute à la fin de l'article : il falloit, dit-il, travailler à la gravure de cette bague au 17 ou au 21 de la lune.

La fureur que l'on avoit pour les talismans se répandit parmi des sectes chrétiennes, comme on le voit dans Tertullien, qui la reproche aux Marcionites qui faisoient métier, dit-il, de vivre des étoiles du créateur : nec hoc erubescentes de stellis creatoris vivere. Peut-être cela doit-il s'entendre de l'Astrologie judiciaire en général. Il est beaucoup plus certain que les Valentiniens en faisoient grand usage, comme le prouve leur abracadabra, prescrit par le médecin Serenus sammonicus, qui étoit de leur secte, & par leur abrasax, dont l'hérésiarque Basilides lui-même fut l'inventeur. Voyez ABRACADABRA & ABRASAX.

Des catholiques eux-mêmes donnerent dans ces superstitions. Marcellus, homme de qualité & chrétien, du tems de Théodose, dans un recueil de remedes qu'il adresse à ses enfans, décrit ce talisman. Un serpent, dit-il, avec sept rayons, gravé sur un jaspe enchâssé en or, est bon contre les maux d'estomac, & il appelle ce philactere un remede physique : ad stomachi dolorem remedium physicum sit, in lapide jaspide exsculpe draconem radiatum, ut habeat septem radios, & claude auro, & utere in collo. Ce terme de physique fait entendre que l'Astrologie entroit dans la composition de l'ouvrage. Mém. de l'acad. des Insc. tom. XI. p. 355. & suiv.

On y croyoit encore sous le regne de nos rois de la premiere race ; car au sujet de l'incendie général de Paris, en 585, Grégoire de Tours rapporte une chose assez singuliere, à laquelle il semble ajouter foi, & qui rouloit sur une tradition superstitieuse des Parisiens : c'est que cette ville avoit été bâtie sous une constellation qui la défendoit de l'embrâsement, des serpens & des souris ; mais qu'un peu avant cet incendie, on avoit, en fouillant une arche d'un pont, trouvé un serpent & une souris d'airain, qui étoient les deux talismans préservatifs de cette ville. Ainsi ce n'étoit pas seulement la conservation de la santé des particuliers, c'étoit encore celle des villes entieres, & peut-être des empires, qu'on attribuoit à la vertu des talismans ; & en effet, le palladium des Troyens & les boucliers sacrés de Numa étoient des especes de talismans.

Les Arabes fort adonnés à l'Astrologie judiciaire, répandirent les talismans en Europe, après l'invasion des Mores en Espagne ; & il n'y a pas encore deux siecles qu'on en étoit infatué en France, & même encore aujourd'hui, présentés sous le beau nom de figures constellées, dit M. Pluche, ils font illusion à des gens qui se croyent d'un ordre fort supérieur au peuple. Mais on continue toujours d'y avoir confiance en Orient.

On distingue en général trois sortes de talismans ; savoir, les astronomiques, on les connoît par les signes célestes, ou constellations que l'on a gravées dessus, & qui sont accompagnées de caracteres inintelligibles.

Les magiques qui portent des figures extraordinaires, des mots superstitieux, & des noms d'anges inconnus.

Enfin les mixtes sur lesquels on a gravé des signes célestes & des mots barbares, mais qui ne renferment rien de superstitieux, ni aucun nom d'ange.

Quelques auteurs ont pris pour des talismans plusieurs médailles runiques ou du-moins celles dont les inscriptions sont en caracteres runiques ou gothiques, parce qu'il est de notoriété que les nations septentrionales, lorsqu'elles professoient le paganisme, faisoient grand cas des talismans. Mais M. Keder a montré que les médailles marquées de ces caracteres, ne sont rien moins que des talismans.

Il ne faut pas confondre non plus avec des siecles ou des médailles hébraïques véritablement antiques, certains talismans, & certains quarrés composés de lettres hébraïques toutes numérales, que l'on appelle sigilla planetarum, dont se servent les tireurs d'horoscope, & les diseurs de bonne aventure, pour faire valoir leurs mysteres ; non-plus que d'autres figures magiques dont on trouve les modeles dans Agrippa, & qui portent des noms & des caracteres hébraïques. Science des médailles, tom. I. p. 308.

TALISMAN, (terme de relation) nom d'un ministre inférieur de mosquée chez les Turcs. Les talismans sont comme les diacres des imans, marquent les heures des prieres en tournant une horloge de sable de quatre en quatre heures ; & les jours de bairan, ils chantent avec l'iman, & lui répondent. Du Loir.


TALLAGH(Géog. mod.) petite ville d'Irlande, dans la province de Mounster, au comté de Waterford, sur les frontieres du comté de Corck, à douze milles au sud de Lismore. Elle envoie deux députés au parlement de Dublin. Long. 11. 44. latit. 53. 10.


TALLARS. m. (Marine) terme de galere. C'est l'espace qui est depuis le coursier jusqu'à l'apostis, & où se mettent les escomes.


TALLARD(Géog. mod.) bourg & petit comté de France, dans le Dauphiné, au diocèse de Gap, sur la droite de la Durance, avec un bailliage qui ressortit au parlement de Grenoble.


TALLE(Jardinage) c'est ordinairement une branche qu'un arbre pousse à son pié, laquelle est enracinée, & que l'on sépare du maître pié avec un couteau ou coin de bois, quand elles sont trop fortes. Chaque talle, pour être bonne, doit avoir un oeil au-moins & des racines. On peut avec de la cire d'Espagne recouvrir les grandes plaies qu'on a faites en les séparant.

On appelle encore talle, le peuple que l'on détache avec la main, au pié des plantes bulbeuses & ligamenteuses.


TALLEVANNES. f. (Poterie) pot de grès propre à mettre du beurre : c'est ordinairement dans ces sortes de pots que viennent les beurres salés ou fondus d'Isigni, & de quelques autres endroits de basse Normandie. Les tallevannes sont du poids depuis six livres jusqu'à quarante. (D.J.)


TALLIPOTS. m. (Hist. nat. Botan. exot.) le tallipot est un arbre qui vient dans l'île de Ceylan ; il est de la hauteur d'un mât de navire, & il est admirable pour son feuillage. Les feuilles en sont si grandes, qu'une seule est capable de mettre un homme à couvert de la pluie, & par sa texture souple, on peut la plier comme un éventail. (D.J.)


TALLOPHORES. m. (Mythol.) on nommoit tallophores, des personnes choisies qui alloient aux processions des Panathénées, tenant en main des branches d'arbres : , un rameau.


TALMONTou TALLEMONT, (Géog. mod.) en latin du moyen âge Talemundum castrum, petite ville de France, en Saintonge, sur le bord de la Gironde, dans une espece de presqu'île ou rocher, entre Mortagne au midi, & Rohan au nord. Le terroir de ses environs est couvert de vignobles, & son petit port est assez commode. Longit. 16. 39. latit. 45. 30.

Talmont est encore un bourg de Poitou, à trois lieues de la ville des sables d'Olone, avec une abbaye de l'ordre de S. Benoît, fondée en 1040, & qui vaut 4000 liv. à l'abbé. Long. 16. 2. lat. 42. 32. (D.J.)


TALMOUSES. f. (Pâtissier) c'est une piece de pâtisserie, faite avec une farce de fromage, de beurre, & d'oeufs.


TALMUDS. m. (Critiq. hébraïq.) ouvrage de grande autorité chez les Juifs ; cet ouvrage est composé de la Misna & de la Gémare ; la Misna fait le texte, la gémare, le commentaire, & les deux ensemble sont le talmud, qui comprend le corps complet de la doctrine traditionnelle, & de la religion judaïque ; mais les Juifs distinguent deux talmuds, le talmud de Jérusalem, composé en Judée ; & le talmud de Babylone, fait en Babylone. Le premier fut achevé environ l'an 300, & forme un gros ouvrage ; le second parut vers le commencement du sixieme siecle, & a été imprimé plusieurs fois. La derniere édition est d'Amsterdam, en 12 vol. in-fol.

Ces deux talmuds, qui étouffent la loi & les prophetes, contiennent toute la religion des Juifs, telle qu'ils la croient & qu'ils la professent à-présent. Mais celui de Babylone est le plus suivi : l'autre à cause de son obscurité & de la difficulté qu'il y a à l'entendre, est fort négligé parmi eux. Cependant comme ce talmud de Jérusalem & la Misna, sont ce que les Juifs ont de plus ancien, excepté les paraphrases chaldaïques d'Onkelos & de Jonathan ; & que l'un & l'autre sont écrits dans le langage & le style de Judée ; le docteur Lightfoot s'en est servi utilement pour éclaircir quantité de passages du N. Testament, par le moyen des phrases & des sentences qu'il y a déterrées, car la Misna étant écrit environ l'an 150 de Notre Seigneur, il n'est pas surprenant que les idiomes, les proverbes, la phrase & le tour qui étoient en usage du tems de Notre Seigneur, se soient conservés jusque-là.

Mais pour l'autre talmud, dont le langage & le style sont de Babylone, & qui n'a été composé qu'environ cinq cent ans après Notre Seigneur, ou même plus tard, selon quelques-uns ; on n'en peut pas tirer les mêmes secours à beaucoup près. Quoi qu'il en soit, c'est l'alcoran des Juifs ; & c'est-là qu'est renfermée toute leur créance & leur religion : il y a cette différence entre ces deux ouvrages, que si l'un est plein d'impostures, que Mahomet a données comme apportées du ciel ; l'autre contient mille rêveries auxquelles on attribue ridiculement une origine céleste. C'est cependant ce livre qu'étudient parmi les Juifs, tous ceux qui prétendent au titre de savans. Il faut l'avoir étudié pour être admis à enseigner dans leurs écoles & dans leurs synagogues, & être bien versés, non-seulement dans la misna, qui est le texte, mais aussi dans la gémare qui en est le commentaire. Ils préferent si fort cette gémare à celle de Jérusalem, qu'on ne donne plus parmi eux ce titre à la derniere ; & que quand on nomme la gémare sans addition, c'est toujours celle du talmud de Babylone qu'on entend ; la raison est, qu'en regardant la misna & cette gémare, comme contenant le corps complet de leur religion, auquel rien ne manque pour la doctrine, les regles & les rites ; le nom de gémare qui en hébreu signifie accomplissement & perfection, lui convient mieux qu'à aucun autre.

Maimonides a fait un extrait de ce talmud, où en écartant la broderie, les disputes, les fables & les autres impertinences, parmi lesquelles étoit confondu ce qu'il en tire, il ne rapporte que les décisions des cas dont il y est parlé. Il a donné à cet ouvrage le titre de Yadhachazakah. C'est un digeste de loix des plus complets qui se soient jamais faits, non pas par rapport au fonds, mais pour la clarté du style, la méthode & la belle ordonnance de ses matieres. D'autres juifs ont essayé de faire la même chose ; mais aucun ne l'a surpassé ; & même il n'y en a aucun qui approche de lui. Aussi passe-t-il à cause de cet ouvrage & des autres qu'il a publiés, pour le meilleur auteur qu'ayent les Juifs, & c'est à fort juste titre. (D.J.)


TALONS. m. en terme d'Anatomie, signifie la partie postérieure du pié. Voyez PIE.

En hiver, les enfans sont sujets à avoir des mules au talon ; ce sont des engelures fort dangereuses & incommodes. Voyez MULE.

L'os du talon s'appelle calcaneum ou l'os de l'éperon. Voyez CALCANEUM.

TALONS DU CHEVAL, les talons sont toujours deux à chaque pié, & forment la partie du pié qui finit le sabot, & commence à la fourchette. Leurs bonnes qualités sont d'être hauts, ronds & bien ouverts ; c'est-à-dire séparés l'un de l'autre. Leurs mauvaises qualités sont d'être bas & serrés. Voyez ENCASTELURE.

Talon se dit en parlant du cavalier, de l'éperon dont il arme ses talons, & on dit en ce sens, qu'un cheval entend les talons, obéit, répond aux talons ; qu'il est bien dans les talons, pour dire qu'il est sensible à l'éperon, qu'il y obéit, qu'il le craint & le fuit. Le talon de dedans, de dehors, voyez DEDANS & DEHORS. On dit promener un cheval dans la main & dans les talons, pour dire le gouverner avec la bride & l'éperon, lui faire prendre finement les aides de la main & des talons. Voyez AIDES.

TALON, s. m. (Botan.) on appelle talon, la petite feuille échancrée qui soutient la feuille des orangers ; on appelle aussi talon, la partie basse & la plus grosse d'une branche coupée. Enfin, on appelle talon, l'endroit d'où sortent les feuilles de l'oeilleton que l'on détache d'un pié d'artichaud. (D.J.)

TALON, (Conchyl.) ce mot se dit de la partie la plus épaisse d'une moule, faite en forme de bec, où est la charniere. (D.J.)

TALON, s. m. (Archit.) moulure concave par le bas & convexe par le haut, qui fait l'effet contraire de la doucine ; on l'appelle talon renversé, lorsque la partie concave est enhaut. (D.J.)

TALON, (Marine) c'est l'extrêmité de la quille, vers l'arriere du vaisseau, du côté qu'elle s'assemble avec l'étambord.

TALON DE RODE, terme de Galere ; c'est le pié de la rode de proue ou de la rode de poupe qui s'enchâsse à la carene.

TALON, (terme de Cordonnier) ce sont plusieurs petits morceaux de cuir collés & chevillés les uns sur les autres, qu'on attache au bout du soulier ou de la botte, pour répondre à la partie du pié de l'homme qu'on nomme le talon (D.J.)

TALON DE POTENCE, terme d'Horlogerie. Voyez POTENCE, & les fig. de l'Horlogerie, & leur explication.

TALON, (Jardinage) se dit d'un artichaut, & exprime la partie basse d'une branche d'arbre où il se trouve un peu du bois de l'année précédente. Ce sont ces branches que l'on prend pour planter, & que l'on appelle boutures.

TALONS, (Lutherie) dans l'orgue, sont de petits morceaux de bois (a, o, fig. 17.) collés les uns comme a sur les touches du clavier inférieur, les autres o au-dessus du clavier inférieur. Ces petits morceaux de bois sont faits en console, comme on le peut voir dans la figure : lorsque l'on a tiré le second clavier sur le premier, les talons, rencontrant ceux du clavier inférieur au-dessus desquels ils sont alors ; si donc l'organiste abaisse une touche du clavier supérieur, le talon de cette touche rencontrant celui de la touche correspondante du clavier inférieur, la fera baisser en même-tems, ce qui fera parler les tuyaux qui répondent à cette touche.

TALON, en terme de Metteur en oeuvre, c'est la partie inférieure de la brisure d'une bouche d'oreille, à l'extrêmité de laquelle est attachée la beliere, à qui elle donne son nom. Voyez BELIERES du talon.

TALON, (Serrur. & autres ouvriers en fer) c'est, dans un pêne de serrure, l'extrêmité qui est dans la serrure vers le ressort. Elle est derriere le pêne, & fait arrêt contre le cramponet. Le talon sert de barbe pour le demi-tour, quand on le souhaite. (D.J.)

C'est, dans un couteau à ressort, la partie inférieure de la lame ; le talon est percé d'un trou où l'on passe un clou ; la lame tourne sur ce clou, & l'échancrure du talon va se placer sur la tête du ressort qui l'arrête.

TALONS gros & petits, ou ébauchoirs de fer, dont se servent les Sculpteurs en plâtre & en stuc. Voyez STUC, & Pl. de stuc.

TALON, (terme de Talonnier) petit morceau de bois léger, propre, bien plané, qu'on met aux souliers & aux mules de femmes, & qui répond, quand elles sont chaussées, à la partie du pié qu'on appelle le talon. (D.J.)

TALON, (Vénerie) le talon est au haut du pié du cerf ; il sert à distinguer son âge ; dans les jeunes, le talon est éloigné de quatre doigts des os ou ergots ; dans les vieux, il joint presque les os ; plus il est près, plus le cerf est vieux.

TALON, (Jeu de cartes) c'est la portion de cartes qui reste après qu'on a distribué à chaque joueur celles qu'il doit avoir pour jouer.


TALONNIERS. m. (Art méchaniq.) ouvrier qui fait des talons de bois pour les Cordonniers. Voyez FORMIERS-TALONNIERS.


TALONNIERES. f. (Gram. Hist. ecclés. & Mitholog.) ce sont les aîles que Mercure & la Renommée portent à leurs talons.

Certains religieux déchaux donnent le même nom à une portion de leur chaussure. C'est un morceau de cuir qui embrasse leur talon, & qui vient se rendre sur le coup de pié où il s'attache. La talonniere n'est d'usage qu'en hiver.


TALOUou TALLOU, (Géog. mod.) contrée de France, proche du pays de Caux en Normandie. Les anciens titres l'appellent Talogiensis pagus. Ses habitans sont nommés Talvois dans le roman de Vace. (D.J.)


TALPAterme de Chirurgie, en françois taupe ou taupiere, & en latin talparia, & topinaria, tumeur qui se forme sous les tégumens de la tête, ainsi appellée, parce qu'elle ressemble aux élévations que les taupes font dans les prés en fouillant la terre.

Le siege ordinaire de cette tumeur est dans le tissu cellulaire qui est entre le cuir chevelu & la calotte aponévrotique des muscles frontaux & occipitaux. Quelques auteurs assurent en avoir vu qui étoient adhérentes au crâne. Amatus Lusitanus rapporte l'observation d'une taupe, à l'extirpation de laquelle on trouva le crâne carié, avec ulcération des meninges & de la propre substance du cerveau.

Il faut donc exactement distinguer l'espece de tumeur qui se présente sous l'apparence de celle qu'on nomme talpa. Souvent le virus vénérien produit ces sortes de tubercules, & à l'ouverture de la tumeur suppurée, on trouve le crâne carié : la maladie a ses racines au crâne même ; c'est le périoste tuméfié & suppuré qui occasionne la tumeur des tégumens. Voyez VEROLE.

Le talpa simple & proprement dit, est une tumeur de la nature de l'athérome, formée par congestion, & qui contient une humeur suiffeuse. Ce n'est qu'une maladie locale, assez commune à gens qui se portent bien d'ailleurs. Beaucoup de personnes ont trois, quatre & même un plus grand nombre de ces tumeurs sans en être incommodées. Il y en a qui s'élevent & forment une tumeur ronde, qui a un pédicule susceptible d'être liée avec autant de facilité que de succès pour la cure radicale.

Fabrice d'Aquapendente multiplie les remedes internes & externes pour la guérison du talpa ; mais il faut toujours, selon cet auteur même, a en venir à l'ouverture. Il ne conseille qu'une simple incision, lui qui, dans les abscès folléculeux, ou, ce qui est la même chose, dans les tumeurs enkystées recommande si expressément de disséquer les tégumens, & d'emporter exactement la poche qui contient la matiere. C'est le sentiment de Marc-Aurele Severin sur le talpa, & qui a été adopté par Hellwigius, dont on trouve les observations sur cette maladie dans la médecine septentrionale de Bonet, tome I. J'ai souvent réussi par la seule ouverture ; on vuide la tumeur comme une simple tanne, & elle guérit de même. (Y)


TALUCTAE(Géog. anc.) peuples de l'Inde, aux environs du Gange, selon Pline, liv. VI. c. xix. Le P. Hardouin dit que ces peuples habitoient le pays qu'on nomme aujourd'hui le royaume d'Astracan. (D.J.)


TALUDS. m. ou TALUS, ou TALUT, (Archit.) c'est l'inclinaison sensible du dehors d'un mur de terrasse, causée par la diminution de son épaisseur en haut, pour pousser contre les terres. (D.J.)

TALUD, (Coupe des pierres) c'est l'inclinaison d'une ligne ou d'une surface au-delà de l'à-plomb en angle obtus AFD, fig. 29. plus grand qu'un droit & moindre que 135°. Car dès que la surface est plus inclinée, cette inclinaison s'appelle en glacis. Voyez GLACIS.

TALUD, en terme de Fortification, est la pente des terres ou de la maçonnerie qui soutient le rempart.

Pour juger de la quantité d'un talud, il faut imaginer une ligne AB, tirée à-plomb ou perpendiculairement du haut du talud A sur un plan de niveau DC, (Pl. I. de Fortification, fig. 14.) & une autre ligne BC, prise sur le plan DC, depuis le point B jusqu'au bas C du talud AC. Il faut ensuite comparer cette ligne de niveau BC, (qui dans le plan s'appelle proprement le talud) avec la perpendiculaire AB, qui exprime l'élévation des terres ou de la maçonnerie, soutenues par AC. Par exemple, si AB est de 5 toises & BC d'une toise, on dit que le talud est d'une toise sur 5 de hauteur, ou, ce qui est la même chose, qu'il est la cinquieme partie de la hauteur.

On peut encore juger du talud en menant une ligne EF, (Pl. I. de Fortification, fig. 15.) de niveau à la hauteur de l'ouvrage, & laissant tomber de F en G par le moyen d'un plomb, ou autrement une ligne à-plomb FG. Il est évident alors que le rapport de EF à FG, sera celui du talud à la hauteur des terres dont il s'agit.

Le talud intérieur d'un ouvrage de fortification est celui qui est en-dedans l'ouvrage. Ainsi le talud intérieur du rempart est celui qui est du côté de la place. Il sert à soutenir les terres du rempart & à donner la facilité de monter au terre-plein. On lui donne assez ordinairement une fois & demi sa hauteur, parce que l'expérience fait voir que les terres qui ne sont point soutenues, prennent elles-mêmes naturellement cette pente. C'est pourquoi si la hauteur du rempart est de 3 toises ou de 18 piés, ce talud sera de 27 piés.

Le talud extérieur est la pente des terres ou du revêtement du rempart du côté de la campagne. Il forme ce qu'on appelle la contrescarpe. Voyez CONTRESCARPE.

On le fait aussi petit qu'il est possible, & de maniere seulement qu'il soutienne la poussée des terres du rempart.

On s'est autrefois assez conduit au hazard dans la détermination de l'épaisseur du revêtement & des taluds qu'on doit leur donner relativement à la hauteur des terres qu'ils doivent soutenir. Mais en 1726, 1727 & 1728, M. Couplet a donné dans les mémoires de l'académie des Sciences plusieurs mémoires sur la poussée des terres contre leurs revêtemens, & la force des revêtemens qu'on leur doit opposer. Voyez REVETEMENT. Cette matiere a été aussi traitée par M. Bélidor, dans la science des ingénieurs. Elle l'avoit été avant M. Couplet par MM. Bullet & Gautier, mais d'une maniere défectueuse.

Dans les remparts revêtus de maçonnerie, le talud extérieur finit au haut du rempart, c'est-à-dire, au cordon ou au pié de la tablette du parapet, c'est-à-dire, de son revêtement.

Lorsque le rempart n'est revêtu que de gazon, le talud extérieur a communément les deux tiers de la hauteur du rempart. (Q)

TALUD, (Jardinage) bien de gens le confondent avec glacis ; il n'en differe qu'en ce qu'il est plus roide que le glacis qui doit être doux & imperceptible.

C'est une pente de terrein revêtu de gazon, laquelle sert à soutenir les terrasses, les bords d'un boulingrin, ou les recordemens de niveaux de deux allées paralleles.

La proportion des grands taluds de gazon est ordinairement de deux tiers de leur hauteur ; pour les petits la moitié ou le tiers suffit, afin de ne pas priver le haut du talud de l'humidité qui tombe toujours en-bas.

On reglera encore cette pente suivant la qualité de la terre : si elle est forte, 6 pouces par pié suffiront ; si elle est mouvante on en donnera 9.

La maniere de dresser les taluds & de les gazonner se trouvera aux mots GAZON & CLAYONNAGE.

Talud se dit encore dans la taille des arbres fruitiers & sauvages, & alors le talud veut dire pié de biche. Voyez PIE DE BICHE.


TALUDERv. act. & neut. (Coupe des pierres) c'est mettre une ligne, une surface en talud.


TAM-TAMS. m. (Hist. mod.) sorte d'instrument fort en usage chez tous les orientaux ; il semble avoir pris son nom du bruit qu'il occasionne, car il n'a d'autre son que celui qu'il exprime. Il est fait en forme de tymbale, dont le ventre est de bois, & dont la partie supérieure est couverte d'une peau bien tendue, sur laquelle on frappe avec une seule baguette.

Cet instrument sert à annoncer au coin des rues, un encan ou autre chose d'extraordinaire. Aussi l'on dit battre le tam-tam.


TAMAGALA, (Géog. mod.) riviere de Portugal. Elle a sa source dans la Galice, entre ensuite dans la province de Tra-los-Montes, baigne les murailles de Chiavez, d'Amarante, & se jette dans le Douro. (D.J.)


TAMALAMEQUE(Géog. mod.) ville de l'Amérique, dans la Terre-ferme, sur la rive droite de Rio-Grande, au gouvernement de Sainte-Marthe, à quelques lieues au-dessus de Ténérife. Elle appartient aux Espagnols, qui la nomment Villa-de-las-Palmas. Quoiqu'il y fasse une chaleur excessive par les vents du sud, qui y soufflent la plus grande partie de l'année, cependant ses environs ne manquent pas de pâturages, qui nourrissent beaucoup de bétail. (D.J.)


TAMALAPATRAS. f. (Hist. nat. Botan. anc.) nom que quelques auteurs, & entr'autres Garzias, ont donné à la feuille indienne des modernes, qui paroît être le malabathrum des anciens. Voyez MALABATHRUM.

Cette feuille est semblable à celle du cannelier, dont elle ne differe que par le goût ; elle est cependant d'une odeur agréable, aromatique, & approchant un peu du clou de gerofle ; on ne s'en sert en médecine que comme un ingrédient qui entre dans les compositions thériacales ; l'arbre qui porte cette feuille, est communément nommé Tamalapatrum. Voyez son article. (D.J.)


TAMALAPATRUMS. m. (Hist. nat. Bot. exot.) arbre qui porte la feuille indienne, ou la tamalapatra. Cet arbre est un des enneandria monogynia de Linnaeus, & des arbores fructu caulyculato de Ray. Voici ses synonymes, canella sylvestris malabarica, Raii hist. 1562, katon-karna, H. Malab. P. 5, 105, canella arbor, sylvestris. Munt. tamalapatrum, sive folium, C. B. P. 409.

Cet arbre ressemble assez au cannelier de Ceylan, soit pour l'odeur, soit pour le goût ; mais il est plus grand & plus haut. Ses feuilles, quand elles ont acquis toute leur étendue, sont de dix à douze pouces de longueur & de six ou huit de largeur ; leur forme est ovalaire. Il se trouve depuis la queue jusqu'à la pointe trois nervures assez grosses, desquelles sortent transversalement plusieurs veines. De petites fleurs disposées en ombelles, partent de l'extrêmité des rameaux ; elles sont sans odeur, d'un verd blanchâtre, à cinq pétales, ayant cinq étamines très-petites, d'un verd jaune, garnies de petits sommets, lesquels occupent le milieu. A ces petites fleurs succedent de petites baies qui ressemblent à nos groseilles rouges. Cet arbre croît dans les montagnes du Malabar : il fleurit au mois de Juillet & d'Août, & ses fruits sont mûrs en Décembre & en Janvier. (D.J.)


TAMAN(Géog. mod.) ville des états du turc, dans la Circassie, avec un méchant château, où quelques janissaires sont en garnison. Il y a des géographes qui prennent cette ville pour l'ancienne Corocondama de Ptolémée, mais cela ne se peut, car la Corocondama étoit à l'entrée du Bosphore cimmérien. (D.J.)


TAMANDUAS. m. (Hist. nat. Zoologie exot.) nom d'un animal à quatre piés d'Amérique, nommé par Pison myrmecophagus, mangeur de fourmis ; les Anglois l'appellent the ant-bear, l'ours aux fourmis ; ils l'appellent ours, parce que ses piés de derriere sont faits comme ceux de l'ours ; il ressemble assez au renard, mais il n'en a pas la finesse, au-contraire, il est timide & sot ; il y en a de deux especes, un grand qui porte une queue large & garnie de soies ou de poils longs, comme ceux d'un cheval, noirs & blancs ; l'autre petit, dont la queue est longue, rase ou sans poil ; l'un & l'autre sont fort friands de fourmis, dont la trop grande quantité nuit beaucoup aux biens de la terre. Le petit entortille sa queue aux branches des arbres, & y demeure suspendu pour attendre les fourmis, sur lesquelles il se jette, & les dévore. Les museaux de l'un & de l'autre sont longs & pointus, n'ayant qu'une petite ouverture pour leur bouche, en maniere de trompe ; ils n'ont point de dents, mais quand ils veulent attrapper les fourmis, ils élancent hors de leur museau une langue fort longue & déliée, avec laquelle ils agglutinent ces petits insectes, la pliant & repliant pour les y attacher, puis ils les avalent à belles lampées. Leur peau est épaisse ; leurs piés sont garnis d'ongles aigus, avec lesquels ils se défendent puissamment quand on les a irrités. Le grand tamandua est nommé par les habitans du Brésil tamandua-guacu ; il a une longue queue garnie de poils rudes comme des vergettes ; il s'en sert comme d'un manteau pour s'en couvrir tout le corps ; voyez Jean de Laet, Lery, Pison, Marggrave, & Barlaus dans leurs descriptions du Brésil. (D.J.)


TAMARA(Géog. mod.) ville d'Asie, dans l'île de Socotora, à l'entrée de la mer Rouge, sur la côte septentrionale de l'île. La rade s'ouvre entre est-par-nord & ouest-par-nord-ouest. On y mouille sur dix brasses d'eau, & sur un bon fond. Latit. 12. 30. (D.J.)

TAMARA, les îles de, (Géog. mod.) autrement les îles de los-Idolos ; îles d'Afrique sur la côte de la haute Guinée, le long de la côte de Serra Liona : on en tire du tabac, de l'ivoire, en échange de sel & d'eau-de-vie.


TAMARACou TAMARICA, (Géog. mod.) capitainerie du Brésil, dans l'Amérique méridionale ; elle est bornée au nord par celle de Parayba, au midi par celle de Fernambuc, au levant par la mer du Nord, & au couchant par les Tapuyes. Elle a pris son nom de l'île de Tamaraca, qui est à 5 lieues d'Olinde ou de Fernambuc. Son port est assez commode du côté du sud, & est défendu par un château bâti sur une colline. Quoique cette capitainerie soit fort tombée par le voisinage de celles de Fernambuc & de Parayba, elle ne laisse pas néanmoins de produire encore un grand profit à celui qui la possede. (D.J.)


TAMARE(Géog. anc.) ville de la Grande-Bretagne. Ptolémée, l. II. c. iij. la donne aux Domnonii. Son nom moderne est Tamertou.


TAMARINtamarindus, s. m. (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleur en rose, composée de plusieurs pétales disposés en rond ; le pistil sort du calice qui est profondement découpé, & il devient dans la suite une silique applatie, qui en renferme une autre dans laquelle on trouve une semence plate & ordinairement pointue. L'espace qui se trouve entre les deux siliques est rempli par une pulpe, le plus souvent noire & acide. Tournefort, inst. rei herb. App. Voyez PLANTE.

TAMARIN, (Hist. des drog. exot.) les tamarins sont nommés tamar-hendi par les Arabes, par Actuarius, & tamarindi dans les ordonnances de nos médecins.

Ce sont des fruits dont on nous apporte la pulpe, ou la substance médullaire, gluante & visqueuse, réduite en masse, de couleur noirâtre ; d'un goût acide. Elle est mêlée d'écorce, de pellicules, de siliques, de nerfs ou de filamens cartilagineux, & même de graines dures, de couleur d'un rouge-brun, luisantes, plus grandes que celles de la casse solutive, presque quadrangulaires & applaties.

Il faut choisir cette pulpe récente, grasse ou gluante ; d'un goût, de couleur noirâtre, acide, pleine de suc, & qui ne soit point falsifiée par la pulpe de pruneaux. Avant que de la mettre en usage, on la nettoye & on en ôte les peaux, les filamens & les graines. On l'apporte d'Egypte & des Indes.

On ne trouve aucune mention de ce remede dans les anciens grecs. Les Arabes l'ont appellé tamar-hendi, comme si l'on disoit fruit des Indes ; car le mot tamar, pris dans une signification étendue, signifie toutes sortes de fruits.

C'est donc mal-à-propos que quelques interpretes des Arabes nomment ce fruit petit palmier indien, ou dattes indiennes, puisque le fruit & l'arbre sont bien différens des dattes & du palmier.

L'arbre qui produit ces fruits s'appelle tamarinier, tamarindus. Rai, hist. 1748. Siliqua arabica, quae tamarindus. C. B. P. 403.

Sa racine se divise en plusieurs branches fibreuses, chevelues, qui se repandent de tous côtés & fort loin. Cet arbre est de la hauteur d'un noyer : il est étendu au large & touffu. Son tronc est quelquefois si gros, qu'à peine deux hommes ensemble pourroient l'embrasser ; il est d'une substance ferme, roussâtre, couvert d'une écorce épaisse, brune, cendrée & gersée : ses branches s'étendent de toutes parts & symmétriquement ; elles se divisent en de petits rameaux, où naissent des feuilles placées alternativement, & composées de neuf, dix & quelquefois de douze paires de petites feuilles, attachées sur une côte ; aucune feuille impaire ne termine ces conjugaisons, quoique dans les figures de Prosper Alpin, & dans celles du livre des plantes du jardin de Malabar, on représente une feuille impaire qui les termine. Ces petites feuilles sont longues d'environ neuf lignes, & larges de trois ou quatre, minces, obtuses, plus arrondies à leur base, & comme taillées en forme d'oreille ; elles sont acidules, d'un verd-gai, un peu velues en-dessous & à leurs bords.

Les fleurs sortent des aisselles des feuilles comme en grappes, portées par des pédicules grêles ; elles sont composées de trois pétales, de couleur rose, parsemés de veines sanguines, longs d'un demi-pouce, larges de trois ou quatre lignes & comme crépus ; l'un de ces pétales est toujours plus petit que les deux autres. Le calice est épais, pyriforme, partagé en quatre feuilles blanchâtres ou roussâtres, qui se refléchissent d'ordinaire en bas, & qui sont plus longues que les pétales ou feuilles de la fleur.

Le pistil qui sort du milieu de la fleur est crochu, accompagné seulement de trois étamines ; après que la fleur est passée, il se change en un fruit, semblable par sa grandeur & par sa figure aux gousses de feves : ce fruit est distingué par trois ou quatre protubérances, & muni de deux écorces, dont l'extérieure est rousse, cassante & de l'épaisseur d'une coque d'oeuf, & l'intérieure est verte & plus mince. L'intervalle qui se trouve entre ces écorces, ou le diploé, est occupé par une pulpe molle, noirâtre, acide, vineuse, un peu âcre ; il y a quantité de fibres capillaires qui parcourent ce fruit dans toute sa longueur, depuis son pédicule jusqu'à sa pointe ; l'écorce intérieure renferme des semences très-dures, quadrangulaires, applaties, approchant des lupins, d'un brun luisant & taché.

Le tamarinier croît en Egypte, en Arabie, dans les deux Indes, en Ethiopie, & dans cette partie de l'Afrique que l'on appelle le Sénégal. On nous en apporte les fruits concassés, ou plutôt la pulpe mêlée avec les noyaux, qui se vend sous le nom de tamarins.

Cet arbre produit quelquefois dans les étés chauds, une certaine substance visqueuse, acide & roussâtre, laquelle imite ensuite la crême de tartre, soit par sa dureté, soit par sa blancheur.

Les Turcs & les Arabes, étant sur le point de faire un long voyage pendant l'été, achetent, dit Belon, des tamarins, non pour s'en servir comme d'un médicament, mais pour se désaltérer. C'est pour la même fin qu'ils font confire dans le sucre, ou dans le miel, des gousses de tamarins, soit petites & vertes, soit plus grandes & mûres, pour les emporter avec eux lorsqu'ils voyagent dans les deserts de l'Arabie. En Afrique, les Negres en composent une liqueur, avec de l'eau & du sucre ou du miel, pour appaiser leur soif, & c'est un moyen très-bien trouvé. Ils appliquent les feuilles de l'arbre pilées sur les érésipeles. Les Egyptiens se servent du suc des mêmes feuilles pour faire périr les vers des enfans.

Les Arabes assurent tous d'un consentement unanime, que les tamarins ont la vertu purgative quand on les donne en dose suffisante ; il est vrai que c'est un purgatif doux & léger. Mais ce qui convient à peu de purgatifs, c'est que les tamarins non-seulement purgent, mais sont encore légerement astringens. L'usage les a rendus très-recommandables dans les inflammations, les diarrhées bilieuses, les fievres ardentes & putrides, la jaunisse, le diabète, le scorbut alkalin & muriatique. On en donne la pulpe dépouillée des pepins, des filamens, des pellicules, & passée par un tamis sous la forme de bol avec du sucre, ou délayée dans une liqueur convenable, en infusion ou en décoction.

Les tamarins sont encore propres à corriger par leur sel acide, & par leurs parties huileuses, les vices de quelques autres purgatifs violens, comme la scammonée, la lauréole, & les différentes especes de tithymale ; mais n'empêchent pas la vertu émétique des préparations d'antimoine, au contraire ils l'accroissent.

Il est singulier que les acides tirés des végétaux augmentent la vertu émétique, tandis que les acides minéraux la diminuent, & même la détruisent. (D.J.)

TAMARIN, voyez SINGE.


TAMARINIERS. m. (Hist. nat. Botan.) arbre qui porte les tamarins ; on l'a déja décrit en parlant des tamarins, il ne s'agit ici que de le caractériser d'après Linnaeus.

Le calice est à quatre feuilles ovales & égales. La fleur est composée de trois pétales, ovoïdes, un peu applatis, & cependant repliés ; ils sont plus petits que les feuilles du calice, dans lesquelles ils sont insérés, laissant une espace vuide au fond du calice. Les étamines sont trois filets qui naissent ensemble dans le calice, finissent en pointes, & se penchent vers les pétales de la fleur ; leurs bossettes sont simples ; le pistil a un germe ovale ; le style est aigu, & penché vers les étamines ; le stigma est unique. Le fruit est une longue gousse, de forme applatie, & couverte d'une double peau, entre laquelle est la pulpe ; cette gousse ne contient qu'une loge. Les semences sont angulaires, applaties, & au nombre de trois dans chaque gousse. Linnaei. gen. plant. pag. 9. (D.J.)


TAMARIStamariscus, s. m. (Hist. nat. Botan.) genre de plante à fleur en rose, composée de plusieurs pétales disposés en rond. Le pistil sort du calice & devient dans la suite une capsule semblable au fruit du saule ; elle est oblongue & membraneuse, elle s'ouvre en deux parties, & elle renferme des semences garnies d'une aigrette. Tournefort. Inst. rei herb. app. Voyez PLANTE.

TAMARIS, tamariscus, petit arbre qui se trouve en Espagne, en Italie, & dans les provinces méridionales de ce royaume. Il fait une tige assez droite, quand on a soin de le conduire, sans quoi il se charge de quantité de rameaux qui poussent horisontalement, & dont les plus vigoureux en exténuant la maîtresse tige, forment tantôt d'un côté, tantôt de l'autre, des coudes aussi défectueux qu'impossibles à redresser. Ce petit arbre s'éleve en peu de tems à 15 ou 20 piés. Son écorce est unie, rougeâtre, & d'un joli aspect sur les branches, au-dessous de l'âge de 4 ou 5 ans, mais fort rude & rembrunie sur le vieux bois. Ses racines sont longues, éparses, peu fibreuses, & d'une écorce lisse & jaune. Les feuilles de cet arbres sont si petites, qu'à peine peut-on les appercevoir en les regardant de fort près. Ce sont moins des feuilles qu'un fanage, qui de loin a la même apparence, à-peu-près, que celui des asperges. Ce sont les plus tendres rameaux qui constituent ce fanage, parce qu'ils sont entierement verds, & qu'ils se fannent & tombent pendant l'hiver ; à la différence des branches qui sont rougeâtres, & qui ne tombent pas : ce fanage est d'un verd tendre & bleuâtre, d'un agrément fort singulier. Quoique tous ceux de nos auteurs modernes qui ont parlé de cet arbre, s'accordent à dire que cet arbre fleurit trois fois ; il n'en est pas moins vrai qu'il ne donne qu'une fois des fleurs pendant les mois de Juin & de Juillet. Elles sont très-petites, & rassemblées fort près en grappes d'un pouce environ de longueur, sur autant de circonférence ; leur couleur purpurine blanchâtre avant de s'ouvrir, lorsqu'elles sont épanouies, les rend assez apparentes. Les graines qui succedent sont extrêmement petites & renfermées dans une capsule triangulaire & oblongue, qui s'ouvre & laisse tomber les semences à la fin de l'été.

Le tamaris, quoiqu'originaire des pays chauds, résiste au froid de la partie septentrionale de ce royaume. Son accroissement est très-prompt, il vient assez bien dans toutes sortes de terreins, pourvu qu'il y ait de l'humidité, ou au moins de la fraîcheur : il se plaît le long des rivieres & des ruisseaux, au-tour des étangs & des eaux dormantes ; mais plus particulierement sur les plages maritimes & les bords des marais salans. On a même remarqué que le tamaris étoit presque le seul bois que produisent les terres salées des environs de Beaucaire. Néanmoins on le voit réussir dans différens terreins, quoique médiocres & éloignés des eaux. Il se multiplie très-aisément de branches couchées, & sur-tout de bouture qui est la voie la plus courte ; elles réussissent assez généralement de quelque façon qu'on les fasse, quand même on les planteroit à rebours ; & quoiqu'on les laisse exposées au grand soleil. Il faut préférer pour cela les branches qui sont de la grosseur du doigt : elles poussent souvent de 4 piés de hauteur dès la premiere année. On les fait au printems.

La singularité du fanage & des fleurs de cet arbre, & la durée de sa verdure qui ne se flétrit que fort tard en hiver, & qui n'est sujette à aucuns insectes, peuvent engager à l'employer pour l'agrément dans des bosquets d'arbres curieux.

Le bois du tamaris est blanc, assez dur & très-cassant. On en fait dans les pays chauds de petits barrils, des gobelets & autres vaisseaux, dans lesquels on met du vin, que l'on fait boire quelque tems après, comme un souverain remede aux personnes attaquées d'obstructions, & sur-tout pour prévenir les opilations de la rate. Mais la Médecine tire encore d'autres services des différentes parties de cet arbre. Les Teinturiers se servent des graines pour leur tenir lieu de noix de galles, & teindre en noir.

On connoît deux especes de tamaris.

I. Le tamaris de France ou de Narbonne ; c'est à cette espece qu'il faut particulierement appliquer le détail que l'on vient de faire.

II. Le tamaris d'Allemagne. Il s'éleve moins que le précédent. Son fanage a plus de consistance, & il est bien plus précoce, sa verdure est bleuâtre & plus agréable ; ses fleurs sont plus apparentes, & durent pendant tout l'été. Son écorce est jaunâtre ; son accroissement est aussi promt, & sa multiplication aussi aisée ; mais il exige absolument un terrein humide, du reste il a les mêmes propriétés.

Notre tamaris ou tamarisc, nommé tamariscus Narbonensis, J. R. H. 661, a la racine grosse, à-peu-près comme la jambe ; elle pousse une ou plusieurs tiges en arbrisseau, lequel forme quelquefois un arbre, à-peu-près comme un coignassier, ayant le tronc couvert d'une écorce rude, grise en-dehors, rougeâtre en-dedans, & le bois blanc. Ses feuilles sont petites, longues & rondes, approchantes de celles du cyprès, d'un verd pâle.

Ses fleurs naissent aux sommités de la tige & des rameaux sur des pédicules oblongs, disposées en grappes petites, purpurines, composées chacune de cinq pétales. Lorsque ces fleurs sont passées, il leur succede des capsules ou fruits pointus, qui contiennent plusieurs semences menues, & chargées d'aigrettes.

Cet arbre croît principalement dans les pays chauds comme en Italie, en Espagne, en Languedoc & ailleurs, proche des rivieres & autres lieux humides. Il fleurit d'ordinaire trois fois l'année, au printems, en été & en automne. Il se dépouille de ses feuilles pendant l'hiver & tous les ans, il en repousse de nouvelles au printems ; il demande une terre humide & noire ; il se multiplie de bouture, & de rejettons.

TAMARIS, (Mat. méd. & Chimie) tamaris, petit tamaris ou tamaris d'Allemagne ; & tamaris de Narbonne, tamaris ordinaire ou commun.

On attribue les mêmes vertus à l'un & à l'autre de ces arbrisseaux.

L'écorce du bois & de la racine est très-communément employée dans les aposèmes & les bouillons apéritifs, & principalement dans ceux qu'on ordonne contre les obstructions des visceres du bas-ventre, & les maladies de la peau.

Cette écorce est regardée aussi comme un bon diurétique. Quelques auteurs ont assuré qu'elle étoit très-utile contre les maladies vénériennes, mais cette propriété n'est rien moins qu'éprouvée.

Les anciens pharmacologistes lui ont attribué la vertu très-singuliere, mais vraisemblablement très-imaginaire, de détruire & consumer la rate.

Le sel lixiviel du tamaris, est d'un usage très-commun dans les bouillons & les aposèmes fondans, purifians, diurétiques, fébrifuges, & dans les opiates & les poudres fébrifuges. La nature de ce sel a été parfaitement inconnue des Chimistes, jusqu'au commencement de l'année 1759, tems auquel M. Montel, célebre apoticaire de Montpellier, de la société royale des Sciences, démontra que c'étoit un vrai sel de Glauber absolument pur. (b)

TAMARIS, (Géogr.) fleuve de l'Espagne tarragonoise, au voisinage du promontoire Celtique, selon Pomponius Mela, l. III. c. j. Ce fleuve est nommé Tamara par Ptolémée, l. II. c. vj. qui marque son embouchure entre celle du fleuve Via ; & le port des Artabreres. Le tamaris donnoit son nouveau nom aux peuples qui habitoient sur ces bords. On les appelloit Tamarius. On nomme aujourd'hui ce fleuve, Tambra, qui signifie délices ; il se jette dans l'Océan, auprès de Maros, sur la côte de la Galice. Plin. l. XXXI. c. ij. lui donne trois sources, qu'il nomme Tamaricifontes. (D.J.)


TAMAROLE, (Géog. mod.) riviere d'Italie, au royaume de Naples, dans la principauté ultérieure. Elle a sa source au mont Apennin, & se perd dans le Calore, un peu au-dessus de la ville de Benevent. (D.J.)


TAMARUS(Géog. anc.) 1°. Fleuve de la grande Bretagne. Ptolémée, l. II. c. iij. marque son embouchure sur la côte méridionale de l'île, entre l'embouchure du Céciou, & celle de l'Isaca. Je crois, dit Ortelius, que ce pourroit être aujourd'hui le Tamer, mais Cambden l'affirme.

2°. Tamarus, est encore une montagne de la Macédoine vers l'Epire, selon Strabon, l. VII. 327.

3°. Tamarus, est aussi le nom d'un lieu d'Italie, aux environs de la Campagnie. (D.J.)


TAMASA(Géogr. mod.) riviere d'Asie, dans la Mingrélie. Elle se jette dans la mer noire, au nord de l'embouchure du Fazzo. C'est le Charistus ou Chariste de Pline, de Ptolémée & de Strabon. (D.J.)


TAMASSE(Géog. anc.) Tamassus ; ville de l'île de Cypre, selon Ptolémée, l. V. c. iv. qui dit qu'elle étoit dans les terres. Pline & Etienne le géographe lisent Tamaseus, leçon qui n'est pas à rejetter, parce qu'on lit le mot , Tamasitarum, sur une médaille rapportée dans le trésor de Goltzius, outre qu'on trouve dans Ovide, métamorph. l. X. v. 643.

Est ager indigenae Tamaseum nomine dicunt.

Telluris Cypriae pars optima.

(D.J.)


TAMATIAS. m. (Hist. nat. Ornithol.) nom d'un oiseau fort singulier du Bresil ; il est du genre des poules, & cependant bien différent de toutes celles que nous connoissons en Europe. Sa tête est fort grosse, ses yeux sont gros & noirs, son bec est long de deux travers de doigt, large d'un, fait en quelque maniere comme celui du canard, mais pointu à l'extrêmité ; la lame supérieure est noire ; l'inférieure jaune ; ses jambes & ses orteils sont longs, & ses cuisses en partie chauves ; sa queue est fort courte ; sa tête est noire ; son dos & ses aîles sont d'un brun obscur ; son ventre est de même couleur, avec un mêlange de blanc. (D.J.)


TAMAVOTAou TAMOUTIATA, s. m. (Hist. nat. Ichthiol.) poisson qui se trouve dans les rivieres du Bresil ; il a la tête fort grosse, les dents très-aiguës, & des écailles si dures qu'elles sont à l'épreuve du fer ; sa grandeur est la même que celle d'un hareng.


TAMBA(Géog. mod.) ville des Indes, au royaume de Décan, entre Visapour & Dabul, sur une riviere nommée Cogna ; Mandeslo dit que cette ville est assez grande & assez peuplée. Ses habitans sont banians de religion. (D.J.)


TAMBA-AURA(Géog. mod.) ville d'Afrique, dans la Nigritie, au royaume de Bambuc, à trente lieues à l'est de la riviere de Tralemé. Elle est remarquable par sa mine d'or qu'on dit la plus abondante du pays, & qui lui a valu le nom de Tamba-aura.


TAMBASINELA (Géog. mod.) riviere d'Afrique dans la haute-Guinée, elle vient des montagnes nommées Machamba, & coule au royaume de Sierra-Lione. (D.J.)


TAMBOSS. m. (Hist. mod.) c'est le nom que les anciens Péruviens, sous le gouvernement des Incas, c'est-à-dire, avant la venue des Espagnols, donnoient à des especes de magasins établis de distance en distance, où l'on conservoit des habits, des armes & des grains, ensorte que par tout l'empire une armée nombreuse pouvoit être fournie en chemin, de vivres & d'équipages, sans aucun embarras pour le peuple. Les tambos étoient en même tems des hôtelleries où les voyageurs étoient reçus gratis.


TAMBOULAS. m. instrument des negres de l'Amérique, servant à marquer la cadence lorsqu'ils s'assemblent en troupe pour danser le calinda ; c'est une espece de gros tambour, formé du corps d'un tonneau de moyenne grosseur, ou d'un tronçon d'arbre creusé, dont l'un des bouts est couvert d'une peau préparée & bien tendue ; cet instrument s'entend de fort loin, quoique le son en soit sourd & lugubre : l'action de frapper le tamboula s'appelle baboula, & la maniere de s'en servir est de le coucher par terre, en s'asseyant dessus, les jambes écartées à-peu-près comme on représente Bacchus sur son tonneau ; le negre, dans cette situation, frappe la peau du plat de ses deux mains, d'une façon plus ou moins accélerée, & plus ou moins forte, mais toujours en mesure, pour indiquer aux danseurs les contorsions & les mouvemens vifs ou ralentis qu'ils doivent exécuter ; ce qu'ils font tous avec une extrême justesse & sans confusion ; leur principale danse, qu'ils nomment calinda, s'exécute presque toujours terre-à-terre, variant les attitudes du corps avec assez de graces, & agitant les piés devant eux & par le côté, comme s'ils frottoient la terre : ce pas a ses difficultés pour l'exécuter avec précision, sur-tout en tournant par intervalles réglés. Nos chorégraphes pourroient en tirer parti dans la composition de leurs ballets, & le nommer pas de calinda ou de frotteur.

Dans les assemblées nombreuses, le tamboula est toujours accompagné d'une ou deux especes de guittare à quatre cordes, que l'on appelle banzas ; les négres entremêlent cette musique de chansons à voix seule, dont les refrains se repétent en chorus par toute la troupe, avec beaucoup de justesse ; ce qui de loin, ne produit pas un mauvais effet. Article de M. LE ROMAIN.


TAMBOUR(Art milit.) ce mot signifie également l'instrument militaire qu'on nomme autrement la caisse, & celui qui en bat.

L'instrument de guerre qu'on nomme tambour, est moins ancien que la trompette : on ne voit pas que les romains s'en soient servis à la guerre. La partie sur laquelle frappent les baguettes, a toujours été une peau tendue : on se sert depuis long-tems de peau de mouton. Ce qu'on appelle maintenant la caisse, parce qu'elle est de bois, a été souvent de cuivre ou de laiton, comme le corps de tymbale d'aujourd'hui. Le tambour est pour l'infanterie, comme la trompette pour la cavalerie ; & les batteries de tambour sont différentes, suivant les diverses rencontres : on dit battre la diane, &c.

On se sert du tambour pour avertir les troupes de différentes occasions de service, soit pour proposer quelque chose à l'ennemi ; cette derniere espece de batterie s'appelle chamade. Chaque régiment d'infanterie a un tambour major, & chaque compagnie a le sien particulier. Battre aux champs, ou battre le premier, est avertir un corps particulier d'infanterie, qu'il y a ordre de marcher ; mais si cet ordre s'étend sur toute l'infanterie d'une armée, cette batterie s'appelle la générale. Battre le second, ou battre l'assemblée, c'est avertir les soldats d'aller au drapeau. Battre le dernier, c'est pour aller à la levée du drapeau. Battre la marche, c'est la batterie ordonnée, quand les troupes commencent à marcher.

Dans un camp, il y a une batterie particuliere pour régler l'entrée & la sortie du camp, & déterminer le tems que les soldats doivent sortir de leurs tentes. Battre la charge, ou battre la guerre, c'est la batterie pour aller à l'ennemi ; battre la retraite, c'est la batterie ordonnée après le combat, c'est aussi celle qui est ordonnée dans une garnison, pour obliger les soldats à se retirer sur le soir dans leurs casernes ou chambrées ; battre en tumulte & avec précipitation, se dit pour appeller promtement les soldats, lorsque quelque personne de qualité passe inopinément devant le corps-de-garde, & qu'il faut faire la parade ; on bat la diane au point du jour, dans une garnison, mais lorsqu'une armée fait un siege, il n'y a que les troupes d'infanterie qui ont monté la garde, & sur-tout celles de la tranchée, qui fassent battre la diane au lever de l'aurore, alors cette batterie est suivie des premieres décharges de canon que l'obscurité de la nuit avoit interrompues, par l'impossibilité de pointer les pieces à propos sur les travaux des assiégés. Quand un bataillon est sous les armes, les tambours sont sur les aîles, & quand il défile, les uns sont postés à la tête, les autres dans les divisions & à la queue. Dict. mil. (D.J.)

TAMBOUR, (Luth.) cet instrument a plusieurs parties qu'il faut distinguer ; il y a le corps ou la caisse. On peut la faire de laiton ou de bois. Communément on la fait de chêne ou de noyer. Sa hauteur est égale à sa largeur. Les peaux dont on la couvre se bandent par le moyen de cerceaux, auxquels sont attachées des cordes qui vont d'un cerceau à l'autre ; ces cordes se serrent par le moyen d'autres petites cordes, courroies ou noeuds mobiles sur les premieres. Chaque noeud embrasse deux cordes. Le noeud est fait de peau de mouton. Les facteurs, au-lieu de noeud, disent tirant. Les peaux du tambour sont de mouton, & non d'âne. On les choisit fortes & foibles, selon l'étendue du tambour. Il y a la peau de dessus, sur laquelle on frappe avec les baguettes ; & la peau de dessous qui est traversée d'une corde à boyau qui s'étend aussi, & qu'on appelle le timbre du tambour. Le timbre est fait d'une seule corde mise en double, ou de deux cordes. Il est fixé d'un bout sur le cerceau, & de l'autre il passe par un trou, au sortir duquel on l'arrête avec une cheville, qui va en diminuant comme un fosset ou cône. La corde ou le timbre se tend plus ou moins, selon qu'on force plus ou moins la cheville, dont le diametre augmentant à mesure qu'on l'enfonce davantage, bande le timbre de cet accroissement. Les cercles qui tiennent ou serrent les peaux sur la caisse s'appellent vergettes. Il en est des baguettes comme des battans de cloches, il faut les proportionner à la grosseur du tambour.

Ce tambour s'appelle tambour militaire ; mais il y en a de deux autres sortes ; l'un qu'on appelle tambour de Provence. Il ne differe proprement du premier qu'en ce qu'il est plus long ; on l'appelle plus communément tambourin. L'autre, qui s'appelle tambour de basque : c'est une espece de fas couvert d'une seule peau, dont la caisse qui n'a que quelques doigts de hauteur, est garnie tout-autour ou de grelots ou de lames sonores. On le tient d'une main, & on le frappe avec les doigts de l'autre.

La hauteur & la largeur des tambours doivent garder entr'elles les mêmes proportions que les cloches, pour faire les accords qu'on souhaite. Si l'on veut que quatre tambours sonnent ut, mi, sol, ut, il faut que leurs hauteurs soient entr'elles comme les nombres 4, 5, 6, 8.

Les plus grandes peaux qu'on puisse trouver pour ces instrumens n'ont que deux piés & demi de large.

Il faut de l'oreille pour accorder des tambours entr'eux. Il en faut aussi beaucoup pour battre des mesures, & une grande légereté & fermeté de mains pour battre des mesures composées & des mouvemens vifs. C'est la force des coups plus ou moins violens qui doit séparer les mesures, & distinguer les tems. Il faut que les intervalles des coups répondent à la durée des notes de l'air.

TAMBOUR, membrane du, (Anatomie) autrement dite le tympan de l'oreille est une pellicule mince, transparente, & un peu plate, dont le bord est rond & fortement engagé dans la rainure orbiculaire, qui distingue le conduit osseux de l'oreille externe d'avec la caisse du tambour. Elle est très-bandée ou tendue, sans être tout-à-fait plate ; car du côté du conduit externe, elle a une concavité légerement pointue dans le milieu ; & du côté de la caisse, elle a une convexité qui va pareillement en pointe dans le milieu qui est fait comme le centre.

Cette membrane, en partie connue dès le tems d'Hippocrate, est située obliquement. La partie supérieure de sa circonférence est tournée en-dehors, & la partie inférieure est tournée en-dedans, conformément à la direction de la rainure osseuse. Elle est composée de lames très-fines & très-adroitement collées ensemble, arrosées de vaisseaux sanguins découverts & injectés par Ruysch. La lame externe est une production de la peau & de l'épiderme du conduit auditif externe. On les en peut tirer ensemble comme un doigt de gant. La lame interne n'est que la continuation du périoste de la caisse. On peut encore diviser chacune de ces lames en d'autres, principalement après avoir fait macérer la membrane entiere dans de l'eau. Elle est couverte extérieurement d'une toile mucilagineuse très-épaisse dans la premiere enfance.

L'enfoncement du centre de la membrane du tambour ou peau du tympan se fait par l'attache de l'osselet, appellé marteau, dont le manche est fortement collé à la face interne de la membrane, depuis la partie supérieure de sa circonférence jusqu'au centre où est attaché le bout du manche.

Le périoste du tympan produit celui des osselets ; il devient assez visible par l'injection anatomique qui fait paroître des vaisseaux capillaires, très-distinctement ramifiés sur la surface de ces osselets. Il se continue sur les deux fenêtres, & s'insinue dans le conduit d'Eustachi où il s'efface en se confondant avec la membrane interne du conduit.

On sait des gens qui peuvent éteindre une bougie en faisant sortir de l'air par le conduit de l'oreille ; d'autres, en fumant, en font sortir de la fumée de tabac, ce que j'ai vu exécuter par quelques personnes quand j'étois en Hollande.

Quelques-uns croient que cela ne peut arriver que parce que le tympan est percé ; mais la perforation du tympan causeroit une surdité quelque-tems après ; or comme je n'ai point vu les personnes de ma connoissance qui rendoient la fumée par l'oreille, perdre l'ouïe en tout, ni en partie, pendant plusieurs années, cette explication tombe d'elle-même. D'autres veulent, avec Dionis, que la membrane du tambour ne tient pas également à toute la circonférence du cercle osseux dans lequel elle est enchâssée, mais qu'il y a à la partie supérieure un endroit auquel elle est moins collée, & par où quelques-uns peuvent faire passer la fumée qu'ils ont dans la bouche. Il est certain qu'il faut qu'il y ait alors quelque ouverture ; mais Dionis ne dit point avoir vu cet endroit décollé ou détaché dont il parle. Divers anatomistes l'ont inutilement cherché avec beaucoup de soin, & dans plusieurs sujets. Valsalva, en faisant des injections dans le canal d'Eustachi, n'a jamais pu faire passer aucune liqueur dans le conduit de l'oreille, mais cette expérience ne prouve rien contre le passage de la fumée ou de l'air. Il imagine pourtant d'avoir trouvé un passage dans un autre endroit du tambour, dans des têtes de personnes mortes de maladie & de mort violente. Cowper assure qu'on trouve cette ouverture à l'endroit supérieur de cette membrane. Rivinus & quelques autres soutiennent que le tambour est percé dans l'endroit où le manche du marteau s'attache à sa tête, & que c'est par-là que la fumée du tabac passe. Cependant plusieurs anatomistes du premier ordre cherchent en vain ce petit trou oblique dont parle Rivinus, & ce n'est vraisemblablement qu'un jeu de la nature : car Ruysch dit avoir rempli la caisse du tambour de vif-argent par le canal d'Eustachi, & que rien de ce métal fluide ne trouva d'issue vers l'oreille extérieure.

On ne regarde plus la membrane du tambour comme le principal organe de l'ouïe depuis une expérience qu'on fit à Londres sur deux chiens, & qui est mentionnée dans Willis & dans les actes de la société royale. On prit deux chiens, on leur creva le tympan, & ils n'entendirent pas moins bien qu'auparavant la voix de ceux qui les appelloient, cependant peu de tems après ils perdirent l'ouïe. Peut-être cette membrane sert-elle de prélude ou de préparation à l'ouïe même. Derham pense qu'un de ses grands usages est de proportionner les sons à l'organe intérieur ; que par sa tension & son relâchement elle se met à l'unisson avec toutes sortes de sons, comme la prunelle se proportionne aux divers degrés de lumiere. Une preuve de l'usage de cette tension & de ce relâchement de la membrane du tambour pour entendre distinctement les sons, c'est que les sourds entendent plus facilement au milieu d'un grand bruit. Or, suivant Derham, qui a fait sur ce sujet de profondes recherches, voici la maniere dont les impressions du son se communiquent au nerf auditif.

Premierement, elles agissent sur le tympan & sur le marteau, ensuite le marteau agit sur l'enclume, celui-ci sur l'os orbiculaire & sur l'étrier, & enfin l'étrier communique cette action au nerf auditif ; car la base de l'étrier ne couvre pas seulement la fenêtre ovalaire au-dedans de laquelle le nerf est situé, mais une partie de ce nerf même se répand sur cette base. Il est vraisemblable que c'est-là la maniere dont se fait l'ouïe, ajoute-t-il, parce que le tympan étant remué, on peut voir tous les petits osselets se remuer en même-tems, & pousser la base de l'étrier alternativement dehors, dans le trou & dans la fenêtre ovalaire. On le voit dans la taupe, on le peut voir aussi dans les oreilles des autres animaux avec soin, & de maniere que les parties gardent leur situation naturelle.

Le tympan est bandé & relâché par le moyen des petits muscles qui s'attachent au marteau : mais comment cette membrane se bande & se relâche-t-elle si promptement ? comment communique-t-elle sans notre volonté & avec tant de proportion les divers tremblemens de l'air aux autres parties de l'oreille interne ? C'est, répond-on, une membrane seche, mince, transparente, ces conditions la rendent très-propre à cet usage ; s'il lui survient quelque altération en ces qualités, il en arrive des duretés d'oreille ; tout cela est vrai, mais tout cela n'explique point une infinité de phénomenes qui concernent l'ouïe, les sons & la musique.

Les usages que quelques anatomistes assignent au tympan, comme les seuls & les principaux, savoir de fermer l'entrée à l'air froid du dehors, à la poussiere & à d'autres choses nuisibles, ne sont que des usages subalternes ou du second ordre : c'est comme si l'on disoit, que la peau d'un tambour ne sert qu'à empêcher qu'il n'entre de l'air & de la poussiere dans la caisse. (D.J.)

TAMBOUR, c'est, dans la Fortification, une traverse dont on se sert pour empêcher les communications du chemin couvert aux redoutes & lunettes d'être enfilées. Voyez REDOUTE. Voyez aussi Pl. IV. de Fortification, fig. 3. les traverses des communications des places-d'armes R & P, aux lunettes ou redoutes A & B.

Le tambour, outre l'avantage qu'il a de couvrir les communications de l'enfilage, sert encore à les défendre ou à flanquer. (Q)

TAMBOUR, (Marine) c'est un assemblage de plusieurs planches clouées sur les jottereaux de l'éperon, & qui servent à rompre les coups de mer qui donnent sur cette partie de la proue.

TAMBOUR, s. m. (Hydraul.) est un coffre de plomb, dont on se sert dans un bassin pour rassembler l'eau qu'on doit distribuer à différentes conduites, ou à plusieurs jets. Voyez MARMITE.

Ce peut être encore un tuyau triangulaire, fait d'une table de plomb, dont on forme un tuyau de différentes grosseurs par les deux bouts, pour raccorder un tuyau de six pouces de diametre sur un de trois. (K)

TAMBOUR, en Architecture, c'est un mot qui se dit des chapiteaux corinthiens & composites, à cause qu'ils ont quelques ressemblances à l'instrument que les François appellent tambour ; quelques-uns l'appellent vase, & d'autres campan, cloche, &c.

On se sert aussi du mot tambour pour exprimer un retranchement de bois couvert d'un plafond ou d'un lambris pratiqué dans le côté d'un porche ou vestibule, ou en face de certaines églises, afin d'empêcher la vue des passans & l'incommodité du vent par le moyen des doubles portes.

Tambour signifie aussi un arrondissement de pierre, dont plusieurs forment le fût d'une colonne qui n'est pas aussi haut qu'un diametre.

On appelle encore tambour chaque pierre, pleine ou percée, dont le noyau d'un escalier à vis est composé. (D.J.)

TAMBOUR, en Méchanique, est une espece de roue placée au-tour d'un axe ou poutre cylindrique, au sommet de laquelle sont deux leviers ou bâtons enfoncés pour pouvoir plus facilement tourner l'axe, afin de soulever les poids qu'on veut enlever. Voyez AXE dans le tambour, TOUR & TREUIL.

TAMBOUR, maniere de broder au tambour. Le tambour est un instrument d'une forme circulaire, sur lequel, par le moyen d'une courroie & d'une boucle, ou de différens cerceaux qui s'emboîtent les uns dans les autres, on tient tendue une toile ou une étoffe légere de soie, sur laquelle on exécute avec une aiguille montée sur un manche, & qui a sa forme particuliere, le point de chaînette, soit avec un fil de soie nue, ou couvert d'or ou d'argent, & cela avec une vîtesse & une propreté surprenante. Avec ce seul point, on forme des feuilles, des fleurs, des ramages, & une infinité d'objets agréables dont on embellit l'étoffe destinée à des robes & autres usages. Voyez dans nos Planches le tambour & ses détails, l'aiguille, & même la maniere de travailler, qu'elles feront concevoir plus clairement que tout ce que nous en pouvons dire.

Pour broder au tambour lorsque l'étoffe est montée sur le métier, on prend la soie, on y fait un noeud, on la prend de la main gauche, on en étend une portion en prenant le noeud entre le bout du pouce & le bout de l'index, & passant le fil entre le doigt du milieu & le troisieme sous l'étoffe tendue ; on tient l'aiguille de la droite ; on passe l'aiguille à-travers l'étoffe en-dessus ; on accroche la partie de la soie tendue avec le crochet de l'aiguille ; on tire l'aiguille, la soie vient en-dessus & forme une boucle. On retourne l'aiguille, la soie sort de son crochet ; on renfonce l'aiguille entre les deux brins de la boucle ; on tourne la soie en-dessous sur l'aiguille ; on tire l'aiguille, la soie se place dans son crochet lorsque sa pointe est sur le point de sortir de l'étoffe ; quand elle en est sortie, elle attire la soie de-rechef en boucle ; on fait passer cette boucle sur la premiere, & l'on continue de faire ainsi des petites boucles égales, serrées, & passées les unes dans les autres, ce qui a fait appeller l'ouvrage chaînette.

L'aiguille, l'écrou du manche & le crochet sont dans la même direction. C'est l'écrou qui dirige le mouvement.

Si l'on travaille de bas-en-haut, on tourne le fil autour de l'aiguille sur l'aiguille, c'est-à-dire que quand le fil commence à passer sur elle, elle est entre le fil & le corps de celui qui brode.

Si l'on travaille de bas-en-haut, au contraire quand on commence le tour du fil sur l'aiguille, c'est le fil qui est entre le brodeur & l'aiguille.

Comme l'aiguille est grosse par en-bas, & est menue par la pointe, le trou qu'elle fait est large, & le crochet qui est à la pointe passe sans s'arrêter à l'étoffe.

TAMBOUR, s. m. (Lutherie) machine ronde qui toute seule sert à faire jouer des orgues sans le secours de la main. Sur ce tambour il y a des reglets comme sur un papier de musique, & à la place des notes, il y a des pointes de fer qui accrochent & font baisser les touches selon le son qu'on desire en tirer. (D.J.)

TAMBOUR, (terme de Boisselier) les ouvriers qui les font les appellent chauffe chemises. C'est une machine de bois ou d'osier en forme de caisse de véritable tambour, haute de quatre à cinq piés, & large d'un pié & demi, avec un couvercle. Au milieu de cette machine est tendu un réseau à claire voie, sur lequel on met une chemise ou autre linge. Il y a dessous un réchaud plein de charbon pour chauffer ou sécher cette chemise ou autre linge. (D.J.)

TAMBOUR, en terme de Confiseur, est un tamis fort fin pour passer du sucre en poudre. Voyez les Pl. du Confiseur & leur explic. La premiere est le couvercle ; la seconde est le tamis, & la troisieme la boîte qui reçoit les matieres qui ont passé au-travers du tamis. Ces trois pieces s'ajustent ensemble, ensorte que le tamis entre dans les deux autres.

TAMBOUR, (Horlogerie) nom que l'on donne ordinairement à cette piece d'une montre que les horlogers appellent le barillet. Voyez BARILLET, & les Planches de l'Horlogerie.

TAMBOUR, ouvrage de Menuiserie, qui se plaçoit autrefois devant les portes pour empêcher l'entrée du vent ; il n'est plus d'usage que pour les églises.

Tambour se dit aussi de la menuiserie qui recouvre quelque saillie dans un appartement.

TAMBOUR, (Paumier) c'est une partie du grand mur d'un jeu de paume, qui avance dans le jeu de quatre ou cinq pouces. Le tambour commence à-peu-près à la moitié de la distance de la corde de la grille, & continue jusqu'à la grille, ce qui retrécit le jeu de paume d'environ quatre ou cinq pouces dans cet espace. Les jeux de paume appellés quarrés n'ont point de tambour ; il n'y a que ceux qu'on nomme des dedans.

TAMBOUR, (Serrur.) piece d'une figure ronde qui en renferme d'autres, comme on voit aux serrures des coffres-forts. Les pertuis sont montés dans le tambour.

TAMBOUR, (Soierie) machine sur laquelle on porte les chaînes pour les plier, ou pour les chiner.

TAMBOURS, s. m. pl. (Sucrerie) espece de gros cylindres de fer qui servent à écraser les cannes, & en exprimer le suc dans les moulins à sucre. On les nomme quelquefois rouleaux ; mais c'est improprement, le rouleau n'étant que le cylindre de bois dont on remplit le tambour, à-travers duquel passe l'axe ou pivot sur lequel il tourne. Savary. (D.J.)


TAMBOURE-CISSAS. m. (Hist. nat. Botan.) arbre de l'île de Madagascar, qui produit un fruit semblable à une pomme, dont la propriété est de s'ouvrir en quatre lorsqu'il est parvenu à maturité ; sa chair est remplie de grains orangés, couverts d'une peau tendre qui donne une teinture semblable à celle du rocou.


TAMBOURINS. m. sorte de danse fort à la mode aujourd'hui sur nos théâtres. L'air en est très-gai, & se bat à deux tems vifs. Il doit être à l'imitation du flûtet des Provençaux, & la basse doit toujours refrapper la même note, à l'imitation du tambourin ou galoubé, dont celui qui joue du flûtet s'accompagne ordinairement. (S)

TAMBOURIN, voyez l'article TAMBOUR.

TAMBOURIN, (Lutherie) il y a un instrument à cordes & de percussion de ce nom. C'est un long coffre de bois, sur lequel sont montées des cordes de laiton, que l'on frappe avec des baguettes. Celui qui joue de cet instrument le tient debout de la main ou plutôt du bras gauche, & le frappe de la main droite.

TAMBOURIN, (terme de Jouaillier) ou TABOURIN ; c'est une perle ronde d'un côté & plate de l'autre, qui ressemble à une tymbale.


TAMBRELA, (Géog. mod.) riviere d'Espagne, en Galice. Elle prend sa source dans les montagnes, au nord de Compostelle, d'où elle court au sud-ouest & va se rendre dans la mer.


TAME(Géog. mod.) bourg à marché d'Angleterre, dans Oxfordshire, sur la riviere de Tame, qui se joignant à l'Issis, prend le nom de Thamise. Voyez THAMISE.


TAMERLA, (Géog. mod.) riviere d'Angleterre. Elle a sa source dans Devonshire, qu'elle sépare de la province de Cornouaille ; son embouchure est dans le havre de Plimouth. (D.J.)


TAMETANES(Hist. nat. Botan.) fruit de l'île de Madagascar, dont la racine est aussi jaune que du safran, & dont on se sert pour la teinture. C'est la même qui est connue en Europe sous le nom de terra merita.


TAMIA(Géog. anc.) ville de la grande-Bretagne. Ptolémée, liv. II. c. iij. la donne aux Vacomagi, & la place au voisinage de Banatia & d'Alata-Castra. Cambden croit que ce pourroit être aujourd'hui Tanéa, lieu d'Ecosse au comté de Ross. (D.J.)


TAMINES(Géog. anc.) Tamyna ; ville de l'Eubée, dans le territoire de la ville d'Erétrie, selon Strabon, liv. X. p. 447. & Etienne le géographe. C'est près de cette ville que les Athéniens défirent les Chalcidiens qui étoient commandés par Callias, & par Taurosthène freres.


TAMISS. m. (Crainier) instrument qui sert à passer des drogues pulvérisées quand on en veut séparer la partie la plus fine d'avec celle qui est la plus grossiere. On s'en sert aussi pour couler les liqueurs composées & en ôter le marc. Le tamis est fait d'un cercle de bois mince & large à discrétion, au milieu duquel est placé un tissu de toile, de soie, de crin, ou de quelqu'autre toile claire, suivant l'usage qu'on en veut faire. C'est dans la partie supérieure du tamis que l'on met la drogue pulvérisée, & où l'on verse la liqueur qu'on veut épurer. Lorsque les drogues qu'on a dessein de tamiser, s'évaporent facilement, on met un couvercle au tamis, quelquefois tout de bois, & quelquefois avec le cercle de bois, & le dessus de cuir. Savary. (D.J.)

TAMIS, en terme de Blanchisserie, est un cerceau garni d'un tissu de corde formant divers quarrés, avec lequel on ramasse les pains.

TAMIS, instrument de Chimie & de Pharmacie ; sert à hâter la préparation des poudres subtiles, en séparant les parties les plus atténuées des parties les plus grossieres, auxquelles on fait essuyer une nouvelle trituration, qu'on tamise de nouveau, & ainsi successivement, &c. Les tamis dont on se sert dans les laboratoires de chimie & les boutiques des Apoticaires, sont couverts ou découverts. Les derniers ne different en rien des tamis les plus vulgaires, du tamis ou sas à passer la farine, &c. Il est de crin ou de soie, selon qu'on le veut, d'un tissu plus ou moins serré ; cette espece de tamis ne sert qu'à préparer les poudres les plus grossieres & les moins volatiles, ou qui sont tirées des matieres les plus viles. Les tamis sont composés de trois pieces ; celle du milieu est un tamis ordinaire ; les deux autres sont un couvercle & un fond formé par un parchemin ou une peau tendue sur un cercle de bois mince. Ces tamis, qui sont les plus usités & les mieux entendus, servent à la préparation des poudres les plus subtiles, les plus volatiles & les plus précieuses. Voyez PULVERISATION, Chimie & Pharmacie.

TAMIS, (instrument de Chapelier) les Chapeliers se servent du tamis de crin, au lieu de l'instrument qu'ils appellent arçon, pour faire les capades de leurs chapeaux. (D.J.)

TAMIS, (terme d'Organiste) piece de bois percée, à-travers de laquelle passent les tuyaux de l'orgue, & qui sert à les tenir en état. (D.J.)

TAMIS, (Tapisserie de tonture) les laineurs qui travaillent aux tapisseries de tonture de laine, ont plusieurs tamis, comme de grands pour passer & préparer leurs laines hachées, & de très-petits, qui n'ont pas quelquefois deux pouces de diametre, pour placer ces laines sur le coutil peint & préparé par le peintre. (D.J.)


TAMISAILLES. f. (Marine) petit étage d'une flûte, qui est pratiqué entre la grande chambre & la dunette, & dans laquelle passe la barre du gouvernail.


TAMISELA, (Géog. mod.) Voyez THAMISE. (D.J.)

TAMISE, s. f. (Phys. & Géog.) grande riviere qui passe à Londres. L'eau de cette riviere que l'on garde dans des tonneaux à bord des vaisseaux, s'enflamme après avoir rendu long-tems une odeur puante, lorsqu'on expose une chandelle allumée au trou du bondon tout récemment ouvert. M. Musschenbroeck conjecture que cela vient des huiles des insectes qui se sont pourris, & que la pourriture a ensuite convertis en une espece d'esprit volatil. Mussch. ess. de phys.


TAMISERL'ACTION DE, (Pharmac.) en latin cribratio ; c'est l'action de passer une substance au tamis, pour séparer ses parties fines d'avec les grossieres, soit que la substance mise au tamis soit seche, pulvérisée ou humide, comme la pulpe des graines, les fruits ou les racines.

Quelles que soient les substances réduites en poudre dont le mêlange doit former un médicament, il convient de les passer toutes ensemble à-travers un tamis ; sans quoi le médicament pourra être différemment énergique dans ses différentes parties, & par conséquent agir inégalement, c'est-à-dire, plus fortement dans un endroit que dans l'autre. Lors donc qu'on aura à mêler des substances plus friables & plus fortes les unes que les autres, d'un tissu différent, & plus ou moins adhérentes : comme les unes ne manqueront pas de passer dans le tamis plus promtement que les autres, il est nécessaire de les remuer ensemble après qu'elles auront été tamisées. Cet avis paroîtra superflu à quelques personnes, qui ne jugeront pas fort essentiel de prendre cette précaution ; mais elles changeroient d'avis, si elles connoissoient les accidens qui surviennent tous les jours, lorsque le jalap, l'ipécacuanha & autres ingrédiens semblables, dont les vertus consistent dans les parties les plus résineuses, ont été mal mêlangés : or cela peut arriver d'autant mieux, que ces parties résineuses étant aussi les plus fragiles, se broyent plus facilement dans le mortier, & passent les premieres à-travers le tamis.

D'ailleurs, rien n'est plus commun chez les Droguistes, que de mettre tout d'un coup dans un mortier deux ou trois fois plus d'un ingrédient qu'il n'en faut pour l'usage actuel ; de prendre sur cette quantité la dose marquée par le médecin, & d'enfermer le superflu dans un petit vaisseau. Or toutes les parties d'un ingrédient, n'ayant pas la même vertu, si l'on ne prévient les inconvéniens résultans de cette espece d'hétérogénéité, les premiers malades auront une dose trop forte ; & les derniers, qui ne trouveront plus que la partie fibreuse & ligneuse, auront une dose trop foible, & seront trompés dans leur attente. (D.J.)


TAMISEURS. m. (Verrerie) on nomme ainsi celui qui prépare & tamise les charrées qui servent à la fonte des matieres dont on fait le verre. (D.J.)


TAMLINGS. m. (Com.) c'est le nom que les Siamois donnent à une espece de monnoie & de poids que les Chinois appellent taël. Le taël de Siam est de plus de la moitié plus foible que le taël de la Chine ; ensorte que le cati siamois ne vaut que huit taëls chinois, & qu'il faut vingt taëls siamois pour le cati chinois. A Siam, le tamling ou taël se subdivise en quatre ticals ou baats, le tical en quatre mayons ou selings, le mayon en deux fouangs, chaque fouang en deux sompayes, la sompaye en deux payes, & la paye en deux clams, qui n'est qu'une monnoie de compte ; mais qui, en qualité de poids, pese douze grains de riz ; ensorte que le tamling ou taël siamois est de sept cent soixante-huit grains. Voyez TAEL, Dictionn. de Commerce.


TAMMESBRUCK(Géog. mod.) en latin vulgaire Aggeripontum ; petite ville d'Allemagne, dans la Thuringe, près de l'Unstrutt. Elle appartient à l'électeur de Saxe, & ce n'est proprement qu'un bourg. (D.J.)


TAMN(Géog. anc.) ville de l'Arabie heureuse. Pline, l. VI. c. xxviij. la surnomme Tamna templorum ; c'est la même ville que Ptolémée, liv. VI. ch. 7. appelle Thumna. (D.J.)


TAMNUSS. m. (Botan.) Tournefort distingue deux especes de ce genre de plante, nommée par les anciens Botanistes bryonia nigra, nom que les Anglois lui donnent encore black bryony, & vulgairement appellée en françois sceau de Notre-Dame, ou racine vierge. La premiere espece est à fleur jaune pâle, tamnus racemosa, flore minore, luteo pallescente, I. R. H. 102.

C'est une plante sarmenteuse, aussi-bien que la bryone blanche ; mais elle pousse de menus sarmens sans mains, qui s'élevent en serpentant, & s'entortillent autour des plantes voisines : ses feuilles sont attachées par des queues longues, & rangées alternativement ; elles ont presque la figure de celles du cyclamen, mais deux ou trois fois plus grandes, & souvent plus pointues, d'une belle couleur verte luisante, tendres, d'un goût visqueux. Ses fleurs sortent des aisselles des feuilles ; elles sont disposées en grappes, ayant chacune la forme d'un petit bassin, taillé ordinairement en six parties, de couleur jaune-verdâtre, ou pâle. Quelques-unes de ces fleurs qui ne sont point nouées, tombent sans laisser aucun fruit ; mais celles qui sont nouées, laissent après elles une baie rouge, ou noirâtre, qui renferme une coëffe membraneuse, remplie de quelques semences : sa racine est grande, grosse, tubéreuse, presque ronde, noire en dehors, blanche en dedans, profonde dans la terre, d'un goût âcre.

La seconde espece est appellée, par le même Tournefort, tamnus baccifera, flore majore albo, I. R. H. 102. Ses feuilles sont assez semblables à celles du liseron. Ses fleurs sont faites comme celles de l'espece précédente, mais plus grandes, & de couleur blanche. Ses baies naissent une à une, séparées & attachées chacune à un pédicule court, qui sort de l'aisselle des feuilles ; chaque baie n'est guere moins grosse qu'une cerise, & contient quatre ou cinq semences ; sa racine est empreinte d'un suc gluant.

L'une & l'autre espece de tamnus croissent dans les bois ; leurs racines sont un peu purgatives hydragogues. (D.J.)


TAMOATAS. m. (Hist. nat. Ichthyologie) nom d'un poisson d'eau douce d'Amérique, appellé par les Portugais soldido. C'est un petit poisson oblong, à tête applatie, en quelque maniere comme celle de la grenouille ; son museau est petit, ayant à chaque angle un filet en guise de barbe ; il n'a point de dents, & ses yeux sont extrêmement petits. Il a huit nageoires, deux aux ouies, dures comme des cornes ; deux sur le ventre, moins dures ; une sur le milieu du dos, une autre près de la queue, & une autre à l'opposite sur le ventre ; sa queue fait la huitieme nageoire ; sa tête est couverte d'une peau dure comme de l'écaille ; son corps est revêtu d'une espece de cotte de mailles, faite d'une substance dure, écailleuse, dentelée dans les bords, de couleur de rouille de fer ; ce poisson passe pour être un manger délicieux. Marggravii, hist. Brasil. (D.J.)


TAMOATARANAS. f. (Hist. nat. Botan. exot.) nom d'une plante bulbeuse qui croît au Brésil, & dont on mange les bulbes, comme nous mangeons les patates. Ray, hist. plant. (D.J.)


TAMOLES. m. (Hist. mod.) les tamoles sont les chefs du gouvernement des Indiens, des îles Carolines ; ils laissent croître leur barbe fort longue, commandent avec empire, parlent peu, & affectent un air fort reservé. Lorsqu'un tamole donne audience, il paroît assis sur une table élevée, les peuples s'inclinent devant lui, reçoivent ses ordres avec une obéissance aveugle, & lui baisent les mains & les piés, quand ils lui demandent quelque grace ; il y a plusieurs tamoles dans chaque bourgade. (D.J.)


TAMORISA(Géogr. anc.) contrée des états du Turc, en Europe ; cette petite contrée est dans la haute Albanie, au couchant de l'Ochrida, & a pour chef-lieu un bourg de son nom. (D.J.)


TAMPERen terme de Friseur d'étoffes, c'est appuyer le frisoir sur l'étoffe, par le moyen d'une tampe, voyez TAMPE, de maniere qu'elle entre bien dans les inégalités du sable dont il est enduit, & que la laine puisse suivre l'ordre du frisoir.


TAMPESS. f. en terme de Friseur d'étoffes, sont des morceaux de bois ronds qui se mettent à force, entre le frisoir & une piece de bois qui regne, comme nous l'avons déja dit, le long du chassis, au milieu du sommet. Voyez les fig. & les Planches de la Draperie.


TAMPICO(Géog. mod.) lac de l'Amérique septentrionale, dans la nouvelle Espagne, au gouvernement de Panuco, & au sud de la riviere de Panuco, dont une des branches sort du lac. (D.J.)


TAMPLONS. m. terme de Tisserand, sorte de petits rots dont les Tisserands se servent, lorsqu'ils veulent augmenter la laise ou largeur de leurs toiles.


TAMPOÉS. m. (Hist. nat. Bot. exot.) nom d'un fruit des Indes orientales, approchant en figure du mangoustan, mais bien moins bon ; son écorce est encore plus épaisse que celle du mangoustan, il est sans couronne, & de la couleur de nos pommes-poires. Les Indiens le mangent dans les endroits où de meilleurs fruits leur manque. (D.J.)


TAMPON(Fortificat.) espece de bouchon qui sert à fermer l'ouverture d'un vaisseau, ou à retenir la poudre dans une arme à feu. Voyez BOURRE & BOUCHON.

Ce mot est françois, quoiqu'il y en ait qui le dérivent de l'anglois tap, canelle ou robinet.

Quand on charge un mortier ou quelqu'autre piece d'artillerie, on met ordinairement après la poudre, une petite piece ronde de bois pour séparer la bombe, le boulet ou la cartouche, de la poudre à canon ; cette piece s'appelle un tampon, & sert à donner plus de force au coup de la piece d'artillerie. Voyez MORTIER. Chambers.

Le tampon ou le bouchon, dont on recouvre le fourrage & le boulet, ne contribue en rien à augmenter la violence du coup ; il sert seulement à rassembler la poudre, & à diminuer l'intervalle qui est entre la poudre & le boulet ; c'est une erreur de croire qu'un bouchon plus gros qu'un autre & refoulé par un plus grand nombre de coups, porte plus loin. Si en refoulant le bouchon, il pouvoit acquérir la dureté d'un corps solide, & une forte adhésion aux parois de l'ame de la piece, comme cela arrive aux balles des carabines ou aux tampons, chassés avec force pour les petards pratiqués dans le roc ; il est constant que la difficulté que la poudre qui s'enflamme, rencontreroit à chasser le boulet, donnant lieu à une inflammation plus complete , il en recevroit une plus grande impulsion : mais l'on doit avoir de ces deux objets un sentiment bien différent, car comme le fourrage est composé de parties flexibles & détachées, qui n'ont aucune adhésion avec les parois de la piece ; quelle résistance peut-il opposer à la violence de la poudre ? A l'égard de la poudre, lorsqu'elle est réunie dans le plus petit volume qu'elle peut occuper naturellement ; il ne faut pas penser qu'en la refoulant pour la réduire dans un plus petit espace, elle en acquiere plus d'activité, puisque ce n'est qu'autant qu'il y a des interstices sensibles entre les grains, que le feu de celle qui s'enflammera la premiere, peut s'introduire pour allumer le reste : ce qui est si vrai, que quand elle est battue & réduite en pulverain dans une arme à feu, elle ne s'allume que successivement ; ainsi l'on peut conclure que le seul avantage qu'on tire du bouchon posé sur la poudre, est seulement de la rassembler dans le fond de la chambre, & d'empêcher quand elle est enflammée, qu'elle ne se dilate autour du vent du boulet.

Quand au bouchon qu'on met sur le boulet, il est absolument inutile, si ce n'est dans les cas où l'on est obligé de le soutenir pour tirer horisontalement ou de haut-en-bas ; mais peu importe qu'il soit refoulé ou non, pourvu qu'il ne permette pas au boulet de rouler dans la piece. Saint-Remy, troisieme édition des mémoires d'Artillerie. (Q)

TAMPON, s. m. (Hydr.) est une cheville de bois ou un morceau de cuivre applati, rivé & soudé au bout d'un tuyau, à deux piés de la souche d'un jet. Quand on ne se sert que d'un tampon de bois, on le garnit de linge, on frette le tuyau d'une rondelle de fer afin de pouvoir coigner le tampon, sans craindre de fendre le tuyau.

On se sert encore de tampons de bois dans les jauges, pour boucher les trous qui ne servent point. (K)

TAMPONS, (Marine) ce sont des plaques de fer, de cuivre ou de bois, qui servent à remédier aux dommages que causent les coups de canon qu'un vaisseau peut recevoir dans un combat.

TAMPONS ou TAPONS DE CANON, (Marine) plaques de liége, avec lesquelles on bouche l'ame du canon, afin d'empêcher que l'eau n'y entre.

TAMPONS ou TAPONS D'ECUBIERS, (Marine) pieces de bois, longues à-peu-près de 2 piés & demi qui vont en diminuant, & dont l'usage est de fermer les écubiers, quand le vaisseau est à la voile. Il y en a qui sont échancrées par un côté, afin de boucher les écubiers sans ôter les cables, qu'on fait passer par l'échancrure ; au défaut de bois, on fait des tampons avec des sacs de foin, de bourre, &c.

TAMPONS, s. m. pl. (Archit.) ce sont des chevilles de bois, que l'on met dans des trous percés dans un mur de pierre, pour y faire entrer une patte, un clou, &c. ou que l'on met dans les rainures des poteaux d'une cloison, pour en tenir les panneaux de maçonnerie, ou dans les solives d'un plancher, pour en arrêter les entrevoux.

On appelle aussi tampons de petites pieces dont les menuisiers remplissent les trous des noeuds de bois, & qui cachent les clous à tête perdue, des lambris & des parquets. Daviler. (D.J.)

TAMPONS, en termes de Cloutier d'épingles, ne sont autre chose que deux oreilles de fer qui sont scellées dans une pierre, & dans lesquelles tourne le fuseau ou axe de la meule. Voyez les figures, Pl. du Cloutier d'épingles.

TAMPON, s. m. (terme de Graveur) les graveurs en taille douce se servent d'une espece de molette faite d'une bande de feutre roulée qu'ils appellent un tampon.

TAMPON, s. m. (terme d'Imprimeur en taille-douce) c'est un morceau de linge tortillé pour ancrer la planche.

TAMPON, s. m. (terme de Luthier) c'est la partie de la flûte, ou du flageolet, qui aide à faire l'embouchure de la flûte ou du flageolet, & sert à donner le vent.

TAMPON, dans les tuyaux de bois des orgues, est une piece de bois E, fig. 30. Pl. n °. 1. d'Orgue, doublée de peau de mouton, le duvet en-dehors, dont l'usage est de boucher le tuyau par en-haut ; ce qui le fait descendre d'une octave au-dessous du son que le tuyau rend quand il est ouvert. Le tampon est armé d'une poignée F, placée à son centre, laquelle sert à le retirer ou à l'enfoncer à discrétion, jusqu'à ce que le tuyau rende un son qui soit d'accord avec celui d'un autre tuyau sur lequel on l'accorde.


TAMPONNERv. act. (Gram.) c'est fermer avec un tampon.


TAMUADAou TAMUDA, (Géog. anc.) fleuve de la Mauritanie tingitane, selon Pomponius-Méla, liv. I. ch. iij. Ce fleuve se nomme aujourd'hui la Bédie, & il arrose le pays des Arabes. C'est vraisemblablement le Thaludu de Ptolémée. (D.J.)


TAMUSIGA(Géog. anc.) ville de la Mauritanie tingitane. Ptolémée la marque sur la côte de l'Océan, entre le port d'Hercule & le promontoire Usadium. Le nom moderne est Fifelfeld, selon Marmol ; Teseltner, selon Castald, & Fressa, selon Niger.


TAMUZS. m. (Calendrier des Hebreux) mois des Juifs, quatrieme de l'année sainte, & dixieme de l'année civile, qui répondoit aux mois de Juin & de Juillet. Le dix-septieme jour de ce mois, les Juifs célebroient un jeûne, en mémoire du châtiment dont Dieu punit l'adoration du veau d'or. (D.J.)


TAMWORTH(Géog. mod.) bourg à marché d'Angleterre, dans Staffordshire. Il est arrosé par le Tamer, & envoie deux députés au parlement.


TAMYNA(Géog. anc.) ville de l'Eubie, dans le territoire d'Erétrie, selon Strabon, liv. X. p. 447. Plutarque parle de la plaine de Tamynes, dans la vie de Phocion.


TAMYRACA(Géogr. anc.) ville de la Sarmatie européenne, près du golfe Carcinite, selon Ptolémée, l. III. ch. v. Etienne le géographe & le périple d'Arrien. Strabon, liv. VII. pag. 308. connoît dans le même endroit un promontoire nommé Tamyracès, & un golfe appellé Tamyracus sinus ; mais il ne parle point de ville, ni sur ce promontoire, ni sur ce golfe. (D.J.)


TAMYRSA(Géog. anc.) fleuve de la Phénicie. Strabon, liv. XVI. p. 755. le met entre Béryte & Sidon. Le nom moderne est Damor, selon quelques-uns.


TANS. m. (Tannerie & Jardinage) l'écorce du chêne hachée & moulue en poudre par les roues d'un moulin à tan ; on s'en sert à la préparation des cuirs. Voyez ECORCE & TANNERIE.

Le tan nouveau est le plus estimé, car lorsqu'il est vieux & suranné, il perd une partie de sa qualité qui le rend propre à condenser ou à boucher les pores du cuir ; desorte que plus on laisse les peaux dans le tan, plus elles acquierent de force & de fermeté.

Toute autre partie du chêne, de quelque âge ou grandeur qu'il puisse être, & tout taillis de chêne, sont pour le moins aussi bons à faire du tan, que l'écorce de cet arbre.

Après que l'on a amassé cette matiere, il faut la faire bien sécher au soleil, la serrer dans un endroit sec, & la garder dans cet état jusqu'à ce qu'on l'employe ; & pour la réduire en poussiere, on peut scier ou fendre menu le plus gros bois, afin de pouvoir être diminué encore par un instrument dont les tanneurs se servent pour cet effet. Après quoi on le fait sécher de nouveau dans un four, & enfin on le fait moudre au moulin à tan. Voyez MOULIN. Au défaut du bois de chêne, on peut se servir de celui d'épine.

Ce tan est un engrais fort chaud propre aux ananas qui ne peuvent supporter la vapeur du fumier de cheval.


TAN-SIS. m. (Hist. mod.) c'est ainsi que dans le royaume de Tonquin l'on nomme les lettrés ou savans du premier ordre, qui ont passé par des degrés inférieurs distingués par différens noms. Le premier degré par lequel ces lettrés sont obligés de passer, est celui des sin-de ; il faut pour y parvenir avoir étudié la rhétorique, afin de pouvoir exercer les fonctions d'avocat, de procureur & de notaire. Le candidat, après avoir acquis la capacité requise, subit un examen, à la suite duquel on écrit son nom sur un registre, & on le présente au roi, qui lui permet de prendre le titre de sin-de. Le second degré s'appelle dow-cum ; pour y parvenir il faut avoir étudié pendant cinq ans les mathématiques, la poésie & la musique, l'astrologie & l'astronomie. Au bout de ce tems, on subit un nouvel examen, à la suite duquel on prend le titre de dow-kum. Enfin le troisieme degré, qui est celui des tan-si, s'acquiert par quatre années d'étude des loix, de la politique & des coutumes. Au bout de ce tems le candidat subit un nouvel examen en présence du roi, des grands du royaume & des lettrés du même ordre. Cet examen se fait à la rigueur ; & si le candidat s'en tire bien, il est conduit à un échaffaud dressé pour cet effet ; là il est revêtu d'un habit de satin que le roi lui donne, & son nom est écrit sur les tablettes suspendues à l'entrée du palais royal. On lui assigne une pension, & il fait partie d'un corps parmi lequel on choisit les mandarins ou gouverneurs, les ministres & les principaux magistrats du pays.


TANA(Géog. anc.) ou TANAS, fleuve d'Afrique, dans la Mauritanie, entre Lares & Capsa. Salluste en parle, in Jugurth. c. x.


TANAGER(Géog. anc.) fleuve d'Italie, dans la Lucanie, aujourd'hui le Negro : Virgile, Géorg. l. III. v. 151. lui donne l'épithete de siccus :

Furit mugitibus aether

Concussus, silvaeque, & sicci ripa Tanagri.

Mais ou les choses ont changé depuis le tems de Virgile, ou ce poëte ne connoissoit ce fleuve que de nom ; reproche que l'on peut faire également à Pomponius Sabinus, qui fait un torrent de Tanager.

Celsus Cittadinus, écrivant à Ortelius, nie absolument que ce fleuve soit un torrent, qui n'a d'eau que dans le tems des pluies. Le Tanager, dit-il, présentement le Négro, est un fleuve qui en reçoit d'autres dans son lit ; par exemple, celui que l'on appelle la botta di Picorno, ainsi nommé de l'ancienne ville Picernum, auprès de laquelle il prend sa source. Le Tanager a la sienne dans le mont Albidine, maintenant il monte Portiglione, & il se jette dans le Siler, connu maintenant sous le nom de Sélo. Peut-être Virgile a-t-il appellé le Tanager siccus, parce qu'il se perd sous la terre, pendant un espace de quatre & non pas de vingt milles, comme le dit Pline, liv. II. ch. iij. (D.J.)


TANAGRA(Géog. anc.) 1°. ville de Grece, dans la Béotie, au voisinage de Thebes ; Dicéarque la met au nombre des villes situées sur l'Euripe : Strabon néanmoins, l. IX. p. 400, 403, & 410, & Ptolomée, l. III. c. xv. la marquoient à quelque distance de la mer, quoique son territoire pût s'étendre jusqu'à la côte. Tanagra étoit à cent trente stades de la ville Oropus, à deux cent de celle de Platée. Etienne le géographe appelle cette ville Géphyra, & Strabon donne à ses habitans, le nom de Géphyréens.

Tanagra de Béotie, est la patrie de Corinne, fille d'Achélodore & de Procratie ; elle étoit contemporaine de Pindare, avec lequel elle étudia la Poésie sous Myrtis, femme alors très-distinguée par ce talent. Corinne n'acquit pas moins de gloire que sa maîtresse, & se mêloit quelquefois de donner à Pindare d'excellens avis, soit comme étant plus âgée, soit à titre de plus ancienne écoliere. Elle lui conseilloit, par exemple, au rapport de Plutarque, de négliger moins le commerce des muses, & de mettre en oeuvre dans ses poésies la fable qui en devoit faire le fonds principal, auquel les figures de l'élocution, les vers, & les rythmes, ne devoient servir que d'assaisonnemens. Pindare, dans le dessein de profiter de cette leçon, fit une ode que nous n'avons plus, mais dont Plutarque & Lucien nous ont conservé les premiers vers : en voici la traduction.

" Chanterons-nous le fleuve Ismene, ou la nymphe Mélie à la quenouille dorée, ou Cadmus, ou la race sacrée de ces hommes nés des dents qu'il sema, ou la nymphe Thébé à la coëffure bleue, ou la force d'Hercule à toute épreuve, ou la gloire & les honneurs du réjouissant Bacchus, ou les nôces d'Harmonie aux blanches mains ? "

Pindare ayant fait voir cette ode à Corinne, celle-ci lui dit en riant, qu'il falloit semer avec la main, & non pas à plein sac, comme il avoit fait dans cette piece, où il sembloit avoir pris à tâche de ramasser presque toutes les fables.

Corinne dans la suite entra en lice contre Pindare, & le vainquit, dit-on, jusqu'à cinq fois, quoiqu'elle lui fût fort inférieure. Mais deux circonstances, remarque Pausanias, contribuerent à ce grand succès : l'une, que ses poésies écrites en dialecte éolien, se faisoient entendre beaucoup plus facilement à ses auditeurs, que celles de Pindare composées en dorien : l'autre, qu'étant une des plus belles femmes de son tems, ainsi qu'on en pouvoit juger par son portrait, les agrémens de sa personne avoient pû séduire les juges en sa faveur ; Pindare appella de ce jugement inique à Corinne elle-même.

Le tombeau que les Tanagréens éleverent à la gloire de cette dame, subsistoit encore du tems de Pausanias, ainsi que son portrait, où elle étoit représentée la tête ceinte d'un ruban, pour marque des prix qu'elle avoit remportés sur Pindare à Thebes. Il ne nous reste que quelques fragmens de ses poésies, sur lesquels on peut consulter la bibliotheque grecque de Fabricius.

2°. Tanagra est encore dans Ptolémée, l. VI. c. jv. une ville de la Perside dans les terres.

3°. Stace parle d'une Tanagra de l'Eubée. (D.J.)


TANAIDE(Mythol.) surnom de Vénus : Clément Alexandrin dit qu'Artaxercès roi de Perse, fils de Darius, fut le premier qui érigea à Babylone, à Suse, & à Ecbatane, la statue de Vénus Tanaïde, & qui apprit par son exemple aux Perses, aux Bactres, & aux peuples de Damas & de Sardes, qu'il falloit l'honorer comme déesse. Cette Vénus étoit particulierement vénérée chez les Arméniens, dans une contrée appellée Tanaïtis, près du fleuve Cyrus, selon Dion Cassius, d'où la déesse avoit pris son surnom, & d'où son culte a pu passer chez les Perses. C'étoit la divinité tutélaire des esclaves de l'un & de l'autre sexe ; les personnes mêmes de condition libre, consacroient leurs filles à cette déesse ; & en vertu de cette consécration, les filles étoient autorisées par la loi à accorder leurs faveurs à un étranger avant leur mariage, sans qu'une conduite aussi extraordinaire éloignât d'elles les prétendans. (D.J.)


TANAIS(Géog. anc.) fleuve que Ptolémée, l. V. c. jx. Pline, l. III. c. iij. & la plûpart des anciens géographes donnent pour la borne de l'Europe & de l'Asie. Il étoit appellé Sylus ou Silis par les habitans du pays, selon Pline, l. VI. c. vij. & Eustathe, l'auteur du livre des fleuves & des montagnes, dit, qu'avant d'avoir le nom de Tanaïs, il avoit celui d'Amazonius. Le nom moderne est le Don, les Italiens l'appellent Tana ; on lui a quelquefois donné le nom de Danube, ce qui n'est pas surprenant ; puisque ceux du pays donnent indifféremment le nom de Don au Danube & au Tanaïs ; Ciofanus dit que les habitans du pays appellent ce fleuve Amétine ; on doit s'en rapporter à son témoignage. Ptolémée & Pline disent que le Tanaïs prend sa source dans les monts Riphées ; il auroit mieux valu dire dans les forêts Riphées ; car il n'y a point de montagnes vers la source du Don, mais bien de vastes forêts.

Le Don est maintenant un fleuve de la Russie, qui vient du Ressan, & tombe dans la mer Noire, audessous d'Asoph, dans la Turquie européane, après un cours de plus de trois cent lieues.

La ville d'Asoph est aussi nommée Tanaïs par Ptolémée, l. III. c. v. Etienne le géographe lui donne le titre d'entrepôt. Enfin, les peuples de la Sarmatie européane qui habitoient sur le bord du Tanaïs, dans l'endroit où ce fleuve se courbe, sont nommés Tanaïtae par le même Ptolémée. (D.J.)


TANAPE(Géog. anc.) ville de l'Ethiopie, sous l'Egypte ; c'est la même que Napatae ; & c'étoit, selon Dion Cassius, l. LIV. la résidence de la reine de Candace. (D.J.)


TANAROLE, (Géog. mod.) en latin Tanarus, riviere d'Italie ; elle prend sa source dans l'Apennin, sur les confins du comté de Tende, arrose dans son cours les provinces de Fossano, de Chérasco, d'Albétano, se grossit de diverses rivieres, & va se jetter dans le Pô, près de Bassignana. (D.J.)


TANATIS(Géog. anc.) ville de la haute Maesie, au voisinage du Danube, selon Ptolémée, l. III. c. jx. qui la marque entre Viminatium legio & Treta ; Niger la nomme Teriana. (D.J.)


TANAVAGÉE(Géog. mod.) riviere d'Irlande, dans la province d'Ulster ; elle sépare le comté d'Antrim de celui de Londonderri, & tombe ensuite dans l'Océan septentrional. (D.J.)


TANBAautrement TANSJU, (Géog. mod.) une des huit provinces de la contrée froide du nord, de l'empire du Japon ; on la divise en six districts, & on lui donne deux journées d'étendue ; elle est passablement bonne, & produit beaucoup de riz, de pois, & d'autres légumes. (D.J.)


TANCAZELE, (Géog. mod.) riviere d'Abyssinie. Elle prend ses sources dans les montagnes qui séparent les royaumes d'Angoste & de Bagameder, sépare une partie du royaume de Teghin, & tombe dans le Nil. Les anciens la nommoient Astabaras. (D.J.)


TANCHES. f. (Hist. nat. Ichthyolog.) tinca, poisson de riviere, qui est ordinairement plus petit que la carpe ; on trouve cependant quelquefois des tanches très-grosses & qui pesent jusqu'à vingt livres. Ce poisson est court & épais ; il a en longueur trois fois sa largeur ; le bec est court & mousse ; le dos a une couleur noirâtre, & les côtés sont d'un verd jaunâtre, ou de couleur d'or. La queue est large ; les écailles sont petites & très-adhérentes à la peau. Tout le corps de ce poisson est couvert, comme l'anguille, d'une espece de mucilage, qui le rend très-glissant, & qui empêche, qu'on puisse le retenir dans les mains ; sa chair a peu de goût ; il se plaît dans les étangs & dans les rivieres marécageuses dont le cours est lent. Rai, synop. meth. piscium. Voyez POISSON.

TANCHE DE MER, tinca marina. On a donné le nom de tanche de mer à l'espece de tourd la plus commune ; ce poisson ressemble, par sa figure, à la tanche d'eau douce, mais ses écailles sont plus grandes. Il a neuf pouces de longueur ; il est en partie d'un rouge-jaunâtre, & en partie brun ; ces couleurs sont disposées par bandes alternatives au nombre de cinq ou six, qui s'étendent depuis la tête jusqu'à la queue. Le bec est oblong & relevé en-dessus ; les levres sont épaisses, charnues, & excedent les mâchoires ; l'ouverture de la bouche est petite ; les dents des mâchoires ressemblent à celles d'une scie. Les nageoires ont de belles couleurs, telles que le rouge, le bleu & le jaune, disposés par petits traits : la nageoire de la queue a une figure arrondie quand elle est étendue. Rai, synop. meth. piscium. Voyez POISSON.


TANDELETS. m. (Jardinage) terme de Fleuriste, qui exprime de petites couvertures légeres qui préservent du hâle les belles fleurs plantées en pleine terre ; ces tandelets reviennent à nos bannes de toile que l'on tend sur les cerceaux de fer pratiqués audessus des belles plates-bandes de fleurs.


TANDELINSS. m. (Salines) ce sont des hottes de sapins qui sont étalonnées sur la mesure de deux vaxels. Mais cet étalonnage n'est pas juridique. Il n'a lieu que pour l'intérieur de la saline. Voyez VAXELS.


TANESIES. f. (Hist. nat. Botan.) tanacetum ; genre de plante à fleur, composée de plusieurs fleurons profondément découpés, soutenus par un embryon, & renfermés dans un calice écailleux & presque hémisphérique ; l'embryon devient dans la suite une semence qui n'a point d'aigrette. Ajoutez aux caracteres de ce genre que les fleurs sont épaisses, & qu'elles naissent par bouquets. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.

Tournefort compte trois especes de ce genre de plante, la commune, celle qui est à feuilles frisées, & celle que nous nommons la menthe-coq, l'herbe au coq, le coq des jardins qui est décrite ailleurs.

La tanesie vulgaire, tanacetum vulgare, luteum, C. B. P. 132. I. R. H. 461, en anglois, the common yellow-flowerr'd garden-tanzy, a sa racine vivace, longue, divisée en plusieurs fibres qui serpentent de côté & d'autre. Elle pousse des tiges à la hauteur de deux ou trois piés, rondes, rayées, un peu velues, moëlleuses. Ses feuilles sont d'un verd-jaunâtre, grandes, longues, ailées, dentelées en leurs bords, d'une odeur forte & d'un goût amer. Ses fleurs naissent au sommet des tiges par gros bouquets arrondis, rangés comme en ombelles, composés chacun de plusieurs fleurons évasés & dentelés par le haut, d'une belle couleur jaune dorée, luisantes, rarement blanches, soutenues par un calice écailleux. Il succede aux fleurs des semences menues & ordinairement oblongues, qui noircissent en mûrissant. Cette plante croît par-tout, le long des chemins & des prés, dans les champs, aux bords des fossés, dans des lieux humides ; elle fleurit en Juillet & Août. (D.J.)

TANESIE, (Mat. méd.) tanesie ordinaire, ou herbe aux vers ; on emploie en médecine les feuilles, les fleurs & les semences de cette plante.

La tanesie a une odeur forte, désagréable, qui porte à la tête, & une saveur amere, aromatique, un peu âcre. Elle donne dans la distillation de l'huile essentielle, mais en petite quantité.

Ses vertus les plus reconnues sont les qualités vermifuges, utérines & carminatives. L'infusion des fleurs, feuilles ou des sommités, soit fleuries, soit en graines, est un remede fort ordinaire dans les affections vermineuses & venteuses. On donne aussi les mêmes parties desséchées & réduites en poudre dans les mêmes cas, soit seules, soit mêlées à d'autres remedes carminatifs & vermifuges. (Voyez CARMINATIFS & VERMIFUGES.) La teinture tirée avec le vin est aussi d'usage dans les mêmes maladies, & plus encore dans les suppressions des regles. L'infusion de tanesie convient encore très-bien pour faire prendre dans cette derniere maladie, par-dessus des bols emmenagogues.

Le suc, qui est moins usité que tous ces autres remedes, est encore plus puissant, & doit être regardé comme un très-bon remede contre les maladies dont nous venons de parler. On peut le donner à la dose de deux gros jusqu'à demi-once, soit seul, soit étendu dans quatre onces d'eau distillée de la même plante.

Cette eau distillée possede une partie des vertus de la tanesie. Elle fournit un excipient approprié des juleps & des mixtures vermifuges, & des potions emmenagogues & hystériques.

La tanesie est encore mise au rang des meilleurs fébrifuges, des diaphorétiques-alexipharmaques, & des diurétiques appellés chauds. Cette derniere vertu a été donnée même pour être portée dans la tanesie à un assez haut degré, pour que l'usage de cette seule plante ait guéri l'hydropisie en évacuant puissamment par les urines.

La semence de tanesie est employée quelquefois au-lieu de celle de la barbotine ou poudre à vers ; mais elle est bien moins efficace que cette derniere semence.

On emploie aussi la tanesie extérieurement comme résolutive, fortifiante, bonne contre les douleurs & les enflures des membres, & même contre les dartres, la teigne, &c.

On la fait entrer dans les demi-bains & les fomentations fortifiantes & discussives, dans les vins aromatiques, &c. On croit qu'appliquée sur le ventre, elle chasse & tue les vers, & qu'elle peut provoquer les regles.

On dit que son odeur chasse les punaises & les puces.

Les feuilles de tanesie entrent dans l'eau vulnéraire ; les fleurs dans la poudre contre les vers de la pharmacopée de Paris ; les feuilles & les fleurs, dans l'orviétan, &c.

Cette plante a beaucoup d'analogie avec la grande absynthe. (b)


TANETUS(Géog. anc.) aujourd'hui Tanedo, bourgade d'Italie, que Polybe, lib. III. num. 40. donne aux Boïens. Tite-Live, liv. XXX. ch. 19. semble aussi la donner à ce peuple, en disant que C. Servilius & C. Lutatius avoient été pris au village de Tanetus par les Boïens, qui ad vicum Tanetum à Boïis capti fuerant. Pline met les Tanetani dans la huitieme région, qui est la Cispadane ; & Ptolémée, liv. III. ch. 15. marque Tanetum dans la Gaule appellée Togata. La table de Peutinger, & l'itinéraire d'Antonin, font aussi mention de ce lieu. Il étoit sur la route d'Ariminum à Dertona, entre Reggio & Parme, à dix milles de la premiere de ces villes, & à neuf milles de la seconde. Ce fut dans ce lieu, suivant Paul Diacre, que Narcès défit Buccellinus, général des troupes de Theudebert, assisté du secours des Goths qui avoient ravagé Milan. (D.J.)


TANEVOULS. m. (Hist. nat. Bot.) arbre de l'île de Madagascar, dont les feuilles croissent sans queue autour des branches, auxquelles on croiroit qu'elles sont collées ; elles sont longues & étroites.


TANFANAE-LUCUS(Géog. anc.) bois sacré dans la Germanie, au pays des Marses, entre l'Ems & la Lippe, selon Tacite, annal. l. I. c. lj. avec un temple fameux, qui fut détruit par Germanicus. Il n'est pas aisé de décider quel lieu, ou quelle déesse les Marses adoroient sous ce nom : il falloit pourtant que son culte fût célebre, puisque contre l'usage du pays, on lui avoit consacré un temple.

La plûpart des historiens interpretent le nom de Tanfana, par la déesse Tellus, & il seroit assez naturel de dire que cette déesse Tanfana, étoit l'herthus des Suéves, ou la terre mere & productrice de toutes choses, que les Marses pouvoient adorer à l'exemple des Suéves.

On pourroit demander si les Marses avoient effectivement élevé un temple à la déesse Tanfana, ou si Tacite ne donne point le nom de temple à quelque grotte, ou à quelqu'endroit retiré dans le bois sacré ; mais Tacite lui-même décide en quelque maniere la question, lorsqu'il dit que Germanicus rasa ou détruisit jusqu'aux fondemens, le temple de Tanfana. (D.J.)


TANGS. m. terme de Commerce ; c'est une des especes de mousselines unies & fines, que les Anglois rapportent des Indes orientales : elle a seize aunes de longueur sur trois quarts de largeur. Tang est aussi une mousseline brodée à fleurs ; elle est de même aunage que l'unie. (D.J.)


TANGAS. f. (Commerce) monnoie d'argent, qui a cours chez les Tartares de la grande Bukharie, & qui vaut environ trente sols argent de France. Elle est frappée par le kan de ces provinces : d'un côté est le nom du pays, l'autre marque l'année de l'hégire ou de l'ere des mahometans.


TANGAGES. m. (Marine) c'est le balancement du vaisseau dans le sens de sa longueur. Ce balancement peut provenir de deux causes : des vagues qui agitent le vaisseau, & du vent sur les voiles, qui le fait incliner à chaque bouffée : le premier dépend absolument de l'agitation de la mer, & n'est pas susceptible d'examen ; & le second est causé par l'inclinaison du mât, & peut être soumis à des regles.

Lorsque le vent agit sur les voiles, le mât incline, & cette inclinaison est d'autant plus grande que ce mât est plus long, que l'effort du vent est plus considérable, que le vaisseau est plus ou moins chargé, & que cette charge est différemment distribuée.

La poussée verticale de l'eau, s'oppose à cette inclinaison, ou du-moins la soutient d'autant plus que cette poussée excéde le moment ou l'effort absolu du mât sur lequel le vent agit : à la fin de chaque bouffée, où le vent suspend son action, cette poussée releve le vaisseau, & ce sont ces inclinaisons & ces relevemens successifs qui produisent le tangage ; ce mouvement est très-incommode, & quand il est considérable, il est très-nuisible au sillage du vaisseau. Il est donc important de savoir comment on peut le modérer lorsqu'il est trop vif, ou l'accélérer, si cette accélération peut être utile à ce même sillage. Ces deux questions forment le fond de toute la théorie du tangage ; & comme tout ceci s'applique aux balancemens du vaisseau dans tous sens, la théorie du roulis sera aussi comprise dans les solutions suivantes.

On a vu que le mât avoit deux résistances à vaincre pour pouvoir incliner : premierement la pesanteur du vaisseau & sa charge ; & en second lieu la poussée verticale de l'eau. Voyez MATURE. Mais quand le vaisseau a incliné, & que la bouffée a cessé, cette poussée n'a d'autre obstacle à vaincre que son propre poids : or il est évident que ce soulevement dépend, 1°. de sa distance à la verticale, qui passe par le centre de gravité ; 2°. de sa situation à l'égard de ce même centre. Dans le premier cas, plus cette distance sera grande, plus grand sera l'effort de l'eau pour soulever le vaisseau, parce que la poussée sera multipliée par cette distance qui lui servira de bras de levier : ainsi le tangage sera d'autant plus grand, que l'inclinaison du mât, & par conséquent du vaisseau, sera considérable.

Considerons maintenant la situation du centre de la poussée verticale, à l'égard du centre de gravité du vaisseau ; & voyons ce que cette situation peut produire sur le tangage. Si le centre de gravité du vaisseau, & la poussée verticale de l'eau, coincidoient dans un même point, il n'y auroit rien à changer à ce que je viens de dire, & ce second cas reviendroit au premier ; mais si le centre de gravité est supérieur au centre de la poussée verticale, il est évident que la moindre impulsion peut faire tanguer le vaisseau, puisque le centre de sa pesanteur sera au-dessus de son point de suspension, conformément aux loix de la méchanique ; la poussée verticale de l'eau aura donc un grand avantage alors pour le relever, & par conséquent le tangage sera alors extrêmement prompt. Le contraire aura lieu, si le centre de gravité est au-dessous du centre de la poussée verticale, parce que le poids du vaisseau qui résistera à l'effort de l'eau, sera multiplié par sa distance à cette poussée ; d'où il faut conclure : 1°. que les balancemens du vaisseau seront d'autant plus grands, que l'inclinaison du vaisseau sera plus considérable : 2°. que la promtitude de ces balancemens augmentera en même proportion que l'accroissement de l'élévation du centre de gravité du vaisseau, au-dessus de la poussée verticale : & 3°. que les balancemens seront d'autant plus lents, que le centre de la poussée verticale sera élevé au-dessus du centre de gravité du vaisseau.

Tout ceci est dit en général sans aucune considération pour la figure du vaisseau ; cette figure peut encore contribuer à ralentir ou à favoriser le tangage, suivant qu'elle résistera à l'impulsion de l'eau, lors de l'inclinaison ; & il est certain que moins cette figure aura de convexité, plus elle résistera au tangage. Ce seroit donc un avantage de donner peu de rondeur aux vaisseaux ; mais cet avantage est balancé par d'autres pour le moins aussi importans.


TANGAPATAN(Géog. mod.) ville des Indes, au royaume de Travançor, sur la côte de Malabar, à huit lieues du cap de Comorin. Long. 96. 20. latit. 8. 19. (D.J.)


TANGARAS. m. (Hist. nat. Ornitholog.) nom d'un oiseau du Bresil, dont on distingue deux especes. La premiere est de la grosseur d'un verrier ; sa tête & son col sont d'un beau verd de mer lustré, avec une tache noire sur le front, précisément à l'insertion du bec ; le dessus du dos est noir, & le bas est jaune ; son ventre est d'un très-beau bleu, & le pennage de ses aîles est nuancé de bleu & de noir, ainsi que sa large queue. Il se nourrit de graines, & on en tient en cage à cause de sa beauté ; mais il n'a pour tout chant que la note zip, zip.

La seconde espece de tangara est de la grosseur du moineau domestique ; sa tête est d'un rouge éclatant & agréable ; son dos, son ventre, & ses aîles, sont d'un noir de jais ; ses cuisses sont couvertes de plumes planches, avec une grosse tache rouge sanguine ; ses jambes sont grises ; sa queue est courte. Marggravii, hist. Brasil. (D.J.)


TANGENTES. f. (Géom.) tangente du cercle, c'est une ligne droite qui touche un cercle, c'est-à-dire qui le rencontre de maniere qu'étant infiniment prolongée de part & d'autre, elle ne le coupera jamais, ou bien qu'elle n'entrera jamais au-dedans de la circonférence. Voyez CERCLE.

Ainsi la ligne A D (Planch. Géométr. fig. 50.) est une tangente du cercle au point D.

Il est démontré en Géométrie, 1°. que si une tangente A D & une sécante A B sont tirées du même point A, le quarré de la tangente sera égal au rectangle de la sécante entiere, A B & de sa portion A C qui tombe hors du cercle. Voyez SECANTE.

2°. Que si deux tangentes A D, A E sont tirées au même cercle du même point A, elles seront égales entr'elles.

TANGENTE, en Trigonométrie. Une tangente d'un arc A E est une ligne droite E F (fig. 1. Trigonomét.) élevée perpendiculairement sur l'extrémité du diametre, & continuée jusqu'au point F où elle coupe la sécante C F, c'est-à-dire une ligne tirée du centre par l'autre extrêmité A de l'arc A E. Voyez ARC & ANGLE.

Ainsi la tangente de l'arc E A est une partie d'une tangente d'un cercle, c'est-à-dire d'une ligne droite qui touche un cercle sans le couper, interceptée entre deux lignes droites tirées du centre C par les extrêmités de l'arc E A. La ligne F E est la tangente de l'angle ACE, comme aussi de l'angle A C I ; desorte que deux angles adjacens n'ont qu'une même tangente commune.

Co-tangente ou tangente du complément, c'est la tangente d'un arc qui est le complément d'un autre arc à un quart de cercle. Voyez COMPLEMENT.

Ainsi la tangente de l'arc A H seroit la co- tangente de l'arc A E, ou la tangente du complément de l'arc A E.

Trouver la longueur de la tangente d'un arc quelconque, le sinus de l'arc étant donné. Supposons l'arc AE, le sinus donné A D, & la tangente cherchée E F. Puisque le sinus & la tangente sont perpendiculaires au rayon E C, ces lignes sont paralleles entr'elles : ainsi le co-sinus D C est au sinus A D comme le sinus total est à la tangente E F. Voyez SINUS.

C'est pourquoi ayant une table des sinus, on construit facilement une table des tangentes.

Les tangentes artificielles sont les logarithmes des tangentes des arcs. Voyez LOGARITHME.

La ligne des tangentes est une ligne que l'on met ordinairement sur le compas de proportion. Voyez en la description & l'usage à l'article COMPAS DE PROPORTION.

Tangente d'une section conique, comme d'une parabole, c'est une ligne droite qui ne touche ou qui ne rencontre la courbe qu'en un point, sans la couper ou sans entrer dedans. Voy. CONIQUE, COURBE, &c.

En général, tangente d'une ligne courbe est une ligne droite qui étant prolongée de part & d'autre du point où elle rencontre cette courbe, est telle que les deux parties à droite & à gauche de cette ligne, tombent hors de la courbe, & qu'on ne puisse mener par ce même point aucune ligne droite qui soit entre la courbe & la tangente, & dont les deux parties soient situées hors de la courbe.

Méthode des tangentes. C'est une méthode de déterminer la grandeur & la position de la tangente d'une courbe quelconque algébrique, en supposant que l'on ait l'équation qui exprime la nature de cette courbe.

Cette méthode renferme un des plus grands usages du calcul différentiel. Voyez DIFFERENTIEL.

Comme elle est d'un très-grand secours en Géométrie, elle semble mériter que nous nous y arrêtions ici particulierement. Voyez SOUS-TANGENTE.

Trouver la sous-tangente d'une courbe quelconque algébrique. Soit la demi-ordonnée p m infiniment proche d'une autre ordonnée P M (Pl. anal. fig. 13.), P p sera la différentielle de l'abscisse ; & abaissant la perpendiculaire m R = P p, R m sera la différentielle de la demi-ordonnée. C'est pourquoi tirant la tangente T M, l'arc infiniment petit M m ne différera pas d'une ligne droite. Ainsi M m R sera un triangle rectangle rectiligne appellé ordinairement le triangle différentiel ou caractéristique de la courbe ; à cause que les lignes courbes sont distinguées les unes des autres par le rapport variable des côtés de ce triangle.

Or à cause du parallélisme des lignes droites m R & T P l'angle M m R = M T P ; ainsi le triangle M m R est semblable au triangle T M P. Soit donc A P = x, P M = y, on aura P p = m R = d x, & R M = d y. Par conséquent

R M. m R : : P M. P T

d y. d x : : y.

Présentement si on substitue, dans l'expression générale de la sous- tangente P T, la valeur de d x prise de l'équation donnée d'une courbe quelconque, les quantités différentielles s'évanouiront, & la valeur de la sous- tangente sera exprimée en quantités ordinaires ; d'où l'on déduit aisément la détermination de la tangente ; ce que nous allons éclaircir par quelques exemples.

1°. L'équation qui exprime la nature de la parabole ordinaire est

a x = y²

d'où l'on tire a d x = 2 y d y.

& d x =

donc P T = = <2y2dy/ady> = <2y2/a> = <2ax/a> = 2 x. C'est-à-dire que la sous-tangente est double de l'abscisse.

2°. L'équation du cercle est

a x - x x = y y

donc a d x - 2 x d x = 2 y d y

& d x = <2ydy/a-2x

donc P T = = = = =

3°. L'équation d'une ellipse est

a y 2 = a b x - b x 2

ainsi a y d y = a b d x - 2 b x d x . = d x

P T = = = = .

Soit a y m + b x n + c y r x s + e = 0, qui est l'équation pour un grand nombre de courbes algébriques,

m a y m - 1 d y + n b x n - 1 d x + s c y r x s - 1 d x + r c y r - 1 x s d y = 0

n b x n - 1 d x + s c y r x s - 1 d x = - m a y m - 1 d y - r c y r - 1 x s d y

d x = -

P T =

Supposons, par exemple y 2 - a x = 0 ; alors, en comparant avec la formule générale, on a

a y m = y² b x n = - a x

a = 1. m = 2 b = - a. n = 1

c y r x s = 0 e = 0

c = 0. r = 0. s = 0

En substituant ces valeurs dans la formule générale de la sous- tangente, on a la sous- tangente de la parabole du premier genre = 2 y 2 : a.

Supposant y 3 - x 3 + a x y = 0, alors on aura

A y m = y 3 ; b x n = - x 3 ; a = 1 ; m = 3 ; b = 1 ; n = 3.

C y r x s = - a x y ; e = 0

C = - a r = 1 ; s = 1

En substituant ces valeurs dans la formule générale de la sous- tangente, on a la sous- tangente de la courbe dont l'équation est donnée, P T = (- 3 y 3 + a y x) : (- 3 x 2 - a y) = (3 y 3 - a x y) : (3 x 2 + a y) ; par conséquent A T = (3 y 3 - a x y) : (3 x 2 + a y) - x = (3 y 3 - a x y - 3 x 3 - a x y) : (3 x 2 + a y) = (3 a x y - 2 a x y) : 3 x 2 + a y ; la valeur de y 3 - x 3, c'est-à-dire a x y : (3 x 2 + a y) étant substituée après l'avoir prise de l'équation de la courbe.

Quand l'expression de la sous- tangente est négative, c'est une marque que cette sous- tangente tombe du côté opposé à l'origine A des x, comme dans la fig. 13. Au contraire, quand la sous- tangente est positive, elle tombe du côté de A, comme dans les fig. 12. 14. n °. 1. & 14. n °. 2.

Quand la sous- tangente est infinie, alors la tangente est parallele à l'axe des x, comme dans les fig. 15. 16. 17.

Méthode inverse des tangentes. C'est une méthode de trouver l'équation ou la construction de quelque courbe par le moyen de la tangente ou de quelque autre ligne, dont la détermination dépend de la tangente donnée.

Cette méthode est une des plus grandes branches du calcul intégral. Voyez INTEGRAL.

Nous allons donner son application dans ce qui suit. Les expressions différencielles de la tangente, de la sous- tangente, &c. ayant été exposées dans l'article précédent ; si l'on fait la valeur donnée égale à l'expression différencielle, & que l'on integre l'équation différencielle, ou qu'on la construise, si on ne peut pas l'intégrer, on aura la courbe que l'on cherche : par exemple.

1°. Trouver la ligne courbe, dont la sous- tangente = 2 y y : a. Puisque la sous- tangente d'une ligne algébrique est = y d x : d y, on a

y d x : d y = 2 y y : a

& a y d x = 2 y ² d y

donc a d x = 2 y d y

donc a x = y ²

ainsi la courbe cherchée est une parabole dont on a donné la construction à l'article PARABOLE.

2°. Trouver la courbe, dont la sous- tangente est une troisieme proportionnelle à r - x & y.

Puisque r - x : y = y :

nous avons

r - x : y = d y : d x

& r d x - x d x = y d y

donc r x - 1/2 x ² = 1/2 y ²

donc 2 r x - x x = y ²

ainsi la courbe cherchée est un cercle.

3°. Trouver une ligne où la sous- tangente soit égale à la demi-ordonnée.

Puisque

y d x ; d y = y

y d x = y d y

d x = d y

x = y

il paroît donc que la ligne cherchée est une ligne droite.

4°. Pour trouver une courbe dont la sous- tangente soit constante, on aura = a, donc = ; c'est l'équation d'une logarithmique, qui se construira par la quadrature de l'hyperbole. Voyez HYPERBOLE & LOGARITHMIQUE.

Ces exemples suffisent dans un ouvrage tel que celui-ci, pour donner une idée de la méthode.

La méthode des tangentes est expliquée avec beaucoup de clarté, & appliquée à beaucoup d'exemples dans la seconde & la neuvieme sections de l'analyse des infiniment petits par M. le marquis de l'Hôpital. Voyez aussi, sur quelques difficultés de cette méthode, les Mém. de l'acad. de 1716 & 1723. Ces difficultés ont lieu, lorsque le numérateur & le dénominateur de la fraction qui expriment la sous- tangente, deviennent l'un & l'autre égaux à zéro. C'est ce qui arrive dans les points où il y a plusieurs branches qui s'entrecoupent ; alors il faut différentier deux fois l'équation de la courbe, & la fraction (d x)/(d y) se trouve avoir autant de valeur qu'il y a de branches. On peut voir sur cela, outre les mémoires cités, un mémoire de M. Camus, dans le volume de l'académie 1747, où cette matiere est exposée & discutée fort clairement. (O)


TANGER(Géog. mod.) par les anciens Romains Tingis, & par les Africains Tanja, ville d'Afrique au royaume de Fez. C'étoit la capitale de la colonie romaine dans la Mauritanie tingitane, & c'est de-là que partirent depuis les Maures qui soumirent l'Espagne. Tant qu'elle leur appartint elle brilla par sa splendeur, par ses édifices, & par ses environs, décorés de jardins & de maisons de plaisance, à cause des eaux qui s'y trouvent. Elle est bâtie dans une belle situation, à 50 lieues de Fez, du côté du nord, sur la côte de l'Océan, près du détroit de Gibraltar, qu'on y traverse en quelques heures. La mer s'élargit en avançant vers l'est. Son terrein n'est pas fertile, mais ses vallons sont arrosés par des sources, où l'on recueille en abondance des fruits de toute espece.

Les rois de Portugal firent des efforts dans le quinzieme siecle pour s'emparer de Tanger. Edouard roi de Portugal, y envoya son fils don Ferdinand pour assieger cette place en 1437, & ce fut sans succès. Le roi Alphonse fut encore obligé d'en lever le siege en 1463 ; mais ayant pris Arzile en 1471, les habitans de Tanger effrayés de cet événement, abandonnerent eux-mêmes leur ville, dont le duc de Bragance se mit en possession, l'on chanta des te Deum de cette conquête, non-seulement en Portugal, mais dans toute l'Andalousie, la Castille, & le royaume de Grenade.

En 1662, cette place fut donnée à Charles II. roi d'Angleterre, pour la dot de sa femme, l'infante de Portugal. Elle étoit alors défendue par deux citadelles ; mais comme les fraix qu'il en coutoit pour entretenir les ouvrages & la garnison, consommoient & au-delà, les avantages qu'on pouvoit en retirer, les Anglois céderent la place démantelée en 1684, aux rois de Maroc, qui en jouissent aujourd'hui. Long. suivant Ibn-Saïd, 8. 31. lat. 35. 30. Long. suivant Harrès, 15. 54. 15. lat. 35. 55. (D.J.)

TANGER, le, (Géog. mod.) petite riviere d'Allemagne, dans la vieille marche. Elle a sa source près du village de Colbits, & se jette dans l'Elbe à Tangermund, petite ville à laquelle elle donne son nom.


TANGERMUND(Géog. mod.) ville d'Allemagne, dans le cercle de la basse-Saxe, à l'embouchure du Tanger dans l'Elbe, à dix lieues au nord-ouest de Brandebourg, & à deux de Standel. Long. 29. 43. latit. 62. 34.


TANGIBLEvoyez l'article TACTILE.


TANGO(Géog. mod.) une des huit provinces de la contrée froide du nord de l'empire du Japon ; elle a une journée & demie de largeur du sud au nord, & se partage en cinq districts ; c'est un pays passablement bon, & la mer le fournit abondamment de poissons, d'écrevisses, &c. (D.J.)


TANGUE DE MER(Hist. nat.) sorte de sable marin. Ce sable que les riverains des côtes maritimes de la basse Normandie ramassent sur les terres basses de la mer, pour la culture & l'engrais de leurs terres, ou pour en former le sel au feu, est une espece de terre sablonneuse beaucoup plus legere que les sables communs des fonds de la mer & du bord des côtes ; ces derniers sont ordinairement blancs, roussâtres, jaunes, & d'autres nuances, suivant la nature de ces fonds ; ils sont aussi lourds, denses & pierreux ; la tangue au-contraire est très-légere, & approche plus de la qualité de la terre ; c'est aussi par cette raison qu'elle se charge plus aisément du sel de l'eau de la mer.

La marée rapporte journellement la tangue le long des côtes des amirautés de Granville, Coutances, Port-Bail & Carteret, Cherbourg & d'Isigny ; les riverains voisins de ces côtes, & même les laboureurs éloignés de plusieurs lieues de la mer, viennent la chercher.

Les uns répandent la tangue telle qu'ils l'apportent du rivage ; les autres en font des tas, qu'ils nomment tombes & forieres, qu'ils forment de cette tangue, & de bonnes terres qu'ils mêlent ensemble, & quand ce mêlange a resté quelque tems en masse, où il se meurit, les laboureurs le répandent sur les terres qu'ils veulent ensemencer.

Les laboureurs & les sauniers connoissent quatre especes de tangue ; ils nomment la premiere la tangue legere ; elle est de couleur de gris-blanc ou cendrée claire, & la vivacité du soleil en rend la superficie toute blanche ; il y a tangue usée, que ces ouvriers rejettent après qu'ils en ont deux ou trois fois tiré le sel.

La tangue legere est celle que l'on ramasse sur la superficie des marais salans, & sur les terres voisines des embouchures des rivieres où la marée l'apporte facilement à cause de sa légereté ; cette espece de sable est fort impregnée de la qualité du sel marin, on le ramasse avec un rateau formé du chanteau du fond d'un tonneau ; plus le soleil est vif, plus cette tangue a de qualité, parce qu'elle est plus chargée de sel ; ceux qui la ramassent n'en enlevent souvent que l'épaisseur au plus de deux lignes ; c'est cette espace de sable que les sauniers recueillent pour la formation du sel au feu, & celle que prennent les laboureurs éloignés du bord de la mer pour échauffer leurs terres ; cette tangue étant par sa légereté plus facile à transporter. On la trouve quelquefois à plusieurs lieues de la côte.

On ramasse la tangue ordinairement en hiver, tems où l'on n'est point occupé à la culture de la terre, ni à leurs récoltes, & où les sauniers la négligent ; ils préférent pour ce travail les chaleurs de l'été.

La deuxieme espece de tangue se nomme par les riverains tangue forte ; elle est poussée, de même que la premiere, par la marée, vers la côte où elle se repose, & souvent s'augmente de maniere qu'il s'y en trouve de l'épaisseur de 15 à 18 pouces ; cette tangue se pourrit en quelque maniere ; elle devient alors d'une couleur de noir d'ardoise, elle n'est d'aucun usage pour les sauneries, elle ne sert qu'aux riverains bordiers voisins de la mer ; elle est trop lourde pour être emportée loin comme la tangue légere ; elle n'a pas aussi tant de qualité, mais on y supplée par la quantité qu'on en met sur les terres, les laboureurs la font ramasser en tout tems ; on la tire avec la bêche, comme on fait la terre forte, & ceux qui en ont besoin l'enlevent avec des charrois, ou sur des chevaux.

La troisieme espece de tangue est celle qui provient des tangues légeres qui ont déja servi à l'usage des sauniers, & dont ils font pendant les chaleurs de l'été des amas ou meulons autour de leurs sauneries ; & lorsqu'ils en ont tiré, autant qu'il leur est possible, le sel, ils la transportent durant les chaleurs sur le fond de leurs marais salans qu'ils labourent ; ils y passent ensuite la herse, & unissent cette terre sablonneuse avec un instrument, qu'ils nomment haveau, ce qu'ils font peu de tems avant les pleines mers des grandes marées qui couvrent alors leurs marais.

Cette culture échauffe le sol, & rend cette tangue plus propre à s'imbiber de nouveau du sel marin ; les sauniers ramassent ensuite la tangue, l'ardeur du soleil la fait blanchir, & ils la rapportent autour de leurs sauneries pour en faire un nouvel usage.

La derniere espece de tangue est la tangue usée ; c'est celle que les sauniers avoient ramassée sur le terrain de leurs salines qu'ils avoient cultivé & dont ils ont tiré une seconde fois le sel ; ces ouvriers après ce second usage rebutent ordinairement cette tangue, comme moins propre à reprendre de nouveau la qualité du sel ; les riverains la viennent enlever, comme on fait la tangue forte, & s'en servent de même pour la culture de leurs terres ; il reste à cette derniere assez de qualité pour l'usage des labours, & d'ailleurs elle est beaucoup moins lourde que la tangue forte, & se peut enlever plus loin.

Il ne se fait aucun commerce de la tangue, parce que ce sont ceux qui en ont besoin qui la viennent eux-mêmes enlever pour la transporter sur les terres ; cette sorte d'engrais est libre comme le sel marin, & le varech de flot que la marée rejette journellement à la côte, & qui appartient aux premiers qui le ramassent, soit qu'ils soient du territoire où ces engrais se prennent ou des paroisses éloignées qui n'ont pas droit de faire la coupe & la recolte du varech vif, croissant sur les côtes des paroisses maritimes, aux habitans desquelles ces herbes appartiennent exclusivement.

Quelques seigneurs riverains prétendent cependant avoir le droit exclusif de vendre cette tangue, poussée par la mer le long des côtes de leurs territoires, ce qui ne peut se soutenir sans titres de la qualité prescrite par l'ordonnance.

Quelquefois aussi les riverains pour s'exempter de la peine de ramasser la tangue, achetent celle que les sauniers ont recueillie pour avancer leur travail, & ne point perdre leur tems à ramasser la tangue, dont ils ont besoin pour la culture de leurs terres.


TANGUERv. n. (Gramm.) c'est balancer de poupe à proue. Voyez TANGAGE.


TANGUEURou GABARIERS, s. m. pl. (Marine) ce sont des porte-faix, qui servent à charger & à décharger les grands bâtimens.


TANGUT(Géog. mod.) royaume d'Asie, dans la Tartarie chinoise. Il est borné au nord par les états du grand chan des Calmoucks, au midi par la province d'Ava, au levant par la Chine, & au couchant par les états du Mogol. On le divise en deux parties, dont la septentrionale est appellée le Tibet, & la méridionale le Tangut propre. C'est le patrimoine du dalaï-lama qui est le souverain pontife de tous les Tartares payens ; mais il ne se mêle que du spirituel : le contaisch, grand chan des Calmoucks, gere le temporel. Le dalaï-lama habite un couvent qui est sur le sommet d'une haute montagne, dont le pié est occupé par plusieurs centaines de prêtres de sa secte. Le royaume de Tangut s'étend depuis le 94 jusqu'à 100 degré de longit. & depuis le 30 deg. jusqu'au 35 de latit. (D.J.)

TANGUT, (Géog. mod.) ville du Turquestan, que les Arabes appellent Tanghikunt ; elle est fort proche de la ville d'Illock, au-delà des fleuves Gihon & Sihon. Long. selon Abulfeda, 91. lat. septent. 43.


TANHÉTANHÉS. m. (Hist. nat. Bot.) plante de l'île de Madagascar ; elle est très-astringente : on s'en sert pour arrêter le sang des plaies.


TANIS. m. (Hist. nat. Bot. exot.) espece de prunier des Indes orientales, qui porte un fruit en forme de poire, de la grosseur d'une bonne prune, dont la pulpe est verte, succulente, insipide & pleine de suc. Cette prune est couverte d'une peau unie, rouge & luisante ; elle contient un noyau oblong, dans lequel il y a une amande blanche, agréable au goût, & assez semblable à celle de l'aveline. (D.J.)

TANI, terme de Commerce, c'est la meilleure des deux especes de soie crue que les Européens tirent du Bengale ; l'autre s'appelle monta, qui n'est proprement que le fleuret.


TANIERES. f. (Gramm.) retraite des bêtes sauvages. C'est ou le fond d'un rocher, ou quelque cavité souterraine, ou le touffu d'une forêt. On dit la taniere d'un renard, d'un ours, d'un lion. Il se prend aussi quelquefois au figuré, & l'on appelle taniere, la demeure d'un homme vorace, solitaire & méchant.


TANIS(Géog. anc.) ville de la basse Egypte, située près de la seconde embouchure, ou du second bras du Nil, qui en fut appellé bouche Tanitique, Taniticum ostium.

La fameuse Tanis qui étoit, suivant les itinéraires, à 44 milles de Péluse vers l'occident, & sur un canal qui portoit son nom, subsiste encore aujourd'hui auprès de la même embouchure. Les Portulans qui la placent 60 milles marins à l'orient de Damiette, la nomment la bouche de Tennès ou Ténexe. Edrissi fait mention dans sa géographie, de la ville & du lac de Tinnis, qui a 30 milles de longueur d'orient en occident, & qui communique à un autre lac qui s'étend jusqu'auprès de Damiette. Le P. Sicard parle de ces deux lacs, & leur donne 66 milles pas de l'est à l'ouest. Ils commencent au château de Tiné, & s'étendent jusqu'à Damiette, étant joints en cet endroit au bras du Nil, par un canal de 1500 pas : l'eau en est jaunâtre ; ils sont très-poissonneux, & contiennent plusieurs îles, entre lesquelles est celle de Tanah, où il y a un ancien siege épiscopal, qui a toujours subsisté sous les Mahométans : Elmacin en fait mention à l'année 939 de J. C. Les Arabes fonderent, l'année même de la conquête de l'Egypte, une seconde ville de Tanis, dans une autre île de ce lac, où il y avoit quelques anciennes ruines. Cette nouvelle Tanis est devenue dans la suite assez considérable pour avoir une chronique particuliere, sous le titre de tarickh Tinnis.

La ville de Tanis est une des plus anciennes de l'Egypte : car sans vouloir rien conclure de ce qu'il en étoit parlé dans l'histoire fabuleuse d'Isis & d'Osiris, tradition qui prouve cependant l'idée qu'on avoit de son antiquité ; je me contenterai d'observer que dans le livre des Nombres, il est dit en parlant de la ville d'Hébron, déja florissante au tems d'Abraham, que sa fondation précédoit de sept ans celle de Tzoan : les septante, qui ont fait leur traduction en Egypte, rendent ce nom par celui de Tanis.

Cette ville subsiste donc depuis près de 4000 ans ; & elle est encore sur le bord de la mer. Le lac dans lequel est la ville de Tanis, n'est séparé de la mer que par une langue de sable de trois milles de largeur. Il faut conclure de-là que cette partie de la côte d'Egypte n'a reçu aucun changement. Si cette côte s'avançoit sans-cesse dans la mer, comme on le suppose, ce progrès, quelque lent qu'il fût, auroit éloigné la mer de la ville de Tanis, pendant cette durée de 4000 ans ; & cette ville se trouveroit aujourd'hui à une assez grande distance en-deçà de la mer. Mém. des Inscript. tome XVI. p. 369. (D.J.)


TANISTRIES. f. (Gram. & Jurisprud.) ou loi tanistria, ainsi appellée de tanistri, terme anglois qui signifie héritier présomptif, étoit une loi municipale d'Angleterre qui déferoit les biens du défunt à son parent le plus âgé & le plus capable de gouverner les biens, sans avoir égard à la proximité du degré. C'étoit proprement la loi du plus fort : ce qui causoit souvent de sanglantes guerres dans les familles. C'est pourquoi cette loi fut abolie sous le regne de Jacques premier, roi d'Angleterre, & sixieme roi d'Ecosse de ce nom. Voyez Larrey. (A)


TANITICUS NOMUS(Géog. anc.) ou TANITES, la Tanitide, préfecture de la basse Egypte, le long de la branche du Nil, appellée taniticum ostium, bouche tanitique. Sa métropole étoit Tanis. (D.J.)


TANJou TANJOU, s. m. (Hist. mod.) c'est le nom que les anciens turcs ou tartares donnoient à leurs souverains, avant que de sortir de la Tartarie pour faire des conquêtes en Asie.


TANJAORROYAUME DE, (Géog. mod.) ou TANJAOUR, petit royaume des Indes sur la côte de Coromandel. Il est borné au nord par celui de Gingi, au midi par le Marava, au levant par le royaume de Maduré. C'est le meilleur pays de toute l'Inde méridionale ; le fleuve Caveri l'arrose & le fertilise. Les principaux lieux de la côte sont Tranquebar, qui appartient aux Danois, & Négapatan aux Hollandois. Le chef-lieu dans les terres, est Tanjaor capitale. (D.J.)

TANJAOR, (Géog. mod.) ou TANJOUR, ville de l'Inde méridionale, capitale du royaume de même nom, sur la côte de Coromandel, au bord d'un bras du fleuve Caveri : c'est la résidence d'un roi du pays. Long. suivant le P. Boucher jésuite, 96. 33. latit. 11. 27.


TANJEBSS. m. terme de Commerce, on appelle ainsi certaines mousselines, ou toiles de coton doubles, cependant un peu claires, qui viennent des Indes orientales, particulierement de Bengale. Les unes sont brodées de fil de coton, & les autres unies ; les brodées ont seize aunes à la piece, sur trois quarts de large ; & les unies seize aunes de long, sur sept - huit de large. Diction. de Comm. (D.J.)


TANNAIMS. m. (Hist. des Juifs) nom ancien des savans Juifs qui enseignerent dans les synagogues jusqu'au tems de la Misna, la loi orale ou la doctrine des traditions. Le mot Tannaïm est un dérivé de tanah qui signifie en chaldéen donné par tradition ; & il revient au mot hébreu shanah, d'où est tiré celui de misna, ce livre si célebre parmi les Juifs, & qui n'est composé que de la tradition de leurs docteurs. Voyez MISNA. (D.J.)


TANNES. f. (Physiolog.) Les tannes sont l'humeur sébacée de la sueur & de la transpiration retenue dans ses petits canaux excrétoires.

La portion qui couvre le bout du nez, des aîles du nez & du menton, &c. est chargée d'un grand nombre de follicules sébacées qui produisent une secrétion d'un liquide huileux, lequel demeure arrêté dans les petits canaux excrétoires par une transpiration retenue, à cause du défaut de chaleur qui la rend moins abondante dans cette partie. Cette humeur arrêtée s'épaissit & se durcit dans les follicules, d'où on la fait sortir en forme de petits vers par l'expression, & avec une épingle.

Les tannes ne sont donc autre chose qu'une humeur blanchâtre, huileuse & terreuse de la sueur retenue dans les follicules sébacées du menton, du bout du nez, qui forme comme des mailles, tandis que la matiere qui leur servoit de véhicule s'évapore par la chaleur & la transpiration. Cette matiere remplit peu-à-peu ces follicules ou mailles ; alors il en regorge une partie par les petits trous excrétoires qui sont sur la peau.

Comme cette matiere est tenace & gluante, elle retient la crasse & la poudre qui vole sur le visage ; & quoiqu'on l'essuie souvent, non - seulement on n'emporte pas la crasse qui s'est placée sur les extrêmités des tannes qui sont dans les enfoncemens de ces trous ; mais au contraire le linge qui essuie le visage, la ramasse & la presse dans ces creux, où elle reste & produit ces petits points noirs, qui paroissent dans les pores de presque tous les nez, & qui forme le petit bout noir de la tanne quand on la fait sortir de son trou, en la pinçant d'une certaine façon.

Voilà ce qui persuade les personnes peu instruites, que les tannes sont des vers qui s'engendrent dans la peau, & que ce petit point en est la tête, au-lieu que c'est un petit peloton de l'humeur sébacée & dessechée dans les réseaux de la peau, dont la petite extrêmité qui regarde le jour, est sale & crasseuse par la poudre qui sans-cesse vole dessus, & en est retenue par la matiere gluante de la tanne même. Il doit paroître plus de tannes sur le nez & sur le menton qu'aux autres endroits du visage, à cause de leur plus grand nombre de follicules sébacées.

C'est donc sans fondement qu'on a pris les tannes pour des vers, mais je crois plus, c'est que très-souvent on s'est trompé, quand on a cru, par des incisions, avoir tiré des vers du nez, des sourcils & des différentes parties du visage. En effet, sans vouloir nier qu'effectivement il se trouve quelquefois des vers dans le nez, dans les sourcils & dans d'autres parties extérieures du corps humain, il est constant qu'on se fait très - souvent illusion sur cet article, & que ce que l'on prend pour des vers, n'est communément que du pus épaissi. Lorsqu'un bouton a suppuré sans qu'on en ait fait sortir la matiere, elle s'y fige, & devient de la consistance d'une pâte. Le bouton reste ouvert, & le pus qui le remplit paroît sur cette ouverture comme une tache brune, parce que l'air en a séché & durci le dessus ; c'est cette tache que l'on prend pour la tête d'un ver, il faut le faire sortir. On presse le bouton ; le pus en sortant par l'ouverture du bouton, prend une forme cylindrique, c'est le ver qui sort la tête la premiere. La pression n'étant pas de tous côtés égale, ce pus ne sort pas par-tout en égale quantité, cela fait qu'il se recoquille en divers sens, & voilà le ver qui sort vivant, & qui fait des contorsions. En faut-il davantage pour établir une opinion populaire ? On n'auroit cependant qu'à toucher ce prétendu ver, pour se convaincre qu'il n'étoit rien moins que ce qu'on le croyoit, & c'est ce dont on ne s'avise pas.

Mais les dames seront plus curieuses d'un bon remede contre les tannes, que de toute notre physiologie, il faut bien les satisfaire. Le fiel de boeuf dégagé de sa partie terreuse & grasse, de la maniere que M. Homberg l'enseigne dans les Mém. de l'acad. des Sciences, année 1709. p. 360. sera ce remede qu'il convient d'employer de la maniere suivante.

Prenez une drachme & demie de la liqueur rouge & clarifiée du fiel de boeuf, après qu'elle aura été deux ou trois mois exposée au soleil en été, & autant d'huile de tartre par défaillance ; ajoutez-y une once d'eau de riviere ; mêlez-les bien ensemble, & tenez-les dans une phiole bien bouchée ; il ne faut pas faire beaucoup de ce mêlange à-la-fois, parce qu'il ne se conserve pas long-tems. Pour s'en servir, l'on mouille un doigt dans ce mélange, on en tappe l'endroit où sont les tannes, on le laisse sécher, & on en remet ; l'on fait cela sept à huit fois par jour, jusqu'à ce que l'endroit étant sec, commence à devenir rouge, alors on cesse d'en mettre ; on sentira une très-légere cuisson, ou plutôt une espece de chatouillement, & la peau se fera un peu farineuse pendant un jour ou deux ; la farine étant tombée, les tannes seront effacées pendant cinq ou six mois de tems ; ensuite il faudra recommencer le même remede : si après sa premiere application, c'est-à-dire, la farine étant tombée, les tannes n'étoient pas tout-à-fait effacées, il en faudroit appliquer deux fois de suite.

Ce remede du fiel de boeuf étant une espece de lessive, elle entre peu-à-peu dans les pores, où elle détrempe & dissout entierement la tanne. Et comme dans cet état la tanne occupe beaucoup plus de place qu'elle ne faisoit auparavant, la plus grande partie de sa substance sort de son creux, & s'en va en farine ; il faut un tems assez considérable pour remplir de nouveau ces creux. (D.J.)

TANNES, s. f. pl. (Mégiss.) petites marques qui restent sur les peaux des bêtes fauves, même apprêtées : ce sont les marques des insectes qui les ont piquées. (D.J.)


TANNÉparticipe du verbe tanner. Voyez TANNER.

TANNE, s. m. (terme de Tanneur) c'est du tan mêlé de chaux, tel qu'on le retire des fosses lorsqu'on les vuide, & qui a servi à préparer les cuirs. Le tanné n'est pas perdu, pour avoir servi ; on en fait des mottes à brûler.

TANNE, en termes de Blason, se dit d'une couleur brillante, faite de rouge & de jaune mêlés ensemble. Les Graveurs l'expriment par des lignes diagonales, qui partent du chef senestre, comme le pourpre dont ils distinguent cette couleur par un T. Voyez POURPRE.

Dans les cottes d'armes de tous ceux qui en Angleterre sont au-dessous du degré des nobles, cette couleur s'appelle tanné, dans celles des nobles hyacinthe, & dans celles des princes, tête ou sang de dragon.

TANNEE, couleur, (Teinturerie) sorte de couleur qui ressemble à celle du tan ou de la chataigne, & qui tire sur le roux obscur. Une étoffe tannée, un drap tanné sont une étoffe, un drap de cette couleur. (D.J.)

TANNEE, fleurs de la, (Botan.) les ouvriers employés au tan ont donné le nom de fleurs de la tannée à plusieurs touffes d'une espece de gazon de belle couleur jaune matte, dispersées en différens endroits sur le haut des monceaux de tan qui ont servi plusieurs mois à tanner & couvrir des cuirs de boeufs, qu'on range par lits l'un sur l'autre dans des fosses faites à cet usage ; ensuite de quoi ce tan retiré des mêmes fosses est mis en gros tas.

Ce tan, après avoir servi, est alors appellé par les ouvriers de la tannée, & cette matiere ne sert plus qu'à faire des mottes, dont on sait que les pauvres se servent, faute de bois, pendant l'hiver.

Les touffes en maniere de gazon dont on vient de parler, sont donc la végétation connue chez les Tanneurs sous le nom de fleurs de la tannée. Cette végétation sort de la substance de la tannée en une espece d'écume, qui peu-à-peu s'épaissit en consistance de pâte molle, de couleur jaune-citron, & de l'épaisseur de six à huit lignes.

A mesure que cette plante végete, sa surface devient poreuse & spongieuse, bouillonnée, remplie d'une infinité de petits trous de différens diametres, dont les interstices forment une espece de rézeau plus ou moins régulier, & souvent interrompu par des bouillons qui s'élevent un peu au-dessus de la superficie de cette matiere ; quand elle est à son dernier point d'accroissement, elle a plus de rapport à la surface d'une éponge plate & fine, qu'à toute autre végétation. Sa couleur augmente toujours jusqu'au jaune doré, & alors elle devient un peu plus solide en se desséchant en l'air.

On n'apperçoit dans la matrice de cette végétation aucunes fibres qu'on puisse soupçonner être ou faire les fonctions de racine pour la production de cette végétation qui a d'abord une légere odeur de bois pourri, laquelle augmente par la suite. Sa saveur a quelque chose du stiptique.

La tannée sur laquelle elle croît, est alors de couleur brune, dure, foulée & plombée, quoique fort humide, & dans l'instant de cette production, la tannée a une chaleur aussi considérable depuis sa surface jusqu'à un demi-pié de profondeur, que si elle avoit été récemment abreuvée d'eau tiede.

Pendant le premier jour de la naissance de la végétation, elle paroît fort agréable à la vue, légere, & comme fleurie, lorsque les portions de gazon qu'elle forme, s'étendent circulairement en façon de lobes, jusqu'à dix ou douze pouces de diametre ; mais si par hasard elle se trouve naître en un lieu exposé au midi (ce qui lui est favorable pour sa production & non pour sa durée), les rayons du soleil la résolvent dès le second jour en une liqueur bleue-jaunâtre, laquelle en peu de tems se condense, & se convertit entierement en une croute seche épaisse d'environ deux lignes.

La végétation ayant ainsi disparu, on trouve quelques jours après sous cette croute, une couche, ou lit de poussiere noire, très-fine, qui a assez de rapport à la poussiere qu'on découvre dans le lycoperdon, & qui ici pourroit être de la tannée dissoute, puis desséchée, & enfin convertie en une espece de terreau réduit en poudre impalpable.

La fleur de la tannée paroît tous les ans vers le commencement du mois de Juin, ou quelquefois plutôt, suivant la chaleur du printems. Il est donc assez vraisemblable que le tan qui a servi à tanner les cuirs, est la matrice de cette végétation. En effet la chaux qu'on employe pour faire tomber le poil des cuirs, les sels, les huiles & les soufres contenus dans les cuirs, joints à l'acide du tan, macérés ensemble dans des fosses pendant plusieurs mois, & dont le tan a été parfaitement imbibé, contient des substances qui aidées de l'air, sont toujours prêtes à produire la végétation dont il s'agit.

Il semble que si l'on compare cette végétation à l'éponge reconnue pour plante, & dans laquelle on n'apperçoit presque ni racines, ni feuilles, ni fleurs, ni graines, on pourroit la ranger sous le genre des éponges, & la nommer, en attendant de plus amples découvertes, spongia fugax, mollis, flava, in pulvere coriario nascens. Mém. de l'acad. des Sciences, année 1727. (D.J.)


TANNERv. act. (Gram. Arts & Métiers) Maniere de tanner les cuirs. Les peaux, telles que sont celles de boeuf, de vache, de cheval, de mouton, bélier ou brebis, de sanglier, cochon ou truie, &c. peuvent être tannées, c'est-à-dire qu'on peut les rendre propres à différens usages, selon leur force & les différentes manieres de les apprêter, par le moyen du tan dont on les couvre dans une fosse destinée à cet effet, après qu'on en a fait préalablement tomber le poil, soit avec la chaux détrempée dans l'eau, & cela s'appelle plamer à la chaux, soit avec de la farine d'orge, & cela s'appelle plamer à l'orge, soit enfin par la seule action du feu & de la fumée, maniere que l'on pratique déja depuis long-tems à Saint-Germain-en-Laie, & que les tanneurs des autres endroits ignorent en partie, ceux de cette ville la regardant comme un secret ; ce dernier moyen ne pourroit cependant paroître surprenant qu'à ceux qui ignorent les effets les plus naturels & les plus à portée d'être remarqués ; tout le monde sait qu'une peau même vivante perd beaucoup de son poil pendant les chaleurs de l'été, ce que nous appellons muer ; à plus forte raison le poil doit-il quitter une peau morte, lorsqu'elle est exposée à l'action du feu & d'une fumée dont la chaleur peut égaler, & même surpasser celle de l'été ; cette derniere façon s'appelle plamer à la gigée ou à la gigie, terme que nous n'avons trouvé employé nulle part, & dont nous ne connoissons ni l'étymologie, ni les rapports.

Nous allons exposer avec le plus d'ordre & de clarté qu'il nous sera possible, ces trois façons de traiter les cuirs. Quelques personnes que nous avons eu occasion de voir, & qui nous ont assuré avoir voyagé en Perse, nous ont rapporté qu'on s'y servoit dans quelques tanneries, de sel & de noix de galle pour dépouiller la peau de son poil ; nous le croyons assez volontiers, vu que les plus légers mordans peuvent à la longue occasionner cette dépilation ; on s'y sert aussi, suivant leur rapport, de la chaux ; mais ce qui nous cause quelque surprise, c'est que la sécheresse qui regne dans ce pays, acheve, à ce que disent ces personnes, l'ouvrage, dans l'un & l'autre cas, les Persans ignorant absolument l'usage du tan. Peut-être que ces personnes douées d'une bonne mémoire se sont plû à nous débiter ce qu'elles en avoient pu lire dans le dictionnaire du Commerce, dont nous aurons occasion de relever quelques erreurs, & réparer des omissions essentielles sur cet article.

Article I. Maniere de plamer à la chaux. Plamer un cuir à la chaux, c'est lui faire tomber le poil ou bourre, après l'avoir fait passer dans le plain pour le disposer à être tanné ensuite de la maniere que nous allons détailler.

Lorsque les Bouchers ont dépouillé les boeufs qu'ils ont tués, c'est-à-dire, lorsqu'ils ont levé les cuirs de dessus, on les sale avec le sel marin & l'alun ou avec le natron, qui est une espece de soude blanche ou salpêtre, ce qu'il faut absolument faire, si on veut les garder quelque tems ou les envoyer au loin ; car dans le cas où le tanneur les apprêteroit aussitôt qu'ils auroient été abattus, il seroit inutile de les saler, cette opération n'étant nécessaire que pour en prévenir la corruption. Lorsque les cuirs auront été salés, & qu'ils seront parvenus entre les mains des Tanneurs, la premiere chose qu'il faudra faire pour les apprêter, sera d'en ôter les cornes, les oreilles & la queue, & c'est ce que les Tanneurs appellent l'émouchet ; on commencera aussi par cette même opération, quand même les cuirs n'auroient point été salés, après quoi on les jettera dans l'eau pour les dégorger du sang caillé, & en faire sortir les autres impuretés qui pourroient y être jointes ; on ne peut déterminer le tems fixe que les peaux doivent y rester, moins dans une eau vive comme celle de fontaine, plus dans celle de riviere, & plus encore dans une eau croupie & dormante ; ce tems doit aussi s'évaluer selon la fraîcheur des peaux, & du plus ou du moins de corps étrangers qui y sont joints, dont il faut qu'elles soient absolument purgées ; cependant un jour & demi doit ordinairement suffire, & pour peu que l'ouvrier soit intelligent, il augmente ou diminue ce terme, suivant les circonstances, après quoi on les retire ; on les pose sur le chevalet, & on y fait passer sur toutes leurs parties un couteau long à deux manches qui n'a point de tranchant, que l'on appelle couteau de riviere, dont l'action est de faire sortir l'eau qui entraîne avec elle le sang caillé en les pressant sur le chevalet ; quelques - uns n'en retirent les cornes, les oreilles & la queue, qu'après avoir été ainsi nettoyées ; mais c'est s'éloigner de l'ordre naturel. Cette opération finie, on doit les replonger dans la riviere, & les y laver jusqu'à ce que l'eau dont elles s'imbibent, en sorte nette & pure, ensuite on les met égoutter ; quoique le tanneur, pour s'épargner de la peine, puisse s'exemter de passer le couteau de riviere au tems que nous venons d'indiquer, peu cependant y manquent ; autrement les peaux n'auroient point la netteté requise pour les opérations suivantes, & le dictionnaire du Commerce n'auroit pas dû passer cet article sous silence, vû que la bonté du cuir dépend en plus grande partie de la maniere dont il est apprêté.

Les peaux étant ainsi nettoyées & égouttées, on les met dans un plain, c'est-à-dire dans une grande cuve de bois ou de pierre, mastiquée en terre, remplie d'eau jusqu'à la moitié ou environ, & de chaux tout-à-fait usée, ce qui lui fait donner le nom de plain-vieux ou mort-plain ; c'est donc dans un mort-plain que les peaux doivent premierement entrer, autrement on couroit risque de les brûler, ce qui fait que les différens plains par où les peaux doivent successivement passer, doivent aller de degrés en degrés, jusqu'à ce qu'elles puissent entrer sans danger dans le plain - vif. On doit les laisser dans ce mort-plain environ dix à douze jours, en observant cependant de les en retirer tous les deux jours, quelquefois même tous les jours, sur-tout si la chaux n'étoit point tout-à-fait usée ou que les chaleurs fussent excessives ; on les met égoutter sur le bord du plain qu'on appelle la traite, & on les laisse ainsi en retraite à-peu-près le même tems qu'elles ont séjourné dans le mort - plain c'est - à - dire un ou deux jours. Quoique nous ayons fixé le tems du séjour des peaux dans le mort-plain, à dix ou douze jours, nous nous garderons cependant bien de les faire passer immédiatement après dans le plain-vif, comme nous avons remarqué qu'on indiquoit dans le dictionnaire du Commerce, quoique l'auteur ne les fasse séjourner qu'une nuit dans le mort-plain, ce qui doit encore les rendre beaucoup plus susceptibles des impressions du plain-vif, ce que nous n'osons faire même, après un séjour de dix à douze jours dans le mort-plain, séjour qui auroit pu accoutumer insensiblement les peaux à l'action de la chaux dans toute sa force ; cette marche & ces observations paroîtront peut - être de peu de conséquence à ceux qui ignorent la vraie & unique maniere de tanner, ou qui n'ont eu sur cet article que des connoissances fort bornées & fort imparfaites par la difficulté d'en acquerir de justes ; mais nous sommes persuadés qu'un bon ouvrier les mettra à leur juste valeur, & sentira que nous indiquons la maniere de traiter parfaitement les peaux, & non pas celle de gâter les cuirs. Si le poil quitte facilement les peaux en sortant du mort-plain, ce qu'il est facile de connoître ; on les jette à l'eau pour les nettoyer en plus grande partie de la chaux dont elles peuvent être couvertes ; on les retire ensuite & on les pose sur le chevalet pour les ébourer, ce qui se fait avec le même couteau de riviere, dont nous avons parlé ci-dessus. Lorsque la dépilation est complete , on les lave exactement & on les met ensuite égoutter ; bien entendu cependant, que si le poil ne quittoit point facilement les peaux, il faudroit les faire passer dans un plain dont la chaux fût moins usée ; on doit alors les en retirer tous les jours pour les mettre en retraite égoutter, comme lorsqu'elles étoient dans le mort-plain, & les y laisser jusqu'à ce qu'elles soient parvenues au point d'être facilement ébourées. Ce premier & léger apprêt donné, il faut les remettre dans un plain qui tienne le milieu entre le mort & le vif ; elles y doivent rester environ six semaines, en observant de les en retirer au plus tard tous les deux jours, & de les laisser en retraite au moins le même tems ; ce terme expiré, on doit les plonger dans un plain - vif & les y laisser environ cinq à six jours & autant en retraite, & cela alternativement pendant un an & même dix-huit mois. Au reste, le tems du séjour dans les différens plains, sans en lever les peaux pour les mettre en retraite, doit s'évaluer suivant la saison, c'est-à-dire le plus ou moins de chaleur ; car en hiver, & sur-tout lorsqu'il gele, elles peuvent rester six semaines, même deux mois sans être mises en retraite ; l'usage & l'attention sont seuls capables de donner de la précision & de la justesse à toutes ces différentes opérations. Le tems que les peaux sont en retraite doit être pour la plus grande partie employé à remuer le plain, afin que la chaux ne s'amasse point au fond, qu'elle soit bien délayée, & qu'elle puisse ainsi agir également sur toutes les peaux & sur toutes les parties de chacune. Si les plains qui doivent être ou en partie, ou tout - à - fait vifs avoient notablement perdu de leur force, il faudroit y remettre une quantité suffisante de chaux, eu égard à la quantité de peaux qui doivent y entrer & à l'action qu'on en exige, & c'est ce qu'on appelle pancer un plain, ce qui se fait aussi, lorsque les peaux sont en retraite. Les peaux ayant été parfaitement plamées & ayant séjourné suffisamment dans les plains, il faut les porter à la riviere & les y laver ; on les pose ensuite sur le chevalet pour les écharner, ce qui se fait avec un couteau à-peu-près semblable à celui dont on se sert pour ébourer, à l'exception que ce dernier doit être tranchant. Après quoi, on doit les quiosser, c'est-à-dire les frotter à force de bras sur le chevalet avec une espece de pierre à éguiser, que l'on nomme quiosse ou queux, pour achever d'ôter la chaux qui pourroit être restée du côté où étoit le poil, qu'on appelle le côté de la fleur ; on ne doit faire cette derniere opération qu'un ou deux jours après que les peaux auront été lavées & écharnées. Aussi-tôt que les peaux auront été ainsi quiossées ; on les met dans les fosses ; on les y étend avec soin, & on les poudre à mesure avec du tan, c'est - à - dire avec l'écorce de jeune chêne, concassée & réduite en grosse poudre dans des moulins destinés à cet usage, & que l'on appelle pour cela moulins à tan. Il est bon d'observer ici, que plus le tan est nouveau, plus il est estimé, car il perd beaucoup de sa qualité à mesure qu'il vieillit ; sa principale action sur les cuirs étant d'en resserrer les pores, il est constant qu'il doit être moins astringent lorsqu'il est suranné, & si les Tanneurs avoient à coeur de ne livrer des cuirs que parfaitement apprêtés, ils se serviroient toujours du tan le plus nouveau, vû que la bonté du cuir ne consiste, que dans la densité & le resserrement de ses parties ; d'où il est facile de conclure, que plus les cuirs restent dans le tan pourvû qu'il soit nouveau, & plus ils acquierent de force & de consistance pour résister aux différens usages auxquels on peut les employer.

On donne aux cuirs forts cinq poudres, & même six, au lieu que trois ou au plus quatre doivent suffire lorsqu'ils le sont moins, en observant de les imbiber d'eau à chaque poudre qu'on leur donnera, ce que les Tanneurs appellent donner de la nourriture ; pour nous, nous croyons effectivement que l'eau peut bien être aux cuirs une espece de nourriture, en ce qu'elle dissout le tan, & qu'elle en doit par conséquent rendre les parties astringentes, beaucoup plus faciles à pénétrer ; mais il faut aussi pour agir sur la quantité de cuirs étendus dans la fosse, qu'il y ait une quantité suffisante de tan, que nous regardons comme la principale & la vraie nourriture qui doit donner aux cuirs sa perfection. La premiere poudre doit durer environ deux mois. La seconde trois ou quatre, & les autres cinq ou six plus ou moins, suivant la force du cuir qui pourra s'évaluer par la grandeur & l'épaisseur de la peau, par l'âge de l'animal, & par le travail où il aura pu être assujetti ; desorte que pour qu'un cuir fort ait acquis le degré de bonté requis pour être employé, il faut qu'il ait séjourné dans les fosses un an & demi, même deux ans, autrement on tanneroit par extrait, comme dans le dictionnaire du Commerce, qui ne donne aux cuirs les plus forts, qui exigent au moins cinq poudres, que neuf mois & demi de séjour dans les fosses. Nous savons bien que peu de Tanneurs les y laissent le tems que nous assurons être absolument nécessaire pour qu'ils soient parfaitement tannés ; mais c'étoit une raison de plus pour l'auteur du dictionnaire, de relever l'erreur occasionnée, ou par l'avidité du gain, ou par l'impuissance de soutenir un métier qui demande de grosses avances ; quelques spécieuses que peuvent être les raisons des Tanneurs pour déguiser, ou leur avarice, ou leur impuissance, nous n'en serons jamais dupes. La preuve la plus claire & la plus facile à être apperçue par les yeux même les moins clairs-voyans, que les cuirs n'ont point séjourné assez de tems, soit dans les plains, soit dans les fosses, ou dans les deux ensemble, & qu'ils n'ont pas été suffisamment nourris dans les fosses ; c'est lorsqu'en les fendant, on apperçoit dans le milieu une raie blanchâtre, que l'on appelle la corne ou la crudité du cuir ; c'est ce défaut qui est cause que les semelles des souliers ou des bottes s'étendent, tirent l'eau, & enfin se pourrissent en très - peu de tems. Les cuirs une fois suffisamment tannés, on les tire de la fosse pour les faire sécher en les pendant en l'air ; ensuite on les nétoie de leur tan, & on les met dans un lieu ni trop sec ni trop humide, on les étend après, on les empile les uns sur les autres, & on met dessus de grosses pierres ou des poids de fer afin de les redresser ; c'est en cet état que le Tanneur peut alors recueillir légitimement le fruit de ses travaux, de sa patience, & de son industrie. Les cuirs ainsi apprêtés s'appellent cuirs plaqués, pour les distinguer des autres différemment travaillés ; cette maniere de tanner, s'appelle tanner en fort. On peut tanner, & on tanne effectivement en fort des cuirs de vaches & de chevaux, & ils se traitent de la même maniere que nous venons d'exposer ; mais il ne faut, eu égard à leur force qui est moindre, ni qu'ils séjournent aussi longtems dans les plains & dans les fosses, ni qu'ils soient aussi nourris ; l'usage indiquera la quantité de tems & de nourriture qu'exigeront les cuirs, sur-tout lorsque le Tanneur saura en distinguer exactement la force. Lorsqu'on destine les cuirs de vaches ou de chevaux à faire les empeignes & les quartiers des souliers, & des bottes, on doit les rougir, ce qui s'appelle les mettre en coudrement, ce qui se fait de la maniere suivante ; après qu'ils ont été plamés à la chaux de la façon que nous avons indiquée, ce qui exige beaucoup moins de tems, vu qu'ils ne sont pas à beaucoup près si forts que les cuirs de boeufs. On les arrange dans une cuve de bois, appellée emprimerie, on y met ensuite de l'eau froide en assez grande quantité pour pouvoir remuer les cuirs, en leur donnant un mouvement circulaire ; & c'est précisément dans ce tems qu'on verse peu-à-peu & très-doucement le long des bords de la cuve, de l'eau un peu plus que tiede en assez grande quantité pour échauffer le tout, ensuite on jette pardessus plein une corbeille de tan en poudre ; il faut bien se donner de garde de cesser de remuer les cuirs en tournant, autrement l'eau & le tan pourroient les brûler ; cette opération s'appelle coudrer les cuirs, ou les brasser pour faire lever le grain ; après que les cuirs ont été ainsi tournés dans la cuve pendant une heure ou deux plus ou moins, suivant leur force & la chaleur du coudrement ; on les met dans l'eau froide pendant un jour entier, on les remet ensuite dans la même cuve & dans la même eau qui a servi à les rougir, dans laquelle ils restent huit jours : ce tems expiré on les retire, on les met dans la fosse, & on leur donne seulement trois poudres de tan dont la premiere dure cinq à six semaines, la seconde deux mois, & la troisieme environ trois. Tout le reste se pratique de même que pour les cuirs forts. Ces cuirs ainsi apprêtés, servent encore aux Selliers & aux Malliers. Les peaux de veaux reçoivent les mêmes apprêts que ceux des vaches & chevaux qu'on a mis en coudrement, cependant avec cette différence que les premiers doivent être rougis ou tournés dans la cuve plus de tems que les derniers. Quand les cuirs de chevaux, de vaches & de veaux ont été plamés, coudrés & tannés, & qu'on les a fait sécher au sortir de la fosse au tan ; on les appelle cuirs ou peaux en croute, pour les distinguer des cuirs plaqués, qui ne servent uniquement qu'à faire les semelles des souliers & des bottes. Les peaux de veaux en coudrement servent aux mêmes ouvrages que les cuirs des vaches qui ont eu le même apprêt ; mais elles servent à couvrir les livres, à faire des fourreaux d'épée, des étuis & des gaînes à couteaux, lorsqu'elles ont été outre cela passées en alun. Les peaux de moutons, béliers ou brebis en coudrement qu'on nomme bazannes, servent aussi à couvrir des livres, & les Cordonniers les employent aux talons des souliers & des bottes pour les couvrir. Enfin les Tanneurs passent encore en coudrement & en alun, des peaux de sangliers, de cochons ou de truies ; ces peaux servent à couvrir des tables, des malles & des livres d'église. Il est à-propos d'observer ici, que presque tous les artisans qui employent ces différentes especes de peaux, ne se servent de la plûpart qu'après qu'elles ont encore été apprêtées par les Courroyeurs ; nous traiterons cet article en son tems : passons à la façon de plamer les peaux à l'orge.

Article II. Maniere de plamer les peaux à l'orge. Après avoir ôté les cornes, les oreilles & la queue aux peaux & les avoir lavées & nettoyées comme nous l'avons indiqué pour les plamer à la chaux ; on les met dans des cuves, soit de bois, soit de pierre, & au lieu de chaux, on se sert de farine d'orge, & on les fait passer successivement dans quatre, six & même huit cuves, suivant la force des cuirs : ces cuves s'appellent bassemens & équivalent aux plains ; il est à remarquer, que quoique les Tanneurs n'ayent pas effectivement le nombre de plains ou de bassemens que nous indiquons être nécessaires ; les peaux sont cependant censées passer par ce nombre de plains ou de bassemens, parce que la même cuve peut, en remettant, ou de la chaux, si c'est un plain, ou de la farine d'orge, si c'est un bassement, tenir lieu d'une, de deux, même de trois, soit plains, soit bassemens ; desorte que pour ce qui regarde les plains, la cuve qui aura servi au mort-plain, peut servir après de plain-vif, si on le pance pour cet effet, & ainsi des bassemens. Les peaux restent dans ces différens bassemens, environ quinze jours dans chaque, & cette progression successive des peaux de bassement en bassement, peut durer quatre, cinq, même six mois, selon que le tanneur les a poussées & nourries, & selon la force des cuirs qu'il y a posés.

Ordinairement les peaux sortant du premier bassement sont en état d'être ébourées ; l'ouvrier attentif peut seul décider de cet instant, & le saisir. Lorsque les peaux ont suffisamment séjourné dans les bassemens, on les lave, on les nettoie & on les écharne, comme nous l'avons indiqué en traitant la maniere de plamer à la chaux ; après quoi on les pose dans les fosses, & on les y traite de la même façon que ci - dessus. La seule différence qu'il pourroit y avoir, c'est qu'elles ne séjournent pas à beaucoup près si longtems dans les bassemens, sur - tout s'ils sont bien nourris, que dans les plains qu'il n'est guere possible de hâter, crainte de brûler les cuirs. Nous appellerons ces sortes de bassemens bassemens blancs, pour les distinguer des bassemens rouges, dont nous allons parler en expliquant la maniere de plamer les peaux à la gigée.

Article III. Maniere de plamer les cuirs à la gigée. Les peaux sorties des mains du boucher, on les nettoie comme pour les plamer des deux façons que nous venons de traiter ; lorsqu'elles sont bien lavées & bien égouttées, on les met dans des étuves, on les étend sur des perches les unes sur les autres ; quand la chaleur les a pénétrées, & quand elles sont échauffées au point que le poil les puisse facilement quitter, on le met sur le chevalet pour les ébourer ; & s'il se trouve des endroits où le poil résiste, on se sert du sable que l'on seme sur la peau ; & en la frottant avec le couteau de riviere, dont nous avons parlé en traitant la maniere de plamer à la chaux, on enleve le poil qui avoit d'abord résisté à la seule action du couteau. Les peaux ne restent ordinairement que trois ou quatre jours dans ces étuves ; au reste, le plus ou moins de tems dépend absolument du plus ou moins de chaleur ; lorsque les peaux sont bien ébourées, écharnées & lavées, on les fait passer dans huit à dix bassemens plus ou moins, suivant la force des cuirs. Ces sortes de bassemens, qu'on appelle bassemens rouges, sont composés de jus d'écorce, à qui l'on donne tel degré de force que l'on veut, & que l'on connoît au goût & à l'odeur. Le tems ordinaire que doivent rester les peaux dans chaque bassement, est de vingt à trente jours. Lorsque les peaux ont séjourné un tems suffisant dans les différens bassemens par où elles ont été obligées de passer, qu'elles sont bien imbibées, & que le jus en a pénétré toutes les parties, on les met dans les fosses avec la poudre de tan, avec les mêmes précautions que nous avons indiquées ci - dessus, à l'exception cependant qu'on ne donne ordinairement que trois poudres aux peaux qui ont été ainsi plamées, mais il faut observer de charger davantage les peaux, & de se servir de tan moins pulvérisé, c'est-à-dire que l'écorce ne soit que concassée. Les peaux ne doivent ordinairement rester que trois ou quatre mois au plus sous chaque poudre ; ce qui peut être évalué à un an pour le total : ainsi cette façon d'apprêter les cuirs, est beaucoup plus courte que les autres, & ne doit pas les rendre inférieurs en bonté lorsqu'ils sont traités avec soin. Lorsque les cuirs sortent de leur troisieme & derniere fosse, on les met sécher, & le reste se pratique comme ci - dessus.

Les outils & instrumens en usage chez les Tanneurs sont simples & en petit nombre, ils consistent en de grandes tenailles ; un couteau, nommé couteau de riviere, qui sert à ébourer ; un autre pour écharner qui differe peu du premier ; de gros ciseaux, autrement nommés forces ; le chevalet, & la quiosse ou queue.

Les tenailles ont au-moins quatre piés de longueur, & consistent en deux branches de fer d'égale grandeur, & attachées ensemble par une petite cheville de fer ou sommier qui les traverse à environ six à huit pouces loin de son extrêmité ; ce sommier est rivé aux deux côtés, & contient les deux branches, de façon qu'elles ne peuvent se disjoindre, mais elles y conservent la facilité de tourner comme sur un axe. Ces tenailles servent à retirer les peaux des plains pour les mettre égoutter sur le bord ; quelquefois cependant on se sert de crochets, sur - tout lorsque les plains sont profonds ; ces crochets ne sont autre chose qu'une petite branche de fer recourbée, & emmanchée au bout d'une perche plus ou moins longue.

Le couteau est une lame de fer, longue d'environ deux piés & demi, large de deux doigts, dont les deux bouts sont enchâssés chacun dans un morceau de bois arrondi & qui sert de poignée, desorte que le tout ressemble assez à la plane dont se servent les Charrons. Ce couteau se nomme couteau de riviere, & sert à ébourer ; on s'en sert d'un semblable pour écharner, avec cette différence néanmoins que le tranchant de ce dernier est fin, au-lieu qu'il est fort gros dans le premier, & qu'il ne coupe point.

Les ciseaux ou forces servent à couper les oreilles & la queue aux peaux que l'on dispose à plamer ; & c'est ce qu'on appelle l'émouchet.

Le chevalet est une piece de bois creuse & ronde, longue de quatre à cinq piés, disposée en talus, sur laquelle on étend les peaux, soit pour les ébourer, soit pour les écharner, soit enfin pour les quiosser.

La quiosse ou queue est une espece de pierre à aiguiser, longue de huit à dix pouces, & assez polie ; on la fait passer sur la peau à force de bras du côté de la fleur qui est l'endroit où étoit le poil, pour achever d'ôter la chaux & les ordures qui pourroient être restées ; & c'est ce qu'on appelle quiosser les cuirs. Le quiossage ne se fait, comme nous l'avons observé, qu'après les avoir lavés & écharnés.

Avec quelque attention que nous ayons traité cet article, il nous paroîtroit cependant imparfait si nous ne donnions ici le plan d'une tannerie avec toutes les commodités nécessaires à cette profession.

Pour construire donc une tannerie utile & commode, sur - tout lorsqu'on n'est pas gêné par le terrein, on doit la disposer en quarré long, comme, par exemple, quarante piés sur cent vingt ; d'un bout au milieu de sa largeur doit se trouver la porte dont l'ouverture soit suffisante pour le passage des charrois ; aux deux côtés de la porte, on fera élever un bâtiment qui servira de logement au tanneur & à sa famille. La hauteur du rez-de-chaussée seroit celle de la porte sur laquelle regneroit le bâtiment ; après ce bâtiment doit être une grande cour, au milieu de laquelle on conservera un chemin de la largeur au-moins de l'entrée, & qui réponde en droite ligne à la porte. Aux deux côtés de cette voie, on pratiquera des fosses à tan, que l'on peut multiplier selon la force du tanneur, & le terrein dont il peut disposer. Ces fosses à tan doivent porter environ cinq piés de profondeur & cinq piés de diametre, ce qui feroit par conséquent quinze piés cinq septiemes de circonférence ; il faudroit observer de ne point approcher trop près de la voie ces fosses à tan aux deux bouts de la cour, afin que les charrois eussent la liberté de tourner. A la suite de la cour doit se trouver un autre bâtiment, dont le rez-de-chaussée soit de toute la largeur du terrein. La porte de ce bâtiment doit être en face de la porte de la maison & aussi large ; c'est dans cette piece que l'on doit pratiquer les plains qu'on peut disposer à droite & à gauche, & multiplier également comme les fosses à tan, & dont les dimensions sont à-peu-près les mêmes ; enfin il doit y avoir une porte sur le derriere qui réponde à celle de l'entrée, afin d'aller à la riviere, car il est très-à-propos, pour ne pas dire indispensable, qu'elle passe en travers à environ dix à douze piés de distance du mur du dernier bâtiment où sont les plains. Le rez-de-chaussée de cet endroit doit ne point être si élevé, afin que la chaleur se conserve & se concentre. Au-dessus de ce rez-de-chaussée, on peut bâtir des magasins, on en peut aussi pratiquer dans la cour un de chaque côté, & adossé contre l'endroit où sont les plains ; ce qui éviteroit la peine de monter les cuirs, de même que les tourbes ou mottes qu'on peut également mettre dans la cour sur des claies destinées à cet usage. Ces mottes se font avec le tan qui sort des fosses, & sont d'un grand secours l'hiver pour les pauvres qui n'ont pas les moyens de brûler du bois. Une tannerie ainsi disposée pourroit passer pour belle & commode ; mais comme souvent on ne peut disposer du terrein selon ses desirs, on est alors obligé de se conformer aux lieux, se contentant de se procurer par la façon de distribuer, les commodités indispensablement nécessaires. Voyez sur cet article les Pl. & leur explic.


TANNERIES. f. (Archit.) grand bâtiment près d'une riviere, avec cours & hangars, où l'on façonne le cuir pour tanner & durcir, comme les tanneries du fauxbourg S. Marcel à Paris. (D.J.)


TANNEURS. m. c'est un marchand ou artisan qui travaille à la tannerie, & qui prépare les cuirs avec la chaux & le tan.

Les Tanneurs préparent les cuirs de plusieurs manieres, savoir en coudrement ou plaqués, comme les peaux de boeufs qui servent à faire les semelles des souliers & des bottes.

Ils préparent les cuirs de vache en coudrement ; ces cuirs servent aux cordonniers pour les empeignes des souliers & des bottes ; aux selliers pour les carosses & les selles, & aux bourreliers pour les harnois des chevaux.

Ils préparent les cuirs de veaux en coudrement ou à l'alun ; les veaux en coudrement servent aux mêmes usages que les vaches ; ceux qui sont passés en alun servent aux couvertures des livres, &c.

Les peaux de mouton passées en coudrement ou basanne, servent à couvrir des livres, à faire des cuirs dorés, &c.

Enfin les Tanneurs passent aussi en coudrement & en alun les peaux de sangliers, &c. qui servent à couvrir des coffres.

Les Tanneurs de Paris forment une communauté considérable, dont les statuts accordés par Philippe-le-Bel en 1345, contiennent 44 articles. Il n'y en a que 16 qui concernent les Tanneurs ; les autres concernent les Corroyeurs.

Les articles de ces statuts qui regardent en particulier les Tanneurs, sont communs à tous les Tanneurs dans l'étendue du royaume.

Les Tanneurs de Paris ont quatre jurés dont la jurande dure deux ans, & on en élit deux tous les ans. Ils ont outre cela deux jurés du marteau pour la marque des cuirs.

Pour être reçu maître tanneur à Paris, il faut être fils de maître ou apprenti de Paris. L'un & l'autre doivent faire preuve de leur capacité ; le premier par la seule expérience, & l'autre par un chef-d'oeuvre. L'aprentissage est de cinq années au-moins, & les maîtres Tanneurs ne peuvent avoir qu'un apprenti à la fois, ou deux tout-au-plus.

Chaque tanneur est obligé de faire porter ses cuirs aux halles, pour y être visités & marqués ; il ne leur est pas permis d'en vendre sans cela.

Si les cuirs se trouvent mal apprêtés, ils sont rendus au tanneur pour les remettre en fosse, s'il y a du remede, sinon on les brûle, & le tanneur est condamné à l'amende, qui consiste dans la perte de ses cuirs pour la premiere fois, & qui est plus forte en cas de récidive.

Enfin, il est défendu par l'article 16. aux Tanneurs, tant forains, que de la ville, de vendre leurs cuirs ailleurs que dans les halles & aux foires publiques qui se tiennent cinq fois l'année.


TANORROYAUME DE, (Géog. mod.) petit royaume des Indes méridionales, sur la côte de Malabar ; son étendue n'est que d'environ dix lieues en quarré, mais d'un terroir fertile, & dans un air très-pur. Il est borné au nord par le royaume de Calicut, au midi & au levant par les états du Samorin, & au couchant par la mer. Son chef - lieu emprunte son nom, il est à quinze milles au midi de Calicut. Lat. suivant le pere Thomas, jésuite, 11. 4. (D.J.)

TANOR, (Géog. mod.) ville des Indes, sur la côte de Malabar, capitale d'un petit royaume de même nom, à cinq lieues au midi de Calicut. Latit. 11. 4.


TANOS(Hist. nat.) nom donné par les anciens naturalistes à une pierre précieuse qui se trouvoit en Perse. Pline dit que c'étoit une espece d'émeraude ; mais elle étoit, dit-on, d'un verd désagréable, & remplie de saletés & de défauts.


TANQUEURS. m. (Ouvrier) les tanqueurs sont des portefais qui aident à charger & décharger les vaisseaux sur les ports de mer. On les nomme aussi gabarriers, du mot de gabare, qui signifie une allege, ou bateau dans lequel on transporte les marchandises du vaisseau sur les quais, ou des quais aux navires. Dict. du Com. (D.J.)


TANSIFT(Géog. mod.) riviere d'Afrique, au royaume de Maroc. Elle tire sa source des montagnes du grand Atlas, & se perd dans l'Océan, aux environs de Safi.


TANTALES. m. (Mythol.) ce roi de Lydie, de Phrygie, ou de Paphlagonie selon quelques-uns, est un des princes à qui l'antiquité a reproché les plus grands crimes ; & par cette raison les poëtes l'ont condamné dans les enfers à être altéré de soif au milieu d'une eau crystalline, qui montoit jusqu'à sa bouche, & dévoré de faim parmi des fruits délicieux qui descendoient sur sa tête. Tantale, dit Ovide, court après l'onde qui le fuit, & tâche vainement de cueillir le fruit d'un arbre qui s'éloigne.

Les anciens cependant ne sont pas d'accord, ni sur la nature du châtiment de Tantale, ni sur celle de ses forfaits. D'abord pour ce qui regarde sa punition, la tradition d'Homere & de Virgile differe de celle d'Euripide & de Pindare, qui représentent Tantale ayant la tête au-dessous d'un rocher dont la chute le menace à tout moment. Cicéron, dans sa quatrieme Tusculane, parlant des tourmens que cause la crainte, dit : " c'est de ce supplice que les poëtes ont entendu nous tracer l'image, en nous peignant Tantale dans les enfers avec un rocher au-dessus de sa tête, toujours prêt à tomber pour le punir de ses crimes ".

Quels étoient donc les crimes de Tantale ? Les uns l'accusent d'avoir fait servir aux dieux, dans un festin, les membres de son fils Pélops qu'il avoit égorgé, pour éprouver leur divinité ; c'est-à-dire, suivant l'explication d'un mythologue moderne, d'avoir voulu faire aux dieux le barbare sacrifice de son fils. D'autres lui reprochent d'avoir révélé le secret des dieux dont il étoit grand-prêtre ; ce qui signifie d'avoir découvert les mysteres de leur culte. Enfin Cicéron pense que les forfaits de ce prince étoient la fureur & l'orgueil. Horace l'appelle aussi superbe, superbum Tantalum. Il s'énorgueilloit follement de ses richesses immenses, qui donnerent lieu au proverbe, les talens de Tantale, & au supplice qu'il éprouva dans les enfers. (D.J.)

TANTALE, s. m. (Hydraul.) on propose de construire un tantale qui soit couché sur le bord d'un vase, & jusqu'aux levres duquel l'eau s'approche, & ensuite s'écoule dès qu'elle y est arrivée. Il ne faut pour cela que construire un vase A F G B, fig. n °. 2. Hyd. dans lequel on placera un syphon renversé C D E, tel que la plus longue branche C D sorte hors du vase, & que l'orifice C de la plus petite branche soit fort proche du fond du vase, sans pourtant y toucher. Si on verse de l'eau dans le vase A F G B, cette eau montera en même tems par l'ouverture C dans le syphon jusqu'à ce qu'elle soit arrivée en D, après quoi elle s'écoulera par l'ouverture E ; desorte que si on place une figure sur les bords du vase A F, cette figure sera une espece de tantale. (O)


TANTAMOUS. m. (Hist. nat. Botan.) racine d'une plante de l'île de Madagascar, qui ressemble au nénuphar, & dont la fleur est violette. On fait cuire cette racine dans l'eau ou sous la braise. Elle est recherchée par la propriété qu'elle a d'exciter à l'acte vénérien.


TANTES. f. (Gram. & Jurisprud.) terme relatif par lequel on désigne la soeur du pere ou de la mere de quelqu'un. La tante paternelle ou soeur du pere est appellée en droit amita, la tante maternelle, ou soeur de la mere, matertera. La grande tante est la soeur de l'aïeul ou l'aïeule de quelqu'un ; on l'appelle grande tante, parce qu'elle est tante du pere ou de la mere de celui dont il s'agit ; cette qualité est relative à celle de petit neveu ou petite niece. Il y a grande- tante paternelle & grande- tante maternelle.

Dans la coutume de Paris, la tante comme l'oncle succede à ses neveux & nieces avant les cousins-germains ; elle concourt comme l'oncle avec le neveu du défunt qui n'a point laissé de freres ni de soeurs. Paris, art. 338. & 339. (A)


TANTICUM OSTIUM(Géog. anc.) nom que Strabon, l. XVII. p. 802. donne à la sixieme embouchure du Nil, & qui, à ce qu'il dit, étoit appellée par quelques-uns staiticum ostium. Hérodote, l. II. c. xvij. dit que l'eau de cette embouchure venoit du canal, ou de la riviere Sébennytique ; mais Ptolémée, l. IV. c. v. fait une autre disposition des bouches du Nil, & cette disposition s'accorde avec ce que disent Diodore de Sicile, Strabon & Pline. Il ne fait pas venir l'eau de la bouche tanitique, du canal sebennitique, mais du canal bubastique ou pélusiaque. Le taniticum ostium étoit la sixieme embouchure du Nil, en comptant ses embouchures d'occident en orient ; mais elle étoit la seconde en comptant d'orient en occident. (D.J.)


TANUS(Géog. anc.) fleuve de l'Argie ; il avoit sa source au mont Parnou, & son embouchure dans le golfe Thyréatique, selon Pausanias, liv. II. chap. xxxviij. Ortelius croit que c'est le Tanaüs d'Euripide, qui dit qu'il servoit de borne entre le territoire d'Argie & celui de Sparte.


TAOCE(Géog. anc.) nom d'une ville & d'un promontoire de la Perside, selon Ptolémée, liv. VI. ch. jv. qui place la ville dans les terres, & le promontoire entre le fleuve Oroatis & le Rhogomanus.


TAONS. m. (Hist. nat. Insectolog.) tabanus ; mouche à deux aîles. M. Linnaeus fait mention de six especes de taons ; cet insecte incommode beaucoup en été les animaux, & principalement les chevaux, par les piquûres qu'il leur fait avec son aiguillon ; il leur suce le sang qui sort de ces plaies, & il s'en nourrit. Swammerdam a reconnu que cet insecte a, indépendamment de cet aiguillon, une trompe avec laquelle il pompe le suc des fleurs, qui lui sert de nourriture quand il n'est pas à portée d'avoir du sang des animaux. Collection acad. tom. V. de la partie étrangere. Voyez INSECTE.

TAON, (Science microsc.) le taon dépose ses oeufs sur l'eau ; ils produisent une espece de petits vers, dont l'extrêmité de la queue est cerclée de poils mobiles, qui étant étendus sur la surface de l'eau, les mettent en état d'y flotter. Lorsqu'il veut descendre vers le fond, ces poils s'approchent les uns des autres, & forment une figure ovale, dans laquelle ils enferment une petite bulle d'air ; par le moyen de cette bulle, le ver est capable de remonter ; si cette bulle s'échappe, comme il arrive quelquefois, le ver exprime d'abord de son propre corps une autre bulle semblable, pour suppléer à la premiere.

Sa gueule a trois divisions, d'où sortent trois petits corps pointus, qui sont dans un mouvement continuel, comme les langues des serpens. Ces vers se rencontrent souvent dans l'eau que l'on prend à la surface des fossés. Le mouvement de leurs intestins est assez facile à distinguer. Il faut lire sur le taon Swammerdam, hist. des insect. (D.J.)

TAON MARIN. Rondelet a donné ce nom à un insecte que l'on trouve sur le corps de divers poissons, tels que le thon, l'empereur, les dauphins, &c. Cet insecte suce le sang de ces poissons comme la sangsue, & les tourmente beaucoup pendant le tems de la canicule. Rondelet, hist. des insect. & zoophites, ch. viij. Voyez INSECTE.


TAOS(Géog. anc.) Teus ; nom moderne de Téos, ville de l'Asie mineure, dans la partie méridionale de la péninsule Myonesus, au sud du cap Calonborum, anciennement Argennum. Elle avoit un port, & étoit à soixante & onze mille pas de Chio, & à-peu-près à la même distance d'Erythrée. Voyez TEOS. (D.J.)

TAOS LAPIS, (Hist. nat.) nom donné par les anciens Naturalistes à une agathe de différentes couleurs, & qui ressembloit aux plumes de la queue d'un paon.


TAPS. m. (Marine) on appelle taps de pierriers, six pieces de bois de deux piés de longueur, sur six pouces d'équarrissage, que l'on fixe sur l'apostil pour soutenir les pierriers.


TAPABORS. m. (Marine) sorte de bonnet à l'angloise qu'on porte sur mer, & dont les bords se rabattent sur les épaules.


TAPACAOUS. m. (Hist. nat. terme de relation) valet au service des Talapoins de Siam. Chaque talapoin a pour le servir un ou deux tapacaous. Ces domestiques sont séculiers, quoiqu'ils soient habillés comme leurs maîtres, excepté que leur habit est blanc, & que celui des Talapoins est jaune. Ils reçoivent l'argent que l'on donne pour les Talapoins. Ils ont soin des jardins & des terres du couvent, & font tout ce que les Talapoins ne peuvent faire selon la loi. (D.J.)


TAPACRI(Géog. mod.) province de l'Amérique méridionale, au Pérou, dans le diocèse de la Plata. Elle a vingt lieues de long, sur douze de large, & son terroir nourrit grand nombre de brebis. (D.J.)


TAPACURESLES, (Géog. mod.) peuples de l'Amérique méridionale, au Pérou, au levant de l'audience de los Charcos ; ils ont donné le nom aux montagnes qu'ils habitent. Leurs moeurs ne different point de celles des Moxes, dont ils tirent leur origine. (D.J.)


TAPAYAXINS. m. (Hist. nat. Zoologie) nom d'une espece bien remarquable de lézard du Mexique, appellée par Hernandés lacertus orbicularis. Il est aussi large que long, ayant quelquefois quatre pouces en longueur comme en largeur. Il est cartilagineux, nué des plus belles couleurs, froid au toucher, & si paresseux qu'il se remue à peine de sa place, même quand on l'y excite. Sa tête est élevée, dure, & munie d'une couronne de piquans pour sa défense. C'est néanmoins un animal très - innocent, très-apprivoisé, qui ne bouge, & qui paroît content d'être touché & manié ; mais ce qui est fort extraordinaire, c'est que, si on le blesse à la tête ou aux yeux, il darde quelques gouttes de sang de l'une ou de l'autre de ses parties blessées. Hernandez, l. IX. ch. xiij. (D.J.)


TAPAYSEou TAPAYOSOS, (Géog. mod.) province de l'Amérique méridionale, au pays des Amazones ; elle est arrosée de la grande riviere de son nom. On vante la fertilité de son terrein, qui est peuplé de plusieurs habitations, dont la nation est vaillante & redoutée de ses voisins, parce qu'elle se sert de fleches empoisonnées. (D.J.)

TAPAYSE, LA, (Géog. mod.) grande riviere de l'Amérique méridionale, au pays des Amazones. Son origine n'est pas encore connue. On est persuadé, à voir sa grandeur, que sa source est entre la côte du Brésil & le lac Xaraye. Son embouchure est sur la rive méridionale du fleuve des Amazones, entre les bouches des rivieres Madere & Paranayba. (D.J.)


TAPES. f. (Marine) la tape est un bouchon dont l'on ferme l'ouverture ou la bouche du canon des vaisseaux, afin que quand la mer est grosse, l'eau ne puisse pas entrer dans l'ame du canon, ce qui gâteroit la poudre. Aubin. (D.J.)

TAPE, en terme de Brasserie, est la même chose que bonde ; la tape sert à boucher les trous qui sont dans les fonds des cuves ou des bacs.

TAPE, en terme de Raffineur, est un bouchon de linge, plié de maniere qu'il ferme parfaitement le trou de la forme, sans qu'on soit obligé de l'enfoncer trop avant ; car dans ce cas, il endommageroit la tête du pain.

TAPE, sucre, terme de sucrerie ; on appelle du sucre tapé, du sucre que les affronteurs vendent aux îles Antilles, pour du sucre royal, quoique ce ne soit véritablement que du sucre terré, c'est-à-dire, de la cassonade blanche, préparée d'une certaine maniere. Voyez SUCRE. (D.J.)


TAPEÇONRASPEÇON, RESPONSADOUX, RAT, s. m. (Hist. nat. Ichthyolog.) unaroscopus ; poisson de mer qui reste sur les rivages ; il a un pié de longueur : on lui a aussi donné le nom de contemplateur du ciel, parce que ses yeux sont placés sur la face supérieure de la tête, de façon qu'il semble regarder le ciel : l'ouverture de sa bouche est fort grande : il a la tête grosse : les couvertures des ouies ont à l'extrêmité, des pointes dirigées en arriere : le dos a une couleur noire, & le ventre est blanc : il y a sur les côtés du corps deux traits formés par des écailles, ils s'étendent depuis la tête jusqu'à la queue : le reste du corps est couvert d'une peau dure sans écailles. Ce poisson a auprès de l'ouverture des ouies, deux nageoires longues & fortes, de diverses couleurs : deux nageoires plus petites & blanches, près de la machoire inférieure, une au-dessous de l'anus, & deux sur le dos : la premiere des nageoires du dos, est petite, noire, & placée près de la tête ; l'autre s'étend jusqu'à la queue, qui est terminée par une nageoire fort large : il y a après chaque nageoire de la machoire inférieure, un os garni de trois aiguillons. La chair de ce poisson est blanche, dure, & de mauvaise odeur. Rondelet, hist. nat. des poissons, premiere partie, liv. X. ch. xij. Voyez POISSON.


TAPECULterme de Charpentier, c'est la partie chargée d'une bascule qui sert à lever ou à baisser plus facilement un pont levis, & qui est presque en équilibre avec lui. Jousse. (D.J.)


TAPÉENS. m. (Marine) c'est une voile dont on se sert sur les vaisseaux marchands, lorsqu'ils vont vent arriere, pour empêcher que la marée & les courans n'emportent le vaisseau, & ne le fassent dériver : on la met à une vergue suspendue vers le couronnement, ensorte qu'elle couvre le derriere de la poupe, & qu'elle déborde tant à stribord qu'à basbord, de deux brassées à chaque côté : on en fait aussi usage sur les petits yachts & sur les buches, pour continuer de siller pendant le calme, ou pour mieux venir au vent. Celui de ces derniers bâtimens est quarré.


TAPÉINOSElisez TAPAINOSE, s. m. (Rhétor.) c'est-à-dire diminution ; c'est la figure opposée à l'hyperbole, ou si l'on aime mieux, c'est l'hyperbole de diminution. Un poëte comique grec a dit assez plaisamment, pour faire rire le peuple : " Cet homme possédoit une terre à la campagne, qui n'étoit pas plus grande qu'une épître de lacédémonien ". (D.J.)


TAPERv. act. (Gram.) c'est frapper de la main à petits coups. Voyez les articles suivans.

TAPER, terme de Coëffeuse, c'est peigner les cheveux courts contre l'ordre ordinaire, en faisant aller le peigne de la pointe à la racine : cela les enfle & les fait paroître plus épais. (D.J.)

TAPER, v. act. terme de Doreur ; on met le blanc en tapant, quand c'est pour dorer des ouvrages de sculpture, c'est-à-dire, qu'on le couche en frappant plusieurs coups du bout du pinceau, afin de mieux faire entrer la couleur dans les creux des ornemens. (D.J.)

TAPER une forme, terme de sucrerie ; c'est boucher le trou qui est à la pointe d'une forme de sucre, avec du linge ou de l'étoffe, pour empêcher qu'elle ne se purge, c'est-à-dire, que le syrop n'en sorte, jusqu'à ce qu'elle soit en état d'être percée avec le poinçon. Savary. (D.J.)


TAPERAS. f. (Hist. nat. Ornithol.) hirondelle du Brésil, nommée par les Portugais qui l'habitent, audorintra. Elle a la taille, la figure, & le vol de nos hirondelles ; sa tête, son col, son dos, ses aîles, & sa queue, sont d'un brun grisâtre ; sa gorge & sa poitrine sont d'un gris-blanc. (D.J.)


TAPETIS. m. (Hist. nat. Zoologie) espece de lapin commun aux Indes occidentales, & nommé par quelques naturalistes, cuniculus americanus. Il est de la taille de nos lapins, dont il a les oreilles ainsi que le poil, qui est un peu rougeâtre sur le front, avec une espece de collier blanc autour du col, quelquefois sur la gorge, ou sur le ventre ; ses yeux sont noirs ; sa moustache est semblable à celle de nos lapins, mais il n'a point de queue. (D.J.)


TAPHIUSIENNEPIERRE, (Hist. nat.) lapis taphiusius ; Pline donne ce nom à une pierre qui étoit une espece d'étite, ou de pierre d'aigle, qu'on trouvoit près de LÉucadie, dans un endroit appellé Taphiusus.


TAPHNIS(Géog. sacr.) ville d'Egypte. Jérémie en parle souvent, ch. xj. v. 16. ch. xliij. v. 7, 8, 9, &c. & on prétend qu'il y fut enterré. Les savans croyent que Taphnis, ou Taphnae, est la même ville que Daphnae Pelusiae, à seize milles au sud de Péluse, suivant l'itinéraire d'Antonin. (D.J.)


TAPHRONou TAPHROS, (Géog. anc.) ville de l'Arabie heureuse. Ammien Marcellin, l. XXIII. c. vj. la met au nombre des plus belles villes du pays ; mais les manuscrits varient par rapport à l'orthographe de ce nom. Il y en a plusieurs qui lisent Taphra, au-lieu de Taphron. (D.J.)


TAPHRURAou TAPHRA, (Géog. anc.) selon Pline & Pomponius Méla ; ville de l'Afrique propre, sur le golfe de Numidie. L'anonyme de Ravenne, l. III. c. xv. la nomme Taparura, de même que la table de Peutinger. (D.J.)


TAPIETAPIA, s. f. (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleur polypétale, anomale, & composée de quatre pétales dirigés en-haut ; le pistil sort du milieu du calice, il est attaché à un long pédicule, & il devient dans la suite un fruit rond charnu, dans lequel on trouve plusieurs semences qui ont presque la forme d'un rein. Plumier, nov. plant. amer. gen. Voyez PLANTE.


TAPIJERETES. m. (Hist. nat. Zoologie) nom d'un animal qu'on trouve dans quelques endroits de l'Amérique, & que les Portugais appellent auta. Il est de la taille d'un petit veau, & à-peu-près de la figure d'un cochon ; sa tête est plus grosse que celle du cochon, & finit en pointe vers le sommet ; il a une espece de bourse pendante à l'ouverture du groin, qui est attachée à un fort muscle au moyen duquel il la resserre à sa volonté ; chacune de ses mâchoires est garnie de dix dents incisives, avec une espace vuide entre ces dents & les molaires, qui sont grosses, & au nombre de cinq de chaque côté ; desorte que cette bête a vingt dents incisives, & vingt dents molaires ; ses yeux semblables à ceux du cochon, sont fort petits ; ses oreilles sont arrondies & mobiles ; ses jambes sont grosses & basses comme celles de nos cochons ; les cornes de ses piés sont divisées en quatre parties ; il n'a point de queue ; sa peau est dure & coriace, couverte d'un poil court, brun, mêlangé de tachures blanches. Il vit dans l'épaisseur des bois, dort le jour, & ne paît que la nuit, ou de grand matin ; il recherche sur - tout les tiges de canne de sucre ; il se rafraîchit quelquefois dans l'eau, & nage à merveille ; sa chair est d'un fort mauvais goût, mais les naturels du pays s'en accommodent. (D.J.)


TAPIROUSSOUS. m. (Hist. nat.) grand animal quadrupede du Brésil. Il est de la grandeur d'un boeuf, mais il n'a point de cornes, son cou est plus court, ses oreilles sont longues & pendantes, ses piés ne sont point fendus, & sont semblables à ceux d'un âne ; sa queue est courte, ses dents sont aiguës & tranchantes ; son poil est assez long & d'une couleur rougeâtre. Les sauvages le tuent à coups de fleches, ou le prennent dans des piéges. Sa peau sert à leur faire des boucliers ; lorsqu'elle a été séchée, elle est à l'épreuve de la fleche. La chair de cet animal, soit fraîche, soit boucannée, est très-bonne, & ressemble à celle du boeuf.


TAPISS. m. (Comm.) espece de couverture travaillée à l'aiguille sur le métier, pour mettre sur une table, sur une armoire, ou même sur le carreau. Les tapis de Perse & de Turquie sont les plus estimés, sur-tout les premiers. Les tapis qui n'ont que du poil ou de la pluche sur un côté seulement, étoient nommés par les anciens tapetes ; & ceux qui en avoient des deux côtés, amphitapetes.

Les tapis qui viennent en France des pays étrangers (car il ne s'agit pas ici de ceux de ses manufactures), sont des tapis de Perse & de Turquie, ceux-ci ou velus ou ras, c'est-à-dire ou à poil court, ou à long poil. Les uns & les autres se tirent ordinairement de Smyrne ; il y en a de trois sortes. Les uns qu'on appelle mosquets, se vendent à la piece suivant leur grandeur & leur finesse, & sont les plus beaux & les plus fins de tous. Les autres se nomment tapis de pié, parce qu'on les achete au pié quarré. Ce sont les plus grands de ceux qui s'apportent du Levant. Les moindres tapis qu'on reçoit de ce pays, se nomment cadene. (D.J.)

TAPIS. Manufacture royale de tapis façon de Turquie, établie à la Savonnerie au fauxbourg de Chaillot, près Paris. Les métiers pour fabriquer les tapis façon de Turquie, sont montés comme ceux qui servent à faire les tapisseries de haute-lisse aux Gobelins, c'est-à-dire, que la chaîne est posée verticalement ; savoir, le rouleau ou ensuple des fils en-haut, & celui de l'étoffe fabriquée en-bas.

La façon de travailler est totalement différente de celle de faire la tapisserie. Dans le travail des tapis, l'ouvrier voit devant lui l'endroit de son ouvrage, au lieu que dans la tapisserie, il ne voit que l'envers.

L'ourdissage des chaînes est différent aussi ; dans celles qui sont destinées pour les tapis, l'ourdisseur ou l'ourdisseuse doit avoir soin de ranger les fils de façon que chaque portée de dix fils ait le dixieme d'une couleur différente des neuf autres qui tous doivent être d'une même couleur, afin de former dans la longueur une espece de dixaine.

Le dessein du tapis doit être peint sur un papier tel que celui qui sert aux desseins de fabrique, mais beaucoup moins serré, puisqu'il doit être de la largeur de l'ouvrage que l'on doit fabriquer. Chaque carreau du papier doit avoir 9 lignes verticales, & une dixieme pour faire la distinction du quarré qui réponde au dixieme fil de la chaîne ourdie.

Outre ces lignes verticales, le papier est encore composé de dix lignes horisontales chaque carreau, qui coupent les dix lignes verticales, & servent à conduire l'ouvrier dans le travail de son ouvrage.

Les lignes horisontales ne sont point distinguées sur la chaîne comme les verticales, mais l'ouvrier supplée à ce manquement par une petite baguette de fer, qu'il pose vis-à-vis la ligne horisontale du dessein lorsqu'il veut fabriquer l'ouvrage.

Le dessein est coupé par bandes dans sa longueur, pour que l'ouvrier ait moins d'embarras, & chaque bande contenant plus ou moins de carreaux est posée derriere la chaîne vis-à-vis l'ouvrier.

Lorsque l'ouvrier veut travailler, il pose sa baguette de fer vis-à-vis la ligne horisontale du dessein, & passant son fuseau sur lequel est la laine ou soie de la couleur indiquée par le dessein, il embrasse la baguette de fer & le fil de la chaîne un par un jusqu'à la dixieme corde, après quoi il s'arrête, & prenant un fil il le passe au-travers de la même dixaine, de façon qu'il y en ait un pris & un laissé, après quoi il en passe un second où il laisse ceux qu'il a pris, & prend ceux qu'il a laissés, ce qui forme une espece de gros-de-tours ou taffetas, qui forme le corps de l'étoffe, ensuite avec un petit peigne de fer il serre les deux fils croisés qu'il a passé, de façon qu'ils retiennent le fil de couleur, qui forme la figure du tapis serré, de façon qu'il peut les couper sans craindre qu'ils sortent de la place où ils ont été posés.

La virgule de fer sur laquelle les fils de couleur sont passés est un peu plus longue que la largeur de la dixaine : elle est courbée du côté droit, afin que l'ouvrier puisse la tirer, & du côté opposé elle a un tranchant un peu large, ce qui fait que quand l'ouvrier la tire, elle coupe tous les fils dont elle étoit enveloppée ; que si par hasard il se trouve quelques fils plus longs les uns que les autres après que la virgule est tirée, pour lors l'ouvrier avec des ciseaux a soin d'égaliser toutes les parties.

En continuant le travail, il faut que l'ouvrier passe dix fois la baguette dans le carreau, pour que son ouvrage soit parfait ; quelquefois il n'en passe que huit, si la chaîne est trop serrée, parce que la chaîne doit être ourdie & serrée proportionnellement aux lignes verticales du dessein. Quoique toutes les couleurs différentes soient passées dans toute la largeur de l'ouvrage, néanmoins il est indispensable d'arrêter & de couper dixaine par dixaine, attendu que si avec une baguette plus longue, on vouloit aller plus avant ou en prendre deux, la quantité de fils ou soie de couleur dont elle se trouveroit enveloppée, empêcheroit de la tirer, & c'est la raison qui fait qu'à chaque dixaine on coupe, ce qui n'empêche pas néanmoins, que si la même couleur est continuée dans la dixaine suivante, on ne continue avec la même laine ou soie dont le fil n'est point coupé au fuseau.

Les jets de fils que l'ouvrier passe pour arrêter la laine ou soie qui forment la figure de l'ouvrage, doivent être passés & encroisés dans tous les travers où il se trouve de la laine ou soie arrêtée, il n'en faut pas moins de deux passées ou jettées bien croisées, & bien serrées, parce qu'elles forment ce qu'on appelle trame dans les velours ciselés, & composent, avec la croisée de la chaîne, ce que nous appellons ordinairement le corps de l'étoffe.

TAPIS de lit, (Littérat.) les tapis de pourpre servoient pour les lits des tables chez les Grecs & les Romains. Théocrite, Idylle 115, en parlant des lits préparés pour Vénus dans la fête d'Adonis, n'oublie point les tapis de la pourpre faits à Milet & à Samos. Horat. sat. vj. fait aussi mention de ces tapis ou couvertures de pourpre étendues sur des lits d'ivoire.

In locuplete domo vestigia, rubro ubi croco

Tincta super lectos canderet vestis eburnos.

Ce n'étoit pas seulement le prix de la matiere, mais aussi l'excellence de l'ouvrage, & entr'autres des représentations de figures gigantesques, ou de fables héroïques, qui anciennnement rehaussoient déja la beauté de ces sortes de tapis ; témoin celle du lit nuptial de Thétis, dont parle Catulle, & qu'il appelle, pour le dire en passant du nom général de Vestis, comme fait Horace à son exemple dans le passage, que je viens de rapporter. Voici celui de Catulle.

Hoec Vestis priscis hominum variata figuris

Heroum mirâ virtutes indicat arte.

(D.J.)

TAPIS, (Jardinage) sont de grandes pieces de gazon pleines & sans découpures qui se trouvent dans les cours & avant-cours des maisons, dans les bosquets, les boulingrins, les parterres à l'angloise, & dans le milieu des grandes allées & avenues dont le ratissage demanderoit trop de soins.

TAPIS, raser le tapis, en terme de manege, c'est galoper près de terre, comme font les chevaux anglois qui n'ont pas le galop élevé. Lorsqu'un cheval ne leve pas assez le devant, qu'il a les allures froides, & les mouvemens trop près de terre, il rase le tapis. Voyez ALLURE, GALOP.

TAPIS DE BILLARD, (Paumier) c'est une grande piece de drap verd, qu'on bande avec force, & qu'on attache avec des clous sur la table du billard. C'est sur ce tapis qu'on fait rouler les billes, en les poussant avec une masse ou une queue.

TAPIS VERD, (Gram. Jurisprud.) on entend par ce terme une certaine assemblée de fermiers généraux du roi, où ils tiennent conseil entr'eux sur certaines affaires contentieuses. (A)


TAPISSENDISS. f. pl. terme de Commerce ; sorte de toiles de coton peintes, dont la couleur passe des deux côtés. On en fait des tapis & des courtes-pointes. (D.J.)


TAPISSERv. act. (Tapissier) c'est tendre une tapisserie & en couvrir les murailles d'un appartement ou quelqu'autre endroit. C'est ordinairement l'emploi des maîtres tapissiers & de leurs garçons. Voyez TAPISSIER.


TAPISSERIES. f. (Tapissier) piece d'étoffe ou d'ouvrage dont on se sert pour parer une chambre, ou tel autre appartement d'une maison.

On peut faire cet ameublement de toutes sortes d'étoffes, comme de velours, de damas, de brocards, de brocatelle, de satin de Bruges, de calemande, de cadis, &c. mais quoique toutes ces étoffes taillées & montées se nomment tapisseries, on ne doit proprement appeller ainsi que les hautes & basses lisses, les Bergames, les cuirs dorés, les tapisseries de tenture de laine, & ces autres que l'on fait de coutil, sur lequel on imite avec diverses couleurs les personnages & les verdures de la haute-lisse

Ce genre de tableaux, ou si l'on veut cette sorte d'ameublement, dans lequel les soies, la laine & les pinceaux

Tracent de tous côtés

Chasses & paysages,

En cet endroit des animaux,

En cet autre des personnages.

n'est point d'une invention nouvelle ; les Latins avoient de riches tapisseries, qu'ils nommoient aulaea, & les Grecs les appelloient avant eux peripetasmata. Pline nous apprend que les Romains donnerent seulement le nom aulaea aux tapisseries, lorsqu'Attale, roi de Pergame, eut institué le peuple romain héritier de ses états & de tous ses biens, parce que parmi les meubles de son palais, il y avoit des tapisseries magnifiques brodées d'or ; ainsi aulaea est dit ab aulaeâ. (D.J.)

Tapisserie de haute & basse-lisse. Voyez l'article LISSE.

Tapisserie de Bergame. Voyez BERGAME.

Tapisserie de cuir doré. Voyez CUIR DORE.

Tapisserie de coutil. Voyez COUTIL.

TAPISSERIE DES GOBELINS ; l'on nomme ainsi une manufacture royale établie à Paris au bout du fauxbourg saint Marceau, pour la fabrique des tapisseries & meubles de la couronne. Voyez TAPISSERIE.

La maison où est présentement cette manufacture, avoit été bâtie par les freres Gobelins, célébres teinturiers, qui avoient les premiers apporté à Paris le secret de cette belle teinture d'écarlate qui a conservé leur nom, aussi-bien que la petite riviere de Biévre, sur le bord de laquelle ils s'établirent, & que depuis l'on ne connoît guere à Paris que sous le nom de riviere des Gobelins.

Ce fut en l'année 1667, que celui-ci changea son nom de Tobie Gobelin, qu'il avoit porté jusques-là, en celui d'hôtel royal des Gobelins, en conséquence de l'édit du roi Louis XIV.

M. Colbert ayant rétabli & embelli les maisons royales, sur-tout le château du Louvre, & le palais des Tuileries, songea à faire travailler à des meubles qui répondissent à la magnificence de ces maisons. Dans ce dessein, il rassembla une partie de ce qu'il y avoit de plus habiles ouvriers dans le royaume en toutes sortes d'arts & de manufactures, particulierement de peintres, de tapissiers, de sculpteurs, d'orfévres, & d'ébénistes, & en attira d'autres de différentes nations par des promesses magnifiques, des pensions, & des priviléges considérables.

Pour rendre plus stable l'établissement qu'il projettoit, il porta le roi à faire l'acquisition du fameux hôtel des Gobelins, pour les y loger, & à leur donner des réglemens qui assurassent leur état, & qui fixassent leur police.

Le roi ordonne & statue que lesdites manufactures seront régies & administrées par le sur-intendant des bâtimens, arts, & manufactures de France ; que les maîtres ordinaires de son hôtel prendront connoissance de toutes les actions ou procès qu'eux, leur famille, & domestique, pourroient avoir ; qu'on ne pourra faire venir des pays étrangers des tapisseries, &c.

La manufacture des Gobelins est jusqu'à présent la premiere de cette espece qu'il y ait au monde ; la quantité d'ouvrages qui en sont sortis, & le grand nombre d'excellens ouvriers qui s'y sont formés, sont incroyables.

En effet, c'est à cet établissement que la France est redevable du progrès que les arts & les manufactures y ont fait.

Rien n'égale sur-tout la beauté de ces tapisseries ; sous la sur-intendance de M. Colbert & de M. de Louvois son successeur, les tapisseries de haute & de basse-lisse, y ont acquis un degré de perfection fort supérieur à tout ce que les Anglois & les Flamands ont jamais fait.

Les batailles d'Alexandre, les quatre saisons, les quatre élémens, les maisons royales, & une suite des principales actions du roi Louis XIV. depuis son mariage jusqu'à la premiere conquête de la Franche-Comté, exécutés aux Gobelins, sur les desseins du célebre M. le Brun, directeur de cette manufacture, sont des chefs-d'oeuvre en ce genre.

TAPISSERIE DE PAPIER ; cette espece de tapisserie n'avoit long-tems servi qu'aux gens de la campagne, & au petit peuple de Paris, pour orner, & pour ainsi dire, tapisser quelques endroits de leurs cabanes, & de leurs boutiques & chambres ; mais sur la fin du dix-septieme siecle, on les a poussées à un point de perfection & d'agrément, qu'outre les grands envois qui s'en font, pour les pays étrangers & pour les principales villes du royaume, il n'est point de maison à Paris, pour magnifique qu'elle soit, qui n'ait quelque endroit, soit garde-robes, soit lieux encore plus secrets, qui n'en soit tapissé, & assez agréablement orné.

Pour faire ces tapisseries, qui sont présentement le principal objet du commerce de la dominoterie, les Dominotiers, s'ils en sont capables, sinon quelque dessinateur habile, fait un dessein de simples traits sur plusieurs feuilles de papier, collées ensemble de la hauteur & largeur que l'on desire donner à chaque piece de tapisserie.

Ce dessein achevé se coupe en morceaux, aussi hauts & aussi longs que les feuilles du papier que l'on a coutume d'employer en ces sortes d'impressions ; & chacun de ces morceaux se grave ensuite séparément sur des planches de bois de poirier, de la maniere qu'il a été dit à l'article DES GRAVEURS SUR BOIS.

Pour imprimer ces planches ainsi gravées, on se sert de presses assez semblables à celles des Imprimeurs en lettres ; à la réserve que la platine n'en peut être de métal, mais seulement de bois, longue d'un pié & demi, sur dix pouces de large ; & que ces presses n'ont ni chassis, ni tympans, ni frisquettes, ni cornieres, ni couplets, hors de grands tympans, propres à imprimer histoires, comme portent les anciens réglemens de la Librairie.

L'on se sert aussi de l'encre & des balles des Imprimeurs ; & de même qu'à l'Imprimerie, on n'essuie point les planches, après qu'on les a noircies, à cause du relief qu'elles ont, qui les rend plus semblables à une forme d'imprimeur, qu'à une planche en taille-douce.

Les feuilles imprimées & séchées, on les peint, & on les rehausse de diverses couleurs en détrempe, puis on les assemble pour en former des piéces ; ce que font ordinairement ceux qui les achetent ; se vendant plus communément à la main, que montées.

L'on ne dit point ici quels sont les sujets représentés sur ces légeres tapisseries, cela dépendant du goût & du génie du peintre ; mais il semble que les grotesques & les compartimens mêlés de fleurs, de fruits, d'animaux, & de quelques petits personnages, ont jusqu'ici mieux réussi que les paysages & les especes de haute - lisses, qu'on y a quelquefois voulu peindre.

TAPISSERIE DE TONTURE DE LAINE ; c'est une espece de tapisserie faite de la laine qu'on tire des draps qu'on tond, collée sur de la toile ou du coutil.

On l'a d'abord fait à Rouen, mais d'une maniere grossiere ; car on n'y employoit au commencement que des toiles pour fonds, sur lesquelles on formoit des desseins de brocatelles avec des laines de diverses couleurs qu'on colloit dessus après les avoir hachées. On imita ensuite les verdures de haute-lisse, mais fort imparfaitement ; enfin, une manufacture de ces sortes de tapisseries s'étant établie à Paris dans le faubourg saint Antoine, on y hasarda des personnages, des fleurs, & des grotesques, & l'on y réussit assez bien.

Le fond des tapisseries de cette nouvelle manufacture peut être également de coutil ou de forte toile. Après les avoir tendues l'une ou l'autre exactement sur un chassis de toute la grandeur de la piece qu'on a dessein de faire, on trace les principaux traits & les contours de ce qu'on y peut représenter, & on y ajoute les couleurs successivement, à mesure qu'on avance l'ouvrage.

Les couleurs sont toutes les mêmes que pour les tableaux ordinaires, & on les détrempe de la même maniere avec de l'huile commune mêlée avec de la térébenthine ou telle autre huile, qui par sa ténacité puisse haper & retenir la laine, lorsque le tapissier vient à l'appliquer.

A l'égard des laines, il faut en préparer de toutes les couleurs qui peuvent entrer dans un tableau, avec toutes les teintes & les dégradations nécessaires pour les carnations & les draperies des figures humaines, pour les peaux des animaux, les plumages des oiseaux, les bâtimens, les fleurs ; enfin, tout ce que le tapissier veut copier, ou plutôt suivre sur l'ouvrage même du peintre.

On tire la plûpart de ces laines de dessus les différentes especes de draps que les tondeurs tondent ; c'en est proprement la tonture : mais comme cette tonture ne peut fournir toutes les couleurs & les teintes nécessaires, il y a des ouvriers destinés à hacher des laines, & d'autres à les réduire en une espece de poudre presque impalpable, en les passant successivement par divers sas ou tamis, & en hachant de nouveau ce qui n'a pu passer.

Les laines préparées, & le dessein tracé sur la toile ou sur le coutil, on couche horisontalement le chassis sur lequel l'un ou l'autre est étendu sur des traiteaux élevés de terre d'environ deux piés ; & alors le peintre commence à y peindre quelques endroits de son tableau, que le tapissier-lainier vient couvrir de laine avant que la couleur soit seche ; parcourant alternativement l'un après l'autre toute la piece, jusqu'à ce qu'elle soit achevée. Il faut seulement observer que lorsque les pieces sont grandes, plusieurs lainiers & plusieurs peintres y peuvent travailler à-la-fois.

La maniere d'appliquer la laine est si ingénieuse, mais en même-tems si extraordinaire, qu'il ne faut pas moins que les yeux même pour la comprendre. On va pourtant tâcher de l'expliquer.

Le lainier ayant arrangé autour de lui des laines de toutes les couleurs qu'il doit employer, séparées dans de petites corbeilles ou autres vaisseaux semblables, prend de la main droite un petit tamis de deux ou trois pouces de longueur, de deux de largeur, & de douze ou quinze lignes de hauteur. Après quoi mettant dans ce tamis un peu de laine hachée de la couleur convenable, & le tenant entre le pouce & le second doigt, il remue légerement cette laine avec quatre doigts qu'il a dedans, en suivant d'abord les contours des figures avec une laine brune, & mettant ensuite avec d'autres tamis & d'autres laines les carnations, si ce sont des parties nues de figures humaines ; & les draperies, si elles sont nues, & à proportion de tout ce qu'il veut représenter.

Ce qu'il y a d'admirable & d'incompréhensible, c'est que le tapissier lainier est tellement maître de cette poussiere laineuse, & la sait si bien ménager par le moyen de ses doigts, qu'il en forme des traits aussi délicats qu'on pourroit le faire avec le pinceau, & que les figures sphériques, comme est, par exemple, la prunelle de l'oeil, paroissent être faites au compas.

Après que l'ouvrier a lainé toute la partie du tableau ou tapisserie que le peintre avoit enduite de couleur, il bat légerement avec une baguette le dessous du coutil ou de la toile à l'endroit de son ouvrage, ce qui le dégageant de la laine inutile, découvre les figures, qui ne paroissoient auparavant qu'un mêlange confus de toutes sortes de couleurs.

Lors enfin que la tapisserie est finie par ce travail alternatif du peintre & du lainier, on la laisse sécher sur son chassis qu'on dresse de haut en bas dans l'attelier ; après qu'elle est parfaitement seche, on donne quelques traits au pinceau dans les endroits qui ont besoin de force, mais seulement dans les bruns.

Ces sortes de tapisseries, qui, quand elles sont faites de bonne main, peuvent tromper au premier coup d'oeil, & passer pour des hautes-lisses, ont deux défauts considérables auxquels il est impossible de remédier ; l'un, qu'elles craignent extrêmement l'humidité, & qu'elles s'y gâtent en peu de tems ; l'autre, qu'on ne sauroit les plier comme les tapisseries ordinaires pour les serrer dans un garde-meuble, ou les transporter d'un lieu dans un autre, & qu'on est obligé, lorsqu'elles ne sont pas tendues, de les tenir roulées sur de gros cylindres de bois, ce qui occupe beaucoup de place, & est extrêmement incommode.


TAPISSIERS. m. marchand qui vend, qui fait ou qui tend des tapisseries & des meubles. Voyez TAPISSERIE.

La communauté des marchands Tapissiers est très-ancienne à Paris ; elle étoit autrefois partagée en deux ; l'une sous le nom de maîtres-marchands Tapissiers de haute-lisse, sarazinois & rentrayure ; l'autre sous celui de courtepointiers, neustrés & coustiers.

La grande ressemblance de ces deux corps pour leur commerce donnant occasion à de fréquens différens entr'eux, la jonction & l'union en fut ordonnée par arrêt du Parlement du 11 Novembre 1621 ; & par trois autres des 3 Juillet 1627, 7 Décembre 1629, & 27 Mars 1630, il fut enjoint aux maîtres des deux communautés de s'assembler pour dresser de nouveaux Statuts, & les compiler de ceux des deux corps ; ce qui ayant été fait, les nouveaux statuts furent approuvés le 25 Juin 1636 par le lieutenant civil du châtelet de Paris, sur l'approbation duquel le roi Louis XIII. donna ses lettres patentes de confirmation au mois de Juillet suivant, qui furent enregistrées en parlement le 23 Août de la même année.

Ces nouveaux articles sont rédigés en cinquante-huit articles ; le premier permet aux maîtres d'avoir deux apprentis, qu'ils ne doivent prendre toutefois qu'à trois ans l'un de l'autre, à la charge de les engager au moins pour six ans. Ce grand nombre d'apprentis étant devenu à charge à la communauté, & les maîtres ayant délibéré dans une assemblée générale sur les moyens de remédier à ce désordre, leurs délibérations présentées au lieutenant de police ; il fut reglé par jugement du 19 Septembre 1670, qu'à l'avenir les maîtres ne pourroient engager qu'un seul apprenti, & non à-moins de six ans

Le dix-septieme parle de la réception des apprentis à la maîtrise, après avoir servi outre leur apprentissage trois ans de compagnons chez les maîtres, & après avoir fait chef-d'oeuvre.

Le xxxij. & les suivans jusqu'au xlviij. inclusivement, reglent la largeur, longueur, maniere & tissures des coutils, dont le commerce est permis aux maîtres Tapissiers.

Dans le xlviij. jusqu'au lij. inclusivement, il est pareillement établi les qualités, longueurs & largeurs des mantes ou couvertures de laine, dont le négoce est aussi accordé auxdits maîtres.

Le lvj. traite de l'élection des maîtres, de la confrérie le lendemain de la S. Louis, & de celle des jurés le lendemain de la S. François. Les jurés doivent être au nombre de quatre ; un de haute-lisse sarazinois, deux courtepointiers & un neustré. Deux des quatre jurés sortent chaque année, ensorte qu'ils sont tous deux années de suite en charge. Ils sont obligés de faire leurs visites tous les deux mois.

Les autres articles sont de discipline, & marquent les marchandises que les maîtres Tapissiers peuvent vendre, & les ouvrages qu'ils peuvent faire.

Tapissier - lainier ; on appelle ainsi l'ouvrier, qui dans les manufactures où l'on fabrique les tapisseries de tonture de laine, applique cette laine réduite en poussiere sur les parties de l'ouvrage du peintre à mesure qu'il le peint, & avant que la peinture soit tout-à-fait seche. Voyez TONTURE.

Tapissier en papier. C'est une des qualités que prennent à Paris les dominotiers-imagers, c'est-à-dire ces sortes de papetiers - imprimeurs qui font le papier-marbré, ou qui en mettent en diverses autres couleurs. On les appelle Tapissiers, parce qu'en effet, ils gravent, impriment & vendent des feuilles de papier, où sont représentés par parties différens desseins, dont on compose, en les réunissant & les collant ensemble, des tapisseries rehaussées de couleurs qui font un effet très-agréable. Voyez DOMINOTIER & GRAVURE en BOIS.


TAPISSIERETAPISSIERE


TAPITIS. m. (Hist. nat. Zoolog.) c'est une espece d'agouti particuliere au Brésil ; il est de la grandeur d'un cochon de lait d'un mois ; il a le pié fourchu, la queue très-courte, le museau & les oreilles d'un liévre ; sa chair est excellente à manger.


TAPONvoyez TAMPON.


TAPOSIRIS(Géog. anc.) 1°. ville d'Egypte, à une journée au couchant d'Alexandrie, selon Strabon, liv. XVII. p. 799.

2°. Ville d'Egypte, un peu au-delà de la précédente, selon Strabon : mais il est le seul des anciens qui mette deux villes de Caposiris, à l'occident d'Alexandrie. Tous les autres géographes n'en marquent qu'une dans ce quartier-là ; desorte qu'on ne sait à laquelle des deux villes on doit rapporter ce qu'ils disent de Taposiris, dont ils n'écrivent pas même le nom de la même maniere. Plutarque, in Osiride, aussi-bien que Procope, Aedif. liv. VI. c. j. écrivent Taphosiris. Ce dernier, après avoir remarqué que la côte qui s'étend depuis la frontiere d'Alexandrie jusqu'à Cyrene, ville du pays de Pentapole, a retenu le nom général d'Afrique, dit, il y a dans cette côte une ville appellée Taphosiris, à une journée d'Alexandrie, & où l'on dit qu'Osiris, dieu des Egyptiens, est entré. Justinien a fait bâtir dans cette ville un bain public, & des palais pour loger les magistrats. (D.J.)


TAPOUYTAPERE(Géog. mod.) c'est-à-dire demeure des Tapuys ; contrée de l'Amérique méridionale au Brésil, dans la capitainerie de Para ; elle fait une partie du continent, & n'en est séparée que par un canal, qui va jusque dans la baie de Marannan. (D.J.)


TAPROBANE(Géog. anc.) Taprobana ou Taprobane, île célebre que Ptolémée, liv. VII. ch. iv. marque à l'opposite du promontoire de l'Inde appellé Cory, entre les golfes Colchique & Argarique.

Les anciens ; savoir, Pomponius-Mela, Strabon, Pline & Ptolémée, ont donné des descriptions si peu ressemblantes de Taprobane, que plusieurs habiles gens ont douté, si l'île de Taprobane de Pline étoit la même que celle de Ptolémée : & comme la plupart se sont accordés à dire, que l'ancienne Taprobane, étoit l'île de Ceylan d'aujourd'hui, il s'est trouvé des auteurs de nom, qui, voyant que tout ce qu'on disoit de cette ancienne île ne convenoit pas à l'île de Ceylan, ont été la chercher dans l'île de Sumatra. De ce nombre sont Orose, Mercator, Jule Scaliger, Rhamusio & Stukius ; mais il n'est guere probable que les Romains ni les habitans d'Alexandrie, ayent navigé jusqu'à Sumatra ; c'est en partie ce qui a obligé Saumaise, Samuel Bochart, Cluvier & Isaac Vossius, à prendre l'île de Ceylan pour l'île de Taprobane. En effet, tout ce que dit Ptolémée de l'Ile de Taprobane, convient assez à l'île de Ceylan, pourvû que l'on convienne que la description qu'il donne doit l'emporter sur celle de Pline, & qu'il s'est trompé en la faisant trop grande, en la plaçant trop au midi, & en l'avançant jusqu'au-delà de l'équateur. Cependant les difficultés qui se trouvent à concilier toutes ces différentes opinions, ont porté M. Cassini à placer l'île de Taprobane dans un autre endroit ; & voici le systême qu'il a imaginé.

La situation de l'île de Taprobane, suivant Ptolémée au septieme livre de sa géographie, étoit vis-à-vis du promontoire Cory. Ce promontoire est placée par Ptolémée, entre l'Inde & le Gange, plus près de l'Inde que du Gange. Cette île Taprobane étoit divisée par la ligne équinoxiale en deux parties inégales, dont la plus grande étoit dans l'hémisphere boréal, s'étendant jusqu'à 12 ou 13 degrés de latitude boréale. La plus petite partie étoit dans l'hémisphere austral, s'étendant jusqu'à deux degrés & demi de latitude australe. Autour de cette île, il y avoit 1378 petites îles, parmi lesquelles il s'en trouvoit dix-neuf plus considérables, dont le nom étoit connu en occident.

Le promontoire Cory ne sauroit être autre que celui qui est appellé présentement Comori ou Comorin, qui est aussi entre l'Inde & le Gange, & plus près de l'Inde que du Gange. Vis-à-vis ce cap, il n'y a pas présentement une aussi grande île que la Taprobane qui soit divisée par l'équinoxial, & environnée de 1378 îles : mais il y a une multitude de petites îles appellées Maldives, que les habitans disent être au nombre de 12000, suivant la relation de Pirard qui y a demeuré cinq années ; ces îles ont un roi, qui se donne le titre de roi de treize provinces, & de douze mille îles.

Chacune de ces treize provinces est un amas de petites îles, dont chacune est environnée d'un grand banc de pierre, qui la ferme tout-au-tour comme une grande muraille : on les appelle attolons. Elles ont chacune trente lieues de tour, un peu plus ou un peu moins, & sont de figure à-peu-près ovale. Elles sont bout à bout l'une de l'autre, depuis le nord jusqu'au sud ; & elles sont séparées par des canaux de mer, les unes larges, les autres fort étroites. Ces bancs de pierre qui environnent chaque attolon, sont si élevés, & la mer s'y rompt avec une telle impétuosité, que ceux qui sont au milieu d'un attolon, voient ces bancs tout-au-tour avec les vagues de la mer qui semblent hautes comme des maisons. L'enclos d'un attolon n'a que quatre ouvertures, deux du côté du nord, & deux du côté du sud, dont une est à l'est, l'autre à l'ouest, & dont la plus large est de deux cent pas, & la plus étroite un peu moins de trente. Aux deux côtés de chacune de ces entrées, il y a des îles, mais les courans & les plus grandes marées en diminuent tous les jours le nombre.

Pirard ajoute, qu'à voir le dedans d'un de ces attolons, on diroit que toutes ces petites îles, & les canaux de mer qu'il enferme, ne sont qu'une plaine continue, & que ce n'étoit anciennement qu'une seule île coupée depuis en plusieurs. On voit presque par-tout le fond des canaux qui les divisent, tant ils sont peu profonds, à la réserve de quelques endroits ; & quand la mer est basse, l'eau n'y monte pas à la ceinture, mais seulement à mi-jambe presque par-tout. Il y a un courant violent & perpétuel, qui, depuis le mois d'Avril jusqu'au mois d'Octobre, vient impétueusement du côté de l'ouest, & cause des pluies continuelles qui y font l'hiver ; pendant les autres six mois, les vents sont fixes du côté de l'est, & portent une grande chaleur, sans qu'il y pleuve jamais, ce qui cause leur été. Au fond de ces canaux, il y a de grosses pierres, dont les habitans se servent à bâtir, & il y a quantité de broussailles, qui ressemblent au corail : ce qui rend extrêmement difficile le passage des bateaux par ces canaux.

Lindschot témoigne que, suivant les Malabares, ces petites îles ont été autrefois jointes à la terre ferme, & que par la succession des tems, elles en ont été détachées par la violence de la mer, à cause de la bassesse du terrein. Il y a donc apparence que les Maldives sont un reste de la grande île Taprobane, & des 1378 îles qui l'environnoient, qui ont été emportées par les courans, sans qu'il en soit resté autre chose que ces rochers, qui devoient être autrefois les bases des montagnes ; desorte qu'elle n'est plus capable que de diviser les terres qui sont enfermées en-dedans de leur circuit. Il est du-moins certain que ces îles ont la même situation à l'égard de l'équinoxial, & à l'égard du promontoire, & de l'Inde & du Gange, que Ptolémée assigne à divers endroits de l'île Taprobane.

Les anciens ont donné plus d'un nom à cette île, mais celui de Taprobane est le plus célebre. On l'a appellée l'île de Palaesimundi ; & on l'a quelquefois nommée Salice. (D.J.)


TAPSELS. m. (terme de Commerce) c'est une grosse toile de coton rayée, ordinairement de couleur bleue, qui vient des Indes orientales, particulierement de Bengale. (D.J.)


TAPSIES. f. (Hist. nat. Botan.) tapsia ; genre de plante à fleur en rose & en ombelle, composée de plusieurs pétales disposés en rond, & soutenus par un calice, qui devient dans la suite un fruit composé de deux semences longues, striées, & entourées d'une grande aîle plate & échancrée le plus souvent de chaque côté. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.


TAPSUS(Géog. anc.) selon Virgile, Aeneid. liv. III. v. 689. & Thapsus selon Thucydide ; péninsule de la partie de Sicile, qu'on nomme Val-di-Noto ; elle est à dix-huit milles d'Agouste, sur la côte orientale, entre Hylla paroa, ou Megara, vers le nord, & Syracuse vers le midi. Cette péninsule, à laquelle le P. Catrou donne le nom d'île, est si basse & si enfoncée dans la mer, qu'on la croiroit ensevelie dans les flots. On l'appelle aujourd'hui Isola delli Manghisi. Il y avoit anciennement une petite ville de même nom sur l'isthme ; Plutarque en parle dans la vie de Nicias. (D.J.)


TAPTILE, ou TAPHI, (Géog. mod.) riviere des Indes, dans les états du Mogol. Elle a sa source aux confins des provinces de Candish & de Balagate, & se jette auprès de Surate dans le golphe de Cambaye. (D.J.)


TAPUYAS(Géog. mod.) nom commun à plusieurs nations sauvages de l'Amérique, au Brésil. Ces peuples habitent dans les terres, sans avoir ni bourgades, ni villages, ni demeures fixes. Ils sont grands, robustes, hardis & redoutés des européens. (D.J.)


TAPYRA-COAYNANAS. m. (Hist. nat. Botan. exot.) grand arbre du Brésil, dont les branches s'étendent au loin, & dont l'écorce est cendrée ; ses feuilles sont opposées les unes aux autres, placées sur des pédicules fort courts, & semblables à celles du séné. Ses fleurs forment des épis, & ont cinq pétales à trois petites cornes semi-lunaires, qui s'élevent avec les étamines.

Il succede à ces fleurs des siliques vertes avant que d'être mûres, noires ou brunes dans la maturité, inclinées vers la terre, longues d'environ un pié, & tant-soit-peu recourbées. Ces siliques sont dures, ligneuses, & ne se brisent que sous le marteau ; elles sont composées d'un grand nombre de cellules, de la capacité d'une plume, séparées par des cloisons, & contenant chacune une amande de la figure & de la grosseur de celles de l'amandier, blanches, tirant sur le jaune, unies, luisantes, dures comme de la corne, & couvertes d'une pulpe glutineuse, noirâtre, semblable à la casse, amere & désagréable au goût, astringente dans sa verdeur, & laxative dans sa maturité.

Le tapyra-coaynana est proprement le cassier du Brésil, & sa pulpe purge mieux que celle du cassier d'Egypte ; aussi cet arbre est-il nommé cassia fistula Brasiliana, par C. B. P. solativa Brasiliana Park. cassia fistula Brasiliana, flore incarnato, par Breynius. (D.J.)

TAPYRA-PECIS, (Hist. nat. Botan. exot.) espece de laiteron du Brésil. Cette plante n'a qu'une tige, qui s'éleve à la hauteur de la jambe de l'homme. Ses feuilles sont étroites, oblongues, dentelées & velues. Ses fleurs croissent au sommet de la tige, & sont couvertes de duvet. (D.J.)


TAPYRI(Géog. anc.) peuples d'Asie, que Pline, liv. VI. ch. 16. & Strabon, liv. XI. pag. 514. joignent avec les Amariacae & les Hyrcaniens. Ils sont différens des Tapori de Ptolémée, mais ce sont les mêmes qu'il nomme Tapuri. Le P. Hardouin dit que les Tapyri & les Amariacae, habitoient le pays qu'on nomme présentement le Gilan. Ils étoient de grands voleurs, & si adonnés au vin, qu'ils se servoient de cette liqueur pour tout remede. Les hommes portoient des robes noires & des cheveux longs ; les femmes avoient des robes blanches, & portoient les cheveux courts. Les Tapyris étoient si peu attachés aux femmes qu'ils avoient prises, qu'ils les laissoient épouser à d'autres, après qu'ils en avoient eu deux ou trois enfans. Celui d'entr'eux qui avoit donné les plus grandes marques de valeur & de courage, avoit le pouvoir de choisir celle qui étoit le plus à son gré. (D.J.)


TAQUES. f. (Jeu de Billard) instrument dont on se sert pour jouer au billard, & qui differe d'un autre instrument qu'on nomme aussi billard. La taque est composée d'une longue verge de bois flexible de la grosseur d'un pouce, & qui va toujours en diminuant imperceptiblement jusqu'à l'autre bout, qui entre dans une masse postiche de bois, qui est à-peu-près semblable à la masse de l'instrument appellé billard. (D.J.)


TAQUERterme d'Imprimerie ; c'est avant que de serrer entierement une forme, & après avoir arrêté foiblement les coins, abaisser les lettres hautes, ou plus élevées qu'elles ne doivent être, avec le taquoir, sur lequel on frappe légerement avec le manche du marteau, en parcourant tout l'espace de la forme. Voyez TAQUOIR.


TAQUET-FILIEUou FITEUX, (Marine) nom qu'on donne à différentes sortes de crochets de bois petits, où l'on amarre diverses manoeuvres. Voyez encore SEP DE DRISSE.

TAQUET A CORNES, (Marine) c'est un taquet à cornes ou à branches, qui sert à lancer les manoeuvres. Il y a des taquets dans les sarques, au grand mât & au mât de misaine ; on amarre les cornets à ceux de ce dernier mât.

TAQUET A GUEULE ou A DENT, (Marine) taquet qui se cloue par les deux bouts, & qui est échancré par le dedans.

TAQUET DE FER, (Marine) espece de taquet à gueule, qui sert dans les constructions & le radoub des vaisseaux, à faire approcher & joindre les membres, les préceintes & les bordages.

TAQUET DE LA CLE DES ETAINS, (Marine) Voyez CLE DES ETAINS.

TAQUET DE MAST DE CHALOUPE, (Marine) taquet à dents qui est vers le bas du mât, & où l'on amarre la voile.

TAQUETS D'AMURE, (Marine) ce sont des pieces de bois courtes & grosses, rouées, qu'on applique de chaque côté du vaisseau, pour servir de dogue d'amure. Voyez DOGUE D'AMURE.

TAQUETS DE CABESTAN, (Marine) Voyez CABESTAN & FUSEAUX.

TAQUET D'ECHELLE, (Marine) pieces de bois qui servent d'échelons, ou de marches aux échelles des côtés du vaisseau.

TAQUETS D'ECOUTES, (Marine) Voyez BITTES.

TAQUETS DE HAUBANS, (Marine) longues pieces de bois amarrées aux haubans d'artimon, où il y a des chevillots, qui servent à élancer les cargues.

TAQUETS DE HUNE A L'ANGLOISE, (Marine) ce sont deux demi-ronds, qui servent de hune, étant mis aux deux côtés du bout du mât de beaupré.

TAQUETS DE PONTON, (Marine) gros taquets, semblables à ceux qui servent de dogue d'amure aux vaisseaux, par où passent les attrapes lorsqu'on les carene.

TAQUETS DE VERGUE, (Marine) ce sont deux taquets qui sont à chaque vergue.

TAQUETS SIMPLES, (Marine) taquets qui ont la forme d'un coin, & qui servent à divers usages.

TAQUETS, PIQUETS, (Jardinage) petits piquets que l'on enfonce à tête perdue & à fleur de terre, à la place des jalons qui ont été dressés sur l'alignement, ou qui ont été buttés ou déchargés suivant le nivellement. Ces taquets ainsi enfoncés, ne s'arrachent point, reglent le niveau ou la pente d'une allée, & servent à faire des repaires pour dresser le terrein.

TAQUET, s. m. (Tonneler.) petit morceau de cercle aiguisé par les deux bouts, qu'on met en rabattant les tonneaux entre les torches pour les maintenir. (D.J.)

TAQUET, terme de Fauconnerie, c'est un ais sur le bout duquel on frappe pour faire revenir l'oiseau, lorsqu'il est au soleil en liberté.


TAQUISS. m. (Corn.) on appelle toile en taquis, des toiles de coton qui se fabriquent à Alep ou aux environs.


TAQUOIRS. m. ustensile d'Imprimerie, c'est un morceau de bois tendre, ordinairement de sapin, très-uni, au moins d'un côté, lequel est de sept à huit pouces de long, sur trois à quatre de large, & huit à dix lignes d'épaisseur, dont on se sert pour taquer les formes, c'est-à-dire pour abaisser les lettres qui se trouvent trop hautes, parce que leur pié n'est pas de niveau avec celui des autres : à quoi il faut faire attention avant de serrer les formes, telles qu'elles doivent l'être pour être garanties d'accidens. Voyez TAQUER.


TAQUONSS. m. pl. terme d'Imprimerie, ce sont des especes de hausses, faites avec de petits morceaux de papier que l'on met sous la forme, sur le carton, ou que l'on colle sur le tympan, pour faire paroître des lettres un peu basses, ou des lignes qui viennent trop foibles. On appelle encore taquons, les découpures de papier ou de parchemin, que l'on retire d'une frisquette taillée pour imprimer rouge & noir. Voyez HAUSSES, CARTON, TYMPAN.


TARABATS. m. terme de religieux, sorte d'instrument grossier, servant à réveiller les religieux dans la nuit, pour les avertir d'aller prier Dieu au choeur. Il y a un tabarat en forme de cresselle, dont on se sert dans la Semaine Sainte pour avertir d'aller à tenebres. Il y en a d'autres qui ne consistent qu'en une petite planche avec de gros clous mis en haut & en bas, & une verge de fer qui frappe dessus. (D.J.)


TARABES. m. (Hist. nat. Ornithol.) nom d'un perroquet du Brésil, tout verd excepté sur la tête, la gorge & le commencement des aîles qui sont rouges ; son bec & ses jambes sont d'un gris-brun. Marggravii. Hist. Brasil. (D.J.)


TARABITESS. f. (Hist. mod.) ce sont des machines, aussi simples que singulieres, dont les habitans du Pérou se servent pour passer les rivieres, & pour se faire transporter d'un côté à l'autre, ainsi que les chevaux & les bestiaux. La tarabite est une simple corde faite de lianne, ou de courroies très - fortes de cuir, qui est tendue d'un des bords d'une riviere à l'autre. Cette corde est attachée au cylindre d'un tourniquet, au moyen duquel on lui donne le degré de tension que l'on veut. A cette corde ou tarabite, sont attachés deux crocs mobiles qui peuvent parcourir toute sa longueur, & qui soutiennent un panier assez grand pour qu'un homme puisse s'y coucher, en cas qu'il craigne les étourdissemens auxquels on peut être sujet en passant des rivieres qui sont quelquefois entre des rochers coupés à pic d'une hauteur prodigieuse. Les Indiens donnent d'abord une secousse violente au panier, qui par ce moyen coule le long de la tarabite ; & les Indiens de l'autre bord, par le moyen de deux cordes, continuent d'attirer le panier de leur côté. Quand il s'agit de faire passer un cheval ou une mule, on tend deux cordes ou tarabites, l'une près de l'autre ; on suspend l'animal par des sangles qui passent sous son ventre, & qui le tiennent en respect sans qu'il puisse faire aucun mouvement. Dans cet état, on le suspend à un gros croc de bois qui coule entre les deux tarabites, par le moyen d'une corde qui l'y attache. La premiere secousse suffit pour faire arriver l'animal à l'autre rive. Il y a des tarabites qui ont 30 à 40 toises de longueur, & qui sont placées à 25 ou 30 toises au-dessus de la riviere.


TARABOQUES. m. (Hist. ecclés.) ce fut ainsi qu'on appella dans le quatorzieme siecle quelques habitans d'Ancone qui tenoient le parti de Louis de Baviere, & qu'on accusoit d'hérésie & de débauche. Un frere mineur, inquisiteur, eut ordre de les faire arrêter en Esclavonie, où il paroît qu'ils se retirerent.


TARACS. m. (Hist. nat. Litholog.) nom d'une pierre qui nous est inconnue, & dont on ne nous apprend rien, sinon qu'elle avoit des vertus médicinales, & que l'on substitue le sang de dragon à sa place. Voyez Boëce de Boot.


TARAGALE(Géog. mod.) ville d'Afrique au royaume de Tasilet, dans la province, sur la gauche de la riviere de même nom. Cette ville a pour défense un château fortifié, où on tient garnison. Son terroir est planté de palmiers, & fertile en pâturages. Long. 11. 48. lat. 27. (D.J.)


TARAGUICO-AYCURABAS. m. (Hist. nat. Zoolog.) nom d'une espece de lésard du Brésil, dont la queue est couverte de petites écailles triangulaires, marquetées de quatre taches brunes régulieres ; son dos est joliment ondé de rayeures brunes.


TARAGUIRAS. m. (Hist. nat. Zoologie) nom d'un lésard d'Amérique, qui est de la longueur d'un pié ; son corps est tout couvert de petites écailles triangulaires, grises-brunes : il est très-commun aux environs des maisons du sud de l'Amérique. Il court avec une grande rapidité, mais toujours en tortillant son corps ; & d'abord qu'il apperçoit quelque chose, il a une maniere singuliere de branler sa tête avec une extrême vîtesse. (D.J.)


TARAIJOS. m. (Hist. nat. Botan.) espece de laurier cerise du Japon, dont les fleurs sont à quatre pétales, odorantes, d'un jaune pâle & ramassées en grand nombre sous les aisselles des feuilles. Son fruit, qui contient quatre semences, est rouge, de la grosseur & de la figure d'une poire ; on le cultive dans les jardins, où il conserve toujours sa beauté.


TARAMA(Géog. mod.) province de l'Amérique méridionale, au Pérou, dans l'audience de Lima, à 24 lieues de la ville de ce nom : son terroir est fertile en maïs. (D.J.)


TARANCHES. f. terme de Vigneron, grosse cheville de fer qui sert à tourner la vis d'un pressoir par le moyen des omblets & des leviers. Trévoux.


TARANDES. m. (Hist. nat. Zoolog.) c'est un animal sauvage gros comme un boeuf. Il a la tête plus grande que le cerf, est couvert d'un poil comme celui d'un ours, & naît dans les pays les plus septentrionaux, comme en Laponie. (D.J.)


TARANISS. m. (Mythol. des Gaul.) nom que les Gaulois donnoient à Jupiter, & sous lequel ils lui immoloient des victimes humaines. Taranis répondoit au Jupiter tonnant des Romains, mais ce dieu n'étoit pas chez les Gaulois le souverain des dieux, il n'alloit qu'après Esus, le dieu de la guerre, & la grande divinité de ces peuples. (D.J.)


TARANJAS. m. (Hist. nat. Bot.) arbre d'Afrique & des Indes orientales. Il est petit & rempli d'épines ; son fruit est rond & couvert d'une écorce jaunâtre ; le dedans est rouge & a le goût d'une orange, quoique sa chair soit plus ferme.


TARANTAISELA, (Géogr. mod.) province de Savoie, avec titre de comté. Elle est bornée au nord par le duché de Savoie, au midi par le comté de Maurienne, au levant par le duché d'Aost, & au couchant encore par le comté de Maurienne. C'est le pays qu'habitoient les Centrons, peuples bien marqués dans César, au premier livre de ses Commentaires. Pline les place aussi dans les Alpes graïennes, qu'il nomme Centroniques, à cause de ses peuples, qui étoient, comme il dit, limitrophes des Octoduriens ou des Vallaisans, Octodurenses & eorum finitimi Centrones. Les Centrons étoient les premiers des Alpes graïennes. Leur capitale étoit nommée Forum Claudii : c'est le nom romain marqué par Ptolémée.

La ville des Centrons n'est plus qu'un village qui a conservé son nom. Darentasia ou Tarentaise, devint la capitale, non-seulement des Centrons, mais des Alpes grecques & pennines ; elle est marquée dans l'itinéraire d'Antonin, & dans la carte de Peutinger. Elle étoit alors évêché, & fut archevêché dans le neuvieme siecle. Cette ville de Tarentaise, en donnant son nom au pays, a perdu le sien elle-même, & s'appelle aujourd'hui Monstiers, Monasterium, à cause d'un monastere fondé en ce lieu, où les archevêques demeuroient. Voyez MONSTIERS.

La Tarentaise est un pays stérile & plein d'affreuses montagnes. La riviere d'Isere la traverse d'orient en occident, & y prend une de ses sources.

Innocent V. appellé Pierre de Tarentaise, parce qu'il étoit né dans la ville de ce nom en 1249, se fit religieux de l'ordre de saint Dominique, devint provincial de son ordre, archevêque de Lyon, cardinal d'Ostie, grand pénitencier de l'église romaine, & enfin pape après la mort de Grégoire X. Il fut élu à Arezzo le 21 Février 1276, & mourut au bout de cinq mois. Il a laissé des ouvrages que personne ne lit aujourd'hui, tant ils respirent la barbarie. (D.J.)


TARAPACAVALLEE DE, (Géog. mod.) vallée de l'Amérique septentrionale, au Pérou, dans l'audience de Los - Charcas, près de la côte de la mer du Sud. On dit qu'il s'y trouve quelques mines d'argent. Au-devant du continent il y a une île nommée l'île de Gouane, & que M. de Lisle marque à dix-neuf degrés quelques minutes. (D.J.)


TARARE(Géog. mod.) nom commun à une montagne d'Afrique, au royaume de Tremecen, & à une montagne qui est à six lieues de Lyon, sur le chemin de Roanne, & dont on a rendu le passage très-commode. Cette derniere montagne a pris son nom du gros bourg qui est situé au - bas, dans une vallée, sur la petite riviere de Tordive. Tarare, en latin du moyen âge, Tararia, est encore une montagne de France, qui sépare le Lyonnois du Beaujolois. (D.J.)


TARASS. m. (Médailles) fils de Neptune, passe pour le fondateur des Tarentins, qui le mettoient sur leurs médailles sous la forme d'un dieu marin, monté sur un dauphin, & tenant ordinairement le trident de son pere ; ou la massue d'Hercule, symbole de la force ; ou une chouette, pour désigner Minerve, protectrice des Tarentins ; ou bien une corne d'abondance, pour signifier la bonté du pays où il avoit bâti Tarente ; ou enfin avec un pot à deux anses, & une grappe de raisin avec le tyrse de Bacchus, symbole de l'abondance du vin chez les Tarentins. Taras avoit une statue dans le temple de Delphes, où on lui rendoit les honneurs dûs aux héros. (D.J.)

TARAS, (Géog. anc.) 1°. fleuve d'Italie, dans la Japigie, près de la ville de Tarente, selon Pausanias l. XX. c. x. & entre Métaponte & Tarente, selon Appien, civil. l. V. Il conserve son ancien nom, à la terminaison près ; car les uns le nomment présentement Tara, & les autres Taro. Ce n'est proprement qu'un ruisseau qui se jette dans le golfe de Tarente, près de Torre de Taro.

2°. Taras, fleuve de l'Epire, selon Vibius Sequester, de fluminibus, p. 83.

3°. Taras, ville de l'Asie mineure, selon Curopalate cité par Ortelius.

4°. Taras, fleuve de Scythie, selon Valerius Flaccus. (D.J.)


TARASCON(Géog. mod.) il y a en France deux petites villes de ce nom ; l'une est dans le pays de Foix, sur le bord de la riviere, à trois lieues au-dessus de la ville de Foix. Long. 19. 12. lat. 43.

L'autre Tarascon beaucoup plus considérable, est en Provence, au diocèse d'Avignon, sur la rive gauche du Rhône, vis-à-vis Beaucaire, avec laquelle elle communique par un pont de bateaux. Sa situation est à 4 lieues au midi d'Avignon, & à 5 d'Arles. Il y a une viguerie, un chapitre & quelques couvens. Son terroir est délicieux, & l'on y respire un air fort tempéré. Elle députe aux assemblées générales de la Provence, & ses députés y ont le premier rang. Long. 22. 20. latit. 43. 48.

Cette ville est très-ancienne ; car Strabon & Ptolomée en font mention sous le même nom qu'elle porte aujourd'hui ; ils la nomment Tarasco.

Molieres (Joseph Privat de) physicien cartésien, y naquit en 1677 ; il devint professeur au college royal en 1723, membre de l'académie des Sciences en 1729, & mourut à Paris en 1742. Il a publié des leçons de physique en quatre vol. in -12, dans lesquelles il admet non - seulement les tourbillons de Descartes, mais il croit pouvoir en démontrer l'existence dans le systême du plein. Les leçons de cet auteur ne passeront pas à la postérité. (D.J.)


TARASQUES. f. animal chimérique dont on effraie les enfans en quelques provinces de France ; on le représente à leur imagination ayant sur son dos un panier d'où sort une marionnette qui danse & qui saute.


TARASUNS. f. (Diete) espece de biere ou de liqueur fermentée que font les Chinois ; elle est très-forte & très - propre à enivrer. Pour faire cette liqueur, on prend de l'orge ou du froment qu'on fait germer, & on le fait moudre grossierement ; on en met une certaine quantité dans une cuve, on l'humecte foiblement avec de l'eau chaude ; alors on couvre la cuve avec soin ; on verse ensuite de la nouvelle eau bouillante, & on remue le mêlange, afin que l'eau le pénetre également, après quoi on recouvre encore la cuve ; on continue à verser de l'eau bouillante, & à remuer jusqu'à ce qu'on s'apperçoive que l'eau qui surnage, a parfaitement extrait le malt ou le grain germé, ce qu'on reconnoît lorsqu'elle est fortement colorée, & devenue gluante & visqueuse. On laisse refroidir le tout jusqu'à devenir tiede ; alors on verse la liqueur dans un vaisseau plus étroit, que l'on enfouit en terre, après y avoir joint un peu de houblon chinois, qui est pressé, & à qui on donne à - peu - près la forme d'une tuile ; on recouvre bien de terre le vaisseau qui y a été enterré, & on laisse la liqueur fermenter dans cet état. Le houblon des Chinois qui a été pressé dans des moules, porte déja son levain avec lui ; ainsi il n'est pas besoin d'y joindre aucune matiere fermentante. En Europe où l'on n'a point de ce houblon préparé, on pourroit y suppléer en mettant du houblon bouilli en petite quantité, pour ne point rendre la liqueur trop amere, & en y joignant un peu de levûre ou de mie de pain, ce qui produiroit le même effet. Lorsque la matiere est entrée en fermentation, on observe si la fermentation est cessée, ce qu'on reconnoît lorsque la matiere qui s'étoit gonflée, commence à s'affaisser ; alors on la met dans des sacs de grosse toile que l'on ferme en les nouant, que l'on met sous un pressoir, & la liqueur que le pressoir fait sortir de ces sacs, se met sans délai dans des tonneaux que l'on met dans la cave, & que l'on bouche avec soin ; de cette façon l'on a une biere qui est très - bonne ; lorsqu'elle a été faite proprement & avec soin. Voyez le voyage de Sibérie par M. Gmélin.


TARATES(Géog. anc.) Tarati, peuples montagnards de l'île de Sardaigne. Strabon, l. V. p. 225, dit qu'ils habitoient dans des cavernes, & que quoiqu'ils eussent un terrein propre pour le froment, ils en négligeoient la culture, aimant mieux piller les champs d'autrui. Ils s'adonnoient aussi à la piraterie ; car Strabon ajoute qu'ils désoloient les Pisans, soit dans l'île, soit dans le continent. (D.J.)


TARAXIPPUSS. m. (Mythol. & Gymnast.) génie malfaisant, dont la statue placée dans les hippodromes de la Grece remplissoit d'épouvante les chevaux attelés au char de ceux qui disputoient les prix de la course.

La lice ou l'hippodrome étoit composé de deux parties, dont l'une étoit une colline de hauteur médiocre, & l'autre étoit une terrasse faite de main d'homme.

A l'extrêmité de cette partie de la lice qui étoit en terrasse, il y avoit un autel de figure ronde consacré à un génie que l'on regardoit comme la terreur des chevaux, & que par cette raison l'on nommoit Taraxippus.

Quand les chevaux venoient passer devant cet autel, dit Pausanias, sans que l'on sache pourquoi, la peur les saisissoit tellement, que n'obéissant plus ni à la voix, ni à la main de celui qui les menoit, souvent ils renversoient & le char & l'écuyer ; aussi faisoit-on des voeux & des sacrifices à Taraxippus pour l'avoir favorable.

L'auteur qui étoit assez mauvais physicien & fort superstitieux, recherche les raisons de cette épouvante ; mais au lieu d'en donner la cause physique, il ne rapporte que des opinions populaires fondées sur la superstition qui a été de tous les tems, de tous les pays, & autant de la nation grecque que des autres.

Dans l'isthme de Corinthe il y avoit aussi un Taraxippus que l'on croyoit être ce Glaucus, fils de Sisyphe, qui fut foulé aux piés des chevaux dans les jeux funebres qu'Acaste fit célébrer en l'honneur de son pere. A Nemée on ne parloit d'aucun génie qui fît peur aux chevaux ; mais au tournant de la lice, il y avoit une grosse roche rouge comme du feu, dont l'éclat les éblouissoit, & les étonnoit de la même maniere qu'eût fait la flamme ; cependant, si l'on en croit Pausanias, à Olympie, Taraxippus leur faisoit bien une autre frayeur.

Il finit en disant que, selon eux, Taraxippus étoit un surnom de Neptune Hippius : ce n'est pas-là satisfaire la curiosité du lecteur qui attend qu'on lui apprenne la véritable cause d'une épouvante si subite. L'auteur pouvoit bien dire ce qu'il est si naturel de penser, que les hellanodices ou directeurs des jeux usoient de quelque artifice secret pour effaroucher ainsi les chevaux, afin que le succès des courses de char devenu par-là plus hazardeux & plus difficile, en devînt aussi plus glorieux. Abbé Gédouin sur Pausanias. (D.J.)


TARAXIS(Lexicog. médic.) , déréglement, trouble, confusion. Hippocrate emploie souvent ce mot, de même que le verbe , je trouble, dont il est dérivé, pour signifier ce désordre ou déréglement du ventre & des intestins, qui est causé par un cathartique, ou telle autre cause que ce soit. L'adjectif tarachodes, , s'applique aussi aux maladies, aux fievres & au sommeil inquiet, qui sont accompagnés de rêveries.

désigne encore dans les médecins grecs une chaleur & pleurs de l'oeil, accompagnée d'une rougeur contre nature, laquelle procede de quelque cause externe, comme du soleil, de la fumée, de la poussiere, du vent, &c. Cette légere ophthalmie cesse d'elle-même par la cessation de la cause. (D.J.)


TARAZONou TARACONA, (Géogr. mod.) ville d'Espagne, au royaume d'Aragon, sur les confins de la vieille Castille, au bord de la riviere nommée Chilés, à 50 lieues de Madrid, & à 66 de Tolede, dont son évêque est suffragant. Elle a trois paroisses, divers couvens, & un hôpital bien renté.

Tarazona est fort ancienne ; on la nomma d'abord Tyria-Ausonia. Auguste en fit une ville municipale ; les Maures y demeurerent jusqu'en 1120, qu'Alfonse, roi d'Aragon & de Castille, la leur enleva, & y établit un siege épiscopal. Son diocèse étend sa jurisdiction en Castille & en Navarre, & vaut, diton, à son évêque quinze mille ducats de rente. On tint dans cette ville un concile l'an 1229, & les états y ont été quelquefois convoqués. Le terrein abonde en blé, vin, huile, fruits, légumes, bétail, gibier, volaille. Long. 16. 7. latit. 41. 52.

Cano, en latin Canus (Melchior), religieux dominicain, & l'un des plus savans théologiens espagnols du xvj. siecle, naquit à Tarazona, & se rendit si habile dans les langues, la philosophie & la théologie. Il enseigna cette derniere science avec beaucoup d'éclat dans l'université de Salamanque. Il assista, comme théologien, au concile de Trente, sous Paul III. & fut ensuite fait évêque des Canaries en 1552. Comme il vouloit s'attacher à la cour, il ne garda pas long - tems son évêché. Philippe II. le considéra beaucoup. Il fut provincial de Castille, & mourut à Tolede en 1560.

Nous avons de lui plusieurs ouvrages, entr'autres, son traité latin intitulé, locorum theologicorum libri duodecim, & qui ne parut qu'après sa mort ; il est écrit avec élégance, mais il a le défaut de contenir de longues digressions & des questions étrangeres au sujet. L'auteur s'y montre néanmoins un homme d'esprit très-versé dans les belles-lettres & dans la connoissance de l'histoire ecclésiastique moderne, je n'en veux pour preuve que le passage suivant.

" Je le dis avec douleur, & non dans le dessein d'insulter personne (c'est Canus qui parle), Laërce a écrit avec plus de circonspection les vies des philosophes, que les Chrétiens n'ont écrit celles des saints ; Suetone est plus impartial & plus vrai dans l'histoire des empereurs, que ne le sont les écrivains catholiques, je ne dirai pas dans celles des princes, mais dans celles des martyrs, des vierges & des confesseurs, d'autant que Laërce & Suetone ne cachent ni les défauts réels des philosophes & des empereurs les plus estimés, ni même ceux qu'on leur a attribués ; mais la plûpart de nos écrivains sont ou si passionnés, ou si peu sinceres, qu'ils ne donnent que du dégoût ; outre que je suis persuadé que bien loin d'avoir fait du bien à l'église, ils lui ont au contraire fait beaucoup de tort... De plus il est incontestable que ceux qui écrivent l'histoire ecclésiastique, en y mêlant des faussetés ou des déguisemens, ne peuvent être des gens droits & sinceres, & que leurs ouvrages ne sont composés que dans quelques vues d'intérêt, ce qui est une lâcheté, ou pour en imposer aux autres, ce qui est pernicieux. " (D.J.)


TARBES(Géog. mod.) ou TARBE, ville de France, capitale du comté de Bigorre, sur la rive gauche de l'Adour, dans une belle plaine, à neuf lieues au sud - ouest d'Ausch, & à six au levant de Pau.

Cette ville a succédé à l'ancienne Bigorre, nommée Begora, castrum begorense, qui fut ruinée avec la plupart des autres villes de Gascogne, par les invasions des Barbares. Tarbes s'est accrûe de ses ruines, & a été bâtie à plusieurs reprises. Son église cathédrale est dans le lieu où étoit castrum begorrense, appellé par cette raison aujourd'hui la Sede. Il y a dans cette ville, outre la cathédrale, une église paroissiale & deux couvens, l'un de cordeliers & l'autre de carmes. Les PP. de la doctrine ont le college & le séminaire. La sénéchaussée de Tarbes est du ressort du parlement de Toulouse.

L'évêché de Tarbes, ou pour mieux dire, de l'ancienne Bigorre, n'est pas moderne ; car son évêque assista au concile d'Agde en 506. Cet évêque est suffragant d'Ausch, & président-né des états de Bigorre. Son diocèse renferme trois cent quatre-vingt-quatre paroisses ou annexes, & vaut environ vingt-cinq mille liv. de revenu. La ville de Tarbes éprouva en 1750 une secousse de tremblement de terre, qui combla seulement une vallée voisine. Long. 17. 35. latit. 43. 10. (D.J.)


TARCOLAN(Géog. mod.) ville des Indes dans le royaume de Carnate, au nord de Cangivouran dont elle dépend. C'étoit une ville assez considérable, pendant que les rois de Golconde en étoient les maîtres ; mais elle a perdu tout son lustre sous le grand-mogol, qui a réduit son enceinte à une très-petite étendue. (D.J.)


TARD-VENUSS. m. pl. (Hist. de France) ou MALANDRINS ; c'étoient de grandes compagnies composées de gens de guerre, qui s'assembloient sans être autorisées par le prince, & se nommoient un chef ; elles commencerent à paroître en France, suivant le continuateur de Nangis en 1360, & furent nommés tard-venus. Jaquet de Bourbon, comte de la Marche, fut tué à la bataille de Briguais, en voulant dissiper ces grandes compagnies qui avoient désolé la France, & qui passerent ensuite en Italie. Hénault. (D.J.)


TARDÉNOISLE (Géog. mod.) en latin du moyen âge, tardenensis ager, petit pays de France dans le Soissonnois au gouvernement de l'Isle de France. Son chef-lieu est la Fere en Tardénois. (D.J.)


TARDERv. neut. & act. (Gram.) n'arriver pas assez tôt. Ne tardez pas. Les pluies ont fait tarder les couriers. Le crime ne tarda pas à être puni. On dit que la lune tarde ; qu'une horloge tarde. Tarder se prend aussi pour différer ; ne tardez pas votre réconciliation : pour attendre avec impatience ; il me tarde bien d'avoir cette épine hors du pié.


TARDIFadj. (Gram.) qui vient trop tard, qui est lent à produire, à croître, à venir, à exécuter, &c. Il se dit des choses & des personnes ; un arbre tardif ; un fruit tardif ; un esprit tardif. Une mort promte vaut mieux pour celui qui connoît les maux de la vie, qu'une guérison tardive. Le boeuf & la tortue sont des animaux tardifs. De tardif, on a fait tardivité ; mais il est peu d'usage : on lit cependant dans la Quintinie, hâtivité & tardivité.


TARDONEVoyez TADORNE.


TARDOUERELA, ou LA TARDOIRE, (Géog. mod.) riviere de France, qui est souvent à sec. Elle a sa source dans le Limousin, près de Charlus, arrose le Poitou, l'Angoumois, & tombe dans la Charente. Ses eaux sont sales, bourbeuses & propres pour les tanneries. (D.J.)


TARES. f. (Com.) signifie tout défaut ou déchet qui se rencontre sur le poids, la qualité ou la quantité des marchandises. Le vendeur tient ordinairement compte des tares à l'acheteur.

Tare se dit encore du rabais ou diminution que l'on fait sur la marchandise par rapport au poids des caisses, tonneaux & emballages. Ces tares sont différentes suivant la diverse nature des marchandises, y ayant même beaucoup de marchandises où l'on n'accorde aucune tare : quelquefois elle est réglée par l'usage ; mais le plus souvent, pour obvier à toute contestation, l'acheteur doit en convenir avec le vendeur. Les tares sont beaucoup plus communes en Hollande qu'en France. Le sieur Ricard, dans son traité du négoce d'Amsterdam, ch. vij. de l'édit. de 1722, est entré sur cette matiere dans un grand détail dont voici quelques exemples.

La tare de l'alun de Rome est de quatre livres par sac :

De l'azur, trente-deux livres par barril :

Du beurre de Bretagne & d'Irlande, vingt pour cent :

Du poivre blanc, quarante livres par barril ; du poivre brun, cinq livres :

Du quinquina, douze & quatorze livres par seron, &c. Dictionn. de Comm.

TARE D'ESPECES, (Com.) diminution que l'on souffre par rapport au changement des monnoies. Dictionn. de Comm.

TARE DE CAISSE, (Com.) perte qui se trouve sur les sacs d'argent, soit sur les fausses especes, soit sur les mécomptes en payant & en recevant. On passe ordinairement aux caissiers des tares de caisses.

TARE, s. f. (Monnoie) c'est une petite monnoie d'argent de la côte de Malabare, qui vaut à-peu-près deux liards. Il en faut seize pour un fanon, qui est une petite piece d'or de la valeur de huit sols. Ce sont-là les seules monnoies que les rois malabares fassent fabriquer & marquer à leur coin. Cela n'empêche pas que les monnoies étrangeres d'or & d'argent, n'aient un libre cours dans le commerce selon leur poids ; mais on ne voit guere entre les mains du peuple que des tares & des fanons. (D.J.)

TARE, s. m. (Marine) nom que les Normands & les Picards donnent au goudron. Voyez GOUDRON.


TARE - RONDEvoyez PASTENAGUE.


TAREFRANKEVoyez GLORIEUSE.


TAREIBOIAS. m. (Hist. nat. Ophiol.) nom d'une espece de serpent d'Amérique, qui ainsi que le caraboïa, est amphibie, vivant dans l'eau comme sur terre ; ce sont l'un & l'autre de petits serpens entierement noirs ; ils mordent quand on les attaque, mais leur blessure n'est pas dangereuse. (D.J.)


TAREIRAS. m. (Hist. nat. Ichthyolog.) nom d'un poisson des mers d'Amérique, où on en pêche pour les manger, mais dont le goût est assez médiocre. Son corps oblong & épais s'amenuise graduellement vers la queue. Sa tête s'éleve en deux éminences audessus des yeux, qui sont jaunes avec une prunelle noire. Son nez est pointu ; sa gueule est large, jaunâtre en-dedans, armée à chaque mâchoire & sur le palais, de dents extrêmement pointues ; ce poisson a huit nageoires, en comptant sa queue fourchue pour une ; mais toutes sont d'une substance tendre, mince, douce, avec des rayons pour soutien. Ses écailles, délicatement couchées les unes sur les autres, sont fort douces au toucher. Son ventre est blanc, mais son dos & ses côtés sont marqués de raies longitudinales, vertes & jaunes. Marggravii, Hist. brasil. (D.J.)


TARENTASIA(Géog. anc.) ville des Alpes Graïennes, chez les Centrons. C'est aujourd'hui Moustier-en-Tarentaise. (D.J.)


TARENTE(Géogr. mod.) en latin Tarentum ; voyez ce mot où l'on a fait toute son histoire. Tarente moderne, en italien Tarento, n'occupe aujourd'hui qu'une des extrêmités de l'ancienne Tarentum, & l'on n'y trouve aucun vestige de la grandeur & de la splendeur qu'elle avoit autrefois ; tout le pays de son voisinage est presque désert.

C'est une petite ville d'Italie, dans la terre d'Otrante ; au royaume de Naples, sur le bord de la mer, dans un golfe de même nom, à 15 lieues au sud-est de Bari & à 55 est de Naples. La riviere Galeso en passe à trois milles, quoiqu'elle en fût éloignée de cinq du tems de Tite-Live ; vraisemblablement son lit s'est élargi du côté de Tarente. Les habitans de cette ville sont de misérables pêcheurs, & même des especes de barbares redoutés des voyageurs. Long. 35. 8. latit. 40. 30. (D.J.)


TARENTULou TARANTULE, dans l'histoire naturelle est un insecte venimeux, dont la morsure a donné le nom à la maladie appellée tarantisme. Voyez TARANTISME.

La tarentule est une espece d'araignée, ainsi appellée à cause de la ville de Tarente dans la Pouille, où elle se trouve principalement. Elle est de la grosseur environ d'un gland ; elle a huit piés & huit yeux ; sa couleur est différente ; mais elle est toujours garnie de poils. De sa bouche sortent douze especes de cornes un peu recourbées, dont les pointes sont extrêmement aiguës, & par lesquelles elle transmet son venin.

M. Geoffroy observe que ses cornes sont dans un mouvement continuel, sur - tout lorsque l'animal cherche sa nourriture, d'où il conjecture qu'elles peuvent être des especes de narines mobiles.

La tarentule se trouve en plusieurs autres endroits de l'Italie, & même dans l'île de Corse ; mais celles de la Pouille sont les seules dangereuses. On prétend même que celles-ci ne le sont plus lorsqu'elles sont transportées ailleurs. On ajoute que même dans la Pouille il n'y a que celles des plaines qui soient fort à craindre, parce que l'air y est plus chaud que sur les montagnes.

M. Geoffroy ajoute que, selon quelques-uns, la tarentule n'est venimeuse que dans la saison de l'accouplement ; & Baglivi dit qu'elle l'est seulement pendant les chaleurs de l'été, mais sur-tout pendant la canicule ; & qu'alors étant comme enragée, elle se jette sur tout ce qu'elle rencontre.

Sa morsure cause une douleur qui d'abord paroît à-peu-près semblable à celle que cause la piquure d'une abeille ou d'une fourmi. Au bout de quelques heures, on sent un engourdissement, & la partie affectée se trouve marquée d'un petit cercle livide, qui bientôt après devient une tumeur très-douloureuse. Le malade ne tarde pas à tomber dans une profonde mélancolie, sa respiration est très-difficile, son pouls devient foible, la connoissance diminue ; enfin il perd tout-à-fait le sentiment & le mouvement, & il meurt à-moins que d'être secouru. Mais ces symptomes sont un peu différens, suivant la nature de la tarentule & la disposition de la personne. Une aversion pour le noir & le bleu ; & au contraire une affection pour le blanc, le rouge & le verd sont d'autres symptomes inexplicables de cette maladie.

Tous les remedes que la Médecine a pu découvrir par le raisonnement, consistent en quelques applications extérieures, en des cordiaux & des sudorifiques ; mais tout cela est peu efficace. Ce qui vaut infiniment mieux, & que la raison ne pouvoit jamais découvrir, c'est la musique. Voyez MUSIQUE.

Dès que le malade a perdu le sentiment & le mouvement, on fait venir un musicien qui essaie différens airs sur un instrument ; & lorsqu'il a rencontré celui qui plaît au malade, on voit aussi-tôt celui-ci faire un petit mouvement : ses doigts commencent à se remuer en cadence, ensuite ses bras, puis ses jambes & tout le corps successivement. Enfin il se leve sur ses piés & se met à danser, devenant toujours plus fort & plus actif. Quelques-uns continuent à danser pendant six heures sans relâche.

On met ensuite le malade au lit ; & quand on juge qu'il est suffisamment reposé de sa danse, on le fait lever en jouant le même air pour danser de nouveau.

On continue cet exercice pendant plusieurs jours, c'est-à-dire pendant six ou sept au plus. Alors le malade se trouve excessivement fatigué & hors d'état de danser plus long-tems, ce qui est la marque de la guérison ; car tant que le poison agit sur lui, il danseroit, si l'on vouloit, sans discontinuer jusqu'à ce qu'il mourût de foiblesse.

Le malade se sentant fatigué, commence à revenir à lui-même, & se réveille comme d'un profond sommeil, sans aucun souvenir de ce qui lui est arrivé dans son paroxysme, & pas même d'avoir dansé.

Quelquefois il est entierement guéri après un premier accès. Si cela n'est pas, il se trouve accablé de mélancolie, il évite la vue des hommes & cherche l'eau ; & si on ne veille exactement sur lui, il se jette dans quelque riviere. S'il ne meurt pas de cette fois, il retombe dans son accès au bout de douze mois, & on le fait danser de nouveau. Quelques-uns ont régulierement ces accès pendant vingt ou trente ans.

Chaque malade aime particulierement un certain air de musique ; mais les airs qui guérissent sont tous en général très-vifs & très-animés. Voyez AIR & TON.

Ce que nous venons de rapporter fut communiqué en 1702 à l'académie royale des Sciences, par M. Geoffroy, à son retour d'Italie, & fut confirmé par les lettres du P. Gouye. Baglivi nous donne la même histoire dans une dissertation composée exprès sur la tarentule, & publiée en 1696.

Il n'est pas étonnant qu'on ait ajouté quelques fables à des faits si extraordinaires ; comme par exemple, que la maladie ne dure que tant que la tarentule vit ; & que la tarentule danse elle-même pendant tout ce tems-là le même air que la personne mordue.

Théorie des effets de la morsure de la tarentule, par M. Geoffroy. Cet auteur conçoit que le suc empoisonné que transmet la tarentule, peut donner aux nerfs un degré de tension plus grand que celui qui leur est naturel, ou qui est proportionné à leurs fonctions ; de-là vient la perte de connoissance & de mouvement. Mais en même tems cette tension se trouvant égale à celle de quelques cordes d'un instrument, met les nerfs à l'unisson avec certains tons, & fait qu'ils sont ébranlés & agités par les ondulations & les vibrations de l'air qui sont propres à ces tons. De-là cette guérison merveilleuse qu'opere la musique : les nerfs étant par ce moyen rétablis dans leur mouvement naturel, rappellent les esprits qui auparavant les avoient abandonnés. Voyez UNISSON & ACCORD.

On peut ajouter avec quelque probabilité & sur les mêmes principes, que l'aversion du malade pour certaines couleurs vient de ce que la tension de ses nerfs, même hors du paroxysme, étant toujours différente de ce qu'elle est dans l'état naturel, les vibrations que ces couleurs occasionnent aux fibres du cerveau sont contraires à leur disposition, & produisent une dissonnance qui est la douleur.

Théorie des effets de la morsure de la tarentule, par le D. Mead. La malignité du venin de la tarentule consiste dans sa grande force & sa grande activité par laquelle il excite aussi-tôt dans tout ce fluide artériel une fermentation extraordinaire qui altere considérablement son tissu ; en conséquence de quoi il arrive nécessairement un changement dans la cohésion des particules de ce liquide ; & par ce moyen les globules de sang qui auparavant se pressoient les uns les autres avec une égale force se trouvent avoir une action irréguliere & fort différente ; ensorte que quelques uns sont si fortement unis ensemble qu'ils forment des molécules, & comme de petits pelotons. Sur ce pié-là, comme il y a alors un plus grand nombre de globules enfermés dans le même espace qu'il n'y avoit auparavant, & que l'impulsion de plusieurs d'entr'eux, lorsqu'ils sont unis ensemble, varie suivant le degré de leur cohésion, suivant leur grosseur, leur figure, &c. l'impétuosité avec laquelle ce sang artériel est poussé vers les parties, ne sera pas seulement plus grande quelquefois qu'à l'ordinaire ; mais encore la pression sur les vaisseaux sanguins sera nécessairement irréguliere & fort inégale ; ce qui arrivera particulierement à ceux qui se distendent le plus aisément, tels que ceux du cerveau, &c.

En conséquence le fluide nerveux doit subir divers mouvemens ondulatoires, dont quelques-uns seront semblables à ceux que différens objets agissant sur les organes du corps ou sur les passions de l'ame excitent naturellement. De-là s'ensuivent nécessairement certains mouvemens du corps qui sont les suites ordinaires de la tristesse, de la joie, du désespoir, & d'autres passions de l'ame. Voyez PASSIONS.

Il y a alors un certain degré de coagulation du sang, laquelle étant accompagnée d'une chaleur extraordinaire, comme il arrive dans le pays où les tarentules abondent, produira encore plus sûrement les effets dont nous avons parlé : car les esprits séparés du sang ainsi enflammé & composé de particules dures, fines & seches, ne sauroient manquer d'avoir part à cette altération, c'est-à-dire qu'au - lieu que leur fluide est composé de deux parties, l'une plus active & plus volatile, l'autre plus visqueuse & plus fixe, qui sert en quelque façon de véhicule à la premiere, leur partie visqueuse se trouvera alors trop semblable à la partie active ; par conséquent ils auront plus de volatilité & de force qu'à l'ordinaire ; c'est pourquoi à la moindre occasion ils se porteront irrégulierement à chaque partie.

De-là s'ensuivront des sauts, de la colere, ou de la crainte pour le moindre sujet ; une extrême joie pour des choses triviales, comme des couleurs particulieres, & choses semblables ; & d'un autre côté de la tristesse dès qu'une chose ne plaît pas à la vue ; des ris, des discours obscenes & des actions de même nature, & d'autres pareils symptomes qui surviennent aux personnes mordues par la tarentule ; parce que dans la disposition où est alors le fluide nerveux, la plus légere cause le fait refluer avec ondulation vers le cerveau, & produit des images aussi vives, que pourroit faire la plus forte impression dans l'état naturel de ce fluide. Dans une telle confusion, les esprits ne peuvent manquer, même sans aucune cause manifeste, de se jetter quelquefois avec précipitation sur les organes vers lesquels ils se portoient le plus souvent en d'autres tems ; & l'on sait quels sont ces organes dans les pays chauds.

Les effets de la musique sur les personnes infectées du venin de la tarentule, confirment la doctrine précédente. Nous savons que le mouvement musculaire n'est autre chose qu'une contraction des fibres, causée par le sang arteriel, qui fait une effervescence avec le fluide nerveux, lequel par la légere vibration & le trémoussement des nerfs, est déterminé à se porter dans les muscles. Voyez MUSCULAIRE.

Ainsi la musique a un double effet, & agit également sur le corps & sur l'ame. Une harmonie vive excite dans l'ame des mouvemens violens de joie & de plaisir, qui sont toujours accompagnés d'un pouls plus fréquent & plus fort, c'est-à-dire, d'un abord plus abondant du fluide nerveux dans les muscles ; ce qui est aussi - tôt suivi des actions conformes à la nature des parties.

Quant au corps, puisqu'il suffit pour mettre les muscles en action, de causer aux nerfs ces trémoussemens qui déterminent leur fluide à couler alternativement dans les fibres motrices, c'est tout un que cela se fasse par la détermination de la volonté, ou par les impressions extérieures d'un fluide élastique.

Ce fluide élastique, c'est l'air. Or, on convient que les sons consistent en des vibrations de l'air : c'est pourquoi étant proportionnés à la disposition du malade, ils peuvent aussi réellement ébranler les nerfs que pourroit faire la volonté, & produire par conséquent des effets semblables.

L'utilité de la musique pour les personnes mordues de la tarentule, ne consiste pas seulement en ce que la musique les fait danser, & leur fait ainsi évacuer par la sueur une grande partie du venin ; mais outre cela, les vibrations réitérées de l'air que cause la musique, ébranlant par un contact immédiat les fibres contractiles des membranes du corps, & spécialement celles de l'oreille, qui étant contiguës au cerveau, communiquent leurs trémoussemens aux membranes & aux vaisseaux de ce viscere ; il arrive que ces secousses & ces vibrations continuées détruisent entierement la cohésion des parties du sang, & en empêchent la coagulation ; tellement que le venin étant évacué par les sueurs, & la coagulation du sang étant empêchée par la contraction des fibres musculaires, le malade se trouve guéri.

Si quelqu'un doute de cette force de l'air, il n'a qu'à considérer, qu'il est démontré dans le méchanisme, que le plus léger mouvement du plus petit corps peut surmonter la résistance du plus grand poids qui est en repos ; & que le foible trémoussement de l'air, que produit le son d'un tambour, peut ébranler les plus grands édifices.

Mais outre cela, on doit avoir beaucoup d'égard à la force déterminée, & à la modulation particuliere des trémoussemens de l'air ; car les corps capables de se contracter, peuvent être mis en action par un certain degré de mouvement de l'air qui les environne ; tandis qu'un plus grand degré de mouvement, différemment modifié, ne produira aucun effet semblable. Cela ne paroît pas seulement dans deux instrumens à cordes, montés au même ton ; mais encore dans l'adresse qu'ont certaines gens de trouver le ton particulier qui est propre à une bouteille de verre, & en réglant exactement leur voix sur ce ton, la poussant néanmoins avec force & longtems, de faire d'abord trembler la bouteille, & ensuite de la casser, sans cependant la toucher ; ce qui n'arriveroit pas, si la voix étoit trop haute, ou trop basse. Voyez SON.

Cela fait concevoir aisément, pourquoi les différentes personnes infectées du venin de la tarentule, demandent différens airs de musique pour leur guérison ; d'autant que les nerfs & les membranes distractiles ont des tensions différentes, & par conséquent ne peuvent toutes être mises en action par les mêmes vibrations de l'air.

Je n'ajouterai que quelques réflexions sur ce grand article. Il est assez singulier que ce soit dans la musique qu'on ait cru trouver le remede du tarantisme ; mais les dépenses d'esprit qu'ont fait quelques physiciens pour expliquer les effets de la musique dans cette maladie, me semblent encore plus étranges : si vous en croyez M. Geoffroy, par exemple, la raison de la privation de mouvement & de connoissance, vient de ce que le venin de la tarentule cause aux nerfs une tension plus grande que celle qui leur est naturelle. Il suppose ensuite, que cette tension, égale à celle de quelques cordes d'instrument, met les nerfs à l'unisson d'un certain ton, & les oblige à frémir, dès qu'ils sont ébranlés par les ondulations propres à ce ton particulier ; enfin il établit que le mouvement rendu aux nerfs par un certain mode, y rappelle les esprits qui les avoient presqu'entierement abandonnés, d'où il fait dériver cette cure musicale si surprenante. Pour moi je ne trouve qu'un roman dans toute cette explication.

D'abord elle suppose une tension extraordinaire de nerfs qui les met à l'unisson avec la corde d'un instrument. Si cela est, il faut que les membres du malade soient roides & dans la contraction, selon l'action égale ou inégale des muscles antagonistes : or l'on ne nous représente pas les malades dans un état de roideur pareille. D'ailleurs, si c'est par l'effet de l'unisson ou de l'accord qu'il y a entre le ton de l'instrument & les nerfs du malade qu'ils reprennent leurs mouvemens ; il semble qu'il s'agiroit de monter l'instrument sur le ton qui le met en accords avec ces nerfs, & c'est néanmoins ce dont le musicien ne se met pas en peine. Il paroît bien étrange que tant de nerfs de différente grosseur & longueur puissent sans dessein, se trouver tendus de maniere à former des accords ; ou ce qui seroit encore plus singulier, & même en quelque sorte impossible, à être à l'unisson avec le ton de l'instrument dont on joue. Enfin, si les esprits ont presqu'entierement abandonné ces nerfs, comme le suppose encore M. Geoffroy, je ne conçois pas comment il peut en même tems supposer que ces nerfs soient tendus au-delà du naturel, puisque suivant l'opinion la plus généralement reçue, ce sont les esprits, qui par leur influence tendent les nerfs.

Je pourrois opposer à l'hypothèse de M. Méad de semblables difficultés, mais j'en ai une bien plus grande qui m'arrête, c'est la vérité des faits dont je voudrois m'assurer auparavant que d'en lire l'explication. MM. Geoffroy, Méad, Grube, Scheuchzer & autres, n'ont parlé de la tarentule, que sur le témoignage de Baglivi qui n'exerçoit pas la médecine à Tarente ; par conséquent l'autorité de ce médecin n'est pas d'un grand poids, & ses récits sont fort suspects, pour ne rien dire de plus. D'abord une araignée qui par une petite piquure semblable à celle d'une fourmi, cause la mort malgré tous les remedes, excepté celui de la musique, est une chose incroyable. Une araignée commune en plusieurs endroits de l'Italie, & qui n'est dangereuse que dans la Pouille, seulement dans les plaines de ce pays, & seulement dans la canicule, saison de son accouplement, où pour lors elle se jette sur tout ce qu'elle rencontre ; une telle araignée, dis-je, est un insecte unique dans le monde ! on raconte qu'elle transmet son venin par ses cornes, qui sont dans un mouvement continuel, nouvelle singularité ! on ajoute pour complete r le roman, que les personnes qui sont mordues de cette araignée, éprouvent une aversion pour les couleurs noire & bleue, & une affection pour les couleurs blanche, rouge & verte. Il me prend fantaisie de simplifier toutes ces fables, comme on fait en Mythologie ; & voici ce que je pense.

La plûpart des hommes ont pour les araignées une aversion naturelle ; celles de la Pouille peuvent mériter cette aversion, & être réellement venimeuses. Les habitans du pays les craignent beaucoup ; ils sont secs, sanguins, voluptueux, ivrognes, impatiens, faciles à émouvoir, d'une imagination vive, & ont les nerfs d'une grande irritabilité ; le délire les saisit au moindre mal, & dans ce délire, il est bien naturel qu'ils s'imaginent avoir été piqués de la tarentule. Les cordiaux & les sudorifiques leur sont nuisibles, & empirent leur état ; on met donc en usage le repos, la fraîcheur, les boissons, ainsi que la musique qui calme leurs sens, & qu'ils aiment avec passion : voilà comme elle guérit la prétendue morsure si dangereuse de la tarentule. Cette exposition n'est pas merveilleuse, mais elle est fondée sur le bon sens, la vraisemblance, & la connoissance du caractere des habitans de la Pouille. (D.J.)


TARENTUMou TARAS, (Géog. anc.) ville d'Italie, dans la Pouille Messapienne, au fond d'un golfe ; elle étoit à cinq milles du Galesus. Tous les historiens & géographes, Strabon, Pline, Pomponius Méla, Tite-Live, Florus, Trogus Pompée, Solin, Tacite, & Procope parlent de cette célebre ville fondée 708 ans avant l'ere chrétienne.

La diversité des sentimens sur son origine, prouve qu'elle nous est inconnue. Antiochus veut qu'elle ait été fondée par quelques Barbares de Crète, qui, venus de Sicile, aborderent dans cet endroit avec leur flotte, & descendirent à terre. Solin en attribue la fondation aux Héraclides. Servius croit qu'elle est due à Tara fils de Neptune. Enfin d'autres prétendent plus vraisemblablement, que Tarente étoit une colonie de Lacédémoniens, qui furent conduits sur les côtes de la Tapygie Messapienne par Phalante, environ 696 ans avant l'ere chrétienne, & 55 ans depuis la fondation de Rome. Horace adopte cette origine ; il appelle Tarente, Oebalia tellus, du nom d'Oebalus, compagnon de Phalante, venu de Lacédémone dans la Lucanie, où il établit une colonie, & bâtit la ville de Tarente.

Le même poëte faisant ailleurs, l. II. od. 6. l'éloge de cette ville, dit : " si les injustes parques me refusent la consolation que je leur demande, je me retirerai dans le pays où Phalante amena jadis une colonie de Lacédémoniens, où le Galaso serpente à-travers de gras pâturages, où les troupeaux sont chargés d'une riche toison que l'on conserve avec grand soin ; ce petit canton a pour moi des charmes, que je ne trouve nulle part ailleurs ; là, coule un miel délicieux, qui ne céde point à celui de l'Attique ; là, les olives le disputent en bonté à celles de Vénafre. Le printems y regne une grande partie de l'année ; les hivers y sont tiedes, & l'âpreté des aquilons n'altéra jamais la douce température de l'air qu'on y respire ; enfin les côteaux y étalent aux yeux les riches présens du dieu de la treille, & n'ont rien à envier aux raisins de Falerne. Ces riantes collines nous invitent tous deux à nous y retirer ; c'est-là, mon cher Septimius, que vous me rendrez les derniers devoirs, & que vous arroserez de vos larmes les cendres de votre poëte bien-aimé. "

Undè si parcae prohibent iniquoe,

Dulce pellitis ovibus Galesi

Flumen, & regnata petam Laconi

Rura Phalantho.

Ille terrarum mihi praeter omnes,

Angulus ridet ; ubi non Hymetto

Mella decedunt, viridique certat

Bacca Venafro.

Ver ubi longum, tepidasque praebet

Jupiter brumas ; & amicus Aulon,

Fertili Baccho, minimum Falernis

Invidet uvis.

Ille te mecum locus, & beatae,

Postulant arces : ibi tu calentem

Debitâ sparges lacrymâ favillam,

Vatis amici.

Tarente, située si favorablement par la nature, devint en peu de tems très-puissante. Elle avoit une flotte considérable, une armée de trente mille hommes de pié, & de trois mille chevaux montés par d'excellens officiers ; c'étoit de la cavalerie légere, & leurs cavaliers avoient l'adresse de sauter d'un cheval sur l'autre ; cette cavalerie étoit si fort estimée, que , signifioit former de bonnes troupes de cavalerie.

Mais la prospérité perdit Tarente ; elle abandonna la vertu pour le luxe, & son goût pour le plaisir fut porté si loin, que le nombre des jours de l'année ne suffisoit pas aux Tarentins pour leurs fêtes publiques. Ils abatoient tout le poil de leur corps, afin d'avoir la peau plus douce, & sacrifioient aux restes de cette nudité ; les femmes ne se paroient que de robes transparentes, pour qu'aucuns de leurs charmes ne fussent voilés ; les hommes les imiterent, & portoient aussi des habits de soie ; ils se vantoient de connoître seuls le prix du moment présent, tandis, disoient-ils, que par-tout ailleurs on remettoit sans-cesse au lendemain à jouir des douceurs de la vie, & l'on perdoit son tems dans les préparatifs d'une jouissance future ; enfin, ils porterent si loin l'amour de la volupté, que l'antiquité mit en proverbe les délices de Tarente. Tite-Live, l. IX. & XII. a détaillé les jeux qu'on faisoit dans cette ville, en l'honneur de Plutus : il ajoute qu'on les célebra magnifiquement dans la premiere guerre entre les Carthaginois & les Romains.

Des moeurs si différentes des premieres qu'eurent les Tarentins dans leur institution, d'après l'exemple de Pythagore & d'Archytas, amollirent leur courage, énerverent leur ame, & peu-à-peu la république déchue de son état florissant, se vit réduite aux dernieres extrêmités ; au-lieu qu'elle avoit coutume de donner des capitaines à d'autres peuples, elle fut contrainte d'en chercher chez les étrangers, sans vouloir leur obéir, ni suivre leurs conseils ; aussi devinrent-ils la victime de leur mollesse & de leur arrogance.

Strabon marque deux causes principales de la ruine de Tarente : la premiere, qu'elle avoit dans l'année plus de fêtes que de jours ; & la seconde, que dans les guerres qu'elle eut avec ses voisins, ses troupes étoient indisciplinables. Enfin, après bien des revers, elle perdit sa liberté pendant les guerres d'Annibal ; & devenue colonie romaine, elle fut plus heureuse qu'elle n'avoit jamais été dans l'état de son sybarisme.

Florus écrivant les guerres entre les Romains & les Tarentins, fait le récit de la fortune & de la disgrace de cette ville ; il dit que Tarente étoit autrefois la capitale de la Calabre, de la Pouille, & de la Lucanie. Sa circonférence étoit grande, son port avantageux, sa situation merveilleuse, à cause qu'elle étoit placée à l'embouchure de la mer Adriatique, à la portée d'un grand nombre de places maritimes où ses vaisseaux alloient ; savoir en Istrie, dans l'Illyrique, dans l'Epire, en Achaïe, en Afrique, & en Sicile.

Au-dessus du port, du côté de la mer, étoit le théâtre de la ville qui a occasionné sa ruine : car le peuple s'y étant rendu un jour pour voir des jeux qui s'y faisoient, observa que des hommes passoient près du rivage ; on les prit pour des paysans. Les Tarentins sans autre éclaircissement, se moquerent d'eux, & les tournerent en ridicule. Il se trouva que c'étoient des Romains qui, choqués des railleries de ceux de Tarente, envoyerent bientôt des députés pour se plaindre de pareils affronts. Les Tarentins ne se contenterent point de leur faire une réponse hautaine, ils les chasserent encore honteusement de leur ville. Ce fut là la cause de la guerre que les Romains leur déclarerent ; elle fut sanglante & dangereuse de part & d'autre.

Les Romains mirent sur pié une grosse armée pour venger les injures de leurs concitoyens. Celle des Tarentins n'étoit pas moindre, & pour être mieux en état de se défendre, ils appellerent à leur secours Pyrrhus, roi des Epirotes. Celui - ci vint en Italie avec tout ce qu'il put ramasser de troupes dans l'Epire, en Thessalie, & en Macédoine. Il battit d'abord les Romains ; il en fut ensuite battu deux fois, & obligé d'abandonner l'Italie ; ce qui entraîna la perte de Tarente, qui fut soumise aux Romains.

Tite - Live & Plutarque, dans la vie de Fabius qui s'empara de Tarente, détaillent la grandeur, la puissance, & les richesses de cette ville : ils remarquent que l'on comptoit trente mille esclaves faits prisonniers, & envoyés à Rome, avec quantité d'argent, & quatre - vingt mille livres pesant d'or en monnoie. Ils ajoutent qu'il y avoit de plus un si grand nombre d'étendarts, de tables, & d'autres meubles de prix, qu'on mettoit un si riche butin en parallele avec celui que Marcellus avoit apporté de la ville de Syracuse, à Rome.

On ignore en quel tems & par qui Tarente a été ruinée, ni quand elle a été rebâtie sur le pié qu'on la voit aujourd'hui ; peut-être ce dernier événement arriva-t-il par des habitans de Calabre, chassés de leur patrie, lorsque Totila, roi des Goths, pilla la ville de Rome. Quoiqu'il en soit, Tarente n'eut alors qu'une petite partie de son ancienne grandeur.

Après la décadence de l'empire romain en occident, les Tarentins furent soumis aux empereurs de Constantinople, jusqu'à l'arrivée des Sarrasins en Italie, qui s'emparerent du golfe de Tarente, & conquirent la grande Grece, la Lucanie, la Calabre, la Pouille, une partie de la Campanie, & le pays des Salentins & des Brutiens. Tarente tomba dans la suite sous la domination des princes & rois de Naples, qui honorerent ce pays du titre de principauté. Plusieurs particuliers en ont porté le nom, entre lesquels on compte quelques personnes de la famille des Ursins de Rome. Le dernier prince de cette famille, se nommoit Jean, & possédoit de belles qualités.

Aujourd'hui Tarente n'est plus qu'une bicoque, érigée en archevêché : on n'y retrouve aucun vestige de son ancienne splendeur, de son théâtre, de ses bâtimens publics, & de l'embouchure de son fameux port.

Octavien & Antoine, aspirant tous deux à la souveraine puissance, ne manquerent pas de se brouiller souvent. Leur réconciliation étoit toujours peu durable, parce qu'elle n'étoit jamais sincere. Parmi les négociations qui se firent pour les raccommoder, l'histoire nous en marque deux principales, l'une en 714. & l'autre en 717. Cette derniere se fit à Tarente, par les soins d'Octavie, & Mécene qui fut toujours un des entremetteurs, à cause de son attachement pour Octavien, mena Horace avec lui pour l'amuser, & lui fit voir Brindes & Tarente ; c'est pourquoi j'ai tiré de ce poëte la description des agrémens du territoire de cette ville, molle Tarentum. Il n'a pas beaucoup changé, il est toujours gras & fertile. Varron faisoit comme Horace l'éloge de son miel. Pline en vantoit les figues, les noix, les châtaignes, & le sel, qu'il dit surpasser en douceur & en blancheur tous les autres sels d'Italie ; ses porreaux étoient forts, Ovide en parle ainsi :

Fila Tarentini graviter redolentia porri

Edisti, quoties oscula clausa dato.

Mais je me garderai bien d'oublier les hommes célébres, tels qu'Archytas, Lysis, Aristoxène, &c. à qui Tarente a donné le jour. On sait aussi que Pythagore y demeura long-tems, & qu'il y fut en très-haute considération.

Archytas, grand philosophe, grand astronome, grand géometre, grand général, grand homme d'état, & ce qui releve encore tous ses talens, citoyen aussi vertueux qu'éclairé, gouverna Tarente sa patrie, en qualité de premier magistrat. Il vérifia cette maxime souvent répétée, que les états sont heureux qui ont de grands hommes pour conducteurs. Archytas fut un modele de conduite & de probité ; on le tira souvent de l'obscurité de son cabinet, pour lui confier les emplois les plus épineux, & il les exerça toujours avec gloire. Il commanda sept fois l'armée de la république, & ne fut jamais vaincu. Il florissoit un peu plus de 400 ans avant J. C. puisqu'il étoit contemporain de Platon, qu'il acheta de Polide, capitaine de vaisseau. Quel esclave, & quel maître ! On trouve dans Diogene Laërce deux lettres, que ces deux grands hommes s'écrivirent.

Archytas est le premier qui a fait servir la connoissance des mathématiques à l'usage de la société, & il n'a été surpassé que par Archimède. Au milieu de ses études, si souvent interrompues par les soins du gouvernement & par le tumulte des armes, il trouva la duplication du cube, & enrichit les méchaniques de la vis & de la poulie ; Fabricius, bib. graec. tom. I. p. 485. vous instruira de quelques autres découvertes qu'on lui attribue.

Ce grand homme écrivit & laissa divers ouvrages de tous genres, de mathématiques, de philosophiques, & de moraux, du - moins à en juger par les titres qui nous en restent & qu'on trouve dans les anciens. Fabricius & Stanley vous en donneront la liste. Porphyre nous a conservé un fragment d'un traité des mathématiques, qu'il assure être le moins suspect des ouvrages attribués à Archytas. Henri Etienne a fait imprimer ce fragment en grec avec d'autres ouvrages ; & M. Jean Gramm, savant Danois, l'a fait réimprimer avec une version latine de sa main, & une dissertation sur Archytas, à Copenhague, 1707, in -4°. Platon avoit recueilli soigneusement tous les ouvrages d'Archytas, & il avoue généreusement, dans une de ses lettres, qu'il en tira beaucoup de profit.

Cicéron nous a conservé la substance d'un discours d'Archytas contre l'amour de la volupté, qui dans sa durée étouffe toutes les lumieres de l'esprit ; voyez le livre de Senect. cap. xj. & Stanley, hist. philos. part. VIII. p. 821. La conduite d'Archytas répondit à ses écrits moraux, & c'est-là ce qui doit rendre sa mémoire vénérable. Il s'attira l'estime générale par sa modestie, par sa décence, & par le frein qu'il mit à ses passions. Plutarque rapporte que ce grand homme étant de retour de la guerre, où il avoit commandé en qualité de capitaine général, trouva toutes ses terres en friche, & rencontrant son fermier : " il t'en prendroit mal, lui dit-il, si je n'étois dans une grande colere ".

Diogène Laërce parle de quatre autres personnes du nom Archytas, & qui tous quatre ont eu de la réputation ; l'un de Mitylene, qui étoit musicien ; un second qui a écrit sur l'agriculture ; le troisieme étoit poëte, & le quatrieme architecte ; il ne faut les confondre les uns ni les autres avec notre Archytas éleve de Pythagore.

Horace nous apprend la particularité qui regarde sa mort. Il périt par un naufrage sur la mer Adriatique, & fut jetté sur les côtes de la Pouille, à Matine, ville maritime des Salentins sur la mer Ionienne, dans le pays qu'on appelle aujourd'hui la terre d'Otrante. Voyez comme en parle le poëte de Vénuse, ode xxviij. liv. I.

" Archytas, vous qui pouviez mesurer la vaste étendue des terres & des mers, & compter le nombre infini des grains de sable, vous êtes arrêté aujourd'hui sur le rivage de Matine faute d'un peu de poussiere. Que vous sert maintenant d'avoir par votre intelligence percé le vuide immense des airs, & parcouru tout l'univers d'un pole à l'autre, puisque tant de sublimes connoissances n'ont pu vous garantir d'un funeste trépas " ?

Te maris & terrae, numeroque carentis arenae

Mensorem cohibent, Archyta,

Pulveris exigui, propè littus, parva Matinum

Munera ! nec quidquam tibi prodest

Aërias tentasse domos, animoque rotundum

Percurrisse polum, morituro.

Lysis fut dans sa jeunesse disciple de Pythagore déja vieux. Ce philosophe ayant refusé l'entrée de son école à Cylon, l'un des premiers de Crotone, mais dont le caractere d'esprit ne lui convenoit pas ; celui-ci à la tête d'une partie des citoyens, qu'il avoit ameutés pour se venger, mit le feu au logis de l'athlete Milon, où étoient assemblés environ quarante pythagoriciens qui furent tous brûlés, ou accablés de pierres, à la reserve de Lysis & d'Archippe, ou, selon d'autres, de Philolaüs, qui étant jeunes & dispos, eurent le courage de se sauver. Lysis se retira en Achaye, puis à Thèbes ; où il devint précepteur d'Epaminondas. Il y établit une école publique, y mourut & y fut enterré. Le pythagoricien Théanor y vint dans la suite à dessein de faire transférer en Italie les os du défunt, au rapport de Plutarque, lequel raconte assez au long cette histoire.

On vante sur-tout en la personne de Lysis son exactitude à tenir sa parole, même dans les occasions de très-petite importance ; & c'est de quoi Iamblique allégue l'exemple qui suit. Lysis ayant fait un jour sa priere dans le temple de Junon, rencontra, comme il en sortoit, Euryphâme de Syracuse, l'un de ses condisciples, qui venoit y faire la sienne. Celui-ci dit à Lysis qu'il le rejoindroit incessamment, & le pria de l'attendre. Lysis le lui promit, & s'assit sur un banc de pierre qui étoit à l'entrée du temple. Euryphâme, après sa priere, se trouva tellement absorbé dans ses profondes méditations, qu'il en oublia son ami ; il sortit par une autre porte. Lysis l'attendit le reste du jour, la nuit suivante, une partie du lendemain, & l'auroit attendu plus long - tems, si Euryphâme en entrant dans l'école, & ne l'y voyant pas, ne se fût ressouvenu de la rencontre de la veille. Cela le fit retourner au temple, d'où il ramena Lysis, qui l'avoit attendu constamment ; & il lui dit que quelque dieu l'avoit ainsi permis pour faire éclater en lui une exactitude si scrupuleuse à tenir sa parole. Telle étoit celle des Pythagoriciens à garder celle de leur maître !

Lysis composa des commentaires sur la philosophie de Pythagore, lesquels sont perdus. Diogene Laërce témoigne que de son tems on lisoit quelques ouvrages de Lysis, sous le nom de Pythagore. Plusieurs attribuent à ses disciples les vers dorés, que d'autres donnent à Philolaüs, mais que M. Fabricius prétend être l'ouvrage d'Empédocle, comme il s'efforce de le prouver dans sa bibliotheque grecque. Il reste aujourd'hui sous le nom de Lysis, une lettre adressée à Hipparque, où ce philosophe reproche à cet ami de divulguer les secrets de la philosophie de leur maître commun. On trouve cette lettre dans différens recueils indiqués par M. Fabricius, entr'autres dans celui de Thomas Gale, publié sous le titre d'opuscula mythologica & philosophica.

Il est parlé dans Strabon & dans Athénée d'un autre Lysis poëte, auteur des vers ioniens efféminés & impudiques, lequel succéda en ce genre d'écrire à Sotadès, & à l'étolien Alexandre, qui s'y étoient, dit-on, exercés en prose, d'où on les avoit tous surnommés ; les disciples de ce Lysis s'appelloient Lysiodi, , de même que ceux de Simus, autre poëte du même goût, mais plus ancien que Lysis, se nommoient Simodi, . Mém. de littér. tome XIII. in -4°. p. 234.

Aristoxène étoit fils du musicien Mnésias, autrement appellé Spinthare. Etant dans la ville de Mantinée, il y prit du goût pour la Philosophie, & s'étant de plus appliqué à la Musique, il n'y perdit pas son tems. Il fut en premier lieu disciple de son pere, & de Lamprote d'Erythrée, puis du Pythagoricien Xénophile, enfin d'Aristote, sous lequel il eut Théophraste pour compagnon d'étude. Aristoxène vivoit donc, comme l'on voit, sous Alexandre le Grand & ses premiers successeurs, & il fut contemporain du messénien Dicéarque, historien très-fameux.

De tous les ouvrages philosophiques, historiques, philologiques & autres qu'Aristoxène avoit composés, & dont on trouve une exacte notice dans la bibliotheque grecque, liv. III. c. x. tom. II. p. 257. de M. Fabricius, il ne nous reste aujourd'hui que ses trois livres des élémens harmoniques ; & c'est le plus ancien traité de musique qui soit venu jusqu'à nous. Meursius pour la premiere fois en publia le texte, suivi de ceux de Nicomaque & d'Alypius, auteurs musiciens grecs, & de notes de l'éditeur, le tout imprimé à Leyde en 1616, in -4°. La version latine d'Aristoxène & celle des harmoniques de Ptolémée faites par Antonin Gogavin, avoient paru conjointement à Venise dès l'année 1561, in -4°. Mais on a vu reparoître avec un nouvel éclat le texte grec d'Aristoxène, revu & corrigé sur les manuscrits, accompagné d'une nouvelle version latine, & des savantes notes de Marc Meibom, qui l'a fait imprimer à la tête de la belle édition qu'il nous a donnée des musiciens grecs, à Amsterdam en 1652, in -4°. deux vol. Il est parlé de cet ouvrage d'Aristoxène touchant la musique dans plusieurs auteurs anciens, tels qu'Euclide, Cicéron, Vitruve, Plutarque, Athénée, Aristide, Quintilien, Ptolémée, Boëce, &c.

A l'égard de ses autres traités concernant la Musique, & qui sont perdus, ils rouloient, 1°. sur les joueurs de flûte, les flûtes & autres instrumens de Musique ; 2°. sur la maniere de percer les flûtes ; 3°. sur la Musique en général, ouvrage différent des harmoniques & dans lequel il s'agissoit, non-seulement des autres parties de cet art, telles que la rhythmique, la métrique, l'organique, la poétique & l'hypocritique, mais encore de l'histoire de la Musique & des musiciens ; 4°. sur la danse employée dans les tragédies ; 5°. sur les poëtes tragiques. De tous les musiciens dogmatiques grecs que le tems nous a conservés, Aristoxène est le seul dont Plutarque fasse mention. Mém. de littér. tom. X. in -4°. p. 309.

Pacuve, né à Brindes, mourut à Tarente, âgé de près de 90 ans. Il étoit petit - fils d'Ennius, & vivoit vers la cent cinquante - sixieme olympiade. Doué de beaucoup d'esprit, il le cultiva soigneusement par la lecture des auteurs grecs, dont il fit passer les richesses dans ses compositions. Rome n'avoit point eu de meilleur poëte tragique avant lui, & il s'en est même trouvé très - peu qui l'ayent égalé jusqu'au tems des Césars. (D.J.)


TARERv. act. (terme de Comm.) c'est peser un pot ou une bouteille avant que d'y mettre la drogue ou la liqueur, afin qu'en la repesant après, on puisse savoir au juste combien il y en est entré.

Dans le commerce des sucres, on tare une barrique, & l'on en met le poids sur un des fonds pour en tenir plus aisément compte à l'acheteur, en comparant ce qu'elle pese vuide avec ce qu'elle pese pleine. Savary. (D.J.)


TARFLE, (Géog. mod.) petite riviere d'Ecosse, dans la province de Nithesdale ; elle se jette dans le Bladnoch, après avoir coulé quelque tems à l'occident de Krée.


TARGA(Géog. mod.) petite ville d'Afrique, au royaume de Fez, sur la côte de la Méditerranée, dans une plaine, à sept lieues de Tétuan, avec un château bâti sur un rocher. La pêche y est très-abondante, mais les environs de la ville n'offrent que des forêts remplies de singes, & des montagnes escarpées. Marmol prétend que Targa est le Taga de Ptolémée, à 8. 20. de longitude & à 35. 6. de latitude. (D.J.)


TARGES. f. ou TALLEVA, (Art milit.) espece de grand bouclier, dont on s'est servi autrefois pour couvrir les troupes. Elles avoient à-peu-près le même usage que nos mantelets ; excepté que les mantelets sont roulés ou poussés par les travailleurs, au-lieu que les targes étoient portées par des gens particuliers pour couvrir les combattans ou les attaquans. Voyez PAVOIS. (Q)

TARGE, s. f. (Jardin.) ornement en maniere de croissant, arrondi par les extrêmités, fait de traits de buis, & qui entre dans les compartimens des parterres. Il est imité des targes, ou targues, boucliers antiques dont se servoient les Amazones, & qui étoient moins riches que ceux de combat naval des Grecs. C'est ce que Virgile nomme pelta lanata. (D.J.)


TARGELIESS. f. pl. (Antiq. grecques) , fêtes que les Athéniens célebroient en l'honneur du Soleil, auteur de tous les fruits de la terre. On y faisoit l'expiation des crimes de tout le peuple, par un crime encore plus grand, c'est-à-dire, par le sacrifice barbare d'un homme & d'une femme, qu'on avoit eu soin d'engraisser auparavant à cet effet : l'homme servoit de victime expiatoire pour les hommes, & la femme pour son sexe : on nommoit ces victimes .

La premiere dénomination leur venoit d'un certain Pharmacos, qui anciennement avoit été lapidé pour avoir dérobé les vases sacrés destinés au culte d'Apollon, larcin dans lequel Achille l'avoit surpris. Peut-être regardoit-on ces victimes comme des médicamens, , propres à purger Athènes de ses iniquités.

Ces victimes portoient des colliers de figues seches ; elles en avoient les mains garnies, & on les frappoit pendant la marche avec des branches de figuier sauvage, après quoi on les brûloit, & on jettoit leurs cendres dans la mer. Comme les figues entroient pour beaucoup dans cette cérémonie cruelle, de-là vient le nom ou l'air qu'on y jouoit sur la flûte , de , figuier, branche de figuier, comme qui diroit l'air des figuiers ; mais quant aux autres détails qui concernent les thargelies, on peut consulter Meursius dans ses leçons attiques, l. IV. & dans sa graecia feriata. Voyez aussi Potter, Archaeol. graec. l. II. c. xx t. I. p. 400. & suiv. (D.J.)


TARGETTES. f. (Serrur.) espece de petit verroux monté sur une platine, avec deux cramponets. Elle se pose aux guichets & croisées, à la hauteur de la main, & derriere les portes. Il y en a à panache, d'ovales & de quarrées.

On les appelle targettes à panaches, quand les bouts de la platine sont découpés, & représentent quelques fleurons ; targettes ovales, lorsque la platine est ovale ; targettes quarrées, lorsque la platine est quarrée. On les fixe à vis ou à clous.

TARGETTE, s. f. (terme de Lainage) petit morceau de gros cuir que les ouvriers laineurs ou épleigneurs s'attachent sur le dos des doigts de la main, qu'ils nomment main de devant, pour empêcher de les écorcher en travaillant avec la croix où sont montées les brosses de chardon vif dont ils se servent pour lainer ou éplaigner les étoffes sur la perche. Savary.

TARGETTE ou TERGETTE, sont de petites regles de bois de chêne, qui ont à leurs extrêmités un trou dans lequel passe un morceau de fil de laiton recuit, que l'on fait tenir en le tortillant avec des pincettes ; il doit y avoir environ trois pouces de fil de laiton qui ne doit pas être tortillé. Pour pouvoir attacher la targette, soit aux pattes de la brege, ou aux anneaux des boursettes ou des demoiselles pour faire des targettes, on prend des lattes à ardoises, qui sont les lattes sur lesquelles les couvreurs attachent les ardoises ; on les rabote bien, & on les réduit à une ligne d'épaisseur ; on dresse ensuite le champ d'un côté seulement, & avec le trusquin des menuisiers armé d'une pointe coupante ; on trace un trait à 5 ou 6 lignes de la rive, & en passant plusieurs fois le trusquin, on détache entierement la targette.


TARGINEou TARGIS, (Géog. anc.) fleuve d'Italie. Pline, liv. III. ch. x. le met dans le pays de Locres. C'est aujourd'hui le Tacina. Ortelius remarque que Gabriel Bari place une ville de même nom près de ce fleuve, & que cette ville est présentement nommée Vernauda. (D.J.)


TARGOROD(Géogr. mod.) ville de la Moldavie, au confluent de la Sereth & de la Moldaw, à 15 lieues au-dessous de Soczowa. Quelques géographes la prennent pour la Ziridava de Ptolémée, liv. III. ch. viij. mais Lazius prétend que le nom moderne de Ziridava est Scaresten. (D.J.)


TARGUM(Critique sacrée) c'est une paraphrase chaldaïque.

Les targums ou paraphrases chaldaïques sont des versions du vieux Testament, faites sur l'original, & écrites en chaldéen, qu'on parloit dans toute l'Assyrie, la Babylonie, la Mésopotamie, la Syrie & la Palestine. On se sert encore de cette langue dans les églises nestoriennes & maronites, comme on fait du latin dans celles des catholiques romains en Occident. Le mot targum ne veut dire autre chose que version en général ; mais parmi les Juifs ce terme est consacré, & marque toujours les versions chaldaïques, dont j'ai promis de parler avec recherche ; je vais remplir ma parole.

Ces versions furent faites à l'usage & pour l'instruction des juifs du commun, après le retour de la captivité de Babylone ; car quoique plusieurs des personnes de distinction eussent entretenu l'hébreu pendant cette captivité, & l'eussent enseigné à leurs enfans ; & que les livres de la sainte Ecriture qui furent écrits depuis ce retour, excepté quelques endroits de Daniel & d'Esdras, & le vers. 11. du x. ch. de Jérémie, furent encore écrits dans cette langue : cependant le peuple en général à force de converser avec les Babyloniens, avoit appris leur langue, & oublié la sienne propre. Il arriva de-là que quand Esdras lut la loi au peuple (Néhém. viij. v. 4. 8.) il lui fallut plusieurs personnes, qui sachant bien les deux langues, expliquassent au peuple en chaldaïque ce qu'il leur lisoit en hébreu. Dans la suite, quand on eut partagé la loi en cinquante-quatre sections, & que l'usage se fut établi d'en lire une toutes les semaines dans les synagogues, on employa la même méthode de lire d'abord le texte en hébreu, & d'en donner immédiatement après l'explication ou la traduction en chaldaïque. Dès que le lecteur avoit lu un verset en hébreu, un interprete, qui étoit auprès de lui, le mettoit en chaldaïque : & donnoit ainsi de verset en verset toute la traduction de la section au peuple.

Voilà ce qui fit faire les premieres traductions chaldaïques, afin que ces interpretes les eussent toutes prêtes. Et non-seulement on les trouva nécessaires pour les assemblées publiques dans les synagogues, mais très - commodes pour les familles, afin d'y avoir l'Ecriture dans une langue que le peuple entendît.

On ne fit d'abord des targums ou paraphrases chaldaïques que pour la loi, parce qu'on ne lisoit d'abord que la loi, ou les cinq livres de Moïse dans les synagogues ; ce qui dura jusqu'à la persécution d'Antiochus Epiphanes. Comme dans ce tems-là on commença à lire dans les synagogues les prophetes, il fallut nécessairement en faire des versions, tant pour l'usage public que pour celui des particuliers ; car puisque l'Ecriture est donnée aux hommes pour leur édification, il faut que les hommes l'aient dans une langue qu'ils entendent. De-là vient qu'à la fin toute l'Ecriture fut traduite en chaldaïque.

Cet ouvrage fut entrepris par différentes personnes & à diverses reprises par quelques-uns même dans des vues différentes ; car les unes furent faites comme des versions pures & simples, pour l'usage des synagogues, & les autres, comme des paraphrases & des commentaires, pour l'instruction particuliere du peuple ; tout cela fit qu'il se trouva quantité de ces targums assez différens les uns des autres ; de même il se rencontra de la différence entre les versions de l'Ecriture, qui se firent en grec dans la suite, parce que les auteurs de ces versions se proposoient chacun un différent but, comme l'octaple d'Origene le montroit suffisamment. Sans doute qu'il y avoit aussi autrefois un bien plus grand nombre de ces targums, dont la plûpart se sont perdus, & dont il n'est pas même fait mention aujourd'hui. On ne sait pas s'il y en a eu quelqu'un de complet, ou qui ait été fait sur tout le vieux Testament par la même personne ; mais pour ceux qui nous restent, ils sont de différentes mains ; l'un sur une partie, & l'autre sur une autre.

Il y en a huit, 1°. celui d'Onkelos, sur les cinq livres de Moïse ; 2°. Jonathan Ben-Uzziel, sur les prophêtes, c'est-à-dire, sur Josué, les Juges, Samuel, les Rois, Isaïe, Jérémie, Ezéchiel, & les xij. petits prophetes ; 3°. un autre sur la loi, attribué au même Jonathan Ben-Uzziel ; 4°. le targum de Jérusalem, aussi sur la loi ; 5°. le targum sur les cinq petits livres appellés megillotth ; c'est-à-dire, sur Ruth, Esther, l'Ecclésiaste, le cantique de Salomon & les lamentations de Jérémie ; 6°. le second targum sur Esther ; 7°. le targum de Joseph le borgne, sur Job, les pseaumes & les proverbes ; enfin, 8°. le targum sur les deux livres des chroniques.

Sur Esdras, Néhémie & Daniel, il n'y a point de targum. La raison qu'on en donne ordinairement, c'est qu'une grande partie de ces livres est déja en chaldaïque dans l'original, & n'a point par conséquent besoin de version chaldaïque. Et cela est vrai des livres de Daniel & d'Esdras ; mais il ne l'est pas de celui de Néhémie. Sans-doute qu'autrefois il y avoit des versions de l'hébreu de ces livres, qui aujourd'hui sont perdues. On a cru long-tems qu'il n'y avoit point de targum sur les chroniques non-plus, parce qu'on ne le connoissoit pas, jusqu'à ce que Beckius en a publié un à Augsbourg ; celui du premier livre, l'an 1680, & le targum du second, l'an 1683.

Comme le targum d'Onkélos est le premier en rang, parce qu'il est sur le pentateuque ; je crois que c'est aussi le premier composé, & le plus ancien de tous ceux qui sont parvenus jusqu'à nous. Le style de ce targum prouve aussi son antiquité ; car il approche le plus de tous de la pureté du chaldaïque de Daniel & d'Esdras, qui est ce que nous avons de plus ancien dans cette langue.

Le targum d'Onkélos est plutôt une version qu'une paraphrase ; en effet, il suit son origine mot-à-mot, & le rend pour l'ordinaire fort exactement. C'est sans comparaison le meilleur ouvrage de cette espece. Aussi les juifs l'ont-ils toujours préféré de beaucoup à tous les autres ; & ont-ils pris la peine d'y mettre les mêmes notes de musique, qui sont à l'original hébreu ; desorte qu'il se peut lire avec une espece de chant dans leurs synagogues, en même tems que l'original, & sur le même air, si cette espece de chant se peut appeller air. Elias le lévite nous apprend qu'on l'y lisoit alternativement avec le texte hébreu, de la maniere dont j'ai dit ci-dessus que cela se pratiquoit. Il faut remarquer que cet auteur est de tous les écrivains juifs qui ont traité de cette matiere, celui qui en parle le plus pertinemment. Au reste l'excellence & l'exactitude du targum d'Onkélos nous font juger que cet Onkélos étoit juifs. Il ne falloit pas moins pour réussir, comme il a fait dans un ouvrage si pénible, qu'un homme élevé dès l'enfance dans la religion & dans la théologie des juifs, & long-tems exercé dans leurs cérémonies & leurs dogmes, & qui possédât aussi parfaitement l'hébreu & le chaldéen, que cela étoit possible à un juif de naissance.

Le targum qui suit celui d'Onkélos, est de Jonathan Ben-Uzziel sur les prophetes. C'est celui qui approche le plus du premier pour la pureté du style : mais il n'est pas fait sur le même plan ; car au lieu que le targum d'Onkélos est une version exacte qui rend l'hébreu mot-à-mot, Jonathan prend la liberté de paraphraser, d'étendre & d'ajouter tantôt une histoire & tantôt une glose, qui ne font pas toujours beaucoup d'honneur à l'ouvrage ; en particulier son travail sur les derniers prophetes est encore moins clair, plus négligé & moins littéral que ce qu'il a fait sur les premiers. On appelle premiers prophetes le livre de Josué, les Juges, Samuël & les Rois ; & derniers prophetes Isaïe, Jérémie, Ezéchiel & les xij. petits prophetes.

Le troisieme targum, dans l'ordre où je l'ai placé, est celui qu'on attribue au même Jonathan Ben-Uzziel sur la loi ; mais le style de cet ouvrage prouve clairement qu'il n'est pas de lui ; car il est fort différent de celui de son véritable targum sur les prophetes que tout le monde lui donne ; & pour s'en convaincre, il n'y a qu'à comparer l'un avec l'autre avec un peu d'attention. Outre cela cette paraphrase s'étend bien davantage ; & est encore plus chargée de gloses, de fables, de longues explications, & d'autres additions, que n'est celle de Jonathan sur les prophetes. Mais ce qui prouve clairement que cette paraphrase est plus moderne, c'est qu'il est parlé de diverses choses dans ce targum, qui n'existoient pas encore du tems de Jonathan, ou qui n'avoient dumoins pas encore le nom qui leur est donné dans ce targum. Par exemple, on y voit les six ordres ou livres de la Misna, près de deux cent ans avant qu'elle fût composée par R. Judah. On y trouve aussi Constantinople & la Lombardie, dont les noms ne sont nés que plusieurs siecles après Jonathan.

On ne sait pas qui est le véritable auteur de ce targum, ni quand il a été composé. Il faut qu'il ait été long-tems dans l'obscurité parmi les juifs eux-mêmes ; car Elias le lévite, qui a fait le traité le plus étendu sur les paraphrases chaldaïques, ne l'a point connu ; puisqu'il parle de tous les autres, sans dire un seul mot de celui-ci ; & jamais on n'en avoit ouï parler avant qu'il parût imprimé à Venise, il y a environ deux siecles. Apparemment qu'on n'y mit le nom de Jonathan que pour lui donner du relief, & faire que l'ouvrage se débitât mieux.

Le quatrieme targum est aussi sur la loi, & écrit par un inconnu ; personne ne sait ni qui en est l'auteur, ni quand il a été composé. On l'appelle le targum de Jérusalem ; apparemment par la même raison qui a fait donner ce nom à un des talmuds ; c'est-à-dire, parce que c'est le dialecte de Jérusalem, car le chaldéen ou la langue d'Assyrie avoit trois dialectes. Le premier étoit celui de Babylone, la capitale de l'empire d'Assyrie. Le second dialecte est celui de Comagene ou d'Antioche, qu'on parloit dans toute l'Assyrie ; c'étoit dans ce dialecte qu'étoient écrites les versions de l'Ecriture & les liturgies des chrétiens de Syrie & d'Assyrie d'autrefois, & de ceux d'aujourd'hui - même ; sur - tout des Maronites, qui demeurent sur le Mont-Liban, où le syriaque est encore la langue vulgaire du pays. Le troisieme de ces dialectes est celui de Jérusalem, ou celui que parloient les juifs à leur retour de la captivité. Celui de Babylone & celui de Jérusalem s'écrivoient avec les mêmes caracteres ; mais les caracteres d'Antioche étoient différens ; & ce sont ceux que nous appellons syriaques.

Ce targum de Jérusalem n'est pas au reste une paraphrase suivie, comme le sont tous les autres. Elle n'est que sur quelques passages détachés, que l'auteur a cru avoir plus besoin d'explication que les autres. Tantôt il ne prend qu'un verset, ou même une partie de ce verset ; tantôt il en paraphrase plusieurs à la fois ; quelquefois il saute des chapitres entiers ; quelquefois il copie mot à mot le targum qui porte le nom de Jonathan sur la loi ; ce qui a fait croire à Drusius, que c'étoit le même targum.

Le cinquieme targum, est la paraphrase sur les livres qu'on appelle mégilloth : le sixieme, est la seconde paraphrase sur Esther : & le septieme, est la paraphrase sur Job, les Pseaumes & les Proverbes. Ces trois targums sont du style le plus corrompu du dialecte de Jérusalem. On ne nomme point les auteurs des deux premiers ; mais on prétend que pour le troisieme, il a été composé par Joseph le borgne, sans nous apprendre pourtant quand a vécu ce Joseph, ni quel homme c'étoit. Quelques juifs même assurent, que l'auteur de celui - ci est tout aussi peu connu que le sont ceux des deux précédens. Le second targum sur Esther est une fois aussi long que le premier, & semble avoir été écrit le dernier de tous ceux-ci, à en juger par la barbarie du style. Celui qui est sur le mégilloth, dont le premier sur Esther fait partie, parle de la misna & du talmud, avec l'explication. Si par-là il entend le talmud de Babylone, comme il n'y a pas lieu d'en douter, ce targum est écrit depuis le talmud dont il parle, c'est - à - dire, depuis l'an 500, qui est la plus grande antiquité qu'on puisse donner à la compilation du talmud de Babylone.

Le huitieme & dernier de ces targums, dans l'ordre où nous les avons mis, est celui qui est sur deux livres des chroniques ; & c'est celui qui a paru le dernier : car il n'étoit point connu jusqu'en l'an 1680, que Beckius en publia la premiere partie à Augsbourg sur un vieux manuscrit, & trois ans après la seconde. Jusques-là tous ceux qui avoient parlé des paraphrases chaldaïques, avoient insinué qu'il n'y en avoit jamais eu sur ces deux livres, excepté Walton, qui marque avoir ouï - dire, qu'il y avoit un targum manuscrit sur les chroniques dans la bibliotheque de Camdbrige ; mais cet avis ne lui vint qu'après que sa polyglotte fut achevée ; & cela fit qu'il ne se donna pas la peine de l'aller déterrer. On sait qu'effectivement parmi les livres d'Erpenius, dont le duc de Buckingham a fait présent à l'université d'Oxford, il y a une bible hébraïque manuscrite en trois volumes, qui a un targum ou paraphrase chaldaïque sur les chroniques ; mais cette paraphrase ne va pas plus loin que le 6. v. du ch. 23. du premier liv. & n'est pas trop suivie ; ce sont seulement quelques courtes gloses qu'on a mises par - ci par - là à la marge. Ce manuscrit a été écrit l'an 1347, comme cela paroît par un mémoire qui est à la fin ; mais il n'y a rien dans ce mémoire qui marque quand cette glose chaldaïque a été composée, ni par qui.

Les juifs & les chrétiens s'accordent à croire, que le targum d'Onkélos sur la loi, & celui de Jonathan sur les prophetes, sont du-moins aussi anciens que la venue de Jesus-Christ au monde. Les historiens juifs le disent positivement, quand ils rapportent que Jonathan étoit l'éleve le plus considérable que forma Hillel ; car Hillel mourut à-peu-près dans le tems de la naissance de N. S. & qu'Onkélos étoit contemporain de Gamaliel le vieux, sous qui saint Paul fit ses études. D'ailleurs ce témoignage est soutenu par le style de ces deux ouvrages, qui est le plus pur de tout ce qu'on a du dialecte de Jérusalem, & sans mélange des mots étrangers que les juifs de Jérusalem & de Judée adopterent dans la suite. Il est donc vraisemblable que l'un & l'autre targum ont été composés avant la venue de N. S. & que celui d'Onkélos est le plus ancien, parce que c'est le plus pur des deux.

La seule objection qu'on peut faire contre l'antiquité des targums d'Onkélos & de Jonathan, c'est que ni Origene, ni saint Epiphane, ni saint Jérôme, ni finalement aucun des anciens peres de l'Eglise n'en ont parlé ; mais cet argument négatif ne prouve rien, parce que les Juifs d'alors cachoient leurs livres & leur science autant qu'il leur étoit possible. Les rabbins même qui enseignerent l'hébreu à saint Jérôme, le seul des Peres qui ait étudié le chaldaïque, ne venoient chez lui qu'en cachette, & toujours de nuit, comme Nicodeme à J. C. craignant de s'exposer au ressentiment de leurs freres. Enfin les chrétiens ont été plus de mille ans sans connoître ces deux targums ; & à peine y a-t-il trois cent ans qu'ils sont un peu communs parmi nous.

Quant aux autres targums, ils sont incontestablement plus nouveaux que ceux dont nous venons de parler ; le style barbare le prouve en général ; & les fables tamuldiques dont ils sont remplis, justifient qu'ils n'ont paru qu'après le talmud de Jérusalem, ou même le talmud de Babylone, c'est-à-dire, depuis le commencement du quatrieme siecle, ou plutôt vers le commencement du sixieme.

Je ne saurois décider si ces targums d'Onkélos & de Jonathan étoient déja reçus & autorisés du tems de Notre Seigneur ; mais il est bien sûr qu'il y en avoit déja dont on se servoit, & en public, & en particulier, pour l'instruction du peuple, & qu'il y en avoit non - seulement sur la loi & sur les prophetes, mais sur tout le reste du vieux Testament, car les Juifs n'avoient jamais pratiqué la maxime de ne donner au peuple la parole de Dieu, que dans une langue inconnue. Dispersés parmi les Grecs, ils la lui donnoient en grec : dans les pays où le chaldéen étoit la langue vulgaire, ils l'avoient en chaldéen. Quand on fit lire à J. C. la seconde leçon dans la synagogue de Nazareth, dont il étoit membre, il y a beaucoup d'apparence que ce fut un targum qu'il eut : car le passage d'Isaïe, lxj. 1. tel qu'il se trouve dans S. Luc, iv. 18. n'est exactement ni l'hébreu, ni la version des septante : d'où l'on peut fort bien conclure, que cette différence venoit uniquement de la version chaldaïque dont on se servoit dans cette synagogue. Et quand sur la croix il prononça le pseaume xxij. v. j. eli, eli, lama sabachthani ? mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous délaissé ? ce ne fut pas l'hébreu qu'il prononça, ce fut le chaldéen ; car en hébreu il y a, eli, eli, lama azabtani ? & le mot sabachthani ne se trouve que dans la langue chaldaïque.

Les targums sont fort anciens parmi les Juifs après l'Ecriture sainte. Cela est bien certain par rapport à celui d'Onkélos & de Jonathan ; & quoique les autres ne soient pas, à beaucoup près, si anciens, il est pourtant vrai qu'ils sont presque tous tirés d'autres anciennes gloses, ou paraphrases chaldaïques, dont on s'étoit servi fort longtems avant que ceux-ci reçûssent la forme qu'ils ont aujourd'hui.

Il faut convenir que tous les targums en général servent à expliquer quantité de mots & de phrases hébraïques, qui, sans ce secours, embarrasseroient beaucoup aujourd'hui. Enfin ils nous transmettent plusieurs anciens usages & coutumes des Juifs, qui éclaircissent extrêmement les livres sur lesquels ils ont travaillé.

La meilleure édition des targums, est la seconde grande bible hébraïque de Buxtorf le pere à Bâle en 1620. Cet habile homme s'y est donné beaucoup de peine, non-seulement à publier le texte chaldaïque correct, mais il a poussé l'exactitude jusqu'à en corriger avec soin les points qui servent de voyelles. Ces targums s'écrivoient d'abord, aussi-bien que toutes les autres langues orientales, sans points-voyelles. Dans la suite, quelques juifs s'aviserent d'y en mettre ; mais comme ils s'en étoient assez mal acquités, Buxtorf entreprit de les corriger, suivant les regles qu'il se fit sur la ponctuation de ce qu'il y a de chaldaïque dans Daniel & dans Esdras. Quelques critiques prétendent que c'est trop peu que ce qui est dans ces deux livres, pour en former des regles pour toute la langue ; & que Buxtorf auroit mieux fait de n'y point toucher, & de les faire imprimer sans points : ensorte qu'on n'eût pour guide que les lettres alep, he, vau & jod, qu'on appelle matres lectionis. Mais Buxtorf connoissoit mieux ce qu'il falloit que ceux qui se mêlent de le critiquer. C'est l'homme de son siecle à qui le public ait le plus d'obligation en ce genre. Ses ouvrages sont savans & judicieux ; & son nom mérite d'être transmis avec honneur à la postérité. (D.J.)


TARIALTÉRé, adj. (Jardinage) se dit d'une plante qui a besoin d'eau, & que les sécheresses d'une saison, ou la négligence que l'on a eue de la mouiller à-propos, ont rendu altérée.


TARIERVoyez TRAQUET.


TARIERES. f. (Arts méchan.) outil de fer servant aux Charpentiers & aux Menuisiers ; il y en a de plusieurs sortes, & de différentes grosseurs. Ce mot, selon Félibien, vient du grec , terebro, percer avec un instrument. Quand la tariere est grosse, les ouvriers disent une grosse tariere ; & quand elle est petite, ils disent un laceret, ou une petite tariere.

Il y a trois sortes de tarrieres : les unes tournées en vis tranchantes ; les autres avec une pointe aiguë en vis, &c. les autres ont le bout en forme de cuillieres de table, dont tous les bords sont tranchans. Cette derniere sorte de tariere est sur - tout à l'usage des Sabotiers : ils s'en servent pour façonner & polir la place du pié dans le sabot. (D.J.)

TARIERE A RIVET, outil de Charron, cet outil est fait comme les autres tarrieres, & est plus menu, plus court & plus fin ; il leur sert à former des petits trous pour mettre des clous rivés. Voyez les fig. & Pl. du Charron.

TARIERE A CHEVILLE OUVRIERE, outil de Charron, cet outil est fait comme les autres tarrieres, excepté qu'il est un peu plus gros & plus court, & qu'il sert aux charrons à former des trous dans l'avant-train pour poser la cheville ouvriere.

TARIERE A GENTIERE, outil de Charron, cet outil est exactement fait comme la tariere à goujon, & est un peu plus mince ; elle sert aux charrons à percer les trous aux gentes des roues.

TARIERE A GOUJON, outil de Charron, cet outil est exactement fait comme l'esseret long, à l'exception qu'il est plus fort, plus grand & plus large, & qu'il sert à former les trous dans les moyeux.

TARIERE, (Charpent.) outil de fer aceré, qui est emmanché de bois en potence, & qui en tournant, fait que le fer perce le bois où il touche, & fait de grands trous propres à mettre les chevilles. Il y en a de plusieurs sortes en grosseur & grandeur. (D.J.)

TARIERE, terme de Mineur, instrument dont le mineur se sert pour percer les terres. Quelquefois la tariere est tout d'une piece ; d'autres fois elle a des brisures qui s'ajustent les unes aux autres. Son usage est pour se précautionner contre le contre-mineur. Quand le mineur l'entend travailler, il perce la terre du côté qu'il entend le bruit avec sa tariere, qu'il allonge tant qu'il veut par le moyen des brisures ; & dans ce trou il pousse une grosse gargouille, à laquelle il met le feu pour étouffer le contre-mineur. D'autres fois le mineur donne par ce trou un camouflet au contre-mineur. Dict. milit. (D.J.)


TARIFS. m. (Financ. Comm. Douanne) table ou catalogue ordinairement dressé par ordre alphabétique, contenant en détail les noms des marchandises, & les droits pour leur passage, les entrées ou les sorties du royaume.

L'ordonnance du prince, art. 6. enjoint au fermier d'avoir dans chaque bureau, en un lieu apparent, un tarif des droits ; cela est juste & exécuté en partie, puisque par-tout on voit quelques lambeaux d'une pancarte enfumée, qui ressemble à quelque chose de pareil. Mais ne devroit-on pas proscrire les pancartes à la main ? Tous les changemens survenus dans les tarifs, ne devroient-ils pas être connus ? La sûreté publique n'exigeroit - elle pas aussi que dans chaque chambre de commerce du royaume, il y eut sous la garde des consuls, un livre que les négocians pourroient consulter, & où tous les arrêts survenus sur chaque espece, se trouveroient déposés ? C'est le fermier qui propose la loi, qui la rédige, & lui seul en a connoissance. On imprime à la vérité quelques arrêts du conseil ; mais les plus intéressans ne sont pas publiés, sur - tout lorsqu'ils sont favorables au commerce. Rien n'est plus propre à introduire l'arbitraire dans la perception, police aussi ruineuse pour les revenus publics que pour le contribuable ! Cela explique la différence qui se trouve souvent entre les entrées ou les sorties du royaume, les droits perçus dans un port ou dans un autre ; ce cas n'est pas si rare qu'on l'imagine.

Enfin si l'usage qu'on propose eût été établi depuis longtems, beaucoup de nouveautés qui ont aujourd'hui pour titre la prescription, n'auroient point été admises, & le commerce auroit moins de charges à porter. Personne ne peut nier que la loi ne doive être connue dans tous ses détails par tous ceux qui y sont soumis ; mais dans les contestations qui s'élevent entre le négociant & le fermier, celui-ci a l'avantage d'un homme fort & robuste qui se battroit avec un aveugle.

Il y a plus, tout tarif des droits d'entrée & de sortie des marchandises dans un royaume, doit sans-doute être réglé sur la connoissance intime du commerce, des étrangers qui vendent en concurrence, & des convenances réelles des consommateurs.

Quant au tarif exorbitant que les fermiers ont obtenu sur la sortie de plusieurs denrées qui paroissent surabondantes dans ce royaume, il a sa source dans cet ancien préjugé que les étrangers ne peuvent se passer de la France, en quoi l'on se trompe beaucoup. Cette idée ridicule a été fondée en partie dans le tems où la France vendoit des blés presque exclusivement, où les Polonois n'avoient point encore l'art de dessécher leurs grains ; où la Hollande n'en faisoit pas le commerce ainsi que l'Angleterre, où le Portugal & l'Espagne n'avoient pas autant de vignes qu'ils en ont planté depuis ; où la sortie des vins n'étoit point affranchie comme elle l'est aujourd'hui dans ce dernier pays ; où l'Allemagne fabriquoit peu de toiles ; enfin dans ces tems où tous ces commerces de concurrence n'existoient point encore.

Concluons que tant que les tarifs ne seront pas regardés comme une affaire de raison & non de forme, il n'y a rien à espérer des soins qu'on se donnera dans ce royaume en faveur de la prospérité du commerce. Considérat. sur les finances. (D.J.)

TARIF, (Manufact. des glaces) la compagnie des glaces établie à Paris, a aussi son tarif, qui contient toutes les largeurs & hauteurs des glaces qu'elle fait fabriquer, & le prix qu'elle les vend, ce qui est d'une grande commodité pour les bourgeois & pour les miroitiers. Savary. (D.J.)

TARIF, (Monnoie) c'est cette partie des déclarations & édits, qui marque le titre des nouvelles especes, & combien il doit y en avoir de chacune à la taille de l'or ou de l'argent ; ce mot désigne encore ces petits livrets que dressent d'habiles arithméticiens, pour aider au public à faire plus exactement & facilement leurs calculs, & qui ont été nécessaires dans les fréquentes remarques, refontes, augmentations, & diminutions des especes d'or & d'argent, qui n'ont été que trop souvent faites pour le malheur de l'état. (D.J.)

TARIFS ou COMPTES FAITS, (Comm.) ce sont des especes de tables, dans lesquelles on trouve des réductions toutes faites de différentes choses, comme des poids, mesures, monnoies, rentes à divers deniers, &c. ces tarifs sont extrêmement commodes dans le commerce, quand ils sont faits avec exactitude & précision. Id. ibid.


TARIFFE(Géog. mod.) ville d'Espagne, dans l'Andalousie, sur le détroit de Gibraltar, 5 lieues au sud - ouest de la ville de ce nom ; elle est pauvre & dépeuplée, quoique dans un climat doux, tempéré & fertile. Long. 12. 25. lat. 35. 50. (D.J.)


TARIJA(Géog. mod.) ville de l'Amérique méridionale, au Pérou, à cinquante lieues au sud-ouest du Potosi, dans une grande vallée, dont elle a pris le nom, entre les montagnes de Chiriguanos, presque à l'embouchure d'une petite riviere qui se décharge dans Rio - Grande. Lat. méridionale 21. 48. (D.J.)


TARIou TIRIN, s. m. (Hist. nat. Ornithologie) citrinella, oiseau qui ressemble à la linote par la forme de la tête & de tout le corps ; il a la tête & le dos verds, & le croupion d'un verd jaunâtre ; le derriere de la tête & le cou ont une couleur cendrée ; il y a cependant des individus dont le sommet de la tête, la face supérieure du cou, & les plumes des épaules sont en partie d'un jaune verdâtre & en partie bruns ; toute la face inférieure de cet oiseau a une couleur verte, à l'exception des plumes qui entourent l'anus qui sont blanchâtres. Les mâles ont le dessus de la poitrine & le ventre d'un beau jaune. La queue a deux pouces de longueur, elle est entierement noire, à l'exception de l'extrêmité des barbes des plumes qui a une couleur verdâtre. Les grandes plumes des aîles ont la même couleur que la queue, & les petites sont vertes ; certains individus ont l'extrêmité des grandes plumes, & celles du second rang blanches, & la queue un peu fourchue. Cet oiseau chante très - agréablement. Willughbi, Ornit. Voyez OISEAU.

TARIN, (Monnoie) monnoie de compte, dont les banquiers & négocians de Naples, de Sicile & de Malthe, se servent pour tenir leurs livres. Le tarin à Naples vaut environ dix - huit sols de France, & à Malthe il vaut vingt grains, ce qui revient presqu'au même. Savary. (D.J.)


TARINATES(Géog. anc.) peuples d'Italie, dans la Sabine, selon Pline, liv. III. ch. xij. Il y a encore aujourd'hui dans la Sabine une bourgade appellée Tarano ; on croit qu'elle retient le nom de ces peuples. (D.J.)


TARIRv. act. & neut. (Gramm.) c'est s'épuiser d'eau, devenir à sec. Les ruisseaux ont tari & les prés ont souffert. On a dit que l'armée de Xercès étoit si nombreuse qu'elle tarissoit les rivieres. Il se prend au figuré ; cet homme ne tarit point dans la conversation ; c'est un esprit intarissable.


TARKU(Géog. mod.) on écrit aussi Tirk, Tarki, Targhve, petite ville d'Asie, dans les états de l'empire russien, & la capitale du Daghestan. Elle est située sur la côte occidentale de la mer Caspienne, à quinze lieues au nord de Derbent, entre des rochers escarpés, pleins de coquillages. (D.J.)


TARLATANES. f. (Comm.) espece de toile fine qui a beaucoup de rapport à la mousseline. Les femmes faisoient autrefois des coëffes, des manchettes, & des fichus de tarlatane. Lorsque les hommes portoient des cravates longues, amples, tortillées, elles étoient aussi souvent de tarlatane. (D.J.)


TARMON(Géog. mod.) petite ville d'Irlande, dans la province d'Ulster, au comté de Fermagnach, au nord du lac Earnes, sur les frontieres du comté Dunnegal. Cette ville a un château pour sa défense. (D.J.)


TARNLE, (Géog. mod.) en latin Tarnis, riviere de France, en Languedoc. Elle prend sa source dans le Gévaudan, au mont de Losere, près de Florac, traverse le Rouergue, rentre dans le Languedoc, mouille Alby, Montauban, & se jette dans la Garonne, au-dessous de Moissac. Elle commence à être navigable à Gaillac, & facilite le trafic des vins de ce pays avec les Anglois. (D.J.)


TARNATANE-CHAVONISS. f. (Com.) mousseline ou toile de coton, blanche & très - claire, qui vient des Indes orientales, & sur-tout de Pondichery.


TARNE(Géog. anc.) nom, 1°. d'une ville de l'Achaïe, selon Etienne le géographe ; 2°. d'une ville de la Lydie, selon Strabon, l. IX. p. 193. 3°. d'une fontaine de Lydie, selon Pline, l. V. c. xxiv. qui dit qu'elle sortoit du mont Tmolus. (D.J.)


TARNIS(Géog. anc.) fleuve de la Gaule aquitanique. Pline, l. IV. c. xix. & Sidonius Apollinaris parlent de ce fleuve. Quelques-uns l'ont pris pour la Dordogne ; mais comme Pline dit que le Tarnis séparoit les Tolosani des Petrocori, c'est-à-dire, les Toulousains, des Périgourdains, ce ne peut être que le Taru, qui conserve ainsi son ancien nom. (D.J.)


TARNOW(Géog. mod.) petite ville de Pologne, dans le palatinat de Cracovie, entre les rivieres de Dunajec & de Wistoc, à environ 15 lieues est de Cracovie.

En 1561 mourut dans son palais de cette ville le général Tarnow (Jean) âgé de 73 ans, homme d'un mérite rare, & qui rendit de grands services à la Pologne sa patrie. Après l'étude des arts & des sciences dans sa jeunesse, il se mit à voyager ; il parcourut toute l'Asie mineure, la Palestine, la mer Rouge, l'Egypte & la côte d'Afrique, où il signala sa valeur contre les Maures. A son retour, Sigismond, roi de Pologne, le nomma général de toutes ses troupes. Il défit les Moldaves, les Moscovites & les Tartares. Couronné des mains de la victoire, il eut tout à essuyer de la jalousie de ses compatriotes ; mais pour la faire cesser, il se retira volontairement dans son château, & y vécut en simple particulier. Il y trouva dans le témoignage de sa conscience, dans la gloire qu'il s'étoit acquise, dans le commerce de ses amis & dans la lecture, de quoi se consoler, & passer avec douceur le reste de ses jours. (D.J.)


TARNOWITS(Géog. mod.) petite ville d'Allemagne, en Silésie, à quatre milles de Strélitz. (D.J.)


TARO(Géog. mod.) ou Val-di-Taro, petit pays d'Italie, aujourd'hui l'une des dépendances du Plaisantin. Il est situé entre le Parmésan, le Plaisantin & l'état de Gènes. Son chef - lieu prend son nom, & s'appelle Borgo-di-Val-di-Taro. Ce petit pays dont le duc de Parme fit l'acquisition en 1682, a eu longtems ses seigneurs particuliers. (D.J.)

TARO, (Géog. mod.) ou Borgo di val di Taro, petite ville d'Italie, dans le Plaisantin, sur la rive droite du Taro, & capitale du petit pays appellé Val-di-Taro, à douze lieues au sud-ouest de Parme. Long. 27. 25. latit. 44. 35. (D.J.)

TARO, le, (Géog. mod.) en latin Tarus, riviere d'Italie. Elle a sa source dans la partie méridionale du duché de Milan, traverse le Parmésan, & tombe dans le Pô entre les embouchures de l'Ongina & de la Parma. (D.J.)


TARODUNUM(Géog. anc.) ville de la Germanie. Ptolémée, l. II. c. xj. la marque près du Danube, au voisinage d'Arae Flaviae ; Lazius croit que le nom moderne est Dornstet. (D.J.)


TARONA(Géog. anc.) ville de la Chersonese Taurique. Elle étoit dans les terres, selon Ptolémée, l. III. c. vj. qui la place entre Taphros & Portigia. (D.J.)


TAROPECZ(Géog. mod.) ville de l'empire russien, dans le duché de Rescow, aux confins de la Lithuanie & du duché de Smolensko. (D.J.)


TAROTS. m. (terme de Luther.) instrument à anches & à vent qui a onze trous, & qui sert de basse aux concerts de musettes. (D.J.)

TAROTS, terme de Cartier, ce sont des especes de cartes à jouer, dont on se sert en Espagne, en Allemagne & d'autres pays. Ces cartes sont marquées différemment de celles dont on se sert en France ; & au lieu que les nôtres sont distinguées par des coeurs, des carreaux, des piques & des treffles, elles ont des coupes, des deniers, des épées & des bâtons appellés en espagnol, copas, dineros, espadillas, bastos. L'envers des cartes appellées tarots est communément orné de divers compartimens.

TAROT, s. m. (terme de joueur de dés) c'est une espece de dé d'ivoire, dont chaque côté porte son nombre de trous noirs, depuis 1 jusques & compris 6, & dont on se sert pour jouer. (D.J.)


TAROTIERSS. m. (Art méchaniq.) ouvriers qui font des tarots. C'est un des noms que l'on donne aux maîtres cartiers faiseurs de cartes à jouer, dans leurs statuts de l'année 1594. Voyez CARTIER.


TAROUPES. f. (Anatom.) espace qui est entre les deux sourcils ; il est chargé de poils dans quelques personnes, & c'étoit-là le cas de M. de Turenne ; le comte de Bussy trouvoit que sa taroupe velue lui rendoit la physionomie malheureuse ; quoi qu'il en soit, c'est une difformité à nos yeux ; mais les anciens pensoient tout le contraire ; car ils employoient l'art pour faire naître du poil dans cette partie, & réunir les deux sourcils : arte supercilii confinia nuda repletis, dit Ovide. (D.J.)


TARPEIEN(Hist. anc.) épithete que l'on a donné à un rocher de Rome, dont la hauteur est considérable, & d'où la loi des 12 tables avoit ordonné de précipiter les coupables de certains crimes capitaux. C'est sur ce rocher qu'on avoit bâti le capitole Voyez CAPITOLE.

Il se peut que le mont Tarpeien fût autrefois assez escarpé d'un côté pour tuer sur le champ ceux que l'on précipitoit de sa cime, mais il est impossible qu'il ait été jamais de cette élévation surprenante que lui ont donnée quelques auteurs, s'il en faut juger par celle qu'on lui voit à présent. Voyez les lettres de Burnet, p. 238, & le voyage de Misson, p. 103.

Ce rocher reçut son nom d'une vestale appellée Tarpeia, qui livra aux Sabins le capitole dont son pere étoit gouverneur, à condition que les ennemis lui donneroient tout ce qu'ils portoient à leurs bras gauches, entendant parler de leurs bracelets ; mais les Sabins, au lieu de lui présenter ces joyaux, lui jetterent leurs boucliers qu'ils portoient aussi au bras gauche, & l'écraserent sous le poids de ces armes.

D'autres attribuent la trahison du capitole à son pere Spurius Tarpeius ; ils ajoutent qu'il fut précipité du rocher par ordre de Romulus, & que depuis ce tems-là on fit subir le même supplice à tous ceux qui s'étoient rendus coupables du crime de trahison.

TARPEIENS, jeux, (Antiq. rom.) jeux institués à Rome par Romulus en l'honneur de Jupiter Feretrius ; mais comme on les nommoit plus communément jeux Capitolins, voyez CAPITOLINS. (D.J.)


TARPEIUS(Mythologie) Jupiter a quelquefois ce surnom à cause du temple qui lui étoit consacré sur le mont Tarpeïen, depuis appellé Capitole ; il y avoit aussi les jeux tarpeïens ou capitolins, que l'on célébroit en l'honneur de ce dieu. (D.J.)


TARQUINIETarquinii, (Géog. anc.) ville de la Toscane, selon Tite-Live, l. I. c. xxxiv. ses habitans sont nommés Tarquinienses. Voyez ce mot.

Tanaquille, femme de Tarquinius Priscus, roi de Rome, étoit née à Tarquinie, où elle fut mariée à Lucumon, homme très - riche, & qui par cette alliance espéra de s'avancer aux dignités ; cependant, comme il y trouva de grands obstacles en Toscane, Tanaquille son épouse l'engagea de venir s'établir à Rome avec elle. Il s'y rendit, se fit nommer Tarquinius, & s'insinua de telle sorte dans les bonnes graces du roi, que les charges qu'il en obtint lui donnerent lieu d'aspirer à la couronne, & de réussir dans cette ambition. Il fut tué dans son palais l'an 38 de son regne.

Tanaquille, sans se déconcerter de ce rude coup, fit tomber la couronne sur la tête de Servius Tullius son gendre. La mémoire de cette habile femme fut vénérée dans Rome pendant plusieurs siecles ; on y conservoit les ouvrages de ses mains, & l'on attribuoit de grandes vertus à sa ceinture.

Varron, contemporain de Cicéron, assûre qu'il avoit vu au temple de Sangus la quenouille & le fuseau de Tanaquille, chargés de la laine qu'elle avoit filée ; il ajoute que l'on gardoit au temple de la Fortune une robe royale qu'elle avoit faite, & que Servius Tullius avoit portée. Pline nous apprend que c'étoit à cause de cela que les filles qui se marioient étoient suivies d'une personne qui portoit une quenouille accommodée, & un fuseau garni de fil. Il dit aussi que cette reine fut la premiere qui fit de ces tuniques tissues, que l'on donnoit aux jeunes garçons quand ils prenoient la robe virile, & aux filles qui se marioient.

Les Romains attribuoient de grandes vertus à la ceinture de cette princesse, non comme à une cause morale, mais comme à une cause physique. Ils supposoient que Tanaquille avoit trouvé d'excellens remedes contre les maladies, & qu'elle les avoit enfermés dans sa ceinture. C'est pourquoi ceux qui en ôtoient quelques raclures se persuadoient qu'elles leur apporteroient la guérison, non pas à cause que l'ame de cette reine récompenseroit leur foi, mais à cause qu'ils enleveroient quelques particules des remedes qu'elle y avoit mis. Ainsi l'on ne peut pas faire des comparaisons exactes entre ceux qui recouroient à la statue de Tanaquille pour en frotter la ceinture, & ceux qui tâchent d'avoir une piece d'étole de saint Hubert, ou qui font toucher leurs chapelets à quelques reliques. De part & d'autre, il y a beaucoup de crédulité ; mais laissons, dit Bayle, aux gens de loisir à examiner si l'ancienne Rome égale en cela la nouvelle. (D.J.)


TARQUINIENSES(Géog. anc.) peuples d'Italie dans la Toscane ; c'est ainsi que Pline, l. III. c. v. appelle les habitans de la ville, qui est nommée par Tite-Live, l. I. c. xxxiv. & xlvij. Tarquinii, & Tarquinia par Ptolémée, l. III. c. j. Justin, l. XX. c. j. dit qu'elle tiroit son origine des Grecs. Elle devint ensuite colonie romaine, & enfin un siege épiscopal. Le nom moderne de cette ville est la Tarquinia, & par corruption la Tarquina.

On a trouvé, selon Labat, voyage d'Italie, t. V. en travaillant dans les environs de Cornette, à mi-côte d'une colline, les anciennes sépultures de la ville Tarquinia. Ces sépultures ou ces grottes sont à mi-côte de la colline, sur laquelle étoit cette ville infortunée ruinée depuis tant de siecles, qu'on n'en avoit presque plus aucune mémoire. Ces grottes, qui ont servi de sépulchre aux héros de ce tems, sont creusées dans le tuf dont cette montagne est composée. Ce sont, pour la plûpart, des chambres de dix à douze piés en quarré, sur neuf à dix piés de hauteur. On voyoit dans quelques-unes des restes de peintures, c'est-à-dire du rouge, du bleu, du noir, qui sembloient marquer des compartimens plutôt que des figures, car l'humidité a tout effacé. On y a trouvé des armes que la rouille avoit presque consumées, comme des épées & des lames de couteaux. Ce qu'on a rencontré de plus entier & en plus grande quantité, ce sont des vases de terre & des pots assez gros. A la vérité ces pieces & particulierement celles qui étoient vernissées étoient ollaires, d'une espece de talc blanchâtre, qui en couvroit toute la superficie sans endommager le vernis. La montagne Tarquinia est à présent un bois, où il n'est pas aisé de rien découvrir qui puisse faire connoître quelle étoit la grandeur de la ville. (D.J.)


TARRABENI(Géog. anc.) peuples de l'île de Corse. Ptolémée, l. III. c. ij. les place au midi des Cervini, & au couchant de l'île. Le territoire qu'ils occupent est appellé par LÉander Bastilica-Paese.


TARRAGENSES(Géog. anc.) peuples de l'Espagne citérieure ; ils étoient alliés à des Romains, selon Pline, l. III. c. iij. Leur ville étoit nommée Tarraga par Ptolémée, l. II. c. vj. qui la place dans les terres, & la marque dans le pays des Vascones. On la nomme aujourd'hui Tarrega ; elle est dans la Catalogne, à six lieues de LÉrida. (D.J.)


TARRAGONE(Géog. mod.) petite ville d'Espagne, dans la Catalogne, sur une colline, dont la pente s'étend jusqu'au rivage de la mer Méditerranée, entre deux rivieres, le Gaya & le Francoli. Elle est située à 20 lieues au couchant de Barcelone, & à 90 de Madrid. L'air y est pur, & il s'y fait du commerce en huile, en lin & en vin. Son territoire est très-fertile, & offre un des plus beaux paysages du monde ; mais son port n'est pas bon, à cause des rochers qui en empêchent l'entrée aux gros vaisseaux.

Tarragone est honorée d'une université & d'un siege archiépiscopal, qui a disputé la primatie à celui de Tolede. Son diocese s'étend sur 197 paroisses. L'archevêque jouit de vingt mille ducats de revenu, & a pour suffragans les évêques de Barcelone, de Tortose, de LÉrida, de Girone, &c.

Tarragone est fortifiée de bastions & d'autres ouvrages réguliers à la moderne. Plusieurs de ses maisons sont presque toutes bâties de grosses pierres de taille quarrées. Long. 18. 55. latit. 41. 10.

Les Romains la nommerent Taraco, d'où les Espagnols ont fait Tarragona. Les Scipions s'en étant rendu maîtres dans les guerres puniques, en firent le lieu de leur résidence, ainsi qu'une belle place d'armes contre les Carthaginois. Auguste s'y trouvant dans la vingt-troisieme année de son regne, lui donna le titre d'Augusta, & y reçut plusieurs ambassadeurs. Ses habitans, par reconnoissance, bâtirent un temple en son honneur. L'empereur Antonin le Pieux aggrandit son port, & le garnit d'un grand mole. Enfin cette ville devint si puissante & si considérable, que, dans la répartition qui fut faite de l'Espagne, les Romains donnerent son nom à la plus grande partie de ce vaste continent, en l'appellant Espagne tarragonoise.

Après cela faut - il s'étonner qu'on ait trouvé dans cette ville & aux environs beaucoup de monumens anciens, comme des médailles, des inscriptions, & les ruines d'un cirque où se faisoient les courses des chevaux dans une place nommée aujourd'hui la plaça de la Fuente ?

On y a aussi trouvé les ruines d'un théatre, qui étoit en partie taillé dans le roc & en partie bâti de gros quartiers de marbre, dans l'endroit où est à présent l'église de Notre-Dame du miracle. Cette église, ainsi que la cathédrale doivent leur construction aux pierres & au marbre qu'on a tirés des débris de cet ancien théatre des Romains.

Les Maures prirent Tarragone en 719, & la démantelerent. Le pape Urbain II. y envoya une colonie en 1038, & ensuite céda cette ville à Raymond Bérenger, comte de Barcelone. Les François assiégerent Tarragone en 1641, sans pouvoir s'en rendre maîtres.

Elle est la patrie d'Orose (Paul), prêtre, & historien ecclésiastique du v. siecle. Il lia grande connoissance avec S. Augustin, qui l'envoya en 415 à Jérusalem auprès de S. Jérôme, pour le consulter sur l'origine de l'ame.

Quoi qu'il en soit de la réponse qu'a pu faire S. Jérôme, ce fut au retour du voyage de Palestine que le prêtre de Tarragone composa son histoire générale, qui commence avec le monde & qui finit l'an 416 de Jesus-Christ. Il y en a plusieurs éditions ; la premiere est, je pense, à Venise en 1500 ; la seconde est à Paris en 1506, chez Petit ; la troisieme en 1524, à Paris, in-fol. Ces trois éditions sont moins correctes que les suivantes, à Cologne 1536, 1542, 1561, 1572.

On ne peut contredire raisonnablement le jugement que Casaubon porte de cet ouvrage, qui néanmoins n'est pas sans utilité. On voit à-travers les termes honnêtes du savant critique de Genève, qu'il n'en faisoit pas grand cas. En effet la tâche que prit Orose étoit au-dessus de ses forces. Il ignoroit le grec, & connoissoit fort peu l'histoire romaine. D'ailleurs il peche souvent contre la chronologie, & croit trop aux bruits populaires.

On dit qu'il avoit intitulé son livre de miseriâ hominum ; mais j'imagine que c'est quelque homme d'esprit qui lui a prêté ce titre si convenable à l'histoire en général, & plus encore à l'histoire ecclésiastique qui est le miroir des miseres de l'esprit humain & des maux que son intempérance fait dans le monde. (D.J.)


TARRAS(Géog. anc.) ville de l'île de Sardaigne, sur la côte occidentale de l'île. Ptolémée, l. III. c. iij. la marque entre le port Coracodès & l'embouchure du fleuve Cirsus. Le nom moderne est Largo, selon Marius Niger. (D.J.)


TARRATE(Géog. mod.) petite contrée d'Ethiopie, au royaume de Tigré & au nord de Caxumo. (D.J.)


TARREAUS. m. (Art méchaniq.) outil d'acier trempé, fait en vis, & servant à faire les écrous des vis. Il doit s'ajuster au trou de la filiere ; & chaque trou d'une filiere simple doit avoir son tarreau.

TARREAU, (Arquebus.) c'est un morceau d'acier trempé, rond, de la grosseur d'un pouce par en-bas, & quarré par en-haut : le bas est garni de vis fort aiguës. Les Arquebusiers s'en servent pour marquer des vis creuses, ou des écrous en introduisant le tarreau dans un trou, & le faisant tourner avec le porte- tarreau. Ils en ont de plus gros & de plus petits les uns que les autres.

TARREAU DE CHARRON, espece de tariere en forme de cône, qui sert à donner de l'entrée aux essieux dans le moyeu des roues. Le tarreau est accompagné d'un crochet qui aide à faire sortir le copeau.

Pour forger une tariere simple, une tariere en cuillere & un tarreau, on prend une barre de fer, on étend le bout destiné à former la cuilliere de la largeur & de l'épaisseur convenables ; on l'acere ; on rend les côtés & l'extrêmité tranchans ; on menage plus d'épaisseur au milieu. Quand la piece est forgée, on la forme à la lime, & on l'acheve en la trempant


TARREAUDERv. act. terme de Serrurier, c'est faire avec un tarreau, un trou dans une piece de métal ou de bois, qui serve d'écrou, pour y faire entrer une vis. (D.J.)


TARREGA(Géog. mod.) ville d'Espagne dans la Catalogne, sur une colline, près de la riviere Cervera, 6 lieues de LÉrida, sur la route de cette ville à Barcelone. Les anciens romains connurent cette ville sous le nom de Tarraga. Les Maures en ont été les maîtres, & Raymond Bérenger la leur enleva en 1163. C'est aujourd'hui le chef-lieu d'une viguerie, dans un terroir abondant en blé, vin, huile, & bétail. (D.J.)


TARRERv. act. terme de Blason, ce verbe signifie donner un certain tour au heaume ou timbre de l'écu. On dit tarrer de front, de côté ou de profil. Ce terme employé pour les casques, vient de leurs grilles qui étoient autrefois représentées à la maniere des tarots de cartes. Menest.


TARROCKS. m. (Hist. nat. Ichthyol.) oiseau de mer de la classe du larus ou mouette, & distingué chez les Ornithologistes par le nom de larus cinereus Bellonii. Il est de la grosseur & de la forme de nos pigeons, excepté, que sa tête est plus large & plus grosse. Sa queue n'est pas fourchue ; sa gorge, sa poitrine & son ventre sont d'un blanc de neige ; sa tête est du même blanc, avec une tache noire de chaque côté. Le bas du cou est tout noir ; le milieu du dos & des épaules sont grises ; les grandes plumes de ses aîles sont noires & blanches : mais ce qui le distingue véritablement de tous les autres oiseaux de son genre, c'est qu'il n'a point d'orteil de derriere. Il est très-commun sur quelques côtes d'Angleterre, & en particulier sur celles de Cornouailles. Raii. Ornithol. page 264. (D.J.)


TARSATICA(Géog. mod.) ville de l'Illyrie, selon Pline, l. III. c. xxvij. & Ptolémée, l. II. c. vij. On croit que c'est aujourd'hui la ville de Fiume. (D.J.)


TARSES. m. en Anatomie, est ce qu'on appelle communément le cou du pié. C'est le commencement du pié, ou l'espace qui est entre la cheville du pié & le corps du pié, qu'on appelle métatarse. Voyez PIE & METATARSE.

Le tarse répond au carpe ou poignet de la main. Il est composé de sept os, dont le premier est appellé astragale, & par les Latins, talus & os balistoe. (Voyez ASTRAGALE) ; le second, calcaneum ; le troisieme est l'os naviculaire, que les Grecs appellent scaphoïde ; le quatrieme, cinquieme & sixieme sont innominés, & appellés par Fallope cunéiformes, à cause de leur figure ; le septieme est le cuboïde. Voyez chacun de ces os décrit dans son article propre, NAVICULAIRE, CUNEIFORMES, &c.

TARSE, est aussi le nom que quelques anatomistes donnent aux cartilages qui terminent les paupieres, & d'où naissent les cils ou poils des paupieres. Voyez PAUPIERE.

Ces cartilages sont extrêmement minces & déliés, ce qui les rend légers & flexibles. Leur figure est demi-circulaire ; celui de la paupiere supérieure est un peu plus long que celui de l'inférieure : ils servent tous deux également à fermer l'oeil. Voyez CILS.


TARSIA(Géog. mod.) petite ville, ou pour mieux dire, bourg d'Italie, au royaume de Naples, dans la Calabre citérieure, environ à douze milles au midi de Cassano. On croit communément que c'est l'ancienne Caprasae. (D.J.)


TARSIUM(Géog. anc.) ville de la basse Pannonie, selon Ptolémée, l. II. c. xvj. C'est la ville de Tarsum d'Aurelius Victor, epitom. p. 51, qui dit que les empereurs Tacite & Maximin y finirent leurs jours. (D.J.)


TARSOS. m. (Hist. nat.) nom que l'on donne en Italie à des petits cailloux blancs roulés & arrondis, qui se trouvent en grande abondance dans le lit de la riviere d'Arne qui passe à Florence. On s'en sert pour composer la fritte du verre blanc appellé crystal. On en trouve aussi près de la ville de Pise au pié du mont Verrucola, & près de Massa, suivant Néri, qui prétend que ces pierres sont une espece de marbre : mais il est visible qu'il se trompe en cela, vu que le marbre ne seroit point propre à entrer dans la composition du verre qu'il rendroit laiteux, étant une pierre calcaire ; ainsi le tarso doit être regardé comme une espece de caillou ou de quartz, roulé & arrondi par le mouvement des eaux.


TARSURA(Géog. anc.) fleuve de la Colchide. Arrien met son embouchure entre celles des deux fleuves Singames & Hippus. (D.J.)


TARTANES. f. (Marine) c'est une barque dont on se sert sur la Méditerranée, qui ne porte qu'un arbre de mestre ou un grand mât, & un mât de misaine. Lorsqu'il fait beau, sa voile est à tiers point, & on fait usage d'un tréou de fortune dans les gros tems. Voyez TRÉOU. Cette mâture forme la principale différence qu'il y a de ce bâtiment à une barque ; je dis la principale différence, parce que les dimensions de ces deux bâtimens ne sont point semblables, comme on en jugera, en comparant celle d'une barque avec les suivantes.


TARTARES. m. (Mytholog.) lieu du supplice des tyrans & des coupables des plus grands crimes. C'est l'abîme le plus profond sous la terre. Le mot se trouve dans Plutarque pour geler ou trembler de froid ; & d'autres auteurs, comme Hésiode, s'en sont aussi servi dans ce sens, parce qu'ils pensoient, que qui dit le primum obscurum dans la nature, dit aussi le primum frigidum.

Homere veut que cette prison ne soit pas moins éloignée des enfers en profondeur, que les enfers le sont du ciel. Virgile ajoute qu'elle est fortifiée de trois enceintes de murailles, & entourée du Phlégéton, torrent impétueux, dont les ondes enflammées entraînent avec fracas les débris des rochers ; une haute tour défend cette affreuse prison, dont la grande porte est soutenue par deux colonnes de diamans, que tous les efforts des mortels & toute la puissance des dieux ne pourroient briser ; couverte d'une robe ensanglantée, Tisiphone est assise nuit & jour à la porte de cette prison terrible, qui retentit de voix gémissantes, de cruels coups de fouet & d'un bruit affreux de chaînes. Mais je suis bien ridicule de ne pas laisser parler le prince des poëtes dans son beau langage.

Sub rupe sinistrâ

Maenia lata videt triplici circumdata muro :

Quae rapidus flammis ambit torrentibus amnis

Tartareus Phlegeton, torquetque sonantia saxa ;

Porta adversa ingens, solidoque adamante columna

Vis ut nulla virûm, non ipsi exscindere ferro

Coelicolae valeant : stat ferrea turris ad auras.

Tisiphoneque sedens, pallâ succincta cruentâ,

Vestibulum insomnis servat noctesque diesque,

Hinc exaudiri gemitus, & saeva sonare

Verbera ; tùm stridor ferri, tractaeque catenae.

Constitit Aeneas, strepitumque exterritus hausit.

Aen. lib. VI. v. 548.

Un de nos poëtes lyriques s'est aussi surpassé dans la description du tartare ; lisons - la.

Qu'entens-je ! le tartare s'ouvre,

Quels cris ! quels douloureux accens !

A mes yeux la flamme y découvre

Mille supplices renaissans.

Là sur une rapide roue,

Ixion dont le ciel se joue,

Expie à jamais son amour.

Là le coeur d'un géant rebelle

Fournit une proie éternelle

A l'avide faim d'un vautour.

Autour d'une tonne percée

Se lassent ces nombreuses soeurs,

Qui sur les freres de Lincée

Vengerent de folles terreurs ;

Sur cette montagne glissante

Elevant la roche roulante,

Sisiphe gémit sans secours ;

Et plus loin cette onde fatale

Insulte à la soif de Tantale,

L'irrite, & le trahit toujours.

Si l'on trouvoit dans toutes les odes de M. de la Motte le feu & la verve qui brillent dans celle-ci, elles auroient eu plus d'approbateurs ; mais c'est Milton qui a le mieux réussi de tous les modernes dans la peinture du tartare. Elle glace d'effroi, & fait dresser les cheveux de ceux qui la lisent.

Selon l'opinion commune, il n'y avoit point de retour, ni de grace à espérer pour ceux qui étoient une fois précipités dans le tartare : Platon néanmoins n'embrasse pas tout-à-fait ce sentiment. Ceux, dit-il, qui ont commis ces grands crimes, mais qui ne sont pas sans remede, comme ceux qui sont coupables d'homicide, mais qui en ont eu ensuite du regret, ceux-là sont nécessairement précipités dans le tartare ; & après y avoir séjourné une année, un flot les en retire ; & lors ils passent par le Cocyte, ou le Péryphlégéton, delà ils vont au lac Acherusia, où ils appellent par leur nom ceux qu'ils ont tués, & les supplient instamment de souffrir qu'ils sortent de ce lac, & de leur faire la grace de les admettre en leur compagnie. S'ils peuvent obtenir d'eux cette faveur, ils sont d'abord délivrés de leurs maux, sinon ils sont de nouveau rejettés dans le tartare ; ensuite une autre année ils reviennent au fleuve, comme ci-devant, & réiterent toujours leurs prieres, jusqu'à ce qu'ils aient fléchi ceux qu'ils ont offensés. C'est la peine établie par les juges.

Quelques mythologistes croient que l'idée du tartare, a été formée sur le Tartesse des anciens, qui étoit une petite île à l'embouchure du Bétis, aujourd'hui Guadalquivir en Espagne : mais c'est plutôt du fameux labyrinte d'Egypte qu'est tirée la prison du tartare, ainsi que toute la fable des enfers. (D.J.)

TARTARES ou TATARS, (Géog. mod.) peuples qui habitent presque tout le nord de l'Asie. Ces peuples sont partagés présentement en trois nations différentes ; savoir, 1°. les tartares ainsi nommés ; 2°. les Calmoucks ; 3°. les Moungales : car les autres peuples payens dispersés par toute la Sibérie, & sur les bords de la mer Glaciale, sont proprement des peuples sauvages, séparés, quoique descendant des anciens Tartares.

Les Tartares particulierement ainsi nommés, professent tous le culte mahométan, quoique chez la plûpart ce culte tient beaucoup plus du paganisme, que du mahométisme. Tous les Tartares se subdivisent en plusieurs nations, qu'il importe de faire connoître : les principales sont.

1°. Les Tartares Barabinskoi ; 2°. les Tartares Baskirs, & ceux d'Uffa ; 3°. les Tartares de Budziack. 4°. les Tartares Calmoucks ; 5°. les Tartares de la Casatschia Orda ; 6°. les Tartares de la Crimée ; 7°. les Tartares Circasses ; 8°. les Tartares du Daghestan ; 9°. les Tartares Koubane ; 10°. les Tartares Moungales ; 11°. les Tartares Nogais ; 12°. les Tartares Télangouts ; 13°. les Tartares Tonguses ; 14°. les Tartares de la grande Boucharie. 15°. Enfin les Tartares Usbecks.

Les Tartares Barabinskoi, sont des peuples payens de la grande Tartarie. Ils habitent le désert de Baraba, qui s'étend entre Tara & Tomskoi ; ils demeurent dans des huttes creusées en terre, avec un toit de paille, soutenu par des pieux élevés de trois piés ; cette nation est tributaire du czar.

Les Tartares Baskirs, ou de Baskain & d'Uffa, occupent la partie orientale du royaume de Casan, & les Tartares d'Uffa occupent la partie méridionale. Les uns & les autres sont grands & robustes ; ils ont le teint un peu basané, les cheveux noirs, & les sourcils fort épais ; ils portent une robe longue de gros drap blanc, avec une espece de capuchon attaché dont ils se couvrent la tête en hiver. Les femmes sont habillées à la façon des paysannes de Russie, sur - tout depuis qu'ils sont soumis à cette couronne ; leur langue est un mêlange de langue tartare & russienne. Quoiqu'ils observent encore la circoncision, & quelques autres cérémonies mahométanes, ils n'ont plus aucune connoissance de l'alcoran, & n'ont par conséquent ni moulhas, ni mosquées ; ensorte que leur religion tient beaucoup du paganisme, chez ceux qui n'ont pas embrassé le culte grec. Comme le pays qu'ils habitent est situé entre les 52 d. 30 de longitude, & le 57. d. de latitude ; ce pays est fertile en grains, en fruits, en miel & en cidre. Aussi les Tartares Baskirs & d'Uffa, sement de l'orge, de l'avoine & d'autres grains, habitent dans des villages bâtis à la maniere de Russie, & se nourrissent de leur bétail & de la chasse.

Les Tartares de Budziack, habitent vers le rivage occidental de la mer Noire, entre l'embouchure du Danube & la riviere de Bog. Quoique ces Tartares soient une branche de ceux de la Crimée, & qu'ils en aient la religion & les coutumes, cependant ils vivent indépendans de la Porte, & du chan de la Crimée. Ils n'obéissent qu'à des murses, chefs des différens ordres qui composent leur corps. Ils font même quelquefois des incursions sur les terres des Turcs, & se retirent chez eux après le pillage. On dit que leur nation peut faire environ trente mille hommes.

Les Tartares Calmoucks, occupent une grande partie du pays qui est entre le Mongul & le Wolga. Ils sont divisés en plusieurs hordes particulieres, qui ont chacune leur aucoes, ou chan, à part. Les Calmoucks n'ont point d'habitation fixe, mais seulement des tentes de feutre, avec lesquelles ils campent & décampent en un instant. Ils se mettent en marche au printems, le long des pâturages, sur les bords du Wolga, & menent avec eux quantité de chameaux, de boeufs, de vaches, de chevaux, de moutons & de volailles. Ils viennent de cette maniere en forme de caravanes à Astracan, avec toutes leurs familles pour y commercer. Ils échangent leurs bestiaux pour du blé, du cuivre, du fer, des chauderons, des couteaux, des ciseaux, du drap, de la toile, &c.

Les Calmoucks sont robustes & guerriers. Il y en a toujours un corps dans les troupes du czar, suivant le traité d'alliance fait avec eux, & ce corps monte à environ six mille hommes.

Les Tartares de la Casatschia Orda, sont une branche des Tartares mahométans, qui habitent dans la partie orientale du pays de Turkestan, entre la riviere de Jemba & celle de Sirth. Ils ont la taille moyenne, le teint fort brûlé, de petits yeux noirs brillans & la barbe épaisse. Ils coupent leurs cheveux qu'ils ont extrêmement forts & noirs, à quatre doigts de la tête, & portent des bonnets ronds d'un empan de hauteur, d'un gros drap ou feutre noir, avec un bord de pelleterie ; leur habillement consiste dans une chemise de toile de coton, des culottes de peau de mouton, & dans une veste piquée de cette toile de coton, appellée kitaiha par les Russes ; mais en hiver ils mettent par - dessus ces vestes une longue robe de peau de mouton, qui leur sert en été de matelats ; leurs bottes sont fort lourdes & faites de peau de cheval, desorte que chacun peut les façonner lui-même ; leurs armes sont le sabre, l'arc & la lance, car les armes à feu sont jusqu'à présent fort peu en usage chez eux.

Ils sont toujours à cheval, en course, ou à la chasse, laissant le soin de leurs troupeaux & de leurs habitations à leurs femmes, & à quelques esclaves. Ils campent pour la plûpart sous des tentes ou huttes, vers les frontieres des Calmoucks & la riviere de Jemba, pour être à portée de butiner. Dans l'été ils passent fort souvent les montagnes des Aigles, & viennent faire des courses jusque bien avant dans la Sibérie, à l'ouest de la riviere d'Irtis.

Les Cara-Kalpaks, qui habitent la partie occidentale du pays de Turkestan, vers les bords de la mer Caspienne, sont les fideles alliés & parens des Tartares de la Casatschia Orda, & les accompagnent communément dans leurs courses, lorsqu'il y a quelque grand coup à faire.

Les Tartares de la Casatchia Orda, sont profession du culte mahométan, mais ils n'ont ni alcoran, ni moulhas, ni mosquées, ensorte que leur religion se réduit à fort peu de chose. Ils ont un chan qui réside ordinairement en hiver dans la ville de Taschkant, & qui en été va camper sur les bords de la riviere de Sirth, & les frontieres des Calmoucks ; mais leurs murses particuliers qui sont fort puissans, ne laissent guere de pouvoir de reste au chan. Ces Tartares peuvent armer tout-au-plus trente mille hommes, & avec les Cara-kalpaks cinquante mille, tous à cheval.

Les Tartares de la Crimée sont présentement partagés en trois branches, dont la premiere est celle des Tartares de la Crimée ; la seconde, celle des Tartares de Budziach ; & la troisieme celle des Tartares Koubans. Les Tartares de la Crimée sont les plus puissans de ces trois branches ; on les appelle aussi les Tartares de Perékop, ou les Tartares Saporovi, à cause que par rapport aux Polonois qui leur donnent ce nom, ils habitent au-delà des cataractes du Borysthène.

Ces Tartares occupent à-présent la presqu'île de la Crimée, avec la partie de la terre ferme au nord de cette presqu'île, qui est séparée par la riviere de Samar de l'Ukraine, & par la riviere de Mius du reste de la Russie. Les Tartares de la Crimée sont ceux de tous les Tartares mahométans qui ressemblent le plus aux Calmoucks, sans être néanmoins si laids ; mais ils sont petits & fort quarrés ; ils ont le tein brûlé, des yeux de porc peu ouverts, le tour du visage plat, la bouche assez petite, des dents blanches comme de l'ivoire, des cheveux noirs qui sont rudes comme du crin, & fort peu de barbe. Ils portent des chemises courtes de toile de coton, & des caleçons de la même toile ; leurs culottes sont fort larges & faites de quelque gros drap ou de peau de brebis ; leurs vestes sont de toile de coton, piquée, à la maniere des caffetans des Turcs ; & au-dessus de ces vestes ils mettent un manteau de feutre, ou de peau de brebis.

Leurs armes sont le sabre, l'arc, & la fleche. Leurs chevaux sont vilains & infatigables. Leur religion est la mahométane. Leur souverain est un chan allié de la porte Ottomane, & dont le pays est sous la protection du grand-seigneur. C'est dans la ville de Bascia-Sarai, située vers le milieu de la presqu'île de Crimée, que le chan fait ordinairement sa résidence. La partie de la terre ferme au nord de Perékop, est occupée par des hordes de Tartares de la Crimée, qui vivent sous des huttes, & se nourrissent de leur bétail, lorsqu'ils n'ont point occasion de brigander.

Les tartares de ce pays passent pour les plus aguerris de tous les Tartares. Ils sont presque toujours en course, portant avec eux de la farine d'orge, du biscuit, & du sel pour toute provision. La chair de cheval & le lait de jument font leurs délices. Ils coupent la meilleure chair de dessus les os, par tranches, de l'épaisseur d'un pouce, & les rangent également sur le dos d'un autre cheval, sous la selle, & en observant de bien serrer la sangle, & ils font ainsi leur chemin. Au bout de trois ou quatre lieues ils levent la selle, retournent les tranches de leur viande, remettent la selle comme auparavant, & continuent leur traite. A la couchée le ragoût se trouve tout prêt ; le reste de la chair qui est à l'entour des os se rôtit à quelques bâtons, & se mange sur - le - champ au commencement de la course.

Au retour du voyage, qui est souvent d'une centaine de lieues & davantage, le chan prend la dixme de tout le butin qui consiste communément en esclaves ; le murse de chaque horde en prend autant sur la part qui peut revenir à ceux qui sont sous son commandement, & le reste est partagé également entre ceux qui ont été de la course. Les Tartares de la Crimée peuvent mettre jusqu'à quatre-vingt mille hommes en campagne.

Les Tartares Circasses habitent au nord-ouest de la mer Caspienne, entre l'embouchure de la riviere de Wolga & la Géorgie. Le peuple qui est présentement connu sous le nom de Circasses, est une branche des tartares mahométans. Du-moins les Circasses conservent-ils jusqu'aujourd'hui la langue, les coutumes, les inclinations, & même l'extérieur des Tartares, nonobstant qu'on puisse s'appercevoir facilement qu'il doit y avoir bien du sang des anciens habitans du pays mêlés chez eux, parmi celui des Tartares.

Il y a beaucoup d'apparence que les Tartares Circasses, aussi-bien que les Daghestans, sont de la postérité de ceux d'entre les Tartares qui furent obligés, du tems que les sofis s'emparerent de la Perse, de se retirer de ce royaume pour aller gagner les montagnes qui sont au nord de la province de Schirvan, d'où les Perses ne les pouvoient pas chasser si facilement, & où ils étoient à portée d'entretenir correspondance avec les autres tribus de leur nation, qui étoient pour-lors en possession des royaumes de Casan & d'Astracan.

Les Tartares Circasses sont assez laids, & presque toutes leurs femmes sont très-belles. En été elles ne portent qu'une simple chemise d'une toile de coton, fendue jusqu'au nombril, & en hiver elles ont des robes semblables à celles des femmes russiennes : elles se couvrent la tête d'une sorte de bonnet noir qui leur sied fort bien ; elles portent autour du cou plusieurs tours de perles de verre noir, pour faire d'autant mieux remarquer les beautés de leur gorge ; elles ont un tein de lys & de rose, les cheveux & les plus beaux yeux noirs du monde.

Les Tartares Circasses se font circoncire, & observent quelques autres cérémonies mahométanes ; mais la religion grecque commence à faire beaucoup de progrès dans leur pays. Ils habitent en hiver dans des villages, & ont pour maisons de chetives chaumieres ; en été ils vont camper la plûpart du tems dans les endroits où ils trouvent de bons pâturages, savoir vers les frontieres du Daghestan & de la Georgie, où le pays est fort beau, & fertile en toutes sortes de légumes & de fruits. C'est de la partie montueuse de la Circassie que viennent les chevaux circasses, tant estimés en Russie, pour leur vîtesse, la grandeur de leurs pas, & la facilité de les nourrir.

Les Circasses ont des princes particuliers de leur nation auxquels ils obéissent, & ceux-ci sont sous la protection de la Russie, qui possede Terki, capitale de tout le pays : les Circasses peuvent faire une vingtaine de mille hommes armés.

Les Tartares du Daghestan s'étendent en longueur depuis la riviere de Bustro, qui tombe dans la mer Caspienne, à 43d. 20'. de latitude jusqu'aux portes de la ville de Derbent ; & en largeur, depuis le rivage de la mer Caspienne, jusqu'à six lieues de la ville d'Erivan. Le pays est par-tout montueux, mais il ne laisse pas d'être d'une grande fertilité dans les endroits où il est cultivé.

Ces Tartares sont les plus laids de tous les Tartares mahométans. Leur tein est fort basané, & leur taille au-dessous de la médiocre est très-renforcée ; leurs cheveux sont noirs & rudes comme des soies de cochon ; leurs chevaux sont fort petits, mais lestes à la course, & adroits à grimper les montagnes ; ils ont de grands troupeaux de bétail, dont ils abandonnent le soin à leurs femmes & à leurs esclaves, tandis qu'ils vont chercher à voler dans la Circassie & dans la Géorgie, des femmes & des enfans qu'ils exposent en vente à Derbent, à Erivan, & à Tifflis.

Ils obéissent à divers petits princes de leur nation qui prennent le nom de sultans, & qui sont tout aussi voleurs que leurs sujets ; ils nomment leur grand chan schemkal, dont la dignité est élective. Ce schemkal réside à Boinac. Tout barbares que sont les Tartares Daghestans, ils ont un excellent usage pour le bien de leur pays, savoir que personne ne se peut marier chez eux, avant que d'avoir planté dans un certain endroit marqué, cent arbres fruitiers, d'où vient qu'on trouve par-tout dans les montagnes du Daghestan, de grandes forêts d'arbres fruitiers de toute espece.

Ces mêmes montagnes, dont ils connoissent seuls les sentiers, ont servi à conserver jusqu'ici les Tartares Daghestans dans l'indépendance des puissances voisines ; cependant la forteresse de Saint-André que les Russes ont bâtie dans le coeur de leur pays, sur le bord de la mer Caspienne, entre Derbent & Terki, non-seulement les tient en bride, mais porte bien la mine de les contraindre un jour à l'obéissance de la Russie, d'autant plus que toutes leurs forces ne montent guere qu'à quinze ou vingt mille hommes.

Les Tartares Koubans habitent au sud de la ville d'Assof, vers les bords de la riviere de Koucan, qui a sa source dans la partie du mont Caucase, que les Russes appellent Turki-Gora, & vient se jetter dans le Palus Méotide, à 46d. 15'. de latitude au nord-est de la ville de Daman.

Ces Tartares sont encore une branche de ceux de la Crimée, & étoient autrefois soumis au chan de cette presqu'île ; mais présentement ils ont leur chan particulier, qui est d'une même famille avec les chans de la Crimée. Il ne reconnoît point les ordres de la Porte, & se maintient dans une entiere indépendance, par rapport à toutes les puissances voisines. La plus grande partie de ces tartares ne subsistent que de ce qu'ils peuvent piller sur leurs voisins, & fournissent aux Turcs quantité d'esclaves circasses, géorgiennes & abasses, qui sont fort recherchées.

C'est pour couvrir le royaume de Casan contre les invasions de ces Tartares, que le czar Pierre a fait élever un grand retranchement qui commence auprès de Zarista sur le Wolga, & vient aboutir au Don, vis-à-vis la ville de Twia. Lorsque les Tartares de la Crimée ont quelques grands coups à faire, les Koubans ne manquent pas de leur prêter la main : ils peuvent former ensemble trente à trente-cinq mille hommes.

Les Tartares Moungales, Mogoules, ou Mungales, occupent la partie la plus considérable de la grande Tartarie, que nous connoissons maintenant sous le nom du pays des Moungales. Ce pays, dans l'état où il est à présent, est borné à l'est par la mer orientale, au sud par la Chine, à l'ouest par le pays des Calmoucks, & au nord par la Sibérie. Il est situé entre les 40 & 50 degrés de latitude, & les 110 & les 150 degrés de longitude ; ensorte que le pays des Moungales n'a pas moins de quatre cent lieues d'Allemagne de longueur, & environ 150 de largeur.

Les Moungales qui habitent à-présent ce pays, sont les descendans de ceux d'entre les Mogoules, qui après avoir été pendant plus d'un siecle en possession de la Chine, en furent rechassés par les Chinois vers l'an 1368 ; & comme une partie de ces fugitifs s'étant sauvée par l'ouest, vint s'établir vers les sources des rivieres de Jéniséa & Sélinga, l'autre partie s'en étant retirée par l'est, & la province de LÉaotung, alla s'habituer entre la Chine & la riviere d'Amur.

On trouve encore à l'heure qu'il est deux sortes de Moungales, qui sont fort différens les uns des autres, tant en langue & en religion, qu'en coutumes & manieres ; savoir les Moungales de l'ouest, qui habitent depuis la Jéniséa jusque vers les 134 degrés de longitude, & les Moungales de l'est, qui habitent depuis les 134 degrés de longitude jusqu'au bord de la mer orientale.

Les Moungales de l'ouest vivent du produit de leur bétail, qui consiste en chevaux, chameaux, vaches & brebis. Ils conservent le culte du Dalaï-Lama, quoiqu'ils ayent un grand-prêtre particulier appellé Kutuchta. Ils obéissent à un kan, qui étoit autrefois comme le grand kan de tous les Moungales ; mais depuis que les Moungales de l'est se sont emparés de la Chine, il est beaucoup déchu de sa puissance : cependant il peut encore mettre cinquante mille chevaux en campagne. Plusieurs petits kans des Moungales, qui habitent vers les sources de la Jéniséa & les déserts de Gobi, lui sont tributaires, & quoiqu'il se soit mis lui-même sous la protection de la Chine pour être d'autant mieux en état de tenir tête aux Calmoucks, cette soumission n'est au fonds qu'une soumission précaire & honoraire. Il ne paye point de tribut à l'empereur de la Chine, qui le redoute même plus qu'aucun autre de ses voisins, & ce n'est pas sans raison ; car s'il lui prenoit jamais fantaisie de s'unir avec les Calmoucks contre la Chine, la maison qui regne présentement dans cet empire, n'auroit qu'à se tenir ferme sur le trône.

Les Moungales de l'est ressemblent aux Moungales de l'ouest, excepté qu'ils sont plus blancs, sur-tout le sexe. Ils ont des demeures fixes, & même des villes & des villages ; mais leur religion n'est qu'un mélange du culte du Dalaï-Lama & de celui des Chinois. Ils descendent presque tous des Mogouls fugitifs de la Chine ; & quoiqu'ils ayent encore quelques petits princes qui portent le titre de kan, c'est une légere satisfaction que la cour de Pekin veut bien leur laisser. Leur langue est un mêlange de la langue chinoise & de l'ancienne langue mogoule, qui n'a presque aucune affinité avec la langue des Moungales de l'ouest.

Les Tartares Nogais, Nogaiens, de Nagaï, de Nagaïa ou Nagaiski, occupent la partie méridionale des landes d'Astracan, & habitent vers les bords de la mer Caspienne, entre le Jaïck & le Wolga : ils ont les Cosaques du Jaïck pour voisins du côté de l'orient ; les Calmoucks dépendans de l'Ajuka-Chan du côté du septentrion ; les Circasses du côté de l'occident, & la mer Caspienne les borne vers le midi.

Les Tartares Nogais sont à-peu-près faits comme ceux de Daghestan, excepté que pour surcroit de difformité, ils ont le visage ridé comme une vieille femme. Ils logent sous de petites huttes, & campent pendant l'été dans les endroits où ils trouvent les meilleurs pâturages. Ils vivent de la chasse, de la pêche & de leur bétail. Quelques-uns même s'attachent à l'agriculture. Ils sont maintenant soumis à la Russie, mais sans être sujets à d'autre contribution que celle de prendre les armes toutes les fois que l'empereur de Russie le demande ; & c'est ce qu'ils font avec plaisir, parce qu'ils ont les mêmes inclinations que tous les autres tartares mahométans, c'est-à-dire d'être fort âpres au butin. Ils peuvent armer jusqu'à vingt mille hommes, & ne vont à la guerre qu'à cheval.

Les Tartares Télangouts habitent aux environs du lac que les Russes appellent Osero-téleskoi, & d'où la grande riviere Obi prend sa source. Ils sont sujets du Coutaisch, & menent à-peu-près la même vie que les autres calmoucks.

Les Tartares Tongous ou Tunguses, sont soumis à l'empire russien. Ces peuples occupent à-présent une grande partie de la Sibérie orientale, & sont divisés par les Russes en quatre branches principales, savoir :

1°. Les Podkamena-Toungousi, qui habitent entre la riviere de Jéniséa & celle de LÉna, au nord de la riviere d'Angara. 2°. Les Sabatski-Toungousi, qui habitent entre la LÉna, & le fond du golfe de Kamtzchatka, vers les 60 degrés de latitude au nord de la riviere d'Aldan. 3°. Les Olenni-Toungousi, qui habitent vers les sources de la LÉna, & de la riviere d'Aldan, au nord de la riviere d'Amur. 4°. Les Conni-Toungousi, qui habitent entre le lac Baikal & la ville de Nerzinskoi, & le long de la riviere d'Amur.

Il n'est pas difficile d'appercevoir que ces peuples sont issus d'un même sang avec tous les autres tartares, parce qu'ils ont à-peu-près les mêmes inclinations & la même physionomie ; cependant ils ne sont pas tout-à-fait si basanés & si laids que les Calmoucks, ayant les yeux beaucoup plus ouverts, & le nez moins écrasé que ne les ont ces derniers. Ils sont pour la plûpart d'une taille haute & robuste, & sont généralement plus actifs que les autres peuples de la Sibérie.

Les Podkamena-Toungousi & les Sabatski-Toungousi ne different guere en leur maniere de vivre des Ostiakes & des Samoyedes leurs voisins. Ils portent en hiver des habits de peaux de cerfs ou de rennes, le poil en dehors, & des culottes, bas & souliers de ces mêmes peaux tout d'une piece. Ils vivent en été de la pêche, & dans l'hiver de la chasse. Ils n'ont point d'autres prêtres que quelques schamans, qu'ils consultent plutôt comme des sorciers, que comme des prêtres.

Les Olenni - Toungousi vivent pareillement de la chasse & de la pêche ; mais ils nourrissent en même tems des bestiaux, & s'habillent tant en été qu'en hiver de peaux de brebis, ou de jeunes daims ; ils se servent de bonnets de peaux de renards qu'ils peuvent abattre à l'entour du cou lorsqu'il fait bien froid.

Les Conni-Toungousi sont les moins barbares de tous ces peuples ; ils se nourrissent quasi tous de leur bétail, & s'habillent à-peu-près comme les Moungales, auxquels ils ressemblent beaucoup en toutes choses. Ils coupent leurs cheveux à la façon des Calmoucks & des Moungales, & se servent des mêmes armes qu'eux ; ils ne cultivent point de terres ; mais au-lieu de pain, ils se servent des oignons de lis jaunes qui croissent en grande quantité en ces quartiers, dont ils font une sorte de farine après les avoir séchés ; & de cette farine ils préparent une bouillie qu'ils trouvent délicieuse : ils mangent aussi bien souvent les oignons lorsqu'ils sont séchés, sans en faire de la farine ; ils sont bons hommes de cheval, & leurs femmes & leurs filles montent également à cheval, & ne sortent jamais sans être armées.

Tous les Toungouses en général sont braves & robustes ; ils habitent des huttes ou maisons mouvantes ; leur religion est à-peu-près la même par-tout, & ils prennent autant de femmes qu'ils en peuvent entretenir. Il n'y a qu'un petit nombre de conni-toungousi qui obéissent à la Chine ; le reste de ce peuple est sous l'obéissance de la Russie, qui en tire les plus belles pelleteries de la Sibérie.

Les Tartares Usbecks habitent la grande Bucharie & le pays de Charass'm. La grande Bucharie est une vaste province de la grande Tartarie, & elle renferme les royaumes de Balk, de Samarcande & de Boikkahrah. Les Usbecks de la grande Bucharie viennent camper ordinairement aux environs de la riviere d'Amur, & dans les autres endroits où ils peuvent trouver de bons pâturages pour leur bétail, en attendant des occasions favorables de brigandage. Ils font des courses sur les terres voisines des Persans, ainsi que les Usbecks du pays de Charass'm ; & il n'y a ni paix, ni treve qui puisse les empêcher de piller, parce que les esclaves & autres effets de prix qu'ils ravissent, font toute leur richesse. Lorsque leurs forces sont réunies, ils peuvent armer une quarantaine de mille hommes d'assez bonne cavalerie.

Tous les Tartares tirent leur nom d'un des fils d'Alanza-Cham, appellé Tatar, qui le donna à sa tribu, d'où il a passé aux alliés de cette tribu, & ensuite à toutes les branches des peuples barbares de l'Asie, qui butinoient sur leurs voisins, tant en tems de paix qu'en tems de guerre ; cependant ils ont porté le nom de turcs, jusqu'à ce que Genghis-Chan les ayant rangés sous son joug, le nom de turcs est insensiblement venu à se perdre, & a fait place à celui de tartares, sous lequel nous les connoissons à - présent. Quand Genghis-Chan eut envahi l'Asie méridionale, & qu'on eut conçu que ce prince des Mogoules étoit en même tems le souverain des Tartares, on choisit de donner à tous les peuples de ces quartiers le nom de Tartares qu'on connoissoit, par préférence à celui de Mogoules dont on n'avoit jamais entendu parler.

Les Tartares tant mahométans que Calmoucks Moungales, prennent autant de femmes légitimes qu'ils veulent, ainsi qu'un grand nombre de concubines, qu'ils choisissent d'ordinaire parmi leurs esclaves, mais les enfans qui naissent des unes & des autres sont également légitimes & habiles à hériter de leurs peres.

Tous les Tartares sont accoutumés de tirer la même nourriture des chevaux que nous tirons des vaches & des boeufs ; car ils ne mangent communément que de la chair de cheval & de brebis, rarement de celle de boeuf ou de vache, qu'ils n'estiment pas à beaucoup près si bonne. Le lait de jument leur sert aux mêmes usages qu'à nous le lait de vache, & on assure que le lait de jument est meilleur & plus gras. Outre cela, il est bon de remarquer que presque dans toute la Tartarie, les vaches ne souffrent point qu'on les traye ; elles nourrissent à la vérité leurs veaux, mais d'abord qu'on les leur ôte, elles ne se laissent plus approcher, & perdent incessamment leur lait ; ensorte que c'est une espece de nécessité qui a introduit l'usage du lait de jument chez les Tartares.

Ils ont une maniere singuliere de combattre, dans laquelle ils sont fort habiles. En allant à l'action, ils se partagent sans aucun rang, en autant de troupes qu'il y a d'hordes particulieres qui composent leur armée, & chaque troupe a son chef à la tête. Ils ne se battent qu'à cheval, & tirent leurs fleches en fuyant avec autant d'adresse qu'en avançant ; ensorte qu'ils trouvent toujours leur compte à harceler les ennemis de loin, en quoi la vîtesse de leurs chevaux leur est d'un grand secours.

Ils ont tous une exacte connoissance des aimacks ou tribus dont ils sont sortis, & ils en conservent soigneusement la mémoire de génération en génération. Quoique par la suite du tems une telle tribu vienne à se partager en diverses branches, ils ne laissent pas pour cela de compter toujours ces branches pour être d'une telle tribu ; ensorte qu'on ne trouvera jamais aucun tartare, quelque grossier qu'il puisse être d'ailleurs, qui ne sache précisément de quelle tribu il est issu.

Chaque tribu ou chaque branche séparée d'une tribu, a son chef particulier pris dans la tribu même, qui porte le nom de mursa ; & c'est proprement une espece de majorat qui doit tomber d'aîné en aîné dans la postérité du premier fondateur d'une telle tribu, à moins que quelque cause violente ne trouble cet ordre de succession. Un tel mursa doit avoir annuellement la dixme de tous les bestiaux de ceux de sa tribu, & la dixme du butin que sa tribu peut faire lorsqu'elle va à la guerre.

Les familles qui composent une tribu, campent d'ordinaire ensemble, & ne s'éloignent pas du gros de l'horde sans en faire part à leur mursa, afin qu'il puisse savoir où les prendre lorsqu'il veut les rappeller. Ces murses ne sont considérables à leur chan, qu'à proportion que leurs tribus sont nombreuses ; & les chans ne sont redoutables à leurs voisins, qu'autant qu'ils ont beaucoup de tribus, & des tribus composées d'un grand nombre de familles sous leur obéissance. C'est en quoi consiste toute la puissance, la grandeur & la richesse d'un chan des Tartares.

C'est une coutume qui a été de tout tems en usage chez les Tartares, que d'adopter le nom du prince, pour lui marquer leur affection ; j'en citerai pour preuve le nom de Moguls ou Mungales, & celui de Tartars, que cette partie de la nation turque qui obéissoit à Mogull, ou Mungul-Chan, & à son frere Tartar-Chan, prit anciennement. C'est aussi la véritable dérivation du nom d'Usbecks que les Tartares de la grande Bucharie & du pays de Charass'm, portent en mémoire d'Usbeck-Chan. Les Mungales de l'est ont adopté le nom de Mansueurs ; de Maensueu-Chan, empereur de la Chine. Semblablement les Calmoucks-Dsongari, sujets de Contaisch, ou grand chan des Calmoucks, ont pris le nom de Contaischi, pour témoigner leur attachement à ce souverain.

Tous les Tartares, même ceux qui ont des habitations fixes, emportent avec eux dans leurs voyages, leurs effets de prix, non - seulement quand ils changent de demeure, mais même en allant à la guerre. De-là vient que lorsqu'il leur arrive de perdre une bataille, une partie de leur bagage reste ordinairement en proie au vainqueur ; mais ils sont en quelque maniere nécessités d'emporter leurs effets avec eux, parce qu'ils laisseroient autrement leurs biens & leurs familles en proie aux autres Tartares leurs voisins, qui ne manqueroient pas de profiter de leur absence pour les enlever.

On remarque que presque tous les Tartares conservent non-seulement les mêmes usages en général, mais aussi la même façon de bâtir leurs cabanes ; car soit qu'ils habitent dans des huttes, ou qu'ils aient des demeures fixes, ils laissent toujours une ouverture au milieu du toît, qui leur sert de fenêtre & de cheminée. Toutes leurs habitations, soit fixes soit mouvantes, ont leurs portes tournées au midi, pour être à l'abri des vents du nord, qui sont fort pénétrans dans la grande Tartarie.

Les Tartares devroient être libres, & cependant ils se trouvent tous dans l'esclavage politique. L'auteur de l'esprit des loix en donne d'excellentes raisons, que personne n'avoit développées avant lui.

Les Tartares, dit ce beau génie, n'ont point de villes ; ils n'ont point de forêts ; leurs rivieres sont presque toujours glacées ; ils habitent une immense plaine ; ils ont des pâturages & des troupeaux, & par conséquent des biens : mais ils n'ont aucune espece de retraite, ni de défense. Sitôt qu'un kan est vaincu, on lui coupe la tête, & ses sujets appartiennent au vainqueur : on ne les condamne pas à un esclavage civil, ils seroient à charge à une nation qui n'a point de terres à cultiver, & n'a besoin d'aucun service domestique ; ils augmentent donc la nation ; mais au-lieu de l'esclavage civil, on conçoit que l'esclavage politique a dû s'introduire.

En effet, dans un pays où les diverses hordes se font continuellement la guerre, & se conquiérent sans-cesse les unes les autres, dans un pays où par la mort du chef, le corps politique de chaque horde vaincue est toujours détruit, la nation en général ne peut guere être libre : car il n'y en a pas une seule partie, qui ne doive avoir été un très-grand nombre de fois subjuguée.

Les peuples vaincus peuvent conserver quelque liberté, lorsque par la force de leur situation, ils sont en état de faire des traités après leur défaite : mais les Tartares, toujours sans défense, vaincus une fois, n'ont jamais pu faire des conditions.

D'ailleurs, le peuple Tartare en conquérant le midi de l'Asie, & formant des empires, doit demeurer dans l'esclavage politique, parce que la partie de la nation qui reste dans le pays, se trouve soumise à un grand maître qui, despotique dans le midi, veut encore l'être dans le nord ; & avec un pouvoir arbitraire sur les sujets conquis, le prétend encore sur les sujets conquérans. Cela se voit bien aujourd'hui dans ce vaste pays qu'on appelle la Tartarie chinoise, que l'empereur gouverne presque aussi despotiquement que la Chine même.

Souvent une partie de la nation Tartare qui a conquis, est chassée elle-même & elle rapporte dans ses déserts un esprit de servitude, qu'elle a acquis dans le climat de l'esclavage. L'histoire de la Chine nous en fournit des exemples, & notre histoire ancienne aussi. Les Tartares détruisant l'empire grec, établirent dans les pays conquis, la servitude & le despotisme. Les Goths, conquérant l'empire romain, fonderent la monarchie & la liberté.

A moins que toute la grande Tartarie ne soit entre les mains d'un seul prince, comme elle l'étoit du tems de Genghis-Chan, il est impossible que le commerce y fleurisse jamais : car maintenant que ce pays est partagé entre plusieurs princes, quelque porté que puisse être l'un ou l'autre d'entr'eux à favoriser le commerce, il ne peut y parvenir si ses voisins se trouvent dans des sentimens opposés. Il n'y a même que du côté de la Sibérie, de la Chine, & des Indes, où les marchands peuvent aborder d'ordinaire en toute liberté, parce que les Calmoucks & Moungales négocient paisiblement avec les sujets des états voisins, qui ne leur font pas la guerre.

Disons un mot du droit des gens des Tartares. Ils paroissent entr'eux doux & humains, & ils sont des conquérans très-cruels : ils passent au fil de l'épée les habitans des villes qu'ils prennent ; ils croient leur faire grace lorsqu'ils les vendent, ou les distribuent à leurs soldats. Ils ont détruit l'Asie depuis les Indes jusqu'à la Méditerranée ; tout le pays qui forme l'orient de la Perse, en est resté désert. Voici ce qui paroît avoir produit un pareil droit des gens.

Ces peuples n'avoient point de villes ; toutes leurs guerres se faisoient avec promtitude & avec impétuosité ; quand ils espéroient de vaincre, ils combattoient ; ils augmentoient l'armée des plus forts, quand ils ne l'esperoient pas. Avec de pareilles coutumes, ils trouvoient qu'il étoit contre leur droit des gens, qu'une ville qui ne pouvoit leur résister, les arrêtât : ils ne regardoient pas les villes comme une assemblée d'habitans, mais comme des lieux propres à se soustraire à leur puissance. Ils n'avoient aucun art pour les assiéger, & ils s'exposoient beaucoup en les assiégeant ; ils vengeoient par le sang tout celui qu'ils venoient de répandre.

L'idée naturelle aux peuples policés qui cultivent les terres, & qui habitent dans des maisons, a été de bâtir à Dieu une maison où ils puissent l'adorer ; mais les peuples qui n'ont pas de maisons eux-mêmes, n'ont point songé à bâtir un temple à la divinité. C'est ce qui fit que Genghis-Chan marqua le plus grand mépris pour les mosquées, ne pouvant comprendre qu'il fallût adorer Dieu dans un bâtiment couvert. Comme les Tartares n'habitent point de maisons, ils n'élevent point de temples.

Les peuples qui n'ont point de temples, ont un léger attachement à leur religion. Voilà pourquoi les Tartares se font peu de peine de passer du paganisme au mahométisme, ou à la religion grecque. Voilà pourquoi les Japonois, qui tirent leur origine des Tartares, permirent de prêcher dans leur pays la religion chrétienne. Voilà pourquoi les peuples barbares, qui conquirent l'empire romain, ne balancerent pas un moment à embrasser le christianisme. Voilà pourquoi les Sauvages de l'Amérique sont si peu attachés à leur propre religion ; enfin, voilà pourquoi, depuis que nos missionnaires leur ont fait bâtir au Paraguai des églises, ils sont devenus zelés pour la nôtre.

Mais l'immensité des pays conquis par les Tartares, étonne, & confond notre imagination. Il est humiliant pour la nature humaine, que ces peuples barbares ayent subjugué presque tout notre hémisphère, jusqu'au mont Atlas. Ce peuple, si vilain de figure, est le dominateur de l'univers : il est également le fondateur & le destructeur des empires. Dans tous les tems, il a donné sur la terre des marques de sa puissance : dans tous les âges il a été le fléau des nations. Les Tartares dominent sur les vastes pays qui forment l'empire du Mogol : maîtres de la Perse, ils vinrent s'asseoir sur le trône de Cyrus, & d'Hystaspes : & pour parler de tems moins reculés, c'est d'eux que sont sortis la plûpart des peuples qui renverserent l'empire romain, s'emparerent de l'Espagne, & de ce que les Romains possédoient en Afrique.

On les vit ensuite assujettir les califes de Babylone. Mahmoud, qui sur la fin du onzieme siecle, conquit la Perse & l'Inde, étoit un Tartare. Il n'est presque connu aujourd'hui des peuples occidentaux, que par la réponse d'une pauvre femme qui lui demanda justice dans les Indes, du meurtre de son fils, commis dans l'Iraque persienne. Comment voulez - vous que je rende justice de si loin, dit le sultan ? Pourquoi donc nous avez - vous conquis, ne pouvant nous gouverner, répondit la même mere ?

Les Tartares moungales, ou mongoules, ont conquis deux fois la Chine, & la tiennent encore sous leur obéissance. Voici comme l'auteur de l'essai sur l'histoire a peint cette étrange révolution, arrivée au treizieme siecle, c'est un morceau très-intéressant.

Gassar-chan, ayeul de Genghis-chan, se trouvant à la tête des tribus mongoules, plus aguerries & mieux armées que les autres, força plusieurs de ses voisins à devenir ses vassaux, & fonda une espece de monarchie parmi des peuples errans. Son fils affermit cette domination naissante, & Genghis-chan son petit fils, l'étendit dans la plus grande partie de la terre connue.

Après avoir vaincu un rival de gloire, qui possédoit un puissant état entre les siens & ceux de la Chine, il se fit élire souverain des chans tartares, sous le nom de Genghis-chan, qui signifie le grand chan. Revêtu de cette suprême dignité, il établit dans ses troupes la plus belle discipline militaire, & entr'autres loix, il en porta une toute nouvelle qui devoit faire des héros de ses soldats. Il ordonna la peine de mort contre ceux qui dans le combat, appellés au secours de leurs camarades, fuiroient au-lieu de les défendre. En même tems il mit en oeuvre un ressort qu'on a vu quelquefois employé dans l'histoire. Un prophete prédit à Genghis - chan, qu'il seroit roi de l'univers, & les vassaux du grand chan s'encouragerent à remplir la prédiction. Bientôt maître de tous les pays qui sont entre le Wolga & la muraille de la Chine, il attaqua cet ancien empire qu'on appelloit alors le Catai ; prit Cambalu, que nous nommons aujourd'hui Peking ; soumit tout, jusqu'au fond de la Corée, & prouva qu'il n'y a point de grand conquérant qui ne soit grand politique.

Un conquérant est un homme dont la tête se sert, avec une habileté heureuse du bras d'autrui ; Genghis gouvernoit si adroitement la partie de la Chine qu'il avoit conquise, qu'elle ne se révolta point pendant qu'il couroit à d'autres triomphes ; & il sut si bien régner dans sa famille, que ses quatre fils, qu'il fit ses quatre lieutenans généraux, mirent leur jalousie à le bien servir, & furent les instrumens de ses victoires.

Mohammed Kotbeddin Kouaresm-Schah, maître de Turkestan & de presque toute la Perse, marcha contre Genghis, avec quatre cent mille combattans. Ce fut au-delà du fleuve Iaxartes, près de la ville Otrar, capitale du Turkestan, & dans les plaines immenses qui sont par-delà cette ville, au 43 degré de latitude, que l'armée de Mohammed rencontra l'armée tartare, forte de sept cent mille hommes, commandée par Genghis, & par ses quatre fils : les mahométans furent taillés en pieces, & la ville d'Otrar fut prise.

De ces pays qui sont vers la Transoxane, le vainqueur s'avance à Bokharah, capitale des états de Mohammed, ville célebre dans toute l'Asie, & qu'il avoit enlevée aux Samanides, ainsi que Samarcande, l'an de J. C. 1197. Genghis s'en rendit maître l'an 1220. de J. C. Par cette nouvelle conquête, les contrées à l'orient & au midi de la mer Caspienne, furent soumises, & le sultan Mohammed, fugitif de provinces en provinces, traînant après lui ses trésors & son infortune, mourut abandonné des siens.

Genghis pénétra jusqu'au fleuve de l'Inde, & tandis qu'une de ses armées soumettoit l'Indostan, une autre, sous un de ses fils, subjugua toutes les provinces qui sont au midi & à l'occident de la mer Caspienne, le Corasan, l'Irak, le Shirvan & l'Aran ; elle passa les portes de fer, près desquelles la ville de Derbent fut bâtie, dit-on, par Alexandre. C'est l'unique passage de ce côté de la haute Asie, à travers les montagnes escarpées du Caucase. De-là, marchant le long du Volga vers Moscow, cette armée par-tout victorieuse ravagea la Russie. C'étoit prendre ou tuer des bestiaux & des esclaves ; chargée de ce butin, elle repassa le Volga, & retourna vers Genghis-chan, par le nord-est de la mer Caspienne. Aucun voyageur n'avoit fait, dit-on, le tour de cette mer ; & ces troupes furent les premieres qui entreprirent une telle course par des pays incultes, impraticables à d'autres hommes qu'à des Tartares, auxquels il ne falloit ni provisions ni bagages, & qui se nourrissoient de la chair de leurs chevaux.

Ainsi, dans la moitié de la Chine, & la moitié de l'Indoustan, presque toute la Perse jusqu'à l'Euphrate, les frontieres de la Russie, Casan, Astracan, toute la grande Tartarie, furent subjugués par Genghis, en près de dix - huit années. En revenant des Indes par la Perse & par l'ancienne Sogdiane, il s'arrêta dans la ville de Toncat, au nord-est du fleuve Jaxarte, comme au centre de son vaste empire. Ses fils victorieux, les généraux, & tous les princes tributaires, lui apporterent les trésors de l'Asie. Il en fit des largesses à ses soldats, qui ne connurent que par lui, cette espece d'abondance. C'est de-là que les Russes trouvent souvent des ornemens d'argent & d'or, & des monumens de luxe enterrés dans les pays sauvages de la Tartarie. C'est tout ce qui reste de tant de déprédations.

Genghis tint dans les plaines de Toncat une cour triomphale, aussi magnifique qu'avoit été guerriere celle qui autrefois lui prépara tant de triomphes. On y vit un mêlange de barbarie tartare, & de luxe asiatique ; tous les chans & leurs vassaux, compagnons de ses victoires, étoient sur ces anciens chariots scythes, dont l'usage subsiste encore jusque chez les Tartares de la Crimée ; mais les chars étoient couverts des étoffes précieuses, de l'or, & des pierreries de tant de peuples vaincus. Un des fils de Genghis, lui fit dans cette diete, un présent de cent mille chevaux. Ce fut ici qu'il reçut les adorations de plus de cinq cent ambassadeurs des pays conquis.

De-là, il courut à Tangut royaume d'Asie, dans la Tartarie chinoise, pour remettre sous le joug ses habitans rébelles. Il se proposoit, âgé d'environ 70 ans, d'achever la conquête du grand royaume de la Chine, l'objet le plus chéri de son ambition ; mais une maladie l'enleva dans son camp en 1226, lorsqu'il étoit sur la route de cet empire, à quelques lieues de la grande muraille.

Jamais ni avant, ni après lui, aucun homme n'a subjugué tant de peuples. Il avoit conquis plus de dix-huit cent lieues de l'orient au couchant, & plus de mille du septentrion au midi. Mais dans ses conquêtes, il ne fit que détruire ; & si on excepte Bozharah, & deux ou trois autres villes dont il permit qu'on réparât les ruines, son empire de la frontiere de Russie jusqu'à celle de la Chine, fit une dévastation.

Si nous songeons que Tamerlan qui subjugua depuis une si grande partie de l'Asie, étoit un tartare, & même de la race de Genghis ; si nous nous rappellons qu'Usson-Cassam qui régna en Perse, étoit aussi né dans la Tartarie ; si nous nous souvenons qu'Attila descendoit des mêmes peuples ; enfin, si nous considérons que les Ottomans sont partis du bord oriental de la mer Caspienne. pour mettre sous le joug l'Asie mineure, l'Arabie, l'Egypte, Constantinople, & la Grece : tout cela nous prouvera, que les Tartares ont conquis presque toute la terre.

Les courses continuelles de ces peuples barbares, qui regardoient les villes comme les prisons des esclaves des rois ; leur vie nécessairement frugale ; peu de repos goûté en passant sous une tente, ou sur un chariot, ou sur la terre, en firent des générations d'hommes robustes, endurcis à la fatigue, qui n'ayant rien à perdre, & tout à gagner, se porterent loin de leurs cabanes, tantôt vers le Palus Méotide, lorsqu'ils chasserent au cinquieme siecle les habitans de ces contrées, qui se précipiterent sur l'empire romain ; tantôt à l'orient & au midi, vers l'Arménie & la Perse ; tantôt enfin, du côté de la Chine, & jusqu'aux Indes. Ainsi ce vaste réservoir d'hommes ignorans, forts, & belliqueux, a vomi ses inondations dans presque tout notre hémisphere : & les peuples qui habitent aujourd'hui leurs déserts, privés de toutes connoissances, savent seulement que leurs peres ont conquis le monde.

Mais depuis que les Tartares de l'orient, ayant subjugué une seconde fois la Chine dans le dernier siecle, n'ont fait qu'un état de la Chine, & de la Tartarie orientale : depuis que l'empire ottoman s'est abâtardi dans la mollesse & l'oisiveté ; depuis que l'empire de Russie s'est étendu, fortifié, & civilisé ; depuis enfin que la terre est hérissée de remparts bordés d'artillerie, les grandes émigrations de tels peuples ne sont plus à craindre ; les nations polies sont à couvert des irruptions de ces nations barbares. Toute la Tartarie, excepté la Chine, ne renferme plus que des hordes misérables, qui seroient trop heureuses d'être conquises à leur tour, s'il ne valoit pas encore mieux être libre que civilisé. Toutes ces réflexions par lesquelles je finis, sont de M. de Voltaire.

J'ai parlé des Tartares avec un peu d'étendue & de recherches, parce que c'est le peuple le plus singulier de l'univers. J'ai mis du choix dans mon extrait, parce que cet ouvrage le requiert nécessairement, & parce que les curieux trouveront tous les détails qu'ils peuvent desirer dans l'histoire des Tartares, imprimée à Paris en 1758, en 5 vol. in -4°. Ce livre de M. de Guignes est excellent, & mérite d'orner toutes les bibliotheques, où l'on rassemble l'histoire des nations. (D.J.)


TARTARIE(Géog. mod.) vaste pays qui comprend une partie de l'Asie, en allant vers le nord, depuis les états du turc, la Perse, & la Chine, jusqu'à la mer Glaciale. On divise la Tartarie en trois grandes parties ; savoir en Tartarie chinoise, qui appartient à l'empereur de la Chine ; en Tartarie indépendante, qui est gouvernée par divers chans ; & en Tartarie russienne, qui occupe un terrein immense.

La Tartarie Crimée, est l'ancienne Chersonese taurique célebre autrefois par le commerce des Grecs, & plus encore par leurs fables ; contrée toujours fertile & barbare ; elle est nommée Crimée, du titre des premiers chans, qui s'appelloient Crim, avant les conquêtes des enfans de Genghis.

La petite Tartarie, est une province tributaire de la Turquie, & qui est située au nord du Pont-Euxin ; elle est habitée par divers tartares. On l'a nommée petite Tartarie, pour la distinguer de la grande Tartarie en Asie, sur laquelle on peut lire le livre intitulé, Relation de la grande Tartarie, Amst. 1737. 2 volumes in -12.

On doit à M. Witsen (Nicolas), un des plus habiles & des plus illustres magistrats de la Hollande dans le dernier siecle, une excellente carte de la Tartarie septentrionale & orientale.

Pour ce qui est des peuples tartares qui habitent l'une & l'autre Tartarie, & qui sont ou payens, ou mahométans, nous avons fait une énumération détaillée de leurs diverses branches & nations, au mot TARTARES. (D.J.)


TARTARINvoyez MARTIN-PECHEUR.


TARTARISERv. act. (Chim.) c'est rectifier par le tartre. Voyez RECTIFIER & TARTRE. On dit de l'esprit-de-vin tartarisé.


TARTAROLE, (Géog. mod.) riviere d'Italie dans l'état de Venise ; elle a sa source dans le Veronese, & au - dessous de la ville Adria ; elle se partage en deux bras, dont l'un se jette dans l'Adige, & l'autre se perd dans le Pô. (D.J.)


TARTAS(Géog. mod.) petite ville de France dans la Gascogne, sur la Midouze, à vingt lieues de Bourdeaux, à six d'Acqs, & dans son diocèse. Elle doit son origine aux Gascons qui la bâtirent, & elle a eu ses vicomtes sous les comtes de Gascogne, dès l'an 960. Elle n'a que deux petites paroisses ; mais elle étoit fort peuplée, lorsque les Protestans en étoient les maîtres sous la protection du roi de Navarre ; ils la tenoient alors pour une de leurs places de sureté. Long. 16. 45. latit. 43. 50. (D.J.)


TARTES. f. terme de Pâtissier, piece de pâtisserie de fruits, de confitures, de crême, &c. composée d'une abaisse & d'un couvercle découpé, ou par petites bandes proprement arrangées, à quelque distance les unes des autres. (D.J.)


TARTELETTES. f. en Pâtisserie, c'est une espece de petits pâtés qu'on garnit de confitures ou de crêmes.


TARTESIORUMSALTUS, (Géog. mod.) forêts d'Espagne. Justin en parle, l. XLIV. c. iv. & dit qu'on prétendoit que ces forêts avoient été habitées par les Curètes. (D.J.)


TARTESSE(Géog. anc.) Tartessus, ville de la Bétique. Strabon, l. III. p. 148. dit que le fleuve Boetis se jettoit dans la mer par deux embouchures, & qu'entre ces deux embouchures il y avoit eu autrefois une ville appellée Tartessus, & il ajoute que le pays des environs s'appelloit Tartessida. Mais si nous nous en rapportons à Pomponius Méla, l. II. c. vj. dont le témoignage est préférable, puisqu'il étoit né dans ce quartier - là, nous trouverons que Tartessus étoit la même chose que Cartéja ; qu'elle étoit voisine de Calpe & sur la baie que formoit ce promontoire, appellée aujourd'hui la baie de Gibraltar. (D.J.)


TARTESSIDE(Géog. anc.) Tartessis, contrée d'Espagne dans la Bétique, vers l'embouchure du fleuve Betis. C'étoit, selon Strabon, l. III. p. 148. le pays qu'habitoient de son tems les Turdales, & il avoit été ainsi nommé de la ville Tartessus qui ne subsistoit plus du tems de Strabon. Eratosthène donnoit aussi le nom de Tartessis au pays voisin de Calpe & à l'île Erythéa : & Scaliger remarque que cette Tartesside est appellée par Autone campi argauthonii, du nom d'un certain Argauthonius qui, selon les anciennes histoires, régna dans ce pays-là. (D.J.)


TARTILAPIS, (Hist. nat. Lithol.) pierre dont parlent quelques auteurs qui lui attribuent de grandes vertus & ne nous apprennent rien à son sujet, sinon qu'elle ressembloit à des plumes de paon, & qu'elle étoit très-belle.


TARTONRAIRES. f. (Hist. nat. Bot.) espece de thymelée qui croît en arbrisseau aux environs de Marseille, dans les sables près le bord de la mer. Elle differe de la lauréole & du mézéréon par ses feuilles très-courtes, un peu arrondies, soyeuses & blanchâtres. Ses fleurs naissent des aisselles des feuilles, & sont très-petites. C. Bauhin & Tournefort appellent cette plante, thymelaea foliis candicantibus, serici instar mollibus. Lobel la nomme, tartonraria, gallo-provinciae Massiliensium. Les feuilles de cet arbrisseau sont mises au nombre des purgatifs violens. (D.J.)


TARTRES. m. (Chim.) On appelle tartre un des produits de la fermentation vineuse qui s'attache au parois des tonneaux dans lesquels s'exécute cette fermentation, sous la forme d'une croûte saline.

Le nom de tartre a été donné par Paracelse ; ce mot est barbare ; le tartre étoit auparavant connu sous le nom de pierre de vin & de sel essentiel de vin.

On donne encore le nom de tartre à cette matiere qui s'attache aux dents, & à cette croûte que dépose l'urine dans les pots-de-chambre ; mais ce n'est pas de ces matieres dont il est ici question : elles appartiennent l'une & l'autre à la classe des concrétions pierreuses qui se forment dans les animaux. Voyez PIERRE ou CALCUL HUMAIN.

Le tartre de vin dont nous traitons seulement dans cet article, fait des couches plus ou moins épaisses, 1°. suivant que le vin a resté long-tems dans le tonneau ; 2°. selon que le vin est plus ou moins coloré, plus ou moins spiritueux. Les vins acidules, disent certains chimistes, sont ceux qui donnent le plus de tartre : tels sont, par exemple, les vins du Rhin : cette loi n'est pas générale. Les vins des environs de Montpellier comme ceux de Saint-Georges, qui ne sont point acides, donnent beaucoup de tartre, sans compter la lie qui est fort abondante & qui est très-chargée de tartre. Voyez LIE.

Nos vins rouges de Languedoc, tirés du tonneau, & que l'on met dans du verre, se décolorent entierement au bout de dix ou quinze ans, & forment sur les parois du verre une croûte fort épaisse qui est un excellent tartre. Le vin décoloré qu'on verse dans une autre bouteille dépose encore du tartre qui est meilleur que le premier.

On distingue le tartre en blanc & en rouge : le premier est fourni par les vins blancs, & le second par les vins rouges. Nous n'avons à Montpellier & aux environs que du tartre rouge. Quoique tous les auteurs, & principalement les Pharmacologistes, dans toutes leurs formules, recommandent de prendre le tartre blanc de Montpellier ; ils ont confondu avec le tartre blanc la crême ou crystal de tartre qu'on prépare dans le bas Languedoc, & qui est en effet très-blanc.

On tire le vrai tartre blanc de plusieurs pays.

Certains cantons de l'Allemagne en fournissent beaucoup à Montpellier. On en retire du Vivarais ; & les teinturiers qui en emploient beaucoup, le font venir de Florence.

Le blanc est toujours préféré au rouge, à cause qu'il contient moins de parties étrangeres ; car le tartre rouge ne differe du blanc que parce qu'il contient beaucoup de parties colorantes du vin rouge, qui est une substance absolument étrangere à la composition propre du tartre.

Le tartre rouge est celui que nos vins nous fournissent en abondance & le seul qu'on emploie dans le bas Languedoc, dans nos fabriques de crystal de tartre, ce qui n'empêche point que ce crystal ne soit très-parfait ; puisque la purification dont il sera question plus bas, & par laquelle on convertit le tartre en crystal de tartre, lui enleve entierement toute cette partie colorante & étrangere. Il faut choisir l'un & l'autre en grosses croûtes, épaisses, dures, pesantes, & dont les surfaces qui touchent au vin, soient hérissées de plusieurs petits points brillans, car ces points sont des crystaux, & dès - lors on est assuré qu'un tel tartre donnera dans la purification beaucoup de crystal.

Les vins blancs donnent beaucoup moins de tartre que le rouge ; on le retire l'un & l'autre des parois du tonneau auxquels il est fort adhérent, par le moyen d'un instrument de fer tranchant qu'on appelle racloire.

Le tartre non purifié, tel qu'on le retire du tonneau, s'appelle tartre crud ; & celui qui est purifié par la manoeuvre que nous exposerons plus bas, s'appelle crême ou crystal.

Le tartre crud paroît formé par un sel acide d'une nature fort singuliere, & principalement remarquable par son état naturel de concrétion, & par sa difficile solubilité dans l'eau, propriétés que les Chimistes déduisent de l'union de cet acide à une matiere huileuse, & à une quantité considérable de terre, le tout chargé d'une terre surabondante & d'une matiere colorante, qui sont précisément les matieres qu'on sépare par la purification.

On retire par la distillation du tartre crud à feu nud & graduellement élevé, dans une cornue les produits suivans ; 1°. une eau insipide ; 2°. une eau légerement acide ; 3°. quelques gouttes d'huile claire, un peu jaunâtre, pénétrante ; il passe en même tems un esprit que le sentiment dominant donne pour un acide, mais qui est un alkali volatil foible ; c'est dans le tems que commencent à passer ces produits, que l'air se dégage de la composition du tartre, & qu'il sort avec violence ; 4°. de l'huile plus épaisse & de l'air ; 5°. de l'alkali volatil qui est quelquefois concret & qui s'attache au col de la cornue, ou dans le ballon ; 6°. le résidu ou produit fixe n'est pas un charbon pur, il contient un alkali fixe tout formé. C'est un fait unique en Chimie, il n'est pas du tout semblable aux charbons qui restent après la distillation des végétaux, qu'il faut brûler pour détruire la partie phlogistique, afin de pouvoir en retirer le sel lixiviel. Le résidu du tartre donne au contraire, par la simple lixiviation & évaporation, & sans avoir fait précéder la calcination, le sel alkali pur & bien blanc ; c'est ce sel qu'on appelle improprement sel de tartre. Voyez ALKALI FIXE sous le mot générique SEL.

L'alkali fixe de tartre peut se préparer aussi en brûlant le tartre à l'air libre. Ce sel est la base du nitre, ce sont les alkalis fixes de cette espece les plus purs, & les plus employés dans les travaux chimiques ; c'est ce sel tombé en deliquium, qui est connu dans le langage vulgaire de l'art sous le nom d'huile de tartre, par défaillance. Voyez DELIQUIUM & ALKALI FIXE sous le mot SEL.

Le tartre crud est d'un grand usage dans les arts, mais principalement dans les teintures ; un célebre teinturier de cette ville m'a dit, qu'il l'employoit avec succès dans la teinture en noir, pour les étoffes de laine ; il sert encore pour les débouillis. Nous parlerons plus amplement de son emploi par rapport aux teintures en parlant de la crême de tartre à la fin de cet article.

En Médecine on se sert peu du tartre crud, on le fait entrer dans quelques opiates officinales apéritives dans les dentifrices, voyez DENTIFRICE, mais on préfere ordinairement celui qui est purifié : quant aux propriétés de l'alkali fixe du tartre, voyez ALKALI FIXE sous le mot SEL.

L'esprit de tartre, c'est - à - dire son alkali volatil sous forme liquide, est mis par les auteurs au rang des remedes destinés à l'usage intérieur, & sur-tout lorsqu'il est rectifié. Il passe pour diurétique, diaphorétique, hystérique, bon contre l'asthme, la paralysie, l'épilepsie. Ce remede est peu usité ; & il n'a que les qualités communes des esprits alkalis volatils, huileux. On pourroit pourtant le donner à la dose moyenne d'un gros, dans une liqueur appropriée.

L'huile distillée de tartre est rarement employée, même dans l'usage extérieur, & cela à cause de sa puanteur qu'on peut lui enlever, il est vrai, en très-grande partie en la rectifiant à l'eau ; mais comme cette huile n'a que les vertus communes des huiles empireumatiques traitées de la même maniere ; il est très-peu important de préparer celle-ci par préférence pour l'usage médicinal. Voyez ALKALI VOLATIL sous le mot générique SEL, & HUILE EMPIREUMATIQUE sous le mot HUILE.

Les Chymistes employent le tartre crud, rouge & blanc, comme fondant simple, & comme fondant réductif, dans la métallurgie ; mêlé à parties égales de nitre & brûlé, fait l'alkali fixe extemporaneum, il s'appelle encore flux blanc, avec demi - partie de nitre flux noir, voyez FLUX DOCISMATIQUE, il entre dans le régule d'antimoine ordinaire, dans la teinture de mars, dans les boules de mars, dans le tartre chalibé dans le lilium de Paracelse, & dans le syrop de roses pâles, composé du codex, &c.

Voici la maniere dont on prépare, l'on dépure & on blanchit la crême ou le crystal de tartre. La description de cette opération est tirée d'un mémoire de M. Fizes, qui est imprimé dans le volume de l'académie royale des Sciences pour l'année 1725.

Je ferai observer auparavant, que les fabriques de crystal de tartre se sont fort multipliées depuis la publication du mémoire de M. Fizes ; nous en avons à Montpellier, il y en a du côté d'Uzès, à Bedarieux, &c. On m'assure qu'il y en a en Italie, dans le duché de Florence. M. Fizes a composé son mémoire d'après celles qui étoient établies, à Aniane & à Calvisson.

" Les instrumens qui servent pour faire le crystal de tartre sont ; 1°. une grande chaudiere de cuivre appellée boulidou, qui tient environ quatre cent pots de la mesure du pays ; elle est enchâssée toute entiere dans un fourneau.

2°. Une cuve de pierre plus grande que la chaudiere, & placée à son côté à deux piés de distance.

3°. Vingt - sept terrines vernissées, qui toutes ensemble tiennent un peu plus que la chaudiere ; ces terrines sont rangées en trois lignes paralleles, neuf sur chaque ligne ; la premiere rangée est à 3 ou 4 piés de la chaudiere & de la cuve ; les deux autres sont entr'elles à une petite distance, comme d'un pié.

4°. Neuf manches ou chausses d'un drap grossier appellé cordelat ; ces manches aussi larges par le bas que par le haut, ont environ 2 piés de longueur sur neuf pouces de largeur.

5°. Quatre chauderons de cuivre, qui tous ensemble tiennent autant que la chaudiere, ils sont à-peu-près égaux, & d'environ cent pots chacun ; ils sont placés sur des appuis de maçonnerie éloignés du fourneau.

6°. Un moulin à meule verticale pour mettre le tartre crud en poudre. Il y a encore quelques autres instrumens de moindre conséquence, dont il sera fait mention dans la suite de ce mémoire.

L'on commence à travailler vers les deux à trois heures du matin, en faisant du feu sous la chaudiere que l'on a remplie la veille de deux tiers de l'eau qui a servi aux cuites du tartre de ce même jour, & d'un tiers d'eau de fontaine. Lorsque l'eau commence à bouillir, on y jette trente livres de tartre en poudre ; & un quart - d'heure après, on verse avec un vaisseau de terre la liqueur bouillante dans les neuf manches, qui sont suspendues à une perche placée horisontalement sur trois fourches de bois de trois piés & demi de haut. Les neuf premieres terrines qui se trouvent sous ces manches étant presque pleines, on les retire, & on place successivement sous ces manches les autres terrines.

Dans l'espace de moins d'une demi-heure ; & l'eau filtrée étoit encore fumante dans ces terrines, on voit des crystaux se former sur la surface, il s'en forme aussi dans le même tems contre les parois & aux fonds des terrines.

Pendant que les crystaux se forment ainsi, les ouvriers, sans perdre de tems, versent dans la chaudiere l'eau qui a été retirée des quatre chauderons, où s'est achevé le jour précédent le crystal de tartre ; & quand elle commence à bouillir, on y jette trente livres de tartre crud en poudre : cependant l'on verse par inclination l'eau des vingt-sept terrines dans la cuve de pierre, ayant eu soin avant de la verser, de remuer avec la main la surface de cette eau, afin d'en faire précipiter sur le champ les crystaux au fond de la terrine. Après que ces terrines ont été vuidées, on y voit les crystaux attachés au fond & aux côtés ; pour-lors le tartre se trouvant avoir bouilli un quart-d'heure, on filtre comme auparavant la liqueur bouillante dans les mêmes vingt-sept terrines chargées des crystaux précédens ; & pendant que cette liqueur se refroidit & qu'il se forme de nouveaux crystaux, on fait, sans perdre de tems, passer l'eau de la cuve dans la chaudiere, en la versant avec un vaisseau de terre ; & lorsqu'elle commence à bouillir, on y jette la même quantité de tartre crud en poudre qu'aux deux autres cuites. On filtre ensuite dans les mêmes terrines dont on vient de vuider l'eau dans la cuve, & qui sont chargées de plus en plus de crystaux : en un mot, on fait dans la journée successivement cinq cuites & cinq filtrations semblables, en se servant pour les trois dernieres cuites, de l'eau qu'on a versée des terrines dans la cuve.

Il s'employe environ deux heures & demie à chaque cuite, y comprenant la filtration qui la suit & qui se fait en peu de tems, ensorte que la cinquieme cuite finit vers les trois heures du soir. On laisse alors refroidir les terrines pendant deux heures ; & après en avoir versé l'eau dans la cuve, on les trouve fort chargées de crystaux, que les ouvriers appellent pâtes. Quand ils ont versé l'eau des terrines dans la cuve, ils ont laissé ces pâtes avec assez d'humidité pour pouvoir les détacher plus commodément avec une racloire de fer ; & les ayant ainsi ramassées, ils en remplissent quatre terrines, où ils les laissent rasseoir un quart-d'heure pour que l'eau qui surnage s'en sépare, afin de pouvoir la verser dans la cuve. Ces pâtes paroissent pour-lors grasses, rousses & pleines de crystaux blanchâtres : on lave par trois fois avec de l'eau de fontaine dans ces mêmes terrines ces pâtes, les y agitant avec les mains, & les retournant plusieurs fois les unes sur les autres, l'eau qui a servi à la premiere de ces lotions que l'on verse après est très-foncée, celle de la deuxieme est roussâtre, & celle de la troisieme un peu trouble ; enfin les pâtes deviennent d'un blanc tirant sur le roux.

L'on remarquera ici, 1°. qu'après chaque filtration qui suit la cuite, on nettoie les manches ; 2°. que les eaux que l'on verse par inclination des terrines dans la cuve après la formation des crystaux, sont d'un roux foncé & d'un goût aigrelet ; 3°. qu'après la derniere cuite l'on retire de la cuve l'eau du dessus, dont on emplit les deux tiers de la chaudiere pour servir avec un tiers d'eau de fontaine à la premiere cuite qui doit se faire le lendemain matin, comme on l'a dit au commencement de l'opération : on fait écouler le reste de l'eau de la cuve en débouchant un trou dont elle est percée auprès du fond ; & comme l'on trouve ordinairement encore quelques quantités de pâtes ramassées au fond de la cuve, on les lave dans quatre ou cinq pots d'eau froide différente pour les mettre avec les autres.

Toutes ces pâtes ayant été formées par le travail de toute la journée, elles sont mises en réserve dans un baquet pour être employées le lendemain, comme nous l'allons dire.

A dix heures du matin, on remplit d'eau de fontaine les quatre chauderons de cuivre, qui sont placés sur une même ligne au fond de l'attelier sur des petits murs de la hauteur de deux piés, afin de pouvoir aisément faire du feu dessous, & le retirer ensuite quand il le faut. Cependant on a détrempé un peu auparavant dans une terrine avec quatre ou cinq pots d'eau, quatre ou cinq livres d'une terre qui se trouve à deux lieues de Montpellier auprès d'un village appellé Merviel. Cette terre est une sorte de craie blanche (a), composée d'une substance grasse, qui blanchit l'eau & la rend comme du lait épais, & d'une substance sablonneuse, dure, qui ne peut se dissoudre & qui reste au fond de la terrine. On verse doucement cette eau blanchie dans deux chauderons, on fait sur le champ une nouvelle détrempe de pareille quantité de cette terre blanche, & on l'emploie comme la premiere pour blanchir l'eau des deux autres chauderons, prenant garde en versant qu'il ne tombe rien de la partie sablonneuse qui doit rester toute entiere au fond de la terrine en petits morceaux ".

J'ai remarqué moi-même que ces petits morceaux indissolubles méchaniquement dans l'eau, & qui restent au fond du vaisseau, étant bien lavés faisoient le plus souvent effervescence avec les acides minéraux. Ce qui démontre ce que j'ai avancé dans la note précédente.

" L'eau des quatre chauderons étant ainsi blanchie, on allume le feu ; & lorsqu'elle est bouillante, on y jette les pâtes qu'on distribue également dans chacun ; on continue l'ébullition, & il se forme bientôt une écume blanchâtre & sale, que l'on retire par le moyen d'une sorte d'écumoire de toile grossiere : peu de tems après & la liqueur continuant à bouillir, il se forme sur la surface une crême ; & lorsqu'on a encore laissé bouillir un quart-d'heure, on retire entierement le feu de dessous les chauderons. La crême pour-lors durcit peu-à-peu, & paroît inégale, raboteuse & comme ondée. On laisse ces chauderons sans feu, & sans y toucher que le lendemain vers les trois ou quatre heures du matin, tems suffisant pour que l'opération soit achevée. Cette crême, de molle qu'elle étoit, est devenue une croute blanche & raboteuse, qui couvre entierement la surface de l'eau ; elle est épaisse d'une ligne & demie, & n'est pas si dure que celle que l'on trouve attachée à toute la surface du fond & des côtés du chauderon, la premiere se nomme crême de tartre, & la seconde crystal de tartre ; celle-ci est épaisse d'environ trois lignes, & a ses crystaux plus distincts. Quoique je n'aye pu cependant y rien observer de régulier, on voit seulement d'un côté & d'autre qu'ils ont différentes facettes luisantes (b).

Voici la maniere dont on retire toutes ces concrétions salines. On creve en différens endroits la croute de la surface, on jette par-dessus de l'eau avec la main ; & quoiqu'elle ne soit secouée qu'assez foiblement, on la voit précipiter sur le champ. On vuide ensuite l'eau des baquets, en faisant pancher le chauderon, elle sort rousse & assez claire, jusque vers le fond où elle devient alors épaisse, trouble & plus foncée. Quand on est parvenu à la voir de cette couleur, on jette dans le chauderon cinq ou six pots d'eau de fontaine que l'on renverse d'abord ; & en frappant les bords de ce chauderon avec une piece de fer, on fait par cet ébranlement séparer & tomber par morceaux le crystal de tartre dans le fond du chauderon où il se mêle avec la crême de tartre qui y a déja été précipitée. On jette encore de l'eau de fontaine, & on remue le tout ensuite avec la main, ensorte que cette eau qui a servi à cette lotion, n'en sort que trouble, blanchâtre, & chargée de cette terre que l'on avoit employée ; on continue ces lotions jusqu'à ce que l'eau sorte claire. On ramasse ensuite le crystal de tartre mêlé avec la crême ; on l'étend sur des toiles pour le faire sécher, ou au soleil, ou à l'étuve, & on a pour-lors le crystal de tartre très-dépuré & bien blanc.

Il faut être attentif à séparer dans les tems marqués le crystal de tartre, parce que si on le laissoit quelques heures de plus dans le chauderon, les crystaux roussiroient.

Lorsqu'on fait cette séparation, l'eau est encore un peu tiede & a un goût aigrelet ; si on la laissoit entierement refroidir, la crême de tartre ne se soutiendroit plus sur la surface, mais se précipiteroit d'elle-même.

L'on retire de chaque chauderon vingt-deux à vingt-trois livres de crystal & de crême de tartre prises ensemble ; ensorte que cent cinquante livres

(a) Cette terre n'est pas une craie ; si elle l'étoit, elle feroit union avec l'acide du tartre, avec laquelle elle a plus de rapport qu'avec la partie grasse & colorante, & formeroit un sel neutre, & ne convertiroit point le tartre en crême. C'est une terre argilleuse d'un blanc sale, qui contient quelquefois un peu de sable ou de terre calcaire, mais en si petite quantité, que les trois acides primitifs versés sur cette glaise ne font point d'effervescence. J'ai cependant apperçu quelquefois sur certains morceaux de cette terre que l'acide nitreux donnoit quelques légeres marques d'effervescence. Ce qui prouve seulement que cette terre étoit mêlangée de quelque peu de terre calcaire, mais le fond de la terre employée est une argille. Dans certaines fabriques nouvellement établies & qui sont éloignées de Merviel, on a trouvé d'autres mines de cette argille pour s'en servir aux mêmes usages que de la terre de Merviel, & toutes ces découvertes ont été faites par des simples ouvriers qui ignorent la Chimie.

(b) Voici ce que j'ai observé, tant sur la crystallisation du tartre crud, que du crystal de tartre. Le tartre, tel qu'on le retire des tonneaux de vin, a de très-petits crystaux, dont la plûpart sont terminés par des faces inclinées entr'elles sous un angle droit ; mais des que ce sel est blanchi & purifié par la terre de Merviel, sa crystallisation est assez changée, & on n'y voit guere plus de parallelipipedes rectangles. Ce sel qui, à cause de son peu de dissolubilité, exige une grande quantité d'eau & même bouillante, se crystallise toujours avec précipitation lorsque la dissolution se refroidit ; aussi ne donne-t-il que de très-petits crystaux, même dans le travail en grand, ces crystaux sont composés de grouppes, d'une grande quantité de prismes assez irréguliers, dont les faces brillantes sont toutes paralleles & rangées dans trois plans. On distingue très-bien que ce ne sont ni des lames ni des aiguilles. Pour observer la forme la plus réguliere du crystal de tartre, il faut le faire dissoudre dans de l'eau bouillante : quand cette eau en est bien chargée, on en verse sept ou huit gouttes sur une glace de miroir non-étamée ; dès qu'on s'appercevoit qu'après le refroidissement il s'est formé sur la glace un nombre suffisant de crystaux pour l'observation, on incline la glace doucement pour faire écouler l'eau, qui autrement auroit continué de donner des crystaux, & le grand nombre de ces crystaux qui sont disposés à se groupper, auroit empêché qu'il eussent été isolés ; ce qui est nécessaire pour l'observation. On a, par ce moyen, des crystaux assez régulierement terminés, mais fort petits, on se sert d'un microscope ou d'une lentille d'environ une demi-ligne de foyer pour les bien observer. Ce sont des prismes un peu applatis, dont la plus grande face est le plus souvent exagone, quelquefois octogone, & qui paroissent avoir six faces. Si l'eau est moins chargée & la crystallisation plus promte, leur applatissement est un peu plus considérable.

de tartre, qui ont été employées en cuites, fournissent quatre-vingt-huit ou quatre-vingt-douze livres, tant de crystal, que de crême. Ainsi le tartre crud ordinaire fournit les trois cinquiemes de son poids ou environ ; mais le tartre blanc crystallin & bien choisi, en fournit les deux tiers ".

On voit par ce procédé qui est fort simple, qu'on dépouille le tartre de sa partie colorante & d'une partie de sa terre. Le tartre étant un des sels des plus difficiles à dissoudre dans l'eau, on est obligé de le faire bouillir à grande eau, pour le tenir en dissolution, afin que la terre de Merviel, ou toute autre terre argilleuse blanche, s'unisse à la partie grasse & colorante, avec laquelle elle a plus de rapport qu'avec le sel. Par cette manoeuvre ingénieuse on a un sel bien blanc & bien pur, ce qui est d'une grande utilité pour les arts, & un grand avantage pour l'usage qu'on en fait en médecine & dans les travaux chimiques.

Le crystal ou crême de tartre est d'un emploi immense dans l'art de la teinture ; cette grande consommation de ce sel est la cause qu'on en a dans le bas Languedoc multiplié les fabriques. Ce sel est employé principalement dans les teintures de laines, conjointement avec l'alun pour les préparer à recevoir les parties colorantes de matieres végétales qui font le fondement de la couleur. Avant de teindre les laines en écarlate ou autres rouges, &c. on les fait passer par une préparation que les Teinturiers appellent bouillon, & on fait entrer du tartre dans presque tous les bouillons employés aux teintures de bon teint ; mais on préfere le crystal de tartre. Ces bouillons contiennent d'ailleurs presqu'aussi constamment de l'alun. Un teinturier de cette ville m'a dit que le crystal de tartre étoit mis dans ce bouillon pour détruire cette grande stipticité que l'alun exerce sur les laines. D'ailleurs le crystal de tartre adoucit beaucoup les fibres de la laine, & les dispose à recevoir les corpuscules colorans. Le crystal de tartre est encore si fort employé dans les teintures par sa qualité de sel très-dur, & presque indissoluble dans l'eau froide, ouvrant les pores du sujet qu'on veut teindre, y développant les atomes colorans, & les fixant de maniere que l'action de l'air & du soleil ne les puisse détruire.

Je ne finirois point sur l'emploi du crystal de tartre dans la teinture des laines & des soies, si j'étois obligé de nommer toutes les couleurs où préliminairement l'on fait entrer la crême de tartre. Voyez TEINTURE, voyez aussi l'article de la teinture par M. Hellot.

On se sert encore de la crême de tartre pour dissoudre avec l'eau commune le verd-de-gris, ce qui donne un beau vert céladon ; cette couleur s'emploie sur le papier, par exemple, pour les plans, pour les cartes géographiques, pour les estampes à découpures : on appelle cette couleur verd d'ingénieur. Lorsque la dissolution est trop chargée de crême de tartre, elle luit sur le papier, comme si on l'avoit chargée de beaucoup de gomme arabique ; ainsi il n'est point nécessaire de faire entrer dans cette couleur, la moindre dose de cette gomme.

Le crystal de tartre est fort employé en médecine & en chimie. Plusieurs chimistes se sont occupés à rechercher à le rendre plus soluble qu'il n'est. M. le Fevre, médecin d'Uzès, a trouvé que le borax uni à la crême de tartre, ou crystal de tartre, le rendoit plus soluble dans une moindre quantité d'eau qu'il ne se dissout ordinairement. Voyez les mémoires de l'académie royale des Sciences, pour l'année 1728. MM. Duhamel & Grosse ont trouvé que le sel de soude produisoit le même effet ; l'eau de chaux, la chaux d'écailles d'huitres, celle de la stalactite, celle du gips, la stalactite, les écailles d'huitres, les yeux d'écrevisses non calcinés, les différentes craies, la corne de cerf calcinée, rendent la crême de tartre soluble, & forment des sels neutres par leur combinaison. Voyez les mémoires de l'académie royale des Sciences, année 1732 page 323 ; & 1733, page 260. M. de la Sône a trouvé qu'une partie de sel sédatif rendoit soluble quatre parties de crême de tartre. Voyez les mémoires de la même académie, année 1755.

M. Pott, fameux chimiste de Berlin, dit dans sa Dissertation sur l'union de l'acide du vitriol avec l'acide du tartre, que l'huile de vitriol mêlée avec deux parties de tartre sec en poudre, ou à parties égales, ne fait point d'effervescence, d'écume, ni de vapeur ; mais qu'en remuant le mêlange, il s'échauffe un peu, devient mol, forme une poix artificielle. Si on distille ce mêlange, on a 1°. un acide de tartre très-actif, que M. Venel a dit dans les séances de la société Royale, être un vrai acide nitreux qui pouvoit en être retiré immédiatement, par un procédé particulier, dans un état pur, nud ; ce qui étoit un des faits par lesquels il démontroit le nitre entier dans le tartre : 2°. de l'acide sulphureux volatil. Quand on a pris parties égales d'huile de vitriol & de tartre, on n'obtient point d'huile dans la distillation ; au contraire, avec deux parties de tartre il se manifeste un peu d'huile vers la fin de la distillation.

J'ai remarqué en faisant du sel végétal avec certaines crêmes de tartre, qu'il se précipitoit beaucoup de terre ; & avec quelques autres, qu'il s'en précipitoit moins. La plupart de ces terres faisoient effervescence avec les acides. Une partie de cette terre pourroit avoir été unie à la crême de tartre dans la purification, puisque la terre argilleuse qu'on y emploie contient quelquefois un peu de terre calcaire.

La crême de tartre est employée efficacement en médecine, dans les fievres ardentes, dans toutes sortes d'obstructions, dans les maladies cachectiques & hypocondriaques. On l'ordonne souvent avec succès, dans les accès de fievre ; on la mêle aux doux laxatifs, comme la casse. Son indissolubilité est la cause qu'on ne peut l'ordonner qu'à petite dose dans les purgations où il n'entre pas de casse ; car j'ai remarqué que la moëlle, ou les bâtons de casse qu'on fait bouillir avec la crême de tartre bien en poudre fine, étoit propre à en dissoudre une plus grande quantité que l'eau seule. Il suffit de la faire entrer dans les purgations sans casse, à la dose d'un gros jusqu'à deux ; on peut la donner à la dose de demi-once, quand on l'emploie avec la casse, & sur-tout pour une médecine en deux verres. Je crois qu'elle s'y dissoudra parfaitement en soutenant l'ébullition un bon quart d'heure.

La crême de tartre est très-employée pour cailler le lait, dont on fait le petit-lait. On fait entrer la crême de tartre dans les opiates fébrifuges, apéritives, purgatives, mésentériques, &c. Elle entre dans la poudre cornachine, dans la poudre pour la goutte purgative, dans la conserve de roses rouges solide, dans la poudre tempérante de Stahl, &c.

La chymie s'en sert dans beaucoup de ses opérations ; elle entre dans le sel végétal ou tartre soluble, dans le sel de seignette, dans le tartre émétique, dans la panacée antimoniale, & dans la teinture de Mars tartarisée, extrait ou syrop de Mars, dans la teinture martiale de Ludovic, &c. Article de M. MONTET, maître apoticaire, & membre de la société royale des Sciences de Montpellier.

TARTRE, (Médecine) ce sel & ses différentes préparations sont d'usage en médecine ; on les emploie dans tous les cas où il faut ouvrir les voies & pousser par les selles & par les urines.

Le tartre purifié avec la terre de Merviel est d'usage sous le nom de crême de tartre ; on l'ordonne dans les potions purgatives & apéritives en qualité de laxatif & de sel neutre. La dose est de demi-once : on l'emploie même pour les goutteux, ce qui prouve que le médicament est par lui-même innocent, mais il se dissout facilement.

Le tartre alkalisé ou l'alkali du tartre est aussi d'usage ; c'est le meilleur de tous les alkalis que la médecine puisse employer. C'est un grand diaphorétique, un absorbant & un stomachique.

La liqueur acide tirée par la distillation du tartre, est calmante, rafraîchissante, bonne dans les fievres ardentes ; on en donne dans les tisanes, dans les juleps.

Tartre soluble. Le tartre par lui-même est insoluble dans l'eau froide ; mais lorsque le feu l'a pénétré, & que l'acide est incorporé de nouveau avec l'alkali, il est plus aisé à fondre, & c'est le tartre soluble.

Ce sel est un purgatif doux, ci-devant fort à la mode, que l'on ordonnoit à la dose d'une demi-once ou d'une once dans une pinte d'eau de riviere. Il entre encore aujourd'hui dans les médecines ordinaires ; mais son crédit est tombé depuis que le sel de la Rochelle & le sel d'Epsom ont fait fortune en médecine.

TARTRE STIBIE ou EMETIQUE, est une préparation d'antimoine faite avec son foie & son verre à parties égales avec le double de crême de tartre.

Cet émétique est le meilleur & le plus assuré de tous. On peut le donner sous telle forme & à telle dose que l'on veut ; & d'autant que l'on connoît sa dose & sa vertu, on peut l'augmenter ou le diminuer plus aisément au gré du médecin, selon les forces du malade & l'exigence des maladies ; car, selon les observations des plus habiles chimistes, le tartre émétique qui contient un quart de grain de régule par grain est trop violent, mais celui qui ne contient que trois seiziemes de grains par grain est fait en proportion qui est bonne & sûre ; car il fait vomir efficacement à la dose de deux ou deux grains & demi ; car il introduit alors dans l'estomac six ou sept seiziemes de grains & de régule.

La façon la plus sûre de donner l'émétique d'antimoine, est de le prescrire dans un poisson ou deux d'eau à la dose de deux grains, lorsqu'on veut faire vomir efficacement. Sur quoi il faut savoir que le grand lavage ou véhicule l'étend trop & émousse ses pointes, de même que donné à trop petite dose, comme à un grain, à un quart de grain, il fatigue violemment sans exciter le vomissement ; il faut un milieu.

C'est la vertu émétique du tartre stibié, qui le rend le spécifique assuré dans toutes les maladies qui proviennent de plénitude d'estomac ; c'est un grand préservatif dans les maladies inflammatoires, dans les engorgemens du cerveau, parce qu'en irritant l'estomac, il agit violemment sur le cerveau, & lui donne des secousses qui aident à dégorger ses vaisseaux du sang qui n'y peut circuler. L'émétique stibié donné à-propos dans le cas de sabure ou de crudité, l'évacue puissamment, & empêche les mauvais effets que son passage dans les secondes voies pourroit y causer. Mais pour produire sûrement cet effet, il faut connoître cet état avant de l'ordonner, & y préparer dûment le malade selon les circonstances, par la saignée & la boisson, quoiqu'il est bien des cas où il faut employer cet émétique sans aucun préliminaire, comme dans l'apoplexie, dans l'indigestion, dans la plénitude des premieres voies sans aucune marque de chaleur, & souvent même dans la foiblesse, dans l'engourdissement des membres, la pesanteur de tête, l'accablement, la lassitude. Qui connoîtra sûrement les indications & la façon de placer ce remede, pourra s'assurer de pratiquer avec succès dans toutes sortes de maladies, soit aiguës & chroniques. C'est le plus court moyen d'abréger le traitement des maladies, quelle qu'en soit la cause.

Le tartre stibié devient altérant, apéritif, & diaphorétique ou tonique, lorsqu'il est donné à grande dose & en lavage ; alors continué pendant long-tems, il rétablit au mieux le ressort de l'estomac affoibli par les crudités ou la trop grande quantité d'alimens. Les convalescens se trouvent bien de son usage en guise d'eau minérale.

TARTRE SOLUBLE, teinture de, elle est apéritive, diurétique, emmenagogue & purgative ; elle est aromatique ; elle échauffe, consolide les plaies, déterge les ulceres.

Tartre régénéré, ou terre foliée du tartre. C'est le plus grand résolutif que nous ayons, un fondant, un désobstructif savonneux, huileux & acide en même tems combiné avec un alkali ; il est volatil, & peut passer pour le sel volatil de tartre de Vanhelmont, aussi efficace que l'alkaest, & préférable à beaucoup de remedes inventés par la chimie ; c'est le vinaigre radical des Chimistes. La teinture de tartre régénéré est aussi un remede efficace ; car elle unit l'alkali, l'acide & l'esprit huileux des végétaux. Ce tartre folié dissout ainsi dans l'alkool, est le petit elixir des anciens chimistes ; il leve les obstructions ; il pénetre dans les plus petits vaisseaux ; il ranime les facultés vitales & guérit par les sueurs ; il peut surmonter les maladies les plus opiniâtres.

Tartre regénéré plus commun. On peut, selon M. Boerhaave, faire un tartre regénéré moins dispendieux, en mêlant la potasse avec quinze fois autant de vinaigre ; en coulant sa solution & la faisant épaissir, ce qui est une opération facile.

Pline parle de ce remede, & dit que la cendre de sarment dissoute dans le vinaigre guérit les maladies de la rate.

TARTRE VITRIOLE, (Médecine) ce sel a toutes les propriétés des sels vitriolisés ; il est composé de l'acide vitriolique, qui est un grand apéritif, & du tartre alkalisé ; qui est aussi fort attenuant. Les deux réunis doivent former un grand désobstruant ; aussi s'en sert-on dans les apozèmes atténuans & désobstruans, dans les affections du foie & de la rate.

Ce sel est un des plus actifs que nous ayons ; il est plus actif que le sel de Glauber, & le même que le sel de duobus & le sel polychreste de Glaser.

La dose est d'un gros dans une potion ordinaire ; mais en lavage on l'ordonne à deux gros, & jusqu'à trois.

Nota. Que si l'huile de vitriol qui a servi à faire ce sel étoit chargée de particules cuivreuses, ce que l'on reconnoît par la couleur verte de l'eau où se fait la dissolution, & par la couleur terne & bleue du sel, il faut le calciner, ou le refondre pour lui ôter ce cuivre qui le rendroit émétique.

Ce remede n'est pas autant employé qu'il le devroit être.

TARTRE, (Teinture) les Teinturiers mettent le tartre au nombre des drogues non colorantes, c'est-à-dire, qui ne servent point à donner de la couleur aux étoffes, mais qui les préparent à la recevoir. Cette drogue bien ou mal employée dans les bains ou bouillons, met une grande différence dans les teintures.

La crême ou crystal de tartre qu'employent les Teinturiers du grand teint, n'est autre chose que le tartre blanc ou rouge mis en poudre, & ensuite par le moyen de l'eau bouillante, de la chausse & de la cave, réduit en petits crystaux blancs. (D.J.)

TARTRE MARTIAL ou CALIBE, (Mat. méd.) voyez MARTIAL.


TARUDANT(Géog. mod.) ville d'Afrique, au royaume de Maroc, capitale de la province de Sus, dont elle porte aussi le nom. Elle est à deux lieues au midi du grand Atlas, & passe encore pour une des bonnes villes d'Afrique par son commerce. Long. 9. 52. latit. 29. 18. (D.J.)


TARUIDUMou TARUEDUM, (Géog. anc.) promontoire de la Grande-Bretagne. Ptolémée, l. II. c. iij. le marque sur la côte septentrionale après l'embouchure du fleuve Naboeus. On croit que c'est présentement Dungisbehéad en Etolie, dans la province de Cathnet. (D.J.)


TARUNTIUSS. m. (Astronom.) c'est le nom de la quarantieme tache de la lune, suivant le catalogue que le p. Riccioli nous en a donné dans sa sélénographie. (D.J.)


TARUS(Géog. anc.) fleuve d'Italie, dans la Gaule cispadane, selon Pline, l. III. c. xvj. Il a conservé son nom ; on l'appelle Taro. (D.J.)


TARUSATES(Géog. anc.) peuple de la Gaule aquitanique, & dont César, liv. III. ch. xxiij. & xxvij. fait mention. M. Samson, dans ses remarques sur la carte de l'ancienne Gaule, dit : on ne dispute presque plus aujourd'hui que le pays des Tarusates ne soit le Tursau, & Aire est la capitale du Tursau. (D.J.)


TARYS. m. (terme de relation.) c'est ainsi que les voyageurs appellent la liqueur qui distille des cocotiers ; c'est le seul vin que l'on recueille dans le pays de Malabar, & même dans toute l'Inde ; car la liqueur qui se tire des autres especes de palmiers, est presque de même nature que celle qui sort du cocotier. Ce vin n'est pas à beaucoup près si agréable que celui que l'on exprime des raisins, mais il enivre tout de même. Quand il est récemment tiré, il est extrêmement doux ; si on le garde quelques heures, il devient plus piquant, & en même tems plus agréable ; il est dans sa perfection du soir au matin ; mais il s'aigrit au bout de vingt-quatre heures.

On n'a point dans les Indes d'autre vinaigre que celui-là. En distillant le jus du cocotier, lorsqu'il est parvenu à sa plus grande force, & avant qu'il ait commencé de contracter de l'aigreur, on en fait d'assez bonne eau-de-vie ; on peut même la rendre très-forte en la passant trois fois par l'alembic.

Les Brésiliens ne s'adonnent point, comme les Indiens, à tirer le tary des cocos ; ils n'en font pas non plus d'eau-de-vie, parce que les cannes de sucre leur en fournissent suffisamment, & que d'ailleurs on leur en porte beaucoup de Lisbonne qui est bien meilleure que celle qu'ils pourroient faire. (D.J.)


TASMONCEAU, s. m. (Synonym. Gram.) ils sont également un assemblage de plusieurs choses placées les unes sur les autres, avec cette différence que le tas peut être rangé avec symmétrie, & que le monceau n'a d'autre arrangement que celui que le hazard lui donne.

Il paroît que le mot de tas marque toujours un amas fait exprès, afin que les choses n'étant point écartées, occupent moins de place, & que celui de monceau ne désigne quelquefois qu'une portion détachée par accident d'une masse ou d'un amas.

On dit un tas de pierres, lorsqu'elles font des matériaux préparés pour faire un bâtiment : & l'on dit un monceau de pierres, lorsqu'elles sont les restes d'un édifice renversé.

Tas se dit également au figuré en prose & en vers : l'orateur ne doit point étouffer ses pensées sous un tas de paroles superflues.

Un tas d'hommes perdus de dettes & de crimes.

Corneille.

Quoiqu'un tas de grimauds vantent notre éloquence,

Le plaisir est pour nous de garder le silence.

Despreaux.

(D.J.)

TAS, (Architect.) c'est le bâtiment même qu'on éleve. On dit retailler une pierre sur le tas, avant que de l'assurer à demeure. (D.J.)

TAS DE CHARGE, (Architect. Coup. de pierres) c'est une saillie de pierres dont les lits avancent les uns sur les autres, font l'effet d'une voûte ; desorte qu'il faut des pierres longues pour balancer la partie qui est sans appui. Mais ce genre d'ouvrage n'est bon qu'en petit, ou seulement pour les premieres pierres de la naissance d'une voûte. On voit de tels ouvrages au château de Vincennes près Paris, pour porter les crenaux.

TAS, (Arts méchaniques) espece d'enclume sans talon ni bigorne, & par conséquent quarrée. Il y en a de différentes grosseurs. Les tas des Orfevres sont plus forts que ceux des autres ouvriers. Un gros tas se forge, comme l'enclume, & s'aciere de même. Pour faire un tas à queue, on soude plusieurs barres de fer ensemble de la longueur & grosseur qu'on se propose de donner au tas. On commence par corroyer deux barres, puis davantage, pour parvenir à ce qu'on appelle enlever le tas ; cela fait, on tourne une virole de fer plat autour du bout des barres corroyées, pour former la tête du tas & lui donner plus de largeur qu'au reste du corps de la piece, & empêcher en même tems que les barres soudées ensemble ne s'écartent par quelque défaut de soudure, ce qui n'arrive que trop souvent, ou par la mauvaise qualité du fer, ou par la négligence du forgeron qui laisse des crasses entre les fers ; on prépare ensuite la table du tas, comme celle de l'enclume, on prend une barre d'acier quarré que l'on dresse en petites billes de la longueur d'un pouce & demi ; on les range debout toutes les unes à côté des autres, selon l'étendue de la table ; on les entoure d'une bande de fer plat que l'on nomme à maréchal ; cette bande tient les billes pressées ; on les soude, on les corroie ; la barre de fer qui les ceint, s'appelle étrier ; on laisse à l'étrier une queue qu'on nomme résigard : cette queue sert à manier la piece au feu & sur l'enclume ; après qu'on a soudé & corroyé les billes, on coupe avec la tronche l'étrier tout-au-tour, excepté à l'endroit où le résigard tient à la table, parce que c'est par le moyen de cette queue que l'on portera la table sur le tas ; on soude la table au tas ; cela fait, on sépare la queue. Il y a une autre maniere de faire la table d'un tas ; on prend une longue barre d'acier que l'on tourne plusieurs fois sur elle-même, jusqu'à ce que ses circonvolutions aient pris l'étendue que l'on veut donner à la table ; on y soude ensuite une barre de fer plat pour empêcher l'acier de brûler, lorsqu'on soudera la table au tas. On en fait autant aux têtes des marteaux.

Il y a des tas de différens noms, des tas à carreler, à embouter.

Ils servent à un grand nombre d'ouvriers différens. Voyez les articles suivans.

TAS, en terme de Boutonnier, c'est une espece de petite enclume à queue qui entre dans un billot, dont la partie grosse & ronde est gravée au milieu du bord d'un trou d'une certaine grandeur, lequel l'est lui-même d'un dessein en creux, dans son fond, pour imprimer ce dessein sur la calotte. On a plusieurs tas de différens desseins & grandeurs, selon l'exigence des cas. Voyez CALOTTE.

TAS, (Coutellerie) instrument dont se servent les Couteliers pour retenir les mitres des couteaux de table, c'est-à-dire, y former ce rebord qui est entre la lame du couteau & la soie ou qui sert à l'emmancher. Savary.

TAS A PLANER, (outil de Ferblantier) c'est un morceau de fer quarré dont la face de dessus est fort unie & polie, & la face de dessous est faite en queue, pour être posée & assujettie sur un billot. Les Ferblantiers s'en servent pour planer & emboutir les pieces de ferblanc qu'ils emploient. Voyez les Planches du Ferblantier.

TAS A SOYER, outil de Ferblantier, ce tas est fait à-peu-près comme une bigorne dont les deux pans sont quarrés, & forment une espece de demi-cercle en-dedans ; la face de dessus ce tas est garnie de plusieurs fentes faites dans le large de cette face, les unes un peu plus larges & profondes que les autres. Les Ferblantiers s'en servent pour faire le rebord ou ourlet des entonnoirs & autres ouvrages. Voyez les Planches du Ferblantier.

TAS, les Graveurs se servent de ce terme pour exprimer une espece de petite enclume qui leur sert à repousser le cuivre par-derriere la gravure, lorsqu'il se trouve quelque défaut sur les planches. Voyez les Planches de la Gravure. La pointe que l'on voit au bas, est pour entrer dans le billot sur lequel le tas est posé.

TAS, (Horlogerie) petite enclume qu'on met dans un étau par sa partie inférieure. Voyez les Pl. & les fig. de l'Horlogerie.

Il y en a de plusieurs especes. La structure de la piece que l'on veut forger ou redresser par leur moyen, indique celui dont on doit se servir.

Les Horlogers, Orfevres & Metteurs-en-oeuvre sont ceux qui font le plus d'usage de cet outil.

TAS, en terme d'Orfevre, est une petite enclume à huit pans en quarré comme la grande ; elle n'en differe que par sa grandeur, & une queue qui entre dans le billot. Elle sert pour les petits ouvrages & pour planer. Voyez PLANER ; pour lors il faut qu'elle soit bien polie, de même que les marteaux. Voyez les Planches.

PETIT TAS, en terme d'Orfevre, c'est un morceau de fer plat de figure ovale & portatif, dont on se sert au-lieu d'enclume pour les ouvrages qui peuvent se frapper sur l'établi. Voyez ETABLI. Voyez les Planches.

TAS CANNELE, (Orfév.) c'est un tas de fer dans lequel on a gravé ou limé des moulures, & qu'on forme sur l'argent en frappant à coup de marteau. Il y a beaucoup de vaisselle ronde ancienne dont les moulures étoient frappées sur le tas ; mais depuis que l'on a perfectionné la vaisselle, ces sortes de tas ne sont plus guere d'usage.

TAS DROIT, terme de Paveur ; c'est une rangée de pavés sur le haut d'une chaussée, d'après laquelle s'étendent les aîles en pente, à droite & à gauche, jusqu'au ruisseau d'une large rue, ou jusque aux bordures de pierre rustique d'un grand chemin pavé. (D.J.)

TAS, en terme de Planeur, est une espece de petite enclume fort unie sur laquelle on plane les vaisselles plates. On le couvre de cuir, de bois, &c. quand il est question de polir l'ouvrage au marteau. Voyez les Planches.

TAS ou TASSEAU, (Tailland.) cet outil, de la nature des précédens, sert au taillandier à former le collet aux ciseaux, becs-d'âne, & autres outils semblables. Ses différentes parties sont la tête où l'on a pratiqué le quart où se place la soie des ciseaux ; le corps où il a une ouverture qui sert à faire sortir la soie du ciseau lorsqu'elle adhere ; la soie du tas même par laquelle elle se fixe dans le belier qui sert de base au tas.

TAS, (Tireur d'or) c'est une espece d'enclume, dont l'acoutreur se sert pour battre ses filieres en rebouchant les trous trop grands.

TAS, (Jeu de trictrac) en terme de trictrac on appelle le tas, l'amas des dames qu'on fait aux coins du trictrac avant que de commencer le jeu. C'est la même chose que la masse & la pile. Quand après avoir jetté son dé on porte sa main au tas, sans dire j'adoube, on est obligé de jouer du-moins une des dames du tas, suivant la loi, dame touchée dame jouée. Régles du trictrac. (D.J.)


TASAGORA(Géogr. anc.) ville de la Mauritanie césariense, selon l'itinéraire d'Antonin, qui la marque sur la route de Cala à Russocurum.


TASCHES. f. terme de Pêche, usité dans le ressort de l'amirauté d'Abbeville. C'est une sorte de pêche pratiquée par les pêcheurs de sur Somme, qui se servent de leurs heuillots ou goblettes, sorte de petits bateaux, pour faire la pêche des anguilles d'une maniere particuliere. Ils nomment cette pêche la tasche. Pour la faire ils prennent une quantité de vers de terre qu'ils enfilent d'un bout à l'autre avec un gros fil à coudre, jusqu'à ce que ce fil, d'une longueur proportionnée, en soit entierement rempli ; ils font avec ce fil ainsi amorcé, une pelote ou paquet qu'ils attachent avec une petite ficelle au bout d'une perche legere, dont ils mettent le bout ainsi garni sur le fond de l'eau, & tiennent l'autre bout à la main, & lorsqu'ils s'apperçoivent par le mouvement de la perche que l'anguille mord à l'appât, ils la relevent promtement, & emportent en même tems le poisson.

Chaque pêcheur a un semblable instrument, ceux de sur Somme ont trois petits bateaux plats, du port environ d'un demi-tonneau, semblable au picoteur des pêcheurs d'Honfleurs ; cette pêche se fait de nuit seulement, & elle seroit de jour infructueuse.


TASCHKANT(Géog. mod.) petite ville de la Tartarie, sur la droite de la Sirri ; c'est la résidence d'hiver du chan des Tartares de la Casatschia-Orda. Long. 92. 40. latit. 45. (D.J.)


TASCIA(Géog. mod.) petite ville des états de la Turquie asiatique, dans la province de Toccat, au-dessous des montagnes Noires.


TASCODRUGITESvoyez TACODRUGITES.


TASCODUNITARITASCODUNITARI


TASIMA(Géog. mod.) une des huit provinces de la contrée froide du nord de l'empire du Japon ; cette province a deux journées de longueur de l'est à l'ouest, & se divise en huit districts.


TASOTS. m. (Mesure de longueur, Com.) c'est la vingt-quatrieme partie du cobit, ou aune de Surate. Chaque tasot a un peu plus qu'un pouce de roi, ensorte que le cobit est de deux piés seize lignes.


TASSAou TASSAIE, s. m. (Cuisine exotiq.) chair de boeuf, mais plus communément de vache, coupée par grandes aiguillettes, un peu salée & séchée au soleil, cette chair se conserve long-tems, & peut être transportée fort loin ; il s'en fait une grande consommation sur les côtes de Caraque, de Cartagene & de Portobello. Pour la manger, il faut la mettre dessaler, la bien laver, & la faire revenir dans de l'eau tiede avant de la faire cuire ; elle se renfle beaucoup, s'attendrit & a fort bon goût. On prépare de la même maniere des aiguillettes de cochon, qui étant dessalées & cuites peuvent passer pour un mets très-appétissant.


TASSES. f. (Ouvrages de différens ouvriers) sorte de vase de bois, de terre, de fayance, de porcelaine ou de métal, dont on se sert pour boire ; il y en a de toute grandeur, & de toutes figures ; les unes sans anses, d'autres avec une ou deux petites anses, simples ou façonnées, &c. (D.J.)

TASSE, (Littérat.) chez les Romains celui qui versoit à boire étoit obligé, pour remplir une seule tasse, de puiser avec un petit gobelet nommé cyathe, à plusieurs reprises, & jusqu'à neuf ou dix fois dans le crater, qui étoit un grand vaisseau plein de vin. Le buveur s'impatientoit, le vin même versé du crater dans le cyathe, & renversé du cyathe dans la tasse, pouvoit s'éventer & perdre de sa force.

Pour remédier à tous ces petits inconvéniens, on inventa l'usage des tasses inégales. On en fit faire de petites, de moyennes & de grandes.

Torrentius sur les vers d'Horace, pocula cum cyatho, &c. rapporte un passage d'Athénée, par où il paroît que les Grecs aussi-bien que les Romains, ont fait usage du cyathe & des tasses inégales. Athénée introduit un homme qui se fait verser dix cyathes de vin dans une seule tasse ; & voici comme il le fait parler. " Echanson, apporte une grande tasse. Verse-y les cyathes qui se boivent à ce que l'on aime ; quatre pour les personnes qui sont ici à table, trois pour l'amour. Ajoute encore un cyathe pour la victoire du roi Antigonus. Holà. Encore un pour le jeune Démétrius. Verse présentement le dixieme en l'honneur de l'aimable Vénus. "

Chez les Romains du tems de Martial, lorsqu'on vouloit boire à un ami ou une amie, on demandoit autant de cyathes qu'il y avoit de lettres au nom de la personne à qui l'on alloit boire. C'est le sens de l'épigramme de Martial.

Naevia sex cyathis, septem Justinia libatur,

Quinque Lycas, Lyde quatuor, Ida tribus, &c.

C'est aussi le sens de ces deux vers du même Martial :

Quincunces & sex cyathos, bessemque bibamus,

Caïus ut fiat, Julius & Proculus.

Horace a dit :

Qui musas amat impares

Ternos ter cyathos attonitus petet

Vates. Tres prohibet suprà

Rixarum metuens tangere gratia.

Ce qui vouloit dire, qu'un bon bûveur ami des muses, doit en l'honneur de ces neuf déesses, boire en un seul coup neuf cyathes ; mais que les graces ne permettent pas que l'on boive plus de trois cyathes à la fois ; car il y a bien de la différence entre boire neuf cyathes, & boire neuf fois. Boire neuf cyathes, c'est ne boire qu'une tasse, boire neuf fois, c'est boire neuf tasses. (D.J.)

TASSE à boire des Gaulois, (Usages des Gaulois) en latin galeola, sinum. Les anciens Gaulois avoient leurs tasses à boire, faites en forme d'ovale, qu'ils appellent galeolas, & qu'ils ont ensuite nommé gondoles, d'un mot corrompu par les Vénitiens, qui ont baptisé de ce nom leurs nacelles pour aller dans les rues de Venise. Varron dit, l. I. de vitâ roman. Ubi erat vinum in mensâ positum galeato, vel sino utebantur : de-là les Romains forgerent leur verbe gallare, boire à la mode gauloise. Il reste encore chez les suppôts de Bacchus du mot gallare, dans ce qu'ils appellent boire à la régalade ; c'est une façon de boire qui ne differe du sabler qu'en ce que le sabler se fait en un seul coup, & que la régalade ou le galet se fait en plusieurs. (D.J.)

TASSE, terme de Tourneur ; petit vaisseau de bois en forme de tasse, qu'on place au-dessus de la tournette, & dans laquelle tasse on met la pelote de coton, de fil, ou de soie qu'on a dévidé.

TASSE, (Géog. mod.) les géographes donnent le nom de tasse, aux lieux où se font les amas d'eau que l'on appelle lacs. La tasse est ce qui contient l'eau d'un lac, ensorte que la tasse est à un lac, ce que le lit est à une riviere.


TASSÉadj. (Archit.) épithete qu'on donne à un bâtiment qui a pris sa charge dans son étendue, ou dans une seule partie. (D.J.)


TASSEAUS. m. (Arts méchan.) c'est en général un outil que l'on met dans l'étau pour relever les ouvrages en tôle, ou qui est fixe sur l'établi, & sert à poser l'ouvrage pour les petites rivures, & à dresser de petites pieces.

Les tasseaux prennent différens noms, suivant les formes que l'on donne à la tête.

Le tasseau quarré est celui dont la tête est quarrée, & plate.

Le tasseau cannelé est celui sur la tête duquel on a formé des cannelures.

Le tasseau à côte est celui dont la tête est faite en forme de côte, ou de tranchant arrondi.

Le tasseau à emboutir est celui dont la tête est creusée de la forme que l'on se propose de donner aux pieces à emboutir.

Le tasseau à pié de biche est celui dont la tête est faite en pié de biche. Toutes ces sortes de tasseaux, qui servent à relever les ornemens en tole, ou en cuivre, qui se posent sur les grilles, balcons, rampes d'escalier, &c. sont faits d'une barre de fer quarrée & acierée des deux bouts, qui forment deux têtes ; au milieu du corps on pratique sur les faces une entaille à chaque face, pour recevoir les mâchoires de l'étau, & empêcher le tasseau de s'en échapper, lorsqu'on frappe dessus pour relever l'ouvrage.

TASSEAUX, s. m. pl. (Archit.) petits dés de moilons, maçonnés de plâtre, où l'on selle des sapines, afin de tendre sûrement des lignes pour planter un bâtiment. Daviler. (D.J.)

TASSEAUX, terme de Charon ; il y a quatre tassaux, ce sont des morceaux de bois plats, longs de dix pouces, épais de trois, & large d'environ trois, qui sont attachés tant sur le devant que sur le derriere, de chaque côté du brancard, pour élever les planches qui servent sur le derriere, aux domestiques, & sur le devant aux pages. Voyez les fig. & les Pl. du Sellier.

TASSEAU, s. m. (Charp.) petit morceau de bois, arrêté par tenon & mortaise sur la force d'un comble, pour en porter les paimes.

On appelle aussi tasseaux, les petites tringles de bois qui servent à soutenir les tablettes d'armoire. (D.J.)

TASSEAU ou MANICLE, s. m. (Lainage) instrument qui sert aux tondeurs de draps, pour faire aller les forces avec lesquelles ils tondent les étoffes. Savary. (D.J.)

TASSEAU, terme de Luthier, moule, ou forme sur laquelle on colle les éclisses qui font le corps d'un luth, ou d'un autre instrument. (D.J.)


TASSERv. n. (Stéréotom.) on appelle de ce nom l'affaissement d'une voûte, dont la charge fait diminuer la hauteur, & resserrer les joints. (D.J.)


TASSETTES. f. terme d'Armurier, c'est tout le fer qui est au-bas de la cuirasse, & qui couvre les cuisses de l'homme armé : on appelle aussi les tassettes, auissardes. (D.J.)


TASSING(Géog. mod.) petite île de Danemarck, entre les îles de Fionie & de Langeland. Elle n'a qu'une lieue de long, & autant de large, & cependant elle contient deux bourgs & quelques hameaux. (D.J.)


TASSIOTS. m. les vanniers appellent ainsi une latte fort mince, & mise en croix, par laquelle ils commencent certains ouvrages de cloture, comme les vans, les vannettes, &c.


TASSOTon donne ce nom dans diverses provinces de France à la salamandre aquatique. Voyez SALAMANDRE.


TASTA(Géog. anc.) ville de la Gaule, dans l'Aquitaine, selon Ptolémée, l. II. c. vij. M. de Valois soupçonne que ce seroit aujourd'hui Montesquiou, bourg situé sur l'Osse, en latin Ossida ou Ossidus. (D.J.)


TASTATURAS. f. (Musiq. ital.) ce mot qui signifie les touches du clavier de quelque instrument de musique, a été souvent employé pour signifier les préludes, ou fantaisies, que les maîtres jouent sur le champ, comme pour tâter & assurer si l'instrument est d'accord. (D.J.)


TASTO(Musiq. ital.) ce mot veut dire touche. On trouve quelquefois dans des basses-continues ces mots, tasto solo, qui signifie avec une touche seule, pour marquer que les instrumens qui accompagnent, doivent jouer les notes de la basse-continue simplement & sans accompagnement des notes qui pourroient faire accord. Brossard. (D.J.)


TASZMINLE, (Géog. mod.) riviere de Pologne, dans le palatinat de Kiovie, où elle a sa source, vers les confins du palatinat de Braclaw ; après un assez long cours, elle se perd dans le Borysthène, près de Krilaw. (D.J.)


TATAHou TATA, (Géog. mod.) province des Indes, dans les états du grand-mogol. Elle est riche en blé & en bétail ; elle paye au grand-mogol soixante laqs, & deux mille roupies. Sa capitale porte son nom de Tatah. La riviere de Sinde traverse cette province du nord au midi, d'où vient qu'on l'appelle aussi Sinde. Voyez SINDE. (Géograph. mod.) (D.J.)

TATAH, ou TATA, (Géog. mod.) ville des Indes, dans les états du grand-mogol, dans la province de Tath, ou de Sinde, dont elle est la capitale ; elle est située sur le bras occidental de l'Inde, & dans un terroir fertilisé par la riviere. Les Portugais y faisoient autrefois un grand commerce. Long. 86. 10. lat. 23. 15. (D.J.)


TATAJIBAS. m. (Hist. nat. Bot. exot.) genre de plante, dont les botanistes ne nomment qu'une espece : arbor baccifera brasiliensis, fructu tuberculis inaequali, mori aemulo.

C'est un arbre du Brésil, dont l'écorce est de couleur de cendre, & le bois de couleur de safran, ou rougeâtre ; ses feuilles sont pointues, dentelées, & approchantes de celles du bouleau ; son fruit est gros comme une mûre moyenne, rond, & composé de tubercules pâles, d'où sortent plusieurs filamens noirâtres & peu longs : on mange ce fruit de même que les mûres, ou seul, ou avec du sucre & du vin ; sa chair contient une infinité de petits grains blanchâtres.

Le bois de cet arbre est extrêmement dur, il ne perd jamais sa verdure, & se conserve long-tems dans la terre & dans l'eau ; il est supérieur à tous les autres bois, même à celui du masarandiba, de quelque maniere qu'on l'emploie. Il donne lorsqu'il est vieux, une teinture d'un très-beau jaune ; cet arbre croît par-tout au Brésil, dans les bois, sur-tout dans les lieux maritimes, & son fruit est mûr au mois de Mai. Ray. (D.J.)


TATARIAS. f. (Hist. nat. Bot.) genre de plante dont les botanistes ont établi les deux especes suivantes : Hungarica edulis, panacis heraclei folio, semine libanotidis cachyophorae J. B. panaci heracleo similis, tataria Hungarica dicta. P. C. B.

Cette plante n'est pas commune, elle donne une racine longue & épaisse, puisque Clusius dit en avoir vu d'aussi grosses que le bras d'un homme, & d'une coudée ou plus de longueur ; elles lui avoient été données par Balthasar de Bathian, qui en avoit fait venir de Hongrie, d'au-delà du Danube, pour les planter dans le jardin qu'il avoit à Vienne. Ses feuilles ressemblent assez à celles du navet par leurs dentelures, mais elles sont plus courtes, & d'une figure plus approchante de celles du panais ; elles sont couvertes d'une substance rude & lanugineuse, & d'un verd extrêmement pâle ; il leur succede d'autres feuilles aussi rudes, mais plus finement dentelées ; du milieu d'elles, s'éleve une tige cannelée, creuse, noueuse, haute d'une coudée au plus, grosse comme le poing, garnie d'autres feuilles plus petites, découpées en plusieurs segmens, & pareillement couverte d'une substance rude & lanugineuse.

Le sommet de la tige porte une ombelle pareille à celle du panax heracleus, composée de fleurs de même figure & de même couleur, auxquelles il succede quelques semences (car toutes les fleurs ne sont point fertiles) fort grosses & approchantes de celles du libanotis cachryophora.

Clusius fut deux ans à attendre que la racine qu'il avoit plantée dans son jardin, produisît des tiges & des semences ; mais ce tems passé, elle se pourrit, & répandit une si mauvaise odeur, qu'il fut obligé de la jetter.

Les Hongrois qui habitent aux environs d'Agria, de même que ceux qui confinent à la Valachie & à la Moldavie, usent de cette racine dans le tems de disette, faute de pain, ainsi que Clusius dit l'avoir appris du gentilhomme dont on a parlé, & de quelques autres personnes de qualité. Ray. (D.J.)


TATE - VINS. m. terme de Marchands de vin, instrument de fer-blanc, long, rond, & étroit par le haut, où il est percé dans toute sa largeur ; il n'a qu'un petit trou au bout d'en-bas. On s'en sert pour tirer le vin par le bondon, en mettant le pouce sur le bout d'en-haut, afin d'empêcher que l'air ne fasse couler le vin qui est entré par le petit trou. (D.J.)


TATÉELIGNE, (Architect.) c'est celle qu'on trace à la main pour voir l'effet d'une courbure. (D.J.)

TATE, ouvrage, (Peinture) on nomme ouvrage tâté ou tâtonné, un ouvrage qui est fait d'une main servile & peu sûre ; c'est ordinairement à ce défaut que l'on distingue les tableaux qui ne sont que simples copies d'avec les tableaux originaux. Un peintre qui n'a point assez réfléchi sur les principes, & qui n'a point su se les rendre familiers, ne travaille qu'en tâtonnant ; il n'a jamais cette touche libre & précise qui caractérise le grand maître. (D.J.)


TATERv. act. (Gram.) c'est reconnoître par le toucher ou par le goût ; on dit tâter un corps avec les mains ; tâter du vin ; tâter le pouls ; se tâter ; & au figuré, tâter un homme, le pressentir, le sonder ; tâter le courage ; tâter du bonheur & de la peine ; tâter un problème, &c.

TATER SON CHEVAL, en terme de Manége, c'est solliciter un cheval qu'on a peu monté, pour connoître s'il a quelque vice, ou le degré de sa vigueur. Tâter le pavé ou le terrein, se dit d'un cheval qui ayant la jambe fatiguée ou quelque douleur au pié, n'appuie pas hardiment sur le pavé ni sur le terrein, de peur de se faire mal.


TATIANISTESS. m. pl. (Hist. ecclésiast.) secte d'anciens hérétiques, ainsi nommés de Tatien disciple de saint Justin.

Ce Tatien, un des plus savans hommes de l'antiquité, ne cessa d'être parfaitement orthodoxe tant que vécut son maître ; il étoit, comme lui, samaritain de nation, mais non pas de religion, ainsi qu'Epiphane semble l'avoir insinué. Saint Justin & Tatien appartenoient à ces colonies grecques, qui s'étoient répandues dans les contrées des Samaritains.

Après la mort de saint Justin, Tatien tomba dans les erreurs des Valentiniens, & forma une secte d'hérétiques appellés quelquefois Tatianites, & quelquefois Encratites. Voyez ECRATITES.


TATOUou ARMADILLE, s. m. (Hist. nat. Zoolog.) Pl. VII. fig. 2. on a donné ce nom à des animaux quadrupedes, qui n'ont ni dents incisives, ni dents canines, mais seulement des dents molaires de figure cylindrique. Leur corps est couvert d'un test osseux, comme d'une sorte de cuirasse ; ce test est divisé en plusieurs parties ; l'antérieure & la postérieure forment chacune dans la plûpart des tatous une espece de bouclier ; il y a entre ces deux grandes parties du test plusieurs bandes étroites jointes ensemble par une peau membraneuse qui leur donne la facilité de glisser les unes sur les autres ; desorte que l'animal peut se pelotonner comme un hérisson ; le dessous de la tête, du cou & le ventre sont couverts d'une peau épaisse & parsemée de quelques gros poils ; il y a aussi des poils entre les écailles du test osseux ; on distingue plusieurs especes de tatous.

1°. L'armadille ou tatou ; il a environ dix pouces de longueur depuis le bout du museau jusqu'à la queue, qui est longue de sept pouces, composée de six anneaux à son origine, & terminée en pointe ; ce tatou a le front large & applati ; les yeux petits, & les oreilles nues ; les doigts sont au nombre de cinq à chaque pié ; il n'y a point de grandes pieces de test sur la partie postérieure du corps ; elle est couverte par dix-huit bandes.

2°. L'armadille ou tatou oriental ; il est un peu plus grand que le précédent ; il n'a que trois bandes entre les deux grandes pieces du test ; la queue est courte, applatie en-dessus & en-dessous.

3°. L'armadille ou tatou des Indes ; son test est composé d'une grande piece en-avant, d'une plus grande en-arriere, & de quatre bandes entre les deux grandes pieces.

4°. L'armadille ou tatou du Mexique ; il y a six bandes entre les deux grandes pieces du test de cet animal : la queue est grosse à son origine, & pointue à l'extrêmité.

5°. L'armadille ou tatou du Brésil ; il a quatre doigts aux piés de devant, & cinq à ceux de derriere ; les bandes qui se trouvent entre les deux grandes pieces du test, sont au nombre de huit.

6°. L'armadille ou tatou de Cayenne ; il ressemble au précédent pour le nombre des doigts. Il a un pié dix pouces de longueur depuis le bout du museau jusqu'à la queue, qui est longue d'un pié, grosse à son origine, & terminée en pointe ; sa partie antérieure est composée de dix ou douze anneaux ; il y a neuf bandes entre les deux grandes pieces du test ; les oreilles sont longues & couvertes de petites écailles.

7°. L'armadille ou tatou d'Afrique ; il a environ dix pouces de longueur depuis le bout du museau jusqu'à la queue, qui est longue de sept pouces. Le test est composé de douze bandes placées entre deux grandes pieces. Reguanien. Voyez QUADRUPEDE.


TATTA(Géog. anc.) marais de la grande Cappadoce, dans la Morimene ; Strabon, l. XII. p. 568. qui en parle, dit que le sel de ce marais s'épaississoit de façon, que si des oiseaux y touchoient de leurs aîles, le sel s'y attachoit & s'y coaguloit au point de les empêcher de voler. Pline, l. XXXI. c. vij. & Dioscoride, l. V. c. lxxxv. font aussi mention de ce lac & de son sel ; ils nomment ce lac Tattaei lacus, & ils le mettent dans la Phrygie. (D.J.)


TATUETES. m. (Zoologie) espece de tatou ou armadille, plus petit que le tatou ordinaire, & qui en differe à plusieurs autres égards. Sa tête est petite & pointue ; ses oreilles sont grandes & droites ; sa queue a environ trois doigts de longueur ; ses jambes sont plus longues que celles des gros tatous ; mais sa différence essentielle est d'avoir seulement quatre orteils aux piés de devant, cinq aux piés de derriere ; les deux orteils du milieu sont les plus longs dans les piés de devant, & les trois du milieu dans les piés de derriere ; toute la taille du tatuete n'excede pas sept travers de doigt ; son corps & son front sont défendus par une bonne cuirasse, assez grande pour que l'animal puisse y cacher sa tête & ses jambes ; l'écaille du dos consiste en neuf pieces artistement jointes ensemble ; la queue est cuirassée de même ; elle a neuf articulations, & finit en pointe ; son dos est couleur de fer, blanchâtre sur les côtés son ventre est entierement cendré, presque nud, & n'ayant çà & là que quelques poils ; sa chair est très-bonne à manger. (D.J.)


TAUS. m. dix-neuvieme lettre de l'alphabet grec. Voyez l'article T.

TAU, (terme de Blason) c'est la figure d'un T qui est une espece de croix potencée, dont on a retranché la partie qui est au-dessus de la traverse. Cette espece de croix se trouve dans les blasons des commandeurs de l'ordre de saint Antoine ; les évêques & les abbés du rit grec la portent encore à présent de cette maniere, & quand on l'a mise sur l'habit de saint Antoine, c'étoit pour montrer seulement qu'il étoit abbé. Menestr. (D.J.)


TAUA(Géog. anc.) 1°. Golfe de la Grande-Bretagne, sur la côte orientale, selon Ptolémée, l. II. c. iij. qui le marque entre l'embouchure de la Dée & celle de la Tine. Ce golfe est sur la côte orientale de l'Ecosse, & se nomme aujourd'hui Tay, aussi bien que la riviere qui s'y jette.

2°. Tava, ville d'Egypte. Ptolémée, l. IV. c. v. marque cette ville dans le Nome Phthemphuthus dont elle étoit la métropole.

3°. Tava, ville de l'Arrie, selon le même Ptolémée, qui la place entre Namaris & Augara. (D.J.)


TAUBERLE, (Géog. mod.) riviere d'Allemagne en Franconie. Elle a sa source un peu au-dessus de Rotembourg, & se rend dans le Meyn, au-dessous de la ville de Wertheim. (D.J.)


TAUCHEL(Géog. mod.) petite ville de Pologne, dans la Pomerelle, sur la petite riviere de Verde, à 20 lieues au sud-ouest de Marienbourg. Elle est entierement délabrée, ayant été pillée & incendiée dans les anciennes guerres des Polonois & des Prussiens. (D.J.)


TAUCOLESS. m. (Hist. mod.) feuilles d'arbres dont les Chingulais ou habitans de l'île de Ceylan se servent pour écrire ; elles reçoivent facilement l'impression du stilet, mais on ne peut point les plier sans les rompre.


TAUDISS. m. (Archit.) petit grenier pratiqué dans le fond d'un comble, d'une mansarde. C'est aussi un petit lieu pratiqué sous la rampe d'un escalier, pour servir de bucher, ou pour quelqu'autre commodité. Daviler. (D.J.)


TAUGASTE(Géog. mod.) ville du Turquestan, au voisinage de la Sogdiane, près de l'Indus, selon Nicéphore Caliste. (D.J.)


TAUGOURSS. m. pl. (Méchan.) petits leviers dont on se sert pour tenir un essieu de charette bandé sur les brancards. (D.J.)


TAULACS. m. (Hist. nat. Minéralog.) nom donné par les peuples des Indes orientales à une espece d'orpiment qui y est fort commun. Il est d'un jaune sale, en partie composé d'une masse irréguliere, & en partie de petites lames semblables à des écailles de poisson ; toute la masse étant exposée au feu, brûle, jette des fumées abondantes, & se fond lentement ; les Indiens, après l'avoir calciné plusieurs fois, en font usage dans les fievres intermittentes. Woodward, catal. fossil. (D.J.)


TAULANTII(Géog. anc.) peuples de l'Illyrie, selon Thucydide, liv. I. qui les dit voisins d'Epidamnum. Polybe, l. II. Tite-live, l. XLIII. c. xx. & Ptolémée, l. III. c. xiij. font aussi mention de ce peuple. (D.J.)


TAUMALIou TAOMALI, s. m. ce mot en langage caraïbe, signifie sauce, à quoi la graisse des crabes & des tourlouroux a beaucoup de rapport par son état naturel ; aussi dit-on communément dans le pays un taumalin de crabe, un taumalin de tourlouroux ; cette substance étant cuite, n'a point le fastidieux des autres graisses ordinaires : c'est une espece de farce composée par la nature dans le corps des animaux de l'espece des chancres ; elle n'a besoin d'aucun assaisonnement ; sa délicatesse surpasse celle des sauces les plus fines ; son goût est exquis, & ne peut se comparer.


TAUNTON(Géogr. mod.) ville d'Angleterre en Sommersetshire, sur la rive droite du Taw, dans une agréable situation. Elle députe au parlement, & a droit de marché. Ses environs offrent de charmantes prairies, de beaux jardins, & un grand nombre de jolies maisons de campagne. Long. 14. 18. latit. 51. 22. (D.J.)


TAUORMINou TAORMINA, (Géog. mod.) anciennement Tauromenium, ville de Sicile, dans le val Demona, sur la côte orientale de l'île, entre le golphe de Saint-Nicolas au nord, & Castel-Schiso au midi. Elle a eu le titre de colonie, & l'on y voyoit encore dans le seizieme siecle, quelques ruines d'un temple d'Apollon, où les habitans alloient consulter son oracle, lorsqu'ils entreprenoient de voyager hors de l'île. Long. 33. 12. latit. 37. 49. (D.J.)


TAUPES. f. (Hist. nat. Zoolog.) animal quadrupede qui a environ cinq pouces de longueur depuis le bout du museau jusqu'à la queue. La taupe vit sous terre ; elle est noire ; cependant il y en a aussi des blanches, & d'autres qui ont le corps comme marbré de taches noires & de taches blanches. Le poil est doux, court & épais ; le museau ressemble au groin du cochon ; le cou, les jambes & la queue sont très-courts. Il y a cinq doigts à chaque pié ; ceux de devant sont très-larges, & ont des ongles plus grandes que ceux d'aucun autre animal à proportion de la grandeur du corps. Les piés de devant ont par leur conformation plus de rapport à des mains qu'à des piés ; la paume est tournée en-arriere, & les doigts sont dirigés obliquement en-dehors & en-bas, & très-propres à jetter la terre à côté & en-arriere, lorsque l'animal la fouille pour s'y cacher. Les yeux sont extrêmement petits, en partie recouverts par la peau, & entierement cachés sous le poil ; on ne peut les trouver qu'en l'écartant à l'endroit de chaque oeil.

La taupe de Virginie differe de la taupe de ce pays en ce qu'elle a le poil de couleur noirâtre, luisant & mêlé d'un pourpre foncé.

La taupe rouge d'Amérique n'a que quatre doigts aux piés de derriere, & seulement trois à ceux de devant ; le doigt extérieur des piés de devant est plus grand que les deux autres ; il a aussi un ongle plus fort, plus long, pointu & un peu recourbé. Le poil est d'un roux tirant sur le cendré clair. Au reste la taupe rouge d'Amérique ressemble à la taupe de ce pays-ci.

La taupe dorée de Sibérie ressemble à la précédente par la conformation des piés ; elle a le nez plus court que celui de la taupe de ce pays-ci ; mais elle est de la même grandeur. Le poil a diverses couleurs ; le verd & la couleur d'or y dominent. Regn. anim. Voyez QUADRUPEDE.

TAUPE, (Mat. méd.) Le sage Juncker lui-même compte le coeur & le foie de taupe parmi les bons remedes des convulsions épileptiques : mais c'est un éloge bien modeste, en comparaison de celui que les anciens pharmacologistes ont fait de la taupe ; ils ont mis parmi les remedes sa chair, sa tête, son sang, sa graisse & sur-tout ses cendres. Mais tous ces prétendus remedes, & même celui dont parle Juncker, sont absolument inusités.

Le bouillon de taupe est un remede de bonne-femme pour guérir les enfans de l'incommodité de pisser au lit. (b)

TAUPE DE MER. Voyez SCOLOPENDRE.

TAUPE-GRILLON. Voyez COURTILLIERE.

TAUPE, s. f. (Chirurg.) espece de tumeur dure, qui survient à la tête, avec une ouverture par laquelle on peut exprimer la matiere ténace. Cette tumeur est un follicule membraneux, contenant une matiere grossiere, & ayant un trou au milieu. Ce petit réservoir qui contenoit auparavant une humeur fluide, se remplit d'une matiere épaisse, parce que ce qu'il y a de plus coulant s'évapore, & ce qui reste s'épaissit toujours davantage, la tumeur recevant toujours une nouvelle matiere, devient toujours plus dure ; les liqueurs qui couloient dans la membrane s'y arrêtent & la gonflent ; d'un autre côté, les vaisseaux sanguins étant comprimés, le sang y coule plus lentement, s'y dépouille de sa partie fluide, & forme une couleur noire. Il semble résulter de-là qu'il y a des réservoirs où se ramasse la matiere que filtrent les arteres des réservoirs qui sont voisines des conduits excrétoires. Voyez TALPA. (D.J.)


TAUPIERES. f. terme de Jardinier, sorte de ratiere de forme ronde ou quarrée, qu'on fait de fer blanc ou de bois, & dont on se sert dans les jardins pour prendre les rats & les taupes. (D.J.)


TAUPINIERES. f. terme de Jardinier, petit monceau de terre qu'une taupe a élevé en creusant dessous.


TAUPKANES. m. terme de relat. arsenal d'artillerie chez les Turcs : il est situé à la pointe qui regarde le serrail hors des murs de Galata ; taupkane veut dire place des canons. (D.J.)


TAURANIA(Géog. anc.) ville d'Italie dans la Campanie : elle ne subsistoit déja plus du tems de Pline, l. III. c. v. Il est fait mention dans Pomponius Méla, l. II. c. iv. d'une ville nommée Taurinum ; & dans Strabon, l. VI. p. 254. d'une contrée appellée Tauriana ; mais tout cela n'a rien de commun avec la Tauriana de Pline, quoique Casaubon ait cru le contraire. Le Taurinum de Pomponius Méla, & la tauriana regio de Strabon, étoient dans le Brutium, au-lieu que Pline marque la ville de Taurania dans la Campanie. (D.J.)


TAURASINICAMPI, (Géog. anc.) plaine d'Italie, dans la Sabine, au voisinage de la ville Maleventum, selon Tite-Live, l. IV. c. xx. Le même auteur l'appelle dans un autre endroit, lib. XL. c. xxxviij, taurasinorum ager, & il dit qu'on y transporta des Liguriens. (D.J.)


TAURCA(Géog. mod.) peuplade de Béréberes en Afrique, au royaume de Tunis, & au-dedans du pays. Son circuit est de plus de vingt lieues. Cette contrée abonde en dattes & en froment. (D.J.)


TAURES. f. (Econom. rust.) ce mot se dit nonseulement d'une génisse qui n'a pas souffert les approches du taureau, mais encore d'une jeune vache qui n'a point encore vélé, quoiqu'elle soit pleine. C'est l'usage général des gens de la campagne : ils étendent même ce nom de taure à toute jeune vache qui a eu un ou deux veaux. (D.J.)


TAUREA(Littérat.) punition d'usage chez les Romains : elle consistoit à fouetter avec un fouet fait de lanieres de cuir de taureau. (D.J.)


TAUREAUNERF, (Mat. méd.) priapus tauri. Voyez BOEUF.

TAUREAU-VOLANT. Voyez MOUCHE-CORNUE.

TAUREAU-CERF, ou TAUREAU-CARNIVORE, taurus-carnivorus des anciens, dont on a promis au mot sukotyro, de parler avec quelqu'étendue, on va tenir parole.

Agatharchide le cnidien qui vécut autour de la cent cinquantieme olympiade, environ cent quatrevingt ans avant la naissance de Jesus-Christ, est le premier parmi les anciens, qui fasse mention de ce boeuf grand & carnacier. Il en donne une description fort ample dans les restes de son traité de la mer Rouge, conservés par Photius dans sa bibliotheque, & qui ont été pareillement imprimés avec sa vie dans les Geographiae veteris scriptores graeci minores, publiés par M. Hudson.

Il paroîtra par ce qui suit, que la plupart des auteurs qui ont vécu après lui, n'ont fait que le copier. Voici le chapitre où il traite de cet animal, selon la traduction de Laurentius Rhodomannus, de taurocarnivoro. Omnium, quae adhuc commemoravi, immanissimum & maximè indomitum est taurorum genus, quòd carnes vorat, magnitudine crassius domesticis, & pernicitate antecellens, insigniter rufum. Os ei ad aures usque deductum. Visus glauco colore magis rutilat quàm leoni. Cornua aliàs non secùs atque aures movet, sed in pugnâ, ut firmo tenore consistant facit. Ordo pilorum inversus contrà quàm aliis animantibus. Bestias etiam validissimas aggreditur, & caeteras omnes venatur, maximèque greges incolarum infestos reddit maleficio. Solùm est arcu & lanceâ vulnerabile. Quod in causa est, ut nemo id subigere, quamvis multi id tentarint, valuerit ; in fossam tamen, aut similem ei dolum, si quandò incidit, prae animi ferociâ citò suffocatur. Ideò rectè putatur, etiam à troglodytis, fortitudine leonis & velocitate equi, & robore tauri praeditum, ferroque cedere nescium.

Diodore de Sicile, dans le III. liv. de sa Bibliotheque n'a fait que copier Agatharchide, même jusqu'à se servir, à peu de choses près, de ses propres paroles. Il a ajouté néanmoins les particularités suivantes : que ses yeux reluisent de nuit ; qu'après avoir tué d'autres bêtes, il les dévore ; & que ni la force & le courage des bergers, ni le grand nombre de chiens, ne sont pas capables de l'effrayer quand il attrape des troupeaux de bétail.

Le passage suivant qui a du rapport au même animal, est tiré de Strabon. Sunt & ibidem, in Arabiâ, tauri feri, ac qui carnem edant, nostros & magnitudine & celeritate longè superantes, colore rufo.

Pline paroît aussi avoir copié Agatharchide. Ses paroles sont : Sed atrocissimos habet Aethiopia tauros sylvestres, majores agrestibus, velocitate ante omnes, colore fulvos, oculis caeruleis, pilo in contrarium verso, rictu ad aures dehiscente, juxtà cornua mobilia, tergori duritia filicis, omne respuens vulnus. Feras omnes venantur, ipsi non aliter quàm foveâ capti feritate intereunt. Le même auteur, dans le xlv. chapitre du VIII. livre de son Histoire naturelle, fait mention d'une espece de boeufs d'Inde : Boves indici, quibus camelorum altitudo traditur, cornua in latitudinem quaternorum pedum.

Il est très-probable que ces boeufs-d'Inde sont les mêmes que ceux d'Ethiopie décrits ci-dessus, principalement si on suppose que les copistes de Pline ont écrit latitudinem, au-lieu d'altitudinem.

Solinus n'a fait que copier Pline, avec cette seule différence, qu'il les appelle indicos tauros, taureaux des Indes ; au-lieu que Pline lui-même les décrit parmi les animaux d'Ethiopie. Ceci ne doit pas pourtant paroître étrange, quand on considere que l'Ethiopie a été comprise parmi les Indes par quelques auteurs anciens.

La description qu'Elien donne de ces animaux est parfaitement conforme à celle d'Agatharchide, & il semble l'avoir empruntée de lui : il en fixe la grandeur au double de la grandeur des boeufs ordinaires de la Grece.

Il y a encore un autre passage dans Elien sur ces boeufs d'Ethiopie ; le voici. Ptolomaeo secundo ex Indiâ cornu allatum ferunt, quod tres amphoras caperet ; undè conjicere possumus bovem illum, à quo ejusmodi tantùm cornu extitisset, maximum fuisse.

Ludolf, dans son histoire d'Ethiopie, parlant de ces grands boeufs éthiopiens, conjecture que ce sont les taurelephantes que Philostorgius le cappadocien dit avoir vu à Constantinople de son tems. Les paroles de Philostorgius citées par Ludolf, sont ; habet & terra illa, maximos & vastissimos elephantas, imò & taurelephantes, ut vocantur, quorum genus quoad caetera omnia, bos maximus est, corio vero coloreque elephas, & fermè etiam magnitudine.

Il paroît des passages que je viens de citer, qu'il y a en Ethiopie, & selon toutes les apparences, aussi dans les contrées Méditerranées de l'Afrique, où fort peu de voyageurs ont jamais pénétré, une très-grande espece de boeufs, pour le moins deux fois aussi grands que nos boeufs ordinaires, avec des cornes d'une grandeur proportionnée, quoiqu'autrement ils en different en bien des choses. Il faut cependant se défier de toutes les relations des choses extraordinaires faites par les anciens, le fabuleux y étant presque toujours mêlé avec le vrai.

Mais quant à cette grande espece de boeufs, quelques auteurs modernes nous assurent qu'il y a un pareil animal dans ce pays-là, quoiqu'aucun, que je sache, n'en ait donné une description satisfaisante. Ludolf dit seulement qu'il y a en Ethiopie des boeufs d'une grandeur extraordinaire, deux fois aussi grands que les boeufs de Hongrie, & qu'ayant montré quelques boeufs d'Allemagne des plus grands à Grégoire Abyssinien (les écrits & la conversation duquel lui fournissoient les mémoires pour son ouvrage), il fut assuré qu'ils n'étoient pas d'une grandeur moyenne comparable à ceux de son pays.

Il est fait mention aussi dans divers endroits de lettres des jésuites, de la grandeur de ces boeufs ; & le même Ludolf cite le passage suivant, tiré d'une lettre d'Alphonse Mendez, patriarche d'Ethiopie, datée le 1 Juin 1626 : buoi grandissimi, di corna smisuramente grosse è lunghe, talmente che nelle corna di ciascuno di esse potea capire un otre piccolo di vino : c'est-à-dire, des boeufs très-grands, avec des cornes si longues & si épaisses, que chaque paire pourroit contenir un petit outre de vin. Voyez l'article SUKOTYRO. (D.J.)

TAUREAU-FARNESE, (Sculpt. antiq.) morceau de sculpture antique qu'on a trouvé tout entier, & qui subsiste aujourd'hui à Rome ; il est ainsi nommé parce qu'il se voit dans le palais Farnèse.

Cet ouvrage de la main d'Apollonius & de Tauriscus a été fait d'un même bloc de marbre jusqu'aux cornes, & fut apporté de Rhodes à Rome. C'est un grouppe de sept figures. Une femme (Dircé) paroît attachée par ses cheveux à une des cornes du taureau ; deux hommes s'efforcent de la précipiter avec le taureau dans la mer du haut d'un rocher ; une autre femme & un petit garçon, accompagnés d'un chien, regardent ce spectacle effrayant.

Ce monument est fort considérable par son étendue & par sa conservation. Il y a dix-huit palmes de hauteur qui font douze de nos piés & quatorze palmes de largeur en tout sens, qui valent 9 piés & 1/3. Ce grand grouppe a été plusieurs fois expliqué depuis le renouvellement des arts, parce que son étendue a frappé les savans. Properce lui-même en parle, l. III. eleg. xiij. En voici le sujet en peu de mots :

Dircé, femme de Lycus, roi de Thebes, traita fort inhumainement pendant plusieurs années la reine Antiope que Lycus avoit répudiée, & qui étoit la mere de Zéthus & d'Amphion ; mais Dircé étant ensuite tombée sous la puissance de ces deux princes, ils l'attacherent aux cornes d'un taureau indompté, & la firent ainsi périr misérablement. Voilà le trait d'histoire qu'Apollonius & Tauriscus ont voulu représenter ; voici présentement quelques remarques de M. de Caylus sur l'exécution de l'art.

On a peine, dit-il, à reconnoître Dircé dans l'ouvrage des deux artistes. Les deux freres sont d'un assez bon style, ils ont l'air seulement de vouloir arrêter le taureau qui paroît se défendre, & être au moment de renverser une figure de jeune femme drapée, qui semble, par son mouvement, aller plutôt au-devant de ce même taureau, que d'être condamnée au supplice qu'on lui prépare ; & la disposition de toute la figure n'indique rien qui ait rapport à sa triste situation. A côté, presque derriere le taureau, on voit une figure de femme drapée & debout, qui vraisemblablement est Antiope ; mais elle ne grouppe avec les autres figures ni d'action, ni de composition. La cinquieme figure à demi-drapée & qui représente un pâtre, est diminuée de près de moitié, quoiqu'elle soit posée sur le plan le plus avancé. Indépendamment de ce ridicule, elle est de mauvaise maniere, & n'est liée en aucune façon au reste du grouppe. Le chien, dans sa posture, paroît ne servir à rien. En un mot, selon M. de Caylus, il y a plus de magnificence dans ce morceau, que de savoir & de goût. Il est vrai que Pline n'en fait aucun éloge. (D.J.)

TAUREAU DE MITHRAS, (Monum. antiq.) on voit communément Mithras sur un taureau, dont il tient les cornes de la main gauche, tandis que de l'autre il lui enfonce un poignard dans le cou. On ne sait pas trop ce que veut dire cet emblème ; du-moins je n'en connois point de bonne explication. Si Mithras représente le soleil, que désignent les cornes du taureau ? Est-ce la lune, est-ce la terre ? Et si c'est l'une ou l'autre, que signifie ce poignard qu'il lui plonge dans le cou ? (D.J.)

TAUREAU, s. m. en Astronomie, c'est un des douze signes du zodiaque, & le second dans l'ordre des signes. Voyez SIGNE & CONSTELLATION.

Suivant le catalogue de Ptolémée, il y a quarante-quatre étoiles dans la constellation du taureau ; quarante-un, selon celui de Tychon ; dans le catalogue anglois, cent trente-cinq.

TAUREAUX, combats de, (Hist. mod.) fêtes très-célebres & très-usitées parmi les Espagnols qui les ont prises des Mores, & qui y sont si attachés, que ni le danger qu'on court dans ces sortes d'exercices, ni les excommunications que les papes ont lancées contre ceux qui s'y exposent, n'ont pu les en déprendre.

Ces spectacles font partie des réjouissances publiques dans les grands événemens, comme au mariage des rois, à la naissance des infans ; on les donne dans de grandes places destinées à cet usage en présence du roi & de la cour, des ministres étrangers, & d'un nombre infini de spectateurs placés sur des amphithéatres dressés autour de la place. Voici à-peu-près ce qui s'y passe de plus remarquable.

A l'un des coins de la place est un réduit appellé tauril ou toril, capable de contenir trente ou quarante taureaux qu'on y enferme dès le matin. Lorsque le roi est placé sur son balcon, ses gardes s'emparent de la place, en chassent toutes les personnes inutiles pour la laisser libre aux combattans ; quatre huissiers-majors visitent les portes de la place ; & lorsqu'ils ont assuré le roi qu'elles sont fermées, sa majesté commande qu'on fasse sortir un taureau. Ces jours-là les combattans sont des personnes de qualité, & ils ne sont vêtus que de noir, mais leurs creados ou estafiers sont richement habillés à la turque, à la moresque, &c. On ne lâche qu'un taureau à-la-fois, & on ne lui oppose qu'un combattant qui l'attaque ou avec la lance, ou avec des especes de javelots qu'on appelle rejonnes. On ouvre le combat sur les quatre heures du soir ; le champion entre dans la carriere à cheval, monté à la genette, suivant l'usage du pays, c'est-à-dire sur des étriers tellement raccourcis que ses piés touchent les flancs du cheval. Le cavalier, accompagné de ses creados, va faire la révérence au roi, aux dames les plus apparentes, tandis que, dans le tauril, on irrite le taureau, qu'on en lâche quand il est en furie. Il en sort avec impétuosité & fond sur le premier qui l'attend, mais le combattant le prévient en lui jettant son manteau, sur lequel l'animal passe sa premiere fougue en le déchirant en mille pieces ; c'est ce qu'on appelle suerte buena. A ceux qui l'attendent de pié ferme, le taureau n'enleve quelquefois que leur chapeau, quelquefois il les pousse en l'air avec ses cornes, & les blesse ou les tue. Cependant le cavalier, en l'attaquant de côté, tâche de lui donner un coup de javelot ou de lance dans le cou, qui est l'endroit favorable pour le tuer d'un seul coup. Tandis que le taureau attaque & combat, il est défendu de mettre l'épée à la main pour le tuer. Mais si le cheval du combattant vient à être blessé, ou lui-même desarçonné, alors il est obligé d'aller à pié & le sabre à la main sur le taureau ; c'est ce qu'on nomme empeno ; & les trompettes donnent le signal de ce nouveau genre de combat, dans lequel les creados & les amis du cavalier accourent dans l'enclos l'épée à la main, & tâchent de couper les jarrets au taureau ; la précipitation ou la témérité font qu'il en coute souvent la vie à plusieurs : cependant il s'en trouve d'assez adroits pour couper une jambe au taureau d'un seul coup, sans lui donner prise sur eux : dès qu'il est une fois abattu, tous les combattans fondent sur lui l'épée nue, le frappent d'estoc & de taille jusqu'à ce qu'il soit mort, & quatre mules richement caparaçonnées le tirent hors de la carriere. Ensuite de quoi on en lâche un autre, & ainsi jusqu'à vingt-trois. Ce n'est pas seulement à Madrid & dans les autres grandes villes, mais encore dans les bourgs & les villages qu'on prend ces divertissemens. Jouvain, voyage d'Espagne.

TAUREAU, l'île du, (Géog. mod.) petite île de France, en Bretagne, dans le diocèse de Tréguier. Elle est située à l'embouchure de Morlaix, & défendue par un port. (D.J.)


TAUREDUNUMTAUREDUNUM


TAUREIAS. f. (Antiq. grecq.) , fête chez les Grecs en l'honneur de Neptune, d'où la ville de Cyzique a pu donner le nom de au mois où elle célébroit cette fête. On appelloit aussi, à ce qu'il semble, Tauréon le lieu de l'assemblée. Elle étoit solemnelle & composée de trois colleges de prêtresses, & les sacrifices qui étoient offerts occasionnoient une dépense considérable. Les sacrificatrices, surnommées maritimes, devoient être consacrées aux divinités de la mer, & principalement à Neptune. Cette fête duroit plusieurs jours. Il paroît que les prêtresses étoient chargées par fondation ou autrement des fraix de la fête. Clidicé, grande prétresse de Neptune, leur avoit fait présent de sept cent stateres pour la dépense d'une seule solemnité, ce qu'on peut évaluer à la somme de vingt mille trois cent livres de notre monnoie. Antiq. grecq. du C. de Caylus, tome II. (D.J.)


TAURENTINUM(Géogr. anc.) lieu de la Gaule, sur le bord de la Méditerranée, au voisinage de Marseille. L'itinéraire d'Antonin écrit Taurentum. On croit que c'est aujourd'hui le port de Toulon. (D.J.)


TAURESIUM(Géog. anc.) ville de la Dardanie européenne, au-delà du territoire de Duras, proche du fort de Bédériane, selon Procop. Aedif. l. IV. c. j. C'est de cette ville, ajoute-t-il, d'où Justinien, le réparateur de l'empire, a tiré sa naissance. Il la fit clorre d'une muraille en quarré, éleva quatre tours aux quatre coins, & fonda tout proche une autre ville, qu'il nomma la premiere Justiniene. Tauresium est donc la patrie de Justinien ; & voici le tableau de son regne, par l'auteur de la grandeur & de la décadence des Romains.

Quoique Bélisaire eût envahi l'Afrique, repris Carthage, Rome & Ravenne sur les ennemis, la mauvaise conduite de l'empereur, ses profusions, ses vexations, ses rapines, sa fureur de bâtir, de changer, de réformer, son inconstance dans ses desseins, un regne dur & foible devenu plus incommode par une longue vieillesse, furent des malheurs réels, mêlés à des succès inutiles & une gloire vaine.

Les conquêtes de Bélisaire qui avoient pour cause non la force de l'empire, mais de certaines circonstances particulieres, perdirent tout. Pendant qu'on y occupoit les armées, de nouveaux peuples passerent le Danube, désolerent l'Illyrie, la Macédoine & la Grece ; & les Perses, dans quatre invasions, firent à l'Orient des plaies incurables. Plus ces conquêtes furent rapides, moins elles eurent un établissement solide ; l'Italie & l'Afrique furent à peine conquises, qu'il fallut les reconquérir.

Justinien avoit pris sur le théâtre une femme qui s'y étoit long-tems prostituée : elle le gouverna avec un empire qui n'a point d'exemple dans les histoires ; & mettant sans cesse dans les affaires les passions & les fantaisies de son sexe, elle corrompit les victoires & les succès les plus heureux.

Le gouvernement de ce prince n'étoit pas seulement peu sensé, mais cruel. Justinien non-content de faire à ses sujets une injustice générale en les accablant d'impôts excessifs, les désoloit par toutes sortes de tyrannies dans les affaires particulieres.

Enfin ce qui mit le comble à l'injustice de son gouvernement, c'est d'avoir détruit par l'épée ou par ses loix les sectes qui ne dominoient pas, c'est-à-dire des nations entieres. Quant aux forts qu'il fit bâtir, dont la liste couvre des pages dans Procope, ce ne sont que des monumens de la foiblesse de l'empire sous le regne de ce prince. Il mourut l'an 566 de Jesus - Christ à 84 ans, après en avoir regné 38. (D.J.)


TAURI(Géog. anc.) peuples de la Sarmatie européenne, selon Tacite, Annal. l. XII. Ces peuples sont aussi connus sous le nom de Tauroscythes (D.J.)


TAURIANA REGIO(Géog. anc.) contrée d'Italie, dans la Lucanie, au-dessus du pays des Turions, selon Stabon, l. VI. p. 254. (D.J.)


TAURIANUM(Géog. anc.) ville d'Italie, chez les Brutiens, selon Pomponius-Mela, liv. II. c. iv. & Pline, liv. III. c. v. quelques exemplaires de ce dernier portent Toroenum pour Taurianum ; on voit encore les ruines de cette ville auprès du village de Palena ; elle étoit voisine du port d'Oreste, appellé aujourd'hui Porto-Ravaglioso. (D.J.)


TAURIANUS-SCOPULUS(Géog. anc.) rocher d'Italie, chez les Brutiens, selon Ptolémée, qui, l. III. c. iv. le marque sur la côte de la mer de Tyrrhene ; on nomme aujourd'hui ce rocher pietra della nave. ou simplement nave. (D.J.)


TAURICORNE(Mythol.) surnom donné à Bacchus, parce qu'on le représentoit quelquefois avec une corne de taureau à la main : cette corne étoit un symbole fort convenable à Bacchus. (D.J.)


TAURIESS. f. pl. (Antiq. grecq.) fêtes célébrées chez les Grecs, en l'honneur de Neptune. Dans les tauries, on n'immoloit à ce dieu que des taureaux noirs. Voyez Potter, Archaeol. graec. tom. I. p. 432. & les détails au mot TAUREIA. (D.J.)


TAURILIENSJEUX, (Antiq. rom.) Taurilia ; jeux institués par Tarquin le Superbe, en l'honneur des dieux infernaux. On les nommoit Taurilia, selon Servius, parce qu'on leur immoloit une vache stérile, taura ; mais Festus croit avec plus de raison, que ces jeux furent appellés taurilia, parce qu'on leur sacrifioit un taureau, dont la chair étoit distribuée au peuple. Il y avoit chez les Romains trois sortes de jeux, en l'honneur des divinités infernales ; savoir, les jeux tauriliens, les compitaux & les térentins. Les premiers étoient célébrés rarement, & toujours hors de Rome, dans le cirque Flaminien, de crainte d'évoquer en la ville les dieux des enfers. Les seconds se solemnisoient dans les carrefours, en l'honneur des dieux Lares ; & les derniers se faisoient dans le champ de Mars, de cent en cent ans, à la gloire de Pluton & de Proserpine. (D.J.)


TAURINI(Géog. anc.) peuples d'Italie, au-delà du Pô, par rapport à la ville de Rome. Pline, l. XV. c. x. & Ptolémée, l. III. c. j. en font mention. Ces peuples habitent aujourd'hui le Piémont. (D.J.)


TAURIQUE(Mythol.) surnom de Diane, parce qu'elle étoit honorée dans la Chersonese taurique. (D.J.)

TAURIQUE, sacrifice, (Antiq. rom.) sacra taurica, sacrifices qui se faisoient à l'honneur de Diane, surnommée Taurique, parce qu'elle étoit spécialement honorée chez les Taures, peuples de la Chersonese taurique. (D.J.)


TAURIou TABRITZ, (Géog. mod.) ville de Perse capitale de la province d'Adherbigian qui fait partie de l'ancienne Médie. Elle est située au bout d'une plaine, & environnée de montagnes de trois côtés, de la même maniere qu'Erzeron, & elle jouit d'un air aussi inconstant qu'Erivan. Un ruisseau, ou plutôt un torrent, baigne une partie de cette ville.

Le circuit de Taures est, dit-on, de 30 milles ; ce qu'il y a de sûr, c'est qu'elle est remplie de jardins & de grandes places publiques, qui sont de vrais champs. Les mosquées sont belles & nombreuses. Les vivres sont à grand marché dans cette ville. Ses habitans y font un commerce continuel avec les Turcs, les Arabes, les Géorgiens, les Mingréliens, les Indiens, les Moscovites & les Tartares. Ses Bazars sont couverts & garnis de riches marchandises, entr'autres d'étoffes de soie, & de belles peaux de chagrin. On compte dans Tauris plus de cent mille ames. On estime sa fondation à l'an de l'hégire 175. Tamerlan s'empara de Tauris l'an 795. de l'hégire. Soliman s'en rendit maître sur Schah Thamas, roi de Perse, l'an 955. de l'hégire. Amurat III. sultan des Turcs, reprit la même ville que Soliman avoit abandonnée, l'an 992 de l'hégire.

Tauris est la Gabris de Ptolémée, nom qui convient fort bien à la situation de Tauris, que les Arabes appellent Tabris.

Je sai que l'opinion commune est que Tauris répond à la ville d'Ecbatane ; Chardin, Oléarius, Herbert & autres, sont de cette opinion, qui a aussi été adoptée par de célebres géographes ; mais elle ne peut subsister, si l'on a égard à tout ce que les anciens nous ont dit de la Médie, & aux distances qu'ils nous ont données de cette capitale aux autres villes de ce pays. D'ailleurs, si Ecbatane avoit été à la partie septentrionale de la Médie, comme est la ville de Tauris, elle n'auroit pas été à portée d'envoyer du secours à Babylone, comme le dit Xénophon, & auroit aussi été trop éloignée vers le nord, pour avoir été sur la route d'Alexandre, qui alloit d'Opis aux portes Caspiennes, comme il paroît par les historiens qui ont décrit les expéditions de ce prince. Ces particularités reviennent parfaitement à la situation de la ville d'Amadan, qui est la seconde ville de Perse, pour la grandeur : ce qui est d'autant plus vraisemblable, que lorsque l'Ecriture-Sainte parle d'Ecbatane, la version syriaque rend le nom de cette ville par le nom d'Amathan, très-approchant du nom d'Amadan.

Les tables arabiques de Nassir-Eddin & d'Ulug-Beg, donnent à Tauris 82. degrés de longitude, & 38. degrés de latitude septentrionale. (D.J.)


TAURISANO(Géog. mod.) bourg du royaume de Naples, où naquit en 1585, Vanini (Lucilio), qui à l'âge de 34 ans, en 1619, fut emprisonné & brûlé à Toulouse pour ses impiétés, par arrêt du parlement de cette ville.

Je ne dirai rien ici de sa vie, me contentant de renvoyer le lecteur aux livres suivans qu'il peut consulter. J. M. Schrammaii de vitâ & scriptis famosi athaei Jul. Caes. Vanini. Custrini 1713, in -4°. La Croze, Entretiens sur divers sujets d'histoire & de littérature. Amst. 1711. Apologia pro Jul. Caes. Vanino. Cosmopoli 1714. Durand. La vie & les sentimens de Lucilio Vanini. Rotterdam 1717, in -12.

Les deux ouvrages de Vanini qui ont fait le plus de bruit, sont son Amphithéâtre & ses Dialogues. Le premier parut à Lyon en 1615, in -8°. sous ce titre. Amphiteatrum aeternae providentiae, divino-magicum, christiano-physicum, astrologico-catholicum, adversus veteres philosophos atheos, epicureos, peripateticos & stoicos, autore Julio Caesare Vanino, philosopho, theologo, ac juris utriusque doctore. Il est approuvé par Jean-Claude de Ville, docteur en théologie ; François de Soleil, official & vicaire-général de Lyon ; Jacques de Vegne, procureur du roi ; & M. Seve, lieutenant-général de Lyon, qui s'expriment en ces termes : Fidem facimus, nos hoc opus evolvisse, nihilque in eo catholicae & romanae fidei contrarium aut repugnans, sed peracutas & praevalidas ratione juxtà sanam sublimiorum in sacrâ theologiâ magistrorum doctrinam (ô quàm utiliter !) contineri, &c.

Presque tous les habiles critiques jugent aussi que ce livre est très-innocent du côté de l'Athéisme, & que tout au contraire, l'existence de Dieu y est démontrée ; mais on y découvre en même tems beaucoup de scholastique, des idées bisarres, hasardées, obscures ; un esprit peu judicieux, vainement subtil, courant après les paradoxes, & plein d'assez bonne opinion de lui-même.

Ses Dialogues parurent à Paris en 1616, in -8°. sous ce titre : Julii Caesaris Vanini, neapolitani, theologi, philosophi, & juris utriusque doctoris, de admirandis naturae, reginae, deaeque mortalium, arcanis, libri quatuor, imprimé avec privilege du roi ; & au revers du titre, on lit l'approbation suivante : Nos subsignati, doctores in almâ facultate theologicâ Parisiensi, fidem facimus, vidisse & legisse dialogos Julii Caesaris Vanini philosophi praestantissimi, in quibus nihil religioni catholieae, apostolicae & romanae repugnans aut contrarium reperimus, imò ut subtilissimos, dignissimosque qui typis demandentur. Die 20 mensis Maii 1616. Signé, Franciscus-Edmundus Corradin, guard. conv. fr. min. Paris ; F. Claudius le Petit, doctor regens.

On dit, pour excuser les approbateurs, que Vanini fit plusieurs additions aux cahiers qu'il leur avoit fait voir, & qu'il attacha au front de son livre ces mots impies : De admirandis naturae, reginae, deaeque mortalium, arcanis. Il est tout-à-fait vraisemblable que Vanini n'avoit pas d'abord mis ce titre ; & c'est peut-être ce qui a donné lieu d'assurer qu'il avoit supposé d'autres cahiers à ceux du manuscrit.

Quoi qu'il en soit, l'ouvrage est aussi méprisable qu'il est ridicule, extravagant & impie. En rendant raison de la figure ronde du ciel, Vanini dit qu'elle étoit convenable à un animal éternel & divin, parce que cette figure est circulaire. Dans le cinquante-deuxieme dialogue, il attribue l'origine & la décadence des religions aux astres, par la vertu desquels se font les miracles. Dans le cinquante-troisieme, il déclare que le pouvoir de prédire l'avenir vient de ce que l'on est né sous la constellation qui donne la faculté de prophétiser. Ailleurs, il soutient qu'il n'est pas hors de vraisemblance qu'un nouveau législateur reçoive des astres la puissance de ressusciter les morts. Ce petit nombre de traits suffit pour faire connoître le caractere de ces pitoyables Dialogues, & le génie de leur auteur. Venons aux procédures que le parlement de Toulouse fit contre lui, & tirons-en l'extrait du récit de M. Gramond, qui étoit alors président de ce parlement.

Presque dans le même tems (au mois de Février 1619, dit ce président), fut condamné à mort, par arrêt de notre cour, Lucilio Vanini, que j'ai toujours regardé comme un athée. Ce malheureux faisoit le médecin, & étoit proprement le séducteur de la jeunesse imprudente & inconsidérée ; il ne connoissoit point de Dieu, attribuoit tout au hasard, adorant la nature comme une bonne mere, & comme la cause de tous les êtres. C'étoit là son erreur principale, & il avoit la hardiesse de la répandre chez les jeunes gens pour s'en faire autant de sectateurs ; il se moquoit en même tems de tout ce qui est sacré & religieux.

Quand on l'eut mis en prison, il se déclara catholique, & contrefit l'orthodoxe. Il étoit même sur le point d'être élargi à cause de l'ambiguité des preuves, lorsque Francon, homme de naissance & de probité, déposa que Vanini lui avoit souvent nié l'existence de Dieu, & s'étoit moqué en sa présence des mysteres du Christianisme. On confronta le témoin & l'accusé, & le témoin soutint sa déposition.

Vanini fut conduit à l'audience, & étant sur la sellette, on l'interrogea sur ce qu'il pensoit de l'existence de Dieu : il répondit, qu'il adoroit avec l'Eglise, un Dieu en trois personnes, & que la nature démontroit évidemment l'existence d'une divinité. Ayant par hasard apperçu une paille à terre, il la ramassa, & étendant la main, il parla à ses juges en ces termes : " cette paille me force à croire qu'il y a un Dieu ". De-là ayant passé à la Providence, il ajouta ; " Le grain jetté en terre semble d'abord détruit, & commence à blanchir, il devient verd & sort de terre, il croît insensiblement ; les rosées l'aident à se développer ; la pluie lui donne encore plus de force ; il se garnit d'épis, dont les pointes éloignent les oiseaux, le tuyau s'éleve & se couvre de feuilles ; il jaunit & monte plus haut ; peu après il commence à baisser, jusqu'à ce qu'il meure ; on le bat dans l'aire, & la paille ayant été separée du grain, celui-ci sert à la nourriture des hommes, celle-là est donnée aux animaux créés pour l'usage du genre humain ". Il concluoit de cela seul, que Dieu est l'auteur de toutes choses.

Pour répondre à l'objection qu'on auroit pû faire, que la nature étoit la cause de ces productions, il reprenoit son grain de blé, & remontoit de cause en cause à la premiere, raisonnant de cette maniere.

Si la nature a produit ce grain, qui est-ce qui a produit l'autre grain, qui l'a précédé immédiatement ? Si ce grain est aussi produit par la nature, qu'on remonte jusqu'à un autre, jusqu'à ce qu'on soit arrivé au premier, qui nécessairement aura été crée, puisqu'on ne sauroit trouver d'autre cause de sa production. Il prouva ensuite fort au long que la nature étoit incapable de créer quelque chose ; d'où il conclut que Dieu étoit l'auteur & le créateur de tous les êtres. Vanini, continue M. Gramond, disoit tout cela par crainte plutôt que par une persuasion intérieure ; & comme les preuves étoient convaincantes contre lui, il fut condamné à la mort. Voyez Gabr. Barthol. Grammundi historia, liv. III. pag. 208. 210.

Quel qu'ait été Vanini, les procédures du parlement de Toulouse, & sa rigueur envers ce malheureux, ne peuvent guere s'excuser. Pour en juger sans prévention, il faut considérer ce misérable tel qu'il parut dans le cours du procès, peser les preuves sur lesquelles il fut condamné, & l'affreuse sévérité d'une sentence par laquelle il fut brûlé vif, & au préalable sa langue arrachée avec des tenailles par la main du bourreau.

Il y a toutes les apparences du monde que Vanini s'étoit depuis long-tems échappé en discours libres, injurieux à la religion, fous & impies ; mais la retractation qu'il en fit devoit suffire à des juges, quelles que fussent ses pensées secrettes que Dieu seul connoissoit. La déposition d'un unique témoin ne suffisoit pas, eusse été celle d'un dauphin même. Le président du parlement ne cite que M. Francon, homme de naissance & de probité tant qu'on voudra ; la loi requéroit au-moins outre des preuves par écrit, deux hommes de cet ordre, & la loi ne doit jamais être violée, sur-tout quand il s'agit de la peine capitale.

Ce qui prouve qu'on n'opposoit rien de démontré & de concluant pour la condamnation à un supplice horrible, c'est que quelques-uns des juges déclarerent qu'ils ne pensoient point avoir de preuves suffisantes, & que Vanini ne fut condamné qu'à la pluralité des voix. C'est encore une chose remarquable, qu'il ne paroît point qu'on ait allégué ses ouvrages en preuve contre lui, ni le crime qu'on assure qu'il avoit commis dans un couvent en Italie.

Après tout, le parlement de Toulouse pouvoit & devoit reprimer l'impiété de ce malheureux par des voies plus adaptées à la foiblesse humaine, & plus conformes à la justice, à l'humanité & à la religion. En détestant l'impiété qui excite l'indignation, on doit avoir compassion de la personne de l'impie. Je n'aime point voir M. Gramond, président d'un parlement, raconter dans son histoire le supplice de Vanini avec un air de contentement & de joie. Il avoit connu Vanini avant qu'il fût arrêté ; il le vit conduire dans le tombereau ; il le vit au supplice, & ne détourna pas les yeux, ni de l'action du bourreau qui lui coupa la langue, ni des flammes du bucher qui consumerent son corps.

Cependant tous les bons esprits qui joignent les lumieres à la modération, ont regardé Vanini, après un mûr examen, comme un misérable fou digne d'être renfermé pour le reste de ses jours. Il joignit à une imagination ardente peu ou point de jugement. La lecture de Cardan, de Pomponace, & d'autres auteurs de cette espece, lui avoient de fois à autre troublé le sens commun. Il rafoloit de l'astrologie, mêlant dans ses ouvrages le faux & le vrai, le mauvais & le bon, disputant à-tort & à-travers ; desorte qu'on voit moins dans ses écrits un systême d'athéïsme, que la production d'une tête sans cervelle & d'un esprit déréglé.

Voilà l'idée que s'en font aujourd'hui des hommes de lettres très-respectables, & c'est en particulier le jugement qu'en porte le savant Brucker dans son hist. crit. philos. tom. IV. part. IV. pag. 580-682. dont je me contenterai de citer quelques lignes qui m'ont paru très-judicieuses ; les voici :

Super stitioni itaque, enthusiasmo & inani de rebus nihili morologiae, stultissimum Vanini se addixisse ingenium, eò minus dubitandum est, quò minùs paucae illae lucis clarioris scintillae, quae hinc indè emicant, superare istas tenebras potuerunt. Ast his se junxerat inepta ambitio, quâ se veteris & recentioris aevi heroïbus tantâ eruditionis jactantiâ praeferebat, ut risum tenere legentes nequeant...

Sufficere haec pauca possunt, ut intelligamus Anticyris opus habuisse cerebrum Vanini, & extremae stultitiae notam sustinere. Quae infelicitas exorbitantis sine regente judicio imaginationis, non potuit non valdè augeri, cùm ineptissimi illi praeceptores contigissent, qui oleum camino addere, quàm aqua ignem dolosè latentem extinguere maluerunt, qualis Pomponatii & Cardani libri, atque disciplina fuerunt. His totus corruptus Vaninus, quid statuerit, de quo certam sententiam figeret, ipse ignoravit ; & sine mente philosophâ blâterans, bona, mala, recta, iniqua, vera, falsa, ambigua, disputandi acie inter se commista attulit, non satis gnarus, ita subrui pietatis & veritatis revelatae, maenia.

Quid quid igitur vel in philosophiam, vel in christianam fidem peccavit Vaninus, peccavisse autem levem, futilemque scriptorem plurima fatemur, non tàm impietati directae & systemati inaedificatae, quàm extremae dementiae hominis mente capti adscribendum esse putamus ; digni qui non flammis, sed ergastulo sapere didicisset.

Tous ces détails ne tomberont point en pure perte pour les jeunes gens avides de s'instruire, & amateurs de la vérité. Ces jeunes gens deviennent quelquefois des magistrats, qui éclairent à leur tour les tribunaux dont ils sont membres, & les dirigent à ne porter que des arrêts qui puissent être approuvés par la postérité. (D.J.)


TAURISCI(Géog. anc.) 1°. peuples de la Pannonie, selon Strabon, liv. VII. pag. 314. & Pline, liv. III. c. xxv. Ce sont aujourd'hui les habitans de la Styrie appellés Stiermarck en allemand. Stier, dans cette langue, signifie la même chose que taurus en latin, ensorte que Stiermarck ne veut dire autre chose que les limites des Tauri.

2°. Taurisci, peuples des Alpes. Selon Polybe, liv. II. n. 15. les Taurisques n'habitoient pas loin de la source du Rhône. Ce sont ces mêmes peuples qui du tems de César, inspirerent aux habitans de l'Helvétie le dessein de passer en Italie, & de s'emparer de ce pays abondant en vins & en fruits excellens. Ils furent les premiers des Gaulois celtiques, & même du canton de Zurich, dont ils faisoient alors partie, qui entreprirent cette grande expédition, & qui oserent essayer de forcer les passages des Alpes. Leurs descendans, les Taurisques modernes, sont les habitans du canton d'Uri. (D.J.)


TAURO - CASTRO(Géog. mod.) petite ville de la Grece, dans la Livadie, vis-à-vis de l'île de Negrepont, dans l'isthme d'une presqu'île qui borne la plaine de Marathon, au-delà du marais, où la côte fait un promontoire : c'étoit l'ancienne ville de Rhamus, & ce ne sont aujourd'hui que des ruines. Cent pas au-dessus, sur une éminence, on voit les débris du temple de la déesse Némésis ; il étoit quarré, & avoit quantité de colonnes de marbre, dont il reste à peine quelques pieces. Ce temple étoit fameux dans toute la Grece, & Phidias l'avoit encore rendu plus recommandable par sa belle statue de Némésis, dont Strabon fait honneur à Agéracrite de Paros. (D.J.)


TAURO-SCYTHESLES, (Géog. anc.) Tauro-Scythae ou Tauri-Scythae ; peuples qui faisoient partie des Tauri, & qui habitoient au voisinage de la péninsule appellée la course d'Achille. Ptolémée, l. III. ch. xij. fixent la demeure des Tauro-Scythes dans ce quartier.


TAUROBOLES. m. (sacrifice des Payens) taurobolium, mot composé de , taureau, & de effusion ; effusion du sang d'un taureau. Espece de sacrifice expiatoire & purificatoire du paganisme, dont on ne trouve point de trace avant le regne d'Antonin, & dont l'usage paroît avoir cessé sous les empereurs Honorius & Théodose le jeune ; mais comme c'est une des plus bizarres & des plus singulieres cérémonies du paganisme, je crois qu'on ne sera pas fâché de la connoître. Prudence qui pouvoit l'avoir vue, nous la décrit assez au long.

On creusoit une fosse assez profonde, où celui pour qui se devoit faire la cérémonie, descendoit avec des bandelettes sacrées à la tête, avec une couronne, enfin avec tout un équipage mystérieux. On mettoit sur la fosse un couvercle de bois percé de quantité de trous. On amenoit sur ce couvercle un taureau couronné de fleurs, & ayant les cornes & le front ornés de petites lames d'or. On l'égorgeoit avec un couteau sacré ; son sang couloit par un trou dans la fosse, & celui qui y étoit le recevoit avec beaucoup de respect. Il y présentoit son front, ses joues, ses bras, ses épaules, enfin toutes les parties de son corps, & tâchoit à n'en point laisser tomber une goutte ailleurs que sur lui. Ensuite il sortoit de-là hideux à voir, tout souillé de ce sang, ses cheveux, sa barbe, ses habits tout dégouttans ; mais aussi il étoit purgé de tous ses crimes, & régénéré pour l'éternité ; car il paroît positivement par les inscriptions, que ce sacrifice étoit pour ceux qui le recevoient, une régénération mystique & éternelle. Il falloit le renouveller tous les vingt ans, autrement il perdoit cette force qui s'étendoit dans tous les siecles à venir.

Les femmes recevoient cette régénération aussi bien que les hommes ; on y associoit qui l'on vouloit ; & ce qui est encore plus remarquable, des villes entieres la recevoient par députés. Quelquefois on faisoit ce sacrifice pour le salut des empereurs. Les provinces envoyoient un homme se barbouiller en leur nom, du sang de taureau, pour obtenir à l'empereur une longue & heureuse vie. Tout cela est clair par les inscriptions.

Les tauroboles avoient principalement lieu pour la consécration du grand-prêtre, & des autres prêtres de Cybele. On trouva en 1705, sur la montagne de Fourvieres à Lyon, une inscription d'un taurobole, qui fut célébré sous Antonin le pieux, l'an 160 de J. C. Elle nous apprend qu'il se fit par ordre de la mere des dieux Idéenne, pour la santé de l'empereur & de ses enfans, & pour l'état de la colonie lyonnoise. Voyez là-dessus les mém. de l'acad. des Inscript. (D.J.)


TAUROCHOLIES(Antiq. grecq.) fêtes qu'on célébroit à Cysique en l'honneur de Neptune ; c'étoient proprement des combats de taureaux ; ensuite on les immoloit au dieu après les avoir long tems agacés & mis en fureur ; taurus, un taureau, & , fureur. (D.J.)


TAUROCINI(Géog. anc.) peuples d'Italie, dans la grande Grece, au voisinage de la ville Rhegium, selon Probat le grammairien, in vita Virgilii, qui cite les origines de Caton. Ces peuples tiroient leur nom du fleuve Taurocinium, sur le bord duquel ils habitoient ; ce fleuve s'appelle aujourd'hui Rezzo, selon LÉander. (D.J.)


TAUROCINIUM(Géog. anc.) fleuve d'Italie, dans la grande Grece ; ce fleuve s'appelle aujourd'hui Rezzo, selon LÉander. (D.J.)


TAUROCOLLE(Littérat.) s. f. taurocolla, c'est-à-dire colle de taureau ; les anciens la faisoient avec les oreilles & les parties génitales de cet animal ; les modernes la font encore à-peu-près de la même maniere, & elle est estimée ; cependant la colle de poisson mérite de beaucoup la préférence, comme plus durable, plus tenace, & plus simple. (D.J.)


TAUROMENIUM(Géog. anc.) ville de Sicile, dans la Péloriade, sur la côte. Pline, liv. III. c. viij. qui en fait mention, lui donne le titre de colonie, & ajoute qu'on la nommoit auparavant Naxos. L'itinéraire d'Antonin la nomme Tauromenium Naxon ; c'est qu'après la ruine de Naxos, les habitans furent transportés à Tauromenium, comme le dit Diodore de Sicile, l. XIV. p. 182. & l. XVI. p. 401.

La ville de Tauromenium étoit située sur le mont Taurus, & celle de Naxos avoit été bâtie sur la pente de cette montagne du côté du midi. Au-lieu de Tauromenium, quelques manuscrits de Pline portent Taurominium, & les habitans de cette ville sont quelquefois appellés Tauromenitani, & quelquefois Taurominitani. Cicéron. orat. frument. cap. vj. qui donne à cette ville le nom de confédérée, écrit Tauromenitana civitas ; & Silius Italicus, l. XIV. v. 257. suit l'autre orthographe.

Taurominitana cernunt de sede Charybdim.

On lit sur une médaille de l'empereur Tibere ces mots : Col. Aug. Tauromen. le nom moderne est Taormina.

Timée, historien grec, naquit à Tauromenium, & florissoit au tems d'Agathocles, qui mourut l'an 4. de la 123. olympiade. Il écrivit plusieurs livres qui sont tous perdus. Il écouta le seul esprit de vengeance à l'égard d'Agathocles dans son histoire de Sicile ; d'ailleurs Diodore & Cicéron avouent qu'il étoit très-docte & très-éloquent. (D.J.)


TAUROMINIUS(Géog. anc.) fleuve de Sicile, selon Vibius Sequester, qui le marque entre Syracuse & Messine, & ajoute qu'il avoit donné son nom à la ville Tauromenium, qu'on appelloit autrement Euseboncora. Ce fleuve est l'Onobala d'Appien, bel. civ. l. V. & c'est aujourd'hui le Cantara. (D.J.)


TAUROPHAGE(Mythol.) mangeur de taureau ; on trouve ce surnom donné à Bacchus, peut-être parce qu'on lui sacrifioit plus souvent des taureaux qu'aux autres dieux. (D.J.)


TAUROPOLIE(Antiq. grecq.) cette épithete qui veut dire protectrice des taureaux, fut donnée à Diane par les habitans de l'île Nicaria, qui lui consacrerent un temple sous ce nom. On trouve dans Goltzius une médaille frappée dans cette île, où d'un côté Diane paroît en équipage de chasse & de l'autre une personne montée sur un taureau. C'est de l'île de Nicaria que le culte de cette déesse passa, selon Tite-Live, l. XLIV. à Andros & à Amphipolis, ville de Thrace. (D.J.)


TAUROPOLIESS. f. pl. (Littérat.) fête en l'honneur de Diane & d'Apollon tauropoles ; on la célébroit dans les deux îles Icaries, celle de l'Archipel & celle de la mer Egée.

Dans l'Icarie de l'Archipel on voyoit un temple de Diane appellé Tauropolium, & Callimaque assure que de toutes les îles, il n'y en avoit pas de plus agréable à cette déesse.

Denis d'Alexandrie prétend qu'on sacrifioit dans celle du sein persique à Apollon Tauropole. Eustathe son commentateur dit qu'on vénéroit fort respectueusement Apollon & Diane Tauropoles dans l'île d'Icarie de la mer Egée : concluons de-là que ces divinités faisoient l'objet du culte des habitans de ces deux îles. Tauropole signifie ici protecteur des taureaux, & non pas marchand, ainsi que le nom semble le faire entendre.

Je ne rapporterai point ce que les anciens auteurs ont pensé sur ce nom, le mieux est de s'en tenir à Suidas ; mais je dois remarquer que Diaue Tauropole n'étoit pas seulement honorée dans les îles Icaries, mais encore dans celle d'Andros & à Amphipolis en Thrace, comme nous l'apprenons de Tite-Live.

Il ne faut pas confondre le nom de tauropole avec celui de taurobole. Le taurobole étoit un sacrifice tout particulier, que Prudence a décrit, & qui a été encore plus savamment expliqué par M. de Boze. Voyez TAUROBOLE. (D.J.)


TAUROPOLION(Géog. anc.) nom d'un temple consacré à Diane dans l'île d'Icarie, selon Strabon ; c'est aussi le nom d'un autre temple d'Artémide ou de Diane dans l'île de Samos, selon Etienne le géographe. (D.J.)


TAUROPOLIS(Géog. anc.) ville de la Carie, selon Etienne le géographe. Ortelius dit qu'on l'appelle à-présent Stauropoli.


TAURUNUM(Géogr. anc.) ville de la basse Pannonie, à l'embouchure du Save dans le Danube. On l'appelle aujourd'hui Alba-Graeca, ou Belgrade, en allemand Grichisch-Weissemburg. La notice des dignités de l'empire, sect. 57. fait mention de cette ville, aussi-bien que l'itinéraire d'Antonin, & la table de Peutinger. (D.J.)


TAURUSnom latin de la constellation du taureau. Voyez TAUREAU.

TAURUS, (Géog. anc.) nom commun à quelques montagnes ; mais la principale de ce nom est le Taurus d'Asie, & c'est la plus grande montagne que nous connoissons, d'où vient aussi qu'on l'a nommée Taurus, car la coutume des Grecs étoit d'appeller , tauri, ce qui étoit d'une grandeur démesurée. Le plus grand nombre des auteurs, entr'autres Strabon, Pline & Pomponius Mela font commencer cette montagne au promontoire Sacrum ou Chelidonium, quoiqu'elle traverse toute la Carie jusqu'à la Perée, mais ses branches de ce côté-là n'ont pas semblé mériter le nom de Taurus. Dans tous les pays où s'étend cette montagne, elle prend des noms différens & nouveaux, comme par exemple Taurus, Imaüs, Emodus, Paropamisus, Pariades, Niphates, Caucasus, Sarpedon, Tragus, Hircanus, Carpius, Scythicus, &c. Pline dit que ces diverses branches du Taurus, étoient appellées en général monts Cérauniens par les Grecs. Dans les endroits où le mont Taurus laisse des ouvertures & des passages, on leur donne le nom de Portes ou de Pyles, il y a les Portes arméniennes, les Portes caspiennes, & les Pyles de Cilicie.

2°. Taurus, montagne de la Germanie, selon Tacite, annal. l. I. c. lvj. & l. XII. c. xxviij. Spener croit que c'est celle qu'on nomme aujourd'hui der Heyrich, ou Dunsberg, montagne de la Hesse près de Giessen.

Taurus est aussi le nom 1°. d'un fleuve de l'Asie mineure, au voisinage de la Pamphylie, selon Tite-Live ; 2°. d'un fleuve de Péloponnèse près de Troëzene ; 3°. d'un lieu de Sicile à 60 stades de Syracuse.


TAUSIHEBS. m. terme de relation ; tribunal chez les Perses, qui connoît de toutes les finances, & qui juge toutes les affaires qui s'y rapportent.


TAUSTE(Géog. mod.) bourgade d'Espagne, que Silva nomme ville, & qu'il met au nombre des cinq premieres de l'Aragon, à deux lieues des confins de la Navarre, sur la petite riviere de Riguel. Cette bourgade a droit de suffrage dans les assemblées, & ne peut pas être aliénée. Ses magistrats sont réputés nobles, & ses habitans jouissent de plusieurs franchises. (D.J.)


TAUT-SES. f. (Hist. mod.) c'est le nom d'une secte de la Chine, dont Lao-kiun est le fondateur, & qui a un grand nombre de partisans dans cet empire. Les livres de Lao-kiun se sont conservés jusqu'à ce jour ; mais on assure qu'ils ont été altérés par ses disciples, qui y ont ajouté un grand nombre de superstitions. Ces ouvrages renferment des préceptes de morale propres à rendre les hommes vertueux, à leur inspirer le mépris des richesses, & à leur inculquer qu'ils peuvent se suffire à eux-mêmes. La morale de Lao-kiun est assez semblable à celle d'Epicure ; elle fait consister le bonheur dans la tranquillité de l'ame, & dans l'absence des soins qui sont ses plus grands ennemis. On assure que ce chef de secte admettoit un dieu corporel. Ses disciples sont fort adonnés à l'alchymie, ou à la recherche de la pierre philosophale ; ils prétendent que leur fondateur avoit trouvé un elixir au moyen duquel on pouvoit se rendre immortel. Ils persuadent de plus au peuple qu'ils ont un commerce familier avec les démons, par le secours desquels ils operent des choses merveilleuses & surnaturelles pour le vulgaire. Ces miracles, joints à la faculté qu'ils prétendent avoir de rendre les hommes immortels, leur donnent de la vogue, sur-tout parmi les grands du royaume & les femmes ; il y a eu même des monarques chinois à qui ils en ont imposé. Ils ont plusieurs temples dédiés aux démons en différens endroits de l'empire ; mais la ville de Kiangsi est le lieu de la résidence des chefs de la secte ; il s'y rend une grande foule de gens qui s'adressent à eux pour être guéris de leurs maladies, & pour savoir l'avenir ; ces imposteurs ont le secret de leur tirer leur argent, en place duquel ils leur donnent des papiers chargés de caracteres magiques & mystérieux. Ces sorciers offrent en sacrifice aux démons un porc, un oiseau & un poisson. Les cérémonies de leur culte sont accompagnées de postures étranges, de cris effrayans, & d'un bruit de tambour qui étourdit ceux qui les consultent, & leur fait voir tout ce que les imposteurs veulent. Voyez Duhalde, hist. de la Chine.


TAUTOCHRONES. m. se dit en Méchanique & en Physique, des effets qui se font dans le même tems, c'est-à-dire, qui commencent & qui finissent en tems égaux.

Ce mot vient des mots grecs , idem, le même, & , tems.

Les vibrations d'un pendule, lorsqu'elles n'ont pas beaucoup d'étendue, sont sensiblement tautochrones, c'est-à-dire, se font en tems égaux. Voyez VIBRATION.

TAUTOCHRONE, COURBE, en Méchanique, est une courbe QAB, (fig. Méch.) dont la propriété est telle, que si on laisse tomber un corps pesant le long de la concavité de cette courbe, il arrivera toujours dans le même tems au point le plus bas A, de quelque point qu'il commence à partir, desorte que s'il met par exemple, une seconde à venir de B en A, il mettra pareillement une seconde à venir de C en A, s'il ne commence à tomber que du point C, & de même une seconde à venir de M en A, s'il ne commence à tomber que du point M, & ainsi de tous les autres points.

On appelle encore courbe tautochrone une courbe telle que si un corps pesant part de A avec une vîtesse quelconque, il emploie toujours le même tems à remonter le long de l'arc AM, ou AC, ou AB, lequel arc sera d'autant plus grand, que la vîtesse avec laquelle il est parti de A est plus grande.

On nomme la premiere espece tautochrones, tautochrones en descendant, & la seconde espece, tautochrones en montant.

M. Huyghens a trouvé le premier que la cycloïde étoit la tautochrone dans le vuide, soit en montant, soit en descendant, en supposant la pesanteur uniforme. Voyez son horologium oscillatorium.

MM. Newton & Herman ont aussi trouvé les tautochrones dans le vuide, en supposant que la gravité tendît vers un point, & fût réglée suivant une loi quelconque.

Pour ce qui regarde les tautochrones dans les milieux résistans, M. Newton a aussi fait voir que la cycloïde étoit encore la tautochrone, soit en montant, soit en descendant, lorsque le milieu résiste en raison de la simple vîtesse. Voyez le II liv. des principes mathématiques, prop. xxvj. & on pourroit démontrer ce que personne que je sache, n'a encore fait, que la cycloïde seroit aussi la tautochrone dans un milieu dont la résistance seroit constante. Il est vrai que le point où les chutes tautochrones se terminent, ne seroit pas alors le point plus bas, ou le sommet de la cycloïde, mais un point placé entre le sommet de la cycloïde & son origine.

M. Euler est le premier qui ait déterminé la tautochrone dans un milieu résistant, comme le quarré de la vîtesse. Voyez les mém. de l'acad. de Pétersbourg, t. IV. son mémoire est du mois d'Octobre 1729 ; & dans les mém. de l'acad. des Sciences de Paris, pour l'année 1730, on trouve un mémoire de M. Jean Bernoully, où il résout le même problême. On n'attend pas de nous que nous entrions sur ce sujet dans un détail qui ne pourroit être à portée que des seuls géometres. M. Euler a continué cette matiere dans le II. vol. de sa méchanique, imprimée à Pétersbourg 1736, & on y trouve un grand nombre de très-beaux problêmes sur ce sujet.

Enfin M. Fontaine a donné dans les mém. de l'acad. de 1734, un écrit sur cette matiere, dans lequel il résout ce problême par une méthode toute nouvelle, & au moyen de laquelle il découvre la tautochrone dans des hypotheses de résistance, où on ne peut la trouver par d'autres méthodes. Nous croyons devoir saisir cette occasion de faire connoître aux géometres un si excellent ouvrage, qu'on peut regarder comme un des plus beaux qui se trouvent parmi les mémoires de l'académie des Sciences de Paris. C'est ce que nous ne craignons point d'assurer après avoir lu ce mémoire avec attention, & nous pourrions nous appuyer ici du témoignage que lui a rendu un géometre célebre, qui a travaillé sur cette matiere fort long-tems, & avec beaucoup de succès.

Lorsque le milieu ne résiste point, ou que la résistance est constante, la tautochrone est assez facile à trouver, parce qu'il ne s'agit alors que de trouver une courbe AM, telle que la force accelératrice qui meut le corps en chaque point M soit proportionnelle à l'arc AM ; c'est ce qu'on trouve démontré dans plusieurs ouvrages. Quelques géometres ont voulu appliquer cette méthode à la recherche des tautochrones dans des milieux résistans, & se sont imaginés les avoir trouvées. Mais il faut prendre garde que quand le milieu est résistant comme une puissance ou une fonction quelconque de la vîtesse, la force accélératrice se combine alors avec la résistance, qui est plus ou moins grande, selon que la vîtesse l'est plus ou moins. Ainsi, pour un même point M la force accélératrice est différente, selon que le corps a plus ou moins de vîtesse en ce point, c'est-à-dire, selon qu'il est tombé d'un point plus ou moins élevé. On ne sauroit donc supposer alors qu'en général la force accélératrice M son proportionnelle à l'arc A M. Nous avons cru devoir avertir de cette erreur, où pourroient tomber des géometres peu attentifs en voulant résoudre ce problème. (O)


TAUTOCHRONISMES. m. (Méch.) est la propriété par laquelle deux ou plusieurs effets sont tautochrones, ou la propriété par laquelle une courbe est tautochrone ; ainsi on dit le tautochronisme des vibrations d'un pendule, le tautochronisme de la cycloïde, &c. (O)


TAUTOGRAMMEadj. (Poésie) de , même, , lettre ; on appelle un poëme tautogramme & des vers tautogrammes, ceux dont tous les mots commencent par une même lettre. Baillet cite un Petrus Placentius, allemand, qui publia un poëme tautogramme, intitulé, pugna porcorum, dont tous les mots commençoient par un P. Le poëme est de 350 vers, & l'auteur s'y cacha sous le nom de Publius Porcius. Un autre allemand, nommé Christianus Pierius, a composé un poëme de près de 1200 vers sur J. C. crucifié, dont tous les mots commencent par un C. Un bénédictin nommé Hubaldus, avoit présenté à Charles le chauve un poëme tautogramme en l'honneur des chauves, & dont tous les mots de ce poëme commençoient aussi par un C. On appelle encore ces sortes de fadaises des vers lettrisés, sur lesquels on a dit depuis long-tems, stultum est difficile habere nugas. (D.J.)


TAUTOLOGIES. f. (Gram.) pléonasme de mots, d'idées, ou répétition inutile des mêmes choses ; la tautologie ne sert qu'à rendre le discours long & fastidieux. Le premier & le plus agréable tautologue est le poëte Ovide.


TAUTOLOGIQUEadj. (Phys.) échos tautologiques, sont ces échos qui répetent plusieurs fois le même son ou la même syllabe. Voyez ÉCHO.


TAUXTAXE, TAXATIONS, (Lang. franç.) le premier signifie, 1°. ce qu'on paye pour la taille ; 2°. le prix qu'on met sur les denrées & sur les marchandises ; 3°. la fixation des intérêts & des monnoies ; enfin il s'employe quelquefois au figuré. Regnier a dit : il met au même taux le noble & le coquin. Taxe est ce que les aisés, les comptables, & quelques autres personnes doivent payer. Taxations est ce qui est accordé aux trésoriers & aux receveurs généraux sur l'argent qu'ils reçoivent, pour les dédommager des fraix qu'ils font dans l'exercice de leurs charges, & ces sortes de dédommagemens les enrichissent avec rapidité. Taxe signifie aussi le réglement sur le prix des denrées, & le prix même établi par le réglement ; faire la taxe des vivres, la taxe de la livre de pain. On dit aussi au palais taxe de dépens, pour signifier la procédure qu'on fait pour régler & liquider les dépens adjugés. Ce mot a bonne grace au figuré. Il y a des livres, des feuilles périodiques, qui ne sont autre chose que des taxes, que la cabale met sur les préjugés des hommes. (D.J.)

TAUX DU ROI, (Jurisprud.) est le denier auquel le roi fixe les arrérages des rentes perpétuelles & les intérêts des sommes qui en peuvent produire.

Ce taux est présentement au denier vingt, & il n'est pas permis au particulier de l'excéder, parce que cette fixation est de droit public. Voyez ARGENT, ARRERAGES, DENIER, INTERET, RENTE.

Surtaux, en fait de taille, est un taux excessif, ou répartition exorbitante. Voyez SURTAUX & TAILLE. (A)

TAUX, s. m. (Police de commerce) prix établi & fixé sur des marchandises & denrées par autorité publique, ou quelquefois par la seule volonté ou fixation du marchand ; c'est le grand prevôt de l'hôtel qui fixe le taux de certaines marchandises qui se vendent à la suite de la cour. Savary. (D.J.)


TAVANSAY(Géog. mod.) petite île d'Ecosse, une des Westernes, située au couchant de celle d'Harries. Elle n'a que trois milles de tour, & est assez fertile. (D.J.)


TAVASTLAND(Géog. mod.) province de Suede, dans la Finlande. Elle est bornée au nord par la Caianie ou Bothnie orientale, à l'orient par la grande Savolax, au midi par la Nylande, & à l'occident, partie par la Finlande proprement dite, partie par la Caianie. Cette province a huit lacs & plusieurs mines de fer. Sa capitale se nomme Tavastus. (D.J.)


TAVASTUS(Géog. mod.) ville de Suede, dans la Finlande, capitale de la province de Tavastland, dans sa partie méridionale, sur une petite riviere qui se jette un peu au-dessus, dans le lac de Wana. Long. 42. 29. latit. 61. 15. (D.J.)


TAVAYOLES. f. (terme de relation.) grand mouchoir qu'on met sur la tête en Turquie, pour recevoir l'odeur des parfums. Chez les Turcs dans les visites des cérémonies, un peu de tems après qu'on est assis, le maître de la maison fait apporter une cassolette auprès de son ami, & deux valets lui couvrent la tête d'une tavayole, afin que la fumée du parfum qu'on lui présente ne s'échappe pas, & qu'il la respire toute entiere. (D.J.)

TAVAYOLE, s. f. (terme de Lingere) grand linge quarré fort fin, enrichi de dentelles ou de points, lequel sert à mettre sur les pains bénits, ou à couvrir les enfans qu'on porte baptiser. (D.J.)


TAVELA, (Géog. mod.) riviere d'Angleterre, au pays de Galles. Elle a sa source dans Breknokshire, traverse Glamorgan-shire, & après avoir mouillé Landaf & Cardif, elle tombe dans le golfe qui forme l'embouchure de la Saverne. (D.J.)


TAVEBROTECHS. m. (Hist. nat. Médecine) arbre de l'île de Madagascar ; on assure qu'en le mettant en décoction avec du miel & le bois de mer appellé par les habitans tangouarach, il fournit un remede excellent contre la pleurésie, la pulmonie, & toutes les maladies de la poitrine.


TAVELÉadj. (Pelletier) qui a des taches ou des marques sur la peau. On dit qu'une peau de tigre ou autre animal, propre à faire des fourrures, est tavelée, c'est-à-dire qu'elle est tachetée ou mouchetée.


TAVELERterme de Pelletier-Fourreur, qui signifie moucheter l'hermine avec de petits morceaux de paux d'agneau de Lombardie, dont la laine est luisante & très-noire.


TAVELLES. f. (Lainage) espece de petite tringle de bois très-plate, qui sert à battre la treme de ce qu'on appelle un petit métier. Trévoux. (D.J.)

TAVELLE, s. f. (Passementerie) espece de passement fort étroit, qu'on met quelquefois en guise de passepoil, sur les coutures des habits, pour les marquer. Trévoux. (D.J.)


TAVELUREc'est la bigarrure d'une peau qui est tavelée. On dit, la tavelure de cette peau de tigre est très-belle.

TAVELURE, terme de Fauconnerie, ce mot signifie des mailles ou taches de différentes couleurs qui se trouvent sur les plumes de l'oiseau de proie. (D.J.)


TAVERNA(Géog. mod.) petite ville du royaume de Naples, dans la Calabre ultérieure, sur l'Alli. Cette ville a été épiscopale ; mais en 1222, l'évêché fut transféré à Catanzaro. Long. 34. 25. latit. 38. 42. (D.J.)


TAVERNAGES. m. (Gram. & Jurisprud.) signifie quelquefois le droit que les vendans vin payent au seigneur pour la permission de tenir taverne ; souvent il se prend pour l'amende qui est dûe par les taverniers, quand ils ont vendu le vin à plus haut prix qu'il n'avoit été taxé par le juge, comme dans l'ancienne coutume de Normandie, c. xvj. Voyez le gloss. de Lauriere. (A)


TAVERNECABARET, HOTELLERIE, AUBERGE, (Lang. franç.) taverne & cabaret signifient à-peu-près la même chose ; c'est un lieu où l'on vend le vin à pot & à pinte. Hôtellerie signifie une maison où des voyageurs logent & mangent. Auberge est une maison où l'on prend des personnes en pension, & où l'on va manger ordinairement.

Mais pour m'étendre un peu davantage, j'ajoute que les tavernes, à parler proprement, sont les lieux où l'on vend le vin par assiete, & où l'on donne à manger. Les cabarets sont les lieux où l'on vend seulement du vin sans nappe & sans assiette, qu'on appelle à huis coupé & pot renversé ; cependant le mot de taverne emporte avec soi quelque idée moins honnête & plus basse que celui de cabaret ; la principale raison en est que taverne est plus en usage dans les édits & dans les discours publics contre les ivrognes, que dans la bouche des Parisiens qui se servent du mot de cabaret au lieu de celui de taverne, & qui lorsqu'ils parlent des cabarets de province, disent hôtellerie. Taverne doit venir du latin. Horace dit :

Nec vicina subest vinum praebere taberna,

Quae possit.

Hôtellerie est un logis garni que tient un hôtellier, où il reçoit les voyageurs, les passans ; les loge, les couche & les nourrit pour de l'argent : c'est un gîte sur une route.

Auberge est une maison où l'on donne à manger, soit en pension, soit par repas, pour une certaine somme. Les François ont décoré la plûpart de leurs auberges du nom d'hôtel, & les Flamands les ont imités. (D.J.)

TAVERNES LES TROIS, voyez TRES TABERNAE. (D.J.)


TAVERTIN(Géog. mod.) montagne de l'Afrique, au royaume de Fez, proche la ville de Fez, du côté du nord. Elle a des creux de roches souterraines où l'on conserve du blé fort longtems. (D.J.)


TAVIGNANOLE, (Géog. mod.) riviere de l'île de Corse. Elle a sa source vers le milieu de l'île, & se dégorge dans la mer, entre l'embouchure de l'étang de Diane & celle de l'étang d'Urbain. (D.J.)


TAVIRou TAVILA, (Géog. mod.) ville de Portugal, dans la province d'Algarve, dont elle est la capitale. Elle est située sur le bord de la mer, à l'embouchure du Gilaon, entre le cap de S. Vincent & le détroit de Gibraltar. Elle n'a que deux paroisses, un hôpital & quatre ou cinq couvens. Sa forteresse a été bâtie par le roi Sébastien. Son port est un des meilleurs du royaume, & la campagne des environs est également agréable & fertile. Long. 9. 55. latit. 37. 10. (D.J.)


TAVISTOCou TAVESTOCK, (Géog. mod.) ville d'Angleterre, en Devonshire, sur la droite du Taw. Elle doit son origine à un ancien monastere qui fut détruit par les Danois. Malmesbury rapporte que de son tems cette ville étoit agréable par la commodité de ses bois, par la structure de ses églises & par les canaux tirés de la riviere, qui couloient devant les boutiques, & qui emportoient toutes les immondices. Long. 13. 35. latit. 50. 30.

Le poëte Browne (Guillaume) naquit dans cette ville, vers l'an 1590, & mourut en 1645. Après avoir fait ses études à Oxford, il entra chez le comte de Pembroke qui lui témoigna beaucoup d'estime, & il fit si bien ses affaires dans cette maison, qu'il se vit en état d'acheter une terre ; mais ses poésies pastorales imprimées en 1625 à Londres, en deux tomes in -8°. lui procurerent une grande réputation, & elle n'est pas encore perdue, si je m'en rapporte au jugement de M. Philips & autres, dans leurs vies des plus célebres poëtes anglois. (D.J.)


TAVIUM(Géog. anc.) ville de la Galatie, dans le pays des Trocmi. Strabon, liv. XII. p. 567, après avoir donné à cette ville le titre de Castellum, lui donne celui d'Emporium. Pline, l. V. ch. xxxij. dit que c'étoit la premiere place des Trocmi, & Ptolémée, l. V. c. iv. la nomme la premiere, comme la métropole de ces peuples. (D.J.)


TAVOLARO(Géog. mod.) petite île sur la côte orientale de la Sardaigne, à l'embouchure du golphe de Terra-Nova. C'est, à ce qu'on croit l'Hermaea Insula de Ptolémée, l. III. c. iij. (D.J.)


TAVONS. m. (Hist. nat. Ornitholog.) oiseau de mer des îles Philippines ; il est noir, plus petit qu'une poule, mais il a les piés & le cou fort longs. Ses oeufs qu'il pond sur le sable, sont aussi gros que ceux d'une oie ; on assure que lorsque les petits sont éclos, on y trouve le jaune entier, & qu'ils sont aussi bons à manger qu'auparavant. On prétend que la femelle rassemble ses oeufs quelquefois au nombre de quarante ou cinquante, qu'elle enterre sous le sable ; lorsque la chaleur du soleil les a fait éclorre, ils sortent du sable, & la mere qui est perchée sur un arbre, par ses cris les excite à forcer les obstacles & à venir auprès d'elle.


TAVURNO(Géog. mod.) montagne d'Italie, au royaume de Naples, dans la partie occidentale de la principauté citérieure, aux confins de la terre de Labour, près d'une riviere qui se jette dans le Volturno. (D.J.)


TAWLE, (Géog. mod.) petite riviere d'Angleterre. Elle traverse une partie du Dévonshire, & après s'être jointe à la Turridge, à trois milles de la mer d'Irlande, elles s'y jettent de compagnie dans l'Océan. (D.J.)


TAXATEURS. m. (Jurisprud.) signifie celui qui taxe quelque chose, qui l'évalue, qui y met le prix.

Les taxateurs de dépens sont des procureurs tiers, qui taxent & reglent le taux des dépens entre leurs confreres. Ils ont été créés en 1635, ensuite supprimés, puis rétablis en 1689. Voyez DEPENS, PROCUREUR, TAXE, TIERS REFERENDAIRE. (A)


TAXCOTES. m. (Hist.) officier dans l'empire grec, dont la fonction étoit celle des appariteurs ou huissiers des princes & des magistrats.


TAXE(Jurisprud.) signifie la fixation d'une chose.

On appelle taxe ou cote d'office, l'imposition que les élus ou l'intendant mettent sur certains taillables, tels que les officiers & bourgeois. Voyez TAILLE.

Taxe seche, est une espece d'amende à laquelle on condamne ceux qui sont convaincus du crime de péculat. Voyez PECULAT.

Taxe des dépens, est la liquidation, ou l'évaluation & fixation des dépens adjugés à une partie contre l'autre. Pour parvenir à cette taxe, le procureur de la partie qui a obtenu la condamnation de dépens, fait signifier au procureur adverse sa déclaration de dépens ; le procureur défendant met ses apostilles en marge de la déclaration, pour faire rayer ou modérer les articles qu'il croit en être susceptibles ; le procureur tiers arrête & fixe les articles.

Les dépens ainsi taxés, on en délivre un exécutoire.

Quelquefois le défendeur interjette appel de la taxe, & même de l'exécutoire, si c'est devant un juge inférieur. Voyez COMMISSAIRE AU CHASTELET, DEPENS, EXECUTOIRE, FRAIS, PROCUREURS, REFERENDAIRE, TIERS. (A)

TAXE, (Gouv. politiq.) Voyez IMPOTS, SUBSIDES ; je n'ajouterai qu'un petit nombre de réflexions.

Il faut éviter soigneusement dans toutes les impositions, des préambules magnifiques en paroles, mais odieux dans l'effet, parce qu'ils révoltent le public. En 1616, on doubla la taxe des droits sur les rivieres pour soulager le peuple, portoit le préambule de l'édit ; quel langage ? Pour soulager le peuple, on doubloit les droits qu'il payoit auparavant dans le transport de ses récoltes. Pour soulager le peuple, on arrêtoit la vente des denrées qui le faisoient vivre, & qui le mettoient en situation de payer d'autres droits.

On doit chercher dans tous les états à établir les taxes les moins onéreuses qu'il soit possible au corps de la nation. Il s'agiroit donc de trouver pendant la paix, dans un royaume, comme la France, un fonds dont la perception ne portât point sur le peuple ; telle seroit peut-être une taxe proportionnelle & générale sur les laquais, cochers, cuisiniers, maîtres-d'hôtels, femmes de chambre, carrosses, &c. parce que la multiplication de ce genre de luxe, devient de jour en jour plus nuisible à la population & aux besoins des campagnes. Cette taxe se leveroit sans fraix comme la capitation, & son produit ne s'éloigneroit pas de douze millions, en ne taxant point le premier laquais ou femme de chambre de chaque particulier ; mais en mettant trente-six livres pour le second laquais, soixante & douze livres pour le troisieme, & ainsi des secondes & troisiemes femmes de chambre. On n'admettroit d'exception qu'en faveur des officiers généraux dans leur gouvernement & conformément à leur grade.

On pourroit créer sur ce fonds environ cinquante millions d'annuité à 4 pour cent, remboursables en six années, capitaux & intérêts. Ces cinquante millions seroient donnés en payement de liquidation de charges les plus onéreuses, d'aliénation de domaines & droits domaniaux. Le produit de ces remboursemens serviroit à diminuer d'autres impositions.

Au bout de six ans après l'extinction des premieres annuités, il en seroit créé de nouvelles pour un pareil remboursement. Dans l'espace de vingt ans, on éteindroit pour deux cent millions d'aliénations, & on augmenteroit les revenus publics de douze millions au moins. Les annuités étant à court terme, ce qui est toujours le plus convenable au public, & dès-lors aux intérêts du Roi, & affectées sur un bon fonds, elles équivaudroient à l'argent comptant, parce que cet effet a la commodité de pouvoir se négocier sans fraix, & sans formalités.

On sentira en particulier l'avantage d'une taxe qui se perçoit sans fraix, si l'on considere seulement qu'il y a en France plus de quatre-vingt mille hommes chargés du recouvrement des taxes du royaume, qui à raison de mille livres l'un dans l'autre, font quatrevingt millions de perdus sur la perception des droits imposés par le roi. Considérat. sur les finances. (D.J.)

TAXE DES JUIFS, (Critique sacrée) Voyez TRIBUT, BLICAINCAIN. (D.J.)

TAXE DE CONTRIBUTION, (Art milit.) ou simplement contributions ; droits, taxe, que le général fait payer aux places & pays de la frontiere, pour se racheter des insultes & du pillage. Le prince qui fait la guerre ne se contente pas de prendre de l'argent sur ses sujets, il prend encore des mesures avec son général, pour trouver les moyens d'augmenter ou d'épargner ses fonds. Ces moyens sont les contributions. Il y en a de deux sortes, celles qui se tirent en substances ou commodités, & celles qui se tirent en argent.

Celles qui se tirent en commodités ou substances, sont les grains, les fourrages, les viandes, les voitures tant par eau que par terre, les bois de toute espece, les pionniers, le traitement particulier des troupes dans les quartiers d'hiver, & leurs logemens. On ne fait aucune levée, qu'on n'ait fait un état juste du pays qu'on veut mettre en contribution, afin de rendre l'imposition la plus équitable, & la moins onéreuse qu'il se peut. On ne demande point, par exemple, des bois aux lieux qui n'ont que des grains ou des prairies, & des chariots aux pays qui font leurs voitures par eau. La levée des blés se fait sur les pays qui ont paisiblement fait leur récolte, & comme par forme de reconnoissance pour la tranquillité dont ils ont jouï par le bon ordre & la discipline de l'armée. Celle de l'avoine & autres grains pour les chevaux a le prétexte du bon ordre, par lequel un pays est infiniment moins chargé, que s'il étoit abandonné à l'avidité des cavaliers, qui indifféremment enleveroient les grains où ils les trouveroient, sans ordre & sans regle. Celle des fourrages se fait de même, mais on prend un tems commode pour les voitures, & on la fait dans les lieux, où on a résolu de les faire consumer par les troupes.

Celles des viandes se fait, s'il est possible, sur les pays où on ne peut faire hiverner les troupes, afin qu'elles ne portent pas la disette dans celui où seront les quartiers d'hiver. Les voitures soit par terre, soit par eau, s'exigent pour remplir les magasins, faits sur les derrieres des armées de munition de guerre & de bouche, pour la conduite de la grande armée, & des munitions devant une place assiégée, ou pour le transport des malades & des blessés, ou pour le transport des matériaux destinés à des travaux. On fait les impositions de bois, ou pour des palissades, ou pour la construction des casernes & écuries, ou pour le chauffage des troupes pendant l'hiver. On assemble des pionniers pour fortifier des postes destinés à hiverner les troupes, pour faire promtement des lignes de circonvallation autour d'une place assiégée ; pour la réparation des chemins & ouverture des défilés, pour la construction des lignes, qu'on a faites à dessein de couvrir les lignes, & de l'exemter des contributions, & pour combler les travaux faits devant une place qu'on aura prise.

L'ustencile pour les troupes prise sur le pays ennemi, se tire de deux manieres. Les lieux où elles hivernent, ne la doivent fournir que pour les commodités que le soldat trouve dans la maison de son hôte, supposé qu'il n'y ait ni ne puisse avoir de casernes dans ce lieu ; s'il y en a, la contribution en argent est compensée avec ces commodités, & doit être moindre que celle qui se leve sur le plat pays, ou dans les villes où il n'y a point de troupes logées.

La contribution en argent s'étend plus loin qu'il est possible. On l'établit de deux manieres : volontairement sur le pays à portée des places, & des lieux destinés pour les quartiers d'hiver : par force, soit par l'armée même pendant qu'elle est avancée, soit par les gros partis qui en sont détachés pour pénétrer dans le pays qu'on veut soumettre à la contribution. Elle s'établit aussi derriere les places ennemies, & les rivieres par la terreur ; soit par des incendiaires déguisés, qui sement des billets ; soit par les différentes manieres dont on peut faire passer les rivieres à de petits partis, qui s'attachent à enlever quelques personnes considérables du pays, ou autrement.

Enfin on tient des états de toutes les contributions qui se levent, & le prince doit avoir une attention bien grande sur les gens qu'il en charge, parce qu'il n'est que trop ordinaire qu'ils en abusent pour leur profit particulier ; & lorsque les contributions ne sont pas judicieusement établies & demandées, l'intérêt particulier de ceux qui les imposent ou perçoivent, prévaut toujours sur l'intérêt du prince. (D.J.)

TAXE DES TERRES, (Hist. d'Angleterre) Il n'y a point en Angleterre de taille ni de capitation arbitraire, mais une taxe réelle sur les terres ; elles ont été évaluées sous le roi Guillaume III.

La taxe subsiste toujours la même, quoique les revenus des terres ayent augmenté ; ainsi personne n'est foulé, & personne ne se plaint ; le paysan n'a point les piés meurtris par les sabots, il mange du pain blanc, il est bien vêtu, il ne craint point d'augmenter le nombre de ses bestiaux, ni de couvrir son toît de tuiles, de peur que l'on ne hausse ses impôts l'année suivante. Il y a dans la grande-Bretagne beaucoup de paysans qui ont environ cinq ou six cent livres sterling de revenu, & qui ne dédaignent pas de continuer à cultiver la terre qui les a enrichis, & dans laquelle ils vivent libres. Hist. Univers. t. IV. (D.J.)


TAXERv. act. (Gram.) c'est fixer un prix à une chose. Voyez les articles TAXE.


TAXGAETIUM(Géog. anc.) ville de la Rhétie, selon Ptolémée, l. II. c. xij. On croit que c'est peut-être Tussenberg. (D.J.)


TAXIANA(Géog. anc.) île du golfe persique, sur la côte de la Susiane, à l'occident de l'île Tabiana, selon Ptolémée, l. VI. c. iij. (D.J.)


TAXIARQUES. m. (Antiq. d'Athènes) ; commandant d'infanterie d'une tribu d'Athènes. (D.J.)


TAXILA(Géog. anc.) ville de l'Inde, en-deçà du Gange. Strabon, Ptolémée, & Etienne le Géographe, parlent de cette ville. Ses peuples sont nommés Taxili dans Strabon, & Taxilae dans Pline.


TAXISdans l'ancienne architecture, étoit ce qu'on appelle ordonnance dans la nouvelle ; & Vitruve dit que c'est ce qui donne les justes dimensions à chaque partie d'un bâtiment, eu égard aux usages auxquels il est destiné. Voyez ORDONNANCE, PROPORTION, MMETRIETRIE.

TAXIS, terme de Chirurgie, qui signifie la réduction de quelque partie du corps dans sa place naturelle. Telle est dans les hernies la réduction de l'intestin, ou de l'épiploon, qu'on fait rentrer dans la capacité du bas-ventre, en les maniant artistement avec les doigts. Voyez REDUCTION, INTESTIN, IPLOONLOON.

C'est aussi par le taxis que se fait la réduction des os déplacés dans les luxations & les fractures.

Ce mot est grec , ordinalis, arrangement. (Y)


TAXOCOQUAMOCHITL(Botan.) nom américain d'une plante du Mexique, qui est une espece de phaséole ; la gousse de cette plante a été décrite & représentée dans Bauhin, t. I. c. xj. elle a cinq pouces de longueur, demi-pouce de largeur, & finit en pointe ; elle est partagée en vingt ou vingt-quatre loges distinctes, composées par autant de fines membranes qui les séparent, pour loger à part autant de graines qu'il y a de cloisons ; ces graines sont d'un bai-brun, & approchant en figure de celles du genêt. (D.J.)


TAYLE, (Géog. mod.) en latin Tavus, Taas, riviere d'Ecosse. Elle a sa source dans la province de Broad-Albain, au mont Grantsbain, & se jette dans la mer du Nord, par une embouchure de deux milles de large, à sept milles au-dessous de Dondée, & à six de saint André & d'Aberden. C'est après le Fith, la plus grande riviere d'Ecosse, & elle divise ce royaume en deux parties, la septentrionale & la méridionale. Cette riviere est navigable dans le cours de vingt milles ; elle baigne Dunkeld, Perth, Aberneth, Dondée, & Storton ; ses bords sont en quelques endroits fort escarpés. (D.J.)


TAY-BOU-TO-NIS. m. (Hist. mod.) c'est le nom que les habitans du Tonquin donnent à des jongleurs, ou prétendus magiciens, qui, au moyen de quelques charmes, persuadent au peuple qu'ils peuvent guérir toutes sortes de maladies ; leur maniere de procéder à la guérison d'un malade, est de danser autour de lui, en faisant un bruit horrible, soit avec une trompette, soit avec une espece de tambour, soit avec une clochette, &c. & en proférant des paroles mystérieuses pour conjurer les démons, auprès desquels ils prétendent avoir beaucoup de crédit.


TAYAMOMS. m. (Hist. mod. Superst.) c'est ainsi que les mahométans nomment une espece de purification ordonnée par l'alcoran ; elle consiste à se frotter avec de la poussiere, du sable, ou du gravier, lorsqu'on ne trouve point d'eau pour faire les ablutions ordinaires ; cette sorte de purification a lieu pour les voyageurs, ou pour les armées qui passent par les déserts arides, & où l'on ne trouve point d'eau ; pour lors elle tient lieu de la purification connue sous le nom de wodu, ou d'abdést.


TAYDELISS. m. (Hist. mod.) c'est ainsi que l'on nomme au royaume de Tonquin des especes de devins, qui n'ont d'autre fonction que de chercher & d'indiquer les endroits les plus avantageux pour enterrer les morts ; ces endroits, suivant les Chinois & les Tonquinois, ne sont rien moins qu'indifférens, & l'on apporte le plus grand scrupule dans leur choix. Les taydelis examinent pour cet effet, la position des lieux, les vents qui y regnent, le cours des ruisseaux, &c. & jamais un tonquinois n'enterreroit ses parens sans avoir consulté ces prétendus devins sur la sépulture qu'il doit leur donner. Le devin, suivant l'usage, ne lui donne point ses conseils gratuitement.


TAYGETA(Géog. anc.) montagne du Péloponnèse, dans l'Arcadie ; mais elle étoit d'une telle étendue, qu'elle couroit dans toute la Laconie, jusqu'au voisinage de la mer, près du promontoire Tanarum. Cette montagne est haute & droite, si ce n'est dans l'Arcadie, où s'approchant des montagnes de cette contrée, elle forme avec elles un coude aux confins de la Messénie & de la Laconie.

La ville de Sparte étoit bâtie au pié de cette montagne, qui étoit consacrée à Castor & Pollux. Servius dit pourtant qu'elle a été consacrée à Bacchus. Comme il y avoit quantité de bêtes fauves dans cette montagne, la chasse y étoit abondante, & les filles de Sparte s'y exerçoient ; ce qui a fait dire à Properce, ib. III. éleg. 14.

Et modo Taygeti crines adspersa pruinâ,

Sectatur patrios per juga longa canes.

Virgile, au-lieu de dire Taygetus dit Taygeta, en sous-entendant le mot juga :

.... Virginibus bacchata lacaenis

Taygea.

Et Stace a dit :

Nusquam umbrae veteres, minor othris & ardua sidunt ;

Taygeta, exalti viderunt aëra montes.

Le mont Taygete est bien connu ; il forme trois chaînes de montagnes, une à l'ouest vers Calamata & Cardamylé, une autre au nord vers Néocastro en Arcadie, & une autre au nord-est du côté de Misitra. Ces diverses branches ont aujourd'hui des noms différens : celle qui va de la Marine vers Misistra s'appelle Vouni-tis-Portais ; & auprès de Misitra elle prend le nom de Vouni-tis-Misitras. La terre est creuse de ce côté-là, & on y trouve une infinité de cavernes. Anciennement un coupeau du Taygetus emporté par un effroyable tremblement de terre, fit périr vingt mille habitans de Lacédémone, & ruina la ville toute entiere, ce qui arriva la quatrieme année de la soixante-dix-septieme olympiade, c'est-à-dire 469 ans avant Jesus - Christ. Thucydide, Diodore, Pausanias, Plutarque, Ciceron, Pline, Elien, en un mot toute l'histoire a parlé de cet événement.


TAYN(Géog. mod.) petite ville de l'Ecosse septentrionale, dans la province de Ross, sur la rive du golfe de Dornock. La riviere à laquelle elle donna son nom, baigne cette ville & celle de Dornock. Cette riviere est formée de trois autres qui sont assez considérables, savoir le Synn, l'Okel, & l'Avon-charron, qui coulent dans le comté de Sutherland ; le Tayn se jette ensuite dans la mer par une fort large embouchure, appellée le golfe de Dornock. (D.J.)


TAYOLLESS. f. pl. (Langue françoise) especes de ceintures de fil ou de laine.


TAYOMS. m. (Hist. nat.) plante qui croît en Amérique, dans la Guiane, & dont on ne nous apprend rien, sinon que ses feuilles se mangent comme celles des épinars. M. Barrére l'appelle arum maximum aegyptiacum, quod vulgò colocasia.


TAYOO(Vénerie) c'est le terme du chasseur quand il voit la bête, savoir le cerf, le dain & le chevreuil.


TAYOVAou TAYVAN, (Géog. mod.) petite île de la Chine, sur la côte occidentale de l'île Formose : ce n'est proprement qu'un banc de sable aride de près d'une lieue de longueur, & d'un mille de large ; mais ce banc est fameux dans les relations des voyageurs, parce que les Hollandois s'en rendirent maîtres & y bâtirent une forteresse qu'ils nommerent le fort de Zélande. Les Chinois s'en emparerent en 1662, & y tiennent une garnison. Le havre de Tayovan est très-commode, parce qu'on y peut aborder en toutes saisons. Lat. 22. 23. (D.J.)


TAZARDS. m. (Ichthyolog.) poisson fort commun sur les côtes de l'Amérique, & dans les îles situées sous la zone torride ; on en trouve assez souvent qui portent quatre à cinq piés de longueur, & même plus. La figure du tazard approche de celle du brochet ; il a la tête pointue, la gueule profonde & bien garnie de dents aiguës & très-fortes. Ce poisson est vigoureux, hardi & vorace, engloutissant tout ce qu'il rencontre avec une extrême avidité ; il a peu d'arêtes ; sa chair est blanche, ferme, nourrissante, d'un très-bon goût, & peut s'accommoder à différentes sauces.


TAZI(Hist. mod. Cult.) c'est le nom que les Méxiquains donnoient à la déesse de la terre : on dit que ce mot signifioit l'ayeule commune.


TAZUS(Géog. anc.) nom, 1°. d'une ville de la Chersonese taurique, selon Ptolémée, l. III. c. vj. 2°. D'une ville de la Sarmatie asiatique, sur la côte septentrionale du Pont-Euxin, selon le même Ptolémée, l. V. c. ix. (D.J.)


TCHA-HOA(Hist. nat. Botan. exot.) genre de plante d'un grand ornement dans les jardins de la Chine, il y en a quatre especes, dit le P. Duhalde, qui portent toutes des fleurs, & qui ont du rapport à notre laurier d'Espagne, par le bois & par le feuillage ; son tronc est gros comme la jambe ; son sommet a la forme du laurier d'Espagne ; son bois est d'un gris blanchâtre & lissé. Ses feuilles sont rangées alternativement, toujours vertes, de figure ovale, terminées en pointe, crenelées en forme de scie par les bords, épaisses & fermes, d'un verd obscur par-dessus, comme la feuille d'oranger, & jaunâtre en-dessous, attachées aux branches par des pédicules assez gros.

De l'aisselle des pédicules, il sort des boutons, de la grosseur, de la figure & de la couleur d'une noisette ; ils sont couverts d'un petit poil blanc & couché, comme sur le satin. De ces boutons, il se forme des fleurs de la grandeur d'une piece de 24 sols ; ces fleurs sont doubles, rougeâtres comme de petites roses, & soutenues d'un calice : elles sont attachées à la branche immédiatement, & sans pédicules.

Les arbres de la seconde espece sont fort hauts ; la feuille en est arrondie, & ses fleurs qui sont grandes & rouges, mêlées avec les feuilles vertes, font un fort bel effet.

Les deux autres especes en portent aussi, mais plus petites & blanchâtres ; le milieu de cette fleur est rempli de quantité de petits filets, qui portent chacun un sommet jaune & plat, à-peu-près comme dans les roses simples, avec un petit pistil rond au milieu, soutenant une petite boule verte, laquelle en grossissant, forme le péricarpe qui renferme la graine. (D.J.)


TCHAOUCHS. m. terme de relation, cavalier turc, de la maison du grand-seigneur ; les tchaouch ont le pas devant les spahis ; ils portent des pistolets aux arçons de leurs selles, & des turbans d'une figure plate & ronde. Duloir. (D.J.)


TCHELMINALvoyez CHELMINAR.


TCHENEDGIRS. m. terme de relation, officier de la table du grand-seigneur ; ils sont au nombre de cinquante pour le servir, & leur chef se nomme Tchenedgir-Bachi. Duloir. (D.J.)


TCHIAOUSCH-BACHIS. m. terme de relation, commandant ou chef des chiaoux ; il garde avec le capidgi-bachi la porte du divan, quand il est assemblé, & ces deux officiers menent au grand-seigneur les ambassadeurs, quand il leur donne audience. Duloir. (D.J.)


TCHIGITAI(Hist. nat.) grand animal quadrupéde, semblable à un cheval bai, clair, avec cette différence, qu'il a une queue de vache & de très-longues oreilles. Cet animal se trouve dans le pays des Tartares monguls, & en Sibérie où l'on en rencontre quelquefois des troupeaux entiers ; il court extrêmement vîte. M. Messerschmid qui en avoit vu, a appellé cet animal un mulet ; en effet, il ressemble beaucoup à un mulet, mais il a la faculté de se propager, ainsi il faudroit l'appeller mulet qui provigne. Voyez le voyage de Sybérie, de M. Gmelin.


TCHITCHECLIC(Géog. mod.) ville du Mogolistan, long. selon M. Petit de la Croix, 117. 30. lat. 50. (D.J.)


TCHOHAGARS. m. terme de relation, porte-manteau du grand-seigneur ; c'est le troisieme page de la cinquieme chambre appellé khas-oda, c'est-à-dire chambre privée, qui a cet emploi. Duloir. (D.J.)


TCHORBAterme de relation, c'est une espece de crême de ris, que les Turcs avalent comme un bouillon ; il semble que ce soit la préparation du ris dont les anciens nourrissoient les malades. (D.J.)


TCHORVADGIS. m. terme d e relation, capitaine de janissaires ; les tchorvadgis portent dans les cérémonies des turbans pointus, du sommet desquels sort une haute & large aigrette, plus grande encore que ne sont les panaches qu'on met en France sur la tête des mulets. Duloir. (D.J.)


TCHUCHAS. m. (Minéralog.) espece de minéral ; c'est peut-être le cinnabre si rare de Dioscoride. Le meilleur vient de la ville de Chienteou, dans la province de Houguang : on le trouve dans les mines ; il est plein de mercure. On assure même que d'une livre de tchucha, on pourroit tirer un quart de livre de mercure ; mais le tchucha est trop cher pour faire cet essai : les grosses pieces sont de grand prix ; lorsqu'on le garde, il ne perd rien de sa vivacité & de sa couleur. Il a son rang parmi les remedes internes : pour cela on le réduit en une poudre fine ; & dans la lotion, on ne recueille que ce que l'eau agitée éleve & soutient. C'est alors un cordial chinois pour rétablir les esprits épuisés ; mais je crois qu'il ne produit guere cet effet. (D.J.)


TCHUKOTSKOI(Hist. mod.) peuple de l'Asie orientale, qui habite les confins de la Sibérie, sur les bords de l'Océan oriental ; ils sont au nord de Korekis, & de la peninsule de Kamtchatka, qui est soumise à l'empire de Russie ; ils sont séparés du pays des Korekis, par la riviere Anadir, & vivent dans l'indépendance. Ces peuples habitent dans des cabanes sous terre, à cause de la rigueur du froid qui regne dans ce climat ; ils se nourrissent de poisson qu'ils pêchent dans la mer, ou de la chair des rennes, dont ils ont de grands troupeaux, & qu'ils emploient aux mêmes usages que l'on fait ailleurs des chevaux ; ils se font tirer par ces animaux attelés à des traîneaux, & voyagent de cette maniere. Ces peuples, ainsi que ceux de leur voisinage, n'ont ni idée de Dieu, ni culte, ni tems marqué pour faire des sacrifices ; cependant de tems à autre, ils tuent une renne ou un chien, dont ils fixent la tête & la langue au haut d'un pieu ; ils ne savent point eux-mêmes à qui ils font ces sacrifices, & ils n'ont d'autre formule que de dire ; c'est pour toi, puisse-tu nous envoyer quelque chose de bon.

Les Tchukotskoi n'ont point une morale plus éclairée que leur religion. Le vol est chez eux une chose estimable, pourvû que l'on ne soit point découvert. Une fille ne peut être mariée à moins qu'elle n'ait fait preuve de son savoir faire en ce genre. Le meurtre n'est pas non plus regardé comme un grand crime, à moins que ce ne soit dans sa propre tribu, alors ce sont les parens du mort qui se vengent sur le meurtrier. La polygamie est en usage parmi eux ; ils font part de leurs femmes & de leurs filles à leurs amis, & regardent comme un affront, lorsqu'on refuse leur politesse. Les Tchukotskoi sont de dangereux voisins pour les Korekis & pour les sujets de la Russie, chez qui ils font de fréquentes incursions.


TCHUPRIKI(Hist. mod. économie) c'est le nom que les habitans de Kamtschatka donnent à du poisson, moitié cuit & moitié fumé, dont ils se nourrissent, & qu'ils font aussi sécher pour le manger comme du pain. On assure que le poisson préparé de cette maniere est assez bon.


TEANUM(Géogr. anc.) ville d'Italie, dans la Campanie & dans les terres, aujourd'hui Tiano. Pline, liv. III. ch. v. qui lui donne le titre de colonie romaine, la surnomme Sidicinum ; & en effet elle avoit besoin d'un surnom, pour pouvoir être distinguée d'une autre Teanum qui étoit dans la Pouille. Tite-Live, liv. XXII. ch. lvij. Strabon, liv. V. & Frontin, de Colon. l'appellent aussi Teanum-Sidicinum. Quelques-uns néanmoins disent simplement Teanum, & alors c'est Teanum-Sidicinum qu'il faut entendre ; car cette ville étoit beaucoup plus considérable que l'autre, & son nom écrit, ou prononcé sans marque distinctive, ne devoit pas être sujet à équivoque. Les habitans de la ville & du territoire étoient appellés Sidicini. On les trouve néanmoins aussi nommés Teanenses dans quelques inscriptions. Voyez le trésor de Gruter, p. 381. n °. 1. & 389. n °. 2. Teanum des Sidicins étoit la plus grande & la plus belle ville de la Campanie après Capoue, & sur le chemin de cette ville par Suessa Aurunca. Elle étoit célebre par ses bains d'eaux chaudes, & Auguste en fit une colonie romaine.

2°. Teanum, ville d'Italie dans la Pouille & dans les terres ; Teanum Apulorum ; & dans Strabon, liv. VI. p. 285. Teanum Apulum ; on la distingue aussi de Teanum dans la Campanie. Le nom national étoit Teanenses, selon Tite-Live. On voit encore les ruines de cette ville à seize milles au-dessus de l'embouchure du Tortore, anciennement le Trento. C'est aujourd'hui un lieu nommé Civita, ou Civitate, qui sut évêché avant l'an 1062, mais dont le siege a été transféré, ou plutôt uni à celui de Saint-Severo. (D.J.)


TEARUS(Géog. anc.) fleuve de Thrace. Pline, liv. I. ch. xj. & Hérodote, liv. IV. en font mention. Le Tearus tiroit sa source de trente-huit fontaines, & se jettoit dans l'Hebrus. Darius fils d'Hystaspes s'arrêta trois jours sur les bords de ce fleuve, & il en trouva les eaux si délicieuses, qu'il y fit dresser une colonne, sur laquelle fut gravée une inscription en langue grecque, portant que ces eaux sur passoient en bonté & en beauté celles de tous les autres fleuves de l'univers. (D.J.)


TÉATEou TÉATEA, (Géog. anc.) ville d'Italie. Ptolémée, liv. III. ch. j. la donne aux Marrucini, dont elle étoit la capitale, selon Pline, liv. III. ch. xij. qui la connoît sous le nom de ses habitans appellés Teatini. Silius Italicus, liv. VIII. v. 520. fait l'éloge de cette ville :

Marrucina simul Trentanis aemula pubes

Corsini populos, magnumque Teate trahebat.

L'itinéraire d'Antonin, qui nomme cette ville Teate-Marrucinum, la marque sur la route de Rome à Hadria, en passant par la voie valérienne. Elle se trouve entre Interbromium & Hadria, à dix-sept milles de la premiere de ces places, & à quatorze milles de la seconde. Le nom moderne est Tieti, qu'on écrit plus communément Chieti, ou Civita di Chieti. (D.J.)


TEBECRIT(Géogr. anc.) ville d'Afrique, au royaume d'Alger, dans la province de Humanbar, au pié d'une montagne, sur le rivage de la Méditerranée. Quelques-uns prennent cette ville pour la Thudacha de Ptolémée, liv. IV. ch. ij. (D.J.)


TEBELBELTou TABELBELT, (Géog. mod.) canton d'Afrique, dans le Bilédulgerid, au milieu du desert de Barbarie, à 70 lieues du grand Atlas du côté du midi, & à 34 lieues de Segelmesse. Le chef-lieu de ce canton est sous les 23. deg. 10. de longitude, & à 29. deg. 15. de latitude. (D.J.)


TEBESSA(Géog. mod.) ville d'Afrique, au royaume de Tunis, sur les confins du royaume d'Alger, au-dedans du pays, à 55 lieues de la mer. On croit qu'elle a été bâtie par les Romains, parce qu'on y voit encore des restes d'antiquité, avec des inscriptions latines ; cependant la contrée des environs est stérile, & tout y manque, excepté des mûres & des noix. Long. 26. 48. latit. 35. 7. (D.J.)


TÉBETHS. m. (Calend. des Hébreux) dixieme mois de l'année ecclésiastique des Hébreux, & quatrieme de leur année civile, qui répond en partie à Janvier, & en partie à Février. Il n'a que 29 jours ; le second jour de ce mois, on finissoit l'octave de la dédicace du temple purifié par Judas Macchabée ; le dixieme étoit un jour solemnel de jeûne, en mémoire du siege de Jérusalem par Nabuchodonosor, la huitieme année du regne de Sédécias, 591 ans avant J. C. (D.J.)


TEBURIou TIBURI, (Géog. anc.) peuple de l'Espagne tarragonoise. Ptolémée, liv. II. ch. vj. leur donne une ville nommée Nemetobriga. (D.J.)


TEBZA(Géog. mod.) ville d'Afrique, au royaume de Maroc, capitale de la province de même nom, sur la pente du grand Atlas. Elle fait du trafic en blé, en troupeaux & en laine. (D.J.)


TECA(Hist. nat. Botan. exot.) sorte de blé qui croît aux Indes occidentales, & dont les feuilles different fort peu de celle de l'orge. Le tuyau s'éleve à la hauteur de l'avoine, & le grain est un peu plus menu que celui du seigle. Les Sauvages le moissonnent avant qu'il soit entierement mûr, & le font secher au soleil. Ils le tirent des épis dans le besoin, & le grillent sous les cendres. Quand il est rôti, ils le réduisent en pâte, qu'ils portent avec eux dans leurs voyages. Elle est extrêmement nourrissante ; ensorte qu'une petite mesure suffit à un homme pour plusieurs jours. En la détrempant avec beaucoup d'eau, ils s'en servent pour breuvage, & en font des tisanes humectantes dans leurs maladies, à-peu-près comme nous faisons nos tisanes d'orge, d'avoine & de gruau. Il ne faut pas confondre cette plante avec le theca. Voyez THECA, Botan. (D.J.)


TECCALIS. m. (Poids) poids dont on se sert dans le royaume de Pégu ; les cent teccalis font quarante onces de Venise ; un giro fait vingt-cinq teccalis, & un abueco douze teccalis & demi. Savary. (D.J.)


TECEUTou TECHEIT, (Géogr. mod.) ville d'Afrique, au royaume de Maroc, dans la province & sur la riviere de Sus, dans une plaine qui abonde en dates, en orge & en froment. Long. 8. 42. latit. 29. 12. (D.J.)


TECHLE, ou TEC, (Géog. mod.) riviere de France, dans le Roussillon ; elle prend sa source dans les Pyrénées, au nord du Prat de Molo, en lieu qu'on appelle la Rocca ; de-là cette riviere coule du sud-ouest, au nord-est, & arrose les bourgs d'Arlas, de Ceret, de Bolo & d'Eln, d'où elle se jette dans le golfe de Lyon. C'est la riviere dont Polybe, Strabon, Ptolémée font mention sous le nom d'Illiberis, ou Illibertis. Mela la nomme Tichis, & il dit d'elle & de la Tet, que c'étoient deux petits fleuves qui devenoient dangereux quand ils se débordoient : parva flumina Telis & Tichis, ubi accrevere, persaeva. (D.J.)


TECHNIQUE(Belles lettres) quelque chose qui a rapport à l'art. Voyez ART.

Ce mot est formé du grec , artificiel, ou , art.

C'est dans ce sens là que l'on dit : des mots techniques, vers techniques, &c. & que le docteur Harris a intitulé son dictionnaire des arts & des sciences, Lexicon technique.

Cette épithete s'applique ordinairement à une sorte de vers qui renferment les regles ou les préceptes de quelque art ou science, & que l'on compose dans la vue de soulager la mémoire. Voyez MEMOIRE.

On se sert de vers techniques pour la chronologie, &c. tels sont, par exemple, les vers qui expriment l'ordre & les mesures des calendes, nones, ides, &c. Voyez CALENDES. Ceux qui expriment les saisons, Voyez AOUST. Ceux qui expriment l'ordre des signes. Voyez SIGNE.

Le P. Labbé a composé une piece de vers techniques latins, contenant les principales époques de la chronologie, & à son exemple le P. Buffier a mis en vers françois la chronologie & l'histoire, & même la géographie.

Les vers techniques se font ordinairement en latin, ils sont généralement mauvais, & souvent barbares ; mais on fait abstraction de tous leurs défauts, en faveur de leur utilité : pour en donner ici une idée ; il suffira de rapporter ces deux vers, où les casuistes renferment toutes les circonstances qui peuvent nous rendre complices du vol, ou de quelqu'autre crime d'autrui.

Jussio, consilium, consensus, palpo, recursus,

Participans, mutus, non obstans, non manifestans.

Et ceux par lesquels le P. Buffier commence son histoire de France :

Ses loix en quatre cent Pharamond introduit,

Clodion chevelu qu'Aëtius vainquit.

Mérovée, avec lui combattit Attila ;

Childeric fut chassé, mais on le rappella.

Les mots techniques sont ce que nous appellons autrement termes de l'art.


TECKI-TSYOCKUou TSUTSUSI, s. m. (Hist. nat. Bot.) c'est un arbrisseau du Japon, nommé le cistus des Indes, à feuilles de ledum des Alpes, & à grandes fleurs de Paul Herman. Cet arbrisseau est couvert d'une écorce verte brune ; ses fleurs sont monopétales, & ressemblent à celles du martagon ; leur couleur varie beaucoup ; cet arbrisseau est commun au Japon ; & fait l'ornement des campagnes & des jardins ; il est tantôt à fleurs blanches, marquetées de longues taches rouges, tantôt à fleurs d'un violet blanchâtre, marquées de taches d'un pourpre foncé, tantôt à petites fleurs purpurines.


TECKLENBOURG(Géogr. mod.) bourg d'Allemagne, dans la Westphalie, à quatre milles de Munster ; c'est le chef-lieu du petit comté de même nom, & il a un ancien château bâti sur une colline. Long. 25. 42. lat. 52. 21. (D.J.)


TECLA(Géog. mod.) il y a trois îles de ce nom dans la mer Orientale, & elles font partie de celles des Larrons : on les a découvertes en 1664. (D.J.)


TECMESSES. f. (Mythol.) cette illustre fille de Téleutas, captive d'Ajax, & bientôt après son épouse, a été immortalisée par Sophocle dans son Ajax furieux. Il introduit cette princesse, dont la beauté étoit admirable, tâchant de détourner son mari du dessein qu'il a de se tuer, & il lui fait tenir un discours si tendre & si pathétique, qu'il est difficile de n'en être pas ému ; ce sont les expressions les plus vives de l'amitié conjugale, qu'elle emploie pour toucher Ajax ; elle lui met devant les yeux une épouse & un fils unique, que sa mort va reduire à l'esclavage, & aux plus cruels affronts ; un pere & une mere qui, dans leur extrême vieillesse, n'ont d'autre consolation que celle de demander aux dieux & d'esperer son retour fortuné ; ensuite revenant encore à ce qui la touche : Hélas, dit-elle ! phrygienne de naissance, jadis votre esclave, aujourd'hui votre épouse, que deviendrai-je ? vous avez désolé toute ma maison ! la parque va m'enlever mes parens ; sans secours, sans patrie, sans asyle, il ne me reste qu'un malheureux fils ! vivez pour lui, vivez pour moi ! réduite au dernier désespoir, je n'ai plus de ressource qu'en vous.... (D.J.)


TÉCOANTEPEQUE(Géog. mod.) ville de l'Amérique septentrionale, dans la nouvelle Espagne, au gouvernement de Guaxaca, sur la côte de la mer du Sud. Son port est le meilleur de ceux du pays pour la pêche. Lat. 41. 55. (D.J.)


TECOLITHUSS. m. (Hist. nat. Litholog.) nom donné par quelques auteurs à la pierre judaïque. Voyez cet article.


TECOMAHUCAou TECUMAIAÏC, s. m. (Hist. nat. Bot.) grand arbre du Mexique, dont les feuilles sont rondes & dentelées, & qui porte à l'extrêmité de ses branches un petit fruit rond, jaunâtre, plein d'une substance semblable à celle du cotonnier ; le tronc répand une odeur aromatique & d'un goût âcre ; il en sort une résine, soit naturellement, soit par incision. Quelques Indiens désignent aussi cet arbre sous les noms de copalyhot, & de memayal-quahuitl.


TECOMAXOCHILTS. m. (Botan.) les Mexicains appellent ainsi une espece d'apocynum bâtard, nommé gelseminum hederaceum indicum maximum, flore phoeniceo, Ferrar. pseudo-apocynum virginianum, aliàs gelseminum maximum americanum, flore phoeniceo, Park. Il n'est d'aucun usage dans la médecine. Ray, hist. plant. (D.J.)


TECOPAL-PITZAHUACS. m. (Hist. nat. Bot.) arbre résineux du Mexique & de la nouvelle Espagne, qui produit une résine en larme qui tire sur le noir ; ses feuilles ne sont guere plus grandes que celles de la rue, & sont rangées par ordre aux deux côtés des branches ; le fruit que cet arbre porte est fort petit, d'une couleur rougeâtre, assez semblable à du poivre rond ; il croît aussi des deux côtés des branches.


TECORTou TOCORT, (Géog. mod.) royaume d'Afrique, dans la Barbarie, au pays appellé le Gérid. Sa capitale lui donne son nom. (D.J.)

TECORT, ou TOCORT, (Géog. mod.) ville d'Afrique dans la Barbarie, aux états de Maroc, sur une colline, au-bas de laquelle coule une petite riviere. Long. 25. 42. lat. 29. 13. (D.J.)


TECTOSAGESLES, (Géog. anc.) peuple de la Gaule narbonnoise ; ils faisoient partie des Volcae. Strabon, l. IV. & Ptolémée, l. II. c. v, les étendent jusqu'aux monts Pyrénées.

M. Samson dit que le peuple Volcae-Tectosages, occupoit l'ancien diocèse de Toulouse, & encore apparemment celui de Carcassonne, qui font présentement tout le haut Languedoc & davantage. Il faut remarquer que l'ancien diocèse de Toulouse est aujourd'hui divisé en huit diocèses ; savoir, Toulouse, Lombez, Montauban, Lavaur, S. Papoul, Riez, Pamiés, & Mirepoix. Ptolémée même comprenoit parmi les Tectosages, le quartier de Narbonne & le Roussillon.

Les Tectosages étoient célebres dans les armes, 250 ans avant la naissance de J. C. Lorsque les Gaulois, dit Tite-Live, jetterent la terreur dans toute l'Asie, jusque vers le mont Taurus, les plus fameux d'entr'eux, qu'on appelloit les Tectosages, pénétrant plus avant, s'étendirent jusqu'au fleuve Halys, à une journée d'Angora, qui est l'ancienne ville d'Ancyre, où ils s'établirent. Quand Manlius, consul romain, eut défait une partie des Gaulois, au mont Olympe, il vint attaquer les Tectosages à Ancyre, dont Pline leur attribue la fondation ; mais ils n'avoient fait que rétablir cette ville, puisque long-tems avant leur venue en Asie, Alexandre-le-grand y avoit donné audience aux députés de la Paphlagonie. Il est suprenant que Strabon qui étoit d'Amasia, n'ait parlé d'Ancyre que comme d'un château des Gaulois. Tite-Live lui rend plus de justice, il l'appelle une ville illustre.

Nous voyons encore dans l'histoire des Tectosages en Germanie, aux environs de la forêt Hercynienne. César dit que ces Tectosages de la Germanie étoient sortis des Volcae-Tectosages, de la Gaule narbonnoise. Rhenanus croit qu'ils habitoient sur la rive droite du Necker, & que l'ancien château de Teck conserve encore une partie de leur nom.

Les Tectosages qui resterent dans leur patrie, furent toujours considerés, jusqu'à la prise de Toulouse, par Servilius Cépion, cent six ans avant l'ere chrétienne. Ils avoient amassé des trésors immenses, que ce capitaine romain pilla & emporta ; mais la peste l'empêcha, lui & les siens, d'en profiter. (D.J.)


TECTUMTECTUM


TÉCUITLESS. m. pl. (Hist. mod.) c'est ainsi que les Mexiquains nommoient ceux qui avoient été reçus dans une espece d'ordre de chevalerie, où l'on n'étoit admis qu'après un noviciat très-rude & très-bizarre. Cet honneur ne s'accordoit pourtant qu'aux fils des principaux seigneurs de l'empire. Le jour de la réception, le récipiendaire accompagné de ses parens & des anciens chevaliers se rendoit au temple ; après s'être mis à genoux devant l'autel, un prêtre lui perçoit le nez avec un os pointu ou avec un ongle d'aigle ; cette douloureuse cérémonie étoit suivie d'un discours dans lequel le prêtre ne lui épargnoit point les injures ; il finissoit par lui faire toute sorte d'outrages, & par le dépouiller de ses habits. Pendant tout ce tems, les anciens chevaliers faisoient un festin pompeux aux dépens du récipiendaire, auquel on affectoit de ne faire aucune attention ; le repas étant fini, les prêtres lui apportoient un peu de paille pour se coucher, un manteau pour se couvrir, de la teinture pour se frotter le corps, & des poinçons pour se percer les oreilles, les bras & les jambes. On ne lui laissoit pour compagnie que trois vieux soldats chargés de troubler sans-cesse son sommeil pendant quatre jours, ce qu'ils faisoient en le piquant avec des poinçons, aussitôt qu'il paroissoit s'assoupir. Au milieu de la nuit il devoit encenser les idoles, & leur offrir quelques gouttes de son sang, ce qui étoit suivi de quelques autres cérémonies superstitieuses. Les plus courageux ne prenoient aucune nourriture pendant ces quatre jours ; les autres ne mangeoient qu'un peu de maïz, & ne buvoient qu'un verre d'eau. Au bout de ce tems le récipiendaire prenoit congé des prêtres, pour aller renouveller dans les autres temples des exercices moins rudes à la vérité, mais qui duroient pendant un an ; alors on le remenoit au premier temple où on lui donnoit des habits somptueux ; le prêtre lui faisoit un grand discours rempli des éloges de son courage ; il lui recommandoit la défense de la religion & de la patrie, & la fête se terminoit par des festins & des réjouissances. Les Técuitles se mettoient de l'or, des perles ou des pierres précieuses dans les trous qu'on leur avoit faits au nez, ce qui étoit la marque de leur éminente dignité.


TECULET(Géog. mod.) ville d'Afrique, dans la province de Héa, au royaume de Maroc, proche de l'embouchure de la Diure, où elle a un petit port. Les maisons n'y sont que de terre. Long. 8. 32. latit. 30. 43. (D.J.)


TEDANIUS(Géog. anc.) fleuve de l'Illyrie, selon Pline, l. III. c. xxj. & Ptolémée, l. II. c. xvij. Ce fleuve formoit la borne de la Japygie. Son nom moderne est Zamagna. (D.J.)


TEDELEZ(Géog. mod.) ville d'Afrique, au royaume de Tremeçen, sur la côte de la Méditerranée, à dix lieues d'Alger. La côte des environs est extrêmement poissonneuse. Long. 21. 48. latit. 34. 5.


TE-DEUMS. m. (Hist. des rits ecclésiast.) on appelle de ce nom un cantique d'usage dans l'église catholique. Il est ainsi nommé, parce qu'il se dit ordinairement à la fin des matines, les jours qui ne sont point simples féries, ni dimanches de carême & d'avent ; on attribue ce cantique à S. Ambroise ou à S. Augustin. Au commencement du xj. siecle, on se plaignit dans un concile que les moines chantoient le te Deum pendant l'avent & le carême, contre l'usage de l'église romaine ; mais ils répondirent qu'ils le faisoient suivant la regle de S. Benoît approuvée par S. Grégoire, & on les laissa dans leur usage.

Loisel, dans son dialogue des avocats, fait mention d'une fameuse cause qui fut plaidée au parlement de Paris par Mrs Boulard & Desombres, & que l'on nomma la cause du te Deum laudamus. Voici le fait tel qu'il est raconté par l'auteur. Un chanoine de Chartres avoit ordonné par son testament qu'on chantât le te Deum en l'église au jour & heure de son enterrement, ce que l'évêque Guillard trouva nonseulement nouveau, mais si scandaleux, qu'il lui refusa ce qu'il avoit desiré, ajoutant que c'étoit une hymne de louange & de réjouissance non convenable au service des trépassés. L'avocat du mort soutenoit au contraire qu'il n'y avoit rien que de bon & de pieux dans cette hymne, & pour le prouver, il parcourut tous les versets dont elle est composée, avec de belles recherches & interprétations dont il les orna ; enfin il justifia qu'il contenoit même une priere formelle pour les morts, en ces mots : te ergo quaesumus, famulis tuis subveni, quos pretioso sanguine redemisti Aeternâ fac cum sanctis tuis in gloriâ numerari. Bref, la cause fut si bien plaidée, que le testament & le te Deum ordonné par icelui furent confirmés par arrêt qu'on baptisa du nom de te Deum laudamus.

Le te Deum se chante encore extraordinairement en pompe & en cérémonie, pour rendre publiquement graces à Dieu d'une victoire remportée par terre ou par mer ; C'est ce qui fit dire à une dame d'esprit du dernier siecle, que le te Deum des rois étoit le de profundis des particuliers. Un poëte écrivoit dans le même tems à ce sujet :

J'ai vu les nations avides de carnage,

En faire un métier glorieux ;

Et des tristes effets de leur funeste rage,

Aller pompeusement rendre graces aux dieux.

(D.J.)


TEDIUM(Géog. anc.) ville de l'Arabie déserte, au voisinage de la Mésopotamie, près d'Oragana & de Zagmais, selon Ptolémée, l. V. c. xix. (D.J.)


TEDLA(Géog. mod.) petite province d'Afrique, au royaume de Maroc, dont elle est la plus orientale. Elle est abondante en blé, en huile & en pâturages. Sa capitale porte son nom, & est sur la riviere de Derne. (D.J.)


TEDMOR(Géogr. mod.) Long. suivant Abulféda, 62. latit. 26. dans le second climat. Voyez PALMYRE. (D.J.)


TEDNEST(Géog. mod.) ville d'Afrique, au royaume de Maroc, capitale de la province de Héa, sur une riviere qui l'entoure presque de tous côtés. Les Portugais prirent cette ville en 1514, & en furent chassés quelque tems après par le chérif Mohammed. Long. 10. latit. 30. 28. (D.J.)


TÉES LA(Géogr. mod.) petite riviere d'Angleterre, en Yorck-Shire ; elle sépare cette province de celle de Durham, & après avoir reçu la petite riviere de Lune, elle se jette dans la mer. (D.J.)


TEFETHNE(Géog. mod.) riviere d'Afrique, au royaume de Maroc. Elle a sa source au mont Gabelelhadi, & se jette dans la mer vis-à-vis du cap & de l'île de Magador. (D.J.)


TEFEZARA(Géog. mod.) ville d'Afrique, au royaume de Tremecen, à cinq lieues est de la ville de Tremecen. Son territoire a non-seulement des mines de fer, mais il rapporte beaucoup de blé, & est couvert de bons pâturages. Longit. 17. 14. latit. 34. 45. (D.J.)


TEFFS. m. (Hist. nat. Botan.) espece de grain qui se cultive abondamment en Ethiopie & en Abyssinie, & qui fait la principale nourriture des habitans du pays. Il est d'une petitesse extrême, n'ayant, dit-on, que la dixieme partie de la grosseur d'un grain de moutarde ; cependant on en fait une espece de pain qui seroit assez bon, si l'on prenoit plus de soin à le faire.


TEFFILINS. m. (Hist. judaïq.) nom que les juifs modernes donnent à ce que la loi de Moïse appelle totaphot ; ce sont de certains parchemins mystérieux qu'ils portent dans le tems de leurs prieres, & que LÉon de Modene décrit ainsi dans son livre des cérémonies des juifs, part. I. ch. xj. On en distingue de deux sortes, dont l'un est la teffila de la main, & l'autre la teffila de la tête. On écrit sur deux morceaux de parchemin avec de l'encre faite exprès, & en lettres quarrées, ces quatre passages de la loi ; écoute Israël, &c. le second, & il arrivera si tu obéis, &c. le troisieme, sanctifie-moi tout premier né, &c. le quatrieme, & quand le Seigneur te fera entrer, &c. Ces deux parchemins sont roulés ensemble en forme d'un petit rouleau pointu, qu'on renferme dans de la peau de veau noire ; puis on la met sur un morceau quarré & dur de la même peau, d'où pend une courroie aussi de veau large d'un doigt, & longue d'une coudée & demie ou environ. Ils posent ces teffilins au pliant du bras gauche, & la courroie, après avoir fait un petit noeud en forme de jod, se noue à l'entour du bras en ligne spirale, & vient finir au bout du doigt du milieu.

Pour l'autre teffila, on écrit aussi les quatre passages ci-dessus mentionnés sur quatre morceaux de velin séparés, dont on forme un quarré, sur lequel on trace la lettre sem ; puis on met par-dessus un autre petit quarré de veau, dur comme l'autre, d'où il sort deux courroies semblables en longueur, & en figure à celle du premier teffila. Ce quarré se met sur le front, & les courroies après avoir ceint la tête, forment un noeud derriere qui approche de la lettre daleth, puis elles viennent se rendre vers l'estomac. S. Jerome fait mention de ces teffilins des Juifs dans son commentaire sur S. Matthieu, où il est parlé des Phylacteres : " les Pharisiens, dit-il, expliquant mal ce passage, écrivoient le décalogue de Moïse sur du parchemin qu'ils rouloient & attachoient sur leur front, & en faisoient une espece de couronne à l'entour de leur tête, afin de les avoir toujours devant les yeux ". Au reste, il n'y a que les juifs rabbinistes qui suivent cette pratique, & les Caraites leurs adversaires les appellent par raillerie des ânes bridés avec leur teffilin. Voyez FRONTEAU.


TÉFLISou TAFLIS, ou TIFLIS, (Géog. mod.) en latin Acropolis Iberica, ville d'Asie, dans le Gurgistan, que nous appellons la Géorgie, & sa capitale. Elle est située au pié d'une montagne sur la rive droite du Kur, le Cyre, ou un bras du Cyre des anciens, qui a sa source dans les montagnes de Géorgie, & se joint à l'Araxe, d'où ils se rendent conjointement dans la mer.

Téflis est une des belles villes de Perse, & la résidence du prince de Géorgie ; elle s'étend en longueur du midi au nord, & est peuplée de persans, de géorgiens, de grecs, d'arméniens, de juifs, de catholiques. Elle est défendue par une bonne forteresse que les Turcs y bâtirent l'an 1576, après qu'ils se furent rendus maîtres de la ville & de tout le pays d'alentour, sous la conduite du fameux Mustapha Pacha, leur généralissime.

Il s'y fait un grand commerce de soies, de fourrures, & de la racine appellée boia. Il y a dans Téflis des bains d'eaux chaudes, de grands bazars bâtis de pierres, & des caravanserais.

Les capucins y ont une mission avec une maison depuis plus d'un siecle. La congrégation ne leur accorde que dix-huit écus romains pour chaque missionnaire, mais ils exercent la médecine ; & quant au spirituel, ils ont la permission de dire la messe sans personne pour la servir, de la dire en toutes sortes d'habits, d'absoudre de tous péchés, de se déguiser, d'entretenir chevaux & valets, d'avoir des esclaves ; d'acheter & de vendre ; de donner & de prendre à intérêt. Malgré de si beaux privileges, ces missionnaires ne font guere de prosélytes, car le peuple de Géorgie est si ignorant, qu'ils ne croyent pas même que les capucins soient chrétiens, parce qu'ils ont appris qu'en Europe, ils ne jeûnent pas comme à Téflis. Aussi les capucins n'ont que deux pauvres maisons dans toute la Géorgie.

On compte une quinzaine de mille ames dans Téflis, dont il y en a environ deux cent de catholiques romains. Le patriarche des Géorgiens y demeure ; c'est une ville assez moderne. Long. 63. 45. lat. 43. 5. (D.J.)


TEFTANA(Géog. mod.) petite ville d'Afrique, au royaume de Maroc, sur la côte de l'Océan, où elle a un port capable de recevoir les petits bâtimens. C'est l'Herculis-Portus des anciens, que Ptolémée met à 7d. 30. de longitude, & à 30d. de latitude. (D.J.)


TEFTARDARS. m. terme de relation ; voyez DEFTARDAR. C'est le trésorier des finances dans l'empire turc ; il est assis au divan à côté du nichandgibacchi qui est le garde des sceaux de l'état.

Le tefterdar, comme l'écrit Pocock, est en Egypte le trésorier des tributs qu'on paie sur les terres au grand-seigneur ; il n'est nommé dans sa charge par la Porte que pour un an, mais il est ordinairement continué plusieurs années de suite.

Cet office est quelquefois donné à un des plus pauvres beys, pour l'aider à soutenir son rang, & fréquemment à un homme qu'on croit d'un caractere éloigné de l'intrigue, car aucun parti ne desire qu'un homme remuant du parti opposé, soit revêtu d'un emploi aussi lucratif & aussi important, que l'est celui du tefterdar. (D.J.)


TEGANUSou THEGANUSA (Géogr. anc.) les Grecs écrivent ce nom par un Th : île que Pline, lib. IV. ch. xij. met dans le golfe de Laconie ; mais qu'il convient de placer dans le golfe de Messénie, puisqu'elle est située devant le promontoire Acritas, entre Méthone & Corone, deux villes de la Messénie. Le promontoire Acritas court dans la mer, dit Pausanias, Messen. ch. xxxiv. & au-devant est une île deserte, nommée Theganusa. Ptolémée qui écrit Thiganusa, le met pareillement dans le golfe de Messénie, près du promontoire Acritas, qui est bien éloigné du golfe de Laconie. Le nom moderne est Isola di cervi, selon le P. Hardouin, qui n'a pas pris garde que Pline avoit mal placé cette île, que l'on appelle présentement Venetica. (D.J.)


TEGAZou TEGAZEL, pays d'Afrique, dans la province de Soudan, au levant du royaume de Sénéga. C'est un desert de la Libye, plein de mine de sel. On n'y trouve qu'une seule ville de même nom, située entre les montagnes de sel, & les habitations des Oulets arabes. Lat. 21. 36.


TÉGÉE(Géog. anc.) Tegea, ville du Péloponnèse, dans les terres, près du fleuve Alphée, selon Pausanias, qui dit que ce fleuve se perdoit sous terre dans le territoire de la ville de Tégée. Cette ville fut autrefois considérable : Polybe en parle beaucoup, mais il ne marque point sa situation. Il dit dans un endroit, que Philippe partit de Mégalopolis, & passa par Tégée avec son armée, pour se rendre à Argos : il raconte, l. II. c. xvj. que Philopoemen ayant pris d'emblée la ville de Tégée, alla camper le lendemain sur le bord de l'Eurotas.

Les Achéens tinrent quelquefois leur assemblée générale dans cette ville durant leur guerre contre les Lacédémoniens. Strabon, l. VIII. en parlant de plusieurs villes ruinées par les guerres, dit que Tégée se soutenoit encore passablement. Ses habitans sont appellés Tegeatae. Tégée devint dans la suite une ville épiscopale, & la notice d'Hiéroclès la met sous la métropole de Corinthe. C'est aujourd'hui un petit bourg appellé Muchli, à 6 lieues de Napoli de Romanie, vers le midi occidental.

Pausanias décrit un monument élevé par les habitans de Tégée à Jasius. On voit, dit-il, dans la place publique de Tégée, vis-à-vis du temple de Vénus, deux colonnes avec des statues. Sur la premiere étoit la statue des quatre législateurs de Tégée, Antiphanès, Craesus, Tyronidas, & Pyrias. Sur l'autre, on voyoit celle de l'Arcadien Jasius, monté à cheval, ou ayant un cheval auprès d'elle, & tenant de la droite une branche de palmier.

La ville de Tégée & son territoire faisoient partie de l'Arcadie, & fut sous la domination des rois arcadiens, jusqu'à la fin de la seconde guerre de Messene ; ensuite la ville de Tégée commença à former une république séparée des autres cantons de l'Arcadie, mais nous ne savons pas combien de tems subsista cette république.

Il y avoit à Tégée un temple de Minerve, surnommée Aléa, & qui avoit été bâti par Aléus. Ce temple étoit un asyle pour les criminels de toute la Grece, & le lacédémonien Pausanias s'y réfugia.

Aristarque, poëte tragique, qui parut sur la fin de la lxxxj. olympiade, & qui vécut un siécle, étoit natif de Tégée.

Plutarque fait le fameux Evhémere tégéate dans son ouvrage sur les dogmes des philosophes ; & Messénien dans le traité d'Isis & d'Osiris. Quoi qu'il en soit, Evhémere florissoit du tems de Cassandre, roi de Macédoine, qui en faisoit grand cas. C'étoit en effet un philosophe du premier ordre, qui voyagea dans une partie du monde, & parcourut les côtes méridionales de l'Océan. Il immortalisa son nom par son histoire sacrée, que le poëte Ennius traduisit en latin. Si l'auteur intitula son ouvrage histoire sacrée, ce n'est pas qu'il crût que le sujet en fût sacré ; car il y soutenoit que les dieux n'étoient originairement que des hommes qu'on avoit déifiés, & il appuyoit cette opinion sur les inscriptions qu'il avoit trouvées dans les plus anciens temples ; mais il employa ce titre pour s'accommoder à l'opinion reçue.

Cette histoire singuliere d'Evhémere lui suscita bien des ennemis, & les Grecs à l'envi travaillerent à la décréditer. On le surnomma l'athée par excellence, & ce n'est pas le seul homme qui convaincu de l'existence d'un Dieu, ait été accusé d'athéisme. On ne fit aucune grace à son ouvrage, & l'on empêcha si bien de paroître un monument qui anéantissoit la religion dominante, que ni l'original, ni la traduction d'Ennius n'ont passé jusqu'à nous.

Ce n'est pas qu'il faille ajouter foi aux inscriptions d'Evhémere. Il les avoit sans-doute fabriquées lui-même ; c'est du-moins ce qui paroît en particulier de celles du temple de Jupiter Triphylien, qu'il trouva dans l'île de Panchée, île qui n'a jamais existé dans le monde, comme Eratosthene le prouva de son tems. Voyez PANCHEE, Géog. anc. (D.J.)


TEGGIAR-TZAIR(Géog. mod.) bourg de Natolie, célebre dans l'histoire turque & chrétienne, parce que Mahomet II. y finit ses jours en 1481. Personne n'ignore que c'est un des plus grands conquérans dont l'histoire fasse mention. Il a signalé son régne par la conquête de deux empires, de douze royaumes, & de deux cent villes considérables. C'est ainsi qu'il a mérité les titres de grand, & de pere de la victoire ; titres que les Turcs lui ont donnés pour le distinguer de tous les autres sultans, & titres que les chrétiens même ne lui ont pas contestés.

Quoique d'un naturel fougueux & plein d'une ambition démesurée, il étouffa cette ambition, & écouta le devoir d'un fils quand il fallut rendre le trone qu'Amurat son pere lui avoit cédé. Il redevint deux fois sujet sans exciter le moindre trouble, & c'est un fait unique dans l'histoire.

Les moines ont peint ce grand conquérant comme un barbare insensé, qui tantôt coupoit la tête à une maîtresse qu'il aimoit éperduement pour appaiser les murmures de ses soldats, tantôt faisoit ouvrir le ventre à quelques-uns de ses ichoglans pour découvrir qui d'eux avoit mangé un melon : toutes ces fables sont démenties par les annales turques.

Ce qui montre évidemment, dit M. de Voltaire, malgré les déclamations du cardinal Isidore & de tant d'autres, que Mahomet étoit un prince plus sage & plus poli qu'on ne le croit, c'est qu'il laissa aux chrétiens vaincus la liberté d'élire un patriarche. Il l'installa lui-même avec la solemnité ordinaire : il lui donna la crosse & l'anneau que les empereurs d'Occident n'osoient plus donner depuis long-tems ; & s'il s'écarta de l'usage, ce ne fut que pour reconduire jusqu'aux portes de son palais le patriarche élu, nommé Gennadius, qui lui dit " qu'il étoit confus d'un honneur que jamais les empereurs chrétiens n'avoient fait à ses prédécesseurs. " Cependant toutes les belles actions de ce grand monarque ont été contredites ou dissimulées par la plûpart des historiens chrétiens. Car il n'y a point d'opprobre ou de titres outrageux dont leur plume n'ait voulu ternir la mémoire de ce prince.

Souverain par droit de conquête d'une moitié de Constantinople, il eut l'humanité ou la politique d'offrir à l'autre partie la même capitulation qu'il avoit voulu accorder à la ville entiere ; & il la garda religieusement. Ce fait est si vrai, que toutes les églises chrétiennes de la basse-ville furent conservées jusque sous son petit-fils Sélim, qui en fit abattre plusieurs. On les appelloit les mosquées d'Issévi. Issévi est en turc le nom de Jésu.

Ajoutons à sa gloire, qu'il fut le premier sultan qui goûta les arts & les sciences, & qui les ait chéries. Il étudia l'histoire, il entendoit le latin, il parloit le grec, l'arabe, le persan ; il savoit ce qu'on pouvoit savoir alors de géographie & de mathématiques. Il aimoit la ciselure, la musique, & la peinture avec passion.

Il fit venir de Venise à Constantinople le fameux Gentil Bellino, & le récompensa comme Alexandre avoit récompensé Apelles, par des dons & par sa familiarité. Il lui fit présent d'une couronne d'or, d'un collier d'or, de trois mille ducats d'or, & le renvoya avec honneur.

Il eût peut-être fait fleurir les arts dans ses états s'il eût vécu davantage ; mais il mourut à 52 ans, & lorsqu'il se flattoit de venir prendre Rome, comme il avoit pris Constantinople. Depuis sa mort la langue grecque se corrompit, & l'ancienne patrie des Sophocles & des Platons, devint bientôt barbare. (D.J.)


TEGLIO(Géog. mod.) gouvernement dans la Valteline, de la dépendance des Grisons ; il est divisé en trente-six petits départemens. (D.J.)


TEGORARIN(Géog. mod.) pays d'Afrique, dans la Barbarie, au Bilédulgérid ; il contient plusieurs villages, & les caravanes s'assemblent dans les uns ou dans les autres, pour traverser les deserts de la Libye ; le bourg ou village principal prend le nom du pays. Long. 21. 18. latit. 30. (D.J.)


TEGTEZA(Géog. mod.) ville d'Afrique, au royaume de Maroc, située sur une montagne si roide, qu'on n'y peut monter que par un sentier fort étroit, & par des degrés creusés çà & là dans le roc. Ses habitans passent pour les plus grands voleurs du pays. (D.J.)


TEGULCHITCH(Hist. nat. anim.) c'est une espece de rats qui se trouvent en abondance dans la péninsule de Kamtchatka ; ils sont d'une couleur brune & de la grosseur de nos plus gros rats d'Europe ; ils en different néanmoins par leur cri, qui ressemble à celui d'un petit cochon. Ces rats amassent pendant l'été des provisions de racines dans des trous, qui sont divisés en compartiment ; ils les en tirent pour les faire sécher au soleil lorsqu'il fait beau ; pendant cette saison ils ne se nourrissent que de fruits, sans toucher à la provision destinée pour l'hiver.

Ces rats changent d'habitation comme les hordes errantes des Tartares ; quelquefois ils quittent le Kamtchatka pour plusieurs années ; ce qui allarme beaucoup les habitans, qui croyent que leur retraite annonce une année pluvieuse & défavorable à la chasse. Ces rats partent communément au printems ; ils se rassemblent alors en très-grand nombre, dirigent leur route vers l'occident ; ils traversent les rivieres, & même des bras de mer à la nage ; lorsqu'après avoir long-tems nagé ils atteignent les bords, ils tombent souvent de lassitude, & l'on diroit qu'ils sont morts ; mais peu-à-peu ils se remettent & continuent leur marche. Leur troupe est quelquefois si nombreuse, que les voyageurs sont obligés d'attendre deux heures que cette armée de rats soit passée.

M. Kracheninicoff, à qui cette description est dûe, dit que quelques habitans de Kamtchatka lui ont assuré que ces rats en quittant leurs trous, ont soin de couvrir d'herbes venimeuses les provisions qu'ils y ont amassées ; ils le font pour tuer les autres rats ou animaux qui pourroient venir les voler en leur absence. Lorsque par hasard ils trouvent qu'on leur a enlevé leur magasin, & qu'il ne leur reste plus rien pour subsister, ils ont l'instinct de s'étrangler en pressant leur cou entre des rameaux fourchus. Ces rats sont regardés comme de si bon augure par les habitans, qu'ils ont soin de leur mettre de quoi se nourrir dans leur trou quand ils en découvrent par hasard.


TEGUMENTS. m. terme d'Anatomie, qui se dit des peaux ou membranes qui couvrent le corps, comme sont l'épiderme, la peau, le pannicule charnu, & la tunique réticulaire, si tant est qu'elle existe. Voyez PEAU, EPIDERME, PANNICULE, &c. Ce mot est composé de tegumentum, de tego, je couvre.

On donne aussi le nom de tégument, aux membranes particulieres qui enveloppent certaines parties du corps ; par exemple, aux tuniques de l'oeil. Voyez MEMBRANE, TUNIQUE, OEIL, &c.


TEGYRETegyra, (Géog. anc.) ville de la Béotie ; Plutarque semble marquer la situation de cette ville vers le mont Ptoon, entre le lac Copaïs, & l'Euripe ; il y avoit à Tegyre un oracle d'Apollon. (D.J.)


TEHEBE(Géog. mod.) village du royaume d'Ormus, du côté de l'Arabie ; il est bâti dans une ouverture de ces affreux rochers qui y regnent le long de la mer. Il entre dans cette ouverture une eau claire qui forme un canal si large, que les barques d'une grandeur médiocre y peuvent arriver commodément. Ce lieu ne contient qu'une centaine de cabanes bâties de terre & de bois, habitées par quelques arabes du pays ; cependant entre les ouvertures étroites de ces rochers, on découvre quantité de palmiers, d'orangers, & de citronniers, qui portent des fruits pleins de jus. (D.J.)


TEHEMAou TAHAMAH, (Géog. mod.) contrée de l'Arabie-heureuse, sur le bord de la mer Rouge. Elle est bornée au nord par l'état du sherif de la Mecque ; à l'orient par le pays appellé Chaulan ; au midi par le territoire de Moka. (D.J.)


TEICHOPOEUSS. m. (Antiq. grecq.) , magistrat d'Athènes, chargé de prendre soin des murs de la ville ; le nombre de ces sortes de magistrats étoit égal à celui des tribus ; car chaque tribu en nommoit un. Potter, Archaeol. graec. t. I. pag. 84. (D.J.)


TEIGNES. f. tinea, (Hist. nat.) insecte du genre des chenilles, qui se fait un fourreau, & qui se métamorphose en phalene. Il y a un très-grand nombre de différentes especes de teignes ; les unes sont domestiques, & se trouvent sur les habits, les tapisseries, & en général, dans toutes les étoffes de laine & dans les pelleteries ; cette espece n'est que trop connue par les trous qu'elle fait dans les étoffes, nonseulement pour se nourrir, mais encore pour se former un fourreau de poils ou de laine, dont elle change plusieurs fois, à mesure qu'elle grossit. D'autres teignes restent sur les arbres ; elles se tiennent collées sous les feuilles, & elles se nourrissent de la substance qui est entre la membrane supérieure & la membrane inférieure des feuilles ; elles se font avec les membranes un fourreau qui est de couleur de feuille morte, & qui a différentes figures, selon l'espece de teigne qui l'a formé. On trouve de ces teignes sur beaucoup de plantes, & principalement sur le chêne, l'orme, le rosier, le poirier, &c. Il y a aussi des teignes aquatiques qui se nourrissent & qui se font un fourreau avec les feuilles des plantes qui croissent dans l'eau, comme le potamogeton, la lentille d'eau, &c. On a aussi donné le nom de teigne aquatique à une espece de ver qui se trouve dans les ruisseaux, & qui se fait un étui ou fourreau de grains de sable, de morceaux de bois, &c. On l'appelle charrée. Voyez CHARREE. Cet insecte n'est point du genre des teignes, & au lieu de se transformer en phalene, il se change en une mouche à quatre aîles. Il y a des especes de teignes qui restent sur les murs, & qui forment leurs fourreaux de petits grains de pierre. L'intérieur du fourreau de toutes les especes de teignes, est tapissé de soie que l'insecte file. On trouve sur les tiges & sur les branches des arbres des teignes qui se nourrissent des plantes parasites qui y croissent, tels que le lichen, & qui s'en font un fourreau. Mém. pour servir à l'hist. des Insectes, par M. de Réaumur, tome III. Voyez INSECTE.

Fausse-teigne ; M. de Réaumur a donné ce nom à des insectes qui se font un fourreau comme les teignes, mais qui en different en ce qu'ils ne traînent pas leur fourreau avec eux comme les teignes. Il y a beaucoup de différentes especes de fausses-teignes ; les principales & les mieux connues sont celles des abeilles & du blé ; celles-ci causent beaucoup de dommage dans les greniers ; elles se font un fourreau de plusieurs grains de blé qu'elles attachent les uns aux autres avec de la soie qu'elles filent, & elles se nourrissent de la farine que contiennent ces grains. On trouve dans les ruches des abeilles des fausses-teignes, elles mangent la cire des alvéoles qui ne contiennent point de miel. Souvent ces insectes obligent les abeilles à changer de ruches par les dégâts qu'ils font dans leurs gâteaux ; ils n'attaquent point les alvéoles où il y a du miel. Mém. pour servir à l'hist. des insectes, par M. de Réaumur, tome III. Voyez INSECTE.

TEIGNE, s. f. tinea, (terme de Chirurgie) maladie appellée par les auteurs arabes sahafati, & qui ressemble aux achores. Voyez ACHORE.

La teigne est une sorte de lepre. Les auteurs en comptent ordinairement trois especes ; savoir, une seche, une humide & une lupineuse ; mais qui ne sont en effet que divers degrés de la même maladie. Voyez LEPRE.

Turner définit la teigne, un ulcere qui vient à la tête des enfans par une humeur vicieuse, corrosive, ou saline ; & qui rongeant les glandes cutanées en détruit avec le tems le tissu.

Cette maladie est appellée teigne, parce qu'elle ressemble aux trous que fait au papier, &c. l'insecte qui porte le même nom. Dans le premier état la peau est couverte d'une matiere blanche, seche, crouteuse ou écailleuse. Dans le second état, elle paroît grenue. Dans le troisieme, elle est ulcérée.

Les remedes internes propres pour la teigne, sont les mercuriaux, les purgatifs convenables, les adoucissans. La salivation, sur-tout par les onctions mercurielles, a quelquefois réussi, après que les autres méthodes s'étoient trouvées inutiles. Les remedes externes sont les fomentations avec les racines de patience, d'aristoloche, de raphanus rusticanus, d'absynthe, &c. bouillies dans l'eau, & exprimées, auxquelles on ajoute l'esprit-de-vin camphré, &c. des linimens avec le lard, des onguens avec le précipité blanc & le soufre pulvérisé ; ou avec la poudre de vitriol romain & de vitriol blanc, le précipité rouge, &c.

On traite de la teigne, & avec succès, une quantité de pauvres enfans à l'hôpital de la Salpétriere ; on ne fait point ou fort peu d'usage de remedes intérieurs : on emploie un emplâtre très-agglutinatif, qui ne s'arrache qu'avec peine, & qui enleve la racine des cheveux ; lorsqu'on a emporté les cheveux des endroits affectés, on guérit les malades avec un onguent dessicatif doux.

Par ce traitement on déracine le mal avec sûreté. L'extraction des cheveux déchire le bulbe & laisse couler l'humeur âcre qui y séjourne, & qui est la cause du mal. Il est assez ordinaire que les malades guérissent avec une dépilation, ce qui attire quelquefois des reproches au chirurgien ; desorte, dit Paré, que plusieurs ont laissé la cure aux empiriques & aux femmes. On réussit quelquefois à détruire en apparence cette maladie par les remedes dessicatifs, que les empiriques & les femmelettes n'ignorent point ; mais on trouve dans les auteurs une infinité d'exemples qui doivent faire prendre des précautions pour éviter la suppression indiscrette de l'humeur de la teigne. Les saignées, les purgations, les fondans mercuriaux, les cauteres & les vésicatoires en détournant cette humeur supprimée, peuvent garantir le genre nerveux de sa malignité.

Ambroise Paré propose, d'après Jean de Vigo, un onguent qu'il dit être souverain pour la guérison de la teigne : en voici la composition. Prenez hellébore blanc & noir, orpiment, litharge d'or, chaux vive, vitriol, alun, noix de galle, suie & cendres gravelées, de chacune demi-once : vif argent éteint avec un peu de térébenthine & d'axonge, trois onces : verd-de-gris, deux gros. Pulvérisez ce qui doit l'être ; puis prenez sucs de bourache, de scabieuse, de fumeterre, de lapathum & de vinaigre, de chacun cinq onces, & vieille huile, une livre. Faites bouillir jusqu'à la consomption des sucs ; sur la fin de la cuisson on mettra les poudres, en ajoutant une demi-once de poix liquide & autant de cire qu'il en faudra pour donner la consistance d'onguent. (Y)

Le docteur Cook, médecin anglois, propose un remede fort simple pour la guérison de cette maladie : c'est de mettre quatre onces de vif argent très-pur dans deux pintes d'eau ; de faire bouillir le tout dans un pot de terre vernissé, jusqu'à réduction de la moitié de l'eau ; & de conserver cette eau dans une bouteille pour l'usage, qui consiste à s'en frotter la tête. Cette même eau peut aussi être employée tant intérieurement qu'extérieurement pour détruire les vers, pour faire passer toutes les éruptions de la peau, pour guérir les ulceres, & pour purifier le sang.

TEIGNE, (Maréchal.) maladie des chevaux difficile à guérir. Elle consiste dans une pourriture puante qui leur vient à la fourchette. Voyez FOURCHETTE.

TEIGNE, s. f. (Charpent.) les ouvriers en bois appellent teigne une maniere de gale qui vient sur l'écorce du bois ; plusieurs d'eux écrivent & prononcent tigne pour teigne. (D.J.)


TEILLES. f. (Jardinage) est une enveloppe qui couvre le bois des arbres, laquelle est ordinairement épaisse, avec beaucoup de fentes, & de couleur cendrée.


TEILLERv. act. (Econ. rust.) c'est détacher le chanvre ou la filasse. Voyez l'article CHANVRE.


TEINDREv. act. (Gramm.) c'est porter sur une substance quelconque une couleur artificielle. On teint presque toutes les substances de la nature ; les pierres, les cornes, les cheveux, les laines, les bois, les os, les soies, &c. Voyez l'article TEINTURE.


TEINTS. m. (Gramm.) il se dit de la couleur de la peau du visage. Une femme a le teint beau lorsque sa peau est d'un blanc éclatant, & que ses joues sont d'un rouge vermeil.

TEINT, s. m. (Teinture) l'art de teindre par rapport aux étoffes de lainerie se distingue en France en grand & bon teint, & en petit teint. Le grand teint est celui où il ne s'emploie que les meilleures drogues, & celles qui font des couleurs assurées. Le petit teint est celui où il est permis de se servir de drogues médiocres, & qui font de fausses couleurs. Les plus riches étoffes sont destinées au grand teint, & les moindres sont reservées pour le petit teint. Le bleu, le rouge & le jaune appartiennent par préférence au grand teint ; le fauve & le noir sont communs au grand & au petit teint. (D.J.)

TEINT, mettre une glace au teint, en termes de Miroitiers, c'est mettre une lame ou feuille d'étain derriere la glace, & appliquer ensuite du vif-argent dessus ; au moyen de quoi l'on voit les objets dans la glace du miroir. Voyez GLACE, MIROIR, VERRERIE.


TEINTES. f. (Teint.) nuance de couleurs, mêlange de plusieurs couleurs pour en composer une qui imite celle de l'objet qu'on veut peindre. C'est de l'expérience qu'on apprend singulierement ce qui regarde le mêlange des couleurs, & ce qu'elles sont les unes avec les autres. C'est cette même expérience qui nous enseigne la maniere d'appliquer les couleurs pour donner du relief aux figures, pour bien marquer les jours, les ombres & les éloignemens. Le grand secret de la peinture consiste à bien donner les teintes & les demi- teintes.

On appelle demi-teintes, un ménagement de lumiere par rapport au clair-obscur, ou un ton moyen entre la lumiere & l'ombre. La dégradation des couleurs se fait par ces nuances foibles & bien ménagées du coloris qu'on appelle demi-teinte.

On nomme teinte vierge, une seule couleur sans mêlange d'aucune autre. (D.J.)


TEINTÉ PAPIER(terme de Papetier) ils nomment papier teinté, du papier sur lequel on a jetté une couleur légere, pour en ôter l'âcreté du blanc, qui nuit souvent à un dessein ; ou plutôt pour avoir occasion de rehausser ce dessein avec du blanc dans les parties qui étant supposées le plus en avant, doivent recevoir toute la lumiere. Cette derniere pratique rend ce qu'on a voulu exprimer d'un grand relief, & le fait paroître lumineux. (D.J.)


TEINTURES. f. art de porter des couleurs sur la plûpart des substances de la nature, & des ouvrages des hommes.

La teinture des draps, étoffes de laine, soie, fil & coton, étant un objet des plus intéressans pour le commerce, on donnera en commençant le détail de cet art les noms des couleurs, nuances, pour les draps, étoffes de laine, poil, de soies & cotons ; ensuite le détail des ingrédiens employés dans les différentes teintures, leur origine, culture, nature, qualité, espece, leurs propriétés & leur usage, les cas pour la déterminer & fixer l'usage, de même que celui de l'interdire. Après quoi on expliquera le méchanisme ou la main-d'oeuvre de la teinture, de même que les termes employés par les ouvriers, les outils, ustensiles, &c. dont ils se servent, & enfin la théorie physique de toutes les teintures en général.

La teinture est composée de cinq couleurs matrices ou premieres, dont toutes les autres dérivent ou sont composées.

Ces couleurs sont le bleu, le rouge, le jaune, le fauve & le noir.

Les couleurs qui dérivent des cinq couleurs premieres sont :

Après la distribution de toutes les couleurs & nuances suit le nom de tous les ingrédiens colorans & non-colorans, qui entrent dans la teinture.

De tous ces ingrédiens, les uns sont colorans, les autres ne le sont pas. Les derniers ne servent qu'à disposer les matieres à recevoir les couleurs qui leur sont imprimées par les ingrédiens colorans, ou pour en rendre les couleurs plus belles & plus assûrées.

Pour assûrer une perfection constante dans les teintures de laines, les anciens & les nouveaux reglemens ont distingué deux manieres de teindre les laines ou étoffes, de quelque couleur que ce soit. L'une s'appelle teindre en grand & bon teint. L'autre teindre en petit ou faux teint. La premiere consiste à employer des drogues ou ingrédiens qui rendent la couleur solide, ensorte qu'elle résiste à l'action de l'air, & qu'elle ne soit que difficilement tachée par les liqueurs âcres ou corrosives ; les couleurs du petit teint au contraire se passent en très-peu de tems à l'air, & sur-tout si on les expose au soleil, & la plûpart des liqueurs les tachent, de façon qu'il n'est presque jamais possible de leur rendre le premier éclat.

On sera peut-être étonné qu'y ayant un moyen de faire toutes les couleurs en bon teint, l'on permette de teindre en petit teint ; mais trois raisons font qu'il est difficile, pour ne pas dire impossible, d'en abolir l'usage. 1°. Le travail en est beaucoup plus facile ; la plûpart des couleurs & des nuances, qui donnent le plus de peine dans le bon teint, se font avec une facilité infinie en petit teint. 2°. La plus grande partie des couleurs de petit teint sont plus vives & plus brillantes que celles du bon teint. 3°. Et cette raison est la plus forte de toutes, le petit teint se fait à beaucoup meilleur marché que le bon teint. Quand il n'y auroit que cette derniere raison, on jugera aisément que les ouvriers font tout ce qu'ils peuvent pour se servir de ce genre de teinture préférablement à l'autre : c'est ce qui a déterminé le gouvernement à faire des loix pour la distinction du grand & du petit teint.

Ces loix prescrivent les sortes de laines & d'étoffes qui doivent être de bon teint, & celles qu'il est permis de faire en petit teint. C'est la destination des laines filées & le prix des étoffes qui décident de la qualité de la teinture qu'elles doivent recevoir. Les laines pour les canevas & les tapisseries de haute & basse-lisse, & les étoffes dont la valeur excede de quarante sols l'aune en blanc, doivent être de bon teint. Les étoffes d'un plus bas prix, ainsi que les laines grossieres destinées à la fabrique des tapisseries, appellées bergame & point d'hongrie, peuvent être en petit teint. Tel étoit l'esprit du réglement de M. Colbert en 1667 ; & c'est sur le même principe qu'a été fait celui de M. Orry, contrôleur général des finances en 1737. On y a éclairci un grand nombre de difficultés qui nuisoient à l'exécution du premier, & on y est entré dans le détail qui a été jugé nécessaire pour prévenir, ou au-moins pour découvrir toutes les prévarications qui pourroient se commettre.

C'est pour ces mêmes raisons que les Teinturiers du grand & bon teint font un corps séparé de ceux du petit teint, & qu'il n'est pas permis aux uns d'employer, ni même de tenir chez eux les ingrédiens affectés aux autres. Il y a dans le royaume une troisieme communauté, qui est celle des Teinturiers en soie, laine & fil. Ceux-ci ont la permission de faire le grand & le petit teint : mais cette communauté forme trois branches, dont l'une est pour la soie, la seconde pour la laine filée, & la troisieme pour le fil. Le teinturier qui a opté pour un de ces trois genres de travail, ne peut faire que ce qui est permis à ceux de sa branche : ainsi celui qui a opté pour le travail des soies, ne peut teindre ni la laine filée, ni le fil : il en est de même des autres. Le teinturier de cette troisieme communauté, qui a choisi le travail des laines filées, peut avoir chez lui les ingrédiens du grand & du petit teint ; mais il ne lui est pas permis de faire usage de ceux affectés au petit teint, que sur les laines grossieres dont on vient de parler.

Quoique, suivant les ordonnances, il ne soit pas permis aux teinturiers du grand & bon teint d'avoir chez eux des ingrédiens affectés aux teinturiers du petit teint, & à ceux-ci d'avoir des ingrédiens affectés aux teinturiers du grand & bon teint ; néanmoins il est de ces mêmes ingrédiens affectés & communs aux deux corps séparés, tels que la racine, écorce & feuille de noyer, brou de noix, garouille, galle, sumach, rodoul, fovie & couperose : mais les teinturiers du grand & bon teint ne doivent tenir que fort peu de ces quatre derniers ingrédiens, & seulement ce qui peut leur être nécessaire pour quelque légere bruniture, qu'il leur est loisible de donner aux couleurs, qu'il leur seroit difficile d'assortir autrement à leurs nuances ; sans qu'il leur soit permis d'en diminuer pour cela le pié nécessaire, qui doit être toujours aussi fort que celui des échantillons parfaits qui doivent servir de pieces de comparaison.

Les drogues non colorantes, ou qui ne donnent point de couleur, servant au bon teint, sont l'alun, le tartre ou la gravelle, l'arsenic, le réagal, le salpêtre, sel nitre, sel gemme, sel ammoniac, sel commun, sel minéral, sel ou crystal de tartre, agaric, esprit de vin, urine, étain, son, farine de pois ou de froment, amidon, chaux, cendres communes, cendres recuites & cendres gravelées. Toutes ces drogues servant à disposer les étoffes pour attirer la couleur de l'ingrédient colorant, & rendre les couleurs plus belles & plus assurées, doivent être défendues aux teinturiers du petit teint, où elles ne serviroient que de contravention.

Les drogues colorantes qui doivent être employées par les teinturiers du grand & bon teint, sont le pastel, voüede, graine d'écarlate ou kermès, cochenille, garance, gaude, sarette, indigo, orcanette, bois jaune, caliatour, génestrolle, fénugrec, brou de noix, racine de noyer, écorce d'aulne, noix de galle, &c.

Les drogues colorantes défendues aux teinturiers du bon & grand teint sont le bois d'Inde ou de Campèche, bois de Brésil, de Ste Marthe, du Japon, de Pernambouc, santal, fustel, ni aucuns bois de teinture, tournesol, terra-merita, orseille, safran bâtard, rocou, teinture de bourre, suie, graine d'Avignon, &c. tous ces ingrédiens étant affectés aux teinturiers du petit teint.

Par la même raison, les teinturiers du petit teint ne peuvent tenir chez eux aucuns ingrédiens suivans, savoir pastel, voüede, indigo, cochenille, graine de kermès, garance, sarette, génestrolle, fénugrec, orcanette ; ni même des ingrédiens non colorans affectés au grand & bon teint.

Les ingrédiens ou drogues qui croissent en France sont, le pastel ou le voüede pour le bleu ; le vermillon & la garance pour le rouge ; la gaude, la sarette & la génestrolle pour le jaune ; la racine, écorce de noyer, & coque ou brou de noix pour le fauve, autrement appellé couleur de racine ou noisette ; le rodoul, le fovie & la couperose pour le noir ; l'alun, la gravelle & le tartre pour les bouillons : nous avons aussi le verdet, le sel commun, la chaux, la cendre cuite & potasse, la cendre gravelée, & la plûpart des ingrédiens qui ne donnent point de couleur ; & outre ces drogues qui sont bonnes, nous avons encore la cassenolle, l'écorce d'aulne, le fustel, la malherbe, le trentanel, la garouille & l'orseille, qui sont des ingrédiens employés dans les soies, fil, coton, &c.

Ingrédiens. Description de leur origine, culture, nature, qualité, espece ; leurs propriétés & usages ; en quel cas il peut être fixé ou interdit.

Agaric minéral qui se trouve dans les fentes des rochers, en quelques endroits d'Allemagne, qui ressemble à de la craie. Espece de champignon qui croît sur le larix pulverisé, pour servir à la teinture d'écarlate ; c'est un ingrédient non colorant affecté au grand & bon teint.

Alkermès, vermillon ou graine d'écarlate, est une graine qui croît naturellement sur une espece de petit houx, dans les lieux vagues & inutiles de la Provence, du Languedoc & du Roussillon, qui vient d'elle-même n'ayant pas besoin de culture, laquelle ne doit être recueillie que quand elle est bien mûre, parce que c'est alors qu'elle rend plus de pousset, qu'on nomme communément pastel d'écarlate. C'est le premier ingrédient dont on s'est servi pour la belle écarlate ; mais parce qu'elle a moins de feu, & qu'elle est plus brune que l'écarlate qui se fait aujourd'hui en France, on ne se sert plus de cet ingrédient, quoique la couleur qu'il donne soutienne plus long-tems son éclat, & qu'elle ne craigne point la tache de la boue & des liqueurs âcres. Les Vénitiens employent encore cet ingrédient dans leurs écarlates, appellées communément écarlates de Venise. Il s'en emploie encore à Alger & à Tunis une quantité assez considérable qui est tirée de Marseille. Cet ingrédient colorant est du bon & grand teint.

Alun de Rome, minéral qu'on trouve aussi dans les mines des Pyrénées du côté de la France, un peu salugineux, ce qui fait qu'il est moindre que celui qui se tire de Rome ou Civita-Vecchia ; peut-être encore que s'il étoit aussi bien purifié, qu'il seroit aussi bon, excepté que la qualité de la mine ne contribuât à sa bonté, & à la préférence qu'on lui donne. Ingrédient non colorant du bon & grand teint.

Amidon, ingrédient tiré du son de froment, sert au bon & grand teint, quoique non colorant.

Arsenic, minéral, idem comme ci-dessus, composé de beaucoup de soufre & d'un sel caustique.

Bois de Brésil, de Fernambouc, de Ste Marthe, du Japon, se tire du pays dont il porte le nom ; c'est un ingrédient qui n'est propre que pour le petit teint : il est colorant.

Bois de Campêche ou bois d'Inde, ingrédient colorant tiré du pays dont il porte le nom ; il est d'un très-grand usage pour le petit teint : il vaut mieux que le bois de Brésil.

Bois de fustel, petit bois qui se tire de Provence, qui ne s'emploie que dans le petit teint ; c'est un ingrédient colorant.

Bois jaune, idem.

Bourre ou poil de chevre, dont la couleur qui en provient est appellée nacarat de bourre ; est une composition de ce même poil ; qui est garancé par le teinturier du bon & grand teint, qui la remet ensuite au teinturier du petit, qui la fait fondre à l'aide d'une quantité suffisante de cendres gravelées, de façon que ce poil étant totalement fondu, il s'ensuit une composition propre à faire des cerises en dégradations, qui ne peuvent être faites que par le teinturier du petit teint, attendu le peu de solidité de la couleur qui en provient ; c'est un ingrédient colorant.

Cassenolle ou galle qui vient sur les chênes, ingrédient non colorant du bon & grand teint.

Cendres gravelées, ingrédient non colorant qui se fait de la lie du vin qu'on fait brûler ou calciner, affecté au bon & grand teint.

Cendres communes, tout le monde les connoît ; elles sont pour le grand teint.

Cendres cuites, idem.

Cendres vives, c'est la chaux éteinte dans l'eau ou à l'air, ingrédient non colorant pour le bon teint.

Céruse, préparation du plomb, par le moyen du vinaigre dont on lui fait recevoir la vapeur, ingrédient non colorant propre à blanchir les laines ; il se trouve en France ; il est pour le bon teint.

Cochenille maëstrek ou pure cochenille ; sous ce nom est connue la cochenille mesteque ou tépatte, & la cochenille sylvestre ou campétiane.

La cochenille mesteque, est un insecte dont on fait une recolte considérable dans le Mexique ; les habitans du pays ont soin de le retirer de dessus la plante qui le nourrit, avant la saison des pluies. Ils font mourir & sécher ce qu'ils ont dessein de vendre, & conservent le reste pour le faire multiplier quand la mauvaise saison est passée. Cet insecte se nourrit & multiplie sur une espece d'opuntia épineux, qu'on nomme nopal ; il se conserve dans un lieu sec sans se gâter.

La cochenille sylvestre ou campetiane, se tire aussi du Mexique. L'insecte s'y nourrit, y croît & multiplie sur les opuntias non cultivés, qui y sont en abondance. Il y est exposé dans la saison des pluies, à toute l'humidité de l'air, & y meurt naturellement. Cette cochenille est toujours plus menue que la cochenille fine ou cultivée. Sa couleur est meilleure & plus solide que celle qu'on tire de la cochenille fine ; mais elle n'a jamais le même éclat : & d'ailleurs il n'y a pas de profit à l'employer, puisqu'il en faut quatre parties, & quelquefois davantage pour tenir lieu d'une seule partie de cochenille fine.

Coucoume ou terra merita, est une racine qui est apportée des Indes orientales. On la réduit en poudre très-fine pour s'en servir ; c'est un ingrédient colorant qui n'est pas de bon teint, cependant on s'en sert pour donner plus de feu à l'écarlate, & quelquefois pour dorer les jaunes faits avec la gaude.

Coques ou brou de noix, ingrédient servant au grand & petit teint : tout le monde en sait l'origine.

Couperose, se tire des mines de Flandre, de Liege & d'Angleterre ; il y en a des mines dans les Pyrénées du côté de la France, mais elle est plus grasse & plus argilleuse ; c'est un ingrédient colorant affecté au grand & petit teint.

Eau de galle, composition pour la teinture des soies ; c'est l'engallage même, ou l'eau dans laquelle la galle est infusée : cet ingrédient est non colorant.

Eau-forte, ingrédient non colorant dont la composition est très-connue, affecté au bon teint.

Eaux sûres, ingrédient non colorant, affecté au grand teint. C'est une composition faite du son de froment bouilli dans de l'eau, qu'on laisse reposer pour en faire usage.

écorce d'aulne, écorce de noyer, ingrédient colorant affecté au grand & petit teint ; chacun en connoît l'origine.

Esprit-de-vin, ingrédient non colorant, affecté au grand & bon teint, dont l'origine ou composition est connue.

Etain, idem.

Farine de blé, affectée au grand teint.

Farine de pois, idem.

Fénu-gret ou plutôt fenu-grec, herbe qui croît en France, ingrédient non colorant du bon & grand teint, servant à aviver les couleurs.

Feuilles de noyer, ingrédient colorant du grand & du petit teint.

Fustel ou fustet, petit bois qui se tire de Provence. Il donne une couleur orangée qui n'est pas solide, & ne s'emploie que dans le petit teint, comme la racine de noyer ou le brou de noix.

Galle d'épine d'Alep, & d'Alexandrie, se tire des pays dont elle porte le nom, ingrédient qui croît sur les chênes, qui est affecté au grand & petit teint. Il est colorant, les meilleures viennent d'Alep & de Tripoli.

Garance, ingrédient colorant du grand & bon teint, racine qui vient naturellement dans la plûpart des provinces du royaume, qui est cultivée avec soin dans la Flandre & dans la Zélande, & dont la meilleure se recueille aux environs de Lisle, dont la culture & l'entretien sont fort faciles. Elle croît dans les terres médiocrement bonnes & qui ne sont pas trop arides, quoiqu'il soit nécessaire d'empêcher que l'eau n'y croupisse pas, parce qu'elle la pourriroit.

Les terres dans lesquelles on desire semer la garance, doivent être profondément rompues & fumées avant l'hiver ; celles qui sont un peu sablonneuses donnent plus de facilité à la garance de grossir sa racine ; celles qui seroient trop séches produiroient le même effet.

La garance se seme ordinairement au mois de Mars, & se couvre seulement avec la herse ou le rateau, pour que la terre soit plus unie. Il faut avoir soin de choisir & arracher les herbes étrangeres, principalement dans le commencement, afin qu'elles n'attirent pas la substance de la terre, & ne mêlent par leurs racines avec celles de la garance, qu'elles empêcheroient de croître & de grossir.

Il faut laisser grossir la racine de la garance avant de l'arracher, ce qui ne sauroit être que dix-huit mois après qu'elle a été semée. On commence de cueillir la plus grosse dans le mois de Septembre, & ayant coupé la feuille des racines qui resteront rez de terre, lorsque la graine se trouvera assez mûre pour être recueillie, on couvrira bien de terre le reste des racines, pour les laisser grossir jusqu'au mois de Septembre suivant, qu'on pourra aussi arracher les plus grosses ; & ainsi consécutivement d'année en année au mois de Septembre, pendant huit ou dix ans que la garanciere demeurera toujours peuplée, soit des racines qu'on y aura laissées pour les laisser grossir, ou soit de celles qui resteront au fond de la terre, ou qui se formeront des filamens, petits oignons ou reste des autres racines qu'on aura arrachées : après quoi il sera besoin de renouveller autre part la garanciere, parce que cette terre sera alors plus propre pour le blé que pour la remettre en garanciere. La garance produit si facilement, que sa tige même couchée en terre, prend racine, & sert à repeupler la garanciere qui a été trop épuisée de sa racine.

La garanciere se peut aussi refaire avec le plant, en amassant toutes les petites racines de la vieille garanciere pour les replanter.

La racine de la garance étant arrachée, est mise secher au soleil ; ou bien dans des pays fort chauds, on la fait secher à l'ombre, pour lui conserver plus de substance & de couleur ; elle doit être mise au moulin ensuite pour la réduire en poudre, & pour être ensuite bien ensachée ou empaquetée dans de doubles sacs, afin qu'elle ne s'évente, pour être ensuite employée. La garance qui est fraîche fait la couleur plus vive, celle qui est faite d'un an, donne davantage de couleur ; mais celle qui vieillit trop, en perdant de sa couleur, perd aussi de sa vivacité, devenant terne & rendant sa couleur de même.

Les étrangers vendent des garances sous le nom de billon de garance, qui bien souvent n'est que de la terre rougeâtre, mêlée avec quelque poussiere de la garance, ou de la grappe de celle qui a déja été employée dans leurs pays, ce qui est une fraude des plus grandes ; le public se trouvant trompé par la fausse teinture, qui n'ayant point de couleur, ne sert qu'à ronger la laine des étoffes où la terre s'attache. On ne s'est étendu sur la description de cette plante, que parce que de tous les ingrédiens affectés au bon teint, il n'en est point de si utile que la garance, & peu de couleur où elle n'entre.

La garouille est un ingrédient colorant du bon teint, plante qui croît en Provence, Languedoc & Roussillon.

La gaude, ingrédient colorant du bon & grand teint, est une plante qui vient naturellement ou par culture, dans presque toutes les provinces de la France. Il faut la faire sécher lorsqu'elle est cueillie, & empêcher qu'elle ne se mouille pas ; on ne doit pas la cueillir qu'elle ne soit bien mûre.

La genestrolle est une plante, de même que la gaude, ingrédient du bon teint.

Gravelle, ingrédient non colorant, qui provient de la lie de vin, de même que le tartre.

Guesde, la cuve du bleu composée. Le lieu où sont les cuves pour le bleu est aussi nommé guesde.

Indigo, ingrédient colorant du grand & bon teint, est la fécule d'une plante qu'on nomme nil ou anil. Pour faire cette fécule, on a trois cuves, l'une audessus de l'autre, en maniere de cascade. Dans la premiere, qu'on appelle trempoire ou pourriture, & qu'on remplit d'eau, on met la plante chargée de ses feuilles, de son écorce & de ses fleurs. Au bout de quelque tems, le tout fermente ; l'eau s'échauffe & bouillonne, s'épaissit & devient d'une couleur de bleu tirant sur le violet ; la plante déposant tous ses sels, selon les uns, & toute sa substance selon les autres. Pour lors on ouvre les robinets de la trempoire, & l'on en fait sortir l'eau chargée de toute cette substance colorante de la plante, dans la seconde cuve appellée la batterie, parce qu'on y bat cette eau avec un moulin à palettes, pour condenser la substance de l'indigo, & la précipiter au fond, ensorte que l'eau redevient limpide & sans couleur, comme de l'eau commune. On ouvre les robinets de cette cuve pour en faire écouler l'eau jusqu'à la superficie de la fécule bleue : après quoi on ouvre d'autres robinets qui sont plus bas, afin que la fécule tombe au fond de la troisieme cuve, appellée reposoir, parce que c'est-là où l'indigo se repose & se désseche. On l'en tire pour former des pains, des tablettes.

L'on trouve à la côte de Coromandel & à Pondichéry deux sortes d'indigo, l'une beaucoup plus belle que l'autre ; il y en a encore plusieurs autres sortes qui augmentent de prix selon leur qualité. L'indigo de Java, ou indigo de Javan, est le meilleur de tous ; c'est aussi le plus cher, & par conséquent il y a peu de teinturiers qui l'employent. Le bon indigo doit être si léger, qu'il flotte sur l'eau : plus il enfonce, plus il est suspect d'un mêlange de terre, de cendre ou d'ardoise pilée. Sa couleur doit être d'un bleu foncé, tirant sur le violet, brillant, vif, & pour ainsi dire éclatant. Il doit être plus beau dedans que dehors, & paroître luisant & comme argenté. Il faut en dissoudre un morceau dans un verre d'eau pour l'éprouver. S'il est pur & bien préparé, il se dissoudra entierement ; s'il est falsifié, la matiere étrangere se précipitera au fond du vaisseau. Le bon indigo brûle entierement ; & s'il est falsifié, ce qu'il y a d'étranger reste après que l'indigo est consumé.

Limaille de fer ou de cuivre, ingrédient non colorant prohibé dans le grand & petit teint.

Huile d'olive utile à la teinture du noir.

Malherbe, plante d'une odeur forte dans son emploi ; ingrédient colorant qui croît dans le Languedoc & dans la Provence, affecté au bon & grand teint.

Moulée des Taillandiers & Emouleurs, ingrédient servant au noir ; prohibé aujourd'hui.

Orcanette prohibé.

Orseille, ingrédient affecté au petit teint, dont la composition est d'une espece de mousse appellée perelle, de la chaux vive & de l'urine qu'on fait fermenter, en l'humectant & remuant de tems en tems, jusqu'à-ce qu'elle soit devenue rouge. Il y a de l'orseille d'herbe ou des Canaries, qui est beaucoup meilleure que l'orseille faite avec de la perelle. Elle est composée de même.

Pastel, ingrédient colorant pour le bleu, affecté au bon & grand teint. Le pastel vient d'une graine qu'on seme toutes les années en Languedoc ; le meilleur est celui qui croît dans le diocèse d'Alby ; sa feuille est semblable à celle du plantain. On le seme ordinairement au commencement de Mars, & il s'en fait quatre recoltes, quelquefois cinq ; il s'en est fait jusqu'à six, mais il faut pour cela des belles saisons, & la sixieme recolte ne sert qu'à gâter celui des précédentes, si elles sont mêlées ensemble.

Quoique la premiere recolte du pastel semble devoir être meilleure que la seconde, & ainsi des autres ; néanmoins le contraire arrive, lorsque le printems se trouve humide ou pluvieux, & que les autres saisons se trouvent plus tempérées & plus seches ; la trop grande humidité, en rendant la feuille du pastel plus grande & plus grasse, en diminue aussi la force & la substance.

Le pastel ne doit être cueilli que lorsqu'il est bien mûr. On doit laisser flétrir la feuille quelque tems après qu'elle est ramassée ; après quoi on la met sous la roue pour la faire piler, ce qui n'est que pour la mûrir davantage & lui faire perdre une partie de son suc huileux qui pourroit nuire à sa bonté ; après qu'il est moulu, on le laisse huit ou dix jours en pile, ayant soin de boucher les fentes & crevasses qui s'y font journellement, pour le laisser égoutter du reste de cette humeur superflue.

Après que le pastel est égoutté, on en fait de petites boules qu'on appelle cors ou coraignes qu'on met secher à l'ombre sur des claies qui sont mises exprès ; on les retire ensuite pour les garder en magasin jusqu'à-ce qu'on veuille les piler ou mettre en poudre, ce qui se fait ordinairement au mois de Janvier, de Février ou de Mars.

Le pastel étant rompu avec des masses de bois, on le mouille avec de l'eau la plus croupie, pourvu qu'elle ne soit pas infectée, sale ou graisseuse, étant toujours la meilleure ; & après l'avoir bien mouillé & mêlé pour lui faire prendre également son eau, on le remue de tems en tems pendant quatre mois, du-moins trente-six fois, même jusqu'à quarante, afin qu'il ne s'échauffe & qu'il prenne également son eau par-tout ; après quoi il est en état d'être emballé & employé dans la teinture, quoiqu'il soit meilleur d'attendre qu'il soit plus vieux avant de l'employer ; le bon pastel augmentant toujours de force & de substance pendant six, sept, même jusqu'à dix ans, s'il est du meilleur.

Pastel d'écarlate, voyez Alkermès.

Potasse, ingrédient non-colorant, c'est le sel ou le fiel du verre, qui est une écume séparée de dessus la matiere du verre avant qu'elle se vitrifie.

La potasse pour la teinture est une espece de cendre gravelée qui se tire de Pologne & de Moscovie, ingrédient non-colorant.

Le raucou, ingrédient colorant affecté au petit teint, est une espece de pâte seche qui vient de l'Amérique. Cette matiere donne une couleur orangée à-peu-près comme le fustet ; & la teinture n'en est pas plus solide, parce que l'air l'emporte & l'efface.

Rodoul & le fovie, ingrédiens colorans, sont des feuilles de petits arbrisseaux qui ne se cultivent pas, affectés au petit teint pour le noir.

Safran, appellé safrano par les teinturiers de soie, ingrédient colorant qui n'entre point dans la teinture de laine, se tire du Levant & de l'Italie. On en cueille aussi en France, mais il n'est pas aussi bon que celui qu'on tire de l'étranger : il produit sur la soie le même effet que la cochenille sur la laine, à l'aide du jus de citron.

Le safranbourg ou safran bâtard, se trouve en Alsace & en Provence, ingrédient pour le petit teint.

Salpêtre, ingrédient non-colorant affecté au bon teint, connu de tout le monde.

Santal, arbre qui croît dans les montagnes de Candie, dont le bois est rouge & dur.

Sarette, plante colorante, qui vient naturellement : elle est affectée au bon teint.

Savon blanc & noir, composition très-connue.

Sel ammoniac, sel commun, sel de tartre, sel gemme, sel minéral, sel nitre, voyez CHYMIE, extraits des minéraux, tous ingrédiens non-colorans.

Soude ; la meilleure soude se tire d'Alicante ; c'est un alkali des plus forts. C'est une plante qui croît aux bords de la mer dans des pays chauds, qui contient beaucoup de sel. Les Espagnols la font calciner dans des trous faits exprès dans la terre ; ce qui produit une cendre, dont les parties s'unissent si fort, qu'il s'en forme de petites pierres qu'il faut casser avec le marteau pour en faire usage.

Soufre, trop connu pour en faire la description ; ingrédient propre à blanchir les laines & les soies.

Sublimé, ingrédient non colorant, affecté au grand teint ; minéral corrosif extrait du mercure.

Son, connu de tout le monde, sert au grand teint.

Sumach, arbrisseau qui croît quelquefois à la hauteur d'un arbre, dont la fleur étant passée renferme une semence qui ressemble à une lentille : il croît dans les lieux pierreux : ce fruit a un goût acide & astringent ; ingrédient pour le bon teint.

Suie des cheminées, affectée au petit teint.

Tartre, ingrédient non-colorant, affecté au grand teint, se tire de la lie de vin attachée au tonneau, qui est très-dure.

Terra merita, voyez Coucoume.

Tournesol, prohibé dans le grand & petit teint.

Trentanel, plante qui croît dans le Languedoc & dans la Provence, affectée au grand teint.

Verdet ou verd-de-gris, ingrédient colorant, fait du marc de raisin & du cuivre, affecté au grand & bon teint.

Urine, connue.

Vouéde, plante qui croît en Normandie, qui produit le même effet que le pastel, mais dont la quantité doit être plus considérable : elle se prépare de même.

Vermillon, voyez Alkermès.

Vinaigre, connu.

Liste des termes usités chez les Teinturiers. Abattre le bouillon ; c'est rafraîchir le bain avec de l'eau froide, avant d'y mettre l'etoffe.

Achevement est l'ouvrage de finir une étoffe en noir par le teinturier du petit teint.

Acquérir du fonds ; c'est quand une couleur, bien loin de diminuer à l'air, devient plus belle.

Asseoir une cuve ; c'est y mettre tous les ingrédiens qui doivent la composer.

Assiette d'une cuve ; ce sont les ingrediens posés.

Aviver ; c'est donner du feu au rouge.

Barril, petit tonneau pour mêler ou humecter les drogues, avant que de les mettre dans la chaudiere.

Balai, pour nettoyer les chaudieres.

Bain, teinture composée prête à recevoir l'étoffe ou la laine.

Bouillon, préparation des ingrédiens non-colorans pour disposer l'étoffe à recevoir la couleur de l'ingrédient colorant.

Brevet, bain d'un guesde ou d'une cuve, qu'on dispose à faire réchauffer.

Bruniture, teinture ou bouillon, qui sur une couleur claire, rend l'etoffe plus brune.

Brunit, idem.

Coup de pié, cuve qui a été garnie de chaux en la réchauffant, & qui s'use trop promtement.

Cuve d'inde ; c'est une cuve composée d'indigo sans pastel, dans laquelle on teint à froid.

Cuve en oeuvre, quand elle n'a ni trop ni trop peu de chaux, & qu'il ne lui manque que d'être chaude pour travailler.

Cuve garnie, cuve composée de tous les ingrédiens, & qui n'est pas encore formée pour travailler, ou qui n'a pas assez fermenté.

Cuve rebutée, qui ne jette du bleu que quand elle est froide.

Cuve qui souffre, qui n'a pas assez de chaux.

Cuve usée, qui a trop de chaux, laquelle ne peut travailler, que la chaux ne soit usée.

Cuve sourde, cuve qui commence à faire du bruit ou des petillemens pour se former.

Poser une cuve ; c'est y mettre tous les ingrédiens servans à sa composition.

Asseoir une cuve, idem.

Assiette de la cuve, c'est la cuve garnie.

Pallier la cuve ; c'est remuer ou bouillir le marc ou la pâtée de la cuve avec le liquide.

Heurter la cuve ; c'est pousser brusquement & avec force la surface du bain jusqu'au fond de la cuve, & par-là y donner de l'air.

Cuivreux, écume qui paroît sur la surface du bain de la cuve.

Dégarnir la cuve. C'est y mettre du son & de la garance à discrétion pour qu'elle soit moins chargée.

Débouilli ou débout. Epreuve qui se fait pour connoître si une étoffe est de bon teint ou non.

Donner l'eau. C'est achever de remplir la cuve qui ne jette pas du bleu, & y mettre de l'indigo pour qu'elle en donne.

Donner le pié. C'est donner de la chaux à la cuve à proportion du pastel.

Donner le pié ou le fond à une étoffe, c'est lui donner une couleur qui sert de fond, & sur laquelle il en sera passé une autre. Par exemple, pour faire un vert, il faut donner un pié de jaune, & passer ensuite l'étoffe sur une cuve de bleu. Pour faire un noir, il faut donner un pié de bleu à l'étoffe, & la passer ensuite sur un bain de noir préparé.

Demi-bouillons. C'est retrancher le tartre des bouillons ordinaires. Quart de bouillon, idem.

Eclaircir. C'est diminuer le brun de la couleur d'une étoffe.

Event. C'est découvrir une cuve pour la pallier & y introduire du nouvel air.

Eventer une étoffe, c'est lui donner de l'air au sortir de la cuve ou de la chaudiere, pour que la couleur soit plus unie.

Eau crue. Qui ne dissout pas le savon.

Fleurée. C'est l'écume qui est ordinairement sur la surface de la cuve du bleu lorsqu'elle est tranquille.

Fonte de bourre. Voyez Nacaret de bourre, aux ingrédiens.

Friller. Pétillement que fait la cuve avant que d'être formée ou venue à doux.

Frillement, idem. Fleurée. Voyez Cuivreux.

Flambures. Taches ou inégalités qui se voyent dans une étoffe quand elle n'est pas teinte comme elle doit être, ou quand elle n'a pas été éventée.

Guesde. Cuves de pastel : le lieu où elles sont posées.

Guesderon. Ouvrier qui a soin des cuves. Il est de conséquence qu'il y ait un bon guesderon chez les maîtres Teinturiers.

Gauder. C'est jaunir une étoffe avec de la gaude.

Gaudage. L'action de jaunir.

Garniture. Indigo qu'on met dans la cuve pour servir de garniture à la chaux.

La pâtée. C'est le marc qui est au fond de la cuve.

Laisser la laine sur le bouillon ; c'est laisser la laine pendant cinq à six jours dans un lieu frais, après qu'elle a bouilli pendant deux heures ; ce retard sert à faire pénétrer davantage le bouillon, & à augmenter l'action des sels.

Liser, terme de Teinturier de soie ; c'est remuer les pantines ou écheveaux qui sont sur le bain du haut en bas, pour que la couleur prenne également partout.

Maniement. Action de manier le bain ou brevet de la cuve pour connoître si elle est bonne.

Passes. C'est plonger l'étoffe dans la cuve. La plonger à plusieurs reprises, c'est lui donner plusieurs passes.

Rabat. C'est l'écume qui se trouve sur la cuve du bleu lorsqu'on la pallie avec le rable.

Répandre la chaux. C'est en fournir à la cuve après qu'elle est bien palliée.

Roser. C'est donner un oeil cramoisi au rouge & le rendre plus brun ; c'est le contraire d'aviver.

Rancir. C'est le même qu'aviver.

Rance. C'est quand l'écarlate est trop orangée ou qu'elle jaunit un peu.

Racinage. Maniere de teindre les laines avec la racine.

Rudir l'étoffe. C'est, dans le noir, augmenter de couperose.

Rabat. Bruniture d'une étoffe avec des ingrédiens convenables.

Rabattre. Action de brunir l'étoffe.

Rejets. Voyez Passe.

Santaller. C'est passer une étoffe sur un bain composé de santal & autres ingrédiens colorans.

Surmonter la galle. Voyez Rudir.

Trancher, tranche. C'est quand l'intérieur du tissu d'un drap est égal à la superficie, lorsqu'on le coupe, de quelque couleur qu'il soit.

Venir à doux. C'est lorsque la cuve jette du bleu à la surface.

User de chaux. Qualité du pastel qui en demande plus ou moins.

Principaux instrumens propres à la teinture. Planche premiere. La cîterne, le chapelet, le reservoir, la soupape.

Planche II. Le laboratoire. Le fourneau, le chevalet, les chaudieres, le tour, le robinet.

Planche III. Le guesde. Chaudieres à rechauffer les cuves de guesde.

Gouttiere pour conduire le brevet ou bain dans les cuves.

Cuves du guesde.

Barque, vaisseau long à l'usage des teinturiers en soie.

Planche IV. Coupe du fourneau pour chauffer les chaudieres.

Tour sur lequel sont passés des draps qui sont teints dans les chaudieres.

Lissoir pour tenir la soie ou la laine filée qui passe dans les écheveaux.

Poussoir pour plonger des draps à la riviere.

Batte pour les battre à mesure qu'on les lave.

Fendoir ou martin pour fendre le bois.

Pêle à braise.

Planche V. Champagne. Cercle de fer garni de cordes qui est suspendu dans la cuve, afin d'empêcher l'étoffe de toucher au marc ou à la pâtée.

Moulinet pour tordre le drap quand on le sort de la cuve ; le tordoir, le crochet qui tient la champagne suspendue dans la cuve. Il y en a trois, quelquefois quatre. Crochet avec lequel on mene le drap en cuve.

Jallier, bâton pour conduire les draps qui se teignent dans la chaudiere à mesure qu'ils tournent.

Chasse fleurée, planche de bois qui sert à tirer l'écume, ou la fleurée de la cuve de côté, afin que le drap ne soit point taché.

Bâton à tordre les laines filées ou soies.

Rable pour pallier la cuve.

Jet pour sortir ou donner de l'eau dans les cuves.

La cuve du guesde.

Planche VI. Rame pour dresser les draps lorsqu'ils sont teints.

Table ou couchoir à drap pour les brosser quand ils sont secs.

Faudets dans lesquels le drap se ramasse à mesure qu'on le brosse ; brosse à coucher le poil du drap, tamis pour passer les drogues, sebille ou tranchoir pour prendre les drogues.

Passoir pour les liquides.

Jatte pour les compositions.

Manne pour le transport des laines en toison.

Outre ces instrumens, on se sert encore du moulin à indigo, ou d'un mortier pour le broyer, d'une civiere, qui est une espece d'échelle qui se met au-travers de la cuve ou de la chaudiere, sur laquelle on met la laine en toison teinte pour la faire égoutter, d'un chauderon pour les essais, poëlons, sceaux, tonneaux ou tonnes, étouffoirs, planches à fouler, sourgons, réchauds, bassin de cuivre, vaisseaux de verre ou de grais pour contenir la composition de l'écarlate, balais de jonc pour nettoyer les chaudieres, leurs couvercles, sablon, éponge, &c.

Des couleurs du grand & bon teint. On appelle toutes les couleurs solides, couleurs de grand & bon teint ; & les autres, couleurs de petit teint. Quelquefois on nomme les premieres, couleurs fines ; & les autres, couleurs fausses. Mais cette expression peut être sujette à équivoque ; parce qu'on peut confondre quelquefois les couleurs fines avec les couleurs hautes, qui sont celles où entre la cochenille, & dont le prix est plus considérable que celui des autres.

Les expériences, qui sont un très-bon guide dans la Physique ainsi que dans les arts, ont démontré que la différence des couleurs, selon la distinction précédente, dépend en partie de la préparation du sujet qu'on veut teindre, & en partie du choix des matieres colorantes qu'on emploie ensuite pour lui donner telle couleur. Ainsi on pense, & on peut le dire comme un principe général de l'art, que toute la méchanique de la teinture consiste à dilater les pores du corps à teindre, à y déposer des particules d'une matiere étrangere, & à les y retenir par une espece d'enduit, que ni l'eau de la pluie, ni les rayons du soleil ne puissent altérer ; à choisir les particules colorantes d'une telle ténuité, qu'elles puissent être retenues, suffisamment enchâssées dans les pores du sujet, ouverts par la chaleur de l'eau bouillante, puis resserrés par le froid, & de plus enduits de l'espece de mastic que laissent dans ces mêmes pores les sels choisis pour les préparer. D'où il suit que les pores des fibres de la laine dont on a fabriqué, ou dont on doit fabriquer des étoffes, doivent être nettoyés, aggrandis, enduits, puis resserrés, pour que l'atome colorant y soit retenu à-peu-près comme un diamant dans le chaton d'une bague.

L'expérience a fait connoître qu'il n'y a point d'ingrédient de la classe du bon teint, qui n'ait une faculté astringente & précipitante, plus ou moins grande ; que cela suffit pour séparer la terre de l'alun, l'un des sels qu'on emploie dans la préparation de la laine avant que de la teindre ; que cette terre unie aux atomes colorans forme une espece de lacque semblable à celle des Peintres, mais infiniment plus fine ; que dans les couleurs vives, telles que l'écarlate, où l'on ne peut employer l'alun, il faut substituer à sa terre, qui est toujours blanche quand l'alun est bien choisi, un autre corps qui fournisse à ces atomes colorans une base aussi blanche que l'étain pur donne cette base dans la teinture en écarlate ; que lorsque tous ces petits atomes de lacque terreuse se sont introduits dans les pores dilatés du sujet, l'enduit que le tartre, autre sel servant à sa préparation, y a laissé, sert à y mastiquer ces atomes ; & qu'enfin le resserrement des pores, occasionné par le froid, sert à les y retenir.

Peut-être que ces couleurs de faux teint n'ont ce défaut, que parce qu'on ne prépare pas suffisamment le sujet, ensorte que les particules colorantes n'étant que déposées sur la surface lisse, ou dans des pores dont la capacité n'est pas suffisante pour les recevoir, il est impossible que le moindre choc ne les détache. Si l'on trouvoit le moyen de donner aux parties colorantes de bois de teinture l'astriction qui leur manque, & qu'en même tems on préparât la laine à les recevoir, comme on la prépare, par exemple, à recevoir le rouge de la garance, il est certain qu'on parviendroit à rendre les bois aussi utiles aux teinturiers du bon teint, qu'ils l'ont été jusqu'à present aux teinturiers du petit teint.

Du bleu. Le bleu se donne aux laines, ou étoffes de laine de toute espece, sans qu'il soit besoin de leur faire d'autre préparation que de les bien mouiller dans l'eau commune tiede, & de les exprimer ensuite, ou les laisser égoutter : cette précaution est nécessaire, afin que la couleur s'introduise plus facilement dans le corps de la laine, & qu'elle se trouve par-tout également foncée : & il est nécessaire de le faire pour toutes les couleurs, de quelque espece qu'elles soient, tant sur les laines filées, que sur les étoffes de laine.

A l'égard des laines en toison, qui servent à la fabrique des draps, tant de mêlange que d'autre sorte, & que pour cette raison on est obligé de teindre avant qu'elles soient filées, il faut avoir soin qu'elles soient bien dégraissées. On a fait voir dans le traité de la draperie la façon de faire cette opération, ainsi on n'en parlera pas dans celui-ci ; il suffira d'observer que le dégrais est nécessaire pour toutes les laines qu'on veut teindre avant que d'être filées ; de même qu'il faut toujours mouiller celles qui le sont, & les étoffes de toute espece, afin qu'elles prennent la couleur plus également.

Des cinq couleurs matrices ou primitives dont il a été parlé au commencement de cet article, il y en a deux qui ont besoin d'une préparation que l'on donne avec des ingrédiens qui ne fournissent aucune couleur, mais qui par leur acidité, & par la finesse de leur terre, disposent les pores de la laine à recevoir la couleur ; cette préparation est appellée le bouillon ; il varie suivant la nature & la nuance des couleurs ; celles qui en ont besoin sont le rouge, le jaune, & les couleurs qui en dérivent ; le noir exige une préparation qui lui est particuliere ; le bleu & le fauve, ou couleur de racine, n'en demandent aucune, il suffit que la laine soit bien dégraissée & mouillée ; & même pour le bleu, il n'y a pas d'autre façon à y faire, que de la plonger dans la cuve, l'y bien remuer, & l'y laisser plus ou moins long-tems, suivant qu'on veut la couleur plus ou moins foncée. Cette raison, jointe à ce qu'il y a beaucoup de couleurs pour lesquelles il est nécessaire d'avoir précédemment donné à la laine une nuance de bleu, fait qu'on commencera par donner sur cette couleur les regles les plus précises qu'il sera possible : car s'il y a beaucoup de facilité à teindre la laine en bleu, lorsque la cuve de bleu est une fois préparée ; il n'en est pas de même de la préparation de cette cuve, qui est réellement l'opération la plus difficile de tout l'art de la teinture ; il ne s'agit dans toutes les autres que d'exécuter d'après des procedés simples, transmis des maîtres à leurs apprentifs.

Il y a trois ingrédiens qui servent à teindre en bleu ; savoir le pastel, le vouede, & l'indigo : on donnera les préparations de chacune de ces matieres, en commençant par le pastel.

De la cuve de pastel. Pour mettre en état le pastel de donner sa teinture bleue, on se sert de grandes cuves de bois de dix à douze piés de diametre, & de six à sept d'hauteur ; elles sont formées de douves ou pieces de bois de six pouces de largeur & de deux d'épaisseur, & bien cerclées de fer de trois piés en trois piés ; lorsqu'elles sont construites, on les enfonce dans la terre, ensorte qu'elles n'excédent que de trois piés & demi, ou quatre piés au plus, afin que l'ouvrier puisse manier plus commodément les laines ou les étoffes qui sont dedans ; ce qui se fait avec de petits crochets doubles, emmanchés de longueur convenable, selon le diametre de la cuve ; le fond de ces cuves n'est point de bois, mais pavé avec chaux & ciment ; ce qui cependant n'est pas essentiel, & ne se pratique qu'à cause de leur grandeur, & parce qu'il seroit difficile qu'un fond de bois d'une si grande étendue, pût soutenir tout le poids de ce que la cuve doit contenir ; plus ces cuves sont grandes, mieux l'opération réussit. Ordinairement on prend trois ou quatre balles de pastel, & ayant bien nettoyé la cuve, on en fait l'assiette comme il suit.

On charge une chaudiere de cuivre proche de la cuve, d'eau la plus croupie qu'on puisse avoir, ou si l'eau n'est pas corrompue ou croupie, on met dans la chaudiere une poignée de genestrolle ou de foin, c'est-à-dire environ trois livres, avec huit livres de garance bise, environ, ou le bain vieux d'un garançage, pour épargner la garance, qui même fera un meilleur effet. La chaudiere étant remplie, & ayant allumé le feu dessous, on la fait bouillir une heure & demie, deux heures, même jusqu'à trois, puis on la verse, au moyen de la gouttiere, dans la grande cuve de bois, bien nettoyée, & au fond de laquelle on doit mettre un chapeau plein de son de froment, En survuidant le bain bouillant de la chaudiere dans la cuve, & pendant qu'il coulera, on mettra dans cette cuve les balles de pastel, l'une après l'autre, afin de pouvoir mieux les rompre, pallier, & remuer avec les rables : on continuera d'agiter jusqu'à-ce que tout le bain chaud soit survuidé dans la cuve, & lorsqu'elle sera remplie un peu plus qu'à moitié, on la couvrira avec des couvertures ou draps un peu plus grands que sa circonférence, & on la laissera reposer quatre bonnes heures.

Quatre heures après l'assiette, on lui donnera l'évent, & on y fera tomber pour chaque balle de pastel, un bon tranchoir de cendres ou de chaux vive : quand après l'éparpillement de cette chaux, la cuve aura été bien palliée, on la recouvrira de même qu'auparavant, excepté néanmoins un petit espace de quatre doigts, qu'on laissera découvert pour lui donner un peu d'évent.

Quatre heures après on la retranchera, puis on la recouvrira & la laissera reposer deux ou trois heures, y laissant, comme dessus, une petite communication avec l'air extérieur.

Au bout de ces trois heures on pourra la retrancher encore, en palliant bien, si elle n'est pas venue à doux ; il faut, après l'avoir bien palliée, la laisser reposer encore une heure & demie, prenant bien garde si elle ne s'apprête point, & si elle ne vient point à doux.

Alors on lui donnera l'eau, y mettant l'indigo dans la quantité qu'on jugera à propos : ordinairement on en emploie de délayé, plein un chauderon ordinaire d'attelier, pour chaque balle de pastel ; ayant rempli la cuve à six doigts près du bord, on la palliera bien, & on la couvrira comme auparavant.

Une heure après lui avoir donné l'eau, on lui donnera le pié, savoir deux tranchoirs de chaux pour chaque balle de pastel, plus ou moins, selon la qualité du pastel, & selon qu'on jugera qu'il use de chaux.

Ayant recouvert la cuve, on y mettra au bout de trois heures, un échantillon qu'on y laissera entierement submergé pendant une heure ; au bout de ce tems, vous le retirerez pour voir si la cuve est en état ; si elle y est, cet échantillon doit sortir verd, & prendre la couleur bleue, étant exposé une minute à l'air.

Trois heures après il faudra la pallier, & y repandre de la chaux ce dont elle aura besoin ; puis la recouvrir, & au bout d'une heure & demie, la cuve étant rassise, on y mettra un échantillon qui ne sera levé qu'au bout d'une heure & demie, pour voir l'effet du pastel ; & si l'échantillon est d'un beau verd, & qu'il prenne un bleu foncé à l'air, on y en remettra encore un autre pour être assuré de l'effet de la cuve ; si cet échantillon paroît assez monté en couleur, on achevera de remplir la cuve d'eau chaude, & s'il se peut d'un vieux bain de garançage, & on la palliera ; si on juge que la cuve a encore besoin de chaux, on lui en donnera une quantité suffisante, selon qu'à l'odeur & au maniement on jugera qu'elle en a de besoin : cela fait, on la recouvrira, & une heure après, si elle est en bon état, on mettra les étoffes dedans, & on en fera l'ouverture.

La cuve étant préparée, & avant que d'en faire l'ouverture, on place dedans une champagne, qui sert à empêcher que les laines ou étoffes ne tombent dans le fond, & ne se mêlent avec la pâtée ou le marc qui y est : on la soutient pour cet effet, à la hauteur que l'on veut, par le moyen de trois ou quatre cordes que l'on attache aux bords de la cuve.

Ce n'est pas encore assez de savoir poser une cuve, il faut encore savoir bien la gouverner ; c'est pour cela qu'il est d'une conséquence extrême que les maîtres teinturiers aient des bons guesderons, afin de connoître lorsque la cuve est bien en oeuvre, c'est-à-dire, quand elle est en état de teindre en bleu, ce qui se connoît quand la pâtée, ou le marc qui se tient au fond est d'un verd brun ; quand il change étant tiré hors de la cuve ; quand la fleurée est d'un beau bleu turquin ou perse, & quand l'échantillon qui y a été tenu plongé pendant une heure, est d'un beau verd d'herbe foncé.

Losqu'elle est bien en oeuvre, elle a aussi le brevet ouvert clair & rougeâtre, & les gouttes & rebords qui se font sous le rable, en levant le brevet, sont bruns.

Quand on manie le brevet, il ne doit être ni rude entre les doigts, ni trop gras ; & il ne doit avoir ni odeur de chaux, ni odeur de lessive : voilà à-peu-près toutes les marques d'une cuve qui est en bon état.

Les deux extrêmités auxquelles la cuve se trouve exposée, sont celles d'avoir trop ou trop peu de chaux ; les bons guesderons savent remédier à ces inconvéniens, en jettant dans la cuve ou du tartre, ou du son, ou de l'urine, quand elle est trop garnie de chaux ; & quand elle ne l'est pas assez, il faut en mettre, crainte que la cuve ne se perde ; ce qui arrive lorsque le pastel a usé toute sa chaux ; ayant soin de la pallier jusqu'à-ce qu'elle soit portée au degré convenable pour être en état de travailler.

La quantité de pastel & d'indigo qui conviennent pour asseoir une cuve, doit être proportionnée à sa grandeur, observant néanmoins qu'une livre d'indigo de guatimala, produit autant d'effet que seize de pastel, ce qui fait que la dose ordinaire d'indigo est de six livres pour une balle de pastel de cent cinquante livres environ.

Lorsque la cuve commence à s'affoiblir, & à se refroidir, il faut la rechauffer ; cette opération demande autant de soin que pour la poser ; pour y parvenir il faut pallier la cuve, après l'avoir remplie de l'eau chaude, & la laisser reposer deux jours au-moins, après quoi on remet le brevet dans la chaudiere de cuivre, en le faisant passer de la cuve, par le moyen de la gouttiere, & lorsqu'il est bouillant on le fait repasser de nouveau dans la cuve, palliant la pâtée à mesure que le bain chaud y tombe par l'extrêmité du canal : on peut y ajouter en même tems un plein chauderon d'indigo préparé, c'est-à-dire qui aura été broyé & fondu dans une quantité d'eau qui aura bouilli à gros bouillon pendant trois quarts-d'heures, ou environ, dans laquelle on aura ajouté sur quatre-vingt livres, douze ou treize livres de garance, & quarante livres de cendres gravelées ou environ, le tout sur vingt-cinq seaux environ d'eau claire : on peut y ajouter encore un chapeau plein de son de froment.

Lorsque la cuve a été réchauffée, il faut attendre qu'elle soit en oeuvre pour la garnir. Si on le faisoit un peu trop tôt, elle se troubleroit ; il arriveroit la même chose, si on avoit mis un peu de pâtée dans la chaudiere. Le remede en ce cas est de la laisser reposer avant que de la faire travailler, jusqu'à-ce qu'elle soit remise, ce qui va quelquefois à un jour.

On pourroit asseoir des cuves avec du pastel sans indigo, mais outre que le bleu ne seroit pas aussi beau, la quantité du pastel qui se consommeroit ne feroit pas revenir les frais de teinture à un meilleur prix ; au contraire, puisqu'il a été vérifié par des expériences répétées, que quatre livres de bel indigo de guatimala rendent autant qu'une balle de pastel albigeois, & cinq livres autant qu'une balle de lauraguais qui pese ordinairement deux cent dix livres : ainsi l'emploi de l'indigo, mêlé avec le pastel, est d'une grande épargne & évite beaucoup de frais ; puisque pour avoir autant d'étoffes teintes par une seule assiette avec de l'indigo, il en faudroit faire deux, si on le supprimoit ; encore n'auroit-on pas précisément autant de teinture.

L'indigo destiné à la cuve de pastel, a besoin d'être préparé dans une chaudiere particuliere, qui doit être dans l'attelier ou guesde, où il faut le faire dissoudre ou fondre. Quatre-vingt ou cent livres d'indigo, demandent une chaudiere qui tienne trente à trente-cinq seaux d'eau.

On le fond dans une lessive ; & pour la faire, on charge la chaudiere d'environ vingt-cinq seaux d'eau claire, on y ajoute plein un chapeau de son de froment, avec douze ou treize livres de garance non robée, & quarante livres de cendre gravelée ; cette quantité d'ingrédiens est pour quatre - vingt livres d'indigo. Il faut faire bouillir le tout à gros bouillon pendant trois quarts-d'heure environ ; ensuite retirer le feu de dessous le fourneau, & laisser reposer cette lessive pendant demi-heure, afin que la lie se dépose au fond. Ensuite il faut survuider le clair dans des tonneaux nets, placés exprès auprès de la chaudiere. Oter le marc resté dedans la chaudiere, & la faire bien laver, y renverser la lessive claire qui avoit été vuidée dans des tonneaux ; allumer un petit feu dessous, & y mettre en même tems les quatre-vingt livres d'indigo réduits en poudre. Il faut entretenir le bain dans une chaleur forte, mais sans le faire bouillir, & faciliter la dissolution de cet ingrédient, en palliant avec un petit rable sans discontinuer, afin d'empêcher qu'il ne s'encroûte & ne se brûle au fond de la chaudiere. On entretient le bain dans une chaleur moyenne & la plus égale qu'il est possible, en y versant de tems-en-tems du lait de chaux qu'on aura préparé exprès dans un bacquet pour le refroidir. Lorsqu'on ne sent plus rien de grumeleux au fond de la chaudiere, & que l'indigo paroît bien délayé ou bien fondu ; on retire le feu du fourneau, & on n'y laisse que fort peu de braise pour entretenir seulement une chaleur tiede : il faut couvrir la chaudiere avec des planches & quelque couverture, & y mettre un échantillon d'étoffe pour voir s'il en sort verd, & si ce verd se change en bleu à l'air ; parce que si cela n'arrivoit pas, il faudroit ajouter à ce bain une nouvelle lessive préparée comme la précédente. C'est de cette dissolution d'indigo dont on prend un, deux ou plusieurs seaux pour les ajouter au pastel, lorsque la fermentation l'a assez ouvert pour qu'il commence à donner son bleu.

Ce détail de la préparation d'une cuve de pastel n'est pas exactement conforme à la méthode ordinaire des Teinturiers d'à présent, mais il est le plus sûr, suivant les expériences qui en ont été faites par un des plus habiles hommes de ce siecle dans le genre de la teinture.

Il faut bien prendre garde de ne jamais réchauffer la cuve de pastel, qu'elle ne soit en oeuvre ; c'est-à-dire qu'elle n'ait ni trop, ni trop peu de chaux ; ensorte que pour être en état de travailler, il ne lui manque que d'être chaude. On reconnoît qu'elle a trop de chaux à l'odorat, c'est-à-dire par l'odeur piquante que l'on sent. On juge, au contraire, qu'il n'y en a pas assez, lorsqu'elle a une odeur douçâtre, & que l'écume ou le rabat qui s'éleve à la surface en la heurtant avec le rable, est d'un bleu pâle.

On doit avoir attention, lorsqu'on veut réchauffer la cuve, de ne la point garnir de chaux la veille, bien entendu qu'elle n'en auroit pas trop besoin ; car si elle étoit garnie, elle couroit risque d'avoir un coup de pié ; parce qu'en la réchauffant, on donne plus d'action à la chaux qui y est, & qu'elle s'use plus promtement.

On remet ordinairement de nouvel indigo dans la cuve chaque fois qu'on la réchauffe, & cela à proportion de ce qu'on a à teindre ; mais il ne seroit pas nécessaire d'y en remettre, si l'on n'avoit que peu d'ouvrage à faire, & qu'on n'eût besoin que de couleurs claires.

A la forme des anciens réglemens, on ne pouvoit mettre que six livres d'indigo pour chaque balle de pastel, parce qu'on croyoit que la couleur de l'indigo n'étoit pas solide, & qu'il n'y avoit qu'une quantité de pastel qui pût l'assurer & la rendre bonne ; mais par des expériences faites par d'habiles gens, il a été reconnu que la couleur de l'indigo, même employé seul, est toute aussi bonne, & résiste autant à l'action de l'air, du soleil, de la pluie & des débouillis, que celle du pastel. On a réformé cet article dans le nouveau réglement de 1737, & on a permis aux teinturiers de bon teint, d'employer dans leurs cuves de pastel la quantité d'indigo qu'ils jugent à propos.

Lorsqu'une cuve a été réchauffée deux ou trois fois, & que l'on a bien travaillé dessus, on conserve souvent le même bain, mais on enleve une partie de la pâtée que l'on remplace par de nouveau pastel. On ne peut prescrire aucune dose sur cela, parce qu'elle dépend du travail que le teinturier a à faire. Il y a des Teinturiers qui conservent plusieurs années le même bain dans leurs cuves, ne faisant que les renouveller de pastel & d'indigo à mesure qu'ils travaillent dessus : d'autres vuident la cuve en entier & changent de bain, lorsque la cuve a été réchauffée six ou sept fois, & qu'elle ne donne plus aucune teinture. Il n'y a qu'un long usage qui puisse apprendre laquelle de ces pratiques est la meilleure ; il est cependant plus raisonnable de croire, qu'en la renouvellant en entier de tems-en-tems, elle donnera des couleurs plus vives & plus belles. Les meilleurs Teinturiers n'agissent pas autrement.

Il faut encore observer de ne pas réhausser la cuve lorsqu'elle souffre, parce qu'elle se tourneroit en chauffant, & couroit risque d'être entierement perdue ; ensorte que la chaleur acheveroit d'user en peu de tems la chaux qui y étoit déja en trop petite quantité. Si on s'en apperçoit à tems, le remede seroit de la rejetter dans la cuve sans la chauffer davantage, & de la garnir de chaux. On attendroit ensuite qu'elle fût revenue en oeuvre pour la réchauffer.

Quand on la réchauffe, il faut prendre garde de mettre de la pâtée dans la chaudiere avec le bain ou brevet. Il faut aussi avoir grande attention de ne la pas chauffer jusqu'à faire bouillir, parce que tout le volatil nécessaire à l'opération s'évaporeroit. Il y a quelques teinturiers, qui, en réchauffant leurs cuves, ne mettent pas l'indigo aussitôt après que le bain est versé de la chaudiere dans la cuve, & qui ne l'y font entrer que quelques heures après, lorsqu'ils voyent que la cuve commence à venir en oeuvre. Ils ne prennent cette précaution, que dans la crainte qu'elle ne réussisse, & que leur indigo ne soit perdu : mais de cette maniere l'indigo ne donne pas si bien sa couleur ; car on est obligé de travailler sur la cuve, aussi-tôt qu'elle est en état, afin qu'elle ne se refroidisse pas, & l'indigo n'étant pas tout-à-fait dissout ou tout-à-fait incorporé, de quelque maniere qu'on l'employe, il ne fait pas d'effet. Ainsi il vaut mieux le mettre dans la cuve aussitôt qu'on y a jetté le bain, & la bien pallier ensuite.

On construit en Hollande des cuves qui n'ont pas besoin d'être réchauffées si souvent que les autres. Il y en a de semblables en France. Toute la partie supérieure de ces cuves, à la hauteur de trois piés, est de cuivre. Elles sont de plus entourées d'un petit mur de brique, qui est à sept ou huit pouces de distance du cuivre. On met dans cet intervalle de la braise qui entretient pendant très-long-tems la chaleur de la cuve, ensorte qu'elle demeure plusieurs jours de suite en état de travailler sans qu'il soit nécessaire de la réchauffer. Ces sortes de cuves sont beaucoup plus cheres que les autres, mais elles sont très-commodes, sur-tout pour y passer des couleurs fort claires, parce que la cuve se trouve toujours en état de travailler quoiqu'elle soit très-foible ; ce qui n'arrive pas aux autres, qui le plus souvent font la couleur beaucoup plus foncée qu'on ne voudroit, à moins qu'on ne laisse considérablement refroidir ; & en ce cas la couleur n'est plus si bonne & n'a plus la même vivacité. Pour faire les couleurs claires dans des cuves ordinaires, il vaut mieux en poser exprès qui soient fortes en pastel, & foibles en indigo, parce qu'alors elles donnent leur teinture plus lentement, & les couleurs claires se font avec plus de facilité.

Messieurs de Van Robais ont quatre de ces cuves à la hollandoise dans leur manufacture, dont la profondeur est de six piés. Les trois piés & demi d'enhaut sont en cuivre, & les deux piés & demi du bas sont de plomb. Le diamêtre du bas est de quatre piés & demi, & celui du haut de cinq piés quatre pouces, ensorte qu'elles contiennent environ dix-huit muids.

La cuve du vouëde ne differe en aucune façon de celle du pastel, quant à la maniere de la préparer. Le vouëde est une plante qui croît en Normandie, & qu'on y prépare presque de la même maniere que le pastel en Languedoc. La cuve du vouëde se pose comme celle du pastel : toute la différence qu'on peut y trouver, c'est qu'il a moins de force & qu'il fournit moins de teinture.

On fait aussi des cuves d'inde ou d'indigo dont la préparation est très-simple ; on mêle seulement une livre de cendres gravelées avec une livre d'indigo, & on en met dans la cuve une quantité égale, c'est-à-dire autant de livres de cendres que d'indigo ; mais comme ces cuves ne sont pas d'usage pour les teintures de laine, on n'en dira pas davantage.

On fait encore des cuves d'indigo à froid avec de l'urine qui vient en couleur à froid, & sur lesquelles on travaille aussi à froid. On prend une pinte de vinaigre pour chaque livre d'indigo qu'on fait digérer sur les cendres chaudes pendant vingt-quatre heures. Au bout de ce tems, si tout ne paroît pas bien dissout, on le broye de nouveau dans un mortier avec la liqueur, & on y ajoute peu-à-peu de l'urine, & un peu de garance qu'on y délaye bien. Quand cette préparation est faite on la verse dans un tonneau rempli d'urine ; cette sorte de cuve est extrêmement commode, parce que lorsqu'elle a été mise en état une fois, elle y demeure toujours jusqu'à ce qu'elle soit entierement tirée, c'est-à-dire que l'indigo ait donné toute sa couleur ; ainsi on peut y travailler à toute heure, au-lieu que la cuve ordinaire a besoin d'être préparée dès la veille.

On peut faire encore des cuves chaudes d'indigo à l'urine ; elles se préparent de la même façon à-peu-près que les froides ; mais comme ces cuves ne sont d'usage dans aucune manufacture de teinture ; & que celles qui ont été faites dans ce goût n'ont servi qu'à satisfaire les curieux ; on pense qu'il seroit très-inutile d'entrer dans les détails de leur composition.

On est en usage à Rouen, & dans quelques autres villes du royaume, de teindre dans une cuve d'inde à froid & sans urine, différente des précédentes, mais on ne peut y teindre que le fil & le coton, & les cuves ne peuvent servir pour les laines. Il est vrai que ces cuves sont très-commodes en ce qu'elles viennent plus promtement que les autres, & qu'elles n'ont aucune mauvaise odeur : car il faut remarquer que si on vouloit teindre des étoffes de laine dans les cuves à l'urine, soit à froid ou à chaud, ces mêmes étoffes, quoique bien dégorgées, conservent toujours une partie de la mauvaise odeur dont l'urine les accompagne, ce qui est différent dans cette derniere qui est composée d'indigo bien pulvérisé, dans trois chopines d'eau-forte des savonniers, qui est une sorte de lessive de soude & de chaux vive, ou d'une dissolution de potasse.

On laisse aux physiciens le soin de donner la théorie de la méchanique invisible de la teinture bleue, dans laquelle il n'est pas possible d'employer les autres bleus dont les peintres se servent, tels que sont le bleu de Prusse, qui tient du genre animal & du genre minéral ; l'azur, qui est une matiere minérale vitrifiée ; l'outre-mer, qui vient d'une pierre dure préparée ; les terres colorées en bleu, &c. toutes ces matieres ne peuvent, sans perdre leur couleur en tout ou en partie, être réduites en atomes assez tenus pour être suspendus dans le liquide salin, qui doit pénétrer les fibres des matieres, soit animales, soit végétales, dont on fabrique les étoffes : car sous ce nom on doit comprendre aussi-bien les toiles de fil & de coton, que ce qui a été tissu en soie ou laine.

On ne connoît donc à présent que deux plantes qui donnent le bleu après leur préparation ; l'une est le pastel en Languedoc & le vouede en Normandie ; on a dit que leur préparation consiste dans la fermentation continuée presque jusqu'à la putréfaction de toutes les parties de la plante, la racine exceptée ; par conséquent dans un développement de tous leurs principes, dans une nouvelle combinaison & arrangement de ces mêmes principes, d'où il résulte un assemblage de particules infiniment déliées, qui, appliquées sur un sujet quelconque, y réfléchissent la lumiere bien différemment de ce qu'elles feroient si ces mêmes particules étoient encore jointes à celles que la fermentation en a séparées.

L'autre plante est l'anil qu'on cultive dans les Indes orientales & occidentales, & dont on prépare cette fécule qu'on envoie en Europe sous le nom d'inde ou d'indigo. Dans la préparation de cette derniere plante, les Indiens & les Américains, plus industrieux que nous, ont trouvé l'art de séparer les seules parties colorantes de la plante, de toutes les autres parties inutiles ; & les colonies françoises & espagnoles qui les ont imitées, en ont fait un objet considérable de commerce.

Du rouge. Le rouge est, comme on l'a déjà dit, une des cinq couleurs matrices ou primitives, reconnues pour telles par les Teinturiers. Dans le bon teint il y a quatre principales sortes de rouge, qui sont la base de toutes les autres. Ces rouges sont, 1°. l'écarlate de graine, connue autrefois sous le nom d'écarlate de France, & aujourd'hui sous celui d'écarlate de Venise ; 2°. l'écarlate à-présent d'usage, ou écarlate couleur de feu, qui se nommoit autrefois écarlate de Hollande, & qui est connue aujourd'hui de tout le monde sous le nom d'écarlate des Gobelins ; 3°. le cramoisi ; 4°. & le rouge de garance. Il y a aussi le demi-écarlate & le demi-cramoisi ; mais ce ne sont que des mêlanges des autres rouges, qui ne doivent pas être regardés comme des couleurs particulieres. Le rouge ou nacarat de bourre étoit permis autrefois dans le bon teint, mais son peu de solidité l'en a fait bannir par un nouveau réglement.

Les rouges sont dans un cas tout différent des bleus, car la laine ou l'étoffe de laine ne se plonge pas immédiatement dans la teinture, elle reçoit auparavant une préparation qui ne lui donne point de couleur, mais qui la dispose seulement à recevoir celle de l'ingrédient colorant. Cette préparation, comme on l'a déjà dit, se nomme bouillon : elle se fait ordinairement avec des acides, comme eaux sures, alun & tartre, qui peuvent être regardés comme tels, eau-forte, eau régale, &c. on met ces ingrédiens préparans en différente quantité, suivant la couleur & la nuance qu'on veut avoir : on se sert souvent aussi de noix-de-galle, & quelquefois de sels alkalis.

De l'écarlate. On fait différentes sortes d'écarlate, comme on l'a déja dit. L'écarlate de graine, appellée anciennement écarlate de France, & aujourd'hui écarlate de Venise, est faite avec une galle insecte, appellée kermès, qui se cueille en France, & en grande quantité en Espagne du côté d'Alicante & de Valence. Ceux qui l'achetent pour l'envoyer à l'étranger, l'étendent sur des toiles, & ont soin de l'arroser avec du vinaigre pour tuer les vermisseaux qui sont dedans, & qui produisent une poudre rouge qu'on sépare de la coque, après l'avoir laissée sécher en la passant par un tamis.

Lorsqu'il est question de donner le bouillon, on fait bouillir la laine ou étoffe dans une chaudiere une demi-heure environ ; & après l'avoir laissée égoutter, on prépare un bain frais, dans lequel on ajoute à l'eau qui le compose un cinquieme d'eau sure, quatre livres d'alun de Rome pilé grossierement, & deux livres de tartre rouge : on fait bouillir le tout, & aussi-tôt on y met la laine ou étoffe, que l'on y laisse pendant deux heures, ayant soin de la remuer continuellement, ou l'étoffe avec le tout.

Il faut observer que lorsque le bain où l'on a mis l'alun est prêt à bouillir, il se leve quelquefois très-promtement & sort de la chaudiere, si l'on n'a soin d'abattre le bouillon en y jettant un peu d'eau froide.

Lorsque la laine ou étoffe a bouilli pendant deux heures sur le bain, on la leve & on la laisse égoutter ; on exprime la laine légerement, & on l'enferme dans un sac de toile que l'on porte dans un lieu frais, où on la laisse cinq ou six jours, & quelquefois plus long-tems ; à l'égard de l'étoffe on la plie simplement, & on la met égoutter sur un chevalet : cela s'appelle laisser la laine ou étoffe sur le bouillon. Le retard sert à le faire pénétrer davantage, & à augmenter l'action des sels ; parce que comme une partie de la liqueur se dissipe toujours, il est clair que ce qui reste étant plus chargé de parties salines, en devient plus actif ; bien entendu qu'il y reste cependant une quantité suffisante d'humidité, car les sels étant une fois crystallisés & à sec, n'agissent plus.

Après que les laines ou étoffes ont été sur le bouillon pendant cinq à six jours, elles sont en état de recevoir la teinture. On prépare donc un bain frais, suivant la quantité de laine ou étoffe qu'on veut teindre ; & lorsqu'il commence à être tiede, on y jette douze onces de kermès pour chaque livre pesant de laine ou étoffe à teindre, si l'on veut une écarlate bien pleine & bien fournie en couleur. Si le kermès étoit trop vieux ou éventé, il en faudroit davantage & à proportion de sa qualité.

Il faut que la laine ou étoffe bouille pendant une bonne heure, après quoi on la leve pour la laisser égoutter, ayant eu soin de la bien remuer pendant le tems qu'elle étoit dans la chaudiere, après quoi on la porte à la riviere pour la laver. Quelques teinturiers ont soin de passer la laine ou étoffe, avant que de la porter à la riviere, sur un bain d'eau un peu tiede, dans laquelle on a fait fondre exactement une petite quantité de savon ; ce qui donne de l'éclat à la couleur, mais en même tems la rose un peu.

On appelle écarlate demi-graine, celle où l'on employe moitié kermès & moitié garance. Ce mêlange donne une couleur extrêmement solide, mais qui tire un peu sur la couleur de sang.

Il faut observer que la quantité d'ingrédiens qui entre dans la teinture de toutes les étoffes en général, ne doit point être aussi considérable, eu égard au poids, pour l'étoffe fabriquée, que pour la laine filée ou en toison, attendu que la tissure serrée du drap empêche la couleur de pénétrer ; ce qui fait qu'il n'est pas nécessaire que l'étoffe fabriquée séjourne aussi long-tems sur le bouillon que la laine : on pourroit même la mettre à la teinture le lendemain qu'elle a été bouillie.

Par les épreuves qui ont été faites de l'écarlate de graine ou de kermès, soit en exposant au soleil, soit par les différens débouillis, on a reconnu qu'il n'y a point de meilleure couleur ni de plus solide : elle va de pair pour la solidité avec les bleus dont on a parlé. Cependant le kermès n'est presque plus d'usage en aucun endroit qu'à Venise. Le goût de cette couleur a passé entierement depuis qu'on a pris celui des écarlates couleur de feu. On appelle présentement cette écarlate de graine, une couleur de sang de boeuf. Cependant elle a de grands avantages sur l'autre ; car elle ne noircit point & ne se tache point, & si l'étoffe s'engraisse, on peut enlever les taches sans endommager la couleur. Elle n'est plus de mode néanmoins, & cette raison prévaut à tout.

De l'écarlate couleur de feu. L'écarlate couleur de feu, connue autrefois sous le nom d'écarlate d'Hollande, & aujourd'hui sous celui d'écarlate des Gobelins, est la plus belle & la plus éclatante couleur de la teinture. Elle est aussi la plus chere, & une des plus difficiles à porter à sa perfection. On ne peut même guere déterminer quel est ce point de perfection ; car indépendamment des différens goûts qui partagent les hommes sur le choix des couleurs, il y a aussi des goûts généraux, pour ainsi dire, qui font que dans un tems des couleurs sont plus à la mode que dans d'autres : ce sont alors ces couleurs de mode qui sont des couleurs parfaites. Autrefois, par exemple, on vouloit les écarlates pleines, foncées, d'une couleur que la vue soutenoit aisément : aujourd'hui on les veut orangées, pleines de feu, & que l'oeil ait peine à en soutenir l'éclat. On ne décidera point lequel de ces goûts mérite la préférence ; & on va donner la maniere de les faire d'une façon & de l'autre, & de toutes les nuances qui tiennent le milieu entre ces extrêmités.

La cochenille mesteque ou tescalle est l'ingrédient qui donne cette belle couleur ; on en a donné une description, de même que de la cochenille silvestre ou campetiane, ainsi on ne dira rien de plus. Il suffit de dire qu'il n'y a point de teinturier qui n'ait une recette particuliere pour faire l'écarlate, & chacun d'eux est persuadé que la sienne est préférable à toutes les autres. Cependant la réussite ne dépend que du choix de la cochenille, de l'eau qui doit servir à la teinture, & de la maniére de préparer la dissolution de l'étain, que les teinturiers ont nommé composition pour l'écarlate.

Comme c'est par cette composition qu'on donne la couleur vive de feu au teint de la cochenille, qui sans cette liqueur acide seroit naturellement de couleur cramoisi, on va décrire la maniere de la préparer qui réussit le mieux : Il faut prendre huit onces d'esprit de nitre, qui est toujours plus pur que l'eau-forte commune, & de bas prix, employée ordinairement par les teinturiers. On affoiblit cet acide nitreux en versant dessus huit onces d'eau de riviere filtrée. On y dissout peu - à - peu une demi-once de sel ammoniac bien blanc pour en faire une eau régale, parce que le nitre seul n'est pas le dissolvant de l'étain : enfin on y ajoute seulement deux gros de salpêtre de la troisieme cuite ; on pourroit à la rigueur le supprimer, mais on s'est apperçu qu'il contribuoit à unir la couleur, c'est-à-dire à la faire prendre plus également. Dans cette eau régale affoiblie, on fait dissoudre une once d'étain d'Angleterre en larmes, qui ont été grenaillées auparavant en le jettant fondu d'un peu haut dans une terrine pleine d'eau fraîche ; mais on ne laisse tomber ces petits grains d'étain dans le dissolvant, que les uns après les autres, attendant que les premiers soient dissous avant que d'en mettre de nouveaux, afin d'éviter la perte des vapeurs rouges qui s'éleveroient en grande quantité, & qui se perdroient si la dissolution du métal se faisoit trop précipitamment. Ces vapeurs sont nécessaires à conserver, & elles contribuent beaucoup à la vivacité de la couleur, soit parce que c'est un acide qui s'évaporeroit en pure perte, soit qu'elles contiennent un sulphureux particulier au salpêtre qui donne de l'éclat à la couleur. Cette méthode est beaucoup plus longue à la vérité que celle des teinturiers, qui versent d'abord leur eau-forte sur l'étain grenaillé, & qui attendent qu'il se fasse une vive fermentation, & qu'il s'en éleve beaucoup de vapeurs pour l'affoiblir par l'eau commune. Quand l'étain est ainsi dissous peu-à-peu, la composition d'écarlate est faite, & la liqueur est d'une belle dissolution d'or, sans aucune boue précipitée, ni sédiment noir.

Plusieurs teinturiers font leur composition d'une autre maniere. Ils mettent d'abord dans un vaisseau de grais de large ouverture, deux livres de sel ammoniac, deux onces de salpêtre raffiné & deux livres d'étain grenaillé à l'eau, ou pour le mieux en rapures, parce que quand il a été fondu & grenaillé, il y en a une petite portion de convertie en chaux, laquelle ne se dissout point. Ils pesent quatre livres d'eau dans un vaisseau à part, & ils en jettent environ un demi-setier sur le mêlange dans le vase de grais. Ils y mettent ensuite une livre & demie d'eau-forte commune qui produit une fermentation violente. Lorsque l'ébullition est cessée, ils y remettent encore autant d'eau-forte, & un instant après ils y en ajoutent encore une livre ; après quoi ils y versent le reste des quatre livres d'eau qu'ils avoient mis à part. Ils couvrent bien le vaisseau, & ils laissent reposer la composition jusqu'au lendemain. On peut mettre dissoudre le salpêtre & le sel ammoniac dans l'eau-forte, avant que d'y mettre l'étain ; ce qui revient absolument au même, selon eux, quoiqu'il soit sûr que cette derniere maniere est la meilleure. D'autres mêlent l'eau & l'eau-forte ensemble, & mettent ce mêlange sur l'étain & le sel ammoniac ; d'autres enfin suivent différentes proportions.

Le lendemain de la préparation de la composition on fait le bouillon pour l'écarlate, qui ne ressemble point à celui dont on a parlé en premier lieu. Voici de quelle maniere on le prépare.

Pour une livre de laine ou étoffe, on met dans une petite chaudiere vingt pintes d'eau bien claire qui soit de riviere, non de puits ou de source trop vive. Lorsque l'eau est un peu plus que tiede, on y jette deux onces de crême de tartre en poudre subtile, & un gros & demi de cochenille pulvérisée & tamisée. On pousse le feu un peu plus fort ; & lorsque le bain est prêt à bouillir, on y jette deux onces de composition. Cette liqueur acide change tout-d'un-coup la couleur du bain, qui de cramoisi qu'il étoit ; devient couleur de sang d'artere. Aussi-tôt que le bain a commencé de bouillir, on y plonge la laine ou étoffe, qui doit précédemment avoir été mouillée dans l'eau chaude, & exprimée ou égouttée ; on remue sans discontinuer la laine ou étoffe dans le bain, & on l'y laisse bouillir pendant une heure & demie ; après quoi on la leve, on l'exprime doucement, & on la lave dans de l'eau fraîche. En sortant de ce bouillon la laine est de couleur de chair assez vive, ou même de quelques nuances plus foncées, suivant la force de la composition & la force de la cochenille. La couleur du bain est alors entierement passée dans la laine, ensorte qu'il demeure presqu'aussi clair que de l'eau commune ; c'est ce que l'on appelle bouillon d'écarlate, & la premiere préparation que l'on doit faire avant que de teindre ; préparation absolument nécessaire, & sans laquelle la teinture de la cochenille ne tiendroit pas.

Pour achever la teinture, on prépare un nouveau bain d'eau claire ; car la beauté de l'eau importe infiniment pour la perfection de l'écarlate ; on y met en même tems une demi-once d'amidon ; & lorsque le bain est un peu plus que tiede, on y mêle six gros de cochenille, aussi pulvérisée & tamisée. Un peu avant que le bain bouille, on y verse deux onces de composition ; le bain change de couleur comme la premiere fois. On attend qu'il ait jetté un bouillon, & alors on met la laine dans la chaudiere ; on l'y remue continuellement comme la premiere fois ; on l'y laisse bouillir de même pendant une heure & demie ; après quoi on la leve, on l'exprime, & on la porte laver à la riviere : l'écarlate est alors dans sa perfection.

Il suffit d'une once de cochenille par livre de laine, pour la faire belle & suffisamment fournie de couleur, pourvu qu'elle soit travaillée avec attention de la maniere qu'on vient de le dire, & qu'il ne reste aucune teinture dans le bain. Si cependant on la vouloit encore plus foncée de cochenille, on en mettroit un gros ou deux de plus ; mais si on alloit audelà, elle perdroit tout son éclat & sa vivacité.

Du cramoisi. Le cramoisi est, comme on l'a déjà dit, la couleur naturelle de la cochenille, ou plutôt celle qu'elle donne à la laine bouillie avec l'alun & le tartre, qui est le bouillon ordinaire pour toutes les couleurs.

Voici la méthode qui est ordinairement en usage pour les laines filées ; elle est presque la même pour les draps, ainsi qu'on le verra ci-après. On met dans une chaudiere deux onces & demie d'alun, & une once & demie de tartre blanc pour chaque livre de laine. Lorsque le tout commence à bouillir, on y plonge la laine, que l'on remue bien, & qu'on y laisse bien bouillir pendant deux heures. On la leve ensuite ; on l'exprime légerement ; on la met dans un sac, & on la laisse ainsi sur le bouillon, comme pour l'écarlate de graine, & pour toutes les autres couleurs.

Pour la teindre, on prépare un bain frais, dans lequel on met une once de cochenille pour chaque livre de laine : lorsque le bain est un peu plus que tiede, & lorsqu'il commence à bouillir, on y met la laine qu'on remue bien sur ses lissoirs ou bâtons, comme on a dû faire pour le bouillon, & on l'y laisse de la sorte pendant une heure ; après quoi on la leve, on l'exprime, & on la porte laver à la riviere.

Si on veut en faire une suite, & qu'on veuille en tirer toutes les nuances, dont les dénominations sont purement arbitraires, on fera, comme il a été dit pour l'écarlate, c'est-à-dire, qu'on ne mettra que moitié de cochenille ; & on y passera toutes les nuances l'une après l'autre, en laissant séjourner dans le bain les unes plus long-tems que les autres, & commençant toujours par les plus claires.

On fait encore de très-beaux cramoisis, en bouillant de la laine comme pour l'écarlate ordinaire, & faisant ensuite un second bouillon avec deux onces d'alun & une once de tartre pour chaque livre de laine : on la laisse une heure dans le bouillon ; on prépare tout de suite un bain frais, dans lequel on met six gros de cochenille pour chaque livre de laine. Après qu'elle a demeuré une heure dans ce bain, on la leve & on la passe sur le champ dans un bain de soude & de sel ammoniac. On fait aussi par cette méthode des suites de nuances du cramoisi fort belles, en diminuant la quantité de la cochenille. Il faut observer que dans ce procédé, on ne met que six gros de cochenille pour teindre chaque livre de laine, parce que dans le premier bouillon pour l'écarlate qu'on lui donne, on met un gros & demi de cochenille sur chaque livre.

On peut faire aussi la même opération, en employant une partie de cochenille sylvestre ou campetiane, au lieu de cochenille fine ou mesteque, & la couleur n'en est pas moins belle, pourvu qu'on en mette suffisamment ; car pour l'ordinaire quatre parties de cochenille sylvestre ne font pas plus d'effet en teinture, qu'une partie de cochenille fine.

Ecarlates de gomme lacque. On peut aussi employer la partie rouge de la gomme lacque à faire de l'écarlate ; & si cette couleur n'a pas exactement tout l'éclat d'une écarlate faite avec la cochenille fine employée seule, elle a l'avantage d'avoir plus de solidité.

La gomme lacque la plus estimée pour la teinture, est celle qui est en branches ou petits bâtons ; parce qu'elle est la plus garnie de parties animales. Il faut choisir la plus rouge dans l'intérieur, & la plus approchante du brun noirâtre à l'extérieur ; quelques teinturiers l'employent pulvérisée & enfermée dans un sac de toile, pour teindre les étoffes : mais c'est une mauvaise méthode ; car il passe toujours au-travers des mailles de la toile quelques portions de la gomme résine qui se fond dans l'eau bouillante de la chaudiere, & qui s'attache au drap où elle est si adhérente quand le drap est refroidi, qu'on est obligé de la gratter avec un couteau. D'autres la réduisent en poudre ; ils la font bouillir dans l'eau, & après qu'elle lui a communiqué toute sa couleur, ils laissent refroidir la liqueur ; la partie résineuse se dépose au fond. On décante l'eau colorée, & on la fait évaporer à l'air où elle s'empuantit ; & lorsqu'elle a pris une consistance de cotignat, on la met dans des vaisseaux pour la conserver. Sous cette forme, il est assez difficile de déterminer au juste la quantité qu'on en employe ; c'est ce qui a fait chercher le moyen d'avoir cette teinture séparée de sa gomme résine, sans être obligé de faire évaporer une si grande quantité d'eau pour l'avoir seche & réduite en poudre.

La racine de grande consoude est celle qui jusqu'à présent a le mieux réussi. On l'employe seche & réduite en poudre grossiere, & on met un demi-gros par pinte d'eau qu'on fait bouillir un bon quart-d'heure ; ensuite on la passe par un linge, & on la verse toute chaude sur la gomme lacque, pulvérisée & passée par un tamis de crin. Elle en tire sur le champ une belle teinture cramoisie ; on met le vaisseau digérer à chaleur douce pendant douze heures, ayant soin d'agiter sept ou huit fois la gomme qui se tient au fond ; ensuite on décante l'eau chargée de la couleur dans un vaisseau assez grand pour que les trois quarts puissent rester vuides, & on les remplit d'eau froide. On verse ensuite une très-petite quantité d'une forte dissolution d'alun de Rome sur cette teinture, extraite, puis noyée : le teint mucilagineux se précipite ; & si l'eau qui le surnage paroît encore colorée, on ajoute quelques gouttes de la dissolution d'alun pour achever la précipitation, & ce jusqu'à ce que l'eau surnageante soit aussi décolorée que de l'eau commune. Quand le mucilage cramoisi s'est bien affaissé au fond du vaisseau, on tire l'eau claire avec un syphon, & on verse le reste sur un filtre, pour achever de l'égoutter ; après quoi on le fait sécher au soleil.

Si la premiere opération n'avoit pas tiré tout le teint de la gomme lacque, on répétera tout ce qui a été fait dans la premiere extraction. De cette maniere, on sépare toute la teinture que la gomme lacque peut fournir ; & comme on la fait sécher pour la pulvériser ensuite, on sait ce que cette gomme a rendu, & on est aussi plus sûr des doses qui sont employées dans la teinture des étoffes, que ne le sont ceux qui se contentent de l'évaporer en consistance d'extrait ; parce que le plus compact sera plus colorant que le plus humide.

Il y a une circonstance dans la teinture d'écarlate qui mérite attention : il s'agit de savoir de quelle matiere doit être la chaudiere dont on se sert. Tous les Teinturiers sont partagés sur ce point : on se sert en Languedoc de chaudieres d'étain fin ; il y a à Paris quelques teinturiers qui s'en servent aussi. Cependant M. de Julienne, qui fait des écarlates fort recherchées, ne se sert que de chaudieres de cuivre jaune.

On n'en a pas d'autres non plus dans la manufacture des teintures de S. Denis. On a seulement la précaution de placer un grand réseau de corde, dont les mailles sont assez étroites, dans la chaudiere, afin que l'étoffe n'y touche point. Au-lieu d'un réseau, d'autres se servent d'un grand panier d'osier, écorcé à claire voie, qui est moins commode que le réseau, parce que jusqu'à ce qu'il soit chargé du drap ou de l'étoffe qu'on doit y plonger, il faut un homme de chaque côté de la chaudiere pour appuyer dessus, & l'empêcher de remonter à la surface du bain.

Suivant plusieurs expériences, on a reconnu que le drap ou étoffe teint dans une chaudiere d'étain avoit plus de feu que celui qui étoit teint dans une chaudiere de cuivre, dans laquelle il faut employer un peu plus de composition que dans celle d'étain. Ce qui fait que le drap est plus rude au toucher. Pour éviter ce défaut, les Teinturiers qui se servent de chaudieres de cuivre, employent un peu de terra merita, drogue de faux teint prohibée par les réglemens aux Teinturiers du grand teint, mais qui donne à l'écarlate cette nuance qui est présentement en mode, c'est-à-dire la couleur de feu que la vue a peine à soutenir. Il est aisé de reconnoître cette sorte de falsification, quand on en a quelque soupçon ; il n'y a qu'à couper un petit échantillon du drap avec des ciseaux, & en regarder la tranche, elle sera d'un beau blanc, s'il n'y a point de terra merita, & elle paroîtra jaune, s'il y en a. L'écarlate légitime ne tranche jamais : on l'appelle légitime, & l'autre falsifiée, parce que celle où l'on a employé le terra merita, est plus sujette que l'autre à changer de couleur à l'air. Mais comme le goût des couleurs varie beaucoup, que les écarlates les plus vives sont présentement à la mode, & que pour satisfaire l'acheteur, il faut qu'elle ait un oeil jaune, il vaut beaucoup mieux tolérer l'emploi du terra merita, quoique de faux teint, que de laisser mettre une trop grande quantité de composition pour porter l'écarlate à ce ton de couleur, parce que, dans le dernier cas, le drap s'en trouveroit altéré ; & qu'outre qu'il est d'autant plus tachant à la boue, qu'il a eu plus de composition acide dans sa teinture ; c'est qu'il se déchire plus aisément, parce que les acides roidissent les fibres de la laine & les rendent cassantes.

Il faut encore ajouter, que si l'on se sert d'une chaudiere de cuivre, il faut qu'elle soit d'une propreté infinie. Cependant il vaudroit beaucoup mieux se servir de chaudieres d'étain ; puisque sans étain on ne peut faire de l'écarlate : une chaudiere de ce métal ne peut que contribuer à sa beauté. Il est vrai que ces chaudieres coûtent trois à quatre mille livres, ce qui est un objet, & dès une premiere opération, elles peuvent être fondues par l'inattention des compagnons. Cependant il n'y a point de doute qu'un tel vaisseau ne soit préférable à tous les autres : il ne s'y fait aucune rouille ; & si l'acide de la liqueur en détache quelques parties, ces parties détachées ne sauroient nuire.

Du rouge de garance. Pour teindre en rouge de garance, le bouillon est à-peu-près le même que pour le kermès ; on le fait toujours avec l'alun & le tartre. Les Teinturiers ne sont pas toujours d'accord sur les proportions ; on pense néanmoins que la meilleure est de mettre cinq onces d'alun & une once de tartre rouge pour chaque livre de laine filée, ou une aune de drap ; on peut mettre environ une douzieme partie d'eau sûre dans le bain du bouillon, & y faire bouillir la laine ou étoffe pendant deux bonnes heures. Si c'est de la laine filée, on la laisse sur son bouillon pendant sept ou huit jours ; & si c'est du drap, on peut achever le quatrieme.

Pour teindre cette laine ou étoffe, on prépare un bain frais ; & lorsque l'eau est chaude à pouvoir y souffrir encore la main, on y jette une demi-livre de la plus belle garance grappe pour chaque livre de laine ou aune de drap, & on a soin de la faire bien pallier & mêler dans la chaudiere avant que de mettre la laine ou étoffe qu'on y tient pendant une heure sans faire bouillir le bain, parce que la couleur seroit terne. Mais pour mieux assûrer la teinture, on peut le faire bouillir sur la fin de l'opération seulement pendant quatre ou cinq minutes.

La garance appliquée sur les étoffes, sans les avoir préparées à la recevoir par le bouillon d'alun & du tartre, lui donne à la vérité sa couleur rouge, mais elle la donne mal unie, & de plus elle n'a aucune solidité ; ce sont donc les sels qui en assûrent la teinture, ce qui est commun à toutes les autres couleurs, rouge ou jaune, qui ne peuvent se faire sans un bouillon.

Du jaune. Les nuances de jaune les plus connues dans l'art de la Teinture sont le jaune paillé ou de paille, le jaune pâle, le jaune citron & le jaune naissant.

Pour teindre en jaune, on donne à la laine filée ou à l'étoffe le bouillon ordinaire, dont il a déja été parlé plusieurs fois, c'est-à-dire celui de tartre & d'alun. On met quatre onces d'alun pour chaque livre de laine ou aune de drap. A l'égard du tartre, il suffit d'en mettre une once par livre, au-lieu de deux onces qu'on employe pour les rouges.

Maniere de teindre le jaune & le verd sur le fil & coton en bon teint. Il faut lessiver le coton dans un bain préparé avec des cendres de bois neuf, ensuite le bien laver & le faire sécher.

Il faut préparer un bain dont l'eau soit prête à bouillir, y faire fondre de l'alun de Rome la pesanteur du quart du poids de matiere qu'on veut travailler.

Il est à observer que si on veut faire du verd, soit sur le fil, soit sur le coton, il faut que la même matiere, après avoir été bien décruée, soit teinte en bleu, des nuances qu'on desire ; qu'il soit ensuite bien dégorgé dans l'eau & bien séché.

On agite ensuite le tout dans le bain d'alun pendant quelques minutes, on couvre la chaudiere, on retire le feu, & on laisse infuser dans cet alunage pendant vingt-quatre heures, après lequel tems on fait sécher sans laver. Il est à remarquer que plus de tems il reste sec, mieux il prend la couleur. On peut aussi se dispenser de le laver avant de le mettre, soit en jaune, soit en verd.

Ayant préparé un fort bain de gaude (de cinq quarterons pour livre), on y plonge le coton ou fil aluné ; on jette dans ledit bain un peu d'eau fraîche, pour faire cesser le bouillon ; on laisse ladite matiere jusqu'à ce qu'elle ait la nuance que l'on desire.

Quand le tout est teint, on le plonge dans un bain chaud, sans être bouillant, fait avec le vitriol bleu, qui doit être aussi composé d'un quarteron par livre de matiere. On laissera macérer dans ledit bain pendant une heure & demie ; ensuite de quoi on jettera le tout sans le laver dans un autre bain de savon blanc bouillant, composé d'un quarteron par livre pesant de son poids. Après qu'on y aura bien manié & vagué ledit coton ou fil, on le fera bouillir l'espace de quarante minutes, ou tant qu'on voudra, dans ledit bain de savon. On peut même diminuer la dose de savon jusqu'au demi-quart de son poids qui pourroit suffire, mais plus grande quantité ne peut que bien faire. L'opération du savon finie, il faut bien laver le tout, le sécher & le mettre en usage.

" Nous soussignés inspecteurs, pour le roi, des manufactures des toiles & toileries en la généralité de Rouen, certifions & approuvons le présent conforme à l'original resté en nos mains. A Rouen, le 24 de Juin 1750. Signé, CLEMENT & MOREL ".

Pour une livre de fil de coton ou de lin,

1/4 d'alun,

1/4 de vitriol,

1/4 de savon,

5/4 de gaude,

une bonne lessive de cendres de bois neuf, bien coulée à fin.

L'opération du bouillon ou la maniere de bouillir est semblable aux précédentes. Pour le gaudage, c'est-à-dire pour jaunir le sujet, après que la laine ou l'étoffe est bouillie, on met dans un bain frais cinq à six livres de gaude pour chaque livre d'étoffe : on enferme cette gaude dans un sac de toile claire, afin qu'elle ne se mêle point dans l'étoffe ; & pour que le sac ne s'éleve point au haut de la chaudiere, on le charge d'une croix de bois pesant. D'autres font cuire leur gaude, c'est-à-dire qu'ils la font bouillir jusqu'à ce qu'elle ait communiqué tout son teint à l'eau du bain, & qu'elle se soit précipitée au fond de la chaudiere, après quoi ils abattent dessus une champagne ou cercle de fer garni d'un réseau de cordes ; d'autres enfin la retirent avec un rateau lorsqu'elle est cuite & la jettent. On mêle aussi quelquefois avec la gaude du bois jaune, & quelques-uns des autres ingrédiens dont on vient de parler, suivant la nuance du jaune qu'ils veulent faire. Mais en variant les doses & les proportions des sels du bouillon, la quantité de l'ingrédient colorant & le tems de l'ébullition, on est certain d'avoir toutes ces nuances à l'infini.

Pour la suite, ou les nuances claires du jaune, on s'y prend comme pour toutes les autres suites, si ce n'est qu'il est mieux de faire pour les jaunes clairs un bouillon moins fort. On ne mettra, par exemple, que douze livres & demie d'alun pour cent livres de laine, on retranchera le tartre, parce que le bouillon dégrade un peu les laines ; & que quand on n'a besoin que de nuances claires, on peut les tirer tout de même avec un bouillon moins fort, & que par-là on épargne aussi la dépense des sels du bouillon. Mais aussi ces nuances claires ne résistent pas aux épreuves, comme les nuances plus foncées qui ont été faites sans supprimer la petite portion du tartre.

Pour employer le bois jaune, on le fend ordinairement en éclats, & on le divise autant qu'il est possible. De cette façon il donne mieux sa teinture, & par conséquent on en employe une moindre quantité. De quelque façon que ce soit, on l'enferme toujours dans un sac, afin qu'il ne se mêle point dans la laine, ni dans l'étoffe, que ces éclats pourroient déchirer. On enferme aussi dans un sac la sarrete & la génestrole, lorsqu'on s'en sert au-lieu de gaude, ou qu'on en mêle avec elle pour changer sa nuance.

Du fauve. Le fauve, ou couleur de racine, ou couleur de noisette, est la quatrieme des couleurs primitives des Teinturiers. Elle est mise dans ce rang, parce qu'elle entre dans la composition d'un très-grand nombre de couleurs. Son travail est tout différent des autres ; car on ne fait ordinairement aucune préparation à la laine ou étoffe pour la teindre en fauve ; & de même que pour le bleu, on ne fait que la mouiller dans l'eau chaude.

On se sert pour teindre en fauve du brou de noix, de la racine de noyer, de l'écorce d'aulne, du santal, du sumach, du rodoul ou fovie, de la suie, &c.

De tous les ingrédiens qui servent à teindre en fauve, le brou de noix est le meilleur ; ses nuances sont belles, sa couleur est solide, il adoucit les laines, & les rend d'une meilleure qualité à travailler. Pour employer le brou de noix, on charge une chaudiere à moitié, & lorsqu'elle commence à tiédir, on y met du brou à proportion de la quantité d'étoffes que l'on veut teindre, & de la couleur plus ou moins foncée qu'on veut lui donner. On fait ensuite bouillir la chaudiere, & lorsqu'elle a bouilli un bon quart-d'heure, on y plonge les étoffes qu'on a le soin de mouiller auparavant dans de l'eau tiede, on les tourne, & on les remue bien, jusqu'à ce qu'elles aient acquis la couleur que l'on desire. Si ce sont des laines filées dont il faille assortir les nuances dans la derniere exactitude ; on met d'abord peu de brou, & on commence par les plus claires : on remet ensuite du brou à proportion que la couleur du bain se tire, & on passe les brunes. A l'égard des étoffes, on commence ordinairement par les plus foncées ; & lorsque la couleur du bain diminue, on passe les plus claires ; on les évente à l'ordinaire pour les refroidir, & on les fait sécher & apprêter.

La racine de noyer est, après le brou, ce qui fait le mieux pour la couleur fauve : elle donne aussi un très-grand nombre de nuances, & à-peu-près les mêmes que le brou ; ainsi on peut les substituer l'un à l'autre, suivant qu'il y a plus de facilité à avoir l'un que l'autre : mais il y a de la différence dans la maniere de l'employer. On remplit aux trois quarts une chaudiere d'eau de riviere, & on y met de la racine hachée en copeaux la quantité que l'on juge convenir, proportionnellement à la quantité d'étoffes que l'on a à teindre, & à la nuance à laquelle on la veut porter. Lorsque le bain est assez chaud pour ne pouvoir plus y tenir la main, on y plonge la laine ou étoffe, & on l'y retourne jusqu'à ce qu'elle ait acquis la nuance que l'on desire ; ayant soin de l'éventer de tems en tems, & de la passer entre les mains dans les lisieres pour faire tomber les petits copeaux de racine qui s'y attachent & qui pourroient tacher l'étoffe. Pour éviter ces taches, on peut enfermer la racine de noyer hachée dans un sac, comme il a été dit à l'égard du bois jaune. On passe ensuite les étoffes qui doivent être de nuances plus claires, & l'on continue de la sorte, jusqu'à ce que la racine ne donne plus de teinture.

Le racinage, c'est-à-dire, la maniere de teindre les laines avec la racine, n'est pas trop facile ; car si l'on n'a pas une grande attention au degré de chaleur, & à remuer les laines & étoffes, ensorte qu'elles trempent bien également dans la chaudiere, on court risque de les rendre trop foncées, ou d'y faire des taches, ce qui est sans remede. Lorsque cela arrive, le seul parti qu'il y a à prendre, c'est de les mettre en marron, pruneau & caffé. Pour éviter les inconvéniens, il faut tourner continuellement les étoffes sur le tour, & même ne les laisser passer que piece à piece ; & sur-tout, ne faire bouillir le bain que lorsque la racine ne donne plus de couleur, ou qu'on veut achever d'en tirer toute la substance.

A l'égard de l'écorce d'aulne, il n'y a rien à dire que ce qu'on a dit de la racine de noyer, si ce n'est qu'il y a moins d'inconvénient à la laisser bouillir au commencement, parce qu'elle donne beaucoup moins de fond à l'étoffe.

Le sumach est employé de la même maniere que le brou de noix : il donne encore moins de fond de couleur, & elle tire un peu sur le verdâtre. On le substitue souvent à la noix de galle dans les couleurs que l'on veut brunir, & il fait fort bien ; mais il en faut une plus grande quantité que de galle. Sa couleur est aussi très-solide à l'air. On mêle quelquefois ensemble ces différentes matieres ; & comme elles sont également bonnes, & qu'elles font à-peu-près le même effet, cela donne de la facilité pour certaines nuances. Cependant il n'y a que l'usage qui puisse conduire dans cette pratique des nuances du fauve, qui dépend absolument du coup d'oeil, & qui n'a par elle-même aucune difficulté.

Du noir. Le noir est la cinquieme couleur primitive des Teinturiers. Elle renferme une prodigieuse quantité de nuances, à commencer depuis le gris-blanc, ou gris de perles, jusqu'au gris de more ; & enfin au noir. C'est à raison de ces nuances qu'il est mis au rang des couleurs primitives ; car la plûpart des bruns, de quelque couleur que ce soit, sont achevés avec la même teinture, qui sur la laine blanche, feroit un gris plus ou moins foncé. Cette opération se nomme bruniture.

Il faut donc actuellement donner la maniere de faire le beau noir sur la laine. Pour cet effet, on sera obligé de parler d'un travail qui regarde le petit teint. Car pour qu'une étoffe soit parfaitement bien teinte en noir, elle doit être commencée par le teinturier du grand & bon teint, & achevée par celui du petit teint.

Il faut d'abord donner aux laines, ou étoffes de laine que l'on veut teindre en noir, une couleur bleue, la plus foncée qu'il est possible ; ce qui se nomme le pié ou le fond. On donne donc à l'étoffe le pié de bleu pers, qui doit se faire par le teinturier du grand & bon teint, de la maniere qu'il a été expliqué dans l'article du bleu. On lave l'étoffe à la riviere, aussi-tôt qu'elle est sortie de la cuve de pastel, & on la fait bien dégorger au foulon. Il est important de la laver aussi-tôt qu'elle est sortie de la cuve, parce que la chaux qui est dans le bain, s'attache à l'étoffe ; & la dégrade sans cette précaution : il est nécessaire aussi de la dégorger au foulon, sans quoi elle noirciroit le linge & les mains, comme cela arrive toujours, quand elle n'a pas été suffisamment dégorgée.

Après cette préparation, l'étoffe est portée au teinturier du petit teint, pour l'achever & la noircir ; ce qui se fait comme il suit.

Pour cent liv. pesant de drap ou autre étoffe, qui selon les réglemens, a du recevoir le pié de bleu pers, on met dans une moyenne chaudiere dix livres de bois d'inde coupé en éclat, & dix livres de galle d'alep pulvérisée, le tout enfermé dans un sac : on fait bouillir ce mêlange dans une quantité suffisante d'eau pendant douze heures. On transporte dans une autre chaudiere le tiers de ce bain, avec deux livres de verd-de-gris, & on y passe l'étoffe, la remuant sans discontinuer pendant deux heures. Il faut observer alors de ne faire bouillir le bain qu'à très-petits bouillons, ou encore mieux, de ne le tenir que très-chaud sans bouillir. On levera ensuite l'étoffe ; on jettera dans la chaudiere le second tiers du bain avec le premier qui y est déja, & on y ajoutera huit livres de couperose verte : on diminuera le feu dessous la chaudiere, & on laissera fondre la couperose, & rafraîchir le bain environ une demi-heure ; après quoi on y mettra l'étoffe, qu'on y menera bien pendant une heure ; on la levera ensuite, & on l'éventera. On prendra enfin le reste du bain, qu'on mêlera avec les deux premiers tiers, ayant soin aussi de bien exprimer le sac. On y ajoutera quinze ou vingt livres de sumach : on fera jetter un bouillon à ce bain, puis on le rafraîchira avec un peu d'eau froide, après y avoir jetté encore deux livres de couperose, & on y passera l'étoffe pendant une heure : on la lavera ensuite, on l'éventera, & on la remettra de nouveau dans la chaudiere, la remuant toujours encore pendant une heure. Après cela, on la portera à la riviere, on la lavera bien, & on la fera dégorger au foulon. Lorsqu'elle sera parfaitement dégorgée, & que l'eau en sortira blanche, on préparera un bain frais avec de la gaude à volonté, & on l'y fera bouillir un bouillon ; & après avoir rafraîchi le bain, on y passera l'étoffe. Ce dernier bain l'adoucit & assure davantage le noir. De cette maniere, l'étoffe sera d'un très-beau noir, & aussi bon qu'il est possible de le faire, sans que l'étoffe soit desséchée.

On teint quelquefois aussi en noir, sans avoir donné le pié de bleu, & il a été permis de teindre de la sorte des étamines, des voiles, & quelques autres étoffes de même genre, qui sont d'une valeur trop peu considérable pour pouvoir supporter le prix de la teinture en bleu foncé, avant que d'être mises en noir. Mais on a ordonné en même tems de raciner les étoffes, c'est-à-dire, de leur donner un pié de brou de noix, ou de racine de noyer, afin de n'être pas obligé, pour les noircir, d'employer une trop grande quantité de couperose. Ce travail pourroit regarder le petit teint ; cependant, comme dans les endroits où il a été permis on a accordé aux teinturiers du grand teint la permission de le faire, concurremment avec les teinturiers du petit teint, il a paru que c'étoit ici le lieu d'en parler, puisqu'on est aux couleurs qui participent du grand & du petit teint.

Il n'y a aucune difficulté dans ce travail. On racine l'étoffe, comme on l'a expliqué dans l'article du fauve, & on la noircit ensuite de la maniere qu'on vient de le dire, ou de quelqu'autre à-peu-près semblable.

Les nuances du noir sont les gris, depuis le plus brun jusqu'au plus clair. Ils sont d'un très-grand usage dans la teinture, tant dans leur couleur simple, qu'appliqués sur d'autres couleurs. C'est alors ce qu'on appelle bruniture. Il s'agit maintenant des gris simples considérés comme les nuances qui dérivent du noir, ou qui y conduisent, & on rapportera deux manieres de les faire.

La premiere & la plus ordinaire est de faire bouillir pendant deux heures de la noix de galle concassée avec une quantité d'eau convenable. On fait dissoudre à part de la couperose verte dans de l'eau ; & ayant préparé dans une chaudiere un bain pour la quantité de laines ou étoffes que l'on veut teindre, on y met lorsque l'eau est trop chaude pour y pouvoir souffrir la main, un peu de cette décoction de noix de galle, avec de la dissolution de couperose. On y passe alors les laines ou étoffes que l'on veut teindre en gris le plus clair. Lorsqu'elles sont au point que l'on desire, on ajoute sur le même bain de nouvelle décoction de noix de galle, & de l'infusion ou dissolution de couperose verte, & on y passe les laines de la nuance au-dessus. On continue de la sorte jusqu'aux plus brunes, en ajoutant toujours de ces liqueurs jusqu'au gris-de-maure, & même jusqu'au noir : mais il est beaucoup mieux pour le gris-de-maure, & les autres nuances extrêmement foncées, d'y avoir donné précédemment un pié de bleu plus ou moins fort, suivant que cela se peut, & cela pour les raisons qui ont été données ci - devant.

La seconde maniere de faire les gris, me paroît préférable à celle-là, parce que le suc de la galle est mieux incorporé dans la laine, & qu'on est sûr de n'y employer que la quantité de couperose qui est absolument nécessaire. Il résulte même des expériences qui ont été faites, que les gris sont plus beaux, & que la laine a plus de brillant. Ce qui détermine à donner la préférence à cette seconde méthode, c'est qu'elle est aussi facile que la premiere, & qu'outre cela elle altere beaucoup moins la qualité de la laine.

On fait bouillir pendant deux heures dans une chaudiere la quantité de noix de galle qu'on juge àpropos, après l'avoir enfermée dans un sac de toile claire. On met ensuite la laine ou étoffe dans le bain, on l'y fait bouillir pendant une heure, la remuant & la palliant : après quoi on la leve. Alors on ajoute à ce même bain un peu de couperose dissoute dans une portion du bain, & on y passe les laines ou étoffes qui doivent être les plus claires. Lorsqu'elles sont teintes, on remet dans la chaudiere encore un peu de dissolution de couperose, & on continue de la sorte comme dans la premiere opération, jusqu'aux nuances les plus brunes.

Il est à-propos d'observer qu'outre la stipticité de la noix de galle, par laquelle elle a la propriété de précipiter le fer de la couperose, & de faire de l'encre, elle contient aussi une portion de gomme ; cette gomme entrant dans les pores ferrugineux, sert à les mastiquer : mais comme cette gomme est assez aisément dissoluble, ce mastic n'a pas la ténacité de celui qui est fait avec un sel difficile à dissoudre ; aussi les brunitures n'ont-elles pas en teinture la solidité des autres couleurs de bon teint appliquées sur un sujet préparé par le bouillon de tartre & d'alun ; & c'est pour cette raison que les gris simples n'ont pas été soumis aux épreuves des débouillis.

On croit avoir donné la meilleure maniere de faire toutes les couleurs primitives des teinturiers ; ou du-moins de celles qu'ils sont convenus d'appeller de ce nom, parce que de leur mêlange & de leurs combinaisons, dérivent toutes les autres couleurs. On va maintenant les parcourir, assemblées deux-à-deux, en suivant le même ordre dans lequel elles ont été décrites simples. Lorsqu'on aura donné la maniere de faire les couleurs qui résultent de ce premier degré de combinaison, on en joindra trois ensemble ; & en continuant toujours de la sorte, on aura rendu compte, pour ainsi dire, de toutes les couleurs apperçues dans la nature, & que l'art a cherché à imiter.

Des couleurs que donne le mêlange de bleu & de rouge. On a dit en parlant du rouge, qu'il y en avoit quatre différentes especes dans le bon teint. On va voir maintenant ce qui arrive, lorsque ces différens rouges sont appliqués sur une étoffe qui a été précédemment teinte en bleu. Une étoffe bleue bouillie avec l'alun & le tartre, teinte avec le kermès, il en résultera ce qu'on appelle la couleur du roi, la couleur du prince, la pensée, le violet & le pourpre, & plusieurs autres couleurs semblables.

Du mêlange du bleu & du cramoisi se forme le colombin, le pourpre, l'amaranthe, la pensée & le violet & plusieurs autres couleurs plus ou moins foncées.

Du bleu & du rouge de garance se tirent aussi la couleur de roi & la couleur de prince, mais beaucoup moins belles que quand on emploie le kermès, le minime, le tanné, l'amaranthe obscur, le rose seche, toujours moins vives.

Du mêlange du bleu & du jaune. Il ne vient qu'une seule couleur du mêlange du bleu & du jaune : c'est le verd. Mais il y en a une infinité de nuances, dont les principales sont le verd jaune, verd naissant, verd gai, verd d'herbe, verd de laurier, verd molequin, verd brun, verd de mer, verd céladon, verd de perroquet, verd de chou ; on peut ajouter le verd d'aîles de canard, & le verd céladon sans bleu. Toutes ces nuances, & celles qui sont plus ou moins foncées se font de la même maniere & avec la même facilité. Le bleu plus ou moins foncé fait la diversité des couleurs. On fait bouillir l'étoffe avec alun & tartre, comme pour mettre en jaune à l'ordinaire une étoffe blanche, & on la teint ensuite avec la gaude, la sarrete, la genestrole, le bois jaune ou le fénugrec. Toutes ces matieres sont également bonnes pour la solidité ; mais comme elles donnent des jaunes un peu différens, les verds qui résultent de leur mêlange le sont aussi. La gaude & la sarrete sont les deux plantes qui donnent les plus beaux verds.

On peut mettre en jaune les étoffes destinées à être faites en verd, & les passer ensuite sur la cuve du bleu ; mais les verds auxquels la couleur bleue aura été donnée la derniere, saliront le linge beaucoup plus que les autres, parce que si le bleu a été donné le premier, tout ce qui peut l'en détacher a été enlevé par le bouillon d'alun.

Le verd céladon, couleur particuliere, & du goût du peuple du Levant, se peut faire à la rigueur en bon teint, c'est-à-dire, en donnant à l'étoffe un pié de bleu. Mais cette nuance de bleu doit être si foible, que ce n'est, pour ainsi dire, qu'un bleu blanc, lequel est très-difficile à faire égal & uni. Quand on a été assez heureux pour saisir cette nuance, on lui donne mieux la teinte de jaune qui lui convient avec la virga aurea qu'avec la gaude. On permet quelquefois aux teinturiers du Languedoc de teindre des céladons avec du verd-de-gris, quoiqu'alors cette couleur soit de la classe du petit teint. Les Hollandois font très-bien cette couleur.

Du bleu & du fauve. On fait très-peu d'usage des couleurs qui pourroient résulter du mêlange du bleu & du fauve. Ce sont des gris verdâtres ou des especes d'olives, qui ne peuvent convenir que pour la fabrique des tapisseries.

A l'égard du bleu & du noir, il ne s'en tire aucune nuance.

Des mêlanges du rouge & du jaune. On tire de l'écarlate de graine ou du kermès & du jaune, l'aurore, le couleur de souci, l'orangé & plusieurs autres couleurs plus ou moins foncées. On tire de l'écarlate des Gobelins & du jaune les couleurs de langouste, & de fleurs de grenade ; mais elles ne sont pas d'une grande solidité. On en tire aussi les couleurs de souci, orange, jaune d'or, & autres nuances semblables, qu'on voit assez devoir être produites par le mêlange du jaune & du rouge.

Du mêlange du rouge & du fauve. On ne se sert pour les couleurs qui résultent de ce mêlange, que des rouges de garance, parce que cet ingrédient produit un aussi bel effet dans ces sortes de couleurs que le kermès ou la cochenille, & que ces mêmes couleurs ne peuvent devenir éclatantes à cause du fauve qui les ternit. Ce mêlange produit les couleurs de canelle, de tabac, de chataigne, musc, poil d'ours & autres semblables, qui, pour ainsi dire, sont sans nombre, & qui se font sans aucune difficulté, en variant le pié ou fond de garance depuis le plus brun jusqu'au plus clair, & les tenant plus ou moins longtems sur le bain de racine.

Du mêlange du rouge & du noir. Ce mêlange sert à faire tous les rouges bruns, de quelque espece qu'ils soient ; mais ils ne sont ordinairement d'usage que pour les laines destinées aux tapisseries.

On tire aussi de ce mêlange les gris vineux, en donnant à la laine une légere teinture de rouge avec le kermès, la cochenille, ou la garance ; & la passant ensuite sur la bruniture plus ou moins longtems, selon qu'on veut que le vineux domine dans le gris.

Du mêlange du jaune & du fauve. On forme de ce mêlange les nuances de feuille morte & de poil d'ours, &c. A l'égard du mêlange du jaune & du noir, il n'est utile que lorsqu'il est question de faire quelques gris qui doivent tirer sur le jaune.

Du mêlange du fauve & du noir. On tire de ce mêlange un très-grand nombre de couleurs, comme les caffé, marron, pruneau, musc, épine & autres nuances semblables, dont le nombre est presque infini & d'un très-grand usage.

On vient de montrer autant qu'il a été possible, toutes les couleurs ou nuances qui peuvent être produites par le mêlange des deux couleurs primitives, prises deux à deux. On va présenter maintenant l'examen qu'on a fait des combinaisons de ces mêmes couleurs primitives prises trois à trois ; ce mêlange en fournit un très-grand nombre. Il est vrai qu'il s'en trouvera de semblables à celles qui résultent du mêlange de deux seulement ; car il y a peu de couleurs qui ne puissent être faites de diverses façons : alors c'est au teinturier à choisir celle qui lui paroît la plus facile, lorsque la couleur en est également belle.

Des principaux mêlanges des couleurs primitives prises trois à trois. Du bleu, du rouge & du jaune se font les olives roux, les gris verdâtres, & quelques autres nuances semblables de peu d'usage, si ce n'est pour les laines destinées aux tapisseries.

Du bleu, du rouge & du fauve se tirent les olives, depuis les plus bruns jusqu'aux plus clairs ; & en ne donnant qu'une très-petite nuance de rouge, les gris ardoisés, les gris lavandés & autres semblables.

Du bleu, du rouge & du noir se tirent une infinité de gris de toutes nuances, comme gris de sauge, gris de ramier, gris d'ardoise, gris plombé, les couleurs de roi & de prince plus brunes qu'à l'ordinaire, & une infinité d'autres couleurs dont on ne peut faire l'énumération, & dont plusieurs nuances retombent dans celles qui se font par d'autres combinaisons.

Du bleu, du jaune & du fauve se tirent les verds, merde d'oie, & olive de toute espece.

Du bleu, du jaune & du noir, on fait tous les verds bruns, jusqu'au noir.

Du bleu, du fauve & du noir les olives bruns & les gris verdâtres.

Du rouge, du jaune & du fauve se tirent les orangers, couleur d'or, souci, feuille morte, carnations de vieillard, canelles brûlées, & tabacs de toutes especes.

Du rouge, du jaune & du noir, à-peu-près les mêmes nuances, & le feuille morte foncé.

Et enfin, du jaune, du fauve & du noir les couleurs de poil de boeuf, de noisette brune, & quelques autres semblables.

On n'a donné cette énumération que comme une table qui peut faire voir, en gros seulement, de quels ingrédiens on doit se servir pour faire ces sortes de couleurs qui participent de plusieurs autres.

On pourroit aussi mêler quatre de ces couleurs ensemble, & quelquefois cinq ; ce qui est cependant très-rare. Mais tout détail à ce sujet paroîtroit inutile, parce que tout le possible est souvent superflu.

On ne sauroit trop recommander dans cette espece de travail, de commencer toujours par les nuances les plus claires, les laines destinées aux tapisseries, parce qu'il arrive souvent qu'on les laisse plus long-tems qu'il ne faut dans quelqu'un de ces bains, & alors on est obligé de destiner cet écheveau à une nuance plus brune. Mais lorsque les nuances claires sont une fois assorties & bien dégradées, il n'y a plus de difficulté à faire les autres. A l'égard des étoffes, il n'arrive presque jamais qu'on en fasse de cette suite de nuances, ni qu'on mêle tant de couleurs ensemble ; presque toujours deux ou trois suffisent, puisqu'on a vu qu'il naissoit tant de couleurs de leur combinaison, qu'on ne peut pas trouver assez de différens noms pour les désigner.

On ne croit pas avoir rien obmis de tout ce qui regarde la teinture des laines ou étoffes de laine, en grand & bon teint ; & on ne doute pas, qu'en suivant exactement tout ce qui est prescrit sur chaque couleur, on ne parvienne facilement à exécuter dans la derniere perfection, toutes les couleurs & toutes les nuances imaginables, tant sur les laines en toison, les laines filées, que sur les étoffes fabriquées en blanc.

De la teinture des laines en petit teint. On a dit au commencement de l'article de la teinture des laines ou des étoffes, qu'elle étoit distinguée en grand & petit teint. Les réglemens ont fixé la qualité des laines & des étoffes qui doivent être teintes en bon teint, & quelles sont celles qui doivent, ou peuvent être en petit teint. Cette distinction a été faite sur ce principe, que les étoffes d'une certaine valeur, & qui font ordinairement le dessus des habillemens, doivent recevoir une couleur plus solide & plus durable, que des étoffes de bas prix, qui deviendroient nécessairement plus cheres, & d'un débit plus difficile, si on obligeoit de les teindre en bon teint, parce que le bon teint coûte réellement beaucoup plus que le petit teint. D'ailleurs les étoffes de bas prix, qu'il est permis de teindre au petit teint, ne sont pour l'ordinaire employées qu'à faire des doublures, ensorte qu'elles ne sont presque point exposées à l'action de l'air ; & si on s'en sert à d'autres usages, elles s'usent trop promtement à cause de la foiblesse de leur tissure, & par conséquent il n'est pas nécessaire que la couleur en soit aussi solide que celle d'une étoffe de plus longue durée.

On enseignera bien-tôt les moyens de faire les mêmes couleurs que celles du bon teint, avec d'autres ingrédiens que ceux dont on a parlé jusqu'ici, & qui, s'ils n'ont pas la solidité des premiers, ont souvent l'avantage de donner des couleurs plus vives & plus brillantes ; outre que la plûpart rendent la couleur plus unie, & s'employent avec beaucoup plus de facilité que les ingrédiens du bon teint. Ce sont là les avantages de ces matieres qu'on nomme faux ingrédiens ; & quoiqu'il fût à desirer que l'usage en fût beaucoup moins répandu qu'il ne l'est, on ne peut pas dire qu'ils n'ayent aussi leur utilité pour des étoffes moins exposées à l'air, ou dont la couleur n'a pas besoin d'être fort durable. On peut encore ajouter que les couleurs s'assortissent presque toujours avec beaucoup plus de facilité & plus vîte, en petit teint, qu'on ne pourroit le faire en bon teint.

On ne suivra point pour ce genre de teinture, le même ordre qui a été suivi dans le bon teint, parce qu'ici on ne reconnoît point de couleurs primitives. Il y en a peu qui servent de pié à d'autres : la plûpart ne naissent pas de la combinaison de deux, ou de plusieurs couleurs simples. Enfin il y a des couleurs, comme le bleu, qui ne se font presque jamais en petit teint.

On ne répétera point ici les noms de tous les ingrédiens qui doivent particulierement être affectés au petit teint, ni leur description ; on donnera seulement la maniere d'employer chacun de ces ingrédiens, & d'en tirer toutes les couleurs qu'ils peuvent fournir. On verra qu'il y a plusieurs de ces ingrédiens qui donnent des couleurs semblables ; ensorte qu'il eût été impossible de traiter ces couleurs séparément, sans tomber dans des répétitions ennuyeuses, & même embarrassantes pour le lecteur.

De la teinture de bourre. Une laine teinte en jaune avec la gaude passée dans la teinture de bourre, donne un bel orangé tirant sur le couleur de feu, c'est-à dire, de la couleur appellée nacarat, & connue chez les Teinturiers sous le nom de nacarat de bourre, parce qu'il se fait communément avec la bourre fondue, quoiqu'on puisse le faire aussi beau & beaucoup meilleur en bon teint. On peut faire, sur le même bain, plusieurs couleurs en dégradation, depuis le cerise & couleur de feu, jusqu'au couleur de chair le plus pâle.

De l'orseille. La couleur qu'on peut tirer de cet ingrédient, est un beau gris-de-lin, violet, lilas, amaranthe, couleur de pensée. On fait encore de la demi-écarlate avec l'orseille, en la mêlant avec la composition ordinaire dans le bouillon & dans la rougie.

Du bois-d'inde ou de campêche. Le bois-d'inde est d'un très-grand usage dans le petit teint ; & il seroit fort à souhaiter qu'on ne s'en servît pas dans le bon teint, parce que la couleur que ce bois fournit, perd en très-peu de tems tout son éclat, & disparoît même en partie étant exposée à l'air. Son peu de valeur est une des raisons qui le font employer si souvent ; mais la plus forte est que par le moyen des différentes préparations & des différens sels, on tire de ce bois une grande quantité de couleurs & de nuances, qu'on ne fait qu'avec peine lorsqu'on ne veut se servir que des ingrédiens de bon teint. Cependant il est possible de faire toutes les couleurs sans ce secours ; ainsi on a eu très-grande raison de défendre, dans le bon teint, l'usage d'une matiere dont la teinture n'a aucune solidité.

On se sert du bois-d'inde pour l'achevement des noirs ; mais c'est l'ouvrage des teinturiers du petit teint. On s'en sert encore avec la galle & le couperose, pour toutes les nuances de gris qui tirent sur l'ardoisé, le lavandé, le gris de ramier, le gris de plomb, & autres semblables jusqu'à l'infini. On ne peut fixer la dose des ingrédiens de cette espece, parce que les teinturiers du petit teint étant en usage de teindre sur les échantillons qui leur sont remis, des petites étoffes pour servir de doublure, ils se reglent à la seule vue de leur ouvrage, & commencent toujours à tenir les étoffes plus claires qu'il ne faut, & les brunissent en ajoutant l'ingrédient convenable, jusqu'à ce qu'elles soient de la couleur qu'ils desirent.

On fait encore, avec le bois-d'inde, des beaux violets, en guesdant premierement l'étoffe, & l'alunant ensuite. Il donne encore une couleur bleue, mais si peu solide, & le bleu de bon teint coûte si peu, quand il n'est pas des plus foncés, qu'il n'arrive presque jamais qu'on en fasse usage.

On peut aussi, par le même moyen, faire le verd en un seul bain. Pour cela, on met dans la chaudiere du bois-d'inde, de la graine d'Avignon & du verd-de-gris ; ce mêlange donne au bain une belle couleur verte. Il suffit alors d'y passer la laine, jusqu'à ce qu'elle soit à la hauteur que l'on desire. On voit que ce verd sera de la nuance que l'on voudra, en mettant la quantité qu'on jugera à-propos de bois-d'inde & de graine d'Avignon. Cette couleur verte ne vaut pas mieux que la bleue, & elles devroient être l'une & l'autre bannies de la teinture.

L'usage le plus ordinaire du bois-d'inde dans le petit teint, est pour les couleurs de prune, de pruneau, de pourpre, & leurs nuances & dégradations. Ce bois, joint à la noix de galle donne toutes ces couleurs avec beaucoup de facilité sur la laine guédée : on les rabat avec un peu de couperose verte qui les brunit ; & l'on parvient par ce moyen & tout d'un coup, à des nuances qui sont beaucoup plus difficiles à saisir en bon teint, parce que les degrés différens de bruniture sont beaucoup moins aisés à prendre, tels qu'on les veut, sur une cuve de bleu, qu'à l'aide du fer de la couperose. Mais ces couleurs ont le défaut de passer très-promtement à l'air ; & en peu de jours, on voit une fort grande différence entre les parties de l'étoffe qui ont été exposées à l'air, & celles qui sont demeurées couvertes.

Du bois de Brésil. On comprend sous le nom général de bois de Brésil, celui de Fernambouc, de Sainte-Marthe, du Japon, & quelques autres dont ce n'est pas ici le lieu de faire la distinction, puisqu'ils s'employent tous de la même maniere pour la teinture.

Tous ces bois donnent à-peu-près la même couleur que le bois-d'inde ; souvent on les mêle ensemble. Il n'est pas possible de fixer la quantité de cet ingrédient pour les couleurs qu'on veut faire, parce qu'il y en a qui donnent plus de couleur les uns que les autres, ou qui la donnent plus belle ; mais cela vient souvent des parties de ce bois qui ont été exposées à l'air les unes plus que les autres, ou de ce qu'il y a des endroits qui auront été éventés ou pourris. Il faut choisir, pour la teinture, le plus sain & le plus haut en couleur.

La couleur naturelle du Brésil, & celle pour laquelle il est le plus souvent employé, est la fausse écarlate, qui ne laisse pas que d'être belle & d'avoir de l'éclat, mais un éclat fort inférieur à celui de l'écarlate de cochenille ou de gomme lacque.

Du fustel. Le bois de fustel donne une couleur orangée qui n'a aucune solidité. Il s'employe ordinairement dans le petit teint, comme la racine de noyer ou le brou de noix, sans faire bouillir l'étoffe ; ensorte qu'il n'y a aucune difficulté à l'employer. On le mêle souvent avec le brou & la gaude pour faire les couleurs de tabac, de canelle & autres nuances semblables. Mais on peut regarder ce bois comme un très-mauvais ingrédient ; car sa couleur exposée à l'air pendant très-peu de tems, y perd tout son éclat & la plus grande partie de sa nuance de jaune. Si l'on passe sur la cuve du bleu une étoffe teinte avec le fustel, on a un olive assez désagréable, qui ne résiste point à l'air, & qui devient très-vilain en peu de tems.

On se sert, dans le Languedoc, du fustel pour faire des couleurs de langouste qu'on envoye dans le Levant : il épargne considérablement la cochenille ; on mêle, pour cet effet, dans un même bain, de la gaude, du fustel & de la cochenille avec un peu de crême de tartre, & l'étoffe bouillie dans ce bain en sort de la couleur qu'on nomme langouste ; & suivant la dose de ces différens ingrédiens, elle est plus ou moins rouge, ou plus ou moins orangée. Quoique cet usage de mêler ensemble des ingrédiens du bon teint avec ceux du petit teint soit condamnable, il paroît cependant que dans ce cas, qui est très-rare, & pour cette couleur seulement, que les commissionnaires du Levant demandent de tems en tems, on peut tolérer le fustel ; parce que la même couleur ayant été tentée avec les seuls ingrédiens du bon teint, elle n'a pas été trouvée plus solide.

Du rocou. Le rocou ou raucourt, donne une couleur orangée à-peu-près comme le fustel, & la teinture n'en est pas plus solide. Ce ne seroit pas néanmoins par le débouilli de l'alun qu'il faudroit juger de la qualité du rocou : car il n'altere en rien sa couleur, & elle n'en devient que plus belle ; mais l'air l'emporte & l'efface en très-peu de tems ; le savon fait la même chose ; & c'est en effet par le débouilli qu'il en faut juger, ainsi qu'il est prescrit dans l'instruction sur ces sortes d'épreuves. Cette matiere est facilement remplacée dans le bon teint, par la gaude & la garance mêlées ensemble ; mais on se sert du rocou dans le petit teint pour les autres jaunes, &c. En général le rocou est un très-mauvais ingrédient pour la teinture des laines, & même il n'est pas d'un grand usage, parce qu'il ne laisse pas d'être cher, & qu'il est facilement remplacé par d'autres plus tenaces, & à meilleur marché.

De la graine d'Avignon. La graine d'Avignon est de très-peu d'usage en teinture : elle fait un assez beau jaune, mais qui n'a aucune solidité ; non plus que le verd qu'elle donne, en passant dans son bain une étoffe qui a reçu un pié de bleu.

De la terra merita. La terra merita s'employe à-peu-près de même que la graine d'Avignon ; mais en beaucoup moindre quantité, parce qu'elle fournit beaucoup plus de teinture. Elle est un peu moins mauvaise que les autres ingrédiens jaunes dont il a été parlé précédemment. Mais comme elle est chere, c'est une raison suffisante pour ne l'employer presque jamais dans le petit teint. On s'en sert quelquefois dans le bon teint pour dorer les jaunes faits avec la gaude, & pour éclaircir & oranger les écarlates ; mais cette pratique est condamnable, car l'air emporte en très-peu de tems toute la partie de la couleur qui vient de la terra merita ; ensorte que les jaunes dorés reviennent dans leur premier état, & que les écarlates brunissent considérablement ; quand cela arrive à ces sortes de couleurs, on peut être assuré qu'elles ont été falsifiées avec ce faux ingrédient qui n'a aucune solidité.

Voilà tout ce qu'il y a à dire sur les ingrédiens du petit teint : ils ne doivent être employés dans la teinture que pour les étoffes communes ou de bas prix. Ce n'est pas qu'on croye impossible d'en tirer des couleurs solides ; mais alors les couleurs ne seront plus précisément celles que ces ingrédiens donnent naturellement, ou par les méthodes ordinaires ; comme il faut y ajouter l'adstriction & le gommeux qui leur manque, ce n'est plus alors le même arrangement des parties ; & par conséquent les rayons de la lumiere seront réfléchis différemment.

Instruction sur le débouilli des laines & étoffes de laine. Comme il a été reconnu que l'ancienne méthode prescrite pour le débouilli des teintures n'est pas suffisante pour juger exactement de la bonté ou de la fausseté de plusieurs couleurs ; que cette méthode pouvoit même quelquefois induire en erreur, & donner lieu à des contestations ; il a été fait, par ordre de sa majesté, différentes expériences sur les laines destinées à la fabrique des tapisseries pour connoître le degré de bonté de chaque couleur, & les débouillis les plus convenables à chacune.

Pour y parvenir, il a été teint des laines fines en toutes sortes de couleurs, tant en bon teint qu'en petit teint, & elles ont été exposées à l'air & au soleil pendant un tems convenable. Les bonnes couleurs se sont parfaitement soutenues ; & les fausses se sont effacées plus ou moins, à proportion du degré de leur mauvaise qualité : & comme une couleur ne doit être réputée bonne, qu'autant qu'elle résiste à l'action de l'air & du soleil, c'est cette épreuve qui a servi de regle pour décider sur la bonté des différentes couleurs.

Il a été fait ensuite, sur les mêmes laines dont les échantillons avoient été exposés à l'air & au soleil, diverses épreuves de débouilli ; & il a d'abord été reconnu que les mêmes ingrédiens ne pouvoient pas être indifféremment employés dans les débouillis de toutes les couleurs, parce qu'il arrivoit quelquefois qu'une couleur reconnue bonne par l'exposition à l'air, étoit considérablement altérée par le débouilli, & qu'une couleur fausse résistoit au même débouilli.

Ces différentes expériences ont fait sentir l'inutilité du citron, du vinaigre, des eaux sures & des eaux fortes, par l'impossibilité de s'assurer du degré d'acidité de ces liqueurs ; & il a paru que la méthode la plus sûre est de se servir, avec de l'eau commune, d'ingrédiens dont l'effet est toujours égal.

En suivant cet objet, il a été jugé nécessaire de séparer en trois classes toutes les couleurs dans lesquelles les laines peuvent être teintes, tant en bon qu'en petit teint, & de fixer les ingrédiens qui doivent être employés dans les débouillis des couleurs comprises dans chacune de ces trois classes.

Les couleurs comprises dans la premiere classe, doivent être débouillies avec l'alun de Rome ; celles de la seconde, avec le savon blanc ; & celles de la troisieme, avec le tartre rouge.

Mais comme il ne suffit pas, pour s'assurer de la bonté d'une couleur par l'épreuve du débouilli, d'y employer des ingrédiens dont l'effet soit toujours égal ; qu'il faut encore, non-seulement que la durée de cette opération soit exactement déterminée ; mais même que la quantité de liqueur soit fixée, parce que le plus ou moins d'eau diminue ou augmente considérablement l'activité des ingrédiens qui y entrent, la maniere de procéder aux différens débouillis, sera prescrite par les articles suivans.

Article premier. Le débouilli avec l'alun de Rome sera fait en la maniere suivante.

On mettra dans un vase de terre ou terrine, une livre d'eau & une demi-once d'alun ; on mettra le vaisseau sur le feu ; & lorsque l'eau bouillira à gros bouillons, on y mettra la laine dont l'épreuve doit être faite, & on l'y laissera bouillir pendant cinq minutes ; après quoi on la retirera & on la lavera bien dans l'eau froide : le poids de l'échantillon doit être d'un gros ou environ.

2. Lorsqu'il y aura plusieurs échantillons de laine à débouillir ensemble, il faudra doubler la quantité d'eau & celle d'alun, ou même la tripler ; ce qui ne changera en rien la force & l'effet du débouilli, en observant la proportion de l'eau & de l'alun, en sorte que pour chaque livre d'eau, il y ait toujours une demi-once d'alun.

3. Pour rendre plus certain l'effet du débouilli, on observera de ne pas faire débouillir ensemble des laines de différentes couleurs.

4. Le débouilli avec le savon blanc se fera en la maniere suivante.

On mettra dans une livre d'eau, deux gros seulement de savon blanc, haché en petits morceaux ; ayant mis ensuite le vaisseau sur le feu, on aura soin de remuer l'eau avec un bâton, pour bien faire fondre le savon ; lorsqu'il sera fondu, & que l'eau bouillira à gros bouillons, on y mettra l'échantillon de laine, qu'on y fera pareillement bouillir pendant cinq minutes, à compter du moment que l'échantillon y aura été mis, ce qui ne se fera que lorsque l'eau bouillira à gros bouillons.

5. Lorsqu'il y aura plusieurs échantillons de laine à débouillir ensemble, on observera la méthode prescrite par l'article 2, c'est-à-dire, que pour chaque livre d'eau, on mettra toujours deux gros de savon.

6. Le débouilli avec le tartre rouge se fera précisément de même, avec les mêmes doses & dans les mêmes proportions que le débouilli avec l'alun ; en observant de bien pulvériser le tartre, avant que de le mettre dans l'eau, afin qu'il soit entiérement fondu lorsqu'on y mettra les échantillons de laine.

7. Les couleurs suivantes seront débouillies avec l'alun de Rome ; savoir, le cramoisi de toutes nuances, l'écarlate de Venise, l'écarlate couleur de feu, le couleur de cerise, & autres nuances de l'écarlate, les violets & gris-de-lin de toutes nuances, les pourpres, les langoustes, jujubes, fleurs de grenade, les bleus, les gris ardoisés, gris lavandés, gris violens, gris vineux, & toutes les autres nuances semblables.

8. Si, contre les dispositions des réglemens sur les teintures, il a été employé dans la teinture des laines fines en cramoisi, des ingrédiens de faux teint, la contravention sera aisément reconnue par le débouilli avec l'alun ; parce qu'il ne fait que violenter un peu le cramoisi fin, c'est-à-dire, le faire tirer sur le gris-de-lin ; mais il détruit les plus hautes nuances du cramoisi faux, & il les rend d'une couleur de chair très-pâle ; il blanchit même presqu'entiérement les basses nuances du cramoisi faux : ainsi le débouilli est un moyen assuré pour distinguer le cramoisi faux d'avec le fin.

9. L'écarlate de kermès ou de graine n'est nullement endommagée par le débouilli ; il fait monter l'écarlate couleur de feu ou de cochenille à une couleur de pourpre, & fait violenter les basses nuances, ensorte qu'elles tirent sur le gris-de-lin ; mais il emporte presque toute la fausse écarlate du Brésil, & il la réduit à une couleur de pelure d'oignon : il fait encore un effet plus sensible sur les basses nuances de cette fausse couleur.

Le même débouilli emporte aussi presqu'entiérement l'écarlate de bourre, & toutes les nuances.

10. Quoique le violet ne soit pas une couleur simple, mais qu'elle soit formée des nuances du bleu & du rouge, elle est néanmoins si importante, qu'elle mérite un examen particulier. Le même débouilli avec l'alun de Rome ne fait presque aucun effet sur le violet fin, au-lieu qu'il endommage beaucoup le faux ; mais on observera que son effet n'est pas d'emporter toujours également une grande partie de la nuance du violet faux, parce qu'on lui donne quelquefois un pié de bleu de pastel ou d'indigo ; le pié étant de bon teint, n'est pas emporté par le débouilli, mais la rougeur s'efface, & les nuances brunes deviennent presque bleues, & les pâles d'une couleur désagréable de lie de vin.

11. A l'égard des violets demi-fins, défendus par le réglement de 1737, ils seront mis dans la classe des violets faux, & ne résistent pas plus au débouilli.

12. On connoîtra de la même maniere les gris-de-lin fins d'avec les faux, mais la différence est légere ; le gris-de-lin de bon teint perd seulement un peu moins que le gris-de-lin de faux teint.

13. Les pourpres fins résistent parfaitement au débouilli avec l'alun, au-lieu que les faux perdent la plus grande partie de leur couleur.

14. Les couleurs de langouste, jujube, fleur de grenade, tireront sur le pourpre après le débouilli, si elles ont été faites avec la cochenille, au lieu qu'elles pâliront considérablement si on y a employé le fustet, dont l'usage est défendu.

15. Les bleus de bon teint ne perdront rien au débouilli, soit qu'ils soient de pastel ou d'indigo ; mais ceux de faux teint perdront la plus grande partie de leur couleur.

16. Les gris lavandés, gris ardoisés, gris violets, gris vineux, perdront presque toute leur couleur, s'ils sont de faux teint, au lieu qu'ils se soutiendront parfaitement, s'ils sont de bon teint.

17. On débouillira avec le savon blanc les couleurs suivantes ; savoir, les jaunes, jonquilles, citrons, orangés, & toutes les nuances qui tirent sur le jaune ; toutes les nuances de verd, depuis le verd jaune ou verd naissant, jusqu'au verd de chou, ou verd de perroquet, les rouges de garance, le canelle, la couleur de tabac, & autres semblables.

18. Le débouilli fait parfaitement connoître si les jaunes & les nuances qui en dérivent sont de bon ou de faux teint ; car il emporte la plus grande partie de leur couleur, s'ils sont faits avec la graine d'Avignon, le rocou, la terra merita, le fustet ou le safran, dont l'usage est prohibé pour les teintures fines ; mais il n'altere pas les jaunes faits avec la sarrete, la genestrolle, le bois jaune, la gaude & le fenugrec.

19. Le même débouilli fera connoître aussi parfaitement la bonté des verds ; car ceux de faux teint perdent presque toute leur couleur, ou deviennent bleus s'ils ont eu un pié de pastel ou d'indigo ; mais ceux de bon teint ne perdent presque rien de leur nuance.

20. Les rouges de pure garance ne perdent rien au débouilli avec le savon, & n'en deviennent que plus beaux ; mais si on y a mêlé du brésil, ils perdront de leur couleur à proportion de la quantité qui en a été mise.

21. Les couleurs de canelle, de tabac & autres semblables, ne sont presque pas altérées par le débouilli, si elles sont de bon teint ; mais elles perdent beaucoup si on y a employé le rocou, le fustet ou la tonte de bourre.

22. Le débouilli fait avec l'alun ne seroit d'aucune utilité, & pourroit même induire en erreur sur plusieurs des couleurs de cette seconde classe ; car il n'endommage pas le fustet, ni le rocou, qui cependant ne résistent pas à l'action de l'air, & il emporte une partie de la sarrete & de la genestrolle, qui sont cependant de très-bons jaunes & de très-bons verds.

23. On débouillira avec le tartre rouge tous les fauves ou couleurs de racine (on appelle ainsi toutes les couleurs qui ne sont pas dérivées des cinq couleurs primitives) ; ces couleurs se font avec le brou de noix, la racine de noyer, l'écorce d'aulne, le sumach ou rodoul, le santal & la suie ; chacun de ces ingrédiens donne un grand nombre de nuances différentes, qui sont toutes comprises sous le nom général de fauve, ou couleur de racine.

24. Les ingrédiens dénommés dans l'article précédent, sont bons, à l'exception du santal & de la suie, qui le sont un peu moins, & qui rudissent la laine lorsqu'on en met une trop grande quantité ; ainsi tout ce que le débouilli doit faire connoître sur ces sortes de couleurs, c'est si elles ont été surchargées de santal ou de suie, dans ce cas elles perdent considérablement par le débouilli fait avec le tartre ; & si elles sont faites avec les autres ingrédiens, ou qu'il n'y ait qu'une médiocre quantité de santal ou de suie, elles résistent beaucoup davantage.

25. Le noir étant la seule couleur qui ne puisse être comprise dans aucune des trois classes énoncées ci-dessus, parce qu'il est nécessaire de se servir d'un débouilli beaucoup plus actif, pour connoître si la laine a eu le pié de bleu de turquin, conformément aux réglemens, le débouilli en sera fait en la maniere suivante.

On prendra une livre d'eau, on y mettra une once d'alun de Rome, & autant de tartre rouge pulvérisé ; on fera bouillir le tout, & on y mettra l'échantillon de laine, qui doit bouillir à gros bouillons pendant un quart d'heure ; on la lavera ensuite dans de l'eau fraîche, & il sera facile alors de voir si elle a eu le pié de bleu convenable ; car dans ce cas la laine demeurera bleue, presque noire, & si elle ne l'a pas eu, elle grisera beaucoup.

26. Comme il est d'usage de brunir quelquefois les couleurs avec la noix-de-galle & la couperose, & que cette opération appellée bruniture, qui doit être permise dans le bon teint, peut faire un effet particulier sur le débouilli de ces couleurs, on observera que quoique, après le débouilli, le bain paroisse chargé de teinture, parce que la bruniture aura été emportée, la laine n'en sera pas moins réputée de bon teint, si elle a conservé son fond ; si au contraire elle a perdu son fond ou son pié de couleur, elle sera déclarée de faux teint.

27. Quoique la bruniture qui se fait avec la noix-de-galle & la couperose soit de bon teint, comme elle rudit ordinairement la laine, il convient, autant que faire se pourra, de se servir par préférence de la cuve d'inde, ou de celle de pastel.

28. On ne doit soumettre à aucune épreuve de débouilli les gris communs avec la galle & la couperose, parce que ces couleurs sont de bon teint, & ne se font pas autrement ; mais il faut observer de les engaller d'abord, & de mettre la couperose dans un second bain beaucoup moins chaud que le premier, parce que de cette maniere ils sont plus beaux & plus assurés.

Teinture de soie. La teinture de la soie est différente de la teinture de la laine, en ce que cette premiere se teint en grand & bon teint, & en petit teint indistinctement. Il est des couleurs qui n'auroient point d'éclat en bon teint, telles que les violets, amaranthes, gris-de-lin, &c. la couleur ponceau fin ou couleur de feu, ne sauroit être faite en bon teint ; cependant c'est une couleur qui vaut depuis 12 liv. la livre de teinture jusqu'à 30 liv. la livre de soie réduite à onze onces.

Comme le lustre de la soie en est la principale qualité, & qu'il est important de le donner en perfection, ce qui dépend particulierement de bien décreuser ladite soie, les maîtres teinturiers en soie sont tenus de bien & duement faire cuire & décreuser toutes sortes de soies pour quelque couleur que ce soit sans exception, avec du bon savon blanc, en les faisant bouillir trois heures au-moins dans la chaudiere à gros bouillons, & jusqu'à ce que la soie, qui, en la mettant dans la chaudiere se soutenoit sur l'eau, étant purgée des parties poreuses qui lui étoient affectées, tombe au fond comme du plomb. Il faut avoir soin encore de bien ranger la soie en écheveaux ou pantines dans des sacs faits exprès, pour la faire cuire, afin qu'elle ne se brouille point, ce qui empêcheroit le dévidage quand elle est teinte, parce qu'il ne faut pas cesser de la remuer pendant la cuite, crainte que la chaleur de la chaudiere ne la brûle.

Le teinturier doit avoir soin encore que les parties de soies qui sont dans les différentes sachées ou sacs destinés à cuire, ne soient point trop serrées, crainte qu'il ne se trouvât des parties qui ne seroient pas suffisamment cuites, qui, selon les termes de l'art, sont appellées biscuits, parce qu'il faut les faire cuire une seconde fois pour qu'elles puissent recevoir la couleur & l'éclat qu'elles doivent avoir.

Toutes les soies en général diminuent d'un quart chaque livre lorsqu'elles sont cuites comme il faut ; de façon que la livre de soie, qui ordinairement est de quinze onces, se trouve réduite à onze au plus lorsqu'elle est cuite.

Pour cuire les soies destinées pour blanc, il faut au-moins une demi-livre de savon pour chaque livre de soie ; il est vrai que pour cuire ensuite les soies destinées à être mises en couleur, le même bouillon ou la même eau peut servir. Il est cependant des fabriquans qui exigent que toutes les soies qu'ils font teindre, soient cuites en blanc, persuadés que les couleurs seront plus brillantes ; dans ce cas, ils payent la teinture plus chere.

Il est néanmoins des couleurs qui ne sont pas aussi belles lorsqu'elles sont cuites en blanc, que quand elles le sont en couleur ; telles que le cramoisi & autres couleurs rouges : la blancheur que la soie acquiert par la quantité de savon dont la cuite est composée, empêche la couleur de la couvrir, ou en diminue le brillant ; ce que les maîtres teinturiers appellent fariner, attendu la légere transpiration du blanc, qui produit une espece de picotement imperceptible, qui ne saute aux yeux que des connoisseurs.

Lorsque les soies sont cuites, il faut avoir soin de les faire dégorger à la riviere, en les lavant & battant pour faire sortir le savon ; après quoi on les met dans un bain d'alun de Rome, tout à froid, & non à chaud, attendu que la chaleur dans l'alun perd le lustre de la soie, & de plus, la rend rude & âcre.

Les soies pour ponceaux fins, ou couleurs de feu, seront passées au jus de citron au-lieu d'alun, & ensuite seront mises dans un bain de safran d'Alexandrie, lequel bain sera renouvellé aussi long-tems, & aussi souvent qu'on voudra donner du feu à cette soie, & suivant le prix que le fabriquant voudra mettre pour la teinture, ayant soin de donner un bain de rocou, avant que de la passer sur le bain, pour que la couleur ait plus de feu.

Toutes les couleurs en dégradations, depuis le cerise vif jusqu'au rose pâle, ou couleur de chair, seront faites sur le même bain, sans donner aucun pié à la soie, observant toujours de donner un bain de jus de citron au-lieu d'alun.

Les soies pour rouge cramoisi, après avoir été bien alunées & dégorgées de l'alun, seront faites de pure cochenille maëstrek, y ajoutant la galle à l'épine, le terra-merita, l'arsenic, & le tartre de Montpellier, le tout mis ensemble dans une chaudiere pleine d'eau claire presque bouillante ; elles seront mises ensuite dans ladite chaudiere pour y bouillir incessamment l'espace d'une heure & demie, après quoi lesdites soies seront levées, & le feu ôté de dessous la chaudiere ; lesquelles soies étant refroidies par l'évent qu'on leur fera prendre, elles seront jettées dans le reste des bains de cochenille, & mises à fond pour y demeurer jusqu'au lendemain, sans y mêler devant ni après, aucun bresil, orseille, rocou, ni autre ingrédient.

Les violets cramoisis seront aussi préparés de même, & faits de pure cochenille, avec la galle à l'épine, plus modérément qu'au rouge, l'arsenic, & le tartre ; puis bouillis comme les autres ci-dessus, & ensuite bien lavés & passés dans une bonne cuve d'inde & dans sa force, sans mêlange d'autres ingrédiens.

Les cannelés ou tannés cramoisis, seront faits comme les violets ci-dessus, & s'ils sont clairs, on les pourra rabattre avec la couperose ; mais s'ils sont bruns & violets, seront passés sur une cuve d'inde médiocre, sans mêlange d'autres ingrédiens.

Les bleus pâles, & bleus beaux seront teints de pure cuve d'inde, sans être alunés.

Les bleus célestes ou complets, auront pié d'orseille, autant que la couleur le requerra, puis passés sur une bonne cuve d'inde.

Les gris-de-lin, amaranthes, &c. seront faits d'orseille, puis rabattus avec un peu de cuve d'inde, s'il en est besoin, ou de la cendre gravelée.

Les citrons seront alunés, puis teints de gaude, avec un peu de cuve d'inde.

Les jaunes de graines seront alunés, puis teints de gaude, avec un peu de cuve d'inde.

Les jaunes pâles seront alunés, & teints de gaude seule.

Les aurores pâles & bruns seront alunés, & puis gaudés fortement, & ensuite rabattus avec le rocou, lequel sera préparé & dissous avec cendre gravelée, potasse ou soude.

Les isabelles pâles & dorés seront teints avec un peu de rocou préparé comme dessus, & sur le feu.

Les orangés seront teints sur le feu, de pur rocou préparé comme dessus, & les bruns seront ensuite alunés, & on leur donnera un petit bain de bresil s'il est besoin.

Les ratines, ou couleur de feu, auront même pié de rocou que les orangés, puis seront alunés, & on leur donnera un bain ou deux de bresil, suivant la couleur.

Les écarlates, ou rouges rancés n'auront de pié de rocou, que la moitié de ce qui s'en donne aux orangés, puis seront alunés ; & ensuite on leur donnera deux bains de brésil.

Les céladons, verds de pomme, verds de mer, verds naissants, verds gais, &c. seront alunés, & ensuite gaudés avec gaude ou sarrete, suivant la nuance ; puis passés sur la cuve d'inde.

Les verds bruns seront alunés, gaudés avec gaude, ou sarrete, & passés sur une bonne cuve d'inde, puis rabattus avec le verdet & le bois d'inde.

Les feuilles mortes seront alunés, puis teints avec la gaude & fustel, & rabattus avec la couperose.

Les olives, & verds roux, seront alunés, puis montés de gaude & fustel, & rabattus avec le bois d'inde & la couperose.

Le rouge incarnat & rose faux, seront alunés & faits de pur brésil.

Les cannelés & rose-seche, seront alunés & faits de brésil & bois d'inde.

Le gris violent sera aluné & fait de bois d'inde.

Les violets seront montés de brésil, bois d'inde, ou de l'orseille, puis passés sur la cuve d'inde.

Les gris plombés seront tous faits de fustel, ou avec de la gaude ou sarrete, bois d'inde, eaux de galle & couperose.

Les muscs, minimes, gris de maure, couleur de roi & de prince, tristamie, noisettes, & autres couleurs semblables, seront faits de fustel, brésil, bois d'inde & couperose.

En toutes les couleurs ci-dessus ne sera donné aucune surcharge de galle, attendu que la galle appesantit les soies, ce qui cause une perte considérable à ceux qui les achetent & employent.

Les soies pour mettre en noir seront bien décrassées, comme les précédentes, & ensuite bien lavées & torses, après quoi on fera bouillir un bain de galles, & une heure après qu'il aura bien bouilli, la soie sera mise dans ledit bain, & laissée pendant un jour & demi ou deux jours, puis sera tirée dudit bain, & bien lavée dans de l'eau claire, & après torse & bien chevillée : ensuite sera mise dans une chaudiere de galle neuve, où ne sera mis de galle fine que la moitié de la pesanteur de la soie, pour y demeurer un jour ou deux au plus, & après sera passée sur la teinture noire, & y baillez trois feux au plus, & non davantage, après sera bien battue & bien lavée, puis adoucie avec du savon blanc de bonne qualité, & non autre : ensuite torse & chevillée, & mise sécher.

Les gris noirs, vulgairement appellés gris minimes, seront engallés comme le noir, & passés sur la teinture noire, autrement appellé un feu, une fois seulement.

Toutes les soies destinées à demeurer blanches, après avoir été bien decruées & dégorgées, seront passées à l'eau de savon avec azur, pour les reblanchir, & ensuite soufrées, si elles ne sont pas destinées à filer l'argent, dans lequel cas il ne faudra ni les soufrer, ni les aluner.

Teinture du noir pour la soie, & la maniere des Génois, des Florentins, & des Napolitains. La façon dont les Génois, les Florentins, & les Napolitains, se servent pour teindre les soies en noir, est infiniment plus sûre que celle des François, il faut en faire l'explication.

Lorsque la soie est débouillie ou cuite, de façon qu'elle se trouve réduite aux trois quarts de son poids, le teinturier la prépare pour la passer sur la cuve qui contient la préparation des drogues pour le noir ; plus cette préparation est ancienne, plus le noir qu'elle produit se trouve beau. Nos teinturiers de France ont soin de préparer eux-mêmes leurs cuves, lesquelles ils renouvellent souvent. Il n'en est pas de même chez les étrangers ; chaque ville de fabrique a un endroit de réserve, nommé le seraglio, où sont posées continuellement huit à dix cuves, qui sont entretenues à ses dépens ; ces cuves sont posées depuis trois à quatre cent années plus ou moins, c'est-à-dire, préparées pour passer la soie destinée pour noir, n'ayant besoin que d'être entretenues de drogues convenables, à mesure que la matiere diminue par l'usage qu'on en fait ; le pié y demeurant toujours, ce qui forme une espece de levain qui aide à la fermentation des nouvelles drogues qu'on est obligé d'y ajouter ; les vaisseaux qui contiennent ces drogues, sont tout de fer, & non de cuivre comme en France ; cette derniere matiere étant plus propre à diminuer la solidité du noir, qu'à augmenter sa perfection, par rapport au verd-de-gris qui en est inséparable, attendu l'humide, & qui ne contribue pas peu à son imperfection ; au-lieu que la cuve de fer ne pouvant produire que de la rouille, ingrédient qui perfectionne le noir, il s'ensuit que la qualité de la cuve, & l'ancienneté de sa préparation, ne peuvent que contribuer à la perfection de la couleur qu'elle contient.

Tous les maîtres teinturiers sont obligés de porter les soies qu'ils ont préparées pour noir, au seraglio, afin de les passer sur une des cuves disposées pour cette opération, & donnent tant chaque livre de soie, ce qui ne leur porte aucun préjudice, parce qu'ils sont payés des premieres préparations qu'ils ajoutent à la rétribution qu'ils donnent pour l'entretien des cuves.

On fait un inventaire toutes les années, pour savoir si la dépense des personnes préposées à l'entretien des cuves, les drogues qu'on y employe, & généralement tous les autres frais excédent la rétribution donnée par les teinturiers : lorsque la dépense excéde, la ville fournit au surplus des frais, & lorsque la rétribution est au-dessus, le surplus sert d'indemnité pour les années où elle se trouve au-dessous. Voilà la façon des étrangers, qui certainement est préférable à celle des François.

Teinture de fil. Avant que de mettre aucun fil à la teinture, il sera décreusé, ou lessivé avec bonne cendre, & après, tors & lavé en eau de riviere ou de fontaine, & aussi retors.

Le fil pers, appellé vulgairement fil à marquer, retors & simple, & le bleu brun, clair & mourant, seront teints avec cuve d'inde ou indigo.

Le verd gai sera premierement fait bleu, ensuite rabattu avec bois de campêche & verdet, puis gaudé.

Le verd brun sera fait comme le verd gai, mais bruni davantage, & puis gaudé.

Le citron jaune pâle & plus doré sera teint avec gaude & fort peu de rocou.

L'oranger isabelle couvert, isabelle pâle jusqu'au clair & aurore, sera teint avec fustel, rocou & gaude.

Le rouge clair & plus brun, ratine claire plus couverte, seront teints avec brésil de Fernambouc & autre, & rocou.

Le violet rose seche, amaranthe claire ou brune, sera teint avec brésil, & rabattu avec l'alun d'Inde ou indigo.

La feuille morte claire & plus brune, & la couleur d'olive, sera brunie avec galle & couperose, & rabattue avec gaude, rocou ou fustel suivant l'échantillon.

Le minime brun & clair, musc brun & clair, sera bruni avec galle & couperose, & rabattu avec gaude, rocou ou fustel.

Le gris blanc, le gris sale, gris brun, de castor, de breda, & toutes autres sortes de gris, seront brunis avec galle à l'épine & couperose, & rabattus avec gaude, fustel, brésil, campêche, & autres ingrédiens nécessaires, suivant les échantillons & le jugement de l'ouvrier.

Le noir sera fait de galle à l'épine & couperose, lavé & achevé avec bois de campêche ; & pour d'autres noirs, ils seront courroyés avec boue, huile d'olive & cendre gravelée, sans y employer de mauvaise huile.

Il ne sera employé auxdites teintures autre savon que celui de Gènes & d'Alicante, ou de semblable bonté & qualité.

Tous les fils de lin du royaume, de Flandre & autres pays étrangers, ne seront teints en bleu commun, mais seulement en cave.

On pourra faire débouillir les soies & fils comme les étoffes & laines, pour connoître si elles sont de bon teint ; ce qui ne sera exécuté qu'à l'égard de celles qui seront teintes en cramoisi, les autres couleurs, excepté le bleu & le verd, étant presque toutes de faux teint. Comme il a pu être remarqué par les ingrédiens affectés aux petits teints, qui entrent dans la composition de leur teinture, on ne parlera pas ici de la teinture du coton, qui est la même à-peu-près que le fil, à l'exception du rouge cramoisi semblable à celui des Indes, dont le secret a été trouvé depuis peu par M. Goudard, qui a été récompensé du conseil à proportion de sa découverte ; M. Fesquet de Rouen a trouvé le même secret. Les rouges soutiennent des débouillis de 60 minutes & plus, sans que les ingrédiens qui entrent dans la composition, aient altéré en aucune façon la teinture de cette marchandise.

On ajoutera en finissant cet article de teinture, que tous les jours il se trouve des personnes qui possédent quelque secret dans un art aussi étendu & aussi délicat. Le nommé Faber allemand, vient tout récemment de donner la façon de faire un verd auquel on a donné le nom de verd de Saxe. Cette couleur, qui ne peut soutenir un débouilli, ni même résister à l'action de l'air, est venue à la mode ; il pourra se faire que dans la suite quelques personnes plus habiles en formeront une couleur de bon teint. Un ingrédient hazardé pourra occasionner cette découverte. Qui auroit pensé que le jus de citron, dont l'acidité corrobore toutes les couleurs de la soie par son union avec le safran, donnât une couleur plus belle & plus brillante que l'écarlate ; que l'étain dissous avec de l'eau forte ou eau régale donnât à la cochenille le feu qui la rend si différente du cramoisi qui est sa couleur naturelle ; & enfin que le jus de citron & le safran produisît le même effet sur la soie, que l'étain & la cochenille produit sur la laine ?

Ce sont des faits & des vérités contre lesquelles il n'y a aucune replique. Les Hollandois font des violets en soie, que nous ne pouvons imiter qu'en faux ; ils sont cependant de bon teint. Les noirs de Gènes, & autres d'Italie, sont plus beaux que ceux de France pour les soies ; il est vrai que leur méthode vaut mieux que la nôtre, & que leurs cuves étant dépendantes des villes où se fait la teinture, elles ne peuvent souffrir aucune altération, étant mieux entretenues & conduites que si elles appartenoient à des particuliers. Les eaux d'ailleurs ne contribuent pas peu à la perfection de cet art ; les drogues, par leur transport par mer, peuvent diminuer de leur qualité, ou ne pas produire le même effet sous un climat différent : on peut laver hardiment toutes les étoffes de soie qui viennent des Indes orientales, sans que les couleurs en reçoivent aucune altération, au-contraire, elles paroissent acquérir plus de brillant, tandis que si nous laissons tomber une goutte d'eau sur celles que nous teignons en France, la couleur en paroît altérée. C'est aux physiciens à nous instruire de ces prétendus phénomenes : on ne s'est pas encore avisé de traiter cette matiere en France, peut-être se trouvera-t-il quelqu'un assez habile pour en donner l'explication, & par ce moyen mettre nos teintures de niveau avec celles de ces étrangers.

TEINTURE ou essence de succin d'Hoffman. Voyez sous le mot SUCCIN, Chymie & Mat. méd.

TEINTURE sur le bois : pour noircir le bois jusqu'au coeur, il faut le laisser tremper dans le vinaigre, le laisser sécher ; le frotter ensuite d'encre à écrire, le laisser de-rechef sécher, puis le refrotter de vinaigre, cela le noircira jusqu'au coeur.

Tout bois qui hors la noirceur ressemble à l'ébène, se peut noircir. Prenez donc de ces bois & les laissez dans l'eau d'alun pendant trois jours, exposés au soleil, ou à son défaut, à quelque distance du feu ; que l'eau devienne un peu chaude, puis prenez huile d'olive ou de lin que vous mettrez dans une poële, avec gros comme une noisette de vitriol romain, & autant de soufre ; faites bouillir vos bois là-dedans : plus ils y resteront, plus ils deviendront noirs ; mais trop long-tems les rendroit fragiles.

Pour teindre le bois de telle couleur qu'on voudra, il faut prendre de bon matin fiente de cheval fraîche de la même nuit, la plus humide que l'on pourra trouver avec la paille & tout, & puis la mettre sur quelques pieces de bois posées de travers & croisées les unes sur les autres, avec par - dessous quelque terrine pour recevoir ce qui dégouttera & écoulera de ladite fiente ; si en une matinée l'on ne peut en avoir assez, on fera la même chose deux ou trois autres fois. Après avoir bien coulé cette fiente, on mettra en chaque vaisseau où il y aura de son égoutture, gros comme une noisette d'alun de roche, & autant de gomme arabique, & là dedans, telle couleur qu'on choisira, usant d'autant de vaisseaux qu'on a de couleurs ; on finira par jetter dans chacun le bois qu'on voudra teindre, le tenant au feu ou au soleil ; & plus le bois restera en cette liqueur, plus il sera foncé en couleur, tant en dehors qu'au dedans, & il ne perdra jamais sa couleur par eau tombée dessus ou autre chose, lorsqu'il aura été retiré & seché. Ce secret est excellent & ne se communique point entre les Artistes qui s'en servent ; tous en font cas.

TEINTURE de bourre, (Teint.) on l'appelle autrement poil de chevre garancée ; c'est un des ingrédiens de la teinture du petit teint.

Pour faire la teinture de bourre, on prend du poil de chevre teint premierement en bon teint de rouge de garance, & ensuite surchargée de la même couleur appliquée sans bouillon ; on le met dans une chaudiere avec un poids égal de cendres gravelées, & on fait bouillir le tout : en moins d'une demi-heure, il ne reste plus de vestige du poil de chevre, l'alkali l'a totalement dissous, & toute sa couleur est passée dans le bain. On continue de le faire bouillir pendant trois heures, & ensuite on y ajoute petit-à-petit de l'urine fermentée, en continuant toujours de tenir la liqueur bouillante : au bout de cinq ou six heures le bain cesse de jetter de l'écume, & l'opération est achevée : on couvre alors la chaudiere, on ôte du feu, on la laisse reposer jusqu'au lendemain, & elle est en état de teindre.

Avant que l'on passe la laine dans cette teinture, il est bon qu'elle ait été soufrée, c'est-à-dire, exposée à la fumée du soufre brûlant : cette préparation lui donne une blancheur qui contribue beaucoup à faire valoir la couleur qu'on lui veut donner ; un quart d'heure avant que de la teindre, on fait dissoudre dans le bain un petit morceau d'alun de roche, & quand cette dissolution est faite, on y plonge la laine, pour en tirer toutes les nuances du rouge, en commençant par les plus foncées ; car à mesure qu'on se sert du bain, la matiere colorante y diminue, & la couleur s'éclaircit ; mais comme les dernieres nuances qu'on en pourroit tirer, couroient risque d'être altérées, par les impuretés dont l'eau se trouve chargée, les teinturiers aiment mieux faire débouillir quelques bottes de la laine la plus foncée : l'eau bouillante leur enleve leur couleur, & devient un nouveau bain, propre à donner toutes les nuances claires, preuve sans replique du peu de solidité de cette teinture.

En examinant toute cette opération, il est aisé de voir que quoiqu'une partie de la garance ait été assurée sur le poil par le bouillon, toutes celles qu'on y ajoute depuis, n'y ont aucune adhérence ; que le poil ayant été totalement détruit par l'action de l'alkali, il n'existe plus ni pores, ni matieres qui puissent retenir les atomes colorans, & qu'enfin, l'urine qu'on y ajoute, suffiroit seule pour empêcher l'alkali de se joindre, avec le peu d'alun qui se trouve dans le bain, pour former un tartre vitriolé ; d'où il suit que rien ne retenant les particules colorantes dans les pores de l'étoffe, énormément aggrandis par l'effet de l'alkali, la teinture n'y est aucunement adhérente, quoique faite avec un ingrédient, qui naturellement peut donner une teinture solide, lorsqu'il est convenablement employé.

TEINTURE des chapeaux, se dit & de l'action de l'ouvrier qui les teint, & de la couleur même avec laquelle il les teint.

La teinture des Chapeliers est un composé de noix de galle, de bois d'inde, de couperose & de verd-de-gris qu'on a fait dissoudre & bouillir ensemble dans une chaudiere, qui pour l'ordinaire peut contenir outre la teinture jusqu'à douze douzaines de chapeaux montés sur leur forme de bois.

Lorsque la teinture est en état de recevoir les chapeaux, on les y trempe, & on les y laisse bouillir quelque tems, après quoi on les tire & on les laisse se teindre à froid ; ce qui se réitere alternativement à plusieurs reprises, plus ou moins selon que l'étoffe mord plus ou moins aisément la teinture. Voyez CHAPEAU.

TEINTURE, (Chymie, Pharm. & Mat. méd.) le sens du mot de teinture est fort vague ; ce défaut est très-commun dans la nomenclature pharmaceutique ; on entend à-peu-près par le mot de teinture, le produit d'une dissolution, soit pléniere, ou proprement dite, soit partiale (Voyez EXTRACTION, Chymie, TRAITRAIT, Chymie), soit simple, soit composée, & opérée par divers menstrues ; savoir les esprits ardens, les huiles, & principalement les huiles essentielles, & en particulier l'éther ; les acides, & principalement les acides végétaux ; alkalis résous, enfin l'eau même.

C'est parce que ces dissolutions sont toujours colorées, qu'on leur a donné le nom de teinture. Mais cette dénomination est absolument arbitraire, & n'est point du tout spéciale ; car il existe dans l'art un grand nombre de dissolutions, par exemple, presque toutes les décoctions de substances végétales qui sont colorées, & auxquelles on ne donne pas communément le nom de teinture. S'il y a pourtant quelque caractere distinctif à saisir ici, il paroît que ce qu'on appelle teinture est ordinairement spécifié par une couleur éclatante, rouge, bleue, jaune, verte ; au lieu que les décoctions & les autres dissolutions colorées qui ne portent pas le nom de teinture, n'ont que des couleurs sombres, communes, peu remarquables, presque toutes plus ou moins brunes ; mais comme on s'en apperçoit assez, le fondement de cette distinction n'a rien de réel ; enfin il existe dans l'art, des préparations absolument analogues, même quant à l'éclat de la couleur, à celles qui portent le nom des teintures, & qui sont connues sous d'autres noms, sous celui d'élixir, ou sous celui d'essence, de quintessence ; ou enfin sous celui de gouttes. V. ces articles. La plûpart des teintures, qui sont presque toutes destinées à l'usage pharmaceutique, n'ont d'autre mérite que leur couleur ; ou du-moins la charlatanerie, à laquelle elles doivent leur naissance, s'est occupée de cette qualité extérieure, comme du point principal : la distinction en teinture vraie, & teinture fausse que Mender a proposée pour les teintures antimoniales (V. ANTIMOINE), convient de la même maniere aux teintures en général.

Les teintures vraies sont selon cette doctrine, celles qui contiennent réellement des parties ou des principes du corps avec lesquels on les a préparées, & dont elles tirent leur nom. La teinture de gomme-lacque, de castor, de benjoin, de tolu, & de toutes les autres substances résineuses ou balsamiques faites par le moyen de l'esprit-de-vin, les teintures des verres d'antimoine faites par les acides végétaux, sont des dissolutions plénieres, contiennent la substance entiere, à laquelle on a appliqué les menstrues, & sont par conséquent des teintures vraies. La teinture de clou de gérofle, de cascarille, de canelle, &c. la teinture, ou essence carminative de Wédelius, sont des extractions vraies ; les menstrues qu'on y a employés, sont vraiment chargés de quelques principes qu'ils ont enlevés aux substances auxquelles on les a appliqués, & sont par conséquent des teintures vraies.

Les teintures fausses, sont celles qui ne contiennent rien, qui n'ont rien dissout, rien extrait de la matiere concrete sur laquelle elles se sont formées. Mender compte avec raison parmi les teintures d'antimoine fausses, toutes celles qu'on retire de dessus l'alkali rendu caustique par le regule d'antimoine calciné, soit seul, soit avec d'autres métaux. Presque toutes les prétendues teintures métalliques, faites par le moyen de l'esprit-de-vin, & par conséquent le fameux lilium de Paracelse, & la plûpart des cinq cent teintures martiales spiritueuses, doivent être mises au même rang, aussi bien que la teinture de sel de tartre pur. Il est à-peu-près démontré que l'esprit-de-vin se colore dans tous ces cas, aux dépens de sa propre composition ; qu'il est altéré, dérangé, précipité par l'action de l'alkali fixe ; mais qu'il ne dissout aucune partie, ni aucun principe de ce sel, qui n'est ni soluble, ni décomposable par l'esprit-de-vin.

Quant à l'usage médicinal des teintures, il faut observer ; 1°. que lorsqu'on a employé à leurs préparations un menstrue, ou excipient très-actif par lui-même, l'esprit-de-vin, par exemple, on doit avoir beaucoup d'égard dans l'emploi à l'activité médicamenteuse de cet excipient ; 2°. que les teintures des substances résineuses qui ne sont que peu ou point solubles par les humeurs digestives, sont beaucoup plus efficaces que ces mêmes drogues données en substance ; que cela est très-vrai, par exemple, du castor, du succin, &c. 3°. Que la forme de teinture n'est pourtant point favorable à l'administration des résines purgatives violentes ; par exemple, de la résine de scammonée, car la dissolution d'une résine par l'esprit-de-vin est précipitée dans les premieres voies par les humeurs digestives qui sont principalement aqueuses ; & ces résines reprennent par conséquent leur causticité naturelle ; il vaut mieux surtout dans les sujets sensibles, donner ces résines sous forme d'émulsion (V. EMULSION), ou unies au jaune d'oeuf. Voyez OEUF, RESINE & PURGATIF. Les teintures s'ordonnent ordinairement par gouttes ; on détermine aussi leurs doses par le poids.

Il est traité de l'usage & des vertus des teintures simples dans les articles particuliers destinés aux substances, dont chacune de ces teintures tire son nom. On va donner à la suite de cet article, la description & les usages des teintures composées les plus usuelles.

Teinture d'absynthe composée (Pharmac. & Matiere médicale) ou quintessence d'absynthe. Prenez des feuilles seches de grande absynthe, un gros ; des feuilles seches de petite absynthe, trois gros ; de clous de girofle, deux gros ; de sucre candi, une dragme ; d'esprit-de-vin rectifié, quatre onces ; digérez pendant quinze jours à la chaleur du bain-marie : passez & gardez pour l'usage.

C'est un puissant stomachique & un vermifuge, qu'on peut donner à la dose d'une cuillerée à caffé dans une liqueur appropriée.

Teinture de gomme laque. Prenez gomme laque récemment séparée de ces bâtons, une once ; d'alun brûlé, un gros ; d'esprit ardent de cochlearia, deux onces ; digerez au bain de sable jusqu'à ce que votre liqueur soit d'un beau rouge foncé, décantez & gardez pour l'usage.

Cette teinture est un topique très-usité pour le relâchement & le saignement scorbutique des gencives. Elle raffermit les dents, & redonne aux gencives du ton & de la couleur.

Ce remede doit toute sa vertu médicamenteuse, à l'alun & à l'esprit de cochlearia ; elle ne doit à la laque que le frivole avantage d'une belle couleur.

Teinture stomachique amere. Prenez racine de gentiane, une once ; safran, demi-once ; l'écorce extérieure de six oranges ameres ; cochenille, un gros ; eau-de-vie, deux livres : faites macérer pendant trois jours, en agitant de tems-en-tems ; passez & gardez cette teinture pour l'usage.

Ce remede est un bon stomachique ; on peut le prendre pur depuis la dose d'une cuillerée à caffé, jusqu'à celle de trois & même de quatre. Cette teinture est bonne encore pour exciter l'évacuation des régles.

Teinture ou essence carminative de Wedelius. Prenez racine zédoaire, quatre onces ; carline, vrai acorus & galanga, de chacun deux onces ; fleurs de camomille romaine, semence d'anis & de carvi, écorce d'orange, de chacun une once ; de cloux de girofle & de baies de laurier, de chacun six gros ; macis, demi-once : toutes ces choses étant convenablement hachées ou concassées, faites-les macérer dans un vaisseau de verre fermé pendant six jours, avec quatre livres & demie d'esprit de citron, & deux onces & demie d'esprit de nitre dulcifié ; exprimez la liqueur & filtrez, gardez pour l'usage. Cette teinture est véritablement carminative, du moins est-elle retirée des matieres regardées comme éminemment carminatives, voyez CARMINATIF ; & le menstrue qu'on y employe est aussi mêlé d'une matiere, à laquelle les auteurs de matiere médicale accordent aussi une vertu carminative très-décidée ; savoir l'esprit - de - nitre dulcifié. Voyez ACIDE NITREUX sous le mot NITRE.

Cette teinture est de plus stomachique, cordiale, emménagogue, nervine, &c. sa dose est d'une cuillerée à caffé jusqu'à deux, donnée dans une liqueur appropriée. (b)

TEINTURES MARTIALES, (Mat. méd.) Voyez MARS.


TEINTURIERTEINTURIER

TEINTURIER EN CUIR, s. m. (Peaucerie) artisan qui met les peaux en couleur, soit de fleur, soit de chair, soit à teinture chaude, soit à froide ; soit enfin à simple brossure. Ces artisans qu'on nomme autrement Peauciers, composent une des communautés des Arts & Métiers de Paris. Savary. (D.J.)


TEISCHMEIER(ORBICULAIRE DE), Teischmeier médecin & professeur d'Anatomie, de Chirurgie, & de Botanique dans l'université de Iena, parle dans ses élémens d'anthropologie d'un osselet de l'ouie lenticulaire, qu'il prétend avoir découvert le premier dans la tête d'un veau, entre l'articulation du marteau avec l'enclume, & qui porte son nom. Cassebohm dit l'avoir observé une fois dans l'oreille humaine. Voyez OREILLE.


TEISCHNITZ(Géog. mod.) petite ville d'Allemagne, en Franconie, & dans l'évêché de Bamberg. Elle est le chef-lieu d'un petit bailliage. (D.J.)


TEISSLA, (Géog. mod.) riviere de Hongrie ; elle a sa source dans les monts Krapack, aux confins de la Pokulie, & se jette dans le Danube, vis-à-vis de Salankemen ; c'est peut-être la riviere du monde la plus poissonneuse, car quelquefois on y pêche tant de carpes, qu'on en donne mille pour un ducat. Cette riviere est connue des anciens, sous les noms de Tibuscus, Tibesis & Pathissus. (D.J.)


TEITCICAR(Géog. mod.) province de la Tartarie-chinoise orientale ; elle est bornée au nord, par celle de Kirin, & au couchant, par les Tartares kalkas. Sa capitale qui porte le même nom, est située sur la riviere Nonni, vers le 49 degré de latitude. (D.J.)


TEITEIS. m. (Hist. nat. Ornitholog.) nom d'un oiseau du Brésil, qui est de la taille d'un rouge-gorge. Son bec est noir, gros & court ; sa tête, le haut de son cou, son dos, ses aîles & sa queue sont d'un noir bleuâtre, brillant comme le plus bel acier poli ; son gosier, la partie inférieure du cou, sa gorge & son ventre tirent sur le jaune. Ses jambes & ses piés sont de couleur brune ; la femelle differe du mâle par des mouchetures vertes, jaunes & grises. On met cet oiseau en cage à cause de sa beauté & de la douceur de son chant. Marggravii, hist. brasil. (D.J.)


TEITou JAMMA-BUKI, s. m. (Hist. nat. Bot.) c'est un arbrisseau sauvage du Japon, qui ressemble au cytise. Sa fleur est jaune, à cinq, six ou sept pétales, & semblable à la renoncule. On en distingue un autre, dont la fleur est jaune & double.


TEIUNHANAS. m. (Hist. nat. Zoolog.) nom d'un lésard d'Amérique qui n'est pas plus gros que le petit doigt ; il a le nez pointu, la queue très-menue, longue de six travers de doigts, terminée en une pointe presque aussi fine qu'une aiguille, & cependant couverte d'écailles quarrées d'une finesse incroyable ; sa tête est couverte d'écailles brunes ; celles de la gorge & du ventre sont quarrées, blanches, avec un agréable mêlange de taches d'un beau rouge sanguin ; son dos, ses côtés & ses jambes sont revêtues d'une fine peau aussi douce que du satin, rayées de brun & de verd, & d'une suite de jolies taches vertes & noires, qui décourent sur toute la longueur du corps. Sa queue est d'un jaune brun par-dessus, & d'une belle couleur de chair rouge par-dessous. Ray, synops. quadrup. (D.J.)


TEJUGUACUS. m. (Hist. nat. Zoolog.) nom d'une espece de lésard du Brésil, qu'on appelle aussi temapara. Il ressemble beaucoup à l'ignana pour la figure, mais il en differe en ce que tout son corps est noir, avec un petit nombre de mouchetures blanches ; il n'a point, comme l'ignana, sur tout le dos une dentelure de pointes. L'orteil extérieur du pié de derriere est plus éloigné & plus court que les autres ; sa langue est grande, rouge, fendue en deux ; il peut la darder hors de la bouche à la distance d'un pouce, mais il ne fait aucun sifflement. Il aime beaucoup à sucer les oeufs, mais il peut supporter la faim très-long-tems ; car Marggrave rapporte en avoir conservé un en vie pendant sept mois sans aucune nourriture ; &, suivant le même auteur, si l'on coupe la queue de ce lésard, elle renaît de nouveau. (D.J.)


TEK-KIDAS. m. (Hist. mod.) fête qui se célebre avec beaucoup de solemnité parmi les habitans du Tonquin. On y fait une espece d'exorcisme, par le moyen duquel on prétend chasser tous les démons ou esprits malins du royaume. Toutes les troupes y assistent, afin de prêter main-forte aux exorcistes.


TEKEES(Géog. mod.) riviere de la grande Tartarie. Elle a sa source dans les Landes, au midi du lac Sayssan, & se perd vers les frontieres du Turquestan, entre les montagnes qui séparent ce pays des états du Coutaisch. (D.J.)


TÉKIou TECHNIA, (Géog. mod.) ville des états du turc dans le Budziac ou la Bessérabie, sur la rive droite du Niester, aux confins de la Pologne & de la Moldavie. Cette ville est encore plus connue sous le nom de Bender que lui donnent les Turcs. Charles XII. a rendu ce nom célebre par le long séjour qu'il y fit après sa défaite à la journée de Pultawa. (D.J.)


TÉKUPHES. m. (Calend. judaïq.) c'est le tems qui s'écoule pendant que le soleil avance d'un point cardinal à l'autre, par exemple, du commencement du bélier jusqu'au commencement de l'écrevisse, &c. Les tékuphes s'accordent par conséquent avec les quartiers dans lesquels nous divisons communément l'année.

On appelle encore tékuphe le moment auquel le soleil entre dans le point cardinal, selon le calcul des juifs. Ces peuples n'ont par conséquent que quatre tékuphes ; savoir le tékuphe de thiseri, au commencement de l'automne ; le tékuphe de tébeth, au commencement de l'hiver ; le tékuphe de nisan, au commencement du printems ; & le tékuphe de tancrès, au commencement de l'été. (D.J.)


TEL(Géog. mod.) petite ville d'Italie dans la Valteline, sur une hauteur. On croit que la Valteline même en a tiré son nom. Elle est le chef - lieu d'une communauté qui se divise en trente-six contrasules ou parties. (D.J.)


TÉLAS. m. (Monnoie) espece de monnoie, ou plutôt de petite médaille d'or qui se frappe à l'avénement à la couronne de chaque roi de Perse. Les télas sont du poids des ducats d'or d'Allemagne, & n'ont aucun cours dans le commerce. (D.J.)


TÉLAMON(Géog. anc.) promontoire d'Italie dans la Toscane, selon Polybe, Ptolémée & Pomponius Méla. Pline, l. III. c. v. y met un port de même nom, & on nomme aujourd'hui ce port Télamone. (D.J.)


TÉLAMONE(Géog. mod.) petite ville d'Italie, sur la côte de Toscane, dans l'état de gli Presidii, à l'embouchure du torrent d'Osa, avec un petit port & une forteresse, à 15 milles au nord d'Orbitello. Long. 28. 49. latit. 42. 53. (D.J.)


TÉLAMONESS. m. (Archit. rom.) les Latins appellent ainsi ce que les Grecs nomment atlas, les figures d'hommes qui soutenoient les saillies des corniches. Un auteur de ces derniers siecles trouve que le mot grec tlémon, , qui veut dire un malheureux habitué à supporter le mal avec patience, convient très-bien à ces statues qui soutiennent les corniches dans les bâtimens. (D.J.)


TELANDRUou TELANDRUM, (Géog. anc.) ville de l'Asie mineure dans la Lycie, selon Pline, l. V. c. xxvij. ou dans la Carie, selon Etienne le géographe, ce qui revient au même. (D.J.)


TÉLARSKI-BIELKI(Fourrure) sorte de fourrure qu'on tire de la Sibérie & de quelques autres états du czar, qui se trouvent sur la route de Moscou à Pékin, particulierement à Tomskoy, ville considérable par son commerce, située sur le Tom.

Ces fourrures sont d'une grandeur extraordinaire & d'une blancheur qui égale celle de la neige ; les Moscovites les estiment beaucoup, & les réservent presque toutes pour les magasins & l'usage des princes. Il en passe pourtant plusieurs à la Chine. (D.J.)


TELCHINESS. m. (Mythol.) anciens personnages des tems fabuleux, sur lesquels il regne d'étranges contrariétés dans les traditions mythologiques, contrariétés qui se sont étendues jusque sur le nom de telchines ; en s'éloignant de sa signification naturelle & primitive, la fable a changé en magiciens odieux ceux qui ont été les inventeurs des arts les plus nécessaires. Mais c'est M. Freret qui a le premier débrouillé ce mêlange d'idées & d'attributs dans des mémoires pleins de sagacité, qui embellissent beaucoup l'histoire de l'académie des Inscriptions & Belles-Lettres.

Nous devons, dit ce savant profond & ingénieux, rejetter également les deux traditions opposées qui faisoient les Telchines, peres ou enfans des Dactyles idéens. Ces noms, comme ceux des Corybantes & des Curetes, n'étant point des noms de peuples ou de familles, mais de simples épithetes, il ne faut les regarder que comme servant à désigner l'emploi & les occupations de ceux auxquels l'antiquité les donnoit.

On trouve des Telchines dans le Péloponnèse sous les premiers descendans d'Inachus, & long - tems avant l'arrivée des Dactyles. On suppose qu'ils habitoient le territoire de Sicyone, qui porta d'abord le nom de Telchinie ; & qu'après une guerre de quarante-sept ans, ils furent chassés du pays par Apis, successeur de Phoronée. On ajoute que du continent de la Grece ils passerent en Crete, de-là dans l'île de Chypre, & de cette île dans celle de Rhodes où ils s'établirent enfin. Mais tous ces voyages sont une fable imaginée par les critiques du moyen âge, qui trouvant le nom de Telchines donné à des hommes de différens pays, supposerent qu'ils avoient passé de l'un dans l'autre, sans réfléchir que dans le tems où ils plaçoient ces transmigrations successives, les Grecs n'avoient point de vaisseaux. Ces passages prétendus des Telchines sont antérieurs à Cécrops, à Cadmus, à Danaüs, d'environ trois cent ans, selon la chronologie de Castor, adoptée par Africain & par Eusebe.

La plus légere attention sur ce que signifioit le nom des Telchines auroit détrompé les critiques. Ce nom écrit indifféremment Telchines ou Telghines se dérivoit du mot , soulager, guérir, adoucir la douleur. C'est de la même racine que sortoient le nom de , donné à Junon par les Jalysiens, & celui de , qu'Apollon portoit dans quelques temples.

Cependant nous voyons dans Hésychius & dans Strabon, que malgré sa signification primitive, ce terme étoit devenu dans la suite un mot injurieux, un synonyme des noms d'enchanteurs, de sorciers, d'empoisonneurs, de génies ou démons malfaisans. On accusoit les Telchines d'avoir inventé cette magie qui donnoit le pouvoir d'exciter des orages, & de jetter des sorts sur les hommes. Ils se servoient, diton, d'un mêlange de soufre avec de l'eau du Styx pour faire périr les plantes. Ovide leur attribue même la faculté de fasciner ou d'empoisonner par leur simple regard, les végétaux & les animaux.

Malgré ce déchaînement de la plûpart des grecs, occasionné peut-être par les invectives des anciens écrivains de l'histoire d'Argos, dévoués aux successeurs de Phoronée, les Telchines avoient leurs partisans, qui regardoient toutes ces imputations comme les suites de la jalousie inspirée par le mérite de leurs découvertes.

Les Telchines étoient, selon Diodore, fils de la Mer, & furent chargés de l'éducation de Neptune : d'autres leur donnoient une mere nommée Zaps ; mais zaps dans l'ancien grec, signifioit la mer, si nous en croyons Euphorion & le poëte Denys, cités par Clément Alexandrin, Stromat. v. 415. ils furent chargés de l'éducation de Neptune. Cette origine & cet emploi, qui les supposent des navigateurs, s'accordent avec la tradition, qui leur faisoit habiter successivement les trois îles principales de la mer Egée. On vantoit aussi leur habileté dans la Métallurgie ; c'étoit eux, disoit-on, qui avoient forgé la faulx dont la Terre arma Saturne, & le trident de Neptune. On leur attribuoit l'art de travailler le fer & l'airain : probablement ils l'apprirent dans l'île de Chypre, celebre par ses mines, & dont les habitans surent les premiers mettre le cuivre en oeuvre. L'usage de ce métal, aussi connu sous le nom d'airain, avoit précédé celui du fer, du-moins dans la Grece, & on en fabriquoit des armes. Le fer étoit rare dans cette contrée ; la dureté qu'il est capable d'acquérir par la trempe, lui faisoit donner le nom d'adamas, d'inflexible, qui depuis a passé au diamant.

Comme les anciens usages consacrés par la religion s'observent toujours avec un soin qui les perpétue, on continua d'employer l'airain pour les instrumens des sacrifices, & dans la fabrique des armes qu'on offroit aux dieux. Il est même assez vraisemblable que ces épées & ces instrumens de cuivre qu'on déterre de tems-en-tems, eurent autrefois cette destination exclusivement à toute autre. En effet, dès que le fer devint commun, on ne continua pas, sans-doute, à se servir comme auparavant, du cuivre, métal aigre, cassant, & beaucoup plus pesant que le fer. Si l'on ne découvre aujourd'hui que peu d'armes de fer, c'est que le fer se détruit par la rouille, au-lieu que celle du cuivre le couvre d'un vernis qui en conserve la substance, & dont la dureté resiste quelquefois au burin le mieux trempé.

Il n'est pas surprenant que les premiers sauvages de la Grece ayent cru tout ce qu'on débitoit du pouvoir magique des Telchines. Cette crédulité regna dans les siecles les plus éclairés d'Athènes & de Rome. Peut-être même ce mêlange du soufre avec l'eau du Styx, réduit au simple, n'est que l'ancienne pratique de purifier les troupeaux avec la fumée du soufre, avant que de les mener aux champs pour la premiere fois à la fin de l'hiver. Peut-être a-t-il quelque rapport à cet autre usage, non moins ancien, d'arroser ou de frotter les plantes avec des infusions de drogues ameres, pour les garantir des insectes. Caton, Columelle, Pline, & tous les Géoponiques sont pleins de différentes recettes qu'on croyoit propres à composer ces fumigations & ces liqueurs.

Lorsqu'on examine les pratiques de l'ancienne magie, on adopte l'idée que Pline s'en étoit faite. Ce judicieux & savant naturaliste la regardoit comme une espece de médecine superstitieuse, qui joignoit aux remedes naturels, des formules auxquelles on croyoit de grandes propriétés. Caton nous rapporte sérieusement quelques - unes de ces formules : nous voyons même que le préjugé vulgaire attribuoit à de simples remedes, à des fumigations, le pouvoir d'empêcher la grêle & de chasser les démons. Végece, dans un de ses ouvrages, termine la longue recette d'une fumigation qu'il prescrit, par ces mots étranges : Quod suffimentum praeter curam jumentorum, sanat hominum passiones, grandinem depellit, daemones abigit, & larvas. Cette fumigation, utile aux troupeaux, guérit de plus les passions des hommes, détourne la grêle, chasse les démons & les spectres. Quel texte à commenter pour la philosophie ! Hist. de l'acad. des Belles-Lettres, tome XXIII. in-4°. (D.J.)

TELCHINES, (Géog. anc.) peuples dont parlent Orose, l. I. c. v. Stobée, de invidiâ. Ils tiroient leur origine de l'île de Crète ; ils s'établirent ensuite dans l'île de Cypre, & enfin ils passerent dans celle de Rhodes, où ils inventerent l'usage du fer & de l'airain, & ils en firent une faux à Saturne. On les accusoit d'être magiciens ; mais ce crime leur fut imputé par les envieux, qui ne pouvoient sans jalousie les voir exceller dans les arts. (D.J.)


TELCHINIA(Mythol.) Minerve avoit un temple au village de la Teumosse, près de Thèbes, en Béotie, sous le nom de Minerve Telchinia, où il n'y avoit aucune statue. Pausanias croit que ce surnom venoit des anciens Telchines de l'île de Rhodes, dont plusieurs passerent dans la Béotie, & y bâtirent apparemment ce temple à Minerve, qu'ils disoient être la mere des auteurs de leur race. Minerve passoit pour la mere des Telchines, parce que ces peuples excelloient dans les arts : la jalousie fit dire à leurs voisins, qu'ils étoient des enchanteurs, des magiciens. (D.J.)


TÉLÉ(Antiq. grecq.) , nom qu'on donnoit chez les Athéniens aux revenus qui se percevoient sur les terres, mines, bois, & autres domaines dont on mettoit à part les fonds pour les besoins de l'état ; on nommoit aussi télé, le produit des taxes imposées sur les étrangers & les affranchis, ainsi que le produit des douannes sur certains effets & marchandises. Voyez Potter, Archaeol. graec. tom. p. 80. (D.J.)


TELÉARQUES. m. (Hist. anc.) nom que donnoient les Thébains à un magistrat dont la fonction consistoit à faire nettoyer les rues, emporter les fumiers, & prendre soin des égouts pour faire écouler les eaux. Cette charge étoit d'abord de peu de conséquence, & les ennemis d'Epaminondas la lui ayant fait donner comme pour avilir son mérite & ses talens, il leur répondit qu'il leur feroit voir que, nonseulement la charge montre quel est l'homme, mais aussi que l'homme montre quelle est la charge : & en effet, il éleva à une grande dignité cet office qui n'étoit rien auparavant.


TELEBOAS(Géog. anc.) fleuve que Xénophon, l. IV. p. 327. & Etienne le géographe, mettent au voisinage des sources du Tigre.


TELEBOIDESTELEBOIDES

Les îles Téléboïdes ou Taphiennes, étoient devant Leucade, à savoir Taphias, Oxiae, & Prinoesso.

Les Téléboëns ou Taphiens étoient un peuple de l'Acarnanie, que Strabon dit avoir été peuplée par trois nations, à savoir les Curetes, les LÉleges, & les Téléboëns. Ces derniers, ou une partie d'entr'eux, passerent en Italie, & s'établirent dans l'île de Caprée, au rapport de Virgile, Eneid. liv. VII. v. 735. & de Tacite, l. IV. Annal. c. lxvij : ce sont eux qui nommerent Téléboïdes, de leur nom, les îles qui sont voisines de l'Acarnanie.

Etienne le géographe dit que la Téléboïde est une partie de l'Acarnanie, ainsi nommée à cause de Téléboas, & qu'on l'appelloit auparavant le pays des Taphiens ; & le scholiaste d'Apollonius dit que Taphos est une île d'entre les Echinades où habiterent les Téléboëns, qui avoient auparavant habité l'Acarnanie. Il ajoute que les Téléboëns sont les mêmes que les Taphiens. Si cela est, conclut Cellarius, les îles Echinades étoient comprises sous les Téléboïdes ; & Strabon, l. X. remarque que les Téléboïdes n'étoient pas tant distinguées des autres par un intervalle qui les séparoit, que par les chefs qui les avoient gouvernés, & qui avoient été autrefois Taphiens & Téléboëns. (D.J.)


TÉLÉEN(Mytholog.) Teleus, épithete ou surnom que les Romains donnoient à Jupiter ; on invoquoit Jupiter Téléen dans les mariages, & Junon Téléenne présidoit aux noces : ce mot est grec, veut dire parfait.


TÉLÉOLOGIES. f. (Phys. & Métaphys.) science des causes finales. Voyez CAUSE FINALE, & joignez-y les réflexions suivantes du chancelier Bacon.

L'examen des causes finales est, dit-il, plus dans l'ordre de la Morale que de la Physique, qui s'appauvrira toutes les fois qu'elle voudra étudier les faits dans les motifs, & qu'au lieu de s'informer comment la nature opere, elle demandera pourquoi. Cette curiosité, qui vient d'une inquiétude naturelle de l'esprit, & de son penchant secret à franchir les limites, peut avoir sa place, mais à la suite de toutes les autres questions. La Providence nous permet de suivre ses voies pour les adorer, mais non pas d'approfondir ses vues. Elle se plaît à faire sortir du cours de la nature des événemens inopinés, où tous nos jugemens vont échouer ; & par ces routes secrettes qui la dérobent à nos yeux, elle devient plus respectable encore sous le voile du mystere, que si elle avoit marqué dans tous ses pas les desseins de sa sagesse.

C'est à son exemple que les maîtres de la terre ont besoin de se rendre quelquefois invisibles pour conserver leur majesté ; plus admirables, quand ils font naître le bonheur & la tranquillité publique de l'orage des brigues & des passions, que s'ils faisoient ouvertement tout plier sous le poids de leur autorité. Aussi les matérialistes qui n'ont point apperçu les traces d'une intelligence supérieure dans le gouvernement de l'univers, d'ailleurs connoissoient mieux la nature que la plûpart des autres philosophes, qui voulant suivre la marche de la Providence, lui prêtoient des contradictions indignes.

Comme l'homme est porté à se croire le plus parfait de tous les êtres, il se croit aussi la cause finale de toute création. Les philosophes, réputés orthodoxes dans tous les siecles, ont enseigné que le monde a été fait pour l'homme, la terre pour son habitation, & tous les corps lumineux pour lui servir de spectacle. Les rois n'en font pas tant, lorsqu'ils s'imaginent être la cause finale pour laquelle toutes les sociétés ont été formées, & les gouvernemens institués. (D.J.)


TELEPHIENadj. terme de Chirurgie ; ulcere dont la guérison est difficile. Voyez ULCERE.

Ce mot vient de Teléphe, qui avoit été blessé par Achille, & dont la plaie dégénera en un mauvais ulcere. (Y)


TELEPHIOIDESS. f. (Hist. nat. Botan.) genre de plante à fleur en rose composée de plusieurs pétales disposés en rond. Le pistil sort du calice, & devient dans la suite un fruit arrondi & divisé en six loges, qui renferment chacune une semence de la même forme que le fruit. Tournefort, inst. rei herb. corol. Voyez PLANTE.

Miller en compte cinq especes, savoir le telephioides graecum, humi fusum, flore albo. Tourn. Cor.

Elle a été découverte en Grece par Tournefort, qui constitua ce genre, lui donnant un nom tiré de sa ressemblance avec le véritable orpin d'Imperatus. Cette plante est extrêmement rampante, & subsiste rarement plus de deux années.

La seconde espece, telephioides americanum, erectum, folio olivali, subtùs glauco, flore herbaceo, Houst. croît aux Barbades, dans la Jamaïque, & dans plusieurs autres endroits de l'Amérique.

La troisieme espece, telephioides americanum, arborescens, fructu parvo, foliis acuminatis, Houst. fut découverte à la Vera-Cruz par le docteur Houstoun, qui envoya de ses semences en Angleterre. Elle pousse une tige ligneuse à la hauteur de huit ou dix piés. Ses feuilles sont divisées en plusieurs lobes ; ses fleurs, qui sont petites & d'un verd blanchâtre, naissent sur le revers des feuilles, & sont suivies d'un petit fruit qui n'a pu mûrir jusqu'à présent en Angleterre.

La quatrieme espece, est le telephioides americanum, arborescens, foliis latis, subrotundis, subtùs incanis, fructu maximo. Houst.

La cinquieme espece, est le telephioides americanum, arborescens, foliis latioribus, subrotundis, fructu majore ex longo pediculo pendulo. Houst.

Ces deux dernieres especes furent découvertes par le même docteur Houstoun à Campêche, où elles croissent à la hauteur de douze à quatorze piés : leurs feuilles sont larges, & disposées alternativement. Le fruit de la cinquieme est gros à-peu-près comme une petite noix ; il croît sur le revers des feuilles, & est attaché à un pédicule fort long. Celui de la quatrieme est aussi gros qu'une châtaigne, & est couvert d'une coque fort dure. (D.J.)


TELEPHIUMS. m. (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleur en rose composée de plusieurs pétales disposés en rond ; le calice est formé de plusieurs feuilles ; le pistil sort du calice, & devient dans la suite un fruit à trois pointes & divisé en trois capsules : ce fruit renferme des semences qui sont le plus souvent arrondies. Ajoutez aux caracteres de ce genre que les feuilles sont alternes le long des tiges. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.

Tournefort compte quatre especes de telephium ou d'orpin, dont la plus commune, telephium Dioscoridis, Imperati, est nommée par les Anglois the wild-orpine. Cette plante pousse des tiges grosses, rondes, unies, souvent rougeâtres en bas : ses feuilles sont semblables à celles du pourpier, mais plus petites, blanchâtres, rangées alternativement le long des tiges, épaisses, charnues, remplies de suc, la plûpart incisées légerement en leurs bords : ses fleurs naissent au sommet des tiges en gros bouquets, ou en ombelles ; chacune d'elles est composée de plusieurs pétales disposés en rose, de couleur blanche & verdâtre : quand cette fleur est passée, il lui succede un fruit triangulaire, qui renferme des semences presque rondes : la racine du telephium ordinaire est divisée en plusieurs branches oblongues, blanches, entremêlées de fibres. Cette plante croît aux lieux rudes & pierreux. (D.J.)


TÉLESCOPES. m. (Optiq. & Astr.) télescope, ce mot composé des mots grecs , loin, & , regarder, signifioit uniquement dans son origine, un instrument formé de differens verres ou lentilles ajustés dans un tube, au-travers desquels on voyoit les objets fort distans. Mais aujourd'hui, il se dit en général de tout instrument d'optique, qui sert à découvrir & voir des objets très-éloignés, soit que ce soit directement à-travers de plusieurs verres, ou par réflexion au moyen de plusieurs miroirs.

L'invention du télescope est une des plus nobles & des plus utiles dont les derniers siecles puissent se vanter ; car c'est par son moyen que les merveilles du ciel nous ont été découvertes, & que l'Astronomie est montée à un degré de perfection dont les siecles passés n'ont pas pu seulement se former une idée. Voyez ASTRONOMIE.

Quelques savans ont avancé que les anciens Egyptiens avoient l'usage des télescopes, & que d'une tour fort élevée de la ville d'Alexandrie, ils découvroient les vaisseaux qui en étoient éloignés de 600 milles ; mais cela est impossible, à-moins que ces milles n'ayent été fort courts, puisque la rondeur de la terre empêche de voir de dessus une tour, un objet situé sur l'horison à une plus grande distance que 12 ou 14 milles d'Hollande, & un vaisseau à la distance de 20 milles. On doit donc regarder comme fabuleux ce qu'on rapporte sur cela des Egyptiens.

Jean-Baptiste Porta, noble napolitain, si l'on en croit Wolfius, est le premier qui ait fait un télescope, comme il paroît par ce passage de sa magie naturelle, imprimée en 1549.

" Pourvu que vous sachiez la maniere de joindre ou de bien ajuster les deux verres, savoir le concave & le convexe, vous verrez également les objets proches & éloignés, plus grands & même plus distinctement qu'ils ne paroissent au naturel. C'est par ce moyen que nous avons soulagé beaucoup de nos amis, qui ne voyoient les objets éloignés ou proches, que d'une maniere confuse, & que nous les avons aidés à voir très-distinctement les uns & les autres ".

Ces paroles de Porta, prises dans un certain sens (que depuis la découverte du télescope on peut leur donner), pourroient bien faire penser qu'il en est l'inventeur, comme le prétend Wolfius. Cependant si l'on remarque qu'il n'entendoit pas lui-même les choses dont il parle, & les conséquences résultantes de la construction que ces paroles indiqueroient, si elles avoient été écrites dans le sens qu'on leur donne aujourd'hui ; enfin qu'il traite de ces lentilles convexes & concaves d'une maniere si obscure & si confuse, que Kepler chargé de l'examiner par un commandement exprès de l'empereur Rodolphe, déclara que Porta étoit parfaitement inintelligible. On sera fort tenté de croire qu'il ne découvrit pas le télescope, & que ce qu'il dit là-dessus avoit trait à autre chose.

Cependant cinquante ans après on présenta au prince Maurice de Nassau un télescope de douze pouces de long, & fait par un lunetier de Middelbourg ; mais les auteurs ne sont point d'accord sur le nom de cet artiste. Sirturus, dans son traité du télescope, imprimé en 1618, veut que ce soit Jean Lipperson. Borel, dans un volume qu'il a composé exprès sur l'inventeur du télescope, & qu'il a publié en 1655, fait voir que c'est Zacharie Jansen, ou comme l'ortographie Wolfius, Hansen. Voici de quelle maniere on raconte cette histoire de la découverte du télescope par Jansen.

Des enfans en se jouant dans la boutique de leur pere, lui firent, dit - on, remarquer que quand ils tenoient entre leurs doigts deux verres de lunettes, & qu'ils mettoient les verres l'un devant l'autre à quelque distance, ils voyoient le coq de leur clocher beaucoup plus gros que de coutume, & comme s'il étoit tout près d'eux, mais dans une situation renversée. Le pere frappé de cette singularité, s'avisa d'ajuster deux verres sur une planche, en les y tenant de bout, à l'aide de deux cercles de laiton, qu'on pouvoit approcher ou éloigner à volonté. Avec ce secours, on voyoit mieux & plus loin. Bien des curieux accoururent chez le lunetier ; mais cette invention demeura quelque-tems informe & sans utilité. D'autres ouvriers de la même ville firent usage à l'envi de cette découverte, & par la nouvelle forme qu'ils lui donnerent, ils s'en approprierent tout l'honneur. L'un d'eux, attentif à l'effet de la lumiere, plaça les verres dans un tuyau noirci par-dedans. Par-là, il détourna & absorba une infinité de rayons, qui en se réfléchissant de dessus toutes sortes d'objets, ou de dessus les parois du tuyau, & n'arrivant pas au point de réunion, mais à côté, brouilloient ou absorboient la principale image. L'autre enchérissant encore sur ces précautions, plaça les mêmes verres dans des tuyaux rentrans & emboîtés l'un dans l'autre, tant pour varier les points de vue, en allongeant l'instrument à volonté, selon les besoins de l'observateur, que pour rendre la machine portative, & commode par la diminution de la longueur quand on la voudroit transporter, ou qu'on n'en feroit pas usage.

Jean Lappuy, autre artiste de la même ville, passe pour le troisieme qui ait travaillé au télescope, en ayant fait un en 1610, sur la simple relation de celui de Zacharie.

En 1620, Jacques Métius, frere d'Adrien Métius, professeur de mathématiques à Franecker, se rendit à Middelbourg avec Drebel, & y acheta des télescopes des enfans de Zacharie, qui les rendirent publics. Cependant Adrien Métius attribue à son frere l'honneur de la découverte du télescope, & a fait donner Descartes dans la même erreur.

Mais aucun de ceux qu'on vient de nommer n'ont fait des télescopes de plus d'un pié & demi de long. Simon Marius en Allemagne, & Galilée en Italie, sont les premiers qui aient fait de longs télescopes, propres pour les observations astronomiques.

Le Rossi raconte que Galilée étant à Venise apprit que l'on avoit fait en Hollande une espece de verre optique, propre à rapprocher les objets : sur quoi s'étant mis à réflechir sur la maniere dont cela pouvoit se faire, il tailla deux morceaux de verre du mieux qu'il lui fut possible, & les ajusta aux deux bouts d'un tuyau d'orgue, ce qui lui réussit au point, qu'immédiatement après, il fit voir à la noblesse vénitienne toutes les merveilles de son invention au sommet de la tour de S. Marc. Le Rossi ajoute que depuis ce tems-là Galilée se donna tout entier à perfectionner le télescope ; & que c'est par-là qu'il se rendit digne de l'honneur qu'on lui fait assez généralement de l'en croire l'inventeur, & d'appeller cet instrument le tube de Galilée. Ce fut par ce moyen que Galilée apperçut des taches sur le soleil. Il vit ensuite cet astre se mouvoir sur son axe, &c.

Le P. Mabillon rapporte dans son voyage d'Allemagne, qu'il avoit vu à l'abbaye de Scheir, dans le diocèse de Freisingue, une histoire scholastique de Petrus Comestor, à la tête de laquelle étoient les figures des arts libéraux, & que pour signifier l'Astronomie, Ptolomée y étoit représenté, observant les étoiles avec une lunette, comme nos lunettes d'approche. Celui qui a écrit le mémoire se nommoit Chonradus, & étoit mort au commencement du xiij. siecle, comme D. Mabillon l'a prouvé par la chronique de ce monastere, que Chonrad avoit continuée jusqu'à ce tems-là. Cette date est d'autant plus remarquable, que les simples lunettes qui semblent devoir être inventées les premieres, ne l'ont été que plus de 100 ans après, comme on le peut voir par une lettre très-curieuse de feu M. Carlo Dati, florentin, que M. Spon a insérée dans ses recherches d'antiquité, p. 213. elle contient un passage remarquable d'une chronique de Barthelemi de S. Concorde de Pise, qui marque qu'en 1312 un religieux, nommé Alessandro Dispina, faisoit des lunettes, & en donnoit libéralement, tandis que celui qui les avoit inventées refusoit de les communiquer. Mém. de l'acad. des Inscr. tom. II.

Il y a deux remarques à faire sur ce récit du P. Mabillon ; la premiere, que ce savant a pu se laisser séduire par les apparences, & prendre pour une lunette, ce qui n'en étoit pas une ; ce qui feroit desirer qu'il nous en eût transcrit le dessein. 2°. Qu'il se pourroit très-bien faire que les figures des arts libéraux ayent été faites long-tems après que le manuscrit avoit été écrit. Cela paroît d'autant plus vraisemblable, que si on suppose que cette espece de lunette ne représentât qu'un tuyau, qui servoit à regarder les astres, & à défendre l'oeil de la lumiere des objets étrangers ; il seroit assez singulier que les auteurs d'astronomie n'en eussent point parlé. Enfin il semble que les astronomes ne durent point penser à la précaution de regarder les étoiles avec un tuyau ; cette précaution étant assez inutile pour observer des astres la nuit.

Au reste, l'usage des verres convexes & concaves étant connu, & les principes d'optique sur lesquels sont fondés les télescopes, se trouvant renfermés dans Euclides, il sembleroit que c'est faute d'y avoir réfléchi, que le monde a été privé si long-tems de cette admirable invention. Mais il falloit connoître la loi de la réfraction, pour y être mené par la théorie, & on ne la connoissoit pas encore. On ne doit donc pas s'étonner, si nous devons cette découverte uniquement au hazard, & ainsi être moins fâchés de l'incertitude où nous sommes sur son auteur ; puisqu'il n'a dans cette découverte que le mérite du bonheur, & non celui de la sagacité. Telle est la marche lente & pénible de l'esprit humain. Il faut qu'il fasse des efforts incroyables pour sortir des routes ordinaires, & s'élancer dans des routes inconnues ; encore n'est-ce presque jamais que le hazard qui le tire des premieres pour le conduire dans les secondes. Et l'on ne peut douter que nos connoissances actuelles, soit en physique, soit en mathématique, ne renferment un nombre infini de découvertes, qui tiennent à une réflexion si naturelle, ou à un hazard si simple, que nos neveux ne pourront comprendre comment elles nous sont échappées.

Divers savans tels que Galilée, Képler, Descartes, Grégori, Huyghens, Newton, &c. ont contribué successivement à porter le télescope au point de perfection où il est aujourd'hui. Képler commença à perfectionner la construction originaire du télescope, en proposant de substituer un oculaire convexe à un oculaire concave. C'est ce qui paroît par sa dioptrique imprimée en 1611 ; car dans cette dioptrique il décrit un télescope composé de deux verres convexes, auquel on a donné depuis le nom de télescope astronomique.

Il y a différentes sortes de télescopes qui se distinguent par le nombre & par la forme de leurs verres, & qui reçoivent leurs noms de leurs différens usages.

Tel est le premier télescope ou le télescope hollandois ; celui de Galilée, qui n'en differe que par sa longueur : le télescope céleste ou astronomique, le télescope terrestre, & le télescope aërien. Il y a encore, comme nous l'avons dit, le télescope composé de miroirs ou de réflexion. Nous allons donner successivement la description de ces différens télescopes, & expliquer les principes sur lesquels sont fondés leurs effets, leurs avantages & les causes d'où naissent leurs différentes imperfections.

Le télescope de Galilée ou allemand, est composé d'un tuyau dont on peut voir la structure à l'article TUBE, dans lequel est à l'un de ses bouts un verre objectif concave, & à l'autre un verre oculaire concave.

C'est la plus ancienne de toutes les formes des télescopes, & la seule qui leur ait été donnée par les inventeurs, ou qui ait été pratiquée avant Huyghens.

Construction du télescope de Galilée ou allemand. Au-bout d'un tube est ajusté un verre objectif convexe d'un seul ou deux côtés, & qui est un segment d'une sphere fort grande : à l'autre bout est ajusté de même un verre oculaire concave des deux côtés, mais formé d'un segment d'une moindre sphere, & placé à une telle distance du verre objectif, que le foyer vertical de ce verre oculaire réponde au même point que le foyer réel du verre convexe. Voyez FOYER.

Théorie du télescope de Galilée. Par le moyen de ce télescope tout le monde, excepté les myopes, ou ceux qui ont la vue courte, doivent voir distinctement les objets dans leur situation droite, naturelle, & grossis à-proportion de la distance du foyer virtuel du verre oculaire, à celle du foyer du verre objectif.

Mais pour que les myopes puissent voir distinctement les objets au-travers d'un tel instrument, il faut rapprocher le verre oculaire du verre objectif.

Voici les causes de ces différens effets.

1°. Comme on ne regarde avec le télescope que des objets éloignés, les rayons qui partent du même point d'un objet tombent sur le verre objectif sous des lignes si peu divergentes entr'elles, qu'on peut regarder ces rayons comme paralleles, & conséquemment par la réfraction qu'ils subissent dans ce verre convexe, il faut qu'ils deviennent convergens, comme on l'a vu à l'article FOYER ; c'est-à-dire, qu'ils se rapprochent, en tendant vers un certain point qui se trouve par la construction, ainsi qu'on l'a dit, audelà du verre oculaire. Or, par la seconde réfraction qu'ils subissent dans ce verre concave, il faut qu'ils deviennent de nouveau paralleles, & que dans cette disposition ils entrent dans l'oeil. Voyez RAYON, CONCAVITE, CONVEXITE & CONVERGENT. Et tout le monde, à l'exception des myopes, voyent distinctement les objets dont les rayons entrent parallelement dans l'oeil. Voyez VISION & PARALLELE ; ce premier point ne souffre point de difficulté.

2°. On suppose qu'A (Pl. d'Optique, fig. 41.) est le foyer du verre objectif, & qu'à la droite de l'objet A C, est le rayon le plus éloigné qui passe par le tube : après la réfraction, ce rayon devient parallele à l'axe B I, & conséquemment après une seconde réfraction qu'il subit en passant par le verre concave, il devient divergent, c'est-à-dire, qu'il s'éloigne du foyer virtuel : c'est pourquoi, comme tous les rayons qui viennent de la même extrêmité vers l'oeil, placé derriere le verre concave, sont paralleles à L E & que ceux qui partent du milieu de l'objet sont paralleles à FG, comme on l'a observé ci-dessus, le centre de l'objet doit être vu dans l'axe G A, & l'extrêmité droite doit être vue du côté droit ; savoir dans la ligne LN, ou parallele à ce côté ; c'est-à-dire, que l'on doit voir l'objet droit ou de bout ; ce qui est le second point que nous avions à prouver.

3°. Comme toutes les lignes paralleles à LN coupent l'axe sous le même angle, le demi-diametre de l'objet doit être vu à-travers le télescope sous l'angle AFN, ou EFI : les rayons LE & GI entrant dans l'oeil de la même maniere que si la prunelle se trouvoit placée dans le point F. Or si l'oeil nud étoit placé dans le point A, il verroit le demi-diametre de l'objet sous l'angle c A b ou C A B ; mais comme on suppose l'objet fort éloigné, sa distance A F ne fait rien à cet égard, & par conséquent l'oeil nud, fût-il même dans le point F, verroit le demi-diametre de l'objet sous un angle égal à l'angle A. Ainsi menant FM parallele à Ac, le demi-diametre de l'objet vu de l'oeil nud est à celui qui est vu par le télescope, comme I M à I E. Or il est démontré qu'I M est à I E, comme I F est à A B ; c'est-à-dire, que le demi-diametre vu de l'oeil nu, est au-demi-diametre vu à-travers le télescope, comme la distance du foyer virtuel du verre oculaire F I est à la distance du foyer du verre objectif A B, ce qui prouve le troisieme point.

Enfin comme les myopes ont la rétine trop éloignée du crystallin, & que les rayons divergens se rassemblent dans l'oeil à une plus grande distance que ne font les paralleles, & que ceux-ci deviennent divergens, en rapprochant le verre oculaire du verre objectif, il faut que par le moyen de ce rapprochement les myopes voyent distinctement les objets à-travers le télescope ; ce qui fait la preuve du quatrieme point.

D'où il suit 1°. que pour voir l'objet tout entier, le demi-diametre de la prunelle ne doit pas être plus petit que n'est la distance des rayons L E & G I, par conséquent plus la prunelle est dilatée, plus grand doit être le champ, ou l'étendue que l'on voit par le télescope, & au-contraire plus la prunelle est contractée, plus cette étendue doit être petite. Desorte que si l'on sort d'un lieu obscur, ou que l'on ferme l'oeil quelque tems avant de l'appliquer au verre, la vue embrassera une plus grande étendue du premier coup d'oeil, qu'elle ne fera dans la suite, & après que la prunelle aura été contractée de nouveau par l'augmentation de lumiere. Voyez PRUNELLE.

2°. Puisque la distance des rayons EL & IG est plus grande quand l'oeil est à une plus grande distance du verre, il s'ensuit que plus on s'éloignera du verre, moins il entrera de rayons dans l'oeil ; par conséquent l'étendue que la vue embrasse d'un coup d'oeil, augmentera à-mesure que l'oeil sera plus près du verre concave.

3°. Puisque le foyer d'un verre objectif plan-convexe, & le foyer virtuel d'un verre oculaire plan-concave, sont à la distance du diametre ; & que le foyer d'un verre objectif convexe des deux côtés, & le foyer virtuel d'un verre oculaire concave des deux côtés sont à la distance d'un demi-diametre ; si le verre objectif est plan-convexe, & le verre oculaire plan-concave, le télescope augmentera le diametre de l'objet à-proportion du diametre de la concavité au diametre de la convexité.

Si le verre objectif est convexe des deux côtés, & le verre oculaire concave des deux côtés, le télescope augmentera le diametre de l'objet à-proportion du demi-diametre de la concavité, au demi-diametre de la convexité. Si le verre objectif est plan-convexe, & le verre oculaire concave des deux côtés, le demi-diametre de l'objet augmentera à proportion du demi-diametre de la concavité, au demi-diametre de la convexité ; & enfin si le verre objectif est convexe des deux côtés, & le verre oculaire plan-concave, l'augmentation se fera suivant la proportion du diametre de la concavité au demi-diametre de la convexité.

4°. Puisque la proportion des demi-diametres est la même que celle des diametres entiers, les télescopes grossissent les objets de la même maniere, soit que le verre objectif soit plan-convexe, & le verre oculaire plan-concave, ou que l'un soit convexe des deux côtés, & l'autre concave des deux côtés.

5°. Puisque le demi-diametre de la concavité a une moindre proportion au diametre de la convexité, que n'a le diametre entier, un télescope grossit davantage les objets quand le verre objectif est plan-convexe, que lorsqu'il est convexe des deux côtés. On prouvera à-peu-près de la même maniere qu'un oculaire concave des deux côtés vaut mieux qu'un oculaire plan-concave.

6°. Plus le diametre du verre objectif est grand, & plus le diametre du verre oculaire est petit, plus la proportion du diametre de l'objet vu à l'oeil nud, à son diametre vu à-travers un télescope est petite, & par conséquent plus le télescope doit grossir l'objet.

7°. Puisque le demi-diametre de l'objet s'augmente, suivant la proportion de l'angle E F I, & que plus cet angle est grand, plus la partie de l'objet qu'on embrasse d'un coup d'oeil est petite ; à mesure donc que ce demi - diametre sera grossi ou augmenté, le télescope représentera une moindre partie de l'objet.

C'est cette raison qui a déterminé les Mathématiciens à chercher une autre espece de télescope, après avoir reconnu l'imperfection du premier qui avoit été découvert par hasard ; leurs efforts n'ont point été infructueux, comme il paroit par les effets du télescope astronomique, dont la description est ci-dessous.

Si le demi-diametre d'un verre oculaire a une trop petite proportion au demi-diametre du verre objectif ; l'objet ne sera point vu assez clairement à-travers le télescope ; parce que le grand écart des rayons fait que les différens pinceaux qui représentent sur la rétine les différens points de l'objet, sont en trop petit nombre.

On a trouvé aussi que des verres objectifs égaux, ne font point le même effet avec des verres oculaires de même diametre, quand ils sont d'une transparence, ou d'un poli différent. Un verre objectif moins transparent, ou moins parfaitement taillé ou formé, demande un verre oculaire plus sphérique, que ne demande un autre verre objectif plus transparent & mieux poli.

Ainsi, quoiqu'on ait l'expérience qu'une lunette est bonne, lorsque la distance du foyer d'un verre objectif est de six pouces, & que le diametre du verre oculaire plan-concave, est d'un pouce & une ligne, ou que le diametre d'un verre oculaire également concave des deux côtés est d'un pouce & demi : cependant l'artiste ne doit jamais s'attacher à ces sortes de combinaisons, comme si elles étoient fixes & invariables ; il doit au contraire essayer des verres oculaires de différens diametres sur les mêmes verres objectifs, & choisir celui avec lequel on voit le plus clairement & le plus distinctement les objets.

Hévélius recommande un verre objectif convexe des deux côtés, & dont le diametre soit de quatre piés, mesure de Dantzick, & un verre oculaire concave des deux côtés, & dont le diametre soit de quatre pouces & demi, ou dixiemes d'un pié. Il observe qu'un verre objectif également convexe des deux côtés, & dont le diametre est de cinq piés, demande un verre oculaire de cinq pouces & demi ; & il ajoute que le même verre oculaire peut servir aussi à un verre objectif de huit ou de dix piés.

Ainsi comme la distance du verre objectif & du verre oculaire, est la différence entre la distance du foyer du verre objectif, & celle du foyer virtuel du verre oculaire ; la longueur du télescope se regle par la soustraction que l'on fait de l'une à l'autre, c'est-à-dire, que la longueur du télescope est la différence qu'il y a entre les diametres du verre objectif, & du verre oculaire, supposé que le premier soit plan-convexe, & le second plan-concave ; ou c'est la différence qu'il y a entre les demi-diametres du verre objectif & du verre oculaire ; supposé que le premier soit convexe des deux côtés, & que le second soit concave des deux côtés : ou c'est la différence qu'il y a entre le demi-diametre du verre objectif, & le diametre du verre oculaire, supposé que le premier soit convexe des deux côtés, & que le second soit plan-concave ; ou enfin, c'est la différence qu'il y a entre le diametre du verre objectif, & le demi-diametre du verre oculaire, supposé que le premier soit plan-convexe, & que le second soit concave des deux côtés. Par exemple, si le diametre d'un verre objectif convexe des deux côtés est de quatre piés, & que le diametre d'un verre oculaire concave des deux côtés, soit de quatre pouces, la longueur du télescope sera d'un pié 10 pouces.

Le télescope astronomique differe du précédent, en ce que l'oculaire y est convexe comme l'objectif. Voyez CONVEXITE.

On lui a donné ce nom, parce qu'on ne s'en sert que pour les observations astronomiques, à cause qu'il renverse les objets. On a vu plus haut que Képler fut le premier qui en donna l'idée ; & il paroît certain que le pere Scheiner fut le premier qui dans la suite exécuta réellement ce télescope.

Construction du télescope astronomique. Le tube étant fait de la longueur nécessaire, on ajuste dans un de ses bouts un verre objectif, soit plan-convexe, soit convexe des deux côtés ; mais qui doit être un segment d'une grande sphere : dans l'autre bout on ajuste de même un verre oculaire convexe des deux côtés, mais qui doit être le segment d'une petite sphere, & on le place dans le tube de façon qu'il soit au-delà du foyer du verre objectif, précisément d'un espace égal à la distance de son propre foyer.

Théorie du télescope astronomique. Le télescope étant ainsi construit, l'oeil placé près du foyer du verre oculaire verra distinctement les objets, mais renversés & grossis dans le rapport de la distance du foyer du verre oculaire, à la distance du foyer du verre objectif.

Car 1°. comme les objets qu'on voit par le télescope sont extrêmement éloignés, les rayons qui partent d'un point quelconque de l'objet, viennent frapper parallelement le verre objectif, & par conséquent après la réfraction ils se réunissent derriere ce verre dans un point qui est le foyer du verre oculaire. Depuis ce point, ils commencent à devenir divergens, & en s'écartant ainsi, ils viennent frapper le verre oculaire, où ayant subi une autre réfraction, ils entrent parallelement dans l'oeil.

Ainsi comme tout le monde, excepté les myopes, voit distinctement par rayons paralleles, un télescope disposé de la maniere ci-dessus, doit représenter distinctement les objets éloignés.

Supposé le foyer commun des verres en F, (fig. 42.) & faites A B égal à B F, puisqu'un des rayons A C partant du côté droit de l'objet, passe par A, le rayon C E sera parallele à l'axe A I, & conséquemment, après la réfraction qu'il aura subi dans le verre oculaire, il tombera avec lui dans le foyer G. Comme l'oeil est placé contre ce foyer, & que tous les autres rayons, qui, avec E G, partent du même point de l'objet, subissent une réfraction, qui les envoie parallelement de ce côté-là, le point qui se trouve dans le côté droit de l'objet doit être vu dans la ligne droite EG.

De même, il faut que le point du milieu de l'objet se voie dans l'axe G B, desorte que l'objet paroisse renversé.

2°. Il paroît par ce qu'on a déjà prouvé ci-dessus, que le demi-diametre de l'objet sera vu à-travers le télescope sous l'angle E G I, & que l'oeil nud, placé dans A, le voit sous l'angle b A c. Supposez maintenant I F, égal à la distance du foyer I G. Comme les angles droits en I sont égaux, il s'ensuit que l'angle E G F est égal à E F I ; or, en tirant la ligne F M, parallele à A C, vous aurez l'angle I F M, égal à B A C ; par conséquent le demi-diametre de l'objet vu de l'oeil nud, est à ce même demi-diametre vu par le télescope, comme I M est à I E. Tirez la ligne K E, parallele à FM ; vous trouverez qu'I M est à I E, comme I F est à I K. Or, en vertu du parallélisme des deux verres C E = B I, = B F, + F I, = A B + FI ; & en vertu du parallélisme des lignes droites C A, & E K, C E = A K ; par consequent, B I = A K, & A B = I K ; desorte que I M est à I E, comme I F est à A B, c'est-à-dire, que le demi-diametre de l'objet vu à la vûe simple, est au demi-diametre vu à-travers le télescope, comme la distance du foyer du verre oculaire I F, est à la distance du foyer du verre objectif ; ce qu'il falloit prouver.

Il suit de tout ce qui vient d'être exposé, 1°. que si ce télescope est moins propre pour représenter les corps terrestres, puisque leur renversement empêche souvent de les reconnoître ; il n'en est pas moins commode pour observer les astres, qu'il est assez indifférent de voir droits ou renversés.

2°. Que si entre le verre oculaire & son foyer G, il se trouve un miroir plan de métal parfaitement bien poli L N, de la longueur d'un pouce, & d'une figure ovale, incliné sur l'axe sous un angle de 45 d. les rayons E P & M Q seront refléchis de maniere que venant à se joindre en g, ils formeront un angle P g Q, égal à P G Q ; & par conséquent l'oeil étant placé en g, il verra l'objet de la même grandeur qu'auparavant, mais dans une situation droite ou redressée. Ainsi en ajoutant un pareil miroir au télescope astronomique, on le rend commode pour observer les corps terrestres. Voyez MIROIR.

3°. Comme le foyer d'un verre convexe des deux côtés est éloigné d'un demi diametre de ce même verre, & que le foyer d'un verre plan-convexe en est éloigné d'un diametre, si ce verre objectif est convexe des deux côtés ainsi que le verre oculaire, le télescope grossira le diametre de l'objet suivant la proportion qu'il y a du demi diametre du verre oculaire, au demi diametre du verre objectif : mais si le verre objectif est plan-convexe, il le grossira suivant la proportion qu'il y a du demi diametre du verre oculaire au diametre du verre objectif.

4°. Ainsi comme le demi diametre du verre oculaire a une plus grande proportion au demi diametre du verre objectif, qu'à son diametre, un télescope grossit davantage quand le verre objectif est plan-convexe, que lorsqu'il est convexe des deux côtés. Par la même raison un télescope grossit davantage lorsque l'oculaire est convexe des deux côtés, que lorsqu'il est plan - convexe.

5°. La proportion du demi diametre du verre oculaire au diametre, ou demi diametre du verre objectif, diminue à mesure que le verre oculaire est un segment d'une moindre sphere, & que le verre objectif est le segment d'une plus grande sphere. C'est pourquoi un télescope grossit d'autant plus que le verre objectif est un segment d'une plus grande sphere, & le verre oculaire le segment d'une moindre sphere. Cependant la proportion du demi diametre du verre oculaire au verre objectif ne doit pas être trop petite, car si elle l'étoit, la refraction ne pourroit pas se faire de maniere que les rayons, partant de chaque point de l'objet, entrassent dans l'oeil séparément & en quantité suffisante, ce qui par conséquent rendroit la vision obscure & confuse.

A quoi l'on peut ajouter ce que nous avons dit de la proportion du verre objectif au verre oculaire, en parlant du télescope de Galilée.

De Chales observe qu'un verre objectif de 2 1/2 piés, demande un verre oculaire de 1 1/2 pouce, & que pour un verre objectif de 8 ou 10 piés, il faut un verre oculaire de 4 pouces ; en quoi il est appuyé par Eustache de Divinis.

Le télescope aérien est une espece de télescope astronomique, dont les verres ne sont point renfermés dans un long tuyau.

Cependant à la rigueur, le télescope aérien n'est à proprement parler qu'une façon particuliere de monter des verres objectifs (dont le foyer est très distant) & leurs oculaires, de façon qu'on puisse les diriger avec facilité pour observer les corps célestes pendant la nuit, & éviter les embarras des télescopes astronomiques, qui deviennent fort incommodes & fort gênans, lorsqu'ils sont très-longs.

C'est au célebre Huyghens que nous sommes redevables de cette invention.

Construction du télescope aérien. 1°. On plante perpendiculairement un mât A B (fig. 46. n °. 2.), de la longueur dont devroit être le tuyau du télescope. Avant de l'élever on l'applanit d'un côté, l'on y attache deux regles paralleles entr'elles, & éloignées l'une de l'autre d'un pouce & demi, desorte que l'espace qu'elles laissent entr'elles, forme une espece de rainure ou canal (un peu plus large en dedans qu'en dehors), qui regne presque du haut de ce mât jusqu'en bas. Au haut de ce mât est une roulette A, qui tourne sur son axe, & sur laquelle passe une corde G g, deux fois plus longue que le mât. Cette corde de la grosseur du petit doigt, ou à-peu-près, est ce que l'on appelle une corde sans fin ; elle est garnie d'un morceau de plomb H, dont le poids est égal au verre objectif, & à tout l'équipage qui doit le soutenir.

Une latte CD, longue de deux piés, & formée de maniere qu'elle puisse glisser librement, mais sans jeu, le long du canal, porte à son milieu un bras de bois E, qui s'éloigne d'un pié, du mât, & qui soutient à angles droits, un autre bras F f d'un pié & demi de long, l'un & l'autre étant situés parallélement à l'horison.

2°. On ajuste un verre objectif dans un cylindre I K, de trois pouces de long ; on fait tenir ce cylindre sur un bâton fort droit d'un pouce d'épais, & qui le déborde de 8 ou 10 pouces. A ce bâton est attaché une boule de cuivre M ; cette boule est portée & se meut librement dans une portion de sphere creuse, où elle est emboîtée. Cette portion de sphere est ordinairement faite de deux pieces, que l'on serre ensemble par le moyen d'une vis, ce qui forme une espece de genou ; & afin que le verre objectif puisse être mis en mouvement avec plus de facilité, on suspend un poids N I, d'environ une livre, à un gros fil de laiton, desorte qu'en pliant ce fil d'un côté ou de l'autre, on parvienne facilement à faire rencontrer ensemble le centre de gravité commun de poids, & de verre objectif, & celui de la boule de cuivre. On attache au-dessous du bâton K L, un fil de cuivre élastique L, que l'on plie en-bas, jusqu'à ce que sa pointe soit autant au-dessous du bâton, que le centre de la boule M, & on lie à cette pointe un fil mince de soie L V.

3°. On ajuste un verre oculaire O, dans un cylindre fort court, auquel on attache le bâton P V. A celui-ci pend un petit poids S, suffisant pour le contrebalancer ; en Q on attache une poignée R, traversée par un axe que l'astronome tient à la main ; & le bâton P V, tourné du côté du verre objectif, est attaché au fil de soie L V. Ce fil qui passe par le trou V, est roulé sur une petite cheville T, attachée au milieu du bâton, desorte qu'en la tournant, on augmente & on diminue, comme on veut, la longueur du fil.

4°. Afin que l'astronome puisse tenir ferme le verre oculaire, il appuie son bras sur une machine X, dont on peut voir la construction dans la figure dont nous parlons.

Enfin pour écarter la foible lumiere dont l'air pourroit frapper l'oeil, on couvre le verre oculaire d'un cercle Y, troué au milieu, & ajusté à un bras mobile & flexible.

Le grand télescope de Huyghens, qui a fait connoître d'abord l'anneau de Saturne, & un de ses satellites, consistoit en un verre objectif de 12 piés, & un verre oculaire de 3 pouces & quelque chose de plus. Cependant il se servoit souvent d'un télescope de 20 piés de long, avec deux verres oculaires joints ensemble, & ayant chacun un pouce & demi de diametre.

Le même auteur observe qu'un verre objectif de 30 piés, demande un verre oculaire de trois pouces & trois seiziemes de pouce ; & il nous donne une table de proportion pour la construction des télescopes astronomiques, dont voici un abregé.

Si dans deux ou plusieurs télescopes, la proportion entre le verre objectif & le verre oculaire est la même, ils grossiront également les objets.

On pourroit en conclure qu'il est inutile de faire de grands télescopes ; mais il faut se souvenir de ce qui a été dit ci-dessus, savoir qu'un verre oculaire peut avoir une moindre proportion, à un plus grand verre objectif, qu'à un plus petit. Par exemple, dans le télescope de Huyghens, qui est de 25 piés, le verre oculaire est de 3 pouces ; & suivant cette proportion, un télescope de 50 piés devroit avoir un verre oculaire de 6 pouces : cependant la table fait voir qu'il suffit d'en prendre un de quatre pouces & demi. Il paroît par la même table, qu'un télescope de 50 piés grossit dans la proportion d'un à 141, au lieu qu'un télescope de 25 piés ne grossit que dans la proportion d'un à 100. D'ailleurs plus les lentilles ou verres sont segmens d'une grande sphere, plus ils réunissent exactement les rayons, & plus par conséquent l'image est distincte. Il faut ajouter encore, & c'est ce qu'il y a de plus important, que plus les lentilles font partie d'une grande sphere, plus elles reçoivent de rayons ; de façon qu'une lentille dont le foyer est deux fois plus distant que celui d'une autre, reçoit (en supposant que les épaisseurs soient proportionnelles à la distance des foyers), quatre fois plus de rayons. Ceci donne la raison pour laquelle les objectifs d'un plus grand foyer, peuvent avoir des oculaires d'un foyer plus court que ne le comporteraient les proportions qui se trouvent entre les objectifs d'un plus court foyer & leurs oculaires.

Comme la distance des verres est égale à la somme des distances des foyers des verres objectifs & oculaires ; que le foyer d'un verre convexe des deux côtés en est éloigné d'un demi diametre, & que le foyer d'un verre plan - convexe en est éloigné d'un diametre, la longueur d'un télescope est égale aux sommes des demi diametres des verres, quand ils sont tous les deux convexes des deux côtés ; & lorsque l'un ou l'autre est plan-convexe, cette longueur est égale à la somme du demi diametre du verre convexe des deux côtés, & du diametre de celui qui est plan - convexe.

Mais comme le demi diametre du verre oculaire est fort petit, en comparaison de celui du verre objectif, on regle ordinairement la longueur d'un télescope astronomique sur la distance du foyer de son verre objectif, c'est-à-dire sur son demi diametre, si cet objectif est convexe des deux côtés, ou sur son diametre, s'il est plan-convexe. Ainsi l'on dit qu'un télescope est de 12 piés, quand le demi diametre du verre objectif, convexe des deux côtés, est de 12 piés, &c.

Comme les myopes voyent mieux les objets de près, il faut rapprocher pour eux le verre oculaire du verre objectif, afin qu'en sortant de cet oculaire, les rayons soient encore divergens.

Maniere de raccourcir le télescope astronomique ; c'est-à-dire de faire un télescope qui étant plus court que les télescopes, grossira cependant autant les objets.

1°. Il faut ajouter dans un tuyau de lunette le verre objectif E D, fig. 43. qui soit un segment d'une sphere médiocre ; que le premier verre oculaire B D soit concave de deux côtés, & placé dans le tube de maniere que le foyer du verre objectif A se trouve derriere lui, mais plus près du centre de la concavité G ; alors l'image viendra se peindre au point Q, tel que G A sera à G I, comme A B est à Q I ; enfin ajustez dans le même tube un autre verre oculaire convexe de deux côtés, & qui soit un segment d'une moindre sphere, desorte que son foyer soit en Q.

Ce télescope grossira davantage le diametre de l'objet, que si le verre objectif devoit représenter son image à la même distance E Q, & par conséquent un pareil télescope plus court qu'un télescope ordinaire doit faire le même effet que ce dernier. Cependant cette construction n'a pas réussi dans la pratique. On en devinera facilement la raison par ce que nous avons dit un peu plus haut sur les objectifs.

Le télescope terrestre ou télescope de jour, que l'on doit au pere Rheita, est un télescope composé de plus de deux verres, dont l'un est ordinairement un verre objectif convexe, & les trois autres des verres oculaires convexes. C'est un télescope qui représente les objets dans leur situation naturelle, comme celui de Galilée, mais qui en differe cependant, comme on vient de le voir, par le nombre & la forme de ses verres. On lui a donné le nom de terrestre, parce qu'il sert à faire voir pendant le jour les objets qui sont sur l'horison, ou aux environs.

Pour faire un télescope terrestre, ajustez dans un tube un verre objectif, qui soit convexe de deux côtés, ou plan - convexe, & qui soit un segment d'une grande sphere ; ajoutez-y trois verres oculaires, tous convexes des deux côtés, & segmens de spheres égales, & disposez-les de maniere que la distance de deux de ces verres soit la somme des distances de leurs foyers, c'est-à-dire que les foyers de deux verres voisins se répondent.

Théorie du télescope terrestre ; l'oeil appliqué au foyer du dernier verre doit voir les objets d'une maniere très-distincte, droits & grossis, suivant la proportion de la distance du foyer d'un des verres oculaires L K, fig. 44. à la distance du foyer du verre objectif A B.

Car 1°. suivant ce que nous avons déja dit, les rayons venant à frapper pareillement l'objectif, l'image de l'objet doit être représentée renversée à la distance du foyer principal ; ainsi comme cette image est au foyer du premier verre oculaire, les rayons, après une seconde réfraction, deviennent paralleles, & venant à frapper le troisieme verre, après y avoir subi une troisieme réfraction, ils représentent l'image renversée de nouveau, c'est-à-dire une image droite de l'objet. Cette image se trouvant donc dans le foyer du troisieme verre oculaire, les rayons, après une quatrieme réfraction, deviennent paralleles, & l'oeil les reçoit dans cette situation ; par conséquent la vision doit être distincte, & l'objet doit paroître dans sa situation naturelle.

2°. Si I Q est égal à I K, c'est-à-dire, à la distance du foyer du verre objectif, un oeil placé en M doit voir le demi-diametre de l'objet grossi dans la proportion de L M à K I ; mais le rayon A Q partant du foyer Q du verre objectif A B, après la réfraction, devient parallele à l'axe I L ; par conséquent le premier verre oculaire C D le joint à l'axe en M, qui est la distance d'un demi-diametre.

Et comme le foyer du second verre oculaire E F est aussi en M, le rayon F H, après la réfraction, devient parallele à l'axe N O ; desorte que le troisieme verre oculaire le joint à l'axe en P ; mais les demi-diametres des verres G H & C D, sont supposés égaux ; par conséquent P O est égal à L M ; ainsi comme les angles droits en O & en L sont égaux, & que H O est égal à C L, l'angle O P H est égal à C M L ; c'est pourquoi le demi-diametre de l'objet paroît le même en P & en M ; & par conséquent il est grossi dans la proportion de L M, ou de P O à K I.

D'où il suit 1°. qu'un télescope astronomique peut aisément être changé en télescope terrestre, en y mettant trois verres oculaires au-lieu d'un seul ; & le télescope terrestre en télescope astronomique, en supprimant deux verres oculaires, la faculté de grossir demeurant toujours la même.

2°. Comme la distance des verres oculaires est fort petite, l'addition de deux de ces verres n'augmente pas de beaucoup la longueur du télescope.

Cette construction fait connoître évidemment que la longueur du télescope terrestre se trouve en ajoutant cinq fois le demi-diametre de verres oculaires au diametre du verre objectif, si celui - ci est plan-convexe, ou-bien à son demi-diametre s'il est convexe des deux côtés.

Huyghens a observé le premier que c'est une chose qui contribue beaucoup à la perfection des télescopes tant astronomiques que terrestres, que de placer dans l'endroit où se trouve l'image qui rayonne sur le dernier oculaire, ou celui qui est le plus près de l'oeil, que de placer, dis-je, un petit anneau de bois ou de métal, ayant une ouverture un peu plus petite que la largeur du verre oculaire. Par ce moyen on empêche les couleurs étrangeres de troubler la clarté de l'objet, dont toute l'étendue renfermée dans ses propres bornes, vient frapper l'oeil d'une maniere plus distincte & plus précise qu'elle ne pourroit faire sans cet anneau.

On fait quelquefois des télescopes terrestres à trois verres, dont Képler donna aussi la premiere idée. Ces télescopes représentent également les objets droits & grossis ; mais ils sont sujets à de grands inconvéniens ; car les objets y paroissent teints, barbouillés de fausses couleurs & défigurés vers les bords. On en fait encore à cinq verres, & jusqu'ici il avoit paru qu'ils ne pouvoient représenter les objets que d'une maniere assez foible & assez confuse à cause des rayons qui doivent être interceptés en passant par chacun de ces verres. Cependant M. Dolland, célebre opticien anglois, a fait voir dernierement par plusieurs excellentes lunettes à six verres, que l'interception de ces rayons n'étoit point autant qu'on l'imaginoit, un obstacle à la perfection des télescopes. Enfin, on fait depuis quelques années, en Angleterre, des lunettes d'approche de nuit, qui servent principalement sur mer pour suivre un vaisseau, reconnoître une côte, l'entrée d'un port, &c. Ces lunettes, dont la premiere idée nous paroît due au docteur Hook, sont composées d'un objectif d'un grand diametre, afin qu'il puisse recevoir beaucoup de rayons, & de deux ou de quatre oculaires. Ces oculaires servent principalement à diminuer la longueur de ces lunettes, dans lesquelles on voit les objets renversés. Cet inconvénient est moindre qu'on ne le croiroit d'abord, parce que pour l'usage auquel on les destine, il suffit qu'elles puissent faire reconnoître & distinguer sensiblement les masses. De plus, l'habitude de s'en servir doit bientôt diminuer, ou même cet inconvénient doit disparoître. Les Imprimeurs, comme on sait, par l'usage qu'ils ont de composer en renversant les lettres pour l'impression, lisent aussi-bien dans ce sens, comme si elles étoient droites.

Le télescope catoptrique ou cata-dioptrique, ou de réflexion, est principalement composé de miroirs en place de verres ou de lentilles ; & au-lieu de représenter les objets par réfraction comme les autres, il les représentent par réflexion. Voyez CATOPTRIQUE.

On attribue ordinairement l'invention de ce télescope à l'illustre Newton. Ses grandes découvertes en optique, les voies par lesquelles il a été mené à l'imaginer ; le succès qu'il a eu en l'exécutant, ayant été le premier qui en ait fait un ; enfin son nom, sont autant de titres auprès de beaucoup de personnes pour l'en regarder comme l'inventeur.

Cependant, s'il l'inventa, comme on n'en peut presque pas douter, par ce que nous rapporterons dans la suite, il ne fut pas le premier. Il ne commença à penser à ce télescope, comme il le dit lui - même, qu'en 1666, & trois ans auparavant, c'est-à-dire en 1663, Jacques Gregorie, savant géometre écossois, avoit donné dans son optica promota, sa description d'un télescope de cette espece. Cassegrain, en France, avoit eu aussi à-peu-près dans le même tems, une idée semblable ; mais ce qu'on aura peut-être de la peine à croire, c'est que la premiere invention de ce télescope date de plus de 20 ans auparavant, & appartient incontestablement au pere Mersenne.

En effet, on trouve dans la proposition septieme de sa catoptrique, où il parle de miroirs composés, ces paroles remarquables. " On compose un grand miroir concave parabolique, avec un petit convexe, ou concave aussi parabolique, y ajoutant, si on veut, un petit miroir plan, le tout à dessein de faire un miroir ardent qui brûlera à quelque distance aux rayons du soleil. La même composition peut aussi servir pour faire un miroir à voir de loin, & grossir les especes, comme les lunettes de longue vue ". Immédiatement après, il dit encore la même chose, en supposant seulement qu'au-lieu du petit miroir parabolique, on lui en substitue un hyperbolique. Dans sa balistique, il donne la figure de cette espece de miroir, & on voit distinctement dans cette figure une grande parabole, au foyer de laquelle, ou plutôt un peu plus loin, se trouve une petite parabole qui réfléchit parallélement au-travers d'une ouverture, faite dans le fond de la premiere, les rayons paralleles qui tombent sur celle-ci. Or ce qui montre que cette idée d'un télescope de réflexion n'étoit point, comme on le pourroit croire, de ces idées vagues qui passent par la tête d'un savant, & dont il parle souvent sans s'en être occupé, c'est ce qu'on trouve dans deux lettres de Descartes. Voyez la xxix & la xxxij. du vol. II. de ses lettres, où il semble répondre à ce pere, qui apparemment lui avoit demandé son sentiment touchant ces nouveaux télescopes.

" Les lunettes, dit-il, que vous proposez avec des miroirs, ne peuvent être ni si bonnes ni si commodes que celles que l'on fait avec des verres ; 1°. pour ce que l'oeil n'y peut être mis fort proche du petit verre ou miroir, ainsi qu'il doit être ; 2°. qu'on n'en peut exclure la lumiere comme aux autres avec un tuyau ; 3°. qu'elles ne devroient pas être moins longues que les autres, pour avoir les mêmes effets, & ainsi ne seroient guere plus faciles à faire ; & s'il se perd des rayons sur les superficies des verres, il s'en perd aussi beaucoup sur celles des miroirs. "

Dans la seconde lettre, il ajoute : " Vos difficultés touchant les lunettes par réflexion, viennent de ce que vous considérez les rayons qui viennent paralleles d'un même côté de l'objet, & s'assemblent en un point, sans considérer avec cela ceux qui viennent des autres côtés, & s'assemblent aux autres points dans le fond de l'oeil où ils forment l'image de l'objet. Car cette image ne peut être aussi grande, par le moyen de vos miroirs, que par les verres, si la lunette n'est aussi longue ; & étant si longue, l'oeil sera fort éloigné du petit miroir, à savoir de toute la longueur de la lunette, & on n'exclud pas si bien la lumiere collatérale par votre tuyau ouvert de toute la largeur du grand miroir que par les tuyaux fermés des autres lunettes. "

Ces deux passages sont si importans, que j'ai cru devoir les rapporter en entier. En effet ils prouvent que le P. Mersenne, comme nous l'avons dit, s'étoit fort occupé du télescope de réflexion, & que la construction qu'il comptoit lui donner, étoit toute semblable à celle qu'ils ont aujourd'hui ; le grand miroir devant être (comme on le voit par les objections de Descartes) dans le fond d'un tuyau, & le petit miroir à une certaine distance. Ils montrent encore ce que l'on pouvoit conclure du passage de ce pere, rapporté plus haut, que dans la construction de son télescope, il n'y auroit point eu d'oculaire, les rayons devant être réfléchis parallèlement par le petit miroir, & entrer ainsi dans l'oeil. Car Descartes insiste sur ce que l'oeil ne pourroit être mis aussi proche de ce miroir, qu'il étoit nécessaire, devant par cette construction en être éloigné de toute la longueur de la lunette.

Lorsque Descartes prétendoit que, pour voir les objets distinctement avec ces nouveaux télescopes, il falloit qu'ils fussent aussi longs que les autres ; il n'étoit pas difficile de lui montrer qu'il se trompoit. Il oublioit qu'un objectif convexe de deux côtés a son foyer au centre de la sphere dont il fait partie, pendant qu'un miroir concave, & dont la concavité fait aussi partie de la même sphere, a son foyer une fois plus près, c'est-à-dire, à la moitié du rayon. Il n'étoit pas moins facile de répondre à la plûpart de ses autres objections : cependant il est très - vraisemblable qu'elles empêcherent le P. Mersenne de s'occuper plus long-tems de ces nouveaux télescopes, & lui firent abandonner le dessein de les perfectionner, ou d'en faire exécuter. Tel est le poids des raisons d'un grand homme, qu'à-peine ose-t-on en appeller. Nous avons dit que ce pere avoit imaginé ce télescope plus de vingt ans avant que Grégorie en eût parlé ; c'est ce qui est prouvé par le tems où ces lettres de Descartes que nous avons rapportées, ont été écrites. On voit par la date de celles qui suivent, qu'elles le furent à-peu-près vers le milieu de l'année 1639. Au reste, la vérité nous oblige de dire, que si elles furent écrites dans ce tems - là, elles ne furent publiées que plus de vingt ans après la date de leur premiere impression, n'étant que du commencement de 1666. Ainsi Gregorie ne pouvoit les avoir vues ; mais il auroit bien pu avoir connoissance du traité de l'optique & de la catoptrique du P. Mersenne, d'où nous avons tiré le passage que nous avons rapporté : car la publication de ce traité est antérieure de quinze ans, ayant été imprimé dans l'année 1651.

Il paroît par les paroles de Descartes, que la considération des rayons qui se perdent en passant à-travers le verre, engagea le P. Mersenne à imaginer le télescope de réflexion. Gregorie y fut conduit par une raison à-peu-près semblable ; mais qui étoit d'autant mieux fondée, qu'elle portoit sur l'impossibilité qui paroissoit alors de donner aux télescopes dioptriques une certaine perfection. En effet, comme les verres hyperboliques qu'on vouloit substituer aux verres sphériques, pour produire une réunion plus parfaire des rayons, avoient eux-mêmes un très-grand inconvénient, en ce qu'il falloit les faire fort épais, dès qu'on vouloit que l'image dans un télescope qui grossissoit à un certain point, fût suffisamment lumineuse ; il s'ensuivoit que ces verres hyperboliques par une grande épaisseur, devoient intercepter un grand nombre de rayons. Ce nouvel obstacle à la perfection de ces télescopes, donna donc à Gregorie, comme il le rapporte lui-même, l'idée de substituer des miroirs aux verres, & de faire un télescope de réflexion. Mais quelques tentatives qu'il fît, & il en fit beaucoup, elles ne furent point heureuses. Il eut le chagrin, faute d'être secouru par d'habiles artistes, de ne point jouir de sa découverte, & voir avec ce nouveau télescope. Il étoit réservé à Newton d'en prouver la possibilité par des essais heureux, & d'en montrer incontestablement les avantages par ses découvertes. Car, comme elles lui apprirent que les différens rayons dont un seul rayon est composé, ne sont pas également réfrangibles ; il en conclut qu'il étoit impossible quelque forme qu'eût une lentille, soit sphérique, soit hyperbolique, qu'elle pût réunir tous les rayons dans un même point, & par conséquent qu'il n'y eût de l'iris. Il trouva, comme on le voit dans son optique, que les plus grandes erreurs dans la réunion des rayons au foyer, qui viennent de la figure sphérique d'une lentille, sont à celles qui naissent de l'inégale réfrangibilité de différens rayons, comme 1 à 1200 : il résultoit de - là que toutes les peines que l'on s'étoit données pour avoir des verres hyperboliques, étoient inutiles ; puisque l'erreur qui naissoit de la sphéricité des lentilles étoit peu sensible par rapport à l'autre, & que l'inégale réfrangibilité des rayons limitoit entierement la perfection des télescopes dioptriques. Mais ces difficultés ne devoient point avoir lieu, lorsque ces objets seroient vus par réflexion, la lumiere dans ce cas ne se décomposant point ; Newton devoit donc être conduit en conséquence à imaginer une maniere de les voir de cette façon, ou en d'autres termes, à inventer le télescope de réflexion, & c'est ce qu'il fit. Il fit plus, comme nous l'avons dit, il en construisit un d'un peu plus de six pouces de long, avec lequel il pouvoit lire de plus loin qu'avec une bonne lunette d'approche ordinaire avec un oculaire concave, & qui avoit quatre piés de long. Il avoit seulement le défaut de représenter les objets d'une maniere un peu obscure, ce qu'il attribue à ce qu'il grossissoit un peu trop, & à ce que plus de rayons se perdoient en se réfléchissant de dessus le miroir, qu'en passant à-travers ce verre. Plus bas, il nous dit que cette invention n'attendoit que la main d'un habile artiste, pour être portée à sa perfection. Par cet exposé, il paroît presque hors de doute que Newton imagina le télescope de réflexion, comme l'avoit fait avant lui le P. Mersenne, & après ce pere, Gregorie & Cassegrain. Ce qu'il y a de certain, c'est que s'il ne fut pas le premier qui en ait eu l'idée, on ne lui en doit pas moins cet instrument, par la maniere dont il en établit & en prouva les avantages, & par les soins qu'il se donna pour l'exécuter. Cependant, malgré ce qu'on en pouvoit espérer, il se passa un long-tems, sans que personne tentât d'en faire. Ce ne fut qu'en 1719 que M. Hadley, de la société royale de Londres, parvint à en faire deux de 5 piés 3 p. d'Angleterre, qui réussirent si bien, qu'avec un de ces télescopes il voyoit les satellites de Jupiter & de Saturne aussi distinctement qu'avec un de ces télescopes ordinaires de 123 piés. M. Hadley ayant communiqué depuis à M. Bradley, astronome du roi & à M. Molineux, ses lumieres sur l'exécution de cet instrument, ces Messieurs s'associerent pour tâcher d'en faire de 26 pouces de long : leur but principal dans cette entreprise étoit de si bien perfectionner l'art des télescopes, que les plus habiles artistes de Londres pussent en faire à un prix raisonnable, & sans s'exposer à se ruiner par des essais infructueux. Ce noble dessein, qu'on ne peut trop louer, fera éternellement honneur à ses auteurs : & il seroit bien à souhaiter pour le progrès des arts, qu'il trouvât un plus grand nombre de généreux imitateurs. Ces Messieurs ayant réussi, communiquerent en conséquence à M. Scuslet, habile opticien, & à M. Héarne, ingénieur pour les instrumens de Mathématique, tout ce qu'ils savoient sur cette matiere. Depuis ce tems-là ces télescopes sont devenus communs de plus en plus : on en a fait non seulement en Angleterre, mais encore en Hollande, en France, &c.

MM. Paris & Gonichon associés, & M. Passemant méritent ici une place & nos éloges, pour avoir eu le courage de tenter de faire de ces télescopes, & y avoir réussi sans aucun des secours qu'avoient eu les opticiens anglois. Les premiers télescopes de MM. Paris & Gonichon furent faits vers l'année 1733 ; ceux de M. Passemant un an ou deux après. Depuis, ces célebres artistes n'ont cessé de perfectionner cet instrument, & il auroit été à souhaiter qu'on les eût encouragés davantage, pour qu'ils eussent pu porter cette partie de l'optique aussi loin que les Anglois.

Avant de terminer cette histoire des télescopes de réflexion, nous ne pouvons nous empêcher de faire remarquer qu'il se passa près de 60 ans, en ne datant que depuis Gregorie, avant qu'on parvint à faire de ces télescopes avec quelque succès, pendant qu'à peine connoît-on un intervalle entre le tems de l'invention du télescope dioptrique, & son exécution. La raison en est simple : on savoit déja polir les verres, & leur donner la forme convexe ou concave ; tout étoit ainsi préparé pour leur réussite : mais il n'en étoit pas de même des autres. L'art de polir des miroirs, & de leur donner la forme qu'on desiroit, n'étoit pas encore connue. Gregorie, comme on l'a vu, y échoua, & malgré les espérances de Newton, ce ne fut que longtems après la publication de son optique, que MM. Hadley, Bradley & Molineux parvinrent à faire de ces télescopes : tant il est vrai que la pratique, si souvent méprisée par les savans, vains de leurs spéculations, est importante ; & que faute d'être assez cultivée, nombre d'inventions heureuses restent long-tems inutiles, ou même sont quelquefois perdues.

Pour procéder avec plus d'ordre, nous commencerons par donner la description du télescope de Gregorie qui est aujourd'hui le plus en usage, & la théorie de ses effets. Nous dirons ensuite en quoi en différe celui de Cassegrain, & enfin celui de Newton : nous parlerons des avantages respectifs des uns & des autres, & de leurs inconvéniens : nous ferons voir particulierement en quoi celle de Newton l'emporte sur les deux autres. Nous ajouterons quelque chose sur la composition des miroirs & sur la maniere de les polir. Enfin nous ferons tout notre possible pour dire tout ce qui est nécessaire sur ce télescope, sans cependant entrer dans un détail trop étendu & qui nous meneroit non à faire un article, mais un livre.

Construction du télescope de Gregorie. Cet instrument est composé d'un tube f g B A A, & d'un plus petit tube I B K A m o ; dans le fond du grand tube en F F est un grand miroir concave percé à son centre d'une ouverture d'un 1/2 pouce de diametre, ou aux environs. En f est un autre miroir concave a c b d'un 1/2 p. de diametre, dont la concavité fait partie d'une plus petite sphere que le grand miroir, & qui est placé de façon que son foyer t se trouve un peu au-delà du point T, foyer de grand miroir : en K m est placée une lentille ou un oculaire i.

Theorie de ce télescope. La construction précédente bien entendue, on conçoit facilement que les rayons partant d'un objet éloigné P peuvent être regardés comme paralleles, ainsi tombant sur ce grand miroir en F F, ils seront réfléchis & réunis à son foyer en T, où ils formeront l'image de l'objet, mais divergens de ce point, ils tomberont sur le petit miroir a c b, d'où ils seront encore réflechis ; & comme par sa position & sa courbure, il doit réunir ces rayons au point q, ces rayons divergens une seconde fois, entreront dans l'oculaire l. Or par la construction le point q étant le foyer de l'oculaire, ils en sortiront nécessairement paralleles. Et, comme nous l'avons dit plus haut, tous les objets vus par des rayons paralleles, étant vus distinctement, l'on verra de même l'objet P qui est fort éloigné du télescope. Pour savoir maintenant dans quel rapport l'objet est grossi ; on fera attention à ceci, que la grandeur apparente d'un objet est toujours comme l'image qui s'en forme dans l'oeil, & que cette image est toujours proportionnelle à l'angle sous lequel on voit l'objet ; il n'est donc question que de trouver le rapport de l'angle p l q, ou R o l, à l'angle S E T, angle sous lequel on le verroit, si l'oeil étoit placé en E. Or on sait, par les loix de la catoptrique (Voyez MIROIR CONCAVE, &c.), que l'image d'un objet qui se forme au foyer d'un miroir concave est toujours déterminée par un rayon P E S, que l'on suppose venir de l'extrêmité de l'objet, & passer par le centre E. La grandeur de l'image de l'objet P au foyer du miroir A A B sera donc S T ; mais de même la grandeur de cette image après la seconde réflexion en a b sera déterminée par un rayon S e p, passant par e centre du petit miroir a b, elle sera donc e égale à p q, p l q, ou son égal R o l, sera donc l'angle sous lequel on verra l'image, au-travers de l'oculaire o. On sait de plus que de petits angles qui ont même sinus, peuvent être regardés comme étant en raison inverse de leurs côtés. L'angle T e S sera donc à l'angle T E S comme T E à T e ; mais les angles T e S & p e q étant opposés au sommet sont égaux, l'angle p e q sera donc à l'angle T E S, comme T E à T e ; l'angle p q l est à l'angle p e q, comme e q, q l, on aura donc ces deux analogies ; l'angle T e s ; l'angle T E S : : T E ; T e : l'angle p q l ; l'angle T e s : : e q, q l. Or en les multipliant, il viendra que L p x q l. L T x E S : : T E x e q : T e x q l, donc l'objet vu à travers le télescope sera grossi dans la raison de (T E x e q.)/(T e x q l) mais par les principes de la catoptrique. Voyez FOYER, MIROIR, CONCAVE, &c. on n'a que t T. t c : : t c. t q, & en divisant, & en renversant que t e, t T ou T e : t T : : t q, t e ou e q : t e, c'est - à - dire, en permutant que T e : e q : : t T : t e : : t e : t q ; donc en substituant à la place d'e q, & de T e leurs proportionnels t q, t e ; on aura que l'objet sera grossi dans la raison de (T E x t q)/(t e x q l) ou dans la raison composée de la distance du foyer du grand miroir, à celle du foyer du petit, & de la distance du foyer du petit miroir au-lieu de l'image après la seconde réflexion, à la longueur du foyer de l'oculaire, comme il y a deux réflexions ; on voit que l'objet qui doit être vû dans sa situation naturelle : car si après la premiere il est renversé, il l'est encore de nouveau après la seconde ; & par conséquent l'image se trouve dans la même situation que l'objet. Telle est en général la théorie de ce télescope.

Télescope de Cassegrain. Le télescope proposé par M. Cassegrain, ne differe de celui de Gregorie que nous venons de décrire, que par la forme du petit miroir, qui est convexe dans ce télescope, au lieu d'être concave ; c'est pourquoi nous n'entrerons dans aucun détail sur sa théorie. Nous dirons seulement qu'il résulte de cette forme deux choses ; 1°. qu'on peut le faire plus court que celui de Gregorie ; 2°. qu'au lieu de représenter comme celui-ci, les objets dans leur situation naturelle, il les renverse. On concevra facilement le premier point, si l'on fait attention que le petit miroir étant convexe, il ne peut faire tomber les rayons qu'il réfléchit, sur l'oculaire, sous le même angle, que le petit miroir concave de la même sphéricité, & auquel on le suppose substitué, qu'autant qu'il est placé plus près du grand miroir, d'un espace égal au double de la distance de leur foyer. Car en décrivant le télescope de Gregorie, nous avons dit, que le petit miroir devoit être placé de façon que son foyer fût un peu au-delà de celui du grand miroir, afin que les rayons après la réflexion fussent convergens vers le foyer de l'oculaire. Le petit miroir convexe dans le télescope de Cassegrain, doit donc être placé en-deçà du foyer du grand miroir, d'une quantité telle que son foyer virtuel tombe au même point où se seroit trouvé celui du petit miroir concave. En effet, en y réfléchissant, on verra par-là que les rayons, après la réflexion de dessus ce petit miroir, convergeront vers le même point, que s'ils avoient été réfléchis de dessus le petit miroir concave. Il suit de-là, comme on voit, qu'on peut faire ce télescope plus court que celui de Gregorie, de deux fois la distance du foyer du petit miroir. En second lieu, nous avons dit, qu'il renversoit les objets, c'est ce qui ne sera pas plus difficile à comprendre ; car après la seconde réflexion sur le petit miroir convexe, les parties de l'image se trouveront encore du même côté de l'axe du télescope, qu'elles se seroient trouvées au foyer du grand miroir, c'est-à-dire que celles qui se seroient trouvées à droite, seront de même à droite, après cette réflexion. Parce que pour peu qu'on y réfléchisse, on verra que les rayons ne se croisent pour arriver à leur foyer, que comme ils auroient fait pour arriver au foyer du grand miroir. Or, comme nous l'avons dit, en parlant du télescope de Grégorie, l'image de l'objet est renversée à ce foyer, elle le sera donc encore après la seconde réflexion, & ainsi en entrant dans l'oeil, après avoir traversé l'oculaire. Comme ce télescope peut être plus court que celui de Gregorie, de deux fois la distance du foyer du petit miroir, & qu'il grossit un peu plus ; il s'ensuit qu'on peut l'employer avec avantage dans l'astronomie, où comme nous l'avons déja dit, il est indifférent que les objets soient renversés, par exemple, dans la chaise marine de M. Grurin, où il importe que l'instrument soit le plus court possible. Au reste, cette construction paroît jusqu'ici avoir été assez négligée, malgré les avantages dont nous venons de parler. On lui a préféré celle de Gregorie & celle de Newton, quoique pour l'astronomie, ce télescope paroît avoir l'avantage sur celui de ce grand homme, par la plus grande facilité que l'on a de trouver les objets. En effet, dans le sien, comme on le verra dans un moment, on est obligé de fixer sur le tube une lunette, dont l'axe est parallele à celui du télescope, pour le diriger avec plus de facilité vers l'objet qu'on veut observer.

La seule chose qu'on pourroit objecter en faveur de ce dernier, c'est qu'il est plus commode pour observer les astres très-près du zénith.

Télescope de Newton ou newtonien. Le télescope de Newton, differe de celui de Gregorie & de Cassegrain, en ce que le grand miroir concave n'est point percé, que le petit miroir n'est ni convexe, ni concave ; mais simplement plan, elliptique, & incliné à l'axe du télescope de 45 deg. enfin, que l'oculaire convexe est placé sur le côté du télescope dans la perpendiculaire à cet axe, tirée du centre du petit miroir. Ainsi dans ce télescope, le grand miroir réfléchit les rayons qui viennent de l'objet, sur le petit, qui les réfléchit à son tour sur l'oculaire, d'où ils sortent paralleles. Pour cet effet, le petit miroir est placé en-deçà du foyer du grand, d'un espace tel qu'il est égal à la distance du centre de ce petit miroir au foyer de l'oculaire. De façon, que les rayons après avoir été réfléchis sur ce miroir, allant se réunir en un point entre lui & l'oculaire, ce point est le foyer de ce dernier. Cela suffira pour entendre la théorie de ce télescope, en se rappellant ce que nous venons de dire sur celle du télescope de Gregorie, &c. Voyez la figure.

Par cette construction, on comprendra facilement que dans ce télescope, on doit voir les objets renversés. En effet, comme nous l'avons déja dit, l'image de l'objet est renversée au foyer du grand miroir, & comme sa position ne change point, par la réflexion sur le petit, les parties de cette image qui étoient en-haut, restant encore en-haut ; de même celles qui étoient en-bas restent encore en-bas. Il s'ensuit que l'oeil doit voir cette image dans la même situation qu'avant cette réflexion, & ainsi voir les objets renversés ; un oculaire convexe, comme nous l'avons dit plusieurs fois, ne changeant rien à la situation de l'image peinte à son foyer.

Par la position de l'oeil dans ce télescope, il est assez difficile de le diriger vers un objet ; c'est pourquoi pour y parvenir avec plus de facilité, on place dessus une petite lunette dioptrique, dont l'axe est parallele à celui du télescope. Les anglois l'appellent un trouveur, nous pourrions l'appeller en françois un directeur. Cependant malgré ce secours, on a encore quelquefois de la peine à diriger cet instrument. Sans cet inconvénient, ce télescope seroit préférable, à plusieurs égards, aux deux autres ; car le grand miroir n'étant point percé, & le petit miroir étant placé dans une position oblique ; il s'ensuit, qu'il y a bien moins des rayons du centre perdus, & l'on sait, qu'ils sont les plus précieux, parce qu'ils sont les seuls qui se réunissent véritablement en un point, c'est-à-dire au quart du diametre. Aussi Newton prétendoit-il que son télescope étoit fort supérieur à celui de Grégorie, & qu'avec celui - ci on devoit voir les objets fort imparfaitement. En effet, la théorie sembloit l'annoncer ainsi ; cependant l'expérience a montré, que lorsqu'il est bien exécuté, il représente les objets avec beaucoup de netteté, & aussi-bien que celui de Newton : une partie des inconvéniens qu'une rigueur géométrique y faisoit voir dans la théorie, disparoissant dans la pratique. Au reste, comme toutes les fois qu'un objectif est plus parfait, qu'il réunit plus de rayons, & qu'il les réunit d'une maniere plus exacte, l'oculaire peut être d'un foyer plus court, d'où il résulte que l'instrument aura plus de puissance pour grossir les objets ; de même, dis-je, dans le télescope de Newton, le miroir concave réunissant plus de rayons, & d'une maniere plus précise, l'oculaire peut être d'un foyer plus court ; d'où, comme nous venons de le dire, ce télescope pourra grossir davantage. Au reste, ces télescopes étant de différentes longueurs, leur puissance de grossir sera comme leur champ, ou comme les diametres des miroirs, diametres qui doivent être entr'eux comme les cubes des racines quarrées des longueurs respectives des télescopes. Lorsque le grand miroir d'un télescope Newtonien est aussi parfait qu'il est possible, le rapport dans lequel il grossit les objets, est à celui dans lequel il grossiroit dans celui de Cassegrain, toutes choses étant d'ailleurs égales, dans le rapport de 6 à 5.

Lorsque nous avons parlé du télescope de Gregorie, nous avons simplement exposé sa construction & la théorie de ses effets, afin de commencer par en donner une idée générale ; il faut maintenant entrer dans un détail plus particulier.

Nous avons supposé qu'il n'avoit qu'un oculaire convexe ; dans la pratique on lui en donne toujours deux actuellement pour augmenter un peu son champ. Voici sur quoi cela est fondé, & comment on détermine les foyers de ces oculaires, supposant que l'x soit la distance focale (il faut nous permettre ce mot) du simple oculaire l k ; si on prend vers les miroirs l m = 2 l x, & l n = 1/3 l m, & qu'au lieu de l'oculaire l k, on en substitue deux autres en m & en n, dont les foyers soient respectivement comme l m & l n ; le télescope grossira autant qu'auparavant, & son champ sera plus net & plus exempt d'iris vers les bords ; c'est pourquoi on pourra même l'augmenter un peu, s'il étoit auparavant suffisamment distinct. Car ayant partagé m n en deux également au point q ; on aura par la construction q n = n l, & ayant fait m f = m l, on aura x f est à x m & x m à x q, comme 3 à 1. Ainsi les rayons du pinceau principal, qui par la réflexion, auroient convergés vers x, seront maintenant réfrangés au travers de l'oculaire m, en q, & traversant ensuite l'oculaire n sortiront parallelement. Il suit de-là, que par le moyen de l'oculaire m, l'image x sera réduite à l'image p q, terminée en p, par la ligne m : tirant donc la ligne m n, on aura les deux triangles isoceles & semblables m p n, m l ; d'où il suit que l'oeil dans un point quelconque o, verra l'objet sous un angle p n q, ou l x, c'est-à-dire de la même grandeur, qu'avec le simple oculaire l. Maintenant, pour prouver que si l'on partage la ligne l n, en deux également au point o, l'oeil placé dans ce point verra le plus grand champ possible, supposant qu'a g soit le rayon d'un pinceau oblique, qui tombe sur l'oculaire m, dans une ligne parallele à son axe ; après la réfraction, il tendra vers l, foyer principal de cet oculaire, jusqu'à ce que rencontrant l'autre oculaire n, il en sortira dans la ligne h o, parallele à p n, & partagera en deux également la ligne n l au point o. Et puisque tous les rayons de ce pinceau sortiront paralleles à h o, & extrêmement près de cette ligne ; nous pourrons en conséquence prendre ce point o pour la place de l'oeil.

Supposons maintenant que les oculaires m, n, soient ôtés, le rayon parallele a g tombera sur l'oculaire simple K l en K, & sera réfrangé dans la ligne K l, parallele à l , à laquelle tous les autres rayons de ce pinceau sont aussi paralleles. Mais la vision d'un objet, produite par les mêmes rayons, est plus distincte lorsque l'oeil est placé en O, que lorsqu'il est placé en i, parce que plus la distance focale d'un oculaire a un grand rapport avec son diametre, plus cette vision se fait distinctement. Or les rapports des distances focales aux ouvertures respectives des oculaires m, n, c'est-à-dire de l m à m g & de l n à n h, sont chacun en particulier dans la raison double du rapport de la distance focale de l'oculaire l à son ouverture ou à son champ, c'est-à-dire de celle de L i ou l x à l K ; donc, comme nous venons de le dire, ils procureront une vision plus distincte.

On augmentera encore la netteté, en faisant les oculaires m, n plans convexes, & en tournant leur côté plan vers l'oeil, de façon que leur seconde réfraction des rayons dans l'air, qui contribue beaucoup plus à la production des iris, que leur premiere, sera moindre qu'elle n'auroit été en les tournant dans le sens contraire.

La grandeur du grand miroir étant donnée, il est important de déterminer celle du petit. Pour cet effet.

Soit T le foyer, & T C la distance focale du grand miroir, A B, B A, C A la moitié de son diametre, C B le demi-diametre de son trou, au-travers duquel la derniere image x de l'objet éloigné, P Q est réfléchie par le petit miroir a c a. Si l'on suppose que les rayons Q A, Q A, les plus éloignés de l'axe & qui lui sont paralleles, passent après la premiere réflexion par le foyer T, & aillent tomber sur le petit miroir en a, a, la surface, donc la largeur sera a c a, sera suffisante pour recevoir tous les principaux rayons & les réfléchir en x, centre de la derniere image. Et si le petit miroir est moins grand que a a, quelques rayons, après la premiere réflexion, passeroient au-delà & seroient perdus ; & s'il est plus large que a a, il interceptera une plus grande quantité de rayons qui seront aussi perdus.

Quant au diametre du trou B B du grand miroir, s'il est plus grand que a a, quelques-uns des rayons les plus intérieurs y entreroient & seroient perdus ; & s'il est moindre que a a, dont l'ombre est plutôt plus grande que lui, il n'en tombera pas davantage de rayons sur le miroir, que s'il étoit aussi grand. C'est pourquoi le point x, auquel ces rayons sont réfléchis, sera aussi éclairé qu'il est possible, lorsque la largeur a a sera suffisante pour recevoir le pinceau de rayons principal, & que B B ne sera pas plus grand que a a. Supposant que le trou dans le grand miroir reste de la grandeur que nous venons de déterminer ; si l'on augmente le petit miroir d'une petite zone, dont la largeur soit à la largeur de la moitié de la premiere image, comme la distance entre les deux miroirs est à la distance focale du plus grand, la derniere image sera alors éclairée d'une maniere uniforme, mais un peu moins vivement que son centre ne l'étoit auparavant, par la perte d'autant de lumieres que cette zone en intercepte. Car ayant tiré les lignes A S, A S, l'arc a c a coupera l'une en b ; & s'il est prolongé, touchera l'autre en d, & alors les rayons tombant du point P sur l'arc A A, & appartenant à S, après leur premiere réflexion seront tous reçus sur l'arc b c d, & en seront réfléchis en x ; & en tournant cet arc c, a, d, autour de l'axe c T, le petit miroir a c a sera augmenté d'une zone de la largeur a d, & recevra tous les rayons, partant d'un objet circulaire décrit par P Q, tourné sur le même axe Q C. Or par les figures semblables A a d, A T S, on aura a d. T S : : (A a : A T : :) C c. C T. Donc, &c.

Il résulte de ce qui vient d'être dit, que l'image de l'objet sera plus vive lorsque le diametre du petit miroir sera de la grandeur déterminée par la regle précédente, & qu'elle sera d'une lumiere plus uniforme, mais moins vive, quand on augmentera ce petit miroir dans la proportion que nous venons de donner. M. Short, célebre opticien de Londres, & qui paroît jusqu'ici l'avoir emporté sur tous les artistes qui ont fait des télescopes de réflexion, préfere de donner au petit miroir un peu plus de largeur qu'à l'ouverture du grand, & cela dans la raison de 6 à 5.

Nous avons supposé que le diametre du grand miroir étoit donné, cependant c'est une des parties du télescope qui doit être déterminée avec non moins d'attention que les autres ; car s'il est trop grand pour la distance de son foyer, l'image sera confuse, les rayons qui la composeront n'étant pas assez parfaitement réunis ; s'il est trop petit, l'image ne sera pas assez éclairée, & il n'embrassera pas un assez grand champ. Newton prescrit néanmoins de le faire un peu plus grand que les proportions des autres parties ne le comportent, voulant que le champ du télescope soit limité d'une autre maniere, c'est-à-dire par une petite plaque percée & située près de l'oculaire. Et comme la détermination de l'ouverture de cette plaque, pour qu'en écartant tous les rayons qui pourroient troubler ou altérer la netteté de l'image, elle ne diminue cependant point trop le champ du télescope, n'est pas moins importante que celle de la grandeur de ce miroir, & qu'il y a encore plusieurs parties qui méritent également d'être déterminées ; nous croyons ne pouvoir mieux faire que de donner ici la table calculée par le docteur Smith, pour les dimensions des diverses parties de télescopes de différentes longueurs, depuis 5 pouces jusqu'à 5 piés. Voyez son Optique. Elle est calculée sur les mesures d'Angleterre, dont le pié & par conséquent le pouce est au nôtre comme 107 est à 114.

Table des dimensions de quelques télescopes de la forme de ceux de Grégorie, & des rapports dans lesquels ils grossissent.

La table que nous venons de donner n'a été calculée, comme on peut le voir, que pour un oculaire, afin de simplifier le calcul. Mais comme on en emploie toujours deux actuellement, voici une autre petite table qui enseignera la distance de leurs foyers respectifs, celle où ils doivent être l'un de l'autre, l'ouverture du modérateur de la lumiere, &c. elle se rapporte à la figure avec laquelle on a expliqué la substitution des deux oculaires à un seul.

Table des dimensions & des positions des deux oculaires.

Ces tables ont été calculées d'après un excellent télescope de M. Short de 9 pouces de foyer, dont voici les dimensions.

D'après ce que nous avons dit sur la maniere de déterminer les parties principales du télescope, & d'après ces tables, on pourra facilement en construire un : nous pourrions ajouter ici la maniere de calculer les dimensions de toutes les parties d'un télescope, ou de résoudre ce probleme ; la longueur d'un télescope étant donnée, déterminer les proportion de toutes ses parties, pour qu'ayant le degré de distinction & de netteté requis, il y grossisse dans le plus grand rapport possible, en conservant cette netteté ; mais ce problème nous jetteroit dans trop de détail, & dans une analyse trop étendue : nous en dirons de même de plusieurs choses que nous pourrions ajouter sur la théorie de ce télescope ; de plus, la pratique a tant d'influence dans la perfection de cet instrument, que si les miroirs ne sont pas d'une forme très-réguliere, si le poli n'en est pas dans la plus grande perfection, quand même on auroit observé avec la plus grande précision toutes les proportions requises dans sa construction, il ne feroit qu'un effet médiocre. Messieurs Bradley & Molineux, dont nous avons parlé, quoique parfaitement instruits de ces proportions, & éclairés des lumieres que M. Hadley avoit acquises sur la fabrication de cet instrument, & leur avoit communiquées, firent, avant de réussir, nombre d'essais infructueux. En effet, lorsque ces miroirs ne sont pas d'un métal assez compact, assez dur pour prendre le plus beau poli, & refléchir la plus grande quantité de rayons possibles, lorsqu'ils ne sont pas de la forme la plus exacte, ils rendent les images des objets d'une maniere tout-à-la-fois confuse & obscure. On sait que les irrégularités dans la forme des miroirs, produisent des erreurs six fois plus grandes que celles que produiroient les mêmes irrégularités dans un objectif. Cette difficulté d'avoir des miroirs de métal, qui n'absorbassent pas beaucoup de rayons, a fait conseiller à Newton, dans son optique, de faire les miroirs de télescope de verre ; il tenta même de faire un télescope de quatre piés, avec un miroir de cette espece ; mais, comme il nous l'apprend, quoique ce miroir parût d'une forme très-réguliere & bien poli, aussi-tôt qu'on l'eut mis au teint, on y découvrit un grand nombre d'irrégularités, & enfin il ne réfléchissoit les objets que d'une maniere fort obscure & fort confuse. Cependant M. Short, dont nous venons de parler, a été depuis plus heureux ; il a fait plusieurs télescopes avec ces miroirs, qui ont fort bien réussi, & un entr'autres de quinze pouces de foyer, avec lequel on lisoit (les Transac. philos.) à deux cent trente piés ; mais l'extrême difficulté de faire ces miroirs, par la peine qu'on a à rendre les deux surfaces convexes & concaves, bien paralleles l'une à l'autre, les a fait abandonner : on n'en fait presque plus aujourd'hui que de métal ; ce seroit peut-être ici le lieu d'exposer les moyens nécessaires pour les bien former & les bien polir ; cependant, comme le dit Newton, c'est un art que la pratique peut beaucoup mieux enseigner, que les préceptes : au reste on trouvera à l'article MIROIR, ce qu'il est nécessaire de savoir pour faire ces miroirs. Quant à leur composition, il y en a un si grand nombre, qu'il seroit difficile de déterminer quelle est la meilleure. M. Hadley, dont nous avons déja parlé, rapporte qu'il en a essayé plus de cent cinquante, & qu'il n'en a trouvé aucune qui fût exempte de toutes especes de défauts. En voici une cependant qu'il regarde comme excellente, & comme la meilleure ; le seul défaut qu'elle a est d'être couteuse.

Prenez du cuivre rouge, de l'argent, du régule d'antimoine, de l'étain, de l'arsenic ; faites fondre, & coulez le tout dans des moules de laiton fort chauds. Voici une autre composition que M. Passemant a bien voulu nous communiquer, & qu'il nous a dit réussir très-bien. Un miroir de cette composition ayant été exposé aux injures de l'air pendant plusieurs années, n'en fut ni alteré ni terni.

Prenez vingt onces de cuivre, neuf onces d'étain de mélac, le tout étant en fusion un quart d'heure, après l'avoir remué deux ou trois fois avec une barre de fer, versez-y sept gros de bon antimoine crud, remuez le tout, & le laissez en fusion pendant quinze ou vingt minutes, en prenant garde aux vapeurs qui s'en élevent. On voit ici la liaison des sciences, les unes avec les autres : car ce seroit un beau présent que la chymie feroit à l'optique, si elle lui fournissoit un métal compact, dur, peu susceptible des impressions de l'air, & capable de recevoir le plus beau poli, & de réfléchir le plus grand nombre de rayons. Cette circonstance de réfléchir le plus grand nombre de rayons est si importante, & mérite tant d'attention, que dans les télescopes de réflexion, les objets ne paroissent jamais éclairés d'une maniere aussi vive que dans les télescopes de réfraction, ou dioptrique, parce que dans ces derniers il y a moins de lumiere de perdue par son passage à-travers plusieurs verres, qu'il n'y en a dans les premiers, par l'imperfection de la réflexion. Cet effet est tel que dans un télescope de réflexion, construit pour grossir autant qu'un télescope de réfraction, l'image paroît toujours moins grande que dans celui-ci. Cette différence d'apparence de grandeur des deux images, dans ces deux différens télescopes, a surpris M. Molineux & plusieurs autres ; cependant cet effet n'a rien d'extraordinaire, il est facile à expliquer ; il résulte de cette vérité expérimentale d'optique, que les corps qui sont plus éclairés que les autres, quoique vus sous le même angle, paroissent toujours plus grands. On peut voir dans la Planche d'optique des figures, les différens télescopes dont nous venons de parler.

En exposant les raisons qui ont déterminé Newton à l'invention du télescope de réflexion, nous avons dit que c'étoit particulierement la décomposition que les rayons éprouvoient dans les télescopes dioptriques, en passant à-travers l'objectif, ou les oculaires, & qu'il regardoit cette décomposition comme un obstacle insurmontable à la perfection de ces instrumens. Cependant en 1747. M. Euler imagina de former des objectifs de deux matieres différemment refringentes, espérant que par l'inégalité de leur vertu refractive, ils pourroient composer mutuellement leurs effets, c'est-à-dire que l'un serviroit à rassembler les rayons désunis, ou séparés par l'autre. Il forma en conséquence des objectifs de deux lentilles de verre, qui renfermoient de l'eau entr'elles ; ayant formé une hypothèse sur la proportion des qualités réfractives de ces deux matieres, relativement aux différentes couleurs, il parvint à des formules générales pour les dimensions des télescopes, dans tous les cas proposés. M. Dollond, dont nous avons déja parlé, entreprit de tirer parti de cette nouvelle théorie de M. Euler ; mais ne s'en tenant point aux dimensions mêmes des objectifs qu'il avoit données, parce qu'elles étoient fondées sur des loix de réfraction purement hypothétiques, il leur substitua celles de Newton ; mais les ayant introduites dans les formules de M. Euler, il en tira un résultat facheux pour sa théorie ; c'est que la réunion désirée des foyers de toutes les couleurs, ne pouvoit se faire qu'en supposant au télescope une longueur infinie ; cette objection étoit sans replique, à moins que les loix de réfraction données par Newton, ne fussent pas exactes. Autorisées d'un si grand nom, M. Euler n'osa pas les révoquer en doute ; il prétendit seulement qu'elles ne s'opposoient à son hypothèse que de quantités trop petites pour renverser une loi qui, suivant lui, étoit fondée sur la nature de la chose. Il paroissoit d'ailleurs d'autant moins ébranlé par l'expérience de Newton, que l'on rapportoit, & par le résultat qu'on en tiroit, que l'un & l'autre n'alloient pas moins qu'à détruire toute possibilité de remédier à la décomposition des rayons par un milieu, en les faisant passer ensuite par un autre : cependant la vérité de cette correction des effets d'un milieu sur les rayons, par un autre milieu, lui paroissoit d'autant plus nécessaire, qu'elle étoit prouvée par le fait ; l'oeil étant composé d'humeurs différemment refringentes, disposées ainsi par l'auteur de la nature, pour employer les inégalités de leurs vertus réfractives à se compenser mutuellement.

Quelques physiciens anglois peu contens de voir que M. Dollond n'opposoit jamais aux raisonnemens métaphysiques de M. Euler, que le nom de Newton & ses expériences, engagerent M. Clairaut à lire avec soin le mémoire de ce savant géomêtre, sur-tout la partie de ce mémoire où le sujet de la contestation étoit portée à des calculs trop compliqués, pour qu'il fût permis à tout le monde d'en juger. Par l'examen qu'il en fit, il parvint à une équation qui lui montra que la loi de M. Euler ne pouvoit point avoir lieu, & qu'ainsi il falloit rejetter les rapports de réfraction qu'il en avoit conclus, généralement pour tous les rayons colorés. Cependant en 1755. M. Klingstierna, professeur en l'université d'Upsal, fit remettre à M. Dollond, un écrit où il attaquoit l'expérience de Newton, par la métaphysique & par la géométrie, & d'une telle maniere, qu'elle força M. Dollond de douter de l'expérience qu'il avoit si long-tems opposée à M. Euler. Les raisonnemens de M. Klingstierna firent plus, ils obligerent M. Dollond à changer de sentiment ; & ayant en conséquence recommencé les expériences en question, il les trouva fausses, & ne douta plus de la possibilité de parvenir au but que M. Euler s'étoit proposé ; la proposition expérimentale de Newton, qui persuada pendant tant de tems à M. Dollond, que ce que proposoit M. Euler étoit impraticable, se trouve à la page 145 de son optique, édition françoise in -4°. Newton s'y exprime dans les termes suivans : " Toutes les fois que les rayons de lumiere traversent deux milieux de densité différente, de maniere que la réfraction de l'un détruise celle de l'autre, & que par conséquent les rayons émergens soient paralleles aux incidens, la lumiere sort toujours blanche " ; ce qui est vraiment remarquable, & qui montre qu'on ne doit jamais s'en laisser imposer par l'autorité des grands hommes, c'est que la fausseté de cette expérience que Newton cite, est très-facile à reconnoître, & qu'il est étonnant que lui, qui avoit à un si haut degré le talent de faire des expériences, se soit trompé : car lorsque la lumiere sort blanche, ce n'est point lorsque les rayons émergens sont paralleles aux rayons incidens. En effet, par l'expérience que M. Dollond en fit, il trouva que dans un prisme d'eau renfermé entre deux plaques de verre, le tranchant tourné en en-bas, auquel on joint un prisme de verre dont le tranchant est tourné en en-haut ; lorsque les objets vus à - travers ces prismes paroissent à la même hauteur que si on les voyoit à la vue simple, ils sont alors teints des couleurs de l'iris ; pendant que lorsque par la position des prismes, on fait cesser ces iris, on ne voit plus ces objets dans le même lieu. Convaincu par-là de la possibilité du projet de M. Euler, il entreprit de le remplir lui-même : cependant, sans entrer dans le détail de toutes ses tentatives, il nous suffira de dire que celles qu'il fit avec des objectifs composés de verre & d'eau, n'eurent aucun succès ; mais qu'il réussit, lorsqu'ayant remarqué que différentes especes de verre ayant des vertus réfractives différentes, il conçut qu'en les combinant ensemble, on pourroit en obtenir des objectifs composés, qui ne décomposeroient pas la lumiere, il s'assura de la vérité de cette conjecture, & de son succès, en construisant des prismes de deux sortes de verres, & en changeant leurs angles jusqu'à ce qu'il en eut deux prismes qui, appliqués l'un contre l'autre, en ordre renversé, produisissent comme le prisme composé d'eau & de verre, une réfraction moyenne & sensible, sans cependant décolorer les objets. Enfin pour abréger, il parvint tellement à vaincre les difficultés que la pratique offroit dans l'exécution de cette théorie, qu'il a fait suivant ces principes, des lunettes d'approche extrêmement supérieures à toutes celles qu'on a faites jusqu'ici ; les personnes qui en ont vues, prétendent que celles de cinq piés font autant d'effet que les lunettes ordinaires de quinze.

Comme M. Dollond n'a point indiqué la route qu'il a suivie, pour faire le choix de spheres propres à détruire les abérations, & qu'on ne trouve pas même dans son mémoire de ces sortes de résultats, par lesquels on pourroit parvenir à les découvrir, M. Clairaut a jugé que cet objet étoit digne qu'il s'en occupât. Nous n'entreprendrons point de prévenir ici le public sur ce qu'il a déja fait à ce sujet, & dont il rendit compte par un mémoire à la rentrée publique de l'académie de la S. Martin de l'année derniere (1760) ; nous dirons seulement que pour porter cette théorie des télescopes dioptriques à la plus grande perfection, il se propose de faire toutes les expériences nécessaires, & de mettre les artistes en état, par la simplicité de ses formules, de pouvoir faire ces télescopes avec la plus grande précision. Au reste nous nous sommes crûs obligés d'ajouter ceci (que nous avons tiré du mémoire même de M. Clairaut qu'il a bien voulu nous communiquer), pour ne laisser rien à désirer sur ce qui regarde les télescopes, instruire le public du progrès de l'optique, & sur-tout montrer par cette histoire combien on doit se défier des propositions générales, & n'abandonner les choses que lorsque des expériences réitérées & incontestables en ont démontré l'impossibilité ; enfin qu'il ne faut jamais regarder la vérité que comme le fruit du tems & de la nature, ainsi que le dit Bacon,& qu'il ne faut regarder les décisions des grands hommes comme infaillibles, que lorsqu'elles sont marquées du sceau de la vérité par des démonstrations sans réplique ou des expériences incontestables. Art. de M. LE ROI.


TÉLESCOPIQUEadj. (Astron.) étoiles télescopiques sont des étoiles qui sont invisibles à la vue simple, & qu'on ne peut découvrir que par le secours d'un télescope. Voyez ETOILE.

Toutes les étoiles au-dessous de la sixieme grandeur sont télescopiques pour des yeux ordinaires, & le nombre de ces étoiles télescopiques est fort grand. Chambers.


TELESIou TELESCIA, (Géog. anc.) ville d'Italie qui, suivant Frontin, étoit une colonie romaine établie par les triumvirs. Ptolémée, l. III. c. j. donne cette ville aux Samnites, & la marque entre Tucinum & Beneventum. On la nomme aujourd'hui Telese, bourg ruiné du royaume de Naples, dans la terre de Labour, sur le Voltorno. (D.J.)


TÉLESPHORES. m. (Littérat. & Mytholog.) c'étoit un dieu que les Grecs invoquoient pour la santé, ainsi qu'Esculape & la déesse Hygéia, qui répond à la déesse Salus des Romains. Les figures de ces trois divinités se trouvent ensemble sur un grand nombre de médailles ; sur d'autres, on voit Télesphore accompagner tantôt Esculape, tantôt Hygéia ; enfin il est représenté seul au revers de plusieurs autres médailles ; mais dans toutes, sa figure est la même : c'est celle d'un enfant vêtu d'une sorte de manteau sans manches, qui lui enveloppant les bras, descend audessous des genoux, & auquel tient une espece de capuchon qui lui couvre la tête.

Pausanias, dans la description qu'il fait des principaux monumens qu'il a vus près de Sicyone, parle d'un temple d'Esculape où l'on adoroit la divinité Evamérion, qu'il croyoit être la même que l'Acésius des Epidauriens, & le Télesphore adoré par ceux de Pergame.

M. le Clerc autorisé par la double signification du mot Télesphore, prend la figure de ce dieu qui est sur les médailles, pour celle d'un devin ; M. Spon pour l'emblême de la maladie ; & M. d'Egly pour celui du premier jour de la convalescence. Il ne me paroit pas qu'aucune de ces conjectures soit satisfaisante, parce qu'aucune ne donne la raison de ce qu'on cherche ici ; je veux dire 1°. d'un enfant représenté tantôt seul, tantôt joint à deux autres divinités ; 2°. de la robe singuliere dont cet enfant est vêtu ; & 3°. de l'espece de capuchon qui lui couvre la tête. Mais il est vraisemblable que le culte de Télesphore passa d'Epidaure à Rome avec celui d'Esculape.

On le supposa son fils, & il fut dieu de la convalescence. Le manteau, le capuchon, la petite taille sont les attributs de cette divinité. Les auteurs anciens en ont laissé plusieurs descriptions ; & le P. de Montfaucon a rassemblé bien des choses savantes sur cette divinité, à l'occasion du Télesphore de marbre blanc qui est au cabinet des antiques du roi. (D.J.)


TELETAE(Littér.) , nom qu'on donnoit chez les Grecs & les Romains aux rits solemnels qui se pratiquoient en l'honneur d'Isis. (D.J.)


TELGEN(Géog. mod.) nom de deux villes de Suede, l'une dans la Sudermanie, & l'autre dans l'Uplande ; la premiere est sur la rive méridionale du lac Maler, au sud-ouest de Stockholm. On l'appelle par distinction Soder-Telgen. Long. 35. 58. latit. 59. 16. La seconde, Nord-Telgen, est sur le bord d'un petit lac, à quelque distance de la mer, & à l'orient d'Upsal. Long. 35. 40. latit. 60. 10. (D.J.)


TELICARDIUSTELICARDIUS


TELLA PASHNUM(Hist. nat.) nom donné par les peuples des Indes orientales à une espece d'arsenic blanc qu'on trouve naturellement près des rivieres dans les pentes des montagnes entre des roches, en gros morceaux blancs, de forme irréguliere ; cette espece d'arsenic est bien connu dans le pays pour un terrible poison, & l'on ne s'en sert que pour détruire les bêtes nuisibles ; il jette au feu d'abondantes fumées qui sentent fortement l'ail & le soufre, & en même tems il ne se fond qu'avec peine. (D.J.)


TELLA SAGRUM(Hist. nat.) nom donné par les naturels des Indes orientales à une sorte de bol qu'ils employent intérieurement dans la toux, & extérieurement pour dessecher les ulceres ; ce bol est de la nature de nos plus fines terres absorbantes, & on le trouve au fond de quelques rivieres du pays. (D.J.)


TELLEGIES. f. (Hist. nat.) liqueur que les habitans de l'île de Ceylan tirent d'un arbre qu'ils nomment kétule, & qui ressemble beaucoup au cocotier. Cette liqueur est très-douce, très-agréable & très-saine ; elle n'a aucune force ; il y a des arbres qui en fournissent jusqu'à douze pintes par jour ; on la fait bouillir jusqu'à une certaine consistance, & alors elle fournit une espece de sucre ou de cassonade que les Chingulais nomment jaggori.


TELLENA(Géog. anc.) ville d'Italie, dans le Latium. Strabon & Denys d'Halicarnasse écrivent Tellenae, & ce dernier dit que c'étoit une ville célebre ; Pline, l. III. c. v. la nomme Tellene. (D.J.)


TELLENON LEou TOLLENON, Voyez CORBEAU.


TELLIGT(Géog. mod.) petite ville d'Allemagne, dans le cercle de Westphalie, sur la riviere d'Embs, à une lieue de Munster, avec une riche abbaye. Long. 25. 15. latit. 52. 4. (D.J.)


TELLINou TÉNILLE, s. f. (Conchyliol.) en Normandie flion, & en latin tellina, coquille bivalve de la famille des moules ; elle en est distinguée par les caracteres suivans : sa consistance est plus légere & plus mince que celle des moules ; sa forme est plus allongée sans être pointue ; l'endroit où elle se ferme qui est la charniere, n'est pas exactement dans le milieu ; de plus les ténilles ont la plûpart à l'extrémité de la partie la plus courte, une espece de bec qui s'éleve tant soit peu ; enfin à la différence des moules, elles ont deux muscles qui les attachent à leurs coquilles.

Toutes les tellines peuvent se ranger commodément sous trois classes : 1°. les tellines oblongues & plates dont les côtés sont égaux ; 2°. les tellines oblongues dont les côtés sont inégaux ; 3°. les tellines applaties & tronquées.

Dans la premiere classe, on compte les especes suivantes : 1°. la telline violette ; 2°. la même telline avec quatre zones blanches ; 3°. la telline unie, bariolée de fascies blanches, & couleur de rose ; 4°. la telline chevelue de la Méditerranée ; 5°. la grande telline chevelue de l'Océan ; 6°. la telline du Canada ; 7°. celle des îles Açores ; 8°. la telline du grand banc de Terre - neuve ; 9°. la petite telline du Canada ; 10°. celle de Saint-Savinien : cette derniere se trouve souvent polie dans les cabinets des curieux, & alors elle est d'un beau couleur de rose & argent.

Dans la classe des tellines oblongues dont les côtés sont inégaux, on connoit les especes suivantes : 1°. la telline rougeâtre avec un bec ; elle est nommée volselle ou la pince des Chirurgiens ; 2°. la volselle couleur de citron ; 3°. la telline en forme de couteau ; 4°. celle qui est à long bec ; 5°. la telline rude appellée la langue de chat ; 6°. la telline fasciée & rayée de couleur de rose ; 7°. la telline bariolée de violet & de blanc ; 8°. la telline orangée avec un pli sur un des côtés, & des dents dans sa bordure ; 9°. la feuille d'arbre de Rumphius ; 10°. la telline blanche & chagrinée ; 11°. celle qui est rougeâtre avec des stries transversales.

Enfin dans la classe des tellines applaties & tronquées on distingue la telline violette au sommet strié ; 2°. la telline citrine avec des stries semblables ; 3°. la rougeâtre qui passe pour une des belles tellines.

Il nous reste à parler du poisson logé dans la telline. Deux petits tuyaux sortent d'une de ses extrêmités, & une jambe peu longue du milieu de ses deux valves ; quand il fait son chemin dans le sable, il se couche sur le plat de sa coquille ; & avec sa jambe faite en lame il suit un mouvement comme le sourdon ; quand ces animaux veulent marcher & avancer, ils tournent leur coquille sur le tranchant, afin que le sable n'en touche qu'une très-petite partie ; souvent même cette jambe ou ce pié est plat, quelquefois plus épais, recourbé ou pointu comme un arc, ce qui facilite extrêmement leur marche. Ils l'exécutent avec beaucoup de célérité, & font même quelquefois un petit saut. M. de Réaumur vous expliquera toute l'allure de ce coquillage dans les mémoires de l'acad. des Sciences, année 1710. (D.J.)


TELLINITES. f. (Hist. nat.) c'est une coquille bivalve, d'une figure allongée, que l'on nomme telline pétrifiée ; ce qui la distingue est une pointe allongée & proéminente, dans laquelle elle se termine : on la regarde comme une espece de moule ou de pinne marine pétrifiée.


TELLUNO(Mythol.) dieu de la terre ; l'on croit que c'est un surnom de Pluton, pris pour l'hémisphere inférieur de la terre.


TELLYR(Géog. anc.) ville de l'Inde, en - deçà du Gange, selon le texte grec de Ptolémée, l. VII. ch. j. Castald prétend que c'est Timinava. (D.J.)


TELMESSE(Géog. anc.) Telmessus, par Pline, l. V. c. xxvij. par Pomponius Méla, & par Ptolémée. Mais Strabon, le Périple de Scylax, Tite-Live, Arrien, & Etienne le géographe écrivent Telmissus.

Telmesse étoit une ville maritime, aux extremités de la Lycie, aux piés d'une montagne de même nom, laquelle est une partie du mont Cragus. Cette ville donnoit aussi son nom au golfe sur lequel elle étoit bâtie, & qu'on appelloit sinus Telmissicus, d'un côté il touchoit la Lycie, & de l'autre la Carie, selon la description de Tite-Live, l. XXXVII. c. xvj.

Comme donc Telmesse étoit la premiere ville que l'on trouvoit en entrant de la Carie dans la Lycie, Etienne le géographe la met dans la Carie, ainsi que Ciceron qui dit : Telmessus in Cariâ est, quâ in urbe excellit Haruspicum disciplina.

Cette ville fut donnée à Eumenes par les Romains, lorsqu'ils eurent défait Antiochus ; cependant les Lyciens la recouvrerent après que le royaume d'Eumenes eut été ruiné.

Mais ce qui a le plus fait parler de Telmesse, est moins ses vicissitudes que le naturel prophétique de ses habitans, dont Pline, l. XXX. c. j. Justin, l. XI. c. vij. Arrien, l. II. Ciceron, l. I. de divinat. c. xlj. & xlij. ont parlé : tout le monde y naissoit devin ; les femmes & les enfans y recevoient cette faveur de la nature.

Ce fut là que Gordius alla se faire interprêter un prodige qui l'embarrassoit : il en apprit l'explication sans être obligé de passer la porte ; car ayant rencontré une belle fille à l'entrée de Telmesse, il lui demanda quel étoit le meilleur devin auquel il pût s'adresser. Cette fille s'enquit tout-aussi-tôt de ce qu'il avoit à proposer au devin ; il le lui dit, elle lui en donna le sens, & ce fut une très-agréable nouvelle, puisqu'elle l'assura que le prodige promettoit une couronne à Gordius. En même tems la prophetesse s'offrit à lui en mariage, & la condition fut acceptée comme un commencement du bonheur qu'on lui annonçoit.

Ciceron croyoit que les Telmessiens devinrent de grands observateurs de prodiges, à cause qu'ils habitoient un terroir fertile, qui produisoit plusieurs singularités. D'autres anciens remontent plus haut, & nous parlent d'un Telmessus, grand devin, qui fut fondateur de cette ville, & dont les reliques étoient vénérées par les habitans. Elles reposoient sur leur autel d'Apollon, qui étoit le pere de Telmessus. Voilà, selon les préjugés du paganisme, l'origine de l'esprit de divination, qui se faisoit tant remarquer dans cette ville. Telmessus, pendant sa vie, avoit enseigné l'art de deviner, & après sa mort il ne pouvoit manquer de l'inspirer à ses dévots. Ajoûtons que sa mere, fille d'Antenor, avoit été possédée de ce même esprit, Apollon l'en gratifia après avoir obtenu ses faveurs.

Si l'ouvrage d'Etienne de Byzance n'étoit pas prodigieusement mutilé, nous y apprendrions quelque chose de particulier touchant Telmessus : on y entrevoit qu'il fonda la ville dont il s'agit ici, & qu'il étoit venu des climats hyperboréens à l'oracle de Dodone. L'oracle lui promit l'esprit de divination, tant pour lui que pour ceux qui bâtiroient autour de l'autel qu'il feroit construire. Il faut croire que cet autel étoit dans le temple d'Apollon Telmessien, & par conséquent les habitans de cette ville devoient naître devins par un privilege particulier.

Ils avoient beaucoup de foi aux songes, à ce qu'assure Tertullien. Telmessenses, dit-il, nulla somnia evacuant. Il semble que ces paroles indiquent que ceux de Telmesse croyoient que tous les songes signifioient quelque chose, & qu'il n'y en avoit point qui fût vuide de réalité.

Aristandre, qui étoit de Telmesse, & qui fut un des plus habiles devins de son tems, avoit composé un ouvrage sur cette matiere : c'est apparemment lui qui moyenna le traité que sa patrie fit avec Alexandre, & dont Arrien a parlé dans son premier livre. Ce qu'il y a de sûr, c'est qu'il suivit Alexandre à la conquête de la Perse, & s'acquit un grand ascendant sur l'esprit de ce monarque.

Il avoit déjà montré son génie, dans la divination, à la cour du roi Philippe, car ce fut lui qui expliqua le mieux le songe que fit ce prince, après avoir épousé Olympias. Il songea qu'il appliquoit sur le ventre de la reine un cachet, où la figure d'un lion étoit gravée. Les autres devins qu'on consulta, conseillerent à Philippe de faire observer plus soigneusement la conduite de sa femme ; mais Aristandre plus habile dans le manege de la cour, soutint que ce songe signifioit que la reine étoit enceinte d'un fils qui auroit le courage d'un lion. Voyez l'article Aristandre dans Bayle.

Je crois qu'il ne faut pas confondre Telmesse avec Termesse ; ainsi voyez TERMESSE. (D.J.)


TELMEZ(Géogr. mod.) ville d'Afrique, au royaume de Maroc, dans la province de Duquela, au pié du mont Beninaguer. Elle est peuplée de Béréberes afriquains. (D.J.)


TELO-MARTIUS(Géog. anc.) port de la Gaule narbonnoise. L'itinéraire d'Antonin le marque sur la route par mer de Rome à Arles, entre le port Pomponianae & celui de Taurentum, à quinze milles du premier, & à douze milles du second. Cet itinéraire est le premier monument ancien qui fasse mention du fort Telo-Martius. Dans plusieurs conciles on trouve la signature de l'évêque de ce lieu, & il se dit episcopus Telonensis, & quelquefois Tolonensis, d'où l'on a fait le nom moderne qui est Toulon, port fameux dans la Provence. (D.J.)


TELOBIS(Géog. anc.) ville de l'Espagne tarragonoise. Ptolémée, l. II. c. vj. la donne aux peuples Accetani, & la marque entre Cetelsis & Ceresus. (D.J.)


TÉLONS. m. terme de Commerce, sorte d'étoffe dont la chaîne est de lin ou de chanvre, & la trame de laine. (D.J.)


TELONAE(Antiq. grecq.) , fermiers des revenus publics chez les Athéniens ; mais si vous voulez connoître avec quelle rigueur ils étoient traités, en cas de fraude, vous pourrez lire Potter, Archaeolog graec. l. I. c. xiv. tom. I. p. 81. (D.J.)


TELOou TELUS, (Géog. anc.) île de la mer Egée, & qu'on peut dire une île d'Asie, puisqu'elle est à l'orient d'Astypalée. Elle étoit fameuse par ses parfums, à ce que dit Pline, l. IV. c. xij. on la nomme aujourd'hui Piscopia. (D.J.)


TELPHUSA(Géog. anc.) ce mot se trouve encore écrit Telpusa, Telphusa, Thalpusa, Thalpussa, Thelpusa, Tharpusa, & Delphusia, mais toutes ces orthographes différentes désignent une ville & petite contrée de l'Arcadie. Etienne le géographe dit que la ville fut ainsi nommée de la nymphe Telphusa, fille du fleuve Ladon ; cette ville est connue de Polybe, l. IV. n°. 77. de Pausanias, l. VIII. & de Pline, l. IV. c. vj. Quoiqu'ils en écrivent le nom différemment, c'est la même ville que la notice de Hiéroclès met sous la métropole de Corinthe, & qu'elle nomme Tharpussa ; & c'est encore la même dont parlent plusieurs médailles où on lit cette inscription, . (D.J.)


TELSCHEN(Géog. mod.) petite ville d'Allemagne, dans la Bohème, sur l'Elbe, à quatre milles au-dessus de Pirna : c'est une clé du passage sur l'Elbe. (D.J.)


TELTSCH(Géog. mod.) petite ville d'Allemagne, dans la Moravie, sur les confins de la Bohème, près des sources de la riviere de Teya. Longit. 33. 38. latit. 49.

(Géogr. anc.) ce mot veut dire pays, district, province. Il faut savoir que depuis le regne d'Héraclius, l'empire d'Orient fut divisé pour l'ordre civil en pays ou districts, , ainsi nommés de la position, , ou cantonnemens de corps militaires commandés par un stratège ou officier général, pour veiller à la sureté & à la défense des provinces. La Lydie, par exemple, faisoit partie du thêma ou district des Thracésiens, qui comprenoit aussi une partie de la Carie & de la Phrygie : cette division a subsisté jusqu'à la grande invasion des Turcs, au commencement du xiv. siecle. (D.J.)


TEMANS. m. (Commerce) mesure de continence pour les liquides, dont on se sert à Mocha, ville de l'Arabie heureuse ; 40 memudas font le teman, chaque memuda contient trois chopines de France, ou trois pintes d'Angleterre. Dictionnaire de Commerce.


TÉMAPARAS. m. (Hist. nat. Zoologie) c'est le même lézard nommé par Marggrave & Ray, tejuguacu. Voyez- en l'article.


TEMARETE(Géog. mod.) ville de l'île de Socotora, à l'entrée de la mer Rouge. Elle est sur la côte septentrionale de l'île : ses maisons sont bâties en terrasse. (D.J.)


TEMATHÉA(Géog. anc.) montagne du Péloponnèse, dans la Messénie. Pausanias, l. IV. c. xxxiv. dit que la ville Corone est au pié de cette montagne. (D.J.)


TEMBASA(Géog. anc.) ville de Lycaonie, que Pline, l. V. c. xxvij. donne pour une ville célebre. Paul Diacre écrit Thebasa, & le P. Hardouin assure que c'est-là la véritable orthographe. (D.J.)


TEMBROGIUS(Géog. anc.) fleuve de Phrygie, selon Pline, l. VI. c. j. Tite-Live, l. XXXVIII. c. xviij. le nomme Thymbres ou Thymber ; & ce fleuve se jettoit dans le Sangarius. Ortélius confond mal-à-propos ce fleuve avec le Tymbrios de Strabon. Ce dernier couloit dans la Troade, & se perdoit dans le Scamandre.


TEMECEN(Géogr. mod.) province d'Afrique, dans le royaume de Fez, au nord du grand Atlas. Elle a 30 lieues de long sur 20 de large. C'est un des plus beaux pays de la Barbarie, par sa fertilité en blés & en pâturages, mais il n'y a ni villes, ni bourgs. Les peuples qui l'habitent errent sous leurs tentes comme les Arabes, & sont cependant une nation africaine.


TEMEou TEMEN-DE-FUST, (Géog. mod.) ville d'Afrique, au royaume d'Alger, à quelques lieues de la ville d'Alger, proche la Méditerranée, à l'orient du fleuve Hued-Icer, que les Latins appelloient Serbetes. Cette ville est, à ce que croit Simler, la Rustonium de Ptolémée, l. IV. c. ij. ville de la Mauritanie césariense. Voyez RUSTONIUM, Géogr. anc. (D.J.)


TEMENI-PORTA(Géog. anc.) ville de l'Asie mineure, dans la Lydie. Pausanias, l. I. c. xxxv. qui dit que cette ville n'étoit pas grande, ajoute qu'un tombeau y ayant été ruiné par l'injure du tems, laissa voir des os qu'on n'auroit pas pris aisément pour ceux d'un homme, s'ils n'en eussent eu la figure. Ils étoient d'une grandeur démesurée, & aussi-tôt le peuple s'imagina que c'étoit le tombeau de Gérion, fils de Chrysaor, & que c'étoit son trône qui étoit taillé dans la montagne. Il passoit auprès de cette petite ville, un torrent appellé Oceanus.


TEMENITIS(Géog. anc.) fontaine de la Sicile, selon Pline, l. III. c. viij. Vincent Mirabella prétend que cette fontaine subsiste encore aujourd'hui, & qu'on la nomme Fonte di Canali.


TEMENIUM(Géog. anc.) village fortifié dans le Péloponnèse, aux confins de l'Argie. Pausanias, liv. II. c. xxxviij. dit qu'il avoit pris son nom de Temenus, fils d'Aristomachus, & que le fleuve Phryxus avoit son embouchure près de ce village. On y voyoit un temple dédié à Neptune, un autre dédié à Diane, & le tombeau de Témenus. Pausanias ajoute que le village Temenium pouvoit être à 50 stades de Nauplia. (D.J.)


TÉMÉRITÉS. f. (Morale) hardiesse démesurée & inconsidérée ; mais si la témérité qui nous porte audelà de nos forces les rend impuissantes, un effroi qui nous empêche d'y compter, les rend inutiles.


TEMESA(Géog. anc.) ville d'Italie, chez les Brutiens, & la seconde du pays. Du tems de Strabon on la nommoit Tempsa ou Temsa : il dit l. IV. p. 255. qu'elle avoit d'abord été bâtie par les Ausoniens, & ensuite rétablie par les Aetoliens, compagnons de Thoas, que les Brutiens chasserent du pays. Elle devint colonie romaine ; mais aujourd'hui elle est tellement détruite, qu'à peine en reconnoît-on les ruines. (D.J.)


TEMESWARCOMTE DE, ou TEMISWAR, (Géog. mod.) comté de la basse-Hongrie. Il est borné au nord par la riviere de Marosch, à l'orient par la Walachie, au midi par le Danube, & à l'occident par le comté de Chonad. Sa capitale est Temeswar, qui lui donne son nom.

TEMESWAR ou TEMISWAR, (Géog. mod.) ville de la haute Hongrie, dans le comté de même nom, sur la riviere de Temès, à 25 lieues de Belgrade : Soliman II. s'en rendit le maître en 1551, & les Turcs la garderent jusqu'en 1716, que le prince Eugene la reprit ; elle est restée à la maison d'Autriche par le traité de paix de Passarowitz en 1718. Long. 39. 42. latit. 45. 27.


TEMGIDterme de relation, nom d'une priere que les Turcs doivent faire à minuit ; cependant comme cette heure est fort incommode, & que les mosquées ne sont ouvertes que pendant trois lunes de l'année, celles de Redjeb, de Cholban & de Ramazan, où même alors elles ne sont fréquentées que par les dévots, la plûpart des Turcs se dispensent du temgid, & font cette priere le soir ou le matin ; mais quand on ensevelit un musulman, les prêtres qui l'accompagnent, chantent toujours le temgid, parce que cette priere leur est aussi ordonnée pour ce sujet. (D.J.)


TEMIAN(Géog. mod.) royaume d'Afrique, dans la Nigritie ; il est borné au nord par le Niger, au midi par le royaume de Gabon, au levant par le royaume de Dauma, & au couchant par celui de Bisto. C'est un pays desert.


TEMMELET(Géog. mod.) petite ville d'Afrique, au royaume de Maroc, sur une montagne escarpée. Ses habitans sont dans la misere, & ne vivent que de farine d'orge, de graisse & de chair de chevre.


TEMMICES(Géogr. anc.) peuples que Strabon, l. IX. p. 401. met dans la Béotie, au nombre de ceux qui habiterent anciennement cette contrée. Lycophron les nomme Temmices, vers. 644 & 786. (D.J.)


TEMNOS(Géog. anc.) ville de l'Asie mineure, dans l'Aeolide, selon Strabon, l. XIII. p. 621. & Pline, l. V. c. xxx. Elle étoit dans les terres, & médiocrement grande ; car on lit dans Xénophon, l. IV. graec. rer. p. 313. Temnos non magna civitas.

Etienne le géographe rapporte une fable touchant l'origine du nom de cette ville. Le nom national étoit, selon lui, Temnites, & c'est celui que Ciceron, pro Flacco, c. xviij. employe ; cependant Tacite dit Temnii. Pausanias, eliac. I. c. xiij. marque en quelque maniere la situation de cette ville ; car il dit qu'en partant du mont Sipyle pour aller à Temnos, il falloit passer le fleuve Hermus.

J'ai vu, dit Wheler, liv. III. p. 343. dans son voyage de l'Asie mineure, le mot Temnos autour d'une médaille, avec une tête couronnée d'une tour, & sur le revers une fort une avec ce mot , c'est-à-dire des habitans de Temnos.

Sur le revers d'une autre médaille de l'impératrice Ottacilla Severa, femme de l'empereur Philippe, on voit une figure couchée, qui porte un roseau de sa main droite, & une cruche avec de l'eau qui se répand dessus ; & ces mots autour , c'est-à-dire, l'Hermus des habitans de Temnos. Il sembleroit qu'ils avoient un droit sur cette riviere près de laquelle leur ville étoit bâtie, quoique située dans les montagnes. On ne croit pas qu'il reste rien aujourd'hui de cette place.

2°. Temnos étoit aussi une ville de l'Asie mineure, dans l'Ionie, à l'embouchure du fleuve Hermus ; mais elle ne subsistoit plus du tems de Pline, l. V. c. xxix. qui est le seul des anciens qui en fasse mention. (D.J.)


TÉMOIGNAGES. m. (Gram. & Jurisp.) est la déclaration que l'on fait d'une chose dont on a connoissance.

Le témoignage peut être verbal ou par écrit.

Il peut être donné en présence de simples particuliers, ou devant un juge ou autre officier public, & de-là il se divise en témoignage public ou privé.

Le témoignage domestique est celui qui émane de personnes demeurantes en même maison que celui du fait duquel il s'agit.

Etre appellé en témoignage c'est être interpellé de déclarer ce que l'on sait. Cela se dit ordinairement de quelqu'un qui est assigné pour déposer dans une enquête ou dans une information.

Le faux- témoignage est réputé un crime, selon la justice divine & selon la justice humaine. Voyez FAUX, PARJURE, PREUVE, SUBORNATION, TEMOINS. (A)

TEMOIGNAGE, (Critiq. sacrée) ce mot, outre le sens de certification d'un fait en justice, se prend dans l'Ecriture, 1°. pour un monument, parce que c'est un témoignage muet : ainsi le monument que les tribus d'Israël qui demeuroient au-delà du Jourdain érigerent sur le bord de ce fleuve, est appellé le témoignage de leur union avec leurs freres, qui demeuroient de l'autre côté de la riviere ; 2°. ce mot désigne la loi du Seigneur ; 3°. l'arche d'alliance qui contenoit les tables de la loi ; 4°. une prophétie. Tenez secrette cette prophétie. Liga testimonium meum. Is. viij. 16. (D.J.)


TÉMOINS. m. (Gram. & Jurisprud.) est celui qui étoit présent lorsqu'on a fait ou dit quelque chose, & qui l'a vu ou entendu.

La déclaration des témoins est le genre de preuve le plus ancien, puisqu'il n'y en avoit point d'autre avant l'usage de l'écriture ; il a bien fallu pour savoir à quoi s'en tenir sur une infinité de choses dont on ne peut avoir autrement la preuve, s'en rapporter aux témoins.

Un seul témoin ne fait pas preuve, testis unus testis nullus ; mais l'écriture même veut que toute parole soit constatée par déclaration de deux ou trois témoins, inore duorum vel trium testium stabit omne verbum.

En général toutes sortes de personnes peuvent être témoins, soit en matiere civile, ou en matiere criminelle, à-moins que la loi ou le juge ne leur ait interdit de porter témoignage.

Non-seulement les personnes publiques, mais aussi les personnes privées.

Personne ne peut être témoin dans sa propre cause.

Le juge ni le commissaire, l'adjoint & le greffier ne peuvent être témoins dans l'enquête qui se fait pardevant eux.

Les clercs, même les évêques peuvent déposer en une affaire de leur église, pourvu qu'ils ne soient pas parties, ni intéressés à l'affaire.

Les religieux peuvent aussi être témoins, & peuvent être contraints même sans le consentement de leur supérieur à déposer, soit en matiere civile ou criminelle ; mais non pas dans des actes où l'on a la liberté de choisir d'autres témoins, comme dans les contrats & testamens.

Les femmes peuvent porter témoignage en toute cause civile ou criminelle ; mais on ne les prend pas pour témoins dans les actes. Et dans les cas même où leur témoignage est reçu, on n'y ajoute pas tant de foi qu'à celui des hommes, parce qu'elles sont plus foibles, & faciles à se laisser séduire ; ensorte que sur le témoignage de deux femmes seulement on ne doit pas condamner quelqu'un.

Le domestique ne peut pas être témoin pour son maître, si ce n'est dans les cas nécessaires.

Celui qui est interdit de l'administration de son bien pour cause de prodigalité, peut néanmoins porter témoignage.

Les parens & alliés, jusqu'aux enfans des cousins issus de germains, ne peuvent porter témoignage pour leur parent, si ce n'est lorsqu'ils sont témoins nécessaires.

On peut dans un même fait employer pour témoins plusieurs personnes d'une même maison.

Ceux qui refusent de porter témoignage en justice, peuvent y être contraints par amende, & même par emprisonnement.

La justice ecclésiastique employe même les censures pour obliger ceux qui ont connoissance de quelque délit, à venir à révélation. Voyez AGGRAVE, MONITOIRE, RÉAGRAVE, REVELATION.

Le mari peut déposer contre sa femme, & la femme contre son mari ; mais on ne peut pas les y contraindre, si ce n'est pour crime de lése-majesté.

Le pere & la mere, & autres ascendans, ne peuvent pareillement être contraints de déposer contre leurs enfans & petits-enfans, ni contre leur bru & gendre, ni ceux-ci contre leur pere & mere, ayeux, beau-pere, belle-mere, ni les freres & soeurs l'un contre l'autre ; on étend même cela aux beaux-freres & belles-soeurs, à cause de la grande proximité.

Les furieux & les imbécilles ne sont pas reçus à porter témoignage.

Les impuberes en sont aussi exclus jusqu'à l'âge de puberté.

Les confesseurs ne peuvent révéler ce qu'ils savent par la voie de la confession ; il en est de même de ceux qui ne savent une chose que sous le sceau du secret, on ne peut pas les obliger à le révéler ; il faut cependant toujours excepter le crime de lése-majesté.

La preuve par témoins ne peut pas être admise pour somme au-dessus de 100 liv. si ce n'est qu'il y ait un commencement de preuve par écrit, ou que ce soit dans un cas où l'on n'a pas été à portée de faire passer une obligation ou reconnoissance ; voyez l'ordonnance de Moulins, art. 54. & l'ordonnance de 1667, titre des faits qui gissent en preuve vocale ou littérale.

Sur les témoins en général, voyez au digeste & au code les tit. de testibus, & les traités de testibus par Balde, Farinacius & autres, celui de Danty sur la preuve par témoins. Voyez aussi les mots CONFRONTATION, ENQUETE, PREUVE, RECOLLEMENT. (A)

TEMOIN AURICULAIRE est celui qui ne dépose que de faits qu'il a ouï dire à des tiers, & non à la personne du fait de laquelle il s'agit.

Ces sortes de témoins ne font point foi, ainsi que le décide la loi divus 24. ff. de testam. milit. aussi Plaute dit-il, que pluris est oculatus testis unus quam auriti decem. Voyez TEMOIN OCULAIRE.

TEMOIN CONFRONTE est celui qui a subi la confrontation avec l'accusé, pour voir s'il le reconnoîtra, & s'il lui soutiendra.

TEMOIN CORROMPU est celui qui s'est laissé gagner par argent ou par autres promesses pour céler la vérité.

TEMOIN DOMESTIQUE est celui qui est choisi dans la famille ou maison de celui qui passe un acte ou qui fait quelque chose, comme si un notaire prenoit pour témoin son clerc ; un testateur, son enfant ou son domestique ; le témoignage de ces sortes de personnes ne fait point foi.

TEMOIN, faux, est celui qui dépose contre la connoissance qu'il a de la vérité.

TEMOIN IDOINE est celui qui a l'âge & les qualités requises pour témoigner.

TEMOIN INSTRUMENTAIRE est celui dont la présence concourt à donner la perfection à un acte public, comme les deux témoins en la présence desquels un notaire instrumente au défaut d'un notaire en second.

TEMOIN IRREPROCHABLE est celui contre lequel on ne peut fournir aucun reproche pertinent & admissible. Voyez REPROCHE.

TEMOIN MUET est une chose inanimée qui sert à la conviction d'un accusé ; par exemple, si un homme a été égorgé dans sa chambre, & que l'on y trouve un couteau ensanglanté, ce couteau est un témoin muet, qui fait soupçonner que celui auquel il appartient peut être l'auteur du délit ; mais ces témoins muets ne font point une preuve pleine & entiere, ce ne sont que des indices & des semi-preuves. Voyez CONVICTION, INDICE, PREUVE.

TEMOIN NECESSAIRE est celui dont le témoignage est admis seulement en certains cas par nécessité, & parce que le fait est de telle nature, que l'on ne peut pas en avoir d'autres témoins ; ainsi les domestiques dont le témoignage est recusable en général dans les affaires de leur maître, à cause de la dépendance où ils sont à son égard, deviennent témoins nécessaires lorsqu'il s'agit de faits passés dans l'intérieur de la maison, parce qu'eux seuls sont à portée d'en avoir connoissance, comme s'il s'agit de faits de sévices & mauvais traitemens du mari envers sa femme, ou de certains crimes qui ne se commettent qu'en secret ; dans ces cas & autres semblables, on admet le témoignage des domestiques, sauf à y avoir tel égard que de raison. Voyez la loi consensu, cod. de repud. & la loi 3. cod. de testibus.

TEMOIN OCULAIRE est celui qui dépose de fait qu'il a vu, ou de choses qu'il a entendu dire à l'accusé même ou autre personne du fait de laquelle il s'agit : la déposition de deux témoins oculaires fait une foi pleine & entiere, pourvu qu'il n'y ait point eu de reproche valable fourni contr'eux.

TEMOIN RECOLLE est celui auquel on a relu sa déposition avec interpellation de déclarer s'il y persiste. Voyez RECOLEMENT.

TEMOIN REPETE est celui qui étant venu à révélation, a été entendu de nouveau en information. Voyez REVELATION.

TEMOIN REPROCHABLE est celui contre lequel il y a de justes moyens de reproches, & dont en conséquence le témoignage est suspect & doit être rejetté ; par exemple, si celui qui charge l'accusé, a quelque procès avec lui ou quelque inimitié capitale. Voyez REPROCHES.

TEMOIN REPROCHE est celui contre lequel on a fourni des moyens de reproches. Voyez REPROCHES.

TEMOIN REQUIS est celui qui a été mandé exprès pour une chose, comme pour assister à un testament, à la différence de ceux qui se trouvent fortuitement présens à un acte.

TEMOINS SINGULIERS sont ceux qui déposent chacun en particulier de certains faits, dont les autres ne parlent pas. Chaque déposition qui est unique en son espece ne fait point de preuve : par exemple, si deux témoins chargent chacun l'accusé d'un délit différent, leurs dépositions ne forment point de preuve en général ; cependant lorsqu'il s'agit de certains délits dont la preuve peut résulter de plusieurs faits particuliers, on rassemble ces différens faits, comme quand il s'agit de prouver le mauvais commerce qui a été entre deux personnes, on raproche toutes les différentes circonstances qui dénotent une habitude criminelle. Voyez la loi 1. §. 4. ff. de quaest. & Barthole sur cette loi ; Alexandre, t. I. conseil 41. n°. 4. & t. VII. conseil 13. n°. 23. & conseil 47. n°. 19. Despeisses, t. III. tit. 10. sect. 2.

TEMOINS EN FAIT D'ARPENTAGE ET DE BORNES, sont de petits tuileaux, pierres plates ou autres marques que l'arpenteur fait mettre dessous les bornes qu'il fait poser, pour montrer que ces bornes sont des pierres posées de main d'homme & pour servir de bornes.

Quand on est en doute si une pierre est une borne ou non, on ordonne souvent qu'elle sera levée pour voir s'il y a dessous des témoins qui marquent que ce soit effectivement une borne. (A)

TEMOIN, (Critiq. sacrée) celui qui rend témoignage en justice ; la loi de Moïse, Deut. xvij. 6. défendoit de condamner personne à mort sur le témoignage d'un seul témoin ; mais le crime étoit cru sur la déposition de deux ou de trois, selon la même loi. Lorsqu'on condamnoit un homme à la mort, ses témoins devoient le frapper les premiers ; ils lui jettoient, par exemple, la premiere pierre s'il étoit lapidé. En cas de faux témoignage, la loi condamnoit les témoins à la même peine qu'auroit subi l'accusé ; voilà les ordonnances de Moïse sur ce sujet.

L'Ecriture appelle aussi témoin celui qui publie quelque vérité. Ainsi les prophêtes & les apôtres sont en ce sens nommés témoins dans le nouveau Testament. Enfin témoin désigne celui qui fait profession de la foi de Jesus-Christ, & qui la scele de son sang, un martyr de la religion, comme on regardoit le sang de saint Etienne son témoin, , dit S. Paul dans les Act. xxij. 20. (D.J.)

TEMOINS, passage des trois, (Critiq. sacrée) c'est le passage de la I. épît. de S. Jacques, chap. v. vers. 7. il y en a trois qui rendent témoignage au ciel, le Pere, la Parole & l'Esprit. Nous avons en latin les adumbrations de Clément d'Alexandrie sur cette I. épître de S. Jean. Il parle des trois témoins de la terre, l'esprit qui marque la vie ; l'eau qui marque la régénération & la foi ; & le sang qui marque la reconnoissance, & ces trois-là, continue-t-il, sont un. Edition de Potter, p. 1011. Clément d'Alexandrie ne dit pas un mot des trois témoins du ciel. Ce passage de S. Jacques manque, selon M. Asseman, non-seulement dans le syriaque, mais aussi dans les versions arabes & éthiopiennes, sans parler de plusieurs anciens manuscrits. Ce sont ses paroles : Non solum apud Syros desiderantur, sed etiam in versione arabicâ & aethiopicâ, ut antiquos plurimos codices mss. taceam. Bibl. orient. t. III. p. 2. p. 139. Voyez pour nouvelles preuves le Testament grec de Mill, & une savante dissertation angloise sur ce fameux passage. J'ai eu un Testament latin imprimé à Louvain dans le seizieme siecle, in-12. dédié au pape, & approuvé par les théologiens de Louvain, où ce passage manquoit aussi. (D.J.)

TEMOIN, c'est le nom qu'on donne, dans l'Artillerie, à un morceau d'amadou de même dimension que celui dont on se sert pour mettre le feu au saucisson de la mine. On met le feu en même tems à ces deux morceaux d'amadou ; celui qu'on tient à la main, sert à faire juger de l'instant où la mine doit jouer, & du tems que l'on a pour se retirer ou s'éloigner. Voyez MINE. (Q)

TEMOIN, s. m. (Commerce de blé) on appelle témoin dans les marchés une ou deux poignées de blé que les bourgeois portent ou font porter à la halle, & qui sert d'échantillon pour vendre celui qu'ils ont dans leurs greniers. Les laboureurs & les blâtiers apportent communément leurs blés par charges ou par sommes à la halle, mais les bourgeois y envoyent seulement du témoin, & ceux qui en ont acheté sur ce témoin vont aux greniers des maisons bourgeoises, pour se faire livrer la quantité qu'ils ont achetée.

TEMOINS, s. m. pl. terme de Cordeur de bois, ce sont deux buches qu'on met de côté & d'autre de la membrure, lorsqu'on corde le bois au chantier. (D.J.)

TEMOIN, (Jardinage) ce sont des hauteurs de terre isolées que laissent les terrassiers dans leurs atteliers, pour mesurer la hauteur des terres enlevées, & en faire la toise cube. On paye les terrassiers à la toise cube, qui doit avoir six piés de tout sens, & contenir en tout 216 piés en-bas.

TEMOIN, s. m. terme de Relieur, feuillet que les Relieurs laissent exprès sans rogner, pour faire voir qu'ils ont épargné la marge du livre. (D.J.)


TEMPATLAHOACS. m. (Hist. nat. Ornithol.) oiseau à large bec des Indes occidentales, que Nieremberg croit être une espece de canard, dont il a la taille ; sa tête & son cou sont d'un verd, d'un noir, & d'un pourpre aussi brillant que sur le paon ; son corps est d'un jaune brun, marqueté de deux grandes taches blanches de chaque côté près de la queue, qui est bordée de blanc, & réunit sur le dessus toutes les couleurs de celle du paon, mais elle est noire par-dessous ; on prend cet oiseau sur les lacs du Mexique, & sa chair est fort bonne à manger. (D.J.)


TEMPES. f. en Anatomie, les tempes sont deux parties de la tête, qui s'étendent depuis le front & les yeux jusqu'aux deux oreilles. Voyez TETE.

Les tempes sont principalement formées de deux os, appellés os temporaux. Voyez TEMPORAL.

Ces parties, suivant les Médecins, ont été appellées tempora, parce qu'elles font connoître le tems ou l'âge d'un homme par la couleur des cheveux, qui blanchissent dans cet endroit plutôt que par-tout ailleurs ; à quoi Homere semble avoir fait attention en appellant les hommes poliocrotaphi, c'est-à-dire aux tempes grises.


TEMPÉ(Géog. anc.) vallée célebre dans la Thessalie, entre le mont Ossa & le mont Olympe. Personne ne doute qu'elle ne fût dans la Thessalie ; les épithetes que les anciens lui donnent le prouvent suffisamment. Tite-Live, l. XXIII. c. xxxv. dit, Thessalica Tempe, & Ovide, metamorph. l. VII. vers. 222. Thessala Tempe ; mais dans quelle contrée de la Thessalie la placerons-nous ? C'est ce qu'il faut examiner. Ce que dit Catulle, carm. LXIV. vers. 35. feroit croire qu'elle étoit dans la Phthiotide.

.... Linquunt Phthiotica Tempe.

Mais on ne voit point que la Phthiotide se soit jamais étendue jusqu'à la vallée de Tempé, dont elle fut toujours séparée par le mont Othry ou par d'autres terres. Les Pélasgiotes posséderent divers lieux au voisinage du Pénée, aujourd'hui la Salembria, entr'autres Gonnum & Cranon ; mais ils ne possédoient rien à l'embouchure de ce fleuve, car elle se trouvoit dans la Magnésie.

Les descriptions que divers auteurs ont données de cette vallée décideront la question. Le Pénée, selon Pline, l. IV. c. viij. coule l'espace de cinq cent stades, entre le mont Ossa & le mont Olympe, dans une vallée couverte de forêts, & est navigable dans la moitié de cet espace ; ce qu'on appelle la vallée de Tempé, occupe cinq mille pas de ce terrein en longueur, & presque un arpent & demi de largeur. A droite & à gauche s'élevent des montagnes à perte de vue, dont la pente est assez douce, & au milieu coule le fleuve Pénée, dont les bords sont couverts d'herbes toujours fraîches, & remplis d'oiseaux dont le gazouillement forme un agréable concert.

Strabon, l. IX. p. 430. après avoir rapporté la fable qui veut que le Pénée retenu par les montagnes qui sont du côté de la mer, forme en cet endroit une espece d'étang, ajoute que, par un tremblement de terre, l'Ossa ayant été séparé de l'Olympe, le fleuve trouva entre ces deux montagnes une issue pour se rendre à la mer.

Aelien, Var. hist. l. III. c. j. convient avec Pline & avec Strabon pour la situation de la vallée de Tempé. C'est, dit-il, un lieu entre les monts Ossa & Olympe, de quarante stades de longueur, & au milieu duquel le Pénée roule ses eaux. C'est, ajoute-t-il, un lieu délicieux, où la nature présente mille choses agréables, & où l'industrie des hommes n'a aucune part : de-là il seroit aisé de conclure que la vallée de Tempé étoit dans la Pélasgiotide, qui s'étendoient anciennement jusqu'à l'embouchure de Pénée, mais dont la partie du côté de la mer fut comprise dans la Magnésie. Cependant comme le Pénée séparoit la Thessalie de la Macédoine, il semble qu'on ne peut s'empêcher de mettre la vallée de Tempé aux confins de ces deux contrées.

Procope, aedif. l. IV. c. iij. a donné une description de la vallée de Tempé sans la nommer. Le Pénée, dit-il, a par-tout un cours fort doux & fort tranquille jusqu'à ce qu'il se décharge dans la mer. Les terres qu'il arrose sont très-fertiles, & produisent toutes sortes de fruits. Les habitans ne tiroient aucun avantage de cette abondance, à cause de l'appréhension continuelle où ils étoient d'être accablés par les ennemis, faute d'une place forte où ils pussent se mettre à couvert. Les murailles de Larisse & de Césarée étant presqu'entierement tombées, Justinien les fit réparer, & rendit par ce moyen au pays son ancienne fertilité. Il s'éleve tout proche, ajoute Procope, des montagnes escarpées & couvertes de forêts qui servirent autrefois de demeure aux centaures, & qui furent le champ de la bataille qu'ils donnerent aux Lapithes, si nous en voulons croire la fable, qui parle d'une espece d'animaux monstrueux, qui étoient moitié hommes & moitié bêtes.

A toutes ces descriptions, nous joindrons celle de Tite-Live, qui, peu touché des bois rians, des forêts d'une verdure charmante, des endroits délicieux & des agréables prairies, a tourné toute son attention vers les longues & hautes montagnes qui s'étendent à droite & à gauche, pour mieux décrire l'horreur qu'eut l'armée romaine, quand il lui fallut franchir ces montagnes. Ce qu'on appelle Tempé, dit-il, est un bois qui, quoiqu'il ne soit pas dangereux pour une armée, est difficile à passer : car outre des défilés de cinq milles de longueur, où il n'y a de passage libre que pour un cheval chargé, les rochers sont tellement escarpés de côté & d'autre, qu'on ne peut guere regarder en-bas sans que les yeux soient frappés, & sans se sentir saisi d'horreur. On est effrayé aussi du bruit que fait le Pénée, & de la profondeur de la vallée où il coule.

Mais si la topographie des lieux est pour Tite-Live, les poëtes sont pour moi, dans l'idée ravissante que j'ai prise de Tempé en les lisant. Ils m'en font des descriptions qui disputent du prix de la beauté avec le lieu qu'ils dépeignent. D'ailleurs Tempé a passé en proverbe pour un endroit délicieux ; & ses vallons représentent toutes les autres vallées du monde, les plus agréablement coupées par des ruisseaux, les mieux tapissées de verdure, les plus ombragées de toutes sortes d'arbres & d'arbustes, & telles enfin que les oiseaux ne cessent d'en célébrer les charmes. En un mot, Tite-Live m'attriste, la fable m'égaie & m'enchante, je m'en rapporte donc à la fable pour mon amusement. (D.J.)


TEMPÉRAMENTS. m. (Philosoph.) est cette habitude ou disposition du corps, qui résulte de la proportion des quatre qualités primitives & élémentaires dont il est composé. Voyez QUALITE & ÉLEMENT.

L'idée de tempérament vient de celle de mélange, c'est-à-dire du mélange de différens élémens, comme la terre, l'eau, l'air & le feu, ou pour parler plus juste, à la maniere des Péripatéticiens, du mélange du chaud, du froid, du sec & de l'humide. Ces élémens ou qualités, par leur opposition, tendent à s'affoiblir mutuellement, & à dominer les unes sur les autres, & de toutes ensemble, résulte une sorte de température ou de mélange en telle ou telle proportion ; en conséquence de quoi, selon la qualité qui prédomine, nous disons un tempérament chaud, ou froid, sec ou humide. Voyez MELANGE, CRASE, &c.

On dispute dans les écoles, si le tempérament comprend proprement les quatre premieres qualités, ou si l'altération que souffrent ces qualités, par l'action réciproque qu'elles ont les unes sur les autres, ne les détruit pas entierement, ensorte qu'il en résulte une cinquieme qualité simple.

Les auteurs distinguent deux sortes de tempérament, l'un qu'ils appellent uniforme, & l'autre qu'ils appellent difforme. Le premier est celui où toutes les qualités sont mêlées dans un degré égal. Le second est celui où elles sont mêlées dans un degré inégal.

Il ne peut y avoir qu'un seul tempérament uniforme. Le tempérament difforme admet huit sortes de combinaisons, puisqu'une seule qualité, ou deux qualités à la fois peuvent dominer ; de-là le tempérament chaud & humide, le tempérament froid & humide, &c. De plus, quelques-uns considérant que les qualités qui dominent, peuvent n'être pas en degré égal, & de même celles qui ne dominent pas ; ils font plusieurs autres nouvelles combinaisons de tempérament, & en ajoutent jusqu'à douze au nombre ordinaire. En effet, comme il y a une infinité de degrés entre le plus haut point & le plus bas point de chacun des élémens, on peut dire aussi qu'il y a un nombre infini de différentes températures. Voyez DEGRE.

TEMPERAMENT, en Médecine, s'entend plus particulierement de la constitution naturelle du corps de l'homme, ou de l'état des humeurs dans chaque sujet. Voyez CONSTITUTION & HUMEUR.

L'idée de tempérament vient de ce que le sang qui coule dans les veines & les arteres, ne se conçoit pas comme une liqueur simple, mais comme une sorte de mixte imparfait, ou un assemblage de plusieurs autres liquides ; car il n'est pas composé seulement des quatre qualités simples ou primitives, mais encore de quatre autres humeurs secondaires qui en sont aussi composées, & dans lesquelles on suppose qu'il peut se résoudre ; savoir la bile, le phlegme, la mélancolie & le sang proprement dit. Voyez BILE, PHLEGME, MELANCOLIE, SANG.

De-là, suivant que telle ou telle de ces humeurs domine dans un sujet, on dit qu'il est d'un tempérament bilieux, phlegmatique, mélancolique, sanguin, &c. Voy. SANGUIN, MELANCOLIQUE, BILIEUX, &c.

Les anciens médecins prétendoient que le tempérament animal répondoit au tempérament universel décrit ci-dessus. Ainsi on croyoit que le tempérament sanguin répondoit au tempérament chaud & humide, le tempérament phlegmatique au tempérament froid & humide, le tempérament mélancolique au tempérament froid & sec, &c.

Galien introduisit dans la médecine la doctrine des tempéramens qu'il avoit tirée des Péripatéticiens, & il en fit comme la base de toute la Médecine. L'art de guérir les maladies ne consistoit, selon lui, qu'à tempérer les degrés des qualités des humeurs, &c. Voyez GALENIQUE, DEGRE, &c.

Dans la médecine d'aujourd'hui on considere beaucoup moins les tempéramens. Le docteur Quincy, & d'autres auteurs méchaniciens, retranchent la plus grande partie de la doctrine de Galien, comme inutile & incertaine, & regardent seulement les tempéramens comme des diversités dans le sang de différentes personnes, qui rendent ce liquide plus capable dans un corps que dans un autre, à de certaines combinaisons, c'est-à-dire de tourner vers la bile, le phlegme, &c. D'où, suivant ces auteurs, les gens sont nommés bilieux, phlegmatiques, &c. Voyez SANG.

Les anciens distinguoient deux sortes de tempéramens dans un même corps ; l'un qu'ils nommoient ad pondus, l'autre qu'ils nommoient ad justitiam.

Le tempérament ad pondus est celui où les qualités élémentaires se trouvent en quantités & en proportions égales : c'est ainsi qu'on les supposoit dans la peau des doigts, sans quoi ces parties ne pourroient pas distinguer assez exactement les objets.

Le tempérament ad justitiam est celui où les qualités élémentaires ne sont pas en proportions égales, mais seulement autant qu'il est nécessaire pour la fonction propre à une partie. Tel est le tempérament dans nos os, qui contient plus de parties terreuses que d'aqueuses, afin d'être plus dur & plus solide pour remplir sa fonction de soutenir.

Galien observe que le tempérament ad pondus n'est qu'imaginaire ; & quand il seroit réel, il ne pourroit subsister qu'un moment.

Le docteur Pitcairn regarde les tempéramens comme autant de maladies naturelles. Selon cet auteur, une personne de quelque tempérament qu'elle soit, a en elle-même les semences d'une maladie réelle ; un tempérament particulier supposant toujours que certaines sécrétions sont en plus grande proportion qu'il ne convient pour une longue vie.

Comme les différences des tempéramens ne sont autre chose que des différences de proportions dans la quantité des liquides, lesquelles proportions peuvent varier à l'infini ; il peut y avoir par conséquent une infinité de tempéramens, quoique les auteurs n'en aient supposé que quatre. Ce qu'on appelle d'ordinaire tempérament sanguin, Pitcairn dit que ce n'est qu'une pléthore. Voyez PLETHORE.

TEMPERAMENT, s. m. en Musique, est la maniere de modifier tellement les sons, qu'au moyen d'une légere altération dans la juste proportion des intervalles, on puisse employer les mêmes cordes à former divers intervalles, & à moduler en différens tons, sans déplaire à l'oreille.

Pythagore, qui trouva le premier les rapports des intervalles harmoniques, prétendoit que ces rapports fussent observés dans toute la rigueur mathématique ; sans rien accorder à la tolérance de l'oreille. Cette sévérité pouvoit être bonne pour son tems, où toute l'étendue du système se bornoit encore à un si petit nombre de cordes. Mais comme la plûpart des instrumens des anciens étoient composés de cordes qui se touchoient à vuide, & qu'il leur falloit, par conséquent, une corde pour chaque son ; à mesure que le système s'étendit, ils ne tarderent pas à s'appercevoir que la regle de Pythagore eût trop multiplié les cordes, & empêché d'en tirer tous les usages dont elles étoient susceptibles. Aristoxene, disciple d'Aristote, voyant combien l'exactitude des calculs de Pythagore étoit nuisible au progrès de la Musique, & à la facilité de l'exécution, prit l'autre extrèmité ; & abandonnant presque entierement ces calculs, il s'en rapporta uniquement au jugement de l'oreille, & rejetta comme inutile tout ce que Pythagore avoit établi.

Cela forma dans la Musique deux sectes qui ont long-tems subsisté chez les Grecs ; l'une, des Aristoxéniens, qui étoient les musiciens de pratique ; & l'autre, des Pythagoriciens, qui étoient les philosophes.

Dans la suite, Ptolomée & Dydime trouvant, avec raison, que Pythagore & Aristoxene avoient donné dans des extrêmités également insoutenables ; & consultant à la-fois le sens & la raison, travaillerent chacun de leur côté à la réforme de l'ancien système diatonique. Mais comme ils ne s'éloignerent pas des principes établis pour la division des tétracordes, & que reconnoissant la différence du ton majeur au ton mineur, ils n'oserent toucher à celui-ci pour le partager comme l'autre par une corde chromatique en deux parties égales, le système général demeura encore long-tems dans un état d'imperfection qui ne permettoit pas d'appercevoir le vrai principe du tempérament.

Enfin Guy d'Arezze vint, qui refondit en quelque maniere la Musique, & qui inventa, dit-on, le clavecin. Or il est certain que cet instrument n'a pu subsister, non plus que l'orgue, du-moins tels ou à-peu-près que nous les connoissons aujourd'hui, que l'on n'ait en même tems trouvé le tempérament, sans lequel il est impossible de les accorder. Ces diverses inventions, dans quelque tems qu'elles aient été trouvées, n'ont donc pu être fort éloignées l'une de l'autre ; c'est tout ce que nous en savons.

Mais quoique la regle du tempérament soit connue depuis long-tems, il n'en est pas de même du principe sur lequel elle est établie. Le siecle dernier qui fut le siecle des découvertes en tout genre, est le premier qui nous ait donné des lumieres bien nettes sur cette pratique. Le pere Mersenne & M. Loullié se sont exercés à nous en donner des regles. M. Sauveur a trouvé des divisions de l'octave qui fournissent tous les tempéramens possibles. Enfin M. Rameau, après tous les autres, a cru developper tout de nouveau la véritable théorie du tempérament, & a même prétendu sur cette théorie établir sous son nom une pratique très-ancienne dont nous parlerons bientôt. En voilà assez sur l'histoire du tempérament ; passons à la chose même.

Si l'on accorde bien juste quatre quintes de suite, comme ut, sol, ré, la, mi, on trouvera que cette quatrieme quinte mi, fera avec l'ut une tierce majeure discordante, & de beaucoup trop forte ; c'est que ce mi engendré comme quinte de la, n'est pas le même son qui doit faire la tierce majeure de l'ut. En voici la raison. Le rapport de la quinte est de 2 à 3, ou, si l'on veut, d'1 à 3 ; car c'est ici la même chose, 2 & 1 étant l'octave l'un de l'autre ; ainsi la succession des quintes formant une progression triple, on aura ut 1, sol 3, ré 9, la 27, & mi 81.

Considerons maintenant ce mi comme tierce majeure d'ut. Son rapport est 4, 5, ou 1, 5 ; car 4 n'est que la double octave d'1. Si nous rapprochons d'octave en octave ce mi du précédent, nous trouverons mi 5, mi 10, mi 20, mi 40 & mi 80 ; ainsi la quinte de la étant mi 81, la tierce majeure d'ut est mi 80 ; ces deux mi ne sont donc pas le même ; leur rapport est 80/81 : ce qui fait précisément le comma majeur.

D'un autre côté, si nous procédons de quinte en quinte jusqu'à la douzieme puissance d'ut qui est le si dièse, nous trouverons que ce si excede l'ut dont il devroit faire l'unisson, & qu'il est avec lui en rapport de 531441 à 524288, rapport qui donne le comma de Pythagore. Desorte que par le calcul précédent le si dièse devroit exceder l'ut de trois comma majeurs, & par celui-ci, il doit seulement l'excéder du comma de Pythagore.

Mais il faut que le même son mi qui fait la quinte du la, serve encore à faire la tierce majeure de l'ut ; il faut que le même si dièse ; qui forme la treizieme quinte de ce même ut, en fasse en même tems l'octave, & il faut enfin que ces deux différentes regles se combinent de maniere qu'elles concourent à la constitution générale de tout le système. C'est la maniere d'exécuter tout cela qu'on appelle tempérament.

Si l'on accorde toutes les quintes justes, toutes les tierces majeures seront trop fortes, par conséquent les tierces mineures trop foibles, & la partition, aulieu de se trouver juste, voyez PARTITION, donnera à la treizieme quinte une octave de beaucoup trop forte.

Si l'on diminue chaque quinte de la quatrieme partie du comma majeur, les tierces majeures seront très-justes, mais les tierces mineures seront encore trop foibles ; & quand on sera au bout de la partition, on trouvera l'octave fausse, & trop foible de beaucoup.

Que si l'on diminue proportionnellement chaque quinte (c'est le système de M. Rameau), seulement de la douzieme partie du comma de Pythagore, ce sera la distribution la plus égale qu'on puisse imaginer, & la partition se trouvera juste ; mais toutes les tierces majeures seront trop fortes.

Tout ceci n'est que des conséquences nécessaires de ce que nous venons d'établir, & l'on peut voir par-là qu'il est impossible d'éviter tous les inconvéniens. On ne sauroit gagner d'un côté qu'on ne perde de l'autre. Voyons de quelle maniere on combine tout cela, & comment par le tempérament ordinaire on met cette perte même à profit.

Il faut d'abord remarquer ces trois choses : 1°. que l'oreille qui souffre & demande même quelque affoiblissement dans la quinte, est blessée de la moindre altération dans la justesse de la tierce majeure. 2°. Qu'en tempérant les quintes, comme on voudra, il est impossible d'avoir jamais toutes les tierces justes. 3°. Qu'il y a des tons beaucoup moins usités que d'autres, & qu'on n'emploie guere ces premiers que pour les morceaux d'expression.

Relativement à ces observations, les regles du tempérament doivent donc être 1°. de rendre autant qu'il est possible les tierces justes, même aux dépens des quintes, & de rejetter dans les tons qu'on emploie le moins, celles qu'on est contraint d'altérer ; car par cette méthode on fait entendre ces tierces le plus rarement qu'il se peut, & l'on les, reserve pour les morceaux d'expression qui demandent une harmonie plus extraordinaire. Or c'est ce qu'on observe parfaitement par la regle commune du tempérament.

Pour cela 1°. on commence par l'ut du milieu du clavier, & l'on affoiblit les quatre premieres quintes en montant, jusqu'à ce que la quatrieme mi fasse la tierce majeure bien juste avec le premier son ut, ce qu'on appelle la preuve. 2°. En continuant d'accorder par quintes, dès qu'on est arrivé sur les dièses, on renforce les quintes, quoique les tierces en souffrent, & l'on s'arrête quand on est arrivé au sol dièse. 3°. On reprend l'ut, & l'on accorde les quintes en descendant, savoir, fa, si bémol, &c. en les renforçant toujours, jusqu'à ce qu'on soit parvenu au ré bémol, lequel, pris comme ut dièse, doit se trouver d'accord, & faire la quinte avec le sol dièse auquel on s'étoit arrêté. Les dernieres quintes se trouveront un peu fortes, de même que les tierces. Mais cette dureté sera supportable, si la partition est bien faite, & d'ailleurs ces quintes par leur situation sont rarement dans le cas d'être employées.

Les musiciens & les facteurs regardent cette maniere de tempérament comme la plus parfaite que l'on puisse pratiquer ; en effet, les tons naturels jouissent par cette méthode de toute la pureté de l'harmonie, & les tons transposés qui forment des modulations peu usitées, offrent encore des ressources au musicien quand il a besoin d'expressions dures & marquées. Car il est bon d'observer, dit M. Rameau, que nous recevons des impressions différentes des intervalles à proportion de leurs différentes altérations. Par exemple, la tierce majeure qui nous excite naturellement à la joie, nous imprime jusqu'à des idées de fureur lorsqu'elle est trop forte, & la tierce mineure qui nous porte naturellement à la douceur & à la tendresse, nous attriste lorsqu'elle est trop foible.

Les habiles musiciens, continue le même auteur, savent profiter à-propos de ces différens effets des intervalles, & font valoir par l'expression qu'ils en tirent, l'altération qu'on pourroit y condamner.

Mais dans sa génération harmonique, M. Rameau parle bien un autre langage. Il se reproche sa condescendance pour l'usage actuel ; & détruisant en un moment tout ce qu'il avoit établi auparavant, il donne une formule d'onze moyennes proportionnelles entre les deux termes de l'octave, sur laquelle il veut qu'on regle toute la succession du système chromatique ; de sorte que ce système résultant de douze semi - tons parfaitement égaux, c'est une nécessité que tous les intervalles semblables qui en seront formés soient aussi parfaitement égaux entr'eux.

Pour la pratique, prenez, dit-il, telle touche du clavecin qu'il vous plaira ; accordez-en d'abord la quinte juste, puis diminuez-la si peu que rien, procédez ainsi d'une quinte à l'autre toujours en montant, c'est-à-dire du grave à l'aigu, jusqu'à la derniere dont le son aigu aura été le grave de la premiere, vous pouvez être certain que le clavecin sera bien d'accord, &c.

Il ne paroît pas que ce système ait été goûté des musiciens, ni des facteurs. Le premier ne peut se resoudre à se priver de la variété qu'il trouve dans les différentes impressions qu'occasionne le tempérament. M. Rameau a beau lui dire qu'il se trompe, & que le goût de variété se prend dans l'entrelacement des modes, & nullement dans l'altération des intervalles ; le musicien répond que l'un n'exclut pas l'autre, & ne se tient pas convaincu par une assertion.

A l'égard des facteurs, ils trouvent qu'un clavecin accordé de cette maniere n'est point aussi bien d'accord que l'assure M. Rameau ; les tierces majeures leur paroissent dures & choquantes ; & quand on leur répond qu'ils n'ont qu'à s'accoutumer à l'altération des tierces, comme ils l'étoient ci-devant à celles des quintes, ils repliquent qu'ils ne conçoivent pas comment l'orgue pourra s'accoutumer à ne plus faire les battemens désagréables qu'on y entend par cette maniere de l'accorder. Le pere Mersenne remarque que de son tems plusieurs pensoient que les premiers qui pratiquerent sur le clavecin les semi-tons, qu'il appelle feintes, accorderent d'abord toutes les quintes à-peu-près justes, selon l'accord égal que nous propose aujourd'hui M. Rameau ; mais que leur oreille ne pouvant souffrir la dissonance des tierces majeures nécessairement trop fortes, ils tempérerent l'accord en affoiblissant les quintes pour baisser les tierces majeures. Voilà ce que dit le pere Mersenne.

Je ne dois point finir cet article sans avertir ceux qui voudront lire le chapitre de la génération harmonique, où M. Rameau traite la théorie du tempérament, de ne pas être surpris s'ils ne viennent pas à bout de l'entendre, puisqu'il est aisé de voir que ce chapitre a été fait par deux hommes qui ne s'entendoient pas même l'un l'autre, savoir un mathématicien & un musicien.

La théorie du tempérament offre une petite difficulté de physique, de laquelle il ne paroît pas qu'on se soit beaucoup mis en peine jusqu'à présent.

Le plaisir musical, disent les physiciens, dépend de la perception des rapports des sons. Ces rapports sont-ils simples ? les intervalles sont consonnans, les sons plaisent à l'oreille. Mais dès que ces rapports deviennent trop composés, l'ame ne les apperçoit plus, & cela forme la dissonance. Si l'unisson nous plait, c'est qu'il y a rapport d'égalité qui est le plus simple de tous ; dans l'octave, le rapport est d'un à deux, c'est un rapport simple ; toutes ses puissances sont dans le même cas ; c'est toujours par la simplicité des rapports que notre oreille saisit avec plaisir les tierces, les quintes, & toutes les consonnances ; dès que le rapport devient plus composé seulement comme de 8 à 9, ou de 9 à 10, l'oreille est choquée ; elle est écorchée quand il est de 15 à 16.

Cela étant, je dis qu'un clavecin parfaitement d'accord, devroit, étant bien joué, produire la plus affreuse cacophonie que l'on puisse jamais entendre ; prenons la quinte ut, sol, son rapport est 2/3, rapport simple & facile à appercevoir ; mais il a fallu diminuer cette quinte ; & cette diminution qui est d'un quart de comma, formant une nouvelle raison, le rapport de la quinte ut, sol, ainsi tempérée, est justement de 2 x 81, à 240. Je demande donc en vertu de quoi, un intervalle dont les termes sont en telle raison, n'écorche pas les oreilles.

Si l'on chicane, & qu'on soutienne qu'une telle quinte n'est pas harmonieuse ; je dis en premier lieu que si l'on est instruit, ou qu'on ait de l'oreille, c'est parler de mauvaise foi ; car tous les musiciens savent bien le contraire : de plus, si l'on n'admet pas cette quinte ainsi altérée, on ne sauroit nier, du-moins, qu'une quinte parfaitement juste ne soit susceptible de quelque altération sans être moins agréable à l'oreille. Or il faut remarquer que, plus cette altération sera petite, & plus le rapport qui en résultera sera composé ; d'où il s'ensuit, qu'une quinte peu altérée devroit déplaire encore plus que celle qui le seroit davantage.

Dira-t-on que dans une petite altération, l'oreille supplée à ce qui manque à la justesse de l'accord, & suppose cet accord dans toute son exactitude ? qu'on essaye donc d'écouter une octave fausse ; qu'on y supplée ; qu'on y suppose tout ce qu'on voudra, & qu'on tâche de la trouver agréable. (S)


TEMPÉRANCES. f. (Morale) la tempérance dans un sens général, est une sage modération qui retient dans de justes bornes nos desirs, nos sentimens, & nos passions ; cette vertu si rare, porte les hommes à se passer du superflu. Le sage dédaigne les moyens pénibles que l'art a inventés pour se procurer l'aise, & ce qu'on nomme faussement le plaisir ; il se contente de la simplicité naturelle des choses : modéré dans la jouissance de ces mêmes objets, son coeur n'est point agité par la convoitise, temperat à luxuria rerum.

Mais nous prendrons ici la tempérance dans une signification plus limitée, pour une vertu qui met un frein à nos appétits corporels, & qui les contenant dans un milieu également éloigné de deux excès opposés, les rend non-seulement innocens, mais utiles, & louables.

Parmi les vices que réprime la tempérance, les principaux sont l'incontinence & la gourmandise, voyez ces deux mots. S'il est d'autres vices contraires à la tempérance, ils émanent de l'une ou de l'autre de ces deux sources, & par conséquent ces deux branches sont la chasteté & la sobriété.

On ne doit pas confondre, comme on le fait souvent, la continence avec la chasteté ; l'abus des termes entraîne avec soi la confusion des idées ; comme on peut être chaste sans s'astreindre à la continence, tel aussi s'en fait une loi, qui pour cela n'est pas chaste. La pensée toute seule peut souiller la chasteté ; elle ne suffit pas pour enfreindre la continence ; tous les hommes sans distinction de tems, d'âge, de sexe, & de qualités, sont obligés d'être chastes, mais aucuns ne sont obligés d'être continens.

La continence consiste à s'abstenir des plaisirs de l'amour ; la chasteté à ne jouir de ces plaisirs, qu'autant que la loi naturelle le permet. La continence, quoique volontaire, n'est point estimable par elle-même, & ne le devient qu'autant qu'elle importe accidentellement à la pratique de quelque vertu, ou à l'exécution de quelque dessein généreux : hors de ces cas, elle mérite souvent plus de blâme que d'éloges.

Quiconque est conformé de maniere à pouvoir procréer son semblable, a droit de le faire ; c'est le droit ou la voix de la nature ; & cette voix mérite plus d'égard que les institutions humaines, qui semblent la contrarier. Je ne sais point de raison qui oblige à une continence perpétuelle ; il en est tout au plus qui la rendent nécessaire pour un tems ; mais c'en est assez sur cet article.

Quant aux autres appétits sensuels opposés à la tempérance, je n'apporterai que la seule réflexion de M. J. J. Rousseau, sur le peu de sagesse qu'il y a de s'y livrer. " Puisque la vie est courte, dit-il, c'est une raison de dispenser avec économie sa durée, afin d'en tirer le meilleur parti qu'il est possible. Si un jour de satiété nous ôte un an de jouissance, c'est une mauvaise philosophie d'aller jusqu'où le desir nous mene, sans considérer si nous ne serons point plus tôt au bout de nos facultés que de notre carriere, & si notre coeur épuisé ne mourra point avant nous. Il arrive que ces vulgaires épicuriens toujours ennuyés au sein des plaisirs, n'en goûtent réellement aucun. Ils prodiguent le tems qu'ils pensent économiser, & se ruinent comme les avares, pour ne savoir rien perdre à propos ". (D.J.)


TEMPERANTadj. (Thérapeutiq.) remede tempérant, ou sédatif ; c'est un nom que les Médecins modernes donnent à certains remedes, ou bien c'est une certaine vertu de remede déterminée par les modernes, & assez mal déterminée, & qui consiste selon l'idée qu'ils attachent à ce mot, à calmer l'orgasme, ou la fougue des humeurs, & l'action excessive des solides : cette vertu paroît composée de l'anodine, de la rafraîchissante, de l'antiphlogistique, & de l'antispasmodique ; & de toutes celles-là, il paroît par la propriété dominante connue des remedes auxquels on a donné le titre de tempérant, ou sédatif, que c'est la vertu rafraîchissante à laquelle elle est le plus analogue.

Ces remedes sont les acides, le nitre, & le sel sédatif que M. Baron, qui a plus travaillé sur ce sel qu'aucun autre chymiste, croit ne devoir sa vertu sédative qu'à un principe acide : sur quoi on peut observer que si ce principe acide n'est pas bien démontré, la vertu sédative du sel sédatif est moins démontrée encore.

Quant à la qualité tempérante du nitre, elle paroît un peu plus constatée ; mais malgré l'autorité de Stahl, & les éloges qu'il donne au nitre (voyez NITRE), ni ses effets les plus clairement annoncés, ni ses effets assurément moins bien définis par cette qualification de tempérant, ne sont encore des choses reconnues en médecine sans contradiction. (b)


TEMPÉRATUREvoyez TEMPERAMENT.

TEMPERATURE, TEMPERAMENT, INTEMPERIE, (Langue franc.) le premier se dit de l'air, & le second de la constitution naturelle des hommes ; mais intempérie se dit de l'air & des humeurs.

Tempérament se dit encore en agriculture des terres, & figurément en morale, d'un adoucissement, d'un milieu qu'on cherche, ou qu'on trouve en affaires, pour accorder des parties. (D.J.)


TEMPÉRÉadj. (Géog.) zones tempérées, sont les deux zones qui sont entre la zone torride & la zone froide ; l'une dans l'hémisphere septentrional, l'autre dans l'hémisphere méridional. On les appelle tempérées, parce que la chaleur y est beaucoup moindre que dans la zone torride, & le froid moindre que dans les zones froides. Les habitans de ces zones participent d'autant plus de la chaleur ou du froid, qu'ils sont plus près de la zone torride ou de la zone froide, & le climat que nous habitons, est peut-être à cet égard le plus doux & le plus tempéré qui soit sur la terre. (O)


TEMPêTES. f. (Phys.) agitation violente de l'air avec de la pluie ou sans pluie, ou avec de la grêle, de la neige, &c. Voyez VENT, OURAGAN, &c.

Il y a des endroits dans la mer plus sujets que d'autres aux tempêtes ; par exemple, vers la partie septentrionale de l'équateur, entre le quatrieme & le dixieme degré de latitude, & entre les méridiens qui s'étendent au-delà des îles hespérides, on a toujours entre les mois d'Avril & de Septembre, du tonnerre, des éclairs, des ouragans, des ondées, &c. qui se succedent fort vîte les uns aux autres ; il fait aussi souvent des tempêtes proche les côtes d'Angola. Mussch. essai de Physique. (O)

TEMPETE, (Mythol.) les Romains avoient déifié la Tempête ou les tempêtes ; elle avoit un temple à Rome, Ovide, dans le VI. liv. des Fastes :

Te quoque Tempestas, meritam delubra fatemur,

Cùm penè est Corsis obruta classis aquis.

" Nous avouons que la Tempête a mérité des temples quand notre flotte fut presque submergée près de Corse ". Cela arriva l'an de Rome 494 : lorsque le vieux Scipion qui étoit alors consul, prit la Corse, ses vaisseaux furent en grand danger ; c'est pourquoi il voua un temple à la Tempête dans le premier quartier de Rome ; c'est ce qu'il est facile de justifier par un monument de ce tems-là, que Gassendi rapporte dans la vie de M. de Peiresc.

On ne sera pas fâché de le lire ici ; car c'est une chose assez curieuse de voir de quelle maniere les premiers latins écrivoient leur langue. Honc. Oino. Ploirume. consentiont. R. Duonoro. Optumo. Fuisse. Viro. Luciom. Scipione. filios. Barbati. Consol. Censor, Aidilis. Hic Fuet. Hic cepit. Corsica. Aleriaque Urbe debet. tempestatibus. Aide Mereto.

Voici comment on l'écriroit aujourd'hui, Hunc unum plurimi consentiunt Romani bonorum optimum fuisse virum Lucium Scipionem, filius Barbati, consul, censor, aedilis, hic fuit, hic cepit Corsicam, Aleriamque urbem, dedit tempestatibus aedem meritò, " c'est-à-dire, la plûpart des Romains tombent d'accord, que. Lucius Scipion fils de Barbatus, étoit le plus honnête homme de la république ; il fut consul, censeur, & édile ; il prit Corse & la ville d'Aléria, & il consacra aux tempêtes le temple qu'elles avoient bien mérité ". (D.J.)

TEMPETE, (Peint. poétiq.) voilà le phénomène de la nature, sur lequel les anciens poëtes ont le plus exercé leurs talens ; mais de l'aveu des connoisseurs, c'est Virgile qui a remporté le prix dans cette carriere ; je n'excepte pas même Homere, quoique le prince des poëtes latins ait pris la description du V e. livre de l'odyssée pour modele. Celle de Lucain, liv. V. est peut-être ridicule ; & celle d'Ovide, Métam. II. & Trist. I. est certainement trop badine ; mais Virgile s'est surpassé par la vérité du coloris, la force & la grandeur des images. Je relis avec un nouveau plaisir sa description, pour la trentieme fois, & je croirois manquer au bon goût, que de ne la pas transcrire dans cet ouvrage.

Venti velut agmine facto,

Quâ data porta ruunt, & terras turbine perflant.

Incubuere mari, totumque à sedibus imis

Una Eurusque Notusque ruunt, creberque procellis

Africus, & vastos volvunt ad littora fluctus.

Insequitur clamorque virum, stridorque rudentum,

Eripiunt subitò nubes coelumque, diemque

Teucrorum ex oculis ; ponto nox incubat atra :

Intonuere poli, & crebris micat ignibus aether.

Praesentemque viris intentant omnia mortem.

Talia jactanti stridens Aquilone procella

Velum adversa ferit, fluctusque ad sidera tollit :

Franguntur remi, tum prora avertit, & undis

Dat latus, insequitur cumulo praeruptus aquae mons.

Hi summo in fluctu pendent ; his unda dehiscens

Terram inter fluctus aperit, furit aestus arenis.

Tres Notus abreptas in saxa latentia torquet,

Saxa vocant Itali, mediis quae fluctibus aras,

Dorsum immane mari summo, tres Eurus ab alto

In brevia & syrteis urget, miserabile visu,

Illiditque vadis, atque agere cingit arenae.

Unam, quae Lycios, fidumque vehebat Orontem,

Ipsius ante oculos ingens à vertice pontus

In puppim ferit, excutitur, pronusque magister

Volvitur in caput ; ast illam ter fluctus ibidem

Torquet agens circum, & rapidus vorat aequore vortex.

Apparent rari nantes in gurgite vasto :

Arma virûm, tabulaeque & Troïa gaza per undas.

Jam validam Ilionei navem, jam fortis Achatae

Et qua vectus Abas, & qua grandaevus Alethes

Vicit hyems, laxis laterum compagibus omnes

Accipiunt inimicum imbrem, rimisque fatiscunt.

Aeneid. l. I. v. 87. &c. & 106. &c.

A l'instant tous les vents en foule sortent impétueusement de leurs cavernes, & se répandant sur la terre & sur la mer, y excitent la plus affreuse tempête. Le jour fuit ; les nuages épais dérobent le ciel aux Troïens, & les plongent dans les ténebres. Les cris des matelots, le bruit des cordages, la nuit répandue sur les ondes, les fréquens éclairs dont l'air est enflammé, le tonnerre qui gronde au septentrion & au midi, tout offre l'image d'une mort inévitable. La tempête augmente, & l'aquilon luttant contre les voiles, déploie ses fureurs ; il éleve les vagues jusqu'aux nues, & brise les rames ; la proue des navires se renverse, & ils prêtent le flanc aux vagues qui, comme de hautes montagnes, les accablent ; les navires semblent tantôt plongés dans le sein de la mer, & tantôt élevés jusqu'aux nues ; trois furent jettés par le vent du sud sur des bancs de sable, & contre ces vastes rochers à fleur d'eau, que nous appellons autels ; trois furent emportés par le vent d'est vers les Syrtes, où ils toucherent les sables & échouerent ; celui qui portoit le fidele Oronte, & les Lyciens, reçut un coup de vague qui submergea sa poupe dans les flots ; le pilote tombe, le vaisseau tourne, & est bientôt enseveli dans les gouffres de Neptune ; à peine un petit nombre de ceux qui le montoient, pût-il se sauver à la nage ; on voit flotter autour d'eux les débris de leur naufrage ; déja les navires d'Ilionée, d'Acate, d'Abas, & du vieux Alethès, succombent sous les fureurs de la tempête. Tous enfin fracassés & entr'ouverts, font eau de toutes parts, & sont prets d'être engloutis.

Entre les modernes, les Anglois ont excellé. Y a-t-il ailleurs de plus belle description de tempête que celles de Milton, du chevalier Blackmore, & de M. Thompson.

Il est difficile de rendre leurs vers en notre langue. Voici une esquisse de la tempête du dernier des trois poëtes que j'ai nommés.

Tout est dans l'étonnement, la crainte, & le silence, quand tout-à-coup l'éclair se montre au sud, à l'oeil effrayé ; le tonnerre qui le suit plus lentement, fait entendre sa voix terrible à-travers les nuages, dans la vaste étendue de l'air ; la tempête gronde & résonne dans les cieux ; mais quand l'orage approche, qu'il roule son terrible fardeau sur les vents, les éclairs forment alors des sillons plus larges, & le bruit redouble. Aussitôt une flamme livide se déploie sur la tête, le nuage s'ouvre & se ferme sans-cesse, se ferme & s'ouvre encore, s'étend, & enveloppe tout dans une mer de feu ; le bruit suit de près, augmente, brise ses liens, s'approfondit, devient une confusion ; le fracas répété, écrase & déchire le ciel & la terre.

Un déluge de grêle bruyante, & de pluie chaude en grosses gouttes, se précipite avec fracas, & les nuages ouverts versent un fleuve entier ; cependant le flambeau de l'invincible éclair n'est pas encore éteint ; il fait de nouveaux efforts ; le tonnerre tournoyant en balles rouges, déchire fierement, & allume les montagnes avec une rage redoublée ; le pin brisé & noirci du coup, demeure un tronc informe & hideux ; les troupeaux frappés, restent étendus comme un grouppe inanimé : ici, les douces brebis, avec le regard toujours innocent, semblent ruminer encore, le taureau paroît froncer le sourcil, & le boeuf est à moitié debout. Le rocher escarpé est frappé du même coup, ainsi que la vénérable tour, & le temple en pyramide, qui tombent, & perdent pour jamais leur ancien orgueil ; les bois obscurs tressaillent à l'éclair, & les arbres antiques, environnés de feux, tremblent jusque dans leurs profondes racines ; le rugissement furieux retentit au milieu des montagnes de Carnarvon, le sommet hérissé tombe en éclat dans la mer enflammée, détaché des roches de Pennamaur, entassées jusqu'aux cieux ; la pointe de Snowden se fondant, quitte subitement ses neiges éternelles ; le haut du Chéviot plein de bruyeres, se voit de loin enflammé, & Thulé retentit à travers ses îles les plus reculées.

Enfin les nuages dispersés de la surface des cieux, errent en désordre ; le firmament sans bornes s'éleve, & étend sur le monde un azur plus pur ; la nature après la tempête se pare de nouveau ; l'éclat & le calme se répandent en un instant à travers l'air qui s'éclaircit ; une écharpe éclatante de joie, ornée d'un rayon jaune, signe du danger passé, environne les champs baignés encore après l'orage. (Le chevalier DE JAUCOURT )


TEMPIAT(Soierie) instrument destiné à tenir l'étoffe en largeur ; il est garni de pointes qui entrent dans la lisiere de l'étoffe ; il est composé de deux parties, dont l'une se meut dans l'autre par le moyen d'une vis, qui sert à allonger ou à raccourcir son étendue.


TEMPLETEMPE, s. f. (Synonym.) on nomme indifféremment par ces deux termes, la partie double de la tête, qui est à l'extrêmité du front, entre les yeux & les oreilles. L'académie françoise préfere temple à tempe, & je ne crois pas qu'elle ait raison, car outre que tempe ôte l'équivoque, il répond au mot latin tempora, qui désigne le tems ou l'âge de l'homme, à cause que le poil de cet endroit blanchit ordinairement le premier. De-là vient qu'Homere appelle poliocrotaphes les hommes qui grisonnent ; en grec , de , chauve, & , tempora, la tempe. (D.J.) Voyez TEMPE.

TEMPLE, EGLISE, (Synonym.) ces mots signifient un édifice destiné à l'exercice public de la religion ; mais temple est du style pompeux ; église du style ordinaire, du moins à l'égard de la religion romaine t car à l'égard du paganisme, & de la religion protestante, on se sert du mot de temple, même dans le style ordinaire, au-lieu de celui d'église. Ainsi l'on dit le temple de Janus, le temple de Charenton, l'église de S. Sulpice.

Temple paroît exprimer quelque chose d'auguste, & signifier proprement un édifice consacré à la divinité. Eglise paroît marquer quelque chose de plus commun, & signifier particulierement un édifice fait pour l'assemblée des fideles.

Rien de profane ne doit entrer dans le temple du Seigneur : on ne devroit permettre dans nos églises que ce qui peut contribuer à l'édification des chrétiens.

L'esprit & le coeur de l'homme sont les temples chéris du vrai Dieu ; c'est-là qu'il veut être adoré ; envain on fréquente les églises, il n'écoute que ceux qui lui parlent dans leur intérieur.

Les temples des faux dieux étoient autrefois des asyles pour les criminels ; mais c'est, ce me semble, deshonorer celui du très-haut, que d'en faire un réfuge de malfaiteurs. Si l'on ne peut apporter à l'église un esprit de recueillement, il faut du moins y être d'un air modeste, la bienséance l'exige, ainsi que la piété. Girard. (D.J.)

TEMPLE, s. m. (Archit.) c'est dans l'ancienne architecture, un bâtiment destiné au culte divin, & où l'on faisoit les sacrifices : ce bâtiment étoit composé de quatre parties. La premiere étoit formée par des aîles en forme de galerie, ou portiques, nommés pleromata. La seconde étoit un porche appellé pronaos ; une partie à-peu-près semblable étoit opposée à celle-ci ; & une troisieme beaucoup plus grande, étoit au-milieu de ces trois parties.

L'art de l'architecture des temples étoit aussi perfectionné que diversifié chez les Grecs & les Romains ; mais il s'agit seulement d'expliquer ici les principaux termes qui prouvent cette diversité.

Temple amphitrostyle, ou double prostyle. Temple qui avoit des colonnes devant & derriere, & qui étoit aussi tétrastyle. Voyez ci - après TEMPLE TETRASTYLE.

Temple à antes. C'étoit, selon Vitruve, le plus simple de tous les temples ; il n'avoit que des pilastres angulaires, appellés antes ou parastates, à ses encoignures, & deux colonnes d'ordre toscan aux côtés de sa porte.

Temple diptere. Temple qui avoit deux rangs de colonnes isolées en son circuit, & qui étoit octostyle, c'est-à-dire, avec huit colonnes de front ; tel étoit le temple de Diane à Ephese. Le mot diptere vient du grec , qui a deux aîles.

Temple hypêtre. Temple dont la partie intérieure étoit à découvert, ainsi que l'indique le mot hypêtre, dérivé du grec , qui signifie lieu découvert. Il étoit décastyle, ou avec dix colonnes de front, & avoit deux rangs de colonnes en son pourtour extérieur, & un rang dans l'intérieur. Tel étoit le temple de Jupiter Olympien à Athenes.

Temple monoptere. Temple rond & sans murailles, qui avoit un dôme porté sur des colonnes ; c'est ainsi qu'étoit le temple d'Apollon Pythien, à Delphes.

Temple périptere. Temple qui étoit décoré de quatre rangs de colonnes isolées en son pourtour, & qui étoit hexastyle, c'est-à-dire, avec six colonnes de front, comme le temple de l'Honneur & de la Vertu à Rome. Le mot périptere est formé de deux mots grecs, , à-l'entour, & , aîle.

Temple périptere rond. Temple dont un rang de colonnes forme un porche circulaire, qui environne une rotonde, comme les temples de Vesta à Rome, & de la Sibylle à Tivoli, & une petite chapelle près S. Pierre in montorio, à Rome, bâtie par Bramante, fameux architecte.

Temple prostyle. Temple qui n'avoit des colonnes qu'à la face antérieure, comme le temple d'ordre dorique de Cérès Eléusis, en Grece. Le mot prostyle est derivé de deux mots , devant ; & , colonne.

Temple pseudodiptere, ou diptere imparfait. Temple qui avoit huit colonnes de front, avec un seul rang de colonnes qui régnoit au pourtour, comme le temple de Diane, dans la ville de Magnesie en Grece.

Temple tétrastyle. Le mot grec , qui signifie quatre colonnes de front, caractérise ce temple. Tel étoit celui de la Fortune virile à Rome. (D.J.)

TEMPLE, de Dieu, (Critique sacrée) ; ce mot, outre le sens propre d'un édifice consacré au culte public de Dieu, se prend au figuré dans l'Ecriture, 1°. pour le séjour des bienheureux, 2°. pour l'Eglise de Jesus-Christ. " L'antechrist, dit Saint Paul, II. Thessalon. ij. 4. siégera dans le temple de Dieu, c'est-à-dire, usurpera dans l'Eglise le pouvoir & les honneurs divins " 3°. Pour les fideles : Vous êtes le temple de Dieu ; car l'esprit de Dieu habite en vous, I. Corinth. iij. 16. Un poëte grec a dit de la divinité, " qu'elle trouve autant de plaisir à habiter chez les gens de bien que dans l'olympe. " (D.J.)

TEMPLE de Salomon, (Hist. sacrée) David rassembla long-tems des matériaux pour la construction de ce temple, que Salomon éleva sur le mont de Sion, & qu'il acheva dans le cours de deux ans & avec des dépenses prodigieuses. Ce n'étoit cependant qu'une masse de bâtiment, qui n'avoit que cent cinquante piés de long, & autant de large en prenant tout le corps de l'édifice d'un bout à l'autre, ce qui est au-dessous de plusieurs de nos églises paroissiales. On ne conçoit guere qu'un si petit édifice ait occupé cent soixante mille ouvriers, que les rois d'Egypte & de Tyr fournirent à Salomon, au rapport de Clément qui dit avoir lu cette particularité dans un ouvrage d'Alexandre Polyhistor. Il faut donc supposer que c'étoit au travail exquis des ornemens & des décorations intérieures, que la plûpart de ces ouvriers furent occupés. Le livre des chroniques, ch. iij. dit que la seule dépense des décorations du saint des saints, qui étoit une place de trente piés en quarré & de trente piés de haut, montoit à six cent talens d'or. S'il ne s'est point glissé d'erreur dans le texte, c'est une somme de quatre millions trois cent vingt mille livres sterling pour cette seule partie du temple, mais cela n'est pas vraisemblable.

Les édifices extérieurs étoient fort considérables ; car la cour dans laquelle le temple étoit placé, & celle du dehors nommée la cour des femmes, étoient environnées de bâtimens & de bâtimens magnifiques. Les portes qui y conduisoient, répondoient à cette magnificence. Enfin, la cour intérieure qui formoit un quarré de mille sept cent cinquante piés de chaque côté, & qui embrassoit tout le reste, étoit entourée d'une galerie soutenue de trois rangs de colonnes à trois de ses côtés, & de quatre rangs au quatrieme. C'étoit-là qu'étoient les logemens des prêtres & des lévites, & les magasins de toutes les choses nécessaires au culte public.

Au milieu de cette derniere enceinte étoit le sanctuaire, le saint, & le vestibule. Le sanctuaire formoit un cube parfait, ayant trente piés en tous sens. Au milieu étoit placée l'arche de l'alliance. A ses deux extrêmités on voyoit deux chérubins de quinze piés de haut, l'un d'un côté, l'autre de l'autre, à égale distance du centre de l'arche & du mur de chaque côté. Ces chérubins, en étendant leurs aîles, occupoient toute la largeur du sanctuaire : voilà pourquoi l'Ecriture dit si souvent, que Dieu habitoit entre les chérubins.

Le saint contenoit le chandelier d'or, la table des pains de proposition, & l'autel d'or, sur laquelle on offroit les parfums. Ce métal étoit semé avec profusion dans tout l'intérieur du temple ; les tables, les chandeliers, les vases nombreux, de toutes especes, étoient d'or. L'auteur du II. des Paralip. vij. 1. dit noblement, pour en peindre l'éclat : majestas Domini implevit domum, la majesté du Seigneur remplissoit son palais.

Mais ce beau temple, depuis sa construction, essuya bien des malheurs. Il fut pillé sous Roboam par Sézac roi d'Egypte. Achaz roi de Juda le ferma. Manassès le changea jusqu'à sa conversion, en réceptacle de superstition & d'idolatrie. Enfin l'an 598 avant Jesus-Christ, & la premiere du regne de Sédécias, Nabuchodonosor s'étant rendu maître de Jérusalem par la rebellion de Jehojakim, ruina le temple de Salomon, en enleva tous les vases, tous les trésors qui y étoient, & les transporta à Babylone.

On sait la suite des événemens qui concernent ce temple. Il demeura enseveli sous ses ruines pendant l'espace de cinquante-deux ans, jusqu'à la premiere année du regne de Cyrus à Babylone. Ce prince, l'an 536 avant Jesus-Christ, permit aux Juifs de retourner à Jérusalem, & de rebâtir leur temple ; la dédicace s'en fit l'an 515 avant Notre-Seigneur, & la septieme année du regne de Darius fils d'Hystaspe. Ce second temple, dont on trouvera l'histoire au mot JERUSALEM, fut pillé & prophané l'an 171 avant Jésus-Christ par Antiochus qui y fit un butin, qu'on estima dix-huit cent talens d'or. Trois ans après, Judas Macchabée le purifia & y rétablit le culte de Dieu. Pompée s'étant rendu maître de la ville l'an 63 avant Jesus-Christ, sous le consulat de Caïus Antonius & de Cicéron, il entra dans le temple, en vit toutes les richesses, & se fit un scrupule d'y toucher. Neuf ans après, Crassus moins religieux, les ravit par un pillage sacrilege qui montoit à plus de deux millions sterlings. Hérode abattit ce triste édifice qui depuis cinq cent ans d'existence, avoit beaucoup souffert & des sieges des ennemis, & plus encore des injures du tems. Il éleva à sa place un nouveau temple qui fut réduit en cendres à la prise de Jérusalem par Titus. (D.J.)

TEMPLES, (Littérat.) Est-ce la piété ou la superstition qui éleva tant de temples superbes au culte des dieux ? Pour moi je pense que la politique se flatta par de magnifiques ouvrages de l'art, d'imprimer plus de respect, & d'exciter plus de crainte dans l'esprit des peuples.

Les arbres furent les premiers autels, & les champs les premiers temples. C'étoit sur des pierres brutes ou des mottes de gazon, que se firent les premieres offrandes à la Divinité. Dans des tems où l'on ne connoissoit ni l'Architecture ni la Sculpture, on choisit pour le culte religieux des bois plantés sur des hauteurs, & ces bois devinrent sacrés ; on les éclaira de lumieres, parce qu'on y passoit une partie de la nuit ; on les orna de guirlandes & de bouquets de fleurs ; on suspendit dans les chapelles de treillage les dons & les offrandes. L'on y fit des repas publics, accompagnés dans les années fertiles, de chants, de danses, & de toutes les autres marques de la joie & de la reconnoissance.

Les temples de pierre & de marbre naquirent avec les progrès de l'Architecture. Il arriva même alors, que pour conserver l'ancien usage, on continua de planter des bois autour des temples, de les environner de murailles ou de haies, & ces bois passoient pour sacrés.

Bientôt on éleva dans les villes des temples superbes en l'honneur des dieux, & la Sculpture tailla leurs statues. Phidias, par l'effort d'un art également brillant & heureux, d'un bloc de marbre, fit le dieu qui lance le tonnerre.

Tremblez, humains, faites des voeux ;

Voilà le maître de la Terre !

C'est en Egypte que la construction des temples prit naissance. Elle fut portée de-là chez les Assyriens, les Phéniciens & les Syriens, passa dans la Grece avec les colonies, & de la Grece vint à Rome. Telle a été la marche constante de la religion, des sciences & des beaux arts. Il n'y eut que quelques peuples, tels que les Perses, les Indiens, les Getes & les Daces qui persisterent dans le sentiment, qu'on ne devoit pas enfermer les dieux dans aucun édifice de la main des hommes, quelque magnifique qu'il pût être : parietibus nunquam includendos deos, quibus omnia deberent esse patentia, comme s'exprime Ciceron ; mais l'idée contraire des nations policées prévalut dans le monde.

Il arriva même, avec le tems, que chaque divinité eut ses temples favoris, dont elle ne dédaignoit point de porter le nom, & c'étoit-là que son culte étoit le plus florissant. Les villes qui leur étoient dévouées, & qui se donnoient le titre ambitieux de villes sacrées, tirant avantage du grand concours de peuple qui venoit de toutes parts à leurs solemnités, prenoient sous leur protection, ceux que la religion, la curiosité ou le libertinage y attiroient, les défendoient comme des personnes inviolables, & combattoient, pour l'immunité de leurs temples, avec autant de zele que pour le salut de la patrie.

Pour en augmenter la vénération, ils n'épargnoient ni la somptuosité des bâtimens, ni la magnificence des décorations, ni la pompe des cérémonies. Les miracles & les prodiges excitant encore davantage le respect & la dévotion populaire, il n'y avoit guere de temples renommés dont on ne publiât des choses surprenantes. Dans les uns, les vents ne troubloient jamais les cendres de l'autel, dans les autres il ne pleuvoit jamais, quoiqu'ils fussent découverts. La simplicité superstitieuse des peuples recevoit aveuglément ces prétendues merveilles, & le zele intéressé des ministres de la religion les soutenoit avec chaleur.

L'aspect de ces temples étoit fort imposant. On trouvoit d'abord une grande place accompagnée de galeries couvertes en forme de portiques, à l'extrêmité de laquelle on voyoit le temple, dont la figure étoit le plus souvent ronde ou quarrée. Il étoit ordinairement composé de quatre parties ; savoir, d'un porche ou vestibule faisant la façade ; d'une autre semblable piece à la partie opposée ; de deux aîles formées de chaque côté par divers rangs de colonnes ; & du corps du temple appellé cella ou . Ces trois premieres parties ne se trouvoient pas néanmoins dans tous les temples. Les temples environnés de colonnes de toutes parts, étoient appellés périptères : on leur donnoit le nom de diptères, quand il y en avoit double rang : tel étoit le second temple d'Ephèse.

On peut voir dans Hérodote quelle étoit la magnificence du temple de Vulcain à Memphis, que tant de rois eurent bien de la peine à achever ; c'étoit une grande gloire, si dans un long regne un prince avoit pu en construire un portique. On connoît la description du temple de Jupiter olympien par Pausanias. Le temple de Delphes étoit aussi fameux par ses oracles que par les présens immenses dont il étoit rempli. Le temple d'Ephese, qu'un insensé brûla pour acquérir l'immortalité, passoit pour un chef-d'oeuvre de l'art : on le rebâtit encore plus superbement. Les temples de Minerve à Athènes & à Saïs ne sont pas moins célebres. Le temple de Jupiter capitolin à Rome, incendié tant de fois, épuisa la prodigalité de Domitien pour le rebâtir. Le corps du panthéon subsiste toujours dans son entier sous le nom de l'église de tous les saints, auxquels il est consacré, comme il l'étoit dans le paganisme, à tous les dieux. Le temple de la Paix faisoit, au rapport de Pline, un des plus beaux ornemens de Rome. Enfin, rien n'étoit plus étonnant dans le paganisme que le temple de Belus, composé de sept étages, dont le plus élevé renfermoit la statue de ce dieu. Il y a beaucoup d'autres temples moins célebres, dont nous tracerons l'histoire avec quelque soin, parce qu'elle est très-intéressante. Les Antiquaires ont fait dessiner le plan de quelques - uns de ces fameux édifices, sur - tout le P. Montfaucon, qu'on peut consulter dans son antiq. expliq. tome II. pag. 54. & suiv.

Le respect que l'on avoit pour les temples répondoit à leur beauté ; ils étoient, comme je l'ai dit, un lieu d'asyle pour les coupables & pour les débiteurs ; on n'osoit y cracher ; & dans les calamités publiques, les femmes venoient se prosterner dans le sanctuaire, pour en balayer le pavé avec leurs cheveux. Rarement les conquérans osoient en enlever les richesses ; car la politique & la religion contribuoient également à rendre ces monumens sacrés & inviolables.

L'intérieur de tous ces temples étoit communément décoré de statues de dieux & de statues de grands hommes, de tableaux, de dorures, d'armes prises sur les ennemis, de trépiés, de boucliers votifs, & d'autres richesses de ce genre. Outre ces sortes d'ornemens, on paroit les temples, dans les jours de solemnité, des décorations les plus brillantes, & de toutes sortes de festons de fleurs.

De plus, comme ces temples étoient destinés au culte des dieux, on avoit égard dans leur structure, à la nature & aux fonctions qui leur étoient attribués. Ainsi, suivant Vitruve, les temples de Jupiter foudroyant, du Ciel, du Soleil, de la Lune, & du dieu Fidius, devoient être découverts. On observoit cette même convenance dans les ordres d'architecture. Les temples de Minerve, de Mars & d'Hercule devoient être d'ordre dorique, dont la majesté convenoit à la vertu robuste de ces divinités. On employoit pour ceux de Vénus, de Flore, de Proserpine, & des nymphes des eaux, l'ordre corinthien, l'agrément des feuillages, des fleurs & des volutes dont il est égayé, sympathisant avec la beauté tendre & délicate de ces déesses. L'ordre ionique qui tenoit le milieu entre la sévérité du dorique & la délicatesse du corinthien, étoit mis en oeuvre dans ceux de Junon, de Diane, & de Bacchus, en qui l'on imaginoit un juste mêlange d'agrément & de majesté. L'ouvrage rustique étoit consacré aux grottes des dieux champêtres. Enfin, tous les ornemens d'architecture que l'on voyoit dans les temples, faisoient aussi-tôt connoître la divinité qui y présidoit.

Au reste, ce ne fut pas aux dieux seuls que l'on bâtit des temples, les Grecs, les Asiatiques, & les Syriens en consacrerent à leurs bienfaiteurs ou à leurs maîtres. Les loix romaines laissoient même la liberté aux proconsuls de recevoir des honneurs pareils ; cet usage même étoit établi dès le tems de la république, comme Suétone le remarque, & comme il seroit aisé de le prouver par un grand nombre d'exemples. (D.J.)

TEMPLES DES EGYPTIENS. (Antiq. Egypt.) Voici la forme des temples d'Egypte suivant Strabon.

A l'entrée du temple, dit-il, est une cour pavée de la largeur d'un arpent, & de la longueur de trois, de quatre ou même davantage. Ce lieu s'appelle dromos en grec, mot qui veut dire la course.

Le long de cet espace, des deux côtés de la largeur, sont posés des sphinx de pierre à vingt coudées, & même plus de distance l'un de l'autre, de sorte qu'il y en a un rang à droite, & un rang à gauche. Après les sphinx est un grand vestibule ; plus avant il y en a un second, puis un troisieme : mais ni le nombre des vestibules, ni celui des sphinx n'est fixé ; il y en a plus ou moins, à proportion de la longueur & de la largeur des dromes.

Après le vestibule est le temple qui a un grand parvis, mais le temple même est petit : il n'y a aucune figure, ou s'il y en a, ce n'est point celle d'un homme, mais de quelque bête. Des deux côtés du parvis s'étendent les aîles, ce sont des murs aussi hauts que le temple. D'abord leur distance est un peu plus grande que toute la largeur du temple ; ensuite elles se rapprochent l'une de l'autre jusqu'à cinquante ou soixante coudées. Ces murailles sont pleines de grandes figures sculptées pareilles aux ouvrages des Toscans ou des anciens Grecs. Il y a aussi un bâtiment sacré soutenu sur un grand nombre de colomnes, comme à Memphis, d'une fabrique dans le goût barbare ; car outre que les colonnes sont grandes & en grand nombre & disposées en plusieurs rangs, il n'y a ni peinture ni grace ; c'est plutôt un amas de pierres qui a couté inutilement beaucoup de travail.

Les Egyptiens avoient des temples monolythes, ou faits d'un seul morceau de marbre fouillé dans les carrieres éloignées, & qu'on avoit amené par des machines, que nous ne pouvons construire aujourd'hui, tout savans que nous croyons être dans la méchanique.

Rien de plus superbe que leurs temples, dit Clément d'Alexandrie, (Paedag. lib. III. cap. 2. p. 216.) rien de plus grave que leurs sacrificateurs ; mais quand on entre dans le sanctuaire, & que le prêtre levant le voile, offre aux yeux la divinité, il fait éclater de rire les spectateurs à l'aspect de l'objet de son adoration ; on voit un chat, un crocodile, un serpent étranger qui se roule sur des tapis de pourpre. C'est là-dessus que saint Clément compare ces dieux égyptiens dans leurs temples aux femmes qui se parent de riches habits ; l'extérieur de ces femmes, continue-t-il, est magnifique, mais l'intérieur en est méprisable.

Ce que Clément d'Aléxandrie avance de la magnificence des temples de l'Egypte, est confirmé par les historiens prophanes. Hérodote, Lucien & autres, n'en parlent pas autrement : ils témoignent tous que l'Egypte avoit un grand nombre de temples plus riches, & plus splendides les uns que les autres. Tels étoient ceux d'Isis & d'Osiris en général ; tels étoient en particulier ceux de Jupiter à Diospolis, & à Hermunthis, celui de Vulcain à Memphis, & celui de Minerve à Saïs. Nous parlerons de ces deux derniers à leur rang. (D.J.)

TEMPLES DES GRECS. (Antiq. Grecq.) Les Grecs avoient un si grand nombre de temples, de chapelles & d'autels, qu'on en trouvoit à chaque pas dans les villes, dans les bourgades & dans les campagnes. Pour s'en convaincre, on n'a qu'à lire les anciens auteurs, sur-tout Pausanias qui s'est attaché particulierement à les décrire, & qui en parle presque à chaque page de son voyage de la Grece.

Parmi tant de temples, Vitruve en admiroit principalement quatre bâtis de marbre, & si noblement enrichis, qu'ils faisoient l'étonnement des plus grands connoisseurs, & étoient devenus la regle des bâtimens dans les trois ordres d'architecture, le dorien, l'ionien & le corinthien.

Le premier de ces beaux ouvrages, étoit le temple de Diane à Ephèse ; le second celui d'Apollon dans la ville de Milet, l'un & l'autre d'ordre ionique ; le troisieme étoit le temple d'Eleusis, d'ordre dorique ; le quatrieme étoit le temple de Jupiter Olympien à Athènes, d'ordre corinthien. On pense bien que ces quatre temples ne seront pas oubliés dans notre liste ; il ne s'agit ici que d'observations générales sur tous les temples de la Grece.

Ils étoient partagés en plusieurs parties qu'il est bon de distinguer pour entendre les descriptions qu'en font les historiens. La premiere étoit le vestibule, où étoit la piscine, dans laquelle les prêtres, aeditui, puisoient l'eau lustrale, pour expier ceux qui vouloient entrer dans les temples ; ensuite venoit la nef, ; & le lieu saint appellé penetrale, sacrarium, adytum, dans lequel il n'étoit pas permis aux particuliers d'entrer ; il y avoit enfin l'arriere temple ; mais tous n'avoient pas cette partie. Les temples grecs avoient souvent des portiques, & toujours des marches pour y monter ; il y en avoit aussi plusieurs avec des galeries autour ; ces galeries étoient formées d'un rang de colonnes posées à un certain espace du mur couvertes de grandes pierres : ces sortes de temples se nommoient perieptères, c'est-à-dire, ailés ; diptères, quand la galerie avoit deux rangs de colonnes ; prostyles, lorsque les colonnes formoient le portique sans galerie ; & enfin hypethres, quand ils avoient en-dehors deux rangs de colonnes, & autant en-dedans, tout le milieu étant découvert à-peu-près comme nos cloîtres. Les Romains imiterent toutes ces différentes structures. Vitruve remarque encore d'autres particularités qu'on peut voir dans son ouvrage : je n'en citerai que deux.

1°. Un temple ne pouvoit être consacré sans la statue du dieu qui devoit être placée au milieu. Il y avoit au pié de la statue un autel sur lequel les premieres offrandes qu'on faisoit, étoient de légumes cuits dans de l'eau, & une espece de bouillie qu'on distribuoit aux ouvriers qui avoient élevé la statue.

2°. Quoique communément les hommes & les femmes entrassent dans les temples, il y en avoit dont l'entrée étoit défendue aux hommes ; tel étoit celui de Diane à Rome, dans la rue nommée Vicuspatricius, ainsi que Plutarque nous l'apprend ; & néanmoins tout le monde pouvoit entrer dans les autres temples de cette déesse. On croit que la raison de cette défense venoit de ce qu'une femme qui prioit dans ce temple, y reçut le plus sanglant affront.

Enfin, les politiques considérant la magnificence des temples de la Grece, le nombre de prêtres & de prêtresses de tous ordres qui les desservoient, & les fraix des sacrifices ; les politiques, dis-je, demandent avec curiosité, par quel moyen on suppléoit à de si grandes dépenses. Je réponds d'abord que les temples à oracles n'avoient besoin de rien pour leur subsistance ; ils regorgeoient de présens, & les autres avoient des revenus particuliers qui leur étoient affectés : voici ceux de ma connoissance.

L'un de ces revenus à Athènes étoit le produit des amendes auxquelles on condamnoit les particuliers, amendes dont la dixieme partie appartenoit à Minerve Poliade, & la cinquantieme aux autres dieux, & aux héros dont les tribus portoient le nom. De-plus, lorsque les Prytanes ne tenoient pas les assemblées conformément aux loix, chacun d'eux étoit puni par une amende de mille dragmes qu'il falloit payer à la déesse. Si les proëdres, c'est-à-dire, les sénateurs chargés de faire à ces assemblées le rapport des matieres sur lesquelles on devoit délibérer, ne le faisoient pas suivant les regles, & dans l'ordre prescrit, ils étoient aussi condamnés à une amende de quarante dragmes, appliquée comme l'autre au profit de Minerve, ce qui devoit l'enrichir.

Outre cette espece de revenu appartenant en commun aux dieux, & qui varioit suivant le nombre & la grandeur des fautes, les temples en avoient de particuliers ; c'est le produit des terres consacrées aux divinités : rien n'étoit plus commun dans la Grece que ces fondations. Je ne parle pas ici des terres que l'on consacroit aux dieux, & qui étoient condamnées à rester éternellement incultes, comme le territoire de Cirrha proscrit par le decret solemnel des amphictions, la campagne située entre Mégare & l'Attique consacrée aux déesses d'Eléusis, & plusieurs autres : il ne s'agit que de celles que l'on cultivoit, & dont les fruits faisoient la richesse des temples.

Tel fut le champ que Xénophon consacra à Diane d'Ephèse, en exécution d'un voeu qu'il lui avoit fait pour son heureux retour dans la retraite des dix mille. Il l'acheta d'une partie de l'argent qui provenoit des dépouilles des Perses, & de la rançon de leurs prisonniers ; ce champ étoit situé auprès de Scilunte, petit bourg fondé par les Lacédémoniens sur la route de Sparte à Olympie ; il employa ce qu'il eut de reste après cet achat, à faire bâtir un temple sur le modele de celui d'Ephèse : un trait de ressemblance assez singulier entre ces deux édifices, c'est leur situation. Le fleuve qui couloit auprès du temple d'Ephèse se nommoit Sellène, & nourrissoit beaucoup de poisson. Un ruisseau du même nom, & qui avoit le même avantage, arrosoit la campagne où Xénophon fit élever le sien. Ses environs, aussi variés que fertiles, offroient des terres labourables, des pâturages excellens, où les animaux destinés à servir de victimes trouvoient une nourriture abondante, des forêts remplies de gibier de toutes espèces, & qui servoient de retraite à une grande multitude de bêtes fauves.

Le temple étoit environné d'un bois sacré & de jardins plantés d'arbres fruitiers de toute saison. Devant la porte de cet édifice, on voyoit une colomne que Xénophon fit élever comme le monument de la fondation, & sur laquelle on lisoit ces mots : : terre consacrée à Diane. Elle étoit affermée ; celui qui percevoit les fruits devoit en payer la dixme à la déesse, & déposer le reste pour être employé aux réparations & aux dépenses ordinaires.

Cette dixme servoit aux sacrifices offerts dans la fête solemnelle que Xénophon institua en l'honneur de Diane. Elle se célébroit tous les ans, & duroit plusieurs jours ; tous les habitans du bourg & des environs s'y trouvoient, & la divinité nourrissoit pendant tout le tems ses adorateurs, en leur fournissant du blé, du vin, & toutes les choses nécessaires à la vie. Xénophon même, afin de procurer l'abondance, indiquoit auparavant une chasse générale, à laquelle il présidoit avec ses enfans. J'ai rapporté tous ces détails d'après les Mém. des Inscript. parce que c'est peut-être la seule fondation dont les particularités nous ayent été conservées, & qu'elle peut donner une idée de toutes les autres. (D.J.)

TEMPLES DES ROMAINS, (Ant. rom.) Rome & l'Italie n'avoient peut-être pas moins de temples que la Grece. Donnons une idée générale de leur origine, de leur consécration & de leur structure ; les détails sont réservés à chaque temple en particulier.

On sait assez que les anciens romains ont eu beaucoup d'attachement pour leur religion ; je dirai mieux, beaucoup de superstition dans leur culte. Il ne leur arrivoit guere d'heureux ou fâcheux succès, qui ne fût suivi de la construction de quelque temple. Le nom même des temples qu'ils consacrerent aux dieux, tire son origine du temple augural, c'est-à-dire, d'une simple enceinte dans laquelle les augures observoient le vol des oiseaux. Tous les lieux tracés par les augures étoient même appellés temples, templa, quoiqu'ils ne fussent pas destinés au culte de la religion ; c'est ainsi que les augures trouverent le secret d'accréditer leur ouvrage.

Les uns attribuent la fondation des premiers temples de l'Italie à Janus, par l'invocation duquel on commençoit tous les sacrifices ; les autres en donnent la gloire à Faune, & prétendent que le mot fanum en tire son origine. Quoi qu'il en soit, ces premiers temples n'étoient que des bois sacrés, puisque les Romains, au rapport de Varron, ont été sans temples pendant l'espace de 170 ans. Ainsi le temple de Jupiter Féretrien & celui de Jupiter Stator n'étoient point apparemment consacrés, & le temple de Janus ne doit être envisagé que comme un monument de l'union des Romains & des Sabins, dont la statue de ce dieu à deux visages étoit le symbole, & le fut aussi de la paix & de la guerre.

Les formalités requises pour l'établissement d'un véritable temple, étoient l'autorité des loix, l'observation des auspices, les cérémonies de la consécration. Un magistrat qui avoit fait voeu de bâtir un temple, n'engageoit point la république sans son consentement. Quand la construction du temple avoit été résolue dans le sénat, il falloit une loi ou un plébiscite pour l'éxécution du projet. Sous les empereurs, leur volonté tenoit lieu de loi.

Ensuite on consultoit les augures qui s'assembloient par ordre des duumvirs, c'est-à-dire, des commissaires nommés pour la conduite de l'ouvrage. Les augures commençoient par le choix du terrein, en quoi ils avoient égard à la nature & aux fonctions des dieux auxquels le temple devoit être consacré. Suivant les observations de Vitruve, les temples de Jupiter, de Junon & de Minerve devoient être construits sur des hauteurs, parce que ces divinités avoient inspection sur toutes les affaires de l'empire dont elles prenoient un soin particulier. Mercure, Isis & Sérapis, dieux du commerce, avoient leurs temples proche des marchés. Ceux de Mars, de Bellone, de Vulcain & de Vénus étoient hors de la ville ; on les regardoit comme des divinités ou turbulentes ou dangereuses. Il est vrai que ces convenances n'ont pas toujours été observées.

Le lieu de la construction étant choisi, les augures prenoient les auspices, & si les auspices étoient favorables, ils traçoient le plan du temple : c'est ce qu'on appelloit effari ou sistere templum. On posoit la premiere pierre avec plus de cérémonie encore. Les vestales accompagnées de jeunes garçons & de jeunes filles, ayant pere & mere, arrosoient la place de trois sortes d'eaux ; on la purifioit encore par le sacrifice d'un taureau blanc & d'une genisse. Le grand prêtre invoquoit les dieux auxquels le temple étoit destiné. La pierre sur laquelle étoient gravés les noms du magistrat & du souverain pontife, étoit mise dans la fondation avec des médailles d'or & d'argent, & du métal tel qu'il sort de la mine, aux acclamations de tout le peuple qui s'empressoit d'y prêter la main.

Lorsque le temple étoit bâti, on en faisoit la dédicace. Cette fonction appartenoit dans les premiers tems aux grands magistrats ; ensuite à cause des dissensions qui survinrent à cette occasion, on eut recours à la puissance du peuple. Enfin on en laissa la disposition au sénat, avec l'intervention des tribuns du peuple, qui n'y eurent plus de part sous les empereurs.

Le jour de la dédicace d'un temple étoit une fête solemnelle, accompagnée de réjouissances extraordinaires. On immoloit des victimes sur tous les autels ; on chantoit des hymnes au son de la flute. Le temple étoit orné de fleurs & de bandelettes. Le magistrat qui faisoit la cérémonie, mettoit la main sur le jambage de la porte, appellant à haute voix le souverain pontife, pour lui aider à s'acquiter de cette fonction, en prononçant devant lui la formule de la dédicace qu'il répétoit mot-à-mot. Ils étoient si scrupuleux sur la prononciation de ces paroles, qu'ils s'imaginoient qu'un seul mot ou une syllabe oubliée ou mal articulée gâtoit tout le mystere. C'est pourquoi le grand pontife Metellus qui étoit begue, s'exerça plusieurs mois pour pouvoir bien prononcer le mot d'opifera. Le deuil étoit incompatible avec la solemnité ; on le quittoit pour y assister en habit blanc. Sur ce prétexte, les ennemis d'Horatius Pulvillus qui faisoit la dédicace du temple du capitole, vinrent troubler la cérémonie, en lui annonçant la fausse nouvelle de la mort de son fils, mais il la reçut sans s'émouvoir, & continua ce qu'il avoit commencé.

Tacite, liv. II. parlant du rétablissement du capitole, nous a conservé la formule & les autres cérémonies de la consécration du lieu destiné à bâtir un temple. Vespasien, dit-il, ayant chargé L. Vestinus du soin de rétablir le capitole, ce chevalier romain consulta les aruspices, & il apprit d'eux qu'il falloit commencer par transporter dans les marais les restes du vieux temple, & en bâtir un nouveau sur les mêmes fondemens l'onzieme jour avant les kalendes de Juillet, le ciel étant serein. Tout l'espace destiné pour l'édifice fut ceint de rubans & de couronnes. Ceux des soldats dont le nom étoit de bon augure, entrerent dans cette enceinte avec des rameaux à la main ; puis vinrent les vestales accompagnées de jeunes garçons & de jeunes filles dont les peres & meres vivoient encore, qui laverent tout ce lieu avec de l'eau de fontaine, de lac & de fleuve. Alors Helvidius Priscus, préteur, précédé de Plaute Elien, pontife, acheva d'expier l'enceinte par le sacrifice d'une vache & de quelques taureaux qu'il offrit à Jupiter, à Junon, à Minerve & aux dieux patrons de l'empire, & les pria de faire ensorte que le bâtiment que la piété des hommes avoit commencé pour leur demeure, fût heureusement achevé. Les autres magistrats qui assistoient à cette cérémonie, les prêtres, le sénat, les chevaliers & le peuple plein d'ardeur & de joie, se mirent à remuer une pierre d'une grosseur énorme, pour la traîner au lieu où elle devoit être mise en oeuvre. Enfin on jetta dans les fondemens plusieurs petites monnoies d'or & d'autres pieces de métal, comme nous venons de le dire. Les noms des magistrats étoient gravés au frontispice des temples qu'ils avoient dédiés. Ceux qui les faisoient rebâtir, en y mettant de nouvelles inscriptions, n'en ôtoient pas celles des premiers fondateurs.

Quoique la partie du temple appellée cella fût destinée au culte de la religion, on ne laissoit pas d'y traiter d'affaires profanes après les sacrifices, en tirant des voiles qui couvroient les statues & les autels. Elle ne pouvoit être dédiée à plusieurs divinités, à moins qu'elles ne fussent inséparables, comme Castor & Pollux ; mais plusieurs dieux pouvoient avoir chacun la sienne sous un même toît ; & alors ce temple s'appelloit delubrum, quoique ce terme soit un terme générique.

La statue du dieu y étoit placée quelquefois dans une niche ou tabernacle appellé aedicula. Elle regardoit le couchant, afin que ceux qui venoient l'adorer, eussent le visage tourné vers l'orient. Autour étoit le sanctuaire.

Il y avoit ordinairement trois principaux autels dans le temple. Le plus considérable étoit placé au pié de la statue. Il étoit fort élevé, & par cette raison on l'appelloit altare. On brûloit dessus l'encens & les parfums, & l'on y faisoit des libations. Le second étoit devant la porte du temple, & servoit aux sacrifices. Le troisieme étoit un autel portatif nommé anclabris, sur lequel on posoit les offrandes & les vases sacrés. Les autels des dieux célestes étoient plus hauts que les autres ; ceux des dieux terrestres étoient plus bas, & ceux des dieux infernaux fort enfoncés.

Il y avoit toujours un grand nombre de tables, de toutes sortes d'ustensiles & de vases sacrés dans les temples. On suspendoit les offrandes & les présens à la voûte nommée tholus. On attachoit aux piliers les dépouilles des ennemis, les tableaux votifs, les armes des gladiateurs hors de service.

Tout ce qui servoit aux temples, comme les lits sacrés appellés pulvinaria, & les présens qu'on y avoit offerts, étoient gardés dans une maniere de trésor appellé donarium. Les particuliers y mettoient aussi leurs effets en dépot.

Les statues des hommes illustres, leurs images en bas-relief enchassées dans des bordures appellées clypei votivi, & les tableaux représentans leurs belles actions & leurs victoires, faisoient l'ornement des temples. L'or, le bronze, le marbre & le porphyre y étoient employés avec tant de profusion, que l'on peut dire que la somptuosité de ces édifices étoit digne de la grandeur & de la magnificence de l'ancienne Rome. La plûpart étoient ouverts à tout le monde, & souvent même avant le jour pour les plus matineux, qui y trouvoient des flambeaux allumés.

Enfin il faut remarquer qu'il y avoit à Rome des temples particuliers nommés curies, qui répondoient à nos paroisses, & des temples communs à tous les Romains, où chacun pouvoit à sa dévotion aller faire des voeux & des sacrifices, mais sans être pour cela dispensé d'assister à ceux de sa curie, & surtout aux repas solemnels que Romulus y avoit institués pour entretenir la paix & l'union.

Ces temples communs étoient desservis par différens colleges de prêtres ; au lieu que chaque curie l'étoit par un seul qui avoit inspection sur tous ceux de son quartier. Ce prêtre ne relevoit que du grand curion, qui faisoit alors toutes les fonctions du souverain pontife. (D.J.)

TEMPLE des assemblées du sénat, (Antiq. rom.) selon les regles de la religion, le sénat ne pouvoit s'assembler dans aucun lieu profane ou privé ; il falloit toujours que ce fût dans un lieu séparé, & solemnellement consacré à cet usage par les titres & les cérémonies des augures. Au rapport des anciens auteurs, on en voyoit plusieurs de cette espece dans les différentes parties de la ville. Le sénat s'y assembloit ordinairement selon la destination des consuls & la commodité particuliere de ces magistrats, ou celles des sénateurs, ou selon la nature de l'affaire qu'on y devoit proposer ou terminer. Ces maisons ou ces lieux d'assemblée du sénat furent appellés curies ; telle étoit la curie calabre bâtie, suivant l'opinion commune, par Romulus, la curie hostilienne bâtie par Tullius Hostilius, & la curie pompeïenne, par Pompée.

Mais les assemblées du sénat furent le plus souvent tenues dans certains temples dédiés à des divinités particulieres, tels que celui d'Apollon Palatin, de Bellone, de Castor & Pollux, de la Concorde, de la Foi, de Jupiter Capitolin, de Mars, de Tellus, de Vulcain, de la Vertu, &c. Voyez-en les articles.

Tous les temples que nous venons de nommer, ont été célébrés par les anciens auteurs, parce que le sénat y fut souvent convoqué. Dans chacun de ces temples on voyoit un autel, & une statue élevée pour le culte particulier de la divinité dont il portoit le nom. On les appelloit curies, à raison de l'usage qu'on en faisoit ; ce nom leur étoit commun avec les curies propres ou les maisons du sénat, qui à cause de leur dédicace solemnelle, furent souvent appellées temples ; car le mot temple dans le premier sens qu'on y avoit attaché, ne signifioit rien de plus qu'un lieu séparé & consacré par les augures, soit qu'il fût ouvert ou fermé, ou qu'il se trouvât dans la ville ou dans la campagne. En conséquence de cette idée, nous voyons que le sénat s'assembloit dans certaines occasions en un lieu découvert, principalement dans les tems où les esprits étoient ébranlés par des récits de prodiges ; mais on étoit bien guéri de cette vaine superstition dans les siecles polis de la république ; les Romains, du tems de Séneque, ne donnoient plus dans ces erreurs populaires.

La politique en rendant les temples propres à l'usage du sénat, étoit de graver aussi fortement qu'il se pût, dans l'esprit des sénateurs, l'obligation de se conduire selon les loix de la justice & de la religion, ce qu'on pouvoit en quelque maniere se promettre de la sainteté du lieu & de la présence, pour ainsi dire, des dieux. Ce fut l'objet de l'un des censeurs, lorsqu'il enleva la statue de la déesse Concorde d'un quartier de la ville où elle se trouvoit placée, & qu'il la fit porter dans la curie qu'il consacra à cette divinité ; il présumoit ainsi, dit Ciceron, qu'il banniroit toute dissension de ce temple destiné au conseil public, & qu'il avoit consacré au culte de la Concorde.

Lorsque pour assembler le sénat, on choisissoit les temples des autres divinités, tels que celui de Bellone, de la Foi, de la Vertu, de l'Honneur, c'étoit toujours dans l'objet d'avertir les sénateurs par la sainteté du lieu, du respect & de la vénération dûe à ces vertus particulieres, que leurs ancêtres avoient déifiées, à raison de leur excellence. Ce fut pour accréditer de plus en plus cette maxime religieuse, qu'Auguste ordonna que chaque sénateur, avant que de prendre place, adressât la priere à la divinité du temple où le sénat étoit assemblé, & qu'il lui offrit de l'encens & du vin.

Le sénat en deux occasions particulieres s'assembloit hors les portes de Rome, ou dans le temple de Bellone, ou dans celui d'Apollon ; premierement, lorsqu'il étoit question de recevoir les ambassadeurs, particulierement ceux qui venoient de la part des ennemis, & auxquels on n'accordoit pas la liberté d'entrer dans la ville ; en second lieu, pour donner audience aux généraux romains, & régler avec eux quelque affaire importante ; car il ne leur étoit pas permis de venir au-dedans des murs, tant que leur commission duroit, ou qu'ils avoient le commandement actuel d'une armée. (D.J.)

TEMPLE D'ADONIS, (Antiq. égypt. & grecq.) ce prince de Byblos dut son apothéose & l'étendue de son culte aux soins d'une épouse passionnée. On lui bâtit des temples en Syrie, en Palestine, en Perse, en Grece & dans les îles de la Méditerranée ; Amathonte, entr'autres, bâtit un temple célebre à ce nouveau dieu. Je ne dirois rien ici des honneurs que lui rendoit la ville de Dion en Macédoine, ni du temple qu'on lui avoit élevé dans cette ville, sans une particularité qui mérite quelque attention. Hercule passant auprès de ce temple, fut invité d'y entrer, pour assister à la fête d'Adonis ; mais ce héros se mocqua des habitans, & leur dit ces mots qui devinrent dans la suite un proverbe, , nihil sacrum. Ce propos dans la bouche d'un de nos philosophes modernes passeroit pour une belle impiété, mais Hercule étoit bien éloigné d'en dire ; il voulut au contraire faire entendre par ce discours qu'Adonis n'avoit pas mérité d'être mis au nombre des dieux, & assurément il avoit raison. Si l'on doit honorer la mémoire de quelqu'un, c'est sans contredit de celui qui par ses travaux, ses bienfaits, ses lumieres, ou qui par des découvertes utiles, a rendu d'importans services aux hommes ; mais il étoit honteux de déifier un jeune efféminé connu seulement par l'amour d'une déesse insensée, dont les galantes avantures devoient plutôt être ensevelies dans l'oubli, qu'immortalisées par des fêtes qui en rappelloient à jamais le souvenir. (D.J.)

TEMPLE D'ALEXANDRIE, (Antiq. égypt.) c'est ainsi qu'on nommoit par excellence du tems des Ptolomées, les Sérapéon. Voyez SERAPEON, MPLE de Sérapisapis. (D.J.)

TEMPLE D'ANAÏTIS, (Antiq. cappadoc.) il est vraisemblable que cette déesse des Cappadociens est Diane, ou la lune ; Plutarque ne laisse aucun lieu d'en douter, puisqu'il dit dans la vie d'Artaxerxès Mnémon, que ce prince établit à Aspasie sa concubine, prêtresse de la Diane que les habitans d'Ecbatane appellent Anaïtis. De plus, Pausanias nous apprend que les Lydiens avoient un temple de Diane sous le nom d'Anaïtis.

Mais l'anecdote la plus curieuse sur cette déesse, soit qu'elle fût Diane, la lune ou Vénus, nous la devons à Pline, liv. XXXII. ch. xxiij. " Dans une expédition, dit-il, que fit Antoine contre l'Arménie, le temple d'Anaïtis fut saccagé, & sa statue qui étoit d'or mise en pieces par les soldats, ce qui en enrichit plusieurs. Un d'eux qui s'étoit établi à Boulogne en Italie, eut l'honneur de recevoir un jour Auguste dans sa maison, & de lui donner à souper. Est-il vrai, lui dit ce prince, pendant le repas, que celui qui porta les premiers coups à la déesse, perdit aussi - tôt la vûe, fut perclus de tous ses membres, & expira sur le champ ? Si cela étoit, répondit le soldat, je n'aurois pas le bonheur de voir aujourd'hui Auguste chez moi, étant moi-même celui qui lui donnai le premier coup, dont bien m'en a pris ; car si je possede quelque chose, j'en ai obligation à la bonne déesse, & c'est d'une de ses jambes, seigneur, que vous soupez aujourd'hui ". (D.J.)

TEMPLE D'APOLLON, (Antiq. grecq. & rom.) le fils de Jupiter & de Latone eut des temples sans nombre dans toute la Grece, sur-tout à Delphes, à Claros, à Ténédos & à Milet. Ce dernier temple étoit un des quatre qui faisoit l'admiration de Vitruve. On l'avoit bâti d'ordre ionique, ainsi que celui de Claros ; mais l'un & l'autre n'étoient pas encore achevés du tems de Pausanias.

Apollon eut aussi des temples dans toute l'Italie, & principalement à Rome. Entre ceux qui embellissoient cette capitale, le premier & le plus renommé est sans-doute celui qu'Auguste lui consacra sur le mont Palatin, après la victoire d'Actium.

Ce temple fut construit de marbre blanc & de forme ronde. Il étoit par ses ornemens l'un des plus magnifiques de Rome. Le char du soleil en or massif, décoroit le frontispice, les portes étoient d'ivoire ; en entrant dans le temple, on voyoit une belle statue d'Apollon, ouvrage du célebre Scopas ; un chandelier à plusieurs branches, suspendu à la voute, éclairoit l'intérieur de l'édifice ; ces ouvrages des plus célébres artistes avoient été enlevés des temples de la Grece. Le sanctuaire du dieu étoit orné de plusieurs trépiés d'or.

Auguste déposa dans la base de la statue d'Apollon les livres des Sibylles enfermés dans des cassettes dorées. Le jeune Marcellus son neveu, consacra dans ce temple, une précieuse collection de pierres gravées. L'édifice étant achevé, l'empereur en fit la dédicace l'an 726 de Rome, trois ans après la bataille d'Actium. Horace composa dans cette occasion l'ode qui commence par ces mots :

Quid dedicatum poscit Apollinem

ates !

Le temple d'Apollon Palatin étoit précédé d'une cour de figure ovale, environnée d'une superbe colonnade de marbre d'Afrique ; les statues des Danaïdes remplissoient les autres colonnes. On avoit placé au milieu de cette cour les statues équestres des fils d'Egyptus ; l'autel du dieu étoit accompagné des statues des filles de Proetus, ouvrage de l'artiste Myron, armenta Myronis, dit joliment Properce.

Auguste fit bâtir près du temple une galerie qui contenoit deux magnifiques bibliotheques ; l'une pour les ouvrages de poësie & de jurisprudence écrits en latin ; l'autre étoit destinée aux ouvrages des auteurs grecs. Ces édifices devoient être fort élevés, car il y avoit dans la bibliotheque grecque une statue d'Apollon, haute d'environ quarante-cinq piés ; Lucullus l'avoit enlevée de la ville d'Apollonie du Pont, & cette ville l'avoit payée cinq cent talens, environ deux millions cinq cent mille livres de notre monnoye. Les savans de Rome s'assembloient ordinairement dans ces bibliotheques ; on décidoit dans ces assemblées des nouveaux ouvrages de poësie.

Le sénat fut souvent convoqué par Auguste dans le temple d'Apollon ; il ordonna même que la distribution des parfums pour purifier le peuple, & le disposer à la solemnité des jeux séculaires, se feroit devant ce temple, comme devant le temple du capitole ; & cet usage étoit encore observé sous le regne de Domitien.

La derniere assemblée de la fête séculaire, fut aussi convoquée dans ce temple ; les choeurs des enfans y chanterent des hymnes sacrés en l'honneur d'Apollon, adoré sous le nom & l'emblême du soleil, dont le char décoroit comme nous l'avons dit le frontispice de l'édifice ; après ces chants, ils firent des voeux pour la prospérité de l'état.

Alme sol, curru nitido diem qui

Promis & celas, aliusque & idem

Nasceris ; possis nihil urbe Româ

Visere majus.

....

Si Palatinas videt aequus arces,

em que Romanam, Latiumque felix ;

Alterum in lustrum, meliusque semper

Proroget aevum.

Le soleil, au bout d'un certain nombre de révolutions dans le zodiaque, devoit ramener la même solemnité & les mêmes voeux pour la puissance éternelle de l'empire romain.

Sur l'une des portes du temple d'Apollon Palatin, on voyoit les Gaulois qui tomboient du capitole, & sur l'autre les quatorze enfans de Niobé, fille de Tantale, qui périrent misérablement pour l'orgueil de leur mere, qui avoit irrité la colere de Latone & d'Apollon.

Au reste Properce, liv. II. éleg. xxxj. a fait la description de ce temple, on peut la lire ; j'ajouterai seulement que c'étoit aux branches du magnifique candelabre de ce temple, & qui en éclairoit tout l'intérieur, que les poëtes attachoient leurs ouvrages, après que le public les avoit couronnés.

Lorsque l'académie françoise fut placée au louvre, elle fit frapper une médaille qui n'est pas trop modeste. L'on voit sur cette médaille Apollon tenant sa lyre, appuyé sur le trépié d'où sortent ses oracles ; la légende est, Apollon au palais d'Auguste. (D.J.)

TEMPLES DE BACCHUS, (Antiq.) on reconnoissoit ce dieu dans toutes ses statues, à sa couronne de pampre, à son air de jeunesse, à ses longs cheveux, à la beauté de son visage, à l'embonpoint de son corps, qu'Orphée & Théocrite ont tant célébrée, & qui a fait dire à Ovide.

... Tibi enim inconsumpta juventa est.

Tu puer aeternus, tu formosissimus alto

Conspiceris coelo.

C'étoit l'assesseur de Cérès. Virgile leur fait en commun une invocation au commencement de ses géorgiques, parce que leurs fêtes se célébroient en même tems, & que leurs temples étoient communs. Bacchus en eut dans toute la Grece, qui de plus institua en son honneur ces fêtes tumultueuses si connues sous le nom d'orgyes. Téos lui rendoit un culte particulier ; il avoit un temple à Eleusis & dans d'autres villes, sous le nom d'Iacchus. Dans son temple à Phigalie, le bas de sa statue étoit toute couverte de feuilles de lierre & de laurier ; le reste étoit enluminé de vermillon.

Enfin ce dieu étoit extrêmement honoré dans les Gaules, ainsi que le prouvent plusieurs monumens trouvés en différens endroits ; mais il l'étoit sur-tout dans une petite île située à l'embouchure de la Loire, où il avoit une espece de chapelle, desservie par des femmes qui célébroient ses orgyes. Strabon qui parle de cette île, liv. IV. & du culte qu'on y rendoit à Bacchus, ajoute que les femmes dont je viens de parler, enlevoient tous les ans, avant que le soleil fût couché, & remettoient dans le même lieu, le toit de cette chapelle. (D.J.)

TEMPLE DE BELLONE, (Antiq. rom.) ce temple étoit selon Donat hors la ville, près de la porte Carmentale, & du Cirque de Flaminius, au lieu où l'on voit le palais Savelli & l'église saint Ange in Pescheria. Dans le vestibule de ce temple, étoit placée la colonne bellique, contre laquelle les consuls, toutes les fois qu'on avoit résolu la guerre, tiroient une fleche, ou frappoient d'une javeline, vers la partie où répondoit le peuple qu'on alloit attaquer. Ce temple fut bâti par le censeur Appius Claudius, vers l'an de Rome 457, & servit quelquefois aux assemblées du sénat. (D.J.)

TEMPLE DE BELUS, (Antiq. babyloniennes.) si ce temple étoit le plus ancien de tous ceux du paganisme, comme on a lieu de le penser, il étoit aussi le plus singulier par sa structure. Berose, au rapport de Josephe, en attribue la construction à Bélus, qui y fut lui-même adoré après sa mort ; mais il est certain que si le Bélus de cet historien est le même que Nemrod, comme plusieurs savans le croyent, son dessein ne fut pas de bâtir un temple, mais d'élever une tour qui pût le mettre à couvert, lui & sa suite, des inondations ou autres désastres.

Cette fameuse tour qu'on appelle vulgairement la tour de Babel, formoit dans sa base un quarré, dont chaque côté contenoit un stade de longueur, ce qui lui donnoit un demi-mille de circuit. Tout l'ouvrage étoit composé de huit tours, bâties l'une sur l'autre, & qui alloient toujours en diminuant. Quelques auteurs, comme le remarque M. Prideaux, trompés par la version latine d'Hérodote, prétendent que chacune de ces tours ait été haute d'un stade, ce qui monteroit à un mille de hauteur pour le tout ; mais le texte grec ne porte rien de semblable, & il n'y est fait aucune mention de la hauteur de cet édifice. Strabon qui a décrit ce temple, ne lui donne qu'un stade de haut, & un de chaque côté.

Le savant éditeur de l'impression de l'ouvrage de M. Prideaux, faite à Trevoux, dit qu'en suivant la mesure des stades qui étoient en usage du tems d'Hérodote, le seul des anciens qui parle pour avoir vû cet édifice, il ne devoit avoir que 69 toises de hauteur ou environ, c'est-à-dire un peu plus d'une fois la hauteur des tours de l'Eglise de Paris ; ce qui n'est pas si excessif, vû la magnificence de quelques bâtimens de l'Europe.

Le même éditeur remarque encore, que comme cet ouvrage n'étoit fait que de briques, que des hommes portoient sur leur dos, comme nous l'apprenons des anciens, sa construction n'a rien qui doive surprendre ; & quoiqu'il fût plus haut de 119 piés que la grande pyramide, comme elle étoit bâtie, ou dumoins couverte de pierres d'une longueur excessive, qu'il falloit guinder à une si prodigieuse hauteur, elle doit avoir été infiniment plus difficile à construire.

Quoi qu'il en soit, nous apprenons d'Hérodote, qu'on montoit au haut de ce bâtiment par un degré qui alloit en tournant, & qui étoit en-dehors. Ces huit tours composoient comme autant d'étages, dont chacun avoit 75 piés de haut, & on y avoit pratiqué plusieurs grandes chambres soutenues par des piliers, & de plus petites, où se reposoient ceux qui y montoient. La plus élevée étoit la plus ornée, & celle en même tems pour laquelle on avoit le plus de vénération. C'est dans cette chambre qu'étoient, selon Hérodote, un lit superbe, & une table d'or massif, sans aucune statue.

Jusqu'au tems de Nabuchodonosor, ce temple ne contenoit que la tour & les chambres dont on vient de parler, & qui étoient autant de chapelles particulieres ; mais ce monarque, au rapport de Berose, lui donna beaucoup plus d'étendue, par les édifices qu'il fit bâtir tout-au-tour, avec un mur qui les enfermoit, & des portes d'airain, à la construction desquelles le même métal & les autres ustensiles du temple de Jérusalem avoient été employés. Ce temple subsistoit encore du tems de Xerxès, qui au retour de sa malheureuse expédition dans la Grece, le fit démolir après en avoir pillé les immenses richesses, parmi lesquelles étoient des statues d'or massif, dont il y en avoit une, au rapport de Diodore de Sicile, qui étoit de 40 piés de haut, & qui pouvoit bien être celle que Nabuchodonosor avoit consacrée dans la plaine de Dura. L'Ecriture, à la vérité, donne à ce colosse 90 piés de haut ; mais on doit l'entendre de la statue & de son pié-destal pris ensemble.

Il y avoit dans le même temple plusieurs idoles d'or massif, & un grand nombre de vases sacrés du même métal, dont le poids, selon le même Diodore, alloit à 5030 talens ; ce qui joint à la statue, montoit à des sommes immenses. C'étoit au reste, du temple aggrandi par Nabuchodonosor, qu'Hérodote, qui l'avoit vû, fait la description dans son premier livre ; & son autorité doit l'emporter sur celle de Diodore de Sicile, qui n'en parloit que sur quelques relations. Hérodote dit, à la vérité, que dans une chapelle basse de ce temple, étoit une grande statue d'or de Jupiter, c'est-à-dire de Bélus ; mais il n'en donne ni le poids, ni la mesure, se contentant de dire que la statue, avec une table d'or, un trône & un marche-pié, étoient tous ensemble estimés par les Babyloniens, huit cent talens (175 mille liv. sterlings).

Le même auteur ajoute que hors de cette chapelle, étoit aussi un autel d'or, & un autre plus grand sur lequel on immoloit des animaux d'un âge parfait, parce qu'il n'étoit pas permis d'en offrir de pareils sur l'autel d'or, mais seulement de ceux qui tetoient encore ; & qu'on brûloit sur le grand autel chaque année le poids de cent mille talens d'encens. Enfin, il fait mention d'une autre statue d'or massif, qu'il n'avoit pas vûe, & qu'on lui dit être haute de douze coudées, c'est-à-dire de 18 piés. C'est sans-doute de la même, que parle Diodore, quoiqu'il lui donne 40 piés de hauteur, en quoi il est plus croyable, si c'étoit celle de Nabuchodonosor, comme il y a toute sorte d'apparence.

Quoi qu'il en soit, j'ai dit d'après Hérodote, que dans la plus haute tour, il y avoit un lit magnifique ; & cet auteur ajoute, qu'il n'étoit permis à personne d'y coucher, excepté à une femme de la ville que le prêtre de Bélus choisissoit chaque jour, lui faisant accroire qu'elle y étoit honorée de la présence du Dieu. (D.J.)

TEMPLE de bonus eventus, (Antiq. rom.) ce dieu du bon succès avoit à Rome un temple fort fréquenté, dans lequel on voyoit une de ses statues faite de la main de Praxitele. Cette statue ingénieuse avoit un bandeau sur le front, tenoit une patere de la main droite ; & de la gauche, un épi & un pavot. (D.J.)

TEMPLE DE CARDIA, (Antiq. rom.) cette déesse allégorique eut un temple sur le mont Caelius, que Brutus lui bâtit, après avoir chassé Tarquin le superbe, de Rome. (D.J.)

TEMPLES DE CASTOR ET DE POLLUX, (Antiq. grecq. & rom.) Pausanias, dans son voyage de Corinthe, l. II. c. xxij. décrit le temple de Castor & de Pollux, où l'on voyoit de son tems les statues, nonseulement de ces dieux, & de leurs femmes, Hilaire & Phébé, mais de leurs enfans ; ces statues, ainsi que leurs chevaux, paroissent avoir été les plus anciennes statues équestres qu'il y eût en Grece, car elles étoient d'ébene, de la main de Dipoenus & de Scyllis.

Le principal temple des Dioscures à Rome, & dans lequel le sénat s'assembloit quelquefois, étoit dans le cirque de Flaminius. Les Romains dans leurs sermens, juroient d'ordinaire par ces deux divinités, qu'ils regardoient comme de sûrs garans de la vérité de leurs démarches. On trouve dans les anciens poëtes comiques des vestiges de ces sermens. Pol. Per. Ecastor. Mehercle, Medius Fidius.

Dans un quartier de Naples, entre la vicairerie & le château ; on voit encore le portique d'un fameux temple, bâti en l'honneur de Castor & Pollux, par Tibere Jule, achevé & consacré par Pélagon, affranchi d'Auguste, ainsi qu'il paroît par l'inscription grecque qui s'y lit aujourd'hui, & que je rapporte en latin.

Tiberius Julius, Tarsus, Jovis filiis & urbis,

Templum, & quae in templo,

Pelagon Augusti libertus,

Et procurator persiciens,

Ex propriis conservavit.

Le portique est corinthien : les entre - colonnes ont plus d'un diamêtre & demi. Les bases sont attiques, & les chapiteaux à feuilles d'olive, travaillés par excellence.

L'invention des caulicoles sous la rose, est belle & particuliere, en ce qu'ils s'entrelacent, & semblent sortir des feuilles montantes sur d'autres caulicoles, qui portent les cornes du tailloir du chapiteau. Cet exemple, & quelques autres encore prouvent qu'un architecte peut quelquefois s'écarter des régles ordinaires, pourvû qu'il le fasse avec jugement, & toujours conformément à la nature des choses qu'il imite. Le frontispice est enrichi de la représentation d'un sacrifice en bas-relief. (D.J.)

TEMPLES DE CERES, (Antiq. grecq. & rom.)

Prima Ceres ferro mortales vertere terram

Instituit.

Géorg. liv. I.

elle mériteroit toujours le titre de déesse du blé & de la terre, quand même elle n'auroit fait qu'établir des loix sur la propriété des terres, afin que chacun pût recueillir le blé qu'il avoit semé, &, pour m'exprimer avec Virgile, partiri limite campum.

Aussi toute la Grece, la Sicile & l'Italie instituerent des fêtes en son honneur, & éleverent des temples à sa gloire. Les seuls Phénéates lui en consacrerent plusieurs dans un petit espace de terrein.

On voyoit, du tems de Pausanias, à Stiris, un de ses temples bâti de briques crues ; mais la déesse étoit du plus beau marbre, & tenoit un flambeau à la main.

Elle avoit un temple à Thebes, sous le nom de Cérès Thesmophore, ou la législatrice ; on y gardoit des boucliers d'airain, qu'on disoit être ceux des principaux officiers de l'armée lacédémonienne qui furent tués à Leuctres.

Un feu éternel bruloit dans son temple à Mantinée ville d'Arcadie.

Son temple, aux Thermopyles, étoit bâti au milieu d'une grande plaine près du fleuve Asope, & c'étoit-là que s'assembloient les Amphictions, & qu'ils lui offroient à leur arrivée un sacrifice solemnel.

La même déesse avoit à Rome plusieurs temples, dont le plus beau étoit dans la onzieme région de la ville. Différentes classes de ministres, & ses seules prêtresses, jouirent à Rome jusqu'au regne de Néron, du privilege d'assister au combat de la lutte.

Ciceron vous donnera une belle description des statues de Cérès, que Verrès enleva des temples de la Sicile. Il est heureux qu'il n'ait pas été nommé préteur d'Eleusis, il en auroit pillé le beau temple, dont il ne reste plus de vestiges, ainsi que de tous les autres élevés à la gloire de cette grande divinité.

Plus de nouvelles de celui qu'elle avoit à Sparte, & dont les cérémonies empruntées d'Orphée, donnerent lieu au bon mot de LÉotichidas rapporté par Plutarque. Le sacrificateur de ce temple appellé Philippe, initioit les hommes dans les cérémonies d'Orphée. Il étoit réduit à une vie si nécessiteuse, qu'il mendioit son pain ; cependant il publioit que les Lacédémoniens qui entreroient par son ministere dans ses solemnités, seroient assurés après leur mort d'une félicité sans pareille. Eh ! fou que tu es, lui dit LÉotichidas, que ne te laisses-tu donc vîtement mourir, pour prendre pour toi la félicité que tu promets aux autres. (D.J.)

TEMPLE DE LA CONCORDE, (Antiq. rom.) curia concordiae ; on trouve à la descente du capitole des débris de ce temple dédié solemnellement à la Concorde par Camille. Il servoit de lieu d'assemblée du sénat pour y traiter des affaires publiques, d'où l'on voit qu'il avoit été consacré, parce que le sénat ne s'assembloit dans aucun temple pour les affaires d'état, si ce temple n'avoit été consacré, c'est-à-dire, bâti en conséquence de quelque voeu ou de quelque augure.

Parmi le grand nombre de statues dont il étoit enrichi, les historiens ont principalement mentionné celle de Latone, tenant dans ses bras Apollon & Diane ses deux enfans ; celle d'Esculape & de la déesse Hygéa ; celle de Mars & de Minerve ; celle de Cérès & Mercure ; enfin celle d'une victoire. Cette derniere pendant le consulat de M. Marcellus & de M. Valérius, fut frappée d'un coup de foudre. On voit par l'inscription qui subsiste encore dans la frise, que ce temple ayant été consumé par une incendie, le sénat & le peuple romain le firent rebâtir : voici l'inscription. S. P. Q. R. incendio consumptum restituit.

Les entre-colonnes ont moins de deux diamêtres ; les bases sont composées de l'antique & de l'ionique, & different en quelque chose de la maniere ordinaire ; mais elles ne laissent pas d'être belles. Les chapiteaux sont aussi composés de l'ordre dorique & ionique ; & sont très - bien travaillés ; l'architrave avec la frise dans la partie extérieure de la façade, ne sont qu'une bande toute unie, sans aucune distinction de leurs moulures, ce qui fut fait pour y mettre l'inscription ; mais par dedans, c'est-à-dire, sous le portique, ils ont toutes leurs moulures distinctes, comme on le peut remarquer dans le dessein qu'on en a fait. La corniche est simple sans ornemens ; il ne reste plus aucune partie antique des murs de la nef, & même ils ont été mal réparés.

Il y avoit un autre petit temple de la Concorde bâti par l'édile Flavius, & joint au graecostase ; c'étoit le lieu où les ambassadeurs envoyés vers le sénat attendoient sa réponse. Le sénat y rendoit aussi quelquefois des jugemens ; Pline, l. XXXIII. dit coenaculum suprà graecostasim, ubi aedes Concordiae, & basilica Opimia. Il avoit été réparé par Opimius. (D.J.)

TEMPLES DE CYBELE, (Antiq. grecq. & rom.) la mere des dieux fut extrêmement honorée en Phrygie, & eut le plus superbe de ses temples à Pessinunte, capitale du pays. Les Romains ne reconnurent cette divinité que vers l'année 548, sous le consulat de Cornelius Scipion, surnommé l'Africain, & P. Licinus, au sujet d'une pluie de pierres durant la seconde guerre punique. Ils eurent recours aux livres de la Sibylle, & on trouva que pour chasser les Carthaginois d'Italie, il falloit faire venir la mere des dieux de Pessinunte à Rome. On dépêcha donc aussi-tôt des ambassadeurs au roi Attalus, qui leur fit délivrer la déesse représentée par une grosse pierre informe & non taillée. M. Valerius, l'un des députés, étant arrivé à Terracine avec cette pierre, en donna avis au sénat, & lui manda qu'il étoit nécessaire d'envoyer avec les dames le plus homme de bien de toute la ville pour la recevoir.

Le sénat jetta les yeux sur P. Cornelius Scipion Nasica ; il alla la recevoir avec les dames romaines au port d'Ostie, qui l'apporterent à Rome, & la mirent dans le temple de la victoire sur le mont Palatin.

L'année suivante M. Livius & Claudius censeurs, firent bâtir un temple particulier pour elle, & treize ans après, M. Junius Brutus le dédia. (D.J.)

TEMPLES DE DAGON, (Antiq. phéniciennes) cette divinité célebre des Philistins, & dont l'Ecriture parle souvent, avoit des temples magnifiques en Phénicie, entr'autres à Gaza & à Azoth. Dagon est un nom phénicien, qui veut dire froment ; Dagon le dieu du blé, l'inventeur du labourage, méritoit bien après sa mort, les honneurs divins. (D.J.)

TEMPLE DE DELPHES, (Antiq. grecq.) Voyez DELPHES, temple de ; il nous manque une description détaillée de ce temple célebre, bâti par les Amphictions, & qui subsistoit encore du tems de Pausanias ; mais, il n'étoit pas aussi magnifique pour sa structure que celui de Jupiter Olympien à Athenes, il possedoit du-moins un chef-d'oeuvre de Phidias, & de plus il étoit inestimable par les présens immenses que lui procuroit son oracle ; toute la terre y avoit apporté ses offrandes, il falloit bien que le nombre en fût infini, puisque malgré tous les pillages qu'en firent consécutivement tant de peuples & de rois, Néron dans son voyage de la Grece, quarante ans après que les Thraces eurent saccagé & brûlé ce fameux temple, y trouva & en enleva encore cinq cent statues de bronze. (D.J.)

TEMPLES DE DIANE, (Antiq. grecq. & rom.) cette grande divinité des Ephésiens étoit encore honorée dans toute la Grece par quantité de temples, dont Pausanias vous donnera la description : bornons-nous à parler de ceux qu'elle avoit à Rome.

Le premier temple qu'on lui bâtit fut sur le mont Aventin, sous le regne de Servius Tullius, à la persuasion duquel les Romains & les Latins lui éleverent ce temple à frais communs ; ils s'y assembloient tous les ans, y faisoient un sacrifice au nom des deux peuples, & y vuidoient tous leurs différends : & afin qu'il restât un monument éternel de cette confédération, on fit graver sur une colonne d'airain les conditions de cette alliance avec les noms de toutes les villes qui y étoient comprises, & des députés qui les avoient signées.

Ce temple étoit garni de cornes de vaches, dont Plutarque & Tite-Live rapportent le sujet. Ils nous disent qu'un certain sabin, nommé Autro Coratius, ayant une vache d'une beauté extraordinaire, un devin l'avertit que s'il immoloit cette vache à Diane dans son temple du mont Aventin, il ne manqueroit jamais de rien, & que sa ville soumettroit toute l'Italie sous son empire. Autro étant venu à Rome pour ce sujet, un de ses valets avertit le roi Servius de la prédiction du devin ; ce prince ayant consulté sur cet article le pontife Cornelius, il fit avertir Autro de s'aller laver dans les eaux du Tibre, avant de sacrifier cette vache, & cependant le roi Servius la sacrifia lui-même, & en attacha les cornes aux murailles du temple.

Auguste éleva un temple à Diane dans la Sicile, après la défaite de Sextus Pompeius & le recouvrement de cette province. Il fit graver au frontispice de ce temple trois jambes, qui sont le symbole de la Trinacrie ou de la Sicile, avec cette inscription, imperator Caesar.

Strabon, liv. IV. de la description du monde, raconte qu'en l'île d'Icarie on voyoit un temple de Diane nommé , & Tite-Live, l. IV. de la cinquieme décade, appelle ledit temple Tauropolium, & les sacrifices qui s'y faisoient tauropolia ; toutefois Denis dans son livre de situ orbis, dit que Diane n'a pas été nommée Tauropola du peuple, mais des taureaux dont il y avoit grande abondance dans le pays. (D.J.)

TEMPLE DE TOUS LES DIEUX, (Antiq. rom.) le temple de tous les Dieux, étoit l'édifice le plus superbe & le plus solidement bâti de la ville de Rome ; il est vrai que j'en ai déjà parlé au mot PANTHEON [c'étoit son nom], mais j'ai beaucoup de choses à rectifier & à ajoûter à cet article.

Le corps de l'ouvrage subsiste encore aujourd'hui sous le nom de Rotonde ou d'église de tous les Saints, auxquels ce temple est consacré, comme il l'étoit dans le paganisme à tous les dieux : on en trouvera le dessein dans le II. tom. de l'Antiq. expliq. par le pere Montfaucon, qui l'a pris pour le plan de Serlio, & pour le profil dans Lafreri.

Ce superbe édifice ne reçoit le jour que par un trou fait au milieu de la voute, mais si ingénieusement ménagé, que tout le temple en est suffisamment éclairé. Sa forme est de figure ronde, & il semble que l'architecte ait voulu, comme en un grand nombre d'autres temples de la premiere antiquité, imiter en cela la figure qu'on donnoit au monde : quod forma ejus convexa, fastigiatam coeli similitudinem ostenderet.

La bâtisse de ce temple est fort ancienne ; on ignore le tems de sa construction. Agrippa, gendre d'Auguste, ne fit que le réparer, le décorer, & y ajoûter le portique que l'on admire aujourd'hui, & sur la frise duquel il a fait mettre son nom ; de-là vient qu'on nomme ce temple le Panthéon d'Agrippa.

Son portique est composé de seize colonnes de marbre granit, chacune d'une seule pierre : ces colonnes ont cinq piés de diamêtre, & plus de trente-sept piés d'hauteur, sans y comprendre la base & le chapiteau. De ces seize colonnes il y en a huit de face & huit derriere, le tout d'ordre corinthien. Comme on trouva, du tems du pape Eugene, près de cet édifice, une partie de la tête d'Agrippa en bronze, un pié de cheval & un morceau de roue du même métal, il y a apparence que ce grand homme étoit représenté lui-même en bronze sur ce portique, monté sur un char à quatre chevaux.

Diogène, athénien, dit Pline, décora le Panthéon d'Agrippa, & les caryatides, qui servent de colonnes au temple, sont mises au rang des plus belles choses, ainsi que les statues posées sur le haut du temple, mais elles sont trop élevées pour qu'on puisse leur rendre toute la justice qui leur est dûe.

Septime Sévere fit encore dans la suite des réparations considérables à ce beau monument de la piété des anciens ; mais le temple est toujours demeuré tel qu'il étoit au tems de Pline, avec la seule différence qu'il a été dépouillé de ses statues, & de cette grande quantité d'ornemens de bronze dont il étoit enrichi. On ne voit pas même où pouvoient être placées les caryatides dont Pline fait mention ; on a soupçonné qu'elles avoient occupé l'attique qui regne au-dessus des colonnes, dans l'intérieur de l'édifice. On ignore le tems auquel elles ont été supprimées, & on n'est pas plus instruit du motif de leur destruction. Il y a cependant apparence qu'on est venu à cette extrêmité lorsque le temple a été converti en église, il a fallu en ôter les statues des divinités ; & les caryatides furent mises apparemment au rang des statues, par des gens qui ne savoient pas que les caryatides étoient un ordre d'architecture, & n'avoient aucun rapport avec le culte religieux.

Les plaques de bronze dorées qui couvroient toute la voute, furent enlevées par l'empereur Constance III. Le pape Urbain VIII. se servit des poutres du même métal pour faire le baldaquin de S. Pierre, & les grosses pieces d'artillerie qui sont au château Saint-Ange ; en un mot, toutes les choses précieuses dont ce temple étoit rempli ont été dissipées. Les statues des dieux, qui étoient dans les niches qu'on voit encore dans l'intérieur du temple, ont été ou pillées ou enfouies ; & il n'y a pas bien long-tems encore, qu'en creusant près de cet édifice, on trouva un lion de Basalte, qui est un beau marbre d'Egypte, & puis un autre, qui servirent à orner la fontaine de Sixte V. sans parler d'un grand vase de porphire, qu'on plaça près du portique. (D.J.)

TEMPLE D'ELEUSIS, (Antiq. grecq.) un des plus célebres du monde, élevé en l'honneur de Cerès & de Proserpine. Hetinus le fit d'ordre dorique, & d'une si vaste étendue, qu'il étoit capable de contenir trente mille personnes ; car il s'en trouvoit dumoins autant, & souvent plus, à la célébration des mysteres de ces deux déesses ; c'est un fait que certifient Hérodote, l. VIII. ch. lxv. & Strabon, l. IX. pag. 365. Vitruve observe que ce temple étoit d'abord sans colonnes au-dehors, pour laisser plus de place & de liberté aux cérémonies religieuses qui se pratiquoient dans les sacrifices éléusiniens ; mais Philon dans la suite y ajouta un portique magnifique. (D.J.)

TEMPLE D'ÉPHESE, (Antiq. grecq.) Voyez ÉPHESE, temple d '.

Le premier temple d'Ephèse, qui fut brûlé par Erostrate, passoit pour une des sept merveilles du monde : on avoit employé 220 ans à l'élever. Les richesses de ce temple devoient être immenses, puisque tant de rois avoient contribué à l'embellir, & qu'il n'y avoit rien de plus fameux en Asie que cet édifice.

Le second temple d'Ephèse fut construit par Cheiromocrate, le même qui bâtit la ville d'Alexandrie, & qui du mont Athos vouloit faire une statue d'Alexandre. Ce dernier temple, que Strabon avoit vû, n'étoit ni moins beau, ni moins riche, ni moins orné que le premier. Xénophon parle d'une statue d'or massif qui y étoit. Strabon assure aussi que les Ephésiens, par reconnoissance, y avoient placé une statue d'or en l'honneur d'Artémidore. Le concours du monde qui se rendoit à Ephèse pour voir ce temple, étoit infini. Ce que raconte saint Paul, Act. 19. de la sédition tramée par les orfévres d'Ephèse, qui gagnoient leur vie à faire de petites statues d'argent de Diane, est bien propre à nous prouver la célébrité du culte de cette déesse.

Vitruve observe que le temple dont nous parlons étoit d'ordre ionique & diptérique, c'est-à-dire qu'il regnoit tout-à-l'entour deux rangs de colonnes, en forme d'un double portique ; il avoit 71 toises de longueur, sur plus de 36 de largeur, & l'on y comptoit 127 colonnes de 60 piés de haut.

Ce temple étoit un asyle des plus célébres, qui s'étendoit à 125 piés aux environs. Mithridate l'avoit borné à l'espace d'un trait de fleche. Marc Antoine doubla cette étendue ; mais Tibere pour éviter les abus qui se commettoient à l'occasion de ces sortes de droits, abolit cet asyle : aujourd'hui on ne trouve plus, d'un si superbe édifice, que quelques ruines, dont on peut voir la relation dans le voyage de Spon. (D.J.)

TEMPLES D'ESCULAPE, (Antiq. grecq. & rom.) ce dieu de la santé fut premierement honoré à Epidaure, ville d'Esclavonie, où il avoit un temple magnifique & une statue d'or & d'ivoire d'une grandeur extraordinaire, sculptée par Trasimede de l'île de Paros. Le dieu étoit représenté assis sur un trône, tenant d'une main un bâton, & s'appuyant de l'autre sur la tête d'un dragon, avec un chien à ses piés. Pausanias dit que ce chien étoit mis aux piés d'Esculape, parce qu'un chien l'avoit gardé lorsqu'il fut exposé ; on pourroit aussi penser, dit M. le Clerc, que ce chien étoit l'emblême de l'attachement, du zèle, & des autres qualités nécessaires à un médecin dans sa profession.

Les Romains éleverent un temple à Esculape dans l'île du Tibre. L'occasion en fut extraordinaire au récit d'Aurélius Victor.

Rome & le territoire qui l'environnoit, étoient ravagés par la peste. Dans cette désolation, on envoya dix ambassadeurs à Epidaure avec Q. Ogulnius à leur tête, pour inviter Esculape à venir au secours des Romains. Les ambassadeurs étant arrivés à Epidaure, comme ils s'occupoient à admirer la statue extraordinaire d'Esculape, un grand serpent sortit de dessous son autel, & traversant le temple, il alla dans le vaisseau des Romains, & entra dans la chambre d'Ogulnius. Les ambassadeurs comblés de joie à ce présage, mirent à la voile, & arriverent heureusement à Antium, où les tempêtes qui s'éleverent alors, les retinrent pendant quelques jours. Le serpent prit ce tems pour sortir du vaisseau ; & il alla se cacher dans un temple situé dans le voisinage, qui étoit dédié à Esculape. Le calme étant revenu sur la mer, le serpent rentra dans le vaisseau, & s'avança sur le rivage où on lui bâtit un temple, & la peste cessa.

Pline dit qu'on bâtit un temple d'Esculape en cet endroit par une espece de mépris pour l'art qu'il avoit inventé, comme si les Romains avoient envoyé à Epidaure une ambassade solemnelle, à dessein d'injurier le dieu dont ils avoient alors besoin.

Plutarque a rendu une meilleure raison au jugement de M. le Clerc, du choix qu'on faisoit de certains lieux, pour y bâtir les temples d'Esculape. Il a pensé que celui des Romains, & presque tous ceux de la Grece, avoient été situés sur des lieux hauts & découverts, afin que les malades qui s'y rendoient, eussent l'avantage d'être en bon air.

Il n'y a pas de doute que ce ne fût à l'imitation des Grecs, que les Romains placerent le temple d'Esculape hors de Rome ; & l'on pourroit apporter une excellente raison de la préférence que les Grecs donnerent à cette situation : ils avoient éloigné le temple d'Esculape des villes, de peur que la corruption occasionnée par la foule des malades qui s'adressoient aux prêtres de ce dieu pour être guéris, ne passât dans les lieux qu'ils habitoient, si les temples en avoient été voisins, ou qu'ils n'eussent respiré un air empesté par la même cause, s'ils avoient été élevés dans les villes. (D.J.)

TEMPLE DE LA FELICITE, (Antiq. rom.) templum Felicitatis. Les Romains dresserent un temple & un autel à cette déesse, & firent faire sa statue par Archésilas statuaire ; elle avoit couté à Lucullus soixante grands sesterces, c'est-à-dire environ 6000 francs. (D.J.)

TEMPLE DE LA FOI, (Antiq. rom.) le temple de la Foi, bâti sur le mont Capitolin, & dans lequel le sénat s'assembloit quelquefois, n'étoit pas éloigné du temple d'Apollon. Numa Pompilius avoit placé la Fidélité parmi les dieux, dans l'objet d'engager chaque citoyen, par l'appréhension de cette divinité, à garder la foi dans les contrats, ce qui est confirmé par Ciceron, liv. III. des Off. & par Pline, liv. XXXV. ch. x.

TEMPLE DE LA FORTUNE, (Antiq. grecq. & rom.) jamais divinité n'eut plus de temples, & sous plus de noms différens. Les Romains surtout se distinguerent en ce genre dans la vue de se la rendre favorable. Servius Tullius lui éleva le premier temple dans le Forum, mais il fut incendié.

Cette déesse avoit un célebre temple à Antium sur le bord de la mer ; on l'appelloit le temple des Fortunes antiatines. Mais le temple de la Fortune le plus renommé dans l'antiquité, est celui que Sylla lui fit à Préneste ; le pavé de ce temple étoit de marqueterie. L'on voyoit dans ce même temple une figure équestre de la déesse toute dorée, & c'est assurément son apanage. Celui qui lui fit bâtir Q. Catullus, étoit dédié à la Fortune du jour, Fortunae hujusce diei, & cette idée est ingénieuse.

Si celui que lui consacra Néron n'étoit pas le plus magnifique, il étoit du-moins le plus singulier, & le plus brillant par la matiere qui y fut employée. Il fut entierement construit d'une sorte de pierre trouvée en Cappadoce, & que Pline nomme phingias, laquelle à une blancheur éblouissante, joignoit la dureté du marbre ; ensorte, dit-on, que les portes fermées on y voyoit clair. Ce temple se trouva dans la suite renfermé dans l'enceinte de la maison d'or de cet empereur.

Cette déesse en avoit un dans la rue neuve, sous le titre de la Fortune aux mamelles, qu'on représentoit à-peu-près comme la Diane d'Ephèse, & comme Isis, dont elle a la coëffure sur quelques figures que le tems nous a conservées.

Domitien en fit construire un autre à la Fortune de retour, Fortunae reduci, expression qui se trouve souvent sur des médailles, & celle de Fortuna redux.

Le baron Herbert de Cherburi, auteur d'un savant traité sur la religion des gentils, prétend que les Orientaux ni les Grecs n'avoient jamais rendu aucun culte à la Fortune ; & que les Romains étoient les seuls qui l'eussent adorée. Mais ignoroit-il que les habitans d'Antioche avoient dans leur ville un temple magnifique de cette divinité ; que ceux de Smyrne lui avoient consacré la belle statue que Bubalus en avoit fait ; & qu'enfin, au rapport de Pausanias, la Grece étoit remplie de temples, de chapelles, de statues, de bas-reliefs & de médailles de cette même déesse. (D.J.)

TEMPLE DES FURIES, (Antiq. grecq. & rom.) ces déesses redoutables avoient dans plusieurs endroits de la Grece des autels & des temples, sur lesquels, dit Euripide, presque personne n'osoit jetter les yeux. Le temple qu'elles avoient en Achaïe, dans la ville de Ceryme, passoit pour un lieu fatal à ceux qui y entroient étant coupables de quelque crime. Oreste leur fit bâtir trois temples célebres, un auprès de l'Aréopage, & les deux autres en Arcadie. Tous leurs temples étoient un asyle assuré pour ceux qui s'y retiroient. La déesse Furine que Ciceron croit avoir été la même que les Furies, avoit un temple à Rome dans la quatorzieme région. (D.J.)

TEMPLES DES GRACES, (Antiq. grecq. & rom.) des divinités si aimables n'ont manqué ni de temples, ni d'autels. Etéocle, roi d'Orchomene, fut, dit-on, le premier qui leur en éleva dans sa capitale, & qui régla ce qui concernoit leur culte. Près du temple qu'il fit bâtir en l'honneur des Graces, on voyoit une fontaine que son eau pure & salutaire rendoit célebre par tout le monde. A quelques pas de-là couloit le fleuve Céphise, qui par la beauté de son canal & de ses bords, ne contribuoit pas peu à embellir un si charmant séjour. L'opinion commune étoit que les Graces s'y plaisoient plus qu'en aucun autre lieu de la terre. De-là vient que les anciens poëtes les appellent ordinairement déesses de Céphise, & déesses d'Orchomene.

Cependant toute la Grece ne convenoit pas qu'Etéocle eût été le premier à leur rendre les honneurs divins. Les Lacédémoniens en attribuoient la gloire à Lacédémon leur quatrieme roi. Ils prétendoient qu'il avoit bâti un temple aux Graces dans le territoire de Sparte, & sur les bords du fleuve Tiase, & que ce temple étoit sans contredit le plus ancien de tous ceux où elles recevoient des offrandes.

Quoi qu'il en soit, elles avoient encore d'autres temples à Elis, à Delphes, à Pergé, à Perinthe, à Byzance, & en plusieurs autres endroits de la Grece & de la Thrace. Dans l'île de Paros une des Cyclades, elles avoient un temple, & un prêtre à vie.

Non-seulement elles avoient des temples particuliers, elles en avoient aussi de communs avec d'autres divinités. Les temples consacrés à l'Amour & à Vénus, l'étoient aussi ordinairement aux Graces. Assez souvent elles avoient place dans ceux de Mercure, pour nous apprendre que le dieu de l'éloquence ne pouvoit se passer de leur secours. Mais surtout les Muses & les Graces n'avoient d'ordinaire qu'un même temple, à cause de l'union intime qui étoit entre ces deux sortes de divinités. Pindare invoque les Graces presqu'aussi souvent que les Muses, il confond leurs jurisdictions ; & par une de ces expressions heureuses qui lui sont familieres, il appelle la poësie le délicieux jardin des graces.

Il seroit trop long de parler des autels qui leur furent consacrés, Pausanias vous en instruira ; je dirai seulement qu'aucune divinité n'en méritoit davantage, puisqu'une de leurs prérogatives étoit de présider à la reconnoissance. On sait que Démosthenes rapporte dans sa harangue pour la couronne, que les Athéniens ayant secouru les habitans de la Chersonese dans un besoin pressant, ceux-ci pour éterniser le souvenir d'un tel bienfait, éleverent un autel avec cette inscription, : autel consacré à celle des Graces qui préside à la reconnoissance. (D.J.)

TEMPLES D'HERCULE, (Antiq. phénic. grecq. & rom.) le culte d'Hercule fut porté en Grece, à Rome, dans les Gaules, en Espagne, & s'étendit, selon Pline, jusque dans la Taprobane, île entre l'Inde & le Gange.

Son temple de Tyr étoit célebre ; Hérodote qui y fut attiré par curiosité, nous dit qu'il trouva ce temple orné de magnifiques présens & qu'il y avoit deux statues de ce dieu, une d'or, & l'autre d'une pierre précieuse qui jettoit pendant la nuit un grand éclat ; qu'il avoit demandé aux prêtres si ce temple étoit ancien, & qu'ils lui avoient répondu qu'il l'étoit autant que la ville, qui avoit été bâtie depuis deux mille trois cent ans ; époque plus ancienne que les Grecs.

Il ajoute qu'il y avoit dans la même ville un autre temple dédié à Hercule Thasius, & que s'étant transporté à Thase, il y avoit vu un temple bâti en l'honneur de ce dieu par ceux qui enleverent Europe, événement qui précede de cinq générations la naissance de l'Hercule grec : d'où il conclut qu'Hercule est une ancienne divinité, & que les Grecs font bien d'en honorer deux, l'un comme un dieu immortel, l'autre comme un héros.

Les habitans de Gadès (Cadix) firent ériger à Hercule un temple magnifique à quelque distance de leur ville ; la situation de ce temple dans un lieu si éloigné, son ancienneté, le bois incorruptible dont il étoit construit, ses colonnes chargées d'anciennes inscriptions & d'hiéroglyphes, les travaux d'Hercule qui y étoient représentés, les arbres de Géryon, qui, selon Philostrate, jettoient du sang, les cérémonies singulieres qui s'y pratiquoient ; tout cela le rendoit fort célebre, & la ville de Gadès se croyoit en sûreté sous la protection du héros. Aussi Théron, roi d'Espagne, ayant voulu piller ce temple, une terreur panique dispersa ses vaisseaux qu'un feu inconnu dissipa tout - d'un - coup.

Hercule eut aussi plusieurs temples à Rome, entr'autres deux assez célebres ; le temple du cirque de Flaminius, qu'on appelloit le temple du grand Hercule, gardien du cirque ; & le temple qui étoit au marché aux boeufs, dans lequel, dit Pline, il n'entroit jamais ni chiens, ni mouches. (D.J.)

TEMPLES DE JANUS, (Antiq. rom.) il y avoit trois temples dans Rome en l'honneur de Janus ; le premier de ces temples fut bâti par Romulus après la paix des Sabins : il fit mettre dans ce temple la statue de Janus à deux visages, pour dire que la nation romaine & la sabine s'étoient unies ensemble, & que les deux rois, Romulus & Tatius, ne faisoient qu'un chef pour gouverner. Ce temple n'avoit que deux portes, qui étoient ouvertes en tems de guerre & fermées en tems de paix.

C'étoit dans ce temple que les consuls, après la guerre déclarée, se rendoient accompagnés du sénat & des soldats, & qu'ils en ouvroient les portes ; c'étoit-là aussi où ils prenoient possession de leur charge, & conséquemment on disoit qu'ils ouvroient l'année.

Le second temple de Janus fut construit par Cn. Duillius dans le marché aux poirées, après la premiere guerre de Carthage : mais étant à demi-ruiné par la longueur du tems, il fut rebâti par l'empereur Tibere, comme dit Tacite, l. II. de ses annales.

Le troisieme, sous le nom de Janus, quadrifrons, à quatre visages, fut élevé dans le marché aux boeufs, en une petite vallée, appellée le Vélabre, entre le mont Palatin & le capitole. Voici quel en fut le sujet : les Romains, dit Servius, représenterent d'abord Janus à deux visages ; mais, après la prise de Falérie en Toscane, ayant rencontré une statue de Janus à quatre faces, ils voulurent en avoir une pareille à Rome ; & pour l'honorer davantage, ils lui bâtirent un temple à quatre faces, chacune étoit de douze niches, avec une grande porte, ce qui marquoit les quatre saisons de l'année & les douze mois. Varron dit qu'il y avoit douze autels dédiés à Janus, & que chacun d'eux représentoit un mois de l'année.

Outre ces trois temples, il y avoit une chapelle sous le titre, aedes Jani curiatii, dédiée à Janus, par cet Horace qui défit les trois Curiaces. On parle encore d'un Janus Septimianus, qu'on croit avoir été un bâtiment ouvert aux allans & venans, & qui avoit été édifié par Septimius Severus. (D.J.)

TEMPLES D'ISIS, (Antiq. égypt.) on a découvert dans la basse Thébaïde, au village de Bhabéit, c'est-à-dire en arabe maison de beauté, les restes d'un des plus beaux, des plus vastes & des plus anciens temples d'Egypte, qu'on juge avoir été un de ceux qui ont été autrefois élevés en l'honneur d'Isis.

Les pierres de ces ruines sont d'une longueur, d'une épaisseur énorme, & de marbre granit, ornées la plûpart de sculptures qui représentent en demi-reliefs des hommes, des femmes, & des hiéroglyphes. Plusieurs de ces pierres portent la figure d'un homme debout, un bonnet long & pointu en tête, tenant deux gobelets, & les présentant à trois ou quatre filles qui sont debout l'une derriere l'autre. Ces filles ont un javelot dans une main, un bâton plus court dans l'autre, & sur la tête une boule entre deux cornes déliées. D'autres pierres sont gravées d'images hiéroglyphiques d'oiseaux, de poissons & d'animaux terrestres. Un pilier de granit fort haut & fort massif, ayant dans sa partie supérieure quatre entaillures aux quatre faces, paroît avoir été construit pour soutenir les arcades & les voûtes de ce grand édifice. Chaque face du pilier présente aux yeux une tête de femme gravée plus grande que nature.

Hérodote, avec toute l'antiquité, fait mention d'un temple construit au milieu du Delta, dans le village de Busiris, consacré à la déesse Isis, femme d'Osiris ; il paroît assez probable que l'édifice ruiné qui se voit à Bhabeit étoit ce temple même de la déesse Isis, & que la ville dont parle Hérodote est le village de Bhabeit, situé au milieu du Delta, proche Sebennythus ou Sammanoud. Cette opinion est d'autant plus croyable, que dans le reste de l'île on n'a point encore trouvé de vestiges d'aucun monument de marbre ou de pierre qui puisse convenir à d'autres divinités qu'à la déesse Isis.

Les ruines du temple de cette déesse ont environ mille pas de tour. Elles sont à une lieue du Nil, & à deux ou trois lieues de Sammanoud & de la grande Méhalée, vers le nord, à vingt-cinq ou trente lieues du Caire. Dans le monceau de ces ruines, on ne voit que grosses masses de marbre. Recueil d'observat. curieuses, tome III. (D.J.)

TEMPLES DE JUNON, (Antiq. grecq. & rom.) Junon avoit des temples dans toute la Grèce, celui d'Argos étoit célebre, Pausanias, in Corinth. en parle ainsi. En entrant dans le temple, dit-il, on voit sur un trône la statue de cette déesse d'une grandeur extraordinaire, toute d'or & d'ivoire. Elle a sur la tête une couronne, surmontée des graces & des heures. Elle tient d'une main une grenade, & de l'autre un sceptre, au bout duquel est un coucou. Près de cette statue, sculptée par Polyclete, il y en avoit une autre fort ancienne faite en colonne de bois de poirier sauvage. Un certain Buneus, fils de Mercure, fit élever à la déesse un magnifique temple à Corinthe. Celui de Samos étoit renommé par le culte que les habitans lui rendoient, comme on peut le voir dans Virgile. En un mot, de toutes les divinités du paganisme il n'y en eut point dont le culte fût plus solemnel que celui de Junon. On trouvoit par-tout dans la Grèce des temples, des chapelles ou des autels qui lui étoient dédiés.

L'Italie ne marqua pas moins de respect à une déesse, qui étoit tout ensemble la soeur & la femme de Jupiter. Elle avoit trois fameux temples, entr'autres, sous le nom de Junon sospita, l'un de ces temples étoit à Lanuvium, les deux autres se voyoient à Rome ; Ciceron dit, dans la harangue pour Murena, que les consuls, avant que d'entrer en charge, devoient y offrir un sacrifice à la déesse. La statue que Junon reine avoit à Veïes, fut transportée sous la dictature de Camille sur le mont Aventin, où elle fut consacrée par les dames de la ville dans le temple que le même Camille lui dédia : on respectoit tellement cette statue, qu'il n'y avoit que son prêtre qui pût la toucher. Junon, sous le nom de Lucine, avoit un temple près de Rome dans un bois sacré ; c'est Ovide qui le dit.

Gratia Lucinae dedit haec tibi nomina lucus,

Vel quia principium, tu dea, lucis habes.

Elle avoit, sous le nom d'Ilithie, un temple, dans lequel, pour tous ceux qui naissoient à Rome, qui y mouroient, ou qui y prenoient la toge virile, on devoit porter une piece de monnoie.

La même déesse avoit, sous le nom de Juga ou de Pronuba, selon Virgile, un autel dans la rue appellée Jugaria, & un autre autel sous le nom de Licinia. Pline observe qu'elle avoit un temple orné de peintures, sous le nom de Junon Ardia. Le temple de Junon Matura est connu des antiquaires ; celui de Junon Moneta l'est encore davantage, parce qu'elle est représentée sur les médailles avec les instrumens de la monnoie.

Tite-Live, l. IV. nous apprend que, sous le nom de Lacinia, elle avoit un temple sur ce promontoire d'Italie, & que ce temple n'étoit pas moins respectable par sa sainteté, que célebre par les riches présens dont il étoit orné : Inclytumque templum divitiis etiam, non tantum sanctitate suâ. (D.J.)

TEMPLES DE JUPITER, (Antiq. grecq. & rom.) entre les temples que toute l'antiquité payenne éleva dans le monde en l'honneur du maître des dieux, sideream mundi qui temperabat arcem, je dois au-moins décrire les deux plus beaux, je veux dire celui de Jupiter olympien à Athènes, & celui de Jupiter capitolin à Rome.

Le premier, selon Pausanias, in Eliac. étoit le fruit des dépouilles que les Eléens avoient remportées sur les Pisans lorsqu'ils saccagerent la ville de Pise. Ce temple, dont Libon originaire du pays avoit été l'architecte, étoit d'ordre dorique & tout environné de colonnes par-dehors, ensorte que la place où il étoit bâti formoit un superbe péristyle. On avoit employé à cet édifice des pierres d'une nature & d'une beauté singuliere.

La hauteur de ce temple, depuis le rez-de-chaussée jusqu'à sa couverture, étoit de soixante & huit piés, sa largeur de quatre-vingt-quinze, & sa longueur de deux cent trente. La couverture étoit d'un beau marbre tiré du mont Pentélique & taillé en tuiles. Du milieu de la voûte pendoit une victoire de bronze doré, & au-dessous de cette statue étoit un bouclier d'or, sur lequel on voyoit la tête de Méduse ; aux deux extrêmités de la même voûte étoient aussi suspendues deux chaudieres dorées. Par-dehors, audessus des colonnes, regnoit au-tour du temple un cordon auquel étoient attachés vingt-un boucliers dorés, consacrés à Jupiter par Mummius après le sac de Corinthe.

Sur le fronton de devant étoit représenté le combat de Pélops avec Oenomaüs, & Jupiter au milieu. Stérope, une des filles d'Atlas, le char à quatre chevaux, étoient à la droite du dieu ; Pélops, Hippodamie occupoient la gauche. Le fronton de derriere, ouvrage d'Alcamene, le meilleur statuaire de son tems après Phidias, représentoit le combat des Centaures & des Lapithes à l'occasion des noces de Pirithoüs.

Une grande partie des travaux d'Hercule se voyoit sculptée dans l'intérieur de cet édifice ; & sur les portes qui étoient toutes d'airain, on remarquoit entr'autres choses la chasse du sanglier d'Erymanthe, & les exploits du même Hercule contre Diomede, roi de Thrace, contre Géryon, &c. Il y avoit deux rangs de colonnes qui soutenoient deux galeries fort exhaussées, sous lesquelles on passoit pour arriver au trône de Jupiter.

Ce trône & la statue du dieu étoient le chef-d'oeuvre de Phidias, & l'antiquité n'offroit rien de plus magnifique. La statue d'une immense hauteur étoit d'or & d'ivoire, si artistement mêlés, qu'on ne pouvoit la regarder sans être frappé d'étonnement. Jupiter portoit sur sa tête une couronne qui imitoit la feuille d'olivier ; il tenoit à sa main droite une victoire, & de la gauche un sceptre d'une extrême délicatesse, qui soutenoit une aigle. La chaussure & le manteau du dieu étoient d'or ; & sur le manteau étoient gravés toutes sortes de fleurs & d'animaux.

Le trône brilloit d'or & de pierres précieuses. L'ivoire, l'ébene, les animaux & plusieurs autres ornemens y faisoient par leur mêlange une agréable variété. Aux quatre coins de ce trône étoient quatre victoires, qui sembloient se donner la main pour danser ; les piés du trône, du côté de devant, étoient ornés de sphinx, qui arrachoient de tendres enfans du sein des thébaïdes ; au-dessous on voyoit Apollon & Diane qui tuoient à coups de fleches les enfans de Niobé.

Quatre traverses du même trône, & qui alloient d'un bout à l'autre, étoient ornées d'une infinité de figures d'une extrême beauté ; sur une étoient représentés sept vainqueurs aux jeux olympiques ; on voyoit sur une autre, Hercule prêt à combattre contre les Amazones, & le nombre des combattans de part & d'autre, étoit de vingt-neuf. Outre les piés du trône, il y avoit encore des colonnes qui le soutenoient.

Enfin une grande balustrade, ornée de figures, enfermoit tout l'ouvrage. Panénus, habile peintre de ce tems-là, y avoit représenté avec un art infini, Atlas qui soutient le ciel sur ses épaules, Thésée & Pirithoüs, le combat d'Hercule contre le lion de Némée, l'attentat d'Ajax sur Cassandre, Hippodamie avec sa mere, Prométhée enchaîné, & mille autres sujets de l'histoire fabuleuse. A l'endroit le plus élevé du trône, au-dessus de la tête du dieu, étoient les graces & les heures, les unes & les autres au nombre de trois.

Le piédestal qui soutenoit toute cette masse, étoit aussi orné que le reste. Phidias y avoit gravé sur or, d'un côté le soleil conduisant son char, de l'autre Jupiter & Junon, les graces, Mercure & Vesta. Vénus y paroissoit sortir du sein de la mer, & être reçue par l'Amour, pendant que Pitho, ou la déesse de la persuasion, lui présentoit une couronne. Apollon & Diane n'avoient pas été oubliés sur ce bas-relief, non-plus que Minerve. On remarquoit au bas de ce piédestal, Amphitrite, Neptune, & Diane ou la Lune, qui paroissoit galoper sur un cheval. Enfin, un voile de laine teint en pourpre & brodé magnifiquement, présent du roi Antiochus, pendoit du haut jusqu'en bas.

Je ne dis rien des autres ornemens de ce superbe édifice, ni du pavé qui étoit du plus beau marbre, ni des présens que plusieurs princes y avoient consacrés, ni du nombre infini de statues qui l'embellissoient. On peut sur tout cela consulter Pausanias, ou, si vous l'aimez mieux, les marbres d'Arondel de Prideaux.

C'est assez pour moi de remarquer que ce temple, plus grand qu'aucun dont on ait connoissance, excepté le seul temple de Bélus à Babylone, pouvoit passer pour une des merveilles du monde. Il avoit été entrepris par Pisistrate, & continué par ses enfans Hippias & Hipparque ; mais la grandeur du dessein de ce temple fut cause qu'il demeura imparfait plus de 700 ans, quoique de puissans princes, tels que Persée roi de Macédoine, Antiochus Epiphane roi de Syrie, eussent contribué par des sommes considérables à le finir.

Ce fut l'empereur Adrien qui eut cette gloire. Il lui en coûta pour l'achever plus de dix-huit millions de notre monnoie. Ce temple avoit au-delà de cinq cent pas géométriques de circuit, & tout cet espace étoit orné de statues plus admirables encore pour la délicatesse de l'ouvrage que pour l'or & l'ivoire qu'on y avoit prodigués. Tite-Live a peint en deux mots bien élégamment la magnificence de ce temple : templum in terris inchohatum pro magnitudine dei ; car de son tems il n'étoit pas achevé, & du nôtre il reste à-peine quelques traces de ses ruines.

On bâtit à Rome en l'honneur de Jupiter plusieurs temples sous divers noms. Tels ont été celui de Jupiter le vainqueur, que L. Papyrius Cursor lui voua à la journée des Samnites, & que Fabius fit exécuter après leur défaite ; celui de Jovis tonantis, Jupiter tonnant, qu'Auguste fit construire en la montée du capitole ; & celui de Jupiter ultor, ou le vengeur, que M. Agrippa lui dédia ; mais aucun de ces temples n'égala celui de Jupiter Capitolin, dont nous avons promis de tracer l'histoire.

Il fut ainsi nommé du capitole sur lequel on le bâtit, comme on le voit par la médaille d'Aurelia Quirina vestale, où Jupiter est représenté aussi au milieu de son temple, qui est de figure quarrée. Il tient son foudre d'une main, & son sceptre de l'autre, avec cette légende, Jupiter optimus, maximus, capitolinus.

Ce temple fut voué par le vieux Tarquin, & édifié par Tarquin le superbe, qui paya pour sa construction le poids de quarante mille livres en argent, deux millions. Il n'eut pas cependant la gloire de le dédier, parce qu'il fut chassé de Rome peu de tems avant qu'il l'eût entierement achevé.

L'ouvrage ayant été fini depuis avec tous les ornemens qu'on avoit dessein d'y mettre, Publicola desiroit passionnément de le consacrer, mais Horatius lui disputant cet avantage, eut le secret de faire ordonner par le peuple qu'il en feroit la consécration, & sur l'heure même il l'exécuta. En vain Marcus Valerius, frere de Publicola, qui se tenoit sur la porte du temple, lui cria, pour l'en détourner : " Horatius, on vient d'apprendre que votre fils est mort de maladie dans le camp ". Horatius, sans se troubler, répondit, " qu'on l'enterre ", & acheva la consécration.

Ce temple ayant été brûlé pendant les guerres civiles, Sylla le rebâtit, & l'orna de colonnes de marbre qu'il avoit fait apporter d'Athènes du temple de Jupiter Olympien ; mais la mort l'ayant surpris avant que d'en faire la dédicace, il avoua que c'étoit la seule chose qui manquoit à son bonheur. Catullus le consacra 67 ans avant J. C.

Ce second temple fut encore incendié l'an 69 de N. S. lorsque Vitellius assiégea Flavius Sabinus dans le capitole. Tacite dit qu'on ne sait si ce furent les assiégeans qui y mirent le feu pour pouvoir forcer plus aisément la place, ou si ce furent les assiégés pour pouvoir mieux se défendre ; quoiqu'il en soit, l'historien indigné contre les auteurs de cet embrasement, s'exprime ainsi : id facinus, post conditam urbem luctuosissimum, foedissimumque reipublicae populi romani accidit ; nullo externo hoste, propitiis, si per mores nostros liceret, diis, sedem Jovis optimi, maximi, auspicato à majoribus, pignus imperii, conditam quam non Porsenna deditâ urbe, neque Galli captâ, temerare potuissent, furore principum exscindi.

L'année qui suivit la mort de Vitellius, Vespasien releva le temple de Jupiter de fond en comble, l'exhaussa plus que les deux autres n'avoient été, le consacra, & mourut avant que de le voir périr par l'embrasement qui consuma le capitole peu de tems après son décès.

Domitien rebâtit le même temple superbement pour la quatrieme fois, & en fit la dédicace. La hauteur de ce temple étoit proportionnée symmétriquement à sa grandeur, qui étoit de 200 piés de face de chaque côté ; la longueur surpassoit la largeur presque de 15 piés, selon Denis d'Halicarnasse, qui dit : latera singula ducentorum ferè pedum sunt, exiguâ longitudinis, & latitudinis differentiâ ; nisi quod ista illam vincit pedibus ferè quindenis.

Ce temple étoit si magnifique, que la seule dorure coûta plus de douze mille talens, c'est-à-dire, plus de deux millions 572 mille livres sterlings. Ses colonnes, dit Plutarque, sont de marbre pentelique, & étoient dans leur origine d'une longueur admirablement proportionnée à leur grosseur ; nous les avons vues à Athènes, continue-t-il ; on a voulu les retailler & les repolir à Rome ; travail qui a gâté leur symmétrie, parce qu'en les rendant trop menues, il leur a fait perdre toute leur grace qui consistoit dans la proportion. Ce trait nous apprend combien du tems de Domitien, Rome étoit inférieure à la Grèce pour le goût des beaux arts ; mais on sait qu'en tout tems elle lui a cédé cet avantage ; Horace & Virgile en conviennent eux - mêmes. (D.J.)

TEMPLES DE LATONE, (Antiq. grecq.) cette fille de Saturne eut le bonheur d'être aimée de Jupiter, & d'être admise au rang des déesses malgré la haine de Junon. Elle eut plusieurs temples dans la Grèce, entr'autres un dans l'île de Délos auprès de celui de son fils. Pausanias fait mention d'un autre temple de Latone à Argos ; sa statue même étoit un ouvrage de Praxitele. Les Egyptiens lui bâtirent un temple dans la ville de Butis. Quelques françois ont écrit, peut-être pour se divertir sur des jeux de mots, que Latone avoit un temple chez les Gaulois dans un bourg du comté de Bourgogne appellé Laone (aujourd'hui S. Jean de Laulne ou Laône), en retranchant le t du mot latin Latona. (D.J.)

TEMPLES DE LA LIBERTE, (Antiq. rom.) Un peuple aussi justement idolâtre de la liberté, que le peuple romain, ne pouvoit pas manquer d'en faire une divinité, & de lui consacrer des temples & des autels. Aussi cette déesse qu'on invoquoit pour conserver cette même liberté que l'extinction de la royauté avoit procurée, en avoit - elle plusieurs dans la ville.

Ciceron, l. II. de nat. deor. fait mention d'un de ces temples. Publius Victor en avoit fait construire un sur le mont Aventin, avec un vestibule qu'on nommoit le vestibule de la Liberté. Les anciens qui parlent souvent de ce vestibule, ne nous apprennent pas à quel usage on le destinoit. Mais on peut croire qu'on y faisoit les ventes publiques, comme dans les autres. Tite-Live parlant du temple que Tibérius Gracchus avoit consacré à la même déesse, dit que les colonnes en étoient de bronze, & qu'on y voyoit de très-belles statues. Lorsque Ciceron partit pour son exil, P. Clodius son persécuteur consacra la maison de ce grand homme à la Liberté.

Enfin Dion nous apprend que les amis d'Antoine, par un décret public, firent ériger à la même déesse un temple en faveur de Jules-César ; action bien digne de ces derniers romains, qui élevoient un temple à la Liberté en l'honneur de celui qui leur avoit fait perdre les restes de cette précieuse prérogative, que les Marius & les Sylla leur avoient encore laissée, & dont jusqu'alors ils avoient été si jaloux. (D.J.)

TEMPLES DE MARS, (Antiq. grecq. & rom.) le culte de Mars étoit peu répandu dans la Grèce, cependant Athènes avoit dédié un temple célebre à ce dieu des batailles.

On admiroit dans ce temple cinq statues ; une du dieu, ouvrage d'Alcamene ; une de Pallas, par Locrus, statuaire de Paros ; une de Bellone, par les enfans de Praxitele, & deux de Vénus. Devant la porte du temple on voyoit un Hercule, un Thésée & un Apollon dont les cheveux étoient noués avec un ruban. Outre ces divinités, quelques hommes illustres avoient aussi leurs statues dans ce temple ; Colliadès, archonte d'Athènes & l'un de ses législateurs, Harmodias, Aristogiton & Pindare. Xerxès avoit enlevé toutes ces statues ; mais Alexandre les ayant trouvées dans le palais de Darius, les renvoya aux Athéniens.

C'est chez les Romains principalement que Mars étoit honoré, car ils le regardoient comme le protecteur de leur empire. Auguste lui bâtit deux temples célebres, l'un sur le capitole, d'après le modele de Jupiter Férétrius, & à l'occasion des étendards rapportés par les Parthes. Il éleva l'autre dans son forum, & le dédia à Mars vengeur, Marti ultori, en mémoire de la bataille de Philippes, selon le témoignage d'Ovide :

Templa feres, & me victore vocaberis ultor ;

Voverat, & fuso laetus ab hoste redit.

Dion, liv. L. de son histoire, ajoute qu'on déposa dans ce temple les enseignes enlevées aux défenseurs de la liberté romaine, & le sénat ordonna que le char sur lequel César avoit triomphé, seroit mis dans le temple de Mars, pour conserver la mémoire des victoires de l'empereur. Ce temple de Mars étoit soutenu de cent colonnes. On prétend que c'est sur ses ruines qu'on a bâti dans Rome moderne l'église de Sainte Marie des Palmes.

Il y avoit encore dans l'ancienne Rome un autre temple de Mars hors de la ville & sur la voie Appienne, où le sénat s'assembla quelquefois. La remarque de Vitruve est en général vraie ; il dit qu'ordinairement les temples de Mars étoient hors des murs, afin de servir de rempart aux villes contre les périls de la guerre ; cependant outre qu'Auguste s'écarta de cette regle, nous savons du même Vitruve, qu'à Halicarnasse le temple de Mars étoit situé au milieu de la forteresse ; mais ce qu'on observa plus régulierement, fut l'ordre dorique dans les temples de ce dieu. (D.J.)

TEMPLES DE MERCURE, (Antiq. grecq. & rom.) ce dieu semble avoir été inventé pour le bien des hommes, si toutes les louanges que lui donne Horace dans une de ses odes (ode x. l. I.) sont vraies. Quoiqu'il en soit, les Grecs & les Romains eurent Mercure en vénération, & lui dresserent dans les carrefours & sur les grands chemins ces statues nommées hermes. Il avoit plusieurs temples en différentes villes de la Grèce, dont quelques-uns cependant étoient déja en ruine du tems de Pausanias ; mais ce dieu étoit particulierement honoré à Cyllene en Elide, où il avoit un temple célebre, & à Tanagre où il en avoit deux. Il eut en Achaïe un temple & un oracle qu'on consulta long-tems. Mercure avoit encore à Rome dans le grand cirque un fort beau temple qui lui fut dédié l'an 675 de la fondation de cette ville. Enfin, si nous en croyons Tacite, les Germains l'adoroient comme le souverain des dieux, & lui immoloient des victimes humaines : Deorum maximum Mercurium colunt, cui humanis quoque hostiis litare fas habent. (D.J.)

TEMPLES DE MINERVE, (Antiq. grecq. & rom.) le culte de Minerve apporté d'Egypte dans la Grèce, passa dans la Samothrace, & de-là dans l'Asie mineure. Les Rhodiens furent les premiers peuples de ces cantons, qui dresserent des temples à Minerve, pour leur avoir enseigné l'art de faire des statues colossales ; mais ayant manqué de feu dans un sacrifice qu'ils lui faisoient, la fable dit qu'elle se retira de dépit en la ville d'Athènes, où elle fut adorée sous le nom de , c'est-à-dire, la déesse vierge. Les Athéniens lui firent bâtir un temple immortel, & lui dresserent une statue de la main de Phidias, toute d'or & d'ivoire, de 39 piés de haut. Nous en avons parlé au mot STATUE, & au mot SCULPTEURS anciens, à l'article de Phidias.

La déesse, car c'est ainsi qu'on la nommoit par excellence, ne regnoit pas moins souverainement dans la Laconie que dans l'Attique ; en effet il n'est pas étonnant que celle qui présidoit aux combats, fût singulierement honorée par les Lacédémoniens ; aussi avoit-elle sept ou huit temples dans Sparte ; mais le plus célebre (& peut - être de l'ancienne Grèce), fut commencé par Tyndare, qui en jetta les fondemens ; Castor & Pollux y travaillerent après lui, & entreprirent d'y employer le prix des dépouilles qu'ils avoient remportées sur les Aphidnéens ; cependant comme leur entreprise étoit restée fort imparfaite, les Lacédémoniens long-tems après construisirent un nouveau temple à Minerve, qui étoit tout d'airain, ainsi que la statue de la déesse, & ce n'est pas le seul temple de l'antiquité qui ait été de ce métal. Ce fameux temple porte le nom de Chalcioecos : on sait que signifie de l'airain, & une maison. Thucydide, Polybe, Diodore, Plutarque, Tite-Live, en un mot, presque tous les auteurs grecs & latins ont parlé du temple Chalcioecos de Sparte, mais Pausanias l'a décrit.

L'artiste, dit-il, dont les Lacédémoniens se servirent, fut Gitiadas, originaire & natif du pays. Au-dedans du temple la plûpart des travaux d'Hercule sont gravés sur l'airain, tant les avantures qu'on connoît sous ce nom, que plusieurs autres que ce héros a courues volontairement, & dont il est glorieusement sorti. Là sont aussi gravés les exploits des Tyndarides, & sur-tout l'enlevement des filles de Leucippe. Ensuite vous voyez d'un côté Vulcain qui dégage sa mere de ses chaînes, d'un autre côté Persée prêt à partir pour aller combattre Méduse en Libye ; des nymphes lui mettent un casque sur la tête & des talonnieres aux piés, afin qu'il puisse voler en cas de besoin. On n'a pas oublié tout ce qui a rapport à la naissance de Minerve, mais ce qui efface tout le reste, c'est un Neptune & une Amphitrite qui sont d'une beauté merveilleuse. On trouve ensuite la chapelle de Minerve.

Aux environs du temple il y a deux portiques, l'un au midi & l'autre au couchant. Vers le premier est le tombeau de Tyndare ; sur le second portique on voit deux aigles éployées, qui portent chacune une victoire ; c'est un monument de celles que Lysandre remporta, l'une près d'Ephèse sur Antiochus, lieutenant d'Alcibiade qui commandoit les galeres d'Athènes ; l'autre sur la flotte athénienne qu'il défit entierement à Aigospotamos. A l'autel du temple de Minerve il y a deux statues de Pausanias qui commandoit l'armée de Lacédémone au combat de Platée. A l'aîle gauche du temple d'airain, il y a une chapelle qui est consacrée aux Muses, parce que les Lacédémoniens marchent à l'ennemi au son des flûtes & de la lyre.

Les Spartiates éleverent un autre temple à Lacédémone à leur retour de Colchos, en l'honneur de Minerve Asia.

On voyoit encore dans la rue Alpia le fameux temple de Minerve dit Ophthalmitis, Minerve conservatrice des yeux ; c'est Lycurgue lui-même qui consacra ce temple à la déesse, en mémoire de ce que dans une émeute, ayant eu un oeil crevé par Alcandre à qui ses lois déplaisoient, il fut sauvé en ce lieu là par le peuple, sans le secours duquel il auroit peut-être perdu l'autre oeil, & la vie même.

L'histoire parle beaucoup du temple que Minerve avoit à Sunium ; il en reste encore dix-sept colomnes entieres d'un ouvrage tout semblable à celui du temple de Thésée à Athènes. On y voit sur un bas-relief de marbre de Paros, une femme assise, avec un petit enfant, qui, comme elle, leve les bras, & paroît regarder avec effroi un homme nud qui se précipite du haut d'un rocher.

Minerve eut aussi plusieurs temples à Rome, entr'autres celui du mont Aventin, dont Ovide fait mention dans le liv. VI. de ses Fastes.

Mais le plus célebre temple de la déesse étoit à Saïs, métropole de la basse Egypte dans le Nôme qui en prenoit le nom, Saïtes Nomos. Hérodote dit que ce superbe temple avoit été embelli par les soins d'Amasis, d'un vestibule qui surpassoit de beaucoup en grandeur & en magnificence, tous les monumens que les rois ses prédécesseurs avoient laissés. Ce même prince y ajouta des statues d'une grandeur prodigieuse ; car les Egyptiens aimoient les figures colossales, sans parler des pierres immenses pour leur énorme grosseur, & qui venoient la plûpart d'Elephantine, ville éloignée de Saïs de vingt journées de navigation.

La chapelle de ce temple offroit en particulier quelque chose d'unique en son genre ; cette chapelle étoit d'une seule pierre taillée dans les carrieres de la haute Egypte, & qu'Amasis avoit fait venir avec des soins & des peines incroyables, jusqu'à Saïs où elle devoit être placée dans le temple de Minerve. " Ce que j'admire par-dessus tous les autres ouvrages d'Amasis, dit Hérodote, c'est cette maison d'une seule pierre qu'il fit transporter d'Elephantine, & que deux mille hommes, tous pilotes & marins ne purent amener qu'en trois ans. Cette maison avoit de face vingt & une coudées de largeur & huit de hauteur, & dans oeuvre cinq coudées de haut, & dix-huit de longueur ". Cependant cette maison n'entra point dans le temple de Minerve, où étoit inhumé Psamméticus ; elle fut laissée à la porte, soit qu'Amasis fût piqué des plaintes de l'architecte, sur la fatigue que lui avoit causé cet ouvrage, soit par les accidens déja arrivés à ceux qui le conduisirent sur le Nil, soit enfin par d'autres raisons qu'Hérodote n'a pu savoir. (D.J.)

TEMPLES DE LA MISERICORDE, (Antiq. grecq. & rom.) Voilà les temples les plus dignes de l'humanité. Les Athéniens ont eu les premiers la gloire de diviniser cette vertu, de construire dans Athènes un temple à son honneur, & d'en faire un lieu d'asyle. Les Romains eux-mêmes frappés de cette belle idée, bâtirent dans Rome le second temple à la Miséricorde. Il eût été beau d'en élever à cette vertu dans tous les pays du monde. (D.J.)

TEMPLES DE NEPTUNE, (Antiq. grecq. & rom.) nous avons peu de détails sur les temples que Neptune avoit à Rome : dans le dernier siecle, lorsqu'on fouilloit des fondemens ; on y apperçut quantité de morceaux de marbre excellemment travaillés : & comme parmi des débris des corniches on trouva des dauphins & des tridens, on conjectura que c'étoit un temple consacré à Neptune.

Sa façade étoit périptère, & sa forme pycnostyle, ou à colonnes pressées. Ses entre-colonnes avoient un diamêtre & demi moins un onzieme, ce qui mérite d'être remarqué, vû qu'il n'y en a peut-être jamais eu de si pressées dans aucun autre édifice. De tout ce temple, il ne reste plus aucune partie sur pié : mais Palladio, en examinant de près ces ruines, est parvenu à la connoissance de ses dimensions, dont il a donné les desseins dans son architecture : j'y renvoie les lecteurs.

Il est certain néanmoins que Neptune fut un des dieux du paganisme des plus honorés ; car indépendamment des Libyens qui le regardoient comme leur grande divinité, il avoit dans la Grèce & dans les lieux maritimes d'Italie un grand nombre de temples élevés en son honneur. Les Atlantides, dit Platon dans son Critias, lui en consacrerent un magnifique, dans lequel il étoit représenté dans un char tiré par quatre chevaux aîlés, dont il tenoit les rênes, & sa statue touchoit la voûte du temple. Hérodote, l. VII. fait mention du temple que les Pasidéens lui avoient consacré, & Pline, l. XXXI. parle de celui qu'il avoit chez les Cariens. Pausanias en décrit aussi plusieurs. (D.J.)

TEMPLE DE LA PAIX, (Antiq. rom.) on voit à Rome des vestiges de ce temple proche Sainte-Marie-la-Neuve, sur le chemin qu'on appelle la Via sacra. On prétend qu'il est bâti dans le même lieu où étoit anciennement le palais de Romulus.

Ce temple fut commencé par l'empereur Claude, & conduit à sa perfection par Vespasien, après la conquête de la Judée. Ce prince y fit mettre en dépôt toutes les riches dépouilles qu'il avoit tirées du temple de Jérusalem.

Le temple de la paix passoit pour être le plus vaste, le plus superbe & le plus riche de Rome ; il avoit trois cent piés de long, & deux cent de large. Tout ruiné qu'il est, les vestiges qui nous en restent encore suffisent pour juger de son ancienne grandeur.

A la face d'entrée il y avoit une loge à trois ouvertures bâtie de brique, & le reste de la largeur de la façade étoit un mur continu. Les pilastres des arcades de la loge avoient des colonnes par-dehors qui leur servoient d'ornement, & qui régnoient le long du mur continu. Sur cette premiere loge, il y en avoit une autre découverte avec une balustrade ; & au-dessus de chaque colonne étoit une statue.

Au dedans du temple il y avoit huit grandes colonnes de marbre d'ordre corinthien, de cinq piés quatre pouces de diamêtre, dont la hauteur compris la base & le chapiteau, faisoit cinquante-trois piés. L'entablement avoit dix piés & demi, & portoit la voûte de la nef du milieu.

Les bases de ces colonnes étoient plus hautes que la moitié de leur diamêtre, & la plinthe en emportoit plus du tiers ; ce qu'on fit apparemment pour leur donner plus de force ; leur saillie étoit d'une sixieme partie de leur diamêtre. La modénature étoit d'une fort belle invention, & la cimaize de l'architecture étoit d'un dessein peu commun. La corniche avoit des médaillons au lieu de larmier.

Les murs de ce temple étoient enrichis de statues & de peintures. Toutes les voûtes avoient des compartimens de stuc, & généralement tout y étoit fort riche. Cet édifice périt par une incendie, ou par quelqu'autre accident, sous l'empereur Commode. (D.J.)

TEMPLES DES PARQUES, (Antiq. grecq. & rom.) on ne crut pas dans tout le monde payen qu'il fût nécessaire de se mettre en dépense pour des déesses inéxorables qu'il étoit impossible de fléchir ; de-là vient qu'elles n'eurent que des statues en plusieurs endroits & peu de temples dans la Grèce. Athènes n'en éleva point à leur honneur, Sicyone leur consacra seulement un temple dans un bois sacré, & les Lacédémoniens leur en bâtirent un autre dans leur capitale auprès du tombeau d'Oreste. (D.J.)

TEMPLE DE LA PIETE, (Antiq. rom.) templum pietatis, dédié par Attilius dans la place romaine, à l'endroit où demeuroit cette femme qui avoit nourri son pere prisonnier du lait de ses mamelles. (D.J.)

TEMPLES DE POMONE, (Antiq. rom.) cette belle nymphe qui plut à Vertumne, & qu'il rendit sensible à force de soins, de louanges & de respects, est une pure divinité des poëtes latins ; cependant elle eut à Rome des temples & des autels. Son prêtre portoit le nom de Flamen Pomonalis, & lui offroit des sacrifices pour la conservation des fruits de la terre. (D.J.)

TEMPLES DE PROSERPINE, cette fille de Cérès enlevée pour sa beauté par Pluton, avoit plusieurs temples en Sicile, lieu de sa naissance. Strabon, l. VII. parle des prairies d'Enna, où Pluton la vit, & en devint amoureux. Ciceron lui-même dans sa sixieme Verrine, nous a laissé de ce lieu charmant, une description aussi élégante que fleurie ; mais enfin comme le destin avoit prononcé que Proserpine fût souveraine des enfers, les Grecs & les Romains bâtirent peu de temples en l'honneur d'une divinité inexorable. Pausanias ne cite que celui qu'elle avoit à Sparte sous le nom de Proserpine conservatrice. Il avoit été bâti, selon les uns, par Orphée de Thrace ; & selon d'autres, par le scythe Abaris. Proserpine n'avoit aussi qu'un seul temple à Rome, dans la cour duquel on alloit acheter tout ce qui étoit nécessaire pour les funérailles. Je ne sais pourquoi les Gaulois regardoient Proserpine comme leur mere ; mais Strabon, l. IV. nous apprend que depuis la conquête des Romains, cette déesse avoit un temple dans les Gaules desservi à la maniere des Samothraces. (D.J.)

TEMPLE DE LA PUDICITE, (Antiq. rom.) la pudeur est une vertu trop essentielle au beau sexe, pour qu'on ne l'ait pas érigée en divinité. Aussi l'histoire nous apprend-elle que les Romains l'honoroient sous le nom de la Pudicité ; & cette déesse avoit dans leur ville des temples & des autels, sur lesquels on lui offroit des sacrifices. Mais comme si les grands devoient avoir d'autres dieux que le peuple, on distinguoit à Rome la Pudicité des dames patriciennes d'avec celle des plébéiennes. Nous avons indiqué ailleurs l'origine de cette orgueilleuse & singuliere distinction. (D.J.)

TEMPLE DES DIEUX PURS, (Antiq. grecq.) Pausanias est le seul auteur qui en parle. " On voit, dit-il, sur la hauteur qui commande la ville de Pallantium, un temple bâti à ces divinités qu'ils appellent pures, & par lesquelles ils ont coutume de jurer dans leurs plus importantes affaires ; du reste, ils ignorent quelles sont ces divinités, ou s'ils le savent, c'est un secret qu'ils ne révelent point. S'il est donc permis de deviner, continue Pausanias, je croirois que ces dieux ont été appellés purs, parce que Pallas ne leur sacrifia pas de la même maniere qu'Evandre son pere, avoit sacrifié à Jupiter Lycéus ". Voyages de l'Arcadie, l. VIII. c. xliv. (D.J.)

TEMPLE DE LA DEESSE QUIES, (Antiq. rom.) cette déesse, car son nom féminin indique que c'en étoit une, avoit un temple chez les Romains hors la porte Colline, & un autre, selon Tite-Live, lib. IV. dans la rue Labicane ; on l'invoquoit pour jouir du repos, & ceux qu'elle exauçoit, étoient assurément bienheureux. (D.J.)

TEMPLES DE LA RENOMMEE, (Antiquités) il est sûr que la Renommée eut un culte établi dans la Grèce, sur-tout à Athènes, comme nous l'apprenons de Pausanias ; & un temple fameux, ainsi que le dit Plutarque dans la vie de Camillus. Il seroit inutile de chercher des figures de cette déesse, plus ressemblantes que le portrait qu'en a fait Virgile, liv. IV. de son Enéide.

Ex templo Libyae magnas it Fama per urbes, &c.

(D.J.)

TEMPLE DE ROMULUS, (Antiq. rom.) Numa Pompilius éleva un temple à ce fondateur de Rome, & prescrivit qu'il fût honoré sous le nom de Quirinus, par des sacrifices solemnels. C'est ainsi que fut faite l'apothéose de César, justement assassiné par les amateurs de la liberté ; mais l'apothéose de César vint trop tard, tout le monde s'en mocquoit. Les uns, dit Pline, liv. II. c. xv. appelloient Auguste le faiseur de poupées ; les autres disoient qu'il achevoit de peupler le ciel, qui depuis long-tems n'avoit reçu de membre d'aucune colonie romaine. (D.J.)

TEMPLES DE SATURNE, (Antiq. rom.) je sais que la tradition grecque portoit que dès l'âge d'or, le fils de Caelus & de Vesta avoit un temple à Olympie ; mais Rome lui rendit le culte le plus religieux, & lui dédia divers temples.

Le premier temple qui fut bâti à Saturne, fut celui que lui fit élever T. Tatius roi des Sabins, au Capitole, après la paix faite entre lui & Romulus. Le second fut voué par Tullus Hostilius, après avoir triomphé trois fois des Sabins, & deux fois des Albins : il le dédia, & institua les saturnales. Le troisieme fut dédié par les consuls A. Sempronius Atratinus & M. Minutius. D'autres disent néanmoins que ce fut Tarquin le superbe qui le bâtit, & que selon l'avis de Valerius Publicola, on en fit le lieu du trésor public. C'étoit dans ce temple que les ambassadeurs étrangers étoient premierement reçus par les questeurs romains, qui écrivoient leurs noms dans les régistres de l'état, & fournissoient aux frais de leur séjour. C'étoit encore là où se gardoient les minutes des contrats, & de tous les actes que les peres & meres faisoient, comme aussi les noms de tous les citoyens romains, écrits dans les livres éléphantins. Ceux qui avoient recouvré leur liberté, y alloient pendre leurs chaînes & les lui consacrer, selon le témoignage de Martial.

Has cum geminâ compede dedicat catenas,

Saturne, tibi zoilus annulos priores.

(D.J.)

TEMPLES DE SERAPIS, (Antiq. égyptien.) ce dieu avoit des temples en Asie, dans la Grèce & à Rome ; mais les Egyptiens, dont Sérapis étoit une des principales divinités, éleverent sur tout autre peuple, plusieurs temples en son honneur. Le plus ancien se voyoit à Memphis ; il n'étoit pas permis aux étrangers d'y entrer, & ses propres prêtres n'avoient ce droit qu'après avoir enterré le boeuf Apis. Cependant le plus renommé de tous les temples de Sérapis, étoit celui que Ptolomée Soter lui consacra ; on l'appelloit Sérapéon, & j'en ai donné l'article qu'il faut remplir ici, parce que c'étoit un des plus superbes édifices, & des plus respectés qu'il y eût dans le monde.

Ce temple, dit Denys le géographe, est tout éclatant d'or, & l'on n'en trouve aucun sur la terre pour lequel on ait plus de dévotion. Il n'étoit point dans l'enceinte de la ville d'Alexandrie, mais hors des murs, ainsi que celui de Saturne ; la raison en est que les loix de l'Egypte défendoient d'immoler des victimes sanglantes à ces deux divinités dans l'enclos des villes, de peur de les profaner par le sang de telles hosties.

Suivant quelques historiens, le simulacre du dieu Sérapis touchoit de chacune de ses mains, sur un des côtés du temple, & étoit un assemblage de tous les métaux & de tous les bois. On avoit pratiqué à l'orient, ajoute-t-on, une petite fenêtre avec tant de justesse, qu'à un certain jour bien connu des prêtres, quelques rayons du soleil s'échappoient par cette étroite ouverture, & venoient tomber sur les levres de la statue de Sérapis. Le peuple crédule pensoit que l'astre du jour venoit baiser la bouche de cette divinité.

Selon Strabon, il n'y avoit rien de plus gai que les pélerinages qui se faisoient au temple de Sérapis. " Vers le tems de certaines fêtes, dit-il, on ne sauroit croire la multitude de gens qui descendent sur un canal d'Alexandrie à Canope, où est le temple. Jour & nuit, ce ne sont que des bateaux pleins d'hommes & de femmes qui chantent & qui dansent avec toute la liberté imaginable. A Canope il y a sur le canal une infinité d'hôtelleries, qui servent à retirer ces voyageurs, & à favoriser leurs divertissemens ".

Le temple de Sérapis fut détruit par l'ordre de l'empereur Théodose, & alors on découvrit, dit un écrivain ecclésiastique, l'effronterie des prêtres de cette divinité, qui avoient pratiqué un grand nombre de chemins couverts, & disposé une infinité de machines pour tromper les peuples par la vûe de faux prodiges.

Sérapis avoit un oracle fameux dans un de ses temples à Babylone, où il rendoit ses réponses en songe. Pendant la derniere maladie d'Alexandre, quelques chefs de son armée allerent passer une nuit dans ce temple célebre, pour consulter la divinité s'il seroit avantageux d'y transporter Alexandre. Il leur fut répondu en songe, qu'il valoit mieux ne le point transporter, & peu de tems après ce conquérant mourut. La réponse étoit excellente à tout événement. (D.J.)

TEMPLE DU SOLEIL, (Antiquit.) l'astre du jour fut la grande divinité des Phéniciens, des Egyptiens, des Atlantides, & pour le dire en un mot, de presque tous les peuples, barbares & policés de l'univers. Par-tout on reconnut, par-tout on éleva des temples en l'honneur du Soleil, & on les dirigea du côté de l'orient. Les Ammonites l'adorerent sous le nom de Moloch ; les Phéniciens sous celui de Thamus ; les Chaldéens l'honorerent sous ceux de Bélus ou de Baal ; les Arabes leurs voisins lui offroient des parfums, & l'appelloient Adonée ; les Moabites Belphegor ; les Perses Mitras ; les Ethiopiens Asabinus ; les Grecs & les Romains Apollon ou Phoebus. Les Massagetes, selon Hérodote, lui sacrifioient des chevaux, les Germains, dit César, n'ont d'autres dieux que ceux dont ils reçoivent quelque bien, le Soleil, la Lune & le Feu : deorum numero eos solùm ducunt quorum opibus apertè juvantur, Solem, Vulcanum & Lunam. Enfin, si nous en croyons le pere Laffiteau, il n'y a dans le vaste continent de l'Amérique, aucuns peuples connus qui n'adorent le Soleil.

On connoît la médaille d'Héliogabale, qui porte pour légende : Sancto deo Soli. On sait que cet empereur se glorifia toujours d'avoir été prêtre du Soleil dans la Syrie, & que son nom fait allusion à cette dignité ; mais nous ne devons pas oublier, qu'il consacra à Rome un temple au Soleil, où, dans le dessein de le rendre plus respectable, il fit transporter le culte de Cybèle ou de Vesta, le palladium & les anciles. Il voulut même y joindre le culte que rendoient au vrai Dieu les Samaritains, les Juifs & les Chrétiens.

Hérodien nous a conservé l'histoire du culte que cet empereur rendoit au Soleil dans ce temple. " Héliogabale, dit-il, érigea un temple magnifique à ce dieu (le Soleil), & y plaça plusieurs autels, sur lesquels il immoloit tous les matins des hécatombes de taureaux, & un grand nombre de brebis ; & après y avoir répandu une profusion d'aromates, il y faisoit des libations de vins vieux des plus excellens ; ensorte qu'on voyoit le vin & le sang ruisseler de tous côtés. Des choeurs de musique, rangés au-tour de ces autels, augmentoient la célébrité de ce culte. Des femmes phéniciennes avec leurs instrumens de musique, qui étoient des cymbales & des tympanons, dansoient en cercle ; & les entrailles des victimes ainsi que les aromates, étoient portées dans des bassins d'or, par tout ce qu'il y avoit de plus qualifié à Rome ".

Ant. Varius, au rapport de Lampride, fit aussi construire dans la même ville, un temple en l'honneur du Soleil, mais qui fut moins célebre que celui d'Héliogabale. (D.J.)

TEMPLES DE TELLUS, (Antiq. grecq. & rom.) la terre avoit des temples dans plusieurs lieux de la Grèce, & entr'autres à Sparte, voyez ce qu'en dit Pausanias. Il est parlé de celui que la déesse Tellus avoit à Rome dans la premiere philippique de Ciceron, où il raconte ce qui s'étoit passé dans le sénat, lors de la mort de César, sur la proposition faite par Antoine, d'abolir à jamais la charge de dictateur, qui avoit usurpé dans la république toute l'autorité du pouvoir des rois. On rendit dans ce temple un décret, tel qu'Antoine le desiroit, & dans les termes qu'il avoit lui-même conçus. (D.J.)

TEMPLES DE THEMIS, (Antiq.) cette déesse de la justice n'eut que peu de temples après sa mort. Ovide parle des oracles qu'elle rendoit sur le parnasse, mais c'est un poëte qui parle ; Pausanias nous apprend que les Athéniens lui éleverent un temple dans leur ville assez près de la citadelle ; il ne nous reste ni monumens, ni statues de cette divinité, tout a péri avec elle. (D.J.)

TEMPLE DE THESEE, (Antiq. grecq.) on avoit élevé à Athènes un temple à la gloire de Thésée. Ce temple étoit remarquable par les fêtes que les anciens y solemnisoient en l'honneur de ce héros, & par des distributions de farine qu'on y faisoit aux pauvres de la ville ; mais ce qui prouvoit encore mieux la vénération des Athéniens pour leur fondateur, c'est qu'ils avoient fait de ce temple un asyle inviolable, où venoient se refugier les esclaves maltraités de leurs patrons. Il fut bâti après la bataille de Marathon, consacré pendant les victoires de Cimon, réparé comme les autres, par les soins d'Hadrien, & ensuite apparemment, par les libéralités des princes chrétiens qui en firent une église. Aujourd'hui la voûte en ruine ne sera jamais rétablie, que par un nouvel événement qui changera ce temple en mosquée. (D.J.)

TEMPLE DE VACUNE, (Antiq. rom.) Vacune étoit adorée particulierement dans le pays des Sabins, où elle avoit un temple sur le mont Fiscellus, aux confins du Picenum, vers les sources du Nar. Cette même déesse des vacations, avoit un autre temple entre Caspérie & Otricule, avec un bois & une ville du même nom. La ville subsiste encore aujourd'hui, & s'appelle Vaccuna. (D.J.)

TEMPLES DE VENUS, (Antiq. égypt. grecq. & rom.) cette déesse dont Homere paroît avoir dérobé la ceinture, est des plus célebres dans l'antiquité payenne, par le nombre & la beauté de ses temples. Strabon, liv. XVII. nous apprend qu'elle en avoit un superbe à Memphis ; il seroit bien difficile d'en découvrir aujourd'hui quelque reste, puisque les ruines même de cette capitale de l'Egypte, ne sont plus que des masures fort peu distinctes, quoiqu'elles continuent jusque vis-à-vis du vieux Caire. Les Memphites avoient aussi construit un temple à la fille de Jupiter & de Dioné, & nourrissoient dans ce temple une génisse qui lui étoit consacrée.

Son culte passa de Phénicie, dans les îles de la Grèce, & de-là en Sicile, & chez les Romains. Cythere, Amathonte, Gnide, Paphos, Idalie, lui éleverent des temples qui apprirent au monde corrompu, que pour célébrer la déesse de l'amour, il étoit permis de s'affranchir des regles de la pudeur.

Le temple de Vénus à Cythere, passoit pour le plus ancien, & le plus célebre de tous ceux que Vénus eût dans la Grèce ; sa statue la représentoit armée. Les Eginetes lui avoient bâti dans leur île, un temple magnifique, dont M. Fourmont a encore vû vingt-une colonnes subsistantes. Elle avoit aussi un temple en Laconie, sous le nom de Vénus Ambollogera, c'est-à-dire qui éloigne la vieillesse, & à ce sujet on lui fit une hymne qui commençoit par ces mots : belle Vénus, éloignez de nous la triste vieillesse ; c'est Plutarque qui nous apprend cette particularité dans le liv. III. quest. 6. de ses propos de table. Tacite a décrit la situation du temple de Paphos, & la statue singuliere de la déesse.

Les Siciliens bâtirent à Vénus un temple célebre sur la montagne Eryx ; ce temple étoit rempli de femmes qu'on y consacroit par voeu, & qui de leurs galanteries, enrichissoient le trésor de la déesse. Du tems de Diodore, qui a fait une exacte description de ce temple, il étoit encore dans son premier éclat ; mais cette splendeur ne fut pas de longue durée, puisque Strabon qui a suivi de près Diodore, écrit que de son tems, ce temple étoit presque désert.

Enée apporta de Sicile en Italie, une statue de Vénus Erycine, à qui l'on fit depuis bâtir un temple à Rome avec de très-beaux portiques, hors de la porte Colline : mais ce temple n'approchoit point de celui que cette déesse avoit dans le huitieme quartier de la ville ; c'étoit un magnifique édifice, auquel la place dite forum Caesaris, elle-même superbement ornée, servoit comme de parvis. Il semble, selon les termes d'Appien, que le forum n'ait été fait que pour le temple. César, dit-il, ajouta au temple de Vénus une place consacrée, , dont il fit un forum, non pas pour la vente des choses nécessaires à la vie, mais pour les affaires, comme étoit chez les Perses la place où l'on venoit apprendre la justice.

A l'entrée de ce temple, s'élevoit une basilique où l'on regardoit les jugemens. Vitruve le cite pour exemple des pycnostyles, c'est-à-dire des temples, où les colonnes ne sont éloignées l'une de l'autre, que d'un diamêtre & demi ; peut-être est-ce ce temple qui se voit dans une médaille du même Jules César, qualifié imp. IV. avec cette légende Veneri victrici vota ; il est à six colonnes ; la statue de la déesse paroît au milieu, tenant à la main une victoire.

Victor nous apprend, que dans le forum de César, & apparemment dans le temple de Vénus genitrix, étoient deux statues de Vénus ; l'une revêtue d'une cuirasse, & l'autre de la main du fameux sculpteur Arcésilaüs : celle-ci peut fort bien être celle de deux médailles qui nous restent. Pline en parle au XXXV. liv. La premiere de ces deux statues peut être cette Vénus parfaitement belle, qui fut envoyée à César par Cléopatre. César paya cette galanterie par une autre ; il fit placer à côté de la déesse une belle statue de la reine d'Egypte, qui s'y voyoit encore du tems d'Appien.

Ovide dit, que l'aqueduc de l'eau Appia passoit sous ce temple, dont la situation est encore marquée par ces mots qui désignent le forum Caesaris : c'est-là, ajoute-t-il, que le jurisconsulte devient souvent la dupe de l'amour, & celui qui fait fournir aux autres des moyens de défense, n'en trouve aucun pour lui-même. Vénus, du milieu de son temple, rit de le voir dans ses piéges ; c'étoit tout-à-l'heure un présomptueux avocat, il ne veut maintenant être qu'un client soumis.

Subdita quà Veneris facto de marmore templo

Appias expressis aëra pulsat aquis.

....

Illo saepe loco capitur consultus amore,

Quique aliis cavit, non cavet ipse sibi.

....

Hunc Venus e templis quae sunt confinia, ridet

Qui modò patronus, nunc cupit esse cliens.

Le culte de Vénus genitrix s'étendit dans les provinces avec celui de Jules-César ; une inscription d'Ebora en Espagne, nous montre les décurions de la ville, érigeant un monument à César, & les dames portant un présent à sa mere.

DIVO JULIO LIB. JUL. EBORA OB. ILLIUS. IN. MUN. ET MUN. LIBERALITATEM EX D. D. D. QUOJUS. DEDICATIONE VENERI GENITRICI CAESTUM MATRONAE DONUM TULERUNT.

Ce fut dans les jeux qui se faisoient pour la premiere fois en l'honneur de Vénus genitrix, que parut pendant sept jours la fameuse comete, qui fut regardée par le peuple, comme le signe de l'apothéose de César. Jules-César ayant achevé le temple, avoit, peu de jours avant sa mort, établi un college de prêtres pour faire les jeux de la dédicace ; Octavien les fit célébrer ; & en mémoire de cette comete, il fit placer dans le même temple une statue d'airain de César avec la comete sur la tête ; ces jeux devinrent annuels, & les consuls furent chargés d'en faire la dépense.

Ce temple fut bâti l'an de Rome 708 ou quarante-cinq ans avant J. C. Il fut consumé ou du-moins fort endommagé dans l'incendie arrivée sous Néron. (D.J.)

TEMPLE DE LA VERTU ET DE L'HONNEUR, (Antiq. rom.) templum Virtutis & Honoris ; Marius le fit bâtir par l'architecte Mutius. Ce temple pourroit être mis au nombre des plus excellens ouvrages, s'il avoit été fait de marbre, & que la magnificence de la matiere eût répondu à la grandeur du dessein.

S. Augustin, en parlant de ce temple, fait entendre qu'on en peut tirer une belle moralité, à laquelle Vitruve donne encore matiere par une particularité qu'il en cite, & que S. Augustin ne savoit pas : c'est que ce temple n'avoit point de posticum, ou de porte de derriere, comme la plûpart des autres ; car cela nous apprend que non-seulement il faut passer par la vertu pour parvenir à l'honneur, mais que l'honneur oblige encore de repasser par la vertu, c'est-à-dire, d'y persévérer.

Le sénat fut assemblé dans le temple bâti par Marius à la Vertu & à l'Honneur, lorsqu'on voulut rappeller ce grand homme de son exil. Le sénatus-consulte qu'on fit à cet égard, fut rédigé en loi dans l'assemblée des centuries tenue au champ de Mars le 4 Août de l'an 696, sous le consulat de C. Lentulus Spinter & de Q. C. Metellus Nepos. (D.J.)

TEMPLE DE VERTUMNE, (Antiq. rom.) je croirois bien que ce dieu champêtre avoit plusieurs temples chez les Romains ; cependant l'histoire ne parle que de celui qu'on éleva en son honneur dans le marché de Rome où il avoit aussi une statue, dont Ciceron dit, à l'occasion des rapines de Verrès : y a-t-il quelqu'un, qui dans le chemin qui conduit de la statue de Vertumne au grand cirque, n'ait trouvé sur chaque degré des marques de ton avarice ? (D.J.)

TEMPLE DE VESTA, (Antiq. grecq. & rom.) son temple à Athènes étoit dans l'enceinte du prytanée, & l'on y conservoit à l'honneur de la déesse un feu perpétuel, comme dans celui qu'elle avoit à Rome, & dont nous allons parler. On le nommoit aedes Vestae ; Numa lui fit bâtir ce fameux temple proche de son palais, au milieu du marché romain, entre le mont Palatin & le mont Capitolin ; c'est le sentiment de Denys d'Halicarnasse, l. II. sect. 65. & 76. C'est aussi dans ce même endroit que Plutarque met le temple de Vesta.

Horace le place sur le bord du Tibre opposé à l'autre bord du fleuve qui va se jetter dans la mer : nous avons vu le Tibre, dit-il, repoussant avec furie ses eaux vers sa source, menacer d'engloutir le palais de Numa & le temple de Vesta.

Ire dejectum monumenta regis

Templaque Vestae.

ode 2, l. I.

Ovide met ce temple à un des bouts de la rue neuve, qui est joint au marché romain.

Quà nova romano nunc via juncta foro est.

Publius Victor met ce temple dans le huitieme quartier où étoit le marché romain ; ces divers sentimens prouvent qu'il y avoit à Rome plus d'un temple consacré à Vesta. Quant au plus célebre de tous, j'entends celui qui fut construit par Numa ; l'entrée en étoit défendue aux hommes, & la déesse y étoit servie par les vestales ; c'étoit dans ce temple que Numa fonda un foyer de feu éternel, & sur lequel résida d'une maniere sensible la majesté de la déesse. L'histoire & les médailles nous représentent ce temple de forme ronde ; toutes ses faces sont égales, dit Ovide ; il n'y a point d'angle tout-autour, & le dôme qui le couvre, le défend de la pluie :

Par facies templi : nullus procurrit in illis

Angulus, à pluvio vindicat imbre tholus.

On croit, dit Plutarque, que Numa Pompilius ne donna une forme ronde au temple qu'il fit bâtir à la déesse Vesta, que pour représenter la figure du monde universel, au milieu duquel les Pythagoriciens placent le siege du feu qu'ils appellent vesta, & disent être l'unité. Ovide donne en poëte physicien, comme feroit M. de Voltaire, les raisons de la rondeur du temple de la déesse. Vesta, dit-il, est la même chose que la terre ; il y a pour l'une & pour l'autre un feu inextinguible, & la terre & le feu font connoître leur forme. La terre ressemble à une balle qui ne s'appuie sur rien ; son fardeau pesant se trouve suspendu ; l'air qui environne son globe, le presse également de tous côtés, tel au-moins qu'il nous est représenté dans une petite figure où l'art de Syracuse, c'est-à-dire, d'Archimede, nous a rendu l'immensité du ciel, &c.

Arte syracosiâ suspensus in aëre clauso

Stat globus, immensi parva figura poli.

Ce qu'il y a de particulier, c'est qu'un lieu si saint & le centre même de la religion, n'étoit pas un temple dans toutes les formes, parce qu'il n'avoit pas été consacré par les augures ; mais la cour ou l'enclos étoit proprement le temple, parce que les augures en avoient fait la consécration. Numa, dit Servius, voulut éviter par ce défaut d'inauguration, s'il est permis de parler ainsi, que le sénat ne s'y assemblât, ne senatus ibi haberi posset. Ce prince craignit les inconvéniens que le tumulte de ces sortes d'assemblées pouvoit occasionner dans une maison de filles du plus haut rang, dont la conduite étoit délicate, & devenoit l'affaire de tout l'empire.

On ne sait pas bien encore, dit Denys d'Halicarnasse, ce qui est gardé si secrettement dans l'intérieur du temple, outre le feu sacré que tout le monde peut voir ; Quelques-uns, ajoute-t-il, ont osé avancer qu'indépendamment du feu sacré, il se trouve encore dans le temple de la déesse certaine chose dont la garde & la connoissance est réservée au seul pontife & aux seules vestales. La preuve qu'ils en apportent, c'est ce qui arriva pendant la premiere guerre punique. Le feu ayant pris au corps de l'édifice, les vestales tout éperdues se retirerent en désordre ; & Lucius Caecilius Metellus, pontife, homme consulaire, qui après une victoire signalée avoit triomphé des Carthaginois, & dans la pompe de son triomphe avoit donné cent trente-huit éléphans en spectacle au peuple romain ; Lucius Metellus, dis-je, comptant pour rien le péril où s'il s'exposoit, & sacrifiant sa vie au bien public, traversa cet incendie, pénétra jusqu'au fond du sanctuaire, & fut assez heureux pour sauver les choses sacrées qui alloient être réduites en cendres, ce qui lui valut les honneurs extraordinaires qui se lisent encore aujourd'hui sur la base de sa statue au capitole.

A cette vérité tout le monde mêla ses conjectures pour deviner ce secret de la république ; Denys d'Halicarnasse condamne leur curiosité comme contraire au respect que tout homme pieux doit aux choses divines ; mais nos savans n'ont pas été si scrupuleux que l'historien des antiquités romaines. Sans être entrés dans le sanctuaire du temple, ils ont eu l'art de dévoiler le mystere, & ont découvert que ce gage de la perpétuité de l'empire romain, ce pignus imperii qu'on gardoit si religieusement & avec tant de secret dans le temple de Vesta, étoit le palladium ; il paroît même par des passages d'Ovide, de Properce, de Pline & de Lucain, que sous les empereurs le voile étoit levé ; cependant les Romains ne laisserent échapper le secret, que quand ils virent leurs frontieres assez fortes pour ne plus appréhender qu'on vînt évoquer leur divinité protectrice, & dévouer leur ville, comme ils en avoient usé à l'égard de leurs ennemis.

C'est un des beaux temples de Rome consacrés à Vesta, que celui qui se nomme aujourd'hui l'église de S. Etienne située sur le bord du Tibre.

L'ordre de ce temple est corinthien ; les entre-colonnes n'ont qu'un diamêtre & demi, & la hauteur des colonnes, y compris la base & le chapiteau, est de douze diamêtres. Les bases n'ont point de plinthe, mais les marches où elles posent, leur en servent ; l'architecte a usé de cet artifice afin que l'entrée de son portique restât plus libre, parce que les colonnes y sont fort pressées. Le diamêtre de la nef, en y comprenant l'épaisseur des murs, est égal à la hauteur des colonnes. Les chapiteaux sont taillés à feuilles d'olive. On n'y voit plus rien de la corniche ; mais Palladio la supplée dans le plan qu'il nous a donné de cet édifice, & en a ajouté une de son dessein. Les ornemens de la porte & des fenêtres sont fort simples & de bon goût. Sous le portique & au-dedans du temple, les fenêtres sont soutenues par des cimaises qui vont regnant tout-autour ; elles forment comme une espece de piédestal, ou d'embasement au mur & à la couverture. Ce mur sous le portique est fait d'une maçonnerie de pierres divisées par carreaux depuis la corniche de l'embasement jusqu'au sofite. Il est tout uni par-dedans, avec une autre corniche, à dos de celle qui est sous le portique d'où commence la voûte.

A Tivoli, à cinq ou six lieues de Rome, sur la cascade du Téveronne, on voit un autre temple de Vestae dont la forme est ronde. Les habitans disent que c'étoit autrefois la demeure de la sibylle Tiburtine ; il est assez vraisemblable que c'étoit un temple dédié à la déesse Vesta ; cet édifice est d'ordre corinthien. Les entre-colonnes ont deux diamêtres ; le pavé est élevé au-dessus du rez-de-chaussée à la hauteur d'un tiers des colonnes ; les bases n'ont point de socle ; le but de l'architecte, en le supprimant, a été de rendre la promenade sous le portique plus libre. Les colonnes sont précisément aussi hautes que le diamêtre de la nef est large, & penchant en-dedans vers le mur du temple, de telle sorte que le vif du haut des colonnes tombe à plomb sur le vif du pié de leur fût en-dedans. Les chapiteaux sont taillés à fleur d'olive & très-bien exécutés, d'où l'on peut conjecturer que cette fabrique a été faite dans un siecle de goût. L'ouverture de la porte & des fenêtres est plus étroite par le haut que par le bas, ainsi que Vitruve enseigne qu'on le doit pratiquer. La maçonnerie de ce temple est de pierre tiburtine incrustée de stuc si proprement, qu'il semble être tout de marbre. C'est là la description qu'en fait Palladio. (D.J.)

TEMPLES DE LA VICTOIRE, (Antiq. grecq. & rom.) Pausanias nous apprend que cette divinité avoit plusieurs temples dans la Grece, & Tite-Live parle de ceux qu'elle avoit à Rome ; il faut consulter ces deux auteurs ; les Romains lui bâtirent le premier temple durant la guerre des Samnites, sous le consulat de Lucius Posthumus & de M. Attilius Regulus. (D.J.)

TEMPLES DE VULCAIN, (Antiq. égypt. & rom.) Le temple de Vulcain où le sénat s'assembloit, étoit placé à côté de celui de la Concorde ; ils étoient tous deux situés dans le lieu appellé par les anciens, velia, à vellendis gregibus, qui, selon Varron, s'étendoit depuis l'arc de Titus, jusqu'à celui de Constantin. Tatius, au rapport de Denis d'Halycarnasse, lui fit bâtir ce temple hors de l'enceinte de la ville, les augures ayant déclaré que le dieu du feu ne devoit pas être dans la ville même.

Mais parmi les anciens peuples, les Egyptiens sont ceux qui ont le plus honoré ce dieu : il avoit à Memphis ce temple magnifique décrit par Hérodote, & cette statue colossale renversée, qui étoit haute de soixante & quinze piés, sur laquelle Amasis fit élever deux autres statues, chacune de vingt piés de hauteur, & du même marbre que la grande ; cependant l'intérieur de cet édifice, bien loin de mériter l'admiration de ceux qui y entroient, ne fit qu'exciter les mépris & les railleries de Cambyse, qui se mit à éclater de rire en voyant la statue de Vulcain, & celles des autres dieux, semblables à des pygmées, lesquels véritablement devoient faire un contraste bien ridicule avec les colosses qui étoient dans les vestibules dont on vient de parler. (D.J.)

TEMPLES DES CHRETIENS, (Relig. chrétienne) au commencement du christianisme, les chrétiens n'avoient pour temples & pour autels que des cimetieres, & des maisons particulieres, où ils s'assembloient. Ce fut sur ces cimetieres qu'ils bâtirent leurs premieres églises, lorsque Constantin leur en eut donné la liberté.

Ils nommerent ces églises, titres, tituli ; oratoires, domus oratoriae ; dominiques, dominicae ; martyres, martyria ; conciles des saints, concilia sanctorum ; basiliques, basilicae : tous ces mots s'entendent aisément ; mais Licinius qui étoit en guerre contre l'empereur Constantin, ordonna d'abattre, en orient, l'an 379. de Jésus-Christ, la plûpart de ces nouvelles églises. L'an 484, Huneric, roi des Vandales, les fit fermer en Afrique ; cependant elles se multiplierent avec l'accroissement du christianisme, sur-tout dans les siecles d'ignorance ; voici en général quelle en étoit la disposition.

On les tournoit vers l'orient, symbole de la lumiere ; la porte étoit précédée d'un vestibule, où se tenoient les pénitens, & à l'entrée une grande place pour les laïques ; c'est ce que nous appellons la nef ; il y avoit ensuite un lieu nommé sancta, où les prêtres se plaçoient, c'est le choeur ; & enfin le sancta sanctorum, qui est cette enceinte de l'autel que l'on nomme aujourd'hui le sanctuaire ; il y avoit de plus dans les églises, certains endroits particuliers pour prier ; c'est ce que l'on nomme aujourd'hui des chapelles ; on y faisoit encore ce qu'on appelle une sacristie, où l'on serroit les ornemens & les vases sacrés.

On mettoit plusieurs autels dans la même église, car comme on y enterroit les martyrs, on élevoit un autel sur le sépulcre des plus distingués. Au-devant de la porte étoit un grand vaisseau plein d'eau, dont les prêtres, & ceux qui venoient pour prier, se lavoient les mains & le visage : voilà l'origine de l'eau benite.

Il faut encore remarquer qu'il y avoit dans chaque église des endroits séparés par des planches, les uns destinés pour les hommes, & les autres pour les femmes ; le côté droit étoit pour les femmes, & le côté gauche pour les hommes, parce que le côté gauche, dit Baronius, étoit censé le plus noble dans l'église.

Enfin, les mendians se tenoient dans le vestibule, parce qu'il leur étoit défendu d'entrer dans l'église, pour ne point causer, en demandant l'aumône, de distractions aux fideles qui prioient.

Quant aux ornemens des églises, il y avoit dans chacune des lampes & des vases sacrés, qu'on fit d'argent, & même d'or, à mesure que le christianisme s'accrut & s'enrichit. Il paroît par l'hymne de Prudence, sur S. Cassien, que Paulin, évêque de Nôles, dans la province du royaume de Naples, orna de peintures les oratoires de S. Félix, pour instruire les paysans qui nouvellement convertis, se rendoient dans ces oratoires ; c'est ainsi qu'il paroît que dès le cinquieme siecle, les images furent introduites dans les églises.

Le lecteur peut consulter sur tous ces détails, Hospinianus, de templis, Bingham, antiquités ecclésiastiques, en anglois ; & George Whéler, descript. des églises des anciens chrétiens. (D.J.)

TEMPLES DES CHINOIS, (Hist. de la Chine) parmi les édifices publics où les Chinois font paroître le plus de somptuosité, on ne doit pas obmettre les temples, ou les pagodes, que la superstition des princes & des peuples a élevés à de fabuleuses divinités : on en voit une multitude prodigieuse à la Chine ; les plus célebres sont bâtis dans les montagnes.

Quelque arides que soient ces montagnes, l'industrie chinoise a suppléé aux embellissemens & aux commodités que refusoit la nature ; des canaux travaillés à grands frais, conduisent l'eau des montagnes dans des bassins destinés à la recevoir ; des jardins, des bosquets, des grottes pratiquées dans les rochers, pour se mettre à l'abri des chaleurs excessives d'un climat brulant, rendent ces solitudes charmantes.

Les bâtimens consistent en des portiques pavés de grandes pierres quarrées & polies, en des salles, en des pavillons qui terminent les angles des cours, & qui communiquent par de longues galeries ornés de statues de pierre, & quelquefois de bronze ; les toîts de ces édifices brillent par la beauté de leurs briques, couvertes de vernis jaune & verd, & sont enrichis aux extrémités, de dragons en saillie de même couleur.

Il n'y a guere de ces pagodes où l'on ne voie une grande tour isolée, qui se termine en dôme : on y monte par un escalier qui regne tout-au-tour ; au milieu du dôme est d'ordinaire un temple de figure quarrée ; la voûte est souvent ornée de mosaïque, & les murailles sont revêtues de figures de pierres en relief, qui représentent des animaux & des monstres.

Telle est la forme de la plûpart des pagodes, qui sont plus ou moins grands, selon la dévotion & les moyens de ceux qui ont contribué à les construire : c'est la demeure des bonzes, ou des prêtres des idoles, qui mettent en oeuvre mille supercheries, pour surprendre la crédulité des peuples, qu'on voit venir de fort loin en pélérinage à ces temples consacrés à la superstition ; cependant comme les Chinois, dans le culte qu'ils rendent à leurs idoles, n'ont pas une coutume bien suivie, il arrive souvent qu'ils respectent peu & la divinité & ses ministres.

Mais le temple que les Chinois nomment le temple de la Reconnoissance, mérite en particulier que nous en disions quelque chose. Ce temple est élevé sur un massif de brique qui forme un grand perron, entouré d'une balustrade de marbre brut : on y monte par un escalier de dix à douze marches, qui regne tout le long ; la salle qui sert de temple, a cent piés de profondeur, & porte sur une petite base de marbre, haute d'un pié, laquelle en débordant, laisse tout-au-tour une banquette large de deux ; la façade est ornée d'une galerie, & de quelques piliers ; les toîts, (car selon la coutume de la Chine, souvent il y en a deux, l'un qui naît de la muraille, l'autre qui la couvre), les toîts, dis-je, sont de tuiles vertes, luisantes & vernissées ; la charpente qui paroît en dedans, est chargée d'une infinité de piéces différemment engagées les unes dans les autres, ce qui n'est pas un petit ornement pour les Chinois. Il est vrai que cette forêt de poutres, de tirans, de pignons, de solives, qui regnent de toutes parts, a je ne sais quoi de singulier & de surprenant, parce qu'on conçoit qu'il y a dans ces sortes d'ouvrages, du travail & de la dépense, quoiqu'au fond cet embarras ne vient que de l'ignorance des ouvriers, qui n'ont encore pû trouver cette simplicité qu'on remarque dans nos bâtimens européens, & qui en fait la solidité & la beauté : la salle ne prend le jour que par ses portes ; il y en a trois à l'orient, extrêmement grandes, par lesquelles on entre dans la fameuse tour de porcelaine, & qui fait partie de ce temple. Voyez TOUR DE PORCELAINE. (D.J.)

TEMPLES DES GAULOIS, (Antiq. gauloises.) Les Gaulois n'avoient anciennement d'autres temples que les bois & les forêts, ni d'autres statues de leurs dieux, ni d'autres autels, que les arbres de ces bois ; on a cent preuves de cette vérité, & César en effet ne dit pas un mot de leurs temples, ni des statues de leurs dieux. On objecte que Suétone observe que ce même Jules César pilla les temples des Gaulois, qui étoient remplis de trésors. On objecte encore que Strabon fait aussi mention des temples des Gaulois ; mais on peut répondre que ces auteurs parlent le langage de leur nation, & conformément à leurs préjugés.

Il est vrai, dit l'abbé Banier, que les Gaulois avoient des lieux consacrés spécialement au culte de leurs dieux ; que c'étoit dans ces lieux que se pratiquoient les cérémonies religieuses, qu'on y offroit les sacrifices, &c. mais ces temples, si on veut les appeller ainsi, n'étoient pas des édifices comme ceux des Grecs & des Romains : c'étoient des bois, c'étoient, à Toulouse, les bords d'un lac consacré par la religion, qui servoient de temples. Dans ces lieux, on renfermoit les trésors : ainsi les auteurs que j'ai cités ont eu raison en un sens, de dire que César avoit pillé les temples des Gaulois, c'est-à-dire, les lieux qui leur en servoient ; c'est suivant cette distinction, qu'il faut entendre ce que dit Strabon, que c'étoit dans leurs temples que les Gaulois crucifioient les hommes qu'ils immoloient à leurs dieux, c'est-à-dire dans ces forêts mêmes qui leur servoient de temples ; car comment seroient entrés dans des édifices, quelque spacieux qu'on les supposât, ces colosses d'osier dans lesquels ils mettoient les criminels & les captifs, & quel désordre n'y auroit pas causé le feu qui les consumoit ?

Les Semnons, Celtes d'origine, & qui suivoient la même religion que les Gaulois, n'avoient aussi d'autre temple qu'une forêt : personne, dit Tacite, n'a son entrée dans cette forêt, s'il ne porte une chaîne, marque du domaine suprême que le dieu a sur lui. Ce ne fut que depuis l'entrée des Romains dans les Gaules, qu'on commença à y bâtir des temples ; l'usage même en fut rare, & l'on continua malgré ces nouveaux temples, à sacrifier dans les forêts, & à représenter les dieux du pays, par des troncs d'arbres ; pratique qui subsista dans quelques cantons des Gaules long-tems après que le christianisme y eut triomphé de l'idolâtrie, & on en découvroit encore quelques restes du tems de Charlemagne.

Enfin les Gaulois s'accoutumant aux moeurs & aux usages de leurs vainqueurs, éleverent un grand nombre de vrais temples, où furent déposées les statues qui représentoient également les anciens dieux du pays, & ceux des Romains. Les antiquaires, & sur-tout le pere dom Bernard Montfaucon, ont fait dessiner les restes de plusieurs de ces temples, qu'on peut voir dans leurs ouvrages. On remarque qu'ils sont presque tous de figure ronde ou octogone, comme si ces deux figures étoient les plus propres à renfermer les maîtres du monde. (D.J.)

TEMPLES DES JAPONOIS, (Idolat. asiatiq.) on doit distinguer dans le Japon les temples des Sintoïstes & ceux des Budsoïstes.

Les sectateurs de la religion du Sintos appellent leurs temples mia, mot qui signifie la demeure des ames immortelles, & ils nomment siusja, la cour du mia, avec tous les bâtimens qui en dépendent.

Leurs mias ont beaucoup de rapport aux fana des anciens Romains ; car généralement parlant, ce sont des monumens élevés à la mémoire des grands hommes. Les mias sont situés dans les lieux les plus rians du pays, sur le meilleur terrein, & communément au-dedans ou auprès des grandes villes. Une allée large & spacieuse, bordée de deux rangs de cyprès extrêmement hauts, conduit à la cour du temple, où se trouvent quelquefois plusieurs mias ; & dans ce cas-là l'allée dont on vient de parler mene tout droit aux principaux mias ; la plûpart sont situés dans un bois agréable, quelquefois sur le penchant d'une colline tapissée de verdure, où l'on monte par des marches de pierre.

L'entrée de l'allée qui conduit au temple, est distinguée du grand chemin ordinaire par un portail de pierre ou de bois d'une structure fort simple ; deux piliers posés perpendiculairement soutiennent deux poutres mises en travers, dont la plus haute est, par maniere d'ornement, courbée vers le milieu, & s'éleve aux deux extrêmités. Entre ces deux poutres il y a une table quarrée, qui est ordinairement de pierre, où le nom du dieu à qui le mia est consacré, est écrit en caracteres d'or. Quelquefois on trouve une autre porte faite de la même maniere, devant le mia, ou devant la cour du temple, s'il y a plusieurs mias dans une cour ; à quelque distance du mia, il y a un bassin de pierre plein d'eau, afin que ceux qui vont faire leurs dévotions puissent s'y laver. Tout contre le mia, il y a un grand coffre de bois pour recevoir les aumônes.

Le mia est un bâtiment simple, sans ornement ni magnificence, communément quarré, fait de bois, & dont les poutres sont grosses & assez propres. La hauteur n'excede guere celle de deux ou trois hommes, & la largeur n'est que de deux ou trois brasses. Il est élevé d'environ une verge & demi au - dessus de la terre, & soutenu par des piliers de bois. Autour du mia il y a une petite galerie où l'on monte par quelques degrés.

Le frontispice du mia est d'une simplicité qui répond au reste ; il consiste en une ou deux fenêtres grillées, qui découvrent le dedans du temple à ceux qui viennent faire leurs dévotions, afin qu'ils se prosternent devant le lieu sacré ; il est toujours fermé, & souvent il n'y a personne qui le garde.

Le toit est couvert de tuiles, de pierre ou de coupeaux de bois, & il s'avance beaucoup de chaque côté pour couvrir cette espece de galerie qui regne tout-autour du temple. Il differe de celui des autres bâtimens, en ce qu'il est recourbé avec plus d'art, & composé de plusieurs couches de poutres, qui s'avançant par-dessous, ont quelque chose de fort singulier. A la cime du toit, il y a quelquefois une poutre plus grosse & plus forte que les autres, posée en long, & à ses extrêmités deux autres poutres toutes droites qui se croisent.

Cette structure est faite à l'imitation, aussi-bien qu'en mémoire de celle du premier temple ; & quoiqu'elle soit fort simple, elle est néanmoins très-ingénieuse & presque inimitable, en ce que les poids & la liaison de toutes ces poutres entrelacées, sert à affermir tout l'édifice.

Sur la porte du temple il pend une grosse cloche plate, qui tient à une corde longue, forte & pleine de noeuds : ceux qui viennent faire leurs dévotions frappent la cloche, comme s'ils vouloient avertir les dieux de leur arrivée : mais cette coutume n'est pas ancienne, & on ne la pratiquoit pas autrefois dans la religion du Sintos ; elle a été empruntée du Budso, ou de la religion idolâtre étrangere.

Dans le temple, on voit du papier blanc suspendu & coupé en petits morceaux, & par-là on veut donner au peuple une idée de la pureté du lieu. Quelquefois on place un grand miroir au milieu du temple, afin que les dévots puissent s'y voir & faire réflexion, que comme ils apperçoivent très-distinctement les taches de leur visage dans ce miroir, de même les taches de leur coeur les plus secrettes paroissent à découvert aux yeux des dieux immortels.

Il y a un grand nombre de ces temples, qui n'ont aucune idole ou image du Cami auquel ils sont consacrés ; & en général l'on peut dire qu'ils n'ont point d'images dans leurs temples, à moins que quelque incident particulier ne les engage à y en mettre ; tels par exemple, que la grande réputation & la sainteté du sculpteur, ou quelque miracle éclatant qu'aura fait le Cami. Dans ce dernier cas, on place dans le lieu le plus éminent du temple, vis-à-vis de l'entrée, ou du frontispice grillé, une châsse appellée fonga, c'est-à-dire, le véritable temple, & devant cette châsse les adorateurs du Cami se prosternent ; l'idole y est enfermée, & on ne l'en tire qu'à la grande fête du Cami, qui ne se célebre qu'une fois tous les cent ans. On enferme aussi dans cette châsse des reliques du même dieu, comme ses os, ses habits, ses épées, & les ouvrages qu'il a travaillés de ses propres mains.

Le principal temple de chaque lieu a plusieurs chapelles qui en dépendent, qui sont ornées par-dehors de corniches dorées. Elles sont soutenues par deux bâtons pour être portées avec beaucoup de pompe à la grande fête du dieu auquel le temple est consacré.

Les ornemens du temple sont ordinairement des dons qui ont été faits en conséquence de quelque voeu, ou par d'autres raisons pieuses.

Les temples du Sintos sont desservis par des laïques, qui sont entretenus ou par des legs, ou par des subsides, ou par des contributions charitables. Ces desservans du temple sont soumis pour le temporel aux juges impériaux des temples que nomme le monarque séculier.

Quant à ce qui regarde les temples des budsdos, c'est-à-dire, des sectateurs du paganisme étranger reçu au Japon, nous nous contenterons de remarquer que ces temples ne sont pas moins magnifiques que ceux des sintoistes. Ils sont également remarquables par leur grandeur, par leur situation charmante, & par leurs ornemens : mais les ecclésiastiques qui les desservent, n'ont ni processions, ni spectacles publics, & ne se mêlent d'autre chose que de faire leurs prieres dans le temple aux heures marquées. Leur supérieur releve d'un général qui réside à Miaco. Ce général est à son tour soumis aux commissaires de l'empereur, qui sont protecteurs & juges de tous les temples de l'empire ; voyez de plus grands détails dans Kaempfer. J'ajouterai seulement que tous les temples du Japon ressemblent beaucoup aux pagodes des Chinois ; que ces temples sont extrêmement multipliés, & que leurs prêtres sont sans nombre ; pour prouver ce dernier article, il suffira de dire qu'on compte dans Miaco & aux environs 3894 temples, 37093 prêtres pour y faire le service. (D.J.)

TEMPLES DES INDIENS, les Européens les nomment pagodes. Voyez PAGODE.

TEMPLES DES JUIFS MODERNES, voyez SYNAGOGUE.

TEMPLES DES MAGES, (Hist. des Perses) c'est Zoroastre qui les éleva. Il fleurissoit pendant que Darius Hystaspe occupoit le trône de Perse, 486 ans avant J. C. Après être devenu le plus grand mathématicien & le plus grand philosophe de son siecle, il reforma le magisme, & établit sa nouvelle religion chez les Perses, les Parthes, les Bactriens, les Chowaresmiens, les Saces, les Medes, & dans une partie des Indes.

Avant lui les Mages dressoient des autels pour y conserver leur feu sacré en plein air ; mais la pluye, les tempêtes, les orages, éteignoient souvent ce feu, & interrompoient le culte ; Zoroastre pour remédier à cet inconvénient, ordonna d'ériger partout des temples ; & pour rendre plus vénérable le feu des temples qu'il avoit érigés, il feignit d'en avoir apporté du ciel, & le mit sur l'autel du premier temple dans la ville de Xis en Médie, d'où on dit que le feu fut répandu dans tous les autres temples des Mages.

Ayant divisé les prêtres en trois ordres, il fit bâtir trois sortes de temples, dont le principal fut élevé à Balch, où il résida lui-même en qualité d'archimage. Mais après que les mahométans eurent ravagé la Perse dans le vij. siecle, l'archimage fut obligé de se retirer dans le Kerman, sur les bords de l'Océan méridional vers les Indes, & c'est-là que jusqu'ici ses successeurs se sont maintenus.

Le temple de Kerman n'est pas moins respecté de nos jours de ceux de cette secte, que celui de Balch l'étoit autrefois. (D.J.)

TEMPLES DES MAHOMETANS, voyez MOSQUEE.

TEMPLES DES PERUVIENS, (Antiq. péruviennes) leurs temples étoient consacrés au Soleil & à la Lune. Garcilasso de la Vega nous a donné la description de celui de Cusco, capitale du Pérou ; on sera peut-être bien-aise d'en trouver ici le précis.

Le grand autel étoit du côté de l'Orient, & le toit de bois fort épais, couvert de chaume par-dessus, parce qu'ils n'avoient point l'usage de la tuile ni de la brique. Les quatre murailles du temple, à les prendre du haut en-bas, étoient lambrissées de plaques d'or. Sur le grand autel on voyoit la figure du Soleil, marquée sur une plaque d'or ; cette figure s'étendoit presque d'une muraille à l'autre ; elle échut par le sort à un gentilhomme castillan, qui la joua, & la perdit dans une nuit.

On peut juger par cet échantillon qui échut en partage à cet officier, combien étoit grand le trésor que les Espagnols trouverent dans ce temple. Aux deux côtés de l'image du Soleil, étoient les corps de deux de leurs yncas, artistement embaumés, & assis sur des trônes d'or, élevés sur des plaques de même métal.

Les portes de ce temple étoient toutes couvertes de lames d'or. A côté du temple on voyoit un cloître à quatre faces, & dans sa plus haute enceinte, une couronne d'or fin, qui pouvoit bien avoir une aune de large. Tout-autour de ce cloître regnoient cinq pavillons en quarré, couverts en forme de pyramide.

Le premier étoit destiné à loger la Lune femme du Soleil ; ses portes avec son enclos étoient tapissés de plaques d'argent, pour donner à connoître par la couleur blanche, que c'étoit l'appartement de la Lune, laquelle étoit représentée sur une plaque d'argent, & avoit le visage d'une femme.

L'appartement le plus proche de celui de la Lune étoit celui de Vénus, des Pléiades, & d'autres étoiles. Ils honoroient extrêmement l'astre de Vénus, parce qu'ils le regardoient comme le messager du Soleil, allant tantôt devant lui, tantôt après. Ils ne respectoient pas moins les Pléiades à cause de la disposition de ses étoiles, qui leur sembloient toutes égales en grandeur.

Pour les autres étoiles en général, ils les appelloient les servantes de la Lune, & elles étoient logées près de leur dame, pour obéir commodément à ses ordres. Cet appartement & son portail étoient couverts de plaques d'argent comme celui de la Lune. Son toit étoit semé d'étoiles d'argent de différentes grandeurs.

Le troisieme appartement étoit consacré à l'éclair, au tonnerre & à la foudre. Ils ne regardoient point ces trois choses comme des dieux, mais comme des génies subordonnés au Soleil, & toujours prêts à exercer sa justice sur la terre.

Ils consacroient à l'arc-en-ciel le quatrieme appartement, parce que ce météore procede du Soleil. Cet appartement étoit tout enrichi d'or, & sur les plaques de ce métal, on voyoit représentées au naturel avec toutes ses couleurs, dans l'une des faces du bâtiment, la figure de l'arc-en-ciel qui s'étendoit d'une muraille à l'autre.

Le cinquieme & dernier appartement du temple étoit celui du grand sacrificateur, & des autres prêtres qui assistoient au service du temple, & qui devoient être tous du sang royal des Yncas. Cet appartement enrichi d'or, comme les autres, depuis le haut jusqu'au bas, n'étoit destiné ni pour y manger, ni pour y dormir, mais servoit de salle pour y donner audience, & y délibérer sur les sacrifices qu'il falloit faire, & sur toutes les autres choses qui concernoient le service du temple. (D.J.)

TEMPLES, (Hist. des Arts) après avoir parlé des temples en littérature, il faut terminer ce vaste sujet par considérer leur mérite & leurs défauts, du côté des beaux arts. Salomon fit construire dans la terre promise un temple magnifique, qui fut l'ornement & la consolation de Jérusalem. Depuis cette époque, le peuple choisi a toujours soupiré pour la montagne de Sion ; mais la décoration de cet édifice n'est pas assez connue, pour que nous puissions la faire entrer dans l'histoire des goûts.

On ne sauroit remonter en ce genre avec certitude, au-delà des Grecs ; l'ouvrage dogmatique le plus ancien que nous ayons dans cet art, est celui de Vitruve, qui vivoit sous Auguste, & qui ne dit presque rien des monumens qui avoient pû précéder ceux de la Grece.

Les Grecs n'ornerent jamais d'enjolivemens de sculpture l'intérieur de leurs temples ; les murs étoient élevés perpendiculairement, & voilà tout ; l'enceinte avoit la figure d'un parallélogramme régulier ; les portes & les frontons étoient sur les deux petits côtés opposés ; il n'y avoit presque que le seul temple de la Vertu qui n'eût point de porte de derriere.

Ces temples qui dans leur simplicité intérieure, pouvoient laisser à l'esprit, le recueillement qu'il doit apporter dans son humiliation ; ces temples, dis-je, étoient au-dehors d'une architecture magnifique. La plûpart étoient environnés de péristiles à plusieurs rangs de colonnes ; les deux petits côtés portoient des frontons ; sur le tympan de ces frontons, on représentoit en bas-relief des combats, & des sacrifices.

Toutes les colonnes étoient à une même hauteur, & on ne les plaça jamais les unes sur les autres ; les temples les plus simples n'avoient que quatre colonnes, c'est-à-dire, deux sur le devant, & deux sur le derriere ; les temples plus ornés étoient entourés de péristiles à un ou deux rangs de colonnes. La profondeur de ces péristiles ne pouvoit produire d'obscurité incommode ; car ces temples n'étoient point éclairés par les côtés ; ils recevoient le jour, ou parce qu'ils étoient découverts, ou par les portes, ou par des croisées pratiquées au-dessus de l'édifice. Quelquefois enfin, le temple étoit séparé des colonnes ; tel étoit à Athènes celui de Jupiter Olympien ; entre le péristile & le temple, il y avoit comme une cour.

Dans les temples de Jupiter, on employoit l'ordre dorique, qui pouvoit rendre la majestueuse simplicité du maître des dieux. On faisoit ceux de Junon d'ordre ionique, dont l'élégance pouvoit convenir à une déesse ; le temple de Diane d'Ephèse avoit un double péristile, & étoit selon quelques auteurs, de ce même ordre ionique, qui par sa légereté pouvoit avoir été choisi comme étant le plus convenable à la divinité des chasseurs. Enfin, on doit dire à la louange des Grecs, qu'ils furent toujours très-attentifs dans la construction de leurs temples, à faire choix des ordres qui convenoient le mieux aux différens caracteres des divinités.

Les Romains qui dans tous les arts, s'étoient efforcés de suivre les traces des Grecs, surent quelquefois égaler leurs maîtres dans l'Architecture. Les richesses immenses de l'empire laissoient aux artistes qui s'y rendoient de toutes parts, la facilité de se livrer à la beauté de leurs compositions, ou des modeles de la Grece ; une sorte d'élévation d'ame, qui portoit les Romains à faire élever de superbes édifices ; une politique sage, qui encourageoit la vertu & les talens par des arcs de triomphe, ou par des statues ; en un mot, toutes ces vûes de grandeur, multiplierent étonnamment des monumens respectables, que le tems ni la barbarie n'ont pû détruire encore entierement.

Les temples romains, quoique plus grands & plus magnifiques que ceux de la Grece, avoient à-peu-près les mêmes décorations extérieures. Ceux de Jupiter foudroyant, du ciel, de la terre, & de la lune, étoient découverts. Pour les dieux champêtres, on construisoit des grottes dans le goût rustique. Au milieu de ces temples, on plaçoit la statue du dieu qu'on vouloit honorer ; au pié de la statue, étoit un autel pour les sacrifices ; les autels des dieux célestes étoient fort exhaussés ; ceux des dieux terrestres, étoient un peu plus bas ; & ceux des dieux infernaux, étoient enfoncés.

Les Romains eurent aussi des basiliques d'une belle architecture ; c'étoient des lieux publics destinés à assembler le peuple, lorsque les rois ou les principaux rendoient la justice. Ces édifices étoient ornés intérieurement par plusieurs rangs de colonnes. Lorsqu'on eût commis à de petits magistrats le soin & l'emploi de juges, les marchands commencerent à fréquenter les basiliques ; enfin, ces édifices furent destinés à célébrer les mysteres des nouveaux chrétiens.

Dès que le Christianisme eut pris faveur, il abandonna les basiliques, pour décorer intérieurement les églises de son culte ; & ces ornemens intérieurs dont on les chargea, servirent de modele pour toutes celles qu'on fit construire dans la suite. On s'éloigna de la simplicité intérieure des temples antiques ; on n'eut plus d'attention à conserver dans des maisons d'adoration, une sorte de dignité majestueuse, de laquelle les idolâtres ne s'étoient jamais éloignés. Dans la Grece, il n'y avoit qu'un ou deux temples, dont l'intérieur fût orné par des colonnes ; mais ces temples n'étoient point fameux, & ne méritent pas de faire d'exception.

Un temple grec étoit dans la simplicité de quatre murs élevés perpendiculairement ; il étoit entouré de colonnes toutes égales, & qui soutenoient un même entablement. D'un premier regard, on ne disoit point comme dans le gothique, par quelle adresse étonnante a-t-on pû élever un édifice si peu soutenu, tout découpé à jour, & qui cependant dure depuis plusieurs siecles ? Mais plutôt l'esprit se reposant dans la solidité apparente & réelle de toutes les parties, s'occupoit agréablement à développer les sages ressources que l'art avoit su se faire, pour mettre un certain accord entre des beautés constantes, & qui à chaque fois qu'on les voyoit, savoient produire une nouvelle satisfaction.

Lors du renouvellement des arts & des sciences, le goût gothique se trouva généralement répandu dans l'Architecture ; les Artistes ne purent employer les beautés de l'antique, qu'en les rapprochant de la dégradation, que l'instinct habituel faisoit applaudir. Ainsi, en conservant le fond de l'architecture des Goths, on chercha à y introduire les plus belles proportions des anciens.

Dans la construction des églises modernes, on a donné au plan la forme d'une croix ; on a réservé tous les ornemens pour l'intérieur. On a ouvert plusieurs portes ; on a fait des bas côtés ; il y a eu des fenêtres sur toute la longueur & à toute hauteur ; & c'est ce qu'on ne voyoit point aux temples des Grecs ; mais aussi on a mis le coeur & la nef dans une même direction ; on a supprimé les faisceaux des colonnes, pour n'en admettre qu'un seul ordre avec un entablement régulier ; les vitres ont été laissées dans leur transparence ; les ornemens n'ont été employés qu'avec économie, & ce sont-là tout autant de corrections des erreurs gothiques.

Les modernes, ajoutera quelqu'un, pratiquent encore de belles décorations ; j'en conviens : mais elles sont rarement à leur place. Ainsi, quoique plus rapprochés en apparence des Grecs, que ne l'étoient les Goths, nous pourrions à certains égards, nous en être fort éloignés. Je le crois d'abord par la vérité du fait ; en second lieu, parce que nous nous en croyons plus près ; enfin, parce que nous sommes venus après les Goths, & que la succession des goûts pourroit nous avoir détourné de la pureté primitive.

Quoiqu'il ait paru de tems à autres des artistes très-habiles, avec un peu d'attention, on ne peut méconnoître la dégradation du goût, & cette fatalité qui a toujours interrompu l'esprit dans sa marche. Dans tous les arts, il a fallu pendant long-tems, se traîner dans la carriere fatigante & incertaine des essais mal conçus, avant que de franchir l'intervalle immense qui peut conduire à quelque perfection. Lorsque l'esprit a atteint à quelques beautés vraies & constantes, rarement sait-il s'y reposer. De fausses subtilités se présentent ; on croit en s'y abandonnant, renchérir sur la belle simplicité de la nature ; & les arts retombent dans la période des erreurs, que l'imbécillité d'un instinct perverti fait néanmoins applaudir.

L'architecture des temples mahométans n'est pas propre à rectifier notre goût ; car ce sont des ouvrages communément tout ronds avec plusieurs tours. Quelques-unes de ces tours qui sont à la mosquée de Médine, où est le tombeau de Mahomet, sont torses, non pas cependant comme nos colonnes, dont les spires sont dans différens plans ; ce sont plutôt comme des courbes, qui rampent autour de ces tours circulaires. Cette figure des temples mahométans, aux tours près, est celle que les anciens avoient constamment employée dans les temples de Vénus. Se seroit-t-on asservi à cette similitude, parce que le ciel de Mahomet est celui de la déesse des plaisirs ? (Le chevalier DE JAUCOURT.

TEMPLES DES SIAMOIS, (Idolat. asiat.) Voyez SIAM. (Géog. mod.)

TEMPLE DE LA GLOIRE, (Morale) le temple de la gloire est une belle expression figurée qui peint la haute considération, & pour ainsi dire le culte que méritent ceux qui se sont rendus célebres par de grandes & de belles actions.

La gloire est une illustre & large renommée de plusieurs & grands bienfaits exercés sur notre patrie, ou sur toute la race du genre humain ; telle est la belle définition qu'en donne Ciceron ; ce n'est pas, ajoute-t-il, le vain souffle d'une faveur populaire, ni les applaudissemens d'une imbécille multitude que les sages dédaignent, qui constitue la place dans le temple de la gloire ; mais c'est l'approbation unanime des grandes actions, approbation donnée par tous les honnêtes-gens, & par le suffrage incorruptible de ceux qui peuvent juger de l'excellence du mérite, car des témoignages de cette espece répondent toujours à la vertu, comme l'écho répond à la voix.

Puisque la vraie gloire est la récompense générale des belles actions, on conçoit sans peine qu'elle sera chere aux gens de bien, & qu'ils la préféreront à toute autre. Ceux qui y aspirent, ne doivent point attendre pour prix de leurs travaux le plaisir des sens ni la tranquillité de la vie ; au contraire, ils doivent sacrifier leur propre tranquillité pour assurer celle des autres, s'exposer aux tempêtes & aux dangers pour le bien public, soutenir des combats avec ceux qui veulent le détruire, avec les audacieux, & même avec les plus puissans.

Ils doivent marcher dans cette carriere par amour pour la vertu, & non pour captiver l'affection & les louanges d'un peuple volage. Ceux qui sont touchés de la vaine gloire, disent, comme Philippe : " ô Athéniens, si vous saviez tout ce que je fais pour être loué de vous ". Mais ceux qui ne goutent que la vraie gloire, disent avec Socrate : " ô Athéniens, ce n'est pas pour être loué de vous que je suis le pénible chemin de la vertu, c'est pour la vertu seule ".

Voilà les notions que Ciceron inculque pour engager les hommes à tâcher de mériter une place dans le temple de la gloire, dont il avoue qu'il étoit amoureux ; eh quel amour peut être mieux placé ? Cette passion est surement un des plus nobles principes qui puissent enflammer une belle ame. Elle est plantée par Dieu dans notre nature pour la dignifier, si je puis parler ainsi, & elle se trouve toujours la plus forte dans les ames sublimes. C'est à elle que nous devons les grandes & admirables choses dont parle l'histoire dans tous les âges du paganisme.

Il n'y a peut-être point d'exemple qu'aucun homme sensible aux périls de son pays, n'ait été porté à le servir par la gloire qu'il acquerroit. Donnez-moi un enfant que la gloire échauffe, disoit Quintilien, & je répondrai du succès de mes leçons. Je ne sai, dit Pline, si la postérité daignera jetter quelques regards sur moi ; mais je suis sûr d'en mériter quelque chose, non pas par mon esprit & par quelques foibles talens, ce seroit pur orgueil ; mais par le zele & par le respect que je lui ai toujours voué.

Il ne paroîtra point étrange, que les plus sages des anciens aient considéré la gloire comme la plus grande récompense d'une belle vie, & qu'ils aient poussé ce principe aussi loin qu'il étoit possible, quand on réfléchira que le grand nombre d'entr'eux n'avoit pas la moindre notion d'aucune autre récompense ; si quelques-uns goutoient l'opinion d'un état à venir de félicité pour les gens vertueux, ils la goutoient plutôt comme une chose désirable, que comme une opinion fondée ; c'est pour cela qu'ils s'efforçoient de tenir leur gloire & leur immortalité des suffrages de leurs descendans ; ainsi par une fiction agréable, ils envisageoient cette renommée à venir, comme une propagation de leur vie, & une éternisation de leur existence ; ils n'avoient pas une petite joie d'imaginer, que si ce sentiment n'atteignoit pas jusqu'à eux, du-moins il s'étendroit aux autres, & qu'ils feroient encore du bien étant morts, en laissant l'exemple de leur conduite à imiter au genre humain.

Tous ces grands hommes ne regardoient jamais que ce fût proprement leur vie, celle qui étoit bornée à un cercle étroit d'années sur la terre ; mais ils envisageoient leurs actions comme des graines semées dans les champs immenses de l'univers, qui leur porteroient le fruit de l'immortalité à-travers de la succession des siecles.

Telle étoit l'espérance de Ciceron, & il faut convenir qu'il n'a pas été déçu dans son espoir. Quoi qu'en disent de prétendus beaux esprits modernes, qui nomment le sauveur de la république, le plus vain des mortels ; tant que le nom de Rome subsistera, tant que le savoir, la vertu & la liberté auront quelque crédit dans le monde, Ciceron sera grand & couvert d'actions glorieuses.

Si quelqu'un demandoit à-présent, quelles sont les places du temple de la gloire, on pourroit peut-être mettre au premier rang les fondateurs des empires, tels que Cyrus & Romulus ; au second rang paroîtroient les législateurs qui sont comme des souverains éternels ; tels étoient Lycurgue, Solon, Alphonse de Castille. Au troisieme rang, seroient placés les libérateurs de leur pays opprimé par des partis étrangers ; tel fut Henri IV. quand il éteignit la ligue. Les conquérans qui ont étendu les limites de leur empire pour rendre heureux par des lois immuables, les peuples qu'ils ont soumis, se trouveroient placés au quatrieme rang ; les noms de ces derniers échappent à mon souvenir.

Mais la place du temple de la gloire, émanée du mérite le plus cher à l'humanité, sera conservée à ces princes sages, justes, vigilans, qui par une certaine tendresse d'entrailles, ont acquis le titre de peres de la patrie, en faisant le bonheur des citoyens ; Trajan, Marc Aurele, Alfred, occupent cette place isolée, qui est supérieure à toute autre.

Si Alexandre succédant à Philippe, se fût déclaré le protecteur de tous les états & de toutes les villes de la Grece, pour leur assurer leurs libertés, & les laisser vivre selon leurs lois ; que content des bornes légitimes de son empire, il eût mis toute sa joie à le rendre heureux, à y procurer l'abondance, à y faire fleurir les lois & la justice, aussi-bien qu'il fit fleurir les arts & les sciences, il eût exercé sur tous les coeurs l'empire le plus durable, il eût acquis la sublime gloire, il seroit devenu à tous égards l'admiration de l'univers ! Infinitae potentiae domitor ac fraenator, ipsâ vetustate magis ac magis florescit !

Après les places des souverains, viennent celles des sujets dans le temple de la gloire. Les premiers sujets dignes de cet honneur, seront ces grands ministres, ces bras droits du prince, qui le consolent ou le soulagent, sans accabler le peuple, partagent & souvent portent seuls le fardeau de l'empire, en conservant toujours leur vertu & leur intégrité. Ces sortes de ministres paroissent rarement sur la terre ; la France nomme Sully sous Henri IV. Ils étoient dignes l'un de l'autre.

Ensuite il faut placer les capitaines, les généraux d'armée qui se sont rendus célebres sur terre ou sur mer, par leurs belles actions ou leurs victoires ; l'histoire grecque & romaine en fournissent le plus grand nombre, & les monumens qui parlent de leur renommée, ont passé jusqu'à nous ; les particularités qui concernent celle de Philopoemen, par exemple, ne nous sont point inconnues.

Ce généralissime des Achéens ayant gagné la bataille de Messene, le musicien Pylade qui chantoit sur la lyre, la piece intitulée les Perses, prononça par hazard un vers qui dit :

C'est moi qui couronne vos têtes

Des fleurons de la liberté.

Tous les Grecs jetterent les yeux sur Philopoemen avec des applaudissemens & des battemens de mains qui ne finissoient point, rappellant dans leur esprit les beaux siecles de la Grece, & se flattant de la douce espérance que leur vertueux chef, feroit revivre ces anciens tems.

Après les grands capitaines, il faut placer dans le temple de la gloire, ces magistrats & ces hommes laborieux, qui chargés du dépôt des lois & de l'administration de la justice, s'y dévouent avec héroïsme. Tel étoit parmi nous un chancelier de l'Hôpital, il n'a point eu de successeurs.

Je n'assignerai point les autres rangs ; c'est assez de dire que ceux qui dans tous les ordres de l'état, cultivent éminemment les fruits de la sagesse, des sciences & des beaux arts, ont des places distinguées dans le temple de la gloire.

Mais quelques personnes à l'opinion desquels je suis prêt de me ranger, mettent dans le sanctuaire de ce temple, au-dessus des sujets & des souverains mêmes, ces généreuses victimes, telles que les Regulus & les Decius qui se sont immolés volontairement, & par le plus beau des sacrifices, pour le salut de leur patrie.

Le chancelier Bacon remarque, qu'il y a deux sortes d'immortalité, celle du sang & celle de la gloire ; la premiere, dit-il, se communique par la propagation, & nous est commune avec les bêtes ; la seconde n'appartient qu'à l'homme, & c'est par de grands services, de grandes & bonnes actions, qu'il doit chercher à se perpétuer. Les ouvrages des historiens, des poëtes & des orateurs sont les vrais temples de la renommée. Le tems vient à bout du bronze & du marbre ; il ne peut rien sur les ouvrages d'esprit. Voilà les aîles sur lesquelles les grands hommes sont portés éternellement & rappellés à la mémoire des hommes. (D.J.)

TEMPLES, nom que les Anglois donnent à deux colleges, où les chevaliers du temple faisoient autrefois leur demeure. Voyez TEMPLIERS.

Après la suppression de l'ordre des Templiers, quelques professeurs en droit acheterent ces maisons, & ils les convertirent en auberges ou hôtelleries. Voyez AUBERGE.

On appelle un de ces bâtimens le temple intérieur, relativement à l'hôtel d'Essex, qui faisoit aussi partie de la demeure des Templiers ; & l'autre s'appelle le temple extérieur, comme étant situé hors de la barre du temple.

Du tems des Templiers, le trésor du roi d'Angleterre étoit gardé dans le temple intérieur, comme celui du roi de France au temple à Paris.

Le chef de cette maison s'appelloit le maître du temple, qui fut cité au parlement la 49e année du regne d'Henri III. & le principal ministre de l'église du temple, s'appelle encore aujourd'hui du même nom. Voyez MAITRE.

Nous avons aussi à Paris une espece d'ancienne forteresse nommée le temple, qui étoit la maison ou le monastere des chevaliers Templiers. Après la destruction de ceux-ci, elle a passé avec leurs autres biens à l'ordre de saint Jean de Jérusalem ou de Malte ; mais elle a toujours conservé le nom de temple. C'est dans son enceinte qu'est situé le palais du grand prieur de la langue de France, qui y a un bailli, d'autres officiers, & une jurisdiction particuliere. L'enceinte du temple est un lieu privilégié pour des ouvriers & artisans qui n'ont pas droit de maîtrise dans Paris. On ne peut pas non plus y arrêter un homme pour dettes. L'église est desservie par des chapelains de l'ordre de Malte, les archives & la chancellerie de la langue de France y sont aussi renfermées, & le chapitre général s'y tient tous les ans le 11 de Juin.

TEMPLE, s. m. (outil de Charron) c'est un morceau de bois, de la longueur de trois piés ou environ, qui est gros de deux pouces, large à-peu-près de-même par en-bas, plus plat que rond, dont la tête est plus plate & plus large, un peu ronde, percée au milieu d'un petit trou. Voyez la fig. Pl. du Charron.

Les Charrons se servent de cet outil pour enrayer, c'est-à-dire, pour marquer, quand les raies sont placées dans le moyeu, la distance à laquelle il faut former les mortaises dans les jantes. Cela s'éxécute en plaçant le bout large & plat du rabat sur le milieu du moyeu, en faisant passer une petite cheville de fer dans le trou de la tête du rabat & ensuite dans le trou qui est au milieu du moyeu, de façon que le rabat peut tourner autour de la roue prête à être montée, & alors l'ouvrier marque les places des mortaises sur les jantes avec de la pierre noire.

TEMPLE, s. m. (terme de Férandin.) crémaillere composée de deux petites lames de bois dentelées, arrêtées l'une contre l'autre par une boucle coulante & terminées par des pointes d'épingle. (D.J.)

TEMPLE, (terme de Tisserand) ce sont deux barres de bois attachées l'une à l'autre par une ficelle, & dont les extrémités sont garnies de petites pointes de fer. On accroche les deux bouts du temple aux deux lisieres de la toile auprès de l'endroit que l'ouvrier travaille. Le temple est garni dans le milieu de petits crans, pour pouvoir en éloigner ou écarter les deux barres, selon la largeur de la toile. Il a outre cela une espece d'anneau de cuir mobile, appellé le cuiret, pour embrasser les deux barres à-la-fois & les empêcher de s'écarter.


TEMPLETS. m. (terme de Relieurs) sorte de petite tringle, ou de bâton quarré, qu'on leve du cousoir, & dont on se sert pour tenir les chevillettes, quand on coud quelques livres. (D.J.)


TEMPLIERS. m. (Hist. des ordr. relig. & milit.) chevalier de la milice du temple.

L'ordre des Templiers est le premier de tous les ordres militaires religieux ; il commença vers l'an 1118 à Jérusalem. Hugues de Paganès & Geoffroi de Saint-Ademar en sont les fondateurs. Ils se réunirent avec sept autres personnes pour la défense du saint sépulcre, & pour la protection des pélerins qui y abordoient de toutes parts. Baudoüin II. roi de Jérusalem, leur préta une maison située auprès de l'église de Jérusalem, qu'on disoit avoir été autrefois le temple de Salomon ; c'est de-là qu'ils eurent le nom de Templiers ou de chevaliers de la milice du temple ; de-là vint aussi qu'on donna dans la suite le nom de temples à toutes leurs maisons.

Les chevaliers de cet ordre furent d'abord nommés à cause de leur indigence, les pauvres de la sainte cité ; & comme ils ne vivoient que d'aumônes, le roi de Jérusalem, les prélats & les grands leur donnerent à l'envi des biens considérables, les uns pour un tems, & les autres à perpétuité.

Les neuf premiers chevaliers de cet ordre firent ensemble les trois voeux de religion entre les mains du patriarche de Jérusalem ; j'entends par les trois voeux de religion, ceux de pauvreté, de chasteté & d'obéissance, auxquels ils ajouterent un quatrieme voeu, par lequel ils s'engageoient de défendre les pélerins, & de tenir les chemins libres pour ceux qui entreprendroient le voyage de la terre-sainte. Mais ils n'agregerent personne à leur société qu'en 1125, où ils reçurent leur regle de saint Bernard après le concile tenu à Troies en Champagne par l'évêque d'Albe, légat du pape Honorius II. Ce concile ordonna qu'ils porteroient l'habit blanc ; & en 1146 Eugene III. y ajouta une croix sur leurs manteaux.

Les principaux articles de leur regle portoient, qu'ils entendroient tous les jours l'office divin ; que quand leur service militaire les en empêcheroit, ils y suppléeroient par un certain nombre de pater ; qu'ils feroient maigre quatre jours de la semaine, & le vendredi en viande de carême ; c'est-à-dire, sans oeufs ni laitage ; que chaque chevalier pourroit avoir trois chevaux & un écuyer ; & qu'ils ne chasseroient ni à l'oiseau ni autrement.

Après la ruine du royaume de Jérusalem arrivée l'an 1186, l'ordre des Templiers se répandit dans tous les états de l'Europe, s'accrut extraordinairement, & s'enrichit par les libéralités des grands & des petits.

Matthieu Paris assure que dans le tems de l'extinction de leur ordre en 1312, c'est-à-dire, en moins de deux cent ans, les Templiers avoient dans l'Europe neuf mille couvens ou seigneuries. De si grands biens exciterent l'envie, parce que les Templiers vivoient avec tout l'orgueil que donne l'opulence, & dans les plaisirs effrenés que prennent les gens de guerre qui ne sont point retenus par le frein du mariage. Ils refuserent de se soumettre au patriarche de Jérusalem, & montrerent dans leur conduite beaucoup de traits d'arrogance. Enfin ils devinrent odieux à Philippe-le-bel qui entreprit de ruiner leur ordre, & exécuta ce dessein. Voici ce qu'en a écrit l'auteur de l'Essai sur l'histoire générale des nations, dont les recherches sur cette matiere, méritent d'être recueillies dans cet ouvrage.

La rigueur des impôts, dit-il, & la malversation du conseil de Philippe-le-bel dans les monnoies, excita une sédition dans Paris en 1306. Les Templiers qui avoient en garde le trésor du roi, furent accusés d'avoir eu part à la mutinerie.

De plus, ce prince les accusoit d'avoir envoyé des secours d'argent à Boniface VIII. pendant ses différens avec ce pape, & de tenir en toute occasion des discours séditieux sur sa conduite & sur celle de ses deux favoris, Enguerrand de Marigny, surintendant des finances, & Etienne Barbette, prevôt de Paris & maître des monnoies.

Philippe-le-bel étoit vindicatif, fier, avide, prodigue, & s'abusant toujours sur les moyens que ses ministres employoient pour lui trouver de l'argent. Il ne fut pas difficile de lui faire goûter le projet d'une vengeance qui mettroit dans ses coffres la dépouille des Juifs & une partie des richesses que les Templiers avoient en partage. Il ne s'agissoit plus que de trouver des accusateurs, & l'on en avoit en main.

Les deux premiers qui se présenterent, furent, un bourgeois de Bésiers, prieur de Montfaucon près Toulouse, nommé Squin de Floriau, & Noffodei, florentin, Templiers apostats, détenus tous deux en prison pour leurs crimes. Ils demanderent à être conduits devant le roi à qui seul ils vouloient révéler des choses importantes. S'ils n'avoient pas su quelle étoit l'indignation du roi contre les Templiers, auroient-ils espéré leur grace en les accusant ? Ils furent écoutés. Le roi, sur leur déposition, ordonna à tous les baillis du royaume, à tous les officiers, de prendre main-forte ; leur envoie un ordre cacheté, avec défense, sous peine de la vie, de l'ouvrir avant le 13 Octobre 1309. Ce jour venu, chacun ouvre son ordre : il portoit de mettre en prison tous les Templiers. Tous sont arrêtés. Le roi aussi-tôt fait saisir en son nom les biens des chevaliers, jusqu'à ce qu'on en dispose.

Il paroît évident que leur perte étoit résolue très-long-tems avant cet éclat : l'accusation & l'emprisonnement sont de 1309 ; mais on a retrouvé des lettres de Philippe-le-bel au comte de Flandre, datées de Melun 1306, par lesquelles il le prioit de se joindre à lui pour extirper les Templiers.

Il falloit juger ce prodigieux nombre d'accusés. Le pape Clément V. créature de Philippe, & qui demeuroit alors à Poitiers, se joint à lui ; après quelques disputes sur le droit qu'avoit l'Eglise d'exterminer ces religieux, & le droit du roi de punir ses sujets, le pape interrogea lui-même soixante & douze chevaliers ; des inquisiteurs, des commissaires délégués procéderent par-tout contre les autres. Les bulles furent envoyées chez tous les potentats de l'Europe pour les exciter à imiter la France. On s'y conforma en Castille, en Aragon, en Sicile, en Angleterre ; mais ce ne fut presque qu'en France qu'on fit périr ces malheureux.

Deux cent & un témoins les accuserent de renier J. C. en entrant dans l'ordre, de cracher sur la croix, d'adorer une tête dorée montée sur quatre piés. Le novice baisoit le profès qui le recevoit, à la bouche, au nombril, & à des parties qui certainement ne sont pas destinées à cet usage : il juroit de s'abandonner à ses confreres. Voilà, disent les informations conservées jusqu'à nos jours, ce qu'avouerent soixante & douze templiers au pape même, & cent quarante-un de ces accusés à Guillaume Cordelier, inquisiteur dans Paris, en présence de témoins ; on ajoûte que le grand-maître de l'ordre, même le grand-maître de Chypre, les maîtres de France, de Poitou, de Vienne, de Normandie, firent les mêmes aveux, à trois cardinaux délégués par le pape.

Ce qui est indubitable, c'est qu'on fit subir des tortures cruelles à plus de cent chevaliers, & qu'on en brûla vifs cinquante-neuf en un jour près de l'abbaye S. Antoine de Paris. Le grand bailli, Jacques de Molay, & Guy, dauphin, fils de Robert II. dauphin d'Auvergne, commandeur d'Aquitaine, deux des principaux seigneurs de l'Europe, l'un par sa dignité, l'autre par sa naissance, furent aussi jettés vifs dans les flammes, le lundi 18 Mars 1314, à l'endroit où est à-présent la statue équestre du roi Henri IV.

Ces supplices dans lesquels on fait mourir tant de citoyens, d'ailleurs respectables, cette foule de témoins contr'eux, ces nombreuses dépositions des accusés même, semblent des preuves de leur crime, & de la justice de leur perte.

Mais aussi que de raisons en leur faveur ! Premierement, de tous ces témoins qui déposent contre les Templiers, la plûpart n'articulent que de vagues accusations.

Secondement, très-peu disent que les Templiers renioient Jesus-Christ ; qu'auroient-ils en effet gagné en maudissant leur religion qui les nourrissoit & pour laquelle ils combattoient ?

Troisiemement, que plusieurs d'entr'eux, témoins & complices des débauches des princes & des ecclésiastiques de ce tems-là, eussent souvent marqué du mépris pour les abus d'une religion tant deshonorée en Asie & en Europe, qu'ils eussent parlé dans des momens de liberté, comme on dit que Boniface VIII. en parloit, c'est un emportement très-condamnable de jeunes gens, mais dont l'ordre entier n'est point comptable.

Quatriemement, cette tête dorée qu'on prétend qu'ils adoroient, & qu'on gardoit à Marseille, devoit leur être représentée : on ne se met pas seulement en peine de la chercher ; & il faut avouer qu'une telle accusation se détruit d'elle-même.

Cinquiemement, la maniere infame dont on leur reprochoit d'être reçus dans l'ordre, ne peut avoir passé en loi parmi eux. C'est mal connoître les hommes de croire qu'il y ait des sociétés qui se soutiennent par les mauvaises moeurs, & qui fassent une loi de l'impudicité. On veut toujours rendre sa société respectable à qui veut y entrer, il n'y a pas d'exemple du contraire. On ne doit pas douter que plusieurs jeunes templiers ne s'abandonnassent à des excès honteux de débauche, vices qu'il ne faut point cependant divulguer par des punitions publiques.

Sixiemement, si tant de témoins ont déposé contre les Templiers, il y eut aussi beaucoup de témoignages étrangers en faveur de l'ordre.

Septiemement, si les accusés vaincus par les tourmens, qui font dire le mensonge comme la vérité, ont confessé tant de crimes, peut-être ces aveux sont-ils autant à la honte des juges qu'à celle des chevaliers : on leur promettoit leur grace pour extorquer leur confession.

Huitiemement, les cinquante-neuf qu'on brûla prirent Dieu à témoin de leur innocence, & ne voulurent point la vie qu'on leur offroit, à condition de s'avouer coupables.

Neuviemement, soixante & quatorze templiers non accusés, entreprirent de défendre l'ordre, & ne furent point écoutés.

Dixiemement, lorsqu'on lut au grand-maître sa confession rédigée devant les trois cardinaux, ce vieux guerrier qui ne savoit ni lire ni écrire ainsi que ses confreres, s'écria qu'on l'avoit trompé, que l'on avoit écrit une autre déposition que la sienne ; que les cardinaux, ministres de cette perfidie, méritoient qu'on les punît, comme les Turcs punissent les faussaires, en leur fendant le corps & la tête en deux.

Enfin, on eût accordé la vie à ce grand-maître & à Guy, dauphin d'Auvergne, s'ils avoient voulu se reconnoître coupables publiquement, & on ne les brûla que parce qu'appellés en présence du peuple sur un échafaud, pour avouer les crimes de l'ordre, ils jurerent que l'ordre étoit innocent. Cette déclaration qui indigna le roi, leur attira leur supplice, & ils moururent en invoquant la colere céleste contre leurs persécuteurs.

Cependant en conséquence de la bulle du pape & de leurs grands biens, on poursuivit les Templiers dans toute l'Europe ; mais en Allemagne ils surent empêcher qu'on ne saisît leurs personnes : ils soutinrent en Aragon des siéges dans leurs châteaux.

Enfin, le pape abolit l'ordre de sa seule autorité, dans un consistoire secret, pendant le concile de Vienne, tenu en 1312.

Les rois de Castille & d'Aragon s'emparerent d'une partie de leurs biens, & en firent part aux chevaliers de Calatrava. On donna les terres de l'ordre en France, en Italie, en Angleterre, en Allemagne, aux hospitaliers nommés alors chevaliers de Rhodes, parce qu'ils venoient de prendre cette île sur les Turcs, & l'avoient su garder avec un courage qui méritoit au - moins les dépouilles des chevaliers du Temple pour leur récompense.

Denis, roi de Portugal, institua en leur place l'ordre des chevaliers du Christ, ordre qui devoit combattre les Maures, mais qui étant devenu depuis un vain honneur, a cessé même d'être honneur à force d'être prodigué.

Philippe-le-Bel se fit donner deux cent mille livres, & Louis Hutin son fils, prit soixante mille livres sur les biens des Templiers. Le pape eut aussi sa bonne part de leurs dépouilles ; mais il faut lire sur toute cette affaire l'histoire des Templiers, par M. Dupuis.

L'abolition de leur ordre, ainsi que le supplice de tant de chevaliers, est un événement monstrueux, soit qu'on imagine que leurs crimes fussent avérés, soit qu'on pense, avec plus de raison, que la haine, la vengeance, & l'avarice les eussent inventés. Il est triste, en parcourant les annales du monde, d'y trouver de tels faits qui font frémir d'horreur. (D.J.)


TEMPLIN(Géog. mod.) petite ville d'Allemagne, dans l'électorat de Brandebourg, dans l'Ukermarck, près du lac de Dolgen, aux confins de la moyenne Marche. (D.J.)


TEMPLOIES. m. outil de Relieur, c'est une tringle de bois de 25 pouces de long sur 8 lignes environ de largeur, & 10 à 12 lignes de hauteur, échancrée par les deux bouts ; la couturiere met cette tringle dans la rainure de la table du cousoir, du côté où elle cout, après qu'elle y a passé les ficelles & qu'elle les a arrêtées dans les chevillettes ; elle sert à retenir les chevillettes sous la table & à rapprocher les ficelles contre le bord du cousoir. Voyez COUSOIR, CHEVILLETTE.


TEMPLUMAEDES SACRA, AEDICULUM, SACELLUM, FANUM, DELUBRUM, (Synonymes) tous ces mots désignent en général des édifices sacrés, mais de diverses especes, que nous allons expliquer brievement.

Quoique templum soit générique, il s'applique spécialement à ces édifices sacrés qui surpassoient les autres en dignité & en sainteté de cérémonies ; ils étoient ordinairement voués par les rois, les consuls, les empereurs, pour obtenir quelque victoire à l'approche d'une bataille ; après la victoire, ils étoient bâtis par les vainqueurs sur les lieux désignés par les augures, ensuite dédiés & consacrés par certaines cérémonies qu'ils appelloient inaugurationes, & qu'ils imaginoient les rendre encore plus saints & plus vénérables ; sans ces inaugurations, un édifice sacré ne se pouvoit appeller un temple, templum, mais on le nommoit simplement, aedes sacra.

Aediculum & sacellum, signifioient une espece de petit temple, avec cette différence que les aedicules étoient couvertes, & les petits lieux sacrés dits sacella, étoient sans couverture.

Fanum, désignoit une autre espece de temple, ainsi nommé à fando, à cause des paroles que le pontife proféroit en les consacrant aux empereurs après leur apothéose. Voyez FANUM.

Delubrum signifie quelquefois un édifice sacré, un temple, ou seulement une partie d'un temple. Je vois ce mot employé pour le temple entier dans ce passage d'Ammien Marcellin au sujet du temple Capitolin ; Jovis Tarpeii delubra quantum terrenis divina praecellunt ; mais il ne marque qu'une portion de temple dans un autre passage, Proserpinae tabula fuit in Capitolio, in Minervae delubro. Ce mot se prend dans Pline pour une des trois parties du même temple Capitolin ; & alors les Latins employoient volontiers pour son synonyme le mot de cellae ou de consortia, comme dans ce vers d'Ausone :

Tria in Tarpeio fulgent consortia templo. (D.J.)

TEMPLUM, (Géog. anc.) nom que Tacite, in vitâ Agricolae, donne à une partie de la Ligurie. Voici le passage : nam classis Othoniana licenter vaga dum in Templo (Liguriae pars est), hostiliter populatur, matrem Agricolae in praediis suis interfecit. On soupçonne qu'il y a faute dans cet endroit de Tacite, & qu'au-lieu de dum in Templo, il faut lire dum Intemelios. Un ancien manuscrit porte, dum Intemelium, Liguriae urbs est. Il sembleroit que cette derniere façon de lire devroit être préférée, étant appuyée sur un manuscrit. La seule difficulté qui arrête, c'est qu'on connoît un peuple de Ligurie nommé Intemelii, & qu'on ne voit point de lieu appellé Intemelium. (D.J.)


TEMPOTEMPO

Tempo di minuetto est un mouvement semblable à celui du menuet, & qui est de trois tems légers. (D.J.)


TEMPORALLE, adj. en Anatomie, ce qui appartient aux tempes, est un os de chaque côté de la tête, ainsi nommé à cause de sa situation dans les tempes. Voyez TEMPES.

La figure de cet os est presque circulaire. La partie antérieure & la supérieure sont très-minces, & ne sont composées que d'une seule table. La partie inférieure & la postérieure sont épaisses, dures & inégales. Voyez CRANE.

L'os temporal est joint à l'os coronal par la suture écailleuse ; c'est pourquoi il est appellé en cet endroit os écailleux. Sa partie inferieure est jointe à l'os occipital & au sphénoïde. Il est joint à ce dernier, comme aussi aux os de la mâchoire supérieure, par le moyen de certaines apophyses, & en cet endroit il porte le nom d'os pierreux. Voyez l'article PIERREUX.

Quoique l'os temporal ne soit composé que d'une seule piece dans les adultes, on y remarque dans les enfans trois pieces différentes, savoir l'écailleux qui occupe le dessus de l'os, l'os pétreux ou le rocher, & le cercle qui s'ossifie à l'extrêmité du conduit auditif. Ce cercle dans l'adulte est uni de telle sorte au reste de l'os, qu'on ne trouve aucun vestige qui puisse donner à juger qu'il en ait été séparé ; il croît de maniere avec le reste de l'os, qu'il forme un canal, lequel fait dans l'adulte une partie du conduit de l'oreille. (D.J.)

TEMPORAL, est un muscle qui vient par une origine charnue & demi-circulaire d'une partie de l'os coronal, de la partie inférieure du pariétal, & de la partie supérieure du temporal ; de-là passant sous l'arcade zygomatique, & se réunissant comme dans un centre, il se termine par un fort & court tendon à l'apophyse coronoïde de la mâchoire inférieure qu'il tire en haut. Voyez nos Pl. d'Anatomie, & leur explication.

Ce muscle se nomme aussi crotaphite, & il est couvert d'une expansion tendineuse & forte appellée calotte aponevrotique. Voyez CROTAPHITE.

Il est bon d'observer ici que quand on est obligé de découvrir l'os situé sous le muscle temporal pour appliquer le trépan, il faut faire l'incision selon la direction des fibres de ce muscle, qui vont de la circonférence au centre, c'est-à-dire de haut en bas, par une seule section faite en son milieu ou en deux endroits en forme d'V majuscule, ou en 7 de chiffre ; mais cette incision n'est pas indifférente à cause des gros vaisseaux qui montent en cet endroit à la tête, & qui peuvent occasionner une grande hémorrhagie. Ajoutez ici l'avis que donne Hippocrate, qu'une incision étant faite au muscle de la tempe, principalement en-travers, la convulsion survient au côté opposé, & réciproquement du côté gauche au côté droit, ce qui arrive par la cessation de l'équilibre. Il faut pourtant convenir que l'expérience apprend tous les jours qu'on peut sans danger, si le cas le requiert absolument, couper ce muscle en-travers, principalement dans sa partie supérieure & dans sa partie moyenne. (D.J.)


TEMPORELadj. & subst. se dit des biens & des possessions de la terre par opposition aux biens spirituels.

En certaines occasions on oblige les évêques & les autres bénéficiers à exécuter les loix du prince, sous peine de saisie de leur temporel.

TEMPOREL DES ROIS, en Théologie, signifie tant les terres ou possessions qui appartiennent aux souverains, que l'autorité avec laquelle ils gouvernent leurs peuples.

C'est une question vivement agitée dans les écoles que de savoir si le pape ou même l'Eglise ont un pouvoir, soit direct, soit indirect sur le temporel des rois, ou si ni l'un ni l'autre ne leur appartiennent en aucune maniere.

Tous les ultramontains prétendent que la puissance ecclésiastique a pour objet non-seulement le spirituel des états, & en conséquence ils accordent au pape, qu'ils regardent comme le seul principe & l'unique source de la jurisdiction spirituelle, le pouvoir de disposer de tous les biens terrestres, des royaumes mêmes & des couronnes. Mais ils se partagent sur la nature de cette autorité. Les uns soutiennent qu'elle est directe, les autres se contentent d'enseigner qu'elle est indirecte.

Dire que l'Eglise & le pape ont un pouvoir direct sur le temporel des rois, c'est reconnoître qu'ils peuvent immédiatement l'un & l'autre, par la nature-même de la puissance dont Jesus-Christ leur a confié l'administration, dépouiller les hommes, même les rois de leurs dignités, de leurs charges & de leurs biens quand ils manquent à leur devoir, & que cette sévérité est nécessaire pour la tranquillité des royaumes. Bellarmin lui-même, quoique très-zélé pour les droits & pour les privileges des souverains pontifes, rejette cette doctrine & la combat avec force. Voyez son traité de roman. pontif. lib. V. c. j.

Avancer que l'Eglise & le pape en sa personne ont un pouvoir indirect sur le temporel des rois, c'est prétendre qu'ils sont l'un & l'autre en droit d'en disposer lorsqu'ils ne peuvent par des peines spirituelles ramener les pêcheurs, & qu'ils jugent que l'infliction des peines corporelles est absolument nécessaire pour le bien de l'Eglise & pour le salut des ames. Telle est l'idée que Bellarmin lui-même donne de ce pouvoir indirect, dont il prend la défense avec vivacité dans l'ouvrage que nous venons de citer, liv. V. ch. vj.

Avant que de rapporter les raisons sur lesquelles Bellarmin fonde cette opinion, nous remarquerons qu'on en fixe ordinairement l'origine à Gregoire VII. qui vivoit dans le xj. siecle. " Ce pape, dit M. Fleury, né avec un grand courage, & élevé dans la discipline monastique la plus réguliere, avoit un zele ardent de purger l'Eglise des vices dont il la voyoit infectée ; mais dans un siecle si peu éclairé il n'avoit pas toutes les lumieres nécessaires pour régler son zele ; & prenant quelquefois de fausses lueurs pour des vérités solides, il en tiroit sans hésiter les plus dangereuses conséquences. Le plus grand mal, c'est qu'il voulut soutenir les peines spirituelles par les temporelles qui n'étoient pas de sa compétence.... Les papes avoient commencé plus de 200 ans auparavant à vouloir régler par autorité les droits des couronnes. Gregoire VII. suivit ces nouvelles maximes, & les poussa encore plus loin, prétendant que comme pape, il étoit en droit de déposer les souverains rebelles à l'Eglise. Il fonda cette prétention principalement sur l'excommunication. On doit éviter les excommuniés, n'avoir aucun commerce avec eux, ne pas même leur dire bon jour, suivant l'apôtre S. Jean. Donc un prince excommunié doit être abandonné de tout le monde ; il n'est plus permis de lui obéir, de recevoir ses ordres, de l'approcher ; il est exclu de toute société avec les chrétiens. Il est vrai que Grégoire VII. n'a jamais fait aucune décision sur ce point, Dieu ne l'a pas permis. Il n'a pas prononcé formellement dans aucun concile, ni par aucune décrétale, que le pape a droit de déposer les rois ; mais il l'a supposé pour constant, comme d'autres maximes aussi peu fondées qu'il croyoit certaines ; par exemple, que l'Eglise ayant droit de juger des choses spirituelles, elle avoit droit à plus forte raison de juger des temporelles ; que le moindre exorciste est au-dessus des empereurs, puisqu'il commande aux démons ; que la royauté est l'ouvrage du démon, fondé sur l'orgueil humain ; au-lieu que le sacerdoce est l'ouvrage de Dieu ; enfin, que le moindre chrétien vertueux est plus véritablement roi, qu'un roi criminel, parce que ce prince n'est plus un roi, mais un tyran. Maxime que Nicolas I. avoit avancée avant Gregoire VII. & qui semble avoir été tirée du livre apocryphe des constitutions apostoliques où elle se trouve expressément.... C'est sur ces fondemens que Gregoire VII. prétendoit en général que, suivant le bon ordre, c'étoit l'Eglise qui devoit distribuer les couronnes, & juger les souverains ; & en particulier il prétendoit que tous les princes chrétiens lui devoient prêter serment de fidélité, & lui payer tribut ". Discours sur l'histoire ecclésiastique, depuis l'an 600 jusqu'à l'an 1100, n°. xvij. & xviij.

Ces prétentions ont paru trop excessives aux théologiens ultramontains eux-mêmes ; ils se sont contentés de soutenir la puissance indirecte du pape sur le temporel des rois. Bellarmin appuie cette opinion de raisonnemens & de faits. Les principaux raisonnemens qu'il emploie se réduisent à ceux-ci. 1°. Que la puissance civile est soumise à la puissance spirituelle, quand l'une & l'autre font partie de la république chrétienne ; & par conséquent que le prince spirituel doit dominer sur le prince temporel, & disposer de ses états pour le bien spirituel, par la raison que tout supérieur peut commander à son inférieur. 2°. Que la fin de la puissance temporelle est subordonnée à la fin de la puissance spirituelle, la fin de l'une étant la félicité temporelle des peuples, & l'autre ayant pour fin leur félicité éternelle ; d'où il conclut que la premiere doit être soumise & céder à la seconde. 3°. Que les rois & les pontifes, les clercs & les laïques ne font pas deux républiques ; mais une seule, un seul corps qui est l'Eglise. Or, ajoute-t-il, dans quelque corps que ce soit, les membres dépendent de quelque chef principal ; on convient que la puissance spirituelle ne dépend pas de la temporelle ; c'est donc celle-ci qui dépend de l'autre. 4°. Si l'administration temporelle empêche le bien spirituel, le prince est tenu de la changer, & l'Eglise a droit de l'y contraindre ; car elle doit avoir toute la puissance nécessaire pour procurer ce bien spirituel : or la puissance de disposer du temporel des rois est quelquefois nécessaire pour cet effet, autrement les princes impies pourroient impunément favoriser les hérétiques, renverser la religion, &c. 5°. Il n'est pas permis aux Chrétiens de tolerer un roi infidele ou hérétique, s'il s'efforce de pervertir ses sujets. Or, il n'appartient qu'au pape ou à l'Eglise de juger s'il abuse ainsi de sa puissance ; & par conséquent c'est au pape ou à l'Eglise à décider s'il doit être déposé ou reconnu pour légitime souverain. 6°. Quand les princes ou les rois se convertissent au christianisme, on ne les reçoit que sous la condition expresse ou tacite de se soumettre à Jesus-Christ, & de défendre sa religion ; on peut donc les priver de leurs états, s'ils manquent à la remplir. 7°. Quand Jesus-Christ a confié à S. Pierre & à ses successeurs le soin de son troupeau, il lui a accordé le pouvoir de le défendre contre les loups, c'est-à-dire les hérétiques & les infideles ; or la puissance temporelle est nécessaire à cet effet. 8°. Les princes séculiers exercent leur pouvoir sur des choses spirituelles en faisant des loix sur ce qui concerne le culte de Dieu, l'administration des sacremens, la décence du service divin ; l'Eglise peut donc également exercer sa puissance sur les choses temporelles lorsqu'elle le juge nécessaire pour la défense & la conservation de la religion.

Tous ces raisonnemens de Bellarmin, ou sont de purs sophismes qui supposent ce qui est en question, ou partent de principes évidemment faux. Car 1°. de ce que l'Eglise peut exercer sa jurisdiction spirituelle sur la personne des rois en tant que fideles, s'ensuit-il qu'elle ait quelqu'autorité sur eux en tant qu'ils sont rois ? Est-ce en cette qualité qu'ils lui sont inférieurs ? 2°. La fin que se propose chaque puissance est bien différente l'une de l'autre, leurs limites sont distinguées, & elles sont parfaitement indépendantes chacune dans son genre. 3°. L'Eglise n'est qu'un seul corps, mais auquel la puissance temporelle n'appartient pas ; le pouvoir que lui a confié Jesus-Christ est purement spirituel ; & comme l'empire ne doit point empiéter sur les droits du sacerdoce, le sacerdoce ne doit point usurper ceux de l'empire. 4°. L'Eglise a droit de contraindre les princes à procurer le bien de la religion, en employant les conseils, les exhortations, même les peines spirituelles si elles sont absolument nécessaires ; mais s'ensuit-il de-là qu'elle puisse les déposer & les priver de leurs états ? Sont-ce-là les armes qu'elle a employées contre les persécutions des empereurs payens ? 5°. On convient qu'il n'est pas permis de tolérer un prince impie & hérétique, c'est-à-dire de servir son impiété, de soutenir son erreur ; mais ces vices ne lui ôtent point sa souveraineté, & ne dispensent point ses sujets de l'obéissance qui lui est due quant au temporel ; les premiers fideles toléroient en ce sens les Nérons & les Dioclétiens ; non par foiblesse, comme le prétend Bellarmin, mais par principe de conscience, parce qu'ils étoient persuadés qu'en aucun cas la révolte n'est permise à des sujets. 6°. La condition que suppose Bellarmin dans la soumission des princes à l'Eglise, est une pure chimere : ils se soumettent aux peines spirituelles que l'Eglise peut décerner contre tous ses enfans, du nombre desquels sont les princes ; mais ils tiennent leur puissance temporelle immédiatement de Dieu ; c'est à lui seul qu'ils en sont comptables. 7°. Jesus-Christ n'a donné à S. Pierre & à ses successeurs, en qualité de chef de l'Eglise, que la puissance spirituelle pour préserver leur troupeau de la contagion de l'erreur. 8°. Les princes sont les protecteurs de l'Eglise & ses défenseurs ; mais ils n'ont pas pour cela de pouvoir sur le spirituel ; l'Eglise n'en a donc pas davantage sur leur temporel, quoiqu'elle fasse des loix contre ceux qui refusent d'obéir à leurs légitimes souverains.

Le même auteur accumule différens faits, tels que la conduite de S. Ambroise à l'égard de Théodose ; le privilege accordé par S. Grégoire le grand au monastere de S. Médard de Soissons ; l'exemple de Grégoire II. qui défendit aux peuples d'Italie de payer les tributs accoutumés à l'empereur LÉon, surnommé Brise-images, que ce pontife avoit excommunié ; la déposition de Childeric, de Wamba roi des Goths, des empereurs Louis le Débonnaire & Henri IV. Frédéric II. & Louis de Baviere, &c. mais tous ces faits ne concluent rien, parce que ce sont autant d'usurpations manifestes de la puissance pontificale sur l'autorité temporelle ; d'ailleurs Bellarmin les rapporte souvent d'une maniere infidele, contraire à la narration des auteurs contemporains ; il les tourne à l'avantage de sa cause d'une maniere qui toute subtile qu'elle est, fait peu d'honneur ou à son jugement, ou à sa bonne foi. Consultez sur ces faits la défense de la déclaration du clergé par M. Bossuet, & imprimée en 1728.

L'Eglise gallicane qui dans tous les siecles ne s'est pas moins distinguée par sa vénération envers le saint-siege, que par sa fidélité pour les souverains, s'est constamment opposée à cette doctrine des ultramontains ; ses théologiens établissent le sentiment contraire sur les autorités les plus respectables, & sur les raisonnemens les plus solides. Le premier principe dont ils partent, est que la puissance que Jesus-Christ a donnée à ses apôtres & à leurs successeurs, est une puissance purement spirituelle, & qui ne se rapporte qu'au salut éternel. En effet, les ministres de la religion n'ont, en vertu de l'institution divine, d'autre autorité que celle dont Jesus-Christ-même étoit dépositaire en qualité de médiateur : Comme mon Pere m'a envoyé, leur dit-il, je vous envoie aussi de même. Joan. xx. 21. Or le Sauveur du monde, considéré comme médiateur, n'avoit aucun pouvoir sur le temporel des princes. Ses discours & ses actions concourent à le démontrer. Interrogé par Pilate s'il est vrai qu'il se croit roi des Juifs, il proteste qu'il n'a aucun pouvoir sur le temporel des rois, qu'il ne vient pas pour détruire les états des princes de la terre : mon royaume, répond-il, n'est point de ce monde ; si mon royaume étoit de ce monde, mes sujets combattroient pour empêcher qu'on ne me livrât aux Juifs : mais mon royaume n'est point d'ici, ibid. 36. Le magistrat romain insiste, vous êtes donc roi, ibid. 37. oui, lui dit Jesus-Christ, vous le dites, je suis roi, c'est pour cela que je suis né, & que je suis venu dans le monde, afin de rendre témoignage à la vérité. Quiconque appartient à la vérité écoute ma voix. Pouvoit-il marquer plus précisément que sa royauté ne s'étendoit que sur des choses spirituelles, qu'il étoit roi d'un royaume tout divin & tout céleste que son Pere alloit former par sa prédication & par celle de ses apôtres dans tout l'univers. Lui-même pendant sa vie mortelle se soumet à l'empire des Césars, & leur paye le tribut. Si le peuple, épris de ses miracles, veut le faire roi, il prend la fuite pour se soustraire à leurs sollicitations. Un homme lui propose d'être arbitre entre son frere & lui au sujet d'une succession qui lui étoit échue, il lui répond que ce n'est point à lui à juger des choses temporelles, qu'il s'adresse à ceux qui ont ce pouvoir : O homme, qui m'a établi pour vous juger, & pour faire vos partages ? Luc. xij. 14. Il recommande également l'obéissance qu'on doit aux Césars, comme celle qu'on doit à Dieu.

Mais, dira-t-on, si Jesus-Christ n'a pas lui-même exercé cette puissance, peut-être l'a-t-il accordée à ses apôtres, c'est ce dont on ne trouve nulle trace dans l'Ecriture ; toute la puissance que Jesus-Christ accorde à ses apôtres, se réduit au pouvoir d'annoncer l'Evangile, de baptiser, de lier ou de délier les péchés, de consacrer l'Eucharistie, d'ordonner les ministres ; en un mot, de conférer tous les sacremens, de lancer l'excommunication, ou d'infliger d'autres peines canoniques contre ceux qui se révolteroient contre les loix de l'Eglise ; enfin il leur déclare expressément que leur ministere est un ministere de paix, de charité, de douceur, de persuasion, qu'il n'a rien de commun avec la domination que les princes temporels exercent sur leurs sujets. Reges gentium dominantur eorum, vos autem non sic. Luc. xxij. 25.

Leur second principe est que l'Eglise ne peut changer ni détruire ce qui est de droit divin. Or telle est d'une part la puissance des souverains sur leurs peuples, & d'une autre l'obeissance que les peuples doivent à leurs souverains. Ces deux vérités se trouvent également établies par ces paroles de S. Paul : toute personne vivante doit être soumise aux puissances souveraines ; car il n'y a point de puissance qui ne vienne de Dieu, & celles qui sont, sont ordonnées de Dieu ; ainsi qui résiste à la puissance, résiste à l'ordre de Dieu. Rom. xiij. 1. La seconde ne l'est pas moins évidemment par ce que dit S. Pierre : soyez soumis à toute créature humaine à cause de Dieu, soit au roi comme au plus excellent, soit aux chefs comme envoyés par ses ordres, & dépositaires de son autorité. Epît. I. c. ij. 13. C'étoit de Néron & des empereurs payens que les apôtres parloient de la sorte. Si la révolte eût jamais pû être colorée de quelque prétexte, c'eût été sans-doute de celui de défendre la religion contre ses persécuteurs ; mais les premiers fideles ne surent jamais qu'obéir & mourir.

La tradition n'est pas moins formelle sur ce point que l'Ecriture. Tous les docteurs de l'Eglise enseignent 1°. que la puissance séculiere vient immédiatement de Dieu, & ne dépend que de lui seul. Christianus, disoit Tertullien, nullius est hostis nedum imperatoris quem sciens à Deo suo constitui, necesse est ut & ipsum diligat & revereatur & honoret & salvum velit. Colimus ergo imperatorem sic quomodo & nobis licet, & ipsi expedit ut hominem à Deo secundum, & quidquid est à Deo consecutum & solo Deo minorem, lib. ad scapul. c. ij. Optat. l. III. contr. Parmenian. super imperatorem non est uni solus Deus qui fecit imperatorem ; & S. Augustin, lib. V. de civit. Dei, cap. xxj. non tribuamus dandi regni atque imperii potestatem, nisi Deo vero.

2°. Qu'on doit obéir aux princes, même quand ils abusent visiblement de leur puissance, & qu'il n'est jamais permis à leurs sujets de prendre les armes contre eux : Neque tunc, dit S. Augustin en parlant des persécutions des empereurs païens, civitas Christi adversus impios persecutores pro salute temporali pugnavit. Ligabantur, caedebantur, includebantur, urebantur, torquebantur.... non erat eis pro salute pugnare nisi salutem pro salvatore contemnere. de civit. Dei, lib. II. cap. v. & sur le Ps. cxxiv. le même pere s'exprime ainsi : Julianus extitit infidelis imperator.... milites christiani servierunt imperatori infideli. Ubi veniebatur ad causam Christi, non agnoscebant nisi illum qui in coelo erat. Si quando volebat ut idola colerent, ut thurificarent, praeponebant illi Deum : quando autem dicebat, producito aciem, ite contra illam gentem, statim obtemperabant. Distinguebant Dominum aeternum à domino temporali, & tamen subditi erant propter Dominum aeternum etiam domino temporali. S. Jérôme, S. Ambroise, S. Athanase, S. Grégoire de Nazianze, Tertullien & les autres apologistes de la religion tiennent le même langage.

3°. Que comme les princes ont reçu de Dieu le glaive matériel pour exercer la justice vindicative, & contenir les méchans ; l'Eglise n'a reçu qu'un glaive spirituel, pour exercer sa puissance sur les ames. Pacificos vult Christus esse suos discipulos, dit Origene sur le chap. xvj. de S. Matthieu, ut bellicum gladium deponentes, alterum pacificum accipiant gladium quem dicit scriptura gladium spiritus : & S. Chrysostôme, rex habet arma sensibilia, sacerdos arma spiritualia.

Mais n'est-il pas permis au-moins à l'Eglise de se servir du glaive matériel, quand la religion est en péril & pour sa défense ? Voici ce qu'en pensoit Lactance : Non est opus vi & injuriâ, quia religio cogi non potest.... defendenda est non occidendo sed moriendo, non saevitiâ sed patientiâ, non scelere sed fide, lib. V. divin. institut.

Il est presqu'inconcevable qu'après une doctrine si fondée & si publique, il ait pû se trouver des théologiens qui ayent soutenu les prétentions des papes ou même de l'Eglise sur le temporel des rois : l'indépendance des deux puissances & leurs limites n'étoient-elles pas assez marquées ?

Les souverains pontifes eux-mêmes avoient reconnu cette vérité. " Il y a deux puissances, dit le pape Gélase I. écrivant à l'empereur Anastase, qui gouvernent le monde ; l'autorité des pontifes & la puissance royale.... sachez que quoique vous présidiez au genre humain dans les choses temporelles, vous devez cependant être soumis aux ministres de Dieu dans tout ce qui concerne la religion : car si les évêques se soumettent aux loix que vous faites touchant le temporel, parce qu'ils reconnoissent que vous avez reçu de Dieu le gouvernement de l'empire, avec quelle affection ne devez-vous pas obéir à ceux qui sont préposés pour l'administration des saints mysteres ? tome IV. des concil. ". Innocent III. cap. per venerabilem, dit expressément, que le roi de France ne reconnoît point de supérieur pour le temporel : & Clément V. déclare que la bulle unam sanctam de Boniface VIII. ne donne à l'Eglise romaine aucun nouveau droit sur le roi, ni sur le royaume de France. Dira-t-on que ces pontifes si éclairés ignoroient ou négligeoient leurs droits ?

La doctrine des ultramontains est donc diamétralement opposée à celle de l'Ecriture, des peres & des papes mêmes ; il y a plus, elle choque manifestement la raison en réduisant même leurs prétentions au pouvoir indirect. Car pour que ce pouvoir fût quelque chose de réel, il faudroit ou que le pouvoir des clés eût par lui-même la force de dépouiller immédiatement dans le cas de besoin non-seulement des biens célestes, mais encore des biens temporels ; ou que la privation des biens spirituels, effet immédiat & naturel du pouvoir des clés, emportât par sa nature, dans le cas de nécessité, la privation même des biens temporels. Or ni l'une ni l'autre de ces suppositions ne peut être admise. 1°. L'effet propre & unique du pouvoir des clés, même dans les circonstances les plus pressantes, se borne au dépouillement des biens spirituels. Si votre frere n'écoute pas l'Eglise, dit Jesus-Christ, Matth. xviij. vers. 17. qu'il soit à votre égard comme un païen & un publicain ; c'est-à-dire, ne le regardez plus comme une personne qui puisse vivre en société de religion avec vous, ne l'admettez ni aux prieres communes, ni à la participation des sacremens, ni à l'entrée de l'église, ni à la sépulture chrétienne. Voilà précisément à quoi se réduisent les effets les plus rigoureux de la puissance ecclésiastique. Les saints docteurs n'en ont jamais reconnu d'autres, & toutes les fois que cette séverité n'a point produit ce qu'on en espéroit, l'Eglise n'a eu recours qu'aux larmes, aux prieres & aux gémissemens. 2°. Il est faux que la privation juridique des biens spirituels emporte par sa propre efficace, dans le cas d'une nécessité pressante, le dépouillement des biens temporels. L'Eglise n'a jamais admis ce principe, & il est même impossible de le recevoir. Car la séverité la plus rigoureuse de la puissance ecclésiastique ne peut s'étendre qu'au dépouillement des biens que l'on a comme fidele, & il est constant d'ailleurs qu'on ne possede pas les biens terrestres à titre de chrétien, mais à titre de citoyen, qualité qui ne donne aucun lieu à la jurisdiction ecclésiastique.

Enfin on regarde avec raison cette doctrine comme dangereuse, capable de troubler la tranquillité des états, & de renverser les fondemens de la société. En effet les conséquences de ces principes sont affreuses ; en les suivant, " un roi déposé n'est plus un roi, dit M. l'abbé Fleury ; donc s'il continue à se porter pour roi, c'est un tyran, c'est-à-dire un ennemi public, à qui tout homme doit courir sus. Qu'il se trouve un fanatique qui ayant lu dans Plutarque la vie de Timoléon ou de Brutus, se persuade que rien n'est plus glorieux que de délivrer sa patrie ; ou qui prenant de travers les exemples de l'Ecriture, se croye suscité comme Aod ou comme Judith, pour affranchir le peuple de Dieu. Voilà la vie de ce prétendu tyran exposée au caprice de ce visionnaire, qui croira faire une action héroïque & gagner la couronne du martyre. Il n'y en a par malheur, continue cet écrivain, que trop d'exemples dans l'histoire des derniers siecles ". Discours sur l'hist. ecclésiast. depuis l'an 600 jusqu'à l'an 1100, n °. 18.

C'est donc à juste titre que les plus célebres universités, & entr'autres la faculté de Paris, & les églises les plus florissantes, telles que celles d'Allemagne, d'Angleterre & d'Espagne, ont proscrit cette doctrine comme dangereuse. De tout tems l'église gallicane l'a rejettée ou combattue, mais sur-tout par la fameuse déclaration du clergé en 1682, sur laquelle on peut consulter l'ouvrage de M. Dupin, & celui de M. Bossuet dont nous avons déja parlé.


TEMPYRA(Géog. anc.) passage étroit dans la Thrace, aux confins des Aenii du côté du septentrion, selon Tite-Live, liv. XXXIII. chap. xlj. Ovide en parle, Trist. eleg. IX. Lib. I.

Inde levi vento Zerynthia littora nactis

Threïciam tetigit fessa carina Samon :

Saltus ab hac terrâ brevis est Tempyra petenti.

Cellarius, géogr. ant. liv. II. c. xv. croit que c'est le Temporum de l'itinéraire d'Antonin. (D.J.)


TEMSS. m. (Métaphysique) succession de phénomenes dans l'univers, ou mode de durée marqué par certaines périodes & mesures, & principalement par le mouvement & par la révolution apparente du soleil. Voyez MODE & DUREE.

Voici les différentes opinions des philosophes sur le tems.

M. Locke observe que l'idée du tems en général s'acquiert en considérant quelque partie d'une durée infinie, divisée par des mesures périodiques ; & l'idée de quelque tems particulier ou de longueur de durée, comme est un jour, une heure, &c. s'acquiert d'abord en remarquant certains corps qui se meuvent suivant des périodes régulieres, &, à ce qu'il semble, également distantes les unes des autres.

Comme nous pouvons nous représenter ou répéter tant que nous voulons ces longueurs ou mesures de tems, nous pouvons aussi nous imaginer une durée, dans laquelle rien ne se passe ou n'existe réellement, &c. c'est ainsi que nous nous formons l'idée de ce qu'on appelle lendemain, année prochaine, &c.

Quelques-uns des philosophes modernes définissent le tems ; la durée d'une chose dont l'existence n'est point sans commencement, ni sans fin ; ce qui distingue le tems de l'éternité. Voyez ÉTERNITE.

Aristote & les Péripatéticiens définissent le tems, numerus motûs secundum prius & posterius ; ou une multitude de parties de mouvement qui passent & se succedent les unes des autres dans un flux continuel, & qui ont rapport ensemble entant que les unes sont antérieures & les autres postérieures.

Il s'ensuivroit de-là que le tems n'est autre chose que le mouvement lui-même, ou du-moins la durée du mouvement, considéré comme ayant plusieurs parties, dont les unes succedent continuellement aux autres ; mais, suivant ce principe, le tems ou la durée temporelle n'auroient pas lieu par rapport aux corps qui ne sont point en mouvement ; cependant personne ne peut nier que ces corps n'existent dans le tems, ou qu'ils n'ayent une durée successive.

Pour éviter cet inconvénient, les Epicuriens & les Corpusculaires définissent le tems, une sorte de flux ou de succession différant du mouvement, & consistant dans une infinité de parties qui se succedent continuellement & immédiatement les unes aux autres ; mais d'autres philosophes rejettent cette notion, comme établissant un être éternel indépendant de Dieu : en effet, comment concevoir un tems avant l'existence de choses qui soient susceptibles de flux ou de succession ? & d'ailleurs il faudroit dire ce que c'est que ce flux, si c'est une substance ou un accident.

Plusieurs philosophes distinguent le tems comme on distingue le lieu, en tems absolu & en tems relatif. Voyez LIEU.

Le tems absolu est le tems considéré en lui-même, sans aucun rapport aux corps, ni à leurs mouvemens ; ce tems s'écoule également, c'est-à-dire qu'il ne va jamais ni plus vîte, ni plus lentement, mais que tous les degrés de son écoulement, si on peut parler ainsi, sont égaux ou invariables.

Le tems relatif ou apparent est la mesure de quelque durée, rendue sensible par le moyen du mouvement. Comme le flux égal & uniforme du tems n'affecte point nos sens, & que dans ce flux il n'y a rien qui puisse nous faire connoître immédiatement le tems même, il faut de nécessité avoir recours à quelque mouvement, par lequel nous puissions déterminer la quantité du tems, en comparant les parties du tems à celles de l'espace que le mobile parcourt. C'est pourquoi, comme nous jugeons, que les tems sont égaux, quand ils s'écoulent pendant qu'un corps qui est en mouvement uniforme parcourt des espaces égaux, de même nous jugeons que les tems sont égaux quand ils s'écoulent pendant que le soleil, la lune & les autres luminaires célestes achevent leurs révolutions ordinaires, qui, à nos sens, paroissent uniformes. Voyez MOUVEMENT & UNIFORME.

Mais comme l'écoulement du tems ne peut être accéleré ni retardé, au-lieu que tous les corps se meuvent tantôt plus vîte, & tantôt plus doucement, & que peut-être il n'y a point de mouvement parfaitement uniforme dans la nature, quelques auteurs croyent qu'on ne peut conclure que le tems absolu est quelque chose de réellement & effectivement distingué du mouvement : car en supposant pour un moment, que les cieux & les astres eussent été sans mouvement depuis la création, s'ensuit-il de-là que le cours du tems auroit été arrêté ou interrompu ? & la durée de cet état de repos n'auroit-elle point été égale au tems qui s'est écoulé depuis la création ?

Comme le tems absolu est une quantité qui coule d'une maniere uniforme & qui est très-simple de sa nature, les Mathématiciens le représentent à l'imagination par les plus simples grandeurs sensibles, & en particulier par des lignes droites & par des cercles, avec lesquels le tems absolu paroît avoir beaucoup d'analogie pour ce qui regarde la succession, la similitude des parties, &c.

A la vérité, il n'est pas absolument nécessaire de mesurer le tems par le mouvement ; car le retour constant & périodique d'une chose qui arrive ou se manifeste par intervalles également éloignés les uns des autres, comme par exemple, l'épanouissement d'une plante, &c. peuvent faire la même chose. En effet, M. Locke fait mention d'un peuple de l'Amérique, lequel a coutume de compter les années par l'arrivée & par le départ des oiseaux. Chambers.

Voici ce que pense sur la notion du tems M. Formey dans l'article qu'il nous a communiqué sur ce sujet. Il en est, dit-il, à-peu-près de la notion du tems comme de celle de l'espace. On est partagé sur la réalité. Cependant il y a beaucoup moins de partisans du tems réel, que de l'espace réel, & l'on convient assez généralement que la durée n'est que l'ordre des choses successives en tant qu'elles se succedent, en faisant abstraction de toute autre qualité interne que de la simple succession. Ce qui fait naître la succession confuse & imaginaire du tems, comme de quelque chose qui existe indépendamment des êtres successifs, c'est la possibilité idéale.

On se figure le tems comme un être composé de parties continues & successives, qui coule uniformément, qui subsiste indépendamment des choses qui existent dans le tems qui a été dans un flux continuel de toute éternité & qui continuera de même. Mais cette notion du tems conduit aux mêmes difficultés que celle de l'espace absolu, c'est-à-dire que, selon cette notion, le tems seroit un être nécessaire, immuable, éternel, subsistant par lui-même, & que par conséquent tous les attributs de Dieu lui conviendroient. C'est ce que nous avons déja observé.

Par la possibilité idéale du tems, nous pouvons effectivement concevoir une succession antérieure à la succession réelle, pendant laquelle il se seroit écoulé un tems assignable. C'est de cette idée qu'on se forme du tems qu'est venue la fameuse question que M. Clarke faisoit à M. Leibnitz, pourquoi Dieu n'avoit pas créé le monde six mille ans plus tôt ou plus tard ? M. Leibnitz n'eut pas de peine à renverser cette objection du docteur anglois, & son opinion sur la nature du tems par le principe de la raison suffisante ; il n'eut besoin pour y parvenir que de l'objection même de M. Clarke sur la création. Car si le tems est un être absolu qui consiste dans un flux uniforme, la question pourquoi Dieu n'a pas créé le monde six mille ans plus tôt ou plus tard devient réelle, & force à reconnoître qu'il est arrivé quelque chose sans raison suffisante. En effet, la même succession des êtres de l'univers étant conservée, Dieu pouvoit faire commencer le monde plus tôt ou plus tard, sans causer le moindre dérangement. Or, puisque tous les instans sont égaux, quand on ne fait attention qu'à la simple succession, il n'y a rien en eux qui eût pû faire préférer l'un à l'autre, dès qu'aucune diversité ne seroit parvenue dans le monde par ce choix ; ainsi un instant auroit été choisi par Dieu préférablement à un autre, pour donner l'existence à ce monde sans raison suffisante ; ce qu'on ne peut point admettre.

Le tems n'est donc qu'un être abstrait qui n'est rien hors des choses, & qui n'est point par conséquent susceptible des propriétés que l'imagination lui attribue : voici comment nous arrivons à sa notion. Lorsque nous faisons attention à la succession continue de plusieurs êtres, & que nous nous représentons l'existence du premier A distincte de celle du second B, & celle du second B distincte de celle du troisieme C, & ainsi de suite, & que nous remarquons que deux n'existent jamais ensemble ; mais que A ayant cessé d'exister, B lui succede aussi-tôt, que B ayant cessé, C lui succede, &c. nous nous formons la notion de cet être que nous appellons tems ; & en tant que nous rapportons l'existence d'un être permanent à ces êtres successifs, nous disons qu'il a duré un certain tems.

On dit donc qu'un être dure, lorsqu'il co-existe à plusieurs autres êtres successifs dans une suite continue. Ainsi la durée d'un être devient explicable & commensurable par l'existence successive de plusieurs autres êtres ; car on prend l'existence d'un seul de ces êtres successifs pour un, celle de deux pour deux, & ainsi des autres ; & comme l'être qui dure leur co-existe à tous, son existence devient commensurable par l'existence de tous ces êtres successifs. On dit, par exemple, qu'un corps emploie du tems à parcourir un espace, parce qu'on distingue l'existence de ce corps dans un seul point, de son existence dans tout autre point ; & on remarque que ce corps ne sauroit exister dans le second point, sans avoir cessé d'exister dans le premier, & que l'existence dans le second point suit immédiatement l'existence dans le premier. Et en tant qu'on assemble ces diverses existences & qu'on les considere comme faisant un, on dit que ce corps emploie du tems pour parcourir une ligne. Ainsi le tems n'est rien de réel dans les choses qui durent ; mais c'est un simple mode ou rapport extérieur, qui dépend uniquement de l'esprit, en tant qu'il compare la durée des êtres avec le mouvement du soleil, & des autres corps extérieurs, ou avec la succession de nos idées. Car lorsqu'on fait attention à l'enchaînement des idées de notre ame, on se représente en même tems le nombre de toutes ces idées qui se succedent ; & de ces deux idées, savoir de l'ordre de leur succession & de leur nombre, on se forme une troisieme idée, qui nous représente le tems comme une grandeur qui s'augmente continuellement.

L'esprit ne considere donc dans la notion abstraite du tems, que les êtres en général ; & abstraction faite de toutes les déterminations que ces êtres peuvent avoir, on ajoute seulement à cette idée générale, qu'on en a retenu celle de leur non-co-existence, c'est-à-dire, que le premier & le second ne peuvent point exister ensemble, mais que le second suit le premier immédiatement, & sans qu'on en puisse faire exister un autre entre deux, faisant encore ici abstraction des raisons internes, & des causes qui les font succéder l'un à l'autre. De cette maniere l'on se forme un être idéal, que l'on fait consister dans un flux uniforme, & qui doit être semblable dans toutes ses parties.

Cet être abstrait doit nous paroître indépendant des choses existantes, & subsistant par lui-même. Car puisque nous pouvons distinguer la maniere successive d'exister des êtres, de leurs déterminations internes, & des causes qui font naître cette succession, nous devons regarder le tems à part comme un être constitué hors des choses, capable de subsister sans elles. Et comme nous pouvons aussi rendre à ces déterminations générales les déterminations particulieres, qui en font des êtres d'une certaine espece, il nous doit sembler que nous faisons exister quelque chose dans cet être successif qui n'existoit point auparavant, & que nous pouvons de nouveau l'ôter sans détruire cet être. Le tems doit aussi nécessairement être considéré comme continu ; car si deux êtres successifs A & B ne sont pas censés continus dans leur succession, on en pourra placer un ou plusieurs entre deux, qui existeront après que A aura existé, & avant que B existe. Or par-là même on admet un tems entre l'existence successive d'A & de B. Ainsi on doit considérer le tems comme continu. Toutes ces notions peuvent avoir leur usage, quand il ne s'agit que de la grandeur de la durée & de composer les durées de plusieurs êtres ensemble. Comme dans la Géométrie on n'est occupé que de ces sortes de considérations, on peut fort bien mettre alors la notion imaginaire à la place de la notion réelle. Mais il faut bien se garder dans la Métaphysique & dans la Physique de faire la même substitution ; car alors on tomberoit dans les difficultés de faire de la durée un être éternel, & de lui donner tous les attributs de Dieu.

Le tems n'est donc autre chose que l'ordre des êtres successifs, & on s'en forme une idée en tant qu'on ne considere que l'ordre de leur succession. Ainsi il n'y a point de tems sans des êtres véritables & successifs, rangés dans une suite continue ; & il y a du tems, aussi-tôt qu'il existe de tels êtres. Mais cette ressemblance dans la maniere de se succéder des êtres, & cet ordre qui naît de leur succession, ne sont pas ces choses elles-mêmes.

Il en est du tems comme du nombre, qui n'est pas les choses nombrées, & du lieu, qui n'est pas les choses placées dans ce lieu : le nombre n'est qu'un aggrégé des mêmes unités, & chaque chose devient une unité, quand on considere le tout simplement comme un être ; ainsi le nombre n'est qu'une relation d'un être considéré à l'égard de tous ; & quoiqu'il soit différent des choses nombrées, cependant il n'existe actuellement qu'en tant qu'il existe des choses qu'on peut réduire comme des unités sous la même classe. Ces choses posées, on pose un nombre, & quand on les ôte, il n'y en a plus. De même le tems, qui n'est que l'ordre des successions continues, ne sauroit exister, à-moins qu'il n'existe des choses dans une suite continue ; aussi il y a du tems lorsque ces choses sont, & on l'ôte, quand on ôte ces choses ; & cependant il est, comme le nombre, différent de ces choses qui se suivent dans une suite continue. Cette comparaison du tems & du nombre peut servir à se former la véritable notion du tems, & à comprendre que le tems, de même que l'espace, n'est rien d'absolu hors des choses.

Quant à Dieu, on ne peut pas dire qu'il est dans le tems, car il n'y a point de succession en lui, puisqu'il ne peut lui arriver de changement. Dieu est toujours le même, & ne varie point dans sa nature. Comme il est hors du monde, c'est-à-dire, qu'il n'est point lié avec les êtres dont l'union constitue le monde, il ne co-existe point aux êtres successifs comme les créatures. Ainsi sa durée ne peut se mesurer par celle des êtres successifs ; car quoique Dieu continue d'exister pendant le tems, comme le tems n'est que l'ordre de la succession des êtres, & que cette succession est immuable par rapport à Dieu, auquel toutes les choses avec tous leurs changemens sont présentes à la fois, Dieu n'existe point dans le tems. Dieu est à la fois tout ce qu'il peut être, au lieu que les créatures ne peuvent subir que successivement les états dont elles sont susceptibles.

Le tems actuel n'étant qu'un ordre successif dans une suite continue, on ne peut admettre de portion du tems, qu'en tant qu'il y a eu des choses réelles qui ont existé & cessé d'exister ; car l'existence successive fait le tems, & un être qui co-existe au moindre changement actuel dans la nature, a duré le petit tems actuel ; & les moindres changemens, par exemple, les mouvemens des plus petits animaux, désignent les plus petites parties actuelles du tems dont nous puissions nous appercevoir.

On représente ordinairement le tems par le mouvement uniforme d'un point qui décrit une ligne droite, & on le mesure aussi par le mouvement uniforme d'un objet. Le point est l'état successif, présent successivement à différens points, & engendrant par sa fluxion une succession continue, à laquelle nous attachons l'idée du tems. Le mouvement uniforme d'un objet mesure le tems ; car lorsque ce mouvement a lieu, le mobile parcourt, par exemple, un pié dans le même tems, dans lequel il en a parcouru un premier pié : donc la durée des choses qui co-existent au mobile pendant qu'il parcourt un pié, étant prise pour un, la durée de celles qui coexisteront à son mouvement pendant qu'il parcourra deux piés sera deux, & ainsi de suite ; ensorte que par-là le tems devient commensurable, puisqu'on peut assigner la raison d'une durée à une autre durée qu'on avoit prise pour l'unité ; ainsi dans les horloges l'aiguille se meut uniformément dans un cercle, & la douzieme partie de la circonférence de ce cercle fait unité, & l'on mesure le tems avec cette unité, en disant deux heures, trois heures, &c. De même on prend une année pour un, parce que les révolutions du soleil dans l'écliptique sont égales, au-moins sensiblement, & on s'en sert pour mesurer d'autres durées par rapport à cette unité. On connoît les efforts que les Astronomes ont faits pour trouver un mouvement uniforme qui les mît à portée d'en mesurer exactement le tems, & c'est ce que M. Huyghens a trouvé par le moyen des pendules. Voyez PENDULE, &c.

Comme ce sont nos idées qui nous représentent les êtres successifs, la notion du tems naît de la succession de nos idées, & non du mouvement des corps extérieurs ; car nous aurions une notion du tems, quand même il n'existeroit autre chose que notre ame, & en tant que les choses qui existent hors de nous sont conformes aux idées de notre ame qui les représentent, elles existent dans le tems.

Le mouvement est si loin de nous donner par lui-même l'idée de la durée, comme quelques philosophes l'ont prétendu, que nous n'acquérons même l'idée du mouvement, que par la réflexion que nous faisons sur les idées successives, que le corps qui se meut excite dans notre esprit par sa co-existence successive aux différens êtres qui l'environnent. Voilà pourquoi nous n'avons point l'idée du mouvement, en regardant la lune ou l'aiguille d'une montre, quoique l'une & l'autre soit en mouvement ; car ce mouvement est si lent, que le mobile paroît dans ce même point pendant que nous avons une longue succession d'idées. Le tems bien loin d'être la même chose que le mouvement, n'en dépend donc à aucun égard. Tant qu'il y aura des êtres dont l'existence se succédera, il y aura nécessairement un tems, soit que les êtres se meuvent ou qu'ils soient en repos.

Il n'y a point de mesure du tems exactement juste. Chacun a sa mesure propre du tems dans la promtitude ou la lenteur avec laquelle ses idées se succedent, & c'est de ces différentes vîtesses en diverses personnes, ou dans la même en divers tems, que naissent ces façons de parler, j'ai trouvé le tems bien long ou bien court ; car le tems nous paroît long, lorsque les idées se succedent lentement dans notre esprit, & au contraire. Les mesures du tems sont arbitraires, & peuvent varier chez les différens peuples ; la seule qui soit universelle, c'est l'instant. Lisez sur la mesure du tems les écrits de Messieurs Leibnitz & Clarke, dans le recueil de diverses pieces, publié par M. des Maizeaux ; le tome I. chap. vj. des institutions de physique de Madame du Châtelet ; & les paragraphes 569. 587. de l'ontologie de M. Wolf. Article de M. FORMEY.

Quelques auteurs distinguent le tems en astronomique & civil.

Le tems astronomique est celui qui se mesure purement & simplement par le mouvement des corps célestes.

Le tems civil n'est autre chose que le tems astronomique, accommodé aux usages de la société civile, & divisé en années, mois, jours, &c. Voyez JOUR, SEMAINE, MOIS, ANNEE, &c. Voyez aussi ALMANACH, CALENDRIER, &c.

Le tems fait l'objet de la chronologie. Voyez CHRONOLOGIE.

On distingue aussi dans l'Astronomie le tems vrai ou apparent, & le tems moyen ; on en peut voir l'explication à l'article ÉQUATION DU TEMS. Chambers.

TEMS, s. m. (Gramm.) les Grammairiens, si l'on veut juger de leurs idées par les dénominations qui les désignent, semblent n'avoir eu jusqu'à présent que des notions bien confuses des tems en général & de leurs différentes especes. Pour ne pas suivre en aveugle le torrent de la multitude, & pour n'en adopter les décisions qu'en connoissance de cause, qu'il me soit permis de recourir ici au flambeau de la Métaphysique ; elle seule peut indiquer toutes les idées comprises dans la nature des tems, & les différences qui peuvent en constituer les especes : quand elle aura prononcé sur les points de vue possibles, il ne s'agira plus que de les reconnoître dans les usages connus des langues, soit en les considérant d'une maniere générale, soit en les examinant dans les différens modes du verbe.

ART. I. Notion générale des tems. Selon M. de Gamaches (dissert. I. de son Astronomie physique) que l'on peut en ce point regarder comme l'organe de toute l'école cartésienne, le tems est la succession même attachée à l'existence de la créature. Si cette notion du tems a quelque défaut d'exactitude, il faut pourtant avouer qu'elle tient de bien près à la vérité, puisque l'existence successive des êtres est la seule mesure du tems qui soit à notre portée, comme le tems devient à son tour la mesure de l'existence successive.

Cette mobilité successive de l'existence ou du tems, nous la fixons en quelque sorte, pour la rendre commensurable, en y établissant des points fixes caractérisés par quelques faits particuliers : de même que nous parvenons à soumettre à nos mesures & à nos calculs l'étendue intellectuelle, quelque impalpable qu'elle soit, en y établissant des points fixes caractérisés par quelque corps palpable & sensible.

On donne à ces points fixes de la succession de l'existence ou du tems, le nom d'époques (du grec , venu de , morari, arrêter), parce que ce sont des instans dont on arrête, en quelque maniere, la rapide mobilité, pour en faire comme des lieux de repos, d'où l'on observe pour ainsi dire, ce qui co-existe, ce qui précede & ce qui suit. On appelle période, une portion du tems dont le commencement & la fin sont déterminés par des époques : de , circum, & , via ; parce qu'une portion de tems bornée de toutes parts, est comme un espace autour duquel on peut tourner.

Après ces notions préliminaires & fondamentales, il semble que l'on peut dire qu'en général les tems sont les formes du verbe, qui expriment les différens rapports d'existence aux diverses époques que l'on peut envisager dans la durée.

Je dis d'abord que ce sont les formes du verbe, afin de comprendre dans cette définition, non-seulement les simples inflexions consacrées à cet usage, mais encore toutes les locutions qui y sont destinées exclusivement, & qui auroient pu être remplacées par des terminaisons ; ensorte qu'elle peut convenir également à ce qu'on appelle des tems simples, des tems composés ou surcomposés, & même à quantité d'idiotismes qui ont une destination analogue, comme en françois, je viens d'entrer, j'allois sortir, le monde doit finir, &c.

J'ajoute que ces formes expriment les différens rapports d'existence aux diverses époques que l'on peut envisager dans la durée : par-là après avoir indiqué le matériel des tems, j'en caractérise la signification, dans laquelle il y a deux choses à considérer, savoir les rapports d'existence à une époque, & l'époque qui est le terme de comparaison.

§. I. Premiere division générale des TEMS. L'existence peut avoir, en général, trois sortes de rapports à l'époque de comparaison : rapport de simultanéité, lorsque l'existence est coïncidente avec l'époque ; rapport d'antériorité, lorsque l'existence précede l'époque ; & rapport de postériorité, lorsque l'existence succede à l'époque. De-là trois especes générales de tems, les présens, les prétérits & les futurs.

Les présens sont les formes du verbe, qui expriment la simultanéité d'existence à l'égard de l'époque de comparaison. On leur donne le nom de présens, parce qu'ils désignent une existence, qui, dans le tems même de l'époque, est réellement présente, puisqu'elle est simultanée avec l'époque.

Les prétérits sont les formes du verbe, qui expriment l'antériorité d'existence à l'égard de l'époque de comparaison. On leur donne le nom de prétérits, parce qu'ils désignent une existence, qui, dans le tems même de l'époque, est déja passée (praeterita), puisqu'elle est antérieure à l'époque.

Les futurs sont les formes du verbe, qui expriment la postériorité d'existence à l'égard de l'époque de comparaison. On leur donne le nom de futurs, parce qu'ils désignent une existence, qui, dans le tems même de l'époque, est encore à venir (futura), puisqu'elle est postérieure à l'époque.

C'est véritablement du point de l'époque qu'il faut envisager les autres parties de la durée successive pour apprécier l'existence ; parce que l'époque est le point d'observation : ce qui co-existe est présent, ce qui précede est passé ou prétérit, ce qui suit est à venir ou futur. Rien donc de plus heureux que les dénominations ordinaires pour désigner les idées que l'on vient de développer ; rien de plus analogue que ces idées, pour expliquer d'une maniere plausible les termes que l'on vient de définir.

L'idée de simultanéité caractérise très-bien les présens ; celle d'antériorité est le caractere exact des prétérits ; & l'idée de postériorité offre nettement la différence des futurs.

Il n'est pas possible que les tems des verbes expriment autre chose que des rapports d'existence à quelque époque de comparaison ; il est également impossible d'imaginer quelque espece de rapport autre que ceux que l'on vient d'exposer : il ne peut donc en effet y avoir que trois especes générales de tems, & chacune doit être différenciée par l'un de ces trois rapports généraux.

Je dis trois especes générales de TEMS, parce que chaque espece peut se soudiviser, & se soudivise réellement en plusieurs branches, dont les caracteres distinctifs dépendent des divers points de vue accessoires qui peuvent se combiner avec les idées générales & fondamentales de ces trois especes primitives.

§. 2. Seconde division générale des TEMS. La soudivision la plus générale des tems doit se prendre dans la maniere d'envisager l'époque de comparaison, ou sous un point de vue général & indéterminé, ou sous un point de vue spécial & déterminé.

Sous le premier aspect, les tems des verbes expriment tel ou tel rapport d'existence à une époque quelconque & indéterminée : sous le second aspect, les tems des verbes expriment tel ou tel rapport d'existence à une époque précise & déterminée.

Les noms d'indéfinis & de définis employés ailleurs abusivement par le commun des Grammairiens, me paroissent assez propres à caractériser ces deux différences de tems. On peut donner le nom d'indéfinis à ceux de la premiere espece, parce qu'ils ne tiennent effectivement à aucune époque précise & déterminée, & qu'ils n'expriment en quelque sorte que l'un des trois rapports généraux d'existence, avec abstraction de toute époque de comparaison. Ceux de la seconde espece peuvent être nommés définis, parce qu'ils sont essentiellement relatifs à quelque époque précise & déterminée.

Chacune des trois especes générales de tems est susceptible de cette distinction, parce qu'on peut également considérer & exprimer la simultanéité, l'antériorité & la postériorité, ou avec abstraction de toute époque, ou avec relation à une époque précise & déterminée ; on peut donc distinguer en indéfinis & définis, les présens, les prétérits & les futurs.

Un présent indéfini est une forme du verbe qui exprime la simultanéité d'existence à l'égard d'une époque quelconque ; un présent défini est une forme du verbe qui exprime la simultanéité d'existence à l'égard d'une époque précise & déterminée.

Un prétérit indéfini est une forme du verbe qui exprime l'antériorité d'existence à l'égard d'une époque quelconque ; un prétérit défini est une forme du verbe qui exprime l'antériorité d'existence à l'égard d'une époque précise & déterminée.

Un futur indéfini est une forme du verbe qui exprime la postériorité d'existence à l'égard d'une époque quelconque ; un futur défini est une forme du verbe qui exprime la postériorité d'existence à l'égard d'une époque précise & déterminée.

§. 3. Troisieme division générale des TEMS. Il n'y a qu'une maniere de faire abstraction de toute époque, & c'est pour cela qu'il ne peut y avoir qu'un présent, un prétérit & un futur indéfini. Mais il peut y avoir fondement à la soudivision de toutes les especes de tems définis, dans les diverses positions de l'époque précise de comparaison, je veux dire, dans les diverses relations de cette époque à un point fixe de la durée.

Ce point fixe doit être le même pour celui qui parle & pour ceux à qui le discours est transmis, soit de vive voix soit par écrit, autrement une langue ancienne seroit, si je puis le dire, intraduisible pour les modernes ; le langage d'un peuple seroit incommunicable à un autre peuple, celui même d'un homme seroit inintelligible pour un autre homme, quelque affinité qu'ils eussent d'ailleurs.

Mais dans cette suite infinie d'instans qui se succedent rapidement, & qui nous échappent sans-cesse, auquel doit-on s'arrêter, & par quelle raison de préférence se déterminera-t-on pour l'un plutôt que pour l'autre ? Il en est du choix de ce point fondamental, dans la grammaire, comme de celui d'un premier méridien, dans la géographie ; rien de plus naturel que de se déterminer pour le méridien du lieu même où le géographe opere ; rien de plus raisonnable que de se fixer à l'instant même de la production de la parole. C'est en effet celui qui, dans toutes les langues, sert de dernier terme à toutes les relations de tems que l'on a besoin d'exprimer, sous quelque forme que l'on veuille les rendre sensibles.

On peut donc dire que la position de l'époque de comparaison est la relation à l'instant même de l'acte de la parole. Or cette relation peut être aussi ou de simultanéité, ou d'antériorité, ou de postériorité, ce qui peut faire distinguer trois sortes d'époques déterminées : une époque actuelle qui coincide avec l'acte de la parole : une époque antérieure, qui précede l'acte de la parole : & une époque postérieure, qui suit l'acte de la parole.

De-là la distinction des trois especes de tems définis en trois especes subalternes, qui me semblent ne pouvoir être mieux caractérisées que par les dénominations d'actuel, d'antérieur & de postérieur tirées de la position même de l'époque déterminée qui les différencie.

Un présent défini est donc actuel, antérieur ou postérieur, selon qu'il exprime la simultanéité d'existence à l'égard d'une époque déterminément actuelle, antérieure ou postérieure.

Un prétérit défini est actuel, antérieur ou postérieur, selon qu'il exprime l'antériorité d'existence à l'égard d'une époque déterminément actuelle, antérieure ou postérieure.

Enfin un futur défini est pareillement actuel, antérieur ou postérieur, selon qu'il exprime la postériorité d'existence à l'égard d'une époque déterminément actuelle, antérieure ou postérieure.

ART. II. Conformité du système métaphysique des TEMS avec les usages des langues. On conviendra peut-être que le système que je présente ici, est raisonné, que les dénominations que j'y emploie, en caractérisent très-bien les parties, puisqu'elles désignent toutes les idées partielles qui y sont combinées, & l'ordre même des combinaisons. Mais on a vu s'élever & périr tant de systèmes ingénieux & réguliers, que l'on est aujourd'hui bien fondé à se défier de tous ceux qui se présentent avec les mêmes apparences de régularité ; une belle hypothese n'est souvent qu'une belle fiction ; & celle-ci se trouve si éloignée du langage ordinaire des Grammairiens, soit dans le nombre des tems qu'elle semble admettre, soit dans les noms qu'elle leur assigne, qu'on peut bien la soupçonner d'être purement idéale, & d'avoir assez peu d'analogie avec les usages des langues.

La raison, j'en conviens, autorise ce soupçon ; mais elle exige un examen avant que de passer condamnation. L'expérience est la pierre de touche des systèmes, & c'est aux faits à proscrire ou à justifier les hypothèses.

§. 1. Système des PRESENS justifié par l'usage des langues. Prenons donc la voie de l'analyse ; & pour ne point nous charger de trop de matiere, ne nous occupons d'abord que de la premiere des trois especes générales de tems, des présens.

I. Il en est un qui est unanimement reconnu pour présent par tous les Grammairiens ; sum, je suis, laudo, je loue, miror, j'admire, &c. Il a dans les langues qui l'admettent, tous les caracteres d'un présent véritablement indéfini, dans le sens que j'ai donné à ce terme.

1°. On l'emploie comme présent actuel ; ainsi quand je dis, par exemple, à quelqu'un, je vous loue d'avoir fait cette action, mon action de louer est exprimée comme coexistante avec l'acte de la parole.

2°. On l'emploie comme présent antérieur. Que l'on dise dans un récit, je le rencontre en chemin, je lui demande où il va, je vois qu'il s'embarrasse ; " en tout cela, où il n'y a que des tems présens, je le rencontre est dit pour je le rencontrai ; je demande pour je demandai ; où il va pour où il alloit ; je vois pour je vis ; & qu'il s'embarrasse pour qu'il s'embarrassoit. " Regnier, gramm. franc. in -12, pag. 343, in -4°. pag. 360. En effet, dans cet exemple les verbes je rencontre, je demande, je vois, désignent mon action de rencontrer, de demander, de voir, comme coexistante dans le période antérieur indiqué par quelqu'autre circonstance du récit ; & les verbes il va, il s'embarrasse, énoncent l'action d'aller & de s'embarrasser comme coexistante avec l'époque indiquée par les verbes précédens je demande & je vois, puisque ce que je demandai, c'est où il alloit dans l'instant même de ma demande, & ce que je vis, c'est qu'il s'embarrassoit dans le moment même que je le voyois. Tous les verbes de cette phrase sont donc réellement employés comme des présens antérieurs, c'est-à-dire, comme exprimant la simultanéité d'existence à l'égard d'une époque antérieure au moment de la parole.

3°. Le même tems s'emploie encore comme présent postérieur. Je pars demain, je fais tantôt mes adieux ; c'est-à-dire, je partirai demain, & je ferai tantôt mes adieux : je pars & je fais énoncent mon action de partir & de faire, comme simultanée avec l'époque nettement désignée par les mots demain & tantôt, qui ne peut être qu'une époque postérieure au moment où je parle.

4°. Enfin l'on trouve ce tems employé avec abstraction de toute époque, ou si l'on veut, avec une égale relation à toutes les époques possibles ; c'est dans ce sens qu'il sert à l'expression des propositions d'éternelle vérité : Dieu est juste, les trois angles d'un triangle sont égaux à deux droits : c'est que ces vérités sont les mêmes dans tous les tems, qu'elles coexistent avec toutes les époques, & le verbe en conséquence, se met à un tems qui exprime la simultanéité d'existence avec abstraction de toute époque, afin de pouvoir être rapporté à toutes ses époques.

Il en est de même des vérités morales qui contiennent en quelque sorte l'histoire de ce qui est arrivé, & la prédiction de ce qui doit arriver. Ainsi dans cette maxime de M. de la Rochefoucault (pensée LV.) la haine pour les favoris n'est autre chose que l'amour de la faveur, le verbe est exprime une simultanéité relative à une époque quelconque, & actuelle, & antérieure, & postérieure.

Le tems auquel on donne communément le nom de présent, est donc un présent indéfini, un tems qui n'étant nullement astreint à aucune époque, peut demeurer dans cette généralité, ou être rapporté indifféremment à toute époque déterminée, pourvu qu'on lui conserve toujours sa signification essentielle & inamissible, je veux dire, la simultanéité d'existence.

Les différens usages que nous venons de remarquer dans le présent indéfini, peuvent nous conduire à reconnoître les présens définis ; & il ne doit point y en avoir d'autres que ceux pour lesquels le présent indéfini lui-même est employé, parce qu'exprimant essentiellement la simultanéité d'existence avec abstraction de toute époque, s'il sort de cette généralité, ce n'est point pour ne plus signifier la simultanéité, mais c'est pour l'exprimer avec rapport à une époque déterminée. Or

II. Nous avons vu le présent indéfini employé pour le présent actuel, comme quand on dit, je vous loue d'avoir fait cette action ; mais dans ce cas-là même, il n'y a aucun autre tems que l'on puisse substituer à je loue ; & cette observation est commune à toutes les langues dont les verbes se conjuguent par tems.

La conséquence est facile à tirer : c'est qu'aucune langue ne reconnoit dans les verbes de présent actuel proprement dit, & que partout c'est le présent indéfini qui en fait la fonction. La raison en est simple : le présent indéfini ne se rapporte lui-même à aucune époque déterminée ; ce sont les circonstances du discours qui déterminent celle à laquelle on doit le rapporter en chaque occasion ; ici c'est à une époque antérieure ; là, à une époque postérieure ; ailleurs, à toutes les époques possibles. Si donc les circonstances du discours ne désignent aucune époque précise, le présent indéfini ne peut plus se rapporter alors qu'à l'instant qui sert essentiellement de dernier terme de comparaison à toutes les relations de tems, c'est-à-dire, à l'instant même de la parole : cet instant dans toutes les autres occurrences n'est que le terme éloigné de la relation ; dans celle-ci, il en est le terme prochain & immédiat, puisqu'il est le seul.

III. Nous avons vu le présent indéfini employé comme présent antérieur, comme dans cette phrase, je le rencontre en chemin, je lui demande où il va, je vois qu'il s'embarrasse ; & dans ces cas, nous trouvons d'autres tems que l'on peut substituer au présent indéfini ; je rencontrai pour je rencontre, je demandai pour je demande, & je vis pour je vois, sont donc des présens antérieurs ; il alloit pour il va, & il s'embarrassoit pour il s'embarrasse, sont encore d'autres présens antérieurs. Ainsi nous voilà forcés à admettre deux sortes de présens antérieurs ; l'un dont on trouve des exemples dans presque toutes les langues, eram, j'étois, laudabam, je louois, mirabar, j'admirois ; l'autre, qui n'est connu que dans quelques langues modernes de l'Europe, l'italien, l'espagnol & le françois, je fus, je louai, j'admirai.

1°. Voici sur la premiere espece, comment s'explique le plus célebre des grammairiens philosophes, en parlant des tems que j'appelle définis, & qu'il nomme composés dans le sens. " Le premier, dit-il, (gramm. gén. part. II. ch. xiv. édit. de 1660, ch. xv. édit. de 1756), est celui qui marque le passé avec rapport au présent, & on l'a nommé prétérit imparfait, parce qu'il ne marque pas la chose simplement & proprement comme faite, mais comme présente à l'égard d'une chose qui est déja néanmoins passée. Ainsi quand je dis, cùm intravit, coenabam, je soupois, lorsqu'il est entré, l'action de souper est bien passée au regard du tems auquel je parle, mais je la marque comme présente au regard de la chose dont je parle, qui est l'entrée d'un tel ".

De l'aveu même de cet auteur, ce tems qu'il nomme prétérit, marque donc la chose comme présente à l'égard d'une autre qui est déja passée. Or quoique cette chose en soi doive être réputée passée à l'égard du tems où l'on parle, vû que ce n'est pas-là le point de vue indiqué par la forme du verbe dont il est question ; il falloit conclure que cette forme marque le présent avec rapport au passé, plutôt que de dire au contraire qu'elle marque le passé avec rapport au présent. Cette inconséquence est dûe à l'habitude de donner à ce tems, sans examen & sur la foi des Grammairiens, le nom abusif de prétérit ; on y trouve aisément une idée d'antériorité que l'on prend pour l'idée principale, & qui semble en effet fixer ce tems dans la classe des prétérits ; on y apperçoit ensuite confusément une idée de simultanéité que l'on croit sécondaire & modificative de la premiere : c'est une méprise, qui à parler exactement, renverse l'ordre des idées, & on le sent bien par l'embarras qui naît de ce désordre ; mais que faire ? Le préjugé prononce que le tems en question est prétérit ; la raison réclame, on la laisse dire, mais on lui donne, pour ainsi dire, acte de son opposition, en donnant à ce prétendu prétérit le nom d'imparfait : dénomination qui caractérise moins l'idée qu'il faut prendre de ce tems, que la maniere dont on l'a envisagé.

2°. Le préjugé paroît encore plus fort sur la seconde espece de présent antérieur ; mais dépouillons-nous de toute préoccupation, & jugeons de la véritable destination de ce tems par les usages des langues qui l'admettent, plutôt que par les dénominations hazardées & peu réfléchies des Grammairiens. Leur unanimité même déja prise en défaut sur le prétendu prétérit imparfait & sur bien d'autres points, a encore ici des caracteres d'incertitude qui la rendent justement suspecte de méprise. En s'accordant pour placer au rang des prétérits je fus, je louai, j'admirai, les uns veulent que ce prétendu prétérit soit défini, & les autres qu'il soit indéfini ou aoriste, termes qui avec un sens très-clair ne paroissent pas appliqués ici d'une maniere trop précise. Laissons-les disputer sur ce qui les divise, & profitons de ce dont ils conviennent sur l'emploi de ce tems ; ils sont à cet égard des témoins irrécusables de sa valeur usuelle. Or en le regardant comme un prétérit, tous les Grammairiens conviennent qu'il n'exprime que les choses passées dans un période de tems antérieur à celui dans lequel on parle.

Cet aveu combiné avec le principe fondamental de la notion des tems, suffit pour décider la question. Il faut considérer dans les tems 1°. une relation générale d'existence à un terme de comparaison, 2°. le terme même de comparaison. C'est en vertu de la relation générale d'existence qu'un tems est présent, prétérit ou futur, selon qu'il exprime la simultanéité, l'antériorité ou la postériorité d'existence ; c'est par la maniere d'envisager le terme, ou sous un point de vue général & indéfini, ou sous un point de vue spécial & déterminé, que ce tems est indéfini ou défini ; & c'est par la position déterminée du terme, qu'un tems défini est actuel, antérieur ou postérieur, selon que le terme a lui-même l'un de ces rapports au moment de l'acte de la parole.

Or le tems, dont il s'agit, a pour terme de comparaison, non une époque instantanée, mais un période de tems : ce période, dit-on, doit être antérieur à celui dans lequel on parle ; par conséquent c'est un tems qui est de la classe des définis, & entre ceux-ci il est de l'ordre des tems antérieurs. Il reste donc à déterminer l'espèce générale de rapport que ce tems exprime relativement à ce période antérieur : mais il est évident qu'il exprime la simultanéité d'existence, puisqu'il désigne la chose comme passée dans ce période, & non avant ce période ; JE LUS hier votre lettre, c'est-à-dire que mon action de lire étoit simultanée avec le jour d'hier. Ce tems est donc en effet un présent antérieur.

On sent bien qu'il differe assez du premier pour n'être pas confondu sous le même nom ; c'est par le terme de comparaison qu'ils different, & c'est de là qu'il convient de tirer la différence de leurs dénominations. Je disois donc que j'étois, je louois, j'admirois sont au présent antérieur simple, & que je fus, je louai, j'admirai sont au présent antérieur périodique.

Je ne doute pas que plusieurs ne regardent comme un paradoxe, de placer parmi les présens, ce tems que l'on a toujours regardé comme un prétérit. Cette opinion peut néanmoins compter sur le suffrage d'un grand peuple, & trouver un fondement dans une langue plus ancienne que la nôtre. La langue allemande, qui n'a point de présent antérieur périodique, se sert du présent antérieur simple pour exprimer la même idée : ich war (j'étois ou je fus) ; c'est ainsi qu'on le trouve dans la conjugaison du verbe auxiliaire seyn (être), de la grammaire allemande de M. Gottsched par M. Quand (édit. de Paris, 1754. ch. vij. pag. 41.) ; & l'auteur prévoyant bien que cela peut surprendre, dit expressément dans une note, que l'imparfait exprime en même tems en allemand le prétérit & l'imparfait des françois. Il est aisé de s'en appercevoir dans la maniere de parler des Allemands qui ne sont pas encore assez maîtres de notre langue : presque par-tout où nous employons le présent antérieur périodique, ils se servent du présent antérieur simple, & disent, par exemple, je le trouvois hier en chemin, je lui demandois où il va, je voyois qu'il s'embarrasse, au lieu de dire, je le trouvai hier en chemin, je lui demandai où il alloit, je vis qu'il s'embarrassoit : c'est le germanisme qui perce à-travers les mots françois, & qui dépose que nos verbes je trouvai, je demandai, je vis sont en effet de la même classe que, je trouvois, je demandois, je voyois. Les Allemands, nos voisins & nos contemporains, & peut-être nos peres ou nos freres, en fait de langage, ont mieux saisi l'idée caractéristique de notre présent antérieur périodique, l'idée de simultanéité, que ceux de nos méthodistes françois qui se sont attachés servilement à la grammaire latine, plutôt que de consulter l'usage, à qui seul appartient la législation grammaticale. La langue angloise est encore dans le même cas que l'allemande ; i had (j'avois & j'eus) ; i Was (j'étois & je fus). On peut voir la grammaire françoise - angloise de Mauger, pag. 69, 70 ; & la grammaire angloise-françoise de Festeau, pag. 42, 45. (in -8. Bruxelles, 1693.) Au reste je parle ici à ceux qui saisissent les preuves métaphysiques, qui les apprécient, & qui s'en contentent : ceux qui veulent des preuves de fait, & dont la métaphysique n'est peut-être que plus sûre, trouveront plus loin ce qu'ils desirent ; des témoignages, des analogies, des raisons de syntaxe, tout viendra par la suite à l'appui du système que l'on développe ici.

IV. Continuons & achevons de lutter contre les préjugés, en proposant encore un paradoxe. Nous avons vu le présent indéfini employé pour le présent postérieur, comme dans cette phrase, je pars demain ; dans ce cas nous trouvons un autre tems que l'on peut substituer au présent indéfini, & ce ne peut être que le présent postérieur lui-même : je partirai est donc un présent postérieur. Les gens accoutumés à voir les choses sous un autre aspect & sous un autre nom, vont dire ce que m'a déja dit un homme d'esprit, versé dans la connoissance de plusieurs langues, que je vais faire des présens de tous les tems du verbe. Il faudroit pour cela que je confondisse toutes les idées distinctives des tems, & j'ose me flatter que mes réflexions auront une meilleure issue.

Un présent postérieur doit exprimer la simultanéité d'existence à l'égard d'une époque déterminément postérieure ; & c'est précisément l'usage naturel du tems dont il s'agit ici. Ecoutons encore l'auteur de la grammaire générale. " On auroit pu de même, dit-il (loc. cit.), ajouter un quatrieme tems composé, savoir celui qui eût marqué l'avenir avec rapport au présent... néanmoins dans l'usage on l'a confondu... & en latin même on se sert pour cela de futur simple : cum caenabo, intrabis (vous entrerez quand je souperai) ; par où je marque mon souper comme futur en soi, mais comme présent à l'égard de votre entrée ".

On retrouve encore ici le même défaut que j'ai déja relevé à l'occasion du présent antérieur simple : l'auteur dit que le tems dont il parle, eût marqué l'avenir avec rapport au présent ; & il prouve lui - même qu'il falloit dire qu'il eût marqué le présent avec rapport à l'avenir, puisque, de son aveu, coenabo, dans la phrase qu'il allegue, marque mon souper comme présent à l'égard de votre entrée, qui en soi est à venir. Coenabo (je souperai) est donc un présent postérieur.

Non, dit M. Lancelot ; le présent postérieur n'existe point ; c'est le futur simple qui en fait l'office dans l'occurrence. Si je prenois l'inverse de la thése, & que je dise que le futur n'existe point, mais que le présent postérieur en fait les fonctions ; je crois qu'il seroit difficile de décider d'une maniere raisonnable entre les deux assertions : mais sans recourir à un faux-fuyant qui n'éclairciroit rien, qu'on me dise seulement pourquoi on ne tient aucun compte dans la conjugaison du verbe des tems très-réels coenaturus sum, coenaturus eram, coenaturus ero, qui sont évidemment des futurs ? Or s'il existe d'autres futurs que coenabo, pourquoi refuseroit-on à coenabo la dénomination de présent postérieur, puisqu'il en fait réellement les fonctions.

Ceux qui auront lu l'article FUTUR, m'objecteront que je suis en contradiction avec moi-même, puisque j'y regarde comme futur le même tems que je nomme ici présent postérieur. J'avoue la contradiction de la doctrine que j'expose ici, avec l'article en question : mais il contient déja le germe qui se développe aujourd'hui. Ce germe, contraint alors par la concurrence des idées de mon collégue, n'a ni pu ni dû se développer avec toute l'aisance que donne une liberté entiere : & l'on ne doit regarder comme à moi, dans cet article, que ce qui peut faire partie de mon système ; je désavoue le reste, ou je le retracte.

§. 2. Système des PRETERITS justifié par les usages des langues. Comme nous avons reconnu quatre présens dans notre langue, quoiqu'on n'en trouve que trois dans la plûpart des autres ; nous allons y reconnoître pareillement quatre prétérits, tandis que les autres langues n'en admettent au plus que trois.

I. Le premier, fui (j'ai été), laudavi (j'ai loué), miratus sum (j'ai admiré), &c. généralement reconnu pour prétérit, & décoré par tous les grammairiens du nom de prétérit-parfait, a tous les caracteres exigibles d'un prétérit indéfini : & quoiqu'en effet on ne l'employe pas à autant d'usages différens que le présent indéfini, il en a cependant assez pour prouver qu'il renferme fondamentalement l'abstraction de toute époque, ce qui est l'essence des tems indéfinis.

1°. On fait usage de ce prétérit pour désigner le prétérit actuel. J'AI LU l'excellent livre des Tropes, c'est-à-dire, mon action de lire ce livre est antérieure au moment même où je parle. Il y a plus ; aucune langue n'a établi dans ses verbes un prétérit actuel proprement dit ; c'est le prétérit indéfini qui en fait les fonctions, & c'est par la même raison qui fait que le présent indéfini tient lieu de présent actuel, raison, par conséquent, que je ne dois plus répéter.

2°. On emploie fréquemment le prétérit indéfini pour le prétérit postérieur. J'AI FINI dans un moment ; si vous AVEZ RELU cet ouvrage demain, vous m'en direz votre avis : dans le premier exemple, j'ai fini, énonce l'action de finir comme antérieure à l'époque désignée par ces mots, dans un moment, qui est nécessairement une époque postérieure ; c'est comme si l'on disoit, J'AURAI FINI dans un moment, ou dans un moment je pourrai dire, J'AI FINI : dans le second exemple, vous avez relu, présente l'action de relire comme antérieure à l'époque postérieure indiquée par le mot demain, & c'est comme si l'on disoit, lorsque VOUS AUREZ RELU demain cet ouvrage, vous m'en direz votre avis, ou lorsque demain vous pourrez dire que VOUS AVEZ RELU, &c.

3°. Le prétérit indéfini est quelquefois employé pour le prétérit antérieur. Que je dise dans un récit : sur les accusations vagues & contradictoires qu'on alléguoit contre lui, je prends sa défense avec feu & avec succès : à peine AI-JE PARLE, qu'un bruit sourd s'éleve de toutes parts, &c. Dans cet exemple, ai-je parlé énonce mon action de parler comme antérieure à l'époque désignée par ces mots, un bruit sourd s'éleve : mais le présent indéfini s'éleve est mis ici pour le présent antérieur périodique s'éleva ; & par conséquent l'époque est réellement antérieure à l'acte de la parole. Ai-je parlé est donc employé pour avois-je parlé, & il énonce en effet l'antériorité de mon action de parler à l'égard d'une époque antérieure elle-même au moment actuel de la parole.

4°. Le prétérit indéfini n'est jamais employé dans le sens totalement indéfini, comme le présent : c'est que les propositions d'éternelle vérité, essentiellement présentes à l'égard de toutes les époques, ne sont ni ne peuvent être antérieures ni postérieures à aucune : & les propositions d'une vérité contingente ont nécessairement des rapports différens aux diverses époques ; rapport de la simultanéité pour l'une, d'antériorité pour l'autre, de postériorité pour une troisieme.

II. Le second de nos prétérits, est le prétérit antérieur simple, fueram (j'avois été), laudaveram (j'avois loué), miratus fueram (j'avois admiré). Les grammairiens ont donné à ce tems le nom de prétérit-plusque parfait, parce qu'ayant nommé parfait le prétérit indéfini, dont le caractere est d'exprimer l'antériorité d'existence, ils ont cru devoir ajouter quelque chose à cette qualification, pour désigner un tems qui exprime l'antériorité d'existence & l'antériorité d'époque.

Mais qu'il me soit permis de remarquer que la dénomination de plusque parfait a tous les vices les plus propres à la faire proscrire. 1°. Elle implique contradiction, parce qu'elle suppose le parfait susceptible de plus ou de moins, quoiqu'il n'y ait rien de mieux que ce qui est parfait. 2°. Elle emporte encore une autre supposition également fausse, savoir qu'il y a quelque perfection dans l'antériorité, quoiqu'elle n'en admette ni plus ni moins que la simultanéité & la postériorité. 3°. Ces considérations donnent lieu de croire que les noms des prétérits parfaits & plusque parfaits n'ont été introduits, que pour les distinguer du prétendu prétérit imparfait ; mais comme il a été remarqué plus haut que cette dénomination ne peut servir qu'à désigner l'imperfection des idées des premiers nomenclateurs, il faut porter le même jugement des noms de parfait & de plusque-parfait qui ont le même fondement.

Quoi qu'il en soit, ce second prétérit exprime en effet l'antériorité d'existence à l'égard d'une époque antérieure elle-même à l'acte de la parole ; ainsi quand je dit coenaveram cum intravit, (j'avois soupé lorsqu'il est entré) ; coenaveram, (j'avois soupé), exprime l'antériorité de mon souper à l'égard de l'époque désignée par intravit, (il est entré) ; & cette époque est elle même antérieure au tems où je le dis : coenaveram est donc véritablement un prétérit antérieur simple, ou relatif à une simple époque.

III. En françois, en italien, & en espagnol, on trouve encore un prétérit antérieur périodique, qui est propre à ces langues, & qui differe du précédent par le terme de comparaison, comme le présent antérieur périodique differe du présent antérieur simple ; j'eus eté, j'eus loué, j'eus admiré, sont des prétérits antérieurs périodiques ; & pour s'en convaincre, il n'y a qu'à examiner toutes les idées partielles désignées par ces formes des verbes être, louer, admirer, &c.

Quand je dis, par exemple, j'eus soupé hier avant qu'il entrât : il est évident 1°. que j'indique l'antériorité de mon souper, à l'égard de l'entrée dont il est question ; 2°. que cette entrée est elle-même antérieure au tems où je parle, puisqu'elle est annoncée comme simultanée avec le jour d'hier ; 3°. enfin il est certain que l'on ne peut dire j'eus soupé, que pour marquer l'antériorité du souper à l'égard d'une époque prise dans un période antérieur à celui où l'on parle : il est donc constant que tout verbe, sous cette forme, est au prétérit antérieur périodique.

IV. Enfin nous avons un prétérit postérieur, qui exprime l'antériorité d'existence à l'égard d'une époque postérieure au tems où l'on parle ; comme fuero, (j'aurai été), laudavero, (j'aurai loué), miratus ero, (j'aurai admiré).

" Le troisieme tems composé, dit encore l'auteur de la grammaire générale (loc. cit.) est celui qui marque l'avenir avec rapport au passé, savoir le futur parfait, comme coenavero (j'aurai soupé) ; par où je marque mon action de souper comme future en soi, & comme passée au - regard d'une autre chose à venir qui la doit suivre ; comme quand j'aurai soupé il entrera : cela veut dire que mon souper qui n'est pas encore venu, sera passé lorsque son entrée, qui n'est pas encore venue, sera présente ".

La prévention pour les noms reçus fait toujours illusion à cet auteur ; il est persuadé que le tems dont il parle est un futur, parce que tous les grammairiens s'accordent à lui donner ce nom : c'est pour cela qu'il dit que ce tems marque l'avenir avec rapport au passé : au-lieu qu'il suit de l'exemple même de la grammaire générale, qu'il marque le passé avec rapport à l'avenir. Quelle est en effet l'intention de celui qui dit, quand j'aurai soupé il entrera ? c'est évidemment de fixer le rapport du tems de son souper, au tems de l'entrée de celui dont il parle ; cette entrée est l'époque de comparaison, & le souper est annoncé comme antérieur à cette époque ; c'est l'unique destination de la forme que le verbe prend en cette occurrence, & par conséquent cette forme marque réellement l'antériorité à l'égard d'une époque postérieure au tems de la parole, ou, pour me servir des termes de M. Lancelot, mais d'une maniere conséquente à l'observation, elle marque le passé avec rapport à l'avenir.

Une autre erreur de cet écrivain célebre, est de croire que coenavero, (j'aurai soupé), marque mon action de souper comme future en soi, & comme passée au regard d'une autre chose à venir, qui la doit suivre. Coenavero, & tous les tems pareils des autres verbes, n'expriment absolument que le second de ces deux rapports, & loin d'exprimer le premier, il ne le suppose pas même. En voici la preuve dans un raisonnement d'un auteur qu'on n'accusera pas de mal écrire, ou de ne pas sentir la force des termes de notre langue ; c'est M. Pluche.

" Si le tombeau, dit-il (spectacle de la nature, disc. prél. du tom. VIII. pag. 8. & 9.), est pour lui (l'homme) la fin de tout ; le genre humain se divise en deux parties, dont l'une se livre impunément au crime, l'autre s'attache sans fruit à la vertu... les voluptueux & les fourbes... seront ainsi les seules têtes bien montées, & le Créateur, qui a mis tant d'ordre dans le monde corporel, n'AURA ETABLI ni regle ni justice dans la nature intelligente, même après lui avoir inspiré une très-haute idée de la regle & de la justice ".

Dès le commencement de ce discours, on trouve une époque postérieure, fixée par un fait hypothétique ; si le tombeau est pour l'homme la fin de tout, c'est-à-dire, en termes clairement relatifs à l'avenir, si le tombeau doit être pour l'homme la fin de tout : quand on ajoute ensuite que le Créateur n'AURA ETABLI ni regle ni justice, on veut simplement désigner l'antériorité de cet établissement à l'égard de l'époque hypothétique, & il est constant qu'il ne s'agit point ici de rien statuer sur les actes futurs du Créateur ; mais qu'il est question de conclure, d'après ses actes passés, contre les suppositions absurdes qui tendent à anéantir l'idée de la providence. Le verbe aura établi, n'exprime donc en soi aucune futurition, & l'on auroit même pu dire, le Créateur n'a établi ni regle ni justice ; ce qui exclut entierement & incontestablement l'idée d'avenir ; mais on a préféré avec raison le prétérit postérieur, parce qu'il étoit essentiel de rendre sensible la liaison de cette conséquence, avec l'hypothese de la destruction totale de l'homme, que l'on suppose future ; & que rien ne convient mieux pour cela, que le prétérit postérieur, qui exprime essentiellement relation à une époque postérieure.

§. 3. Système des FUTURS, justifié par les usages des langues. L'idée de simultanéité, celle d'antériorité, & celle de postériorité, se combinent également avec l'idée du terme de comparaison : de-là autant de formes usuelles pour l'expression des futurs, qu'il y en a de généralement reçues pour la distinction des présens & pour celle des prétérits. Nous devons donc trouver un futur indéfini, un futur antérieur, & un futur postérieur.

I. Le futur indéfini doit exprimer la postériorité d'existence avec abstraction de toute époque de comparaison ; & c'est précisément le caractere des tems latins & françois, futurus sum, (je dois être) ; laudaturus sum, (je dois louer) ; miraturus sum, (je dois admirer) ; &c.

Par exemple dans cette phrase, tout homme DOIT MOURIR, qui est l'expression d'une vérité morale, confirmée par l'expérience de tous les tems, ces mots doit mourir, expriment la postériorité de la mort, avec abstraction de toute époque, & dès-là avec relation à toutes les époques ; & c'est comme si l'on disoit, tous les hommes nos prédécesseurs DEVOIENT MOURIR, ceux d'aujourd'hui DOIVENT MOURIR, & ceux qui nous succéderont DEVRONT MOURIR : ces mots doit mourir, constituent donc ici un vrai futur indéfini.

Ce futur indéfini sert exclusivement à l'expression du futur actuel, de la même maniere, & pour la même raison que le présent & le prétérit actuels n'ont point d'autres formes que celle du présent & du prétérit indéfini : ainsi quand je dis, par exemple, je redoute le jugement que le public DOIT PORTER de cet ouvrage ; ces mots, doit porter, marquent évidemment la postériorité de l'action de juger, à l'égard du tems même où je parle, & font par conséquent ici l'office d'un futur actuel : c'est comme si je disois simplement, je redoute le jugement à venir du public sur cet ouvrage.

On trouve quelquefois la même forme employée dans le sens d'un futur postérieur ; par exemple dans cette phrase : si je DOIS jamais SU BIR un nouvel examen, je m'y préparerai avec soin ; ces mots je dois subir, désignent clairement la postériorité de l'action de subir à l'égard d'une époque postérieure elle-même au tems où je parle, & indiquée par le mot jamais ; ces mots font donc ici l'office de futur postérieur, & c'est comme si je disois, s'il est jamais un tems où je DEVRAI SUBIR, &c.

II. Le futur antérieur doit exprimer la postériorité à l'égard d'une époque antérieure à l'acte de la parole ; c'est ce qu'il est aisé de reconnoître dans futurus eram, (je devois être) ; laudaturus eram, (je devois louer) ; miraturus eram, (je devois admirer) ; &c.

Ainsi quand on dit, je DEVOIS hier SOUPER avec vous, l'arrivée de mon frere m'en empêcha ; ces mots, je devois souper, expriment la postériorité de mon souper à l'égard du commencement du jour d'hier, qui est une époque antérieure au tems où je parle ; je devois souper est donc un futur antérieur.

III. Le futur postérieur doit marquer la postériorité à l'égard d'une époque postérieure elle-même à l'acte de la parole ; & il est facile de remarquer cette combinaison d'idées dans futurus ero, (je devrai être) ; laudaturus ero, (je devrai louer) ; miraturus ero, (je devrai admirer) ; &c.

Ainsi quand je dis, lorsque je DEVRAI SUBIR un examen, je m'y préparerai avec soin ; il est évident que mon action de subir l'examen, est désignée ici comme postérieure à un tems à venir désigné par lorsque : je devrai subir est donc en effet un futur postérieur, puisqu'il exprime la postériorité à l'égard d'une époque postérieure elle même à l'acte de la parole.

Art. III. Conformité du système des TEMS avec les analogies des langues. Qu'il me soit permis de retourner en quelque sorte sur mes pas, pour confirmer, par des observations générales, l'économie du systême des tems, dont je viens de faire l'exposition. Mes premieres remarques tomberont sur l'analogie de la formation des tems, & dans une même langue, & dans des langues différentes ; des analogies adoptées avec une certaine unanimité, doivent avoir un fondement dans la raison même, parce que, comme dit Varron (de ling. lat. VIII. iij.), qui in loquendo consuetudinem, quâ oportet uti, sequitur, non sine ea ratione. Il semble même que ce savant romain n'ait mis aucune différence entre ce qui est analogique, & ce qui est fondé en raison, puis qu'un peu plus haut, il emploie indifféremment les mots ratio & analogia. Sed hi qui in loquendo, dit-il, (Ibid. 1.) partim sequi jubent nos consuetudinem, partim rationem, non tam discrepant ; quod consuetudo & analogia conjunctiores sunt inter se quam hi credunt.

Le grammairien philosophe, car il mérite ce titre, ne portoit ce jugement de l'analogie, qu'après l'avoir examinée & approfondie : il y avoit entrevu le fondement de la division des tems, tel que je l'ai proposée, & il s'en explique d'une maniere si positive & si précise, que je suis extrêmement surpris que personne n'ait songé à faire usage d'une idée qui ne peut que répandre beaucoup de jour sur la génération des tems dans toutes les langues. Voici ses paroles, & elles sont remarquables (Ibid. 56.) Similiter errant qui dicunt ex utrâque parte verba omnia commutare syllabas oportere ; ut in his, pungo, pungam, pupugi ; tundo, tundam, tutudi : dissimilia enim conferunt, verba imperfecta cum perfectis. Quòd si imperfecta modo conferrent, omnia verbi principia incommutabilia viderentur ; ut in his pungebam, pungo, pungam : & contrà ex utrâque parte commutabilia, si perfecta ponerent ; ut pupugeram, pupugi, pupugero.

On voit que Varron distingue ici bien nettement les trois tems que je comprends sous le nom général de présens, des trois que je désigne par la dénomination commune de prétérits ; qu'il annonce une analogie commune aux trois tems de chaque espece, mais différente d'une espece à l'autre ; enfin qu'il distingue ces deux especes par des noms différens, donnant aux tems de la premiere le nom d'imparfaits, imperfecta ; & à ceux de la seconde le nom de parfaits, perfecta.

Ce n'est pas par le choix des dénominations que je voudrois juger de la philosophie de cet auteur : avec de l'érudition, de l'esprit, de la sagacité même, il n'avoit pas assez de métaphysique pour débrouiller la complication des idées élémentaires, si je puis parler ainsi, qui constituent le sens total des formes usuelles du verbe ; ce n'étoit pas le ton de son siecle ; mais il étoit observateur attentif, intelligent, patient, scrupuleux même ; & c'est peut-être le meilleur fond sur lequel puisse porter la saine philosophie. Justifions celle de Varron par le développement du principe qu'il vient de nous présenter.

Remarquons d'abord que dans la plûpart des langues, il y a des tems simples & des tems composés.

Les tems simples, sont ceux qui ne consistent qu'en un seul mot, & qui entés tous sur une même racine fondamentale, différent entr'eux par les inflexions & les terminaisons propres à chacun.

Je dis inflexions & terminaisons ; & j'entends par le premier de ces termes, les changemens qui se font dans le corps même du mot avant la derniere syllabe ; & par le second, les changemens de la derniere ou des dernieres syllabes. Voyez INFLEXION. Pung-o & pung-am ne different que par les terminaisons, & il en est de même de pupuger-o & pupuger-am : au contraire, pungo & pupugero ne different que par des inflexions, de même que pungam & pupugeram, puisqu'ils ont des racines & des terminaisons communes : enfin, pungam & pupugero different & par les inflexions, & par les terminaisons.

Les TEMS composés, sont ceux qui résultent de plusieurs mots, dont l'un est un tems simple du verbe même, & le reste est emprunté de quelque verbe auxiliaire.

On entend par verbe auxiliaire, un verbe dont les tems servent à former ceux des autres verbes ; & l'on peut en distinguer deux especes, le naturel & l'usuel.

Le verbe auxiliaire naturel, est celui qui exprime spécialement & essentiellement l'existence, & que l'on connoît ordinairement sous le nom de verbe substantif ; sum en latin, je suis en françois, io sono en italien, yo soy en espagnol, ich bin en allemand, en grec. Je dis que ce verbe est auxiliaire naturel, parce qu'exprimant essentiellement l'existence, il paroît plus naturel d'en employer les tems, que ceux de tout autre verbe, pour marquer les différens rapports d'existence qui caractérisent les tems de tous les verbes.

Le verbe auxiliaire usuel, est celui qui a une signification originelle, toute autre que celle de l'existence, & dont l'usage le dépouille entierement, quand il sert à la formation des tems d'un autre verbe, pour ne lui laisser que celle qui convient aux rapports d'existence qu'il est alors chargé de caractériser. Tels sont, par exemple, en françois, les verbes avoir & devoir, quand on dit, j'ai loué, je devois sortir ; ces verbes perdent alors leur signification originelle ; avoir ne signifie plus possession, mais antériorité ; devoir ne marque plus obligation, mais postériorité. Je dis que ces verbes sont auxiliaires usuels, parce que leur signification primitive ne les ayant pas destinés à cette espece de service, ils n'ont pû y être assujettis que par l'autorité de l'usage, quem penes arbitrium est & jus & norma loquendi. Hor. art. poët. 72.

Les langues modernes de l'Europe font bien plus d'usage des verbes auxiliaires que les langues anciennes ; mais les unes & les autres sont également guidées par le même esprit d'analogie.

§. I. Analogies des TEMS dans quelques langues modernes de l'Europe. Commençons par reconnoître cet esprit d'analogie dans les trois langues modernes que nous avons déja comparées, la françoise, l'italienne & l'espagnole.

1°. On trouve dans ces trois langues les mêmes tems simples, & dans l'une, comme dans l'autre, il n'y a de simples, que ceux que je regarde comme des présens.

2°. Tous les tems où nous avons reconnu pour caractere fondamental & commun, l'idée d'antériorité, & dont, en conséquence, j'ai formé la classe des prétérits, sont composés dans les trois langues ; dans toutes trois, c'est communément le verbe qui signifie originellement possession, quelquefois celui qui exprime fondamentalement l'existence, qui est employé comme auxiliaire des prétérits, & toujours avec le supin ou le participe passif du verbe conjugué.

3°. Les futurs ont encore leur analogie distinctive dans les trois langues, quoiqu'il y ait quelque différence de l'une à l'autre. Nous nous servons en françois de l'auxiliaire devoir, avec le présent de l'infinitif du verbe que l'on conjugue. Les Espagnols employent le verbe aver (avoir), suivi de la préposition de & de l'infinitif du verbe principal ; tour elliptique qui semble exiger que l'on sous-entende le nom & hado (la destination), ou quelqu'autre semblable. Les Italiens ont adopté le tour françois & plusieurs autres : Castelvetro, dans ses notes sur le Bembe (édit. de Naples 1714, in -4°. p. 220.) cite, comme expressions synonymes, debbo amare, (je dois aimer), ho ad amare, (j'ai à aimer), ho da amare, (j'ai d'aimer), sono per amare, (je suis pour aimer) ; je crois cependant qu'il y a quelque différence, parce que les langues n'admettent ni mots, ni phrases synonymes, & apparemment le tour italien semblable au nôtre est le seul qui y corresponde exactement.

§. 2. Analogies des TEMS dans la langue latine. La langue latine, dont le génie paroît d'ailleurs si différent de celui des trois langues modernes, nous conduit encore aux mêmes conclusions par ses analogies propres ; & l'on peut même dire, qu'elle ajoute quelque chose de plus en faveur de mon système des tems.

I. Chacune des trois especes y est caractérisée par des analogies particulieres, qui sont communes à chacun des tems compris dans la même espece.

1°. Tous ceux dont l'idée caractéristique commune est la simultanéité, & que je comprends, pour cette raison, sous le nom de présens, sont simples en latin, tant à la voix active, qu'à la voix passive, & ils ont tous une racine immédiate commune.

2°. Tous les tems que je nomme prétérits, parce que l'idée fondamentale qui leur est commune, est celle d'antériorité, sont encore simples à la voix active ; mais le changement d'inflexions à la racine commune, leur donne une racine immédiate toute différente, & qui caracterise leur analogie propre : d'ailleurs, les tems correspondans de la voix passive sont tous composés de l'auxiliaire naturel & du prétérit du participe passif.

3°. Enfin, tous les tems que je nomme futurs, à cause de l'idée de postériorité qui les caractérise, sont composés en latin du verbe auxiliaire naturel & du futur du participe actif, pour la voix active ; ou du futur du participe passif, pour la voix passive.

II. Nous trouverons dans les verbes de la même langue une autre espece d'analogie, qui semble entrer encore plus spécialement dans les vûes de mon système, voici en quoi elle consiste.

Les présens & les prétérits actifs sont également simples, & ont par conséquent une racine commune, qui est comme le type de la signification propre à chaque verbe : cette racine passe ensuite par différentes métamorphoses, au moyen des additions que l'on y fait, pour ajouter à l'idée propre du verbe les idées accessoires communes à tous les verbes : ainsi laud est la racine commune de tous les tems simples du verbe laudare (louer) ; c'en est le fondement immuable, sur lequel on pose ensuite tous les divers caracteres des idées accessoires communes à tous les verbes.

Ces additions se font de maniere, que les différences de verbe à verbe caractérisent les différentes conjugaisons, mais que les analogies générales se retrouvent par-tout.

Ainsi o ajouté simplement à la racine commune, est le caractere du présent indéfini qui est le premier de tous : cette racine subissant ensuite l'inflexion qui convient à chaque conjugaison, prend un b pour désigner les présens définis, qui different entr'eux par des terminaisons qui dénotent, ou l'antériorité ou la postériorité.

Au reste il ne faut point être surpris de trouver ici regebo pour regam, ni expedibo pour expediam ; on en trouve des exemples dans les auteurs anciens, & il est vraisemblable que l'analogie avoit d'abord introduit expedie-b-o, comme expedie-b-am. Voyez la méthode latine de P. R. remarque sur les verbes, ch. ij. art. 1 des TEMS.

La terminaison i ajoutée à la racine commune modifiée par l'inflexion qui convient en propre à chaque verbe, caractérise le premier des prétérits, le prétérit indéfini. Cette terminaison est remplacée par l'inflexion er dans les prétérits définis, qui sont distingués l'un de l'autre par des terminaisons qui dénotent ou l'antériorité ou la postériorité.

Il résulte de tout ce qui vient d'être remarqué,

1°. Qu'en retranchant la terminaison du présent indéfini, il reste la racine commune des présens définis ; & qu'en retranchant la terminaison du prétérit indéfini ; il reste pareillement une racine commune aux prétérits définis.

2°. Que les deux tems que je nomme présens définis ont une inflexion commune b, qui leur est exclusivement propre, & qui indique dans ces deux tems une idée commune, laquelle est évidemment la simultanéité relative à une époque déterminée.

3°. Qu'il en est de même de l'inflexion er, commune aux deux tems que j'appelle préterits définis ; qu'elle indique dans ces deux tems une idée commune, qui est l'antériorité relative à une époque déterminée.

4°. Que ces conclusions sont fondées sur ce que ces inflexions caractéristiques modifient, ou la racine qui naît du présent indéfini, ou celle qui vient du prétérit défini, après en avoir retranché simplement la terminaison.

5°. Que l'antériorité ou la postériorité de l'époque étant la derniere des idées élémentaires renfermées dans la signification des tems définis, elle y est indiquée par la terminaison même ; que l'antériorité, soit des présens, soit des prétérits, y est désignée par am, lauda-b-am, laudav-er-am ; & que la postériorité y est indiquée par o, lauda-b-o, laudav-er-o.

L'espece de parallelisme que j'établis ici entre les présens & les prétérits, que je dis également indéfinis ou définis, antérieurs ou postérieurs, se confirme encore par un autre usage qui est une espece d'anomalie : c'est que novi, memini, & autres pareils, servent également au présent & au prétérit indéfini ; noveram, memineram, pour le présent & le prétérit antérieur ; novero, meminero, pour le présent & le prétérit postérieur. Rien ne prouve mieux, ce me semble, l'analogie commune que j'ai indiquée entre ces tems, & la destination que j'y ai établie : il en résulte effectivement, que le présent est au prétérit, précisément comme ce qu'on appelle imparfait est au tems que l'on nomme plusqueparfait ; & comme celui que l'on nomme ordinairement futur, est à celui que les anciens appelloient futur du subjonctif, & que la Grammaire générale nomme futur parfait : or le plusque parfait & le futur parfait sont évidemment des especes de prétérits ; donc l'imparfait & le prétendu futur sont en effet des especes de présens, comme je l'ai avancé.

III. La langue latine est dans l'usage de n'employer dans les conjugaisons que l'auxiliaire naturel, ce qui donne aussi le développement naturel des idées élémentaires de chacun des tems composés. Examinons d'abord les futurs du verbe actif ;

On voit que le futur du participe est commun à ces trois tems ; ce qui annonce une idée commune aux trois. Mais laudaturus, a, um est adjectif, &, comme on le sait, il s'accorde en genre, en nombre, & en cas avec le sujet du verbe ; c'est qu'il en exprime le rapport à l'action qui constitue la signification propre du verbe.

On voit d'autre part les présens du verbe auxiliaire, servir à la distinction de ces trois tems. Le présent indéfini, sum, fait envisager la futurition exprimée par le principe, dans le sens indéfini & sans rapport à aucune époque déterminée ; ce qui, dans l'occurrence, la fait rapporter à une époque actuelle ; laudaturus nunc sum.

Le présent antérieur, eram, fait rapporter la futurition du principe à une époque déterminément antérieure, d'où cette futurition pouvoit être envisagée comme actuelle : laudaturus eram, c'est-à-dire, poteram tunc dicere, laudaturus nunc sum.

C'est à proportion la même chose du présent postérieur, ero ; il rapporte la futurition du participe à une époque déterminément postérieure, d'où elle pourra être envisagée comme actuelle : laudaturus ero, c'est-à-dire ; potero tunc dicere, laudaturus nunc sum.

C'est pour les prétérits la même analyse & la même décomposition ; on le voit sensiblement dans ceux des verbes déponens :

Le prétérit du participe, commun aux trois tems, & assujetti à s'accorder en genre, en nombre, & en cas avec le sujet, exprime l'état par rapport à l'action qui fait la signification propre du verbe, état d'antériorité qui devient dès-lors le caractere commun des trois tems.

Les trois présens du verbe auxiliaire sont pareillement relatifs aux différens aspects de l'époque. Precatus sum doit quelquefois être pris dans le sens indéfini ; d'autres fois dans le sens actuel, precatus nunc sum. Precatus eram, c'est-à-dire, tunc poteram dicere, precatus nunc sum. Et precatus ero, c'est tunc potero dicere, precatus nunc sum.

Quoique les présens soient simples dans tous les verbes latins, cependant l'analyse précédente des futurs & des prétérits nous indique comment on peut décomposer & interpréter les présens.

Precor, c'est-à-dire, sum precans, ou nunc sum precans.

Precabar, c'est-à-dire, eram precans, ou tunc poteram dicere, nunc sum precans.

Precabor, c'est-à-dire, ero precans, ou tunc potero dicere, nunc sum precans.

On voit donc encore ici l'idée de simultanéité commune à ces trois tems, & désignée par le présent du participe ; cette idée est ensuite modifiée par les divers aspects de l'époque, lesquels sont désignés par les divers présens du verbe auxiliaire.

Toutes les especes d'analogies, prises dans diverses langues, ramenent donc constamment les tems du verbe à la même classification qui a été indiquée par le développement métaphysique des idées comprises dans la signification de ces formes. Ceux qui connoissent, dans l'étude des langues, le prix de l'analogie, sentent toute la force que donne à mon système cette heureuse concordance de l'analogie avec la métaphysique, & avoueront aisément que c'étoit à juste titre que Varron confondoit l'analogie & la raison.

Seroit-ce en effet le hasard qui reproduiroit si constamment & qui assortiroit si heureusement des analogies si précises & si marquées, dans des langues d'ailleurs très-différentes ? Il est bien plus raisonnable & plus sûr d'y reconnoître le sceau du génie supérieur qui préside à l'art de la parole, qui dirige l'esprit particulier de chaque langue, & qui, en abandonnant au gré des nations les couleurs dont elles peignent la pensée, s'est réservé le dessein du tableau, parce qu'il doit toujours être le même, comme la pensée qui en est l'original ; & je ne doute pas qu'on ne retrouva dans telle autre langue formée, où l'on en voudra faire l'épreuve, les mêmes analogies ou d'autres équivalentes également propres à confirmer mon système.

Art. IV. Conformité du système des TEMS avec les vues de la syntaxe. Voici des considérations d'une autre espece, mais également concluantes.

I. Si l'on conserve aux tems leurs anciennes dénominations, & que l'on en juge par les idées que ces dénominations présentent naturellement, il faut en convenir, les censeurs de notre langue en jugent raisonnablement ; & en examinant les divers emplois des tems, M. l'abbé Regnier a bien fait d'écrire en titre que l'usage confond quelquefois les TEMS des verbes, (gram. fr. in -12. p. 342. & suiv. in -4°. p. 359.) & d'assurer en effet que le présent a quelquefois la signification du futur, d'autres fois celle du prétérit, & que le prétérit à son tour est quelquefois employé pour le futur.

Mais ces étonnantes permutations ne peuvent qu'apporter beaucoup de confusion dans le discours, & faire obstacle à l'institution même de la parole. Cette faculté n'a été donnée à l'homme que pour la manifestation de ses pensées ; & cette manifestation ne peut se faire que par une exposition claire, débarrassée de toute équivoque &, à plus forte raison, de toute contradiction. Cependant rien de plus contradictoire que d'employer le même mot pour exprimer des idées aussi incommutables & même aussi opposées que celles qui caractérisent les différentes especes de tems.

Si au-contraire on distingue avec moi les trois especes générales de tems en indéfinis & définis, & ceux-ci en antérieurs & postérieurs, toute contradiction disparoît. Quand on dit, je demande pour je demandai, où il va pour où il alloit, je pars pour je partirai, le présent indéfini est employé selon sa destination naturelle : ce tems fait essentiellement abstraction de tout terme de comparaison déterminé ; il peut donc se rapporter, suivant l'occurrence, tantôt à un terme & tantôt à un autre, & devenir en conséquence, actuel, antérieur ou postérieur, selon l'exigence des cas.

Il en est de même du prétérit indéfini ; ce n'est point le détourner de sa signification naturelle, que de dire, par exemple, j'ai bientôt fait pour j'aurai bientôt fait : ce tems est essentiellement indépendant de tout terme de comparaison ; de-là la possibilité de le rapporter à tous les termes possibles de comparaison, selon les besoins de la parole.

Ce choix des tems indéfinis au lieu des définis, n'est pourtant pas arbitraire : il n'a lieu que quand il convient de rendre en quelque sorte plus sensible le rapport général d'existence, que le terme de comparaison ; distinction délicate, que tout esprit n'est pas en état de discerner & de sentir.

C'est pour cela que l'usage du présent indéfini est si fréquent dans les récits, sur-tout quand on se propose de les rendre intéressans ; c'est en lier plus essentiellement les parties en un seul tout, par l'idée de co-existence rendue, pour ainsi dire, plus saillante par l'usage perpétuel du présent indéfini, qui n'indique que cette idée, & qui fait abstraction de celle du terme.

Cette maniere simple de rendre raison des différens emplois d'un même tems, doit paroître, à ceux qui veulent être éclairés & qui aiment des solutions raisonnables, plus satisfaisante & plus lumineuse que l'énallage, nom mystérieux sous lequel se cache pompeusement l'ignorance de l'analogie, & qui ne peut pas être plus utile dans la Grammaire, que ne l'étoit dans la Physique les qualités occultes du péripatétisme. Pour détruire le prestige, il ne faut que traduire en françois ce mot grec d'origine, & voir quel profit on en tire quand il est dépouillé de cet air scientifique qu'il tient de sa source. Est-on plus éclairé, quand on a dit que je pars, par exemple, est mis pour je partirai par un changement ? car voilà ce que signifie le mot énallage. Ajoutons ces réflexions à celles de M. du Marsais, & concluons avec ce grammairien raisonnable (voyez ENALLAGE, que " l'énallage est une prétendue figure de construction, que les grammairiens qui raisonnent ne connoissent point, mais que les grammatistes célebrent ".

II. Il suit évidemment des observations précédentes, que les notions que j'ai données des tems sont un moyen sûr de conciliation entre les langues, qui, pour exprimer la même chose, employent constamment des tems différens. Par exemple, nous disons en françois, si JE le TROUVE, je le lui dirai ; les Italiens se le TROVERO, glie lo dirò. Selon les idées ordinaires, la langue italienne est en regle, & la langue françoise autorise une faute contre les principes de la Grammaire générale, en admettant un présent au lieu d'un futur. Mais si l'on consulte la saine philosophie, il n'y a dans notre tour ni figure, ni abus ; il est naturel & vrai : les Italiens se servent du présent postérieur, qui convient en effet au point de vue particulier que l'on veut rendre ; & nous, nous employons le présent indéfini, parce qu'indépendant par nature de toute époque, il peut s'adapter à toutes les époques, & conséquemment à une époque postérieure.

Mille autres idiotismes pareils s'interpréteroient aussi aisément & avec autant de vérité par les mêmes principes. Le succès en démontre donc la justesse, & met en évidence la témérité de ceux qui taxent hardiment les usages des langues de bisarrerie, de caprice, de confusion, d'inconséquence, de contradiction. Il est plus sage, je l'ai déjà dit ailleurs, & je le répete ici, il est plus sage de se défier de ses propres lumieres, que de juger irrégulier ce dont on ne voit pas la régularité.

Art. V. De quelques divisions des TEMS, particulieres à la langue françoise. Si je bornois ici mes réflexions sur la nature & le nombre des tems, bien des lecteurs s'en contenteroient peut-être, parce qu'en effet j'ai à-peu-près examiné ceux qui sont d'un usage plus universel. Mais notre langue en a adopté quelques-uns qui lui sont propres, & qui dès-lors méritent d'être également approfondis, moins encore parce qu'ils nous appartiennent, que parce que la réalité de ces tems dans une langue en prouve la possibilité dans toutes, & que la sphere d'un systeme philosophique doit comprendre tous les possibles.

§. I. Des TEMS prochains & éloignés. Sous le rapport de simultanéité, l'existence est coincidente avec l'époque ; mais sous les deux autres rapports, d'antériorité & de postériorité, l'existence est séparée de l'époque par une distance, que l'on peut envisager d'une maniere vague & générale, ou d'une maniere spéciale & précise ; ce qui peut faire distinguer les prétérits & les futurs en deux classes.

Dans l'une de ces classes, on considéreroit la distance d'une maniere vague & indéterminée, ou plutôt on y considéreroit l'antériorité ou la postériorité sans aucun égard à la distance, & conséquemment avec abstraction de toute distance déterminée. Pour ne point multiplier les dénominations, on pourroit conserver aux tems de cette classe les noms simples de prétérits ou de futurs, parce qu'on n'y exprime effectivement que l'antériorité ou la postériorité ; tels sont les prétérits & les futurs que nous avons vus jusqu'ici.

Dans la seconde classe, on considéreroit la distance d'une maniere précise & déterminée. Mais il n'est pas possible de donner à cette détermination la précision numérique ; ce seroit introduire dans les langues une multitude infinie de formes, plus embarrassantes pour la mémoire qu'utiles pour l'expression, qui a d'ailleurs mille autres ressources pour rendre la précision numérique même, quand il est nécessaire. La distance à l'époque ne peut donc être déterminée dans les tems du verbe, que par les caracteres généraux d'éloignement ou de proximité relativement à l'époque : de-là la distinction des tems de cette seconde classe, en éloignés & en prochains.

Les prétérits ou les futurs éloignés, seroient des formes qui exprimeroient l'antériorité ou la postériorité d'existence, avec l'idée accessoire d'une grande distance à l'égard de l'époque de comparaison. Sous cet aspect, les prétérits & les futurs pourroient être, comme les autres, indéfinis, antérieurs & postérieurs. Telles seroient, par exemple, les formes du verbe lire qui signifieroient l'antériorité éloignée que nous rendons par ces phrases : Il y a long-tems que j'ai lu, il y avoit long-tems que j'avois lu, il y aura long-tems que j'aurai lu ; ou la postériorité éloignée que nous exprimons par celles-ci ; je dois être longtems sans lire, je devois être long-tems sans lire, je devrai être long-tems sans lire.

Je ne sache pas qu'aucune langue ait admis des formes exclusivement propres à exprimer cette espece de tems ; mais, comme je l'ai déja observé, la seule possibilité suffit pour en rendre l'examen nécessaire dans une analyse exacte.

Les prétérits ou les futurs prochains, seroient des formes qui exprimeroient l'antériorité ou la postériorité d'existence, avec l'idée accessoire d'une courte distance à l'égard de l'époque de comparaison. Sous ce nouvel aspect, les prétérits & les futurs peuvent encore être indéfinis, antérieurs & postérieurs. Telles seroient, par exemple, les formes du verbe lire, qui signifieroient l'antériorité prochaine que les Latins rendent par ces phrases : Vix legi, vix legeram, vix legero ; ou la postériorité prochaine que les Latins expriment par celles-ci : jamjam lecturus sum, jamjam lecturus eram, jamjam lecturus ero.

La langue françoise qui paroît n'avoir tenu aucun compte des tems éloignés, n'a pas négligé de même les tems prochains : elle en reconnoît trois dans l'ordre des prétérits, & deux dans l'ordre des futurs ; & chacune de ces deux especes de tems prochains est distinguée des autres tems de la même classe par son analogie particuliere.

Les prétérits prochains sont composés du verbe auxiliaire venir, & du présent de l'infinitif du verbe conjugué, à la suite de la préposition de. Le verbe auxiliaire ne signifie plus alors le transport d'un lieu en un autre, comme quand il est employé selon sa destination originelle ; ses tems ne servent plus qu'à marquer la proximité de l'antériorité, & le point-de-vûe particulier sous lequel on envisage l'époque de comparaison.

Le présent indéfini du verbe venir sert à composer le prétérit indéfini prochain du verbe conjugué : je viens d'être, je viens de louer, je viens d'admirer, &c.

Le présent antérieur du verbe venir sert à composer le prétérit antérieur prochain du verbe conjugué : je venois d'être, je venois de louer, je venois d'admirer, &c.

Le présent postérieur du verbe venir sert à composer le prétérit postérieur prochain du verbe conjugué : je viendrai d'être, je viendrai de louer, je viendrai d'admirer, &c.

Depuis quelque tems on dit en italien, io vengo di lodare, io venivo di lodare, &c. cette expression est un gallicisme qui a été blâmé par M. l'abbé Fontanini ; mais l'autorité de l'usage l'a enfin consacrée dans la langue italienne ; & la voilà pourvue, comme la nôtre, des prétérits prochains.

Les futurs prochains sont composés du verbe auxiliaire aller, suivi simplement du présent de l'infinitif du verbe conjugué. Le verbe auxiliaire perd encore ici sa signification originelle, pour ne plus marquer que la proximité de la futurition ; & ses divers présens désignent les divers points-de-vûe sous lesquels on envisage l'époque de comparaison.

Le présent indéfini du verbe aller sert à composer le futur indéfini prochain du verbe conjugué : je vais être, je vais louer, je vais admirer, &c.

Le présent antérieur du verbe aller sert à composer le futur antérieur prochain du verbe conjugué : j'allois être, j'allois louer, j'allois admirer, &c.

Quand je dis que notre langue n'a point admis de tems éloignés, ni de futurs postérieurs prochains, je ne veux pas dire qu'elle soit privée de tous les moyens d'exprimer ces différens points-de-vûe ; il ne lui faut qu'un adverbe, un tour de phrase, pour subvenir à tout. Je veux dire qu'elle n'a autorisé pour cela, dans ses verbes, aucune forme simple, ni aucune forme composée résultante de l'association d'un verbe auxiliaire qui se dépouille de sa signification originelle, pour marquer uniquement l'antériorité ou la postériorité d'existence éloignée, ou la postériorité d'existence prochaine à l'égard d'une époque postérieure. Je fais cette remarque, afin d'éviter toute équivoque & d'être entendu ; & je vais y en ajouter une seconde pour la même raison.

Quoique j'aye avancé que les verbes auxiliaires usuels perdent sous cet aspect leur signification originelle ; le choix de l'usage qui les a autorisés à faire ces fonctions, est pourtant fondé sur la signification même de ces verbes. Le verbe venir, par exemple, suppose une existence antérieure dans le lieu d'où l'on vient ; & dans le moment qu'on en vient, il n'y a pas long-tems qu'on y étoit : voilà précisément la raison du choix de ce verbe, pour servir à l'expression des prétérits prochains. Pareillement le verbe aller indique la postériorité d'existence dans le lieu où l'on va ; dans le tems qu'on y va, on est dans l'intention d'y être bientôt : voilà encore la justification de la préférence donnée à ce verbe pour désigner les futurs prochains. On justifieroit par des inductions à-peu-près pareilles, les usages des verbes auxiliaires avoir & devoir, pour désigner d'une maniere générale l'antériorité & la postériorité d'existence. Mais il n'en demeure pas moins vrai que tous ces verbes, devenus auxiliaires, perdent réellement leur signification primitive & fondamentale, & qu'ils n'en retiennent que des idées accessoires & éloignées, qui en font plutôt l'apanage que le fonds.

§. 2. Des tems positifs & comparatifs. Pour ne rien omettre de tout ce qui peut appartenir à la langue françoise, il me reste encore à examiner quelques tems qui y sont quelquefois usités quoique rarement, parce qu'ils y sont rarement nécessaires. C'est ainsi qu'en parle M. l'abbé de Dangeau, l'un de nos premiers grammairiens qui les ait observés & nommés. Opusc. sur la langue franc. pag. 177. 178. Il les appelle tems surcomposés, & il en donne le tableau pour les verbes qu'il nomme actifs, neutres-actifs & neutres-passifs. Ibid. Tables E. N. Q. pages 128. 142. 148. Tels sont ces tems : j'ai eu chanté, j'avois eu marché, j'aurai été arrivé.

Je commencerai par observer que la dénomination de tems surcomposés est trop générale, pour exciter dans l'esprit aucune idée précise, & conséquemment pour figurer dans un système vraiment philosophique.

J'ajouterai en second lieu, que cette dénomination n'a aucune conformité avec les loix que le simple bon sens prescrit sur la formation des noms techniques. Ces noms, autant qu'il est possible, doivent indiquer la nature de l'objet : c'est la regle que j'ai tâché de suivre à l'égard des dénominations que les besoins de mon système m'ont paru exiger ; & c'est celle dont l'observation paroît le plus sensiblement dans la nomenclature des sciences & des arts. Or il est évident que le nom de surcomposés n'indique absolument rien de la nature des tems auxquels on le donne, & qu'il ne tombe que sur la forme extérieure de ces tems, laquelle est absolument accidentelle. Il peut donc être utile, pour la génération des tems, de remarquer cette propriété dans ceux que l'usage y a soumis ; mais en faire comme le caractere distinctif, c'est une méprise, & peut-être une erreur de logique.

Je remarquerai en troisieme lieu, que les relations d'existence qui caractérisent les tems dont il s'agit ici, sont bien différentes de celles des tems moins composés que nous avons vus jusqu'à présent : j'ai eu aimé, j'avois eu entendu, j'aurois eu dit, sont par-là très-différens des tems moins composés, j'ai aimé, j'avois entendu, j'aurois dit. Or nous avons des tems surcomposés qui répondent exactement à ces derniers quant aux relations d'existence ; ce sont ceux de la voix passive, j'ai été aimé, j'avois été entendu, j'aurois été dit. Ainsi la dénomination de surcomposés comprendroit des tems qui exprimeroient des relations d'existence tout-à-fait différentes, & deviendroit par-là très-équivoque ; ce qui est le plus grand vice d'une nomenclature, & sur-tout d'une nomenclature technique.

Une quatrieme remarque encore plus considérable, c'est que les tables de conjugaison proposées par M. l'abbé de Dangeau, semblent insinuer que les verbes qu'il nomme pronominaux, n'admettent point de tems surcomposés ; & il le dit nettement dans l'explication qu'il donne ensuite de ses tables. " Les parties surcomposées des verbes se trouvent, dit-il, (Opusc. page 210.) dans les neutres-passifs, & on dit, quand il a été arrivé : elles ne se trouvent point dans les verbes pronominaux neutrisés ; on dit bien, après m'être promené, mais on ne peut pas dire, après que je m'ai été promené long-tems ". Je conviens qu'avec cette sorte de verbes on ne peut pas employer les tems composés du verbe auxiliaire être ; ni dire, je m'ai été souvenu, comme on diroit j'ai été arrivé : mais de ce que l'usage n'a point autorisé cette formation des tems surcomposés, il ne s'ensuit point du tout qu'il n'en ait autorisé aucune autre.

On dit, après que j'ai eu parlé, verbe qui prend l'auxiliaire avoir ; après que j'ai été arrivé, verbe qui prend l'auxiliaire être ; l'un & l'autre sans la répétition du pronom personnel : mais il est constant que d'après les mêmes points-de-vûe que l'on marque dans ces deux exemples, on peut avoir besoin de les désigner aussi quand le verbe est pronominal ou réflechi ; & il n'est guere moins sûr que l'analogie du langage n'aura pas privé cette sorte de verbe d'une forme qu'elle a établie dans tous les autres. De même que l'on dit, dès que j'ai eu chanté, je suis parti pour vous voir (c'est un exemple du savant académicien) ; dès que j'ai été sorti, vous êtes arrivé : pourquoi ne diroit-on pas dans le même sens, & avec autant de clarté, de précision, & peut-être de fondement, dès que je me suis eu informé, je vous ai écrit ? Au-lieu donc de dire, après que je m'ai été promené long-tems, expression justement condamnée par M. de Dangeau, on dira, après que je me suis eu promené long-tems, ou après m'être eu promené long-tems.

Il est vrai que je ne garantirois pas qu'on trouvât dans nos bons écrivains des exemples de cette formation : mais je ne désespererois pas non plus d'y en rencontrer quelques-uns, sur-tout dans les comiques, dans les épistolaires, & dans les auteurs de romans ; & je suis bien assuré que tous les jours, dans les conversations des puristes les plus rigoureux, on entend de pareilles expressions sans en être choqué, ce qui est la marque la plus certaine qu'elles sont dans l'analogie de notre langue. Si elles ne sont pas encore dans le langage écrit, elles méritent du moins de n'en être pas rejettées : tout les y réclame, les intérêts de cette précision philosophique, qui est un des caracteres de notre langue ; & ceux mêmes de la langue, qu'on ne sauroit trop enrichir dès qu'on peut le faire sans contredire les usages analogiques.

Mais, me dira-t-on, l'analogie même n'est pas trop observée ici : les verbes simples qui se conjuguent avec l'auxiliaire avoir, prennent un tems composé de cet auxiliaire, pour former leurs tems surcomposés ; j'ai eu chanté, j'aurois eu chanté, &c. les verbes simples qui se conjuguent avec l'auxiliaire être, prennent un tems composé de cet auxiliaire, pour former leurs tems surcomposés ; j'ai été arrivé, j'aurois été arrivé, &c. au contraire les tems surcomposés des verbes pronominaux prennent un tems simple du verbe être avec le supin du verbe avoir ; ce qui est ou paroît du-moins être une véritable anomalie.

Je réponds qu'il faut prendre garde de regarder comme anomalie, ce qui n'est en effet qu'une différence nécessaire dans l'analogie. Le verbe aimer fait j'ai aimé, j'ai eu aimé : s'il devient pronominal, il fera je me suis aimé ou aimée, au premier de ces deux tems où il n'est plus question du supin, mais du participe : mais quant au second, il faudra donc pareillement substituer le participe au supin, & pour ce qui est de l'auxiliaire avoir, il doit, à cause du double pronom personnel, se conjuguer lui-même par le secours de l'auxiliaire être ; je me suis eu, comme je me suis aimé ; mais ce supin du verbe avoir ne change point, & demeure indéclinable, parce que son véritable complément est le participe aimé dont il est suivi, voyez PARTICIPE. Ainsi aimer fera très-analogiquement je me suis eu aimé ou aimée.

Mais quelle est enfin la nature de ces tems, que nous ne connoissons que sous le nom de prétérits surcomposés ? L'un des deux auxiliaires y caractérise, comme dans les autres, l'antériorité ; le second, si nos procédés sont analogiques, doit désigner encore un autre rapport d'antériorité, dont l'idée est accessoire à l'égard de la premiere qui est fondamentale. L'antériorité fondamentale est relative à l'époque que l'on envisage primitivement ; & l'antériorité accessoire est relative à un autre événement mis en comparaison avec celui qui est directement exprimé par le verbe, sous la relation commune à la même époque primitive. Quand je dis, par exemple, dès que j'ai eu chanté, je suis parti pour vous voir ; l'existence de mon chant & celle de mon départ sont également présentées comme antérieures au moment où je parle ; voilà la relation commune à une même époque primitive, & c'est la relation de l'antériorité fondamentale : mais l'existence de mon chant est encore comparée à celle de mon départ, & le tour particulier j'ai eu chanté sert à marquer que l'existence de mon chant est encore antérieure à celle de mon départ, & c'est l'antériorité accessoire.

C'est donc cette antériorité accessoire, qui distingue des prétérits ordinaires ceux dont il est ici question ; & la dénomination qui leur convient doit indiquer, s'il est possible, ce caractere qui les différencie des autres. Mais comme l'antériorité fondamentale de l'existence est déjà exprimée par le nom de prétérit, & celle de l'époque par l'épithete d'antérieur ; il est difficile de marquer une troisieme fois la même idée, sans courir les risques de tomber dans une sorte de battologie : pour l'éviter, je donnerois à ces tems le nom de prétérits comparatifs, afin d'indiquer que l'antériorité fondamentale, qui constitue la nature commune de tous les prétérits, est mise en comparaison avec une autre antériorité accessoire ; car les choses composées doivent être homogènes. Or il y a quatre prétérits comparatifs.

1. Le prétérit indéfini comparatif, comme j'ai eu chanté.

2. Le prétérit antérieur simple comparatif, comme j'avois eu chanté.

3. Le prétérit antérieur périodique comparatif, comme j'eus eu chanté.

4. Le prétérit postérieur comparatif, comme j'aurai eu chanté.

Il me semble que les prétérits qui ne sont point comparatifs, sont suffisamment distingués de ceux qui le sont, par la suppression de l'épithete même de comparatifs ; car c'est être en danger de se payer de paroles, que de multiplier les noms sans nécessité. Mais d'autre part, on court risque de n'adopter que des idées confuses, quand on n'en attache pas les caracteres distinctifs à un assez grand nombre de dénominations : & cette remarque me détermineroit assez à appeller positifs tous les prétérits qui ne sont pas comparatifs, sur-tout dans les occurrences où l'on parleroit des uns relativement aux autres. Je vais me servir de cette distinction dans une derniere remarque sur l'usage des prétérits comparatifs.

Ils ne peuvent jamais entrer que dans une proposition qui est membre d'une période explicite ou implicite : explicite ; j'ai eu lu tout ce livre avant que vous en eussiez lu la moitié : implicite ; j'ai eu lu tout ce livre avant vous, c'est-à-dire, avant que vous l'eussiez lu. Or c'est une regle indubitable qu'on ne doit se servir d'un prétérit comparatif, que quand le verbe de l'autre membre de la comparaison est à un prétérit positif de même nom ; parce que les termes comparés, comme je l'ai dit cent fois, doivent être homogenes. Ainsi l'on dira ; quand j'ai eu chanté, je suis sorti ; si j'avois eu chanté, je serois sorti avec vous ; Quand nous aurons été sortis, ils auront renoué la partie, &c. Ce seroit une faute d'en user autrement, & de dire, par exemple, si j'avois eu chanté, je sortirois, &c.

Art. VI. Des tems considérés dans les modes. Les verbes se divisent en plusieurs modes qui répondent aux différens aspects sous lesquels on peut envisager la signification formelle des verbes, voyez MODE. On retrouve dans chaque mode la distinction des tems, parce qu'elle tient à la nature indestructible du verbe, (voyez VERBE.) Mais cette distinction reçoit d'un mode à l'autre des différences si marquées, que cela mérite une attention particuliere. Les observations que je vais faire à ce sujet, ne tomberont que sur nos verbes françois, afin d'éviter les embarras qui naîtroient d'une comparaison trop compliquée ; ceux qui m'auront entendu, & qui connoîtront d'autres langues, sauront bien y appliquer mon système, & reconnoître les parties qui en auront été adoptées ou rejettées par les différens usages de ces idiomes.

Nous avons six modes en françois : l'indicatif, l'impératif, le suppositif, le subjonctif, l'infinitif & le participe, (voyez ces mots) : c'est l'ordre que je vais suivre dans cet article.

§. 1. Des tems de l'indicatif. Il semble que l'indicatif soit le mode le plus naturel & le plus nécessaire : lui seul exprime directement & purement la proposition principale ; & c'est pour cela que Scaliger le qualifie solus modus aptus scientiis, solus pater veritatis (de caus. L. L. cap. cxvj.) Aussi est-ce le seul mode qui admette toutes les especes de tems autorisées dans chaque langue. Ainsi il ne s'agit, pour faire connoître au lecteur le mode indicatif, que de mettre sous ses yeux le système figuré des tems que je viens d'analyser. Je mettrai en parallele trois verbes ; l'un simple, empruntant l'auxiliaire avoir ; le second également simple, mais se servant de l'auxiliaire naturel être ; enfin le troisieme pronominal, & pour cela même différent des deux autres dans la formation de ses prétérits comparatifs. Ces trois verbes seront chanter, arriver, se révolter.

SYSTÈME DES TEMS DE L'INDICATIF.

§. 2. Des tems de l'impératif. J'ai déja prouvé que notre impératif a deux tems ; que le premier est un présent postérieur, & le second, un prétérit postérieur, (voyez IMPERATIF.) J'avoue ici, que malgré tous mes efforts contre les préjugés de la vieille routine, je n'ai pas dissipé toute l'illusion de la maxime d'Apollon. (lib. I. cap. xxx.), qu'on ne commande pas les choses présentes ni les passées. Je pensois que ce qui avoit trompé ce grammairien, c'est que le rapport de postériorité étoit essentiel au mode impératif : je ne le croi plus maintenant, & voici ce qui me fait changer d'avis. L'impératif est un mode qui ajoute à la signification principale du verbe, l'idée accessoire de la volonté de celui qui parle : or cette volonté peut être un commandement absolu, un desir, une permission, un conseil, un simple acquiescement. Si la volonté de celui qui parle est un commandement, un desir, une permission, un conseil ; tout cela est nécessairement relatif à une époque postérieure, parce qu'il n'est pas possible de commander, de desirer, de permettre, de conseiller que relativement à l'avenir : mais si la volonté de celui qui parle est un simple acquiescement, il peut se rapporter indifféremment à toutes les époques, parce qu'on peut également acquiescer à ce qui est actuel, antérieur ou postérieur à l'égard du moment où l'on s'en explique.

Un domestique, par exemple, dit à son maître qu'il a gardé la maison, qu'il n'est pas sorti, qu'il ne s'est pas enyvré ; mais son maître, piqué de ce que néanmoins il n'a pas fait ce qu'il lui avoit ordonné, lui répond : AYE GARDE la maison, ne SOIS pas SORTI, ne TE SOIS pas ENYVRE, que m'importe, si tu n'as pas fait ce que je voulois. Il est évident 1°. que ces expressions aye gardé, ne sois pas sorti, ne te sois pas enyvré, sont à l'impératif, puisqu'elles indiquent l'acquiescement du maître aux assertions du domestique : 2°. qu'elles sont au prétérit actuel, puisqu'elles énoncent l'existence des attributs qui y sont énoncés, comme antérieurs au moment même où l'on parle ; & le maître auroit pu dire, TU AS GARDE la maison, TU N'ES pas SORTI, TU ne T'ES pas ENYVRE, que m'importe, &c.

Le prétérit de notre impératif peut donc être rapporté à différentes époques, & par conséquent il est indéfini. C'est d'après cette correction que je vais présenter ici le système des tems de ce mode, un peu autrement que je n'ai fait à l'article qui en traite expressément. Ceux qui ne se rétractent jamais, ne donnent pas pour cela des décisions plus sûres ; ils ont quelquefois moins de bonne foi.

SYSTÈME DES TEMS DE L'IMPERATIF.

Les verbes pronominaux n'ont pas le prétérit indéfini à l'impératif, si ce n'est avec ne pas, comme dans l'exemple ci-dessus, ne te sois pas enyvré ; mais on ne diroit pas sans négation, te sois enyvré ; il faudroit prendre un autre tour. On pourroit peut-être croire que ce seroit un impératif, si on disoit, te sois-tu enyvré pour la derniere fois ! Mais l'inversion du pronom subjectif tu nous avertit ici d'une ellipse, & c'est celle de la conjonction que & du verbe optatif je desire, je desire que tu te sois enyvré, ce qui marque le subjonctif : (voyez SUBJONCTIF) d'ailleurs le pronom subjonctif n'est jamais exprimé avec nos impératifs, & c'est même ce qui en constitue principalement la forme distinctive. (Voyez IMPERATIF.)

§. 3. DES TEMS du suppositif. Nous avons dans ce mode un tems simple, comme les présens de l'indicatif ; je chanterois, j'arriverois, je me révolterois : nous en avons un qui est composé d'un tems simple de l'auxiliaire avoir, ou de l'auxiliaire être, comme les prétérits positifs de l'indicatif ; j'aurois chanté, je serois arrivé en vie, je me serois révolté ou tée : un autre tems est surcomposé, comme les prétérits comparatifs de l'indicatif, j'aurois eu chanté, j'aurois été arrivé ou vée, je me serois eu révolté ou tée : un autre emprunte l'auxiliaire venir, comme les prétérits prochains de l'indicatif ; je viendrois de chanter, d'arriver, de me dérober : enfin, il en est un qui se sert de l'auxiliaire devoir, comme les futurs positifs de l'indicatif, je devrois chanter, arriver, me révolter. L'analogie, qui dans les cas réellement semblables, établit toujours les usages des langues sur les mêmes principes, nous porte à ranger ces tems du suppositif dans les mêmes classes que ceux de l'indicatif auxquels ils sont analogues dans leur formation. Voilà sur quoi est formé le

SYSTÈME DES TEMS DU SUPPOSITIF.

Achevons d'établir par des exemples détaillés, ce qui n'est encore qu'une conclusion générale de l'analogie ; & reconnoissons, par l'analyse de l'usage, la vraie nature de chacun de ces tems.

1°. Le présent du suppositif est indéfini ; il en a les caracteres, puisqu'étant rapporté tantôt à une époque, & tantôt à une autre, il ne tient effectivement à aucune époque précise & déterminée.

Si Clément VII. eût traité Henri VIII. avec plus de modération, la religion catholique SEROIT encore aujourd'hui dominante en Angleterre. Il est évident par l'adverbe aujourd'hui, que seroit est employé dans cette phrase comme présent actuel.

En peignant dans un récit le desespoir d'un homme lâche, on peut dire : Il s'arrache les cheveux, il se jette à terre, il se releve, il blasphème contre le ciel, il déteste la vie qu'il en a reçue, il MOURROIT s'il avoit le courage de se donner la mort. Il est certain que tout ce que l'on peint ici est antérieur au moment où l'on parle ; il s'arrache, il se jette, il se releve, il blasphème, il déteste, sont dits pour il s'arrachoit, il se jettoit, il se relevoit, il blasphémoit, il détestoit, qui sont des présens antérieurs, & qui dans l'instant dont on rappelle le souvenir, pouvoient être employés comme des présens actuels : mais il en est de même du verbe il mourroit ; on pouvoit l'employer alors dans le sens actuel, & on l'emploie ici dans le sens antérieur comme les verbes précédens, dont il ne differe que par l'idée accessoire d'hypothèse qui caractérise le mode suppositif.

Si ma voiture étoit prête, JE PARTIROIS demain : l'adverbe demain exprime si nettement une époque postérieure, qu'on ne peut pas douter que le verbe je partirois ne soit employé ici comme présent postérieur.

2°. Le prétérit positif est pareillement indéfini, puisqu'on peut pareillement le rapporter à diverses époques, selon la diversité des occurrences.

Les Romains AUROIENT CONSERVE l'empire de la terre, s'ils avoient conservé leurs anciennes vertus ; c'est-à-dire, que nous pourrions dire aujourd'hui, les Romains ONT CONSERVE, &c. Or, le verbe ont conservé étant rapporté à aujourd'hui, qui exprime une époque actuelle, est employé comme prétérit actuel : par conséquent il faut dire la même chose du verbe auroient conservé, qui a ici le même sens, si ce n'est qu'il ne l'énonce qu'avec l'idée accessoire d'hypothèse, au lieu que l'on dit ont conservé d'une maniere absolue & indépendante de toute supposition.

J'AUROIS FINI cet ouvrage à la fin du mois prochain, si des affaires urgentes ne m'avoient détourné : le prétérit positif j'aurois fini est relatif ici à l'époque désignée par ces mots, la fin du mois prochain, qui est certainement une époque postérieure ; & c'est comme si l'on disoit, je pourrois dire à la fin du mois prochain, J'AI FINI, &c. j'aurois fini est donc employé dans cette phrase comme prétérit postérieur.

3°. Ce qui est prouvé du prétérit positif, est également vrai du prétérit comparatif ; il peut dans differentes phrases se rapporter à différentes époques ; il est indéfini.

Quand J'AUROIS EU PRIS toutes mes mesures avant l'arrivée du ministre, je ne pouvois réussir sans votre crédit. Il y a ici deux événemens présentés comme antérieurs au moment de la parole, la précaution d'avoir pris toutes les mesures, & l'arrivée du ministre ; c'est pourquoi j'aurois eu pris est employé ici comme prétérit actuel, parce qu'il énonce la chose comme antérieure au moment de la parole : il est comparatif, afin d'indiquer encore l'antériorité des mesures prises à l'égard de l'arrivée du ministre, laquelle est également antérieure à l'époque actuelle. C'est comme si l'on disoit, quand à l'arrivée du ministre, (qui est au prétérit actuel, puisqu'elle est actuellement passée), j'aurois pu dire, (autre prétérit également actuel), J'AI PRIS toutes mes mesures, (prétérit rapporté immédiatement à l'époque de l'arrivée du ministre, & par comparaison à l'époque actuelle).

Si on lui avoit donné le commandement, j'étois sûr qu'il AUROIT EU REPRIS toutes nos villes avant que les ennemis pussent se montrer, c'est-à-dire, je pouvois dire avec certitude, il AURA REPRIS toutes nos villes, &c. Or il aura repris est vraiment le prétérit postérieur de l'indicatif ; il auroit eu repris est donc employé comme prétérit postérieur, puisqu'il renferme le même sens.

4°. Pour ce qui concerne le prétérit prochain, il est encore indéfini, & on peut l'employer avec rélation à différentes époques.

Quelqu'un veut tirer de ce que je viens de rentrer, une conséquence que je desavoue, & je lui dis : quand JE VIENDROIS DE RENTRER, cela ne prouve rien. Il est évident que ces mots je viendrois de rentrer, sont immédiatement rélatifs au moment où je parle, & que par conséquent c'est un prétérit prochain actuel ; c'est comme si je disois, j'avoue que JE VIENS DE RENTRER actuellement, mais cela ne prouve rien.

Voici le même tems rapporté à une autre époque, quand je dis : allez chez mon frere, & quand il VIENDROIT DE RENTRER, amenez-le ici. Le verbe amenez est certainement ici au présent postérieur, & il est clair que ces mots, il viendroit de rentrer, expriment un événement antérieur à l'époque énoncée par amenez, qui est postérieure ; par conséquent il viendroit de rentrer est ici un prétérit postérieur.

5°. Enfin, le futur positif est également indéfini, puisqu'il sert aussi avec relation à diverses époques, comme on va le voir dans ces exemples.

Quand je ne DEVROIS pas VIVRE long-tems, je veux cependant améliorer cette terre ; c'est-à-dire, quand je serois sûr que je ne DOIS pas VIVRE : or je dois vivre est évidemment le futur positif indéfini de l'indicatif, employé ici avec relation à une époque actuelle ; & il ne prend la place de je devrois vivre, qu'autant que je devrois vivre, est également rapporté à une époque actuelle ; c'est donc ici un futur actuel.

Nous lui avons souvent entendu dire qu'il vouloit aller à ce siége, quand même il y DEVROIT PERIR ; c'est-à-dire, quand même il seroit sûr qu'il y DEVROIT PERIR : or il devoit périr est le futur positif antérieur de l'indicatif, & puisqu'il tient ici la place de il devroit périr, c'est que il devroit périr, est employé dans le même sens, & que c'est ici un futur antérieur.

Tous les tems du suppositif sont donc indéfinis ; on vient de le prouver en détail de chacun en particulier : en voici une preuve générale. Les tems en eux-mêmes sont susceptibles partout des mêmes divisions que nous avons vues à l'indicatif, à-moins que l'idée accessoire qui constitue la nature d'un mode, ne soit opposée à quelques-uns des points de vue de ces divisions, comme on l'a vu pour les tems de l'impératif. Mais l'idée d'hypothèse & de supposition, qui distingue de tous les autres le mode suppositif, s'accorde très-bien avec toutes les manieres d'envisager les tems ; rien n'y répugne. Cependant l'usage de notre langue n'a admis qu'une seule forme pour chacune des especes qui sont soudivisées dans l'indicatif par les diverses manieres d'envisager l'époque : il est donc nécessaire que cette forme unique, dans chaque espece de suppositif, ne tienne à aucune époque déterminée, afin que dans l'occurrence elle puisse être rapportée à l'une ou à l'autre selon les besoins de l'élocution ; c'est-à-dire, que chacun des tems du suppositif doit être indéfini.

Cette propriété, dont j'ai cru indispensable d'établir la théorie, je n'ai pas cru devoir l'indiquer dans la nomenclature des tems du suppositif ; parce qu'elle est commune à tous les tems, & que les dénominations techniques ne doivent se charger que des épithetes nécessaires à la distinction des especes comprises sous un même genre.

§. IV. Des tems du subjonctif. Nous avons au subjonctif les mêmes classes générales de tems qu'à l'indicatif ; des présens, des prétérits & des futurs. Les prétérits y sont pareillement soudivisés en positifs, comparatifs & prochains ; & les futurs, en positifs & prochains. Toutes ces especes sont analogues, dans leur formation, aux especes correspondantes de l'indicatif & des autres modes : les présens y sont simples ; les prétérits positifs sont composés d'un tems simple de l'un des deux auxiliaires avoir ou être ; les comparatifs sont surcomposés des mêmes auxiliaires, & les prochains empruntent le verbe venir : les futurs positifs prennent l'auxiliaire devoir ; & les prochains, l'auxiliaire aller.

SYSTÊME DES TEMS DU SUBJONCTIF.

Il n'y a que deux tems dans chaque classe ; & je nomme le premier indéfini, & le second défini anté rieur : c'est que le premier est destiné par l'usage à exprimer le rapport d'existence, qui lui convient, à l'égard d'une époque envisagée comme actuelle par comparaison, ou avec un présent actuel, ou avec un présent postérieur ; au lieu que le second n'exprime le rapport qui lui convient, qu'à l'égard d'une époque envisagée comme actuelle, par comparaison avec un présent antérieur. En voici la preuve dans une suite systématique d'exemples comparés, dont le second, énoncé par le mode & dans le sens indicatif, sert perpétuellement de réponse au premier, qui est énoncé dans le sens subjonctif.

Les présens du subjonctif, que vous entendiez, que vous entendissiez, dans les exemples précédens, expriment la simultanéité d'existence à l'égard d'une époque qui est actuelle, relativement au moment marqué par l'un des présens du verbe principal, je ne crois pas, je ne croirai pas, je ne croyois pas : & c'est à l'égard d'une époque semblablement déterminée à l'actualité, que les prétérits du subjonctif, dans chacune des trois classes, expriment l'antériorité d'existence, & que les futurs des deux classes expriment la postériorité d'existence. Je vais rendre sensible cette remarque qui est importante, en l'appliquant aux trois exemples des prétérits positifs.

1°. Je ne crois pas que vous ayez entendu, c'est-à-dire, je crois que vous n'avez pas entendu : or vous avez entendu exprime l'antériorité d'existence, à l'égard d'une époque qui est actuelle, relativement au moment déterminé par le présent actuel du verbe principal je crois, qui est le moment même de la parole.

2°. Je ne croirai pas que vous ayez entendu, c'est-à-dire, je pourrai dire, je crois que vous n'avez pas entendu : or vous avez entendu exprime ici l'antériorité d'existence, à l'égard d'une époque qui est actuelle, relativement au moment déterminé par je crois, qui, dans l'exemple, est envisagé comme postérieur ; je croirai, ou je pourrai dire, je crois.

3°. Je ne croyois pas que vous eussiez entendu, c'est-à-dire, je pouvois dire, je crois que vous n'avez pas entendu : or vous avez entendu exprime encore l'antériorité d'existence, à l'égard d'une époque qui est actuelle, relativement au moment déterminé par je crois, qui dans cet exemple, est envisagé comme antérieur ; je croyois, ou je pourrai dire, je crois.

Les développemens que je viens de donner sur ces trois exemples, suffiront à tout homme intelligent, pour lui faire appercevoir comment on pourroit expliquer chacun des autres, & démontrer que chacun des tems du subjonctif y est rapporté à une époque actuelle, relativement au moment déterminé par le present du verbe principal. Mais à l'égard du premier tems de chaque classe, l'actualité de l'époque de comparaison peut être également relative, ou à un présent actuel, ou à un présent postérieur, comme on le voit dans ces mêmes exemples ; & c'est par cette considération seulement que je regarde ces tems comme indéfinis : je regarde au contraire les autres comme définis, parce que l'actualité de l'époque de comparaison y est nécessairement & exclusivement relative à un présent antérieur ; & c'est aussi pour cela que je les qualifie tous d'antérieurs.

Ainsi le moment déterminé par l'un des présens du verbe principal, est pour les tems du subjonctif, ce que le seul moment de la parole est pour les tems de l'indicatif ; c'est le terme immédiat des relations qui fixent l'époque de comparaison. A l'indicatif, les tems expriment des rapports d'existence à une époque dont la position est fixée relativement au moment de la parole : au subjonctif ils expriment des rapports d'existence à une époque dont la position est fixée relativement au moment déterminé par l'un des présens du verbe principal.

Or ce moment déterminé par l'un des présens du verbe principal, peut avoir lui-même diverses relations au moment de la parole, puisqu'il peut être, ou actuel, ou antérieur, ou postérieur. Le rapport d'existence au moment de la parole, qui est exprimé par un tems du subjonctif, est donc bien plus composé que celui qui est exprimé par un tems de l'indicatif : celui de l'indicatif est composé de deux rapports, rapport d'existence à l'époque, & rapport de l'époque au moment de la parole : celui du subjonctif est composé de trois ; rapport d'existence à une époque, rapport de cette époque au moment déterminé par l'un des présens du verbe principal, & rapport de ce moment principal à celui de la parole.

Quand j'ai déclaré & nommé indéfini le premier de chacune des six classes de tems qui constituent le subjonctif, & que j'ai donné au second la qualification & le nom de défini antérieur ; je ne considérois dans ces tems que les deux premiers rapports élémentaires, celui de l'existence à l'époque, & celui de l'époque au moment principal. J'ai dû en agir ainsi, pour parvenir à fixer les caracteres différentiels, & les dénominations distinctives des deux tems de chaque classe : car si l'on considere tout à la fois les trois rapports élémentaires, l'indétermination devient générale, & tous les tems sont indéfinis.

Par exemple, celui que j'appelle présent défini antérieur peut, au fonds, exprimer la simultanéité d'existence, à l'égard d'une époque, ou actuelle, ou antérieure, ou postérieure. Je vais le montrer dans trois exemples, où le même mot françois sera traduit exactement en latin par trois tems différens qui indiqueront sans équivoque l'actualité, l'antériorité, & la postériorité de l'époque envisagée dans le même tems françois.

1°. Quand je parlai hier au chymiste, je ne croyois pas que vous entendissiez ; (audire te non existimabam.)

2°. Je ne crois pas que vous entendissiez hier ce que je vous dis, puisque vous n'avez pas suivi mon conseil ; (audivisse te non existimo.)

3°. Votre surdité étoit si grande, que je ne croyois pas que vous entendissiez jamais ; (ut te unquam auditurum esse non existimarem.)

Dans le premier cas, vous entendissiez est relatif à une époque actuelle, & il est rendu par le présent audire ; dans le second cas, l'époque est antérieure, & vous entendissiez est traduit par le prétérit audivisse ; dans le troisieme enfin, il est rendu par le futur auditurum esse, parce que l'époque est postérieure : ce qui n'empêche pas que dans chacun des trois cas, vous entendissiez n'exprime réellement la simultanéité d'existence à l'égard de l'époque, & ne soit par conséquent un vrai présent.

Ce que je viens d'observer sur le présent antérieur, se vérifieroit de même sur les trois prétérits & les deux futurs antérieurs ; mais il est inutile d'établir par trop d'exemples, ce qui d'ailleurs est connu & avoué de tous les Grammairiens, quoiqu'en d'autres termes. " Le subjonctif, dit l'auteur de la Méthode latine de P. R. (Rem. sur les verbes, ch. II. §. iij.) marque toujours une signification indépendante & comme suivante de quelque chose : c'est pourquoi dans tous ses tems, il participe souvent de l'avenir ". Je ne sais pas si cet auteur voyoit en effet, dans la dépendance de la signification du subjonctif, l'indétermination des tems de ce mode ; mais il la voyoit du-moins comme un fait, puisqu'il en recherche ici la cause : & cela suffit aux vûes que j'ai en le citant. Vossius, (Anal. III. xv.) est de même avis sur les tems du subjonctif latin ; ainsi que l'abbé Régnier, (Gramm. fr. in-12. pag. 344. in-4°. pag. 361.) sur les tems du subjonctif françois.

Mais indépendamment de toutes les autorités, chacun peut aisément vérifier qu'il n'y a pas un seul tems à notre subjonctif, qui ne soit réellement indéfini, quand on les rapporte sur-tout au moment de la parole : & c'est un principe qu'il faut saisir dans toute son étendue, si l'on veut être en état de traduire bien exactement d'une langue dans une autre, & de rendre selon les usages de l'une ce qui est exprimé dans l'autre, sous une forme quelquefois bien différente.

§. V. Des tems de l'infinitif. J'ai déja suffisamment établi ailleurs contre l'opinion de Sanctius & de ses partisans, que la distinction des tems n'est pas moins réelle à l'infinitif qu'aux autres modes. (Voyez INFINITIF.) On va voir ici que l'erreur de ces Grammairiens n'est venue que de l'indétermination de l'époque de comparaison dans chacun de ces tems, qui tous sont essentiellement indéfinis. Il y en a cinq dans l'infinitif de nos verbes françois, dont voici l'exposition systématique.

SYSTÈME DES TEMS DE L'INFINITIF.

Je ne donne à aucun de ces tems le nom d'indéfini, parce que cette dénomination convenant à tous, ne sauroit être distinctive pour aucun dans le mode infinitif.

Le présent est indéfini, parce qu'il exprime la simultanéité d'existence à l'égard d'une époque quelconque. L'homme veut être heureux ; cette maxime d'éternelle vérité, puisqu'elle tient à l'essence de l'homme qui est immuable comme tous les autres, est vraie pour tous les tems ; & l'infinitif être se rapporte ici à toutes les époques. Enfin je puis vous embrasser ; le présent embrasser exprime ici la simultanéité d'existence à l'égard d'une époque actuelle, comme si l'on disoit, je puis vous embrasser actuellement. Quand je voulus parler ; le présent parler est relatif ici à une époque antérieure au moment de la parole, c'est un présent antérieur. Quand je pourrai sortir ; le présent sortir est ici postérieur, parce qu'il est relatif à une époque postérieure, au moment de la parole.

Après les détails que j'ai donnés sur la distinction des différentes especes de tems en général, je crois pouvoir me dispenser ici de prouver de chacun des tems de l'infinitif, ce que je viens de prouver du présent : tout le monde en fera aisément l'application. Mais je dois faire observer que c'est en effet l'indétermination de l'époque qui a fait penser à Sanctius, que le présent de l'infinitif n'étoit pas un vrai présent, ni le prétérit un vrai prétérit, que l'un & l'autre étoit de tous les tems. In reliquum, dit-il, (Min. I. xiv.) infiniti verbi tempora confusa sunt, & à verbo personali temporis significationem mutuantur : ut cupio legere seu legisse, praesentis est ; cupivi legere seu legisse, praeteriti ; cupiam legere seu legisse, futuri. In passivâ verò, amari, legi, audiri, sine discrimine omnibus deserviunt ; ut voluit diligi ; vult diligi ; cupiet diligi. Ce grammairien confond évidemment la position de l'époque & la relation d'existence : dans chacun des tems de l'infinitif, l'époque est indéfinie, & en conséquence elle y est envisagée, ou d'une maniere générale, ou d'une maniere particuliere, quelquefois comme actuelle, d'autres fois comme antérieure, & souvent comme postérieure ; c'est ce qu'a vu Sanctius : mais la relation de l'existence à l'époque, qui constitue l'essence des tems, est invariable dans chacun ; c'est toujours la simultanéité pour le présent, l'antériorité pour les prétérits, & la postériorité pour les futurs ; c'est ce que n'a pas distingué le grammairien espagnol.

§. VI. Des tems du participe. Il faut dire la même chose des tems du participe, dont j'ai établi ailleurs la distinction, contre l'opinion du même grammairien & de ses sectateurs. Ainsi je me contenterai de présenter ici le système entier des tems du participe, par rapport à notre langue.

SYSTÈME DES TEMS DU PARTICIPE.

ART. VII. Observations générales. Après une exposition si détaillée & des discussions si longues sur la nature des tems, sur les différentes especes qui en constituent le système, & sur les caracteres qui les différencient, bien des gens pourront croire que j'ai trop insisté sur un objet qui peut leur paroître minutieux, & que le fruit qu'on en peut tirer n'est pas proportionné à la peine qu'il faut prendre pour démêler nettement toutes les distinctions delicates que j'ai assignées. Le savant Vossius, qui n'a guere écrit sur les tems que ce qui avoit été dit cent fois avant lui, & que tout le monde avouoit, a craint lui-même qu'on ne lui fît cette objection, & il y a répondu en se couvrant du voile de l'autorité des anciens (Anal. III. xiij.) Si ce grammairien a cru courir en effet quelque risque, en exposant simplement ce qui étoit reçu, & qui faisoit d'ailleurs une partie essentielle de son système de Grammaire ; que n'aura-t-on pas à dire contre un système qui renverse en effet la plûpart des idées les plus communes & les plus accréditées, qui exige absolument une nomenclature toute neuve, & qui au premier aspect ressemble plus aux entreprises séditieuses d'un hardi novateur, qu'aux méditations paisibles d'un philosophe modeste ?

Mais j'observerai, 1°. que la nouveauté d'un système ne sauroit être une raison suffisante pour la rejetter, parce qu'autrement les hommes une fois engagés dans l'erreur ne pourroient plus en sortir, & que la sphere de leurs lumieres n'auroit jamais pu s'étendre au point où nous la voyons aujourd'hui, s'ils avoient toujours regardé la nouveauté comme un signe de faux. Que l'on soit en garde contre les opinions nouvelles, & que l'on n'y acquiesce qu'en vertu des preuves qui les étayent, à la bonne heure, c'est un conseil que suggere la plus saine logique : mais par une conséquence nécessaire, elle autorise en même tems ceux qui proposent ces nouvelles opinions, à prévenir & à détruire toutes les impressions des anciens préjugés par les détails les plus propres à justifier ce qu'ils mettent en-avant.

2°. Si l'on prend garde à la maniere dont j'ai procédé dans mes recherches sur la nature des tems, un lecteur équitable s'appercevra aisément que je n'ai songé qu'à trouver la vérité sur une matiere qui ne me semble pas encore avoir subi l'examen de la philosophie. Si ce qui avoit été répété jusqu'ici par tous les Grammairiens s'étoit trouvé au résultat de l'analyse qui m'a servi de guide, je l'aurois exposé sans détour, & démontré sans apprêt. Mais cette analyse, suivie avec le plus grand scrupule, m'a montré, dans la décomposition des tems usités chez les différens peuples de la terre, des idées élémentaires qu'on n'avoit pas assez démêlées jusqu'à présent ; dans la nomenclature ancienne, des imperfections d'autant plus grandes qu'elles étoient tout-à-fait contraires à la vérité ; dans tout le système enfin, un desordre, une confusion, des incertitudes qui m'ont paru m'autoriser suffisamment à exposer sans ménagement ce qui m'a semblé être plus conforme à la vérité, plus satisfaisant pour l'esprit, plus marqué au coin de la bonne analogie. Amicus Aristoteles, amicus Plato ; magis amica veritas.

3°. Ce n'est pas juger des choses avec équité, que de regarder comme minutieuse la doctrine des tems : il ne peut y avoir rien que d'important dans tout ce qui appartient à l'art de la parole, qui differe si peu de l'art de penser, de l'art d'être homme.

" Quoique les questions de Grammaire paroissent peu de chose à la plûpart des hommes, & qu'ils les regardent avec dédain, comme des objets de l'enfance, de l'oisiveté, ou du pédantisme ; il est certain cependant qu'elles sont très-importantes à certains égards, & très-dignes de l'attention des esprits les plus délicats & les plus solides. La Grammaire a une liaison immédiate avec la construction des idées ; ensorte que plusieurs questions de Grammaire sont de vraies questions de logique, même de métaphysique ". Ainsi s'exprime l'abbé des Fontaines, au commencement de la préface de son Racine vengé : & cet avis, dont la vérité est sensible pour tous ceux qui ont un peu approfondi la Grammaire, étoit, comme on va le voir, celui de Vossius, & celui des plus grands hommes de l'antiquité.

Majoris nunc apud me sunt judicia augustae antiquitatis ; quae existimabat, ab horum notitiâ non multa modò Poetarum aut Historicorum loca lucem foenerare, sed & gravissimas juris controversias. Haec propter nec Q. Scoevolae pater, nec Brutus Maniliusque, nec Nigidius Figulus, Romanorum post Varronem doctissimus, disquirere gravabantur utrùm vox surreptum erit an post facta an ante facta valeat ; hoc est, futurine an praeteriti sit temporis, quando in veteri lege Atiniâ legitur ; quod surreptum erit, ejus rei aeterna autoritas esto, nec puduit Agellium hac de re caput integrum contexere xvij. atticarum noctium libro. Apud eumdem, cap. ij. libri XVIII. legimus, inter saturnalitias quaestiones eam faisse postremam ; scripserim, venerim, legerim, cujus temporis verba sint, praeteriti, an futuri, an utriusque. Quamobrem eos mirari satis non possum, qui hujusmodi sibi à pueris cognitissima fuisse parùm prudenter aut pudenter adserunt ; cùm in iis olim haesitârint viri excellentes, & quidem Romani, suae sine dubio linguae scientissimi. Voss. Anal. III. xiij.

Ce que dit ici Vossius à l'égard de la langue latine, peut s'appliquer avec trop de fondement à la langue françoise, dont le fond est si peu connu de la plûpart même de ceux qui la parlent le mieux, parce qu'accoutumés à suivre en cela l'usage du grand monde comme à en suivre les modes dans leurs habillemens, ils ne réfléchissent pas plus sur les fondemens de l'usage de la parole que sur ceux de la mode dans les vêtemens. Que dis-je ? il se trouve même des gens de lettres, qui osent s'élever contre leur propre langue, la taxer d'anomalie, de caprice, de bisarrerie, & en donner pour preuves les bornes des connoissances où ils sont parvenus à cet égard.

" En lisant nos Grammairiens, dit l'auteur des jugemens sur quelques ouvrages nouveaux, (tom. IX. pag. 73.) il est fâcheux de sentir, malgré soi, diminuer son estime pour la langue françoise, où l'on ne voit presque aucune analogie, où tout est bizarre pour l'expression comme pour la prononciation, & sans cause ; où l'on n'apperçoit ni principes, ni regles, ni uniformité ; où enfin tout paroît avoir été dicté par un capricieux génie. En vérité, dit-il ailleurs (Racine vengé, Iphig. II. v. 46.) l'étude de la grammaire françoise inspire un peu la tentation de mépriser notre langue ".

Je pourrois sans-doute détruire cette calomnie par une foule d'observations victorieuses, pour faire avec succès l'apologie d'une langue, déjà assez vengée des nationaux qui ont la maladresse de la mépriser, par l'acueil honorable qu'on lui fait dans toutes les cours étrangeres, je n'aurois qu'à ouvrir les chefs-d'oeuvre qui ont fixé l'époque de sa gloire, & faire voir avec quelle facilité & avec quel succès elles s'y prête à tous les caracteres, naïveté, justesse, clarté, précision, délicatesse, pathétique, sublime, harmonie, &c. Mais pour ne pas trop m'écarter de mon sujet, je me contenterai de rappeller ici l'harmonie analogique des tems, telle que nous l'avons observée dans notre langue : tous les présens y sont simples ; les prétérits positifs y sont composés d'un tems simple du même auxiliaire avoir ou être ; les comparatifs y sont doublement composés ; les prochains y prennent l'auxiliaire venir ; les futurs positifs y empruntent constamment le secours de l'auxiliaire devoir ; & les prochains, celui de l'auxiliaire aller : & cette analogie est vraie dans tous les verbes de la langue, & dans tous les modes de chaque verbe. Ce qu'on lui a reproché comme un défaut, d'employer les mêmes tems, ici avec relation à une époque, & là avec relation à une autre, loin de la deshonorer, devient au contraire, à la faveur du nouveau système, une preuve d'abondance & un moyen de rendre avec une justesse rigoureuse les idées les plus précises : c'est en effet la destination des tems indéfinis, qui, faisant abstraction de toute époque de comparaison, fixent plus particulierement l'attention sur la relation de l'existence à l'époque, comme on l'a vû en son lieu.

Mais ne sera-t-il tenu aucun compte à notre langue de cette foule de prétérits & de futur, ignorés dans la langue latine, au prix de laquelle on la regarde comme pauvre ? Les regardera-t-on encore comme des bisarreries, comme des effets sans causes, comme des expressions dépourvues de sens, comme des superfluités introduites par un luxe aveugle & inutile aux vues de l'élocution ? La langue italienne, en imitant à la lettre nos prétérits prochains, se sera-t-elle donc chargée d'une pure battologie ?

J'avouerai cependant à l'abbé des Fontaines, qu'à juger de notre langue par la maniere dont le système est exposé dans nos grammaires, on pourroit bien conclure comme il a fait lui-même. Mais cette conclusion est-elle supportable à qui a lû Bossuet, Bourdaloue, la Bruyere, la Fontaine, Racine, Boileau, Pascal, &c. &c. &c. Voilà d'où il faut partir, & l'on conclura avec bien plus de vérité, que le désordre, l'anomalie, les bisarreries sont dans nos grammaires, & que nos Grammairiens n'ont pas encore saisi avec assez de justesse, ni approfondi dans un détail suffisant le méchanisme & le génie de notre langue. Comment peut-on lui voir produire tant de merveilles sous différentes plumes, quoiqu'elle ait dans nos grammaires un air maussade, irrégulier & barbare ; & cependant ne pas soupçonner le moins du monde l'exactitude de nos Grammairiens, mais invectiver contre la langue même de la maniere la plus indécente & la plus injuste ?

C'est que toutes les fois qu'un seul homme voudra tenir un tribunal pour y juger les ouvrages de tous les genres de littérature, & faire seul ce qui ne doit & ne peut être bien exécuté que par une société assez nombreuse de gens de lettres choisis avec soin ; il n'aura jamais le loisir de rien approfondir ; il sera toujours pressé de décider d'après des vues superficielles ; il portera souvent des jugemens iniques & faux, & alterera ou détruira entierement les principes du goût, & le goût même des bonnes études, dans ceux qui auront le malheur de prendre confiance en lui, & de juger de ses lumieres par l'assurance de son ton, & par l'audace de son entreprise.

4°. A s'en tenir à la nomenclature ordinaire, au catalogue reçu, & à l'ordre commun des tems, notre langue n'est pas la seule à laquelle on puisse reprocher l'anomalie ; elles sont toutes dans ce cas, & il est même difficile d'assigner les tems qui se répondent exactement dans les divers idiomes, ou de déterminer précisément le vrai sens de chaque tems dans une seule langue. J'ouvre la Méthode grecque de P. R. à la page 120 (édition de 1754), & j'y trouve sous le nom de futur premier, , & sous le nom de futur second, , tous deux traduits en latin par honorabo : le premier aoriste est , le second , & le prétérit parfait ; tous trois rendus par le même mot latin honoravi. Est-il croyable que des mots si différens dans leur formation, & distingués par des dénominations différentes, soient destinés à signifier absolument la même idée totale que désigne le seul mot latin honorabo, ou le seul mot honoravi ? Il faut donc reconnoître des synonymes parfaits nonobstant les raisons les plus pressantes de ne les regarder dans les langues que comme un superflu embarrassant & contraire au génie de la parole. Voyez SYNONYMES. Je sais bien que l'on dira que les Latins n'ayant pas les mêmes tems que les Grecs, il n'est pas possible de rendre avec toute la fidélité les uns par les autres, du-moins dans le tableau des conjugaisons : mais je répondrai qu'on ne doit point en ce cas entreprendre une traduction qui est nécessairement infidele, & que l'on doit faire connoître la véritable valeur des tems, par de bonnes définitions qui contiennent exactement toutes les idées élémentaires qui leur sont communes, & celles qui les différencient, à-peu-près comme je l'ai fait à l'égard des tems de notre langue. Mais cette méthode, la seule qui puisse conserver surement la signification précise de chaque tems, exige indispensablement un système & une nomenclature toute différente : si cette espece d'innovation a quelques inconvéniens, ils ne seront que momentanés, & ils sont rachetés par des avantages bien plus considérables.

Les grammairiens auront peine à se faire un nouveau langage ; mais elle n'est que pour eux, cette peine, qui doit au fond être comptée pour rien dès qu'il s'agit des intérêts de la vérité : leurs successeurs l'entendront sans peine, parce qu'ils n'auront point de préjugés contraires ; & ils l'entendront plus aisément que celui qui est reçu aujourd'hui, parce que le nouveau langage sera plus vrai, plus expressif, plus énergique. La fidélité de la transmission des idées d'une langue en une autre, la facilité du système des conjugaisons fondée sur une analogie admirable & universelle, l'introduction aux langues débarrassée par-là d'une foule d'embarras & d'obstacles, sont, si je ne me trompe, autant de motifs favorables aux vues que je présente. Je passe à quelques objections particulieres qui me viennent de bonne main.

La société littéraire d'Arras m'ayant fait l'honneur de m'inscrire sur ses registres comme associé honoraire, le 4 Février 1758 ; je crus devoir lui payer mon tribut académique, en lui communiquant les principales idées du système que je viens d'exposer, & que je présentai sous le titre d'Essai d'analyse sur le verbe. M. Harduin, secrétaire perpétuel de cette compagnie, & connu dans la république des lettres comme un grammairien du premier ordre, écrivit le 27 Octobre suivant, ce qu'il en pensoit, à M. Bauvin, notre confrere & notre ami commun. Après quelques éloges dont je suis plus redevable à sa politesse qu'à toute autre cause, & quelques observations pleines se sagesse & de verité ; il termine ainsi ce qui me regarde : " J'ai peine à croire que ce système puisse s'accorder en tout avec le méchanisme des langues connues. Il m'est venu à ce sujet beaucoup de réfléxions dont j'ai jetté plusieurs sur le papier ; mais j'ignore quand je pourrai avoir le loisir de les mettre en ordre. En attendant, voici quelques remarques sur les prétérits, que j'avois depuis long-tems dans la tête, mais qui n'ont été redigées qu'à l'occasion de l'écrit de M. Beauzée. Je serois bien aise de savoir ce qu'il en pense. S'il les trouve justes, je ne conçois pas qu'il puisse persister à regarder notre aoriste françois, comme un présent ; (je l'appelle présent antérieur périodique) ; à moins qu'il ne dise aussi que notre prétérit absolu (celui que je nomme prétérit indéfini positif) exprime plus souvent une chose présente qu'une chose passée ".

Trop flatté du desir que montre M. Harduin de savoir ce que je pense de ses remarques sur nos prétérits, je suis bien aise moi-même de déclarer publiquement, que je les regarde comme les observations d'un homme qui sait bien voir, talent très-rare, parce qu'il exige dans l'esprit une attention forte, une sagacité exquise, un jugement droit, qualités rarement portées au degré convenable, & plus rarement encore réunies dans un même sujet.

Au reste que M. Harduin ait peine à croire que mon système puisse s'accorder en tout avec le méchanisme des langues connues ; je n'en suis point surpris, puisque je n'oserois moi-même l'assûrer : il faudroit, pour cela, les connoître toutes, & il s'en faut beaucoup que j'aye cet avantage. Mais je l'ai vu s'accorder parfaitement avec les usages du latin, du françois, de l'espagnol, de l'italien ; on m'assûre qu'il peut s'accorder de même avec ceux de l'allemand & de l'anglois : il fait découvrir dans toutes ces langues, une analogie bien plus étendue & plus réguliere que ne faisoit l'ancien système ; & cela même me fait espérer que les savans & les étrangers qui voudront se donner la peine d'en faire l'application aux verbes des idiomes qui leur sont naturels ou qui sont l'objet de leurs études, y trouveront la même concordance, le même esprit d'analogie, la même facilité à rendre la valeur des tems usuels. Je les prie même, avec la plus grande instance, d'en faire l'essai, parce que plus on trouvera de ressemblance dans les principes des langues qui paroissent diviser les hommes, plus on facilitera les moyens de la communication universelle des idées, & conséquemment des secours mutuels qu'ils se doivent, comme membres d'une même société formée par l'auteur même de la nature.

Les réflexions de M. Harduin sur cette matiere, quoique tournées peut-être contre mes vues, ne manqueront pas du-moins de répandre beaucoup de lumiere sur le fond de la chose : ce n'est que de cette sorte qu'il réflechit ; & il est à desirer qu'il trouve bientôt cet utile loisir qui doit nous valoir le précis de ses pensées à cet égard. En attendant, je vais tâcher de concilier ici mon système avec ses observations sur nos prétérits.

" Il est de principe, dit-il, qu'on doit se servir du prétérit absolu, c'est-à-dire, de celui dans la composition duquel entre un verbe auxiliaire, lorsque le fait dont on parle se rapporte à un période de tems où l'on est encore ; ainsi il faut nécessairement dire, telle bataille s'est donnée dans ce siecle-ci : j'ai vu mon frere cette année : je lui ai parlé aujourd'hui ; & l'on s'exprimeroit mal, en disant avec l'aoriste, telle bataille se donna dans ce siecle-ci : je vis mon frere cette année : je lui parlai aujourd'hui ".

C'est que dans les premieres phrases, on exprime ce qu'on a effectivement dessein d'exprimer, l'antériorité d'existence à l'égard d'une époque actuelle ; ce qui exige les prétérits dont on y fait usage : dans les dernieres on exprimeroit toute autre chose, la simultanéité d'existence à l'égard d'un période de tems antérieur à celui dans lequel on parle ; ce qui exige en effet un présent antérieur périodique, mais qui n'est pas ce qu'on se propose ici.

M. Harduin demande si ce n'est pas abusivement que nous avons fixé les périodes antérieurs qui précédent le jour où l'on parle, puisque dans ce même jour, les diverses heures qui le composent, la matinée, l'après-midi, la soirée, sont autant de périodes qui se succedent ; d'où il conclut que comme on dit, je le vis hier, on pourroit dire aussi, je le vis ce matin, quand la matinée est finie à l'instant où l'on parle.

C'est arbitrairement sans-doute, que nous n'avons aucun égard aux périodes compris dans le jour même où l'on parle ; & la preuve en est, que ce que l'on appelle ici aoriste, ou prétérit indéfini, se prend quelquefois, dans la langue italienne, en parlant du jour même où nous sommes ; io la viddi sto mane (je le vis ce matin). L'auteur de la Méthode italienne, qui fait cette remarque, (Part. II. ch. iij. §. 4. pag. 86.) observe en même tems que cela est rare, même dans l'italien. Mais quelque arbitraire que soit la pratique des Italiens & la nôtre, on ne peut jamais la regarder comme abusive, parce que ce qui est fixé par l'usage n'est jamais contraire à l'usage, ni par conséquent abusif.

" Plusieurs grammairiens, continue M. Harduin ; " & c'est proprement ici que commence le fort de son objection contre mon système des tems : " plusieurs grammairiens font entendre, par la maniere dont ils s'énoncent sur cette matiere, que le prétérit absolu & l'aoriste ont chacun une destination tellement propre, qu'il n'est jamais permis de mettre l'un à la place de l'autre. Cette opinion me paroît contredite par l'usage, suivant lequel on peut toujours substituer le prétérit absolu à l'aoriste, quoiqu'on ne puisse pas toujours substituer l'aoriste au prétérit absolu ". Ici l'auteur indique avec beaucoup de justesse & de précision les cas où l'on ne doit se servir que du prétérit absolu, sans pouvoir lui substituer l'aoriste ; puis il continue ainsi : " Mais hors les cas que je viens d'indiquer, on a la liberté du choix entre l'aoriste & le prétérit absolu. Ainsi on peut dire, je le vis hier, ou bien, je l'ai vu hier au moment de son départ ".

C'est que, hors les cas indiqués, il est presque toujours indifférent de présenter la chose dont il s'agit, ou comme antérieure au moment où l'on parle, ou comme simultanée avec un période antérieur à ce moment de la parole, parce que quae sunt eadem uni tertio, sunt eadem inter se, comme on le dit dans le langage de l'école. S'il est donc quelquefois permis de choisir entre le prétérit indéfini positif & le présent antérieur périodique, c'est que l'idée d'antériorité, qui est alors la principale, est également marquée par l'un & par l'autre de ces tems, quoiqu'elle soit diversement combinée dans chacun d'eux ; & c'est pour la même raison que, suivant une derniere remarque de M. Harduin, " il y a des occasions où l'imparfait même (c'est-à-dire le présent antérieur simple) entre en concurrence avec l'aoriste & le prétérit absolu, & qu'il est à-peu-près égal de dire, César fut un grand homme, ou César a été un grand homme, ou enfin César étoit un grand homme " : l'antériorité est également marquée par ces trois tems, & c'est la seule chose que l'on veut exprimer dans ces phrases.

Mais cette espece de synonymie ne prouve point, comme M. Harduin semble le prétendre, que ces tems aient une même destination, ni qu'ils soient de la même classe, & qu'ils ne different entr'eux que par de très légeres nuances. Il en est de l'usage & de diverses significations de ces tems, comme de l'emploi & des différens sens, par exemple, des adjectifs fameux, illustre, célebre, renommé : tous ces mots marquent la réputation, & l'on pourra peut-être s'en servir indistinctement lorsqu'on n'aura pas besoin de marquer rien de plus précis, mais il faudra choisir, pour peu que l'on veuille mettre de précision dans cette idée primitive. (Voyez les SYNONYMES FRANÇOIS). M. Harduin lui-même, en assignant les cas où il faut employer le prétérit qu'il appelle absolu, plutôt que le tems qu'il nomme aoriste, fournit une preuve suffisante que chacune de ces formes a une destination exclusivement propre, & que je puis adopter toutes ses observations pratiques comme vraies, sans cesser de regarder ce qu'il appelle notre aoriste comme un présent, & sans être forcé de convenir que notre prétérit exprime plus souvent une chose présente qu'une chose passée. (B. E. R. M.)

TEMS, (Critiq. sacrée) ce mot signifie proprement la durée qui s'écoule depuis un terme jusqu'à un autre ; mais il se prend aussi dans plusieurs autres sens ; 1°. pour une partie de l'année (Gen. j. 14.) 2°. pour l'espace d'un an ; les saints du pays, dit Daniel, vij. 25. tomberont entre les mains de ce puissant roi pour un tems des tems, & la moitié d'un tems, ad tempus, tempora, & dimidium temporis ; ces expressions hébraïques signifient les trois ans & demi que durerent les persécutions d'Antiochus contre les Juifs : tempus fait un an, tempora deux ans, dimidium temporis une demi-année ; 3°. ce mot signifie l'arrivée de quelqu'un, (Is. xiv. 1.) 4°. le moment favorable & passager de faire quelque chose ; pendant que nous en avons le tems, faisons du bien à tous, Galat. vj. 10.

Racheter le tems, dans Daniel, c'est gagner du tems ; comme les mages consultés par Nabuchodonosor, qui lui demandoient du tems pour expliquer son songe ; mais racheter le tems dans saint Paul, Eph. v. 16. , c'est laisser passer le tems de la colere des méchans, & attendre avec prudence des circonstances plus heureuses.

Le tems de quelqu'un, c'est le moment où il reçoit la punition de son crime, Ezech. xxij. 3.

Les tems des siecles passés (Tite j. 2.) sont ceux qui ont précédé la venue de Jesus-Christ.

Les tems d'ignorance, , sont ceux qui ont précédé les lumieres du christianisme, par rapport au culte de la divinité. Saint Paul annonce, Actes xvij. 30. que Dieu, après avoir dissimulé ces tems, veut maintenant que toutes les nations s'amendent, c'est-à-dire qu'on ne rende plus de culte aux idoles. (D.J.)

TEMS, (Mytholog.) on personnifia, on divinisa le tems avec ses parties ; Saturne en étoit ordinairement le symbole. On représentoit le tems avec des aîles, pour marquer la rapidité avec laquelle il passe, & avec une faulx, pour signifier ses ravages. Le tems étoit divisé en plusieurs parties ; le siecle, la génération ou espace de trente ans, le lustre, l'année, les saisons, les mois, les jours & les heures ; & chacune de ces parties avoit sa figure particuliere en hommes ou en femmes, suivant que leurs noms étoient masculins ou féminins ; on portoit même leurs images dans les cérémonies religieuses. (D.J.)

TEMS, se dit aussi de l'état ou disposition de l'athmosphere, par rapport à l'humidité ou à la sécheresse, au froid ou au chaud, au vent ou au calme, à la pluie, à la grêle, &c. Voyez ATHMOSPHERE, PLUIE, CHALEUR, VENT, GRELE, &c.

Comme c'est dans l'athmosphere que toutes les plantes & tous les animaux vivent, & que l'air est suivant toutes les apparences le plus grand principe des productions animales & végétales (voyez AIR), ainsi que des changemens qui leur arrivent, il n'y a rien en Physique qui nous intéresse plus immédiatement que l'état de l'air. En effet, tout ce qui a vie n'est qu'un assemblage de vaisseaux dont les liqueurs sont conservées en mouvement par la pression de l'athmosphere ; & toutes les altérations qui arrivent ou à la densité ou à la chaleur, ou à la pureté de l'air, doivent nécessairement en produire sur tout ce qui y vit.

Toutes ces altérations immenses, mais régulieres, qu'un petit changement dans le tems produit, peuvent être aisément connues à l'aide d'un tube plein de mercure ou d'esprit-de-vin, ou avec un bout de corde, ainsi que tout le monde le sait par l'usage des thermometres, barometres & hygrometres. Voyez BAROMETRE, THERMOMETRE, HYGROMETRE, &c. Et c'est en partie notre inattention, & en partie le défaut d'uniformité de notre genre de vie, qui nous empêche de nous appercevoir de toutes les altérations & de tous les changemens qui arrivent aux tubes, cordes & fibres dont notre corps est composé.

Il est certain qu'une grande partie des animaux a beaucoup plus de sensibilité & de délicatesse que les hommes sur les changemens de tems. Ce n'est pas qu'ils aient d'autres moyens ou d'autres organes que nous ; mais c'est que leurs vaisseaux, leurs fibres étant en comparaison de ceux des hommes, dans un état permanent, les changemens extérieurs produisent en eux des changemens intérieurs proportionnels. Leurs vaisseaux ne sont proprement que des barometres, &c. affectés seulement par les causes extérieures ; au lieu que les nôtres recevant des impressions du dedans aussi bien que du dehors, il arrive que plusieurs de ces impressions nuisent ou empêchent l'effet des autres.

Il n'y a rien dont nous soyons plus éloignés que d'une bonne théorie de l'état de l'air. Mais on ne sauroit y parvenir sans une suite complete d'observations. Lorsque nous aurons eu des registres tenus exactement dans différens lieux de la terre, & pendant une longue suite d'années, nous serons peut-être en état de déterminer les directions, la force & les limites du vent, la constitution de l'air apporté par le vent, la relation qui est entre l'état du ciel de différens climats, & les différens états du ciel dans le même lieu ; & peut-être nous saurons prédire alors les chaleurs excessives, les pluies, la gelée, les sécheresses, les famines, les pestes, & autres maladies épidémiques. Ces sortes d'observations s'appellent du nom général d'observations météorologiques. Voyez METEOROLOGIQUES.

Erasme Bartholin a fait des observations météorologiques jour par jour pour l'année 1571. M. W. Merle en a fait de pareilles à Oxford pendant les sept années 1337, 1338, 1339, 1340, 1341, 1342, 1343. Le docteur Plottau même lieu pour l'année 1684. M. Hillier au cap Corse pour les années 1686, 1687. M. Hunt, &c. au college de Gresham pour les années 1695, 1696. M. Derham à Upminster, dans la province d'Essex pour les années 1691, 1692, 1697, 1698, 1699, 1703, 1705, 1707. M. Townley, dans la province de Lancastre, pour les années 1698, 1699, 1700, 1701. M. Hocke, à Oats, dans la province d'Essex, en 1692. Le docteur Scheuchzer à Zurich en 1708 ; & le docteur Tilly à Pise la même année. Voyez Transactions philosophiques.

Nous joindrons ici la forme des observations de M. Derham, pour servir d'échantillon d'un journal de cette nature, en faisant remarquer qu'il dénote la force des vents par les chiffres 0, 1, 2, 3, &c. & les quantités d'eau de pluie reçues dans un tonneau en livres & en centiemes.

Observations météorologiques. Octobre 1697.

Afin de faire voir un essai de l'usage de ces sortes d'observations, nous ajouterons quelques remarques générales tirées de celles de M. Derham.

1°. Les tems lourds font monter le mercure aussi-bien que les vents du nord ; ce qui, suivant M. Derham, vient de l'augmentation de poids que l'air reçoit par les vapeurs dont il est chargé alors. Voyez BROUILLARD. M. Derham remarque qu'il en est de même dans les tems de bruine. Voyez BRUINE.

2°. Le froid & la chaleur commencent & finissent à-peu-près dans le même tems en Angleterre & en Suisse, & même toutes les températures d'air un peu remarquables lorsqu'elles durent quelque tems.

3°. Les jours de froid remarquables pendant le mois de Juin 1708 en Suisse, précédoient communément ceux d'Angleterre d'environ 5 jours ou plus, & les chaleurs remarquables des mois suivans commencerent à diminuer dans les deux pays à-peu-près dans le même tems, seulement un peu plus tôt en Angleterre qu'en Suisse.

4°. Le barometre est toujours plus bas à Zurich qu'à Upminster, quelquefois d'un pouce, quelquefois de deux, mais communément d'un demi-pouce ; ce qui peut s'expliquer en supposant Zurich plus élevé que Upminster.

5°. La quantité de pluie qui tombe en Suisse & en Italie est plus grande que celle qui tombe dans la province d'Essex, quoique dans cette province il pleuve plus souvent ou qu'il y ait plus de jours pluvieux que dans la Suisse. Voici la proportion des pluies d'une année entiere en différens lieux, tirée d'assez bonnes observations. A Zurich la hauteur moyenne de la pluie tombée pendant un an étoit de 31 1/2 pouces anglois ; à Pise 43 1/4 ; à Paris 23 ; à Lisle en Flandre 23 1/2 ; à Townley dans la province de Lancastre 42 1/2 ; à Upminster 19 1/4. Voyez PLUIE.

6°. Le froid contribue considérablement à la pluie, vraisemblablement à cause qu'il condense les vapeurs suspendues & les précipite ; ensorte que les saisons les plus froides & les mois les plus froids sont en général suivis des mois les plus pluvieux, & les étés froids sont toujours les plus humides.

7°. Les sommets glacés des hautes montagnes agissent non-seulement sur les lieux voisins, par les froids, les neiges, les pluies, &c. qu'ils y produisent, mais encore sur des pays assez éloignés, témoin les Alpes, dont l'effet agit jusqu'en Angleterre ; car le froid extraordinaire du mois de Décembre 1708, & les relâchemens qu'il eut ayant été apperçus en Italie & en Suisse quelques jours avant qu'en Angleterre, doivent, suivant M. Derham, avoir passé de l'un à l'autre.

Depuis un certain nombre d'années, on fait par toute l'Europe les observations météorologiques avec une grande exactitude. La société royale de Londres adressa il y a environ vingt ans, un écrit circulaire à tous les savans pour les y exhorter. Il y avoit déja long-tems que l'on les faisoit dans l'académie royale des Sciences de Paris. Dès avant 1688, quelques-uns de ses membres avoient observé pendant plusieurs années, la quantité d'eau de pluie & de neige qu'il tombe tous les ans, soit à Paris, soit à Dijon ; ce qui s'en évapore, & ce qui s'en imbibe dans la terre à plus ou moins de profondeur, comme on en peut juger par quelques ouvrages fort antérieurs, touchant l'origine des fontaines & des rivieres, & sur-tout par le Traité du mouvement des eaux, de M. Mariotte. Mais il est certain qu'en 1688, la compagnie résolut de mettre ces observations en regle.

M. Perrault donna le dessein d'une machine propre à cet usage, & M. Sedileau se chargea des observations. Après M. Sedileau, ce fut M. de la Hire, &c. & enfin, elles ont été continuées jusqu'à aujourd'hui sans interruption. On y joignit bientôt les observations du barometre & du thermometre, le plus grand chaud & le plus grand froid qu'il fait chaque année, chaque saison, chaque jour, & avec les circonstances qui y répondent, les déclinaisons de l'aiguille aimantée, & dans ce siecle les apparitions de l'aurore boréale.

Pronostics du tems. Nous ne voulons point entretenir ici le lecteur de ces vaines & arbitraires observations du peuple. Nous abandonnons cette foule de prédictions qui ont été établies en partie par la ruse, & en partie par la crédulité des gens de la campagne ; elles n'ont aucun rapport naturel & nécessaire que nous connoissions avec les choses en elles-mêmes. Telles sont les prédictions de la pluie & du vent qu'on tire du mouvement qui est parmi les oiseaux aquatiques pour se rassembler vers la terre, & les oiseaux terrestres vers l'eau ; qu'on conclut encore, lorsque les oiseaux élaguent leurs plumes, que les oies crient, que les corneilles vont en troupe, que les hirondelles volent bas & geroillent, que les paons crient, que les cerfs se battent, que les renards & les loups heurlent, que les poissons jouent, que les fourmis & les abeilles se tiennent renfermées, que les taupes jettent de la terre, que les vers de terre se traînent, &c.

Nous n'offrirons rien de cette nature, mais ce qui peut être fondé en quelque maniere sur la nature des choses, ce qui peut jetter quelque lumiere sur la cause & les circonstances de la température de l'air, ou du moins aider à découvrir quelques-uns de ses effets sensibles.

1°. Lorsque le ciel est sombre, couvert, qu'on est quelque tems de suite sans soleil, ni sans pluie, il devient d'abord beau, & ensuite vilain, c'est-à-dire qu'il commence par devenir clair, & qu'ensuite il tourne à la pluie ; c'est ce que nous apprenons par un journal méteorologique que M. Clarke a tenu pendant trente ans, & que son petit-fils, le savant Samuel Clarke, a laissé à M. Derham. Il assuroit que cette regle lui avoit toujours paru s'observer dumoins lorsque le vent étoit tourné à l'orient. Mais M. Derham a observé, que la regle avoit également lieu pour tous les vents ; & la raison, selon lui, en est assez facile à trouver. L'athmosphere est alors rempli de vapeurs, qui sont à la vérité suffisantes pour réfléchir la lumiere du soleil & nous l'intercepter, mais n'ont pas assez de densité pour tomber. Ensorte que tant que ces vapeurs restent dans le même état, le ciel ne change pas, & ces vapeurs y restent quelque tems de suite à cause qu'il fait alors ordinairement une chaleur modérée, & que l'air est fort pesant & propre à les soutenir, ainsi qu'on le peut voir par le barometre qui est communément haut dans ce tems-là. Mais, lorsque le froid approche, il rassemble ces vapeurs par la condensation & en forme des nuages détachés, entre lesquels passent les rayons du soleil, jusqu'à-ce qu'enfin la condensation de ces vapeurs devient si considérable, qu'elles tombent en pluie.

2°. Un changement dans la chaleur du tems, produit communément un changement dans le vent. Ainsi les vents de nord & de sud, qui sont ordinairement réputés la cause du froid & du chaud, ne sont réellement que les effets du froid & de la chaleur de l'athmosphere. M. Derham assure, qu'il en a tant de confirmations, qu'il ne sauroit en douter. Il est commun, par exemple, de voir qu'un vent chaud du sud se change en un vent froid du nord, lorsqu'il vient à tomber de la neige ou de la grêle, & de même de voir un vent nord & froid régner le matin, dégénérer en sud sur le soir, lorsque la terre est échauffée par la chaleur du soleil, & retourner ensuite au nord ou à l'est, lorsque le froid du soir arrive. Voyez VENT. Chambers. (O)

TEMS. Effets du tems sur les plantes. La plûpart des plantes épanouissent leurs fleurs & leurs duvets au soleil, & les resserrent sur le soir ou pendant la pluie, principalement lorsqu'elles commencent à fleurir, & que leurs graines sont encore tendres & sensibles. Ce fait est assez visible dans les duvets de la dent-de-lion & dans les autres, mais sur-tout dans les fleurs de la pimprenelle, dont l'épanouissement & le resserrement, suivant Gerard, servent aux gens de la campagne à prédire le tems qu'il doit faire le jour suivant, l'épanouissement promettant le beau tems pour le lendemain, & le resserrement annonçant le vilain tems. Ger. herb. lib. II.

Est & alia (arbor in Tylis) similis, foliosior tamen, rosetque floris ; quem noctu comprimens, aperire incipit solis exortu, meridie expandit. Incolae dormire cum dicunt. Plin. Nat. hist. lib. XII. cap. xj.

La tige du treffle, suivant que l'a remarqué milord Bacon,s'enfle à la pluie & s'éleve, ce qui peut être aussi remarqué, quoique moins sensiblement, dans les tiges des autres plantes. Suivant le même auteur, on trouve dans les chaumes une petite fleur rouge qui indique une belle journée, lorsqu'elle s'épanouit du matin.

On conçoit aisément que les changemens qui arrivent dans le tems influent sur les plantes, lorsqu'on imagine qu'elles ne sont autre chose qu'un nombre infini de trachées ou vaisseaux à air, par le moyen desquels elles ont une communication immédiate avec l'air, & partagent son humidité, sa chaleur, &c. ces trachées sont visibles dans la feuille de vigne, dans celle de la scabieuse, &c. Voyez PLANTE, VEGETAUX, &c.

Il suit de-là que tout bois, même le plus dur & le plus compact, s'enfle dans les tems humides, les vapeurs s'insinuant aisément dans ses pores, sur-tout lorsque c'est un bois léger & sec. C'est de cette remarque qu'on a tiré ce moyen si singulier, de fendre des roches avec du bois. Voyez BOIS.

Voici la méthode qu'on suit dans les carrieres : on taille d'abord une roche en forme de cylindre ; ensuite on divise ce cylindre en plusieurs autres, en faisant des trous de distance en distance dans sa longueur & à différens endroits de son contour. Et l'on remplit ces trous de pieces de bois de saule séché au four. Lorsqu'il survient après un tems humide, ces pieces de bois imbibées de l'humidité de l'air se gonflent, & par l'effet du coin elles fendent la roche en plusieurs pieces.

TEMS, (Philos. & Mor.) la philosophie & la morale fournissent une infinité de réflexions sur la durée du tems, la rapidité de sa course, & l'emploi qu'on en doit faire ; mais ces réflexions acquierent encore plus de force, d'éclat, d'agrément & de coloris, quand elles sont revêtues des charmes de la poésie ; c'est ce qu'a fait voir M. Thomas, dans une ode qui a remporté le prix de l'académie Françoise en 1762. Sa beauté nous engage à la transcrire ici toute entiere, pour être un monument durable à la gloire de l'auteur. L'Encyclopédie doit être parée des guirlandes du parnasse, & de tous les fruits des beaux génies qui ont sommeillé sur le sommet du sacré vallon. Voici l'ode dont il s'agit.

Le compas d'Uranie a mesuré l'espace.

O tems, être inconnu que l'ame seule embrasse,

Invincible torrent des siecles & des jours,

Tandis que ton pouvoir m'entraîne dans la tombe,

J'ose, avant que j'y tombe,

M'arrêter un moment pour contempler ton cours.

Qui me dévoilera l'instant qui t'a vû naître ?

Quel oeil peut remonter aux sources de ton être ?

Sans doute ton berceau touche à l'éternité.

Quand rien n'étoit encore, enseveli dans l'ombre

De cet abîme sombre,

Ton germe y reposoit, mais sans activité.

Du cahos tout-à-coup les portes s'ébranlerent ;

Des soleils allumés les feux étincelerent,

Tu naquis ; l'éternel te prescrivit ta loi.

Il dit au mouvement, du tems sois la mesure.

Il dit à la nature,

Le tems sera pour vous, l'éternité pour moi.

Dieu, telle est ton essence : oui, l'océan des âges

Roule au-dessous de toi sur tes frèles ouvrages,

Mais il n'approche pas de ton trône immortel.

Des millions de jours qui l'un l'autre s'effacent,

Des siecles qui s'entassent

Sont comme le néant aux yeux de l'Eternel.

Mais moi, sur cet amas de fange & de poussiere

Envain contre le tems, je cherche une barriere ;

Son vol impétueux me presse & me poursuit ;

Je n'occupe qu'un point de la vaste étendue ;

Et mon ame éperdue

Sous mes pas chancelans, voit ce point qui s'enfuit.

De la destruction tout m'offre des images.

Mon oeil épouvanté ne voit que des ravages ;

Ici de vieux tombeaux que la mousse a couverts ;

Là des murs abattus, des colonnes brisées,

Des villes embrasées,

Par-tout les pas du tems empreints sur l'univers.

Cieux, terres, élémens, tout est sous sa puissance :

Mais tandis que sa main, dans la nuit du silence,

Du fragile univers sappe les fondemens ;

Sur des aîles de feu loin du monde élancée,

Mon active pensée

Plane sur les débris entassés par le tems.

Siecles qui n'êtes plus, & vous qui devez naître,

J'ose vous appeller ; hâtez-vous de paroître :

Au moment où je suis, venez vous réunir.

Je parcours tous les points de l'immense durée,

D'une marche assurée ;

J'enchaîne le présent, je vis dans l'avenir.

Le soleil épuisé dans sa brûlante course

De ses feux par degrés verra tarir la source ;

Et des mondes vieillis les ressorts s'useront.

Ainsi que les rochers qui du haut des montagnes

Roulent dans les campagnes,

Les astres l'un sur l'autre un jour s'écrouleront.

Là de l'éternité commencera l'empire ;

Et dans cet océan, où tout va se détruire,

Le tems s'engloutira comme un foible ruisseau.

Mais mon ame immortelle aux siecles échappée

Ne sera point frappée,

Et des mondes brisés foulera le tombeau.

Des vastes mers, grand Dieu, tu fixas les limites !

C'est ainsi que des tems les bornes sont prescrites.

Quel sera ce moment de l'éternelle nuit ?

Toi seul tu le connois ; tu lui diras d'éclorre ;

Mais l'univers l'ignore ;

Ce n'est qu'en périssant qu'il en doit être instruit.

Quand l'airain frémissant autour de vos demeures,

Mortels, vous avertit de la fuite des heures,

Que ce signal terrible épouvante vos sens.

A ce bruit tout-à-coup mon ame se reveille,

Elle prête l'oreille,

Et croit de la mort même entendre les accens.

Trop aveugles humains, quelle erreur vous enivre !

Vous n'avez qu'un instant pour penser & pour vivre,

Et cet instant qui fuit est pour vous un fardeau.

Avare de ses biens, prodigue de son être,

Dès qu'il peut se connoître,

L'homme appelle la mort & creuse son tombeau.

L'un courbé sous cent ans est mort dès sa naissance,

L'autre engage à prix d'or sa venale existence ;

Celui-ci la tourmente à de pénibles jeux ;

Le riche se délivre au prix de sa fortune

Du tems qui l'importune ;

C'est en ne vivant pas que l'on croit vivre heureux.

Abjurez, ô mortels, cette erreur insensée.

L'homme vit par son ame, & l'ame est la pensée.

C'est elle qui pour vous doit mesurer le tems.

Cultivez la sagesse : apprenez l'art suprême

De vivre avec soi-même,

Vous pourrez sans effroi compter tous vos instans.

Si je devois un jour pour de viles richesses

Vendre ma liberté, descendre à des bassesses ;

Si mon coeur par mes sens devoit être amolli ;

O tems, je te dirois, préviens ma derniere heure ;

Hâte-toi, que je meure !

J'aime mieux n'être pas, que de vivre avili.

Mais si de la vertu les généreuses flâmes

Peuvent de mes écrits passer dans quelques ames ;

Si je puis d'un ami soulager les douleurs ;

S'il est des malheureux dont l'obscure innocence

Languisse sans défense,

Et dont ma foible main doive essuyer les pleurs.

O tems, suspens ton vol, respecte ma jeunesse,

Que ma mere long-tems témoin de ma tendresse,

Reçoive mes tributs de respect & d'amour !

Et vous, gloire, vertu, déesses immortelles,

Que vos brillantes aîles

Sur mes cheveux blanchis se reposent un jour.

(D.J.)

TEMS DES MALADIES, (Médec. Patholog.) les Pathologistes prennent ce mot tems dans diverses acceptions en l'appliquant au cours des maladies ; quelquefois ils l'employent pour mesurer leur durée & en distinguer les jours remarquables ; d'autres fois ils s'en servent pour désigner les périodes & les états différens qu'on y a observés.

Dans la premiere signification, la longueur du tems a donné lieu à la division générale des maladies en aiguës & chroniques ; la durée de celles-ci s'étend audelà de quarante jours, celles-là sont toujours renfermées dans cet espace de tems limité ; mais elles peuvent varier en durée d'autant de façons qu'on compte de jours différens. Car, suivant les observations répétées, il y a des maladies qui se terminent dans un jour, connues sous le nom d'éphémeres ; d'autres sont décidées dans deux, dans trois, dans quatre, & ainsi de suite jusqu'à quarante. Cependant, suivant ce qui arrive le plus ordinairement, on a distingué quatre ou cinq tems principaux dans la durée des maladies qui en décident la briéveté, (acuties). Dans la premiere classe, on a compris les maladies qui sont terminées dans l'espace de quatre jours, on les a appellées perper-aiguës ; telles sont l'apoplexie, la peste, la sueur angloise, &c. La seconde comprend celles qui durent sept jours, qu'on a nommé très-aiguës ou per-aiguës ; de ce nombre sont la fievre ardente & les maladies inflammatoires, légitimes, exquises. La troisieme classe renferme les maladies appellées simplement aiguës, qui s'étendent jusqu'à quatorze ou vingt-un jours, comme la plûpart des fievres continues ; enfin les autres, connues sous le nom d'aiguës par décidence, traînent depuis le vingt-unieme jour jusqu'à quelqu'un des jours intermédiaires entre le quarantieme, au-delà duquel, si elles persistent, elles prennent le titre de chroniques ; & dans cette acception, lorsqu'on demande à quel tems le malade est de sa maladie, on répond qu'il est, par exemple, au septieme jour depuis l'invasion de la maladie, tems qu'il est assez difficile de connoître au juste.

En second lieu, les anciens ont distingué trois périodes ou états dans le courant d'une maladie aiguë, qu'ils ont désigné sous le nom de tems. Le premier tems est celui qu'ils ont appellé de crudité, alors la nature & la maladie sont, suivant leur expression, engagées dans le combat, la victoire ne panche d'aucun côté, le trouble est considérable dans la machine, les symptomes sont violens, & les bonnes humeurs sont confondues avec les mauvaises, ou sont crues. M. Bordeu a appellé ce tems tems d'irritation, parce qu'alors le pouls conserve ce caractere ; il est tendu, convulsif, & nullement développé. Le second tems est le tems de coction ; il tire cette dénomination de l'état des humeurs qui sont alors cuites, c'est-à-dire que les mauvaises sont, par les efforts de la nature victorieuse, séparées du sein des bonnes, & disposées à l'excrétion critique, qui doit avoir lieu dans le troisieme tems, qu'on nomme en conséquence tems de crise. Pendant les tems de la coction, les symptomes se calment, les accidens disparoissent, l'harmonie commence à se rétablir, le pouls devient mol, développé & rebondissant, les urines renferment beaucoup de sédiment. Le tems de crise est annoncé par une nouvelle augmentation des symptomes, mais qui est passagere, le pouls prend la modification critique appropriée ; & les évacuations préparées ayant lieu, débarrassent le corps de toutes les humeurs de mauvais caracteres ou superflues, & la machine revient dans son assiette naturelle. Voyez CRUDITE, COCTION, CRISE & POULS. Les modernes ont admis une autre division qui pourroit se réduire à celle des anciens, & qui est bien moins juste, moins avantageuse, & moins exacte ; ils distinguent quatre tems ; 1°. le tems de l'invasion ou le commencement qui comprend le tems qui s'écoule depuis que la maladie a commencé jusqu'à celui où les symptomes augmentent ; 2°. le tems d'augmentation, qui est marqué par la multiplicité & la violence des accidens ; 3°. l'état où les symptomes restent au même point sans augmenter, ni diminuer ; 4°. la déclinaison, tems auquel la maladie commence à baisser & paroît tendre à une issue favorable : ce dernier tems répond à ceux de coction & de crise des anciens, & les trois autres assez inutilement distingués ne sont que le tems de crudité ; lorsque les maladies se terminent à la mort, elles ne parcourent pas tous ces périodes, & ne parviennent pas aux derniers tems.

Troisiemement, dans les maladies intermittentes & dans les fievres avec redoublement, on observe deux états, dont l'un est caractérisé par la cessation ou la diminution des symptomes, & l'autre par le retour ou leur augmentation ; on a distingué ces deux états sous le nom de tems, appellant le premier tems de la remission, & l'autre tems de l'accès ou du redoublement ; le médecin, dans le traitement des maladies, ne doit jamais perdre de vue toutes ces distinctions de tems, parce qu'il peut en tirer des lumieres pour leur connoissance & leur pronostic, & sur-tout parce que ces tems exigent des remedes très-différens. Voyez FIEVRE EXACERBANTE, INTERMITTENTE, PAROXYSME, ÉPILEPSIE, GOUTTE, HYSTERIQUE, passion, &c.

Il est aussi très-important de faire attention aux tems de l'année, c'est-à-dire aux saisons ; voyez PRINTEMS, AUTOMNE, ÉTE, HIVER, SAISONS, (Médecine) ; & aux tems de la journée, voyez MATIN & SOIR, (Médecine), parce que les maladies varient dans ces différens tems, & qu'il y a des regles concernant l'administration des remedes, fondées sur leur distinction. (m)

TEMS AFFINE, (Marine) voyez AFFINE.

TEMS A PERROQUET, (Marine) beau tems où le vent souffle médiocrement, & porte à route. On l'appelle ainsi, parce qu'on ne porte plus la voile de perroquet que dans le beau tems ; parce qu'étant extrêmement élevée, elle donneroit trop de prise au vent, si on la portoit dans de gros tems. Voyez MATURE.

TEMS DE MER ou GROS-TEMS, (Marine) tems de tempête où le vent est très-violent.

TEMS EMBRUME, (Marine) tems où la mer est couverte de brouillards.

TEMS, (Jurisprud.) signifie quelquefois une certaine conjoncture, comme quand on dit en tems de foire.

Tems signifie aussi délai ; il faut intenter le retrait lignager dans l'an & jour, qui est le tems prescrit par la coutume.

Tems d'étude, est l'espace de tems pendant lequel un gradué doit avoir étudié pour obtenir régulierement ses grades. Voyez ÉTUDE, DEGRÉS, GRADES, GRADUÉS, UNIVERSITé, BACHELIER, LICENCIé, DOCTEUR. (A)

TEMS, s. m. en Musique, est en général toute modification du son par rapport à la durée.

On sait ce que peut une succession de sons bien dirigée eu égard au ton ou aux divers degrés du grave à l'aigu & de l'aigu au grave. Mais c'est aux proportions de ces mêmes sons, par rapport à leurs diverses durées du lent au vîte & du vîte au lent, que la musique doit une grande partie de son énergie.

Le tems est l'ame de la musique ; les airs dont la mesure est lente, nous attristent naturellement ; mais un air gai, vif & bien cadencé nous excite à la joie, & à peine nos piés peuvent-ils se retenir de danser. Otez la mesure, détruisez la proportion des tems, les mêmes airs resteront sans charmes & sans force, & deviendront incapables de nous émouvoir, & même de nous plaire : mais le tems a sa force en lui-même, qui ne dépend que de lui, & qui peut subsister sans la diversité des sons. Le tambour nous en offre un exemple, quoique grossier & très-imparfait, vu que le son ne s'y peut soutenir. Voyez TAMBOUR.

On considere le tems en musique ou par rapport à la durée ou au mouvement général d'un air, &, selon ce sens, on dit qu'il est vîte ou lent, voyez MESURE, MOUVEMENT ; ou bien, selon les parties aliquotes de chaque mesure, qui se marquent par des mouvemens de la main ou du pié, & qu'on appelle proprement des tems ; ou enfin selon la valeur ou le tems particulier de chaque note. Voyez VALEUR DES NOTES.

Nous avons suffisamment parlé au mot RHYTME des tems de la musique des Grecs ; il nous reste à expliquer ici les tems de la musique moderne.

Nos anciens musiciens ne reconnoissoient que deux especes de mesures ; l'une à trois tems, qu'ils appelloient mesure parfaite ; & l'autre à deux, qu'ils traitoient de mesure imparfaite, & ils appelloient tems, modes ou prolations les signes qu'ils ajoutoient à la clé pour déterminer l'une ou l'autre de ces mesures. Ces signes ne servoient pas à cet unique usage comme aujourd'hui, mais ils fixoient aussi la valeur des notes les unes par rapport aux autres, comme on a déja pu voir aux mots MODE & PROLATION, sur la maxime, la longue & la semi-breve. A l'égard de la breve, la maniere de la diviser étoit ce qu'ils appelloient plus précisément tems. Quand le tems étoit parfait, la breve ou quarrée valoit trois rondes ou semi-breves, & ils indiquoient cela par un cercle entier, barré ou non-barré, & quelquefois encore par ce chiffre. 3/1.

Quand le tems étoit imparfait, la breve ne valoit que deux rondes, & cela se marquoit par un demi-cercle ou C. Quelquefois ils tournoient le C à rebours ainsi , & cela marquoit une diminution de moitié sur la valeur de chaque note ; nous indiquons cela aujourd'hui par le C barré, ; & c'est ce que les Italiens appellent tempo alla breve. Quelques-uns ont aussi appellé tems majeur cette mesure du C barré où les notes ne durent que la moitié de leur valeur ordinaire, & tems mineur celle du C plein ou de la mesure ordinaire à quatre tems.

Nous avons bien retenu la mesure triple des anciens ; mais par la plus étrange bisarrerie, de leurs deux manieres de diviser les notes, nous n'avons retenu que la soudouble ; desorte que toutes les fois qu'il est question de diviser une mesure ou un tems en trois parties égales, nous n'avons aucun signe pour cela, & l'on ne sait guere comment s'y prendre ; il faut recourir à des chiffres & à d'autres misérables expédiens qui montrent bien l'insuffisance des signes. Mais je parlerai de cela plus au-long au mot TRIPLE.

Nous avons ajouté aux anciennes musiques une modification de tems qui est la mesure à quatre ; mais comme elle se peut toujours résoudre en deux mesures à deux tems, on peut dire que nous n'avons que deux tems & trois tems pour parties aliquotes de toutes nos différentes mesures.

Il y a autant de différentes valeurs de tems qu'il y a de sortes de mesures & de différentes modifications de mouvement. Mais quand une fois l'espece de la mesure & du mouvement sont déterminés, toutes les mesures doivent être parfaitement égales, & par conséquent les tems doivent aussi être très-égaux entr'eux : or pour s'assûrer de cette égalité, on marque chaque tems par un mouvement de la main ou du pié ; & sur ces mouvemens, on regle exactement les différentes valeurs des notes selon le caractere de la mesure. C'est une chose très-merveilleuse de voir avec quelle précision on vient à bout, à l'aide d'un peu d'habitude, de battre la mesure, de marquer & de suivre les tems avec une si parfaite égalité, qu'il n'y a point de pendule qui surpasse en justesse la main ou le pié d'un bon musicien. Voyez BATTRE LA MESURE.

Des divers tems d'une mesure, il y en a de plus sensibles & de plus marqués que les autres, quoique de valeur parfaitement égales ; le tems qui marque davantage s'appelle tems fort, & tems foible celui qui marque moins. M. Rameau appelle cela, après quelques anciens musiciens, tems bon & tems mauvais. Les tems forts sont le premier dans la mesure à deux tems, le premier & le troisieme dans la mesure à trois & dans la mesure à quatre ; à l'égard du second tems, il est toujours foible dans toutes les mesures, & il en est de même du quatrieme dans la mesure à quatre tems.

Si l'on subdivise chaque tems en deux autres parties égales qu'on peut encore appeller tems, on aura derechef tems fort pour la premiere moitié, & tems foible pour la seconde, & il n'y a point de parties d'un tems sur laquelle on ne puisse imaginer la même division. Toute note qui commence sur le tems foible & finit sur le tems fort, est une note à contre- tems, & parce qu'elle choque & heurte en quelque maniere la mesure, on l'appelle syncope. Voyez SYNCOPE.

Ces observations sont nécessaires pour apprendre à bien préparer les dissonnances : car toute dissonnance bien préparée doit l'être sur le tems foible & frappée sur le tems fort, excepté cependant dans des suites de cadences évitées, où cette regle, quoiqu'encore indispensable pour la premiere dissonnance, n'est pas également praticable pour toutes les autres. Voyez DISSONNANCE, PREPARER, SYNCOPE. (S)

TEMS, en Peinture, c'est un très-petit contour. On dit, entre ces deux contours il y a un tems. On dit encore, ce contour a deux tems ; c'est-à-dire, une si petite sinuosité, qu'elle ne forme pas deux contours distincts.

TEMS, on appelle ainsi en termes de Manege, chaque mouvement accompli de quelque allure que ce soit ; quelquefois ce terme se prend à la lettre, & quelquefois il a une signification plus étendue. Par exemple, quand on dit au manege, faire un tems de galop, c'est faire une galopade qui ne dure pas longtems ; mais lorsqu'on va au pas, au trot ou au galop, & qu'on arrête un tems, c'est arrêter presque tout court, & remarcher sur le champ. Arrêter un demi-tems, n'est que suspendre un instant la vîtesse & l'allure du cheval pour la reprendre sans arrêter. Tems écoutés, c'est la même chose que soutenus, voyez SOUTENUS. Un bon homme de cheval doit être attentif à tous les tems du cheval, & les seconder à point nommé ; il ne doit laisser perdre aucun tems, autrement il laisse interrompre, faute d'aide, la cadence du cheval.

TEMS, estocade de, (Escrime) c'est frapper l'ennemi d'une botte dans l'instant qu'il s'occupe de quelque mouvement.

TEMS, terme de Vénerie ; on dit revoir de bon tems, lorsque la voie est fraîche & de la nuit.


TENABLEadj. terme de l'Art militaire, qui se dit d'une place ou d'un ouvrage de fortification que l'on peut défendre contre les assaillans. Ce terme vient du latin tenere, tenir.

On ne se sert du mot tenable qu'avec une négative : quand une place est ouverte de tous les côtés, ou que ses fortifications sont abattues, on dit que la place n'est plus tenable : de même quand l'ennemi a gagné une certaine éminence qui domine un poste, on dit ce poste n'est plus tenable. Chambers.


TÉNACETÉNACE


TÉNACERIMLA PROVINCE, (Géog. mod.) province des Indes au royaume de Siam, sur le golfe de Bengale. Elle prend son nom de sa capitale.

TENACERIM, ou TENASSERIM, ville des Indes, au royaume de Siam, dans la province de Ténacerim, & près du golfe de Bengale, sur la riviere de même nom. Cette ville autrefois très-marchande, ne l'est plus aujourd'hui. Latit. 12. 45. (D.J.)

TENACERIM, le, (Géog. mod.) riviere des Indes, au royaume de Siam ; elle descend des montagnes d'Ava, est d'une grande étendue, jointe à un cours rapide, parce qu'elle est pleine de rochers. (D.J.)


TÉNACITÉTÉNACITé

Les signes de la ténacité trop augmentée, sont des tumeurs, des douleurs, des anxiétés ; la circulation, les excrétions empêchées, la lenteur ou la viscosité des humeurs de la circulation, des secrétions, des excrétions. Si le froid se trouve avec ces signes, soyez sûr que les matieres pituiteuses dominent ; mais s'ils sont accompagnés d'une grande chaleur, cela dénote des matieres épaisses & enflammées.

Les remedes à la ténacité des humeurs consistent à les rendre mobiles, & en état de passer par les vaisseaux, on y parvient :

1°. Par des dissolvans aqueux, tiedes, en forme de boisson, de fomentation, de vapeurs, de bain, d'injection, appliqués de façon qu'ils soient approchés de la partie obsédée le plus qu'il sera possible. 2°. Par des salins résolutifs appliqués de la même maniere. Le nitre, le sel de prunelle, le sel polycreste, le nitre stibié, le sel gemme, le sel marin, le sel ammoniac, la fleur de sel ammoniac avec un sel alkali fixe, le borax, le sel de verre, les sels des végétaux brûlés, les sels alkalis fixes, les sels alkalis volatils, le tartre soluble, le tartre régénéré, sont les principaux. 3°. Par les matieres savonneuses faites d'huile tirée par expression, & d'alkali volatil, d'huile distillée & d'alkali volatil. La bile des animaux sert aussi au même usage, & les sucs détersifs des plantes. La laitue, l'hiéracium, la dent-de-lion, la scorsonere, la barbe-de-bouc, la chicorée, l'endive, la saponaire, sont les principales & les meilleures. 4°. Par les matieres contraires à la cause particuliere, qui fait la ténacité ; en se servant de doux alkalis dans la coagulation produite par des acides, des matieres savonneuses dans la coagulation occasionnée par le repos, d'herbes nitreuses & saponacées dans la ténacité phlogistique. 5°. Par les cordiaux, salins, aromatiques huileux, spiritueux, considérés comme devant servir d'aiguillons.

On remet les voies embarrassées en état de laisser passer les liqueurs ; 1°. en ouvrant les conduits par la boisson, les fomentations, les vapeurs, le bain ; par des eaux chaudes mêlangées avec des émolliens, & des salins tempérés ; par une chaleur modérée, par des frictions seches ou humides, chaudes. 2°. La même chose se fait en fomentant, en amollissant, en agitant la matiere embarrassée dans les vaisseaux ; en sorte que le relâchement, la putréfaction, la suppuration & la résolution de la partie affectée, produisent un écoulement de matiere purulente. Il convient d'employer à cet effet de douces farines de froment, de seigle, d'avoine, de lin, de feves, de pois, de lentilles, de fénugrec, &c. des racines émollientes de mauve, de guimauve, de lis blanc, d'oignons cuits, des fleurs d'althaea, de bouillon blanc, de mélilot ; des feuilles de mauve, de guimauve, de branche ursine, de mercuriale, de pariétaire, de figuier, des jaunes-d'oeufs ; des gommes aromatiques, âcres, le sagapenum, le galbanum, l'opopanax ; les emplâtres, les cataplasmes, les onguens qui se font avec ces matieres. 3°. En ouvrant les voies à la matiere ainsi préparée, par une incision faite avec un scalpel, ou par l'application d'un caustique. (D.J.)


TENAILLES. f. (outil à l'usage de presque tous les Ouvriers) il sert à arracher ou à tenir quelque chose. On appelle le mord de la tenaille, les deux demi-cercles qui sont à un bout, parce qu'en se rencontrant quand on les ferme, ils mordent pour ainsi dire toutes les choses qui se trouvent entre deux. Outre cette tenaille commune à toute sorte d'ouvriers, il y en a de particulieres à certains arts & métiers, comme aux orfévres, aux fondeurs, aux monnoyeurs, aux maréchaux, aux serruriers, &c. Voyez les articles suivans.

TENAILLE, s. f. (Docimastique) entre les ustensiles que l'art des essais rend indispensables, on fait usage de quatre sortes de ténailles, forcipes.

La premiere est composée de deux leviers de fer, longs de deux piés, épais de deux lignes, & attachés par le milieu à l'aide d'un axe qui permet à leurs bras de s'ouvrir & de se fermer sans vaciller. Les bras destinés à prendre les vaisseaux se termineront en une espece d'arc de cercle, dont la convexité sera tournée du côté de la partie extérieure, l'un desquels sera garni, comme d'une sous-tendante, d'une petite branche de fer large de deux lignes, épaisse d'une seule, & longue à-peu-près de deux pouces. La partie de rayon, comprise entre chacun de ses arcs & sa corde, sera de trois lignes. Pour manier aisément cette tenaille, on fait des anneaux à ses bras supérieurs en les courbant. Elle sert à retirer de dessous la moufle, les scorificatoires, les coupelles & autres petits vaisseaux ; ce qui se fait en insinuant les doigts de la main droite dans les anneaux de sa partie supérieure, la soutenant avec la main gauche pour lui donner plus d'appui, & en pinçant le bord droit du vaisseau, l'arc soutenu étant tourné en-dehors, pour l'empêcher de vaciller.

La seconde tenaille est une pince faite d'une lame d'acier fort polie, trempée comme un ressort, presque pointue par son extrêmité inférieure, & longue de six pouces. Elle est employée à prendre les grains de fin qui restent sur les coupelles ; ou autres petits corps quelconques.

La troisieme tenaille destinée à prendre des moyens creusets de fusion, est longue de deux piés, ainsi que la premiere, & n'en differe que parce que les leviers dont elle est composée sont plus forts, & que ses bras inférieurs se terminent par un bec long d'un pouce & demi & large de six lignes ; ce bec doit être arqué, afin de s'ajuster aux parois des creusets qu'il doit embrasser étroitement : elle est particulierement faite pour maniere les vaisseaux médiocres dont l'on verse le métal fondu dans des moules, ou dans une lingotiere.

Comme les grands creusets, & principalement ceux qui contiennent une grande quantité de métal sont plus sujets que les petits à contracter des félures, qui, à-moins qu'elles ne viennent de l'humidité de la tourte, commencent toujours par leur partie supérieure, & s'étendent pour l'ordinaire jusqu'au fond du creuset, se formant assez rarement en ligne circulaire ; on se sert pour les ôter du feu, d'une quatrieme tenaille plus forte & plus longue que la premiere : à la partie interne de son bras inférieur sera attaché un demi-cercle, dont le rayon de quatre pouces sera perpendiculaire au bras de la tenaille : le second bras sera muni de deux autres demi-cercles, l'un plus grand & l'autre plus petit que le précédent, & placés de même que lui ; mais disposés de façon qu'il restera entre chacune de leurs extrêmités voisines un intervalle d'un pouce, propre à recevoir le demi-cercle du premier bras. On peut, à la faveur de cette structure, transporter les moyens comme les plus grands vaisseaux. Avant que de se servir de cette tenaille, on rougit médiocrement ses pinces, & on les applique un peu au-dessous du bord supérieur du creuset, que l'on enleve en sûreté au moyen du cercle dont l'un de ses côtés est environné. M. Cramer a joint à la description qu'on vient de lire, des tenailles nécessaires aux essais, les figures de chaque tenaille en particulier. (D.J.)

TENAILLES INCISIVES, instrument de Chirurgie dont on se sert pour couper des esquilles & des cartilages. Il y en a de différentes especes ; la premiere (Voyez fig. 2. Pl. XXI.), est longue de sept pouces & demi ; c'est une espece de pincette dont les branches sont jointes par jonction passée. Voyez JONCTION PASSEE.

L'extrêmité antérieure de chaque branche est un demi-croissant, un peu allongé, plus épais près de sa jonction, mais qui va en diminuant d'épaisseur, pour augmenter en largeur, & se terminer par un tranchant qui a un pouce quatre lignes d'étendue.

Les extrêmités postérieures de ces branches ont environ cinq pouces, elles sont épaisses près de leur jonction, où elles ont cinq lignes & demie de large ; leur surface extérieure est placée près de leur jonction, & elle devient plus large & arrondie vers leur extrêmité, afin de leur tenir lieu de poignée ; ces extrêmités sont naturellement écartées l'une de l'autre, par un ressort de deux pouces sept lignes de long, dont la base est attachée sur la branche femelle, par un clou rivé.

Pour peu qu'il y ait de résistance dans les parties qu'on veut couper avec ces tenailles, on a beaucoup de difficultés, parce que les deux tranchans s'affrontent & s'appliquent perpendiculairement l'un sur l'autre : on se sert plus commodément de l'espece de ciseaux appellés par les ouvriers cisoires. Voyez CISOIRE. Cet instrument connu des ouvriers qui coupent le fer, peut être fort utile en chirurgie ; il a beaucoup de force, parce que la puissance est éloignée du point d'appui, & que la résistance est proche ; & en outre parce que les tranchans ne sont point opposés l'un à l'autre, comme dans la tenaille incisive que nous venons de décrire.

L'usage des cisoires consiste à couper des esquilles d'os, des côtes, des cartilages, &c. Voyez figure 4. Pl. XXI.

La figure 3. représente une autre espece de tenaille incisive, fort utile pour couper les ongles des piés & des mains, & principalement ceux qui entrent dans la chair. Voyez PTERYGION. On s'en sert aussi pour couper les petites esquilles d'os, & principalement les grandes inégalités qui se trouvent quelquefois après l'opération du trépan, ou bien les pointes qui percent, ou peuvent percer la dure-mere. Ces sortes de pincettes n'ont pas plus de quatre pouces de longueur ; les branches sont jointes par jonction passée ; leur partie antérieure est une petite lame longue de dix lignes, évuidée en dedans, convexe & polie en dehors, coupée en talus depuis la jonction jusqu'à la pointe, & terminée en pointe ; chaque lame est tranchante par l'endroit qu'elles se joignent ; les deux branches postérieures, qui font la poignée, sont recourbées en arc, & se tiennent écartées par un simple ressort, qui doit avoir au moins un pouce de long. (Y)

TENAILLE, (outil d'Arquebusier) ces tenailles ressemblent aux tenailles en bois des fourbisseurs ; les arquebusiers s'en servent pour serrer un canon de fusil dans l'étau ; ils en ont aussi qui sont garnies de plaques de liege, pour serrer un bois de fusil dans l'étau, attendu que s'ils ne prenoient point cette précaution, les tenailles marqueroient sur le bois, & le gâteroient. Voyez les Planches du Fourbisseur.

TENAILLES DROITES, (outil d'Arquebusier) ces tenailles sont faites comme celles des serruriers, & servent aux arquebusiers pour faire chauffer le fer à la forge, & le tenir sur l'enclume. Voyez TENAILLES, (Serrurerie.)

TENAILLES A CROCHET, (outil d'Arquebusier) ces tenailles sont faites comme celles des serruriers, & servent aux arquebusiers aux mêmes usages que les tenailles droites.

TENAILLES A VIS, (outil d'Arquebusier) ces tenailles à vis s'appellent aussi étau à main, & sont faites comme celles des serruriers, horlogers, &c. les arquebusiers s'en servent à differens usages, & en ont à mâchoire plate, & à mâchoire d'étau. Voyez Pl. d'Horlogerie.

TENAILLES A CHANFREIN, (outil d'Arquebusier) ces tenailles sont exactement faites comme celles des serruriers, & servent aux arquebusiers pour tenir des pieces de côté dans leur étau, & les limer plus facilement.

TENAILLES, en terme de Batteur d'or, sont des pinces dont les mâchoires sont plates & unies, dont l'une des branches à l'autre extrêmité, s'arrête dans une petite plaque de fer percée de plusieurs trous ; ces tenailles sont soutenues sur une espece de patte en cercle, soudée à deux pouces des mâchoires, afin qu'elles soient de la hauteur de l'outil, qu'elles assujettissent pendant qu'on l'emplit. Voyez OUTIL.

TENAILLES A BOUCLES, en terme de Bijoutier, sont des tenailles dont les queues sont droites & plates dans toute leur longueur, & arrondies par le bout, le long desquelles coule une boucle de fer qui sert à ouvrir ou fermer plus ou moins les mâchoires des tenailles, qui n'ont rien de particulier quant à leur forme. Voyez Pl. d'Horlogerie.

TENAILLES CROCHES, en terme de Metteur en oeuvre, sont des tenailles qui ne différent des pinces ordinaires que par l'une de leurs mâchoires, qui forme un demi-cercle, & se termine en une pointe qui entre dans la place destinée au chaton, &c. on se sert des tenailles croches pour le limer ; sa culasse s'appuie contre la mâchoire droite & plate, pendant que le morceau de métal où l'on a fait sa place, est retenu dans la mâchoire courbe : on les appelle encore tenailles à chaton. Voyez les Planches du Metteur en oeuvre.

TENAILLES PLATES, en terme de Bijoutier, sont des pinces dont les mâchoires sont plates, & dont les branches qui servent de queue ou manche, sont recourbées en-dedans. Voyez Pl. d'Horlogerie.

TENAILLES, instrument de fer dont les Bourreliers se servent pour tirer & allonger leur cuir. Ces tenailles sont faites exactement comme les tenailles des cordonniers.

TENAILLES, en terme de Boutonnier, sont des especes de pinces d'une seule piece, dont chaque mâchoire est plate en-dedans, & forme en-dehors une espece de glacis, jusqu'à l'endroit qui s'appuye sur l'étau : on s'en sert sur-tout pour tenir les gros clous de carosse dans l'étau. Voyez les Planches du Doreur sur cuir.

TENAILLES, outil de Charron, ces tenailles sont exactement faites comme les pinces de forge des maréchaux, & servent aux charrons pour tirer du feu les chevilles qu'ils font rougir, & les poser dans leurs ouvrages. Voyez les Planches du Maréchal.

TENAILLES, (Cordon.) elles n'ont rien de remarquable que leur force ; elles servent à arracher les clous. Voyez les Pl. du Cordonnier bottier.

TENAILLES, (Cout.) ces forgerons ont les mêmes tenailles que les serruriers & les taillandiers. Voyez ces TENAILLES. Quelques-unes sont échancrées entre les mâchoires, de maniere à pouvoir y placer la queue d'une piece à demi forgée : on les appelle tenaille à rabattre.

TENAILLES, en terme de Diamantaires, sont des especes de pinces plates, dont les mâchoires ont une gravure par le bout pour recevoir la queue de la coquille, elles sont pressées plus ou moins par un écrou ; la queue de ces tenailles ne forme qu'un seul brin plat, & qui va toujours en s'élargissant jusqu'à son extrêmité qui se cloue sur deux piés de bois de la même piece, qui représentent une sorte d'arcade ; les tenailles s'appuient par chaque bout contre deux chevilles, l'une à gauche, & l'autre à droite, pour les fixer sur le même point, & se chargent de plombs plus forts à proportion qu'on veut faire plus ou moins manger le diamant. Voyez les Pl. du Diamantaire.

La premiere représente les tenailles en situation sur la meule. Voyez MOULIN.

La seconde représente la tenaille entiere, garnie d'une coquille, dont la queue passe au-dessus de la tenaille, elle est retenue entre les deux mâchoires par l'écrou.

La troisieme figure représente la même tenaille dont la mâchoire antérieure est ôtée, la piece de bois faite en arcade, avec laquelle est assemblée la mâchoire immobile, la vis qui traverse les deux mâchoires, le biseau sur lequel s'appuye l'autre mâchoire, qu'on peut aussi assembler à charniere, l'autre mâchoire, h l'écrou qui serre les deux mâchoires l'une contre l'autre, enfin la clé qui sert à serrer l'écrou.

TENAILLES A BOUCLES, en terme de Doreur, sont des tenailles dont les mâchoires renversées en-dehors, représentent la lettre T, elles se serrent dans l'étau, & servent à appréter les boucles ; elles sont d'une grandeur proportionnée aux boucles, &c. Voy. les Pl. du Doreur.

TENAILLES A DRESSER, en terme d'Epinglier, ne different des tenailles ordinaires que parce que leurs mâchoires sont tranchantes : on les appelle triquoises.

TENAILLES, outil de Ferblantier, ces tenailles n'ont rien d'extraordinaire. Voyez les Planches du Ferblantier.

TENAILLES des Fondeurs, appellées happes, sortes de pinces avec lesquelles ils prennent les creusets dans le fourneau, pour verser le métal fondu qu'ils contiennent dans les moules dont on veut qu'ils prennent la figure. Voyez Pl. du Fondeur en cuivre, & l'article HAPPES, & FONDEUR EN SABLE.

TENAILLES TRANCHANTES, outil dont les Bimblotiers faiseurs de dragées au moule se servent pour séparer les dragées qui tiennent à la branche ou jet principal. Voyez les fig. des Planc. de la fonte des dragées moulées. Ces tenailles sont composées de deux branches c C, b B jointes ensemble par un clou à deux têtes A. Les becs cc, bb de ces tenailles sont des tranchans d'acier bien affilés, entre lesquels on présente les branches de dragées, ensorte que les tranchans coupent les jets qui unissent chaque dragée à la branche qui est le jet commun. On coupe en serrant dans la main les deux poignées de bois B C, qui terminent les branches de la tenaille.

TENAILLES DE BOIS, en terme de Fourbisseur, sont des sortes de pinces de bois dans lesquelles on serre les pieces d'une garde pour les ciseler, & empêcher que l'étau ne les endommage. Voyez les Pl. du Fourbisseur.

TENAILLES A VIS, est un outil représenté dans les Pl. de la Gravure, dont se servent les Graveurs pour tenir la planche, & ne se point brûler pendant qu'ils noircissent le vernis, comme on peut le voir aux fig. de la vignette, ou aux fig. de la même Planche, qui représente une planche prise par la tenaille.

TENAILLE, (Horlogerie) instrument dont on se sert pour tenir quelque piece de métal ou agir sur elle avec force. Il y en a de différentes especes ; celles dont les Horlogers font usage, sont 1°. les tenailles à vis, Voyez-les dans les Pl. de l'Horlogerie ; elles consistent en deux branches AB, AC, dont l'une AB est mobile autour du point A, & sur un ressort circulaire r, par le moyen de la vis V. On approche leurs machoires C B l'une de l'autre, & l'on y presse la piece que l'on y veut tenir. Dans la même Planche on a représenté une petite tenaille de la même espece, terminée par un manche. 2°. Les fig. suivantes de la même Planche représentent des tenailles qu'on appelle tenailles à boucles, dont les mâchoires sont pressées l'une contre l'autre au moyen des boucles ou coulans B B, & dont les branches sont ou mobiles sur un centre en C, ou à ressort, comme celles de la petite tenaille T qui est une espece de porte-crayon ajusté dans un manche, lequel est percé d'outre-en-outre, pour laisser passer le fil de laiton dont on se sert pour faire des goupilles. 3°. Les tenailles à couper dont les mâchoires m m sont tranchantes, & servent à couper de petites parties de métal.

TENAILLES de Menuisier, elles sont communes ; elles servent à arracher les clous.

TENAILLES A ETIRER, en terme d'Orfevre, sont de grosses pinces proportionnées néanmoins à la grosseur du fil qu'elles prennent en sortant de la filiere. Leurs mâchoires sont taillées comme une lime. Elles sont composées de deux branches qui s'appliquent l'une sur l'autre en se croisant un peu, s'approchent l'une de l'autre à la tête, autant qu'on veut, & que la piece qu'elles tiennent le permet. Chacune de ces branches se terminent à l'autre bout par un crochet où s'attache la corde ou la sangle. Voyez CORDE ou SANGLE. Voyez les Planches.

TENAILLES A FONDRE, en terme d'Orfevre en grosserie, ce sont de grosses tenailles qui different peu des tenailles ordinaires, si ce n'est que les pinces sont longues & recourbées quarrément. On s'en sert pour tirer les creusets du feu, & pour verser l'argent ou l'or dans les lingotieres. Voyez les Planches.

TENAILLES A FORGER, en terme d'Orfevre, sont des tenailles grosses par proportion à la piece que l'on forge ; on les appelle tenailles à forger, parce qu'on s'en sert pour retenir les pieces d'orfevrerie sur l'enclume. Voyez les Planches.

TENAILLE A JETTER, outil de Potier d'étain, qui sert à jetter en moule de la vaisselle ; cette tenaille est composée de deux branches de fer qui se séparent au milieu pour passer la queue du noyau du moule ; elles joignent ensemble par le bout au moyen d'un crochet & d'un trou où il tient, & par l'autre bout qui est du côté de l'ouvrier qui travaille ; les deux bouts sont garnis de dents rondes ; on serre ces branches qui embrassent le moule avec la main droite, & de la gauche on pousse un anneau ovale de fer qui tient tout en respect lorsqu'on jette ; le moule doit être à plat sur la tenaille, lorsqu'on le serre ou qu'on le veut ouvrir, & cette tenaille est posée sur la selle à jetter. Voyez JETTER L'ETAIN EN MOULE & les figures des Planches du Potier d'étain.

TENAILLE A PAILLONNER, est un autre outil de fer qui sert à tenir les pieces de vaisselle sur le feu, quand on les paillonne. Les queues se serrent aussi avec un anneau, & ont des dents comme la tenaille à jetter. Voyez PAILLONNER & les mêmes Pl. ci-dessus.

TENAILLE, (Serrurier) les tenailles de forges sont composées de deux branches de fer fixées ensemble par une rivure. La partie qui sert à serrer le fer à forger, est de fer quarré depuis la rivure, & porte de longueur depuis trois pouces jusqu'à cinq. Les branches depuis la rivure jusqu'à leurs extrêmités sont arrondies, & plus menues, plus ou moins longues, selon la force de la tenaille. Il y en a de droites & de coudées.

La tenaille à chanfrein a sa rivure à l'extrêmité des branches, & ses deux mâchoires sont coudées l'une sur l'autre en bâton rompu. On la place dans l'étau ; elle serre la piece à limer.

La tenaille à vis ressemble à un petit étau à main qui n'a point de patte. On s'en sert pour tenir les pieces d'ouvrages à limer.

TENAILLES, en terme de Cornetier Tabletier, ce sont des pinces à main qui ne different des pinces proprement dites, qu'en ce qu'elles sont plus courtes, sans clé, & que c'est par leur moyen que l'ouvrier abat des pinces une piece qu'il veut ouvrir. Voyez les Planches.

TENAILLE, (Tailland.) ce sont les mêmes que celles du serrurier & des autres forgerons.

TENAILLES des insectes, (Hist. des insect.) partie creuse & percée que plusieurs insectes ont au bout de la tête, & dont ils se servent pour piquer, tuer d'autres insectes, & les sucer.

Il y a divers genres d'insectes très-carnaciers, auxquels on n'apperçoit d'abord ni bouche, ni trompe, ni aucune ouverture apparente par où l'on puisse soupçonner qu'ils prennent leur nourriture. On se figureroit presque qu'ils vivent de l'air, si deux grandes tenailles en forme de cornes recourbées qu'ils ont à la tête, n'annonçoient qu'il leur faut un aliment plus solide. Ce sont ces deux tenailles même qui leur servent de trompe & de bouche ; elles sont creuses & percées, ou fendues vers leur extrêmité ; ils les enfoncent dans le corps des animaux dont ils veulent se nourrir, & sucent au-travers de ces tenailles tout l'intérieur de l'animal saisi. Voyez la figure de cette partie des insectes dans la Micographie de Hook. (D.J.)

TENAILLE LA, en terme de Fortification, est une espece d'ouvrage extérieur composé de deux faces qui forment un angle rentrant, & de plus de deux longs côtés paralleles ou à-peu-près paralleles. Cette sorte d'ouvrage n'est plus guere en usage, parce que l'angle rentrant que forment ses faces, n'est point défendu. Il peut servir seulement dans des retranchemens ou autres ouvrages de terre très-peu élevés. Voyez OUVRAGE EXTERIEUR, ANGLE MORT & QUEUE D'ARONDE.

Il y a deux sortes de tenailles, savoir la simple & la double : la tenaille simple est un grand ouvrage extérieur, comme D A B C E, composé de deux faces ou côtés A B & C B, qui renferment l'angle saillant B. Voyez Pl. I. de fortif. fig. 12.

La tenaille double ou flanquée est aussi un grand ouvrage extérieur composé de deux tenailles simples ou de trois angles saillans & de deux angles rentrans F G H & H I K. Voyez Pl. I. de fortif. fig. 13. Voyez aussi FLANQUE.

Les grands défauts des tenailles sont 1°. qu'elles embrassent trop de terrein, ce qui donne de l'avantage aux ennemis ; 2°. que l'angle B est sans défense, la hauteur du parapet empêchant les assiégés de voir ce qui se passe en-bas, desorte que les ennemis peuvent s'y loger & se mettre à-couvert ; 3°. que les faces A B & B C ne sont pas flanquées suffisamment.

C'est pour toutes ces raisons là que les plus habiles ingénieurs ont exclu les tenailles des fortifications, & que, si quelquefois ils en font encore, ce n'est que faute de tems pour faire un ouvrage à cornes.

La tenaille de la place est le front de la place compris entre les pointes de deux bastions voisins ; elle est composée de la courtine des deux flancs élevés sur cette ligne & des deux faces qui joignent ces flancs. Voyez BASTION, COURTINE, &c. desorte que la tenaille est ce qu'on appelle aussi la face ou plutôt le front d'une forteresse. Voyez FACE, FRONT & PLACE FORTIFIEE.

TENAILLE DU FOSSE, est un ouvrage bas que l'on fait devant la courtine au milieu du fossé. Voyez FOSSE.

On en fait de trois sortes ; la premiere est composée d'une courtine, de deux flancs & de deux faces ; le rempart de la courtine contenant le parapet, & le talut n'a que cinq toises d'épaisseur ; mais le rempart des flancs & des faces en a sept. Voyez tab. fortif. fig. 21 lett. e.

La seconde que M. de Vauban trouve de fort bonne défense, n'est composée que de deux faces élevées sur les lignes de défenses ; son rempart & ses faces sont paralleles.

La troisieme sorte ne differe de la seconde qu'en ce que son rempart est parallele à la courtine de la place. Telle est celle que M. de Vauban a construite à Landau & au neuf Brisach.

Elles sont toutes trois de bonne défense pour le fossé, & elles sont si basses, que le canon des assiégeans ne peut y atteindre avant qu'ils soient maîtres du chemin couvert, & qu'ils y aient planté leur artillerie.

La tenaille sert à augmenter la défense du fossé. Les coups qui partent de cet ouvrage qui est peu élevé, sont plus dangereux que ceux qui sont tirés des flancs de la place. La premiere espece de tenaille, c'est-à-dire, celle qui a des flancs, se nomme tenaille à flancs ; les deux autres se nomment tenailles simples. M. le maréchal de Vauban qui est l'inventeur des tenailles, après s'être d'abord servi des tenailles à flancs, leur a préféré dans la suite les simples, parce que les flancs des premieres peuvent être aisément enfilés du rempart de la demi-lune. Cet inconvénient ne se trouve point dans la tenaille simple, mais aussi son feu est fort oblique.

Pour construire la tenaille à flancs, il faut 1°. mener (Pl. I. des fortif. fig. 8.) la ligne G H parallele à la courtine R S, & éloignée de trois toises de cette ligne ; 2° mener les lignes G I & H K paralleles aux flancs R E, S F, à la distance de cinq toises ; 3°. tirer les lignes de défense A S & B R ; puis du sommet M de l'angle flanquant, il faut prendre de part & d'autre M N, M P égales chacune à la moitié de M I & M K, & des points N & P abaisser les perpendiculaires N O, P Q sur les lignes de défense B R, A S. Ces perpendiculaires seront les flancs de la tenaille ; I N & P R en seront les faces, & O Q la courtine ; 4°. à trois toises du trait principal on lui menera en-dedans des paralleles à la distance de trois toises, pour déterminer son parapet. On donnera cinq ou six toises au terreplein de la tenaille vis-à-vis les faces, & deux ou trois à celui de la courtine.

Si la distance de la ligne G H à la courtine O Q est moindre que de cinq toises, on commencera par mener une parallele de deux toises à la ligne G H pour le terre-plein de la tenaille vis-à-vis la courtine, & ensuite une autre parallele à la distance de trois toises de cette ligne, qui terminera la longueur des flancs N O, P Q par sa rencontre avec ces flancs, & qui sera le côté extérieur du parapet de la courtine de la tenaille.

Il y a une banquette à la tenaille, comme au parapet du corps de la place ; on en construit même ordinairement deux vis-à-vis les faces, parce que pour couvrir les flancs, on en éleve davantage le parapet. La tenaille se partage en deux parties par un petit fossé M V qu'on pratique au milieu de sa courtine. On communique dans les deux parties de la tenaille par un petit pont qui les joint ensemble.

Pour construire la tenaille simple, il faut aussi mener d'abord (Pl. I. de fortification fig. 9.) une parallele D C à la courtine A B, qui en soit éloignée de trois toises : tirer après cela les lignes de défense O B, P A, & mener des paralleles D E, C F aux flancs A G, B H à la distance de cinq toises. On mene ensuite des paralleles au trait principal E M F, à la distance de trois toises, pour avoir le parapet de la tenaille, & d'autres paralleles à cette derniere à la distance de cinq ou six toises pour en avoir le terreplein.

Lorsque les lignes K X, N Y qui terminent le terreplein de la tenaille, rencontrent la ligne D C parallele à la courtine dans des points X & Y (Pl. I. de fortification fig. 10.) éloignés de plusieurs toises du milieu de la tenaille, alors cet ouvrage est brisé dans cette partie. On termine dans ce cas le terreplein du milieu de la tenaille par une parallele A D C prise à la distance de deux ou trois toises de cette ligne, & le parapet par une autre parallele à la distance de trois toises de la précédente ; elle donne le côté extérieur de la partie R S de la tenaille, c'est-à-dire qu'elle coupera les lignes E M, M F dans des points R & S qui termineront la brisure de la tenaille.

Il est évident par la construction qu'on vient de donner des différentes tenailles, que cet ouvrage est entierement isolé ou détaché de la place. Sa distance au revêtement du rempart le met à l'abri des éclats causés par la ruine ou la destruction du rempart. Sa situation vis-à-vis la courtine ne permet pas qu'il soit enfilé. Ainsi la tenaille a tous les principaux avantages de la fausse braie sans en avoir les défauts. Aussi M. le Maréchal de Vauban l'a-t-il substituée aux fausses braies. Voyez FAUSSES BRAIES. (Q)


TENAILLÉES. f. en terme d'Epinglier, c'est une quantité de tronçons que l'empointeur prend à-peu-près pour les porter sur la meule. Il les tient dans les deux mains comme on le voit Pl. de l'Epinglier, représenté ; on les fait rouler entre les doigts en avançant & retirant alternativement les pouces des deux mains pour présenter les différens côtés des tronçons à la meule. Voyez les fig. de la même Planche.


TENAILLERv. act. (Hist. des sup.) c'est tourmenter un criminel avec des tenailles ardentes. On ne condamne guere à ce supplice que ceux qui ont attenté à la personne du roi. Ravaillac fut tenaillé aux mamelles, aux bras & aux cuisses, pour avoir assassiné Henri IV.


TENAILLONou GRANDES LUNETTES, sont des ouvrages qui couvrent les faces des demi-lunes, & qui leur servent d'espece de contre-gardes.

Le terme de tenaillons ne paroît avoir été en usage que depuis le siege de Lille, en 1708. On appelle ainsi les grandes lunettes dans la relation de ce fameux siege, & ce terme est actuellement plus commun & mieux établi parmi les militaires que celui de grandes lunettes.

Pour construire les tenaillons ou grandes lunettes, il faut prolonger les faces B D, C D de la demi-lune, (Pl. V. des Fortifications, fig. 1.) indéfinitivement audelà de sa contrescarpe ; prendre E F de 30 toises, & HG de 15 ; tirant ensuite la ligne G F, l'on aura la moitié de la lunette, donc GF & FE seront les faces ; H E & H G les demi - gorges. Si l'on fait la même opération sur le prolongement de l'autre face C D de la demi-lune X, on aura la lunette ou le tenaillon tracé.

La lunette a un rempart, un parapet, & un fossé le long de ses faces, comme la demi-lune : son rempart est seulement de 3 piés plus bas que celui de la demi-lune, & son fossé a la même largeur que celui de cet ouvrage. La lunette ou tenaillon est flanqué de la face du bastion & de celle de la demi-lune. (Q)


TENAN(Géog. mod.) petite province du royaume de Tonquin, la plus orientale de ce royaume. Elle rapporte principalement du riz. (D.J.)


TENANCIERS. m. (Gram. & Jurisprud.) est celui qui tient & possede un héritage ou sa part d'un tenement ou domaine ; les co-tenanciers sont ceux qui tiennent conjointement un même domaine. Voyez PERSONNIER, TENEMENT. (A)


TENANTS. m. (Hist. de la chevalerie) on appelloit proprement tenans, ceux qui ouvroient le carrousel, & qui faisoient les premiers défis par les cartels que publioient les hérauts ; c'étoit eux qui composoient la premiere quadrille ; les autres chevaliers étoient les assaillans. Les tenans furent ainsi nommés, parce qu'ils soutenoient les armes à la main les propositions qu'ils avoient avancées. (D.J.)

TENANT, terme de Blason, ce mot se dit de ce qui soutient les écus ou les armoiries, & est le plus souvent synonyme avec support. La différence que quelques-uns y mettent, c'est de dire que les tenans sont seuls, & que les supports sont doubles, & mis des deux côtés de l'écu ; ou bien les supports sont des figures d'animaux, & les tenans des figures humaines. Il y en a de plusieurs figures, de même que les supports, comme les anges, les pucelles, les religieux, les sauvages, les mores, les lions, les léopards, licornes, aigles, griffons, &c.

Les armes de Naples, par exemple, sont d'azur semé de fleurs-de-lis d'or au lambel de gueule en chef, & il a pour tenans deux syrenes ou femmes marines au naturel.

Les premiers tenans ont été des troncs ou des branches d'arbres, auxquels les écussons étoient attachés avec des courroies & des boucles. Depuis on a représenté les chevaliers tenans eux-mêmes leur écu attaché à leur cou, ou sur lequel ils s'appuyoient, comme on voit Philippe de Valois sur les deniers d'or battus en 1336.

L'origine de ces tenans vient de ce que dans les anciens tournois les chevaliers faisoient porter leur écu par des valets déguisés en ours, lions, monstres, &c. par des mores, des sauvages ou des dieux fabuleux de l'antiquité, lesquels tenoient aussi, & gardoient les écus que les chevaliers étoient obligés d'employer pendant quelque-tems, pour ouvrir les pas d'armes, afin que ceux qui les vouloient combattre les allassent toucher. Il y a eu aussi des tenans qui ont été tirés des corps des devises & des animaux du blason, comme le porc-épi de Louis XII. la salamandre de François I. &c. P. Menêtrier. (D.J.)

TENANS ET ABOUTISSANS, (Jurisprud.) sont les confins d'un héritage, ceux auxquels il tient & aboutit : dans les contrats de vente ou de louage, dans les aveux & reconnoissances, on doit exprimer les tenans & aboutissans, & sur-tout dans les demandes en désistement ou en déclaration d'hypotheque, & autres semblables, afin que l'on puisse connoître d'une maniere certaine de quel héritage il s'agit. Voyez AVEU, CONFINS, DECLARATION, LIMITES, RECONNOISSANCE. (A)


TÉNARES. m. (Mythologie) comme à moitié de la hauteur de ce promontoire de la Laconie, il se trouvoit un abîme ou prodigieuse caverne dont l'entrée étoit très-obscure, tenariae fauces, il n'en fallut pas davantage aux poëtes pour en faire le soupirail des enfers, où Pluton donne des loix, rex ferreus orci, stygii dominator averni. Là, disent-ils,

Là regne en un morne silence

Ce tyran aux séveres traits,

Près de la beauté dont l'absence

Causa tant de pleurs à Cérès ;

La douleur, la faim, le carnage,

Le desespoir, l'aveugle rage

Sont ses ministres odieux,

Qui pour plaire au roi du Ténare

Se disputent l'honneur barbare

De mieux peupler les sombres lieux.

Orphée, si nous en croyons les mêmes poëtes, pénétra par le soupirail du promontoire de Laconie dans les profondes demeures du tartare, & enchanta tous les habitans par les accords de sa lyre,

C'est par-là qu'un mortel, forçant les rives sombres

Au superbe tyran qui regne sur les ombres

Fit respecter sa voix ;

Heureux, si trop épris d'une beauté rendue,

Par un excès d'amour il ne l'eût point perdue

Une seconde fois.

Hécatée de Milet a eu une idée fort raisonnable, quand il dit que cette caverne du ténare, servoit apparemment de repaire à un gros serpent, que l'on appelloit le chien des enfers, parce que quiconque en étoit mordu, perdoit la vie ; mais Hercule trouva le moyen de le tuer & de le faire voir à Eurysthée. (D.J.)

TENARE, (Géog. anc.) Taenaria, promontoire au midi du Péloponnèse, entre le golfe de Messénie & celui de Laconie, avec une ville de même nom. Ptolémée, l. III. c. xvj. appelle le promontoire Taenaria, & la ville Taenarium.

Le promontoire Taenarum, dit Pausanias, Lacon. cap. xxv. avance considérablement dans la mer, & au bout de quarante stades, on trouve la ville de Caenopolis, dont l'ancien nom étoit Taenarum.

Il y avoit outre cela un célebre temple de Neptune sur le promontoire Taenarum : Fanum Neptuni est Taenari, dit Cornélius Népos, quod violare nefas dicunt Graeci. Strabon ajoute que ce temple étoit dans un bois sacré ; Pausanias nous apprend que ce temple étoit en forme de caverne, & qu'au-devant on voyoit la statue de Neptune. Ces deux derniers auteurs rapportent la fable qui vouloit que ce fût parlà qu'Hercule fût descendu aux enfers.

Le promontoire est nommé aujourd'hui le Cap de Matapan, & la ville Taenarium pourroit bien être le port des Cailles, Porto-Caglie.

On tiroit autrefois du mont Ténare du crystal de roche, & d'autres pierres dures ; les Grecs disent que les veines en sont encore fécondes, & que les habitans ne les négligent, que pour ne pas attirer les Turcs chez eux. (D.J.)


TENARIENMARBRE, Taenarium marmor, (Hist. nat.) nom d'un marbre dont il est parlé dans les ouvrages des anciens ; il y en avoit de deux especes très-différentes, l'un étoit noir, très-dur, & prenant un très-beau poli, il se tiroit du promontoire de Taenare dans le territoire de Lacédémone. L'autre qui étoit plus estimé & plus rare étoit d'un verd tirant sur le jaune ; quelquefois ce dernier étoit appellé marmor herbosum ou xanthon.


TÉNARIES(Antiq. grecques) , fête en l'honneur de Neptune surnommé Ténarien, de Ténare, promontoire en Laconie, où il avoit un temple. Potter, Archaeol. graec. t. I. p. 432. (D.J.)


TENARIU(Mythol.) surnom de Neptune, à cause du temple en forme de grotte que ce dieu avoit sur le promontoire de Ténare.


TENBY(Géog. mod.) ville à marché d'Angleterre, en Pembrock-Shire, sur la côte, au nord de la pointe de Ludsol. Elle est jolie, & renommée pour l'abondance de poisson qu'on y prend.


TENCHEvoyez TANCHE.


TENÇONou TENSONS, s. m. pl. (Lang. franç.) c'est ainsi qu'on appelloit des questions galantes sur l'amour, que les anciens poëtes françois mirent en vogue, & qui donnerent lieu à l'établissement d'une cour, qu'on nomma la cour d'amour. Là des gens d'esprit terminoient par leur décision, les disputes que les tençons avoient fait naître, & les arrêts de ce tribunal étoient irréfragables. La Picardie tenoit aussi, à l'imitation de la cour d'amour de Provence, ses plaids & gieux sous l'ormel, qui avoient la même origine & le même but. Martial d'Auvergne nous a donné un recueil de ces jugemens galans, ou du-moins faits à leur imitation, sous le titre d'arresta amorum ; j'en ai parlé ailleurs. On trouve plusieurs exemples de tensons dans les poësies de Thibaut, comte de Champagne, & roi de Navarre. (D.J.)


TENCTERI(Géog. anc.) peuples de la Germanie. Les Cattes les ayant chassés de leur premiere demeure, ils furent errans pendant trois ans, & vinrent enfin s'établir sur le Rhin, à la droite de ce fleuve dans le pays des Ménapiens. Drusus les subjugua, & ils devinrent alors amis du peuple romain. Il paroît qu'ils habitoient vis-à-vis de Cologne, dont ils étoient séparés par le Rhin. Tencteri, dit Tacite, Hist. l. IV. c. lxiv. discreta Rheno gens ; il sousentend ab ubiis, ou agrippinensibus.

Le nom de ces peuples est différemment écrit dans les auteurs anciens, car ils disent Tencteri, Tenchieri, Tanchari, Tenterides, Tingri, ou Tenchateri. Mais tous ces noms désignent toujours les mêmes peuples ; & comme les Tencteres ont eu leurs migrations & leurs expéditions en commun avec les Usipiens, nous renvoyons leur histoire au mot USIPII, Géog. anc. (D.J.)


TENCTÉRIENSS. m. pl. (Hist. anc.) peuples de l'ancienne Germanie, qui du tems de César habitoient en Westphalie, vers les bords du Rhin.


TENDANCES. f. (Physiq.) c'est l'effort que fait un corps vers un point quelconque ; ainsi l'on dit, la tendance des corps vers le centre de la terre. La tendance d'un corps mu circulairement pour s'échapper par la tangente.


TENDANT(Gram.) participe du verbe tendre ; qui a un but auquel il est dirigé, un raisonnement tendant à prouver que la raison ne peut rien contre les événemens. Des moyens tendans à une fin illicite. Deux requêtes tendantes à obtenir un privilege.


TENDECOMTE DE, (Géogr. mod.) comté de Piémont dans les Alpes. Il est borné au nord par la province de Coni ; à l'orient par la province de Mondovi ; au midi par le comté de Nice ; & à l'occident par le comté de Beuil. On trouve dans ce comté Tende, sa capitale, & le col de Tende qui est un passage étroit entre de hautes montagnes sur la route de Tende à Vernante. (D.J.)

TENDE, (Géog. mod.) ville d'Italie dans le Piémont, capitale du comté de même nom, sur la rive droite de la Roja, à dix lieues au sud-ouest de Coni, & à vingt au midi de Turin. Longit. 26. 8. lat. 44. (D.J.)


TENDELETS. m. terme de galere ; c'est un tendelet ordinaire, formé d'une piece d'étoffe, portée par la fleche & par des bâtons appellés pertegues & pertiguetes, qui sert à garantir la poupe des ardeurs du soleil & de la pluie. Voyez MARINE, Pl. III. fig. 2. cott. (A)


TENDERIES. f. (terme d'Oisel.) toute chasse où l'on tend des filets aux oiseaux pour les faire tomber dans ce piege. (D.J.)


TENDEURS. m. (Fauconn.) celui qui prend les oiseaux de proie au passage par le moyen d'un filet & d'un duc dressé à cet effet, qui les appelle, & les fait donner dedans. Le tendeur, dès qu'il a pris l'oiseau, le cille, lui met des gets, avec la vernelle & la longe, le garnit de sonnettes avec un chaperon à bec, le désarme de la pointe du bec & des pointes des serres ; puis le veille, le paît & le purge ; & ne le met sur sa foi, ni hors de filiere, qu'il ne soit bien assuré & de bonne créance. (D.J.)


TENDINEUXadj. en Anatomie, épithete des parties formées par des tendons.

On appelle centre tendineux du diaphragme, la partie moyenne de ce muscle qui résulte du concours des fibres tendineuses des différentes portions de muscles dont il est composé. Voyez DIAPHRAGME.


TENDOIRS. m. (terme de Tissér.) c'est un bâton qu'on fait entrer dans le trou qui est au bout de la poitriniere, qui sert à l'empêcher de se dérouler & à tendre l'ouvrage.


TENDOIRESS. f. pl. (Lainage) ce sont des morceaux de bois de charpente, ou de simples perches préparées pour faire sécher les étoffes après qu'elles auront reçu leurs apprêts. Savary. (D.J.)


TENDONtendo, en Anatomie ; c'est une partie blanche, la plus ferme & la plus tenace de celles qui composent les muscles dont il forme les extrêmités. Voyez MUSCLE.

La plûpart des muscles ont au-moins deux tendons, un à chaque extrêmité.

Celui qui est attaché à la partie vers laquelle se fait le mouvement, se nomme la tête du muscle. Celui qui est attaché à la partie qui est tirée vers une autre, se nomme la queue du muscle. Voyez TETE & QUEUE.

Lorsque les tendons s'épanouissent en forme de membranes : ces expansions sont appellées aponevroses. Voyez APONEVROSE.

On a cru que les fibres qui composent le tendon, étoient nerveuses ; mais on trouve aujourd'hui qu'elles ne sont autre chose que des productions des mêmes fibres qui forment le ventre ou corps du muscle. Toute la différence est que dans le corps du muscle elles sont lâches & à une certaine distance l'une de l'autre ; au lieu que dans le tendon elles sont unies ensemble plus étroitement & plus fortement. Voyez FIBRE.

Leur blancheur vient uniquement de ce qu'à raison de leur tissu serré elles n'admettent pas la partie rouge du sang. En effet, il y a la même différence entre ces deux sortes de fibres qu'entre un écheveau de fil, & une corde faite du même fil.

Les fibres des tendons ne souffrent pas de contraction ou de dilatation, comme font celles du corps des muscles : elles agissent simplement comme des cordes pour tirer une partie vers l'autre.

TENDON D'ACHILLE, (Anat.) tendon large & fort, qui sert à étendre le pié, & qui vient du milieu de la jambe au talon.

C'est, je crois, le plus fort & le plus gros de tous les tendons. Il est formé par l'union intime des tendons de deux muscles différens, l'un appellé les jumeaux, & l'autre le solaire ; il va s'attacher à la partie postérieure du calcaneum, & produit par l'épanouissement de ses filets, l'aponévrose plantaire.

Un homme blessé au tendon d'Achille, ne peut se tenir droit, parce que quoique les muscles jambier & péronier postérieurs soient suffisans pour étendre le pié ; le point par où ces muscles passent de la jambe au pié est trop proche de l'appui.

Cette observation montre que l'éloignement du tendon d'Achille, fait toute la force du pié, & que plus ce tendon est éloigné de l'articulation, plus il a de force. Les animaux qui courent & sautent avec plus de facilité, sont ceux qui ont ce tendon plus éloigné ; les hommes qui ont le talon fort long, se fatiguent moins à marcher, & plus le pié est long, plus la longueur du talon est nécessaire.

Mais tout fort qu'est le tendon d'Achille, il peut se rompre complete ment ou incomplete ment. Voyez donc l'article qui suit. (D.J.)

TENDON D'ACHILLE, blessure du, (Chirurgie) parlons maintenant des blessures du tendon d'Achille, ce sont de cruels accidens fort délicats à traiter, & qui par conséquent ne doivent pas être inconnus aux maîtres de l'art.

Non-seulement le tendon d'Achille est exposé à la rupture, mais encore à différentes sortes de blessures. S'il est piqué, percé, ou coupé seulement en partie, le malade se trouve attaqué de symptomes très-dangereux, qui sont d'autant plus terribles, que ce tendon est plus gros que les autres. C'est sans-doute pour cette raison que les anciens médecins ont regardé les blessures de ce tendon comme mortelles, ou du moins comme inguérissables. Les symptomes qu'é prouve le malade lorsque le tendon est considérablement blessé, sont moins cruels que quand la plaie est plus légere ; ensorte qu'alors il faut achever de le couper pour faire cesser la douleur & les convulsions ; cependant il n'est pas impossible de réunir sans suture le tendon d'Achille, aussi - bien que d'autres tendons offensés, si l'on peut bander le pié de maniere que les deux extrêmités du tendon soient maintenues dans un état de contact.

Nos chirurgiens ont finalement hasardé de réunir le tendon par la voie de la suture, & Cowper nous en a laissé une description détaillée, que M. Heister a rendu encore plus intelligible que le fameux chirurgien de Londres ne l'a donnée lui-même.

Le blessé avoit 30 ans ; le tendon d'Achille de sa jambe gauche étoit entierement coupé à la distance de trois travers de doigts du calcaneum ; la partie supérieure étoit retirée en en - haut d'environ deux pouces. Cowper commença par découvrir, par la voie de l'incision, les tégumens, pour pouvoir parvenir aux extrêmités du tendon. Il prit deux aiguilles droites & menues, & introduisit, au moyen de la premiere aiguille, un fil de soie ciré dans la partie supérieure du tendon, à un demi-pouce du bout. Avec une autre aiguille enfilée pareillement d'un fil de soie, il perça de même la partie supérieure du tendon, la faisant entrer un peu plus bas que la premiere ; ensuite il passa les deux aiguilles dans la partie inférieure du tendon. Il étendit le pié du malade, & fit approcher les deux extrêmités du tendon au point qu'elles se touchassent, en tirant les deux bouts de fil l'un à l'autre, lesquels il lia de maniere que les extrêmités du tendon fussent maintenues en état de contact, faisant toujours tenir au blessé son pié allongé ; puis il coupa les bouts des fils.

Cela fait, il pansa la plaie avec de la charpie qu'il trempa dans de l'huile de térébenthine, & y appliqua une compresse & un bandage. Mais afin que le pié fût toujours comme il le falloit, dans un état d'extension, & que les extrêmités du tendon continuassent de se toucher, il fit une espece d'arc de carton fort & épais, qu'il appliqua tellement à la partie antérieure du pié & de la jambe, que le pié ne pût point avoir de mouvement ni la suture se rompre. Cowper observe que le blessé se plaignit de douleurs aiguës, lorsqu'il lui perça avec l'aiguille la partie supérieure du tendon, mais qu'il n'en sentit point lors de la perforation de la partie inférieure.

L'opération faite, le malade fut mis au lit ; on lui tira du bras quatorze onces de sang, pour obvier, par cette grande saignée, aux accidens qui pouvoient survenir ; on lui donna sur le soir une once de syrop de diacode, pour lui procurer du repos.

Le lendemain le malade se trouva assez bien : il avoit dormi : seulement il se plaignit que pendant la nuit il avoit senti des douleurs lancinantes au gras de la jambe, lorsqu'il lui étoit arrivé de s'éveiller. Le troisieme jour Cowper pansa la plaie de même que le premier, y ajoutant seulement une fomentation d'absynthe, de sauge, de romarin & de feuilles de laurier. Le quatrieme jour la plaie parut humectée d'une humeur séreuse, appellée synovie ; le six cette matiere étoit épaissie ; le huit elle l'étoit encore davantage, après quoi elle disparut d'elle-même.

Pendant tout ce tems-là les deux extrêmités du tendon ne s'écarterent point du tout ; mais il parut à l'endroit de leur conjonction une substance blanche, sur laquelle M. Cowper appliqua du baume de térébenthine & de la teinture de myrrhe. Bientôt après cette substance se dissipa, & alors les deux extrêmités parurent couvertes d'une autre substance fongueuse & charnue. M. Cowper ne mit plus rien alors que de sec sur la plaie, tantôt de la charpie seche, & tantôt de la poudre de térébenthine. Le dixieme jour un des fils parut lâche, Cowper le coupa & le retira. Deux ou trois jours après l'autre fil étant lâche aussi, il le coupa & le retira de même. Pendant tout ce tems le pié étoit toujours étendu, au moyen du carton qui étoit attaché par-dessus. Au bout de trente jours, le malade fut en état de marcher un peu, mais en boitant. Petit à petit il marcha plus aisément, & sur la fin du second mois, il recouvra entierement l'usage de son pié.

La destruction du tendon d'Achille emporte avec elle celle de la faculté qui produit le mouvement du pié ; ainsi, à moins que ce tendon ne soit bien repris, le blessé en demeure estropié pour toujours. (D.J.)

Voici une continuation sur le même accident, par M. Louis, chirurgien & secrétaire de l'Académie de chirurgie. Elle est tirée d'un mémoire de M. Petit, dont M. de Fontenelle a donné l'extrait qui suit, dans les recueils de l'Académie des Sciences.

Les tendons sont des especes de cordes qui par une de leurs extrêmités partent d'un muscle, & par l'autre s'attachent à un os, desorte que quand le muscle est en action, ou se contracte, le tendon tire à soi l'os auquel il est attaché, & lui fait faire le mouvement dont il est capable. Les tendons sont d'une nature à ne s'étendre pas, si ce n'est dans des contractions de leurs muscles extraordinaires & outrées : en ce cas-là, si l'os qu'ils doivent tirer ne peut leur obéir assez & les suivre, ou l'os casse par la traction du tendon trop forte, ou le tendon se rompt par son extension trop violente.

Il faut encore considérer que dans certaines actions, comme celle de sauter de bas en-haut, tout le poids du corps est porté, & même surmonté par un nombre de muscles, qui ayant été mis dans une forte contraction, se débandent brusquement tout à la fois, & par-là causent le saut. Si dans l'instant où ces muscles étendent violemment leurs tendons, il arrive un accident qui fasse que ces tendons soient encore tirés en en-bas par tout le poids du corps, il ne sera pas étonnant qu'ils ne résistent pas à une extension si excessive. C'est ainsi que le sauteur de M. Petit se cassa le tendon d'Achille ; il vouloit sauter sur une table élevée de plus de trois piés, il n'en attrapa que le bord du bout de chaque pié, où le tendon d'Achille étoit alors fort étendu par l'effort nécessaire, il retomba droit, & dans cette chûte le tendon d'Achille fut encore étendu par le poids de tout le corps qui le tiroit. On peut ajouter que la force de ce poids fut augmentée par l'accélération d'une chûte de trois piés.

Le tendon d'Achille est formé par l'union intime des tendons de deux muscles différens, l'un appellé les jumeaux, l'autre le solaire. Si ces deux tendons, qui composent celui d'Achille, sont cassés, la rupture est complete ; elle est incomplete , s'il n'y a que l'un des deux. Dans l'incomplete que M. Petit a vue, c'étoit le tendon des jumeaux qui étoit cassé, l'autre restant entier. Il ne faut pas entendre que cette division des ruptures soit fondée sur un grand nombre d'expériences. M. Petit n'en a vu qu'une incomplete , qu'il n'a reconnue pour telle, & distinguée de la complete , que par une grande exactitude d'observations ; & il a jugé de plus que celle qu'Ambroise Paré a rapportée, étoit de la même espece. Pour l'autre incomplete , il ne fait guere que la conjecturer par une espece d'analogie. Il ne s'agira donc ici que de la premiere incomplete , qui sera en opposition avec la complete .

Il y a entr'elles des différences, dont quelques-unes pourroient surprendre. L'incomplete est très-douloureuse, & la complete ne l'est point. Lorsqu'un tendon est absolument rompu, ses deux parties séparées se retirent naturellement, comme feroient celles d'une corde à boyau, l'une d'un côté, l'autre du côté opposé. Si elles tiennent à des parties voisines, elles ne pourront se retirer, sans les tirailler, les agiter, les irriter, & cela avec d'autant plus de force, & par conséquent d'autant plus douloureusement, que leur adhésion sera plus grande. Cela peut aisément aller au point de causer des inflammations, qui s'étendront ensuite ; la fievre, des insomnies, des délires. Mais hors de ce cas-là, deux parties du tendon séparées se retirent paisiblement chacune de son côté, & il n'y a nul autre mal, que le tendon cassé, devenu inutile. Cela est si vrai, que pour prévenir les douleurs & les accidens qui naîtroient d'un tendon à demi rompu, on le coupe tout-à-fait. Le tendon d'Achille est enfermé dans une gaîne où il coule librement, il n'a point d'attache aux parties voisines, & par-là, sa rupture complete est sans douleur.

Mais il n'en va pas de même de l'incomplete . Le seul tendon des jumeaux étant rompu, il se retire en en-haut & en en-bas, tandis que le tendon du solaire ne se retire point. On voit assez là un principe de déchirement d'autant plus violent, que l'adhérence & l'union de ces deux tendons qui forment celui d'Achille, est effectivement très-grande.

Ce principe général veut pourtant être considéré plus particulierement. Il n'y a de douleur qu'à l'endroit de la portion supérieure du tendon rompu, & non à l'inférieure. Quand la portion supérieure du tendon des jumeaux va en en-haut, parce qu'elle y est tirée par la partie charnue de ce muscle auquel elle tient, elle est en même tems tirée en en-bas par le solaire resté sain en son entier ; & cette contrariété d'actions fait un déchirement douloureux dans les fibres qui résistent ; mais la portion inférieure du même tendon ne tenant plus du tout au muscle des jumeaux, mais seulement au solaire, elle obéit sans résistance aux mouvemens du solaire, qui ne sont point combattus par l'autre. Ce n'est que dans les premiers tems que cette différence entre les deux portions du tendon rompu subsiste en son entier : dans la suite la douleur de la portion supérieure peut avoir été si vive, qu'elle aura causé de l'inflammation aux parties voisines ; mais quoique la portion inférieure s'en ressente, elle est encore la moins douloureuse, ce que l'on reconnoît sensiblement au toucher.

Dans la rupture complete , on fléchit le pié du malade sans lui causer aucune douleur ; on augmente seulement une espece de vuide ou de creux que laissent nécessairement entr'elles les deux portions du tendon d'Achille entierement séparées l'une de l'autre. Dans la rupture incomplete , cette même flexion du pié ne peut se faire sans beaucoup de douleur, parce que ce creux qu'on tend à augmenter, ne se peut augmenter sans un déchirement, ou tiraillement de parties imparfaitement séparées.

Dans la rupture incomplete on peut marcher, mais en souffrant ; dans la complete on ne peut marcher, quoiqu'on ne souffre point. A chaque pas que l'on fait, la jambe qui demeure en arriere, soutient seule tout le poids du corps, & il faut que la ligne de direction de ce poids tombe vers le milieu du pié de cette jambe posé sur le plan ; or M. Petit fait voir que c'est le tendon d'Achille, qui par son action porte cette ligne de direction sur le pié où elle doit être, qu'il fait en quelque sorte la fonction du gouvernail, & que par conséquent lorsqu'il ne peut plus absolument la faire, on ne marche plus.

Il est très-important en chirurgie de connoître toutes les différences des deux ruptures ; on saura les discerner dans l'occasion, & on se conduira plus surement. Quand on ne les discerneroit que par leurs effets, ce seroit toujours beaucoup ; mais il vaut sans comparaison mieux que les effets soient accompagnés de la connoissance des causes.

M. Petit ne traite point de la deuxieme rupture incomplete , qui seroit celle du seul tendon du muscle solaire, il ne l'a point vûe, & il y a plus de sagesse à ne point prévenir les faits par des conjectures hasardées. Il croit seulement que cette rupture doit être plus rare que la premiere incomplete , & il en donne les raisons tirées de la différence des deux tendons qui composent celui d'Achille. Hist. de l'acad. des Sciences, années 1725 & 1728. (D.J.)

TENDON, les Maréchaux appellent improprement ainsi dans le cheval une espece de cartilage qui entoure une partie du pié, & qui est située entre la corne & le petit pié. On est souvent obligé de couper ce tendon. Dans le javart encorné, la matiere qui se forme entre le petit pié & la corne, gâte ce tendon, le noircit, & l'on est obligé de l'extirper pour guérir le javart. Voyez JAVART.


TENDOURSS. m. (terme de relation) on nomme tendours dans le Levant, des tables garnies de bois par les côtés, dans lesquelles les Turcs s'enferment jusqu'à la ceinture, hommes & femmes, filles & garçons ; ils y mettent en hiver un petit poële pour échauffer le lieu, & passent ainsi des journées entieres dans leurs tendours, à converser, fumer, & boire du sorbet. (D.J.)


TENDRETENDREMENT, TENDRESSE, (Lang. franç.) ces mots se disent élégamment en matiere de peinture, de gravure, de sculpture, &c. il peignoit d'une maniere tendre ; cette gravure est touchée tendrement ; tous les plis sont faits avec une grande tendresse.

Tendresse n'est d'usage qu'au figuré ; & la délicatesse de ce siecle a renfermé ce mot dans l'amour & dans l'amitié. On ne dit point, cette viande est d'une grande tendresse ; on dit, cette viande est fort tendre. C'est un substantif qui manque au propre dans notre langue ; il faudroit y substituer ou tendreur ou tendreté ; mais l'usage ne l'a pas encore voulu.

Lorsque tendre se dit des personnes, & qu'il n'a point de régime, il s'entend ordinairement de la compassion, & particulierement de l'amour ; il est naturellement tendre pour les miseres d'autrui. Il y a des personnes qui affectent d'être tendres & sensibles à la perte de gens qu'elles connoissoient à peine, afin qu'on soit tendre pour elles, & qu'on prenne part à leurs déplaisirs. Cette dame a le coeur tendre ; une conscience tendre, c'est une conscience scrupuleuse, délicate. (D.J.)

TENDRE, (Art statuaire en fonte) le statuaire comme le peintre s'étudie à copier la nature ; & la fonte ainsi que le ciseau, ont des délicatesses qui ne naissent que sous la main des grands maîtres. La rudesse des traits ne fait pas précisément cette dureté que l'on blâme dans une statue. Avec les traits les plus doux, une Vénus ou un Cupidon auront cette dureté vicieuse, si les attitudes ne sont point dans une proportion réguliere, si les membres & les nerfs ne paroissent point souples & flexibles ; en un mot, si le sentiment ne sort pas, pour ainsi dire, de l'harmonie naturelle des traits & des mouvemens que demande l'action représentée. Virgile a peint en deux mots ce que nous appellons le tendre, spirantia mollius aera. (D.J.)

TENDRE, v. act. (Gram.) on dit tendre un arc, pour le bander avec effort ; tendre un piege, pour le préparer ; tendre une corde, pour l'attacher fixement par les deux bouts ; tendre une tente, des voiles, un lit, une tapisserie, un filet aux bécasses, aux grives ; tendre le cou, le dos, la main ; tendre à un but ; tendre à la mort ; tendre à la fin d'un ouvrage ou de la vie ; tendre les bras à quelqu'un ; tendre les bras au ciel ; tendre l'esprit, &c.

TENDRE à caillou, (Botan.) nom vulgaire qu'on donne dans les îles de l'Amérique françoise à un arbre, dont le bois est d'une extrême dureté ; le P. Labat dit que cet arbre n'a guere qu'un pié de diamêtre ; son écorce est blanchâtre ; ses feuilles sont clairsemées, de médiocre grandeur, ovales, dentelées, & comme brûlées du soleil, ensorte que cet arbre paroît tout rougeâtre de loin. (D.J.)


TENDREMENTadv. terme de Musique qui, à la tête d'un air, marque un mouvement lent & doux, des sons filés gracieusement & animés d'une expression tendre & touchante ; les Italiens se servent du mot amoroso pour indiquer à-peu-près la même chose. (S)


TENDROCOSSÉ(Hist. nat. Bot.) plante de l'île de Madagascar ; on assure que sa décoction fait venir & augmente le lait aux femmes, & qu'elle est tonique & fortifiante.


TENDRONS. m. (Gram.) partie tendre d'un animal, d'une plante. On dit des tendrons de veau, ce sont des parties cartilagineuses qui tiennent aux os. Des tendrons d'artichaux, de choux, de laituë ; ce sont les parties plus solides auxquelles les feuilles sont attachées.


TÉNEBRESOBSCURITé, NUIT, (Synonyme) les ténebres semblent signifier quelque chose de réel & d'opposé à la lumiere. L'obscurité est une pure privation de clarté. La nuit est la cessation du jour, c'est-à-dire le tems où le soleil n'éclaire plus.

On dit des ténebres qu'elles sont épaisses ; de l'obscurité qu'elle est grande ; de la nuit qu'elle est sombre.

On marche dans les ténebres, à l'obscurité & pendant la nuit. L'abbé Girard. (D.J.)

TENEBRES, (Critiq. sacrée) obscurité ; les ténebres dans le sens figuré, se prennent 1°. pour malheur, disgrace ; fuit illa dies tenebrarum. Esther, xj. 8. ce fut là un jour de calamité : 2 °. pour la mort ; connoîtra-t-on les merveilles de Dieu dans les ténebres. Ps. lxxxvij. 13. c'est-à-dire dans le tombeau : 3°. pour l'ignorance de la vérité ; les hommes, dit S. Jean, iij. 19. ont mieux aimé les ténebres que la lumiere : 4 °. pour le péché ; rejettons les oeuvres de ténebres. Rom. xiij. 12.

Les oeuvres de ténebres dont parle ici S. Paul, , sont les péchés qui tirent leur source de l'idolâtrie. C'est dans le même sens que l'apôtre dit, II. Corinth. vj. 14. Quel rapport y a-t-il entre la lumiere & les ténebres ? c'est-à-dire du chrétien & de l'idolâtre. Et ailleurs, Ephes. v. 8. vous étiez autrefois ténebres, c. à. d. vous étiez autrefois idolâtres. De même, être appellé des ténebres, I. Pierre, ij. vers. 9. c'est sortir de l'idolâtrie où l'on étoit plongé. " Ceux qui se jettent dans l'idolâtrie dit Philon, préferent les ténebres à une lumiere éclatante ". Tous ces passages prouvent que les ténebres dans le nouveau Testament, désignent spécialement l'idolâtrie.

Les chaînes des ténebres, Sapience, xvij. 2. les chaînes d'obscurité, I. Pierre, ij. 4. signifient la même chose, le péché, l'idolâtrie ; c'est une métaphore prise de l'idée que les Juifs avoient du sort des méchans ; ils les croyoient gardés dans des cachots obscurs, & garrottés de chaînes. (D.J.)

TÉNEBRES DE LA PASSION, (Critiq. sacrée) c'est ainsi qu'on nomme l'obscurcissement, ou les ténebres qui arriverent à la mort de J. C. & qui arriverent, disent les évangélistes, depuis la sixieme heure (midi), jusqu'à la neuvieme : A sextâ autem horâ, tenebrae factae sunt super universam terram, usque ad horam nonam.

On demande avec beaucoup d'empressement, si les ténebres dont il s'agit, s'étendirent réellement sur la plus grande partie de notre hémisphere, ou si elles ne couvrirent qu'une partie de la Judée, qui est quelquefois désignée dans l'Ecriture sous le nom de toute la terre.

Sans prétendre décider cette question, je remarquerai 1°. que pour chercher des traces de ces ténebres hors de la Judée, il faudroit être bien sûr qu'elles se sont étendues par-tout, & c'est ce qui est fort incertain, pour ne rien dire de plus fort ; la plûpart des interprêtes ont suivi le sentiment d'Origene, qui a prétendu que par toute la terre, il ne faut entendre dans le récit des évangélistes que la Palestine ; c'est assez leur style, & il y a beaucoup d'apparence qu'ils n'ont parlé que de la Terre-Sainte, du-moins ne peut-on prouver le contraire ; par conséquent vouloir chercher des traces de cet événement dans d'autres auteurs, c'est chercher une chose de l'existence de laquelle on n'est pas certain.

Il faudroit qu'on fût bien d'accord sur l'année & le jour précis de la mort de J. C. sans quoi l'on se donne encore une peine inutile ; or tout le monde sait que les savans ne sont pas d'accord sur ce sujet ; la plûpart mettent cet événement au vendredi 3 Avril de l'an 33 de l'ere chrétienne, & en adoptant cette époque, tout ce qu'on trouve dans l'histoire profane ne peut avoir le moindre rapport aux ténebres dont il s'agit. On cite ordinairement le témoignage de Phlegon, affranchi d'Adrien, rapporté par divers anciens, qui parle d'une éclipse de soleil mémorable arrivée en la deux cent deuxieme olympiade, la seconde année selon les uns, & la quatrieme selon les autres : or lequel de ces deux calculs qu'on adopte, il ne concourt point avec l'an 33, mais avec l'an 30 ou 32 ; on verra dans la suite que la même chose a lieu par rapport à l'éclipse mentionnée dans les annales de la Chine.

Pour pouvoir faire quelque fonds sur ce que les historiens profanes disent, il faudroit que les témoins fussent bien unanimes, au-lieu qu'ils different dans des circonstances essentielles. On ne parle point de ce qu'on cite de Denys l'aréopagite, presque tous les critiques conviennent que les pieces publiées sous le nom de Denys sont supposées. Il ne s'agit donc que du témoignage de Phlegon & de celui des annales de la Chine. Parlons d'abord du premier en peu de mots, car nous y reviendrons ensuite.

Cet auteur avoit écrit une histoire des olympiades, dont plusieurs anciens nous ont conservé un passage sur le sujet dont il s'agit ; mais ils le citent d'une maniere si différente qu'on ne peut en rien conclure. 1. Georges Syncelle fait dire à Jules africain, que Phlegon rapporte, que sous l'empire de Tibere il se fit dans la pleine lune, une éclipse de soleil, depuis six heures jusqu'à neuf heures ; mais il n'est point parlé de la pleine lune dans Eusebe, & dans les autres auteurs qui citent le même passage ; & Origène nie expressément que Phlegon ait marqué cette circonstance. 2. Aucun de ces auteurs n'a dit que cette éclipse avoit duré jusqu'à neuf heures ; Eusebe & Cedrenus font dire à Phlegon, qu'à six heures le jour fut changé en nuit. 3. Les uns disent la seconde année, & les autres la quatrieme année de la deux cent deuxieme olympiade.

A l'égard de l'éclipse arrivée à la Chine, on ne convient pas sur l'année ; les uns la mettent l'an 31 & d'autres l'an 32 de J. C. Selon M. Kirch, elle n'a été que de neuf doigts & demi, ou neuf doigts quarante minutes ; & selon le P. Gaubil, elle a été centrale annulaire. Selon le premier, elle étoit finie à dix heures du matin ; & selon l'autre, elle a été centrale annulaire à dix heures & demie.

Je sai que les Jésuites ont prétendu que les annales de la Chine disent qu'au mois d'Avril de l'an 32 de J. C. il y eut une grande éclipse de soleil, qui n'étoit pas selon l'ordre de la nature, & qui par conséquent pourroit bien être celle qu'on vit au tems de la passion de J. C. lequel mourut au mois d'Avril selon quelques auteurs. C'est pourquoi les missionnaires de la Chine, prierent en 1672, les astronomes de l'Europe, d'examiner s'il n'y eut point d'éclipse en ce mois & en cette année, & si naturellement il pouvoit y en avoir ; parce que cette circonstance étant bien vérifiée, on en pourroit tirer de grands avantages pour la conversion des Chinois. Mais on a raison de s'étonner que les missionnaires ayant alors chez eux d'habiles astronomes, n'aient pas eux-mêmes faits les calculs qu'ils demandoient, ou qu'ils n'aient pas été d'assez bonne foi pour nous communiquer leurs découvertes.

Quoi qu'il en soit, ils ont paru croire que cette éclipse & les ténebres arrivées à la mort de J. C. sont une seule & même chose. Le P. Jean-Dominique Gabiani, l'un des missionnaires de la Chine, & plusieurs de leurs néophites, supposent le fait incontestable. Le P. Tachard, dans l'épitre dédicatoire de son premier voyage de Siam, dit que " la Sagesse suprême fit connoître autrefois aux rois & aux peuples d'Orient J. C. naissant & mourant, par une nouvelle étoile, & par une éclipse extraordinaire ".

Cependant plusieurs astronomes européens, entr'autres Muller en 1685, & Bayer en 1718, ayant consulté les annales chinoises, & calculé l'éclipse dont elles font mention, ont trouvé que l'éclipse de la Chine étoit naturelle, & qu'elle n'avoit rien de commun avec les ténebres de la passion de notre Sauveur.

En effet, 1°. comme je viens de le dire, on ne convient point de l'année où l'éclipse de la Chine est arrivée ; les uns mettent cette année à l'an 31, & d'autres à l'an 32 de J. C. 2°. selon M. Kirch, elle n'a été que de neuf doigts & demi, ou neuf doigts quarante minutes ; & selon le P. Gaubil, elle a été centrale annulaire. Selon le premier, elle étoit finie à dix heures du matin ; & selon l'autre, elle a été centrale annulaire à dix heures & demi.

Mais en supposant que les missionnaires jésuites & les astronomes européens soient d'accord, quel rapport des éclipses étrangeres peuvent-elles avoir avec les ténebres arrivées à la mort de J. C. ? 1°. Il ne pouvoit y avoir d'éclipse naturelle au soleil, puisque la lune étoit en son plein ; & par cette raison, il seroit impossible à aucun astronome de calculer une éclipse marquée à ce jour-là, il n'en trouveroit jamais ; au-lieu que M. Kirch & le P. Gaubil lui-même ont calculé celle dont il est fait mention dans les annales de la Chine ; elle n'a donc rien de commun avec des ténebres qui n'ont pu, selon le cours naturel, être l'effet d'une éclipse au soleil. 2°. La durée des ténebres, qui fut de trois heures, prouve qu'elles n'étoient pas produites par une éclipse, puisque les plus grandes éclipses ne causent de ténebres que pendant quatre ou cinq minutes. 3°. Quand l'éclipse parut à la Chine, il n'étoit pas jour à Jérusalem. 4°. L'éclipse se fit le jeudi matin, & les ténebres le vendredi après midi. 5°. L'éclipse arriva le dernier jour du troisieme mois des Chinois, c'est-à-dire le dernier jour du second mois judaïque ; & les ténebres à la pâque que les Juifs célebrent au milieu de leur premier mois. 6°. L'éclipse de la Chine arriva le 10 Mai, tems où la pâque ordinaire des Juifs ne fut jamais célebrée. 7°. Il n'est pas même certain qu'il y ait eu dans la Chine l'an 32 de J. C. une telle éclipse. Cassini assure qu'après avoir calculé exactement, il a trouvé que la plûpart des éclipses dont les Chinois parlent, ne peuvent être arrivées dans le tems qu'ils ont marqué, & le P. Couplet lui-même convient qu'ils ont inséré dans leurs fastes un grand nombre de fausses éclipses. Un chinois nommé Yamquemsiam, dans sa réponse à l'apologie pour la religion chrétienne, publiée par les Jésuites à la Chine, dit positivement que cette prétendue éclipse n'est marquée dans aucune histoire de la Chine. 8°. Enfin si l'éclipse qu'on vit à la Chine au mois d'Avril de l'an 32 de J. C. arriva naturellement, elle ne peut avoir aucun rapport avec les ténebres de la passion qui étoient surnaturelles ; & si au contraire elle étoit contre le cours régulier de la nature, le plus habile mathématicien de l'Europe entreprendroit en vain de la calculer.

Quant à l'éclipse naturelle dont Phlegon faisoit mention dans sa chronologie des olympiades, le docteur Sykès dans une savante dissertation sur ce sujet, remarque que les peres qui citent cet auteur, ne sont d'accord ni sur l'année de l'éclipse dont il parloit, ni sur les autres circonstances. Jules africain, qui vivoit environ 86 ans après Phlegon, est le premier qui allegue son témoignage dans un fragment qui nous a été conservé par Georges Syncelle.

Mais 1°. Jules africain fait dire à Phlegon, que cette éclipse arriva dans le tems de la pleine lune ; cependant dans le passage de Phlegon, cité par Eusebe, il n'en est point parlé. 2°. Jules africain censure Thallus d'avoir appellé ces ténebres une éclipse ; mais il ne trouve pas à redire à Phlegon, que cette éclipse arriva dans le tems de la pleine lune. 3°. Africain raconte qu'il y eut des ténebres universelles ; que par un tremblement de terre, les rochers se fendirent, & que plusieurs lieux furent renversés dans la Judée & dans d'autres parties du monde ; mais il paroît par le témoignage d'Origene, que tous ces prodiges n'arriverent que dans la Judée aux environs de Jérusalem. 4°. Africain ne marque pas l'année précise de l'éclipse de Phlegon ; il se contente de dire qu'elle arriva sous le regne de Tibere ; mais puisqu'il assure que cette éclipse est la même que celle qui arriva au tems de la passion de J. C. & que l'opinion générale de son tems, étoit que le Sauveur souffrit l'an 15 de Tibere, il faut la fixer à la 4e. année de la deux cent unieme olympiade.

A l'égard d'Origene, M. Sykès prétend prouver qu'il ne croyoit point que l'éclipse de Phlegon eût du rapport avec les ténebres de la passion. 1°. Parce qu'Origene convient dans son Commentaire sur S. Matthieu, qu'aucun auteur payen n'en a parlé. 2°. Parce qu'il croit que les prodiges dont les évangélistes font mention à la mort du Sauveur, n'arriverent que dans la Judée & aux environs de Jérusalem. 3°. Parce que selon lui, une nuée épaisse causa ces ténebres, ce qui ne s'accorde pas avec la circonstance de l'éclipse de Phlegon.

Le docteur Sykès conclut de toutes ces remarques, que puisque les anciens ne sont d'accord ni sur l'année, ni sur les circonstances de l'éclipse de Phlegon ; que les uns la mettent à la premiere année de la deux cent deuxieme olympiade, les autres à la seconde, S. Jerôme à la troisieme, & Eusebe à la quatrieme, nous ne pouvons faire aucun fond sur le témoignage de Phlegon qu'ils ont cité.

J'aurai peut-être encore occasion d'ajouter un mot sur cette matiere, en parlant de Phlegon né à Tralles ; ainsi voyez le mot TRALLES, & tout sera dit sur ce point curieux de critique. (D.J.)

TENEBRES, (terme d'Eglise) ce mot se dit dans l'Eglise catholique des matines qui commencent l'office des féries majeures de la semaine-sainte. Les leçons de ténebres sont les lamentations de Jérémie sur les malheurs de Jérusalem, qu'on chante sur des tons plaintifs. (D.J.)


TENEBRIUM(Géog. anc.) promontoire de l'Espagne tarragonoise. Ptolémée, liv. II. ch. vi. le donne aux peuples Ilercaones ; c'est aujourd'hui, à ce qu'on croit, Cabo de Alfaques. (D.J.)


TÉNÉCHIRS. m. (terme de relation) planche ou pierre sur laquelle les Turcs mettent les morts pour les laver entierement, de peur qu'il ne leur reste quelque tache de souillure. (D.J.)


TÉNÉDOS(Mythol.) la feinte des Grecs qui cacherent leur flotte derriere cette île, tandis que les Troyens abusés poussoient le cheval de bois dans leurs murs, a plus fait parler de Ténédos, que la réputation de sa justice, de sa fertilité & du temple d'Apollon Sminthien. (D.J.)

TENEDOS, (Géog. anc.) île de la mer Egée proche le continent de l'Asie mineure, vis-à-vis les ruines de Troie. Strabon donne quarante stades au canal qui la sépare de l'Asie.

Tous les anciens auteurs conviennent que cette île, qui se nommoit Leucophris, fut appellée Ténédos, du nom de Tenès ou Tennès qui y mena une colonie. Diodore de Sicile en parle en véritable historien. Tenès, dit-il, fut un homme illustre par sa vertu ; il étoit fils de Cygnus roi de Colones dans la Troade ; & après avoir bâti une ville dans l'île de Leucophris, il lui donna le nom de Ténédos. L'île devint misérable après la destruction d'Ilium ; & fut obligée, comme remarque Pausanias, de se donner à ses voisins, qui avoient bâti la ville d'Alexandrie sur les ruines de Troie.

Cette île fut ensuite une des premieres conquêtes des Perses, qui ayant défait les Ioniens à l'île de Lada, vis-à-vis de Milet, se rendirent maîtres de Scio, de Lesbos & de Ténédos. Elle tomba sous la puissance des Athéniens, ou du-moins elle se rangea de leur parti contre les Lacédémoniens, puisque Nicoloque qui servoit sous Antalnidas, amiral de Lacédémone, ravagea cette île & en tira des contributions, malgré toute la vigilance des généraux athéniens qui étoient à Samothrace & à Tarse.

Les Romains jouirent de Ténédos dans leur tems, & le temple de cette ville fut pillé par Verrès : cet impie ne lui fit pas plus de grace qu'à ceux de Scio, d'Erythrée, d'Halicarnasse & de Délos. Ciceron parle en plusieurs endroits de cette grande bataille que Lucullus remporta à Ténédos sur Mithridate, & sur les capitaines que Sertorius avoit fait passer dans son armée.

Ténédos eut le même sort que les autres îles sous les empereurs romains & sous les empereurs grecs. Les Turcs s'en saisirent de bonne heure, & la possédent encore aujourd'hui ; ils la nomment Bosciade : elle fut prise par les Vénitiens en 1656, après la bataille des Dardanelles ; mais les Turcs la reprirent presque aussi - tôt.

Strabon donne à cette île 80 stades de tour, c'est-à-dire 10 milles ; elle en a bien 18 & seroit assez arrondie, si ce n'est qu'elle s'allonge vers le sud-est. Cet auteur détermine la distance de la terre ferme à 11 stades qui valent 1375 pas, quoiqu'on compte environ 6 milles. Pline en a mieux jugé ; car il l'éloigne de 12 milles & demi de l'ancienne Sigée, qui étoit sur le cap Janissaire : il marque pour l'éloignement de Lesbos à Ténédos 50 milles.

Ce fut derriere cette île que les Grecs cacherent leur flotte quand ils firent semblant de quitter leur entreprise du siege de Troie. C'est-là ce qui a plus fait parler de Ténédos que toute autre chose, & ce qui encore aujourd'hui fait voler ce nom par toute la terre. Tous ceux qui ont un peu étudié savent par coeur ces beaux vers de Virgile :

Est in conspectu Tenedos notissima famâ

Insula, dives opum Priami dùm regna manebant,

Nunc tantùm sinus & statio malè fida carinis.

Hùc se provecti deserto in littore condunt.

Aeneïd. l. II. v. 21.

" Vis-à-vis de Troie est l'île de Ténédos, île fameuse & riche sous le regne de Priam ; mais dont le port détruit n'a plus aujourd'hui qu'une rade peu sûre. Les Grecs allerent se cacher derriere cette île déserte ".

Ténédos a cependant été recommandable par de meilleures raisons que ce stratagême des Grecs. On y exerçoit une justice fort sévere, comme nous le dirons dans la suite. Il y croissoit le meilleur origan du monde ; on y faisoit des vases de terre qui étoient fort estimés. Les raisins, les épis & la Cerès qui paroissent sur ses médailles, témoignent qu'elle abondoit en blé & en vin, & elle jouit encore aujourd'hui de ce dernier avantage. MM. Spon & Wehler nous l'assurent ; mais Tournefort est meilleur à entendre sur cet article.

Nous n'avions pas, dit-il, grande envie étant dans cette île, d'aller chercher les ruines des greniers que Justinien y fit bâtir pour servir d'entrepôt aux blés d'Alexandrie destinés pour Constantinople, qui se pourrissoient souvent dans les vaisseaux arrêtés par les vents contraires à l'entrée des Dardanelles. Ces magasins cependant, à ce que dit Procope, avoient 280 piés de long sur 90 de large. Leur hauteur étoit considérable, & par conséquent ils devoient être solides. Nous admirions la prévoyance de cet empereur ; mais tout cela ne piquoit pas notre curiosité ; non-plus que la fontaine qui, du tems de Pline, se répandoit hors de son bassin dans le solstice d'été, depuis trois heures après minuit jusqu'à six. Le vin muscat de cette île, qui est le plus délicieux du Levant, nous attiroit bien davantage.

Je ne pardonnerai jamais aux anciens, continue-t-il, de n'avoir pas fait le panégyrique de cette liqueur, eux qui ont affecté de célebrer les vins de Scio & de Lesbos. On ne sauroit les excuser en disant qu'on ne cultivoit pas la vigne à Ténédos dans ce tems-là : il est aisé de prouver le contraire par des médailles. On y voit à côté de la hache à deux tranchans (qui sont faits comme les aîles d'un moulin à vent, au-lieu que dans d'autres médailles de cette île ils sont arrondis de même que ceux des haches des Amazones), on voit, dis-je, à côté de cette célebre hache une branche de vigne chargée d'une belle grappe de raisin, qui marque l'abondance de ce fruit dans l'île de Ténédos. On porte la plus grande partie de son vin muscat à Constantinople pour le grand-seigneur & les ministres étrangers.

Si Bacchus protégeoit Ténédos, Vénus y auroit trouvé des nymphes dignes de la suivre. Il n'y avoit point ailleurs d'aussi belles femmes, au rapport de Nymphodore dans Athénée, liv. XIII. pag. 609. Il avoit fait le tour de l'Asie, & un témoignage de cet ordre est d'un grand poids dans l'histoire géographique.

Celui de Théophraste peut encore être allégué ; il raconte qu'il y avoit à Ténédos & à Lesbos certains juges établis pour décider de la beauté des femmes ; tant on étoit alors persuadé dans ces deux îles qu'il falloit porter honneur aux dons de la nature ! C'étoit une charge bien délicate que celle de ces juges de Ténédos. Les dieux-mêmes la refuserent, & Pâris eût fort bien fait de les imiter ; car il acheta chérement, & la ruse dont il s'avisa pour mieux décider, & la possession d'Hélene qu'il obtint pour sa sentence. Ce fut à Ténédos, selon quelques-uns, qu'aborda ce troïen après l'enlevement de la femme de Ménélas, & qu'avec ses cajoleries, il la consola de ses chagrins. In portum Tenedon pervenit, ubi Helenam moestam alloquio mitigavit, dit le prétendu Darès, phrygien, de excidio Trojae.

Cet événement fabuleux ne faisoit pas sans-doute beaucoup d'impression dans le pays, puisque nonseulement il se trouvoit des personnes à Lesbos & à Ténédos qui vouloient être juges en matiere de beauté ; mais on en établit dans une ville du Péloponnèse, où tous les ans il se faisoit une dispute de beauté, & l'on distribuoit un prix à la femme qui l'emportoit sur ses rivales. Cet usage duroit encore du tems d'Athénée. On pouvoit pardonner cette émulation aux femmes ; mais il est fort étrange que les hommes aient aussi disputé ce prix ; c'est pourtant ce qui se pratiquoit à Elée, au rapport de Théophraste.

Je ne dirai rien de la singularité des écrevisses de Ténédos, dont l'écaille représentoit une hache ; c'est un vrai conte de Plutarque qu'il faut joindre à beaucoup d'autres qu'on lit dans ses ouvrages. Suidas, qui a copié cet auteur, dit qu'on trouvoit ces sortes d'écrevisses dans un lieu près de Ténédos, & que l'on appelloit ; sur quoi Hesychius prétend que les premiers Ténédiens ont été nommés .

Quoique les habitans de Ténédos ne se trouvant pas assez forts pour se maintenir dans l'indépendance, se soient soumis à la ville d'Alexandrie située dans la Troade ; ils étoient cependant riches du tems de Ciceron, à ce qu'il paroît par ses harangues contre Verrès. Il mande à son frere qu'on jugea trop à la rigueur l'affaire qu'ils eurent à Rome touchant leurs immunités. Tenediorum igitur libertas securi Tenediâ praecisa est, quum eos praeter me & Bibulum, & Calidium, & Favonium, nemo defenderet. L'expression Tenedia securis, la hache de Ténédos, est une expression bien heureuse, comme on le verra tout-à-l'heure.

Remarquons auparavant que l'île de Ténédos étoit particulierement consacrée à Apollon Sminthien. Homere le dit, & Strabon confirme que ce dieu y étoit honoré sous ce nom. Qui croiroit qu'Apollon eût été ainsi surnommé à l'occasion des mulots ? Rien cependant n'est plus vrai. On les a représentés sur les médailles de l'île, & les Crétois, les Troyens, les Eoliens appellent un mulot, . Elien raconte qu'ils faisoient de si grands dégats dans les champs des Troïens & des Eoliens, que l'on eut recours à l'oracle de Delphes. La réponse porta qu'ils en seroient délivrés, s'ils sacrifioient à Apollon Sminthien. Nous avons deux médailles de Ténédos sur lesquelles les mulots sont représentés ; l'une à la tête radiée d'Apollon avec un mulot, le revers représente la hache à double tranchant ; l'autre médaille est à deux têtes adossées, & deux mulots placés tout au bas du manche. Strabon dit qu'on avoit sculpté un mulot au pié de la statue d'Apollon, qui étoit dans le temple de Chrysa, pour expliquer la raison du surnom de Sminthien qu'on lui avoit donné, & que cet ouvrage étoit de la main de Scopas, fameux sculpteur de Paros.

Mais je ne trouve point extraordinaire que Ténès, fondateur de la ville de Ténédos, ait été honoré comme un autre dieu dans cette île. Ses grandes qualités lui mériterent cet hommage ; sa vie est intéressante. Son pere Cygnus le fit mettre dans un coffre avec sa chere soeur Hémithée, & les abandonna à la merci des flots. Il usa de cette rigueur par trop de crédulité envers sa femme, belle-mere de Ténès. Cette femme s'étoit plainte d'avoir été violée par son beau-fils, & avoit allégué le faux témoignage d'un joueur de flûte. Voilà le fondement de la loi qui s'observoit dans l'île de Ténédos, qu'aucun homme de cette profession, ne pourroit entrer dans les temples. Ténès, qui fut apparemment l'auteur de cette loi, si propre à éterniser la juste haine qu'il avoit conçue contre son faux-témoin, se montra digne du commandement par d'autres lois qu'il établit, & qu'il fit exécuter sans distinction de personne. Il condamna les adulteres à perdre la tête ; & lorsqu'on le consulta pour savoir ce que l'on feroit de son fils qui étoit tombé dans ce crime, il répondit, que la loi soit exécutée.

De-là vinrent peut-être des médailles qui avoient d'un côté la figure d'une hache, & de l'autre le visage d'un homme, & le visage d'une femme sur un même cou. Beger en a publié une frappée par les Ténédiens, où l'on voit d'un côté deux visages sur un même cou, & de l'autre une hache entre une lyre & une grappe de raisin. Ces deux visages représentent l'un un homme, & l'autre une femme. Il est vraisemblable que cette médaille a été frappée pour désigner le supplice d'une femme adultere, ainsi que celui de son amant, & pour être un monument de l'exécution de la loi sur le propre fils de Ténès. Voyez ce qu'en disent Spanheim dans le même ouvrage de Beger, & le savant Cuper dans son Harpocrate.

Cependant une chose embarrasse ici les antiquaires, c'est qu'on a des médailles de Ténédos, dans lesquelles l'un des visages représente un vieillard, l'autre représente une jeune femme : dans d'autres les deux visages représentent des jeunes gens, &c. Ces variations donnent lieu de croire que l'on ne frappoit pas toutes ces médailles selon le premier esprit ; mais les unes pour un dessein, & les autres pour un autre. Peut-être aussi que toutes les fois que les lois de Ténès étoient mises en exécution, on frappoit une nouvelle médaille, ensorte qu'alors les deux têtes sur un même cou varioient, ou quant à l'âge, ou quant à d'autres ornemens marqués sur la médaille, selon les qualités personnelles de ceux qui avoient été punis.

Goltzius a donné le type d'une médaille de Ténédos qui n'est point susceptible des explications qu'on vient de donner ; ce sont deux têtes d'un jeune homme & d'une jeune femme adossées, mais qui ont une espece de diadême. Au revers est la hache avec laquelle on les a coupées. M. Baudelot croit que l'une de ces têtes est celle de Jupiter, & l'autre celle d'une amazone, qui dans le tems des courses de ces héroïnes, avoit fondé quelques villes dans l'île de Ténédos : les habitans, dit-il, voulurent conserver la mémoire de cet événement sur leur monnoie, comme firent en pareille occasion ceux de Smyrne, d'Ephese & de plusieurs autres villes d'Asie. La hache doit se trouver sur le revers de la médaille, parce qu'on sait que cet instrument à double tranchant étoit le symbole des Amazones. Quoique cette conjecture soit ingénieuse, je goûte beaucoup plus celle de M. de Boze, qui croit que les deux têtes adossées sont celles de Ténès lui-même & de sa soeur Hémithée.

Quoi qu'il en soit, la hache de Ténédos passa en proverbe, pour signifier une grande sévérité. Il ne faut pas s'en étonner, car Ténès ordonna qu'il y eût toujours derriere le juge un homme tenant une hache, afin de couper la tête sur le champ à quiconque seroit convaincu d'adultere, de fausse accusation capitale, ou de quelqu'autre grand crime. Voilà l'origine du bon mot de Ciceron, la hache de Ténédos, pour désigner un jugement rigoureux. On disoit aussi c'est un homme de Ténédos, pour dire un homme inflexible. Et quand on vouloit parler d'un faux témoin, on disoit que c'étoit un flûteur de Ténédos, .

On lit que Cygnus & Ténès furent tués par Achille pendant la guerre de Troie : le premier, selon Ovide, lorsque les Grecs descendirent de leurs vaisseaux ; le second, selon Plutarque, lorsqu'Achille alla ravager l'île de Ténédos. Ténès voulut secourir sa chere soeur Hémithée poursuivie par Achille qui vouloit l'enlever à cause de sa beauté, & Achille le tua sans le connoître ; il en fut extrêmement affligé, & le fit enterrer avec honneur : mais les habitans de Ténès bâtirent un temple à Ténès, où ils l'honorerent comme un dieu, & conçurent tant d'indignation contre Achille, qu'ils ordonnerent que personne ne prononçat ce nom-là dans le temple de Ténès.

Outre Diodore de Sicile, qui nous apprend que Ténès fut honoré comme un dieu dans l'île de Ténédos, Ciceron l'assure positivement, liv. III. de naturâ deorum, cap. xv. Tenem ipsum, dit-il, qui apud Tenedios sanctissimus deus habetur, qui urbem illam dicitur condidisse, cujus ex nomine Tenedus nominatur ; hunc, inquam, ipsum Tenem pulcherrimè factum, quem quondam in comitio vidistis, abstulit Verres, magno cum gemitu civitatis. Apollon Sminthien étoit en quelque façon tombé dans l'oubli, depuis que Ténès avoit été mis au nombre des dieux. Verrès n'attenta point sur la statue d'Apollon Sminthien ; il vola celle de Ténès, qui en valoit bien mieux la peine par la richesse & la beauté du travail. Il semble que les hommes se gouvernent en matiere de religion comme les coquettes, chez qui le dernier venu est l'amant privilégié. Les nouveaux saints, dans l'Eglise romaine, font trop oublier les anciens ; du-moins les plaintes s'en trouvent dans les écrits de gens fort graves.

Nous avons perdu un livre sur la république de Ténédos par Aristote. J'ignore si les habitans de cette île ont fleuri dans les arts & dans les sciences, car je ne connois que Cléostrate né à Ténédos, & qui vivoit environ 500 ans avant Jesus-Christ, il cultiva l'Astronomie. Pline, l. II. c. viij. lui attribue la découverte des signes du bélier & du sagittaire.

On trouvera dans Bayle deux articles curieux, l'un de Ténédos & l'autre de Ténès. J'en ai beaucoup fait usage dans celui - ci. (D.J.)

TENEDOS, (Géog. mod.) cette île de l'Archipel dans l'Anatolie, (dont on peut lire l'article par rapport à l'ancienne géographie), n'a pas changé de nom depuis la guerre de Troye ; mais il n'y reste plus aucune marque d'antiquité. Elle est située sur la côte de la province Aiden-Zic, ou petite Aidine. La ville de son nom, bâtie sur la côte orientale, est toute ouverte & assez grande ; ses maisons s'étendent au bas de la colline, & sur le bord de la mer, comme on peut le voir par le plan qu'en a donné Tournefort dans ses voyages ; son port est très-bon, & capable de contenir de grandes flottes ; mais il n'est défendu que par une tour, avec un boulevart garni de quelques canons ; la ville de Ténédos est assez bien peuplée de Turcs & de Grecs, sur-tout des derniers ; elle est vis-à-vis l'entrée du détroit des Dardanelles, à l'éloignement de dix-huit milles : il y avoit anciennement près de cette ville un tombeau célebre, dédié à Neptune ; c'est apparemment Ténès qui fit cette consécration, en reconnoissance du bonheur qu'il eut d'être abordé heureusement avec sa soeur Hémithée, sur les bords de l'île de Ténédos. Latit. 39. 50. (D.J.)


TENEMENTTENURE, TENUE, (Synonym.) ces trois mots s'employent en matiere féodale, mais le dernier est encore consacré dans le sens propre aux séances des états, conciles, synodes, congrès, & autres assemblées qui se tiennent ordinairement, ou extraordinairement. De plus, le mot tenue se prend au figuré dans le discours familier, pour l'état d'une chose ferme, stable, & constante ; mais alors il ne s'employe qu'avec la négative. On dit, les esprits foibles n'ont point de tenue, pour signifier qu'ils n'ont point de fermeté, qu'ils sont changeans dans leurs opinions, ou dans leurs résolutions. (D.J.)

TENEMENT DE CINQ ANS, (Jurisprud.) est une prescription particuliere, usitée dans les coutumes d'Anjou, Maine, Touraine, & Lodunois. Ce tenement, dans l'origine, n'étoit autre chose que la saisine, ou possession d'an & jour ; mais comme cette prescription étoit trop courte, on l'étendit au terme de cinq années.

Il y a quelque différence à cet égard dans l'usage des coutumes que l'on a nommées ci-devant.

En Anjou & au Maine, un acquéreur peut se défendre par le tenement, ou possession de dix ans, contre toutes hypothèques créées avant trente années, & par le tenement de cinq ans, contre toutes celles qui sont créées depuis trente ans.

Dans les coutumes de Touraine & de Lodunois, l'acquéreur peut se défendre par le tenement de cinq ans, contre les acquéreurs de rentes constituées, dons, & legs, faits depuis trente ans ; mais les autres dettes hypothéquaires contractées avant, ou depuis trente ans, ne sont point sujettes au tenement. Voyez la dissertation de M. de Lauriere, sur le tenement de cinq ans. Dupineau, sur Anjou, nouv. édit. arrêt VII. ch. xj. journal des aud. tom. V. liv. XIII. ch. vii. (A)

TENEMENT, (Jurisprud.) signifie en général possession. Quelquefois ce terme se prend pour un héritage, ou certaine étendue de terrein, que l'on tient d'un seigneur, à certaines charges & conditions.

Franc tenement, dans l'ancienne coutume de Normandie, étoit un héritage tenu sans hommage & sans parage, en fief-lai, par un accord particulier entre le bailleur & le preneur. Voyez le titre 28. des teneurs. (A)


TENENDEZ(Géog. mod.) montagne d'Afrique, au royaume de Maroc ; c'est une grande branche de l'Atlas, du côté du midi ; son sommet est cependant couvert de neige toute l'année ; mais il y a au milieu de cette montagne des villages, dont les habitans Béréberes nourrissent beaucoup de gros & petit bétail. (D.J.)


TÉNÉRIFFEILE DE, (Géog. mod.) île d'Afrique, & l'une des Canaries ; elle a l'île des Salvages au nord, la grande Canarie à l'orient, l'île de Gomere au midi, & l'île de Palme à l'occident ; son grand commerce, & l'excellent vin de Malvoisie qu'elle produit, la rendent la plus considérable de toutes les îles Canaries ; elle a dix-huit lieues de longueur, & huit de largeur ; ses côteaux offrent à la vue abondance d'orangers, de citronniers, & de grenadiers.

Il est vrai que son terroir est en général fort inégal, & rempli de rochers arides ; mais on plante des vignes dans les petits intervalles de terre qu'il laisse, & c'est une terre sulphureuse extrêmement fertile : on y voit tous les grains & tous les fruits de l'Europe, ils sont excellens quoiqu'en petite quantité : on y a aussi la plûpart des meilleurs fruits de l'Amérique ; il y a des années où les recoltes de blé vont à cent pour un : on y trouve du gibier en abondance ; le poisson n'y manque pas, ni les fontaines & les sources d'eau fraîche ; enfin l'argent est fort commun dans cette île. Sa capitale s'appelle Laguna ; mais la fameuse montagne de cette île, nommée le Pic de Ténériffe, mérite en particulier notre attention. Voy. TENERIFFE, Pic de. (D.J.)

TENERIFFE, Pic de, (Géog. mod.) le Pic de Ténériffe, que les habitans appellent Pico de Terraira, est regardé comme la plus haute montagne du monde, & on en voit en mer le sommet à soixante milles de distance. On ne peut monter sur cette montagne que dans les mois de Juillet & d'Août, car dans les autres mois le Pic est couvert de neige ; son sommet paroît distinctement au-dessus des nues ; souvent même on les voit au milieu de sa hauteur ; mais puisque la neige tombe & s'y conserve, il en résulte qu'il n'est pas au-dessus de la moyenne région de l'air.

Il faut deux jours pour arriver au haut de cette montagne, dont l'extrêmité n'est pas faite en pointe, comme on pourroit l'imaginer de son nom, mais elle est unie & plate. C'est de ce sommet qu'on peut appercevoir distinctement, par un tems serein, le reste des îles Canaries, quoique quelques-unes en soient éloignées de plus de seize lieues.

On tire de cette montagne une grande quantité de pierres sulphureuses, & de soufre minéral, que l'on transporte en Espagne. Il est difficile de douter que cette montagne n'ait été autrefois brûlante, puisqu'il y a plusieurs endroits sur les bords du Pic qui fument encore ; dans d'autres, si on retourne les pierres, on y trouve attaché de très-beau soufre pur : on trouve aussi çà & là des pierres luisantes & semblables au mâchefer ; tout le fonds de l'île paroît chargé de soufre : on y rencontre dans sa partie méridionale des quartiers de rochers brûlés, entassés les uns sur les autres, par des tremblemens de terre. Cette île en éprouva un terrible en 1704 ; il dura depuis le 24 Décembre, jusqu'au 5 Janvier de l'année suivante ; la terre s'étant entr'ouverte, il s'y forma deux bouches de feu, qui jetterent des cendres, de la fumée, des pierres embrasées, des torrens de soufre, & d'autres matieres bitumineuses. Tout cela est confirmé par la relation de M. Evens, qui fit un voyage dans cette île en 1715. Voyez les Transact. philos. n°. 345.

Nous devons au pere Feuillée des observations importantes qu'il a faites au Pic de Ténériffe, & par lesquelles il a trouvé que la hauteur du sommet du Pic, au-dessus du niveau de la mer, étoit de deux mille deux cent treize toises. Ce pere partit dans le mois d'Août, avec M. Verguin, M. Daniel médecin irlandois, & d'autres curieux, pour monter sur le Pic.

Au bout d'une marche de cinq heures, fort difficile à cause des rochers & des précipices, ils arriverent à une forêt de pins, située sur une croupe de montagne, appellée monte Verde ; on y fit l'expérience du baromêtre, le mercure se tint à 23 pouces 0 ligne ; après avoir monté jusqu'auprès du pic isolé qui fait le sommet de la montagne, on fut obligé d'y passer la nuit ; le lendemain le P. Feuillée se blessa en montant sur une roche, & fut obligé de rester au bas de ce pic isolé ; il y fit l'expérience du mercure, qui se tint à 18 pouces 7 lignes 1/2. M. Verguin & les autres monterent avec beaucoup de peine au sommet du pic.

Ce sommet est terminé par une espece de cône tronqué, creux en-dedans, qui est l'ouverture d'un volcan, & qu'on appelle à cause de cela, la caldera, c'est-à-dire la chaudiere. Ce creux est ovale, & ses bords terminés inégalement ; on en peut cependant prendre une idée assez juste, en imaginant le bout d'un cône tronqué obliquement à l'axe : le grand axe de cet ovale, est d'environ 40 toises, le petit de 30 ; le mercure ayant été mis en expérience sur son bord le plus élevé, se tint à 17 pouces 5 lignes : le fond de ce creux est fort chaud ; il en sort une fumée sulphureuse, à - travers une infinité de petits trous recouverts par de gros rochers ; on y trouve du soufre qui se liquéfie, & s'évapore facilement par une chaleur égale à celle du corps humain.

Ceux qui étoient au sommet du pic, parlerent à ceux qui étoient restés au sommet de la pointe, d'où on les entendoit fort distinctement, même lorsqu'ils parloient entr'eux ; mais ils ne purent jamais entendre les réponses qu'on leur fit ; ils roulerent le long de la croupe du pic, de grosses pierres qui descendoient avec une rapidité étonnante, & qui en bondissant, faisoient un bruit plus grand que les coups de gros canons : ce qui fit juger que cette montagne est creuse en-dedans.

En descendant de la montagne, ils passerent à une cîterne naturelle, dont l'ouverture est à l'orient de la montagne, & dont l'eau est extrêmement froide ; ils ne virent aucune vraisemblance de ce que quelques voyageurs ont rapporté, que cette cîterne communique avec la mer.

Nous avons aussi des relations de négocians anglois, qui ont eû la curiosité de monter au sommet de cette montagne. Telle est la relation publiée par Sprat, dans son histoire de la société royale. Les curieux dont il parle, eurent à peine fait une lieue pour grimper sur le pic, que le chemin se trouvant trop rude pour y faire passer leurs montures, ils les laisserent avec quelques-uns de leurs valets : comme ils s'avançoient toujours vers le haut, l'un d'entr'eux se sentit tout-à-coup saisi de frissons de fievre, avec flux de ventre, & vomissement. Le poil des chevaux qui étoient chargés de leur bagage, étoit hérissé comme la soie des pourceaux ; le vin qui pendoit dans des bouteilles, au dos d'un cheval, étoit devenu si froid qu'ils furent contraints d'allumer du feu pour le chauffer avant que d'en boire, quoique la constitution de l'air fût assez tempérée.

Après que le soleil fut couché, il commença à faire si froid, par un vent impétueux qui se leva, qu'ils s'arrêterent entre de grosses pierres sous un rocher, où ils firent un grand feu toute la nuit ; sur les quatre heures du matin, ils recommencerent à monter, & étant arrivés une lieue plus haut, un des leurs, à qui les forces manquerent, fut contraint de demeurer à l'endroit où les rochers noirs commencent ; les autres poursuivirent leur voyage jusqu'au pain de sucre, où ils rencontrerent de nouveau du sable blanc, & étant parvenus aux rochers noirs qui sont tout unis comme un pavé, il leur fallut encore marcher une bonne heure, pour grimper au plus haut du pic, où enfin ils arriverent.

Ils découvrirent de-là, l'île de Palme à seize lieues, & celle de Gomer à sept. Le soleil ne fut pas fort élevé, que les nuées qui remplirent l'air, déroberent à leur vue & la mer, & toute l'île, à la reserve des sommets des montagnes situées plus bas que le pic, auquel elles paroissoient attachées ; après s'être arrêtés au sommet pendant quelque tems, ils descendirent par un chemin sablonneux, & ne trouverent dans toute la route que des pins, & une certaine plante garnie d'épines comme la ronce, qui croît parmi ce sable blanc.

From Atlas far, beyond a waste of plains,

Proud Teneriffe, his giant-brother reigns ;

With breathing fire his pitchy nostrils glow,

As from his sides, he shakes the fleecy snow ;

Around their hoary prince from wat'ry beds,

His subject islands rise their verdant heads ;

The waves so gently wash each rising hill,

The land seems floating, and the ocean still.

C'est Garth, excellent poëte & médecin de grand mérite, qui a fait ces beaux vers sur le pic des Canaries. Longitude de ce pic, suivant Cassini, 1. 51. 30. latit. 28. 30. Long. suivant le pere Feuillée, 1. 9. 30. latit. 28. 13. 20.

Les observations réitérées, faites à l'Orotava, ville située dans l'île de Ténériffe, par le même pere Feuillée, donnent très-exactement la différence en longitude, entre Paris & le pic de Ténériffe, de 18. 53. 00. ou 1. 15. 32. ce qui est d'autant plus utile que les cartes hollandoises font passer par ce pic leur premier méridien, & qu'on en découvre le sommet en mer, à la distance d'environ trente lieues.

Il étoit important de déterminer la longitude du pic de Ténériffe, puisqu'elle doit être d'un grand secours sur mer, pour corriger les routes estimées. (D.J.)

TENERIFFE, (Géog. mod.) ville de l'Amérique méridionale, dans la Terre-ferme, au gouvernement de Sainte-Marthe, sur la rive droite de la riviere appellée Rio-grande de la Madalena, à 40 lieues de la ville de Sainte-Marthe. Latit. 9. 46. (D.J.)


TENESIS(Géogr. anc.) contrée de l'Ethiopie, sous l'Egypte, dans les terres. Strabon, l. XVI. p. 770. dit, que ces peuples avoient une reine à laquelle obéissoit aussi l'île de Méroée, qui étoit voisine de Tenesis, & qui étoit formée par le Nil. (D.J.)


TÉNESMES. m. (Médecine) maladie qui consiste dans une envie fréquente d'aller à la selle, & dans des efforts violens appropriés, qui n'ont que peu ou point d'effet. Les Grecs lui ont donné le nom de , ou mieux , dérivé de , tendre, & , tension, pour exprimer l'extrême contension des malades lorsqu'ils se présentent au bassin ; quelques-uns l'ont appellé , de , effort, à cause de la violence des efforts qu'ils sont obligés de faire.

Le ténesme est quelquefois entierement sec, le plus souvent il est accompagné de déjections, mais très-modiques ; & ce ne sont point les excrémens qui en sont la matiere, mais quelques gouttes d'humeurs glaireuses, phlegmatiques, ou seules, ou mêlées avec des stries de sang, de la sanie ou du pus ; ces matieres toujours âcres, corrosives, excitent en passant par le fondement, ou en se détachant, des douleurs & des cuissons vives, & un sentiment insupportable d'érosion. Il est rare que la fievre survienne à ces accidens, à-moins qu'ils ne soient portés à un très-haut point d'intensité.

La cause générale qui les détermine, est une irritation constante qui a son siege à l'extrêmité du rectum, ou sur le sphincter de l'anus ; cette irritation peut être produite par une inflammation, par un ulcere, par l'excoriation, le déchirement ; la blessure de cette partie à la suite d'un coup, d'une constipation opiniâtre qui n'aura pu être vaincue que par des efforts violens, de l'introduction forcée & maladroite de la cannule d'une seringue, d'un suppositoire trop irritant, des rhagades qui s'étendent jusque à la partie interne du sphincter, des hémorrhoïdes aveugles & douloureuses ; des ascarides qui sont ordinairement nichés à l'extrêmité du rectum, peuvent aussi déterminer les mêmes symptomes ; aux causes locales qui agissant sur la partie affectée constituent le ténesme idiopathique, on peut ajouter celles qui produisent dans d'autres parties une irritation qui se communique par sympathie, c'est-à-dire, par les nerfs au sphincter de l'anus. Telles sont l'inflammation & l'ulcere des prostates, du col de la vessie, de la matrice, les tumeurs de cet organe, & les efforts d'un accouchement laborieux. Telle est aussi plus souvent l'irritation occasionnée par la pierre dans la vessie. Le muscle qui détermine les excrétions des matieres fécales étant irrité, doit suivant les lois de l'irritabilité ou sensibilité, entrer dans de fréquentes contractions, & donner lieu par-là aux efforts répétés, & à l'envie presque constante de cette excrétion : mais ces mêmes efforts en apparence destinés à emporter la cause du mal, ne font que l'enraciner davantage, & rendre la maladie plus douloureuse & plus opiniâtre : qui ne riroit d'un animiste ou stahlien qui viendroit soutenir que cette maladie est un bienfait de la nature ou de l'ame, bonne & prévoyante mere, qui dirige ces efforts à la guérison de la maladie, qui les excite même sous prétexte d'une indispensable nécessité, & dans l'espérance d'un avantage qu'on attendroit inutilement d'ailleurs ? Est-ce qu'un ulcere, une inflammation, un déchirement de l'anus, ne s'augmentent pas dans les efforts réiterés du ténesme ? Est-ce qu'un pareil vice dans les parties voisines peut en recevoir quelque soulagement ? est-ce qu'un hémorrhoïdaire ne seroit pas mieux dégagé par l'écoulement du sang que par des douleurs & des cuissons qui ne font que le tourmenter davantage ? &c. &c. N'est-il pas en un mot, plus naturel de penser que tous ces mouvemens tout-à-fait hors de l'empire de l'ame, sont la suite nécessaire de la disposition organique de ces parties : il y a des lois primitivement établies, relatives à l'organisation de la machine, suivant lesquelles se font les divers mouvemens, sans qu'il soit besoin qu'un être intelligent soit sans-cesse occupé à les produire & à les diriger ; c'est ce qui fait qu'il y a des maladies qui sont avantageuses, & d'autres qui ne le sont pas ; ce mêlange de bien & de mal suppose toujours un aveugle machinisme.

Quoique le ténesme ne soit pas pour l'ordinaire mortel, il ne laisse pas d'être une maladie souvent sérieuse, la source de douleurs cuisantes, & de beaucoup d'incommodités ; lorsqu'il est produit par un ulcere du sphincter, il risque s'il est négligé de dégénérer en une fistule qu'on ne guérit qu'avec beaucoup de difficulté, & qui peut même tendre à abréger les jours du malade. Lorsqu'il est la suite d'une legere excoriation, des vers ascarides, des hémorrhoïdes qui ont de la peine à percer, d'un accouchement difficile, &c. il se dissipe assez promtement par la cessation de ces causes, par la mort ou l'expulsion des vers, le flux des hémorrhoïdes, & la sortie de l'enfant : alors il occasionne plus de désagrément que de danger. Il y a une circonstance où le ténesme peut devenir fâcheux, c'est lorsqu'il se rencontre dans une femme enceinte. Alors, suivant l'observation d'Hippocrate, dont la raison est assez claire, il excite l'avortement : mulieri utero gerenti tenesmus superveniens abortire facit, (Aphor. 27. lib. VII.) le ténesme d'automne est pour l'ordinaire contagieux, & devient épidémique.

L'indication qui se présente à remplir dans le traitement du ténesme, est de faire cesser l'irritation locale qui en détermine les symptomes ; mais pour y réussir, il faut varier les remedes, & les proportionner aux différentes causes qui l'ont excitée, & qui l'entretiennent ; ainsi dans les cas d'inflammation, phlogose, excoriation, il faut insister davantage sur les adoucissans, émolliens, anodins pris par la bouche, donnés en lavement, ou appliqués sous forme de fomentation ou d'étuves : quelquefois même il est à propos de recourir à la saignée, qu'on peut même si le cas l'exige, réitérer jusqu'à deux ou trois fois. Ces mêmes remedes peuvent convenir dans les ténesmes sympathiques, qui doivent leur naissance à l'inflammation de la vessie, de la matrice, &c. Voyez INFLAMMATION. Les ulceres demandent qu'aux émolliens on ajoute, ou même si les douleurs ne sont pas vives, on substitue l'usage des baumes pris intérieurement, ou injectés par l'anus ; les lavemens térébenthins sont très-appropriés ; on peut combattre les vers par les anthelmintiques ordinaires, & sur-tout par des suppositoires faits avec le miel & l'extrait d'absynthe, ou autre amer, mais qui n'irrite pas beaucoup ; quant au ténesme qui est l'effet d'un accouchement laborieux, ou d'une pierre dans la vessie, il est évident qu'on ne peut le guérir que par la sortie de ces corps étrangers ; on peut cependant calmer les douleurs, & diminuer la violence des efforts, par les lavemens de mauve, de pariétaire, de branc-ursine, de psyllium, &c. qu'on rendra plus anodins par l'addition du syrop de pavot ou du laudanum en substance ; ces mêmes narcotiques peuvent être employés intérieurement sans danger dans la pierre ; mais il y auroit de l'inconvénient à les donner dans l'accouchement difficile, & leur secours est beaucoup moins nécessaire, parce que le ténesme n'est pas de longue durée, & que les efforts qu'il excite peuvent aider à l'accouchement.

Dans le ténesme qui survient aux hémorrhoïdes aveugles, il faut tourner toutes ses vues de ce côté, tâcher de les faire percer ; les remedes indiqués dans cette circonstance sont si les douleurs sont vives, le bain local, l'étuve faite avec des plantes émollientes, les linimens avec l'onguent populeum, & sur-tout l'application des sangsues aux vaisseaux gonflés s'ils paroissent à l'extérieur, qu'on secondera efficacement par une bonne prise d'aloës, remede éminemment hémorrhoïdaire, ou d'extrait de l'élixir de propriété. (m)


TENETTES. f. instrument de Chirurgie, qui sert à saisir & tirer la pierre de la vessie dans l'opération de la taille. Voyez TAILLE.

La tenette est une espece de pincette fort polie, composée de deux pieces qui ont la figure de deux s fort allongées ; chaque piece se divise en quatre parties.

La premiere est l'anneau qui est plus rond & plus grand que ceux des ciseaux, parce qu'on est obligé d'avancer les doigts plus avant dedans, afin d'avoir plus de force.

Les anneaux des tenettes sont faits par la courbure de l'extrêmité de la branche.

Ce qui suit l'anneau jusqu'à la jonction se nomme la branche ; sa figure est cylindrique ; elle va en augmentant de volume pour avoir plus de force dans les efforts qu'on fait pour tirer la pierre : les branches sont un peu courbées, & laissent un espace entre elles pour ne point pincer les parties.

La partie qui suit la branche, représente le milieu de l's, & est par conséquent courbée en deux sens : cet endroit est plus large que la branche & fort arrondi dans tous ses angles ; il a intérieurement une dépression qui se joint par entablure avec la dépression de l'autre piece. Cette jonction est assujettie par un clou exactement limé sur les deux pieces, desorte qu'il est à leur niveau, & ne fait aucune saillie ; c'est ce que les Couteliers appellent rivûre perdue.

La quatrieme partie des tenettes est ce qu'on appelle leurs prises : ce sont deux especes de cuilliers fort allongées, concaves en - dedans, convexes & fort polies en-dehors, & formant par leurs extrêmités un bec camus & fort adouci.

La partie antérieure de ce bec, que les ouvriers nomment le mord des tenettes, doit être fort artistement construite pour bien charger les pierres ; on doit éviter avec grand soin que leur cavité aille jusqu'auprès de l'entablure, & encore plus les dents qu'on a coutume d'y graver en façon de rape ; ces défauts font souvent serrer la pierre auprès du clou ; & comme elle cause pour lors un écartement des anneaux, on s'imagine qu'elle est bien grosse. Cela n'arrive point si la cavité ne commence qu'à un demi-pouce de l'entablure, & si elle est dans ce commencement fort lisse, polie, & comme en glacis, afin que la pierre ait plus de facilité à glisser vers l'extrêmité du mord. Pour cette raison il n'y aura que trois ou quatre rangées de dents vers l'extrêmité de chaque cuilliere ; il ne faut pas que ces extrêmités se touchent quand la tenette est fermée ; on couroit risque de pincer la vessie.

Les tenettes doivent être d'un bon acier, & d'une trempe qui ne soit ni trop dure ni trop molle. Il y en a de droites & de courbes : celles-ci servent à prendre la pierre cantonnée dans les côtés de la vessie.

Il faut en avoir de grandes, de moyennes, & de petites, pour s'accommoder aux différens âges des malades & aux différentes situations de la pierre. Les plus grandes ont ordinairement huit à neuf pouces de longueur, trois pouces de mord ; plus d'un d'entablure, & environ cinq pouces de branches, y comprenant les anneaux.

Les moyennes & les petites tenettes diminuent à proportion. Voyez les fig. 9. & 10. Pl. X. La fig. 7. montre des tenettes propres à casser des grosses pierres dont on ne pourroit faire l'extraction ; les pointes pyramidales qui en garnissent les mords se montent à vis. On a donné le nom de tenette à une espece de pincettes proposées par M. Helvetius pour l'opération du cancer. Voyez fig. 1. Planche VI. elles ne sont point en usage. Quand après l'extirpation il reste quelque dureté carcinomateuse ou skirrheuse qu'on ne peut saisir avec les doigts, on se sert de l'érigne pour les soulever & permettre au bistouri de les enlever. Voyez CANCER & ERIGNE. (Y)


TENEURS. m. (Gram. & Jurisprud.) du latin tenor, est ce que contient un acte ; on ordonne qu'une sentence sera exécutée selon sa forme & teneur, c'est-à-dire, suivant ce qui est porté en son contenu. (A)

TENEUR DE LIVRES, s. m. (Commerce) commis qui tient les mémoires, & charge les livres des faits de commerce, de crédit & débit. Ce sont des gens fort employés & indispensables.

Juré teneur de livres est celui qui est pourvu par lettres-patentes de sa majesté, & qui a prêté serment en justice, pour vaquer à la vérification des comptes & calculs lorsqu'il y est appellé. (D.J.)

TENEUR, terme de Fauconnerie, il se dit du troisieme oiseau qui attaque le héron de son vol.


TENEZ(Géog. mod.) province d'Afrique, au royaume de Trémecen ; elle est bornée au nord par la Méditerranée, au midi par le mont Atlas, au levant par la province d'Alger, & au couchant par celle de Trémecen. C'est un pays abondant en blé & en troupeaux. Sa capitale porte le même nom.

TENEZ, (Géog. mod.) ville d'Afrique, au royaume de Trémecen, capitale de la province de même nom, à demi-lieue de la mer, sur le penchant d'une montagne, entre Oran & Alger. Il y a une forteresse où on tient toujours garnison. Quelques-uns croyent qu'elle occupe la place de Césarée de Mauritanie. Long. 19. 32. latit. 36. 24.

TENEZ ou TENEX, (Géog. mod.) ville des états du turc en Egypte, dans la partie de cette contrée appellée Beheyra, à l'est de Diamette. Elle a un golfe ou lac que quelques-uns prennent pour le lac Sorbonis de Ptolémée. (D.J.)


TENEZA(Géog. anc.) petite ville d'Afrique, au royaume de Maroc, sur la pente d'une branche du grand Atlas, à trois lieues est de la riviere d'Ecifelmel. On recueille dans son territoire de l'orge, du froment, & la plaine nourrit beaucoup de bétail.


TENGAS. f. (Hist. nat. Bot.) genre de plante dont les fleurs & les fruits naissent sur les mêmes branches, mais séparément les uns des autres. Les fleurs sont composées de trois pétales, elles ont des étamines & des sommets ; mais elles sont stériles. Les fruits ont une trompe & renferment une amande. Pontederae anthologia. Voyez PLANTE.


TENGEN(Géog. mod.) petite ville d'Allemagne, dans la Souabe, au-dessus de Stulingen ; elle dépend du domaine de la maison d'Autriche, mais elle est entierement délabrée. (D.J.)


TENHALAS. m. (Hist. mod.) c'est le nom que les habitans du Sénégal donnent aux princes du sang de leurs souverains, qu'ils nomment Damel. Les nobles du pays se nomment sahibobos. Le souverain a sous lui deux seigneurs revétus des postes les plus éminens de l'état ; le premier s'appelle kondi, il est chargé du département de la guerre & du commandement des armées ; le second s'appelle le grand jarofo, il a le département des affaires civiles & est le chef de toutes les cours de judicature ; le damel ou souverain lui-même ne peut point annuller ses décisions ; il est chargé de parcourir les provinces, afin d'écouter les plaintes des peuples, contre les alcaires, qui sont des magistrats municipaux, chargés de la perception des revenus de l'état.


TÉNIES. f. terme d'Architecture, moulure plate, bande ou listel qui appartient à l'épistyle dorique ; la ténie ressemble à une regle, & se met au-dessous des triglyphes, auxquels elle sert en quelque sorte de base.


TENIRv. act. neut. (Gram.) il y a peu de verbes qui ayent un aussi grand nombre d'acceptions : il signifie posséder ; tenir une lettre, un livre, un pistolet, un glaive, l'encensoir, le sceptre, une place, la campagne, la vie d'un autre ; à la gorge, aux cheveux, en prison, par la main, à un mur, à un clou, à un filet, à un grand, à quelqu'un, par des liaisons, par intérêt, par amitié, par goût, par son poste ; à son roi, à sa maîtresse, à ses enfans, à sa femme, à son culte, à son gouvernement, à son pays, à ses maîtres ; contre la raison, la violence, la persécution, le mauvais tems, l'orage, le froid, la pluie, la chaleur ; de son pere, de sa mere ; du bleu, du jaune, du violet, de l'or, de l'argent, du cuivre, ou tel autre alliage ; chapitre, assemblée, conseil, concert ; la main à l'exécution, l'oeil à la chose, sa parole, son serment, à l'humeur, à la vertu, à la haine ; la plume, la caisse, la bourse, boutique, magasin, salle d'arme, auberge, académie, manege, table, son coin, son quant-à-moi, son sérieux ; un muid, une pinte, un grand nombre d'objets, beaucoup de monde, à ses frais & dépens, à gage, à titre d'écuyer, de femme de compagnie ; en allarme, en joie, en suspens, la mer, un mauvais propos, un discours ingénieux & poli ; le dez, la conversation, la balle, la queue de la poële, &c. d'où l'on voit que de quelque maniere que ce verbe s'emploie, il marque toujours une sorte de jouissance ou de possession.

TENIR, dans le Commerce, a un très-grand nombre d'acceptions dont voici les principales.

Tenir port ; c'est rester un certain tems fixé par les réglemens de police dans les ports où les voituriers par eau arrivent pour y vendre les grains, bois, vins, charbons, &c. & autres denrées dont ils sont chargés. A Paris les voituriers par eau doivent tenir port quinze jours pour toutes sortes de marchandises, à l'exception des vins pour lesquels ils les doivent tenir pendant un mois.

Tenir magasin, se dit des marchands en gros qui n'étalent pas leurs marchandises dans des boutiques sur la rue, mais qui les tiennent renfermées dans des magasins où ils les vendent en pieces ou balles. Voy. MAGASIN.

Tenir boutique ; c'est occuper une boutique, & y faire commerce de quelque marchandise. Voyez BOUTIQUE.

Tenir la caisse ; c'est chez les marchands, négocians & banquiers être préposé pour recevoir ou payer les sommes qui entrent dans la caisse ou qui en sortent, & d'en tenir registre. Voyez CAISSE.

Tenir la banque ; faire le négoce d'argent qu'exercent les marchands banquiers. Voyez BANQUE.

Tenir les livres ; terme de négoce & de banque ; c'est avoir soin de porter & d'écrire sur des registres qui ont différens noms, suivant les usages auxquels ils sont destinés, les marchandises qui sont achetées ou vendues par un négociant, l'argent qui entre dans une caisse ou qui en sort, les dettes actives ou passives, & autres choses semblables, que nous avons amplement expliquées, aussi-bien que les différentes manieres de tenir les livres, tant en France que dans les pays étrangers sous le mot LIVRES. Voyez aussi TENUE DE LIVRES.

Tenir compte ; c'est faire entrer quelque marchandise ou quelque somme qu'on a reçue d'un autre dans le chapitre de la recette de son compte. Voy. COMPTE. Diction. de commerce.

TENIR, (Marine) ce terme pris dans le sens général, est synonyme à prendre & à amarrer : mais il a différentes significations, suivant qu'il est joint avec un autre, comme on va le voir dans les articles suivans.

TENIR AU VENT, (Marine) c'est naviguer avec le vent contraire.

TENIR EN GARANT, (Marine) Voyez GARANT.

TENIR EN RALINGUE, (Marine) V. RALINGUE.

TENIR LA MER, (Marine) c'est être & demeurer à la mer.

TENIR LE BALANT D'UNE MANOEUVRE, (Marine) c'est amarrer le balant d'une manoeuvre, afin qu'elle ne balance pas.

TENIR LE LARGE, (Marine) c'est se servir de tous les vents qui sont depuis le vent de côté, jusqu'au vent d'arriere inclusivement. Voyez LARGUE.

TENIR LE LIT DU VENT, (Marine) c'est se servir d'un vent qui semble contraire à la route. Voyez ALLER A LA BOULINE.

TENIR LE LOF, (Marine) Voyez LOF.

TENIR LE VENT, (Marine) c'est être au plus près du vent.

TENIR SOUS VOILES, (Marine) c'est avoir toutes les voiles appareillées, & être prêt à faire route.

TENIR UN BRAS, (Marine) c'est haler un bras & l'amarrer.

TENIR UNE MANOEUVRE, (Marine) c'est attacher une manoeuvre ou l'amarrer.

TENIR A L'ARBRE, (Jardinage) on se sert de ce terme pour les fruits qui ne tombent pas aisément de l'arbre, tels que les poires de Martin-sec, de franc-réal.

TENIR DE CHAIR, terme de Chamoiseur ; c'est donner aux peaux de mouton, de chevre, & autres peaux de cette sorte qu'on passe en huile ou en chamois, une façon sur le chevalet ; après qu'elles ont été effleurées, & avant que de les mettre à la riviere pour les faire boire. Cette façon se donne avec le couteau qu'on passe le plus ferme qu'il est possible sur les peaux du côté de la chair, afin d'en enlever tout ce qui pourroit être resté des premieres préparations, & par-là les rendre plus unies, plus douces & plus maniables. Quelques ouvriers appellent cette façon écharner. Savary. (D.J.)

TENIR A MONT, terme de Fauconnerie, c'est lorsque l'oiseau se soutient en l'air pour découvrir quelque chose, on dit l'oiseau tient à mont.

Tenir la voie, c'est la suivre.

TENIR, v. n. (Trictrac) c'est continuer de jouer après qu'on a gagné un ou plusieurs trous de son propre dé ; alors on a la liberté de rompre son jeu, de s'en aller, de recommencer tout de nouveau, ou bien de tenir, c'est-à-dire, de continuer le jeu dans l'état où chacun se trouve. Il est quelquefois bien dangereux de tenir, parce qu'on s'expose à une enfilade, & c'est une des choses des plus délicates dans ce jeu, que de savoir tenir, ou s'en aller à-propos. Acad. des jeux. (D.J.)


TENNALA, ou TINGO, (Géog. mod.) riviere d'Italie, dans la marche d'Ancone. Elle prend sa source au pié de l'Appennin, & se jette dans le golfe de Venise, près de Porto-Fermano. (D.J.)


TENNSTADT(Géog. mod.) ville d'Allemagne, dans la Thuringe, à trois milles d'Erfurt. Elle appartient à l'électeur de Saxe, & ne s'est pas rétablie depuis qu'elle a été prise & pillée par les Impériaux en 1632, & en 1641. (D.J.)


TENONS. m. (Archit.) bout d'une piece de bois ou de fer, diminué quarrément, environ du tiers de son épaisseur, pour entrer dans une mortaise. On appelle épaulemens les côtés du tenon qui sont coupés obliquement, lorsque la piece est inclinée ; & décollement, la diminution de sa longueur, pour cacher la gorge de sa mortaise.

Tenon en about. Tenon qui n'est pas d'équerre avec sa mortaise, mais coupé diagonalement, parce que la piece est rampante, pour servir de décharge, ou inclinée, pour contreventer & arbalêtrer. Tels sont les tenons des contrefiches, guettes, croix de saint-André, &c.

Tenon à queue d'aronde. C'est un tenon qui est taillé en queue d'aronde, c'est-à-dire qui est plus large à son about qu'à son décollement, pour être encastré dans une entaille. Daviler. (D.J.)

TENONS, terme d'Arquebusier, ce sont de petits morceaux de fer quarrés, de l'épaisseur d'une ligne, & de la largeur de deux, qui sont soudés de distance le long du canon ; ces tenons sont percés au milieu, & entrent dans des petites mortaises pratiquées dans le creux du bois de fusil, & servent à assujettir le canon dans le bois, par le moyen de petites goupilles qui traversent le bois & passent dans les trous qui sont au milieu des tenons.

TENON, en terme de Boisselier, espece de pince de bois dont les Boisseliers se servent pour tenir joints les deux bouts du corps du seau, du minot, du boisseau & autre piece semblable de boissellerie, & les attacher plus aisément ensemble. Voyez les fig. Pl. du Boisselier.

TENONS, s. m. pl. (terme d'Horloger) pieces d'acier qui sont sur une montre de poche, & qui servent à tenir ferme le grand ressort. (D.J.)

TENON, (Jardinage) se dit de certaines agraffes ou mains avec lesquelles s'attachent aux murs & s'entortillent aux plantes voisines, les vignes, vignes-vierges, coulevrées, lieres & autres.

TENONS, s. m. pl. (Sculpt.) ce sont des bossages, dans les ouvrages de sculpture, dont l'usage est d'entretenir les parties qui paroissent détachées, comme ceux qu'on laisse derriere les feuilles d'un chapiteau pour les conserver.

Les Sculpteurs laissent aussi des tenons aux figures dont les parties isolées & détachées pourroient se rompre en les transportant, & ils ont coutume de les scier, lorsque ces figures sont en place. (D.J.)

TENON, s. m. (terme de Vitrier) il nomme ainsi de petites ligatures de plomb qui servent à lier le vitrage avec les verges, afin de le tenir fermé, & que le vent ne puisse point l'endommager. (D.J.)

TENON, (Marine) Voyez TON.

TENON DE L'ÉTAMBORD, (Marine) petite partie du bout de l'étambord, qui s'emmortaise dans la quille du vaisseau.

TENONS DE L'ANCRE, (Marine) ce sont deux petites parties de la vergue de l'ancre, qui s'entaillent dans le jas, pour le tenir ferme.


TENONTAGRAS. f. (Lexicog. méd.) , de , tendon, & de , saisissement ; espece de goutte dont le siege est dans les tendons larges ; par exemple, dans les ligamens tendineux de la nuque du cou. On trouve ce mot dans Coelius Aurelianus, cap. 5. Morb. chron. lib. II. vers la fin. (D.J.)


TENORS. m. en Musique. Voyez TAILLE.


TENOou TENUS, (Géog. anc.) aujourd'hui Teno, ou Tine, île de la mer Egée, & l'une des Cyclades, au midi oriental de l'île d'Andros, dont elle n'est séparée que par un détroit de mille pas, selon Pline. Nous parlerons amplement de Tenos au mot TINE.

Il suffit de dire ici, que c'est des peuples de cette île, ou de la ville de même nom qui y étoit anciennement, que fait mention une médaille de l'empereur Sévere, sur laquelle on lit ce nom . Teniorum. Pline, liv. IV. chap. xij. qui lui donne quinze mille pas de longueur, dit sur le témoignage d'Aristote, qu'elle fut anciennement appellée Hydrussa, à cause de l'abondance de ses eaux. Etienne le géographe ajoute qu'on la nomma aussi Ophiusa, à cause de la quantité de serpens qu'on y trouvoit.

La ville de Tenos, à ce que dit Strabon, liv. X. sub finem, n'étoit pas grande ; c'est de cette île dont parle Ovide dans ces vers, Métamorph. liv. VII. v. 469.

At non Oliaros, Didymaeque, & Tenos, & Andros,

Et Gyaros, nitidaeque ferax Peparethos olivae,

Gnossiacas juvere rates.

2°. Tenos ou Tenus, est aussi dans Hérodote une ville de l'Aeolide ; & dans Aristote il y a une ville de ce nom dans la Thessalie. (D.J.)


TENSEMENTS. m. (Gram. & Jurispr.) tenamentum, & par corruption tassamentum, tensamentum, tensatio. C'étoit un droit imposé sur les maisons & autres héritages, & qui se payoit en argent ou en espece dans plusieurs titres, & est stipulé outre le cens ; il en est parlé dans un cartulaire de l'abbaye de Saint-Denis de l'an 1179, où il est nommé tensamentum ; dans autres anciens titres, il est nommé tassamentum. Voyez le gloss. de Lauriere. (A)


TENSIO-DAI-SINS. m. (Mythologie & culte) c'est le plus grand dieu des Japonois qui professent la religion du sintos ; on le regarde comme le patron & le protecteur de l'empire. On célebre sa fête le seizieme jour du neuvieme mois, avec une pompe & une magnificence extraordinaire.


TENSIONS. f. (Phys.) est l'action par laquelle un corps est tendu. Sur quoi, voyez l'article CORDE.

TENSION, (Physiolog.) les animaux ne se soutiennent & ne se meuvent que par la tension de leurs muscles & de leurs nerfs. Une corde rend un son plus aigu ou plus grave, suivant qu'elle a plus ou moins de tension. Voyez CORDE, SON, &c.

TENSION, (Médecine) la tension dans les maladies, est un symptome de l'inflammation & de toutes les tumeurs inflammatoires, de même que des affections spasmodiques. Cette tension est naturellement différente, selon la délicatesse des tempéramens ; elle dépend de la sensibilité des parties, du nombre des nerfs, de la présence du liquide nerveux.

Cette tension se guérit par les relâchans, les calmans, les anodyns, les anti-spasmodiques.


TENSONSS. m. plur. (Lang. franç.) autrement dits jeux partis, questions galantes sur l'amour que l'on faisoit & qu'on décidoit en vers ou en prose. Voyez TENÇONS. (D.J.)


TENTATIONS. f. en termes de Morale ou de Théologie, est une induction, ou sollicitation au mal, occasionnée par les attraits du monde, par la concupiscence de la chair, ou par la malice du démon.

Les mystiques appellent tentations utiles, ces épreuves où l'ame doit passer avant de pouvoir arriver à la vie unitive & à la paix intérieure. Quand l'ame surmonte cette secheresse & ces ténebres où elle tombe par une suspension des effets sensibles de l'amour de Dieu, & qu'elle résiste au monde & à tous ses attraits, ces tentations s'appellent des tentations utiles & fructueuses.


TENTATIVE(Gram.) terme qui s'emploie en certaines occasions, comme un adjectif ; ainsi nous disons, une méthode tentative, pour exprimer une méthode encore grossiere & imparfaite, & que l'on tâche de perfectionner par des essais & des expériences.

Tentative s'emploie aussi comme un substantif, & signifie un essai ou un effort que l'on fait pour mesurer ses forces, pour sonder une affaire, & pour voir si l'on réussira ou non.

Dans les universités de France, la tentative est la premiere thèse, ou le premier acte qu'un candidat en Théologie est obligé de soutenir pour faire connoître sa capacité : quand on est content de ses réponses sur les difficultés qu'on lui a faites dans la dispute, on lui confere le degré de bachelier. Voyez ACTE, THESE, DEGRé, BACHELIER, &c.


TENTES. f. (Fortification) tabernacle, pavillon ou logement portatif que l'on dresse en pleine campagne pour se mettre à l'abri des injures du tems. Voyez TABERNACLE.

Ce mot est formé du latin tentorium, de tendo, je tends, parce que les tentes se font ordinairement de canevas ou de coutils, que l'on étend & que l'on soutient avec des perches, des cordes, & des chevilles ou piquets.

Les armées campent sous des tentes. La plûpart des Tartares & des Arabes, qui sont des peuples errans & vagabonds, logent toujours sous des tentes. Voyez HORDES, NOMADES, &c.

Les Hébreux, dans le désert, logerent pendant quarante ans sous des tentes, ce qui leur donna occasion d'instituer la scenapegie ou fête des tabernacles. Voyez SCENAPEGIE. Chambers.

Les tentes dont se servent les soldats sont appellées cannonieres.

Quoique l'usage des tentes soit fort ancien, & que les Romains s'en soient toujours servis, il étoit cependant presqu'entierement aboli en Europe, & ce n'est guere que depuis Louis XIV. que les cavaliers & les soldats françois ont des tentes. Avant le regne de ce glorieux monarque, les armées étant bien moins nombreuses qu'elles ne le sont devenues depuis, elles se servoient des villages pour y trouver quelque abri, & elles se trouvoient par-là séparées en plusieurs parties ou quartiers éloignés les uns des autres, ce qui étoit sujet à bien des inconvéniens. Dans les sieges ou dans les camps à demeure, les cavaliers & les soldats se faisoient des baraques de paille qu'on rangeoit avec ordre. Les princes d'Orange, qui ont beaucoup contribué au rétablissement de la discipline militaire en Europe, n'en usoient pas autrement. Leurs soldats & leurs cavaliers se baraquoient ; mais les officiers & ces princes mêmes se servoient de tentes. (Q)

TENTE DU LEVANT, (Usages des Orientaux) les tentes du Levant sont moins embarrassantes que celles de ce pays-ci. Elles n'ont qu'un arbre au milieu qui se démonte en deux, quand on veut plier bagage, mais qui soutient, lorsque la tente est placée, un pavillon de grosse toile bien serrée, sur laquelle l'eau coule aisément ; le pavillon est arrêté dans sa circonférence avec des cordons que l'on accroche à des chevilles de fer fichées en terre ; aux deux tiers de la hauteur de ce pavillon sont attachées des cordes que l'on bande fortement par le moyen d'autres chevilles plus écartées de l'arbre que les premieres ; ces cordes tirent le haut du pavillon en-dehors, & lui font faire un angle saillant en maniere de mansarde. (D.J.)

TENTE D'HERBAGE, terme de galere ; c'est une tente de gros drap de couleur de burre. Voyez TENDELET.

TENTE, en Chirurgie, est un rouleau de charpie, d'une figure cylindrique, que l'on met dans les plaies & dans les ulceres.

Les tentes s'emploient pour empêcher qu'une plaie ne se ferme trop tôt. Mais plusieurs auteurs de chirurgie, & en particulier l'auteur du livre intitulé le Chirurgien de l'hôpital, donnent quantité d'exemples où l'usage des tentes, & sur-tout des tentes dures, s'est trouvé nuisible, ayant prolongé le traitement, attiré des inflammations, produit des sinus, la mortification, &c. dans les plaies & les ulceres. Voyez BOURDONNET. Pour remédier à ces inconvéniens, il propose que les linimens, &c. soient d'une consistance liquide, ou par eux-mêmes, ou en les échauffant ; & que lorsque les tentes paroissent indispensablement nécessaires, comme dans les grandes cavités, on peut aggrandir l'ouverture, & mettre au lieu de tentes des bourdonnets mollets, qui n'auront pas les inconvéniens des tentes. Voyez ULCERE.

On se sert d'une tente dure, longue & grosse comme le petit doigt dans les pansemens de l'opération de la fistule à l'anus. Pour faire cette tente, on prend plusieurs brins de charpie longs de six pouces ; on les range à côté les uns des autres ; on les plie par le milieu, & on en fait un rouleau lié exactement par des circonvolutions de charpie dans l'étendue de deux pouces & demi ou environ. On étend le reste de la charpie pour en faire une tête circulaire & horisontale au corps de la tente. Nous avons parlé de la méthode de la placer sans douleur au mot FISTULE A L'ANUS.

La Chirurgie moderne a proscrit les tentes du traitement des plaies à la suite de l'opération de la taille. Cette reforme a commencé du tems de Fabricius Hildanus. Cet habile praticien discute les raisons de ceux qui désapprouvoient les tentes, & il conclut pour leur usage. Ce point de pratique est digne de l'attention des maîtres de l'art ; & je pense qu'il y a bien des faits favorables à leur méthodique application. Les observations contraires pourroient n'en montrer que l'abus.

L'académie royale de Chirurgie a proposé, pour le prix de l'année 1734, de déterminer quels sont, selon les différens cas, les avantages & les inconvéniens de l'usage des tentes & autres dilatans. Le mémoire qui a été couronné & celui qui a concouru pour le prix, sont imprimés dans le premier tome de l'ouvrage intitulé, recueil des pieces qui ont concouru pour le prix de l'académie royale de Chirurgie. Les inconvéniens des dilatans ne sont point dissimulés ; on dit tout ce qu'il est possible d'imaginer pour les bannir de la pratique. On reconnoît cependant qu'il y a des cas qui exigent qu'on s'en serve, & ces cas sont rangés sous trois classes. La premiere renferme les cas où les dilatans sont utiles avec peu ou point d'inconvéniens. La seconde, qui semble rentrer dans la premiere, comprend les cas où l'utilité qui résulte des dilatans surpasse les inconvéniens annexés à leur usage. La troisieme classe est de ceux où les inconvéniens mêmes des dilatans deviennent nécessaires. Le détail de tous ces points de discussion meneroit trop loin ; nous avons rempli notre tâche, en indiquant les sources où l'on peut prendre les renseignemens les plus étendus sur ces objets. (Y)

TENTE, en terme de Boyaudier, ce sont sept montans percés à jour dans toute leur longueur, dont trois sont plantés à un bout & trois à l'autre, chacun à la distance de deux piés & demi l'un de l'autre, & le septieme au milieu, éloigné de chaque bout d'environ neuf piés. C'est sur cette charpente que l'on étend les boyaux pour les sécher. Les sept montans font autant de longueurs différentes. Celle qui prend au premier montant à droite, & finit à celui du milieu, s'appelle longueur simple ; a-t-elle passé sur ce dernier, pour aller gagner le premier des trois de l'autre bout, c'est une longueur double ; commence-t-elle au second à droite, & finit-elle à celui du milieu, c'est un travers simple ; de-là passe-t-elle au second de l'autre bout, c'est un trait double. Cette tente est la même chez tous les Boyaudiers, & sert de regle pour les marchands de provinces qui demandent tant de longueurs simples ou doubles, tant de travers, &c. fixent en même tems la grosseur & le prix de la marchandise qu'on leur envoie.

TENTES ou BAS-PARCS à trois rangs contigus, sortes de pêcheries. Les Pêcheurs-tendeurs de basse eau de Quineville, dans le ressort de l'amirauté de la Hougue, ont des bas - parcs à trois rangs, tellement contigus & joints les uns aux autres, qu'il est absolument impossible aux poissons de monter à la côte lorsqu'ils sont dans les pêcheries ; ou si la marée est dans le tems des vives eaux, & que les poissons ayent franchi le premier rang des parcs, ils en trouvent un second, & même un troisieme, ensorte que les petits poissons ne peuvent retourner à la mer.

Ces pêcheries sont les véritables bas-parcs ou venets de l'ordonnance ; il ne faut pas appeller bas-parcs seulement ceux qui sont à la basse-eau, & haut-parcs ceux qui sont à la côte, la dénomination de bas-parcs leur convient à tous, car les haut-parcs different des bas-parcs en ce que les filets dont ils sont garnis, ont beaucoup plus de hauteur.


TENTELES. f. (Hist. nat.) nom générique que les habitans de l'île de Madagascar donnent au miel, dont leur pays produit plusieurs especes. Celui de la premiere espece se nomme voa-tentele, c'est le miel ordinaire des abeilles ; le second s'appelle sih, il est produit par des mouches qui sont vertes ; le troisieme est produit par des fourmis aîlées, qui le rassemblent dans les arbres creux ; la quatrieme espece est produite par des fourmis d'une grandeur singuliere, qui le font dans des especes de tas de terre d'une forme conique & percés d'une infinité de trous. Il y a de plus une autre sorte de miel, qui a plus de consistance & qui a la dureté du sucre, on le nomme tentele-sacondre ; les mouches qui le font, l'attachent aux feuilles de certains arbrisseaux, où elles sont ensuite transformées en chrysalides jaunes, vertes ou rouges. Quelques-uns ont cru que ce dernier miel ou sucre étoit le même que les Arabes nomment tabaxir. L'île de Madagascar fournit enfin un miel, qui est un poison très violent ; ce qui vient, dit-on, de ce que les mouches qui le produisent sucent les fleurs d'un arbre, nommé caracarac, qui est d'une mauvaise qualité.


TENTERv. act. (Gram.) ce verbe outre sa signification prise dans l'Ecriture, & dont nous avons déja parlé, a d'autres sens fort bons & fort communs ; on tente un valet pour le débaucher du service de son maître ; on tente un officier, un ministre pour le retirer des intérêts de son prince. Tenter dans ce sens, c'est faire à quelqu'un des propositions capables de corrompre sa fidélité. Quelques-uns disent aussi, tenter une personne, pour dire, sonder une personne : hypocrites pourquoi me tentez-vous ? Mais je pense que sonder seroit ici beaucoup meilleur. On dit fort bien tenter Dieu ; mais c'est dans une autre signification ; ceux-là tentent Dieu, qui attendent tout de sa providence, ou qui se jettant dans des dangers manifestes, esperent que Dieu fera des miracles pour les délivrer du péril. Tenter se prend encore pour hasarder, risquer ; tenter la fortune du combat.

Avant l'aurore éveiller des chanoines,

Qui jamais l'entreprit ! Qui l'oseroit tenter ?

Est-ce un projet, ô ciel ! qu'on puisse exécuter ?

Despréaux.

Il veut dire quelquefois essayer ; tenter tous les moyens de rentrer en grace ; il se dit aussi pour exciter, émouvoir :

Fui, traître, ne viens point braver ici ma haine,

Et tenter un courroux que je retiens à peine.

Racine, dans Phedre.

(D.J.)

TENTER, (Critique sacrée) ce verbe signifie communément éprouver, dans l'Ecriture. Ainsi quand elle dit que Dieu tente les hommes, cela ne veut pas dire que Dieu cherche à les séduire pour les faire tomber dans le péché, mais cela signifie qu'il éprouve leur vertu, soit par des commandemens plus ou moins pénibles, soit par des traverses attachées à l'humanité. Tenter Dieu, dans l'ancien Testament, c'est vouloir éprouver follement sa toute-puissance ; c'est s'exposer à des dangers dont on ne peut sortir sans un effet miraculeux de son secours. Vous ne tenterez point le Seigneur, Deut. vj. 18. Voici une réponse de la Pythie qui se trouve dans Hérodote, tenter Dieu & le faire, c'est la même chose ; , lib. VI. num. 86. pag. 360. (D.J.)


TENTHRENIODES(Lexicogr. Médec.) , épithete qu'Hippocrate donne au poumon, & par laquelle il désigne que ce viscere est percé d'un grand nombre de petits trous, semblables à ceux d'un rayon de miel, c'est-à-dire, selon Galien de usu partium, lib. VII. c. ix. que le poumon est d'une substance molle & poreuse. (D.J.)


TENTOIS. m. (Haute-lisserie) on nomme ainsi parmi les haute-lissiers les barres qui servent à tendre & à tourner les deux ensubles où sont attachés les fils de la chaîne de l'ouvrage, lorsqu'on monte le métier. La barre de l'ensuble d'en-haut s'appelle le grand tentoi, & celle du rouleau d'en-bas le petit tentoi. Dict. du comm. (D.J.)


TENTORESS. m. (Littérat.) on nommoit ainsi chez les Romains les gardiens établis pour avoir soin des habitans, de ceux qui disputoient le prix du cirque dans la course des chars. Pitiscus. (D.J.)


TENTURETENTURE

TENTURE de tapisserie, c'est un certain nombre de pieces ou d'aunes de tapisserie, suffisante pour tendre & tapisser un appartement.


TENTYRE(Géog. anc.) ville d'Egypte, & la métropole d'un Nome, appellé Nomus Tentyrites, du nom de cette ville, selon Strabon, Pline, Ptolémée, & Etienne le géographe. Le premier, l. XVII. p. 814. ajoute que les Tentyrites faisoient la guerre aux crocodiles plus qu'aucune autre nation ; & qu'il y avoit des gens qui croyoient que les Tentyrites avoient un don particulier de la nature pour pouvoir réduire ces animaux ; mais Séneque, l. IV. c. ij. dans ses questions naturelles, nie que les Tentyrites eussent en cela reçu de la nature aucun avantage sur les autres hommes. Ils ne maîtrisent les crocodiles, dit-il, que par le mépris qu'ils en ont, & par leur témérité ; ils les poursuivent vivement ; ils leur jettent une corde, les lient, & les traînent où ils veulent : aussi en voit-on périr beaucoup de ceux qui n'apportent pas toute la présence d'esprit nécessaire dans une occasion si périlleuse.

Cette antipathie des Tentyrites pour les crocodiles que les habitans des autres villes adoroient, causa entr'eux une haine qui produisit une guerre ouverte, dont Juvenal parle dans sa quinzieme satyre, vers. 33.

Inter finitimos vetus atque antiqua simultas,

Immortale odium, & nunquàm sanabile vulnus

Ardet adhuc, Ombos & Tentyra, summus utrimque,

Indè furor vulgò, quod numina vicinorum

Odit uterque locus, quum solos credat habendos

Esse deos, quos ipse colit.

(D.J.)


TENUadj. (Gram.) du latin tenuis ; menu, mince, délié ; une poudre tenue ; une membrane tenue ; un trait mince & tenu ; une écriture tenue ; les particules tenues de l'air, de l'eau, du feu ; les consonnes de l'alphabet grec se divisent en moyennes, tenues & aspirées. De tenu on a fait tenuité, qui n'est guere d'usage qu'en Physique ; la tenuité des atomes.


TENUES. f. (Gram.) état fixe, stable ; on dit la tenue de l'esprit, du caractere, des idées.

On dit d'un cavalier qu'il n'a point de tenue à cheval ; on le dit aussi de la selle ; la selle à l'angloise n'a pas de tenue. En marine, qu'un fond n'a pas de tenue. La tenue d'une assemblée, d'un concile, d'un congrès. Voyez TENIR.

La tenue d'un fief. Voyez TENURE.

Faire au trictrac une tenue malheureuse. Voyez TENIR au trictrac.

TENUE, voyez FOND DE BONNE TENUE.

TENUE, s. f. en Musique, est un son soutenu par une partie durant deux ou plusieurs mesures, tandis que d'autres parties travaillent. Voyez MESURE, PARTIE, TRAVAILLER. Il arrive quelquefois, mais rarement, que toutes les parties font des tenues à-la-fois. (S)


TENURES. f. (Gram. & Jurisprud.) est la maniere & le titre auquel on possede un héritage ; il y a plusieurs sortes de tenures, savoir la tenure en franche-aumône, la tenure en franc-aleu, la tenure en fief par hommage, la tenure par parage, la tenure par bourgage, la tenure en censive. Voyez l'article 103. de la coutume de Normandie, & les mots Aleu, AUMONE, BOURGAGE, CENSIVE, FIEF, FOI, FRANC-ALEU, HOMMAGE, PARAGE. (A)

TENURE, (Rubanier) se dit de quelques superfluités qui se trouvent dans les soies de la chaîne, qui occasionnent des filanderies qui, par le continuel frottement du travail, se confondant ensemble, empêchent entr'elles la levée des brins qu'elles occupent, & les font casser quelquefois l'un & l'autre, si l'on n'y remédie de bonne heure ; ce qui se fait en arrachant ces filanderies avant qu'elles ayent acquis plus de tenuité.


TENZEGZET(Géog. mod.) ville d'Afrique, au royaume de Trémecen, sur le haut d'un rocher, entre Frez & Trémecen, proche la riviere de Tefma. Les Turcs en sont les maîtres, & y tiennent garnison. (D.J.)


TÉORREGU(Géog. mod.) contrée d'Afrique, dans la Barbarie, entre Tripoli & le désert de Barca. C'est une contrée presque déserte, & qui ne porte que des palmiers. Long. 36. 5. latit. 26. 57. (D.J.)


TÉOS(Géog. anc.) ville de l'Asie mineure, dans l'Ionie, sur la côte méridionale d'une péninsule, vis-à-vis de l'île de Samos, entre Chalcis & Lebedus. Strabon, l. XIV. p. 644. lui donne un port ; mais du tems d'Anacréon, les habitans de Téos ne pouvant souffrir les insultes des Perses, abandonnerent leur ville, & se retirerent à Abdere ville de Thrace, ce qui donna lieu au proverbe :


TEPEACA(Géog. mod.) province de l'Amérique septentrionale, dans la nouvelle Espagne, & dans l'audience du Méxique. Fernand Cortez conquit cette province en 1520, & y bâtit Segura de la Frontera, sur la hauteur de 18d. 40'. au nord de la ligne. (D.J.)


TEPECOPALLI-QUAHUITLS. m. (Hist. nat. Botan.) arbre du Mexique & des autres parties de la nouvelle Espagne. Il est d'une moyenne grandeur, & porte un fruit qui ressemble au gland, & qui est couvert d'une peau bleue qui est gluante & résineuse, & qui est fort semblable à l'encens ; ce qui fait que les Espagnols la nomment incienso de los Indios, encens des Indiens : on lui attribue de très-grandes vertus ; on croit que cette résine est celle qui est plus connue sous le nom de gomme animé.


TEPETOTOLTS. m. (Hist. nat. Ornitholog.) nom d'un oiseau du Brésil, du genre des coqs-d'Inde, & qu'on appelle plus communément mitu-poragu. Voyez ce mot. (D.J.)


TEPHRAMANCIou SPODOMANCIE, (Div.) du grec & qui signifient également de la cendre, & de divination, espece de divination dans laquelle on se servoit de la cendre du feu, qui, dans les sacrifices avoit consumé les victimes : on la pratiquoit sur-tout, sur l'autel d'Apollon Ismenien ; c'est peut-être ce qui a fait donner à Sophocle dans sa tragédie d'Oedipe roi, le nom de devineresse à la cendre . Delrio dit que de son tems on avoit encore en quelques endroits la superstition d'écrire sur de la cendre le nom de la chose qu'on prétendoit savoir ; qu'on exposoit ensuite cette cendre à l'air, & que selon que le vent effaçoit les lettres en enlevant la cendre ou les laissoit en leur entier, on auguroit bien ou mal pour ce qu'on vouloit entreprendre. Delrio, Disquisit. magic. lib. IV. cap. ij. quaest. vij. sect. 1. pag. 552.

On prétend que tous les Algonquins & les Abenaquis, peuples sauvages de l'Amérique septentrionale, pratiquoient autrefois une espece de tephramancie ou pyromancie dont voici tout le mystere. Ils réduisoient en poudre très-fine du charbon de bois de cèdre ; ils disposoient cette poudre à leur maniere, puis y mettoient le feu ; & par le tour que prenoit le feu en courant sur cette poudre, ils connoissoient, disoient-ils, ce qu'ils cherchoient. On ajoute que les Abenaquis, en se convertissant au christianisme, ont eu bien de la peine à renoncer à un usage qu'ils regardoient comme un moyen très-innocent de connoître ce qui se passoit loin de chez eux. Journal d'un voyage d'Amérique, par le P. Charlevoix, lettre xxv. pag. 363.


TÉPHRIONS. m. (Pharmac. anc.) , nom d'un collyre de couleur cendrée ; il s'appelloit aussi cythion : on en trouve la préparation dans Aetius, l. VII. & dans Celse, l. VI. c. vj. mais d'une maniere différente. (D.J.)


TEPHRITES(Hist. nat. Litholog.) nom donné par quelques auteurs anciens, à une portion de la corne d'ammon pétrifiée.


TEPIDARIUMS. m. (Littérat.) chambre des thermes des anciens, appellée aussi concamerata sudatio : c'étoit une étuve voutée pour faire suer, un bain de vapeur ; ces lieux étoient arrondis au compas, afin qu'ils reçussent également en leur milieu la force de la vapeur chaude, qui tournoit & se répandoit dans toute leur cavité. Ils avoient autant de largeur que de hauteur jusqu'au commencement de la voute, au milieu de laquelle on laissoit une ouverture pour donner du jour, & on y suspendoit avec des chaînes un bouclier d'airain, par le moyen duquel, en le haussant & baissant, on pouvoit augmenter ou diminuer la chaleur qui faisoit suer. Le plancher de ces étuves étoit creux & suspendu, pour recevoir la chaleur de l'hypocauste, qui étoit un grand fourneau maçonné au-dessous, que l'on avoit soin de remplir de bois & d'autres matieres combustibles, & dont l'ardeur se communiquoit aux étuves, à la faveur du vuide qu'on laissoit sous leurs planchers.

Ce fourneau servoit non - seulement à échauffer les deux étuves, mais aussi une autre chambre appellée vasarium, située proche de ces mêmes étuves & des bains chauds : l'on plaçoit dans cet endroit trois grands vases d'airain appellés miliaria, à cause de leur capacité ; l'un étoit destiné pour l'eau chaude, l'autre pour la tiede, & le troisieme pour la froide. Ces vases étoient tellement disposés, que l'eau pouvoit passer de l'un dans l'autre par le moyen de plusieurs syphons, & se distribuoit par divers tuyaux ou robinets dans les bains voisins, suivant les besoins de ceux qui s'y baignoient.

Le tepidarium qui servoit aussi de garderobe, paroissoit d'une structure magnifique dans les thermes de Dioclétien avant la démolition : c'étoit un grand sallon octogone de figure oblongue, dont chaque face formoit un demi-cercle, & dont la voûte étoit soutenue par plusieurs rangs de colonnes d'une hauteur extraordinaire.

On a trouvé à Lincoln, sous terre, en 1739, les restes d'un tepidarium des Romains, & l'on en peut voir la description dans les Trans. philosophiques n°. 461. sect. 29. (D.J.)


TÉPISS. m. (Comm.) étoffe de soie & coton qui se fabrique aux Indes orientales. (D.J.)


TEPPIALA, (Géog. mod.) riviere d'Italie, dans la campagne de Rome. Elle a sa source près de Rocca de Massimo, & se perd dans le fleuve Sisto ; c'est l'ancien Amasène, qui traverse les marais Pomptins, & tomboit dans la mer de Toscane, près du promontoire de Circé. (D.J.)


TEPULA-AQUA(Géog. anc.) Pline, liv. XXXVI. ch. xv. & Frontin, lib. de aquaeductib. donnent ce nom à un des aqueducs qui conduisoient l'eau à Rome & dans le Capitole : cette eau venoit du territoire appellé Lucullanus, & que quelques-uns croyent être le même que Tusculum. L'aqueduc passoit par la voie Latine. Cn. Servilius Caepio, & L. Cassius Longinus l'avoient fait faire dans le tems qu'ils étoient censeurs, dans la 629 année de la fondation de Rome, sous le consulat de M. Plautius Hypsaeus, & de M. Fulvius Flaccus. (D.J.)


TERLE, (Géog. mod.) en latin Thicis, riviere d'Espagne, dans la Catalogne. Elle a sa source près du mont Canigou, baigne les murs de Girone, & va se perdre dans la Méditerranée.


TER-HEYDEN(Géog. mod.) village des Pays-Bas, sur la Merk, dans la baronie de Breda. Ce village est plus considérable que plusieurs de nos villes. Il contient deux paroisses. Son gouvernement civil est composé d'un schout, de sept échevins, d'un secrétaire & d'un receveur. (D.J.)


TER-MUIDEN(Géog. mod.) petite ville des Pays-bas, dans la Flandre, à une demi-lieue au nord-est de l'Ecluse. Elle est toute ouverte, & n'a que quatre rues ; mais elle appartient aux Provinces-Unies, & sa conservation leur est importante. Aussi leurs hautes-puissances en nomment le schout à vie, le bourguemestre, & les échevins tous les ans. (D.J.)


TERAINLE, ou THEREIN ou THARAIN, (Géog. mod.) en latin vulgaire Tara, riviere du Beauvoisis ; son nom est formé de la racine tar & du latin amnis, d'où l'on a fait ain, comme dans plusieurs autres noms de rivieres. Elle tire sa source d'un village du côté de Dieppe, & se jette dans l'Oise à Montalaire. (D.J.)


TERAMO(Géog. mod.) ville d'Italie, au royaume de Naples, dans l'Abruzze ultérieure, au confluent du Tardino & de la Viciola, entre Ascoli & Civita-di-Pena, à 8 lieues d'Aquila. Cette ville est l'Interamna du pays des Praegutiens ; Ptolémée, liv. III. c. j. écrit Interamnia. Elle a présentement un évêché fondé l'an 500, & qui ne releve que du pape. Long. 31. 28. lat. 42. 37.

Palladino (Jacques) auteur ecclésiastique du quatorzieme siecle, connu sous le nom d'Ancharano, & plus encore sous celui de Jacques de Téramo, parce qu'il naquit dans cette ville en 1349. Il devint évêque de Monopoli en 1391, archevêque de Tarente en 1400, archevêque de Florence en 1401, évêque & administrateur du duché de Spolete en 1410. Il fut envoyé en Pologne, en qualité de légat du saint siége en 1417, & il y mourut la même année. Le seul de ses ouvrages qui a eu cours, mais un cours incroyable, est une espece de roman de piété, qu'on a traduit dans presque toutes les langues de l'Europe.

M. Dupin a eu tort de dire, que ce roman n'existoit qu'en manuscrit dans les bibliotheques d'Angleterre ; il a été mis au jour plusieurs fois, & sous des titres différens. Voici ceux des premieres éditions : 1°. Jacobi de Ancharano, processus Luciferi contrà Ihesum, coràm judice Salomone ; c'est une très-vieille édition, in-folio, sans aucune indication, ni date. 2°. Reverendi patris domini Jacobi de Theramo, consolatio peccatorum nuncupatum, & apud nonnullos Belial vocitatum, id est, processus Luciferi principis daemoniorum, quorum procurator Belial, contra Ihesum redemptorem, ac salvatorem nostrum, cujus procurator Moyses, de spolio animarum quae in lymbo erant, cùm descendit ad inferna.... coram judice Salomone ; c'est encore une très-ancienne édition, in fol., en assez beaux caracteres, sans aucun nom de ville, & sans aucune date.

On a d'autres éditions du même ouvrage. 1. Une d'Augsbourg, chez Jean Schusser en 1472, in folio, 2. Une intitulée : Lis Christi & Belial, judicialiter coràm Salomone judice, Gondae, per Gerardum Leen en 1481 in-folio, en caracteres gothiques. 3. Une sans nom de ville, ni d'imprimeur en 1482 in-folio. 4. Une en 1484 in-folio. 5. Une à Augsbourg, chez Jehan Schoënberger en 1487 in-folio. 6. Une à Strasbourg en 1488 in-folio. 7. Une à Vicence en 1506 in-folio. 8. Une à Hanoviae en 1611 in-8°. &c.

Palladino n'avoit que trente-trois ans, lorsqu'il composa cet ouvrage, dont voici un court précis ; car j'imagine que peu de personnes en France connoissent ce livre singulier.

L'auteur après avoir dit en deux mots, que la chûte de l'homme avoit obligé J. C. à mourir pour la rédemption du genre humain, suppose que son ame descendit aux enfers immédiatement après sa mort, y entra triomphante, en délivra les ames des bienheureux, enchaîna Lucifer, & mit en fuite les démons. Ces démons s'étant rassemblés, élurent Bélial pour leur procureur, & l'envoyerent demander justice à Dieu contre Jesus, comme contre un perturbateur & un usurpateur. Belial obtint de Dieu, Salomon pour juge. Jesus cité devant ce roi, & ne pouvant comparoître en personne, prit Moïse pour son procureur. Moïse comparut, & Belial l'admit, se contentant de lui faire essuyer le reproche du meurtre de l'égyptien.

Moïse ayant proposé ses moyens, voulut faire ouir ses témoins ; & Salomon leur fit prêter serment sur le livre des Evangiles, de ne rien dire que de véritable : ce qui n'est pas moins plaisant que l'imagination de ces peintres ignorans, qui, dépeignant l'annonciation du Verbe, y mettoient bonnement la Vierge Marie à genoux devant un crucifix.

Excepté le seul Jean Baptiste, Belial recuse tous les autres témoins ; savoir Abraham, à cause de son concubinage public ; Isaac, à cause de son parjure ; Jacob, à cause de ses fraudes ; David, à cause de son meurtre & de son adultere ; Virgile, à cause qu'il s'étoit laissé suspendre d'une tour, & exposer à la risée du peuple par une femme ; Hippocrate, à cause du meurtre de son neveu ; & Aristote, à cause du vol des papiers de Platon.

Belial propose à son tour ses moyens ; mais après de longues contestations, selon la forme du barreau, & l'allégation de plusieurs passages tirés de la bible ; Belial est condamné par Salomon. Il en appelle à Dieu, qui lui donne pour souverain juge, Joseph le patriarche, devant qui la cause fut encore plaidée vivement. Belial fait proposer par David de mettre l'affaire en arbitrage, & les parties en conviennent. Ces arbitres, qui sont l'empereur Auguste & le prophete Jérémie, pour Belial ; Aristote & le prophete Isaïe, pour Moïse, prononcent enfin un arrêt, dont les deux parties s'attribuent l'avantage.

Jesus ayant reçu cet arrêt de la main de Moïse, s'en réjouit avec ses disciples, & leur donne ses instructions. Ensuite les ayant quittés pour monter au ciel, Dieu le pere & le S. Esprit, accompagnés de millions d'anges, viennent au-devant de lui, & l'introduisent dans le séjour de la gloire éternelle ; bien-tôt après il envoie le S. Esprit à ses disciples, qui se répandirent par-tout l'univers, pour enseigner & endoctriner les différentes nations.

Il n'est pas nécessaire de dire que tout cela est aussi grossierement traité, qu'on voit qu'il est imaginé ; c'est le fruit d'un siecle barbare. Les passages de l'Ecriture y sont cités d'une maniere comique, & plus propre à faire rire, qu'à édifier. Belial y turlupine même quelquefois Moïse, comme quand il lui dit en se moquant de lui : loquere, domine, quia servus tuus audit, pag. 86 ; ou comme quand il se contente de réfuter les merveilles de l'histoire du Messie par ce trait ironique : Amice Moïses, confusus non sum, quia quae tu dicis verificabuntur, cùm Deus fiet homo, p. 131. Il lui fait aussi quelquefois des difficultés malignes, comme lorsqu'il lui dit, p. 114. Dic mihi, ô Moïses, quare imputatur judaeis mors Christi, postquam fuerant excoecati ab ipso Jesu, atque indurati corde ; & p. 116. hoc non ascendit in cor meum, quod Deus tradiderit in mortem filium suum pro homine servo. Haec abhorrent leges & natura, & omni audienti est incredibile. Et, quod pejus est, tu Deum esse passibilem asseris. Quelquefois l'auteur y fait dire des hétérodoxies à Moïse, comme lorsqu'il reconnoît trois Dieux dans ce dernier verset du ps. 66. benedicat nos Deus, Deus noster, benedicat nos Deus ; ecce David nominat tres Deos, dit-il, en propres termes, p. 131. quelquefois, il lui fait dire, comme s'il avouoit sa défaite : O ! Belial, valdè me pungis, & subtiliter me arguis, pag. 184.

De plus, on voit dans cette piece Moïse ne se défendre qu'en se fâchant, & qu'en se répandant en injures ; au lieu que Belial se contente de dire paisiblement ses raisons, & recommande la douceur à Moïse. Et tunc, ait Moïses ad Belial ; ô Belial, dic mihi, nequissime. Ait Belial, Moïses, esto sapiens, & dic quod vis & coram judice non loquaris vituperose ; quia patienter audiam.

Ce défaut regne encore plus dans le procès de satan contre la Vierge, devant Jesus. La Vierge criaille, pleure, dit des invectives, & veut à peine laisser parler son adverse partie ; jusques-là, que son fils est obligé de lui imposer silence, & de lui dire avec quelque sorte de sévérité : O mater ! dimitte ipsum dicere, quia incivile est, nisi eum totâ lege perspectâ aliquid judicare, vel respondere permiseris, pag. 30. satan au contraire, sait se modérer, & se défend avec beaucoup de tranquillité.

Si cette piece avoit été composée dans un siecle éclairé, on auroit raison de la regarder comme un artifice criminel de celui qui en seroit l'auteur ; mais la barbarie & la grossiereté du tems dans lequel vivoit Palladino, semble le mettre à couvert de ce soupçon. Quelques personnes même pensent qu'il ne composa cet ouvrage, que pour remettre devant les yeux des peuples de ce tems-là, l'Ecriture-sainte & la religion, dont ils n'avoient plus aucune idée, & pour leur en donner au-moins quelque teinture. En ce cas-là, sa malhabileté étoit encore plus grande que le ridicule de ses contemporains,

Qui sottement zélés en leur simplicité,

Jouoient les Saints, la Vierge & Dieu par piété.

Mais je croirois plutôt que l'unique but de Palladino, étoit d'exercer ses talens pour le barreau, sur quelque sujet intéressant & peu commun, & de se singulariser par une semblable entreprise ; ensorte que rien ne lui parut plus propre à y réussir, qu'une imagination aussi extraordinaire, que celle d'un procès entre le diable & J. C., ou entre satan & la Vierge Marie.

L'ouvrage dont nous parlons a été traduit, comme je l'ai dit, dans presque toutes les langues de l'Europe. Il y en a une version allemande, imprimée à Strasbourg en 1477. in-folio, avec des figures en bois ; à Augsbourg en 1479, en 1481 & en 1493. in-folio ; & de nouveau à Strasbourg en 1508. in-4 °. Le jurisconsulte Jacques Ayerer a revû cette ancienne traduction, en a changé le langage, & l'a publiée de nouveau à Francfort en 1600 in-folio. Cette édition a été renouvellée en 1656. in -4°. avec plusieurs commentaires.

La plus vieille traduction françoise est intitulée : Procès fait & démené entre Belial, procureur d'enfer, & Jhesus fils de la Vierge Marie, translaté de latin en commun langage, par vénérable & discrette personne frere Pierre Farget, de l'ordre des Augustins ; elle est imprimée sans indication de ville, ni d'imprimeur, mais probablement à Lyon en 1482. en caracteres gothiques, & avec figures, in-folio. La seconde version est intitulée : la consolation des poures pécheurs, ou le procès de Belial à l'encontre de Jhesus ; cette version a été mise au jour à Lyon, par Jean Fabri en 1485. in-4 °. ; & réimprimée au même endroit & de la même forme, en 1490 & en 1512. Toutes ces éditions sont remplies de figures en bois, mal faites & fort grotesques.

On a du même livre une version flamande, mise au jour à Harlem en 1484 in-folio, & donnée plusieurs fois depuis ; savoir, à Anvers en 1512, en 1516, en 1551, en 1558 in-folio, & ailleurs.

L'index d'Espagne des livres prohibés, condamne une version espagnole du même livre, & l'index romain en condamne une italienne.

La traduction danoise est de l'an 1589.

Comme l'impression de toutes ces traductions ne s'est faite qu'avec approbation & permission, & que rien n'étoit autrefois plus en usage que leur lecture, il ne faut point douter qu'elles ne fussent encore aujourd'hui fort en vogue, si les lumieres du christianisme n'en avoient fait sentir tout le ridicule. Je ne sai même, s'il n'entre pas beaucoup de politique dans l'interdiction de l'index romain ; les auteurs de cet index auroient honte de se trouver encore exposés aux justes reproches qu'ils ont essuyés si long-tems, d'autoriser des livres pleins de ridicule ; mais un ouvrage beaucoup plus condamnable, & approuvé singulierement en Italie, c'est celui du jésuite françois qui a travesti l'Ecriture-sainte en roman, sous le titre séducteur, d'histoire du peuple de Dieu, tirée des seuls livres saints. (D.J.)


TERASSON(Géog. mod.) bourg que nos géographes nomment ville de France, dans le haut Périgord, à quatre lieues de Sarlat, sur la riviere de Vezère. Il y a une abbaye de l'ordre de S. Benoît. Long. 18. 56. latit. 45. 9. (D.J.)


TERATOSCOPIES. f. divination par l'apparition & la vue des monstres, des prodiges, des spectres, des phantomes ; ce mot est formé de , prodige, & de , je considere.

Ce fut par la teratoscopie que Brutus, le meurtrier de César, augura qu'il perdroit la bataille de Philippe, lorsque la veille de cette action, un spectre lui apparut dans sa tente. Ce fut aussi par elle que Julien l'apostat étant à Paris se laissa proclamer auguste par l'armée des Gaules ; le génie de l'empire, qui lui apparut, dit-il, la nuit, sous la figure d'un jeune homme, l'ayant sollicité & comme forcé de condescendre à la volonté des soldats. Il étoit aisé par ambition, ou par d'autres semblables motifs, d'imaginer des prodiges & des apparitions, & de feindre qu'on se rendoit à la volonté des dieux, lors même qu'on ne suivoit que son penchant.


TERBEDHou TERBADH, s. m. (Mat. médic. des Arabes) nom donné par Avicenne au turbith purgatif, dont tous les auteurs de son tems font mention, quoiqu'en général d'une maniere fort confuse.

Le turbith de Sérapium est le tripolium des Grecs. Le turbith des autres auteurs, est la racine alypum ; toutes choses fort différentes entr'elles, & plus encore du vrai turbith de nos droguistes, décrit par Garcias ; cependant, il paroît que le turbedh d'Avicenne, est véritablement notre turbith ; en effet, il dit que le turbith étoit une substance ligneuse, qu'on apportoit des Indes orientales, & que cette substance étoit cathartique. Garcias nous assure de même qu'Avicenne, que les Indiens en font usage pour purger les sérosités, & qu'ils en corrigent la violence avec du gingembre. (D.J.)


TERCEAUS. m. (Gram. & Jurisprud.) tertia seu tertia pars, est une redevance seigneuriale qui est dûe en quelques lieux au seigneur, pour la concession de terres plantées en vignes.

Dans la coutume de Chartres, où ce droit a lieu, suivant l'article 113, il se prend sur les vins, à la cuve, ou autre vaisseau à vin, & le sujet doit avertir le seigneur, son procureur, receveur, ou commis, avant de tirer son vin, à peine de soixante sols d'amende.

Ce droit paroît venir de la tierce, tertia, ou troisieme partie des fruits en général, qui se payoit anciennement au propriétaire par son serf, ou colon, qui faisoit valoir la terre de son maître. Voy. BOUQUE.

Ce droit de terceau revient à ce que l'on appelle complaire en Poitou, quart-pot en Bourbonnois, vinage à Senlis. (A)


TERCERE(Géog. mod.) île de la mer du Nord, & la plus considérable entre les Açores ; elle a environ quinze lieues de tour, trente mille habitans, & est toute environnée de rochers qui la rendent presque imprenable. Cette île est abondante en poisson, en viande, en fruits, en gros boeufs qui sont les plus beaux du monde, en racines qu'on nomme barates, & en blé ; mais elle manque d'huile, de sel, de chaux, & de toutes sortes de poteries. On conserve le blé dans des puits creusés en terre, & scellés d'une pierre à leur ouverture.

La capitale de l'île se nomme Angra ; elle a cinq paroisses, & est le siege d'un évêque, suffragant de Lisbonne. Son havre fait en forme de croissant, est le seul mouillage qu'il y ait dans l'île ; le principal commerce de Tercere, est en pastel ; les passages des flottes de Portugal & d'Espagne, qui vont aux Indes, au Brésil, au Cap-verd, apportent par le commerce du profit aux habitans.

Les Portugais ayant observé que lorsqu'un vaisseau est au méridien des Açores, l'aiguille marine frottée d'aiman, regarde directement le septentrion, sans aucune variation ni vers l'orient, ni vers l'occident, mais qu'au-delà & au-deçà, elle incline un peu vers l'une ou l'autre partie du monde, cette observation leur a fait placer à Tercere le premier méridien, au-lieu que les François le posent dans l'île de Fer, l'une des Canaries. (D.J.)


TERCOTTERCO, ou TERCOL, voyez TORCOU.


TÉRÉBENTHINES. f. (Hist. des drogues exot.) c'est un suc résineux de divers arbres ; car quoique ce mot ne convienne qu'à la seule résine qui découle du térébinthe, on l'étend à divers autres sucs ; mais on connoît en particulier, dans les boutiques des droguistes curieux, cinq sortes de térébenthines, dont nous allons parler, savoir celle de Chio, de Perse, de Venise, de Strasbourg, & la commune.

La térébenthine de Chio, s'appelle terebenthina Chia, vel Cypria, off. c'est un suc résineux liquide, qui découle du térébinthe, blanc, jaunâtre, ou de la couleur du verre, tirant un peu sur le bleu, quelquefois transparent, de consistance tantôt plus ferme, tantôt plus molle, flexible & glutineux. Lorsqu'on frotte la térébenthine entre les doigts, elle se brise quelquefois en miettes ; le plus souvent cependant, elle est comme le miel solide, elle cède & s'attache aux doigts comme lui ; son odeur est forte, mais non désagréable, semblable à celle de la résine du mélese, c'est-à-dire à la térébenthine de Venise, sur-tout lorsqu'on la manie dans les mains, ou qu'on la jette sur les charbons ; elle est modérement amere au goût & âcre : on estime beaucoup celle qu'on apporte directement des îles de Chio, & de Cypre ; c'est de ces îles qu'elle tire son nom. Les anciens la connoissoient, & en faisoient usage.

Cette résine découle d'un arbre qui vient sans culture dans l'île de Chio. Il est déja décrit : parlons donc du même térébinthe de Languedoc & du Dauphiné ; c'est le terebinthus vulgaris, C. B. P. terebinthus, J. B. Cet arbre est toujours verd, de la grosseur d'un poirier, ayant une écorce cendrée & gersée ; ses branches s'étendent au large, & les feuilles y sont alternativement rangées, conjuguées, roides & fermes, peu différentes de celles du laurier, mais plus obscures ; les fleurs, au commencement de Mai, se trouvent ramassées par grappes au bout des petites branches ; ces fleurs sont des étamines de couleur pourpre, auxquelles il ne succede aucun fruit ; car l'espece qui rapporte du fruit, a des fleurs qui n'ont point d'étamines ; les fruits viennent aussi en grappes ; ils sont arrondis, longs de deux ou trois lignes, ayant une coque membraneuse, rougeâtre ou jaunâtre, un peu acide, stiptique, & résineuse : cette coque n'a qu'une loge, souvent vuide, d'autres fois pleine d'une amande.

Cet arbre est chargé vers l'automne de certaines vessies attachées aux feuilles & aux rameaux, assez semblables à celles qui naissent sur les feuilles de l'orme, mais de couleur purpurine ; quelquefois l'on trouve à l'extrêmité des branches des excroissances cartilagineuses, de la figure des cornichons, longues de quatre, cinq, six doigts, & davantage, de formes différentes, creuses & roussâtres : ces excroissances étant ouvertes, paroissent contenir, de même que les vessies, une petite quantité d'humeur visqueuse, couverte d'ordures cendrées & noirâtres, & de petits insectes aîlés. Tous les auteurs qui ont parlé de cet arbre, ont fait mention de ces excroissances, & elles ne sont autre chose que des especes de gales produites par des insectes qui piquent les feuilles, y déposent leurs oeufs, & leur fournissent par-là une matiere propre à les faire éclorre, les nourrir ensuite, & les conserver par une sage prévoyance de la nature. On ne ramasse point de résine de ces vessies, ni de ces excroissances ; mais on la retire du bois : on fait des incisions aux troncs, & aux branches de cet arbre, après qu'il a poussé ses bourgeons, ainsi qu'aux autres arbres qui sont résineux ; de ces incisions il découle une résine d'abord liquide, qui s'épaissit peu-à-peu, & se desséche.

Celle que répand abondamment le térébinthe de Chio, est épaisse, d'une couleur blanche tirant sur le bleuâtre, presque sans saveur, & sans odeur, s'attachant fort légerement aux dents, & s'endurcissant facilement. La récolte de ce suc se fait en incisant en-travers, avec une hache, les troncs des gros térébinthes, depuis la fin de Juillet, jusqu'en Octobre ; la térébenthine qui en coule, tombe sur des pierres plates, placées sous ces arbres par les paysans ; ils l'amassent avec des petits bâtons qu'ils laissent égoutter dans des bouteilles : on la vend sur les lieux trente ou trente-cinq parats l'oque, c'est-à-dire, les trois livres & demie & une once. Toute l'île n'en fournit pas plus de trois cent oques. Cette liqueur passe pour un grand stomachique dans le pays ; nous parlerons plus bas de ses vertus.

Kaempfer fait particulierement mention de la térébenthine de Perse, très-usitée parmi les Orientaux ; elle n'est pas différente de celle de Cypre : on la recueille des térébinthes qui abondent dans les montagnes, dans les déserts, aux environs de Schamachia en Médie, de Schiras en Perse, dans les territoires de Luristan, & ailleurs. Les habitans retirent beaucoup de liqueur résineuse, qui coule pendant la grande chaleur, du térébinthe auquel on a fait une incision, ou de lui-même, ou des fentes & des noeuds des souches qui se pourrissent. Ils font un peu cuire cette liqueur à un feu lent, & ils la versent avant qu'elle commence à bouillir ; étant refroidie, elle a la couleur & la consistance de la poix blanche.

Cette térébenthine ne sert chez les Orientaux que de masticatoire. Les femmes qui demeurent au-delà du fleuve Indus, sont si habituées d'en mâcher, qu'elles ont de la peine à s'en passer ; elles prétendent que cette résine, en provoquant l'excrétion d'une lymphe surabondante, les délivre des fluxions, qu'elle procure de la blancheur & de la fermeté aux dents, & qu'elle donne à la bouche une haleine agréable : on en trouve par-tout dans les boutiques, & chez les parfumeurs des Turcs, des Perses, & des Arabes, sous le nom turc de sakkis, & sous le nom persan de konderuun.

Les habitans du mont Benna en Perse, ne tirent pas la térébenthine du tronc de l'arbre par des incisions, mais ils brûlent le bois même du térébinthe pour en faire la résine, jusqu'à ce qu'elle ait la couleur d'un rouge brun foncé : elle sert aux peintres à cause de la vivacité de sa couleur ; car cette résine est dure, friable, & brillante : on en trouve chez les Turcs, dans les boutiques, sous le nom de sijah Benna, c'est-à-dire noir du mont Benna.

On fait usage de la térébenthine persique, comme des autres térébenthines, extérieurement & intérieurement : elle est bonne extérieurement pour amollir, résoudre, purifier les ulcères, & réunir les levres des plaies récentes : on la compte au nombre des remedes balsamiques & vulnéraires internes : on la prescrit dans les exulcérations des visceres, dans la toux invétérée, dans le commencement de la phthisie, & le crachement purulent ; elle donne aux urines l'odeur de violette, & est avantageuse dans leur suppression, quand cette suppression procéde d'une sérosité âcre, épaisse, & gluante, sans inflammation.

La térébenthine de Chio, passe pour être douée des mêmes vertus : on l'employe dans la thériaque d'Andromaque, le mithridate de Damocrates, & les trochisques de Cyphi. On pourroit préparer avec cette térébenthine, ainsi qu'avec la persique, une huile, & une colophone ; mais on trouve rarement ces deux résines dans nos boutiques, où on ne connoît guere que la térébenthine des méleses, qui d'ailleurs fournit plus d'esprit que la résine des térébinthes.

La térébenthine de Venise, ou des méleses, terebenthina veneta, laricea, off. est une substance résineuse, liquide, limpide, gluante, tenace, plus grossiere que l'huile, plus coulante que le miel ; elle découle également & entierement du doigt que l'on y a trempé, est un peu transparente comme du verre, de couleur jaunâtre, d'une odeur résineuse, pénétrante, agréable, & cependant un peu dégoutante ; d'un goût fin, âcre, un peu amer, qui surpasse par son âcreté & sa chaleur, la résine du térébinthe. On estime celle qui est récente, pellucide, blanche, liquide, qui n'est pas salie par des ordures, & dont les gouttes s'attachent à l'ongle, sans couleur. On l'appelle térébenthine de Venise, parce qu'autrefois on l'apportoit de ce lieu ; mais présentement on l'apporte du Dauphiné & de la Savoie ; cette espece de résine étoit connue des anciens Grecs, & dès le tems de Galien, à ce qu'il rapporte.

Le mélese, dont nous avons donné la description en son lieu, produit cette térébenthine ; elle en découle d'elle-même, ou par une incision faite à l'arbre au printems & en automne, comme une eau limpide, & de la consistance de l'huile ; mais bientôt après elle jaunit un peu, & elle s'épaissit avec le tems.

Il paroît par l'analyse chymique, que la térébenthine de mélese est composée d'une huile subtile, tellement unie avec un sel acide, que les deux ensemble font un composé résineux ; qu'elle ne contient que très-peu ou point de terre, & une très-petite portion de sel alkali fixe, que l'on apperçoit à peine. En effet, si l'on fait digérer de l'esprit de térébenthine avec l'acide vitriolique, quelques jours après ils se changent en une résine semblable à la térébenthine, qui s'épaissit de plus en plus en continuant cette digestion, & elle se change enfin en un bitume noir.

Il faut observer que la térébenthine prise non-seulement par la bouche & en lavement, mais encore appliquée extérieurement est assez célebre ; c'est pourquoi il n'y a presque aucun liniment, aucun emplatre, ou onguent pour les plaies & les ulceres, où la térébenthine de Venise n'entre. Les chirurgiens en préparent un onguent digestif, très-usité & très-recommandé dans les plaies ; ils mêlent avec la térébenthine une suffisante quantité de jaune d'oeuf & de l'huile rosat, ou quelqu'autre liqueur convenable.

Dans la dyssenterie, les exulcérations des intestins, la néphrétique, la suppression de l'urine ; on donne utilement des lavemens avec la térébenthine. Il faut cependant l'employer avec prudence, & dans les cas où l'on n'a pas lieu de craindre l'inflammation des visceres. Elle est encore d'usage dans la gonorrhée, & les fleurs blanches. La résine du térébinthe, la térébenthine de Venise, & celle de Cypre, ont les mêmes propriétés. On préfere cependant la térébenthine du mélese à toutes les autres pour l'usage intérieur. On prépare avec cette térébenthine un esprit & une huile de térébenthine, ainsi que de la colophone ; enfin la térébenthine du mélese entre dans presque tous les onguens, & les emplâtres des pharmacopées.

La térébenthine de Strasbourg, ou plutôt la térébenthine des sapins, est nommée dans les auteurs résine liquide des sapins ; terebenthina abietina, terebenthina argentoratensis, c'est une substance résineuse, liquide lorsqu'elle est récente, plus transparente que celle du mélese, moins visqueuse & moins tenace : son odeur est plus agréable & plus amere, & ressemble en quelque façon à celle de l'écorce de citron, dont elle a presque le goût : elle jaunit & s'épaissit avec le tems. On l'appelle térébenthine de Strasbourg, parce qu'on l'apporte de cette ville à Paris.

Cette liqueur résineuse découle du sapin nommé abies taxi folio, fructu sursum spectante, I. R. H. 585, abies conis sursum spectantibus, sive mas, C. B. P. 505. Cet arbre est grand, & surpasse le pin par sa hauteur. Son tronc est droit, nud par le bas, couvert d'une écorce blanchâtre & cassante. Ses branches croissent tout-autour du tronc, quelquefois au nombre de quatre, de cinq, de six, & même davantage ; elles sont ainsi arrangées de distance en distance jusqu'au sommet. Ces branches donnent des rameaux disposés le plus souvent en forme de croix, sur lesquels naissent de tous côtés de petites feuilles mousses, d'un verd foncé en-dessus, un peu blanchâtres endessous, & traversées par une côte verte.

Ses fleurs sont des chatons composés de plusieurs sommets d'étamines, qui se partagent en deux loges, s'ouvrent transversalement, & répandent une poussiere très-fine, le plus souvent de la figure d'un croissant, comme on l'observe au microscope. Ces fleurs sont stériles. Les fruits naissent dans d'autres endroits du même arbre : ce sont des cônes oblongs presque ovoïdes, plus courts & plus gros que ceux de la pesse ou picea : ils sont composés d'écailles larges à leur partie supérieure, attachés à un axe commun, sous lesquelles se trouvent deux semences garnies d'un feuillet membraneux, blanchâtres, remplies d'une humeur grasse & âcre. Ces cônes sont verds au commencement de l'automne, & donnent beaucoup de résine ; & vers le commencement de l'hiver ils parviennent à leur maturité. Cet arbre est très-commun en Allemagne, & dans les pays du nord.

On tire la résine ou l'huile de sapin, non-seulement de la tige & des branches, mais encore de quelques tubercules qui sont placés entre l'écorce. Celle qui découle de sa tige par l'incision que l'on y fait est moins odorante & moins précieuse : lorsqu'elle est seche, elle ressemble un peu à l'encens par sa couleur & son odeur ; c'est pourquoi quelques-uns la lui substituent ; mais la résine qui découle des tubercules auxquels on a fait une incision, est fort estimée ; on l'appelle spécialement larme de sapin, huile de sapin, & communément bigion. Voici la maniere de tirer cette résine.

Les bergers, pour ne pas être oisifs pendant le jour, vont dans les forêts de sapins, portant à la main une corne de vache creuse. Lorsqu'ils rencontrent de jeunes sapins revêtus d'une écorce luisante, & remplis de tubercules, car les vieux sapins ridés n'ont point de tubercules, ils conjecturent aussitôt qu'il y a de l'huile sous ces tubercules ; ils les pressent avec le bord de leur corne, & en font couler toute l'huile. Ils ne peuvent pas cependant par cette manoeuvre recueillir plus de trois ou quatre onces de cette huile en un jour ; car chaque tubercule n'en contient que quelques gouttes : c'est ce qui rend cette résine rare & chere. Mais on tire une bonne quantité de térébenthine de la tige des sapins & des picea par des incisions qu'on leur fait au mois de Mai.

Les paysans commencent le plus haut qu'ils peuvent atteindre avec leurs coignées à enlever l'écorce de l'arbre, de la largeur de trois doigts depuis le haut, sans cependant descendre plus bas qu'à deux piés de terre : ils laissent à côté environ une palme d'écorce, à laquelle ils ne touchent point ; & ils recommencent ensuite la même opération, jusqu'à ce qu'ils aient ainsi enlevé toute l'écorce de distance en distance, depuis le haut jusqu'en-bas. La résine qui coule aussitôt est liquide, & elle s'appelle térébenthine de Strasbourg ; cette térébenthine s'épaissit avec le tems ; & deux ou trois ans après les plaies faites aux arbres, sont remplies d'une résine plus grossiere ; alors ils se servent de couteaux à deux tranchans, recourbés, attachés à des perches pour enlever cette seconde résine, qu'ils conservent pour en faire de la poix. La pure térébenthine de Strasbourg a les mêmes principes que celle de Venise, & elle a presque les mêmes vertus.

La térébenthine commune, la grosse térébenthine, resina pinea, est une substance résineuse, visqueuse, tenace, plus grossiere & plus pesante que celle du sapin ou du mélese. Elle est blanchâtre, presque de la consistance de l'huile un peu condensée par le froid, d'une odeur résineuse, désagréable, d'un goût âcre, un peu amer, & qui cause des nausées.

Cette résine découle d'elle-même, ou par l'incision, de différentes especes de pin ; mais on la tire sur-tout dans la Provence près de Marseille & de Toulon, & dans la Guyenne près de Bordeaux, du pin appellé pinus sylvestris, vulgaris genevensis, par J. B. I. 253, & pinus sylvestris, par C. B. P. 491. Cet arbre n'est pas différent du pin ordinaire. Il est seulement moins élevé, ses feuilles sont plus courtes, & ses fruits plus petits.

Il découle deux sortes de résine de ces arbres, l'une nommée résine de cones, parce qu'elle en suinte naturellement ; l'autre qui est tirée par l'incision que l'on fait à l'arbre, est appellée résine de pin. Lorsque cet arbre est plein de résine, il est nommé torche, taeda en latin. La trop grande abondance de résine, est une maladie propre & particuliere au pin sauvage. Elle consiste en ce que non-seulement la substance interne, mais encore la partie externe du tronc, abonde tellement en suc résineux, que cet arbre est comme suffoqué par la trop grande quantité de suc nourricier. On en coupe alors, sur-tout près de la racine, des lattes grasses, & propres pour allumer le feu, & pour éclairer. La pesse & le mélese deviennent aussi torches, mais très-rarement. Dans la Provence non-seulement on recueille cette résine tous les ans ; mais on tire encore de l'arbre des sucs résineux, dont on fait ensuite diverses sortes de poix. Voyez POIX.

Les médecins employent rarement la térébenthine commune tirée du pin sauvage & du picea, quoiqu'elle ait les mêmes qualités que celle de Strasbourg ; mais plusieurs ouvriers en font usage. (D.J.)

TEREBENTHINE, huile de, (Chymie) l'inflammation des huiles par les acides paroît d'abord avoir été découverte par Glauber, qui en a parlé assez au long dans plusieurs de ses ouvrages ; Beccher l'a aussi connue ; mais il y a près de quatre-vingt-dix ans que Borrichius proposa dans les journaux de Copenhague, ann. 1671. d'enflammer l'huile de térébenthine par l'esprit de nitre, suivant un procédé qu'il donnoit. Son problême chymique a pendant long-tems exercé le génie & l'adresse des plus grands artistes. A l'envi les uns des autres, ils ont fait plusieurs tentatives sur cette inflammation ; ils ont d'abord été peu heureux ; il y en a même qui ont eu si peu de succès, qu'ils ont regardé ce phénomene comme un problême très-difficile à résoudre, parce que l'auteur n'a pas assez détaillé des circonstances, qu'il a peut-être ignorées lui-même. D'autres moins modérés ont traité cette expérience de paradoxe.

Le mauvais succès sur l'huile de térébenthine, loin de décourager plusieurs autres artistes, les a au contraire conduits à tenter le mêlange de l'acide nitreux avec d'autres huiles essentielles ; ils ont non-seulement réussi à enflammer les huiles essentielles pesantes, mais encore quelques huiles empyreumatiques, telles que celles de Gayac.

Dippelius, Hoffman & M. Geoffroi sont parvenus à enflammer l'huile de térébenthine, & un nombre d'huiles essentielles légeres par l'acide nitreux, mais avec le concours de quelques portions d'acide vitriolique concentré. Enfin M. Rouelle a trouvé le secret du procédé de Borrichius, consistant à enflammer l'huile de térébenthine par l'acide nitreux seul, & c'est une chose assez curieuse ; voici l'essentiel du procédé de Borrichius.

Il employe quatre onces d'huile de térébenthine & six onces d'eau-forte, ou d'acide nitreux. Il demande que l'huile de térébenthine soit nouvellement distillée, que l'eau-forte soit bonne, récente, & que le vaisseau soit ample ; il les mêle ensemble & les agite ; il couvre le vaisseau, & au bout d'une demi-heure, il le découvre ; alors les matieres produisent ensemble une effervescence des plus violentes, accompagnée d'une fumée très-épaisse, & elles s'enflamment en surmontant le vaisseau & se répandant.

Ce n'est pas de la force de l'esprit de nitre que dépend absolument le succès de l'expérience de Borrichius ; il faut cependant que l'esprit de nitre soit au-moins assez fort pour agir sur l'huile aussi-tôt qu'il lui est mêlé ; plus foible il ne feroit aucun effet ; mais plus il sera fort & concentré, plus le succès de l'opération sera assuré. A l'égard de l'huile de térébenthine, il n'y a aucun choix à en faire ; ancienne ou nouvelle, elle est également bonne.

Il faut verser peu d'acide nitreux à la fois sur le champignon : s'il arrive qu'il ne s'enflamme pas, on attend que le charbon paroisse davantage & soit plus considérable ; alors on verse de nouvel acide, & avec un peu d'usage, il est rare qu'on ne réussisse pas.

Les vaisseaux doivent être larges d'ouverture, afin que le mêlange présente une plus grande surface à l'air, qui aide beaucoup au succès de cette expérience.

On doit employer parties égales d'acide & d'huile de térébenthine ; mais quand on mettroit plus d'acide, on ne nuiroit aucunement à l'inflammation. L'on observera seulement que le succès de l'opération est plus assuré, quand on employe des doses un peu considérables.

M. Rouelle ayant trouvé cette clé, a réussi dans les mêmes expériences sur d'autres huiles essentielles ; savoir, celles de cédra, de genievre & de lavande ; cette derniere demande seulement un acide un peu plus fort.

Mais l'huile de girofle, quoique de même espece que les deux autres, a offert une singularité remarquable, & qui fait une exception à la regle que nous avons donnée, de prendre toujours par préférence l'acide le plus fort, pour assurer le succès de l'opération : mêlée avec de l'esprit de nitre trop fort, l'effervescence est si vive, qu'il se fait une espece d'explosion, & que l'huile est jettée hors du vaisseau. M. Rouelle n'a pu réussir à l'enflammer, qu'en employant le plus foible & le moins concentré des trois esprits de nitre dont il s'est servi dans ses expériences.

Quant aux huiles par expression, les unes comme les huiles de lin, de noix, d'oeillet & de chenevis, s'enflamment comme les huiles essentielles, par l'acide nitreux seul, pourvu qu'on le mêle avec elles en plus grande proportion, & qu'il soit récent, & très-concentré. D'autres huiles par expression, telles que celles d'olive, d'amande douce, de fêne & de navette, ne s'enflamment point par l'acide nitreux seul, quelque concentré qu'il puisse être, & en quelque dose qu'on le mêle avec elle ; il faut pour qu'elles s'enflamment, ajouter l'acide vitriolique à celui du nitre. Ainsi par le moyen de l'acide nitreux, & de l'acide vitriolique, on peut enflammer presque toutes les huiles.

Un artiste pourroit imaginer des vaisseaux & des especes de grenades qui puissent contenir ces feux liquides, comme disoit Glauber, & les mettre en usage dans les opérations militaires. Mais quand on viendroit à-bout de disposer à son gré d'un élément aussi terrible que le feu, quel avantage en résulteroit-il ? Pourroit-il demeurer secret ? Les hommes n'ont trouvé malheureusement que trop de moyens de se détruire. Mémoire de l'acad. des Sciences, année 1747. (D.J.)


TÉRÉBINTHES. m. terebinthus, genre de plante dont la fleur n'a point de pétales : elle est composée de plusieurs étamines garnies de sommets ; les embryons naissent sur des individus qui ne donnent point de fleurs, & deviennent dans la suite une coque qui n'a qu'une ou deux capsules, & qui renferme une semence oblongue. Ajoutez aux caracteres de ce genre que les feuilles naissent par paires le long d'une côte terminée par une seule feuille. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.

Je crois qu'entre les sept especes de térébinthe que compte Tournefort, il faut nous arrêter à la description de celui de Chio, dont on tire la meilleure térébenthine de la Grèce moderne. Voyez TÉRÉBENTHINE.

Ces arbres résineux naissent dans cette île, sans culture, sur les bords des vignes & le long des grands chemins ; leur tronc est aussi haut que celui du lentisque, aussi branchu, touffu & couvert d'une écorce gersée, grisâtre, mêlée de brun. Ses feuilles naissent sur une côte, longue d'environ quatre pouces, rougeâtre, arrondie sur le dos, sillonnée de l'autre côté, & terminée par une feuille ; au lieu que les autres sont disposées par paires : toutes ces feuilles ont un pouce & demi ou deux pouces de long, sur un pouce de largeur vers le milieu, pointues par les deux bouts, relevées sur le dos d'un filet considérable, subdivisé en menus vaisseaux jusque sur les bords ; elles sont fermes, d'un verd luisant un peu foncé, & d'un goût aromatique mêlé de stipticité. Il en est du térébinthe comme du lentisque, c'est-à-dire que les piés qui fleurissent ne portent point de fruit, & que ceux qui portent des fruits, ordinairement ne fleurissent pas. Les fleurs naissent à l'extrêmité des branches sur la fin d'Avril, avant que les feuilles paroissent.

Ces fleurs sont entassées en grappes branchues, & longues d'environ quatre pouces ; chaque fleur est à cinq étamines qui n'ont pas une ligne de long, chargées de sommets cannelés, verd-jaunâtres ou rougeâtres, pleins d'une poussiere de même couleur ; toutes les fleurs sont disposées par bouquets sur leurs grappes ; & chaque bouquet est accompagné de quelque petite feuille velue, blanchâtre, pointue, longue de trois ou quatre lignes.

Les fruits naissent sur des piés différens, rarement sur le même que les feuilles : ils commencent par des embryons entassés aussi en grappes, de trois ou quatre pouces de longueur, & s'élevent du centre d'un calice à cinq feuilles verdâtres, pointues, qui à peine ont une ligne de long : chaque embryon est luisant, lisse, verd, ovale, pointu, terminé par trois crêtes couleur d'écarlate ; il devient ensuite une coque assez ferme, longue de trois ou quatre lignes, ovale, couverte d'une peau orangée ou purpurine, un peu charnue, stiptique, aigrelette, résineuse ; la coque renferme un noyau blanc, enveloppé d'une peau roussâtre. Le bois du térébinthe est blanc.

Comme cet arbre étoit commun dans la Judée, qu'il donne beaucoup d'ombre, & qu'il étend ses branches fort au loin, l'Ecriture l'employe dans ses riches comparaisons. Ainsi dans l'Eccles. xxiv. 22. la Sagesse éternelle, à cause de sa protection également grande & puissante, se compare à un térébinthe. De même, Isaïe vj. 13. voulant peindre la corruption générale de la nation juive, compare ce peuple à un térébinthe dont les branches mortes s'étendent de toutes parts. C'est sous un térébinthe, qui étoit derriere Sichem, que Jacob enfouit les statues des faux dieux, que ses gens avoient apportées de la Mésopotamie, afin qu'elles ne devinssent pas par la suite une occasion de scandale, Genes. xxxv. 4.

Enfin rien n'est si fameux dans l'histoire ecclésiastique, que le térébinthe sous lequel l'on a imaginé qu'Abraham reçut les trois anges ; aussi n'a-t-on pas manqué de débiter bien des fables contradictoires sur la position & la durée de ce prétendu térébinthe. Josephe le place à dix stades d'Hébron, Sozomène à quinze stades, & S. Jerôme à deux milles. Eusebe assure qu'on le voyoit encore de son tems, & qu'on lui portoit une singuliere vénération. Les térébinthes subsistent-ils un si grand nombre de siecles, je le demande aux Botanistes ? Mais de plus, l'arbre sous lequel Abraham reçut les hôtes célestes, étoit-ce bien un térébinthe ? La preuve en seroit d'autant plus difficile, que l'Ecriture ne nomme point cet arbre ; elle dit seulement qu'Abraham pria les anges de se reposer sous l'arbre : requiescite sub arbore. Genes. xviij. 4. (D.J.)

TEREBENTHINE, terebinthus, petit arbre qui se trouve dans les pays méridionaux de l'Europe, dans l'Afrique septentrionale & dans les Indes. On peut avec quelques soins, lui former une tige droite, & lui faire prendre 15 ou 20 piés de hauteur. Son écorce est rousse sur les jeunes branches, & cendrée sur le vieux bois. Ses racines sont fortes & profondes. Sa feuille est composée de plusieurs folioles de médiocre grandeur, au nombre de cinq, de sept ou neuf, & quelquefois jusqu'à treize, qui sont attachées par couples sur un filet commun, terminé par une seule foliole : elles sont d'un verd brillant & foncé en-dessus, mais blanchâtre & mat en-dessous. Cet arbre donne au mois de Mai de grosses grappes de fleurs mousseuses & rougeâtres, qui sortent du bout des branches en même tems que les feuilles commencent à paroître. Les fruits qui succedent sont des coques résineuses & oblongues, de la grosseur d'un pois ; elles sont rougeâtres au commencement, puis elles deviennent d'un bleu-verdâtre dans le tems de leur maturité, qui arrive vers le commencement d'Octobre : chaque coque renferme une petite amande qui a le goût & la couleur de la pistache. Toutes les parties de cet arbre ont en tout tems une odeur de térébenthine.

Les anciens auteurs d'agriculture disent que le térébinthe se plaît sur les montagnes ; cependant en Provence, on ne voit pas beaucoup de ces arbres sur les lieux élevés : c'est particulierement dans les côteaux, à l'exposition du midi, qu'on cultive le pistachier, & seulement jusqu'au tiers ou aux trois quarts de la pente des montagnes ; mais il paroît qu'on peut élever cet arbre avantageusement par-tout où la vigne réussit dans les pays chauds. On prétend même qu'il n'y a point de si mauvais terrein où cet arbre ne puisse croître, & qu'il vient entre les pierres & sur les rochers comme le pin. Mais cette facilité ne doit s'entendre que pour les provinces méridionales du royaume. A l'égard de la partie septentrionale, on ne peut guere y exposer cet arbre en plein champ sans risquer de le voir périr dans les hivers longs & rigoureux. Tout ce qu'on peut hasarder de plus, c'est de le mettre contre des murs bien exposés ; encore ne faut il en venir là que quand il est âgé de quatre ou cinq ans.

Le térébinthe se multiplie de semence, de branches couchées & par la greffe. On ne se sert de ce dernier moyen que pour perfectionner les pistaches & les avoir plus grosses. Les branches couchées sont une mauvaise ressource, parce qu'elles manquent souvent, & que celles qui réussissent ne sont suffisamment enracinées qu'au bout de deux ou trois ans. La graine est donc l'expédient le plus avantageux pour la multiplication de cet arbre. Mais pour le climat de Paris, il vaut mieux la semer dans des terrines qu'en pleine terre ; on s'y prendra de bonne heure au printems. Il est bon de faire tremper les graines pendant deux jours : si elles sont fraîches elles leveront sûrement. Il sera à-propos de serrer les terrines pendant l'hiver, ensorte qu'elles soyent seulement garanties des fortes gelées. Les jeunes plants pourront rester dans les terrines pendant deux ans ; mais au printems de la troisieme année, il faudra les mettre chacun dans un pot, & au bout de quatre ou cinq ans on pourra les placer à demeure, parce qu'ils auront alors communément six à sept piés de hauteur. En s'y prenant de cette façon, le succès est assuré ; mais lorsque le térébinthe est plus âgé, ou qu'il a été transporté de loin, sans avoir eu la précaution de lui conserver au pié une motte de terre, il reprend très-difficilement. Il souffre assez bien la taille, & il n'y faut d'autre attention que de ne retrancher les branches qu'avec ménagement & à mesure que la tige se fortifie, sans quoi on la rend effilée, & on retarde son accroissement. Cet arbre est de longue durée, & il se soutient encore plus long-tems lorsqu'on le met en espalier, où il fait une bonne garniture sans exiger aucune culture. Son bois est blanc, fort dur & assez souple ; cependant on n'en fait nul usage pour les arts.

On peut, comme on l'a déjà dit, greffer le térébinthe, soit pour se procurer les especes de cet arbre qui sont rates, soit pour donner au fruit plus de perfection. On peut se servir pour cela de toutes les façons de greffer qui sont connues. Cependant la greffe en fente lui réussit difficilement ; celles en écusson & en flûte ont plus de succès. Le mois de Juillet est le tems le plus convenable pour cette opération, & les meilleurs sujets sont ceux qui n'ont que deux ou trois ans.

La culture du térébinthe a pour objet dans les pays chauds, d'en tirer un suc résineux que l'on nomme térébinthe ; mais le climat de la Provence n'est pas assez chaud pour en donner. Garidel assure en avoir fait l'essai sans succès. Celle qui vient de Chio est la plus rare, la plus estimée & la meilleure. Cette sorte de résine est vulnéraire & balsamique ; la médecine en fait usage dans plusieurs cas : mais comme on est dans l'usage de donner le nom de térébinthe à plusieurs autres sucs résineux que l'on tire de différens genres d'arbres. Voyez le mot TÉRÉBENTHINE.

On connoît plusieurs especes de térébinthes.

1°. Le térébinthe sauvage. C'est à cette espece que l'on doit particulierement attribuer le détail ci-dessus. On le nomme petelin en Provence, où il vient communément dans les haies, & dans les terreins pierreux & stériles. C'est le meilleur sujet dont on puisse se servir pour greffer les autres especes. La feuille de cet arbre est plus grande, plus arrondie & plus belle que celle du pistachier. Son fruit n'a d'autre usage en Provence que de servir d'appât pour prendre des grives qui en sont fort friandes. Les chasseurs, lors du passage de ces oiseaux, imitent le cri que fait la rouge-gorge quand elle apperçoit le faucon ; la grive reste immobile sur la branche & se laisse approcher de très-près ; mais ce fruit peut être une nourriture dangereuse à l'homme : on a vu en Provence des personnes mourir assez promtement pour en avoir mangé un peu abondamment. Il est de très-longue durée, parce qu'il repousse toujours de sa souche, qui devient très-grosse dans les montagnes de la Provence ; ce qui fait qu'on y voit rarement des térébinthes qui aient le port d'un arbre.

2°. Le térébinthe à gros fruit. Cet arbre se trouve dans les bois des environs de Montpellier. Il devient plus grand que le précédent ; ses fruits sont plus gros & ronds, ils ont le même goût que les pistaches ; & ses feuilles sont arrondies & assez ressemblantes à celles du pistachier, si ce n'est qu'elles sont composées d'un plus grand nombre de folioles.

3. Le térébinthe à petit fruit bleu. Cet arbre est une variété du précédent, dont il differe en ce qu'il est plus petit dans toutes ses parties ; mais son fruit est également bon. Le menu peuple le mange avec du pain dans la Syrie, d'où cet arbre est originaire, ainsi que de quelques contrées plus orientales.

4. Le térébinthe de Cappadoce. Les branches de cet arbre sont tortues, noueuses & cassantes ; ses feuilles sont d'un verd plus brun que dans toutes les autres especes. Ses fleurs viennent en grappe très-serrées ; elles sont d'un verd jaunâtre, mêlé de purpurin.

5. Le pistachier. Cet arbre est originaire des grandes Indes. C'est la plus belle espece de térébinthe & la plus utile. Il s'éleve à la hauteur d'un pommier en Provence, où on en cultive quelques plants dans les jardins ; mais il n'y réussit que sur les bords de la mer, & jusqu'à la hauteur d'Aix ; passé cela le climat n'est plus assez chaud. Il porte son bois droit, & il fait peu de branchage. Sa feuille n'est composée que de trois ou cinq folioles qui sont plus larges & plus rondes que celles du térébinthe commun, mais qui se recourbent en différens sens ; elles sont d'un verd blanchâtre & de la même teinte en-dessus qu'endessous. Ses fleurs sont disposées en grappes, plus longues, plus rassemblées & plus apparentes que celle du térébinthe. On multiplie aisément le pistachier en semant les pistaches que vendent les épiciers, pourvu qu'elles ne soyent pas surannées. Mais si l'on veut avoir de plus beaux & de meilleurs fruits, il faut le greffer sur le térébinthe sauvage, où on a remarqué que la greffe réussit plus sûrement que sur sa propre espece, & que les pistachiers greffés étoient de plus longue durée que les autres. Les pistaches sultanes sont les plus grasses & les plus estimées. Quoique ce fruit soit agréable au goût, qu'il excite l'appétit, & qu'il soit très-stomachique, il n'est cependant guere d'usage de le manger crud & isolé : mais on en tire différens services pour la table, & on en fait des dragées, des conserves, &c. La Médecine en tire aussi quelques secours.

6. Le pistachier à trois feuilles. Cet arbre vient de Sicile. Ses feuilles ne sont composées que de trois folioles, & elles sont d'un verd brun. Les pistaches qu'il rapporte sont d'aussi bon goût que celle du pistachier ordinaire.

Il est nécessaire d'observer que dans chacune des especes de térébinthe & de pistachier que l'on vient de détailler, il se trouve encore une différence individuelle, en ce que chaque sorte a des individus mâles & des individus femelles, & que ceux-ci ne sont d'aucun rapport & demeurent constamment dans la stérilité, s'ils ne sont fécondés par un individu mâle ; d'où il résulte que si l'on veut avoir des fruits, il faut que les deux especes mâles & femelles soyent plantées près l'une de l'autre, c'est-à-dire à une distance peu éloignée, comme à dix, douze ou quinze piés. Cependant les Siciliens ont un moyen de suppléer au défaut de proximité, en prenant sur un arbre mâle une branche garnie de plusieurs grappes de fleurs épanouies, qu'ils attachent à l'arbre femelle ; mais cette pratique n'est point en usage en Provence. Il est bon d'observer encore que la fécondité peut se faire entre un individu mâle & un individu femelle d'especes différentes ; par exemple un térébinthe mâle peut servir à féconder un pistachier femelle. Article de M. d'AUBENTON le subdélégué.

TEREBINTHE, (Critiq. sacr.) comme cet arbre résineux étoit fort commun dans la Judée, qu'il fait beaucoup d'ombre & étend ses branches au loin, la sagesse dont la force & l'efficacité se répand de toutes parts, se compare à un térébinthe, Eccl. xxiv. 22. D'un autre côté, Isaïe, vj. 13. compare le peuple juif à un térébinthe mort, dont les branches seches couvrent un grand espace de terrein. On prétendoit par tradition (car la Gén. xviij. 4. ne nomme pas l'arbre) que ce fut sous un térébinthe qu'Abraham reçut les trois anges ; & Eusèbe rapporte que ce prétendu térébinthe étoit encore de son tems en grande vénération. La crédulité religieusement stupide peut tout adopter. (D.J.)


TÉRÉBRATIONS. f. (Botan.) art de tirer le suc des arbres en les perçant. Il y a dans les plantes des sucs aqueux, vineux, oléagineux, gommeux, résineux, bitumineux ; il y a de toutes sortes de couleurs & de qualités. Ces sucs sortent quelquefois d'eux-mêmes & se coagulent en gomme. Quelquefois ils sortent par incision de leur écorce, comme sont les sucs de la scammonée, du pavot, &c. qu'on fait ensuite dessécher au soleil. On tire des sucs par contusion, par expression ou par la distillation.

Mais il y a une nouvelle maniere de tirer des sucs, particulierement les sucs des arbres. Elle se fait par la térébration ; c'est-à-dire en perçant le tronc d'un arbre avec une tariere, lorsque la seve vers le commencement du printems commence à monter. Cette maniere a été inconnue aux anciens, du-moins on ne sache pas qu'aucun en ait fait mention ; nous tenons cette invention des Anglois. L'immortel Bacon,chancelier d'Angleterre, parle de cette térébration ; mais il ne la propose que comme un remede pour faire mieux fructifier les arbres : c'est pour cela qu'il la compare à la saignée. On a bien enchéri sur les premieres vues de Bacon. Les Anglois ont mis la térébration en regle & l'ont réduite en méthode. Ensuite ils ont trouvé que ces sucs tirés par cette térébration méthodique pouvoit avoir de grandes utilités.

Voici l'ordre qu'il y faut garder, selon le docteur Tonge : Il y a, dit-il, différentes manieres de tirer le suc d'un arbre. Pour en avoir beaucoup, il ne suffit pas d'entamer l'arbre légerement avec un couteau. Il faut percer le tronc du côté du midi, passer au-delà de la moëlle, & ne s'arrêter qu'à un pouce près de l'écorce, qui est du côté du septentrion. On doit conduire la tariere de telle sorte que le trou monte toujours, afin de donner lieu à l'écoulement de la seve.

Il est bon d'observer que le trou doit être fait proche de la terre ; premierement pour ne point gâter le tronc de l'arbre ; secondement, afin qu'il ne soit pas besoin d'un long tuyau pour conduire la seve dans le vaisseau qui la doit recevoir.

Une racine coupée par l'extrêmité rend plus de suc qu'une branche, parce qu'il en monte au-dessus de la racine plus qu'au-dessus de la branche ; aussi l'écoulement doit être plus abondant. Il est probable que plus les arbres approchent de leur perfection, plus il en distille de seve.

Il y a aussi plus de sels dans la racine que dans l'écorce ; plus dans les végétaux durant le printems que durant l'automne ; parce que durant les mois d'été les sucs salins s'évaporent en partie, & en partie mûrissent par l'action & le mêlange de la lumiere.

C'est une observation de Théophraste, que quand les plantes & les arbres poussent, c'est alors qu'ils ont le plus de seve ; mais lorsqu'ils cessent de germer & de produire, alors leur seve a le plus de force, & caractérise mieux la nature de la plante ; & qu'à cause de cela les arbres qui rendent la résine, ne doivent être incisés qu'après leur pousse. Il y a aussi tout lieu de penser que le suc des vieux arbres dont les parties organiques ne forment point de nouvelle seve, est plus mûr que celui des autres.

Ainsi le tems de percer les arbres pour en extraire le suc, c'est depuis la fin de Janvier jusqu'au milieu du mois de Mai. Le noyer ne se doit percer qu'à la fin de Mars. M. Midfort, homme d'une attention merveilleuse à ramasser & à conserver des sucs, assure que le peuplier & le frêne sont inondés de seve à la fin de Mars, & que le sycomore donne des sucs même en pleine gelée.

Les arbres ne donnent aucun suc en automne, & n'en donnent au printems qu'environ durant un mois. Quand le printems est trop sec, on tire très-peu de seve ; s'il est fort humide, il en distille davantage, & toujours à proportion de ce qu'il en monte par les pores du tronc.

La térébration ou le percement des arbres se fait avec plus de succès à midi, dans la chaleur du jour, parce que les sucs sont d'ordinaire plus en mouvement. La chaleur fait monter la seve, c'est un alembic fait de la main de la nature, & les alembics artificiels n'en sont que des copies.

Les arbres qui fournissent abondamment des sucs sont le peuplier, le frêne, le plâne ou sycomore, le saule, le bouleau, le noyer, le chêne, l'ormeau, l'érable, &c.

M. Ratrai, savant écossois, dit qu'il sait par sa propre expérience, que dans le printems on pourra en un mois tirer du bouleau une assez grande quantité de seve, pour égaler le poids de l'arbre avec ses branches, ses feuilles & ses racines.

Le docteur Hervey est descendu de la térébration des arbres à la ponction des plantes. Il a trouvé le secret de tirer des têtes des pavots l'opium le plus pur. Il commence par exposer au soleil durant quelques heures les plantes entieres, ensuite il en pique les têtes, & en peu de tems il en tire plein une tasse de suc de pavot, qui est l'opium véritable. Mais ce qu'on a déja essayé de faire sur les pavots, se peut aussi pratiquer sur les péones mâles & sur plusieurs autres plantes singulieres dont on célebre les vertus. On se flatte d'obtenir par la térébration les gommes, les résines, les teintures, les sels, les odeurs.

On conjecture que les sucs qui coulent d'eux-mêmes, sont plus efficaces que les sucs & les extraits qu'on fait en chymie, parce que dans ces préparations forcées, on perd souvent & nécessairement les parties volatiles qui font la vertu de plusieurs végétaux. Les sucs concrets coagulés ou le sel succulent, comme l'appellent si bien Lauremberg & Schroder, a deux avantages sur le sel tiré par la voye de l'incinération. 1°. Il est plus doux, plus tempéré, moins sec & moins mordicant. 2°. Il tient encore de la plante le soufre & le mercure que le sel tiré des cendres n'a plus du tout. Enfin on ne peut trouver que des avantages à perfectionner la méthode de la térébration. (D.J.)


TÉRÉBRATULITES. f. (Hist. nat.) anomiae, conchiti anomii, musculi anomii ; c'est une coquille fossile dont le caractere est d'avoir toujours comme un bec crochu & recourbé. Il paroît que c'est une espece de moule ou de daille. Cette coquille est connue sous le nom de poulette. Il y en a d'ovales, de plates & arrondies, de rondes & sphériques, de lisses & de sillonnées. M. de Jussieu a vu l'analogue vivant de cette coquille qui se trouve dans la Méditerranée sur les côtes de la Provence. Voyez OSTRÉOPECTINITE.


TEREBUS(Géog. anc.) fleuve de l'Espagne tarragonoise. Ptolémée, l. II. c. vij. marque son embouchure entre le promontoire Scombraria & la ville Alonae. Le manuscrit de la bibliotheque palatine lit Terebris au-lieu de Terebus. Ce fleuve prend sa source dans les mêmes montagnes où le Baetis, aujourd'hui le Guadalquivir, a la sienne. Le nom moderne du Taber ou Terebus, est Segurca. (D.J.)


TEREDON(Géog. anc.) ville d'Asie dans la Babylonie. Ptolémée, Asiae tab. 5. la marque dans l'île que forme le Tigre à son embouchure. D'autres placent la ville de Teredon à l'embouchure de l'Euphrate. Strabon dit qu'il y avoit mille stades depuis la ville de Babylone jusqu'aux bouches de l'Euphrate, & à la ville de Teredon. Denys le périegete, v. 982. met aussi la ville de Teredon à l'embouchure de l'Euphrate. Peut-être étoit-elle entre l'Euphrate & le Tigre vers leurs embouchures ; car chacun de ces fleuves avoit anciennement son embouchure particuliere dans le golfe persique. Les choses purent changer dans la suite par le moyen de divers canaux que l'on tira de l'Euphrate, ce qui aura été cause que Ptolémée n'a point parlé de l'embouchure de ce fleuve.

La ville de Teredon est nommée Diridotis par Arrien, Hist. indic. n °. 41. Si nous en croyons Tavernier, voyage de Perse, liv. II. c. viij. on voit les ruines de Teredon dans le desert de l'Arabie, à deux lieues de Balsara. Ces ruines, ajoute-t-il, font connoître que la ville étoit considérable. On y trouve encore un canal de briques par lequel l'eau de l'Euphrate étoit conduite en cette ville. Les arabes y vont enlever des briques pour les vendre à Balsara, où l'on en fait les fondemens des maisons. (D.J.)


TEREGAMS. m. (Hist. nat. Botan. exot.) nom d'un figuier qui croît au Malabar, & que Commelin appelle ficus Malabarica, foliis rigidis, fructu rotundo, lanuginoso, flavescente, cerasi magnitudine.

C'est un grand arbre haut de trente piés, dont la racine broyée dans du vinaigre, préparée avec du cacao, & prise le matin à jeun, passe pour humectante & rafraîchissante. On donne au fruit de ce figuier les mêmes qualités. (D.J.)


TERENJABINS. m. (Mat. méd. des Arabes) ce mot désigne communément dans les écrits des anciens arabes une espece de manne, nommée par quelques-uns manne de mastic, manna mastichina, à cause de ses grains ronds, ressemblans à ceux du mastic ; mais presque tous les médecins du monde la nomment aujourd'hui manne de Perse, manna persica.

M. Geoffroi a cru que le terniabin ou terenjabin, étoit une sorte de manne liquide, trompé par Belon, qui l'avoit été le premier par les récits des moines du mont Sinaï. Belon pense que la manne liquide recueillie par ces moines, & qu'il nomme terenjabin, est le miel de rosée, mel roscidum de Galien, ou le miel de cedre d'Hippocrate ; mais ce n'est point là le terenjabin des anciens Arabes, ni la manne persique des modernes. Il est bien vraisemblable que la manne liquide des moines du mont Sinaï est la même substance que le miel de rosée de Galien, ou le miel de cedre d'Hippocrate, mais ce n'est point là le terenjabin des anciens Arabes.

La description que fait Galien de son miel de rosée, & de la maniere dont on le recueilloit de son tems sur le mont Sinaï, convient très-bien avec le récit de Belon ; mais il ne paroît point qu'on en fît le moindre usage en médecine, ni du tems de Galien, ni moins encore du tems d'Hippocrate. Les médecins arabes paroissent être les premiers qui l'ont employé comme purgatif. Galien parle plutôt de son miel de rosée, ou manne liquide, comme d'une curiosité, que comme d'une médecine, n'indiquant nulle part ni ses vertus, ni son usage, il se contente de dire qu'on en recueilloit tous les ans quantité sur le mont Sinaï, mais qu'on en apportoit très-rarement dans son pays. De plus, il paroît par le témoignage de l'ancien auteur grec, cité par Athénée, & dont Saumaise a rapporté le passage, que ce miel de rosée étoit un objet de luxe par sa saveur, plus agréable au goût que le miel même, outre son parfum délicieux.

Dans l'ouvrage apocryphe, intitulé de dynamiis, attribué à Galien, il est bien vrai qu'on y ordonne de mêler de la scammonée avec du miel ; mais il n'y est pas dit un seul mot de la manne : or, comme Galien entre dans tous les plus petits détails de la matiere médicale de son tems, il s'ensuit que son silence est une forte preuve que dans son tems le miel de rosée du mont Sinaï n'étoit point d'usage en médecine, & moins encore toute autre espece de manne. Philosop. transact. n °. 472. (D.J.)


TERENTE(Géog. anc.) Terentum ; lieu d'Italie, dans le champ de Mars, près du Tibre, selon Valere Maxime, liv. II. c. jv. car le champ de Mars, comme nous l'apprend Tite-Live, étoit autrefois hors de Rome. Servius dit qu'on donnoit aussi le nom de Terentum à une certaine partie du Tibre dans Rome, sans-doute après que le champ de Mars eut été renfermé dans cette capitale ; Martial, Epigr. l. epist. lx. au-lieu de Terentum, se sert du pluriel Terenti :

Caepit, maxime, Pana, quae solebat

Nunc ostendere canium Terentos.

Il emploie pourtant le même mot au singulier, liv. X. epist. lxiij.

Bis mea romano spectata est vita Terento.

Et Ausone, liv. IV. epigr. j. dit Terentus pour Terentum :

Et quae Romuleus sacra Terentus habet. (D.J.)

TERENTE, s. m. (Antiq. rom.) Terentus, lieu dans le champ de Mars assez près du capitole, où étoit le temple de Pluton & de Consus, & un autel souterrein consacré à Pluton & à Proserpine. On ne le découvroit que pour les jeux séculaires, & on le couvroit aussitôt après. Ce mot vient de terere, frotter, user en frottant, parce que les eaux du Tibre alloient se briser auprès de ce lieu. Voici, selon Valere Maxime, l. II. c. iv. la maniere dont cet autel fut découvert. Les deux fils & la fille d'un certain Valesius étoient attaqués d'une maladie désespérée ; leur pere pria ses dieux lares de détourner sur lui-même la mort qui menaçoit ses enfans. Il lui fut répondu qu'il obtiendroit le rétablissement de leur santé, si en suivant le cours du Tibre, il les conduisoit jusqu'à Térente. Il prit un verre, puisa de l'eau dans le fleuve, & la porta où il apperçut de la fumée ; mais n'y trouvant point de feu, il en alluma avec des matieres combustibles, chauffa l'eau qu'il avoit, la fit boire à ses enfans, & elle les guérit. Ils lui dirent alors qu'ils avoient vu en songe un dieu qui leur avoit ordonné de célébrer des jeux nocturnes en l'honneur de Pluton & de Proserpine, & de leur immoler des victimes rousses. Valesius ayant résolu de bâtir un autel pour le sacrifice, se mit à creuser, & en trouva un tout prêt avec une inscription en l'honneur des deux divinités qui commandent aux enfers. Les réjouissances durerent trois jours de suite, en mémoire de ce que les dieux lui avoient accordé au bout de trois jours la guérison de ses enfans. (D.J.)


TÉRENTINS, JEUX(Antiq. rom.) Terentini ludi, jeux institués à Rome pour honorer les dieux infernaux ; on solemnisoit ces jeux de cent ans en cent ans dans un endroit du champ de Mars qui se nommoit Terentum ; on sacrifioit dans cette cérémonie des boeufs noirs à Pluton & à Proserpine. (D.J.)


TERFEZS. m. (Botan. exot.) c'est le nom d'une espece de truffe ou racine qui naît dans le sable des déserts de Numidie, & qui ne pousse point de tige. Cette truffe a la figure d'un fruit, gros tantôt comme une noix, & tantôt comme une orange. Elle est nourrissante, bonne à manger cuite dans les cendres, ou bouillie dans l'eau. (D.J.)


TERGA(Géog. mod.) ville déserte d'Afrique, au royaume de Maroc, sur la riviere d'Ommirabi, à dix lieues d'Azamor, dans une situation assez avantageuse par la bonté des campagnes du voisinage. (D.J.)


TERGESTE(Géog. anc.) Tergeste, selon Pline, l. III. c. xviij. Tergestum, selon Ptolomée, l. III. c. j. urbs Tergestraeorum, selon Denys le periégete, vers 382, ville d'Italie dans le forum Julii. Pomponius Mela, l. II. c. iij. la met au fond du golfe auquel elle donnoit son nom, & qu'on appelloit Tergestinus sinus. Le véritable nom de cette ville est Tergeste, & c'est ainsi qu'il est écrit dans les anciennes inscriptions. En voici une rapportée par Gruter, pag. 388, n °. 1.

Aed. II. vir. jur. D. Tergeste.

La table de Peutinger porte aussi Tergeste. Le nom moderne est Trieste, selon Lazius & LÉander. Pline & Ptolémée donnent à cette ville le titre de colonie ; mais on ignore le tems de son établissement. Il est surprenant que Strabon, l. VII. p. 314, qui a écrit sous Tibere, appelle Tergeste un village de la Carnie, à Targesta, vico carnico. Cependant Denys le periégete, qui, selon Pline, l. VI. c. xxvij. a écrit sous Auguste, donne à Tergeste le titre de ville ; mais peut-être Strabon a-t-il suivi pour cette qualification quelque ancien auteur qui avoit précédé l'établissement de la colonie, à moins qu'on ne dise que Strabon distingue Tergesta de Tergeste, dont il fait ailleurs, l. V. p. 215, une petite ville, oppidum Tergeste. (D.J.)


TERGESTINUS-SINUS(Géog. anc.) golfe d'Italie, sur la côte de la mer Adriatique. Pline dit que ce golfe prenoit son nom de la ville de Tergeste qui y étoit bâtie. D'autres l'ont appellé Aquileius sinus. On convient que c'est aujourd'hui le golfe de Trieste. (D.J.)


TERGETTou TARGETTE, s. f. (terme de Serrurier) plaque de fer déliée, de forme ovale, composée d'un verrouil & de deux crampons qui tiennent ce verrouil : on attache cette plaque de fer sur les portes, chassis de croisées, &c. (D.J.)


TERGIVERSATEURS. m. (Gram. & Jurisp.) est celui qui use de détours & de tergiversations pour surprendre quelqu'un. Voyez TERGIVERSATION. (A)


TERGIVERSATIONS. f. (Gram. & Jurisprud.) est lorsque quelqu'un use de détours & de surprise pour arriver à ses fins. Voyez TERGIVERSATEUR, DETOUR, DOL, FRAUDE, SURPRISE, FOI MAUVAISE. (A)


TERGOW(Géog. mod.) prononcez Tergau, ville des Provinces-Unies, dans la Hollande méridionale, sur l'Issel, à trois lieues de Rotterdam. Walvis (Jean) en a donné une bonne description en hollandois. On nomme cette ville plus communément Gouda. Voyez -en l'article.

Son église est remarquable par ses vitres émaillées & historiées avec un art qui ne se trouve point ailleurs. De grands rois & princes tant séculiers qu'ecclésiastiques, & des communautés, y ont généreusement contribué : c'est l'ouvrage de deux freres nés dans cette ville, Théodore & Gautier Crabeth, les plus habiles gens de leur tems pour cette sorte de travail. (D.J.)


TERGOWITZTARGOVISCO, TERGOWISK, ou TARVIS, (Géog. mod.) ville de la Turquie européenne, dans la Valachie, sur le Jalonicz, & capitale de la province de Valachie. Ceux qui pensent que c'est le Tiriscum de Ptolémée, sont moins fondés que Lazius, qui croit que Tiriscum s'appelle aujourd'hui Turo. Long. 43. 7. latit. 45. 36. (D.J.)


TERIAS(Géog. anc.) fleuve de Sicile, selon Pline, l. III. c. viij. Thucydide & Diodore de Sicile parlent de ce fleuve ; mais le premier écrit Tareas, & le second Turias. Ortelius dit qu'Aretius & Fazel nomment ce fleuve Jarretta ou Giarretta ; l'un & l'autre est une faute. Le Jarretta est, selon plusieurs savans, le Simoethus des anciens ; mais le Terias, selon le P. Hardouin & M. Delisle, est nommé aujourd'hui Fiume di s. Leonardo. (D.J.)


TERINA(Géog. anc.) ville d'Italie, chez les Brutiens, selon Pline, le périple de Scylax & Etienne le géographe. Diodore de Sicile, Pomponius Mela & Strabon font aussi mention de cette ville. Pline, l. III. c. v. l'appelle Crotonensium Terina, parce qu'elle avoit été bâtie par les habitans de Crotone. Elle donnoit son nom au golfe sur lequel elle étoit située, & qu'on nommoit Sinus-Terinaeus. C'est aujourd'hui le golfe de Sainte-Euphémie. Quant à la situation précise de Terina, on ne s'accorde guere. Le p. Hardouin prétend que c'est Nocéra. (D.J.)


TERJETTES. f. (terme de manufacture) c'est une espece de manicle de cuir dont se servent les laineurs-aplaigneurs. (D.J.)


TERJETTERv. act. (Verrerie) c'est vuider dans les pots à cueillir la matiere propre à faire le verre, qui a été préparée & mise en parfaite fusion dans les deux pots du grand ouvreau, & dans les deux autres pots du derriere du fourneau à verre. (D.J.)


TERKAou TACKAN, s. m. (Hist. mod.) c'est ainsi qu'on nommoit parmi les Tartares Monguls soumis à Genghis-Kan, ceux qui pour quelque grande action ou quelque grand service étoient exemptés par le grand kan de toute taxe ; il leur étoit permis de s'approprier tout le butin qu'ils faisoient à la guerre, sans en faire part à l'empereur. Ils pouvoient se présenter au souverain toutes les fois qu'il leur plaisoit ; & leurs fautes, de quelque nature qu'elles fussent, leur étoient pardonnées jusqu'à neuf fois.


TERKI(Géog. mod.) ville fortifiée d'Asie, capitale de la Circassie, sur la riviere de Terck, à une demi-lieue de la mer, & environnée de marais. Le czar y tient une forte garnison. Long. 66. 34. latit. 43. 23. (D.J.)


TERMAILLETS. m. (Langue franç.) vieux mot qui signifioit quelque ornement ou ajustement de femme qu'on ne connoit plus. On trouve ce mot dans Jean le Maire. " Quand, dit-il, la déesse eut mis bas ses habits & achetmes, qu'elle eut défeublé coëffe, guimpe, atour, & autre accoustrement de tête, termaillets, chaînes, anneaux, buletes, & tissus jusqu'aux galoches dorées, demeurant torquées, sans plus de riche couvrechef, &c. " (D.J.)


TERMES. m. (Gram. & Logique) les termes sont distingués des mots, en ce que ces derniers sont de la langue, & que les premiers sont du sujet, ainsi que les expressions sont de la pensée ; l'usage décide des mots ; la convenance avec les choses fait la bonté des termes ; le tour fait le mérite de l'expression : ainsi l'on dira fort bien, que tout discours travaillé demande que les mots soient françois, que les termes soient propres, & que les expressions soient nobles.

Les termes se divisent en plusieurs classes.

1°. Ils se divisent en concrets & en abstraits. Les termes concrets sont ceux qui signifient les manieres, en marquant en même tems le sujet auquel elles conviennent. Les termes concrets ont donc essentiellement deux significations ; l'une distincte, qui est celle du mode ou maniere ; l'autre confuse, qui est celle du sujet ; mais quoique la signification du mode soit plus distincte, elle est pourtant indirecte ; & au-contraire celle du sujet, quoique confuse, est directe. Le mot de blanc signifie directement, mais confusément, le sujet, & indirectement, quoique distinctement, la blancheur.

Lorsque par une abstraction de l'esprit on conçoit des modes, des manieres, sans les rapporter à un certain sujet, comme ces formes subsistent alors en quelque sorte dans l'esprit, par elles-mêmes, elles s'expriment par un mot substantif, comme sagesse, blancheur, couleur : or les noms qui expriment ces formes abstraites, je les appelle termes abstraits ; comme les formes abstraites expriment les essences des choses auxquelles elles se rapportent ; il est évident que puisque nous ignorons les essences de toutes les substances, quelles qu'elles soyent, nous n'avons aucun terme concret qui soit dérivé des noms que nous donnons aux substances. Si nous pouvions remonter à tous les noms primitifs, nous reconnoîtrions qu'il n'y a point de substantif abstrait, qui ne dérive de quelque adjectif, ou de quelque verbe. La raison qui a empêché les scholastiques de joindre des noms abstraits à un nombre infini de substances, auroit bien dû aussi les empêcher d'introduire dans leurs écoles ces termes barbares d'animalité, d'humanité, de corporéité, & quelques autres ; le bon sens ne les autorise pas plus à adopter ces termes, que ceux-ci, aureitas, saxeitas, metalleitas, ligneitas : & la raison de cela, c'est qu'ils ne connoissent pas mieux ce que c'est qu'un homme, un animal, un corps, qu'ils ne connoissent ce que c'est que l'or, la pierre, le métal, le bois : c'est à la doctrine des formes substantielles, & à la confiance téméraire de certaines personnes destituées d'une connoissance qu'ils prétendoient avoir, que nous sommes redevables de tous ces mots d'animalité, d'humanité, de pétréité, &c. mais grace au bon goût, ils ont été bannis de tous les cercles polis, & n'ont jamais pû être de mise parmi les gens raisonnables. Je sais bien que le mot humanitas étoit en usage parmi les Romains, mais dans un sens bien différent : car il ne signifioit pas l'essence abstraite d'aucune substance ; c'étoit le nom abstrait d'un mode, son concret étant humanus, & non pas homo : c'est ainsi qu'en françois, d'humain, nous avons fait humanité.

Comme les idées générales sont des abstractions de notre esprit, on pourroit aussi donner le nom de termes abstraits à ceux qui expriment ces idées universelles ; mais l'usage a voulu que ce nom fût reservé aux seules formes abstraites.

2°. Les termes se divisent en simples & en complexes.

Les termes simples sont ceux qui par un seul mot expriment un objet quel qu'il soit. Ainsi Rome, Socrate, Bucephale, homme, ville, cheval, sont des termes simples.

Les termes complexes sont composés de plusieurs termes joints ensemble : par exemple, ce sont des termes complexes, un homme prudent, un corps transparent, Alexandre fils de Philippe.

Cette addition se fait quelquefois par le pronom relatif, comme si je dis, un corps qui est transparent, Alexandre qui est fils de Philippe, le pape qui est vicaire de Jésus-Christ.

Ce qu'il y a de plus remarquable dans ces termes complexes, est que l'addition que l'on fait à un terme est de deux sortes : l'une qu'on peut appeller explication, & l'autre détermination.

L'addition est explicative, quand elle ne fait que développer ou ce qui étoit enfermé dans la compréhension de l'idée du premier terme, ou du moins ce qui lui convient, comme un de ses accidens, pourvu qu'il lui convienne généralement & dans toute son étendue ; comme si je dis, l'homme qui est un animal doué de raison, ou l'homme qui desire d'être naturellement heureux, ou l'homme qui est mortel ; ces additions ne sont que des explications, parce qu'elles ne changent point du tout l'idée d'homme, & ne la restreignent point à ne signifier qu'une partie des hommes ; mais marquent seulement ce qui convient à tous les hommes.

Toutes les additions qu'on ajoute aux noms qui marquent distinctement un individu, sont de cette sorte ; comme quand on dit, Jules César qui a été le plus grand capitaine du monde ; Paris qui est la plus belle ville de l'Europe ; Newton le plus grand de tous les mathématiciens ; Louis XV. roi de France : car les termes individuels distinctement exprimés, se prennent toujours dans toute leur étendue, étant déterminés tout ce qu'ils peuvent l'être.

L'autre sorte d'addition, qu'on peut appeller déterminative, est quand ce qu'on ajoute à un mot général, en restreint la signification, & fait qu'il ne se prend plus pour ce mot général dans toute son étendue, mais seulement pour une partie de cette étendue, comme si je dis, les corps transparens, les hommes savans, un animal raisonnable : ces additions ne sont pas de simples explications, mais des déterminations, parce qu'elles restreignent l'étendue du premier terme, en faisant que le mot corps ne signifie plus qu'une partie des corps, & ainsi des autres : & ces additions sont quelquefois telles, qu'elles rendent un mot général individuel, quand on y ajoute des conditions individuelles, comme quand je dis, le roi qui est aujourd'hui, cela détermine le mot général de roi à la personne de Louis XV.

On peut distinguer de plus deux sortes de termes complexes, les uns dans l'expression, & les autres dans le sens seulement : les premiers sont ceux dont l'addition est exprimée ; les derniers sont ceux dont l'addition n'est point exprimée, mais seulement sousentendue : comme quand nous disons en France, le roi, c'est un terme complexe dans le sens, parce que nous n'avons pas dans l'esprit, en prononçant ce mot de roi, la seule idée générale qui répond à ce mot ; mais nous y joignons mentalement l'idée de Louis XV. qui est maintenant roi de France.

Mais ce qui est de plus remarquable dans ces termes complexes, est qu'il y en a qui sont déterminés dans la vérité à un seul individu, & qui ne laissent pas de conserver une certaine universalité équivoque, qu'on peut appeller une équivoque d'erreur, parce que les hommes demeurant d'accord que ce terme ne signifie qu'une chose unique, faute de bien discerner quelle est véritablement cette chose unique, l'appliquent les uns à une chose, & les autres à une autre ; ce qui fait qu'il a besoin d'être encore déterminé, ou par diverses circonstances, ou par la suite du discours, afin que l'on sache précisément ce qu'il signifie.

Ainsi le mot de véritable religion ne signifie qu'une seule & unique religion ; mais parce que chaque peuple & chaque secte croit que sa religion est la véritable, ce mot est très-équivoque dans la bouche des hommes, quoique par erreur ; & si on lit dans un historien, qu'un prince a été zélé pour la véritable religion, on ne sauroit dire ce qu'il a entendu par-là, si on ne sait de quelle religion a été cet historien.

Les termes complexes, qui sont ainsi équivoques par erreur, sont principalement ceux qui renferment des qualités dont les sens ne jugent point, mais seulement l'esprit, sur lesquelles il est facile par conséquent que les hommes ayent divers sentimens : si je dis, par exemple : le roi de Prusse, pere de celui qui regne aujourd'hui, n'avoit pour la garde de sa maison, que des hommes de six piés ; ce terme complexe d'hommes de six piés, n'est pas sujet à être équivoque par erreur, parce qu'il est bien aisé de mesurer des hommes, pour juger s'ils ont six piés ; mais si l'on eut dit qu'ils étoient tous vaillans, le terme complexe de vaillans hommes eût été plus sujet à être équivoque par erreur.

Les termes de comparaison sont aussi fort sujets à être équivoques par erreur : le plus grand géometre de Paris, le plus savant, le plus adroit ; car quoique ces termes soyent déterminés par des conditions individuelles, n'y ayant qu'un seul homme qui soit le plus grand géometre de Paris, néanmoins ce mot peut être facilement attribué à plusieurs ; parce qu'il est fort aisé que les hommes soyent partagés de sentiment sur ce sujet, & qu'ainsi plusieurs donnent ce nom à celui que chacun croit avoir cet avantage par-dessus les autres.

Les mots de sens d'un auteur, de doctrine d'un auteur sur un tel sujet, sont encore de ce nombre, surtout, quand un auteur n'est pas si clair, qu'on ne dispute quelle a été son opinion : ainsi dans ce conflict d'opinions, les sentimens d'un auteur, quelque individuels qu'ils soyent en eux-mêmes, prennent mille formes différentes, selon les têtes par lesquelles ils passent : ainsi ce mot de sens de l'Ecriture, étant appliqué par un hérétique à une erreur contraire à l'Ecriture, signifiera dans sa bouche cette erreur qu'il aura cru être le sens de l'Ecriture, & qu'il aura dans cette pensée appellée le sens de l'Ecriture ; c'est pourquoi les hérétiques n'en sont pas plus catholiques, pour protester qu'ils ne suivent que la parole de Dieu : car ces mots de parole de Dieu signifient dans leur bouche toutes les erreurs qu'ils confondent avec cette parole sacrée.

Mais pour mieux comprendre en quoi consiste l'équivoque de ces termes que nous avons appellés équivoques par erreur, il faut remarquer que ces mots sont connotatifs ou adjectifs ; ils sont complexes dans l'expression, quand leur substantif est exprimé ; complexe dans le sens, quand il est sous-entendu : or, comme nous avons déja dit, on doit considérer dans les mots adjectifs ou connotatifs, le sujet qui est directement, mais confusément exprimé, & la forme ou le mode qui est distinctement, quoique indirectement exprimée : ainsi le blanc signifie confusément un corps, & la blancheur distinctement : sentiment d'Aristote, par exemple, signifie confusément quelque opinion, quelque pensée, quelque doctrine ; & distinctement la relation de cette opinion à Aristote auquel on l'attribue.

Or, quand il arrive de l'équivoque dans ces mots, ce n'est pas proprement à cause de cette forme ou de ce mode, qui étant distinct, est invariable ; ce n'est pas aussi à cause du sujet confus, lorsqu'il demeure dans cette confusion : car, par exemple, le mot de prince des philosophes, ne peut jamais être équivoque, tant qu'il demeurera dans cette confusion, c'est-à-dire, qu'on ne l'appliquera à aucun individu distinctement connu ; mais l'équivoque arrive seulement, parce que l'esprit, au-lieu de ce sujet confus, y substitue souvent un sujet distinct & déterminé, auquel il attribue la forme & le mode.

Le mot de véritable religion, n'étant point joint avec l'idée distincte d'aucune religion particuliere, & demeurant dans son idée confuse, n'est point équivoque, puisqu'il ne signifie que ce qui est en effet la véritable religion ; mais lorsque l'esprit a joint cette idée de véritable religion à une idée distincte d'un certain culte particulier distinctement connu, ce mot devient très-équivoque, & signifie dans la bouche de chaque peuple, le culte qu'il prend pour véritable. Voyez la logique de Port-royal, d'où sont extraites les réflexions que nous venons de faire sur les différens termes complexes.

3°. Les termes se divisent en univoques, équivoques & analogues.

Les univoques sont ceux qui retiennent constamment la même signification à quelques sujets qu'on les applique. Tels sont ces mots, homme, ville, cheval.

Les équivoques sont ceux qui varient leur signification, selon les sujets auxquels on les applique. Ainsi le mot de canon signifie une machine de guerre, un décret de concile, & une sorte d'ajustement ; mais il ne les signifie que selon des idées toutes différentes. Nous venons d'expliquer comment ils occasionnent nos erreurs.

Les analogues sont ceux qui n'expriment pas dans tous les sujets précisément la même idée, mais dumoins quelque idée, qui a un rapport de cause ou d'effet, ou de signe, ou de ressemblance à la premiere, qui est principalement attachée au mot analogue ; comme quand le mot de sain s'attribue à l'animal, à l'air & aux viandes. Car l'idée jointe à ce mot est principalement la santé qui ne convient qu'à l'animal ; mais on y joint une autre idée approchante de celle-là, qui est d'être cause de la santé, laquelle fait qu'on dit qu'un air est sain, qu'une viande est saine, parce qu'ils contribuent à conserver la santé. Ce que nous voyons dans les objets qui frappent nos sens, étant une image de ce qui se passe dans l'intérieur de l'ame, nous avons donné les mêmes noms aux propriétés des corps & des esprits. Ainsi ayant toujours apperçu du mouvement & du repos dans la matiere ; ayant remarqué le penchant ou l'inclination des corps ; ayant vu que l'air s'agite, se trouble & s'éclaircit ; que les plantes se développent, se fortifient & s'affoiblissent ; nous avons dit le mouvement, le repos, l'inclination & le penchant de l'ame ; nous avons dit que l'esprit s'agite, se trouble, s'éclaircit, se développe, se fortifie, s'affoiblit. Tous ces mots sont analogues, par le rapport qui se trouve entre une action de l'ame & une action du corps. Il n'en a pas fallu davantage à l'usage, pour les autoriser & pour les consacrer. Mais ce seroit une grande erreur d'aller confondre deux objets, sous prétexte qu'il y a entr'eux un rapport quelconque, fondé souvent sur une analogie fort imparfaite, telle qu'elle se trouve entre l'ame & le corps. Voyez les mots où l'on explique l'abus du langage.

4°. Les termes se divisent en absolus & en relatifs. Les absolus expriment les êtres entant qu'on s'arrête à ces êtres, & qu'on en fait l'objet de sa réflexion, sans les rapporter à d'autres : au-lieu que les relatifs expriment le ; rapports, les liaisons & les dépendances des unes & des autres. Voyez les relations.

5°. Les termes se divisent en positifs & en négatifs. Les termes positifs sont ceux qui signifient directement des idées positives ; & les négatifs sont ceux qui ne signifient directement que l'absence de ces idées ; tels sont ces mots insipide, silence, rien, ténebres, &c. lesquels désignent des idées positives, comme celles du goût, du son, de l'être, de la lumiere, avec une signification de l'absence de ces choses.

Une chose qu'il faut encore observer touchant les termes, c'est qu'ils excitent outre la signification qui leur est propre, plusieurs autres idées qu'on peut appeller accessoires, auxquelles on ne prend pas garde, quoique l'esprit en reçoive l'impression. Par exemple, si l'on dit à une personne, vous en avez menti, & que l'on ne regarde que la signification principale de cette expression, c'est la même chose que si on lui disoit, vous savez le contraire de ce que vous dites. Mais outre cette signification principale, ces paroles emportent dans l'usage une idée de mépris & d'outrage ; & elles font croire que celui qui nous le dit ne se soucie pas de nous faire injure, ce qui les rend injurieuses & offensantes.

Quelquefois ces idées accessoires ne sont pas attachées aux mots par un usage commun, mais elles y sont seulement jointes par celui qui s'en sert ; & ce sont proprement celles qui sont excitées par le son de la voix, par l'air du visage, par les gestes, & par les autres signes naturels, qui attachent à nos paroles une infinité d'idées qui en diversifient, changent, diminuent, augmentent la signification, en y joignant l'image des mouvemens, des jugemens & des opinions de celui qui parle. Le ton signifie souvent autant que les paroles même. Il y a voix pour instruire, voix pour flatter, voix pour reprendre : souvent on ne veut pas seulement qu'elle arrive jusqu'aux oreilles de celui qui en parle, mais on veut qu'elle le frappe & qu'elle le perce ; & personne ne trouveroit bon qu'un laquais que l'on reprend un peu fortement, répondît, monsieur, parlez plus bas, je vous entends bien ; parce que le ton fait partie de la réprimande, & est nécessaire pour former dans l'esprit l'idée qu'on y veut imprimer.

Mais quelquefois ces idées accessoires sont attachées aux mots mêmes, parce qu'elles s'excitent ordinairement par tous ceux qui les prononcent. Et c'est ce qui fait qu'entre des expressions qui semblent signifier la même chose, les unes sont injurieuses, les autres douces ; les unes modestes, & les autres impudentes ; quelques-unes honnêtes, & d'autres déshonnêtes ; parce que, outre cette idée principale en quoi elles conviennent, les hommes y ont attaché d'autres idées qui sont cause de cette diversité.

C'est encore par-là qu'on peut reconnoître la différence du style simple & du style figuré, & pourquoi les mêmes pensées nous paroissent beaucoup plus vives quand elles sont exprimées par une figure, que si elles étoient renfermées dans des expressions toutes simples. Car cela vient de ce que les expressions figurées signifient, outre la chose principale, le mouvement & la passion de celui qui parle, & impriment ainsi l'une & l'autre idée dans l'esprit, aulieu que l'expression simple ne marque que la vérité toute nue. Par exemple, si ce demi-vers de Virgile, Usque adeò ne mori miserum est, étoit exprimé simplement & sans figure de cette sorte, Non est usque adeò mori miserum, certes il auroit beaucoup moins de force ; & la raison en est que la premiere expression signifie beaucoup plus que la seconde. Car elle n'exprime pas seulement cette pensée, que la mort n'est pas un si grand mal qu'on le croit ; mais elle représente de plus l'idée d'un homme qui se roidit contre la mort, & qui l'envisage sans effroi : image beaucoup plus vive que n'est la pensée même à laquelle elle est jointe. Ainsi il n'est pas étrange qu'elle frappe davantage, parce que l'ame s'instruit par les images des vérités ; mais elle ne s'émeut guere que par l'image des mouvemens.

Si vis me flere, dolendum est

Primùm ipse tibi.

Mais comme le style figuré signifie ordinairement avec les choses les mouvemens que nous ressentons en les concevant & en parlant, on peut juger par-là de l'usage que l'on en doit faire, & quels sont les sujets auxquels il est propre. Il est visible qu'il est ridicule de s'en servir dans des matieres purement spéculatives, que l'on regarde d'un oeil tranquille, & qui ne produisent aucun mouvement dans l'esprit. Car puisque les figures expriment les mouvemens de notre ame, celles que l'on mêle en des sujets où l'ame ne s'émeut point, sont des mouvemens contre la nature & des especes de convulsions. C'est pourquoi il n'y a rien de moins agréable que certains prédicateurs, qui s'écrient indifféremment sur tout, & qui ne s'agitent pas moins sur des raisonnemens philosophiques, que sur les vérités les plus étonnantes & les plus nécessaires pour le salut.

Mais lorsque la matiere que l'on traite est telle qu'elle nous doit raisonnablement toucher, c'est un défaut d'en parler d'une maniere seche, froide & sans mouvement, parce que c'est un défaut de n'être pas touché de ce que l'on doit. Ainsi les vérités divines n'étant pas proposées simplement pour être connues, mais beaucoup plus pour être aimées, révérées & adorées par les hommes, il est certain que la maniere noble, élevée & figurée, dont les saints peres les ont traitées, leur est bien plus proportionnée qu'un style simple & sans figure, comme celui des scholastiques ; puisqu'elle ne nous enseigne pas seulement ces vérités, mais qu'elle nous représente aussi les sentimens d'amour & de révérence avec lesquels les peres en ont parlé ; & que portant ainsi dans notre esprit l'image de cette sainte disposition, elle peut beaucoup contribuer à y en imprimer une semblable : au-lieu que le style scholastique étant simple, sec, aride & sans aménité, est moins capable de produire dans l'ame les mouvemens de respect & d'amour que l'on doit avoir pour les vérités chrétiennes. Le plaisir de l'ame consiste plus à sentir des mouvemens, qu'à acquérir des connoissances.

Cette remarque peut nous aider à résoudre cette question célebre entre les Philosophes, s'il y a des mots déshonnêtes, & à réfuter les raisons des Stoïciens qui vouloient qu'on pût se servir indifféremment des expressions qui sont estimées ordinairement infames & impudentes.

Ils prétendent, dit Cicéron, qu'il n'y a point de paroles sales ni honteuses. Car ou l'infamie, disent-ils, vient des choses, ou elle est dans les paroles. Elle ne vient pas simplement des choses, puisqu'il est permis de les exprimer en d'autres paroles qui ne passent point pour déshonnêtes. Elle n'est pas aussi dans les paroles considérées comme sons, puisqu'il arrive souvent qu'un même son signifiant diverses choses, & étant estimé déshonnête dans une signification ne l'est point dans l'autre.

Mais tout cela n'est qu'une vaine subtilité qui ne naît que de ce que les Philosophes n'ont pas assez considéré ces idées accessoires, que l'esprit joint aux idées principales des choses. Car il arrive de - là qu'une même chose peut être exprimée honnêtement par un son, & déshonnêtement par un autre, si un de ses sons y joint quelque autre idée qui en couvre l'infamie ; & si au contraire l'autre la présente à l'esprit d'une maniere impudente. Ainsi les mots d'adultere, d'inceste, de péché abominable ne sont pas infames, quoiqu'ils représentent des actions très infames, parce qu'ils ne les représentent que couvertes d'un voile d'horreur, qui fait qu'on ne les regarde que comme des crimes, desorte que ces mots signifient plutôt le crime de ces actions que les actions mêmes : au-lieu qu'il y a de certains mots qui les expriment sans en donner de l'horreur, & plutôt comme plaisantes que criminelles, & qui y joignent même une idée d'impudence & d'effronterie ; & ce sont ces mots-là qu'on appelle infames & déshonnêtes.

Il en est de même de certains tours par lesquels on exprime honnêtement des actions qui, quoique légitimes, tiennent quelque chose de la corruption de la nature. Car ces tours sont en effet honnêtes, parce qu'ils n'expriment pas simplement ces choses ; mais aussi la disposition de celui qui en parle de cette sorte, & qui témoigne par sa retenue qu'il les envisage avec peine, & qu'il les couvre autant qu'il peut & aux autres & à lui-même. Au-lieu que ceux qui en parleroient d'une autre maniere, feroient paroître qu'ils prendroient plaisir à regarder ces sortes d'objets ; & ce plaisir étant infame, il n'est pas étrange que les mots qui impriment cette idée soyent estimés contraires à l'honnêteté. Voyez Logique de Port-Royal.

TERME, s. m. (Physique) est en général l'extrêmité de quelque chose, ou ce qui termine & limite son étendue.

TERME, en Géométrie, se prend aussi quelquefois pour un point, pour une ligne, &c. un point est le terme d'une ligne, une ligne est le terme d'une surface, & la surface est le terme d'un solide. Voyez POINT, LIGNE, SURFACE, &c.

C'est ce qu'on appelle dans les écoles terme de quantité.

TERME, dans une quantité algébrique, comme a + b - c - d, ce sont les différentes parties a, b, c, d, séparées par les signes + & -.

TERMES d'une équation, en Algebre, sont les différens monomes dont elle est composée ; ainsi dans l'équation a + b = c, a, b, c, sont les termes.

Lorsque l'équation renferme une inconnue élevée à différentes puissances, on ne prend alors d'ordinaire que pour un terme la somme ou l'assemblage de tous les termes, où l'inconnue se trouve à la même puissance.

Ainsi dans cette équation xx + bx = R, les trois termes sont x x, b x & R.

Et dans celle-ci x x + b x + c x = R d + d c, les termes sont x x, b x + c x, & R d + d c, qui ne font que trois termes, parce que a b + a c, où a se trouve dans la même dimension en l'une & l'autre partie, ne sont comptés que pour un terme.

Dans une équation, on prend ordinairement pour le premier terme celui où la lettre inconnue a la plus haute dimension : le terme qui contient la racine élevée à la puissance plus basse immédiatement après, est appellé le second terme, &c. Ainsi dans l'équation x 3 + a x x + b b x = c3, a x x est le second terme b b x le troisieme, &c. si le terme a x x manque, ou le terme b b x, ou tous les deux, en ce cas on dit que l'équation n'a pas de second ou de troisieme terme, ou manque du second & du troisieme termes. Voyez SECOND TERME.

TERMES DE PROPORTION, en Mathématiques, signifient tels nombres, lettres ou quantités que l'on veut comparer les uns aux autres. Voyez PROPOSITION.

Par exemple, si


TERMED(Géog. mod.) ville d'Asie dans la Transoxiane, sur l'Oxus. Long. selon Delisle, 85. 30. (D.J.)


TERMENEZ(Géog. mod.) petit pays de France, dans le Languedoc, au sud-est de Carcassonne, & dans le diocèse de Narbonne. Il a pris son nom du château de Termes, qui étoit la plus forte place de ce pays-là. (D.J.)


TERMERA(Géog. anc.) ville libre de la Carie. Strabon, l. XIV. p. 657. qui écrit Termerium, place cette ville près du promontoire des Myndiens, qu'on appella promontoire Termerium. (D.J.)


TERMESSPADIX, (Botan.) ce ne sont pas deux mots synonymes chez les auteurs latins. Termes, gen. icis, m. est une branche d'olivier ou de palmier qui est encore sur l'arbre. Spadix est cette même branche détachée avec son fruit. (D.J.)


TERMESSE(Géog. anc.) c'est, selon Strabon, l. XIII. & l. XIV. une ville de Pisidie, proche le col où l'on passoit le mont Taurus pour aller à Mylias ; c'est pourquoi Alexandre voulant dégager ce passage commandé par la ville de Termesse, la fit démolir. Arrien, l. I. p. 69. distingue aussi Telmesse en Lycie de Termesse en Phrygie ; mais il les nomme toutes les deux Telmesse. Il paroît qu'il a eu tort, & qu'il faut appeller Telmesse celle de Lycie, & Termesse celle de Pisidie. M. Spanheim cite une médaille sur laquelle on lit d'un côté , & de l'autre . Cette médaille prouve manifestement que la ville de Pisidie, appellée par Strabon est bien nommée ; car puisque le côteau qui étoit sur le promontoire de Termesse, s'appelloit Solyme, & que les Termessiens s'appelloient aussi Solymes au rapport du même Strabon, l. XIII. p. 433. il est clair que le peuple qui a cette grande affinité avec les Solymes, doit avoir le nom exprimé dans la médaille : or, c'est le nom des Termessiens, & non des Telmessiens.

Il résulte de-là que Termesse est une ville de Pisidie, & que Telmesse est une ville toute différente, située aux extrêmités de la Lycie, & dont les habitans étoient pour ainsi dire nés devins. Voyez -en l'article, parce qu'il est curieux. (D.J.)


TERMINAIRES. m. terme monachal ; nom du religieux prédicateur que chaque couvent des ordres mendians dans les pays-bas, envoie prêcher dans les lieux de son district ; ce mot est formé de terminus, parce que les terminaires sont renfermés dans les bornes d'un district. (D.J.)


TERMINAISONS. f. (Gram.) on appelle ainsi, dans le langage grammatical, le dernier son d'un mot modifié, si l'on veut, par quelques articulations subséquentes, mais détaché de toute articulation antécédente. Ainsi dans Domin-us, Domin-i, Domin-o, Domin-e, &c. on voit le même radical Domin, avec les terminaisons différentes us, i, o, e, & non pas nus, ni, no, ne, quoique ce soyent les dernieres syllabes.

Terminaison & inflexion sont des termes assez souvent confondus quoique très-différens. Voyez INFLEXION.


TERMINALES(Antiq. rom.) terminalia ; fête instituée par Numa, & qu'on célébroit le 21 Février en l'honneur du dieu Terme.

Les Romains avoient un grand respect pour cette divinité, c'est-à-dire, pour la pierre, ou pour le tronc qui servoit de borne. Ovide lui-même confesse la vénération qu'il lui porte.

Nam veneror seu stipes habet desertus in agris

Seu vetus in trivio florere serta lapis.

Je respecte, dit-il, le dieu Terme couronné de fleurs ; soit qu'il soit de pierre ou de bois. Ce respect alloit jusqu'à l'adoration parmi les gens de la campagne. Ils couronnoient le dieu de fleurs, ils l'enmaillotoient avec des linges, & lui faisoient des sacrifices, d'abord de fruits, ensuite d'un agneau ou d'un cochon de lait, vel agna festis caesa Terminalibus, dit Horace. (D.J.)


TERMINALIS(Mythol.) surnom de Jupiter : avant que Numa eût inventé le dieu Terme, on honoroit Jupiter comme protecteur des bornes, & alors on le représentoit sous la forme d'une pierre ; c'étoit même par cette pierre que se faisoient les sermens les plus solemnels. (D.J.)


TERMINATEURadj. & s. (Gram.) c'est le nom qu'on donne à un cercle qui tracé sur le globe sépareroit la partie qui est éclairée, de celle qui est dans l'ombre. On l'appelle en latin terminator lucis & umbrae.

TERMINATEUR, (Hist. ecclés.) c'est dans quelques églises de la Sicile ce qui s'est nommé ailleurs maître des cérémonies. Sa dignité & sa fonction s'appelle terminatio, termination ou terminaison.


TERMINERv. act. (Gram.) finir, borner, être à la fin, arriver à la fin ; il y a trop de mots dans notre langue terminés par des e muets ; terminer un dessein, une affaire ; la mort termine tout ; cela s'est terminé par la ruine & le déshonneur de cet homme. Terminer la guerre, &c.


TERMINI(Géog. mod.) ville de Sicile, dans le val de Mazara, sur la côte septentrionale, à l'embouchure d'une petite riviere de même nom, il Fiume di Termini. Elle est munie pour sa défense d'une espece de citadelle, & de quelques fortifications. Long. 31. 25. latit. 38. 10.

La ville moderne de Termini est voisine de l'ancienne Himera, chantée par Pindare, & qui passoit pour avoir vu naître la comédie ; car ce fut dans son sein, qu'au rapport de Silius Italicus, ce spectacle amusant parut pour la premiere fois.

Diodore de Sicile rapporte que cette ville célebre par ses richesses & par sa puissance l'étoit encore par des bains fameux, où les étrangers venoient de toutes parts. Annibal la détruisit de fond en comble. On la rebâtit ensuite à la distance d'environ quatre mille pas. Scipion l'africain y mena une colonie romaine, & il y fit rapporter les tableaux & les statues que les Carthaginois avoient enlevés de la premiere. Voilà l'Himera qui subsiste aujourd'hui sous le nom de Termini, mais qui est maintenant misérable.

Volaterra assure qu'on y voyoit plusieurs monumens antiques, un théatre à demi ruiné, les restes d'un aqueduc qui étoit d'une excellente maçonnerie, & quantité d'inscriptions qu'on peut lire dans cet auteur. (D.J.)

TERMINI, GOLFE DE, (Géog. mod.) grand golfe sur la côte septentrionale de la Sicile. Il commence après qu'on a passé le cap de Zofarana, & est à 14 milles de Termini.

TERMINI, le, (Géog. mod.) riviere de Sicile, dans le val de Mazara. Elle a sa source près la bourgade de Prizzi, & tombe dans la mer près de la ville Termini. (D.J.)


TERMINISTESS. m. pl. (Hist. ecclés.) est le nom qui a été donné à une secte ou à un parti des Calvinistes ; leurs opinions particulieres peuvent se reduire à cinq points ; savoir, 1°. qu'il y a beaucoup de personnes dans l'Eglise & hors l'Eglise, à qui Dieu a fixé un certain terme avant leur mort, au bout duquel terme Dieu ne veut plus qu'elles se sauvent, quelque long que soit le tems qu'elles ont encore à vivre après ce terme ; 2°. que c'est par un décret impénétrable que Dieu a fixé ce terme de grace ; 3°. que ce terme une fois expiré, Dieu ne leur offre plus les moyens de se repentir ou de se sauver, mais qu'il retire de sa parole tout le pouvoir qu'elle auroit de les convertir ; 4°. que Pharaon, Saül, Judas, la plûpart des juifs, & beaucoup de gentils ont été de ce nombre ; que Dieu souffre encore aujourd'hui beaucoup de gens de cette sorte, & même qu'il leur confere des graces après l'expiration du terme, mais qu'il ne le fait pas dans l'intention de les convertir. Voyez CALVINISME, &c.

Tous les autres protestans, & en particulier les Luthériens, ont de l'horreur pour ces sentimens, comme étant contraires à la bonté de Dieu, destructifs de toutes les vertus chrétiennes, & opposés à l'Ecriture, surtout aux textes ci - dessous, Ezech. c. xviij. v. 23. 30. 31. 32. & c. xxx. v. 11. I. Tim. c. iv. v. 1. 16. 2. Pier. c. iij. v. 9. Actes, c. xiij. v. 30. 31. Matt. c. xj. v. 28. Isa. c. lxvj. v. 2. Hebr. c. iij. v. 7. 13. Rom. c. ij. v. 5. &c.


TERMINTHES. m. (Médec.) terminthus ; espece de tubercule inflammatoire, rond, noirâtre, sur lequel se forme une pustule noire & ronde, qui en se séchant dégénere en bouton écailleux semblable en quelque maniere au fruit de térébinthe, appellé en grec , les jambes en sont ordinairement le siege. (D.J.)


TERMOLI(Géog. mod.) ville d'Italie, au royaume de Naples, dans la Capitanate, sur les confins de l'Abruzze citérieure, près de l'embouchure du Fortore, avec un évêché suffragant de Bénévent. Cette ville est l'ancienne Buba, selon quelques auteurs. Long. 33. 25. latit. 42. 8.


TERMUS(Géog. anc.) fleuve de l'île de Sardaigne. Ptolémée, l. III. c. iij. marque son embouchure sur la côte occidentale de l'île, entre le promontoire Hermaeuni & le port Corocodes. (D.J.)


TERNAIRENOMBRE, (Arithm. anc.) c'est un nombre parfait, dit Plutarque ; mais il ne faut pas entendre ces paroles suivant la définition du nombre parfait d'Euclide, qui veut que le nombre parfait soit celui qui est égal à toutes ses parties aliquotes jointes ensemble, comme sont 6 & 28. En ce sens le nombre ternaire est plutôt un nombre défaillant que parfait : lorsque Plutarque dit encore que le nombre ternaire est le commencement de multitude, il parle à la mode des Grecs, qui ont trois nombres dans leur déclinaison, le singulier, le duel & le pluriel, & ne se servent du dernier que lorsqu'il s'agit de plusieurs choses, c'est-à-dire trois au-moins. Enfin quand cet auteur ajoute que le ternaire comprend en soi les premieres différences des nombres, il faut entendre par ces premieres différences, le pair & l'impair, parce que ce sont effectivement les premieres différences remarquées entre les nombres.

On dit pour prouver la perfection du nombre ternaire dans l'opinion des Payens, qu'ils attribuoient à leurs dieux un triple pouvoir, témoin les tria virginis ora Dianae, le trident de Neptune, le cerbere à trois têtes, les trois parques, les trois furies, les trois graces, &c. Enfin le nombre de trois étoit employé dans les lustrations & les cérémonies les plus religieuses ; d'où vient que Virgile, Aenéid. liv. II. v. 188. dit :

Ter circùm accensos, cincti fulgentibus armis

Decurrere rogos. (D.J.)


TERNATE(Géog. mod.) île de la mer des Indes, la principale des Molucques, sous la ligne, à un demi-degré de latitude septentrionale, à 2 lieues de Tidor. Elle en a six de circuit. Le pays est montagneux. L'air y est chaud & sec, & les volcans y font de grands desordres. La mer fournit beaucoup de poisson ; les orangers, citronniers, cocotiers & amandiers, viennent en abondance à Ternate. Il y a dans cette île un roi particulier, qui fait son séjour à Malayo, capitale. Ses sujets sont mahométans, paresseux, sobres, ignorans, sans ambition, & sans vanité. Tous leurs meubles consistent en une hache, un arc, des flêches, quelques nattes & quelques pots. Leur principale nourriture est de pain de sagou, ou de maïs.

Les Hollandois ont débusqué les Portugais de cette île, & le roi de Ternate s'est soumis à la compagnie des Indes orientales, en arrachant tous les girofliers de son pays ; la compagnie pour le dédommager de cette perte, lui donne chaque année environ dix-huit mille rixdalers en especes, ou en valeur par d'autres effets.

On ne connoît guere de volcan plus terrible que celui de l'île de Ternate. La montagne, qui est roide & difficile à monter, est couverte au pié de bois épais ; mais son sommet qui s'éleve jusqu'aux nues, est escarpé & pelé par le feu. Le soupirail est un grand trou qui descend en ligne spirale, & devient par degré de plus petit en plus petit, comme l'intérieur d'un amphithéâtre. Dans le printems & en automne, vers les équinoxes, quand il regne un certain vent, & sur-tout le vent du nord, cette montagne vomit avec grand bruit des flammes mêlées d'une fumée noire & de cendres brûlantes ; & toutes les campagnes des environs se trouvent couvertes de cendres. Les habitans y vont dans certain tems de l'année pour y recueillir du soufre, quoique la montagne soit si escarpée en plusieurs endroits, qu'on ne peut y monter qu'avec des cordes attachées à des crochets de fer. (D.J.)


TERNATÉEternatea, s. f. (Hist. nat. Botan.) genre de plante à fleurs légumineuses, dont l'étendart cache presque les aîles & la feuille inférieure, ainsi que le pistil. Ce pistil devient une gousse, qui s'ouvre dans sa longueur en deux cosses, lesquelles renferment des graines assez rondes. Il faut ajouter aux caracteres de ce genre les feuilles rangées comme par paires sur une côte terminée par une seule feuille. Tournefort, mém. de l'acad. roy. des Sciences, année 1706. Voyez PLANTE.


TERNou TERNI, adj. (Gram.) opposé à l'éclatant ; qui a perdu son lustre, son poli, son éclat ; cette glace est terne ; cet or est terne.

TERNES, au jeu de Trictrac, c'est un doublet qui arrive, quand les deux dés amenent chacun trois.


TERNEUVIERS. m. (terme de navigation) bâtiment de mer destiné & équipé pour aller en Terre-neuve faire le commerce & la pêche des morues. Les vaisseaux françois terneuviers sont ordinairement à deux ponts, du port de cent à cent cinquante tonneaux, & montés de vingt à vingt-cinq hommes d'équipage, compris le capitaine & les mousses. Les Hollandois les nomment terneeu-vaarder. (D.J.)


TERNI(Géog. mod.) en latin Interamna, Interamnia, Interamnium, ville d'Italie, dans l'état de l'église, au duché de Spolete. Elle est dans une île formée par la riviere de Nera, à vingt lieues de Rome. Elle a été autrefois considérable, & se gouvernoit en république. Elle n'a de nos jours qu'environ dix mille habitans divisés en six quartiers, qui contiennent plusieurs monasteres & confrairies de pénitens. La cathédrale est belle ; son évêché ne releve que du saint siege. Les environs de Terni sont admirables par leur fertilité en pâturages, en fruits, en légumes, en volaille, en gibier, en huile & en vins exquis. Au-dessus de la ville, à deux milles ou environ, est la belle & grande cascade nommée dans le pays cascata delle marmore ; c'est la chûte de la riviere Velino, qui se précipite toute entiere dans la plaine de Terni, pour aller se joindre à la Nera. Long. 30. 18. latit. 42. 34.

Pighius a découvert par une inscription qui est dans la cathédrale de Terni, que cette ville fut bâtie 544 ans avant le consulat de C. Domitius Aenobarbus & de M. Camillus Scribonius, qui furent consuls de Rome l'an 624. Elle se vante d'être la patrie de Corneille Tacite, & ce n'est pas une petite gloire ; car c'est un des plus célebres historiens, & l'un des plus grands hommes de son tems. Il s'éleva par son mérite aux premieres charges de l'empire. De procurateur dans la Gaule belgique sous Titus, il devint préteur sous Domitien, & consul sous l'empire de Nerva. Mais toutes ces dignités ne lui donnent qu'une très-petite gloire, si on la compare à celle qu'il s'est procurée par les travaux de sa plume.

Ses annales & son histoire sont des morceaux admirables, & l'un des plus grands efforts de l'esprit humain, soit que l'on y considere la singularité du style, soit que l'on s'attache à la beauté des pensées, & à cet heureux pinceau avec lequel il a su peindre les déguisemens des politiques, & le foible des passions. Ce n'est pas qu'on ne puisse reprendre en lui trop de finesse dans la recherche des motifs secrets des actions des hommes, & trop d'art à les tourner sans-cesse vers le criminel.

Tacite, dit très-bien l'auteur des Mêlanges de poésies, d'éloquence & d'érudition, étoit un habile politique, & encore un plus judicieux écrivain ; il a tiré des conséquences fort justes sur les événemens des regnes dont il a fait l'histoire, & il en fait des maximes pour bien gouverner un état. Mais s'il a donné quelquefois aux actions & aux mouvemens de la république leurs vrais principes, s'il en a bien démêlé les causes, il faut avouer qu'il a souvent suppléé par trop de délicatesse & de pénétration à celles qui n'en avoient pas. Il a choisi les actions les plus susceptibles des finesses de l'art : les regnes auxquels il s'est principalement attaché dans son histoire, semblent le prouver.

Dans celui de Tibere, qui est sans contestation son chef-d'oeuvre, & où il a le mieux réussi, il y trouvoit une espece de gouvernement accommodé au caractere de son génie. Il aimoit à démêler les intrigues du cabinet, à en assigner les causes, à donner des desseins au prétexte, & de la vérité à de trompeuses apparences. Génie trop subtil, il voit du mystere dans toutes les actions de ce prince. Une sincere déférence de ses desseins au jugement du sénat étoit tantôt un piege tendu à son intégrité, tantôt une maniere adroite d'en être le maître ; mais toujours l'art de le rendre complice de ses desseins, & d'en avoir l'exécution sans reproches. Lorsqu'il punissoit des séditieux, c'étoit un effet de sa défiance naturelle pour les citoyens, ou de légeres marques de colere répandues parmi le peuple pour disposer les esprits à de plus grandes cruautés. Ici la contrariété d'humeurs de deux chefs est un ordre secret de traverser la fortune d'un compétiteur, & le moyen de lui enlever l'affection du peuple. Les dignités déférées au mérite étoient d'honnêtes voies d'éloigner un concurrent ou de perdre un ennemi, & toujours de fatales récompenses. En un mot, tout est politique, le vice & la vertu y sont également dangereux, & les faveurs aussi funestes que les disgraces. Tibere n'y est jamais naturel ; il ne fait point sans dessein les actions les plus ordinaires aux autres hommes. Son repos n'est jamais sans conséquence, & ses mouvemens embrassent toujours plusieurs menées.

Cependant l'art de Tacite à renfermer de grands sens en peu de mots, sa vivacité à dépeindre les événemens, la lumiere avec laquelle il pénetre les ténebres corrompues des coeurs des hommes, une force & une éminence d'esprit qui paroît partout, le font regarder aujourd'hui généralement comme le premier des historiens latins.

Il fit son histoire avant ses annales ; car il nous renvoie à l'histoire dans l'onzieme livre des annales touchant des choses qui concernoient Domitien ; or il est sûr que son histoire s'étendoit depuis l'empire de Galba inclusivement, jusqu'à celui de Nerva exclusivement. Il destinoit pour sa vieillesse un ouvrage particulier aux regnes de Nerva & de Trajan, comme il nous l'apprend lui-même, hist. l. I. c. j. en ces mots dignes d'être aujourd'hui répétés : quòd si vita suppeditet, principatum divi Nervae & imperium Trajani, uberiorem securioremque materiam senectuti seposui : rarâ temporum felicitate, ubi sentire quae velis, & quae sentias dicere licet.

Il ne nous reste que cinq livres de son histoire qui ne comprennent pas un an & demi, tandis que tout l'ouvrage devoit comprendre environ vingt-neuf ans. Ses annales commençoient à la mort d'Auguste, & s'étendoient jusqu'à celle de Néron ; il ne nous en reste qu'une partie, savoir les quatre premiers livres, quelques pages du cinquieme, tout le sixieme, l'onzieme, douzieme, treizieme, quartorzieme, & une partie du seizieme ; les deux dernieres années de Néron, qui formoient les derniers livres de l'ouvrage, nous manquent.

On dit que LÉon X. épris d'amour pour Tacite, ayant publié un bref par lequel il promettoit de l'argent, de la gloire & des indulgences à ceux qui découvriroient quelques manuscrits de cet historien, il y eut un allemand qui fureta toutes les bibliotheques, & qui trouva finalement quelques livres des annales dans le monastere de Cormey. Il vint les présenter à sa sainteté qui les reçut avec un plaisir extrême, & remboursa magnifiquement l'allemand de toute la dépense qu'il avoit faite ; il fit plus, car afin de lui procurer de la gloire & du profit, il voulut lui laisser l'honneur de publier lui-même Tacite ; mais l'allemand s'en excusa, sur ce qu'il manquoit de l'érudition nécessaire à l'édition d'un tel ouvrage.

On a fait tant de versions de ce grand historien romain, & on l'a tant commenté, qu'une semblable collection pourroit composer une bibliotheque assez considérable. Nous avons dans notre langue les traductions de M. Amelot de la Houssaye, de M. de la Bletterie & de M. d'Alembert, qui sont les trois meilleures. Entre les commentaires de critique sur Tacite, on fait grand cas de celui de Juste-Lipse ; & entre les commentaires politiques, les Anglois estiment beaucoup celui de Gordon, qui est plein de fortes réflexions sur la liberté du gouvernement. (Le Chevalier DE JAUCOURT )


TERNIERVoyez PIC DE MURAILLE.


TERNIRv. act. (Gram.) ôter l'éclat. L'haleine suffit pour ternir une glace : ce tableau est terni ; au figuré, on dit ternir la réputation : l'envie s'occupe sans-cesse à ternir la mémoire des grands hommes, mais elle a beau s'efforcer à attacher à leurs actions ou à leurs ouvrages son haleine impure, le tems la fait disparoître.


TERNISSURES. f. (Gram.) tache qui ôte à un corps son éclat.


TERNOVou TERNOVO, (Géogr. mod.) petite ville de la Turquie européenne, dans la Bulgarie, sur la riviere de Jantra, au nord occidental du mont Balkan. On croit que c'est le Ternobum, ville des Bulgares dont parle Ortelius. Long. 43. 25. latit. 43. 4. (D.J.)


TÉROUANNou TÉROUENNE, (Géog. mod.) en latin Taruenna Morinûm, ville de France, dans les Pays-Bas, sur la Lys, à sept milles de Saint-Omer. Elle étoit autrefois épiscopale ; Charles-Quint s'en rendit le maître en 1553, & la renversa de fond-en-comble. Elle n'a point été rebâtie. Long. 19. 54. latit. 50. 32. (D.J.)


TERPONUS(Géog. anc.) ville de l'Illyrie & qui appartenoit aux Japodes. César s'en rendit maître, après que le peuple l'eut abandonnée. Il ne voulut pas la brûler, comptant bien que les habitans viendroient faire leurs soumissions, ce qu'ils firent en effet. (D.J.)


TERPSICHORES. f. (Mythol.) une des neuf muses, celle qui présidoit aux danses ; son nom signifie la divertissante, parce qu'elle divertissoit le choeur des muses par sa danse. On la représente ordinairement couronnée de lauriers, tenant à la main ou une flûte, ou une harpe, ou une guittare. Il y a des mythologues qui font Terpsichore mere des sirenes ; d'autres disent qu'elle eut de Strymon, Rhésus, & de Mars, Biston. (D.J.)


TERRou TÉRA, s. m. (Poterie) on nomme ainsi en terme de potier de terre, un auget de terre plein d'eau que ces ouvriers, quand ils travaillent quelque ouvrage à la roue, tiennent auprès d'eux pour y tremper de tems-en-tems leurs mains, & l'instrument qu'ils nomment une attelle, afin que la terre-glaise ne s'y puisse attacher. (D.J.)


TERRA DOS FUMOS(Géog. mod.) contrée d'Afrique, au pays des Hottentots, sur la côte orientale des Casres errans. (D.J.)


TERRA MERITA(Mat. méd.) Voyez CURCUMA.


TERRA-NOVA(Géog. mod.) petite ville ou bourg d'Italie, dans le Florentin, près d'Arezzo, illustré par la naissance du Pogge, Poggio Bracciolini, l'un des plus beaux esprits & des plus savans hommes du xv. siecle.

Il fit ses études à Florence, & se rendit ensuite à Rome, où son mérite le fit bientôt connoitre ; on lui donna l'emploi de secrétaire apostolique qu'il exerça sous sept papes, sans en être pour cela plus riche. On l'envoya en 1414 au concile de Constance, dont il s'occupa bien moins que de la recherche des anciens manuscrits. Ses soins ne furent pas infructueux ; il découvrit en furetant les bibliotheques, les oeuvres de Quintilien dans une vieille tour d'un monastere de S. Gall. Il déterra une partie d'Asconius Pedianus sur huit oraisons de Cicéron, un Valerius Flaccus, un Ammien Marcellin, un Frontinus de aquaeductibus, & quelques autres ouvrages.

De retour en Italie, il fut nommé secrétaire de la république de Florence en 1453 ; l'amour qu'il avoit pour la retraite, lui fit vendre un Tite-Live pour acquérir une maison de campagne au val d'Arno, près de Florence ; & c'est-là qu'il s'appliqua plus que jamais à l'étude, quoiqu'il fut déja septuagenaire ; il mourut dans cette maison de plaisance en 1459, âgé de 79 ans.

On a de lui une belle histoire de Florence, une traduction latine de Diodore de Sicile, un traité élégant de varietate fortunae, des épitres, des harangues ; enfin un livre de contes plaisans, mais trop obscènes & trop licencieux. Si vous desirez de plus grands détails, lisez le Poggiana, ou la vie, le caractere, les sentimens & les bons mots de Pogge, par M. Lenfant, Amsterdam 1720, in -8°. & vous ne vous repentirez pas de cette lecture.

Il avoit épousé une femme de bonne famille, jeune, riche, belle & douée d'excellentes qualités. Il en eut une aimable fille nommée Lucrece & cinq fils qui se distinguerent par leurs talens. Le plus célebre fut Jacques Poggio, dont on a plusieurs ouvrages ; mais ayant trempé malheureusement dans la conspiration des Pazzi, il fut arrêté & pendu avec d'autres conjurés à une fenêtre du palais de Florence. (D.J.)


TERRA-NUOVA(Géog. mod.) ville d'Italie, dans l'île de Sardaigne, sur sa côte orientale, au fond d'un golfe de même nom. Elle a eu dans le sixieme siecle un évêché qui a été réuni à celui de Castel-Aragonèse. Long. 27. 18. latit. 41. 4. (D.J.)

TERRA-NUOVA, (Géog. mod.) petite ville d'Italie, en Sicile, dans la vallée de Noto, sur la côte méridionale, à l'embouchure de la riviere de même nom, où elle a un petit port. C'est la Gela des anciens. Long. 31. 52. latit. 37. 12. (D.J.)

TERRA-NUOVA Fiume di, (Géog. mod.) riviere de Sicile, dans le val de Noto. Elle a sa source près de Piazza-Vecchia, & se jette dans la mer, à la gauche de la ville de son nom. Cette riviere est le fleuve Gela des anciens. (D.J.)


TERRACINE(Géog. mod.) petite ville d'Italie, dans l'état de l'Eglise, aux confins de la campagne de Rome & de la terre de Labour. Elle est située à quelques milles de la mer, & à soixante de Rome, sur la pente d'une montagne, & au milieu d'un pays le plus fertile de toute l'Italie ; cependant Terracine est pauvre & dépeuplée, comme tout le pays voisin. Sa seule décoration est un évêché qui ne releve que du pape. Long. 30. 48. latit. 41. 19.

J'ai dit que sa seule décoration étoit son évêché ; mais il faut joindre à la gloire de Terracine son antiquité. Les Grecs la nommerent Trachina, du mot grec qui signifie âpre, rude, à cause des rochers sur lesquels elle est située, & qui la rendent de difficile accès. Ce nom de Trachina s'est transformé par corruption en celui de Terracina.

Les Volsques à qui cette ville appartenoit, la nommerent Anxur, ou plutôt Axur, nom de Jupiter dans la langue de ces peuples, & cette ville étoit sous la protection de ce dieu. On a une médaille de Jupiter Axurus, où il est représenté avec une grande barbe.

Il avoit dans cette ville un magnifique temple, dont les débris ont servi à la construction de l'église cathédrale de Terracine. Tous les environs de la ville étoient embellis de maisons de plaisance du tems des Romains. Les choses ont bien changé de face ; car toute la campagne des environs est aujourd'hui misérable ; cependant le lecteur peut s'amuser à lire l'histoire latine de Terracine ancienne & moderne donnée par Dominico Antonin Contatore, & imprimée à Rome en 1706 in -4°. (D.J.)


TERRAGES. m. (Gram. & Jurisprud.) est une redevance annuelle qui se paye en nature sur les fruits que la terre a produit.

Quand il tient lieu du cens il est seigneurial.

Quand il est dû à un autre qu'au seigneur, il n'est considéré que comme une rente fonciere.

Ce droit est la même chose que ce qu'on appelle ailleurs champart, ou agrier. Voyez ci-devant CHAMPART, & les coutumes de Mantes, Berry, Chartres, Orléans, Blois, Ponthieu, Boulenois, Cambray, Aire, Hesdin, &c.


TERRAGEAUS. m. (Gram. & Jurisprud.) c'est le seigneur auquel appartient le droit de terrage ou champart. Voyez TERRAGE, TERRAGER, TERRAGEUR.


TERRAGERS. m. (Gram. & Jurisprud.) signifie lever le terrage ou champart. On entend aussi quelquefois par terrager, celui qui tient une terre à charge de terrage. Voyez la coutume de Poitou, art. 64. 82. S. Jean d'Angely, art. 18.


TERRAGERESSEGRANGE, (Gram. & Jurisprud.) est le lieu où l'on est obligé de porter le terrage dû au seigneur. Voyez TERRAGE.


TERRAGEURS. m. (Gram. & Jurisprud.) est le seigneur ou autre qui a droit de terrage ou champart ; on l'appelle ailleurs terrageau.

Quelquefois par terrageur, on entend le préposé du seigneur, & qui leve pour lui le terrage. Voyez la coutume d'Artois, article 62. (A)


TERRAGNOLEadj. (terme de Manége) épithete qu'on donne à un cheval qui a les mouvemens trop retenus, & trop près de terre, qui est chargé d'épaules, & qui a de la peine à lever le devant. (D.J.)


TERRAILLES. f. (Poterie) poterie assez fine, jaunâtre ou grisâtre, qui se fabrique à Escrome près le pont du Saint-Esprit, petite ville de France située sur le Rhône ; les fayanciers de Paris l'appellent terre du Saint-Esprit. Savary. (D.J.)


TERRAINVoyez TERREIN.


TERRAONou TORRAON, (Géogr. mod.) petite ville, & pour mieux dire, bourg de Portugal, dans l'Alentejo, sur la route de Béja à Lisbonne, au bord de la riviere Exarrama. On a trouvé dans ce bourg quelques anciennes inscriptions, entr'autres la suivante qui a été faite par la grande prêtresse de la province à l'honneur de Jupiter. Jovi O. M. Flavial. F. Rufina. Emeritensis Flaminica Provinc. Lusitaniae. Item. Col. Emeritensis. Perpet. & Municipi. Salac. D. D. (D.J.)


TERRAQUÉEadj. (Phys. & Géogr.) épithete que l'on donne au globe de la terre, en tant qu'il consiste en terre & en eau, qui forment ensemble toute sa masse. Voyez GLOBE, GEOGRAPHIE, RREERRE.

Quelques philosophes, & en particulier le docteur Burnet, disent que la forme du globe terrestre est grossiere, d'où ils inferent qu'il est très-absurde de croire qu'il soit sorti en cet état des mains du Créateur ; desorte que pour le rendre tel qu'il est aujourd'hui, ils ont recours au déluge. Voyez DELUGE.

Mais d'autres prétendent qu'il y a un art admirable, même dans ce desordre apparent ; & en particulier M. Derham soutient que la distribution de la terre & de l'eau, ne peut être que l'ouvrage d'une intelligence suprème ; l'une étant jointe à l'autre avec tant d'art & de justesse, que tout le globe se trouve dans un équilibre parfait, que l'océan septentrional balance l'océan méridional, que le continent de l'Amérique fait le contrepoids de celui de l'Europe ; le continent d'Afrique, de celui de l'Asie. Voyez OCEAN, &c.

Comme on pouvoit lui objecter que les eaux occupent une trop grande partie du globe, & qu'il vaudroit peut-être mieux qu'une partie de l'espace qu'occupent les eaux fût rempli par la terre ferme ; il prévient cette objection, en disant que ce changement priveroit la terre d'une quantité suffisante de pluie & de vapeurs : car si les cavités qui se trouvent dans les mers, lacs, & rivieres, étoient plus profondes, & que cependant elles continssent la même quantité d'eau, l'étrecissement & la diminution de leur surface priveroient la terre d'évaporation, à proportion de cet étrecissement, & causeroient une sécheresse pernicieuse.

On ne sauroit douter que la distribution des eaux & du continent étant l'ouvrage du Créateur, n'ait été faite de la maniere la plus avantageuse pour nos besoins : mais l'équilibre prétendu que M. Derham croit appercevoir entre l'océan méridional & septentrional, & entre les continens d'Asie, d'Afrique, & d'Europe, peut bien être traité de chimere ; en effet, que veut dire l'auteur par cet équilibre ? Prétend-il que l'océan septentrional & méridional sont de la grandeur & de l'étendue nécessaires, pour qu'une de ces mers ne se jette pas dans l'autre ; mais une pareille supposition seroit contre les premiers principes de l'hydrostatique : la même liqueur se met de niveau dans les deux branches d'un syphon, quelque inégalité de grosseur qu'il y ait entre ces branches ; & le fluide contenu dans la petite, a toujours autant de force que le fluide contenu dans la grande, quoiqu'il ait beaucoup moins de poids. Ainsi quand l'océan septentrional, par exemple, ne seroit pas plus grand que la mer Caspienne, il seroit toujours en équilibre avec l'océan méridional, c'est-à-dire, que si ces deux océans communiquoient ensemble, l'eau se mettroit toujours dans l'un & dans l'autre au même niveau, quelque différence qu'il y eût d'ailleurs dans l'étendue des deux.

Le sentiment du docteur Burnet ne paroît pas plus fondé, du-moins à quelques égards : car toutes les observations astronomiques, & les opérations faites dans ces derniers tems, nous apprennent que la figure de la terre est celle d'un sphéroïde applati vers les poles, & assez régulier, & les inégalités qu'il peut y avoir sur sa surface, sont ou totalement insensibles par rapport à la masse du globe, ou celles qui sont les plus considérables, comme les montagnes, sont le reservoir des fontaines & des fleuves, & nous procurent les plus grandes utilités. Ainsi on ne peut point regarder la terre dans l'état où elle est aujourd'hui, comme un ouvrage indigne du Créateur. Ce que M. Burnet ajoute que le déluge peut y avoir causé des bouleversemens, paroît plus vraisemblable. En effet, pour peu qu'on jette les yeux sur une mappemonde, il est difficile de ne pas se persuader qu'il soit arrivé beaucoup de changemens sur la surface du globe terrestre.

La figure des côtes de la Méditerranée & de la mer Noire, les différens détroits qui aboutissent à ces mers, & les îles de l'Archipel, tout cela paroît n'avoir point existé autrefois ; & on est bien tenté de croire que le lieu que la Méditerranée occupe, étoit anciennement un continent dans lequel l'océan s'est précipité, ayant enfoncé les terres qui séparoient l'Afrique de l'Espagne. Il y a même une ancienne tradition qui rend cela plus que conjectural ; la fable des colomnes d'Hercule paroît n'être autre chose qu'une histoire défigurée de l'irruption de l'océan dans les terres, & alterée par la longueur des tems. Enfin, tout nous porte à croire que la mer a causé sur notre globe plusieurs bouleversemens. Voyez CONTINENT. (O)

Une preuve des irruptions de l'Océan sur les continens, une preuve qu'il a abandonné différens terreins, c'est qu'on ne trouve que très-peu d'îles dans le milieu des grandes mers, & jamais un grand nombre d'îles voisines les unes des autres.

Les mouvemens de la mer sont les principales causes des changemens qui sont arrivés & qui arrivent sur la surface du globe ; mais cette cause n'est pas unique, il y en a beaucoup d'autres moins considérables qui contribuent à ces changemens, les eaux courantes, les fleuves, les ruisseaux, la fonte des neiges, les torrens, les gelées, &c. ont changé considérablement la surface de la terre.

Varenius dit que les fleuves transportent dans la mer une grande quantité de terre, qu'ils déposent à plus ou moins de distance des côtes, en raison de leur rapidité ; ces terres tombent au fond de la mer, & y forment d'abord de petits bancs qui s'augmentent tous les jours, font des écueils, & enfin forment des îles qui deviennent fertiles.

La Loubere, dans son voyage de Siam, dit que les bancs de sable & de terre augmentent tous les jours à l'embouchure des grandes rivieres de l'Asie, par les limons & les sédimens qu'elles y apportent, ensorte que la navigation de ces rivieres devient tous les jours plus difficile, & deviendra un jour impossible ; on peut dire la même chose des grandes rivieres de l'Europe, & sur-tout du Volga, qui a plus de soixante & dix embouchures dans la mer Caspienne, du Danube qui en a sept dans la mer Noire, &c.

Comme il pleut très-rarement en Egypte, l'inondation réguliere du Nil vient des torrens qui y tombent dans l'Ethiopie ; il charrie une très-grande quantité de limon, & ce fleuve a non-seulement apporté sur le terrein de l'Egypte plusieurs milliers de couches annuelles, mais même il a jetté bien avant dans la mer les fondemens d'une alluvion qui pourra former avec le tems un nouveau pays ; car on trouve avec la sonde à plus de vingt lieues de distance de la côte, le limon du Nil au fond de la mer, qui augmente tous les ans. La basse Egypte où est maintenant le Delta, n'étoit autrefois qu'un golfe de la mer.

La ville de Damiette est aujourd'hui éloignée de la mer de plus de dix milles, & du tems de saint Louis, en 1243, c'étoit un port de mer.

Cependant tous les changemens que les fleuves occasionnent sont assez lents, & ne peuvent devenir considérables qu'au bout d'une longue suite d'années ; mais il est arrivé des changemens brusques & subits par les inondations & les tremblemens de terre. Les anciens prêtres Egyptiens, 600 ans avant la naissance de Jesus-Christ, assuroient, au rapport de Platon dans le Timée, qu'autrefois il y avoit une grande île auprès des colonnes d'Hercule, plus grande que l'Asie & la Libye prises ensemble, qu'on appelloit Atlantides ; que cette grande île fut inondée & abymée sous les eaux de la mer après un grand tremblement de terre. Traditur Atheniensis civitas restitisse olim innumeris hostium copiis quae ex Atlantico mari profectae, propè cunctam Europam Asiamque obsederunt ; tunc enim fretum illud navigabile, habens in ore & quasi vestibulo ejus insulam quas Herculis columnas cognominant : ferturque insula illa Libyâ simul & Asiâ major fuisse, per quam ad alias proximas insulas patebat aditus, atque ex insulis ad omnem continentem è conspectu jacentem vero mari vicinam ; sed intrà os ipsum portus angusto sinu traditur pelagus illud verum mare, terra quoque illa verè erat continens, &c. Post haec ingenti terrae motu jugique diei unius & noctis illuvione factum est, ut terra dehiscens omnes illos bellicosos absorberet, & Atlantis insula sub vasto gurgite mergeretur.

Une troisieme cause de changement sur la surface du globe, sont les vents impétueux ; non-seulement ils forment des dunes & des collines sur les bords de la mer & dans le milieu des continens, mais souvent ils arrêtent & font rebrousser les rivieres, ils changent la direction des fleuves, ils enlevent les terres cultivées, les arbres, ils renversent les maisons, ils inondent pour-ainsi-dire des pays tout entiers ; nous avons un exemple de ces inondations de sable en France, sur les côtes de Bretagne ; l'histoire de l'Académie, année 1722, en fait mention dans les termes suivans.

" Aux environs de Saint-Paul-de-LÉon, en basse Bretagne, il y a sur la mer un canton, qui avant l'an 1666 étoit habité & ne l'est plus, à cause d'un sable qui le couvre jusqu'à une hauteur de plus de vingt piés, & qui d'année en année s'avance & gagne du terrein. A compter de l'époque marquée il a gagné plus de six lieues, & il n'est plus qu'à une demi-lieue de Saint-Paul ; desorte que, selon les apparences, il faudra abandonner cette ville. Dans le pays submergé on voit encore quelques pointes de clochers & quelques cheminées qui sortent de cette mer de sable ; les habitans des villages enterrés ont eu du-moins le loisir de quitter leurs maisons pour aller mendier.

C'est le vent d'est ou du nord qui avance cette calamité ; il éleve ce sable qui est très-fin, & le porte en si grande quantité & avec tant de vîtesse, que M. Deslandes, à qui l'Académie doit cette observation, dit qu'en se promenant dans ce pays-là pendant que le vent charrioit, il étoit obligé de secouer de tems-en-tems son chapeau & son habit, parce qu'il les sentoit appesantis : de-plus, quand ce vent est violent, il jette ce sable par-dessus un petit bras de mer jusque dans Roscof, petit port assez fréquenté par les vaisseaux étrangers ; le sable s'éleve dans les rues de cette bourgade jusqu'à deux piés, & on l'enleve par charretées : on peut remarquer en passant qu'il y a dans ce sable beaucoup de parties ferrugineuses, qui se reconnoissent au couteau aimanté.

L'endroit de la côte qui fournit tout ce sable, est une plage qui s'étend depuis Saint-Paul jusque vers Plonescat, c'est-à-dire un peu plus de quatorze lieues, & qui est presque au niveau de la mer lorsqu'elle est pleine : la disposition des lieux est telle, qu'il n'y a que le vent d'est ou de nord-est qui ait la direction nécessaire pour porter le sable dans les terres. Il est aisé de concevoir comment le sable porté & accumulé par le vent en un endroit, est repris ensuite par le même vent & porté plus loin, & qu'ainsi le sable peut avancer en submergeant le pays, tant que la miniere qui le fournit en fournira de nouveau ; car sans cela le sable en avançant diminueroit toujours de hauteur, & cesseroit de faire du ravage. Or il n'est que trop possible que la mer jette ou dépose long-tems de nouveau sable dans cette plage, d'où le vent l'enleve ; il est vrai qu'il faut qu'il soit toujours aussi fin pour être aisément enlevé.

Le désastre est nouveau, parce que la plage qui fournit le sable n'en avoit pas encore une assez grande quantité pour s'élever au-dessus de la surface de la mer, ou peut-être parce que la mer n'a abandonné cet endroit, & ne l'a laissé à découvert, que depuis un tems ; elle a eu quelque mouvement sur cette côte, elle vient présentement dans le flux, une demi-lieue en-deçà de certaines roches qu'elle ne passoit pas autrefois.

Ce malheureux canton, inondé d'une façon singuliere, justifie ce que les anciens & les modernes rapportent des tempêtes de sable excitées en Afrique, qui ont fait périr des villes, & même des armées ".

Non-seulement donc il y a des causes générales, dont les effets sont périodiques & reglés, par lesquels la mer prend successivement la place de la terre, & abandonne la sienne ; mais il y a une grande quantité de causes particulieres qui contribuent à ces changemens, & qui produisent des bouleversemens, des inondations, des affaissemens ; & la surface de la terre, qui est ce que nous connoissons de plus solide, est sujette, comme tout le reste de la nature, à des vicissitudes perpétuelles. Hist. nat. gen. & part. t. I. Voyez TERRE, MER, MONTAGNE, FIGURE DE LA TERRE, &c.


TERRASSES. f. (Art. milit.) c'étoit dans les sieges des anciens, un épaulement environnant sur le bord du fossé, tout semblable à nos tranchées, où les archers & les frondeurs tiroient à couvert & sans-cesse contre les défenses de la ville, pendant qu'on insultoit de toutes parts. Les terrasses servoient aussi de contrevallation pour brider, & resserrer de plus près ceux de la place. On appelloit aussi terrasse, un cavalier élevé fort haut pour dominer les murs d'une ville.

On commençoit la terrasse sur le bord du fossé, ou du-moins fort près, & elle formoit un quarré long. On la formoit à la faveur des mantelets, qu'on élevoit fort haut, derriere lesquels les soldats travailloient à couvert des machines des assiégés. Les terrasses qu'Alexandre fit élever aux sieges du roc de Coriénez & d'Aorne, & celle de Massada, dont Josephe donne la description, sont fameuses dans l'histoire.

Terrasse se prend aussi pour le comblement du fossé des places assiegées ; mais on ne doit pas confondre ces sortes de terrasses, avec les cavaliers ou terrasses élevées sur le bord du fossé pour dominer les murailles, & voir ce qui se passoit sur le parapet. Les traducteurs & les commentateurs tombent souvent dans cette erreur. Il est aisé de distinguer les terrasses considerées comme comblement, & les terrasses considerées comme cavaliers ; car lorsqu'on s'apperçoit qu'il y a des beliers sur la terrasse, il ne faut pas douter que l'auteur ne veuille parler du comblement de fossé ; s'il paroît que ces beliers sont sur un cavalier, il faut décider que l'historien est un ignorant qui ne sait ce que c'est que la guerre. Polybe, commenté par Folard, tom. II. (D.J.)

TERRASSE, (Jardin.) ouvrage de terre élevé & revêtu d'une forte muraille, pour raccorder l'inégalité du terrein. La maçonnerie n'est pas cependant toujours nécessaire pour faire une terrasse. Quand la terre est forte, on se contente de faire des taluds & des glacis, qu'on coupe à chaque extrêmité. On laisse une pente douce sur la terrasse, pour l'écoulement des eaux, d'environ un pouce & demi par toise, selon la grandeur de la terrasse ; & cette pente se prend toujours sur sa longueur. On orne les terrasses d'arbrisseaux, d'ifs & de charmilles à hauteur d'appui, avec des vases, des caisses & des pots de fleurs, posés sur des dés de pierre. Les figures & les fontaines contribuent encore beaucoup à leur décoration. Malgré ces ornemens, les terrasses n'embellissent pas beaucoup un jardin ; aussi en doit-on faire le moins qu'on peut, & les éloigner toujours les unes des autres. Voyez des modeles de terrasse dans la théorie & la pratique du jardinage.

On appelle contre-terrasse, une terrasse élevée audessus d'une autre, pour quelque raccordement de terrein, ou élévation de parterre. (D.J.)

TERRASSE, (Joaillerie) ce terme se dit en style d'ouvriers lapidaires, de quelques parties dans une pierre précieuse qui ne peuvent souffrir le poliment.

TERRASSE, (Peint.) on appelle terrasse en Peinture, un espace de terre qu'on place d'ordinaire sur le devant du tableau. Les terrasses doivent être spacieuses & bien ouvertes ; on peut y représenter quelque verdure, ou même des cailloutages qui s'y trouvent comme par accident. (D.J.)

TERRASSE, (Sculpt.) c'est le dessus de la plinthe en pente sur le devant, où on pose une figure, une statue, un grouppe, &c. (D.J.)

TERRASSE, terme de Tireur d'or, c'est une espece de vaisseau, fait en forme de cuvette un peu longue, formé de brique ou de pavé de grais, avec de hauts rebords, dans lequel ces ouvriers font chauffer le gros fil d'argent qu'ils veulent dorer, avant de le passer aux filieres. Savary. (D.J.)

TERRASSE de bâtiment, (Archit.) c'est la couverture d'un bâtiment, en plate-forme. On la fait de plomb, ou de dalles de pierre. Telles sont les terrasses du péristile du Louvre & de l'observatoire. Celle-ci est pavée de pierres à fusil, à bain de mortier de ciment & de chaux. (D.J.)

TERRASSE de marbre, (Archit.) c'est un tendre, c'est-à-dire un défaut dans les marbres, qu'on appelle bouzin dans les pierres. On corrige ce défaut avec de petits éclats, & de la poudre du même marbre, mêlée avec du mastic de pareille couleur. (D.J.)


TERRASSÉen terme de Blason, se dit de la pointe de l'écu faite en forme de champ plein d'herbes.


TERRASSEURS. m. (Maçonnerie) nom qu'on donne à des gens qui travaillent à hourder des planchers & des cloisons. Dans les pays où la pierre & le plâtre sont rares, on voit plus de terrasseurs que de plâtriers & de maçons, parce que toutes les maisons y sont de colombage, hourdées avec de la terre jaune. On ne dit guere terrasser en ce sens, mais hourder ; & au contraire on ne dit point hourdeur, mais terrasseur. (D.J.)


TERRASSIERS. m. (Jardin.) c'est la qualité d'un ouvrier qui entreprend de faire des terrasses, & celle de ceux qui travaillent sous lui à la tâche ou à la journée. Un maître terrassier doit savoir tirer des niveaux, & jalonner juste, afin que sur le plan qu'on lui donne à exécuter, toutes les proportions soient bien prises. Il doit encore avoir quelque légere teinture du dessein, parce que souvent il se trouve obligé de tracer sur terre certains compartimens où il n'est pas nécessaire d'appeller un traceur. (D.J.)


TERREen Géographie & en Physique, se dit principalement de ce globe que nous habitons ; sur quoi voyez l'article FIGURE DE LA TERRE.

On convient généralement que le globe de la terre a deux mouvemens ; l'un diurne par lequel il tourne autour de son axe, dont la période est de 24 heures, & qui forme le jour ou le nychtemeron.

L'autre annuel & autour du soleil se fait dans une orbite elliptique, durant l'espace de 365 jours 6 heures, ou plutôt 365 jours 5 heures 49 min. qui forment l'année. Voyez AXE.

C'est du premier mouvement, qu'on déduit la diversité de la nuit & du jour, voyez NUIT & JOUR, & c'est par le dernier qu'on rend raison de la vicissitude des saisons, &c. Voyez SAISON, PRINTEMS, ETE, HIVER, &c.

On distingue dans la terre trois parties ou régions ; savoir, 1°. la partie extérieure, c'est celle qui produit les végétaux, dont les animaux se nourrissent. 2°. La partie du milieu ou la partie intermédiaire qui est remplie par les fossiles, lesquels s'étendent plus loin que le travail de l'homme ait jamais pû pénétrer. 3°. La partie intérieure ou centrale qui nous est inconnue ; quoique bien des auteurs la supposent d'une nature magnétique ; que d'autres la regardent comme une masse ou sphere de feu ; d'autres comme un abîme ou amas d'eau, surmonté par des couches de terre ; & d'autres enfin, comme un espace creux & vuide, habité par des animaux qui ont, selon eux leur soleil, leur lune, leurs plantes, & toutes les autres choses qui leur seroient nécessaires pour leur subsistance.

Il y en a aussi qui divisent le corps du globe en deux parties, la partie extérieure qu'ils appellent écorce, & qui renferme toute l'épaisseur des couches solides, & l'intérieure qu'ils appellent noyau, qui est d'une nature différente de la premiere, & qui est remplie, suivant leur sentiment, par du feu, de l'eau ou quelqu'autre matiere que nous ne connoissons point.

La partie extérieure du globe, ou bien nous présente des inégalités, comme des montagnes & des vallées, ou est plane & de niveau, ou creusée en canaux, en fentes, en lits, &c. pour servir aux mers, aux rivieres, aux lacs, &c. Voyez RIVIERE, LAC, OCEAN, &c.

La plûpart des physiciens supposent, que ces inégalités sont provenues d'une rupture ou bouleversement des parties de la terre, laquelle a eu pour cause des feux ou des eaux souterraines.

Burnet, Stenon, Woodward, Whiston & d'autres supposent, que dans son origine & dans son état naturel, la terre a été parfaitement ronde, unie & égale ; & c'est principalement du déluge qu'ils tirent l'explication de la forme inégale & irréguliere que nous lui voyons ; sur quoi Voyez DELUGE, TREMBLEMENT DE TERRE, &c.

On trouve dans la partie extérieure de la terre différens lits qu'on suppose être des sédimens dont les eaux de differens déluges étoient chargées, c'est-à-dire des matieres de differentes especes qu'elles ont déposé, en se séchant ou en formant des marais. On croit aussi qu'avec le tems, ces differentes matieres se sont durcies en differens lits de pierre, de charbon, d'argile, de sable, &c.

Le dr. Woodward a examiné avec beaucoup d'attention ces differens lits, leur ordre, leur nombre, leur situation par rapport à l'horison, leur épaisseur, leurs intersections, leurs fentes, leur couleur, leur consistance, &c. & il a attribué l'origine de leur formation au grand déluge. Il suppose que dans cette terrible révolution, les corps terrestres furent dissous & se confondirent avec les eaux, & qu'ils y furent soutenus de façon à ne former avec elles qu'une masse commune. Cette masse des particules terrestres ayant donc été mêlée avec l'eau, se précipita ensuite au fond, selon cet auteur, & cela suivant les loix de la gravité, les parties plus pesantes s'enfonçant les premieres, puis de plus légeres, & ainsi de suite. Il ajoute que les differens lits dont la terre est composée se formerent par ce moyen, & qu'ayant acquis peu-à-peu de la solidité & de la dureté, ils ont subsisté depuis en cet état. Il prétend enfin, que ces sédimens ont été paralleles, puis concentriques, & que la surface de la terre qui en étoit formée étoit parfaitement unie & réguliere, mais que les tremblemens de terre, les éruptions des volcans, &c. y ayant produit peu-à-peu divers changemens, l'ordre & la régularité des couches se sont alterées ; desorte que la surface de la terre a pris la forme irréguliere que nous lui voyons à présent. Tout cela, comme l'on voit, est purement hypothétique & conjectural. Voyez à ce sujet, le premier article de l'hist. nat. de M. de Buffon.

TERRE, en Astronomie ; c'est, suivant le système de Copernic, l'une des planetes qu'on appelle premieres. Voici le caractere par laquelle on la désigne . Voyez PLANETE.

Dans l'hypothèse de Ptolémée, la terre est le centre du système. Voyez SYSTEME.

Le grand point qui distingue le système de Ptolémée & celui de Copernic, c'est que le premier de ces auteurs suppose la terre en repos, & que l'autre la fait mouvoir ; c'est-à-dire que l'un la met dans le centre, & fait tourner autour d'elle de l'orient à l'occident le soleil, les cieux & les étoiles ; au lieu que l'autre, supposant les cieux & les étoiles en repos, fait mouvoir la terre de l'occident à l'orient. Voyez SYSTEME DE COPERNIC & DE PTOLEMEE.

L'industrie des Astronomes de notre siecle a mis hors de doute le mouvement de la terre. Copernic, Gassendi, Kepler, Hoock, Flamsteed, &c. se sont surtout fait par là une réputation à jamais durable.

Il est vrai, que d'anciens philosophes ont soutenu ce même mouvement : Ciceron dit dans ses questions tusculanes, que Nicetas de Syracuse avoit découvert le premier, que la terre a un mouvement diurne, par lequel elle tourne autour de son axe dans l'espace de 24 heures ; & Plutarque de placit. philosoph. nous apprend, que Philolaüs avoit découvert son mouvement annuel autour du soleil. Environ cent ans après Philolaüs, Aristarque de Samos soutint le mouvement de la terre, en termes encore plus clairs & plus forts, suivant que nous l'apprend Archimede dans son traité de numero arenae.

Mais les dogmes trop respectés de la religion payenne, empêcherent qu'on ne suivît davantage ces idées ; car Cleanthes ayant accusé Aristarque de sacrilege, pour vouloir faire mouvoir de sa place la déesse Vesta & les autres divinités tutelaires de l'univers, les philosophes commencerent alors à abandonner un sentiment qui paroissoit si dangereux.

Plusieurs siecles après, Nicolas de Cusa, cardinal fit revivre cet ancien système ; mais ce sentiment ne fut pas fort en vogue jusqu'à Copernic, qui démontra ses grands usages & ses avantages dans l'Astronomie. Il eut bientôt pour lui tous ceux qui oserent se dépouiller d'un préjugé vulgaire & qui ne furent point effrayés de censures injustes. Aussi Kepler son contemporain n'hésite-t-il pas de dire ouvertement : Hodierno tempore praestantissimi quique philosophorum & astronomorum Copernico adstipulantur, secta est haec glacies ; vincimus suffragiis melioribus : caeteris penè sola obstat superstitio aut metus à Cleantibus.

Les argumens qu'on a allegués contre le mouvement de la terre, sont foibles ou frivoles. On objecte.

1°. Que la terre est un corps pesant & par conséquent, ajoute-t-on, peu propre au mouvement.

2°. Que si la terre tourne autour de son axe en vingt-quatre heures, ce mouvement devroit renverser nos maisons, nos bâtimens, &c.

3°. Que les corps ne tomberoient pas précisément sur les endroits qui sont au-dessous d'eux lorsqu'on les laisse échapper. Une balle, par exemple, qu'on laisseroit tomber perpendiculairement à terre, tomberoit en arriere de l'endroit sur lequel elle auroit été avant que tomber.

4°. Que ce sentiment est contraire à l'Ecriture.

5°. Qu'il contredit nos sens qui nous représentent la terre en repos, & le soleil en mouvement.

Les preuves qu'on donne du mouvement de la terre sont d'une espece bien différente, & portent à l'esprit une évidence à laquelle on ne sauroit se refuser ; ce qui vient de ce qu'elles sont tirées des observations & des phénomenes actuels & non des raisonnemens vagues ; les voici en raccourci : on y trouvera la réponse à celles des objections précédentes qui sont les moins déraisonnables.

1°. Le soleil doit également paroître en mouvement, & la terre en repos à un spectateur placé sur la terre, soit que le soleil se meuve, & que la terre soit en repos, soit qu'au contraire, ce soit le soleil qui reste en repos & la terre qui se meuve. Car supposons la terre en T (Pl. d'Astron. fig. 16.) & le soleil en I. Le soleil paroîtra alors en ; & supposant que le soleil se meuve dans une orbite qui entoure la terre de 1 en 2, il paroîtra ensuite en ; & s'il continue à aller en 3, il paroîtra en , desorte qu'il semblera toujours se mouvoir dans l'écliptique, suivant l'ordre des signes.

Supposons maintenant la terre en 1 & le soleil en T. Le soleil sera vu, ou paroîtra alors en ; que la terre avance de 1 à 2 ; & le Soleil paroîtra alors aux habitans de la terre avoir avancé de en , & si la terre parvient en 3, le soleil paroîtra s'être avancé de jusqu'en , & ainsi de suite, suivant l'ordre des signes de l'écliptique.

Le soleil paroîtra donc toujours également se mouvoir, soit qu'il se meuve réellement ou qu'il soit en repos, & ainsi on ne doit faire aucun cas de l'objection qu'on tire des apparences sensibles. Voyez VISION.

2°. Si l'on suppose qu'une des planetes se soit mue d'une certaine quantité de l'occident à l'orient, le soleil, la terre & les autres planetes, doivent paroître aux habitans de cette premiere planete s'être mue d'une même quantité en sens contraire. Car imaginons une étoile M, (fig. 55.) dans le zenith d'un habitant d'une planete placé en T, & supposant que la planete ait tourné sur son axe de l'occident à l'orient, le soleil paroîtra après un certain espace de tems être arrivé au zenith de T, puis l'étoile I paroîtra y être arrivée à son tour, puis N, puis la planete L, puis enfin l'étoile M, le soleil S, la planete L, & les étoiles j M N, paroîtront donc s'être m s en sens contraire autour de la planete. S'il y avoit donc des habitans dans les planetes, la sphere du monde, le soleil, les étoiles & les autres planetes devroient leur paroître se mouvoir autour d'eux de l'orient à l'occident. Or les habitans de notre planete, c'est-à-dire, de la terre, sont sujets aux mêmes illusions que les autres.

3°. Les orbites de toutes les planetes renferment le soleil comme leur centre commun. Mais il n'y a que les orbites des planetes supérieures qui renferment la terre, laquelle n'est cependant placée au centre d'aucune de ces orbites, suivant que nous l'avons fait voir dans les articles SOLEIL & PLANETE.

4°. Comme il est prouvé que l'orbite de la terre est située entre celle de Vénus & celle de Mars, il s'ensuit de-là que la terre doit tourner autour du soleil ; car puisqu'elle est renfermée dans les orbites des planetes supérieures, leur mouvement pourroit à la vérité lui paroître inégal & irrégulier sans cette supposition ; mais au-moins sans cela elles ne pourroient lui paroître stationnaires ni rétrogrades.

5°. Les orbites & les périodes des différentes planetes autour du soleil, de la lune autour de la terre, des satellites de Jupiter & de Saturne autour de ces deux planetes, prouvent que la loi de la gravitation sur la terre, sur Jupiter & sur Saturne, est la même que sur le soleil, & que les tems périodiques des différens corps qui se meuvent autour de chacune de ces planetes, sont dans une certaine proportion avec leurs distances respectives. Voyez PERIODE & DISTANCE.

Or il est certain que dans la supposition du mouvement annuel de la terre, son tems périodique se trouveroit suivre exactement cette loi ; ensorte qu'il y auroit entre son tems périodique & les tems périodiques de Mars & de Vénus, le rapport qui regne entre les tems périodiques des autres planetes ; c'est-à-dire, le rapport qui regne entre les racines quarrées des cubes des distances de ces planetes au soleil ; au-lieu qu'on s'écarte prodigieusement de cette loi, si on suppose que ce soit le soleil qui tourne autour de la terre. En effet, si la terre ne tourne pas autour du soleil, le soleil tournera donc, ainsi que la lune, autour de la terre. Or le rapport des distances du soleil & de la lune à la terre est de 22000 à 57 ; & la période de la lune est d'ailleurs moindre que de vingt-huit jours, il faudroit donc (pour que la proportion des tems périodiques eût lieu) que la révolution du soleil ne se fît qu'en plus de quarante-deux ans, au-lieu qu'elle n'est que d'une année. Cette réflexion seule a paru à M. Whiston d'assez grand poids pour terminer la dispute sur les deux systèmes, & pour établir le mouvement de la terre. Voyez REVOLUTION.

6°. Ou-bien les corps célestes tournent tous autour de la terre en 24 heures, ou-bien il faut que la terre tourne dans le même tems autour de son axe ; or les planetes qui tournent autour du soleil font leur révolution en plus ou moins de tems, suivant que leurs orbites sont plus ou moins grandes, c'est-à-dire, suivant qu'elles sont plus ou moins éloignées du soleil ; d'où il s'ensuit que si les étoiles & les planetes tournoient autour de la terre, elles feroient de même leur révolution en des tems inégaux, suivant que leurs orbites ou leurs distances seroient plus ou moins grandes ; au-moins seroit il vrai que les étoiles fixes qui sont à des distances si prodigieuses de la terre, ne sauroient se mouvoir autour d'elle en 24 heures, comme on suppose que le font les planetes les plus voisines.

7°. Dans tous les ouvrages de la nature qui sont soumis à notre connoissance, le créateur paroît agir par les moyens les plus courts, les plus aisés & les plus simples ; or, si la terre paroît être en repos, & si les étoiles se meuvent, la vîtesse des étoiles devra être immense, au-lieu qu'il ne faudroit, pour expliquer ces mêmes effets, que supposer à la terre un mouvement plus modéré.

En effet, la moyenne distance de la lune à la terre est de 57 demi-diametres de la terre ; ce qui, supposant le demi-diametre de la terre de 3440 milles géographiques, se monte à 196080 milles ; la circonférence du cercle diurne de la lune est donc de 1231380 milles, & par conséquent son mouvement horaire de 483308 milles ; desorte que dans chaque seconde (espece de tems moindre que celui qui est employé à chaque battement d'artere), la lune, quoique le plus lent de tous les corps célestes, parcourt 3 milles & 5/9, c'est-à-dire plus d'une lieue & demie. Voyez LUNE. De-plus la moyenne distance du soleil à la terre est de 22000 demi-diametres de la terre, ou de 75680000 milles géographiques ; d'où il s'ensuit que le mouvement diurne du soleil, lorsqu'il est dans l'équateur, devroit être de 475270400 milles, & que par conséquent dans l'espace d'une seconde il devroit parcourir 5480 milles géographiques, ou plus de 2000 lieues ; de-plus, la distance du soleil à la terre est à celle du soleil à Mars, comme 1 est à 2 ; à celle du soleil à Jupiter, comme un est à 5 & 1/4 ; & à celle du soleil à Saturne, comme 1 est à 9 : ainsi puisque les espaces diurnes, & tous les autres espaces semblables décrits dans un même tems, devroient être entr'eux comme ces distances ; Mars devroit donc dans un clin-d'oeil décrire 8222 milles, Jupiter 28688 milles, & Saturne 520652 milles, c'est-à-dire environ 20000 lieues : enfin, les étoiles fixes étant bien plus éloignées de la terre que Saturne, leur mouvement dans l'équateur ou auprès de l'équateur, devra donc être par cette raison beaucoup plus promt que celui de cette planete.

8°. Si la terre est en repos, & que les étoiles se meuvent d'un mouvement commun, les différentes planetes décriront chaque jour différentes spirales qui s'éloigneront jusqu'à un certain terme vers le nord, & retourneront ensuite vers le terme opposé du côté du sud dans des limites tantôt plus & tantôt moins étroites.

Car les différences des distances des planetes au zénith varient chaque jour, & elles augmentent jusqu'à un certain point vers le nord, & décroissent ensuite vers le sud ; ainsi puisqu'on trouve en même tems la hauteur du pole toujours la même, & que les planetes ne retournent pas au même point du méridien, on doit conclure de-là qu'elles décriront non pas des cercles, mais des spirales ; à quoi il faut ajouter que comme les différentes planetes ne conservent pas toujours la même distance de la terre, mais qu'elles s'en approchent quelquefois, & que d'autres fois elles s'en éloignent, elles décrivent donc de plus grandes spirales à de plus grandes distances, & de plus petites spirales à de plus petites distances : de plus, puisque leur mouvement devient plus lent lorsque la planete est plus éloignée de la terre, il s'ensuit de-là que les plus grandes spirales devront être décrites en moins de tems que les plus petites ; or, toute cette complication de mouvemens en spirale peut-elle être admise, lorsqu'on a un moyen si simple d'y suppléer, en admettant le mouvement de la terre ?

9°. On trouve que la force de la gravité décroît à mesure qu'on approche de l'équateur, & cela arrive dans tous les corps qui ont un mouvement sur leur axe ; & dans ceux-là seulement, parce que c'est en effet le résultat nécessaire d'un pareil mouvement. Voyez GRAVITE & FIGURE DE LA TERRE.

En effet, lorsqu'un corps tourne sur son axe, toutes les parties, ou tous les corps qui lui appartiennent, font un effort continuel pour s'éloigner du centre ; ainsi l'équateur étant un grand cercle, & les paralleles allant toujours en diminuant vers les poles, c'est dans l'équateur que la force centrifuge est la plus grande, & elle décroît vers les poles en raison des diametres des paralleles, à celui de l'équateur. Or la force de la gravité détermine les différentes parties vers le centre du système total ; & par conséquent la force centrifuge qui agit en sens contraire de la force de la gravité, retarde la descente des graves, & elle la retarde d'autant plus qu'elle est plus grande. Le docteur Keill prouve par le calcul que la force de la gravité est à la force centrifuge vers l'équateur, comme 289 est à 1, & que par conséquent les corps qui s'y trouvent y perdent 1/289, partie du poids qu'ils auroient si la terre étoit en repos. La force centrifuge étant donc extrêmement petite vers les poles, les corps qui ne pesent à l'équateur que 288 liv. peseront aux poles 289 livres ; or, on a remarqué en effet que la pesanteur est moindre à l'équateur qu'aux poles. La terre tourne donc sur son axe.

10°. Voici une démonstration du mouvement de la terre tirée des causes physiques, nous en sommes redevables aux découvertes de M. Newton ; & le docteur Keill la regarde comme très-concluante, & même sans replique.

Il est démontré que toutes les planetes gravitent sur le soleil, & toutes les expériences confirment que le mouvement soit de la terre autour du soleil, soit du soleil autour de la terre, se fait de maniere que les aires décrites par les rayons recteurs de celui de ces deux corps qui est mobile, sont égaux en tems égaux, ou sont proportionnels au tems ; mais il est démontré aussi que lorsque deux corps tournent l'un autour de l'autre, & que leurs mouvemens sont réglés par une pareille loi, l'un doit nécessairement graviter sur l'autre. Or si le soleil gravite dans son mouvement sur la terre, comme l'action & la réaction sont d'ailleurs égales & contraires, la terre devra donc pareillement graviter sur le soleil. De plus, le même auteur a démontré que lorsque deux corps gravitent l'un sur l'autre, sans s'approcher directement l'un de l'autre en ligne droite, il faut qu'ils tournent l'un & l'autre autour de leur centre commun de gravité. Le soleil & la terre tournent donc autour de leur centre commun de gravité ; mais le soleil est un corps si grand par rapport à la terre, laquelle n'est, pour ainsi-dire, qu'un point par rapport à lui que le centre commun de gravité de ces deux corps, doit se trouver dans le soleil même, & peu loin de son centre ; la terre tourne donc autour d'un point qui est situé dans le corps du soleil ; & on peut dire par conséquent qu'elle tourne autour du soleil.

En un mot, supposer la terre en repos, c'est confondre & détruire tout l'ordre & toute l'harmonie de l'univers ; c'est en renverser les loix ; c'est en faire combattre toutes les parties les unes avec les autres ; c'est vouloir enlever au créateur la moitié de la beauté de son ouvrage, & aux hommes le plaisir de l'admirer. En effet, on rend par-là inexpliquables & inutiles les mouvemens des planetes ; & cela est si vrai, que ceux des astronomes modernes qui avoient soutenu cette opinion avec le plus de zèle, ont été obligés de l'abandonner lorsqu'ils ont voulu calculer les mouvemens des planetes. Aucun d'eux n'a jamais tenté de calculer ces mouvemens dans des spirales variables, mais ils ont tous supposé tacitement dans leur théorie que la terre se mouvoit sur son axe, & ils ont changé par-là les mouvemens diurnes en cercles.

Riccioli, par exemple, qui par ordre du pape, s'opposa de toutes ses forces au mouvement diurne de la terre, comme contraire à l'Ecriture-sainte, fut cependant obligé, pour construire des tables qui se rapportassent un peu aux observations, d'avoir recours au mouvement de la terre.

C'est ce qu'avoue franchement le P. de Chales de la même société P. Ricciolus nullas tabulas aptare potuit quae vel mediocriter observationibus responderent, nisi secundum systema terrae motae ; & cela quoiqu'il s'aidât de tous les secours étrangers qu'il pouvoit tirer des épicycles.

Le systême qui suppose la terre en repos, est donc par lui-même absolument inutile dans l'Astronomie, & on n'en doit pas faire beaucoup de cas en Physique, puisque ceux qui le soutiennent sont obligés à tout moment d'avoir recours à l'action immédiate de la divinité, ou-bien à des raisons & à des principes inconnus.

Il y a des auteurs qui rejettent le mouvement de la terre comme contraire à la révélation, parce qu'il est fait mention dans l'Ecriture-sainte du lever & du coucher du soleil ; qu'il y est dit, par exemple, que le soleil s'arrêta dans le tems de Josué, & qu'il recula dans le tems d'Ezéchias.

Mais on ne doit entendre autre chose par le lever du soleil, que le retour de son apparition sur l'horison au-dessous duquel il avoit été caché ; & par son coucher, autre chose que son occultation au-dessous de l'horison après avoir été visible pendant un tems au-dessus ; ainsi lorsque l'Esprit-saint dit dans l'Eclésiaste, le soleil se leve & se couche, & revient à l'endroit d'où il étoit parti, il n'entend par-là rien autre chose, sinon que le soleil qui auparavant avoit été caché, se voit de nouveau sur l'horison ; & qu'après avoir paru, il se cache de nouveau pour reparoître ensuite à l'orient ; car c'est-là ce qui paroît à une personne qui voit le soleil, & par conséquent c'est cela, & rien de plus que les Ecritures ont dû avoir en vue.

De-même lorsque dans Josué, x. 12. 13. il est dit que le soleil & la lune se sont arrêtés, ce qu'on doit entendre dans cet endroit par le mot de station, c'est que ces luminaires n'ont point changé de situation par rapport à la terre ; car en disant, soleil, arrête-toi sur Gédéon, & toi lune sur la vallée d'Ayalon, ce général du peuple de Dieu n'a pu demander autre chose, sinon que le soleil qui paroissoit alors sur cette ville ne changeât point de situation ; or de ce qu'il demande au soleil de s'arrêter dans la même situation, on seroit très-mal fondé à conclure que le soleil tourne autour de la terre, & que la terre reste en repos.

Gassendi distingue fort à-propos à ce sujet deux livres sacrés : l'un écrit qu'on appelle la bible, l'autre qu'on appelle la nature ou le monde ; c'est ce qu'il développe dans ce passage singulier. " Dieu s'est manifesté lui-même par deux lumieres, l'une celle de la révélation, & l'autre celle de la démonstration ; or les interprêtes de la premiere sont les théologiens, & les interprêtes de l'autre sont les mathématiciens ; ce sont ces derniers qu'il faut consulter sur les matieres dont la connoissance est soumise à l'esprit, comme sur les points de foi on doit consulter les premiers ; & comme on reprocheroit aux mathématiciens de s'éloigner de ce qui est de leur ressort, s'ils prétendoient revoquer en doute, ou rejetter les articles de foi, en vertu de quelques raisonnemens géométriques, aussi doit-on convenir que les théologiens ne s'écartent pas moins des limites qui leur sont marquées, quand ils se hasardent à prononcer sur quelque point des sciences naturelles au-dessus de la portée de ceux qui ne sont pas versés dans la géométrie & dans l'optique, en se fondant seulement sur quelque passage de l'Ecriture-sainte, laquelle n'a prétendu nous rien apprendre là-dessus ".

Après avoir ainsi prouvé le mouvement de la terre, il faut observer de plus que la terre va dans son orbite de maniere que son axe se maintient constamment parallele à lui-même. Voyez AXE & PARALLELISME.

L'axe de la terre a cependant un petit mouvement autour des poles de l'écliptique ; c'est de ces mouvemens que dépend la précession des points équinoxiaux. Voyez MUTATION & PRECESSION.

Sur l'inclinaison de l'axe de la terre, voyez INCLINAISON, ECLIPTIQUE & OBLIQUITE.

TERRE, en Géométrie, est ce globe mêlé de parties solides & fluides que nous habitons. Voyez TERRAQUEE ; voyez aussi OCEAN, MER, CONTINENT, &c. Wolf & Chambers. (O)

TERRE, couches de la, (Hist. nat. Minéralogie) strata telluris ; l'on nomme couches de la terre les différens lits, ou bancs de terres, de pierres, de sables, &c. dont notre globe est composé. Pour peu qu'on observe la nature, on s'apperçoit que le globe que nous habitons est recouvert d'un grand nombre de différentes substances, disposées par couches horisontales & paralleles les unes aux autres, lorsque quelque cause extraordinaire n'a point mis obstacle à ce parallélisme. Ces couches varient en différens endroits, pour le nombre, pour leur épaisseur, & pour la qualité des matieres qu'elles contiennent ; dans quelques terreins on ne trouvera en fouillant à une très-grande profondeur, que deux, trois, ou quatre couches différentes ; tandis que dans d'autres, on trouvera trente ou quarante couches placées les unes au-dessus des autres. Quelques couches sont purement composées de terres, telles que la glaise, la craie, l'ochre, &c. d'autres sont composées de sable, de gravier ; d'autres sont remplies de cailloux & de galets, ou de pierres arrondies, semblables à celles que l'on trouve sur le bord des mers & des rivieres ; d'autres contiennent des fragmens de roches qui ont été arrachés ailleurs & rassemblés dans les lieux où on les trouve actuellement ; d'autres couches ne sont composées que d'une roche suivie, qui occupe un espace de terrein quelquefois très-considérable ; ces roches ne sont point par-tout de la même nature de pierre ; tantôt c'est de la pierre à chaux, tantôt c'est du gypse, du marbre, de l'albâtre, du grais, du schiste, ou de l'ardoise, & souvent il arrive que la roche qui forme une couche, est elle-même composée de plusieurs bancs, ou lits de pierres, qui différent entr'elles : on trouve des couches qui sont remplies de matieres bitumineuses ; c'est ainsi que sont les mines de charbon de terre. Voyez CHARBON MINERAL. D'autres sont un amas de matieres salines ; c'est ainsi que se trouvent le natron, & le sel gemme. Voyez ces articles.

Plusieurs couches enfin, ne sont que des amas de substances métalliques, & de mines qui semblent avoir été transportés par les eaux dans les endroits où nous les trouvons, après avoir été arrachées des endroits où elles avoient pris naissance. Voyez l'article MINES. Toutes ces différentes couches sont quelquefois remplies de coquilles, de madrepores, de corps marins, de bois, & d'autres substances végétales, d'ossemens de poissons & de quadrupedes, & d'un grand nombre de corps entierement étrangers à la terre.

Toutes ces circonstances qui accompagnent les couches de la terre, ont de tout tems exercé l'imagination des physiciens ; ils ont cherché à rendre raison de l'arrangement qu'ils y remarquoient, & des autres phénomènes qu'elles présentent : la position horisontale de la plûpart de ces couches, & la situation parallele qu'elles observent entr'elles, ont fait aisément sentir qu'il n'y avoit que les eaux qui eussent pû leur donner cet arrangement uniforme. Une expérience très simple suffit pour confirmer cette idée ; si l'on jette dans un vase plein d'eau, quelques poignées de terre, de sable, de gravier, &c. chacune de ces substances s'y déposera plus tôt, ou plus tard, en raison de sa pesanteur spécifique, & le tout formera plusieurs couches qui seront paralleles les unes aux autres : cela posé, on a conclu qu'il falloit que les couches de la terre eussent aussi été formées par des substances qui avoient été délayées dans un fluide immense, d'où elles se sont successivement déposées. Comme l'histoire ne nous a point conservé le souvenir d'une inondation plus universelle que celle du déluge, les naturalistes n'ont point fait difficulté de le regarder comme le seul auteur des couches de la terre ; parmi ceux qui ont adopté ce sentiment, Woodward occupe le premier rang ; il suppose que les eaux du déluge ont détrempé & délayé toutes les parties de notre globe, & que lorsque les eaux se retirerent, les substances qu'elles avoient détrempées, se déposerent & formerent les différens lits dont nous voyons la terre composée. Cette hypothèse, plus ingénieuse que vraie, a eu un grand nombre de sectateurs ; cependant pour peu que l'on y fasse attention, on verra que le prétendu détrempement de toute la masse de notre globe, est une idée très-chimérique. De plus, il n'est point vrai que les couches de la terre se soient déposées en raison de leur pesanteur spécifique, vû que souvent quelques-unes de ces couches, composées de substances plus légeres, sont au-dessous de couches composées de matieres plus pesantes.

En général le déluge n'est point propre à rendre raison de la formation des couches dont nous parlons ; on ne peut nier qu'il n'en ait produit quelques-unes ; mais ce seroit se tromper, que de les lui attribuer toutes indistinctement, comme ont fait quelques auteurs. En effet, comment concevoir qu'une inondation passagere, qui, suivant le recit de Moïse, n'a pas même duré une année, ait pu produire toutes les couches de substances si différentes, dont les différentes parties de notre globe sont composées ?

Le sentiment le plus vraisemblable sur la formation des couches de la terre, est celui qui en attribue la plus grande partie au séjour des mers qui ont successivement, & pendant plusieurs siecles, occupé les continens qui sont aujourd'hui habités. C'est au fond de ces mers que se sont déposées peu-à-peu les différentes substances que leurs eaux avoient détrempées ; les fleuves qui se rendent dans les mers, charrient sans-cesse un limon qui ne peut manquer à la longue de former des dépôts immenses, qui haussent le lit de ces mers, & les force à se jetter vers d'autres endroits. Notre globe étant exposé à des révolutions continuelles, a dû changer de centre de gravité, ce qui a fait varier l'inclinaison de son axe, & ce mouvement a pu suffire pour mettre à sec quelques portions du globe, & pour en submerger d'autres. La disposition & la nature de quelques couches de la terre, nous fournissent même des preuves convainquantes que les eaux de la mer ont couvert & ont abandonné à plusieurs reprises, les mêmes endroits de la terre. Voyez l'article FOSSILES.

Ce seroit cependant se tromper, que d'attribuer à la mer seule la formation de toutes les couches que nous voyons sur la terre ; les débordemens des rivieres portent sur les terreins qu'elles inondent, une quantité prodigieuse de limon, qui au-bout de plusieurs siecles, forment des lits que l'oeil distingue facilement, & par lesquels on pourroit compter le nombre des débordemens de ces rivieres, dont le lit parlà même est souvent forcé de changer.

Quelques pays présentent aux yeux des couches d'une nature très-différente de celle dont nous avons parlé jusqu'ici ; ces couches sont des amas immenses de cendres, de pierres calcinées & vitrifiées, de pierres ponces, &c. Il est aisé de sentir que ces sortes de couches n'ont point été produites par les eaux ; elles sont l'ouvrage des embrasemens souterrains & des volcans, qui dans différentes éruptions ont vomi ces matieres à des intervalles quelquefois très-éloignés les uns des autres : telles sont les couches que l'on trouve en Sicile près du mont Etna, en Italie près du mont Vésuve, en Islande près du mont Hécla, &c. c'est l'inspection de ces sortes de couches, qui a fait croire à Lazzaro Moro, que toutes les couches de la terre n'avoient été produites que par des volcans, d'où l'on voit qu'il a étendu à tout notre globe les phénomènes qui n'existoient que dans la contrée qu'il habitoit, & dans d'autres qui sont sujettes aux mêmes révolutions.

Un grand nombre de montagnes ne sont formées que d'un assemblage de couches de terre, de pierres, de sable, &c. placés les uns au - dessus des autres. On a fait voir en quoi elles différent des montagnes primitives, qui sont aussi anciennes que le monde. Voyez l'article MONTAGNES. Les montagnes par couches sont d'une formation plus récente que les autres, puisqu'elles contiennent souvent des substances qui ne sont que des débris des montagnes primitives. Quelques-unes des montagnes composées de couches, sont souvent très-élevées. M. Sulzer a fait en Suisse une observation qui prouve qu'elles ont été couvertes autrefois par les eaux ; en effet ce savant naturaliste a trouvé que le mont Rigi étoit couvert d'une couche, composée d'un amas de cailloux & de pierres roulées de toutes sortes d'especes, & liées par un gluten sablonneux & limoneux, qui n'en faisoit qu'une seule masse.

A l'égard du dépôt qui a formé les couches de la terre, il ne s'est point toujours fait de la même maniere ; quelquefois ce dépôt s'est fait dans des eaux tranquilles, & sur un fond uni ; alors les couches produites par ce dépôt, se sont trouvées horisontales & unies ; mais lorsque le dépôt est venu à se faire dans des eaux violemment agitées, ces couches ont eu des inégalités, voilà pourquoi l'on rencontre quelquefois des lits dans lesquels on remarque comme des bosses & des ondulations, & des substances en désordre & confondues ensemble. Lorsque le dépôt des matieres détrempées & charriées par les eaux, s'est fait contre la crouppe d'une montagne primitive, les couches qui ont été déposées, ont dû nécessairement prendre la même inclinaison que le terrein qui leur a servi d'appui ; de-là vient l'inclinaison que l'on remarque dans de certaines couches.

Enfin l'on remarque que les couches de la terre sont quelquefois brisées & interrompues dans leur cours ; il paroît naturel d'attribuer ces interruptions aux ébranlemens causés par les tremblemens de terre, par les affaissemens de certains terreins, occasionnés par les excavations qu'ont faites les eaux souterraines. (-)

TERRE, révolutions de la, (Hist. nat. Minéralogie) pour peu que l'on jette les yeux sur notre globe, on trouve des preuves convaincantes qu'il a dû éprouver autrefois, & qu'il éprouve encore de tems à autres, des changemens très-considérables. Les physiciens ont donné le nom de révolutions aux événemens naturels par lesquels la terre est altérée en tout, ou dans quelques-unes de ses parties. L'histoire nous a transmis la mémoire d'un grand nombre de ces révolutions ; mais il y en a un plus grand nombre encore qui est demeuré dans la nuit des tems, & dont nous ne sommes assurés que par les débris & les ravages dont nous voyons des traces dans presque toutes les parties du globe que nous habitons : c'est ainsi que Moïse nous a transmis dans la Genèse, le souvenir du déluge universel ; l'histoire profane nous a parlé des déluges de Deucalion & d'Ogygès ; mais aucuns monumens historiques ne nous ont appris l'époque de plusieurs autres révolutions très-marquées, qui ont considérablement alteré la surface de la terre.

Ces révolutions de la terre sont de deux especes, il y en a qui se sont fait sentir à la masse totale de notre globe, & l'on peut les appeller générales ; d'autres n'operent des changemens que dans de certains lieux, nous les appellerons locales ; quelques-uns de ces changemens sont opérés par des causes qui agissent sans-cesse ; d'autres sont opérés par des causes momentanées.

Tous les physiciens conviennent aujourd'hui que la terre s'est applattie par ses pôles, & qu'elle s'est par conséquent étendue vers l'équateur. On a lieu de présumer pareillement que l'axe de la terre a changé d'inclinaison & de centre de gravité ; il est aisé de sentir que des changemens de cette nature, ont dû faire une impression très-forte sur la masse totale de notre globe ; ils ont dû changer totalement le climat de certains pays, en présentant au soleil des points de la terre différemment de ce qu'ils étoient auparavant ; ils ont dû submerger les parties de la terre qui étoient continent, & en mettre à sec d'autres qui servoient de bassin ou de lit à la mer ; & ces changemens si considérables ont pu influer sur les productions de la nature, c'est-à-dire, faire disparoître de dessus la terre certaines especes d'êtres, & donner naissance à des êtres nouveaux : telles sont les révolutions les plus générales, que nous présumons avoir été éprouvées par la terre.

Il en est d'autres qui sans avoir entierement changé la face de la terre, n'ont pas laissé de produire sur elle des altérations très-considérables ; de ce nombre sont sur-tout les tremblemens de terre ; par leurs moyens nous voyons que les montagnes sont fendues, & quelquefois englouties dans le sein de la terre ; des lacs, des mers viennent prendre la place du continent ; les rivieres sont forcées de changer leur cours ; des terreins immenses sont abîmés & disparoissent ; des îles & des terres nouvelles sortent du fond des eaux. Voyez TREMBLEMENS DE TERRE.

Une expérience journaliere & funeste nous apprend que les vents déchaînés, poussent souvent avec violence les eaux des mers, sur des portions du continent qu'elles inondent, & d'où ensuite elles ne peuvent plus se retirer. Ces mêmes causes arrachent quelquefois des parties considérables de la terre ferme, & en font des îles : c'est ainsi que l'on est en droit de présumer que la Sicile a été autrefois arrachée de l'Italie ; la Grande-Bretagne a été séparée du continent de la France ; les îles de l'Archipel du continent de l'Asie, &c.

Ces effets ont été quelquefois produits par plusieurs causes combinées ; les feux souterreins & les tremblemens de terre ont souvent frayé la route aux eaux des mers, qui elles-mêmes ont été mises dans un mouvement impétueux par les vents, & alors les ravages ont été plus terribles.

Des causes moins violentes operent encore des altérations très-frappantes à la surface de notre globe ; les eaux des pluies détrempent & détachent peu-à-peu les terres & les pierres des montagnes, & s'en servent pour combler les vallées ; les rivieres entraînent sans cesse un limon très-abondant, qui au bout de quelques siecles forme des terres aux endroits qui auparavant étoient entierement couverts par les eaux ; c'est ainsi que l'on peut conjecturer que les eaux du Rhin ont formé peu-à-peu le terrein de la Hollande. C'est ainsi que les eaux du Rhône ont vraisemblablement produit l'île de la Camargue. Les eaux du Nil ont formé à l'embouchure de ce fleuve le Delta, &c. Les eaux de la Seine ont produit les mêmes effets en Normandie.

La force de l'air & des vents suffisent pour transporter des montagnes entieres de sable, & par-là d'un pays fertile en font un desert aride & affreux ; nous en avons un exemple dans les déserts de la Libye & de l'Arabie.

Les volcans en vomissant de leurs flancs des amas immenses de cendres, de sable, de pierres calcinées, de lave, alterent totalement la face des terreins qui les environnent, & portent la destruction dans tous les lieux qui en sont proches. Voyez VOLCAN.

Nous voyons toutes ces causes, souvent réunies, agir perpétuellement sur notre globe ; il n'est donc point surprenant que la terre ne nous offre presque à chaque pas qu'un vaste amas de débris & de ruines. La nature est occupée à détruire d'un côté pour aller produire de nouveaux corps d'un autre. Les eaux travaillent continuellement à abaisser les hauteurs & à hausser les profondeurs. Celles qui sont renfermées dans le sein de la terre la minent peu-à-peu, & y font des excavations qui détruisent peu-à-peu ses fondemens. Les feux souterreins brisent & détruisent d'autres endroits ; concluons donc que la terre a été & est encore exposée à des révolutions continuelles, qui contribuent sans-cesse, soit promtement, soit peu-à-peu, à lui faire changer de face. Voyez les articles FOSSILES, TREMBLEMENT DE TERRE, VOLCANS, LIMON, TERRE, couches de la terre, &c. (-)

TERRE, (Chymie & Physique) c'est un corps solide qui sert de base à tous les autres corps de la nature. En effet, toutes les expériences & les analyses de la chymie, lorsqu'elles sont poussées jusqu'où elles peuvent aller, nous donnent une terre ; c'est-là ce qui a fait regarder la terre comme un principe élémentaire des corps ; mais c'est une erreur que de la regarder comme un élément, ou comme un corps parfaitement simple ; toutes les terres que nous pouvons appercevoir par nos sens, sont dans un état de combinaison & de mixtion, & quelquefois d'aggrégation, & même de sur composition. Ce sont les différentes combinaisons de la terre, ses différentes élaborations & atténuations ; qui leur donnent des propriétés si variées, & quelquefois si opposées.

Le célebre Beccher regarde tous les corps de la nature comme composés de trois terres, dont les différentes combinaisons & proportions produisent des êtres si variés. La premiere terre est celle qu'il appelle vitrescible ; elle se trouve dans les sels, dans les cailloux, dans les métaux, & c'est à elle qu'est dûe la propriété de se vitrifier par l'action du feu.

La seconde terre de Beccher est celle qu'il nomme sulfureuse ou inflammable, & que Stahl a depuis nommé phlogistique. C'est cette terre qui donne aux corps de la nature l'éclat, la couleur, l'odeur & la propriété de s'enflammer. Voyez l'article PHLOGISTIQUE.

La troisieme est, suivant Beccher, la terre mercurielle, elle est propre aux métaux, & leur donne la faculté d'entrer en fusion ; tandis que les deux autres terres leur sont communes avec les végétaux & les animaux. Voyez METAUX.

Quelque dénomination qu'on veuille donner à ces différentes terres, il est certain que les analyses chymiques nous font trouver des terres de nature différente dans tous les corps qui tombent sous nos sens. Il n'est point douteux que l'eau la plus pure ne contienne une portion de terre avec laquelle elle est intimement combinée, au point de ne point perdre sa transparence ; cette terre se montre aussitôt qu'on fait évaporer l'eau ; c'est ainsi qu'une goutte d'eau de pluie mise sur une glace bien nette, y laisse une tache après qu'elle est évaporée. Tous les sels tant acides qu'alkalins, tant fluides que solides, ne sont que des terres combinées avec de l'eau.

L'air contient une portion sensible de terre. L'eau contenue dans l'air est chargée de ce principe ; les vapeurs, les fumées, les émanations qui s'élevent dans notre athmosphere ne peuvent manquer d'y porter sans-cesse une grande quantité de terres diversement modifiées.

Ce sont des particules inflammables, c'est-à-dire des terres qui servent d'aliment au feu. En appliquant l'action du feu à toutes les substances tant végétales qu'animales & minérales, le résultat est toujours une terre ; on la trouve dans les cendres, dans la suie, dans les sels, dans les huiles, dans la partie aqueuse que l'on nomme phlegme ; en un mot dans tous les produits des opérations qui se font à l'aide du feu, les végétaux & les animaux donnent une terre lorsqu'ils entrent en pourriture ; mais toutes ces terres n'ont point les mêmes propriétés : d'où il est aisé de conclure qu'elles ne sont point parfaitement pures, mais dans un état de combinaison.

C'est la terre qui sert de base à toutes ces substances, c'est elle qui est la cause de leur accroissement & de leur entretien ; les pierres, les métaux ne sont que des composés de terres. Mais vainement cherche-t-on dans la nature une terre pure, si elle existoit seule, elle échapperoit à tous nos sens ; ainsi quand on parle d'une terre pure, cette pureté n'est que relative. (-)

TERRE, (Hist. nat. Minéral.) on a vu dans l'article qui précede ce que les chymistes entendent par terre ; nous allons examiner ici la nature des substances, à qui on donne ce nom dans la minéralogie.

On peut définir les terres des substances fossiles solides, composées de particules déliées qui n'ont que peu ou point de liaison entr'elles, qui ne sont point solubles dans l'eau, qui demeurent fixes au feu, & qui quand elles sont pures, n'ont ni saveur, ni odeur.

Les différentes terres que l'on rencontre sur notre globe varient considérablement pour leurs couleurs, leurs mêlanges & leurs propriétés, c'est-là ce qui a déterminé les naturalistes à en faire différentes classes relativement à ces propriétés. Woodward divise toutes les terres, 1°. en celles qui sont onctueuses ou douces au toucher ; 2°. en celles qui sont rudes au toucher. Stahl, relativement aux effets que l'action du feu produit sur les terres, les divise en terres vitrifiables, c'est-à-dire, que l'action du feu change en verre, & en calcinables, que le feu convertit en chaux. Woltersdorf divise les terres en argilleuses, dont la propriété est de prendre de la liaison dans l'eau & de durcir dans le feu, & en alkalines, qui comme les sels alkalis se dissolvent par les acides, & que l'action du feu convertit en chaux. Cartheuser, dans sa minéralogie, fait deux classes de terres ; il appelle les premieres terres dissolubles. Ce sont celles qui sont propres à se détremper, & rester quelque tems mêlées avec l'eau, telles sont les argilles, les terres savonneuses, &c. Il nomme les secondes terres indissolubles ; ce sont celles qui ne se détrempent point dans l'eau, & qui se déposent promtement au fond ; telles sont la craie, la marne, &c.

Le célebre Wallerius divise les terres en quatre classes. La premiere est celle des terres en poussiere, elles n'ont aucune liaison, sont seches au toucher, ne se détrempent point dans l'eau, & n'y prennent point de corps ; mais elles s'y gonflent & occupent un plus grand espace. Il les nomme terres maigres, & les soudivise en deux genres ; savoir, le terreau, humus, & la craie.

2°. Les terres onctueuses ou compactes, telles que les argilles, dont les parties ont de la ténacité, qui paroissent grasses au toucher, qui se détrempent dans l'eau, & peuvent ensuite prendre une forme.

3°. Les terres composées, ce sont celles qui sont mêlées de substances étrangeres, salines, métalliques, bitumineuses, sulphureuses, &c.

4°. Les sables qui doivent avec plus de raison être mis au rang des pierres que des terres.

Enfin M. Emanuel Mendez Dacosta, de la société royale de Londres, a divisé les terres en trois classes, qu'il soudivise en sept genres. Selon cet auteur, 1°. la premiere classe est celle des terres qui sont naturellement humides, d'un tissu compacte & douces au toucher, telles sont les terres bolaires, les argilles & les marnes.

2°. La seconde classe est celle des terres qui sont naturellement séches, d'un tissu lâche, & qui sont rudes au toucher ; dans cette classe on met la craie & les ochres.

3°. La troisieme classe est celle des terres composées, elles sont mêlangées de substances étrangeres qui font qu'elles ne sont jamais pures ; telles sont les glaises & le terreau.

Telles sont les principales divisions que les minéralogistes nous ont données des terres ; il est aisé de sentir qu'elles sont purement arbitraires, & fondées sur les différens points de vue sous lesquels ils ont considéré ces substances, & l'on voit que souvent ils se sont arrêtés à des circonstances purement accidentelles, & qui ne nous peuvent rien apprendre sur les qualités essentielles qui mettent de la différence entre les terres.

Quelques auteurs ont fait différentes classes des terres, & leur ont assigné des dénominations d'après les usages auxquels on les employoit dans les arts & métiers ; c'est ce qui a donné lieu aux divisions des terres en médecinales & en méchaniques ; par les premieres, on entend celles que le préjugé ou l'expérience a fait trouver propres aux usages de la médecine & de la pharmacie, telles que les terres bolaires, les terres sigillées, dont l'efficacité n'est communément dûe qu'aux parties ferrugineuses & étrangeres qui y sont mêlées dans différentes proportions, tandis que ces terres n'agissent point du tout par elles-mêmes, ou si elles agissent, ce ne peut être que comme absorbantes, & alors elles sont calcaires, parce que les terres calcaires étant les seules qui se dissolvent par les acides, sont aussi les seules qui peuvent passer dans l'économie animale ; quant aux terres argilleuses & non calcaires, les substances avec qui elles sont mêlées peuvent produire quelqu'effet, mais les terres elles-mêmes sont incapables de passer audelà des premieres voies dans le corps humain, n'étant point solubles dans les acides, & par conséquent elles ne peuvent y rien produire, sinon d'obstruer, d'embarrasser, & de charger l'estomac de ceux à qui on le donne.

Les terres méchaniques sont celles que l'on employe dans différens arts & métiers, telles sont les terres colorées dont on se sert dans la peinture, les terres à potier, les terres à foulon, les terres à pipes, les terres à porcelaine, &c.

On a encore donné différentes dénominations aux terres, selon les noms des différens endroits dont on les fait venir, c'est ainsi qu'on a appellé la terre de Lemnos, terre cimolée, terre de Cologne, &c.

Quoi qu'il en soit de ces différentes divisions & dénominations de terres, il est certain que le regne minéral ne nous en offre point qui soient parfaitement pures, elles sont toujours mêlangées de plus ou moins de substances étrangeres qui sont la cause de leurs couleurs, de leur saveur & des autres qualités que l'on y découvre. Les végétaux, les animaux & les minéraux se décomposent sans-cesse à l'aide du mouvement, les eaux se chargent de molécules qui en ont été détachées, & elles vont porter ces molécules à la terre, qui par-là devient impure & mêlangée. L'air lui-même est chargé de particules salines, volatiles & inflammables, qu'il doit nécessairement communiquer aux terres qu'il touche & qu'il environne, c'est donc un être de raison qu'une terre parfaitement pure. (-)

TERRES des îles Antilles, (Minéralogie) toutes les différentes terres dont le sol des îles Antilles est composé, sont tellement remplies de particules métalliques, qu'on pourroit les regarder en général comme des terres minérales. Mais si on les considere avec attention, il sera aisé de les distinguer en terres purement minérales, servant, pour ainsi dire, de matrice à la formation des minéraux & en terres accidentellement minérales, c'est-à-dire que les minéraux tous formés s'y trouvent mêlés & confondus par des causes étrangeres ; ce que l'on peut attribuer aux bouleversemens occasionnés par les tremblemens de terre, aux pluies abondantes, & aux torrens grossis qui se précipitant du haut des montagnes inondent le fond des vallées, délayent les terres & y déposent les particules minérales entraînées par la force du courant. D'après cette distinction, il se forme naturellement deux classes. La premiere comprend toutes les especes de terres bitumineuses & sulphureuses, les terres vitrioliques, les alumineuses, celles même qui contiennent du sel marin, les ochres rouges & jaunes hauts en couleur, & généralement toutes les terres de substance métallique.

Dans la seconde classe sont les terres meubles, propres à la culture, les différentes sortes d'argilles, comme les glaises, les terres à potier, les marnes, les terres bolaires & les especes de craie. Les sables peuvent être compris dans cette seconde classe, étant plus ou moins mêlés de substances minérales, & de particules métalliques ferrugineuses, toutes formées & attirables par l'aimant, ainsi que je l'ai éprouvé plusieurs fois.

Selon la nature de ces terres, on y trouve beaucoup de roches & de pierres détachées, composées des mêmes substances, mais plus atténuées & mieux liées, sans cependant être moins apparentes au coup-d'oeil.

Les terres des îles Antilles propres à la culture sont de différentes couleurs, on en voit de grises mêlées de petites pierres ponces, comme il s'en trouve beaucoup aux quartiers du fort S. Pierre, du Corbet, du Prêcheur & de la basse-pointe à la Martinique ; les terres rouges du morne des casseaux à la Capsterre de la même île, étant lavées par les pluies, présentent à l'oeil une multitude de paillettes noires, très-brillantes, qui ne sont autre chose que du fer tout formé & attirable par l'aimant. Les mornes rouges & de Cambala en l'île de la Grenade contiennent beaucoup d'une pareille terre, mais dont les paillettes sont moins apparentes ; cette espece ne manque pas à la Guadeloupe ; elle durcit beaucoup en se séchant, & se divise en grosses masses presque parallélepipedes, ou à-peu-près cubiques, lorsqu'elle a été étendue par couches de l'épaisseur d'un pié.

La plûpart des terres jaunâtres contiennent du gravier, on y trouve quelquefois des marcassites brillantes, qui, étant poussées au feu, se dissipent en fumées sulphureuses.

Certaines terres brunes mêlées de jaune, contiennent beaucoup de fer ; on en voit de cette espece en l'île de la Grenade, au quartier des sauteurs, près de Levera, chez le sieur Louis le jeune, au pié d'un gros rocher, dont les éclats brillent comme de l'acier poli. Ce fer est aigre, & entre difficilement en fusion ; il a besoin de beaucoup de substances calcaires pour le désoufrer.

Les terres blanchâtres, seches, se réduisent facilement en poussiere, & sont moins propres à la culture que les précédentes. Les meilleures de toutes sont les terres brunes, moyennement grasses, & celles qui ne sont pas d'un noir trop foncé ; on en trouve beaucoup de cette sorte, tant à la Martinique qu'à la Guadeloupe, à Ste Lucie, à S. Vincent, à la Grenade, & dans presque toutes les îles un peu considérables.

Plusieurs cantons fournissent de la terre propre à blanchir le sucre. C'est une argille semblable à celle de Rouen dont on fait des pipes ; elle est blanche, & ne fait point effervescence avec les acides. Voyez les remarques à la fin de l'article SUCRE.

Près de la riviere de l'Ayon, à la Dominique, au côté du vent, on trouve dans les falaises une terre grise, blanchâtre, mêlée de paillettes brillantes qui se dissipent au feu : cette terre contient beaucoup de fer & un peu de cuivre ; quelques particuliers prétendent qu'il se trouve des mines d'argent aux environs.

Les terres à potier & celles dont on peut faire de la brique, sont assez communes dans plusieurs endroits des îles.

Aux environs de la riviere Simon, près de la grande riviere en l'île de la Grenade, on trouve sur le bord de la mer un sable noir très-brillant & fort pesant. Celui de l'Ance-noire, à la basse terre de la même île, est un peu moins éclatant ; mais il tient, ainsi que le précédent, beaucoup de fer attirable par l'aimant ; il y a lieu de présumer qu'on pourroit y trouver de l'or, en le travaillant selon l'art.

On rencontre dans plusieurs montagnes de la Martinique & ailleurs des petits amas d'une terre, couleur de cendre blanchâtre, fine, compacte, en consistance de pierre, ayant quelque rapport à la marne, mais plus dure ; elle se broye & craque entre les dents, sans être sablonneuse ni pâteuse, à-peu-près comme de la terre à pipe cuite ; les negres la nomment taoüa ; ils la mangent avec une sorte d'appétit qui dégénere en passion si violente, qu'ils ne peuvent se vaincre : malgré les dangers auxquels l'usage de cette terre les expose, ils perdent le goût des choses saines, deviennent bouffis, & périssent en peu de tems. On a vu plusieurs hommes blancs possédés de la manie du taoüa ; & j'ai connu des jeunes filles en qui le desir, si naturel à leur sexe de conserver ses graces, se trouvoit anéanti par l'appétit de ce funeste poison, dont un des moindres effets est de détruire l'embonpoint & de défigurer les traits du visage.

Le remede le plus efficace qu'on ait trouvé jusqu'à présent est de faire prendre au malade deux ou trois cuillerées d'huile de ricinus ou palma-christi, nouvellement tirée à froid ; on en continue l'usage tous les matins pendant plusieurs jours, jusqu'à ce que les évacuations ayent emporté la cause du mal : mais il est à-propos de s'y prendre de bonne-heure, & ne pas laisser le tems à la terre de se fixer dans l'estomac, où elle formeroit une masse qu'aucun remede ne pourroit détacher.

Au défaut de taoüa, les maniaques mangent de la terre commune, des especes de petits cailloux, des pipes cassées, & d'autres drogues non moins préjudiciables à la santé. Article de M. LE ROMAIN.

TERRE à foulon, (Hist. nat. des fossiles) terre fossile, grasse, onctueuse, friable étant seche, pleine de nitre, & d'un très-grand usage en Angleterre pour dégraisser les laines.

Cette terre, qu'on nommoit simplement fuller'searth, est si précieuse dans toute la grande Bretagne pour l'apprêt de ses étoffes de laine, que l'exportation en a été défendue sous les mêmes peines que celle de ses laines même ; en effet, cette terre, la meilleure de toutes pour son usage, est telle que la Hollande, la France & l'Espagne n'en possedent point de pareille.

On en trouve près de Ryegate en Surrey, près de Maidstone dans la province de Kent, près de Nutley en Sussex, près de Woorburn en Bedfordshire, près de Brickhill en Staffordshire, & dans l'île de Skies en Ecosse. Dans la province de Surrey, on creuse cette terre dans des trous en forme de puits, dont les côtés sont soutenus comme ceux du charbon.

On voit entre Brickhill & Wooburn une grande bruyere qui couvre quelques collines pleines de cette même terre. Le trou est un vaste découvert, creusé en forme de cône renversé qui montre la couleur & l'épaisseur de différens lits de sable, au-dessus desquels on trouve la terre à foulon à environ cinquante ou soixante piés de la surface. Sous la surface de la terre à un pié de profondeur est une couche de sable fin, jaune, rougeâtre, de l'épaisseur de neuf à dix piés ; ensuite pendant trente à quarante piés il y a divers lits de sable gris & blanc ; plus bas, une couche de deux à trois piés de sable gras mêlé de veines rougeâtres ; puis un pié de terre médiocrement grasse, encore un peu sableuse ; enfin la terre à foulon pure pendant environ sept à huit piés.

Ce banc de terre est distingué en différentes couches ; l'assiette de ces bancs est sur un plan horisontal régulier qui, communément en toutes sortes de lits & couches de terre ou mines, annonce une grande étendue. Les ouvriers sont employés à fouiller cette terre avec la pioche, & deux hommes suffisent à en fouiller & charger dans un chariot mille livres pesant dans un jour ; cette charge vaut, prise sur le lieu, 4 shelins, 4 liv. 12. s. tournois.

Cette terre est d'une couleur gris-verdâtre, qui se dégrade à l'air ; sa consistance, médiocrement ferme, se divise aisément en morceaux à la pioche ; à sécher, elle devient dure comme du savon ; sa qualité est grasse & pleine de nitre. Elle ne se dissout dans l'eau qu'en la remuant beaucoup ; le sédiment qui s'en forme lorsqu'il est séché, est doux & gras au toucher, très-friable, & se réduit entre les doigts dans une poudre presque impalpable qui semble se perdre dans les pores de la peau, &c. Cette poussiere vue au microscope est matte, opaque, & n'a point le brillant des parties sableuses ; ces qualités la rendent très-propre à s'insinuer dans les pores de la laine & à s'imbiber de sa graisse, sans offenser le tissu de l'étoffe par les plus violens frottemens. (D.J.)

TERRE LEMNIENNE, terra lemnia, sorte de terre médicale, astringente, d'une consistance grasse, & d'une couleur rougeâtre, dont on se sert dans le même cas que des bols. Voyez BOLS.

Elle prend son nom de la terre de Lemnos, d'où on l'apporte principalement.

On la met souvent en gâteaux ronds qu'on cachette, ce qui la fait nommer terre sigillée.

TERRE DE POUZZOLES, sorte de terre rougeâtre dont on se sert en Italie au-lieu de sable.

La meilleure est celle qui se trouve auprès de Pouzzoles, de Baies & de Cumes, dans le royaume de Naples ; & la premiere de ces villes lui a donné son nom.

Cette terre mêlée avec la chaux fait le meilleur mortier qu'il soit possible. Voyez MORTIER. Il se durcit & se pétrifie dans l'eau ; il pénetre les pierres à feu noires, & les blanchit. On s'en sert beaucoup pour la construction des moules, & des autres bâtimens qu'on éleve dans les places maritimes. Agricola présume que la terre de Pouzzoles est d'une nature sulphureuse & alumineuse. Voyez Vitruve, Pline, Delorme, &c. qui tous font un grand cas de cette terre.

TERRE SAMIENNE ou TERRE DE SAMOS, terra Samia, sorte de bol ou terre astringente, venant de l'île de Samos, dans la mer Egée. Voyez TERRE.

La meilleure est appellée par Dioscoride collyrium, parce qu'on l'employe dans les médecines de ce nom : elle est blanche, fort luisante, douce, friable, de bon goût, & un peu glutineuse sur la langue.

Il y en a une autre espece plus dure, plus sale & plus glutineuse, qu'on appelle aster Samius, à cause de plusieurs pailles brillantes qu'on y trouve quelquefois, & qui sont disposées en forme de petites étoiles.

Chacune de ces deux especes est regardée comme fort astringente, & propre à dessécher & à guérir les blessures. Elles ont beaucoup de qualités communes avec le bol d'Arménie. Voyez ARMENIEN & BOL.

Il y a aussi une pierre qu'on nomme pierre de Samos, , & qui se tire de quelques mines dans la même île. Cette pierre est blanche, elle s'attache à la langue quand on l'y met dessus, & passe pour être astringente & échauffante. Les Orfevres s'en servent aussi pour polir l'or, & lui donner de l'éclat.

TERRE SIGILLEE, terra sigillata, voyez SIGILLEE.

TERRE VERTE, (Hist. nat. des fossiles) nom d'une terre dure, d'un verd bleu foncé, qu'on trouve par couches de grands morceaux plats qui ont quatre ou cinq piés de diamêtre ; on les casse irrégulierement en les coupant, ce qui fait qu'on nous l'apporte en pieces de différentes grosseurs. Cette terre est lisse, luisante, douce au toucher, & semblable à quelques égards au morochtus ; elle s'attache fermement à la langue, ne teint point les mains en la maniant, mais en la frottant sur un corps dur, elle y imprime une rayure blanchâtre qui tire sur le verd ; elle ne fermente point avec les acides, & prend en la brûlant une couleur brune foncée. On la fouille dans l'île de Chypre, dans le voisinage de Vérone & en plusieurs endroits de ce royaume ; on l'employe beaucoup pour la peinture, sur-tout la peinture à fresque, parce qu'elle donne un verd durable, & qu'on la mêle utilement avec d'autres couleurs. (D.J.)

TERRES ou REMEDES TERREUX, (Médecine) les Médecins ont employé dès long-tems à titre de remedes un grand nombre de matieres pierreuses & terreuses. Le docteur Tralles, médecin de Breslau, qui a écrit il y a environ vingt ans, un long traité sur les remedes terreux, fait de ces remedes l'énumération suivante : Du regne animal, le crâne humain, le calcul humain, la corne de cerf, la dent de sanglier, l'ivoire, la corne d'élan, la dent d'hippopotame, les yeux ou pierres d'écrevisses, les pierres des carpes, & celles des perches, la mâchoire de brochet, le talon de lievre, l'unicorne ou l'ivoire fossile, l'unicorne vrai, le nombril de mer, les coquilles, les perles, la mere de perle, le besoard oriental & occidental, les coquilles d'oeuf, les écailles d'huitre, &c. M. Tralles a oublié encore l'os de seche, les tayes des crustacées, &c. Du regne minéral, le bol d'Arménie, les terres scellées ou sigillées de divers pays, telles que la terre de Lemnos, la terre de Malthe, la terre de Golberg, celle de Strigau, &c. les pierres précieuses telles que la topaze, l'émeraude, le saphir, le rubis, l'hyacinthe, le grenat, la chrysolite, le crystal de roche, & un grand nombre d'autres pierres, telles que la pierre judaïque, la pierre de linx, la pierre néphrétique, l'osteocole, la pierre d'éponge, &c. l'auteur a oublié encore ici la craie commune ou de Champagne, la marne, la craie de Briançon, le talc, la pierre d'aigle, &c.

Quant à plusieurs pierres évidemment métalliques, comme la pierre d'azur, la pierre hématite, &c. il les a sans-doute omises à dessein & avec raison, car leurs vertus spécifiques & propres doivent être déduites de leurs principes métalliques plutôt que de leurs principes terreux, & il ne s'agit ici que des remedes purement terreux. M. Tralles fait cependant une troisieme classe des remedes purement terreux, de plusieurs substances métalliques, tellement altérées par des opérations chymiques qu'elles ne font plus, selon lui, relativement à la vertu médicinale, que des corps purement terreux ; il met dans cette classe l'antimoine diaphorétique, la céruse d'antimoine, la matiere perlée, le bésoardique minéral, solaire, martial, auxquels l'auteur pouvoit joindre encore le jovien ou antihectique de Poterius, la magnésie blanche, le prétendu soufre fixe d'antimoine, &c. on peut très-vraisemblablement ranger dans la même classe la terre douce de vitriol & les soufres de mer absolus, c'est-à-dire parfaitement calcinés ; s'il est vrai pourtant ce qui est dit dans plusieurs livres modernes de la destruction absolue des qualités médicamenteuses du fer par la dissipation totale du phlogistique. Voyez MARS, Mat. médic.

Quant à la question de fait, savoir si les matieres ci-dessus alléguées sont toutes purement terreuses, c'est-à-dire insolubles dans les liqueurs aqueuses, sans goût, sans odeur, & sans activité vraiement médicamenteuse sur les solides & les fluides des animaux, ce point est examiné en détail dans des articles particuliers, qu'on a destinés à ceux des corps qui ont paru mériter cette discussion particuliere. Toutes les matieres tirées du regne animal ont paru être dans ce cas. Voyez tous ces articles particuliers & l'article SUBSTANCES ANIMALES.

Nous répeterons seulement ici, que toutes les matieres, à tirer les substances terreuses animales, ne different entr'elles que par le plus ou moins de mucosité ou de lymphe animale qu'elles contiennent ; & que ce principe étant détruit par quelque moyen que ce soit, toutes ces substances deviennent absolument identiques, & ne different plus entre elles que par le degré de dureté : nous dirons encore qu'elles sont toutes changées en chaux vive par la calcination ; altération qui leur donne de nouvelles propriétés médicinales. Voyez CHAUX, Chymie, AUXHAUX, Médecine.

Enfin nous observerons encore que toutes ces matieres, soit calcinées, soit non-calcinées, lorsqu'elles sont devenues exactement & purement terreuses, c'est-à-dire qu'elles ont perdu cette portion de mucosité animale, qui marque dans quelques-unes le principe terreux, comme cela arrive éminemment dans l'ivoire, &c. (Voyez IVOIRE), que dans cet état, dis-je, purement terreux, sec, maigre, macer, toutes ces matieres s'unissent aux acides, & mêmes aux acides très-délayés. Quant aux substances terreuses & pierreuses retirées du regne minéral, il est évident qu'elles sont exactement dans le cas supposé. On peut prononcer hardiment sur celles-ci, que toutes celles qui ne sont pas calcaires, & même qui quoique de nature calcaire ne sont pas d'un tissu assez rare pour qu'elles puissent être attaquées facilement par les acides foibles ; que celles-ci, dis-je, n'ont absolument aucune vertu médicinale. Or de toutes les matieres minérales dont nous avons donné la liste, nulle excepté la craie, n'a cette propriété ; le bol & toutes les terres scellées, qui sont spécialement regardées comme astringentes & cicatrisantes, pourroient tout-au-plus avoir quelque efficacité à titre de topique, mais encore cette qualité est-elle fort douteuse ; ces terres sont pour le moins fort inutiles dans l'usage extérieur ; elles sont des ingrédiens impertinens de plusieurs compositions pharmaceutiques destinées à l'usage intérieur, telles que la thériaque, la confection hyacinthe, & même de quelques autres consacrées à l'usage extérieur, comme l'emplâtre contra rupturam : nous n'avons pas meilleure idée des pierres précieuses. Voyez l'article particulier FRAGMENS PRECIEUX.

Le troisieme ordre de corps terreux, savoir les chaux métalliques, nous ont paru mériter spécialement d'être examinées chacune en particulier ; ainsi voyez sur ce sujet les articles ANTIMOINE, MATIERE PERLEE, MAGNESIE BLANCHE, VITRIOL, MARS, MATIERE MEDICALE.

Il résulte de ce que nous avons avancé sur les corps terreux naturels, que ceux qui sont retirés du regne animal & la craie, ont une vertu médicinale réelle, savoir la vertu absorbante (voyez ABSORBANS) mais qu'ils n'ont que celle-là ; & qu'ainsi, excepté le cas de la présence des acides dans les premieres voies, tous ces remedes sont purement inutiles. L'observation prouve d'ailleurs qu'ils sont souvent nuisibles : ainsi ils ont assurément mérité d'être privés de tous les titres fastueux que les anciens médecins leur avoient donnés, & qui s'étoient perpétués par la charlatanerie & la routine. Je ne sais pourtant point si c'étoit la peine d'écrire un assez gros in-quarto pour démontrer qu'il étoit très-douteux que les remedes terreux passassent dans le sang ; qu'ils n'étoient point ni diaphorétiques, ni diurétiques, ni anti-spasmodiques, ni anti-épileptiques, ni roborans, ni cardiaques, ni antorgastiques, ni rafraîchissans, ni capables d'arrêter les hémorrhagies internes, ni anti-phlogistiques, ni anti-néphrétiques, ni fébrifuges, ni spécifiques contre les fievres éruptives, malignes & pourprées, ni contre les intermittentes, ni utiles contre les catarrhes, la goutte, & le rhumatisme, ni propres à résoudre le sang coagulé ; & enfin que quelques-uns de ces remedes ne possédoient point de vertus dépendantes de leur signature, comme par exemple l'ostéocolle, celle de procurer la réunion des os, parce que cette pierre imite grossierement la figure d'un os, &c. Quoi qu'il en soit, toutes ces assertions sont vraies, & l'ouvrage de M. Tralles, qui est ce gros in-quarto dont je parle, est plein de recherches & d'observations utiles ; & cette prolixité que nous lui avons presque reprochée est peut-être pardonnable dans ce qu'on appelle un traité complet. (b)

TERRE DOUCE DE VITRIOL, (Chym. & Mat. méd.) Voyez VITRIOL & MARS.

TERRE FOLIEE DE TARTRE, (Chym. & Mat. méd.) la terre foliée de tartre est la même chose que ce qu'on nomme tartre régénéré. Voyez TARTRE REGENERE.

J'ajouterai seulement que pour sa préparation, il est nécessaire d'employer un sel alkali très-pur ; les cendres gravelées réussissent fort bien ; on remarque encore que plus on employe de vinaigre, plus les feuillets de ce sel sont larges & blancs, outre que la surabondance de vinaigre en rendant la terre foliée plus pure, prévient encore sa trop grande alkalicité : cette terre au reste devient plus blanche & plus pure par des dissolutions, des évaporations, & des liquéfactions réitérées.

Ce remede, depuis un demi-gros jusqu'à deux gros, est un bon altérant & un excellent diurétique ; depuis trois jusqu'à six gros il forme un purgatif doux, qui ne cause aucun désordre dans la machine, & qui convient particulierement dans l'hydropisie. (D.J.)

TERRE, (Jurisprud.) signifie quelquefois un champ, quelquefois une certaine étendue de pays, une seigneurie.

Terre allodiale, est celle qui est possédée en franc aleu.

Terre aumonée, celle qui a été donnée en franche aumone à l'Eglise.

Terre emblavée, celle qui est ensemencée en blé.

Terre hermes, est une terre vacante & inculte. Voyez HERMES.

Terre jectile, est de la terre jettée & amassée de main d'homme, dans un lieu pour l'exhausser, à la différence des terres qui sont dans leur état naturel. Voyez l'article 192. de la coûtume de Paris.

Terre noble, est celle qui est possédée à titre de fief ou de franc aleu noble.

Terre titrée, est une seigneurie qui a titre de duché ou principauté, comté, marquisat, baronie, ou châtellenie, &c. Voyez FIEF, SEIGNEURIE, DUCHé, COMTE, &c. (A)

TERRES, Mesure des, la diversité des termes employés pour la mesure des terres, fait souvent une difficulté embarrassante ; arpent, journal, acre, setier, saumée, &c. sont des termes usités en parlant d'arpentage : mais si ces noms sont différens, les mesures ou les quantités qu'ils expriment ne le sont guere moins ; il y a plus, c'est que le même terme ne signifie pas toujours la même chose ; par exemple, l'arpent est plus ou moins grand, suivant les différentes coutumes, ce qui fait varier la pratique de l'arpentage, & la rend même plus difficile.

L'arpent est ordinairement de cent perches, mais les perches varient beaucoup ; tantôt elles sont de 18 piés en tous sens, ou pour mieux dire en quarré, tantôt de 20 : ailleurs, elles sont de 22, de 24, &c. sur quoi il seroit à desirer qu'on pût établir dans le royaume, des mesures & des dénominations qui fussent les mêmes dans toutes les provinces ; l'art de mesurer les terres deviendroit plus uniforme & plus aisé.

Plusieurs savans, amateurs d'agriculture, employent dans leurs calculs l'arpent de cent perches, à 20 piés en quarré par perche. Cette mesure moyenne entre les extrêmes seroit fort commode, elle donne des comptes ronds, faciles à entendre & à manier, & dès-lors elle mériteroit la préférence.

Si l'on admettoit la perche de 20 piés en quarré, en multipliant 20 par 20 pour la perche quarrée, on auroit 400 piés quarrés pour la perche de terre ; en ajoutant à ce produit deux zeros pour multiplier par cent, le nombre des perches dont l'arpent est composé, on auroit 40000 piés quarrés pour l'arpent total.

Du reste, pour faciliter les opérations de l'arpenteur, au lieu de suivre les varietés de la perche, on pourroit s'en tenir à une mesure commune & plus constante, je veux dire le pié de 12 pouces qu'on appelle pié de roi ; ainsi, l'on n'auroit qu'à mesurer par piés les deux côtés d'une piece quelconque, piece ou quarrée ou réduite en triangles, suivant les procedés connus ; pour lors par une seule multiplication dont les moindres calculateurs sont capables, on sauroit le nombre de piés quarrés contenus dans une piece de terre.

Si l'on avoit choisi l'arpent moyen dont nous avons parlé, il y a mille occasions où l'on en pourroit convenir ; alors autant de fois qu'on auroit 40000 piés quarrés, autant on auroit d'arpens de la grandeur convenue. Quant aux fractions, autant de fois qu'on auroit 20000 ou 10000, autant de fois on auroit des demis ou des quarts ; & quant aux fractions ultérieures, autant de fois qu'on auroit 400 piés, autant on auroit de perches quarrées. Il seroit aisé de faire pour cela des tables qui ne seroient ni longues, ni embarrassantes, & qui rendroient l'arpentage une opération simple & à la portée des moindres villageois ; au lieu qu'il faut aujourd'hui pour ce travail de prétendus experts qui font les importans, & qui font payer chérement leurs vacations.

Pour opérer dans cette méthode, on prend une chaîne de 20 piés, où les demis & les quarts, les piés même sont marqués. On mesure les deux dimensions d'un quarré quelconque ; le nombre des chaînes contenues en chaque côté se réduit aisément en centaine & en mille, & on les porte séparément sur le papier. Au surplus, à chaque piece mesurée dans ses deux côtés, on multiplie l'un par l'autre le nombre de piés qu'on a trouvés en chaque dimension, & l'on en porte le produit à part, ce que l'on pratique de même à toutes les pieces l'une après l'autre ; après quoi on n'a plus que la peine d'additionner ces produits, & comme on l'a dit, autant de fois qu'on a 40000 piés quarrés, autant on compte d'arpens. Bien en tendu, que s'il y a quelque inégalité dans les côtés opposés, on redresse le tout en prenant une moyenne proportionnelle ; je veux dire, que si un côté avoit 110 piés, tandis que son opposé n'en auroit que 102, alors on additioneroit ces deux nombres & l'on en prendroit la moitié 106 pour en faire l'un des membres de la multiplication ; mais du reste ce sont-là des notions qu'on doit supposer dans tout homme qui se mêle d'arpentage.

La table qui suit est relative à la proposition précédente.

400 piés font une perche quarrée.

600 piés font une perche & demie.

800 piés font deux perches.

1000 piés font deux perches & demie.

1200 piés font trois perches.

1600 piés font quatre perches.

2000 piés font cinq perches.

3000 piés font sept perches & demie.

4000 piés font dix perches.

5000 piés font douze perches & demie.

6000 piés font quinze perches.

7000 piés font dix-sept perches & demie.

8000 piés font vingt perches.

9000 piés font vingt-deux perches & demie.

10,000 piés font vingt-cinq perches.

20,000 piés font cinquante perches.

30,000 piés font soixante-quinze perches.

40,000 piés font cent perches ou l'arpent moyen.

60,000 piés font cent cinquante perches.

80,000 piés font deux cent perches ou deux arpens.

100,000 piés font deux arpens & demi.

200,000 piés font cinq arpens.

300,000 piés font sept arpens & demi.

400,000 piés font dix arpens.

500,000 piés font douze arpens & demi.

600,000 piés font quinze arpens.

700,000 piés font dix-sept arpens & demi.

800,000 piés font vingt arpens.

900,000 piés font vingt-deux arpens & demi.

1,000,000 de piés font vingt-cinq arpens.

La méthode que je propose du pié de roi pour unique mesure des arpenteurs, conviendroit à toutes les varietés admises par nos coutumes ; car si l'entier qu'on cherche soit journal, acre ou saumée, &c. si cet entier contient, par exemple, 36,000 piés quarrés, plus ou moins peu importe ; autant de fois qu'on aura 36 mille piés quarrés, autant de fois on aura des mesures ou des entiers cherchés ; & à proportion des moindres fractions ou quantités. Il n'y aura qu'à faire des tables relatives à ces différentes mesures pour abreger les opérations, & sur-tout pour les rendre beaucoup plus faciles à tout le monde.

La méthode proposée, constamment plus maniable au vulgaire des arpenteurs, se pratiqueroit également pour toiser les ouvrages de maçonnerie & tous autres. Pour cela, il faudroit chercher par la multiplication le nombre de piés quarrés contenus dans la piece ouvragée, écrire à mesure le produit de piés qu'on trouveroit en chaque partie ; faire ensuite l'addition de ces articles ou produits, & voir enfin dans une table qu'on auroit exprès, combien de fois la toise quarrée se trouveroit avec ses fractions dans l'ouvrage qu'on examine. Par cette méthode, le moindre particulier, homme ou femme maniant tant-soit-peu la multiplication, pourroit suivre & même rectifier le calcul d'un expert ou d'un ouvrier. Article de M. FAIGUET, T. D. F.

TERRE, (Marine) on ne définit pas autrement ce terme sur mer que sur terre : mais il y a à cet égard differentes façons de parler, dont voici l'explication.

TERRE, (Marine) mot que crie à haute voix celui qui apperçoit le premier la terre.

TERRE DE BEURRE, (Marine) c'est un nuage qui paroît à l'horison, qui ressemble à la terre, & que le soleil dissipe ; ce qui fait dire aux gens de mer, que la terre de beurre fond au soleil.

TERRE DEFIGUREE, (Marine) terre qu'on ne peut pas bien reconnoître, à cause de quelques nuages qui la couvrent.

TERRE EMBRUMEE, (Marine) terre couverte de brouillards.

TERRE FINE, (Marine) terre qu'on voit clairement, sans aucun brouillard qui en dérobe la vue.

TERRE HACHEE, (Marine) terre entrecoupée.

TERRE qui asseche, (Marine) Voyez ASSECHER.

TERRE QUI FUIT, (Marine) terre qui faisant un coude, s'éloigne du lieu où l'on est.

TERRE QUI SE DONNE LA MAIN, (Marine) c'est une terre qui n'est séparée par aucun golfe, ni aucune baie.

TERRES BASSES, (Marine) ce sont les rivages qui sont bas, plats, & sans remarques.

TERRES HAUTES, (Marine) ce sont les montagnes ou les rivages, qui sont beaucoup élevés audessus de la surface de la mer.

Voici encore d'autres façons de parler.

Aller à terre. Voyez RANGER.

Aller chercher une terre ; c'est cingler vers une terre, pour la reconnoître.

Dans la terre ou dans les terres ; façon de s'exprimer, pour parler de quelque chose qui est éloigné du bord de la mer.

La terre mange ; cela signifie que la terre cache quelque chose, & le dérobe à la vûe.

La terre nous reste. Voyez RESTER.

Prendre terre ; c'est aborder une terre, y arriver.

Tout à terre ; on entend par - là qu'un vaisseau est très-proche de la terre.

TERRE, (Archit. & Jardin.) on entend par ce mot & la consistance du terrein sur lequel on bâtit, & le terrein même qu'on destine à un jardin. Ainsi nous devons examiner la terre par rapport à l'art de bâtir, & relativement au jardinage. Nous l'examinerons aussi suivant ses bonnes qualités & ses façons.

De la terre par rapport à l'art de bâtir. Terre franche. Espece de terre grasse, sans gravier, dont on fait du mortier & de la bauge en quelques endroits.

Terre massive. Nom général qu'on donne à toute terre considerée solide & sans vuide, & toisée cubiquement, ou réduite à la toise cube pour faire l'estimation de sa fouille.

Terre naturelle. Terre qui n'a point encore été éventée ni fouillée : on la nomme aussi terre neuve.

Terre rapportée. Terre qui a été transportée d'un lieu à un autre, pour combler quelque fossé, & pour régaler & dresser un terrein de niveau.

Terres jectisses. On appelle ainsi, outre les terres qui sont remuées pour être enlevées, celles qui restent pour faire quelque exhaussement de terrasse ou de parterre dans un jardin. Si cet exhaussement se fait contre un mur mitoyen, comme il est à craindre que la poussée de ces terres jectisses ne le fasse périr, parce que les rez de-chaussée des deux héritages ne sont plus pareils, il est à-propos, & même nécessaire, que pour résister à cette poussée, on fasse un contre-mur suffisant, réduit au tiers de l'exhaussement, & qu'on ajoute des éperons du côté des terres.

De la terre par rapport au jardinage. Terre bonne ou fertile. C'est une terre où tout ce qui est semé ou planté croît aisément, & sans beaucoup d'amendement & de façon. Elle est ordinairement noire, grasse & légere.

Terre franche. Terre sans mêlange, saine, sans pierres ni gravois, & qui étant grasse tient aux doigts, & se paîtrit aisément, comme le fonds des bonnes prairies.

Terre hâtive. Terre qui est d'une bonne qualité & en belle exposition, comme au midi sur une demi-côte, & où ce qu'on plante produit de bonne heure.

Terre meuble. Terre qui est légere & en poussiere ; les Jardiniers l'appellent miette : elle est propre à garnir le dessus d'un arbre quand on le plante, & à l'entretenir à-plomb.

Terre neuve. Terre qui n'a encore rien produit. Telle est la terre qu'on tire à cinq ou six piés de profondeur.

De la terre suivant ses mauvaises qualités. Terre chaude ou brûlante. Terre légere & seche, qui fait pâlir les plantes dans la chaleur, si elle n'est amendée. On l'emploie ordinairement pour les espaliers.

Terre forte. Terre qui tient de l'argille ou de la glaise, & qui étant trop serrée, ne vaut rien sans être amendée. On s'en sert pour les bassins.

Terre froide. Terre humide qui est tardive, mais qu'on amende avec du fumier.

Terre grouette. Terre pierreuse qu'on passe à la claie pour l'améliorer.

Terre maigre. Terre sablonneuse, seche, stérile & qui ne vaut pas la peine d'être façonnée.

Terre tuffiere. Terre qui approche du tuf, & qui est par conséquent maigre & très-ingrate. On l'ôte d'un jardin, parce qu'elle coûteroit plus à amender, qu'à y substituer de la bonne terre.

Terre veule. Terre où les plantes ne peuvent prendre racine, parce qu'elle est trop légere, & qui s'amende avec de la terre franche.

De la terre suivant ses façons. Terre amendée. C'est une terre qui après avoir été plusieurs fois labourée & fumée, est propre à recevoir toutes sortes de plantes. On appelle aussi terre amendée, une terre dont on a corrigé les mauvaises qualités, par le mêlange de quelqu'autre.

Terre préparée. Terre mêlangée pour chaque espece de plante ou de fleur.

Terre rapportée. C'est de la bonne terre qu'on met dans les endroits d'où l'on a ôté la méchante pour y planter.

Terre reposée. Terre qui a été un an ou deux en jachere, c'est-à-dire sans avoir produit, ni sans avoir été cultivée.

Terre usée. Terre qui a travaillé long-tems sans être amendée. (D.J.)

TERRE CUITE, (Arts anciens) les anciens ont fait plusieurs ouvrages de terre cuite qui nous restent encore ; ils les ont formés sur le tour ou sur la roue, & les ont ornés de toutes sortes de figures. Cette opération, ainsi que la préparation des matieres, paroît avoir été la même que celle de nos travaux en fayence & en porcelaine. Voici comme M. le comte de Caylus pense que se faisoit cette opération.

Il a remarqué deux sortes de terre dans leurs différens ouvrages, l'une blanche, & l'autre noire. Il est vrai que cette derniere ne se trouve pas employée aussi fréquemment que la premiere. Plus on examine ces ouvrages, & plus on voit, dit-il, qu'ils ont été préparés avec le plus grand soin, avant que d'être mis au feu. Ces morceaux ainsi préparés, ont été cuits très-légérement, pour faire ce que nous nommons le biscuit, sur lequel on met ensuite la couverte ou l'émail. Si l'on appliquoit cette couverte sur les morceaux avant que de les cuire, elle pénétreroit la terre, ou plutôt elle s'incorporeroit dans ses pores, & il seroit très-difficile de la bien enlever, comme la chose étoit nécessaire dans la pratique des plus beaux ouvrages de ce genre.

Cette couverte placée en tout autre tems, auroit empêché d'exécuter avec une aussi grande délicatesse d'outil, les desseins dont les ouvrages de terre cuite des anciens, sont ornés. La terre étant cuite est moins inégale & plus dense, & la couverte ne s'attache que médiocrement, lorsqu'elle n'a reçu qu'un feu léger ; alors il est aisé de l'enlever, ou plutôt de la découper, sans qu'elle laisse la trace la plus légere.

Cette couverte étoit faite avec une terre bolaire très-martiale, la même que celle que nous employons dans notre fayence, connue sous le nom de manganeze ou maganesia vitriariorum. Cette terre prend aussi dans la cuite une couleur rouge très-foncée ; mais qu'il est facile de rendre noire avec la moindre mixtion de couleur, ou d'autres terres. Cette matiere a dû être préparée & broyée parfaitement, pour la mettre en état de s'étendre, & de couler au pinceau comme les émaux. Mais avant que de mettre cette couleur noire, les Etrusques avoient soin de tremper leurs ouvrages, ou de leur donner une couleur rougeâtre, claire & fort approchante de celle de notre terre cuite. Ils prenoient cette précaution pour corriger la teinte naturelle & blanchâtre de leur terre, qui ne produisoit pas l'effet qu'ils aimoient à voir dans leurs plus beaux ouvrages. L'examen de plusieurs morceaux étrusques suffira pour faire sentir aux curieux ces différences, & connoître à fond les détails.

Les terres se trouvant ainsi préparées, voici l'opération la plus essentielle pour la maniere de les orner. Quand la couverte noire ou rouge étoit seche, le peintre, ou plutôt le dessinateur, devoit nécessairement calquer ou poncer son dessein ; & selon l'usage de ce tems, il n'a pu se servir pour y parvenir, que de lames de cuivre très-minces, susceptibles de tous les contours, & découpées comme l'on fait aujourd'hui ces mêmes lames pour imprimer les lettres & les ornemens.

Il prenoit ensuite un outil fort tranchant, avec lequel il étoit maître de faire ce qu'on appelle de réserve, les traits les plus deliés ; car il emportoit & ôtoit la couverte noire sur tout ce qui devoit être clair : on ne peut mieux comparer cette manoeuvre qu'à celle de notre gravure en bois. Alors la couleur rouge se distinguoit, & faisoit voir fort nettement les figures, les ornemens & tout ce qu'on avoit entrepris de représenter. La seule inspection de la plus grande partie de ces terres, démontre ces sortes d'opérations. Enfin ces ouvrages étant parvenus à ce point, on leur donnoit la seconde cuite, un peu plus forte que la premiere.

Il est bon de remarquer que tous les ouvrages de terre cuite des anciens, ne sont pas fabriqués avec le même soin. On en trouve dont la terre blanchâtre souvent mal cuite, n'a pas reçu la premiere couleur rouge. Il y en a d'autres dont la terre est bien cuite & bien travaillée, & qui ne sont recouverts que par la couleur rouge, qui forme ou le fond, ou les ornemens ; & ces morceaux paroissent les moins communs. Toutes les couleurs noires ne sont pas également belles. Il y en a qui sont ternes & sans aucun éclat, & d'autres qui par leur mat & leur poli, imitent en quelque façon l'émail de nos porcelaines.

La couleur blanche qu'ils mettoient toujours avec le pinceau sur les fonds, comme sur les espaces découverts, n'a aucune tenue. C'est une espece de terre de Crete, qui n'est pas comparable pour la solidité, aux couleurs dont on vient de parler ; & c'est pour cela sans-doute, qu'ils l'employent avec tant de ménagement, & le plus souvent pour des parties de coëffures, de brasselets & de réveillons dans les ornemens.

Enfin on ne peut douter que pour conserver la propreté & l'exactitude de leurs ouvrages, ils ne se soient servis de ce que nous appellons des gazettes, c'est-à-dire des pots couverts, dans lesquels on fait cuire aujourd'hui les morceaux à l'abri de tout air extérieur. L'on ne connoissoit alors rien de plus parfait que cette terre cuite ; & l'on employoit pour la mettre en oeuvre les mains des plus fameux artistes. Antiq. étrusq. tom. I. (D.J.)

TERRE DE BELLIEVRE, s. f. (Glaces) on nomme ainsi dans les manufactures des glaces, la terre avec laquelle on construit le dedans & le glacis des fours. Savary. (D.J.)

TERRE A TERRE, (Danse) on applique ce terme aux danseurs qui ne font point de caprioles, & qui ne quittent presque point la terre.

TERRE A TERRE, se dit aussi en termes de Manege, des chevaux qui ne font ni courbettes, ni ballotades, mais qui vont uniment sur le terrein un galop serré, en faisant seulement de petits sauts, & en levant un peu les piés de devant.

Le terre à terre est proprement une suite de petits sauts aisés que le cheval fait en avant, en maniant de côté & sur deux allures ; dans ce mouvement il leve les deux jambes à la fois, & quand celles-ci sont sur le point de donner en terre, il les accompagne des jambes de derriere, par une cadence promte & courte, maniant toujours sur les hanches, desorte que les mouvemens des quartiers de derriere sont extrêmement courts & vifs.

TERRE D'OMBRE, s. f. (Peinture) espece de terre ou de pierre fort brune, qui sert aux Peintres & aux Gantiers. Il y en a de deux sortes ; l'une d'une couleur minime tirant sur le rouge, & l'autre seulement grise. La premiere est la meilleure ; l'une & l'autre vient du levant, & particulierement d'Egypte : il faut la choisir tendre & en gros morceaux. Avant que de broyer la terre d'ombre, soit pour peindre, soit pour mettre des gants en couleur, il faut la brûler, ce qui la rend plus rougeâtre, & par conséquent de meilleure qualité ; mais en la brûlant il faut en éviter la fumée qui est nuisible & puante. Il y a encore une espece de terre d'ombre, qu'on appelle terre de Cologne ; mais elle est beaucoup plus brune que l'autre : son nom apprend d'où on la tire. Il faut la choisir tendre, friable, bien nette & sans menu. Savary. (D.J.)

TERRES REANIMEES, s. f. pl. (Salpétrerie) Les Salpétriers appellent ainsi des terres qui ont servi dans des cuviers qu'on fait sécher, & qu'on arrose ensuite à plusieurs reprises avec les écumes & les rappurages, les eaux meres ou ameres, que l'on a détrempées auparavant dans l'eau, afin que les terres s'humectent plus facilement. Les terres amendées peuvent toujours servir à l'infini ; desorte qu'au moyen de ces terres on ne peut jamais manquer de salpêtre. (D.J.)

TERRE A SUCRE, s. f. (Sucrerie) on nomme ainsi une sorte de terre avec laquelle on blanchit le sucre, pour en faire de la cassonade blanche. Celle qu'on emploie aux îles françoises de l'Amérique, vient de France, particulierement de Rouen, de Nantes & de Bourdeaux. Il s'en trouve aussi à la Guadaloupe. Savary. (D.J.)

TERRE DU JAPON, (Botan. exot.) terra japonica, Voyez CACHOU.

TERRE, TERROIR, TERREAU, TERREIN, TERRITOIRE, (Synonym.) terre se dit de la terre en général ; la terre nourrit tous les animaux.

Terroir se dit de la terre, entant qu'elle produit des fruits ; un bon, un mauvais terroir.

Terreau, se dit d'un fumier bien consommé & réduit en terre ; on fait des couches de terreau pour y élever des salades, des melons, des légumes.

Terrein se dit en général d'un espace de terre considéré par rapport à quelque ouvrage qu'on y pourroit faire. Il faut ménager le terrein. On dit dans le même sens, en terme de manege, ce cheval garde bien son terrein.

Territoire est l'espace dans lequel s'exerce un district, une jurisdiction ; un territoire fort étendu. (D.J.)

TERRE, (Critiq. sacrée) ; ce mot signifie 1°. l'élément terrestre qui nous soutient. 2°. la matiere qui fut créée au commencement, Gen. j. 3°. tout ce qui est contenu dans le globe terrestre, Ps. xxiij. 1. 4°. les hommes qui l'habitent, Gen. vj. 11. 5°. un lieu particulier : Bethléem, terre de Juda. 6°. les fruits de la terre ; les sauterelles dévoreront la terre ; 7°. le tombeau, Job. x. 22. 8°. la terre des vivans : c'est la Judée au propre, & au figuré, le séjour des bienheureux. (D.J.)

TERRE, (Mythol.) il y a eu peu de nations payennes qui n'aient personnifié la Terre, & qui ne lui aient rendu un culte religieux. Les Egyptiens, les Syriens, les Phrygiens, les Scythes, les Grecs & les Romains ont adoré la Terre, & l'ont mise avec le ciel & les astres au nombre des plus anciennes divinités. C'est que dans les premiers tems tous les cultes se rapportoient à des êtres matériels, & que l'on croyoit alors que les astres, la Terre & la mer étoient les causes de tout le bien & le mal qui arrivoient dans le monde.

Hésiode dit que la Terre naquit immédiatement après le chaos : qu'elle épousa le ciel, & qu'elle fut mere des dieux & des géans, des biens & des maux, des vertus & des vices. On lui fait aussi épouser le tartare, & le pont ou la mer, qui lui firent produire tous les monstres que renferment ces deux élémens, c'est-à-dire, que les anciens prenoient la Terre pour la nature ou la mere universelle des choses, celle qui crée & nourrit tous les êtres ; c'est pourquoi on l'appelloit communément la grande mere, magna mater. Elle avoit plusieurs autres noms, Titée ou Titéia, Ops, Tellus, Vesta, & même Cybele ; car on a souvent confondu la Terre avec Cybele.

Les philosophes les plus éclairés du paganisme croyoient que notre ame étoit une portion de la nature divine, divinae particulam aurae, dit Horace. Le plus grand nombre s'imaginoit que l'homme étoit né de la Terre imbibée d'eau & échauffée par les rayons du soleil. Ovide a compris l'une & l'autre opinion dans ces beaux vers où il dit que l'homme fut formé, soit que l'auteur de la nature l'eût composé de cette semence divine qui lui est propre, ou de ce germe renfermé dans le sein de la Terre, lorsqu'elle fut séparée du ciel.

Pausanias parlant d'un géant indien d'une taille extraordinaire, ajoute : " si dans les premiers tems la Terre encore toute humide venant à être échauffée par les rayons du soleil, a produit les premiers hommes, quelle partie de la Terre fut jamais plus propre à produire des hommes d'une grandeur extraordinaire, que les Indes, qui encore aujourd'hui engendrent des animaux tels que les éléphans ? "

Il est souvent parlé dans la Mythologie des enfans de la Terre ; en général lorsqu'on ne connoissoit pas l'origine d'un homme célebre, c'étoit un fils de la Terre, c'est-à-dire, qu'il étoit né dans le pays, mais qu'on ignoroit ses parens.

La Terre eut des temples, des autels, des sacrifices ; on la nommoit Omniparens ; on sait ce beau vers de Lucrece,

Omniparens eadem rerum commune sepulcrum.

A Sparte il y avoit un temple de la Terre qu'on nommoit Gasepton, je ne sais pourquoi. A Athènes on sacrifioit à la Terre, comme à une divinité qui présidoit aux noces. En Achaïe, sur le fleuve Crathis, étoit un temple célebre de la Terre qu'on appelloit la déesse au large sein, ; sa statue étoit de bois. On nommoit pour sa prêtresse une femme qui dès ce moment étoit obligée de garder la chasteté, encore falloit-il qu'elle n'eût été mariée qu'une fois ; & pour s'assurer de la vérité, on lui faisoit subir l'épreuve de boire du sang de taureau : si elle étoit coupable de parjure, ce sang devenoit pour elle un poison mortel.

Les Romains firent bâtir leur premier temple à la déesse Tellus, ou la Terre, l'an de Rome 268 ; mais les historiens ne nous apprennent point quelle figure on donnoit à la déesse ; il y avoit plusieurs attributs de Cybele qui ne lui convenoient que par rapport à la Terre, comme le lion couché & apprivoisé, pour nous apprendre qu'il n'est point de terre si stérile & si sauvage, qui ne puisse être bonifiée par la culture. Le tambour, symbole du globe de la terre : les tours sur la tête, pour représenter les villes semées sur la surface de la terre.

Avant qu'Apollon fût en possession de l'oracle de Delphes, c'étoit la Terre qui y rendoit ses oracles, & qui les prononçoit elle-même, dit Pausanias ; mais elle étoit en tout de moitié avec Neptune. Daphné, l'une des nymphes de la montagne, fut choisie par la déesse Tellus pour présider à l'oracle. Dans la suite Tellus céda tous ses droits à Thémis sur Delphes, & celle-ci à Apollon. (D.J.)

TERRE la, (Géog. mod.) ce mot, en géographie, a plusieurs significations qu'il est bon de distinguer. 1°. Il signifie cette masse composée sur laquelle nous vivons, & en ce sens la terre est la même chose que le globe terrestre ou terraquée ; on y comprend toutes les eaux dont sa surface est couverte.

2°. Il signifie la partie de cette masse qui par l'agriculture devient plus ou moins fertile, & dans ce sens on ne comprend point les mers.

3°. Il se prend aussi pour l'étendue d'un état, d'un pays, d'une domination. On dit en ce sens terre de France, terre de l'Empire.

4°. Chez les mariniers, le mot terre a différens sens, & entr'autres celui de rivage. Ils appellent terre embrumée un rivage que les brouillards couvrent : terre défigurée, celle qu'on ne peut bien reconnoître à cause de quelques nuages qui la déguisent : terre fine, celle que l'on découvre clairement & sans obstacle : grosse terre, un rivage haut, élevé : terre qui fuit, celle qui faisant un coude, s'éloigne de la route que fait le vaisseau : terre qui se donne la main, celle que l'on voit de suite, sans qu'elle soit coupée par aucun golfe, ni aucune baie : terre qui asseche, une terre que la mer fait voir après qu'elle s'est retirée. Ils appellent terre de beurre, un nuage à l'horizon qu'on prend pour la terre, & que le soleil dissipe ; on dit, aller terre-à-terre, pour dire naviger le long des côtes, & prendre terre, pour dire aborder.

Enfin il y a des pays d'une grande étendue que l'on appelle terre en géographie, comme la terre sainte, la terre ferme, la terre neuve, les terres arctiques, les terres australes, &c. (D.J.)

TERRES-ANTARCTIQUES, (Géog. mod.) ce sont les terres opposées aux terres arctiques ou septentrionales ; on les appelle autrement continent méridional, terres méridionales, terres australes. Elles sont bornées par la mer du sud, l'Océan éthiopique & l'Océan indien. Voyez TERRES AUSTRALES. (D.J.)

TERRES ARCTIQUES, les (Géog. mod.) c'est-à-dire, les terres septentrionales. Les Géographes appellent terres arctiques, les terres les plus voisines du pole septentrional, comme sont les pays de Groënland, & les autres qui se trouvent au nord de l'Amérique, autour des détroits de Hudson, de Davis & de la baie de Baffin. On donne aussi ce nom au Spitzberg, qui est au nord de l'Europe, à la nouvelle Zemble, & à la nouvelle Irlande, &c.

De toutes les terres arctiques on n'en connoit encore que quelques côtes, & on ignore pleinement si du fond de la baie de Baffin, ou en d'autres endroits, il n'y auroit point quelque passage d'une mer à l'autre.

C'est cependant l'envie de trouver au nord une communication de nos mers avec celle des Indes orientales, qui a fait entreprendre tant de navigations périlleuses, dont on peut voir les détails dans les voyages de la compagnie hollandoise des Indes orientales & dans le recueil des voyages au nord. C'est à cette espérance, que l'on doit la découverte de la nouvelle Zemble, de la nouvelle Irlande, & du Spitzberg au nord de l'Europe, du Groenland, des îles de Cumberland & de Raleigh, du nouveau Danemarck, & de la terre de Jesso, qui est au nord de l'Amérique & de l'Asie. (D.J.)

TERRES AUSTRALES, les, (Géog. mod.) ce sont les terres situées vers le pole méridional, opposées au pole arctique. Elles renferment la nouvelle Guinée, la terre des Papous, la nouvelle Hollande, la terre de la Circoncision, la terre de Feu, la nouvelle Zélande, l'île de Feu, l'île de Horn & les îles de Salomon, autant de pays qui nous sont inconnus.

Nous ne sommes pas aussi avancés en connoissances vers le midi que vers le nord ; en voici quelques raisons : les navigateurs partant de l'Europe, avoient plus d'intérêt de connoître le pole dont elle est voisine, que celui qui lui est opposé. La navigation du nord se pouvoit faire à moins de frais que celle du midi. On cherchoit un passage aux Indes, le grand objet des navigateurs des quinze & seizieme siecles. Quand on eut doublé le cap de Bonne-Espérance, on se vit tout-d'un-coup dans la mer des Indes, & il n'y eut plus qu'à suivre les côtes, en prenant la saison des vents favorables. Quand on eut trouvé passage dans la mer du sud par le détroit de Magellan, on se trouvoit aux côtes du Chili & du Pérou, & on s'embarassa peu des pays qu'on laissoit à la gauche du détroit ; des vaisseaux chargés de provisions ou de marchandises se flattoient d'arriver, sans se détourner de leur route que le moins qu'il étoit possible.

D'un autre côté, on ne sait pas si le port découvert par Drak au 300e degré de longitude, vers le 61. degré de latitude méridionale, appartient à quelque île ou à quelque continent, ni si les glaces vues par M. Halley entre les 340 & 355 degrés de longitude par les 53 degrés de latitude méridionale, ont quelque liaison avec les terres de vue. C'est aux navigateurs que les ordres de leurs maîtres ou les hazards de leur profession porteront dans ces climats, à nous dire ce qu'ils y trouveront ; ce n'est pas aux géographes à prévenir leurs découvertes par des conjectures que l'expérience détruiroit. On s'est si mal trouvé de cette espece de divination, qu'on devroit bien en être corrigé. (D.J.)

TERRE AUSTRALE DU SAINT-ESPRIT, la, (Géog. mod.) partie des terres australes, au midi de la mer du sud. Elle fut découverte par Fernand de Quiros, espagnol ; c'est pour cela que quelques-uns la nomment terre de Quiros. Il n'en a cependant parcouru que quelques côtes, comme les environs du golfe de Saint-Jacques & de Saint Philippe, & nous n'en connoissons pas davantage aujourd'hui. Nous ignorons même si la nouvelle Guinée, la nouvelle Hollande, la terre de Diémen, & la terre australe du Saint-Esprit sont une terre continue, ou si elles sont séparées par des branches de l'Océan. (D.J.)

TERRE AUSTRALE PROPRE ou TERRE DE GONNEVILLE, (Géog. mod.) pays des terres australes ou antarctiques. Ce pays est à l'occident de la nouvelle Hollande, & au midi de l'ancien continent. Il fut découvert en 1603 par un capitaine françois nommé Gonneville, qui y fut jetté par la tempête, & qui en donna une relation. En 1697, le capitaine Vlamming, hollandois, envoya sur la terre australe propre trois vaisseaux, qui pour toute découverte y remarquerent quelques havres assez bons & des rivieres fort poissonneuses. (D.J.)

TERRE DE BAIRA, (Hist. nat.) nom donné en Italie à une terre blanche, qu'on trouve près de Baira, & à peu de distance de Palerme ; on l'appelle aussi poudre de Claramont, en l'honneur de celui qui en fit le premier usage pour la guérison des fievres malignes, & pour arrêter toutes sortes d'hémorrhagies ; mais enfin le monde a été détrompé sur les vertus prétendues de cette terre, comme sur celles de tant d'autres. (D.J.)

TERRE DE LA COMPAGNIE, la, (Géog. mod.) île située à l'entrée d'un golfe, qui entre dans la terre de Kamschatka, dont il fait une presqu'île. Elle a été découverte par les Hollandois en cherchant un passage du Japon à la mer du Nord. Ils lui donnerent ce nom pour l'approprier à leur compagnie des Indes orientales. Elle est entre le 45 & le 52 degré de latitude, au 175 de longitude pour la partie occidentale. (D.J.)

TERRE DES ETATS, (Géog. mod.) île de la mer du Sud. Elle fut découverte par Jacques le Maire en 1616 ; elle est située à l'orient de celle de Feu, dont elle n'est séparée que par le détroit de le Maire ; elle est entre le 37 & le 40 degré de latitude méridionale. (D.J.)

TERRE-FERME, (Géog. mod.) on appelle ainsi en général toute terre qui n'est pas une île de la mer. C'est en ce sens que les Vénitiens appellent l'état de Terre-Ferme, les provinces de leur république qui sont dans le continent, pour les distinguer des îles de la Dalmatie, de Corfou & de Venise elle-même, qui n'est qu'un amas d'îles, sans parler de Zante, de Céfalonie, de Candie & de quantité d'autres que les Vénitiens possédoient anciennement.

C'est aussi par cette même raison que les Espagnols qui avoient commencé la découverte de l'Amérique par les îles Lucayes, par Cuba, Saint-Domingue, Portorico, & par l'île de la Trinité, appellerent Terre-Ferme, ce qu'ils trouverent du continent entre cette derniere île, & l'isthme de Panama. (D.J.)

TERRE-FERME, l'état de, (Géog. mod.) l'état de Terre-ferme des Vénitiens comprend le Bergamasque, le Crémasque, le Bressan, le Véronèse, le Trévisan, le Frioul, le Polesin de Rovigo, le Padouan & l'Istrie. (D.J.)

TERRE-FERME, en Amérique, (Géog. mod.) vaste contrée de l'Amérique, sous la zone torride, entre le treizieme degré de latitude septentrionale & le deuxieme de latitude méridionale. Elle comprend six gouvernemens sur la mer du Nord ; savoir, Paria, ou la nouvelle Andalousie, Venezuela, Rio de la Hacha, Sainte-Marthe, Carthagène & la Terre ferme proprement dite. Elle comprend sur la mer du Sud deux autres gouvernemens ; savoir, le royaume de Grenade & le Popayan.

Le nom de Castille d'or étoit autrefois commun à une grande partie de ce pays-là, qui est aujourd'hui partagé entre trois audiences ; celle de Saint-Domingue, celle de Santa-Fé & celle de Panama.

La Terre-ferme proprement dite, est une province particuliere du grand pays qui est le long de la côte septentrionale de l'Amérique méridionale ; c'en est proprement la partie, qui est entre la nouvelle Espagne, la mer du Nord, la mer du Sud & le golfe de Darien. Panama & Puerto-Belo en sont les principales villes. (D.J.)

TERRE-FRANCHE, la, (Géog. mod.) canton des Pays-Bas dans la Flandre françoise. Il comprend les chatellenies de Bourbourg, de Bergue S. Vinox & de Gravelines ; Dunkerque en faisoit autrefois une partie. Ses principales villes sont Gravelines, Bourbourg & Bergue S. Vinox. (D.J.)

TERRE DE FEU, îles de la, (Géog. mod.) les Espagnols disent improprement Tierra del Fuego, comme si c'étoit un continent ; les îles de la Terre de Feu sont situées entre le détroit de Magellan & celui de le Maire. Ce sont plusieurs îles qui s'étendent environ 60 lieues est & ouest, le long du détroit de Magellan, & qui en forment la côte méridionale.

Le nom de Terre de Feu fut donné à cette côte, à cause de la grande quantité de feux & de la grosse fumée que les navigateurs, qui la découvrirent les premiers, y apperçurent. On croyoit alors qu'elle joignoit à quelque partie des terres australes ; mais quand on eut découvert le détroit de S. Vincent ou de le Maire, on s'apperçut qu'elle étoit isolée. Les nouvelles découvertes ont fait connoître que cette terre est divisée en plusieurs îles ; que pour passer dans la mer du Sud, il n'est pas même nécessaire de doubler le cap de Horn ; qu'on le peut laisser au sud en entrant par l'est dans la baie de Nassau, & gagner la haute mer par l'ouest de ce cap ; enfin, que comme on voit par-tout des anses, des baies & des golfes, dont la plûpart s'enfoncent dans les terres autant que la vue peut s'étendre, il est à présumer qu'il y a des passages dans la grande baie ou golfe de Nassau, par où les vaisseaux pourroient traverser dans le détroit de Magellan.

Les îles de la Terre de Feu, sont habitées par des sauvages qu'on connoît encore moins que les habitans de la Terre Magellanique. Dom Garcias de Model ayant obtenu du roi d'Espagne deux frégates pour observer ce nouveau détroit, y mouilla dans une baie, où il trouva plusieurs de ces insulaires, qui lui parurent d'un bon naturel. Ils sont blancs comme les européens ; mais ils se défigurent le corps, en changeant la couleur naturelle de leur visage par des peintures bizarres. Ils sont à-demi couverts de peaux d'animaux, portant au cou un collier d'écailles de moules blanches & luisantes, & autour du corps une ceinture de cuir. Leur nourriture ordinaire est une certaine herbe qui croît dans le pays, & dont la fleur est à-peu-près semblable à celle de nos tulipes.

Ces peuples sont armés d'arcs & de fleches, où ils enchâssent des pierres, & portent avec eux une espece de couteau de pierre. Leurs cabanes sont faites de branches d'arbres entrelacées les unes dans les autres ; & ils ménagent dans le toît, qui se termine en pointe, une ouverture pour donner un libre passage à la fumée. Leurs canots faits d'écorces de gros arbres, sont assez artistement travaillés. Ils ne peuvent contenir que sept à huit hommes, n'ayant que douze ou quinze piés de long sur deux de large. Leur figure est à-peu-près semblable à celle des gondoles de Venise.

La côte de la Terre de Feu est très-élevée ; le pié des montagnes est rempli de gros arbres fort hauts, mais le sommet est presque toujours couvert de neige. On trouve en plusieurs endroits un mouillage assez bon pour faire commodément du bois & de l'eau ; mais il regne dans ces îles de fréquentes tempêtes produites par les vents d'ouest ; c'est pourquoi ceux qui veulent faire route à l'ouest, évitent la côte de ces îles autant qu'ils peuvent, & courent au sud où ils trouvent les vents du sud qui les conduisent en toute sûreté au lieu de leur destination. (D.J.)

TERRE DE GUINEE, (Géog. mod.) pays de l'Afrique occidentale, à la droite de la riviere Niger, ou Sénégal, après qu'on a passé la Barre. Ce pays est beaucoup plus agréable que la pointe de Barbarie. Il est uni, couvert çà-&-là de verdure, avec des bouquets de grands arbres de différentes especes, entremêlées de cocotiers & de palmiers. (D.J.)

TERRE-NEUVE, île de, (Géog. mod.) grande île de l'Océan sur la côte orientale de l'Amérique septentrionale, à l'entrée du golfe de S. Laurent, entre le 36 & le 53 degré de latitude. Cette île fut reconnue en 1497 par Jean & Sébastien Cabot pere & fils, envoyés pour des découvertes par Henri VII. roi d'Angleterre ; c'est pourquoi les Anglois la nommerent Newfound-land. On lui donne près de 300 lieues de tour. La dispute des Anglois & des François sur la premiere découverte de cette île n'a plus lieu depuis que par le traité d'Utrecht, la France a cédé la possession entiere de Terre-Neuve à la grande-Bretagne.

C'est à soixante lieues de Terre-Neuve qu'est le grand banc pour la pêche de la morue, étendue de pays que l'on estime avoir 200 lieues de longueur ; les morues y sont si abondantes, qu'un bon pêcheur en prend plus d'une centaine dans un jour. Cette pêche y est très-ancienne, car un anglois rapporte y avoir trouvé l'an 1521, cinquante bâtimens de différentes nations. On en voit aujourd'hui chaque année cinq ou six cent, anglois, françois ou hollandois ; c'est aussi tout l'avantage qu'on retire de Terre-Neuve, qui est un pays rempli de montagnes & de bois. Les brouillards y sont fréquens & de longue durée. Le grand froid en hiver est en partie causé par les glaces, qui venant à flotter sur les côtes, refroidissent l'air sensiblement. Les sauvages de Terre-Neuve sont de petite taille, n'ont que peu ou point de barbe, le visage large & plat, les yeux gros, & le nez court. (D.J.)

TERRE DE PATNA, (Hist. nat.) terre qui se fait à Patna, ville des Indes sur le bord du Gange, & capitale d'une province à laquelle elle donne son nom. Cette terre est argilleuse, approchante de la terre sigillée, de couleur grise tirant sur le jaune, insipide au goût, & d'une odeur agréable ; on en fait dans ce pays-là des pots, des vases, des bouteilles, des caraffes minces & si légeres que le vent les emporte facilement. On nomme ces caraffes gargoulettes. Voyez GARGOULETTE.

La terre de Patna passe pour absorbante & propre pour arrêter les cours de ventre ; mais l'artifice de cette poterie est plus joli que les vertus qu'on lui attribue ne sont réelles. On s'en sert dans le serrail du mogol, & dans les serrails des princes indiens. (D.J.)

TERRE PERSIQUE, (Hist. nat.) persica terra dans les auteurs d'histoire naturelle, est une terre du genre des ochres, nommée dans les boutiques de Londres rouge-indien, indian red ; c'est un ochre d'un très-beau pourpre, d'une texture compacte & très-pesante. On la trouve dans la terre d'un rouge sanguin, & il faut se servir de crocs de fer pour l'en tirer en masses irrégulieres ; sa surface est sale, inégale, pleine de particules larges, blanches & brillantes ; cette terre est rude au toucher, tache les mains profondement, est d'un goût très-astringent, & fait une violente effervescence avec des menstrues acides. On la fouille dans l'île d'Ormus au golfe Persique, & dans quelques parties des Indes orientales. (D.J.)

TERRE DE PORTUGAL, (Mat. méd.) c'est un bol fort astringent qu'on trouve en abondance dans les parties septentrionales du Portugal. Ce bol est compact, serré, très-pesant, d'un rouge éclatant, d'une tissure lisse & brillante, se rompant aisément entre les doigts, & les teignant légerement. Il s'attache fort à la langue, se fond promtement dans la bouche, a une saveur très-astringente, mais laisse comme un peu de sable entre les dents. Il ne fermente point avec les acides, & ne change que très peu sa couleur au feu. (D.J.)

TERRE-SAINTE, la, (Géog. mod.) pays d'Asie, ainsi nommé par excellence, pour avoir été sanctifié par la naissance & par la mort de notre Sauveur. On appelle proprement ce pays la Judée, la Palestine, voyez ces deux mots.

C'est assez de dire ici que ce pays reconnoît aujourd'hui le turc pour son souverain, & qu'il n'a plus que des bourgades dépeuplées. On lui donne soixante lieues d'étendue du midi au nord, & trente dans sa plus grande largeur. Il est en proie aux courses des Arabes, quoique présentement partagé entre trois émirs qui relevent du grand-seigneur, lequel outre cela y entretient deux sangiacs subordonnés au bacha de Damas. Ces trois émirs sont l'émir de Seyde, l'émir de Casaïr, & l'émir de Gaza.

L'émir de Seyde occupe presque toutes les deux Galilées, & possede depuis le pié de l'Antiliban jusqu'au fleuve de Madesuer. L'émir de Casaïr tient la côte de la mer depuis Caïpha, sous le mont Carmel, jusqu'à Jafa exclusivement. L'émir de Gaza a sous lui l'Idumée. Les deux sangiacs, ou gouverneurs turcs, prennent les noms de leur résidence, qui sont Jérusalem & Naplouse. Celui de Jérusalem a pour département la Judée, & celui de Naplouse commande dans la Samarie. Au-delà du Jourdain est ce qu'on appelle le royaume des Arabes. (D.J.)


TERRE-NOIXS. f. (Hist. nat. Bot.) bulbocastanum, genre de plante à fleur en rose & en ombelle, composée de plusieurs pétales disposés en rond & soutenus par un calice, qui devient dans la suite un fruit composé de deux petites semences oblongues ; ces semences sont ou lisses ou striées, relevées en bosse d'un côté & plates de l'autre. Ajoutez aux caracteres de ce genre, que la racine est charnue & tuberculeuse. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE.


TERRE-PLEINS. m. (Hydraul.) se dit d'un grand plein-pié ou espace de terre un peu étendu, dont on jouit sur une terrasse, sur un rempart dont le terrein est entierement plein. (K)

TERRE-PLEIN, LE, en termes de Fortification, est la partie supérieure du rempart où l'on place le canon & où les assiegés se mettent pour défendre la place. Voyez REMPART.

On l'appelle terre-plein, parce que c'est la partie vuide du rempart sur laquelle on peut faire les manoeuvres nécessaires pour défendre la place.

Le terre-plein a une pente insensible vers la place pour l'écoulement des eaux, afin qu'elles ne séjournent pas sur le rempart ; ce qui pourroit le dégrader.

Le terre-plein est terminé par le parapet du côté de la campagne, & par un talud intérieur du côté de la place : sa largeur est de 24 à 30 piés. Voyez PARAPET, &c. (Q)


TERREAUS. m. (Hist. nat. des Terres) terre noire, mêlée de fumier pourri dont tous les Jardiniers font des couches dans les jardins potagers pour fertiliser leurs terres & avancer la végétation de leurs plantes & de leurs légumes ; ils appellent autrement terrot ce vieux fumier bien consumé, bien pourri, & mêlé avec de la terre ; ce n'est pas cependant ce dont il s'agit dans cet article.

Nous entendons avec les Physiciens par terreau, une terre naturelle, qui n'est pas en tous lieux d'une profondeur égale, n'ayant qu'un pié dans quelques endroits, dans d'autres deux, quelquefois trois selon les différens terreins. Ce terreau est la matrice propre des végétaux, & c'est pourquoi les Physiciens ont cherché d'en connoître la nature par le moyen de l'eau & du feu. Pour y parvenir par le moyen de l'eau.

1°. On prend, par exemple, quatre livres de bon terreau frais, noir, réduit en poussiere, & qui aura été exposé à l'air pendant un an, sans avoir été épuisé par la végétation.

2°. On lessive ce terreau dans de l'eau bouillante, claire & nette, jusqu'à ce que toutes les parties capables de s'y dissoudre soient épuisées, ou imbibées par l'eau.

3°. Après avoir obtenu par ce moyen une lessive ou dissolution de ce terreau, on la filtre à-travers un double papier gris fort épais, jusqu'à ce qu'elle donne une liqueur transparente, ou au-moins dégagée de toutes les parties grossieres & terrestres, dont elle étoit chargée.

4°. Cette dissolution contiendra toutes les parties du terreau qui sont solubles dans l'eau bouillante.

5°. Pour rapprocher ces parties de maniere qu'elles puissent se manifester aux sens, & particulierement au goût, on fait évaporer le fluide le plus aqueux.

6°. On compare alors cette dissolution concentrée avec une portion de la premiere qui n'aura point été évaporée, & on lui trouvera évidemment le goût plus fort, ou plus salin.

7°. Pour que l'observation soit encore plus exacte, il faut pousser plus loin l'évaporation de la liqueur, & la faire crystalliser, pour voir si elle ne donnera point quelques sels.

8°. On verse sur une partie de la dissolution filtrée du syrop violat, &c. pour savoir si elle est acide, alkaline, ou neutre ; on la trouvera plutôt neutre qu'acide, ou alkaline.

9°. On lavera ensuite dans plusieurs eaux ce qui sera resté de la matiere terrestre, & on décantera à chaque fois la liqueur de la partie bourbeuse ; on la laissera reposer quelque tems, afin d'obtenir le sable pur qui est contenu dans le terreau, & on trouvera qu'il en fait une très-grande portion.

Cette expérience, ou plutôt cette combinaison d'expériences, nous enseigne une méthode pour réduire la terre matrice des végétaux à ses parties constituantes, sans altérer leur forme naturelle ni leurs propriétés.

D'après ces observations, il paroît qu'on peut établir un jugement certain sur le terreau, tant en général qu'en particulier, aussi loin que les expériences précédentes ont pu nous conduire. On acquiert par cet examen une regle pour composer un terreau artificiel par le mêlange des matieres qui le composent. On trouve donc par l'examen du terreau, qu'il contient une certaine quantité de terre très-fine capable de nager dans le liquide ; une plus considérable dont la nature est plus grossiere & plus pesante qui tombe au fond du vase ; un peu de sel neutre, & une très-grande quantité de sable.

Pour rendre encore cette expérience plus instructive, & plus utile à la découverte des principes de la végétation, & de la nature des différentes especes de terres & de plantes, il faudroit la comparer avec une analyse semblable de quelque matiere végétable. Pour cet effet on pile une plante tendre : on fait une lessive avec de l'eau chaude de toutes ses parties solubles, on fait évaporer ensuite l'humidité superflue, & on met à crystalliser ce qui sera resté après l'évaporation : on obtiendra la partie saline de la plante, sous une forme solide, qui sera de l'espece tartareuse ou nitreuse, conformément à la nature de ce végétal.

Si on arrose pendant le tems de sa végétation quelque plante alkaline, comme le cresson, avec une dissolution de nitre, quoique ce dernier fournisse beaucoup d'esprit acide dans la distillation, la plante sera toujours alkaline : il en est de même de toutes les autres plantes & des autres sels qu'on a jusqu'à présent essayés dans les mêmes vûes. Cette expérience prouve qu'il y a dans les plantes une faculté pour convertir la nature de tous les sels en celui qui leur est propre, & on trouve d'après l'expérience que les composés de terreau qui abondent en sel marin, en nitre ou en sel urineux, s'accordent tous à favoriser la végétation.

Comme il pourroit y avoir cependant quelques parties naturellement plus fixes contenues dans le terreau, qui se dissoudroient dans l'eau bouillante, & qu'elles peuvent être assez dégagées & assez digérées pour être capables de s'élever dans les végétaux, par l'action continue du soleil & de l'athmosphere, il est à-propos de tenter une analyse plus puissante sur le même sujet, c'est celle du feu.

Après avoir pesé deux livres de la même espece de terreau vierge, que celui de l'expérience précédente, on le met dans une retorte de terre, on l'expose à feu nud, & on la distille à un feu très-doux dans un récipient de verre, on augmente le feu par degré jusqu'à ce que la retorte soit rouge, & on la tient dans cet état pendant quelque tems. Il passera 1°. de l'eau ; 2°. de l'huile ; 3°. un esprit volatil, presque semblable à celui de corne de cerf, ou comme si on distilloit quelque matiere animale ; & 4°. il restera dans la retorte, selon toutes les apparences (la distillation étant finie), un caput mortuum fort sec, ou une terre fixe & inactive.

On fait une lessive d'une portion de ce caput mortuum, on le fait sécher, & on en réduit par la trituration, une autre portion en poudre très-fine : on met ensuite ces deux portions chacune dans un pot séparé, exposé à l'air libre pendant un an, afin d'éprouver si elles ne deviendront point fertiles.

Il paroît par cette expérience que notre terreau étoit d'une nature végétale ou animale, par les sels ou les sucs qu'on en a retirés. Sa matiere fixe nous prouve en même tems qu'il tient un peu de la nature minérale. Cette analyse nous fait voir qu'il ressemble beaucoup à la composition naturelle des végétaux & des animaux ; & elle nous apprend aussi pourquoi les substances animales & végétales forment un composé propre à engraisser la terre.

Si l'on veut savoir comment le terreau acquiert cette propriété, je crois qu'on en trouvera la cause en général dans l'expérience précédente sur les parties qui composent l'athmosphere ; ces parties étant animales & végétales aussi bien que minérales, abreuvent continuellement la surface de la terre : c'est par cette raison que les Jardiniers trouvent une si grande différence entre le terrein de Londres & celui de la campagne ; cette différence vient de la quantité de fumée précipitée de l'air journellement sur les jardins de cette ville : il en est de même des autres villes, & des campagnes qui les environnent.

En comparant ce procédé avec pareille analyse des substances végétales, animales & minérales, il paroît qu'une simple terre fixe est la base de tout corps animal, végétal, minéral & terrestre ; qu'elle est la partie vraiment solide, le soutien & la base de la chair, des os, des bois, des métaux, des différentes especes de terre, &c. puisqu'elle est elle-même d'une nature fixe & inaltérable.

M. Cartheuser rapporte des expériences du docteur Kulbel, sur la fertilité des terres. Par ces expériences ce dernier a retiré, par la digestion & la coction dans l'eau des terres grasses, une matiere terreuse onctuoso-saline. Ce sel dans les terres les plus fertiles étoit nitreux ; dans les autres il étoit semblable au sel marin ; enfin dans d'autres terres il étoit alkalin. Ce sel au contraire, dans les terres stériles, étoit d'une nature acide. Shaw, leçons de chymie. (D.J.)


TERREINS. m. (Archit.) c'est le fonds sur lequel on bâtit. Ce fonds est de différente densité ou consistance, comme de roche, de tuf, de gravier, de sable, de glaise, de vase, &c. & on doit y avoir égard lorsqu'on bâtit.

Terrein de niveau. C'est une étendue de terre dressée sans aucune pente.

Terrein par chûtes. Terrein dont la continuité interrompue est raccordée avec un autre terrein, par des perrons ou des glacis. Daviler. (D.J.)

TERREIN, (Archit. milit.) la premiere chose à laquelle on pense dans l'architecture militaire, est la qualité du terrein. On voit s'il est bon ou mauvais pour ce que l'on veut construire ; il y a des situations merveilleuses, dont le terrein ne vaut rien, & des situations mauvaises, dont les terres sont extrêmement bonnes, mais tellement commandées, que ce seroit une folie de s'y arrêter.

Les montagnes ont pour l'ordinaire le terrein pierreux ; c'est le plus mauvais. Il ne lie pas, & les parapets qui en sont faits ne valent rien ; quand on est contraint de fortifier dans un pareil endroit, on choisit les meilleures veines de terre pour faire le parapet, & on en fait apporter d'ailleurs. Ce terrein est cependant avantageux, en ce que l'assiégeant a de la peine à se couvrir dans ses approches, faute de bonne terre.

Le terrein sablonneux n'a point de liaison, & est sujet à s'ébouler ; lorsque l'on est contraint de s'en servir, on y mêle de la bonne terre ou du vieux fumier ; on a soin de bien revêtir les remparts de pierres ou de briques, & les parapets de gazons.

Le terrein marécageux est meilleur que les deux premiers, mais il n'est pas généralement bon ; étant élevé en remparts & en parapets, dès qu'il vient à sécher, il se désunit. On a de la peine à trouver assez de terre autour d'un endroit marécageux pour élever les remparts, parapets, & glacis, d'une hauteur raisonnable ; dans un terrein marécageux il faut piloter le fondement des ouvrages ; & quand on fortifie dans ces endroits, on attend les chaleurs, afin que la terre ait plus de consistance.

Le meilleur terrein pour fortifier, est ce qu'on appelle terre grasse ou forte. Cette terre est maniable ; on n'est point obligé de piloter les fondemens qu'on y jette, ni de revêtir les remparts, à-moins que l'on ne le veuille bien. (D.J.)

TERREIN, (Peint.) ce mot s'entend en Peinture, sur-tout en fait de paysages, d'un espace de terre distingué d'un autre & un peu nud, sur lequel il n'y a ni bois fort élevés, ni montagnes fort apparentes. Les terreins aident beaucoup à la perspective d'un paysage, parce qu'ils se chassent les uns les autres, soit par leurs frottemens, soit par le clair-obscur, soit par la diversité des couleurs, soit enfin par une liaison insensible qui conduit d'un terrein à l'autre. (D.J.)


TERRENEUSEou TER-NEUSE, (Géog. mod.) forteresse & espece de petite ville de la Flandre hollandoise, à deux lieues au nord de la ville d'Axel, sur le bord de l'Escaut occidental, & entre les branches de ce bras de mer ; cette espece de fort est délabré, & contient à peine deux cent habitans. (D.J.)


TERRERTERRER

TERRER, (Jardinage) c'est faire apporter de la terre dans les places creuses, ou dans celles que l'on veut élever.

TERRER une vigne, (Agriculture) c'est l'amender par de nouvelles terres choisies, pour la rendre plus fertile.

La haute vigne, plantée dans les jardins, où la terre est ordinairement bonne d'elle-même, n'a pas besoin d'être terrée ; mais dans la moyenne vigne, le transport de terres lui est extrêmement nécessaire, sur - tout lorsqu'on voit que cette vigne ne donne plus que de chétives productions ; voici donc comme se fait le terrage des vignes.

On prend d'un endroit destiné à amender les vignes de la terre qui y est, qu'on porte dans des hottes plus ou moins grandes à un bout de la vigne, observant toujours que c'est à celui qui est le plus haut de la vigne qu'on doit la porter, à cause qu'elle descend assez dans le bas par le moyen des labours qu'on lui donne.

Lorsqu'on terre ces sortes de vignes, ou l'on ne fait simplement que des têtes tout du long de leur extrêmité du bout d'en-haut, ou bien on les terre tout le long des perchées. Si ce ne sont que des têtes, on se contente de porter de ces terres destinées au bout d'en-haut, & commençant à faire une tête, on jette hottée de terre sur hottée, jusqu'à ce qu'il y ait un pié & davantage de hauteur, & douze piés de longueur, le tout également haut.

Si on terre les vignes tout du long des perchées, il faut que sur le haut de chacune, il y ait seulement une tête de la hauteur de terre qu'on a dit, & longue de quatre bons piés. C'est assez pour le reste que la terre soit mise le long de chaque perchée à l'épaisseur de quatre doigts. Une perchée étant terrée de cette maniere, on en recommence une autre, & on continue ainsi jusqu'à ce que l'ouvrage soit fini. Pour les vignes ruellées, on jette la terre que l'on porte dans les rigoles, les hottées distantes l'une de l'autre, autant qu'on le juge à propos. Ce travail se pratique depuis le mois de Septembre jusqu'au mois de Mars.

Il faut remarquer que dans l'une & l'autre espece de vigne, lorsqu'on a été obligé de faire des provins, & qu'il est question la seconde année qu'ils soient repris, de les terrer pour leur faire prendre des forces, on peut les terrer seuls & par trous, sans qu'il soit besoin pour cela d'attendre que la vigne où ils sont, demande qu'on la terre entierement. Toutes vignes qui ont été terrées, & où par conséquent la terre a été mise grossierement, doivent dès le premier labour qu'on leur donne, être labourées à uni, & fort profondément. Enfin, on remarquera qu'en terrant quelque vigne que ce soit, plus on s'approche du bas, moins on doit mettre les hottées de terre près les unes des autres, à cause que cette terre descend toujours. (D.J.)

TERRER l'étoffe, (Dégraisserie) c'est la glaiser, ou l'enduire de terre à foulon. (D.J.)

TERRER du sucre, (Sucrerie) c'est le blanchir pour en faire la cassonade blanche. Trévoux. (D.J.)

TERRER, SE, v. n. (Vénerie) il se dit des animaux qui se retirent dans des trous faits en terre, qui y vivent ou qui s'y réfugient contre la poursuite du chasseur.


TERRESTRETERREUX, TERRIEN, (Synon.) terrestre signifie qui appartient à la terre, qui vient de la terre, qui tient de la nature de la terre ; les animaux terrestres, exhalaison terrestre, bile sablonneuse & terrestre. Terrestre est aussi opposé à spirituel & à éternel ; la plûpart des hommes n'agissent que par des vues terrestres & mondaines. Terreux signifie qui est plein de terre, de crasse ; un visage terreux, des mains terreuses, des concombres terreux. Celui qui possede plusieurs terres étendues, est un grand terrien : les Espagnols disent que leur roi est le plus grand terrien du monde ; que le soleil se leve & se couche dans son domaine ; mais il faut ajouter qu'en faisant sa course, il ne rencontre que des campagnes ruinées, & des contrées desertes. (D.J.)

TERRESTRE, globe, TERRAQUEE, globe, (Synon. Géog.) le globe terrestre est ainsi dit par opposition au globe céleste, sur lequel les constellations sont rangées pour l'étude de l'astronomie. Le globe terraquée est dit ainsi, parce qu'il sert à faire connoître la situation des continens, des îles & des mers qui les environnent pour l'étude de la géographie. Quoique cette différence d'aspect semble établir une différence d'usage entre ces deux mots, il faut néanmoins avouer que fort peu d'autres disent le globe terraquée. (D.J.)


TERRETTES. f. (Hist. nat. Botan.) c'est une espece de calament, calamintha humilior, folio rotundiori, I. R. H. nommée communément lierre terrestre. Voyez LIERRE TERRESTRE.

TERRETTE, (Géogr. mod.) petite riviere de France, dans la Normandie, au Cotentin. Elle a sa source vers le village de Lourseliere, & se décharge dans le Taute.


TERREURS. f. (Gram.) grand effroi causé par la présence ou par le récit de quelque grande catastrophe.

Il semble assez difficile de définir la terreur ; elle semble pourtant consister dans la totalité des incidens, qui en produisant chacun leur effet, & menant insensiblement l'action à sa fin, operent sur nous cette appréhension salutaire, qui met un frein à nos passions sur le triste exemple d'autrui, & nous empêche par-là de tomber dans ces mêmes malheurs, dont la représentation nous arrache des larmes ; en nous conduisant de la compassion à la crainte, elle trouve un moyen d'intéresser notre amour-propre par un sentiment d'autant plus vif du contrecoup, que l'art de la poésie ferme nos yeux sur une surprise aussi avantageuse, & fait à l'humanité plus d'honneur qu'elle ne mérite.

On ne peut trop appuyer sur les beautés de ce qu'on appelle terreur dans le tragique. C'est pourquoi nous ne pouvons manquer d'avoir une grande opinion de la tragédie des anciens : l'unique objet de leurs poëtes étoit de produire la terreur & la pitié. Ils choisissoient un sujet susceptible de ces deux grandes passions, & le façonnoient par leur génie. Il semble même que rien n'étoit plus rare que de si beaux sujets ; puisqu'ils ne les puisoient ordinairement que dans une ou deux familles de leurs rois. Mais c'est triompher de l'art que de réussir en ce genre, & c'est ce qui fait la gloire de M. Crébillon sur le théâtre françois. Toute belle qu'est la description de l'enfer par Milton, bien des gens la trouvent foible auprès de cette scène de Hamlet, où le phantome paroît. Il est vrai que cette scène est le chef-d'oeuvre du théâtre moderne dans le genre terrible : elle présente une grande variété d'objets, diversifiés de cent façons différentes, toutes plus propres l'une que l'autre à remplir les spectateurs de terreur & d'effroi. Il n'y a presque pas une de ces variations qui ne forme un tableau, & qui ne soit digne du pinceau d'un Caravage. (D.J.)

TERREUR, (Mythol.) divinité du paganisme. Hésiode dans sa théogonie, dit que la terreur & la crainte étoient nées de Mars & de Vénus. Lorsqu'Homere décrit les armes de Minerve allant au secours de Diomede & des Grecs, il met sur son égide la Peur, la Discorde, la Terreur & la Mort. Dans le liv. II. où il décrit le bouclier d'Agamemnon qui se prépare au combat, il dit qu'au milieu de ce bouclier étoit gravé en relief l'épouvantable Gorgone accompagnée de la Terreur & de la Fuite. Dans le XV, lorsque Mars apprend par le récit de Junon que l'on a tué son fils Ascalaphe, ce dieu ému de colere ordonne à la Terreur & à la Fuite d'atteler son char. (D.J.)


TERRIERS. m. (Gram. Jurisprud.) ou papier terrier, est le recueil de foi & hommages, aveux & dénombremens, déclarations & reconnoissances passées à une seigneurie par les vassaux censitaires, emphitéotes & justiciables.

On énonce aussi ordinairement dans le préambule des terriers tous les droits de la terte & les fiefs qui en dépendent. Ces préambules ne sont pas obligatoires, à moins que les redevables n'y aient parlé. Mais lorsque les terriers sont anciens, ils font une preuve de possession.

Pour la confection d'un terrier, on obtient ordinairement en grande ou petite chancellerie des lettres, qu'on appelle lettres de terrier, à l'effet de contraindre tous les vassaux & sujets à représenter leurs titres & passer nouvelle reconnoissance.

Les seigneurs qui agissent en vertu d'un acte d'inféodation, bail à cens ou autre contrat, n'ont pas besoin de lettres de terrier pour se faire passer reconnoissance : les lettres ne sont nécessaires que pour contraindre leurs vassaux & sujets à représenter leurs titres, & à passer reconnoissance devant le notaire qui est commis.

L'ordonnance de Blois & l'édit de Melun dispensent les ecclésiastiques d'obtenir des lettres de terrier pour ce qui releve de leurs bénéfices.

Lorsqu'un seigneur a plusieurs terres en différentes jurisdictions, & qu'il ne veut faire qu'un seul terrier, il faut qu'il obtienne des lettres en grande chancellerie, portant que le notaire qui sera commis recevra les reconnoissances même hors de son ressort.

Les lettres de terrier doivent être enregistrées par le juge royal, auquel elles sont adressées ; cependant quand les terres ne relevent pas en premiere instance d'un juge royal, on autorise quelquefois pour les lettres le juge royal à déleguer le juge des lieux pour regler les contestations.

Les lettres de terrier enregistrées, on fait ensuite des publications au marché, s'il y en a un dans le lieu, ou à l'issue des messes de paroisse, & l'on met ensuite des affiches qui en font mention.

Ces publications tiennent lieu d'interpellation générale à tous les vassaux & sujets pour passer reconnoissance dans le délai qui est indiqué, & faute d'y satisfaire, ils peuvent être contraints par amende.

On inseroit autrefois dans les lettres de terrier un relief de prescription en faveur du seigneur ; mais l'usage de cette clause a été abrogé par une déclaration du 19 Août 1681.

Le terrier doit régulierement être fait dans l'an de l'obtention des lettres.

Lorsqu'il est parachevé, il faut le faire clorre par le juge.

Un terrier pour tenir lieu de titre doit avoir cent ans, & en rappeller un autre ; il y a néanmoins des cas où une seule reconnoissance suffit. Voyez AVEU, DECLARATION, RECONNOISSANCE, PRESTATION. Voyez Henris, liv. III. ch. iij. qu. 19. Basset, liv. III. tit. 7. le traité des terriers de Belami, la pratique des terriers de Freminville. (A)

TERRIER D'ANGLETERRE, grand, (Jurisprudence) liber judicialis vel censualis Angliae, le livre judiciaire, ou le registre de tous les biens en fonds de terre du royaume d'Angleterre est un registre très-ancien, fait du tems de Guillaume le Conquérant, pour connoître les différentes comtés ou provinces, les cantons, divisions de cantons, &c. dont l'Angleterre étoit composée.

Le dessein que l'on se proposa dans la composition de ce livre, fut que l'on eût toujours un registre, par lequel on pût juger des tenemens des biens : il sert encore aujourd'hui à décider cette fameuse question, si les terres sont un ancien domaine ou non. Les vers suivans contiennent un sommaire de ce qui est renfermé dans ce registre.

Quid debent fisco, quae, qualia, quanta tributa

Nomine, quid censûs, quae vectigalia, quantum

Quisque teneretur feodali solvere jure ;

Qua sunt exempti, vel quos angaria damnet,

Qui sunt vel glebae servi, vel conditionis,

Quove manumissus patrono jure ligatur.

On conserve encore ce livre dans l'Echiquier, il est très-net & très-lisible ; il consiste en deux volumes, un grand & un petit : le plus grand contient toutes les provinces d'Angleterre, excepté le Northumberland, le Cumberland, le Westmoreland, le Durham & une partie du comté de Lancashire, qui n'ont jamais été arpentées, & encore les comtés d'Essex, de Suffolk & de Norfolk, qui sont renfermés dans le plus petit volume, terminé par ces mots : anno millesimo octogesimo sexto ab incarnatione Domini, vigesimo vero regis Wilhelmi, facta est ista descriptio, non solum per hos tres comitatus, sed etiam alios.

Il est appellé liber judicialis, à cause qu'il contient une description juste & exacte de tout le royaume, avec la valeur des différens héritages, &c.

Il fut commencé par cinq juges, que l'on nomma à cet effet dans chaque comté en 1081, & il fut achevé en 1086. Cambden l'appelle Gulielmi librum censualem, le livre des taxes du roi Guillaume.

Les anciens Anglois avoient plusieurs de ces papiers ou de ces registres terriers. Ingulfus nous apprend que le roi Alfred fit un registre semblable à celui de Guillaume le Conquérant. Il fut commencé à l'occasion de la division que fit ce prince du royaume en cantons, & autres subdivisions ; quand on eut fait le dénombrement des différens districts, on les rangea dans un registre appellé domboc, c'est-à-dire, livre de jugement, qui fut déposé dans l'église de Winchester, c'est ce qui fait qu'on l'appelle aussi le livre de Winchester, & Rotulus Wintoniensis, & c'est sur le modele de ce domboc que l'on fit le grand terrier de Guillaume le Conquérant.

Celui du roi Alfred renvoyoit au tems du roi Ethelred, & celui de Guillaume le Conquérant au tems d'Edward le Confesseur : les enregistremens étoient conçus de la maniere suivante ; C. tenet rex Gulielmus in dominico, & valet ibi ducatae, &c. T. R. E. valebat, c'est-à-dire, valoit autant sous le regne du roi Edward, tempore regis Eduardi.

Il y a un troisieme domboc, ou registre terrier in-4 °. qui differe de l'autre in-folio beaucoup plus par la forme que par la matiere. Il fut fait par l'ordre du même conquérant, & paroît être le plus ancien des deux.

Il y a un quatrieme livre dans l'Echiquier, que l'on appelle domes-day, qui n'est qu'un abregé des deux autres, quoique ce soit un fort gros volume. On voit au commencement un grand nombre de portraits & de lettres d'or, qui renvoyent au tems d'Edward le Confesseur.


TERRIERES. f. terme de Laboureur, trou que les renards, les lapins, & quelqu'autres animaux font dans la terre pour se cacher. (D.J.)


TERRINES. f. terme de Potier de terre, ouvrage de poterie qui a le bord rond, qui est creux, qui n'a ni piés, ni anses, & qui depuis le haut jusqu'au fond, va toujours en étrécissant.


TERRIRv. n. (Marine) c'est prendre terre après une longue traversée.


TERRITOIRES. m. (Gram. & Jurisprud.) est une certaine étendue de terrein qui dépend d'une province, d'une ville, seigneurie, justice, ou paroisse.

Quelques-uns tirent l'étymologie de ce mot à terrendo, parce que le magistrat a dans son territoire jus terrendi.

Mais l'étymologie la plus naturelle, est que l'on a dit territorium a terrâ, parce qu'en effet le territoire est universitas agrorum intra fines.

Le territoire d'un lieu est souvent différent du ressort : car le territoire désigne le pays, & le ressort désigne la justice à laquelle ce lieu ressortit, soit directement, ou par appel ; ainsi un lieu peut être du territoire de Bourgogne, & être du ressort du bailliage de Mâcon.

L'enclave est aussi différent du territoire ; en effet, celui-ci est l'étendue du terrein, & l'enclave est l'enceinte qui forme la circonscription de ce terrein. Voy. Loiseau, des seigneuries, ch. xij. & les mots ENCEINTE, ENCLAVE, LIMITES, DISTRICT, JUSTICE, JURISDICTION, PAROISSE, SEIGNEURIE. (A)


TERROIRS. m. (Agricult.) terrein, ou espace de terre considéré selon ses qualités : on dit un bon terroir, un terroir ingrat, un terroir humide, sec, marécageux, pierreux, sablonneux, gras, maigre, stérile, fertile, à vigne, à blé, &c.


TERROTERv. act. (Jardinage) c'est repandre du terreau, d'un pouce ou deux d'épaisseur, sur une couche, sur une planche de potager, sur une platebande de parterre, sur des caisses d'orangers, & autres arbres à fleurs.

Cette opération empêche les terres d'être trop battues par les pluies, donne de l'amour à celle sur laquelle on l'étend, & sert à faire avancer les graines, à faire fleurir les arbres, & à les entretenir bien verds.


TERRURES. f. (Agricult.) partage de terre dans un lieu. Il ne faut qu'une terrure nouvelle, mais en petite quantité, au pié des vignes basses, & la regle est de mettre toujours un pié de distance entre une hottée & une autre : une terrure plus forte pourroit dénaturer les vignes, ôter la finesse au vin, & former sur le pié une épaisseur capable de le priver de ces influences de l'air, qui y portent le feu & les sucs les plus parfaits. (D.J.)


TERSERv. act. (Agricult.) c'est donner un troisieme labour à la terre ; il est tems de terser les vignes.


TERSETou TERCET, s. m. (Littérat.) il se dit de trois vers liés ensemble par le sens, qui ne se repose qu'à la fin de ces trois vers. Boileau dit du sonnet & des regles de ce petit poëme, présenté par Apollon même :

Il voulut que six vers, artistement rangés,

Fussent en deux tersets, par le sens partagés.


TERTIAIRECHANOINE, (Jurisprud.) Voyez au mot CHANOINE, l'article CHANOINE TERTIAIRE.


TERTIANAIRES. f. (Hist. nat. Bot.) cette plante est l'espece de casside nommée par Tournefort, cassida palustris, flore caeruleo. I. R. H.

Sa racine est menue, noueuse, blanche, rampante, fibreuse, vivace ; elle pousse des tiges à la hauteur d'environ deux piés, quarrées, rameuses, un peu rudes, foibles, & inclinées vers la terre, où elles s'enracinent de nouveau par le moyen des fibres qui partent de leurs jointures ; ses feuilles sont longues, étroites, pointues, dentelées en leurs bords, ameres, attachées à des queues courtes, & d'un verd brun ; ses fleurs sortent des aisselles des feuilles, opposées l'une à l'autre, petites, formées en gueule, ou en tuyau découpé par le haut en deux levres, dont la supérieure est un casque, accompagné de deux oreillers, & l'inférieure est ordinairement échancrée ; cette fleur est velue en dehors, de couleur violette, bleuâtre, & marquée de petits points d'un bleu foncé ; à ces fleurs succedent quatre semences presque rondes, renfermées dans une capsule qui a servi de calice à la fleur, & qui ressemble à une tête couverte d'une toque.

Cette plante croît le long des étangs & des fossés, des ruisseaux, & autres lieux aquatiques ; elle fleurit en Juin, Juillet, & Août ; on l'emploie rarement en médecine ; Ray en a fait une espece de lysimachie. (D.J.)


TERTIASadj. (Ordon. pharmac.) la formule latine ad tertias, dont on fait un usage fréquent dans les ordonnances de pharmacie, n'est pas bonne, parce qu'elle souffre deux interprétations différentes ; car lorsqu'il s'agit des décoctions, elle peut signifier un tiers ou deux tiers : ainsi si l'on ordonne que l'ébullition soit poussée ad tertias, on peut entendre que la liqueur soit réduite à un tiers, & qu'il s'en évapore deux ; ou que la liqueur soit réduite à deux tiers, & qu'il s'en évapore un. Il faut s'énoncer nettement dans une ordonnance, & ne jamais laisser le moindre doute à l'apoticaire sur l'intention qu'on a. (D.J.)


TERTRES. m. (Jardinage) est une éminence qui s'éleve au milieu d'une plaine, en forme d'un monticule qui est détaché des côtes voisines. Il y en a de deux sortes, le naturel & l'artificiel ; le naturel est celui dont on vient de parler ; l'artificiel est un terreplein, élevé, ou une terrasse faite de main d'homme.

TERTRE, s. m. (Tannerie) morceau de bois de la grosseur de la jambe, & long de quatre ou cinq piés ; il est posé horisontalement sur trois piés, dont deux sont aux deux bouts & presque perpendiculaires, & le troisieme est au milieu, mais en affourche, s'éloignant par son extrêmité d'en-bas, de plus de deux piés & demi en arriere ; c'est sur quoi posent les mains & s'appuyent les garçons tanneurs, qui font des tourbes ou des mottes de vieilles tannées. Dict. du Comm. (D.J.)


TERTYLLIEN(Jurispr.) ou selon quelques-uns Tertullien est le surnom d'un senatus consulte qui fut ainsi appellé d'un certain Tertyllius ou Tertullus, qui en fut l'auteur.

Quelques-uns ont confondu ce Tertyllius ou Tertullus, avec le fameux Tertullien, auteur de l'apologétique ; mais c'est une erreur qui a été relevée par plusieurs auteurs : on peut voir à ce sujet l'hist. de la jurispr. rom. de M. Terrasson, & le dict. de Moreri, à l'article de Tertullien.

Tertyllius, ou Tertullus fut consul sous l'empire d'Adrien.

Jusqu'alors, suivant la loi des douze tables, les cognats, cognati, c'est-à-dire ceux qui étoient parens seulement par les femmes, ne succédoient point ; la mere même ne succédoit point à ses enfans, ni les enfans à la mere.

Cependant pour adoucir la rigueur de ce droit, le préteur accorda depuis à ces personnes, la possession des biens appellés undè cognati.

L'empereur Claude admit la mere à la succession de ses enfans.

Le senatus consulte tertyllien, qui fut fait sous le consulat de Tertyllus & de Maxime, admit à la succession de ses enfans, la mere ingénue qui en avoit trois, & la mere affranchie qui en avoit quatre, voulant recompenser ainsi la fécondité de la mere.

Cette succession tertullienne fut appellée luctuosa, parce qu'elle est contre l'ordre de nature.

Le senatus consulte tertyllien n'admettoit cependant la mere à la succession de ses enfans, qu'au défaut des héritiers siens, ou de ceux qui en tenoient lieu, c'est-à-dire, les enfans émancipés que le préteur appelloit comme héritiers siens.

Il falloit aussi pour que la mere succédât, qu'il n'y eût point d'enfans de la fille décedée, car s'il y en avoit, ils étoient préférés à leur ayeule, quand même ils n'auroient pas été héritiers siens de leur défunte mere.

Le pere & le frere étoient aussi préferés à la mere ; mais la soeur consanguine étoit admise avec elle, bien entendu que la mere ne concouroit qu'au cas qu'elle eût le nombre d'enfans que l'on a expliqué.

Mais Justinien a dérogé au senatus consulte tertyllien, en admettant la mere à succéder, quoiqu'elle n'ait pas eu le nombre d'enfans qui étoit requis par le senatus consulte. Voyez la loi mariti, (ex mensium ad leg. juliam de adulteriis), & aux institutes, liv. II. le tit. 3. de senatus consulto tertylliano : voyez aussi MERE, EDIT DES MERES, SUCCESSION DES MERES. (A)


TERUEL(Géog. mod.) en latin Tiarulia ; ville d'Espagne, au royaume d'Aragon, sur les confins de celui de Valence, au confluent du Guadalquivir & de l'Alhambra, à 26 lieues de Saragosse, & à 48 de Madrid. C'est une ville considérable par son évêché, suffragant de Saragosse, & par le commerce qu'on y fait ; il y a huit paroisses, cinq couvens, & un riche hôpital ; les fruits que son terroir produit, sont exquis ; cette ville fut érigée en cité en 1347 par dom Pedro IV. les états qui furent tenus en 1427, par Alphonse V. y confirma tous ses privileges. Quelques-uns croyent que c'est la Turbula de Ptolémée, l. II. c. vj. Long. 16. 38. latit. 40. 27. (D.J.)


TERUNCIUSdans l'antiquité, étoit une petite piece de monnoie de cuivre, en usage chez les Romains. Voyez COIN.

Comme on ne fut pas long-tems à s'appercevoir combien ces petites pieces étoient incommodes dans le commerce, & sujettes à se perdre, elles cesserent d'avoir cours, & on n'en conserva que le nom, pour en faire une monnoie de compte. Voyez MONNOIE.

Le teruncius fut d'abord le quart de l'as, ou de la livre romaine : ainsi comme l'as contenoit douze onces, le teruncius en contenoit trois, d'où lui vint le nom de teruncius, ou piece de trois onces.

Le teruncius se prenoit aussi pour le quart du denarius, denier ; ainsi quand le denier valoit dix as, le teruncius en valoit deux & demi ; & quand le denier en valoit seize, le teruncius en valoit quatre. Voyez DENIER.


TERWERE(Géog. mod.) petite ville des Provinces-unies. Voyez WERE. (D.J.)


TESCATILPUTZA(Hist. mod. Superst.) nom d'une divinité adorée par les Mexiquains, à qui ils adressoient leurs voeux pour obtenir le pardon de leurs fautes. Cette idole étoit d'une pierre noire, luisante & polie comme du marbre, & parée de rubans ; elle avoit à la levre inférieure des anneaux d'or & d'argent, avec un petit tuyau de crystal, d'où sortoit une plume verte ou bleue ; la tresse de ses cheveux étoit dorée, & supportoit une oreille d'or souillée par de la fumée, pour représenter les prieres des pécheurs. Cette statue avoit sur la poitrine un lingot d'or fort grand ; ses bras étoient couverts de chaînes d'or, & une grande émeraude formoit son nombril ; elle tenoit dans la main gauche une plaque d'or unie comme un miroir, d'où sortoient des plumes de différentes couleurs ; la main droite portoit quatre dards. Ce dieu étoit très-redouté des Mexiquains, parce qu'on craignoit qu'il ne punît & ne révélât les crimes que l'on avoit pu commettre. Sa fête se célébroit tous les quatre ans, c'étoit une espece de jubilé, qui apportoit un pardon général de toutes les fautes.


TESCHEN(Géog. mod.) ville de la haute Silésie, aux confins de la Moravie, de la petite Pologne, & de la Hongrie, sur la rive droite de l'Else, à treize lieues de Cracovie au couchant, & à douze au levant d'Olmutz, avec un fort château. Elle est en partie sur une hauteur, & en partie dans une vallée. C'est la capitale du duché de Teschen. Long. 36. 28. latit. 49. 45. (D.J.)

TESCHEN, duché de, (Géog. mod.) petit pays du royaume de Boheme, dans la haute Silésie. Il a la petite Pologne à l'Orient, la haute Hongrie au midi, & le duché de Ratibor au septentrion. Il tire son nom de sa capitale & unique place. (D.J.)


TESDI(Géog. mod.) ville de l'Afrique, au royaume de Maroc, dans une plaine, à une lieue de la riviere de Sus, à douze de Tarudant, à vingt de la mer, & à sept du grand Atlas ; elle est la résidence d'un gouverneur. (D.J.)


TESEGDELT(Géog. mod.) ville d'Afrique, au royaume de Maroc, sur un rocher escarpé, proche de la riviere. Elle a un gouverneur au nom du chérif. On y recueille beaucoup d'orge & d'huile. (D.J.)


TESIIK-AGASI-BACHIterme de Relat. c'est ainsi qu'on nomme en Perse le commandant de la garde du roi, composée de deux mille fantassins. (D.J.)


TÉSINLE, (Géog. mod.) ou plutôt Tesino, en latin Ticinus, riviere d'Italie, dans le Milanez. Elle a deux sources, l'une au mont saint Gothard, & l'autre au bailliage de Bellinzone. Cette riviere baigne Pavie, & à quelques milles au - dessous se perd dans le Pô. (D.J.)


TESKEREGI-BACHIS. m. (Hist. mod.) grand officier de la Porte-ottomane, pour l'administration des affaires de l'empire sous le grand visir. C'est le premier secrétaire d'état, chargé de toutes les affaires importantes qui se décident, soit au galibé divan, soit par le prince en son particulier. Le teskeregi-bachi expedie toutes les lettres patentes & missives du grand-seigneur, les saufs-conduits, kat-chérifs, & autres mandemens. Tous les secrétaires, tant du prince que des bachas, & des trésoriers de l'épargne, en un mot de tous ceux qui manient la plume pour les affaires de l'état, de la guerre & des finances, sont soumis à ce sécretaire majeur, qui est leur chef, ainsi que le porte son nom ; teskeregi en langue turque signifiant secrétaire ; & bachi, chef, c'est-à-dire chef ou surintendant des secrétaires. Guer. Moeurs des Turcs, t. II.


TESQUAou TESCA, neut. pl. (Littérat.) étoit un mot sabin qui signifioit proprement des lieux embarrassés de ronces, & où il étoit difficile de pénétrer. On l'a employé ensuite pour désigner toutes sortes de lieux élevés, couverts de bois & d'un accès difficile. Les Grecs disoient . Actius dans le Philoctète :

Quis tu es mortalis qui in deserta lemnia

Et tesca te adportas loca.

" Qui es-tu toi qui viens dans ces déserts de Lemnos, dans ces lieux inaccessibles & inhabités ? " Enfin comme les tesqua étoient des lieux sauvages & élevés, on nommoit du même nom les lieux de cette espece destinés à prendre les augures, en considérant le vol des oiseaux. Tesqua, dans Varron, désigne aussi certains lieux inhabités à la campagne & consacrés à quelque divinité.

Horace dans son épître à l'intendant de sa terre, lui dit :

Nam quae deserta & inhospita tesqua

Credis, amoena vocat, mecum qui sentit.

" Ces lieux que tu appelles une solitude affreuse, un homme qui les regarde de même oeil que moi, les trouve des lieux enchantés. "

La terre d'Horace paroissoit à son intendant un désert, un lieu inhabité, parce qu'il n'y trouvoit ni cabaret, ni courtisanne. (D.J.)


TESSARACONTA(Antiq. grec.) , c'est ainsi qu'on nomma chez les Athéniens quarante magistrats inférieurs qui dans le district des différens bourgs soumis à leur jurisdiction, décidoient des petites batteries entre particuliers & des procès dont la valeur en argent n'excédoit pas dix drachmes. Potter, Archaeol. Graec. tom. I. p. 122. (D.J.)


TESSARACOSTON(Antiq. grecq.) , solemnité religieuse qu'observoient les femmes le quatorzieme jour après leurs couches, en se rendant au temple, & en marquant aux dieux par quelques présens la reconnoissance dont elles étoient pénétrées pour leur heureuse délivrance. Potter, Archaeol. graeca tom. I. p. 432. & tom. II. p. 335. (D.J.)


TESSEAUXvoyez BARRES DE HUNE.


TESSERAETESSERAE


TESSÉRAIRE(Art milit. des Rom.) parmi les Romains le tesséraire étoit un bas officier qui prenoit à l'armée le mot du tribun écrit sur une tablette, & le portoit au centurion. Cette maniere de donner le mot du guet parut plus sûre que de le donner de vive voix, parce que le mot donné de vive voix peut être mal entendu & mal rapporté. Voyez MILITAIRE, discipline des Romains. (D.J.)


TESSERE(Littérat.) tessera ; ce mot avoit chez les Romains plusieurs acceptions différentes. Il signifioit un dé à jouer ; il vouloit dire aussi le mot du guet, à la faveur duquel les soldats se reconnoissoient entr'eux & se distinguoient des ennemis. Plusieurs croyent que ce mot signifioit encore une mesure de blé qu'on donnoit aux soldats. Du tems des empereurs on distribuoit au peuple des tesseres, pour aller recevoir les présens qu'on lui faisoit en blé, en huile, en or, en argent, & en autres choses d'un prix plus ou moins considérable. Quelques tesseres ont servi de sceaux.

Le nom de tessere se donnoit aussi aux marques ou contremarques qu'on distribuoit au peuple pour l'entrée des théâtres. Celles de ce genre qui sont fort communes, justifient, ou plutôt font excuser l'usage où nous sommes de les attribuer sans distinction aux théâtres. Leur matiere étoit arbitraire, & leur forme varioit suivant leur destination.

Plusieurs tesseres étoient d'ivoire ; elles exigeoient nécessairement la main du sculpteur pour former le relief dont elles étoient décorées, & celles du graveur pour marquer les lettres ou les différens signes que portoient ces trois sortes de billets. Parmi celles de cette espece qui nous sont restées, il y en a un grand nombre de forme ronde & semblables aux pieces de monnoie ; l'une représente une tête d'empereur, avec des lettres au revers ; une autre un masque de théâtre, ayant aussi des lettres au revers ; une troisieme un homme à cheval ; le revers ne présente point de lettres, mais seulement un signe de convention.

Plusieurs autres tesseres étoient de bois, ainsi que celles que l'on a trouvées à Herculaneum ; leur forme est singuliere. Voyez-en les Planches.

Un grand nombre étoit de plomb & de forme semblable aux monnoies. Elles représentoient des divinités égyptiennes ou grecques, des têtes d'empereurs, ou tels autres signes qu'on jugeoit à-propos. Voyez TESSERAIRE, TESSERE DE GLADIATEUR, TESSERE D'HOSPITALITE, &c. (D.J.)

TESSERE DE GLADIATEUR, (Antiq. rom.) espece de certificat, d'os ou d'ivoire, sur lequel on lit qu'un tel gladiateur a combattu un tel jour en public.

La plûpart des inscriptions sont gravées sur une petite tablette d'os de la forme d'un cube prolongé par les deux côtés opposés, ou d'un prisme quadrilatere, & cette tablette est parfaitement semblable à plusieurs de celles que Thomassin a fait graver dans son traité de tesseris hospitalitatis.

Parmi les différentes especes de tesseres dont cet antiquaire a parlé dans son ouvrage, il n'a pas négligé de faire mention des tesseres qu'on avoit coutume de distribuer dans les jeux solemnels, & en particulier de celles qu'on donnoit aux gladiateurs, comme une sorte de certificat qu'ils avoient combattu un tel jour en public. C'est même de cette espece de tesseres qu'on trouve un plus grand nombre aujourd'hui. Il y en a quelques-unes dans le second dialogue d'Antoine Augustin sur les médailles, dans les recueils de Gruter & de Reinésius ; mais on peut en voir une collection beaucoup plus ample dans l'ouvrage de Fabretti.

La figure de toutes ces tesseres est la même ; elles sont toutes, ou d'os, ou d'ivoire ; les inscriptions qu'on y lit, sont ordinairement distribuées en quatre lignes qui occupent les quatre faces du prisme, & quelquefois en trois lignes seulement ; ces inscriptions ne contiennent que le nom du gladiateur, le jour où il avoit paru en public, & les noms des consuls de cette année ; rarement y est-il fait mention de l'arme dont le gladiateur s'est servi ; il y en a cependant une sur laquelle est gravé un trident, pour marquer que Philomusus est du nombre de ces gladiateurs nommés rétiaires, qui combattoient avec un filet dans une main & un trident de l'autre. Le tessere d'Hermia qui étoit dans le cabinet de M. le président de Mazaugues, n'est chargé d'aucun symbole ; ainsi il n'est pas possible de décider dans quelle espece de combat ce gladiateur s'est distingué. L'inscription doit être lue ainsi : Hermia spectatus ante diem xv. kalendas Decembris, Q. Fusio R Vatinio consulibus.

La plus ancienne de ces tesseres qui nous soit connue, est datée du consulat de M. Terentius & de C. Cassius, c'est-à-dire, l'an de Rome 681 ; la seconde est de l'an 684 ; la troisieme de l'an 694 ; la quatrieme de l'an 696 ; la cinquieme de l'an 701 ; celle de M. de Mazaugues est la sixieme dans l'ordre des tems, puisqu'elle est de l'an 707. Mém. des Inscript. tom. XV. in-4 °. (D.J.)

TESSERE DE L'HOSPITALITE, (Hist. rom.) tessera hospitalitatis, marque justificative de l'hospitalité qu'on avoit contractée avec quelqu'un.

Les personnes de quelque rang chez les Romains possédoient dans leurs maisons beaucoup plus de logement qu'elles n'en pouvoient occuper, afin d'avoir toujours des appartemens prêts pour y recevoir les étrangers avec lesquels elles jugeoient à-propos de contracter un droit d'hospitalité ; & ce droit, par une obligation respective, se transmettoit jusqu'aux descendans.

Le gage & le témoignage assuré de la convention consistoit dans certaines marques doubles d'ivoire ou de bois, qu'ils nommerent tesseres d'hospitalité.

On ne peut donner une idée plus approchante de ces marques, qu'en les comparant à ces tailles dont se servent nos boulangers & quelques ouvriers, pour marquer la quantité de marchandises qu'ils nous ont fournies à diverses reprises. C'étoient pareillement des marques de bois coupées dans la même piece, qui faisoient deux morceaux séparés, & qui en se joignant n'en formoient plus qu'une, sur laquelle on avoit gravé quelques caracteres qui se correspondoient. Ces sortes de tailles formoient la lettre de créance, & à leur présentation on reconnoissoit ses hôtes.

Quand deux personnes avoient contracté ensemble l'engagement d'hospitalité, chacune gardoit une de ces marques ; elles servoient non-seulement à ceux qui avoient ce droit personnellement, mais encore à ceux à qui ils le vouloient prêter, ensorte que le porteur de cette espece de bulletin, ou lettre de créance, étoit aussi bien reçu, logé & nourri, qu'auroit été celui à qui il appartenoit. Les anciens se firent une espece de religion des loix & des droits de cette vertu de bénéficence qu'ils nommerent hospitalité ; & même ils établirent des dieux pour punir ceux qui les violeroient. Voyez HOSPITALITE.

J'ajoute qu'il me paroît étrange que cet usage qui est une noble charité, soit si fort aboli chez les Chrétiens, qui font une profession particuliere de cette vertu ; il semble d'abord que ce n'en seroit pas une de l'exercer, comme les anciens, envers des voyageurs aisés ; mais ces voyageurs, quelque riches qu'ils soient, ne peuvent guere trouver pour de l'argent en pays étranger, un logement aussi commode que celui que les honnêtes gens du lieu pourroient leur donner, si c'étoit encore la coutume, & qu'ainsi la dépense qu'on feroit à les loger gratuitement, comme autrefois, seroit, à le bien prendre, un service d'honnêteté des plus louables & des mieux placés. (D.J.)


TESSIN(Géog. mod.) petite ville, ou plutôt bourg d'Allemagne, dans le duché de Mecklenbourg, sur la riviere de Backénis, entre Desnin & Rostock. (D.J.)


TESSIO(Hist. nat. Botan.) c'est une espece de palmier du Japon dont on fait le sagou ; on prétend que l'humidité fait sur son bois, le même effet que le feu sur le parchemin : qu'on lui met au pié, de la limaille de fer au lieu de fumier, & que lorsqu'une de ses branches se casse, on l'attache au tronc avec un clou pour la faire reprendre. Le siuro ou siodo approche beaucoup du palmier des montagnes de Malabar ; mais il est stérile au Japon. Le sootsiku en est une petite espece dont les feuilles sont pointues comme celles du roseau.


TESSOTE(Géog. mod.) petite ville d'Afrique, au royaume de Fez, dans la province de Garet. Elle est bâtie sur une roche haute. (D.J.)


TESSUINUM(Géog. anc.) ville d'Italie, aux confins de la région praetutienne & du Picenum, selon Pline, t. III. c. xiij. Quelques exemplaires lisent Tervium. (D.J.)


TESTS. m. (Conchyl.) en latin testa, c'est la substance la plus dure qui forme le corps d'une coquille ; ainsi testacée se dit d'une coquille dure & épaisse. (D.J.)

TEST, (Hist. mod.) en Angleterre, mot tiré du latin testimonium. C'est une protestation ou déclaration publique sur certains chefs de religion & de gouvernement que les rois & les parlemens ont ordonné de faire à ceux qui prétendoient aux dignités de l'église anglicane ou aux charges du royaume. On y a joint des loix pénales contre les ecclésiastiques, les seigneurs du parlement, les commandans & officiers qui refusent de prêter le serment conformément à ces tests, dont voici les principaux formulaires.

Test des ecclésiastiques. " Je N. déclare ici sans dissimulation que j'approuve & consens, soit en général, soit en particulier, à tout ce qui est compris dans le livre intitulé, le livre des communes prieres, de l'administration des sacremens, & autres exercices & cérémonies de l'église, suivant l'usage de l'église anglicane. "

Loi pénale. " Celui qui sera en demeure de faire cette déclaration, sera entiérement déchu de toute promotion ecclésiastique. Tous les doyens, chanoines, prébendaires, maîtres, chefs, professeurs, &c. ne seront point admis à leur emploi, qu'ils n'aient fait cette protestation. "

Test du serment de suprématie. " Je N. confesse & déclare pleinement convaincu en ma conscience, que le roi est le seul souverain de ce royaume & de toutes les puissances & seigneuries, aussi bien dans les choses spirituelles & ecclésiastiques que temporelles, & qu'aucun prince étranger, prélat, état ou puissance n'a & ne peut avoir nulle jurisdiction ni prééminence dans les choses ecclésiastiques ou spirituelles de ce royaume. "

Loi pénale. " Personne ne pourra être reçu à aucune charge ou emploi, soit pour le spirituel, soit pour le temporel : il ne sera non plus admis à aucun ordre ou dégré du doctorat, qu'il n'ait prêté ce serment, à peine de privation dudit office ou emploi. "

Henri VIII. après sa séparation d'avec l'église romaine, imposa la nécessité de ces tests, dont les formules varierent à quelques égards sous les regnes d'Edouard VI. d'Elizabeth, de Jacques I. & de Charles I. En 1662 Charles II. révoqua les tests, & accorda la liberté de conscience : ce qu'il renouvella en 1669 & 1672. Jacques II. qui lui succéda, en usa de même ; mais après la révolution qui détrona ce prince, le test fut rétabli, & on le prête encore aujourd'hui. En 1673 le parlement dressa un nouveau test, par lequel tous ceux qui entreroient dans quelque charge publique, ou qui en seroient revêtus, rejetteroient par serment le dogme de la transubstantiation, sous peine d'exclusion desdites charges. On augmenta en 1678 ce test dont la formule étoit conçue en ces termes :

" Moi N. J'atteste, justifie & déclare solemnellement & sincerement en la présence de Dieu, que je crois que dans le sacrement de la cene du Seigneur, il n'y a aucune transubstantiation des élémens du pain & du vin dans le corps & le sang de Jesus-Christ, dans & après la consécration faite par quelque personne que ce soit, & que l'invocation ou adoration de la vierge-Marie ou de tout autre saint, & le sacrifice de la messe, de la maniere qu'ils sont en usage à présent dans l'église de Rome, est superstition & idolâtrie. "

On déclare ensuite que ce serment est fait sans aucune réticence, c'est-à-dire, sans aucune restriction mentale.


TESTACou DOHOLO, (Géog. mod.) en latin Testacius mons, montagne dans l'enceinte de Rome ; elle est à environ deux cent pas de la pyramide de Cestius : elle a à-peu-près demi-mille de circuit, & cent-cinquante piés de hauteur perpendiculaire. Ce n'est qu'un amas de vaisseaux de terre rompus ; on y a creusé des grottes où l'on tient du vin, & on y en vend ; ce monticule n'est pas loin de la porte qu'on nommoit Porta Trigemina. (D.J.)


TESTACÉESon a donné ce nom aux animaux couverts d'un test dur ; ce sont les coquillages ; par le nom de testacées, on les distingue des crustacées qui sont couverts d'une taie, & non pas d'un test : tels sont les écrevisses, les crabes, les langoustes, &c.


TESTAMENTS. m. (Théologie) dans l'Ecriture se prend pour alliance, & répond à l'hébreu berith, & au grec , qui signifie l'acte de la volonté derniere d'une personne, qui, en vue de la mort, dispose de ses biens, & ordonne de ce qu'elle veut qu'on fasse après son décès.

Le nom de testament ne se trouve jamais en ce sens dans l'ancien Testament, mais seulement dans le sens de pacte & d'alliance. Mais S. Paul, dans l'épître aux Hébreux, chap. ix. vers. 15. & suiv. raisonnant sur le terme grec , qui signifie proprement le testament d'une personne qui fait connoître ses dernieres volontés, dit ces paroles : " Jesus-Christ est le médiateur du Testament nouveau, afin que par la mort qu'il a soufferte pour expier les iniquités qui se commettoient sous le premier Testament, ceux qui sont appellés de Dieu reçoivent l'héritage éternel qu'il leur a promis ; car où il y a un testament, il est nécessaire que la mort du testateur intervienne, parce que le testament n'a lieu que par la mort, n'ayant point de force tant que le testateur est en vie ; c'est pourquoi le premier même ne fut confirmé qu'avec le sang " &c. où l'on voit qu'il parle de l'alliance ancienne & de la nouvelle comme de deux Testamens, dans le sens d'une disposition de la derniere volonté d'une personne.

Dieu a fait plusieurs alliances avec les hommes, comme avec Adam, Noé, Abraham, mais on ne leur donne pas proprement le nom de testament. Voyez ALLIANCE.

Ce titre s'applique plus particulierement aux deux alliances qu'il a faites avec les hommes par le ministere de Moïse & par la médiation de Jesus-Christ, la premiere se nomme l'ancienne alliance ou le vieux Testament ; l'autre se nomme la nouvelle alliance ou le nouveau Testament. Mais comme dans l'un & dans l'autre les volontés de Dieu n'ont pu être connues aux hommes que par des révélations & des actes ou écrits qui les continssent pour être transmis à la postérité, chaque Testament a eu ses écrivains inspirés & ses prophêtes. Voici le catalogue de leurs écrits, selon qu'ils sont reçus dans l'Eglise catholique.

Les livres de l'ancien Testament, au nombre de quarante-cinq, sont

Les livres du nouveau Testament déclarés canoniques par le concile de Trente, aussi-bien que les précédens, sont au nombre de vingt-sept.

Nous avons traité de tous ces livres sous l'article de chacun, ou du-moins de ceux sur lesquels on forme quelque question tant soit peu importante. Nous avons aussi parlé des livres apocryphes, tant de l'ancien que du nouveau Testament, sous le mot APOCRYPHE. On peut d'ailleurs consulter sur ces matieres, pour en avoir une connoissance plus profonde & plus étendue, les deux ouvrages de M. Fabricius intitulés : Codex pseudopigraphus veteris Testamenti, & Codex apocryphus novi Testamenti. Les préfaces de dom Calmet sur chacun des livres-saints, & son dictionnaire de la Bible.

TESTAMENT DES DOUZE PATRIARCHES est un ouvrage apocryphe, composé en grec par quelque juif converti au premier ou au second siecle. Origene sur Josué, Hom. 1. témoigne qu'il avoit vu cet ouvrage, & qu'il y trouvoit quelque bon sens. M. Grabe conjecture que Tertullien l'a aussi connu. Il fut longtems inconnu aux savans de l'Europe, & même aux Grecs ; & c'est aux Anglois que nous avons l'obligation de nous l'avoir procuré. Robert Grossetête, évêque de Lincoln, en ayant eu connoissance par le moyen de Jean de Basingesker, diacre de LÉgies, qui avoit étudié à Athènes, en fit venir un exemplaire en Angleterre, & le traduisit par le secours de maître Nicolas, grec de naissance & clerc de l'abbé de S. Alban vers l'an 1252 ; depuis il a été donné en grec par M. Grabe dans son spicilege des peres, & encore depuis par M. Fabricius dans ses apocryphes de l'ancien Testament. L'auteur y donne diverses particularités de la vie & de la mort des patriarches qu'il fait parler, & à qui il fait raconter & prédire ce qu'il juge à propos. Il parle de la ruine de Jérusalem, de la venue du Messie, de diverses actions de sa vie, & même des écrits des évangélistes d'une maniere qui ne peut convenir qu'à un chrétien, mais apparemment converti du Judaïsme, & encore rempli de divers préjugés de sa nation. Calmet, Dict. de la Bible, tome III. p. 551.

Il y a encore plusieurs autres Testamens apocryphes cités par les Orientaux, comme ceux d'Adam, de Noé, d'Abraham, de Job, de Moïse & de Salomon. Lambecius parle d'un manuscrit grec, intitulé le Testament d'Abraham, mais c'est un ouvrage récent & fabuleux. Dans le catalogue des livres condamnés par le pape Gélase, on trouve le Testament de Job. S. Athanase & quelques anciens font mention du Testament de Moïse, composé par les hérétiques Séthiens. Enfin M. Gaulmin cite dans ses notes sur Psellus un manuscrit grec, qui a pour titre le Testament de Salomon, mauvais ouvrage de quelque grec moderne.

TESTAMENT, (Jurisprud.) est la déclaration que fait quelqu'un de ce qu'il veut être exécuté après sa mort.

L'usage des testamens est fort ancien, on l'a même fait remonter jusqu'au tems des premiers patriarches, & nous avons un recueil de leurs testamens, mais que les critiques ont justement regardé comme apocryphes.

Eusebe & après lui Cédrenus rapportent que Noé, suivant l'ordre de Dieu, fit son testament, par lequel il partagea la terre à ses trois fils ; qu'après avoir déclaré à ses enfans ce partage, il dressa un écrit qu'il sçella & remit à Sem, lorsqu'il se sentit proche de sa fin.

Ainsi l'origine des testamens doit être rapportée au droit naturel des gens, & non au droit civil ; puisqu'ils se pratiquoient dès le tems que les hommes n'avoient encore d'autre loi que celle de la nature ; on doit seulement rapporter au droit civil les formalités & les regles des testamens.

Il est certain, suivant les livres sacrés, que l'usage des testamens avoit lieu chez les Hébreux longtems avant la loi de Moïse.

En effet Abraham, avant qu'il eût un fils, se proposoit de faire son héritier le fils d'Eléazar son intendant. Ce même patriarche donna dans la suite tous ses biens à Isaac, & fit seulement des legs particuliers aux enfans de ses concubines. Il est aussi parlé de legs & d'hérédité dans le prophête Ezéchiel. Isaac donna sa bénédiction à Jacob, & lui laissa ses possessions les plus fertiles, & ne voulut point révoquer cette disposition, quoiqu'il en fut vivement sollicité par Esaü. Jacob regla pareillement l'ordre de succéder entre ses enfans ; il donna à Joseph la double part qui appartenoit à l'aîné, quoique Joseph ne le fût pas.

Les Hébreux avoient donc l'usage des testamens, ils étoient même assujettis à certaines regles ; ils ne pouvoient pas tester pendant la nuit : ceux qui avoient des enfans avoient toute liberté de disposer entr'eux, ils pouvoient même faire des legs à des étrangers ; mais après l'année du jubilé, les immeubles légués devoient revenir aux enfans du testateur, ou à leurs héritiers.

Les Egyptiens apprirent l'usage des testamens de leurs ancêtres descendans de Cham, ou, en tout cas, des Hébreux qui demeurerent en Egypte cent dix ans.

Les législateurs grecs qui avoient voyagé en Egypte, en emprunterent les meilleures loix : aussi voit-on l'usage des testamens reçu à Lacédémone, à Athènes, & dans les autres villes de Grece.

Les Romains emprunterent à leur tour des Grecs de quoi former la loi des douze tables qui autorise des testamens. Il paroît même par ce que dit Tite-Live du legs que Procas avoit fait à son neveu du royaume d'Albe, que les testamens étoient usités à Rome dès sa fondation.

Toutes les autres nations policées ont aussi reçu l'usage des testamens, soit que les Romains l'y eussent introduit, ou qu'il y fut déja connu auparavant.

Dans les Gaules en particulier, les testamens étoient en usage, ainsi qu'on l'apprend de Marculphe, Grégoire de Tours & des capitulaires.

Il n'y avoit d'abord chez les Romains que deux sortes de testamens ; celui appellé calatis comitiis, qui se faisoit en tems de paix dans les comices ; & celui qu'on appelloit in procinctû, que faisoient les soldats prêts à partir pour quelque expédition militaire.

Dans la suite, ces deux sortes de testamens étant tombés en désuétude ; on introduisit une troisieme forme, appellée per aes & libram, qui étoit une vente fictive de la succession à l'héritier futur.

Les inconvéniens que l'on trouva dans ces ventes imaginaires firent encore changer la forme des testamens ; & le préteur en introduisit une autre, savoir que le testament seroit revêtu du sceau de sept témoins.

Les empereurs ayant augmenté les solemnités de ces testamens ; on les appella testamens écrits ou solemnels, pour les distinguer des testamens nuncupatifs que l'on pouvoit faire sans écrit.

On introduisit aussi le testament militaire en faveur des soldats qui étoient occupés à quelque expédition militaire.

Les testamens des peres entre leurs enfans, les testamens rustiques, c'est-à-dire faits par les personnes qui étoient aux champs, & ceux qui étoient en faveur de la cause pie furent aussi dispensés de certaines formalités.

Dans les pays de droit écrit, il n'y a point de testament proprement dit sans institution d'héritier ; car on ne peut y donner ni y ôter l'hérédité par un simple codicille. Voyez INSTITUTION & HERITIER.

En pays coutumier au contraire, tous les testamens ne sont que des codicilles, c'est-à-dire qu'ils ne requierent pas plus de formalités qu'un codicille.

Lorsque le testateur n'a point excedé ce qu'il lui étoit permis de faire, & que le testament est revêtu des formes prescrites, ses dispositions tiennent lieu de loix pour la succession du testateur, tant pour le choix d'un héritier ou autre successeur universel, que pour les legs particuliers & autres dispositions qui y sont contenues.

Mais le testament ne prend son effet que par la mort du testateur, jusque là il est toujours révocable.

Le testateur en peut faire successivement plusieurs, & révoquer à mesure les précédens, soit expressément ou tacitement par des dispositions postérieures contraires aux premieres.

Il peut aussi révoquer, augmenter, diminuer & changer les dispositions par des codicilles sans révoquer tout son testament.

On mettoit autrefois dans les testamens des clauses appellées révocatoires, au moyen desquelles le testament ne pouvoit être révoqué, à-moins que dans le testament postérieur on n'eût rappellé la clause révocatoire ; mais l'ordonnance des testamens a abrogé l'usage de ces sortes de clauses.

La faculté de tester appartient en général à tous ceux qui n'ont point d'incapacité.

Entre les causes d'incapacités, il y en a de perpétuelles, d'autres qui ne sont que temporaires.

De l'espece de ces dernieres est l'incapacité des impuberes, qui ne dure que jusqu'à l'âge de puberté, ou autre âge fixé par la loi ou par la coutume du lieu qui régit les biens.

Telle est aussi l'incapacité des fils de famille, qui ne dure qu'autant qu'ils sont en la puissance d'autrui. Ils peuvent même en attendant disposer de leur pécule castrense ou quasi castrense.

Les femmes, quoiqu'en puissance de mari, peuvent tester sans leur consentement, parce que leur disposition ne doit avoir effet que dans un tems où leur personne ni leurs biens ne seront plus en la puissance du mari.

Les vieillards, quoique malades & infirmes, peuvent tester, pourvu qu'ils soient en leur bon sens.

Mais les insensés ne peuvent tester, à-moins que ce ne soit dans quelque bon intervalle.

Ceux qui sont interdits pour cause de prodigalité, ne peuvent pas non plus faire de testament.

Les étrangers, ni les condamnés à mort, ne peuvent aussi tester.

Mais les bâtards le peuvent faire.

Les religieux ont aussi cette faculté, pourvu qu'ils en usent avant leur profession.

Il y a des personnes qui sont également incapables de tester & de recevoir par testament, comme les étrangers, les religieux, les condamnés à mort ; d'autres qui sont seulement incapables de tester, mais qui peuvent recevoir par testament comme les impuberes & les fils de famille. Voyez DONATION, HERITIER, LEGS.

Les formalités prescrites pour la validité des testamens sont différentes, selon les pays & selon la qualité du testament que l'on veut faire. Tout ce que l'on peut dire en général sur cet objet, c'est qu'il faut suivre les formalités prescrites par la loi du lieu où est fait le testament.

En pays de droit écrit, quand un testament ne peut valoir comme testament, il peut valoir comme codicille ; si le testateur a mis la clause codicillaire, c'est-à-dire s'il l'a ainsi ordonné.

On peut disposer par testament de la totalité de ses biens, sauf la légitime des enfans, & les autres restrictions ordonnées par rapport à certains biens, tels que les propres en pays coutumier, dont on ne peut communément léguer que le quint, ce qui dépend de la loi du lieu où les biens sont situés.

Les regles principales que l'on suit pour l'interprétation des testamens sont de consulter d'abord la volonté du testateur ; si dans quelque endroit sa volonté ne paroît pas claire, on cherche à connoître quelle a été son intention par les autres dispositions & par les différentes circonstances.

L'exécution du testament appartient naturellement à l'héritier, à moins que le testateur ne l'ait confiée à quelqu'autre personne. Voyez EXECUTEUR TESTAMENTAIRE.

Il est cependant permis aux légataires & à tous ceux qui y ont intérêt d'y veiller de leur part.

Quand le testament est inofficieux à quelqu'un des héritiers, ils ont la voie de s'en plaindre. Voyez ENFANT, EXHÉRÉDATION, INSTITUTION, HERITIER, INOFFICIOSITé, QUERELLE D'INOFFICIOSITé, PRÉTÉRITION LÉGITIME, SUBSTITUTION. Voyez au code & aux instit. le titre de testamentis, & au code & digeste le titre qui testamenta facere possunt, aux instit. le titre qui testamenta facere non possunt. Voyez aussi Julius Clarus, Gaill. Bénéd. Mantzius, Bouchel, Despeisses, Ricard, Furgeole, & les articles qui suivent. (A)

TESTAMENT per aes & libram, comme qui diroit par le poids & l'argent, étoit une forme singuliere de tester, qui fut introduite chez les Romains par les jurisconsultes, peu de tems après la loi des douze tables.

Le testateur feignoit de vendre sa famille, & pour cet effet il faisoit venir un acheteur, nommé pour cette raison emptor familiae ; celui-ci donnoit l'argent à un peseur appellé libripens, parce qu'alors on ne comptoit point l'argent, on le pesoit ; on faisoit venir ensuite cinq témoins, qui devoient être mâles, puberes, & citoyens romains.

Ce testament renfermoit deux formalités essentielles ; la premiere étoit cette vente imaginaire de la succession à l'héritier futur ; & comme il arrivoit quelquefois que l'héritier attentoit à la vie du vendeur, on prit dans la suite la précaution de faire acheter la succession par un tiers, & par un écrit séparé l'on déclaroit le nom de l'héritier.

L'autre formalité étoit appellée nuncupatio ; c'étoit la déclaration publique de la volonté qui étoit écrite sur des tablettes de cire, encadrées dans d'autres tablettes de bois ; cette nuncupatio se faisoit en ces termes : Haec uti his tabulis ceris ve scripta sunt ita lego, ita testor ; itaque vos quirites testimonium praebitote. En prononçant ces derniers mots le testateur touchoit les témoins par le bout de l'oreille, laquelle on croyoit être consacrée à la mémoire ; c'étoit-là uniquement à quoi ils servoient, car on n'exigeoit d'eux alors ni sceau, ni souscription, comme les préteurs l'exigerent dans la suite.

Cette forme de testament fut plus long-tems usitée que ceux appellés calatis comitiis & in procinctu ; cependant peu-à-peu elle tomba en désuetude : l'empereur Constantin supprima ces ventes imaginaires. Voyez la loi quoniam cod. de testam. & aux instit. le tit. de testam. ordin. (A)

TESTAMENT apud acta, c'est-à-dire fait devant le juge du lieu, ou devant quelqu'un des officiers municipaux ; cette forme de tester qui étoit usitée chez les Romains, suivant la loi 19. cod. de testam. est encore reçue à Toulouse, & dans plusieurs coûtumes, entr'autres celles de Vermandois, art. 58. & Péronne, art. 162. mais ces coutumes exigent deux témoins que le droit romain ne demande pas. Par l'art. 24. de la nouvelle ordonnance des testamens, sa majesté déclare qu'elle n'entend point déroger aux coutumes & usages des pays où les officiers de justice, y compris les greffiers municipaux, sont mis au nombre des personnes publiques qui peuvent recevoir des testamens ou autres dispositions à cause de mort, ce qui aura lieu, est-il dit, de même dans les provinces régies par le droit écrit où le même usage seroit établi. Voyez Furgeole, des testamens, tom. I. pag. 48.

TESTAMENT D'UN AVEUGLE, chez les Romains, l'aveugle de naissance ou qui l'étoit devenu par maladie ou autre accident pouvoit faire un testament écrit solemnel, il ne pouvoit tester que devant un tabulaire, officier dont les fonctions étoient différentes de celle du notaire ou tabellion.

La forme de ces testamens est reglée par la loi haec consultissima.

Par la nouvelle ordonnance des testamens, art. 7. si le testateur est aveugle, ou si dans le tems du testament il n'a pas l'usage de la vue, on doit appeller un témoin outre le nombre de sept qui est requis pour le testament nuncupatif, lequel doit signer avec les autres témoins.

Dans les autres pays où un moindre nombre de témoins suffit, on ajoute de même un témoin de plus.

Mais dans les testamens entre enfans faits devant deux notaires, ou un notaire & deux témoins, il n'est pas besoin d'appeller un troisieme témoin, quoique le testateur soit aveugle. V. Furgeole, des testam. t. I. p. 50.

TESTAMENT calatis comitiis, ou fait dans les comices convoqués & assemblés, c'est-à-dire dans l'assemblée du peuple romain, étoit une ancienne maniere de tester usitée en tems de paix chez les Romains : ceux qui vouloient tester ainsi commençoient par convoquer l'assemblée du peuple désignée par ces mots calatis comitiis ; cette convocation se faisoit par le héraut des décuries, ou par le trompette des centuries : cette cérémonie se faisoit deux fois dans l'année ; l'exploit de convocation qui se faisoit pour tester dans cette assemblée annonçoit l'objet de la convocation, & étoit conçu en ces termes : Velitis, jubeatis quirites uti L. Titius, L. Valerio tam jure legeque heres sibi fiet, quam si ejus filius familias proximusve agnatus esset ; haec ita ut dixi, ita vos quirites rogo : c'est ainsi qu'Aulugelle nous rapporte la formule de cette convocation.

Ceux qui n'avoient point d'entrée dans les comices ne pouvoient point alors tester ; tels étoient les fils de famille, les femmes.

L'usage de ces sortes de testamens calatis comitiis, fut abrogé par la loi des douze tables. Voyez aux instit. le tit. de testam. audiri.

TESTAMENT en faveur de la cause pie, est celui par lequel le testateur fait quelques legs pieux.

Quoique le droit romain n'eût point fait d'exception pour ces testamens, cependant les interprêtes prétendoient qu'on devoit les exempter de toutes formalités.

Mais la nouvelle ordonnance des testamens n'ayant fait aucune distinction de la cause pie, ces testamens sont demeurés astreints aux mêmes regles que les autres. Voyez Tiraqueau, de privileg. causae piae, Furgeole, des testam. tom. I. pag. 53.

TESTAMENT FAIT AUX CHAMPS. Voyez ci-après TESTAMENT RUSTIQUE.

TESTAMENT CIVIL, est celui qui est fait selon toutes les formes prescrites par la loi, à la différence du testament militaire, qui est dispensé d'une partie de ces formes. L'usage des testamens civils est plus ancien que celui des testamens militaires ; les premiers eurent lieu dès le tems de Romulus, les autres commencerent du tems de Coriolan. Voyez l'histoire de la Jurisprud. rom. de M. Terrasson, pag. 119.

TESTAMENT CLOS ET CACHETE, est la même chose que le testament mystique ou secret. Voyez ci-après TESTAMENT MYSTIQUE.

TESTAMENT COMMUN, est celui qui est fait conjointement par plusieurs personnes ; ces sortes de testamens ont été abrogés par l'article 77. de l'ordonnance des donations, même ceux qui seroient faits entre mari & femme.

TESTAMENT D'UN DECONFER, étoit celui que l'Eglise faisoit anciennement pour les personnes qui étoient décédées sans avoir rien donné ou legué à l'Eglise, ce que l'on appelloit mourir deconfer, l'Eglise suppléoit à ce que le défunt auroit dû faire, & ordonnoit qu'une partie de ses biens seroit appliquée en oeuvres pieuses. On trouve dans Joannes galli, un arrêt de 1388, qui annulle un testament semblable fait par ordonnance de l'official de Sens, car, dit l'arrêt, erat loqui facere defunctos dicendo lego tali & tali ; cet abus a cependant duré plus de 400 ans : il en restoit encore des vestiges en 1501, 1505, 1512, même en 1560, suivant divers arrêts de ce tems. Voyez les lettres historiq. sur le parlement, tom. II. pag. 374.

TESTAMENT ECRIT ou SOLEMNEL, on appelloit ainsi chez les Romains, celui qui étoit rédigé par écrit, à la différence du testament nuncupatif, qui se faisoit alors sans écrit. Voy. TESTAMENT SOLEMNEL & TESTAMENT NUNCUPATIF.

TESTAMENT ENTRE ENFANS, inter liberos, ou du pere entre les enfans, est celui par lequel un pere dispose de ses biens entre ses enfans.

Cette espece de testament, qui exige moins de formalités que les autres, fut introduite par Constantin, comme on le voit au code théodosien, liv. I. famil. ercisc. & qui est rappellée dans le même titre du code de Justinien, loi derniere.

Constantin ne parloit que de l'écrit du pere, mais Justinien a étendu ce privilege à la mere & à tous les ascendans.

L'ordonnance des testamens veut que le nombre de témoins requis pour les autres testamens ne soit point requis pour ceux-ci, & qu'ils puissent être faits partout devant deux notaires ou tabellions, ou devant un notaire & deux témoins.

La forme du testament olographe peut aussi par tout pays être employée pour le testament du pere entre ses enfans.

Mais les dispositions faites dans ces testamens inter liberos, au profit d'autres que les enfans & descendans, sont nulles. Voyez l'ordonnance des testamens, articles 15. & suivans.

TESTAMENT HOLOGRAPHE. Voyez ci-après TESTAMENT OLOGRAPHE.

TESTAMENT INOFFICIEUX, est celui qui blesse les droits de quelque héritier présomptif, soit qu'il y soit deshérité ou préterit injustement, soit que le testateur lui donne moins que ce qui lui doit revenir suivant la loi. Voy. EXHÉRÉDATION, INOFFICIOSITé, LÉGITIME, PRÉTÉRITION, QUERELLE D'INOFFICIOSITé.

TESTAMENT inter liberos. Voyez ci-devant TESTAMENT ENTRE ENFANS.

TESTAMENT ab irato, ou fait ab irato, est celui qui est fait par un mouvement de colere ou de haine contre l'héritier présomptif, plutôt que par une envie sincere de gratifier celui en faveur duquel le testateur dispose de ses biens à son préjudice.

Lorsque les faits de colere & de haine sont prouvés, & que l'héritier ne l'a pas mérité, la disposition est annullée comme injuste, & comme ne partant pas d'une volonté libre.

Mais les héritiers collatéraux ne sont pas admis à prouver les faits de colere & de haine. Voyez Ricard, des donat. part. I. n. 610. & suiv.

TESTAMENT DEVANT LE JUGE. Voyez ci-devant l'article TESTAMENT apud acta.

TESTAMENT MARITIME, est celui qui est fait par quelqu'un étant en voyage sur mer, quand ce seroit un passager.

Suivant l'ordonnance de la marine, liv. III. tit. ij. ils peuvent être faits en forme de testament olographe, ou reçus par l'écrivain du vaisseau en présence de trois témoins qui doivent signer avec le testateur.

Quand le testateur est de retour, ce testament devient nul, excepté s'il est olographe, & que cette forme soit usitée dans le lieu de sa résidence.

Le testament olographe peut avoir son effet pour toutes sortes de biens du testateur ; mais celui qui est reçu par l'écrivain ne vaut que pour les effets que le testateur a dans le vaisseau, & pour les gages qui lui seroient dus.

Les dispositions faites au profit des officiers du vaisseau sont nulles, à-moins qu'ils ne soyent parens. Voyez le commentaire de M. Valin sur l'ordonnance de la marine.

TESTAMENT MILITAIRE, est la disposition faite par un homme de guerre, occupé à quelque expédition militaire.

Cette espece de testament a succédé à celle qu'on appelloit in procinctu, avec cette différence, que le testament in procinctu se faisoit avant de partir pour l'expédition, au lieu que le testament militaire ne se peut faire que pendant l'expédition même.

Le testament militaire differe des autres, en ce qu'il n'est pas assujetti aux mêmes formalités.

Anciennement il pouvoit être fait sans écrit, présentement l'écriture y est nécessaire.

Le pere de famille peut tester militairement de tous ses biens, le fils de famille de son pécule castrense.

L'ordonnance des testamens, veut que les testamens ou codicilles militaires puissent être faits en quelque pays que ce soit en présence de deux notaires ou tabellions, ou d'un notaire ou tabellion, & de deux témoins, ou en présence de deux des officiers ci-après nommés ; savoir les majors & officiers supérieurs, les prevôts des camps & armées, leurs lieutenans ou greffiers & les commissaires des guerres, ou de l'un de ces officiers, avec témoins.

Au cas que le testateur soit malade ou blessé, il peut tester devant un aumônier des troupes ou des hôpitaux militaires, avec deux témoins, & ce, encore que les aumôniers fussent réguliers.

Le testament doit être signé par le testateur, par ceux qui le recevront & par les témoins ; si le testateur ne sait ou ne peut signer, on en doit faire mention, & dans ce cas, il faut appeller des témoins qui sachent signer.

Les testamens olographes valent aussi par tout pays comme testamens militaires.

Le privilege de tester militairement, n'a lieu qu'en faveur de ceux qui sont actuellement en expédition militaire, ou qui sont en quartier ou en garnison hors le royaume, ou prisonniers chez les ennemis, sans que ceux qui sont en quartier ou en garnison dans le royaume puissent user de ce privilege, à moins qu'ils ne soyent dans une place assiégée, ou dans une citadelle ou autre lieu, dont les portes fussent fermées & la communication interrompue à cause de la guerre.

Ceux qui sont à la suite des armées ou chez les ennemis à cause du service qu'ils rendent aux officiers, ou pour les vivres ou munitions, peuvent aussi tester militairement ; tous testamens militaires sont nuls six mois après que celui qui les a faits est revenu dans un lieu où il a la liberté de tester en la forme ordinaire. Voyez aux instit. le tit. de testam. milit. & l'ordonnance des testamens, art. 27. & suiv.

TESTAMENT DE MORT, est la déclaration que fait un criminel prêt à subir le dernier supplice, pour révéler ses complices. Cette déclaration est regardée, non comme une preuve complete , mais comme un indice prochain capable de faire arrêter ceux contre qui elle est faite, mais non point de les faire mettre à la torture, à moins qu'il n'y ait d'ailleurs quelque autre adminicule de preuve. Voyez les instit. au Droit crim. de M. de Vouglans, pag. 348.

TESTAMENT D'UN MUET ; ceux qui sont sourds & muets de naissance ne peuvent tester en aucune façon, mais ceux qui sont muets par accident, quand même ils seroient sourds, peuvent tester ; pourvû qu'ils sachent écrire, ils peuvent faire un testament mystique. Voyez les articles 8, 9. & 12. de l'ordonnance, & l'article TESTAMENT MYSTIQUE.

TESTAMENT MUTUEL, est celui qui est fait par deux personnes, conjointement & au profit l'une de l'autre. L'empereur Valentinien avoit permis ces sortes de testamens entre mari & femme.

Mais l'ordonnance des testamens veut qu'à l'avenir les testamens de cette espece soyent reputés nuls, soit entre mari & femme, ou autres personnes. Voy. l'art. 77.

TESTAMENT MYSTIQUE ou SECRET, qu'on appelle aussi testament solemnel, parce qu'il requiert plus de solemnités que le testament nuncupatif, est une forme de tester usitée en pays de Droit écrit, qui consiste principalement en ce que l'on enferme & cachette en présence de témoins, l'écrit qui contient le testament.

La forme qui avoit lieu chez les Romains pour les testamens solemnels ou mystiques, étant expliquée ci-après à l'article testamens solemnels, nous nous bornerons ici à expliquer les regles prescrites par l'ordonnance des testamens, pour ceux qu'elle appelle mystiques ou secrets.

Suivant cette ordonnance, le testateur qui veut faire un testament mystique, doit signer ses dispositions, soit qu'il les ait écrites lui-même, ou qu'il les ait fait écrire par un autre.

Le papier qui contient les dispositions, ensemble celui qui sert d'enveloppe, s'il y en a une, doit être clos & scellé, avec les précautions en tel cas requises & accoutumées.

Le testateur doit présenter ce papier, ainsi clos & scellé à sept témoins au moins, y compris le notaire ou tabellion, ou bien il le fera clorre & sceller en leur présence, & déclarer que le contenu en ce papier est son testament, écrit & signé de lui, ou écrit par un autre & signé de lui.

Le notaire ou tabellion doit dresser l'acte de suscription qui sera écrit sur ce papier ou sur la feuille servant d'enveloppe, & cet acte doit être signé, tant par le testateur, que par le notaire ou tabellion, ensemble par les autres témoins, sans qu'il soit nécessaire d'y apposer le sceau de chacun desdits témoins.

Toutes ces opérations doivent être faites de suite, & sans divertir à autres actes.

Au cas que le testateur par un empêchement survenu depuis la signature du testament, ne pût signer l'acte de suscription, on doit faire mention de sa déclaration, sans néanmoins qu'il soit nécessaire en ce cas d'augmenter le nombre des témoins.

Si le testateur ne sait pas signer, ou s'il n'a pû le faire, lorsqu'il a fait écrire ses dispositions, il doit être appellé à l'acte de suscription un témoin de plus qui doit signer, & l'on doit faire mention de la cause pour laquelle on l'a appellé.

Ceux qui ne savent ou ne peuvent lire, ne peuvent faire de testament mystique.

En cas que le testateur ne puisse parler mais qu'il puisse écrire, il peut faire un testament mystique, pourvû qu'il soit entierement écrit, daté & signé de sa main, qu'il le présente au notaire ou tabellion, & aux autres témoins, & qu'au haut de l'acte de suscription, il écrive en leur présence que c'est son testament, après quoi le notaire doit écrire l'acte de suscription, & y faire mention que le testateur a écrit ces mots en la présence & devant les témoins.

Au surplus, l'ordonnance n'a pas entendu déroger aux dispositions des coutumes qui exigent un moindre nombre de témoins, excepté pour les cas particuliers où elle ordonne d'en appeller un de plus.

TESTAMENT NUNCUPATIF, chez les Romains, étoit celui qui étoit fait verbalement en présence de sept témoins ; l'écriture n'y étoit pas nécessaire, on en faisoit la preuve par la résomption judiciaire des témoins.

Cette forme de tester s'étoit conservée dans quelques-uns des pays de Droit écrit.

Mais par l'ordonnance des testamens, toute disposition a cause de mort doit être par écrit, quelque modique que soit la somme qui en fasse l'objet.

L'ordonnance confirme seulement les testamens nuncupatifs dans les pays de Droit écrit & autres, où ils sont en usage.

Pour faire un tel testament, il faut le prononcer intelligiblement devant sept témoins, y compris le notaire ou tabellion qui doit écrire les dispositions à mesure qu'elles sont dictées, & ensuite faire lecture du testament & y faire mention de cette lecture ; enfin le testament doit être signé par le testateur, le notaire & les témoins ; & si le testateur ne sait ou ne peut signer, on en doit faire mention ; & s'il étoit aveugle ou n'avoit pas alors l'usage de la vûe, il faut appeller un témoin de plus qui signe avec les autres. Voyez la loi hac consultissimâ cod. de testam. & l'ordonnance des testamens, article 1. jusques & compris le 7.

TESTAMENT OLOGRAPHE, ou comme on écrivoit autrefois HOLOGRAPHE, est celui qui est entierement écrit, daté & signé de la main du testateur. Ce terme olographe vient du grec , solus, & , scribo, ce qui signifie que le testateur a écrit seul tout son testament ; & comme ce terme vient du grec & qu'il se prononçoit avec une aspiration, c'est pourquoi l'on écrivoit autrefois holographe.

Cette forme de tester paroît avoir été empruntée de celle du testament inter liberos, & de la novelle de Valentinien le jeune, rapportée au code Théodosien, tit. de testam.

Mais cette novelle n'étant pas rapportée dans le code de Justinien, elle n'a pas été reçue dans les pays de Droit écrit, si ce n'est dans l'Auvergne & le Mâconnois.

Les testamens olographes ont seulement lieu en pays de Droit écrit pour les testamens des peres entre leurs enfans.

L'ordonnance de 1629 avoit pourtant autorisé les testamens olographes dans tout le royaume, mais la disgrace de son auteur a fait qu'elle n'a point été observée.

Il n'y a donc guere que les pays coutumiers, où ces sortes de testamens soyent reçus.

L'ordonnance des testamens en confirme l'usage pour les pays, & les cas où ils avoient été admis jusqu'alors. Voyez le recueil d'Henris, & les notes de Bretonnier au recueil de quest.

TESTAMENT in pace, étoit celui qui se faisoit en tems de paix & suivant les formes prescrites pour ce genre de testament ; tels étoient ceux qu'on appelloit calatis comitiis, qui se faisoient dans les comices ou assemblées du peuple.

TESTAMENT PAGANIQUE, paganicum, est opposé au testament militaire ; c'est celui qui est fait par d'autres que des militaires, ou par des militaires mêmes lorsqu'ils ne sont pas occupés à quelque expédition militaire. Il fut ainsi appellé, parce que c'étoit la façon de tester des vieux soldats retirés du service, & appellés pagani, parce que pagos habitabant.

Ce testament se divisoit chez les Romains en testament écrit ou solemnel, & en nuncupatif. Voy. Borcholten sur les instit. tit. de milit. testam.

TESTAMENT EN TEMS DE PESTE ; sa forme chez les Romains étoit la même que celle des autres testamens, sinon qu'il n'étoit pas nécessaire d'y appeller tous les témoins dans le même instant.

Par l'ordonnance des testamens en tems de peste, on peut tester par tout pays devant deux notaires ou tabellions, ou deux des officiers de justice royale ou municipale, jusqu'au greffier inclusivement, ou devant un notaire ou tabellion & deux témoins, ou devant un des officiers ci-dessus nommés & deux témoins, ou en présence du curé, desservant, vicaire, ou autre prêtre chargé d'administrer les malades, quand même il seroit régulier, & deux témoins.

Les testamens olographes sont aussi valables par tout pays en tems de peste.

Il suffit pour tester dans ces formes d'être dans un lieu infecté de la peste, quand même on ne seroit pas malade.

Ces testamens demeurent nuls six mois après que le commerce a été rétabli dans le lieu, à-moins qu'ils ne fussent conformes au droit commun. Ordonnance des testamens, art. 33. & suiv.

TESTAMENT DEVANT LE PRINCE, testamentum principi oblatum ; c'étoit une forme de tester usitée chez les Romains, comme il se voit en la loi 19, au code de testamentis ; mais cette espece de testament n'a point lieu parmi nous.

TESTAMENT in procinctu, étoit celui qui se faisoit dans le tems que les soldats étoient sur le point de partir pour quelque expédition militaire, & qu'ils étoient revêtus de la ceinture appellée cingulum militiae, c'est pourquoi on l'appelloit testament in procinctu ; celui-ci différoit du testament in pace ou calatis comitiis, en ce que pour donner autorité à celui-ci, il falloit assembler le peuple, au lieu que pour le testament in procinctu, on assembloit les soldats convocatis commilitonibus, comme dit Cujas. Justinien nous apprend que cette derniere façon de tester ne fut pas long-tems en usage ; les testamens militaires y ont succédé. Voyez aux instituts le tit. de testam. ordin. & ci-devant l'article TESTAMENT MILITAIRE.

TESTAMENT PUBLIC, est un testament solemnel écrit, qui n'est point mystique ou secret. Voyez TESTAMENT MYSTIQUE.

TESTAMENT RUSTIQUE, est celui qui est fait à la campagne ; chez les Romains les personnes rustiques n'étoient pas astreintes à toutes les formalités des testamens : au lieu de sept témoins, il suffisoit qu'il y en eût cinq dont un ou deux sussent signer, si on ne pouvoit pas en trouver davantage.

Cette forme de tester étoit autorisée par la loi ab antiquo, cod. de testam. sur laquelle les interprêtes ont agité grand nombre de questions, notamment pour savoir si les personnes lettrées, les gentilshommes, bourgeois, ou gens d'affaires, résidant à la campagne, jouissoient de ce privilege, & pour déterminer les lieux qu'on devoit regarder comme campagne.

La nouvelle ordonnance des testamens a tranché toutes ces questions, en décidant, art. 45, que dans les villes & bourgs fermés, on ne pourra employer que des témoins qui puissent signer, & que dans les autres lieux il faut qu'il y ait au-moins deux témoins qui puissent signer ; c'est à quoi se réduit tout le privilege des testamens faits à la campagne.

TESTAMENT SECRET ou MYSTIQUE, voyez ci-devant TESTAMENT MYSTIQUE.

TESTAMENT SOLEMNEL, chez les Romains étoit celui qui étoit rédigé par écrit en présence de sept témoins.

L'écriture étoit de l'essence de ce testament, à la différence du testament nuncupatif, que l'on pouvoit faire alors sans écrit.

Le testament pouvoit être écrit par un autre que le testateur, pourvû qu'il parût en avoir dicté le contenu.

Lorsque le testateur écrivoit lui-même sa disposition, il n'avoit pas besoin de la signer.

Pour la confirmation ou authenticité de l'écriture, il falloit

1°. L'assistance de sept témoins citoyens romains mâles & puberes qui fussent requis & priés pour assister au testament.

2°. Que le testateur présentât aux témoins l'écrit plié ou enveloppé, avec déclaration que c'étoit son testament. Qu'il en fût dressé un acte au dos du testament, & que le testateur le signât, s'il savoit écrire, sinon qu'il ajoutât un huitieme témoin qui signât pour lui ; ensuite il présentoit l'écrit aux témoins pour y apposer leurs sceaux.

Quand le testateur avoit écrit lui-même le corps du testament, il n'étoit pas besoin qu'il signât au dos, ni de signer le testament, ni d'appeller un huitieme témoin.

Anciennement il falloit que le nom de l'héritier fût écrit de la main du testateur, mais cela fut changé par la novelle 119.

3°. Les sept témoins devoient tous en présence & à la vue du testateur, signer de leurs mains la partie extérieure du testament, & y apposer chacun leur sceau ; mais la novelle 42 de LÉon retrancha la formalité des sceaux, & de la signature des témoins.

4°. Tout ce qui vient d'être dit devoit être fait uno contextu, c'est-à-dire, de suite & sans divertir à autres actes.

Parmi nous la forme des testamens solemnels mystiques ou secrets est reglée par la nouvelle ordonnance. Voyez ci-devant TESTAMENT MYSTIQUE.

On entend aussi par testament solemnel, tout testament en général qui est reçu par un officier public, à la différence du testament olographe qui est seulement écrit & signé par le testateur. Voyez TESTAMENT devant un curé, TESTAMENT devant notaire.

TESTAMENT D'UN SOURD ; celui qui n'est pas sourd & muet de naissance, mais seulement sourd par accident, peut tester.

Il le peut aussi quand même il seroit aussi muet par accident, pourvu qu'il sache écrire. Voyez Furgeole, des testamens, tom. I. p. 52. & l'article TESTAMENT D'UN MUET.

TESTAMENT SUGGERE, est celui qui n'est point l'ouvrage d'une volonté libre du testateur ; mais l'effet de quelque impression étrangere. Voyez CAPTATION, SUGGESTION. (A)

TESTAMENT SYRIAQUE, nouveau, (Hist. crit. des vers. du N. T.) la premiere des éditions du nouveau Testament syriaque, est celle que Widmanstadius publia à Vienne en Autriche, en 1555. L'histoire de cette édition donnée par M. Simon, est également imparfaite & fautive ; elle est fautive en ce qu'il met la date de cette édition à l'an 1562.

On voit par ce que rapporte Widmanstad lui-même qu'il avoit formé le dessein de publier le nouveau Testament syriaque ; que la rencontre du prêtre de Merdin dont parle M. Simon, l'encouragea à entreprendre cette tâche ; & qu'il obtint de l'empereur Ferdinand que sa majesté feroit les frais de cette édition.

Cependant dans le manuscrit apporté d'Orient qu'on suivit dans l'édition de Vienne, il manquoit la seconde épitre de saint Pierre, la seconde & la troisieme de S. Jean, celle de S. Jude, & l'Apocalypse : sans-doute, comme le conjecture Louis de Dieu, parce que ces livres n'avoient pas été admis dans le canon des Ecritures par les églises des Jacobites, quoiqu'ils fussent entre leurs mains. Personne n'avoit pensé à remplir ce vuide, jusqu'à ce que le savant, dont on vient de parler, fit imprimer l'Apocalypse en syriaque en 1627, avec le secours de Daniel Heinsius, sur un manuscrit que Joseph Scaliger avoit donné entre plusieurs autres à l'université de Leyde. Ainsi il restoit encore à publier en cette langue les quatre épitres dont on vient de parler ; M. Pocock entreprit de les donner, souhaitant qu'on eût le nouveau Testament complet en une langue, qui étoit la langue vulgaire de notre Sauveur lui-même, & des apôtres.

Ce qui favorisoit son dessein, c'étoit un très-beau manuscrit qu'il trouva dans la bibliotheque bodléïenne, qui contenoit ces épitres avec quelques autres livres du nouveau Testament. A l'exemple de M. de Dieu, il copia ces épitres en caracteres syriaques ; il y ajouta les caracteres hébreux, avec les points placés, non pas comme de coutume, mais selon les regles syriaques, telles que les ont données deux savans maronites Anura & Sionita. Il y joignit encore une nouvelle version latine comparée avec celle d'Etzelius, & indiqua dans les endroits importans, la raison pourquoi il s'éloignoit de sa version ; il y ajouta de plus le texte grec, le tout accompagné d'un grand nombre de notes savantes & utiles.

M. Pocock n'avoit que 24 ans lorsqu'il finit cet ouvrage ; & quoiqu'il y eût apporté tout le soin & toute l'exactitude imaginables, il avoit tant de modestie, & se défioit si fort de lui-même, qu'il ne put se résoudre à le publier qu'une année après, qu'il permit qu'on l'imprimât ; l'impression fut faite à Leyde en 1630, in -4°. (D.J.)


TESTAMENTAIREadj. (Gram. & Jurisprud.) se dit de ce qui est relatif à un testament.

Par exemple, une disposition testamentaire est celle qui est contenue dans un testament.

Un héritier testamentaire est celui qui est institué par testament.

Un tuteur testamentaire, celui qui est nommé par testament.

L'exécution testamentaire, est l'accomplissement des dispositions d'un testament. On entend aussi quelquefois par-là celle d'un codicille. Voy. TESTAMENT, HERITIER, TUTEUR, EXECUTION & EXECUTEUR TESTAMENTAIRE. (A)


TESTATEURS. m. (Gram. & Jurisprud.) est celui qui fait un testament ou codicille. Voyez CODICILLE, LEGS, HERITIER, SUCCESSION, TESTAMENT, TESTER. (A)


TESTERv. n. (Gram. & Jurisprud.) du latin testari ; c'est mettre par écrit ses dernieres volontés, faire son testament. Voy. CODICILLE, TESTAMENT. (A)


TESTICULESS. m. en Anatomie, sont deux parties qui sont propres aux animaux mâles, & qui servent à la génération. Voyez nos Planches d'Anatomie, & leur explic. Voyez aussi GENERATION.

Ils sont appellés testicules par un diminutif de testes, témoins, comme étant témoins de la virilité : c'est ce qu'on appelle proprement génitoires, en latin genitalia. Les Grecs les nomment didymi, c'est-à-dire jumeaux.

Dans l'homme & dans la plûpart des animaux les testicules sont extérieurs ; dans quelques-uns, comme dans les oiseaux, ils sont intérieurs. Voyez GENITAL.

Quelques hommes n'en ont qu'un. Ordinairement ils en ont deux. Il s'en est trouvé qui en avoient naturellement trois, & certains anatomistes assurent qu'ils en ont trouvé jusqu'à quatre.

Les testicules sont des corps mous, blancs, de figure ovale, de la grosseur environ d'un oeuf de pigeon. On les a cru d'une substance glanduleuse, & suivant l'idée que l'on a présentement des glandes, on peut convenir qu'ils en sont en effet. Voyez GLANDE.

Ils sont formés d'un entortillement de diverses sortes de vaisseaux, & particulierement des veines & arteres spermatiques, dont les dernieres apportent le sang, d'où l'on prétend que la liqueur séminale est séparée dans les circonvolutions des testicules, & les premieres le reportent après que la sécrétion est faite. Voyez SEMENCE & SPERMATIQUES.

Le reste du testicule est formé des vaisseaux spermatiques qui ne sont que des cordons continus diversement entortillés, en façon, pour ainsi dire, d'un peloton, mais d'une maniere si lâche, qu'il est aisé de les développer dans toute leur longueur, & même dans les testicules des rats, qui sont d'un tissu plus serré. Les testicules se terminent par les épididymes. Voyez EPIDIDYME.

Les testicules avec les épididymes parastates, sont enveloppés dans trois membranes ou tuniques propres. La premiere est la musculaire, qui vient du muscle crémaster : la seconde est l'érythroïde ou vaginale, qui est une continuation de la lame externe du péritoine : la troisieme est l'albuginée. Voyez chacune dans son article propre, MUSCULAIRE, ERYTHROÏDE, ALBUGINEE.

La membrane commune qui enferme les deux testicules, est le scrotum, que l'on trouvera décrit dans son article. Voyez SCROTUM.

Quant à l'usage des testicules, qui est de séparer & de préparer la semence. Voyez SEMENCE.

TESTICULES, maladie des, (Médec.) deux corps de figure olivaire, composés d'un amas prodigieux de vaisseaux, munis de la tunique vaginale, & de l'albuginée, soutenus par le muscle suspenseur, pendans hors du ventre dans les hommes, recouverts par les bourses, destinés à l'élaboration de la semence, qu'ils portent dans les vésicules séminales par le moyen des vaisseaux déférens & des épididymes, se nomment testicules.

On n'est pas impuissant lorsqu'on n'en a qu'un ; mais quand ils manquent tous les deux, à - moins qu'ils ne soyent cachés dans le ventre, il en résulte une stérilité certaine ; il faut se donner de garde de prendre pour un testicule l'enflure de l'épididyme, ou du corps pyramidal, ou une hernie, ou un bubon.

2°. Dans l'âge de puberté & dans les sujets qui ont beaucoup de tempérament, l'augmentation de la grosseur du testicule n'est point morbifique ; de même que son décroissement ou son desséchement dans les vieillards & dans une longue abstinence.

3°. Dans différentes maladies qui exigent des traitemens particuliers, les testicules se gonflent, & c'est ce qu'on connoît aisément par le toucher.

4°. Dans les personnes portées à l'amour dans la belle saison, le gonflement trop considérable des testicules (maladie connue sous le nom de spermatocele), demande les rafraîchissans.

5°. Mais l'humeur aqueuse, visqueuse, froide, indolente, répandue dans la tunique vaginale, ou l'adhérence de la substance du testicule, qui donne naissance à un hydrocele, exige les discussifs accompagnés d'un bandage capable de soutenir la partie malade.

6°. Les veines du corps pyramidal devenues variqueuses, ou attaquées de gonflement, produisent sa varice : quand cette maladie n'est point née à la suite d'une compression faite au-dessus du cordon spermatique, les discussifs astringens avec un bandage, diminuent les accidens.

7°. La tumeur plus solide du testicule ou du corps pyramidal, qui présente une substance charnue, nommée sarcocele, & qui est indépendante du virus vénérien, a besoin des résolutifs.

8°. Dans la tumeur dure, âpre, indolente, skirrheuse du testicule, il faut éviter avec soin les irritans, & tâcher de résoudre cette tumeur, mais la cancéreuse plus dolorifique, plus considérable, & qui s'étend autour du cordon spermatique, demande une promte amputation ; car si une fois elle se porte dans le bas-ventre, il n'y a point de remede.

9°. A l'égard de la tumeur écrouelleuse, froide, dure, qui se trouve seulement dans la substance du testicule, on tâchera de la dissiper par les résolutifs chauds.

10°. La tumeur qui est produite par une contusion récente préliminaire, a besoin dans la méthode curative, des relâchans & des résolutifs réunis.

11°. La tumeur dolente, pulsative, qui souvent communique de la rougeur aux bourses en même tems qu'elle donne la fievre, veut être traitée par l'application des antiphlogistiques.

12°. Lorsqu'après une ancienne maladie vénérienne, & sur-tout la suppression d'une gonorrhée virulente, le testicule s'enfle, l'application prudente des mercuriaux paroît nécessairement indiquée.

13°. La douleur des testicules sans tumeur & sans cause manifeste, diminuera par l'application des anodins.

14°. Les testicules relâchés & trop pendans, ce qui arrive souvent dans les enfans, & désigne la foiblesse de leur constitution, doivent être soutenus, & en même tems renforcés par l'application des corroborans.

15°. Si les testicules reçoivent d'autre part des humeurs morbifiques, accident assez commun dans les maladies de la poitrine, & qui annoncent une fâcheuse métastase, il faut ramener ces humeurs à leur cours naturel, ou plutôt en faire la dérivation sur des endroits moins dangereux. (D.J.)

TESTICULES, inflammation des, (Méd. & Chir.) l'un ou l'autre des testicules, ou quelquefois tous les deux, sont attaqués d'une inflammation accompagnée de tumeur & de douleurs cruelles, sur-tout lorsque cette inflammation est un peu considérable.

Ce mal peut venir de deux causes. 1°. De quelque injure extérieure, comme un coup, une chûte, une contusion ; ce qui arrive souvent en montant à cheval avec précipitation, & sans prendre garde à soi. 2°. D'une maladie vénérienne, comme d'une gonorrhée, imprudemment & trop-tôt arrêtée.

On distinguera l'inflammation des testicules, de toute autre maladie, sur-tout de l'hernie au scrotum ; lorsqu'il y aura l'une des causes dont nous venons de parler, que le malade se plaindra de gonflement, de chaleur, & de rougeur aux testicules ; que la tumeur & l'inflammation se manifesteront à l'examen des parties, & sur-tout lorsqu'en touchant le testicule affecté, on le trouvera d'une grosseur contre nature, & quelquefois égale à celle du poing.

Cette maladie ne veut point être traitée légérement, car souvent il survient un abscès ou sphacele ; le malade en perd la virilité ou la vie ; ou le mal dégénere en un skirrhe, ou en un cancer que la mort suit infailliblement, ou enfin en sarcocele ou hydrocele, maladies fort incommodes.

On employe pour résoudre l'inflammation des testicules, les mêmes remedes qui sont recommandés pour l'inflammation des mammelles ; sur-tout le vinaigre de litarge, l'eau de chaux mêlée avec l'esprit-de-vin camphré, la tuthie, & la pierre calaminaire.

Pour le tems de la nuit, où les fomentations ne se font pas commodément, on appliquera l'emplâtre de grenouilles avec une quantité double de mercure, ou l'emplâtre de diachylon. Il ne faudra pas négliger les digestifs intérieurs. Si le mal provient de quelque injure extérieure, ou d'un sang épaissi, on recourra aux poudres d'yeux d'écrevisses préparées, d'écailles d'huitres, & à l'arcanum duplicatum, & aux décoctions de racines, de bois, & de plantes discussives : on défend tout ce qui échauffe le sang, & toute nourriture de difficile digestion ; si la chaleur est violente, il est nécessaire de mêler un peu de nitre avec les poudres dont on a fait mention, & d'ajouter quelque esprit de vitriol ou de soufre dans la boisson du malade ; s'il est pléthorique, on lui tirera du sang par le bras.

Lorsque quelque maladie vénérienne est la cause de l'inflammation, on usera de purgatifs, mêlés avec le mercure doux, & de tous les remedes qui operent contre le virus vénérien : on ne négligera point les tisanes faites de reglisses & d'anis bouillis dans l'eau, ou autres semblables ; outre qu'elles temperent ou atténuent le sang, elles tendent encore à calmer l'inflammation. Si l'on a appellé le chirurgien trop tard, ou si l'inflammation est trop violente pour céder aux remedes discussifs que nous venons d'indiquer, il faut s'attendre à la suppuration ou à la gangrene, & par conséquent recourir aux remedes suppuratifs.

Si le pus est mûr, & que l'abscès tarde à s'ouvrir de lui-même, on y fera une incision, on évacuera la matiere, on nettoiera la plaie avec quelque onguent digestif, ou quelque injection spiritueuse qui résiste à la putréfaction, & l'on achevera la cure avec un baume vulnéraire : on facilitera la digestion de la matiere, & l'on diminuera les douleurs avec l'emplâtre de jusquiame, & celui de diachylon, avec les gommes : cependant on travaillera fortement à détruire le virus vénérien ; quand bien même le scrotum seroit consumé, & le testicule exposé à la vue, si l'on sait tirer parti des remedes digestifs & balsamiques, la substance détruite du scrotum se régénere quelquefois ; enfin l'art ne connoît point d'autre secours. Heister, Chirurgie. (D.J.)

TESTICULES des poissons, (Ichthyol.) ces parties manquent dans plusieurs genres de poissons. Les épineux en général ne les ont point, mais tous les cétacées & plusieurs genres de poissons cartilagineux les ont, & alors ils en ont deux, comme les animaux terrestres ; il est vrai néanmoins qu'ils different beaucoup pour la figure & la situation, dans plusieurs poissons, & particulierement dans la baleine. Artedi, Ichthyolog. (D.J.)


TESTIGUES(Géog. mod.) petites îles & rochers à quatorze lieues ou environ au vent de l'île de la Marguerite, sur la côte de Vénézuëla, dans l'Amérique équinoxiale.


TESTIMONIALadj. (Gram. & Jurispr.) se dit de ce qui est relatif aux témoins, comme la preuve testimoniale. Voyez ENQUETE, INFORMATION, PREUVE, MOINMOIN. (A)

TESTIMONIALES, lettres, (Jurispr.) sont les attestations, soit sur la naissance, soit sur les vie & moeurs que les évêques donnent aux ecclésiastiques de leur diocèse, & les supérieurs réguliers aux religieux de leur ordre, soit pour être promus aux ordres sacrés, soit à l'effet d'obtenir des degrés, ou quelque bénéfice, soit lorsqu'ils vont d'un lieu à un autre.

On met aussi dans cette classe les lettres de scholarité. Voyez les mémoires du clergé, & les mots CONSERVATEUR, GARDE GARDIENNE, SCHOLARITE, UNIVERSITE. (A)


TESTONS. m. (Hist. des Monnoies) monnoie qui succéda aux gros tournois, & que Louis XII. fit battre en 1513. Elle fut appellée teston, à cause de la tête du roi qui y est gravée. Nous avons emprunté cette monnoie des Italiens, & lui avons laissé le même nom qu'ils lui avoient donné. L'argent en étoit à 11 deniers 18 grains, & conséquemment plus fin que celui des gros-tournois ; le poids en étoit aussi beaucoup plus fort, car ils pesoient 7 deniers 12 grains 1/3 la piece, & valoient 10 sols. On fabriqua des testons seulement en Ecosse, mais point en France, sous le regne de François II. au nom de ce prince, & de Marie reine d'Ecosse son épouse. Cette monnoie dura dans notre royaume, jusques sous Henri III. qui en interdit la fabrication en 1575. Pendant cet espace de tems, les testons furent toujours de même poids, mais on diminua l'aloi de quelques grains, & on en augmenta le prix de quatre sols six deniers, ensorte que lorsqu'Henri III. en défendit la fabrication, ils valoient 14 sols 6 deniers. (D.J.)


TESTUDOen Chirurgie, signifie une tumeur large & mollasse, ou un amas d'humeurs impures, entre le crâne & la peau, appellé aussi talpa, comme ressemblant aux tournoyemens souterreins de la tortue & de la taupe. Voyez TALPA.


TESURERv. n. (Vénerie) ancien mot qui signifie braconner, ou chasser vilainement sans chiens, ni oiseaux ; & rien ne détruit tant le gibier.


TETLE, (Géog. mod.) riviere de France, dans le Roussillon. Elle tire sa source des Pyrénées, au-dessus de mont-Louis, coule de l'ouest à l'est, & dans son cours, qui est fort tortueux, elle arrose Ville-franche, Perpignan, & se jette dans le golfe de Lyon. Le Tet est vraisemblablement la riviere que Pomponius Méla nomme Thelis. (D.J.)


TETANUSS. m. en Médecine, est une sorte de spasme, ou de convulsion, par laquelle les muscles du devant & du derriere de la tête deviennent roides & inflexibles, sans qu'on puisse la pancher ni d'un côté ni d'un autre. Voyez CONVULSION.

Ce mot est formé du grec , tendre.

Tetanus, ou tetanos, se prend aussi dans un sens plus général, pour une convulsion universelle, ou rigidité, qui saisit tout le corps à la fois.

Dans ce sens le tetanos se soudivise en emprosthotonos & opisthotonos. Voyez EMPROSTHOTONOS, ISTHOTONOSONOS.

Les remedes de ces especes de convulsions, sont les mêmes que les remedes généraux des vapeurs & des affections antispasmodiques. Voyez CONVULSION.


TÉTARDS. m. (Hist. nat. des Insect.) en latin gyrinus, & en anglois tadpole, c'est ainsi qu'on nomme le foetus de la grenouille, dès qu'il commence à paroître le quatrieme jour après la ponte, avec ses enveloppes au milieu de l'oeuf, & de la matiere mucilagineuse qui les environne ; au sixieme jour, le foetus sort de ses enveloppes, & du mucilage qui est autour, alors il nage & il paroît à découvert sous la forme de tétard ; le mucilage s'est en partie dissous chaque jour jusqu'à ce tems, desorte qu'il se trouve, pour ainsi dire, raréfié dans un plus grand volume, & qu'il ressemble dans cet état à un nuage ; le tétard y rentre de tems-en-tems, pour y prendre de la nourriture, & pour s'y reposer lorsqu'il s'est fatigué en nageant, car ce nuage le soutient sans qu'il fasse aucun effort.

Le tétard, au sortir de ces enveloppes, semble n'être composé que d'une tête & d'une queue ; mais la partie ronde que l'on prend pour la tête, contient aussi la poitrine & le ventre : dans la suite, les jambes de derriere commencent à paroître au-dehors, mais celles de devant sont cachées sous la peau qui recouvre tout le corps, même les jambes de derriere : enfin il se dépouille de cette peau ; alors ses quatre jambes sont à découvert, il prend la forme de grenouille, & il ne lui reste de tétard que la queue qui se désseche peu-à-peu, & s'oblitere en entier ; lorsqu'elle a disparu, la transformation de tétard en grenouille, est entierement achevée ; ce sont les observations de Swammerdam.

C'est du tétard que se servent ordinairement les physiciens, pour faire voir aux curieux la circulation du sang. Si l'on garde au printems pendant trois ou quatre jours du frai de grenouille, dans une petite quantité d'eau de fossé où ce frai se trouve, on y découvrira quantité de petits tétards, qui paroissent comme transparens, lorsqu'ils commencent à nager dans leur mucilage ; cependant, si pour lors on les met devant un microscope, dans un petit tube, avec un peu d'eau, on y distingue le coeur, ses battemens, la circulation du sang qui se fait dans chaque partie du corps, & sur-tout à la queue, où plusieurs vaisseaux se présentent aux yeux tout-à-la-fois ; au bout de peu d'heures, ces petits tétards paroissent déjà moins transparens, & dans un couple de jours, leur peau devient trop opaque pour y découvrir la circulation du sang ; on ne la voit alors que dans la queue ou mieux encore dans les nageoires, à la jointure de la tête. (D.J.)

TETARD, voyez CHABOT.

TETARD, voyez MUNIER.


TÊTES. f. (Anat.) la partie la plus haute du corps d'un animal. Voyez CORPS & ANIMAL.

Pline, & quelques autres anciens naturalistes, parlent d'un peuple appellé Blemmye, qui n'avoit point de tête. Voyez BLEMMIE.

Il est parlé dans les voyageurs & dans les géographes modernes, de certains peuples qui se rendent la tête aussi plate que la main, & qui mettent la tête de leurs enfans, dès qu'ils sont nés, entre deux presses, ou planches, sur le front & le derriere de la tête pour l'applatir. Ils demeurent dans la province de Cosaque, sur la riviere des Amazones, dans l'Amérique méridionale.

Les anatomistes regardent la tête comme le ventre le plus élevé du corps humain, & c'est elle qu'ils disséquent la derniere, parce que les parties qu'elle contient, sont moins sujettes à la corruption. Voy. VENTRE.

On divise la tête en deux parties ; l'une est la partie chevelue, appellée en latin calvaria, qui est couverte de cheveux. Voyez CHEVEUX.

L'autre sans cheveux, qui est la face, ou le visage, appellée vultus par les Latins, & par les Grecs, c'est-à-dire, regardant devant soi. Voyez FACE.

On subdivise la premiere partie en quatre, savoir le front, qui est l'endroit le plus humide & le plus tendre, & que les médecins appellent sinciput, comme qui diroit, summum caput. Voyez FRONT & SINCIPUT.

Le derriere, appellé occiput, & par les Grecs , parce que tous les nerfs qu'ils appellent inés, prennent leur origine de-là. Voyez OCCIPUT & NERF.

Le milieu, ou le haut de la tête, appellé couronne, & par les anatomistes vertex a vertendo, parce que les cheveux tournent là en rond. Voyez VERTEX.

Enfin les côtés sont appellés tempes, tempora, parce que c'est-là que le poil commence à blanchir, ou à montrer le tems ou l'âge de l'homme. Voy. TEMPLE.

On donne à l'os, ou à la boëte osseuse qui renferme le cerveau, le nom général de crâne ; il est composé de huit os. Voyez CRANE.

L'os du front s'appelle coronal, os de la poupe, ou sans vergogne ; d'où vient qu'on appelle les impudens, effrontés. Voyez OS DU FRONT, ou FRONTAL.

Les rois ont la couronne sur la tête dans les fêtes solemnelles ; les évêques la mitre. Voyez COURONNE, MITRE, &c.

Les anciens cavaliers portoient un heaume, & les soldats un casque ou pot-en-tête. Voyez HEAUME, CASQUE, &c.

TÊte se dit aussi du sommet des arbres ou des plantes. Voyez ARBRE & ELAGUER.

On donne aussi le nom de tête à l'extrêmité des os. Voyez OS.

Quand l'os a un bout rond qui avance en-dehors, soit apophyse ou épiphyse, on lui donne le nom de tête. Voyez APOPHYSE.

Si son principe est grêle & s'élargit peu-à-peu, on l'appelle col. Voyez COL.

S'il aboutit en pointe, on l'appelle coronoïde ou coracoïde, à cause qu'il ressemble à un bec de corneille. Voyez CORONOÏDE, CORACOÏDE.

Quand cette tête est plate, on l'appelle condyle ou double tête, comme sont les extrêmités des os des doigts. Voyez CONDYLE.

On dit aussi la tête d'un muscle, en parlant de son extrêmité ; & on dit la tête du foie, en parlant de sa partie la plus élevée. Voyez MUSCLE.

Le sommet est appellé sinciput, ou bregma. Voyez BREGMA.

L'os du derriere de la tête est appellé occipital, ou os de la proue. Voyez OCCIPITAL. Et ceux des tempes temporaux, ou os des tempes. Voyez TEMPORAUX.

Les os qui composent le crâne, sont liés ensemble par des sutures. Voyez SUTURE.

La tête est le siege des principaux organes des sens, savoir des yeux, des oreilles, &c. Elle contient aussi le cerveau enveloppé de ses meninges, dans lequel on croit qu'est le siege de l'ame. Voyez SENS, CERVEAU, &c.

La tête est mue par dix paires de muscles, savoir, le splénius, le complexus, le grand droit, le petit droit, l'oblique supérieur, l'oblique inférieur, le mastoïdien, le grand droit interne, le petit droit interne, & le droit latéral. Voyez la description de chacun de ces muscles aux noms qui leur conviennent.

Les Orientaux couvrent la tête d'un turban, & les Occidentaux d'un chapeau. Voyez TURBAN, CHAPEAU, NNETNNET.

TETES, en Anatomie, nom de deux des tubercules quadrijumeaux. Voyez QUADRIJUMEAUX.

TETE DE COQ, (Anatomie) caroncule ou éminence qui est dans l'urethre, près de l'endroit où les vaisseaux séminaux envoyent la semence dans ce canal. Son usage est, à ce que croyent la plûpart des anatomistes, d'empêcher que la semence ne cause un gonflement douloureux, en allant heurter contre l'orifice du côté opposé. (D.J.)

TETE DES INSECTES, (Hist. nat. des insect.) partie antérieure de l'insecte. Nous ferons sur cette partie quelques légeres observations générales.

Il est si difficile de reconnoître la tête de divers insectes, qu'on seroit presque tenté de croire qu'ils n'en ont point du tout. Celle des uns est fort petite, à proportion de leurs corps ; & celle des autres est fort grande ; cette proportion entre la tête & le corps, n'est pas toujours la même dans le même insecte ; ceux qui l'ont écailleuse, l'ont petite chaque fois qu'ils doivent muer, & grosse chaque fois qu'ils ont mué : on en comprend aisément la raison ; les écailles l'empêchent de croître tandis que le corps grossit, ce qui fait qu'alors sa grandeur relative par rapport au corps, diminue continuellement. Lorsque les insectes se disposent à muer, la substance de la tête d'un grand nombre, se retire dans leur cou & dans leur premier anneau ; là, n'ayant point ordinairement d'écailles qui la gênent, elle s'étend & grossit ; & lorsque l'animal a quitté sa vieille peau, on est surpris de lui voir une tête deux fois plus grosse qu'elle n'étoit auparavant. Comme l'insecte ne mange ni ne croît point tandis que sa tête se forme, on peut observer à son égard cette singularité que son corps & sa tête ont alternativement chacun leur tour pour croître ; ensorte que lorsque le corps ne croît pas, la tête croît, & que lorsque le corps croît, la tête ne croît pas.

Les têtes des insectes n'ont pas toutes la même figure : l'on en voit de rondes, de plates, d'ovales, de quarrées, de larges, de pointues ; les uns l'ont toute unie, les autres l'ont raboteuse, & quelques-uns comme les phalènes, y ont des poils.

On remarque encore beaucoup de diversité dans la situation de la tête des insectes ; elle est tout-à-fait visible chez les uns, & on a de la peine à la découvrir chez les autres ; il y a même plusieurs especes d'insectes qui peuvent faire entrer leur tête dans le corps, ensorte qu'il n'en paroisse absolument rien : tels sont plusieurs sortes de vers qui se changent en mouches ; tels sont encore les limaces & les limaçons.

Quelques-uns cachent leur tête sous leur dos, comme les tortues sous leurs écailles, & ils l'enveloppent tellement, qu'à peine peut-on la voir. C'est ainsi que plusieurs chenilles & scarabées, cachent leur tête sous l'écaille qu'ils portent sur le dos.

Enfin quoique le plus grand nombre des insectes portent la tête droite, il y en a cependant qui l'ont un peu inclinée, & c'est une remarque qu'on a faite dans les phalènes. (D.J.)

TETE, (Hist. nat. Botan.) les Botanistes disent que les fleurs ou les graines sont ramassées en maniere de tête, lorsqu'elles sont entassées par petits bouquets : c'est ce qu'on appelle en latin, flores in capitulum congesti. (D.J.)

TETE DE DRAGON, (Hist. nat. Botan.) genre de plante d'Amérique, dont on ne connoît encore qu'une seule espece : voici ses caracteres. Son calice est long & tubuleux ; ses feuilles sont plus étroites que celles du pêcher ; le casque de la fleur est creux, entier, s'ouvrant & se fermant ; sa barbe est divisée en trois segmens, & chaque segment en deux ; ces segmens forment deux especes de mâchoires, ensorte que toute la fleur représente, en quelque maniere, la gueule ouverte d'un serpent, d'un dragon, ou plutôt est semblable à la digitale ; ses fleurs croissent en petites guirlandes ; deux ou trois forment la guirlande, & elles sont placées aux noeuds des tiges. Le pistil s'éleve du calice de la fleur, & est fixé en maniere de clou ; les quatre embryons qui l'environnent, mûrissent en autant de graines.

Cette plante est nommée draco-cephalon americanum par Breynius, prod. 1. 34. digitalis americana, purpurea, folio serrato, dans les act. ac. reg. par. 79.

M. de la Hire prétend que les fleurs de cette plante américaine, ont une propriété singuliere ; c'est que si on les fait aller & venir horisontalement dans l'espace d'un demi-cercle, elles restent en quelque endroit que ce soit de cet espace, sitôt que l'on cesse de les pousser ; ce phénomene qui paroît étonnant, & qui dans un autre siecle eût été regardé comme une merveille, dépend de la seule situation des fleurs, de leur figure, & de la maniere dont elles sont attachées à la tige de la plante qui les porte.

En effet, ceux qui connoissent cette plante, jugeront sans peine, en l'examinant, 1°. que le pédicule de la fleur faite en gueule étant mollet & flexible, il peut être facilement mû à droite & à gauche, sans être rompu, ce qui n'arrive pas aux fleurs des autres plantes, qui ont ordinairement leur pédicule roide & faisant du ressort ; 2°. que le pédicule de cette fleur, tendant à l'abaisser en-bas, sa pesanteur y contribuant aussi, le calice s'appuie sur la petite feuille qui les soutient, & s'y accroche par les petits poils dont sa base est garnie ; ainsi toutes les fois que l'on fera mouvoir la fleur horisontalement, elle doit nécessairement s'arrêter dès que l'on cessera de la pousser ; ceux qui ne connoissent pas cette plante curieuse, en trouveront la représentation dans les mém. de l'acad. des Sciences, année 1712. Le fait dont on vient de parler, n'est que pour les curieux en général ; voici une autre observation de M. de la Hire pour les Botanistes en particulier.

Outre la forme d'une tête de dragon, à quoi M. Tournefort prétend que la fleur de draco-cephalon ressemble, & en quoi il fait consister toute la différence générique qu'il établit entre ce genre de plante, & presque tous les autres, dont les fleurs sont en gueule (auxquelles succedent après que la fleur est passée, 4 semences renfermées au fond du calice de la fleur), M. de la Hire a remarqué, qu'il y a à la base des semences qu'elle porte, entre les graines & le côté inférieur du calice, une espece de dent pointue, courbée par le bout en-haut, arrondie par-dessous, creusée pardessus, ayant une arrête dans le milieu suivant sa longueur. Cette partie se distingue aisément d'avec les embryons des semences, non-seulement par sa figure, mais par sa couleur ; on peut même l'appercevoir à la vue simple, quoique les embryons des semences soyent encore très-petits ; car elle a presqu'autant de volume elle seule, que les embryons en ont tous quatre ensemble, & elle excéde ordinairement leur grandeur. (D.J.)

TETE D'UNE COQUILLE, (Conchyl.) autrement dite clavicule ; c'est la partie pyramidale extérieure & intérieure d'une coquille tournée en spirale ; elle prend vers le milieu jusqu'au sommet. (D.J.)

TETE, c'est un mot usité dans les anciens écrits pour exprimer chef ou personne. Voyez CHEF.

Ce mot est évidemment formé du mot pole ; la tête ou le chef étant, pour ainsi dire, le pole du microcosme. Voyez POLE.

C'est pourquoi les Anglois se servent du mot topoll, pour l'action de recueillir & d'écrire les noms des personnes qui donnent leur voix à une élection. Voyez VOTER, VOIX, SUFFRAGE, ELECTION, &c.

TETE, (Critiq. sacrée) ; ce mot au figuré se prend dans l'Ecriture, 1°. pour commencement ; 2°. pour le point capital de quelque chose, Luc, x. 17. La pierre rejettée est la principale du coin. 3°. pour le chef qui gouverne, I. Rois, xv. 17. N'êtes-vous pas devenu le chef de toutes les tribus d'Israël ? 4°. pour la vie, I. Paral. xij. 10. David retournera à Saül sur le péril de notre tête ; 5°. pour état, royaume : Ephraïm fortitudo capitis mei, psal. v. 9. Ephraïm est la force de mon royaume ; 6°. pour origine, source de quelque chose, bras d'un fleuve ; 7°. il signifie poison ; il sucera la tête des aspics, Job, xx. 16.

Voici les façons de parler proverbiales mentionnées dans l'Ecriture. Aller la tête baissée, c'est gémir dans la tristesse, Jérém. ij. 10. courber la tête, c'est affecter un air mortifié. Le jeûne, dit Is. lviij. 5. consiste-t-il à faire comme un cercle de sa tête, en baissant le cou ? Donner de la tête contre quelque chose, c'est s'obstiner à le faire avec entêtement. Les Juifs se sont opiniâtrés, dederunt caput, à vouloir retourner à leur premiere servitude. II. Esdras, ix. 17. Elever la tête de quelqu'un, c'est le mettre en honneur, IV. Rois, xxv. 27. Oindre la tête de quelqu'un avec des parfums, c'est le combler de toutes sortes de biens, Ps. xxij. 5. Lever la tête, c'est prendre courage, Eccles. xx. 11.

Branler la tête, exprime les différens sentimens dont on est affecté ; ainsi c'est quelquefois un signe de mépris & d'insulte. Sennacherib a secoué sa tête derriere vous, ô Jérusalem ! IV. Rois, xix. 21. D'autres fois c'est une marque de joie & de sensibilité. Les parens de Job, après sa guérison, vinrent s'en réjouir avec lui, & hochoient la tête sur lui, Job, xlij. 11.

Découvrir la tête, marquoit quelquefois le deuil, LÉvit. x. 6. & quelquefois aussi on se couvroit la tête dans des momens d'amertume. Le roi couvrit sa tête, en s'écriant, mon cher fils Absalon ! II. Rois, xix. 4. (D.J.)

TETE, (Jurisprud.) on entend par-là celui qui prend une portion virile ou entiere dans une succession.

Faire une tête, c'est être compté pour une portion virile.

Succéder par têtes, c'est lorsque chacun des héritiers prend une portion virile ; au lieu que succéder par souches, ou par tige, c'est lorsque plusieurs héritiers, descendans d'une même souche, viennent par représentation de leur pere & mere, ou autre parent, & ne prennent tous ensemble que la part qu'auroit eu le représenté.

Pour savoir quand on succéde par souches ou par tête, voyez REPRESENTATION, SOUCHE, SUCCESSION. (A)

TETE, s. f. (Art Numismat.) côté de la médaille opposé au revers. L'on voit peu de médailles antiques sans tête, c'est-à-dire sans qu'on y ait frappé la tête ou le buste, soit de quelque divinité, soit de quelque personnage humain ; ou bien il se rencontre sur ce côté de la médaille, quelque chose qui en tient lieu. Il se trouve aussi très-peu de médailles antiques sans revers, à moins qu'elles ne soyent incuses.

Les têtes se connoissent d'abord par la légende ; mais les ornemens qui les accompagnent, sont autant d'énigmes capables d'embarrasser par leur obscurité, si l'on n'a au-moins les premieres notions de la science des antiquaires. C'est à tracer ces premieres notions, à l'égard des têtes, que cet article est destiné.

Les têtes ou personnages qui se voyent sur les médailles, sont quelquefois des simples têtes qui finissent avec le col ; quelquefois ce sont des bustes avec les épaules & les bras ; quelquefois des figures à mi-corps. Chacune de ces positions reçoit des ornemens différens.

Les simples têtes sont quelquefois toutes nues, d'autres fois couvertes en diverses façons.

Nous ne parlerons point de celle des femmes, parce qu'il n'est pas possible de donner de noms propres à leurs différentes coëffures. On ne peut que les connoître à l'oeil, & les exprimer ensuite par des noms qui ayent quelque analogie aux coëffures modernes : cependant on trouvera dans le Valesiana, pag. 99. 103. un petit article sur les coëffures qui se voyent sur les médailles des impératrices. Ce léger essai auroit dû porter des antiquaires à faire quelques recherches sur les différentes coëffures qui ont été en usage, tant dans le haut que dans le bas Empire ; mais personne n'y a songé.

Dans les médailles impériales, lorsque la tête est toute nue, c'est ordinairement la marque que ce n'est point une tête d'empereur, mais de quelqu'un de ses enfans, ou véritables ou adoptifs, ou de quelque héritier présomptif de l'Empire. Tel est le jeune Néron, Aelius adopté par Hadrien, Aurelius par Antonin, &c. ou bien ce sont des princes qui n'ont jamais regné, comme Drusus, Germanicus, &c. Cependant on ne peut sur cela faire de regle générale, car si l'on vouloit dire que personne n'a porté sur les médailles la couronne avant que de regner, on feroit voir de simples césars couronnés de laurier, ou parés du diadême, comme Constantin le jeune, & Constantius dans la famille de Constantin. Et si l'on vouloit avancer, qu'au moins tous les empereurs regnans ont pris la couronne ou le diadême, on montreroit avec la même facilité plusieurs médailles d'Auguste déjà empereur, de Néron, de Galba, d'Othon, d'Hadrien, &c. où leur tête se trouve toute nue.

Les têtes couvertes, le sont ou du diadême, ou d'une couronne, ou d'un casque, ou d'un voile, ou de quelque ornement étranger.

Des ornemens de têtes sur les médailles. Le diadême est plus ancien que la couronne. C'est le propre ornement des rois, qui n'est devenu que dans le bas Empire, celui des empereurs. Je sai qu'un savant a prétendu que le diadême étoit un privilege attaché à la qualité d'auguste. Et Jornandès dit, qu'Aurelien est le premier des empereurs romains qui s'en soit paré. Le diadême est un tissu, tantôt plus & tantôt moins large, dont les extrêmités nouées derriere la tête, tombent sur le col. Ce n'est que depuis Constantin que les empereurs romains s'en sont servis, en le relevant par des perles & par des diamans, ou simples ou à double rang ; & permettant même aux impératrices de le porter, ce qui ne s'étoit point vu dans le haut Empire, ou jamais tête de femme ne fut couronnée. Je dis dans l'Empire, & dans le haut Empire, parce que nous trouvons des reines sur les médailles grecques & dans le bas Empire, qui portent le diadême ou la couronne, témoin Jotape, Théodora, Galeria, Valeria.

La couronne des empereurs est ordinairement de laurier, le droit de la porter fut accordé à Jules-César par le sénat, & ses successeurs ont continué d'en jouir.

Justinien est le premier qui ait pris une espece de couronne fermée, qui tantôt est plus profonde en forme de bonnet, & tantôt plus plate en approchant du mortier de nos présidens, excepté qu'elle est surmontée d'une croix, & souvent bordée de perles à double rang. C'est ce que M. Ducange nomme camelaucium, que l'on a confondu ordinairement avec le mantelet qu'on appelle camail, à cause de la ressemblance du mot, quoique l'un soit fait pour couvrir les épaules, au lieu que l'autre est pour couvrir la tête.

Les couronnes radiales se donnoient aux princes, lorsqu'ils étoient mis au rang des dieux, soit devant, soit après leur mort : cette sorte de couronnes n'étant propres qu'à des déités, comme dit Casaubon.

Je ne prétens pas néanmoins faire de cela une maxime constante ; car je sai combien il y faudroit d'exceptions, particulierement depuis les douze Césars. Nous ne voyons point qu'aucun empereur vivant ait pris la couronne radiale avant Néron, qui la méritoit le moins de tous ; Auguste même n'ayant eu cet honneur qu'après sa mort.

Il se trouve sur les médailles plusieurs autres façons de couronnes qu'il faut distinguer : les unes appellées rostrales, sont composées de proues de vaisseaux enlacées les unes dans les autres ; elles se donnoient après les victoires navales. Agrippa reçut cette couronne d'Auguste, après qu'il eut défait les flottes de Sextus Pompeius, & de M. Antoine.

D'autres appellées murales, sont composées de tours ; c'étoit la récompense de ceux qui avoient pris des villes, comme c'est l'ornement des génies & des déités qui les protegent. C'est pourquoi Cybele, déesse de la terre, & tous les génies particuliers des provinces & des villes, portent des couronnes tourelées.

On en voit de chêne que l'on donnoit à ceux qui avoient sauvé la vie à un citoyen ; telle est celle qui enferme les inscriptions, ob cives servatos, & qui se voit quelquefois sur la tête même du prince.

Il y en a de destinées à couronner ceux qui remportoient le prix aux jeux publics. Ainsi aux jeux de l'isthme de Corinthe, nommés isthmia, les victorieux étoient couronnés d'ache, qui est une espece de persil plus fort & plus grand que le nôtre ; on en voit la forme sur une médaille de Néron. Hadrien en faveur d'Antinoüs, en fit faire une de lotus, à laquelle il donna son nom, , qui se lit sur ses médailles.

Les prêtres pour marquer le sacerdoce, en faisoient de crânes de boeufs, enlacés avec les plats où l'on mettoit les entrailles des victimes, & les rubans dont elles étoient parées quand on les conduisoit à l'autel ; cette couronne se trouve sur une médaille d'Auguste.

Les déités ont leurs têtes ornées de couronnes particulieres ; Bacchus est couronné tantôt de pampre, tantôt de lierre ; Hercule en porte une d'un feuillage semblable au lierre ; celle de Cérès est d'épis de blé ; celle de Flore est de fleurs.

Au reste, le lecteur peut voir sur les couronnes, les diadêmes & les autres ornemens de tête, représentés sur les médailles des rois, des empereurs, des impératrices, des prêtres, des athletes, &c. le savant ouvrage de Charles Paschal, intitulé Caroli Paschalii coronae opus, libris X. distinctum, quibus res omnis coronaria, è priscorum monumentis eruta, continetur. Paris, 1610 in-4 °. & Lugd. Bat. 1671, in-8 °.

On peut aisément connoître à l'oeil les différentes façons de casques, soit à la grecque, soit à la romaine. C'est le plus ancien habillement de tête qui paroisse sur les médailles, & le plus universel ; les rois, les empereurs, & les dieux même s'en sont servis. Le casque qui couvre la tête de Rome, a d'ordinaire deux aîles, comme le pétase de Mercure. Celui de quelques rois est paré des cornes du Jupiter Hammon, ou simplement de cornes de taureau ou de bélier, pour marquer une force extraordinaire.

Les habillemens étrangers sont la mitre des rois d'Arménie & de Syrie, presque semblable à celle de nos évêques, excepté qu'elle est quelquefois carrée, ou crenelée par le haut. Tel est sur les médailles l'ornement de tête d'Abgare roi d'Edesse.

La tiare, fort semblable à celle des papes, servoit aux rois de Perse & aux Parthes.

On voit aussi le bonnet phrygien ou arménien, sur les médailles de Midas, d'Athys, & sur celle de Zemiscès, dont le revers qui représente l'adoration des mages, fait voir ces trois princes avec ce même bonnet. Telle est du-moins la pensée de M. Ducange, que tout le monde n'approuve pas : mais ce n'est pas ici le lieu de décider ce différend.

Plusieurs rois grecs ont affecté de se coëffer de la dépouille de lion, à l'imitation d'Hercule, comme Philippe pere d'Alexandre. A leur exemple quelques empereurs s'en sont parés, Commode, Alexandre, Severe, &c. c'est ce qui paroît par les têtes de leurs médailles.

Le voile qui couvre souvent la tête des princes & des princesses, marque ou les fonctions sacerdotales qu'ils exercent, comme de faire des sacrifices, ou qu'ils sont mis au rang des dieux ; honneur qui leur a été rendu par les Payens jusqu'à Constantin, dont on souffrit l'apothéose sur la monnoie, les empereurs chrétiens ne se croyant pas encore assez maîtres pour bannir généralement toutes les cérémonies payennes. Mais bientôt après, les princes & les princesses affecterent par dévotion, de faire paroître sur leurs médailles une main qui sortoit du ciel, & qui leur mettoit la couronne sur la tête ; telles sont les médailles d'Eudoxia & de son mari Arcadius, d'Honorius, de Galla Placidia, &c.

On remarque quelquefois, sur-tout dans les médailles du bas Empire, tout-autour de la tête des empereurs, une espece de cercle rayonnant que l'on appelle nimbe. Voyez NIMBE.

Les têtes des déités portent comme les princes, ou la couronne, ou le casque, ou le voile, ou le bonnet, ou quelqu'autre symbole qui les doit faire reconnoître.

La couronne de laurier distingue Apollon, & le génie du sénat ou du peuple, appellé .

La couronne d'épis, est le symbole de Cérès.

La couronne de fleurs fait connoître Flora.

La couronne de lierre ou de pampre, marque Bacchus ou les bacchantes.

La couronne de rayons marque le Soleil, quand les rayons partent de la tête, sans être liés par un cercle.

Le casque convient à Mars & à Minerve ; mais quand il est surmonté par le chat-huant, c'est indubitablement Minerve.

La barette avec deux aîles, est le chapeau de Mercure, nommé par les Latins petasus.

Un bonnet sans bords, comme nos bonnets de nuit, marque Vulcain, les Cyclopes, ou les cabires & forgerons.

Deux semblables bonnets, surmontés chacun d'une étoile, marquent Castor & Pollux. On dit que ce sont les coques des oeufs dont on prétend qu'ils font sortis.

Le bonnet recourbé en pointe, se donne au dieu Lunus.

Le boisseau qui se voit sur la tête de Sérapis & de tous les génies, désigne la Providence, qui ne fait rien qu'avec mesure, & qui nourrit les hommes & les animaux.

Télesphore dieu de la santé, porte une capote toute semblable à celle de nos matelots, ou des soldats qui sont l'hiver en faction.

Junon est souvent voilée ; mais celle qui préside aux nôces sous le nom de Juno pronuba, est enveloppée presque à mi-corps, d'un grand voile nommé flammeum. Junon, dite Sospita, est coëffée d'une dépouille de chevre avec les deux cornes.

Il y a d'autres déités, particulierement chez les Egyptiens, qui ont la tête nue avec un symbole ; Apis est un taureau qui porte une fleur de lotus entre les deux cornes, une marque blanche au milieu du front, & le croissant blanc sur la tête. Osiris a le même symbole ; Isis & le Canope, portent sur le devant de la tête, une espece de fleur plus large & plus épanouie que le lys : on dit que c'est la fleur d'aurone, dite par les Grecs . Elle est commune aux deux Canopes, pour l'un & l'autre sexe, comme on le voit sur quelques médailles ; le dieu retenant le nom de Canope, & la déesse prenant celui d'Euménythis. L'Espérance porte la même fleur, plus approchante du lys.

Les têtes parées des symboles de plusieurs déités différentes, se nomment Panthées. Voyez PANTHEES.

Des ornemens de bustes. Les bustes qu'on voit sur les médailles, se trouvent accompagnés de symboles qui leur sont particuliers, sur-tout quand les deux bras paroissent, comme il est ordinaire dans les médaillons, & dans les plus petites médailles du bas Empire. Souvent ils tiennent dans la main un globe, pour marquer qu'ils sont les maîtres du monde. Ce globe est quelquefois surmonté d'une Victoire aîlée, qui tient une couronne afin de faire connoître que c'est à la Victoire que le prince doit l'empire du monde ; quelquefois ce globe est surmonté d'une croix, sur-tout depuis Constantin.

Le sceptre qu'ils tiennent à la main lorsqu'ils sont en habit consulaire, & c'est ainsi que sont presque toujours les empereurs de Constantinople, est surmonté d'un globe chargé d'une aigle. Dès le tems d'Auguste, on voit sur les médailles le sceptre consulaire dont nous parlons.

Phocas est le premier qui ait fait ajouter une croix à son sceptre.

Lorsqu'ils sont représentés en armes, outre le casque & le bouclier, ils ont ordinairement un javelot à la main ou sur l'épaule.

Quand ils sont en robe dans le bas Empire, le sceptre est une férule, nommée , qui consiste en une tige assez longue, dont le haut est carré & plat. L'usage en est fort ancien parmi les Grecs, qui appelloient leurs princes narticophores, porte-férules.

Dans la famille de Constantin, & dans quelques autres, on voit souvent les princes portant une espece de guidon, nommé labarum.

La foudre qui est quelquefois placée derriere la tête des princes, comme sur une médaille d'Auguste, marque la souveraine autorité, & un pouvoir égal à celui des dieux.

Depuis Anastase, on voit dans la main des empereurs une espece de sachet, ou de rouleau long & étroit, dont il n'est pas aisé de pénétrer le mystere. Les uns prétendent que c'est un mouchoir plié, que celui qui présidoit aux jeux jettoit de sa loge pour les faire commencer ; & que c'est pour cela que les consuls dont nous avons les figures, en tiennent un semblable. D'autres veulent que c'est ce sachet que l'on présentoit à l'empereur à la cérémonie de son sacre : il étoit plein de cendre & de poussiere, & on le nommoit akakia. Peut-être que ceux qui disent simplement, que ce n'est qu'un rouleau de papiers & de mémoires que l'on présentoit aux princes & aux consuls, & qu'ils tenoient à la main pour y répondre, sont aussi bien fondés que les autres dans leurs conjectures ; d'autant plus que lorsque les statues sont entieres, on voit ordinairement au pié une petite cassette pour serrer ces papiers.

Le croissant est souvent employé pour soutenir le buste des princesses ; elles tiennent dans l'état, dont le prince est le soleil, la place que l'on donne à la lune dans le ciel. Le dieu Lunus porte le croissant aux épaules pour symbole naturel, selon la pensée superstitieuse de certains peuples qui ont cru que la lune étoit une déité mâle, & que ceux qui l'adoroient comme une déesse étoient malheureux dans leur mariage.

Le buste des Amazones est ordinairement orné d'une petite hache d'armes, qu'elles portent sur l'épaule avec un petit bouclier fait en croissant, que les Latins nomment pelta.

Les Cabires portent un gros maillet à deux têtes ; & Vulcain des tenailles & un marteau, qui souvent dans le revers se mettent avec l'enclume.

Anubis est connu par sa tête de chien, & par le sistre d'Isis qu'on lui met à la main.

La massue & la dépouille de lion est le symbole d'Hercule, & des princes qui prétendoient être de ses descendans, ou les imitateurs de sa valeur, comme les Macédoniens.

Je finis par ces especes de bustes qui vont jusqu'à mi-corps, tels qu'il s'en rencontre sur des médaillons ou sur le grand bronze. On y voit le casque, le bouclier, & un cheval qu'on tient par la bride, pour marquer les victoires remportées, ou dans les combats de la guerre, ou dans les jeux du cirque.

Il se trouve encore sur les médailles, principalement sur les grecques, d'autres petits symboles du côté de la tête, qui sont la marque ou des charges que possédoient ceux qui y sont représentés, ou des victoires qu'ils avoient remportées, ou les monogrammes des villes, ou les symboles des déités honorées singulierement par les princes ou par les villes, ou des contre-marques de la différente valeur des monnoies. (D.J.)

TETE DE MAURE, (Chym.) chapiteau d'un alembic à long col, pour porter les vapeurs dans un tonneau qui sert de réfrigérant.

TETE DE MOUCHE, (Médecine) nom françois de la maladie des yeux, nommée par les médecins grecs myocephalon, mot formé de , mouche, & de , tête ; c'est une petite tumeur pas plus grosse que la tête d'une mouche, qui se forme sur l'uvée de l'oeil par une petite rupture de la cornée. Cette espece de staphylome ne cause pas tant de difformité que les autres, quelque partie de l'oeil qu'elle occupe, & ne détruit pas entierement la vue, quand elle se trouve dans la cornée opaque ; mais quand elle est dans la cornée transparente, elle la détruit presque toujours, ou la diminue considérablement, tant à cause du dérangement de l'uvée, que par la cicatrice qui a précédé. Il ne faut point toucher à cette petite tumeur, parce qu'elle est sans remede. Tout ce qu'on peut faire dans les commencemens, c'est de se servir de collyres desséchans & astringens ; afin d'empêcher autant qu'il est possible, l'accroissement de la petite tumeur. Dans la suite il arrive souvent qu'elle vient à diminuer en se desséchant.

TETE DE NEGRE, (Comm. d'Afrique) c'est ainsi qu'on nomme sur les côtes d'Afrique, où les Européens font la traite des negres, ceux qui sont âgés depuis 16 ou 17 ans jusqu'à 30. On leur donne le même nom aux îles Antilles. Ricard.

TETE, (Archit.) ornement de sculpture qui sert à la clé d'un arc, d'une platebande, &c. Les têtes représentent ordinairement des divinités, des vertus, des saisons, des âges, &c. avec leurs attributs, comme un trident à Neptune, un casque à Mars, un caducée à Mercure, un diadême à Jupiter, une couronne d'épis à Cérès, &c. On emploie aussi des têtes d'animaux par rapport aux lieux, comme une tête de boeuf ou de bélier, pour une boucherie ; de chien, pour un chenil ; de cerf ou de sanglier, pour un parc ; de cheval, pour une écurie, &c.

Tête de boeuf, ou de bélier décharnée. Ornement de sculpture des temples des payens, par rapport à leurs sacrifices, qui entroit dans les métopes de la frise dorique, & dans d'autres endroits. Il y a une tête de boeuf à une sépulture de la famille Métella, près de Rome, appellée à cause de cela, capo di bove.

Tête de chevalement. Piece de bois qui porte sur deux étaies, pour soutenir quelque pan de mur ou quelque encoignure, pendant qu'on fait une reprise par sous-oeuvre.

Tête de mur. C'est ce qui paroît de l'épaisseur d'un mur dans une ouverture, qui est ordinairement revêtu d'une chaîne de pierre ou d'une jambe étriere.

Tête de voussoir. C'est la partie de devant, ou de derriere d'un voussoir d'arc.

Tête perdue. On appelle ainsi toutes les têtes ou boutons, vis & cloux qui n'excedent point le parement de ce qu'ils attachent ou retiennent. Daviler.

TETE DE CANAL, (Archit. hydraul.) c'est l'entrée d'un canal, & la partie la plus proche du jardin, où les eaux viennent se rendre après le jeu des fontaines. C'est aussi un bâtiment rustique en maniere de grotte, avec fontaines & cascades, au bout d'une longue piece d'eau. Telle est la tête du canal de Vaux-le-vicomte, qui est un ouvrage très-considérable.

TETE DE MAURE, (Artillerie) espece de grenade qu'on tire avec le canon. (D.J.)

TETE DE PORC, caput porcinum, disposition de troupes dont les anciens se servoient quelquefois. Voyez COIN.

Tête, se dit dans la marche des troupes, de la partie la plus avancée ou qui marche la premiere ; ainsi la tête d'une colonne, dans les marches, est formée des premieres troupes de la colonne. La tête est opposée à la queue, qui est formée des troupes qui marchent les dernieres.

La tête du camp, est aussi sa partie la plus avancée ou qui fait face à l'ennemi. Voy. FRONT DE BANDIERE.

Dans les sappes, la tête est de même la partie la plus avancée du travail vers la place. (Q)

TETE DE LA TRANCHEE, (Fortific.) c'est sa partie la plus avancée vers la place. Voyez TRANCHEE.

TETE ou TETE DE MORE, (Marine) Voyez CHOUQUET.

TETE DE L'ANCRE, (Marine) c'est la partie de l'ancre, où la vergue est jointe avec la croisée.

TETE DU VENT, (Marine) c'est le tems où le vent commence à souffler.

TETE, en Musique ; la tête ou le corps d'une note, est cette partie de la note qui en détermine la position, & à laquelle tient la queue quand elle en a. Voyez QUEUE.

Avant l'invention de l'Imprimerie il n'y avoit que des notes noires ; car la plûpart des notes étant quarrées, il eût été trop long de les faire blanches en écrivant. Dans l'impression, on forma des têtes de notes blanches, c'est-à-dire vuides dans le milieu. Aujourd'hui les unes & les autres sont en usage, &, toutes choses d'ailleurs égales, une tête blanche marque toujours une durée double de celle d'une tête noire. Voyez NOTES, VALEUR DES NOTES, &c.

TETE DU ROUET, en terme de Cardeur, c'est le bout du rouet qui pose à terre, & qui porte les marionettes, les tasseaux, & la broche.

TETE, en terme de Cirier, c'est l'extrêmité d'une bougie, d'un cierge, &c. par laquelle ils doivent être allumés : on a soin d'enfermer la tête de la meche dans un ferret, pour l'empêcher de s'imbiber de cire. Voyez FERRET.

TETE DE BOUGIE, (Cirerie) c'est le côté où la meche n'est point couverte de cire ; cette tête se fait en mettant le haut de la meche dans des ferets lorsqu'on commence la bougie, & en coupant avec un couteau de bois la cire du côté de cette meche, quand on l'a roulée pour achever. Savary. (D.J.)

TETE A TROIS COUPS, (Clouterie) on appelle ainsi les clous ordinaires pour les distinguer des clous à crochets & des clous à tête plate : ce nom de tête à trois coups, leur vient de ce qu'on en forge la tête en la frappant trois fois du marteau, ce qui forme trois especes de triangles irréguliers. (D.J.)

TETE DE CHAMPIGNON, (Clouterie) ce sont de grands clous dont la tête est ronde, de près d'un pouce de diamêtre, & presque d'autant de hauteur, creuse en-dedans, & de la figure d'un champignon ; ils ont deux pointes soudées ensemble, longues d'environ six pouces, qui s'ouvrent & se rivent séparément, quand elles ont percé les planches & traverses où on les attache ; ils servent aux portes cocheres dont ils arrêtent les barres qui sont derriere, & forment en - devant une espece d'ornement en quinconce. (D.J.)

TETE EMBOUTIE, en terme de Cloutier, c'est la plus grosse sorte de broquettes qui se fassent & se débitent par les cloutiers : elle est ainsi nommée de ce que la tête du clou en est relevée & arrondie. (D.J.)

TETE PLATTE, (Clouterie) on nomme ainsi les clous à ardoise & à latte, qu'on appelle autrement clous à bouche. (D.J.)

TETE RABATTUE, (Clouterie) les clous à tête rabattue, sont de gros clous qui servent à clouer & attacher les bandes de fer qu'on met aux roues de charrette ; ceux qui sont destinés aux roues de carrosses & de chaises ne sont pas si forts, & s'appellent simplement clous à bandes. (D.J.)

TETE DE MORT, terme de Doreur, les peintres & doreurs du pont Notre-Dame & du quai de Gêvres, appellent ainsi les bordures de bois uni qui ont six pouces de hauteur sur quatre pouces neuf lignes de largeur : leur nom vient de ce que les premieres estampes pour lesquelles on les fit, représentoient une tête de mort. Savary. (D.J.)

TETE, en terme d'Epinglier, n'est autre chose qu'un tour de laiton en forme d'anneau, que l'on a filé sur le moule au rouet, & coupé un-à-un, pour être fortement appliqué sur le métier, à la partie de l'épingle destinée à l'empêcher de blesser les doigts, ou de sortir de l'endroit où on l'a piquée.

TETE, (Fondeur de caracteres) ce mot se prend quelquefois parmi les fondeurs de caracteres d'Imprimerie, pour ce qu'on nomme autrement l'oeil de la lettre ; on doit pourtant y faire quelque différence, l'oeil étant proprement la gravure en relief de la lettre, & la tête le haut ou la table de la lettre où est cette gravure : une lettre bien fondue ne doit être ni forte en pié, ni forte en tête. (D.J.)

TETE, (Jardinage) s'emploie pour désigner le haut d'un parterre ; on dit la tête d'un bois, d'un canal, d'une cascade, pour exprimer la partie par où commencent ces pieces.

TETE ET QUEUE, terme de Manufacturiers, on dit chez les Manufacturiers & chez les Marchands, qu'une piece d'étoffe a tête & queue, quand elle n'a point été entamée, qu'elle est toute entiere. (D.J.)

TETE DE CHEVAL, (Maréchal.) elle doit en général être menue, séche, déchargée de chair, & médiocrement longue. Elle est composée des oreilles, du toupet, du front, des carmies, des salieres, des yeux, du chanfrein, de la ganache, du canal, de la barbe ou barbouchet, du menton, des naseaux, du bout du nez, des levres. Le dedans de la bouche est composé des dents de devant, des crocs, crochets ou écaillons, des dents mâchelieres, des barres, de la langue & du palais. Voyez chacun de ces mots aux lettres qui leur conviennent.

Il y a des têtes de conformations différentes ; savoir, de longues, de larges ou quarrées, de courtes, de busquées ou moutonnées, & de petites ; mais la beauté d'une tête de cheval est d'être petite, déchargée de chair, de façon que les veines paroissent à-travers la peau ; celles qui approchent le plus de cette description approchent le plus de la beauté. Les têtes busquées ou moutonnées, c'est-à-dire celles qui depuis les yeux jusqu'au bout du nez, forment une ligne convexe quand on les regarde de côté, passent pour belles ; mais celles qui en les regardant ainsi, forment une ligne concave en s'enfonçant vers le milieu du chanfrein, & se relevant ensuite pour former les naseaux, sont les plus vilaines & les plus ignobles de toutes. C'est un défaut pour une tête d'être trop longue. Le front large qui fait la tête quarrée, n'est pas une beauté. La tête grosse est un défaut, de même que la tête mal attachée ou mal pendue, c'est-à-dire commençant un peu trop bas, & au-dessous du haut du cou. Lisse en tête, voyez CHANFREIN. Marqué en tête, voyez ETOILE. La tête à la muraille, voyez PASSEGER. Porter bien la tête, la tête dans les nues, voyez PORTER. Placer sa tête, voyez PLACER. Relever la tête, voyez RELEVER. On dit aux voltes qu'un cheval a la tête dedans, lorsqu'on le mene de biais sur la volte, & qu'on lui fait plier un peu la tête en-dedans de la volte. Courir les têtes, exercice d'académie ; on place une tête de carton dans la carriere, & l'écolier tantôt armé d'une épée, & tantôt d'un dard, tâche de l'enlever ou de la frapper en courant à cheval à toutes jambes.

TETE, en termes de Marchand de modes, est un rang de blonde beaucoup plus étroite, qui sert comme de bord au côté du fichu qui touche sous le menton. Voyez FICHU. Ce petit rang est monté & froncé sur un ruban ainsi que les deux autres qui forment le bas du fichu.

TETE DE CHEVEUX, terme de Perruquier, c'est le côté des cheveux par où ils ont été coupés & détachés de la tête ; l'autre extrêmité se nomme la pointe. C'est par le côté de la tête qu'on tresse les cheveux sur le métier pour pouvoir en faire une perruque. Voyez CHEVEUX.

TETE A PERRUQUE, (Perruquier) ce sont des morceaux de bois sculptés, auxquels on a donné la forme & les dimensions d'une tête d'homme. Elle est ordinairement montée sur un pié ou pivot d'une hauteur suffisante pour que l'ouvrier puisse s'en servir commodément.

Il y a des têtes qui ne servent que pour y mettre les perruques, quand on veut les peigner & poudrer.

Il y en a d'autres qui sont faites exprès pour monter les perruques. Elles sont construites de la même maniere que les autres, excepté qu'on y attache en plusieurs endroits de petits clous ou pointes crochues, par le moyen desquelles le perruquier assujettit la coëffe quand il veut monter une perruque.

Comme on fait des perruques suivant la grosseur de la tête de ceux qui les commandent, & que les têtes ne sont pas toutes de la même grosseur, les perruquiers ont des têtes à perruques de six ou sept grosseurs différentes : ils les distinguent par les numéros 1, 2, 3, 4, &c. la plus petite est appellée du numéro 1, & ainsi de suite.

Quand la tête de celui qui commande une perruque ne se trouve pas précisément de la grosseur de quelqu'une de ces différentes têtes à perruque, l'ouvrier se sert de la tête du degré immédiatement audessous, & supplée au défaut de grosseur par des cartes ou papiers qu'il place entre la tête & la coëffe. Voyez les figures.

TETE, en termes de Raffineur, est le petit bout d'un pain de sucre. Toute l'étude d'un raffineur est de faire de belles têtes au sucre, parce que comme c'est la derniere qui se fait, il est à présumer que le pain entier est parfait quand elle est belle ; & c'est pour cela que les marchands ne visitent que la tête des pains quand ils achetent de cette marchandise. Voy. les Pl.

TETE D'UN ROT, (terme de Rotiers) ils nomment la tête d'un rot, la partie supérieure d'un rot, & la partie inférieure ils l'appellent le pié. (D.J.)

TETE, (Sculpture) ornement qu'on place à la clé d'une arcade, d'une plate-bande, au-dessus d'une porte, d'une fenêtre, & en d'autres endroits. Ces sortes de têtes représentent quelquefois des divinités, des vertus, des saisons, des âges, &c. avec leurs attributs, comme un trident à Neptune, un casque à Mars, un caducée à Mercure, un diadême à Junon, une couronne d'épis de blé à Cérès, &c. On emploie aussi dans ces sortes d'ornemens, non-seulement des têtes d'hommes, mais des têtes d'animaux ; ainsi on met des têtes de cerfs sur la porte des parcs, des têtes de chien pour les chenils, des têtes de cheval pour une écurie, comme à la belle écurie de Chantilli, &c. (D.J.)

TETE, en termes de Serrurerie & Taillanderie, &c. est la partie du marteau qui est ordinairement quarrée, ou ronde, opposée à la panne ; elle doit être acérée.

TETE D'ARGUE, s. f. (terme de Tireur d'or) c'est la partie supérieure d'un gros billot quarré élevé de deux piés de terre, qui a deux entailles, dont l'une sert à placer & appuyer les filieres, & l'autre à faire passer les lingots par les pertuis des mêmes filieres pour les tirer à l'argue. Savary. (D.J.)

TETE, (Tisseranderie) on nomme en terme de rotiers, la tête d'un rot, la partie supérieure du rot ; l'inférieure s'appelle le pié. (D.J.)

TETE, s. f. (terme de Manege) Ce mot entre en plusieurs façons de parler de manege : ainsi on dit, passager un cheval la tête & les hanches dedans ; cette phrase signifie, porter un cheval de côté sur deux lignes paralleles au pas, ou au trot ; desorte que le cheval pliant le cou, tourne la tête au-dedans de la volte, & regarde le chemin qu'il va faire. On dit qu'un cheval place bien sa tête, qu'il porte en beau lieu, en parlant de son action & de son encolure. On dit aussi qu'il a la tête dedans, quand il manie sur les voltes de biais, & en pliant un peu la tête. (D.J.)

TETES, COURIR LES, (terme de Manege) ce qu'on nomme courir les têtes, est une sorte d'exercice à cheval, qui se fait en quatre courses à toute bride. La premiere pour enlever avec la lance une tête de carton posée pour cet effet sur un poteau ; la seconde pour lancer un dard contre une tête semblable ; la troisieme pour lancer un dard contre une tête de Méduse peinte sur un rond de bois ; & la derniere pour relever de terre une troisieme tête avec la pointe de l'épée. (D.J.)

TETE, en Fauconnerie, on dit faire la tête d'un oiseau, c'est-à-dire l'accoutumer au chaperon.

Tête se dit aussi du bois de cerf, les cerfs quittent tous les ans leurs têtes, c'est-à-dire leur bois, on dit une tête bien née.

On connoît l'âge d'un cerf par la tête ; on dit qu'un cerf est à sa premiere tête. Voyez DAGUES.

La deuxieme tête du cerf, est le bois qu'il pousse en commençant sa troisieme année dite porte six, parce que chaque perche porte deux petits andouillers outre les deux bouts de la perche.

Troisieme tête qu'il pousse en commençant sa quatrieme année.

Quatrieme tête en commençant la cinquieme année.

Cinquieme tête en commençant sa sixieme année ; passé six ans, c'est un vrai cerf de dix cors.

Tête portant trochures, qui portent trois ou quatre chevilles andouillers ou épois à la sommité de leur bois.

Tête enfourchée, dont les dards du sommet font la fourche, on dit aussi tête bien chevillée.

Tête paumée, celle dont la sommité s'ouvre & représente les doigts & la paume de la main.

Tête couronnée, celle dont les cors font une espece de couronne, elles sont rares.

Tête faux marquée, est celle dont les deux côtés ne portent pas autant de cors l'un que l'autre ; par exemple, quand il n'y a que six cors d'un côté & sept de l'autre ; on dit alors, tête faux marquée, ce cerf porte quatorze faux marqués, car le plus emporte le moins.

TETE ROUEE, terme de Vénerie ; tête rouée se dit des têtes de cerf, daim & chevreuil, dont les perches sont serrées. Salnove. (D.J.)

TETE DE MAURE, terme de Blason, on appelle têtes de maure des têtes représentées de profil, bandées, liées & tortillées. (D.J.)

TETE, au jeu du revertier, se dit de la onzieme case, ou de la lame du coin qui est à la droite de celui contre qui on joue. Il est à-propos de la bien garnir, parce que l'on case bien plus aisément après. Il n'y a aucun risque d'y mettre jusqu'à sept ou huit dames.

TETE-CHEVRE, CRAPAUD VOLANT, caprimulgus, oiseau de nuit qui ressemble plus au coucou qu'à la chouette ; il a environ 10 pouces de longueur, depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrêmité de la queue ; sa tête est grosse à proportion du corps, cependant cette différence est moins sensible que dans les autres oiseaux de son genre, tels que les chouettes, les hiboux, &c. il a le bec petit, noir & un peu courbe ; l'ouverture de la bouche est un peu grande ; il y a sur les côtés de la piece supérieure du bec des poils noirs & roides, qui ressemblent à des soies. Toute la face inférieure de cet oiseau est variée de petites bandes noires & de bandes blanches, mêlées de roux ; le derriere de la tête & le dessus de la face supérieure du cou sont cendrés, à l'exception du milieu de chaque plume qui est noir. Les grandes plumes des aîles & celles du second rang sont d'un noir mêlé de roux, & les petites ont de plus un peu de cendré. La queue a 4 pouces & demi de longueur, elle est composée de dix plumes qui ont des bandes noires transversales ; l'espace qui se trouve entre les bandes est d'un cendré, mêlé d'une teinte de roux avec de petits points noirs ; les deux plumes extérieures de chaque côté ont à leur extrêmité une tache d'un jaune pâle, mêlé de noir. Les piés sont couverts de plumes presque jusqu'aux doigts seulement sur la partie antérieure ; ces doigts ont une couleur noirâtre ; ces ongles sont petits & noirs ; celui du doigt du milieu est le plus long, & il a sur le côté intérieur un appendice denté comme celui des hérons. Cet oiseau varie un peu pour les couleurs, soit par rapport à l'âge ou à la différence du sexe : il y a des individus qui ont une grande tache blanche sur les trois premieres grandes plumes des aîles, & une autre sur les deux plumes extérieures de la queue près de leur extrêmité. On a donné le nom de tête-chevre à cet oiseau, parce qu'on prétend qu'il s'attache aux mamelles des chevres dans les campagnes, & qu'il en suce le lait. Willughbi, ornit. Voyez OISEAU.

TETE-PLATE, (Hist. d'Amériq.) nom françois qui répond à celui d'omagnas, dans la langue du Pérou ; & à celui de camberas, dans la langue du Brésil. Les peuples qui habitent le long de la riviere des Amazones, ont la bizarre coutume de presser entre deux planches, le front des enfans qui viennent de naître, & de leur procurer l'étrange figure applatie qui en résulte, pour les faire mieux ressembler, disent-ils, à la pleine lune. Le plus difficile à comprendre, c'est qu'il n'en résulte pas des dérangemens considérables dans l'organe du cerveau. (D.J.)

TETE-RONDE, (Hist. d'Anglet.) sobriquet qu'on donna sous Charles I. en 1641 au parti du peuple, qui vouloit exclure les évêques de la chambre haute. Les apprentifs de plusieurs métiers qui coururent cette année dans Londres & dans Westmunster, en criant, point d'évêques, portoient alors leurs cheveux coupés en rond. La reine voyant dans la foule de ces apprentifs, un nommé Barnadiston, se mit à dire, ho la belle tête-ronde ! Telle est l'origine du nom de tête-ronde qui fut donné aux parlementaires de la chambre basse, comme le nom de cavalier fut donné aux partisans du roi. Ces deux sobriquets durerent jusqu'au rétablissement de Charles II, qu'ils furent changés peu-à-peu, en ceux de Torys & Whigs. (D.J.)

TETE A L'ANGLOIS, MELON EPINEUX, melocactus, genre de plante à fleur monopétale, campaniforme tubulée, profondément découpée & soutenue par un calice qui devient dans la suite un fruit semblable à une olive, & charnu, qui renferme une petite semence. Ces fruits sont réunis en maniere de tête dans beaucoup d'especes. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.

TETE D'ANE, Voyez CHABOT.


TETERl'action de, (Physiologie) j'allois presque dire le tetement, tant on est porté à forger les substantifs dont on a besoin, qui manquent souvent dans notre langue, & qui ne feroient que l'enrichir.

L'action de teter est la succion & la compression que font les parties de la bouche de l'enfant sur le mamelon de la nourrice, au moyen de laquelle succion & compression il tire le lait de la mamelle pour sa nourriture.

On ne peut qu'admirer la sagacité avec laquelle quelques animaux, y compris l'homme, cherchent naturellement la mamelle & savent teter dès le moment de leur naissance, tandis que les Physiciens sont embarrassés & même partagés entr'eux pour expliquer la méchanique de cette action.

Le sentiment le plus général est que l'enfant en avançant les levres fait une sorte de tuyau, qu'il pousse dans la cavité de ce tuyau la langue qui est alors une espece de piston, & qu'en la retirant il forme un vuide entr'elle & le mamelon ; d'où il arrive que les mamelles pressées par l'air extérieur doivent verser le lait dans cet espace vuide d'air. L'enfant ayant saisi le mamelon, baisse la mâchoire inférieure, & oblige par-là la langue à reculer & à former le vuide dont nous venons de parler.

C'est à-peu-près ainsi qu'un membre de l'académie des Sciences explique comment un nouveau-né qui n'a point de palais ne sauroit teter, parce qu'alors l'air qui passe continuellement par le nez pour la respiration entrant dans la bouche de l'enfant, presse le bout du mamelon, & empêche la sortie du lait, la bouche ne faisant plus l'office de pompe aspirante, puisqu'il ne se fait plus de vuide. Quand on donna cette explication à l'académie, M. Petit le chirurgien ne convint point qu'un tel enfant né sans palais fût incapable de teter, ni qu'un vuide dans la bouche fût absolument nécessaire pour l'action de teter. Bientôt après en 1735, il appuya ses raisons d'un mémoire sur cette matiere, dont voici le précis.

Les femmes qui trayent les vaches font sortir le lait par la seule compression de leurs mains qu'elles conduisent l'une après l'autre du haut du pis jusqu'enbas, ensorte qu'une main reprend toujours ou l'autre a quitté. Il n'y a là ni vuide ni pompe aspirante. Qu'on examine bien un enfant, il en fait tout autant.

Quand une nourrice lui présente la mamelle, elle a soin de lui élever la tête avec une de ses mains, pendant qu'avec l'autre elle lui porte le mamelon à la bouche en pressant doucement la mamelle, & disposant ainsi le lait à passer par les ouvertures qui sont à l'extrêmité du mamelon ; c'est ce qui détermine l'action des levres, de la langue & des mâchoires de l'enfant. Il saisit le mamelon avec ses levres qu'il avance en fermant la bouche comme quand on fait la moue, & dont il fait une espece de canal charnu qui serre doucement le mamelon.

L'Anatomie démontre qu'il y a dans ce canal des fibres de deux différentes directions, les longitudinales & les transverses qui sont circulaires. Les dernieres sont celles du muscle orbiculaire ; les longitudinales sont fournies par les muscles incisifs, canins, zygomatiques, buccinateurs, triangulaires & quarrés. Avec les longitudinales aussi allongées qu'elles peuvent l'être, l'enfant prend le mamelon le plus près de la mamelle qu'il peut ; & quand ces mêmes fibres se contractent & s'accourcissent, elles amenent le lait de la mamelle dans le mamelon. Pour les fibres transverses, elles ne font que serrer plus ou moins.

Le mamelon des nourrices est plus large à sa base qu'à sa pointe, c'est ce qui le dispose toujours à glisser hors de la bouche ; c'est aussi ce qui fait que les vaisseaux laiteux ne peuvent être comprimés au point que le cours du lait en soit intercepté ; c'est enfin par cette même disposition que l'enfant, pour retenir le mamelon glissant, est excité aux mouvemens les plus propres à faire couler le lait. En effet, malgré l'attention qu'ont les nourrices de tenir la tête de leurs enfans proche de la mamelle, le mamelon s'échappe, si les enfans ne le retiennent dans la bouche : instruits par la nature, ils savent se servir utilement de leurs levres pour le retenir, & le retirer par une espece de mouvement ondoyant ou vermiculaire.

Si ces premiers mouvemens ne suffisent pas pour faire entrer le mamelon, l'enfant les répete jusqu'à ce que le mamelon soit suffisamment entré, & il ne peut répéter ces mouvemens sans obliger le lait à sortir du mamelon. On observe même que pour tirer le mamelon plus promtement & plus avant dans la bouche, l'enfant le retient avec les mâchoires pendant qu'il éleve les levres en-dehors aussi près de la mamelle qu'il est possible ; puis il ouvre les mâchoires pour lâcher le mamelon, afin que les levres se retirant le fassent entrer plus avant dans la bouche.

La langue sert aussi aux enfans à retirer le mamelon par une espece de succion ; mais pour cela il faut que les mâchoires soient ouvertes, & que les levres ne soient appliquées que mollement au mamelon, sans quoi la langue en se retirant ne pourroit aisément l'attirer à elle pour le faire rentrer dans la bouche.

Quand la langue a fait entrer suffisamment le mamelon, elle cesse de le retirer, se place dessous, & s'y moulant en forme de gouttiere, non-seulement elle s'y applique & le retient sous la puissance des levres, mais elle agit de concert avec elle par un mouvement vermiculaire qu'elle exécute, sans cesser entierement d'être appliquée au mamelon, puisque sa surface s'y joint toujours par quelques points, les uns ne s'en séparant que lorsque d'autres s'y sont appliqués.

Quelquefois la langue ainsi appliquée au mamelon, pour le comprimer plus exactement, le tire jusque sous les mâchoires dont l'action est plus forte, mais qui n'étant garnies que de la chair des gencives, le pressent sans le blesser ; par cette pression plus vive, le lait coule dans la bouche en plus grande abondance. Enfin la langue toujours appliquée au mamelon le tire quelquefois plus avant dans la bouche, & le presse contre le palais ; c'est-là que par son mouvement vermiculaire ou ondoyant, allant & venant successivement de la base à la pointe, elle agit sur tout le mamelon, & qu'elle en exprime le lait avec plus de facilité.

Jusqu'ici les levres, les mâchoires & la langue n'ont fait sortir du lait des mamelles que par la seule compression ; & si nous avons parlé de la succion, ce n'a été qu'entant qu'elle sert à tirer le mamelon dans la bouche, pour le soumettre à la pression des levres, de la langue & des gencives.

Cependant ce n'est pas l'unique effet qu'on puisse attribuer à la succion ; elle suffit évidemment par elle-même pour faire sortir le lait des mamelles, pourvu que les levres non-seulement entourent, mais encore serrent assez exactement le mamelon pour l'empêcher de suivre la langue, lorsqu'elle viendra à être tirée vers le gosier, alors le lait sortira du mamelon, & occupera dans la bouche l'espace qu'aura quitté la langue. La bouche, dans ce cas, fait l'office d'une vraie pompe.

Si pour que le lait ou tout autre liquide entre dans la bouche, il suffit que le mamelon ou le vaisseau contenant le liquide soit exactement entouré par les levres, & qu'ensuite la langue se retire en arriere, ou que la mâchoire inférieure s'éloigne de la supérieure ; si cela, dis-je, suffit, il est clair que la respiration n'est point toujours nécessaire pour l'introduction du liquide dans la bouche. L'expérience même le prouve d'une façon sensible, puisqu'on peut remplir la bouche de liquide sans respirer, & que, qui plus est, on peut expirer dans le tems même que la bouche se remplit de boisson.

Quoique les différens mouvemens que nous venons de parcourir, soit des levres, soit des mâchoires, soit de la langue, puissent chacun séparément exprimer le lait du mamelon, ils ne peuvent pas toujours le faire couler avec une certaine abondance, ni avec une certaine aisance ; par exemple, le seul mouvement des levres ne seroit peut-être pas suffisant pour satisfaire un enfant avide ou affamé non plus que la succion simple, c'est-à-dire celle qui, sans la compression alternative des levres, peut tirer le lait des mamelles ; ce n'est que par le concours & la combinaison de tous les mouvemens dont nous avons fait l'énumération, que l'enfant peut teter abondamment & avec le moins de travail possible.

De toutes les façons de teter qui résultent de cette combinaison de mouvemens, la plus naturelle ou la plus commode pour l'enfant, c'est celle qui s'exécute par la succession alternative & promte de la compression que tout le canal formé par l'avance des levres fait sur le mamelon par la succion, mais par une succion telle que le bout de la langue ne soit pas appliqué à l'extrêmité du mamelon. La succion alors a le double avantage de tirer le lait par elle-même, en même tems qu'elle soumet le mamelon à la compression des levres & des gencives.

Il est encore une autre façon de teter, qu'on peut regarder comme une espece de repos & de délassement que l'enfant prend en tetant. Ce cas arrive lorsque les premiers sucemens ont procuré une telle dérivation de lait, que le mamelon le fournit presque de lui-même par le regorgement des vaisseaux laiteux. Alors une légere pression des levres & des mâchoires est tout-au-plus nécessaire, & la langue ne fait que s'avancer pour recevoir ou ramasser le lait, & se retirer en arriere pour le pousser dans le gosier.

Excepté ce dernier cas, la bouche dans l'action de teter fait le double office de pompe aspirante & foulante. Le bout antérieur de la langue, en se retirant, fait le piston de la premiere pompe, & attire le lait contenu dans le mamelon ; ensuite la partie postérieure de la langue en pressant le lait contre le fond du palais, la cloison du gosier & le gosier même, & en se retirant sur l'embouchure de l'oesophage fait le piston de la pompe foulante. Cette double action de la langue s'exécute presque dans le même instant, sa racine n'ayant point achevé son coup de piston foulant pour avaler, que déja son bout a commencé celui de piston aspirant pour sucer.

Par tout ce qui a été dit jusqu'ici, il est clair, suivant M. Petit, qu'un enfant né sans palais non-seulement peut exprimer le lait du mamelon par la simple compression des levres, ainsi qu'on l'a expliqué, mais encore que sa bouche peut faire la fonction d'une pompe aspirante. Cette pompe à la vérité sera plus courte que dans l'état naturel, puisqu'elle n'aura que la longueur du canal charnu formé par l'avance des levres, mais son jeu sera toujours le même. Ainsi l'enfant qui manque entierement de palais ne mourra point faute de pouvoir exprimer ou sucer le lait du mamelon ; mais si la bouche n'est point capable de faire l'office de la pompe foulante, il doit nécessairement périr faute de pouvoir avaler.

Il n'en est pas de même lorsque les narines ne sont ouvertes dans la bouche que par le seul écartement des os, qui forment la voûte du palais ; cette mauvaise conformation n'empêche point entierement les enfans d'avaler. En effet, dans ce cas, la langue en s'appliquant au palais en bouche la fente, & agit ensuite sur chacune des portions du palais, comme elle feroit sur le palais entier. Quand la cloison charnue se trouve aussi séparée en deux, il est bien vrai qu'une portion plus ou moins considérable du lait passe par le nez ; mais cela n'empêche pas que la racine de la langue, sur-tout lorsqu'elle se retire précipitamment, ne fasse rentrer une partie du lait dans le canal de l'oesophage. On sent que dans ces différens vices de conformation, l'enfant est obligé pour teter de faire des mouvemens extraordinaires auxquels il ne peut pas toujours s'habituer, ce qui le met en danger de périr. On a vu plus d'une fois, dans de semblables cas, réchapper des enfans en leur donnant le pis d'une chevre.

Pour le rendre propre à cette fonction, on le vuide à demi avant que de le présenter à l'enfant ; la grosseur, la longueur & la flaccité ou la mollesse de ce pis font qu'il supplée au vice des organes en remplissant le vuide du palais & des narines. Le pis s'ajuste si bien à toutes ces parties & les ouvertures en sont même si exactement bouchées, qu'à chaque instant on est obligé de retirer le pis pour laisser respirer l'enfant.

Il vient aussi quelquefois au monde des enfans qui ne peuvent pas teter, en conséquence de quelque cohérence de la langue au palais. Dans ce vice de conformation, il ne s'agit que de débrider la langue, la détacher, la tenir abaissée avec une spatule, faire insensiblement cette opération avec prudence, & oindre la plaie avec du miel rosat le plus souvent qu'il est possible, pour empêcher la réunion des parties qu'on a divisées.

Après avoir exposé la maniere dont se fait l'action de teter, on conçoit sans peine comment les paysannes, en tirant le pis de la vache ou d'autre quadrupede femelle, en font sortir le lait, & qu'il ne sort pas de lui-même. Il ne sort pas de lui-même, parce que les tuyaux excrétoires étant ridés par plusieurs sillets ligamenteux & élastiques, ces rides, comme autant de valvules, s'opposent à la sortie du lait, dont les conduits laiteux sont remplis. Ajoutez qu'en tirant avec un peu de force le bout du pis ou mamelon, on allonge en même tems le pis de l'animal, d'où résulte un retrécissement latéral qui pousse le lait vers les tuyaux ouverts ; souvent dans une femme, en comprimant légerement la mamelle & en pressant le lait vers le mamelon, on le fait sortir par les tuyaux laiteux, sans qu'il soit besoin d'employer la succion. (D.J.)


TETHYEtethya, s. f. (Hist. nat.) zoophyte couvert d'une peau dure semblable à du cuir, comme les holothuries, & qui reste toujours attaché aux pierres ou aux rochers de la mer, voyez HOLOTHURIE. Les tethyes ont à chacune de leur extrêmité une ouverture pour prendre & rejetter l'eau. L'espece de cuir qui les recouvre est brun & dur au toucher ; elles ont à-peu-près une figure ovale. Rondelet, Hist. des insectes & zoophytes, chap. xix. Voyez ZOOPHYTE.


TETHYS(Mythol.) fille du ciel & de la terre, & femme de l'Océan. Son char étoit une conque d'une merveilleuse figure, & d'une blancheur plus éclatante que l'ivoire. Ce char sembloit voler sur la face des eaux.

Quand la déesse alloit se promener, les dauphins en se jouant, soulevoient les flots. Après eux venoient des tritons qui sonnoient de la trompette avec leurs conques recourbées. Ils environnoient le char de la déesse traîné par des chevaux marins plus blancs que la neige, & qui fendant l'onde salée, laissoient loin derriere eux un vaste sillon dans la mer. Leurs yeux étoient enflammés, & leurs bouches étoient fumantes. Les Océanides, filles de Téthys, couronnées de fleurs, nageoient en foule derriere son char ; leurs beaux cheveux pendoient sur leurs épaules, & flottoient au gré des vents.

Téthys tenoit d'une main un sceptre d'or pour commander aux vagues ; de l'autre elle portoit sur ses genoux le petit dieu Palémon son fils pendant à la mamelle. Elle avoit un visage serein & une douce majesté qui faisoit fuir les vents séditieux, & toutes les noires tempêtes. Les tritons conduisoient ses chevaux, & tenoient les rênes dorées. Une grande voile de pourpre flottoit dans les airs au-dessus du char. Elle étoit plus ou moins enflée par le souffle d'une multitude de petits zéphirs qui la poussoient par leurs haleines.

Eole, au milieu des airs, inquiet, ardent, tenoit en silence les fiers aquilons, & repoussoit tous les nuages. Les immenses baleines & tous les monstres marins, faisant avec leurs narines un flux & reflux de l'onde amere, sortoient à la hâte de leurs grottes profondes, pour rendre hommage à la déesse.

C'est Téthys qui délivra Jupiter, & le remit en liberté, dans le tems qu'il avoit été arrêté & lié par les autres dieux, c'est-à-dire que Jupiter trouva le moyen de se sauver par mer des embûches que lui avoient tendues les titans à qui il faisoit la guerre ; ou bien en prenant cette guerre du côté de l'histoire, une princesse de la famille des Titans employa des secours étrangers pour délivrer Jupiter de quelque péril. Mais Téthys, selon les apparences, n'est qu'une divinité purement physique, ainsi nommée de , qui signifie nourrice, parce qu'elle étoit la déesse de l'humidité qui est ce qui nourrit & entretient tout. Il ne faut pas confondre notre Téthys avec la Thétis mere d'Achille ; leur nom est écrit différemment. (D.J.)


TÊTIERES. f. en terme de Chirurgie, est un bandage de tête usité lorsque la tête a été blessée. Voyez COUVRE-CHEF.

TETIERE, s. f. (terme de Bourrelier) c'est la partie de la bride où se met la tête du cheval. La têtiere est composée de deux porte-mords, d'un frontal, d'une soûgorge, & d'une muserole.

TÊTIERE, s. f. (terme de Lingere) sorte de voile de toile qui tient la tête de l'enfant nouveau-né, & que cet enfant porte jusqu'à ce qu'il puisse un peu soutenir sa tête. (D.J.)

TÊTIERES, (Lutherie) dans les soufflets d'orgue ce sont les pieces qui font les plis de la tête du soufflet. Ce sont des planches de bois de chêne d'un quart de pouce d'épaisseur ; ces planches sont couvertes de parchemin du côté qui regarde l'intérieur du soufflet, & assemblées les unes avec les autres à une des bandes de peau de mouton parée, & avec les éclisses par les aînes & demi-aînes ; elles doivent toujours être en nombre pair. Voyez SOUFFLETS D'ORGUE.


TETIMIXIRAS. m. (Ichthyol.) poisson d'Amérique, connu plus généralement sous le nom de pudiano ; c'est un petit poisson semblable à la perche. Il a le dos de couleur pourpre, le ventre & les côtes jaunes. (D.J.)


TÉTINES. f. (Bouch.) il se dit du pis de la vache ou de la truie, considéré comme viande.

TETINE, (Art milit.) bosse faite à une cuirasse par la balle d'une arme à feu.


TETIUS(Géog. anc.) fleuve de l'île de Cypre. Son embouchure est marquée par Ptolémée, l. V. c. xiv. entre Amathus & Citium ou Cetium. (D.J.)


TÉTONS. m. partie éminente & extérieure de la poitrine, terminée par le mamelon. Il se dit des hommes & des femmes.


TETRACERAS. f. (Hist. nat. Bot.) genre de plante dont voici les caracteres selon Linnaeus ; le calice est à six feuilles, arrondies & déployées, quoiqu'elles ne paroissent pas dans cette plante quand elle est seche ; ce qui a jetté dans l'erreur le savant botaniste Houston. Les étamines sont de simples filets nombreux, de la longueur du calice, & toujours permanens ; leurs bossettes sont simples ; les germes du pistil sont au nombre de quatre, de forme ovale ; les stiles sont très-courts & pointus ; les stigma sont obtus ; le fruit est composé de quatre capsules, ovales & crochues ; elles contiennent une seule loge qui s'ouvre près du sommet dans la maturité ; elle renferme des graines simples & rondelettes. Linnaei, gen. plant. pag. 249. (D.J.)


TÉTRACORDES. m. dans la musique ancienne, étoit, selon l'opinion commune, un ordre ou systême particulier de sons résultans de quatre cordes différemment ordonnées, selon le genre & l'espece.

Je trouve de grandes difficultés à concilier les autorités des anciens sur ce qu'ils ont dit de la formation des premiers tétracordes.

Nicomaque, au rapport de Boëce, dit que la musique, dans sa premiere simplicité, n'avoit que quatre sons ou cordes, dont les deux extrêmes sonnoient le diapason entr'elles, & que les moyennes, distantes d'un ton l'une de l'autre, sonnoient chacune la quarte avec l'extrême dont elle étoit la plus proche, & la quinte avec celle dont elle étoit la plus éloignée, & il ajoute qu'on attribuoit à Mercure l'invention de ce tétracorde.

Boëce dit encore qu'après l'addition des trois cordes faites par différens auteurs, Lychaon, samien, en ajouta une huitieme, qu'il plaça entre la trite ou paramese, qui étoient alors la même corde, & la mese ; ce qui rendit l'octacorde complet, & composé de deux tétracordes disjoints, de conjoints qu'ils étoient auparavant dans l'eptacorde.

J'ai consulté là-dessus l'ouvrage de Nicomaque, & je trouve qu'il ne dit rien de tout cela. Il dit au contraire que Pythagore s'appercevant que, bien que le son moyen des deux tétracordes conjoints sonnât la consonnance de la quarte avec chacun des extrêmes, ces extrêmes comparés entr'eux se trouvoient dissonans, il ajouta une huitieme corde qui, écartant d'un ton les deux tétracordes, produisit le diapason entre leurs extrêmes, & introduisit encore une nouvelle consonnance, qui est la quinte entre chacun de ces extrêmes & celle des deux cordes moyennes qui lui étoit opposée.

Sur la maniere dont se fit cette addition, Nicomaque & Boëce sont tous deux également embrouillés, & non contens de se contredire entr'eux, chacun d'eux se contredit encore avec soi - même. Voyez SYSTEME, TRITE, PARAMESE.

Si l'on avoit égard à ce que disent Boëce & plusieurs autres anciens écrivains, on ne pourroit donner de bornes fixes à l'étendue du tétracorde ; mais soit que l'on compte ou qu'on pese les voix, on trouvera également que la définition la plus exacte est celle du vieux Bacchius, qui définit le tétracorde un son modulé de suite dont les cordes extrêmes sonnent la quarte entr'elles.

En effet, cet intervalle de quarte est essentiel au tétracorde, c'est pourquoi les sons qui le forment sont appellés immuables par les anciens, à la différence des sons moyens qu'ils appelloient mobiles ou changeans, parce qu'ils pouvoient s'accorder de plusieurs manieres.

Il n'en étoit pas de même du nombre de quatre cordes, d'où le tétracorde a pris son nom : ce nombre lui étoit si peu essentiel, qu'on voit dans l'ancienne musique des tétracordes qui n'en avoient que trois. Tel fut, selon quelques-uns, le tétracorde de Mercure ; tels ont été durant quelque tems les tétracordes enharmoniques ; tel étoit, selon Meibomius, le second tétracorde disjoint du systême ancien, avant qu'on y eût ajouté une nouvelle corde. Quant au premier, il étoit certainement complet avant Pythagore, ainsi qu'il est aisé de voir dans le pythagoricien Nicomaque ; ce qui n'empêche pas M. Rameau de dire très-décisivement, à son ordinaire, que, selon le rapport unanime, Pythagore trouva le ton, le dit-on, le semi-ton, & que du tout il forma le tétracorde diatonique ; au-lieu de dire qu'il trouva seulement les raisons de tous ces intervalles, lesquels, selon un rapport plus unanime & plus vrai, étoient trouvés bien long-tems avant Pythagore.

Les tétracordes ne demeurerent pas long-tems bornés au nombre de deux, il s'en forma bientôt un troisieme, puis un quatrieme ; nombre auquel le systême des Grecs demeura borné. Tous ces tétracordes étoient conjoints, c'est-à-dire que la derniere corde de l'un servoit toujours de premiere corde au suivant, excepté un seul lieu à l'aigu ou au grave du troisieme tétracorde où il y avoit disjonction, c'est-à-dire un ton d'intervalle entre la corde qui terminoit le tétracorde, & celle qui commençoit le suivant. Voy. CONJOINT, DISJOINT, SYNAPHE, DIAZEUXIS. Or comme cette disjonction du troisieme tétracorde se faisoit, tantôt avec le second, & tantôt avec le quatrieme, cela fit approprier à ce tétracorde un nom particulier pour chacune de ces deux circonstances.

Voici les noms de tous ces tétracordes. Le plus grave des quatre, & qui se trouvoit placé un ton audessus de la corde proslambanomene ou ajoutée, s'appelloit le tétracorde hypathon ou des principales, selon la traduction d'Albinus. Le second en montant, lequel étoit toujours conjoint au premier, s'appelloit tétracorde meson ou des moyennes. Le troisieme, quand il étoit conjoint au second & disjoint du quatrieme, s'appelloit tétracorde synnemenon ou des conjoints ; mais quand la conjonction se faisoit avec le quatrieme, & par conséquent la disjonction avec le second ; alors ce même troisieme tétracorde prenoit le nom de tétracorde diezeugmenon ou des divisées ; enfin le quatrieme s'appelloit le tétracorde hyperboleon ou des excellentes. L'Arétin ajouta à tout cela, un cinquieme tétracorde que Meibomius prétend qu'il n'a fait que rétablir ; quoi qu'il en soit, les systèmes particuliers des tétracordes firent bientôt place à celui de l'octave qui les contient tous.

Les cinq tétracordes dont je viens de parler étoient appellés immuables, parce que leur accord ne changeoit jamais ; mais ils contenoient chacun deux cordes qui, bien qu'accordées de la même maniere dans tous les cinq tétracordes, étoient pourtant sujettes, comme je l'ai dit, à être haussées ou baissées, selon le genre, ce qui se faisoit dans tous les tétracordes également ; c'est pour cela que ces cordes s'appelloient mobiles.

L'accord diatonique ordinaire du tétracorde formoit trois intervalles, dont le premier étoit toujours d'un semi-ton, & les deux autres d'un ton chacun, de cette maniere, mi fa sol la.

Pour le genre chromatique, il falloit baisser d'un semi-ton la troisieme corde, & l'on avoit deux semi-tons consécutifs, puis une tierce mineure mi fa fa diese, la.

Enfin, pour le genre enharmonique il falloit baisser les deux cordes du milieu jusqu'à-ce qu'on eût deux quarts de ton consécutifs, puis une tierce majeure : ainsi mi mi demi-diese fa la ; ou bien, à la maniere des Pythagoriciens, mi mi diese fa & la.

Il y avoit après cela plusieurs autres modifications de chaque genre qu'on pourra voir aux mots SYNTONIQUE, TONIQUE MOL, HÉMOLIEN. (S)


TETRACTIS(Arithmét. pythagoric.) je ne sais comment on rendroit ce mot en françois, si ce n'est par celui de quaternaire, nombre sur lequel le fils de Pythagore composa, dit-on, quatre livres. L'amour des Pythagoriciens pour les propriétés des nombres est connu des savans. Il est vrai que les recherches des questions que présentent les rapports des nombres, supposent la plûpart une théorie utile ; mais il faut convenir que le foible des Pythagoriciens pour ce genre de subtilités fut extrême, & quelquefois ridicule.

Erhard Weigelius s'est imaginé que cette tetractis fameuse étoit une arithmétique quaternaire, c'est-à-dire usant seulement de période de 4, comme nous employons celle de 10. Il a fait sur cela deux ouvrages, l'un intitulé Tetractis summum tùm arith. tùm philos. compendium, artis magnae sciendi, gemina radix : l'autre, Tetractis, tetracti Pythagoricae respondens, 1672, 4. Ienae. On voit par le premier que cet écrivain entrant dans les idées pythagoriciennes, croyoit tirer de grandes merveilles de cette espece d'arithmétique ; mais il est sans-doute le seul qui en ait conçu une idée si fort avantageuse.

L'illustre Barrow a formé une ingénieuse conjecture au sujet de cette tetractis, ou de ce quaternaire si fameux chez Pythagore, & qui occupa tant son fils. Il pense qu'ils avoient voulu désigner par-là les quatre parties des Mathématiques qui n'étoient pas alors plus étendues ; il explique donc ainsi cette forme de serment pythagoricien, assevero per illum qui animae nostrae tradidit quaternarium : je le jure par celui qui nous a instruit des quatre parties des Mathématiques ; il y a quelque vraisemblance dans cette conjecture. Montucla. (D.J.)


TÉTRADI(Géog. mod.) riviere d'Asie, dans l'Anatolie, que les Turcs nomment Chersan-Baresir. Elle se jette dans la mer Noire, à quarante milles de celle d'Argyropotami. (D.J.)


TÉTRADIAPASONen Musique, c'est le nom grec de la quadruple octave, qu'on appelle aussi vingt-neuvieme. Les Grecs ne connoissoient que le nom de cet intervalle, car il n'entroit point dans leur système de musique. Voyez SON, SYSTEME, MUSIQUE, OCTAVE. (S)


TÉTRADITESS. m. pl. (Hist. ecclés.) nom qui se donnoit autrefois à plusieurs sectes d'hérétiques, à cause d'un respect particulier qu'ils avoient pour le nombre de quatre, que l'on exprime en grec par .

Les Sabbathaires s'appelloient Tétradites, parce qu'ils vouloient célébrer la fête de Pâques le 14e. jour de la lune de Mars, & qu'ils jeûnoient le mercredi, ou le quatrieme jour de la semaine.

On appelloit de même les Manichéens & autres qui admettoient en Dieu une quaternité ou quatre Personnes au-lieu de trois. Voyez MANICHEEN.

Les sectateurs de Pierre le Foulon portoient aussi le nom de Tétradites, parce qu'ils ajoutoient quelque chose au trisagion pour favoriser une erreur, savoir que ce n'étoit pas le Fils, ni aucune des trois Personnes particulieres de la Trinité qui eût souffert dans la passion de Notre Sauveur, mais la Divinité toute entiere. Voyez TRISAGION.

Les anciens donnoient aussi le nom de Tétradites aux enfans qui naissoient sous la quatrieme lune, & ils croyoient que le sort de ces enfans ne pouvoit être que malheureux.


TÉTRADRACHMETÉTRADRACHME

On trouve en France au cabinet du roi, & chez des particuliers, plusieurs especes de ces anciennes monnoies, dont il est facile de faire la comparaison. On peut voir dans le tome XXI. de l'acad. des Belles-Lettres, la description de deux de ces tétradrachmes, que les Antiquaires nomment médaillons, & qui étoient dans le cabinet de M. Pellerin. Ils sont très-bien conservés, & pesent trois gros, & cinquante-un grains. En supposant qu'ils sont au même titre que l'argent qui a cours en France, le tétradrachme de Tyr vaut au poids cinquante-sept sols six deniers de notre monnoie actuelle. (D.J.)


TÉTRAÉTERIS(Chronolog. d'Athènes) ; c'étoit dans la chronologie athénienne un cycle de quatre ans, sur lequel voyez Potter, Archaeol. graec. l. II. c. xxvj. tom. I. p. 459. & suiv. (D.J.)


TÉTRAGONES. m. en Géométrie, c'est une figure de quatre angles. Voyez QUADRANGULAIRE.

Ce mot est formé du grec , quatre, & , angles. Ainsi le quarré, le parallélogramme, le rhombe, le trapese, sont des figures tétragones. Voyez QUARRE, &c.

TETRAGONE, en Astrologie, est un aspect de deux planetes par rapport à la terre, dans lequel ces deux planetes sont distantes l'une de l'autre de la quatrieme partie d'un cercle, ou 90 degrés, comme A D, (Planche astron. fig. 3.) Voyez ASPECT. L'aspect tétragone se marque par le caractere . Voyez QUADRAT. (O)


TÉTRAGONIAS. f. (Hist. nat. Botan.) nom donné par Linnaeus à un genre de plante que les autres botanistes appellent tétragonocarpos, dont on peut lire l'article. Voici cependant ses caracteres, selon le système du savant botaniste suédois.

Le calice est composé de quatre feuilles ovales, colorées, frêlées dans les bords, & qui subsistent après que la fleur est tombée ; il n'y a point de pétales ; les étamines sont une vingtaine de filets chevelus, plus courts que le calice ; les bassettes sont courtes ; le germe du pistil est arrondi, quadrangulaire, & placé sous le réceptacle ; les stiles sont quatre en nombre pointus, crochus, & de la longueur des étamines ; les stygma sont allongés & blancs ; le fruit est coriace & quadrangulaire ; la graine est simple, osseuse, & faite en noyau oblong. Linnaei, gen. plant. p. 249. (D.J.)


TETRAGONIS(Géog. anc.) ville de l'Arachosie, au pié du mont Caucase ; Pline, l. VI. c. xxiij. dit que cette ville avoit été nommée auparavant Cartana. (D.J.)


TÉTRAGONISMES. m. (Géom.) c'est un terme dont quelques auteurs font usage, pour exprimer la quadrature du cercle. Voyez QUADRATURE.


TÉTRAGONOCARPOSS. m. (Hist. nat. Botan.) genre de plante dont voici les caracteres ; ses feuilles sont disposées confusément ; le bout du pédicule devient un ovaire sur le sommet duquel croît une fleur ou un calice fendu en quatre, & plus rarement en cinq, ouvert & garni d'un grand nombre d'étamines qui vont au nombre de dix-huit ou vingt ; l'ovaire a quatre tubes droits, & devient un fruit à quatre capsules avec une graine simple dans chacune ; quelquefois le calice est sous l'ovaire & la fleur ; Boerhaave en compte trois especes. (D.J.)


TÉTRAGRAMMATONS. m. (Théolog.) du grec , nom de quatre lettres ; c'est ainsi qu'on appelle souvent le nom de jéhovah, que les Hébreux par respect ne prononcent plus. Ils disent en sa place adonaï ou elohim ; & quand ils parlent de ce nom sacré, ils l'appellent schem hamphorasch, c'est-à-dire, nom expliqué. Les Grecs se servent plus volontiers du mot tétragrammaton, qui marque les quatre lettres dont est composé le mot hébreu jehovah, savoir jod, hé, vau, hé.


TÉTRAHEDRES. m. terme de Géométrie, c'est un des cinq solides, ou corps réguliers, compris sous quatre triangles égaux & équilatéraux. Voyez SOLIDE & REGULIER.

On peut concevoir le tétrahedre comme une pyramide triangulaire, dont les quatre faces sont égales. Voyez PYRAMIDE. On voit le tétrahedre représenté, Pl. géom. fig. 59. Voyez CORPS REGULIER.

Les Mathématiciens démontrent que le quarré du côté du tétrahedre est au quarré du diametre d'une sphere, où il est inscriptible, en raison sous-sesquialtere, c'est-à-dire, comme deux est à trois ; d'où il suit que le côté du tétrahedre est au diametre d'une sphere, comme 2 est à 3 ; par conséquent ces deux lignes sont incommensurables. Chambers. (E)


TÉTRALOGIES. f. (Poésie dram. des anc.) on nommoit chez les Grecs tétralogie, quatre pieces dramatiques d'un même auteur, dont les trois premieres étoient des tragédies, & la quatrieme satyrique ou boufonne ; le but de ces quatre pieces d'un même poëte, étoit de remporter la victoire dans les combats littéraires.

On sait que les poëtes tragiques combattoient pour la couronne de la gloire aux dionysiaques, aux lénées, aux panathénées, & aux chytriaques, solemnités, qui toutes, à l'exception des panathénées, dont Minerve étoit l'objet, étoient consacrées à Bacchus. Il falloit même que cette coutume fût assez ancienne, puisque Lycurgue, orateur célebre, qui vivoit à Athènes du tems de Philippe & d'Alexandre, la remit en vigueur ; pour augmenter l'émulation parmi les Poëtes ; il accorda même le droit de bourgeoisie à celui qui seroit proclamé vainqueur aux chytriaques.

Plutarque prétend que du tems de Thespis, qui vivoit vers la 60e olympiade, les poëtes tragiques ne connoissoient point encore ces jeux littéraires, & que leur usage ne s'établit que sous Eschyle & Phrynichus ; mais les marbres d'Oxford, ainsi qu'Horace, disent formellement le contraire. Il est vrai néanmoins que ces combats entre les auteurs, ne devinrent célebres que vers la 70e olympiade, lorsque les Poëtes commencerent à se disputer le prix par les pieces dramatiques qui étoient connues sous le nom général de tétralogie, .

Il est souvent fait mention de ces tétralogies chez les anciens ; nous avons même dans les ouvrages d'Eschyle & d'Euripide, quelques-unes des tragédies qui en faisoient partie. On y voit sous quel archonte elles avoient été jouées, & le nom des concurrens qui leur avoient enlevé ou disputé la victoire.

Les tétralogies les plus difficiles & les plus estimées, avoient chacune pour sujet une des avantures d'un même héros, par exemple d'Oreste, d'Ulysse, d'Achille, de Pandion, &c. C'est pourquoi on donnoit à ces quatre pieces un seul & même nom, qui étoit celui du héros qu'elles représentoient. La pandionide de Philoclès, & l'orestiade d'Eschyle, formoient quatre tragédies, qui rouloient sur autant d'avantures de Pandion & d'Oreste.

La premiere des tragédies qui composoient l'orestiade, étoit intitulée Agamemnon ; la seconde, les Caephores ; la troisieme, les Euménides. Nous avons encore ces trois pieces ; mais la quatrieme, qui étoit le drame satyrique, & intitulée Protée, ne se trouve plus. Or quoique, sur-tout dans l'Agamemnon, il ne soit parlé d'Oreste qu'en passant, cependant comme la mort de ce prince, qui étoit pere d'Oreste, est l'occasion & le sujet des Caephores & des Euménides, on donna le nom d'Orestiade à cette tétralogie.

Aelien, hist. variar. l. XI. c. viij. nous a conservé le titre de deux tétralogies, dont les pieces ont encore entr'elles quelqu'affinité. Il dit qu'en la xcj. olympiade, dans laquelle Exainete d'Agrigente remporta le prix de la course, un certain Xénoclès, qui lui étoit peu connu, obtint le prix de tétralogie contre Euripide. Le titre des trois tragédies du premier étoit Oedipe, Lycaon & les Bacchantes, suivies d'Athamas, drame satyrique. Vous voyez que ces trois pieces, quoique tirées d'histoires différentes, rouloient cependant à-peu-près sur des crimes de même nature. Oedipe avoit tué son pere, Lycaon mangeoit de la chair humaine, & les bacchantes écorchoient quelquefois leurs propres enfans. On peut dire la même chose de la tétralogie d'Euripide, dont la premiere tragédie avoit pour titre Alexandre ou Paris, la seconde Palamede, & la troisieme les Troyennes ; ces trois sujets avoient tous rapport à la même histoire, qui est celle de Troie.

Les poëtes grecs faisoient aussi des tétralogies, dont les quatre pieces rouloient sur des sujets différens, & qui n'avoient ensemble aucun rapport direct ou indirect. Telle étoit une tétralogie d'Euripide, qui comprenoit la Médée, le Philoctete, le Dictys & les Moissonneurs ; telle étoit encore la tétralogie d'Eschyle, qui renfermoit pour quatre pieces, les Phynées, les Perses, le Glaucus & le Prométhée.

Le scholiaste d'Aristophane observe qu'Aristarque & Apollonius, considérant les trois tragédies séparément du drame appellé satyre, les nomment des trilogies, ; parce que les satyres étant d'un genre comique, n'avoient aucune relation, soit pour le style, soit pour le sujet, avec les trois tragédies qui étoient le fondement de la tétralogie. Cependant dans les ouvrages des anciens tragiques, il est parlé de tétralogie, & jamais de trilogie.

Sophocle, que les Grecs nommoient le pere de la tragédie, en connoissoit sans-doute d'autant mieux la difficulté, qu'il avoit plus approfondi ce genre d'écrire. C'est peut-être par cette raison, que dans les combats où il disputa le prix de la tragédie avec Eschyle, Euripide, Chaerilus, Aristée & plusieurs autres poëtes, il fut le premier qui commença d'opposer tragédie à tragédie, sans entreprendre de faire des tétralogies.

On peut compter Platon parmi ceux qui en avoient composé. Dans sa jeunesse, ne se trouvant point de talent pour les vers héroïques, il prit le parti de se tourner du côté de la tragédie. Déjà il avoit donné aux comédiens une tétralogie, qui devoit être jouée aux prochaines dionysiaques ; mais ayant par hasard entendu Socrate, il fut si frappé de ses discours, que méprisant une victoire qui n'avoit plus de charmes pour lui, non-seulement il retira sa piece, mais il renonça au théatre, & se livra entierement à l'étude de la philosophie.

Mais les combats entre les poëtes tragiques devinrent si célebres, que peu de tems après leur établissement, Thémistocle en ayant donné un, dans lequel Phrynicus fut couronné ; ce grand capitaine crut devoir en immortaliser la mémoire, par une inscription qui est venue jusqu'à nous.

La tétralogie d'Euripide, dont nous avons parlé ci-dessus, fut jouée dans la 87e olympiade, sous l'archonte Pythiodore, & l'auteur ne fut couronné que le troisieme ; car on ne décernoit dans tous les combats littéraires que trois couronnes. On sait qu'elles étoient de feuilles d'arbre, comme celles des combats gymniques ; mais quelle autre récompense eût-on employée, si l'on considere la qualité des concurrens qui étoient quelquefois des rois, des empereurs, des généraux d'armée, ou les premiers magistrats des républiques. Il s'agissoit de flatter l'amour propre des vainqueurs, & l'on y réussit par-là merveilleusement. Aussi les poëtes couroient après ces sortes de couronnes avec une ardeur dont nous n'avons point d'idée. Quand Sophocle, tout jeune, donna sa premiere piece, la chaleur des spectateurs qui étoient partagés entre lui & ses concurrens, obligea Cimon d'entrer dans le théatre avec ses collegues, de faire des libations à l'honneur des dieux, de choisir pour juges dix spectateurs choisis de chaque tribu, & de leur faire prêter le serment avant qu'ils adjugeassent la couronne. Plutarque ajoute, que la dignité des juges échauffa encore l'esprit des spectateurs & des combattans ; que Sophocle fut enfin déclaré vainqueur, & qu'Eschyle qui étoit un de ses rivaux, en fut si vivement piqué, qu'il se retira en Sicile, où il mourut peu de tems après.

Les Romains n'imiterent jamais les tétralogies des Grecs, vraisemblablement par la difficulté de l'exécution. Il arriva même dans la suite chez les Grecs, soit que les génies se fussent épuisés, soit que les Athéniens eussent conservé un goût continuel pour les ouvrages de leurs anciens poëtes tragiques ; il arriva, dis-je, qu'on permit aux auteurs qui leur succéderent, de porter au combat les pieces des anciens poëtes corrigées : Quintilien assure que quelques modernes, qui avoient usé de cette permission sur les tragédies d'Eschyle, s'étoient rendus, par ce travail, dignes de la couronne ; & c'est peut-être aussi la seule à laquelle nous pouvons aspirer. (D.J.)


TÉTRAMETRES. m. (Littérat.) dans l'ancienne poésie grecque & latine. C'étoit un vers ïambe composé de quatre piés. Voyez IAMBIQUE.

Ce mot est formé du grec , quatre, & de , mesure. On ne trouve de ces vers que dans les poëtes comiques, comme dans Térence.


TETRAOS. m. (Hist. nat. Ornithol.) nom donné par Linnaeus au genre d'oiseaux de l'ordre des poules ; leurs caracteres distinctifs sont d'avoir à chaque pié quatre orteils, les paupieres nues & chargées de tubercules charnus. De ce genre sont les faisans, la perdrix, la caille, &c. Linnaei, syst nat. p. 48.


TETRAODIONS. m. terme d'Eglise, nom qu'on donne dans l'Eglise grecque à un hymne que l'on y chante le samedi ; on la nomme ainsi, parce qu'elle est composée de quatre parties ; le mot même l'indique ; signifie quatre, & , chant. (D.J.)


TETRAPÉTALEFLEUR, (Botan.) c'est une fleur composée de quatre pétales ou feuilles colorées, que les Botanistes appellent pétales, posées autour du pistil. Selon M. Ray, les fleurs tétrapétales constituent un genre particulier de plantes. M. de Jussieu les appelle polypétales à quatre pieces, & en fait aussi un genre à part. (D.J.)


TETRAPHARMACUMS. m. (Pharmacie) en général, signifie un remede composé de quatre sortes de drogues.

Ce mot est formé de , quatre, & , drogue ou remede.

On a donné ce nom à l'onguent basilic. Voyez ONGUENT.


TÉTRAPHOES. f. (Hist. nat. Bot. exot.) nom donné par les peuples de Guinée, à une plante dont ils usent en décoction pour les cours de ventre ; cette plante croît aussi dans le Malabar, & sa racine est employée pour les hémorrhoïdes ; les Malabares nomment cette plante wellia cadavalli ; Petiver l'appelle en botaniste xanthium malabaricum, capitulis lanuginosis, & la range parmi les especes de glouteron. Sa tige est ligneuse, rameuse & cotonneuse. Ses feuilles sont attachées par paires sur de courtes queues, velues dans leur primeur, & devenant ensuite rudes & âpres. Les fleurs naissent en bouquets, & sont composées de pétales d'un beau verd, à étamines écarlates ; ces fleurs tombent facilement, & se changent ensuite en un fruit ligneux, tout hérissé de picquans doux & crochus ; ils sont semblables à nos grateculs, ou fruits d'églantiers, mais d'un tiers moins gros. Philos. trans. n °. 232. (D.J.)


TETRAPHYLIA(Géog. anc.) lieu de la Macédoine, dans l'Athamanie. Tite-Live, l. XXXVIII. c. j. nous apprend que c'est dans ce lieu que l'on gardoit le trésor royal.


TÉTRAPLESS. m. pl. (Hist. ecclésiastique) en termes d'histoire ecclésiastique, signifient la bible rangée par Origene sur quatre colonnes, dans chacune desquelles étoit une version grecque différente ; savoir, celle d'Aquila, celle de Symmaque, celle des septante, & celle de Théodotion. Voyez BIBLE.

Ce mot est formé du grec , quadruple.

Sixte de Sienne confond ces tétraples avec les hexaples ; quoique ces deux ouvrages soyent différens, & que le premier ait été fait sur le second en faveur de ceux qui ne pouvoient pas se procurer celui-ci. Voyez HEXAPLES.

Quelques auteurs sont d'opinion que les tétraples n'avoient point cet ordre que nous venons de leur donner, & que la version des septante étoit rangée dans la premiere colonne : mais S. Epiphane dit expressément le contraire, & il place cette version dans la troisieme : il rapporte même la raison pour laquelle Origene l'a placée dans cet endroit ; savoir, parce qu'il convenoit de mettre la meilleure version au milieu, afin qu'il fût plus aisé au lecteur de confronter avec elle les autres versions, & de les corriger où elles pouvoient être fautives.

Cependant Baronius dans ses annales, & sur l'année 231, prétend que la version des septante occupoit la troisieme colonne dans les hexaples, mais qu'elle tenoit la premiere dans les tétraples, quoique S. Epiphane lui donne la même place dans ces deux ouvrages.


TÉTRAPOLE(Géog. anc.) nom grec qui signifie quatre villes, & que l'on a donné à diverses contrées où se trouvoient quatre villes qui avoient quelque relation ensemble.

Tetrapolis Attica, tétrapole de l'Attique ; on appelloit ainsi une contrée au septentrion de l'Attique, où étoient quatre villes bâties par Xuthus, pere d'Io, dans le tems qu'il regnoit dans ce quartier de la Grece. Ces quatre villes étoient, selon Strabon, l. VIII. p. 383.

Oenoë, Marathon, Probalinthus, Tricorthon.

Festus dans l'interprétation qu'il donne du mot quadrurbs, semble reconnoître une autre Tétrapole de l'Attique : Quadrurbem, dit-il, Athenas, Attius appellavit, quod scilicet ex quatuor urbibus in unam domicilia contulerunt, Braurone, Eleusine, Pireaeo, Sunion ; ni Meursius, ni Cellarius, geogr. ant. l. II. c. xiij. ne font aucune difficulté de dire que Festus s'est trompé grossierement dans cette explication ; car, outre qu'il est faux qu'Athenes ait été composée précisément de ces quatre villes, il n'est pas vrai qu'Attius, par le mot Quadrurbs, entende la ville d'Athènes : il ne veut parler que des quatre villes qui composoient la Tétrapole de l'Attique.

Tetrapolis Dorica, contrée de la Grece, dans la Doride. Les Doriens, dit Strabon, l. IX. p. 427. habitoient entre les Etoliens & les Aenéianes, & leur pays s'appelloit Tétrapole, à cause qu'il y avoit quatre villes. Cette Tétrapole, ajoute-t-il, passe pour avoir donné l'origine à tous les Doriens. On nommoit ses quatre villes :

Erineus, Boium, Pindus, Cytinium.

Tetrapolis Syriae, contrée de la Syrie, qui renfermoit quatre villes principales ; savoir, Antioche, Séleucie, Apamée, Laodicée. Strabon, liv. XVI. p. 749. qui fait mention de cette Tétrapole, dit que ces quatre villes étoient appellées soeurs, à cause de leur concorde. Elles avoient eu toutes quatre le même fondateur. (D.J.)


TETRAPYRGIA(Géog. anc.) ville de la Cilicie, ou selon Ptolémée, l. V. c. vj. de la Cappadoce, dans la Garsaurie. (D.J.)


TÉTRARQUE(Critiq. sacrée & Littérat.) ; ce mot grec signifie proprement celui qui gouverne la quatrieme partie d'un état. Hérode le tétrarque ouit la renommée de Jesus. Matth. xiv. 1. Cet Hérode, dont parle l'Ecriture, étoit Antipas, fils du fameux Hérode, qu'Auguste avoit gratifié de la quatrieme partie du royaume de son pere, sous le nom de tetrarchiae. Il en avoit donné une seconde à Philippe, avec la même qualité de tétrarque ; & les deux autres à Archélaüs, sous le titre d'ethnarque, qu'Hérode porte aussi sur les médailles ; cependant il est nommé roi, au vers. 9. quoiqu'il n'eût point cette dignité, & que ce sût pour l'avoir ambitionné qu'il se perdit ; mais les Latins donnoient eux-mêmes le titre de rois aux tétrarques, comme il paroît par l'oraison de Cicéron pour Déjotarus, qui n'étoit que tétrarque. Les Hellénistes abusoient aussi de ce titre, & le prodiguoient même aux gouverneurs de province, comme on le voit I. des Macch. ch. j. (D.J.)


TETRASPIERRE DE, (Hist. nat.) Théophraste dit qu'aux environs de Tétras en Sicile, vis-à-vis de Liparo, on trouvoit des pierres que l'action du feu rendoit poreuses. Cette pierre nous est actuellement inconnue, aussi-bien que l'endroit où elle se trouvoit ; sur quoi M. Hill remarque qu'il seroit avantageux de connoître une pierre qui jetteroit un grand jour sur la nature de la pierre-ponce. Voyez le Traité des pierres de Théophraste, avec les notes de Hill.


TETRASPASTONS. m. en Méchanique, c'est une machine composée de quatre poulies. Voyez POULIE.

Ce mot est grec , qui vient de , quatre, & , je tire. Voyez MOUFLE.


TÉTRASTIQUE(Belles-Lettres) quatrain, stance, épigramme, ou autre petite piece de quatre vers. Voyez QUATRAIN.


TETRASTOECHONS. m. (Hist. nat. Bot. anc.) ce mot, dans Théophraste, & autres auteurs grecs, est employée pour désigner une plante, un fruit qui a , quatre rangs de grains dans ses cellules ; c'est une expression empruntée des mots , usités dans les danses qui étoient composées de plusieurs bandes de danseurs, qu'on nommoit , stoechi, & chaque bande étoit formée d'un certain nombre de personnes qui faisoient ensemble les mêmes mouvemens. Pline trouvant dans la description de l'evonymus de Théophraste, le mot tétrastoechon, l'a supposé synonyme à tétragonon, & a traduit ce mot par graine de forme quadrangulaire ; mais il est bien évident que tétrastoechon ne signifioit point un fruit contenant des graines quarrées, mais un fruit qui renfermoit dans ses loges quatre stoechi, ou suite de graines ; tel étoit l'evonymus des Grecs, qui avoit une gousse semblable à celle du sésame, pour renfermer ses graines ; il suit de-là que l'evonymus de Théophraste n'est point la plante que les modernes nomment fusain, & que c'est Pline qui nous a jetté dans l'erreur par sa méprise & sa fausse interprétation du mot grec. (D.J.)


TÉTRASTYLES. m. en terme d'ancienne Architecture, est un bâtiment, & particulierement un temple à quatre colonnes de front. Voyez TEMPLE.

Ce mot est formé du grec , quatre, & de , colonne.


TÉTRATONONS. m. en Musique, c'est le nom grec d'un intervalle de quatre tons, en autant de degrés, lequel s'appelle aujourd'hui quinte superflue. Voyez QUINTE. (S)


TETREUMAS. m. (Hist. nat. Bot. exot.) nom donné par les peuples de Guinée à une espece de buisson très-commun dans leur pays. Petiver le nomme arbor guineensis, laurustini facie, à cause de sa grande ressemblance au buisson que nous appellons laurier-tin. Ses feuilles sont opaques, roides, larges de plus d'un pouce, & longues de deux pouces & demi ; elles sont placées alternativement sur la tige, & attachées à de courtes queues ; les fleurs naissent du milieu des feuilles, & forment des bouquets comme celles du laurier-tin. Les naturels de Guinée séchent les feuilles de cet arbrisseau, les pulvérisent, les humectent ensuite de quelque liqueur, & les appliquent en fomentation pour guérir les panaris. (D.J.)


TETRICUS-MONS(Géog. anc.) ou Tetrica rupes, montagne d'Italie, dans la Sabine, ou du moins aux confins des Sabins, selon Pline, l. III. c. xij. Virgile parle de cette montagne, Enéïde, l. VII. v. 713.

Qui tetricae horrentes rupes, montemque severum

Carperiamque colunt.

Cette montagne étoit très-escarpée ; c'est aujourd'hui, selon Holsten, l'affreux sommet de rochers qui est entre la montagne de la Sibylle & Ascoff, & qui domine sur tous les autres sommets de l'Apennin.


TETRIPPA(Littér.) c'étoient des chars élevés sur des arcades, comme on le voit encore sur plusieurs médailles ; on peut traduire ce mot par arc de triomphe. Cicéron dans une de ses lettres à Atticus, lib. V. epist. 21. lui mande que les peuples de ses départemens d'Asie, auroient bien voulu lui élever des statues, des temples, des arcs de triomphe, , mais qu'il ne le souffrit point, s'étant contenté des remercimens publics. (D.J.)


TÊTUS. m. (Maçonnerie) outil de maçon qui sert à démolir les anciens ouvrages de maçonnerie. C'est une espece de gros marteau, dont la tête qui est fort large par un bout, se termine en pointe par l'autre extrêmité ; le manche qui est de bois est long & fort à proportion, ordinairement de plus de vingt pouces de longueur. Le têtu à arrête, qui sert aussi aux maçons pour la démolition des bâtimens, est propre à briser & rompre les pierres qui sont trop dures, & qui resistent au têtu commun ; c'est une espece de masse de fer, dont les deux bouts, qui chacun se séparent en deux coins, en forme de dents, sont tranchans & fort acerés ; il n'a guere que huit à dix pouces de longueur, mais il est fort épais ; son manche est plus long qu'au têtu ordinaire, pour lui donner plus de coup. Le têtu à limosin, qu'on nomme aussi un gurlet, tient des deux têtus dont on vient de parler ; il a la tête fendue d'un côté, comme le têtu à arrête, & est pointu de l'autre, comme le têtu commun. (D.J.)


TÉTUAN(Géog. mod.) ville d'Afrique au royaume de Fez, sur la riviere de Cus, à une lieue de la côte de la mer. Elle est ancienne & commandée par un château ; c'est une des plus agréables villes de la Barbarie. Les Juifs y sont en assez grand nombre, & y font un bon commerce. Long. 12. 20. lat. 35. (D.J.)


TETUSou TAOETOIE, (Géog. mod.) petite ville de la Tartarie moscovite, à la droite de la riviere de Zerdik, qui est un bras de la grande riviere de Kama. Cette ville est sur une haute montagne, & est à cent vingt werstes, ou vingt-quatre lieues d'Allemagne, de Casan. Long. 70. 24. lat. 55. 12. (D.J.)


TETY-POTE-IBAS. m. (Hist. nat. Bot. exot.) en latin vitis arbustiva Pisonis ; cette plante est, dit-on, produite par la fiente d'oiseaux, appellés telyns, déposée près des orangers, avec lesquels elle s'unit étroitement, & croissant par-dessus, les fait mourir.

Avec les racines & les branches écrasées ensemble, & frites dans de l'huile commune, on fait un remede pour les enflures des jambes. Ray, hist. plant. (D.J.)


TEUCHITESS. m. (Hist. nat. Bot. anc.) nom donné par quelques anciens botanistes au schoenanthe, ou jonc odorant ; le mot teuchites n'étoit ordinairement qu'une épithète qu'on ajoutoit au nom de schoenanthe, pour désigner un endroit d'où l'on en tiroit une espece particuliere ; mais les écrivains qui suivirent, donnerent ce nom comme étant celui de la plante même. Dioscoride dit que le schoenanthe de Babylone, s'appelloit teuchites, & Pline donne avec raison le nom teuchites au schoenanthe de Nabata en Arabie. Il y avoit pour mieux dire une ville nommée Teuochis, en Egypte, sur les confins de l'Arabie ; & les géographes parlent aussi d'un lac situé au voisinage de cette ville. C'étoit probablement dans ce lac que naissoit le schoenanthe, ou jonc odorant ; de-là, on le portoit à Teuochis, où il étoit vendu sous le nom de la ville qui en faisoit le commerce. (D.J.)


TEUCRIUMS. m. (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleur monopétale, labiée, dont les étamines occupent la place de la levre supérieure ; la levre inférieure est divisée en cinq parties, celle du milieu est la plus grande & concave comme une cuilliere ; les quatre autres sont placées par paire au sommet de la fleur ; le calice est en forme de cloche, il tient comme un clou à la partie postérieure de la fleur, & il est entouré de quatre embryons, qui deviennent dans la suite autant de semences arrondies & renfermées dans une capsule qui a servi de calice à la fleur. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.


TEUGUES. m. (Marine) espece de gaillard que l'on fait à l'arriere du vaisseau, pour le garantir de l'injure du tems.


TEUMESSUS(Géog. anc.) montagne & village de la Béotie. L'un & l'autre étoit, selon Pausanias, l. IX. c. xix. sur la voie militaire, & il ajoute que c'est le lieu où Jupiter cacha Europe. On y voyoit un temple dédié à Minerve techlinienne ; mais la statue de la déesse n'y étoit point. Strabon, l. IX. p. 409, met Teumessus dans le territoire de Thèbes. (D.J.)


TEURERT(Géog. mod.) petite ville ou bourgade d'Afrique, au royaume de Fez, sur le haut d'une montagne, proche la riviere de Za. (D.J.)


TEURIOCHAEMAE(Géog. anc.) peuples de la Germanie ; Ptolémée, liv. II. c. xj. les place au nord des monts Sudetes. Quelques uns pensent que ce sont les habitans de la Thuringe. (D.J.)


TEURNIA(Géog. anc.) ville du Norique, au midi du Danube, selon Ptolémée, l. II. c. xiv. qui la marque entre Virunum & Idunum. Pline, l. III. c. xxiv. nomme aussi Teurnia entre les villes du Norique. Les modernes ne conviennent pas sur la situation précise de cette ville. Il y en a qui veulent qu'elle ait été sur le lac de Chimsée dans la Baviere, parce qu'on y a trouvé une ancienne inscription où il est fait mention de cette ville.

L. Terentio vero

. Viro Teurn.

Pr. Jur. Dic.

D'autres, comme Cluvier & le P. Hardouin, la cherchent en Carinthie, sur le bord du Drave, dans l'endroit où est aujourd'hui Villach, situation qui s'accorde assez avec celle que Ptolémée donne à l'ancienne Teurnia. (D.J.)


TEUTATESS. m. (Religion gauloise) dieu des anciens gaulois qui, selon M. Huet, étoit le dieu Mercure de ce peuple ; ce même dieu, ajoute-t-il, étoit honoré par les Germains sous le nom de Wôdan ou de Godan. Voyez aussi THEUTHATES, qui est, je pense, la meilleure orthographe. (D.J.)


TEUTHEA(Géog. anc.) bourgade du Péloponnèse. Strabon, l. VIII. p. 342, dit qu'on en avoit fait la ville Dyma, & qu'on y voyoit un temple dédié à Diane Némidienne. (D.J.)


TEUTHRANIA(Géog. anc.) contrée & ville de l'Asie mineure, dans la Mysie. Pline, l. V. c. xxx. prétend que le Caïcus prenoit sa source dans cette région. La ville qui donnoit le nom à la contrée, étoit à plus de soixante & dix stades de Pitana & d'Eloea, en tirant vers Pergame. Etienne le géographe dérive le nom de cette ville, de Teuthrane qui régna sur les Mysiens & sur les Ciliciens. Teuthrania est encore une ville de la Galatie, que le périple d'Arrien marque entre Aegiali & Carambis, à 90 stades du premier de ces lieux, & à 120 stades du second. (D.J.)


TEUTHRONE(Géog. anc.) ville du Péloponnèse, sur le golfe de Laconie. Ptolémée, liv. III. c. xvj. la marque entre Coene & Las. Pausanias dit qu'en descendant du Pyrrhicus à la mer, on trouve la ville de Teuthrone, & que Teuthrus athénien en étoit regardé comme le fondateur. On rendoit dans cette ville un culte particulier à Diane Issorienne. Il y avoit une fontaine appellée Naias, & l'on comptoit cent cinquante stades de Teuthrone à l'extrêmité du promontoire Taenarum. (D.J.)


TEUTOBURGENSISTEUTOBURGENSIS

Ce quartier s'étend l'espace de quatre cent pas en longueur, & de deux cent en largeur, jusque près de la forteresse de Falckenburg & de la petite ville de Horn, sur le chemin de Paderborn à Bylfeld & à Munster. Quelques-uns lui donnent une plus grande étendue, & y comprennent plusieurs montagnes & diverses forêts ; mais il est constant que Teutoburgensis Saltus est proprement ce qu'on nomme aujourd'hui la forêt de Dethmold, qui tire son nom de la ville de Dethmold, comme l'ancien Teutoburgensis Saltus tiroit le sien de Teutoburgum, qui est aujourd'hui Dethmold. (D.J.)


TEUTOBURGIUM(Géog. anc.) ville de la basse Pannonie, selon Ptolémée, qui, l. II. c. xvj. la place sur le Danube, entre Lugionum & Cornacum. Le nom de Teutoburgium semble dire que cette ville avoit été bâtie par les Teutons. (D.J.)


TEUTONIQUE(Hist. mod.) ce qui regarde les Teutons, ancien peuple d'Allemagne qui habitoit les côtes le long de l'Océan germanique.

La langue teutonique ou le tudesque est l'ancien idiome de l'Allemagne, qui est mis au rang des meres-langues. Voyez LANGUE & MERE-LANGUE.

La langue teutonique s'appelle aujourd'hui l'allemand, & on le distingue en haut & en bas allemand.

Le premier a deux dialectes considérables, savoir 1°. le scandien, le danois, ou peut-être le gothique ; de ce ressort sont les langues qu'on parle en Danemarck, en Norwege, en Suede, & en Ysland ; 2°. le saxon qui a pour dialectes les différens idiomes des Anglois, des Ecossois, des Frisons, & de ceux qui habitent le côté septentrional de l'Elbe. Voyez ANGLOIS, &c.

Le bas allemand ou le flamand est la langue des Flamands, Brabançons, Hollandois & autres peuples des Pays-Bas. Voyez FLAMAND.

TEUTONIQUE, ordre, (Hist. des ordres milit. relig.) bientôt après l'établissement des Hospitaliers & des Templiers, un nouvel ordre naquit encore vers l'an 1190 en faveur des pauvres Allemands abandonnés dans la Palestine, & ce fut l'ordre des moines Teutoniques, qui devint, après, une milice de conquérans.

Des particuliers allemands fonderent cet ordre pendant le siege d'Acre, & Henri Valpot en ayant été nommé le chef, bâtit après la prise d'Acre, une église & un hôpital qui fut la premiere maison de l'ordre. Le pape Calixte III. en confirma l'institution en 1192, & accorda aux chevaliers tous les privileges dont jouissoient les Templiers & les Hospitaliers de saint Jean de Jérusalem ; mais à condition qu'ils seroient soumis aux patriarches, & qu'ils payeroient la dixme de tous leurs biens. L'habit de l'ordre étoit un manteau blanc chargé d'une croix noire.

Conrard duc de Souabe appella les freres Teutoniques en Prusse vers l'an 1230, pour soutenir les chevaliers de Dobrin qu'il avoit fondés, & leur assigna en pleine propriété tout le territoire de Culm.

Ils devinrent extrêmement puissans sous leur quatrieme grand-maître, Hermand de Salza ; ils conquirent la Prusse, v bâtirent les villes d'Elbing, de Marienbourg, de Thorn, de Dantzig, de Konigsberg, & quelques autres. Ils soumirent aussi la Livonie. Leur nom de freres se changea en celui de seigneurs, & comme tels Conrard Wallerod ayant été nommé grand-maître de l'ordre, se fit rendre les honneurs qu'on rendoit aux plus grands princes.

Quelque tems après la division s'étant mise dans l'ordre, les rois de Pologne en profiterent ; la Prusse se révolta, & Casimir IV. reçut les chevaliers à hommage. Enfin Albert, marquis de Brandebourg, grand-maître de cet ordre, quitta la religion romaine, renonça à sa dignité de grand-maître, soumit la Prusse, & en chassa le petit nombre de chevaliers qui ne voulurent pas imiter son exemple, & suivre sa profession de foi. Ceux-ci se retirerent à Mergentheim, ou Mariendal en Franconie, qui leur appartient encore.

C'est par cet évenement que l'ordre teutonique si riche & si puissant, qui a possédé en toute souveraineté la Prusse royale & la ducale, la Livonie, les duchés de Courlande & de Semigal, se trouve n'avoir présentement que quelques commanderies qui suffisent à peine à l'entretien du grand - maître & d'une poignée de chevaliers.

Vaisselius dit dans ses annales, que dans le tems que l'ordre teutonique jouissoit de sa splendeur, il avoit 28 commandeurs (& il a oublié dans ce nombre le grand hospitalier, le drapier & le trésorier) 46 commandeurs de châteaux, 81 hospitaliers, 35 maîtres de couvens, 65 celleriers, 40 maîtres d'hôtel, 35 proviseurs, 18 pannetiers, 39 maîtres de la pêche, 93 maîtres de moulins, 700 simples freres qui pouvoient aller en campagne, 162 prêtres ou freres de choeur, 6200 serviteurs.

Pierre de Duysbourg, prêtre de cet ordre, en a écrit toute l'histoire dans sa chronique de Prusse réimprimée par Hartknock avec des notes ; on peut consulter cet ouvrage. (D.J.)


TEUTONSLES, (Géog. anc.) Teutones, peuples de la Germanie anciennement alliés des Cimbres, & avec lesquels ils paroissent n'avoir fait pendant quelque tems qu'un même peuple. Leur nom se trouve dans la plûpart des auteurs anciens, quoique sous une differente ortographe, les uns écrivant Teutones, les autres Teutoni, Theutones, Thenoni ou Theotoni. L'origine de ce nom n'est pas certaine. Ils pouvoient l'avoir pris de celui de leur dieu Teut ou Theus, & que d'autres nomment Theutus ou Teutas, à moins qu'on ne dise qu'ils avoient eux-mêmes donné leur nom à leur dieu, comme ils le donnerent à toute la nation des Germains.

Ces peuples sont connus des anciens écrivains longtems avant que les Cimbres & les Teutons inondassent les provinces romaines ; mais ils sont connus sous un autre nom. On les appelloit Codani ou Godani, ce que prouvent les noms de Codani-sinus & de Codaniae insulae, où étoit la demeure des Teutons, comme l'a fait voir Spener dans sa notice de l'ancienne Germanie, l. V. c. ij.

Pithéas de Marseille est le premier qui fasse mention des Teutons, suivant le témoignage de Pline, l. XXXVII. c. ij. Pomponius Mela dit que les Teutons habitoient l'île Codanonia, que l'on prend assez communément pour l'île de Zélande dans la mer Baltique. Ptolémée, l. II. c. ij. place des teutonari entre les Saxons & les Sueves, & des teutones entre les Pharodeni & les Sueves ; mais M. Spener croit que ces Teutonari & ces Teutones sont le même peuple, ou que les Teutonari étoient une colonie des Teutons qui s'étoit établie dans le continent de la Germanie.

Quoi qu'il en soit, il est vraisemblable que les Teutons & les Cimbres, avant que d'entreprendre leur grande expédition que l'habileté de Marius fit avorter, envoyerent de fortes colonies dans le continent voisin des îles & de la Chersonese cimbrique, où fut leur premiere demeure. On ne sait pas le tems de ces migrations ; on voit seulement dans les auteurs, que non-seulement des corps d'armées de ces deux nations se répandoient en divers pays, mais qu'en quelque maniere des peuples entiers ayant avec eux leurs femmes & leurs enfans, se mettoient en campagne tous les printems, pilloient les contrées par où ils passoient, & s'arrêtoient l'hiver dans des camps.

Il ne faut pas demander après cela comment une armée qui couroit de pays en pays, pouvoit se soutenir & se perpétuer. Outre que des petits peuples pouvoient se joindre à eux pour partager la gloire & le butin, comme nous trouvons que les Ambrons, les Teugènes & les Tigurins s'y joignirent. Après qu'ils eurent été défaits par Marius, le débris de leur armée put retourner dans leur ancienne demeure : du moins voyons-nous que du tems de Ptolémée il y avoit encore des Teutons sur la côte septentrionale de la Germanie & du golfe Codanus ; mais dans la suite, si on s'en tient aux historiens romains, qui connoissent à peine le nom des Teutons, ces peuples ne firent plus de figure dans le monde. Il est à croire pourtant qu'ils se signalerent par la piraterie, & qu'ils s'associerent avec les Saxons & les Danois. Il y en a qui veulent que les Saxons & les Teutons fussent le même peuple, qui dans le moyen âge se fit encore connoître sous des noms différens, comme ceux de Danois & de Normands. (D.J.)


TEUZAR(Géog. mod.) & par M. Delisle Touzera, ville d'Afrique, en Barbarie, dans le Bilédulgérid. Elle étoit autrefois considérable ; mais elle a été ruinée par les Mahométans, quand ils entrerent en Afrique. Les habitans subsistent du seul commerce des dattes. (D.J.)


TEVERONNELE, (Géog. mod.) riviere d'Italie, dans la campagne de Rome. Sa source est au mont de Trevi, vers les frontieres de l'Abruzze ultérieure, d'où il coule entre la Sabine & la campagne de Rome, & se dégorge à la Cascata, presque à égale distance de Rome & de Castel Giubileo. Il s'appelloit anciennement Anio, & venoit des confins des Herniques, traversoit le pays de Eques, séparoit les Sabins des Latins, & joignoit le Tibre un peu audessus de Rome, après avoir passé à Varia & à Tibur. Cette riviere, dit-on, fut appellée Anio, d'Anius, roi des Toscans, qui s'y précipita de désespoir, pour n'avoir pu atteindre un certain Cethegus qui lui avoit enlevé sa fille. (D.J.)


TEVERTINS. m. (Archit.) pierre dure, roussâtre ou grisâtre. C'est la meilleure pierre qu'on ait à Rome. (D.J.)


TEVERTON(Géog. mod.) ville à marché d'Angleterre, dans le Dévonshire, sur la riviere d'Ex, & à douze milles d'Excester. Elle députe au parlement. Long. 14. 20. latit. 50. 48. (D.J.)


TEWKSBURY(Géog. mod.) petite ville d'Angleterre, en Glocester-Shire, au confluent de l'Avon & de la Saverne, à neuf milles au nord de Glocester. Elle fait un commerce considérable en manufactures de draps. Elle députe au parlement, & a droit de marché public. On croit que c'est la Theocicuria des anciens. Long. 15. 30. latit. 51. 48. (D.J.)


TEXALITEXALI


TEXELISLE DE, (Géog. mod.) par les François Tessel, île des Pays-Bas, dans la Nord-Hollande, à l'embouchure du Zuiderzée. Cette île est petite, mais une des plus connues du monde par le grand nombre de navires qui entrent dans le Zuiderzée, ou qui en sortent. Elle a de puissantes digues & d'une grande hauteur. Son port est bon & vaste. Il y a une forteresse sur la côte méridionale, qui sert de défense à Amsterdam, dont elle est à dix-huit lieues. C'est au Texel que s'assemblent ordinairement les vaisseaux, afin d'attendre le vent, & partir de compagnie. Auprès de la forteresse il y a un gros bourg & six villages. (D.J.)


TEXOCTLIS. m. (Hist. nat. Botan. exot.) arbor texoctlifera, mexicana, de Nieremberg ; c'est un arbre de grandeur modérée, qui croît sans culture aux lieux montagneux du Mexique. Il est garni d'une infinité de piquans & de feuilles pareilles à celles de nos pommiers, avec cette différence qu'elles sont plus rudes & dentelées. Les pommes qu'il donne, ressemblent aux nôtres, mais elles sont seulement de la grosseur d'une chataigne, jaunes & extrêmement dures, lorsqu'elles sont vertes. Elles deviennent très-molles en mûrissant, & acquierent un goût désagréable qui ne laisse pas de plaire aux habitans. Chaque pomme contient trois semences semi-lunaires distinguées par deux angles & une côte, & aussi dures qu'un caillou. Les Mexiquains laissent bien mûrir les pommes de cet arbre, après quoi ils les arrosent avec de l'eau de nitre pour les conserver. Ray, hist. plant. (D.J.)


TEXTETEXTE

Ce mot se prend en différens sens ; 1°. pour le corps même de l'Ecriture, par opposition à la glose ou à l'explication, sans faire attention à la langue dans laquelle ce texte est écrit, si elle est originale, ou si c'est une simple version : par exemple, le texte porte que Dieu se fâcha, ou qu'il se repentit, & la glose avertit que cela doit s'entendre dans un sens figuré, comme s'il y avoit, Dieu agit comme s'il étoit en colere, &c.

2°. Le texte de l'Ecriture se met par opposition aux traductions qui en ont été faites. Aussi le texte hébreu de l'ancien Testament, & le texte grec du nouveau sont comme les sources d'où sont sorties toutes les traductions, & c'est à ces sources qu'il faut recourir pour bien connoître le sens de ces traductions.

Le texte original de tous les livres de l'ancien Testament qui sont reçus dans le canon des Juifs est l'hébreu ; mais l'Eglise chrétienne reçoit aussi comme canoniques certains autres livres de l'ancien Testament dont le grec passe pour l'original. Par exemple, la Sagesse, l'Ecclésiastique, Tobie, Judith, les Macchabées, les chapitres xiij & xjv. de Daniel, les additions qui sont à la fin du livre d'Esther, & cette partie du chapitre iij. de Daniel, depuis le verset 24 jusqu'au 91. Tobie, Judith, l'Ecclésiastique, & apparemment le premier livre des Macchabées ont été, à ce qu'on croit, originairement écrits en syriaque, ou en hébreu mêlé de chaldéen & de syriaque ; mais comme les originaux écrits en ces langues ne sont pas parvenus jusqu'à nous, le grec qui est la plus ancienne version est regardée comme l'original. On n'a aucune preuve certaine que la Sagesse & le second livre des Macchabées ayent été primitivement écrits ni en syriaque ni en hébreu.

Le texte original des livres du nouveau Testament est le grec, quoiqu'il soit certain que S. Matthieu a écrit son Evangile en hébreu, que quelques-uns croyent que S. Marc a écrit le sien en latin, & que S. Paul a écrit son épître aux Romains en latin, & en hébreu celle qu'il a adressée aux Hébreux. Mais comme le texte hébreu original de S. Matthieu s'est perdu, & qu'on a de très-bonnes preuves que tous les autres livres du nouveau Testament ont été écrits en grec, le grec passe pour la langue originale de tout le nouveau Testament.

Pour le texte samaritain, voyez SAMARITAIN & PENTATEUQUE.

Quoiqu'on ne puisse soutenir que les textes originaux tant de l'ancien que du nouveau Testament soyent entierement exempts de fautes, il faut toutefois convenir qu'ils sont parfaitement authentiques, & que les fautes que la longueur des siecles ou la négligence des copistes ont pu y faire glisser ne sont pas de telle conséquence qu'elles doivent les faire regarder comme des sources corrompues & des monumens sans autorité. Ces fautes ne sont pas en grand nombre, elles ne sont pas de grande importance, elles ne touchent pas au fond des choses. Ce sera, par exemple, quelque date, quelque nom propre, quelque nom de ville, ou chose pareille qui seront altérés ou changés ; défaut que l'on peut aisément corriger, ou par le moyen des anciens exemplaires manuscrits, ou par les anciennes versions faites avant que ces fautes fussent survenues dans le texte. Quelques anciens peres, comme S. Justin, Tertullien, Origene, S. Chysostome ont accusé les Juifs d'avoir corrompu exprès plusieurs passages de l'ancien Testament qui étoient trop favorables à Jesus-Christ ; mais cette accusation a été mal soutenue. Les passages qu'on les accuse d'avoir ôtés du texte, n'ont apparemment jamais été dans l'hébreu. Enfin ce sentiment est aujourd'hui presqu'entierement abandonné de tous les critiques. Voyez S. Jérôme sur le chapitre vj. d'Isaie, Eusebe, hist. ecclésiast. liv. III. c. x. S. Augustin, de civit. Dei, lib. XV. c. xcij. Calmet, Dict. de la bible, tom. III. p. 652.

3°. Texte se dit encore en théologie dans les écoles de différens passages de l'Ecriture, dont on se sert pour établir & prouver un dogme, ou un sentiment pour répondre à une objection.

4°. Dans l'éloquence de la chaire on appelle texte, un passage de l'Ecriture que le prédicateur choisit, par où il commence son discours, & d'où il en tire la matiere ; ensorte que le discours n'est qu'une paraphrase ou une exposition méthodique du texte. Il doit donc y avoir un rapport, une liaison naturelle entre le discours & le texte ; mais il n'arrive que trop souvent qu'on choisit des textes singuliers qui n'ont nulle connexion avec la matiere qu'on traite, ou qu'on les y adapte par force en établissant des rapports arbitraires, ou des sens qui n'ont point de fondement.

TEXTE, (terme d'Eglise) ce mot en termes d'église, signifie un livre des Evangiles, ordinairement couvert de lames d'argent. Il est porté aux grandes-messes par le sous-diacre, qui le donne à baiser à l'archevêque ou à l'évêque qui officie, avant qu'il baise l'autel. (D.J.)

TEXTE, s. m. en Musique, c'est le poëme ou les paroles qu'on met en musique. Aujourd'hui cela ne s'appelle plus texte parmi les musiciens, mais seulement les paroles. Voyez COMPOSITION, MUSIQUE, &c. (S)

TEXTE, GROS, (Fondeur de caracteres d'Imprimerie) dixieme des corps sur lesquels on fond les caracteres d'Imprimerie ; sa proportion est de deux lignes quatre points, mesure de l'échelle, & est le corps double du petit texte.

Gros-texte étoit autrefois synonyme au gros-romain, & ne faisoit point de corps. Le sieur Fournier le jeune, dans la proportion qu'il a donnée aux caracteres, a fait celui-ci qu'il a nommé gros-texte, & qu'il a placé entre le saint-Augustin & le gros-romain, pour faire un corps double au petit- texte, & pour rendre la correspondance des caracteres plus générale. Voyez PROPORTION DES CARACTERES, & l'exemple à l'article CARACTERES.

TEXTE, PETIT, (Fondeur de caracteres d'Imprimerie) quatrieme corps des caracteres d'Imprimerie ; sa proportion est d'une ligne deux points, mesure de l'échelle, & son corps double est le gros- texte. Voyez PROPORTION des caracteres d'Imprimerie, & l'exemple à l'article CARACTERES.


TEXTILEadj. m. & f. (mot technique) ce terme d'art introduit dans notre langue, y étoit absolument nécessaire pour désigner un corps qui peut être tiré en filets propres à faire un tissu ; le verre chaud devient textile, puisqu'on en fait des aigrettes dont les fils sont si déliés qu'ils se plient au gré du vent comme les cheveux. (D.J.)


TEXTUAIRESS. m. pl. (Hist. ecclés.) est le nom que l'on a donné parmi les Juifs à la secte des Caraïtes. Voyez CARAÏTES.

Hillel a brillé parmi les traditionaires, & Schammaï parmi les textuaires. Voyez TRADITIONAIRE.

Les docteurs en droit civil & canon, appellent aussi quelquefois textuaire, un livre qui ne contient que le texte d'une matiere.


TEXTURES. f. signifie proprement l'arrangement & la liaison de différens corps ou filets minces, mêlés & entrelacés comme dans les toiles d'araignée, dans les draps, étoffes, tapisseries, &c.

Ce mot vient du latin texere, faire un tissu.

Texture se dit aussi en parlant de quelque union, ou liaison des parties dont on a fait un tout, soit qu'on les ait mises sur le métier, tricotées, nouées, liées, enchaînées, dentelées, comprimées ou ajustées ensemble de quelque autre maniere. Voyez CORPS, PARTICULE, &c.

Dans ce sens-là, on dit qu'un corps est de texture serrée, compacte, lâche, poreuse, réguliere, irréguliere ; &c. Voyez PORE, RAREFACTION, CONDENSATION, &c.

C'est de la texture des parties d'un corps que dépend sa dureté, sa mollesse, son élasticité, sa gravité spécifique, sa couleur, &c. Voyez ces mots. Chambers.


TEYALA, (Géog. mod.) riviere d'Allemagne ; elle prend sa source dans les montagnes qui séparent la Bohème de l'Autriche & de la Moravie, & se jette dans le Morawe, un peu au-dessus de Landshut. (D.J.)


TEZARou TEZA, (Géog. mod.) ville d'Afrique, au royaume & à 16 lieues de Fez, capitale de la province de Cuz, avec une forteresse pour sa défense. Il y a de belles mosquées, & des juifs en grand nombre. Son terroir produit beaucoup de blé & de vin. Long. 9. 35. lat. 33. 40. (D.J.)


TEZCUCO(Géog. mod.) bourgade de l'Amérique septentrionale, dans la nouvelle Espagne, sur le bord du lac du Mexique. Cette bourgade, du tems de Cortez, étoit une ville presqu'égale en grandeur & en opulence à celle du Mexique. Elle avoit des vergers entourés de milliers de cedres, qui portoient leurs têtes jusqu'aux nues. Aujourd'hui il n'y a pas trois cent indiens dans cette bourgade, ni cinquante cedres dans leurs vergers. (D.J.)


TEZELA(Géog. mod.) ville ruinée d'Afrique, au royaume de Tremecen, dans une grande plaine, à six lieues d'Oran. Les interprètes de Ptolémée croyent que Tezela est l'Arina de ce géographe, liv. IV. c. ij. ville de la Mauritanie césariense, qu'il met à 13. 20. de long., & à 30. 50. de lat. (D.J.)


TEZELLES. f. terme de Pêche, c'est un filet placé à l'embouchure des petites écluses.


TEZOTE(Géog. mod.) petite ville d'Afrique, au royaume de Fez, dans la province de Garet, dont elle est capitale, sur la pointe d'un rocher, à trois lieues de Melile. Long. 15. 38. lat. 24. 40. (D.J.)


TFUOIS. m. (Porc. chin.) nom chinois d'une espece particuliere de vernis qu'ils mettent à la porcelaine, pour lui donner un fonds violet, & y appliquer de l'or par-dessus. Leur ancienne méthode étoit de mêler l'or avec le vernis ordinaire, & d'y ajouter du bleu, ou de la poudre d'une agathe grossiere calcinée, qu'on trouve en abondance sur les bords de leurs rivieres ; mais ils ont remarqué depuis que le vernis brun, qu'ils nomment tsekin, réussit beaucoup mieux ; le bleu se change en violet, & l'or s'y attache parfaitement. Les Chinois vernissent encore leur porcelaine d'une maniere variée, en la vernissant de blanc intérieurement, & extérieurement d'une couleur brune avec beaucoup d'or. Enfin ils diversifient les nuances de la même couleur extérieurement, en faisant sur la porcelaine plus ou moins de couches du même vernis. Observations sur les coutumes de l'Asie. (D.J.)


THABARESTANLE, ou THABARISTAN, (Géog. mod.) province de Perse, bornée au nord par la mer Caspienne, au couchant par les provinces de Ghilan & de Dilem, au levant par le Giorgian, & au midi en partie par le Khorassan, & en partie par l'Irack persienne. On n'y seme que du riz à cause de l'abondance des eaux. La position de ce pays convient assez bien à l'Hyrcanie des anciens.

Thabarita ou Al Thabari naquit dans cette province l'an de l'hégire 224, qui répond à l'année de J. C. 839. Il écrivit une histoire mahométane, qui lui fit une grande réputation. George Almakin ou Elmacinus l'a souvent cité dans son histoire des Sarrasins depuis le tems de Mahomet. Le livre de Thabarita est cependant un ouvrage plein de minuties ridicules. (D.J.)


THABAT-MARIAN(Géog. mod.) montagne de l'Abyssinie, &, suivant Mendez, la plus haute de cet empire ; d'ailleurs elle est fort spacieuse, & fournit la source de deux rivieres, dont son pié est arrosé. (D.J.)


THABOR(Géog. anc. & sacrée) montagne de Galilée, nommée par les Grecs Ithaburius ou Athaburius ; le nom de Thabor en hébreu signifie une hauteur & le nombril. Eusebe place cette montagne sur les frontieres de Zabulon au milieu de la Galilée, à 10 milles de Diocésarée vers l'Orient. Josephe, liv. IV. c. ij. dit que le Thabor est haut de 30 stades, & qu'à son sommet il y a une plaine de 26 stades de circuit, environnée de murailles, & inaccessible du côté du septentrion. Polybe, liv. VIII. c. lx. assure qu'il y avoit une ville sur son sommet.

Le Thabor est entierement isolé au milieu d'une grande campagne, où il s'éleve comme un pain de sucre. Le pere Nau dit qu'il y avoit autrefois trois petites églises, mais il n'en reste plus que les ruines, cette montagne étant entierement deserte. Il en est parlé dans l'Ecriture. Osée, c. v. v. 1. reproche aux princes d'Israël & aux prêtres des veaux d'or, de tendre des pieges à Maspha, & de mettre des filets sur le Thabor ; ces pieges & ces filets sont des expressions figurées, qui désignent peut-être des idoles, des autels, que l'on avoit dressés à Maspha, au-delà du Jourdain, & sur le Thabor en Galilée, pour séduire les peuples d'Israël, & les engager dans l'idolâtrie. (D.J.)

THABOR, (Géog. mod.) ville de Bohème sur une hauteur, proche la riviere de Lansnitz, entre Prague & Budweiss, dans le cercle de Bechin. Elle a été souvent prise durant les guerres d'Allemagne. Long. 32. 43. lat. 49. 20. (D.J.)


THABORITESS. m. pl. (Hist. ecclés.) une des sectes de Hussites, qui se retira sur une petite montagne en Bohème, à quinze lieues de Prague, & s'y établit sous la conduite de Zisca. Voyez TABORITES.


THABORTENUSTHABORTENUS


THABRACA(Géog. anc.) ville d'Afrique, dans la Numidie. C'étoit une colonie romaine, qui devint dans la suite un siege épiscopal. Pline écrit Tabracha, & Pomponius Mela Tabraca. (D.J.)


THABUCA(Géog. anc.) ville de l'Espagne tarragonoise. Ptolémée, l. II. c. vj. qui la place dans les terres, la donne aux Varduli. (D.J.)


THACASS. m. (Antiq. grec.) ; nom général que les Grecs donnoient au lieu où les augures faisoient leurs observations, & prenoient les auspices. Potter, Archaeol. graec. tom. I. p. 322. (D.J.)


THAENA(Géog. anc.) ou Thaenae ; ville d'Afrique sur la côte, vers le commencement de la petite Syrte, selon Strabon, l. XVII. p. 834. Il est aussi parlé de cette ville dans Pline, dans Ptolémée & dans une ancienne inscription rapportée par Gruter, page 363. en la maniere suivante : Decuriones, & coloni, coloniae Aeliae Augustae Mercurialis. Thaenit. (D.J.)


THAIEF(Géog. mod.) ou Thaif ; ville du Pays d'Hagiaz, en Arabie. Son terroir, fertilisé par des eaux vives, produit toutes sortes de fruits. Long. suivant Nassir-Eddin, 77. 30. lat. septent. 21. 20. (D.J.)


THAIMS. m. terme de relation, provision que la Porte fournit aux princes à qui elle accorde un asyle. Mehemet Baltagi, grand-visir, retrancha au roi de Suede son thaïm qui étoit considérable, consistant en cent écus par jour en argent, & dans une profusion de tout ce qui peut contribuer à l'entretien d'une cour, dans la splendeur & dans l'abondance. Voltaire. (D.J.)


THAISS. m. (Pharmac. anc.) ; cérat propre à donner une couleur vermeille au visage. Paul Eginete en donne la description, l. III. c. xxv.


THAL(Géogr. anc.) ville de l'Afrique propre, dans la Numidie. Salluste, Bell. Jugurth. cap. lxxv. Strabon, l. I. Tacite, Annal. l. III. c. xxj. & Florus, l. III. c. j. parlent de cette ville ; mais aucun d'eux n'en marque la situation précise. Salluste dit qu'il vint des députés pour demander du secours à Metellus, dans le tems même de la prise de Thala. L'on peut seulement conjecturer de-là, que Lepte & Thala étoient à peu de distance l'une de l'autre ; peut-être que la Thala de Ptolémée est la Thala des autres auteurs que nous avons cités. (D.J.)


THALAME(Géog. anc.) selon Polybe, & Thalamae selon Pausanias, ville du Péloponnèse. Polybe la met au nombre des villes des Eleuthérolacones ; ce qui sembleroit dire qu'elle n'étoit pas éloignée du golfe Argolique, car Pausanias met les Eleuthérolacones sur la côte ; mais Polybe, in excerpt. Valesianis, ex l. XVI. donne lui-même à Thalame, une position bien différente. L'Eurotas, dit-il, & le territoire des Sellasiens sont situés à l'orient d'été de la ville de Sparte ; & Thalamae, Pherae, & le fleuve Pamisus, sont au couchant d'hiver : ainsi Thalame devoit être entre l'Eurotas & le Pamisus.

Selon Pausanias, l. III. c. xxvj. cette ville étoit à près de quatre-vingt stades d'Oetylus, & à vingt stades de Pephnus. Comme dans un autre endroit Pausanias dit que Thalamae étoit une ville de Messénie, quelques-uns ont cru qu'il y avoit deux villes de même nom ; l'une dans la Laconie, l'autre dans la Messénie : & Ortelius semble même en admettre trois ; savoir, deux dans la Laconie, & une dans la Messénie. Mais je croirois plutôt que ce n'est que la même ville, dont Pausanias parle dans trois endroits de sa description de la Laconie.

Quoi qu'il en soit, il y avoit à Thalame de Laconie, un temple & un oracle de Pasiphaë. On alloit coucher dans ce temple, & la nuit la déesse faisoit voir en songe tout ce qu'on vouloit savoir. Les uns prennent Pasiphaë pour la fille d'Atlas ; & d'autres pour Cassandre fille de Priam, qui se retira à Thalame après la prise de Troie, & y porta le nom de Pasiphaë, parce qu'elle faisoit des prédictions à tous ceux qui se présentoient ; car c'est ce que signifie son nom. On pourroit encore dire avec plusieurs, que cette Pasiphaë est la même que Daphné, qui ayant pris la fuite pour éviter les poursuites d'Apollon, fut changée en laurier, & reçut de ce dieu le pouvoir de prédire l'avenir. Quelle que soit celle qui rendoit l'oracle, il est certain qu'elle fut d'un grand secours au roi Agis, quand il essaya de remettre le peuple sur le pié où il avoit été, lorsque les loix de Lycurgue, abolies de son tems, étoient en vigueur. (D.J.)


THALAMEGUSS. m. (Littérat.) c'étoit un vaisseau de parade & de plaisir ; nous dirions un yacht, dont les rois & les grands seigneurs se servoient dans leurs promenades sur l'eau. Ces sortes de vaisseaux avoient tous une belle chambre avec un lit pour s'y tenir, & pour se coucher. Philopator roi d'Egypte, fit faire un bâtiment magnifique de cette espece, dans lequel il se promenoit publiquement sur le Nil avec sa femme & ses enfans. L'histoire rapporte que ce vaisseau avoit trois cent piés de longueur, près de cinquante de large, & environ soixante de hauteur, y compris celle du pavillon qui étoit bâti dessus. La structure de ce vaisseau paroît avoir été fort singuliere, car il étoit fort large dans le haut, particulierement sur la partie de devant ; il y avoit une double proue & une double poupe ; le tillac étoit bordé de deux longues galeries à balustrades d'ivoire, pour s'y promener en sureté & agréablement. (D.J.)


THALAMITAES. m. (Littérat.) dans les galeres à trois rangs de rames, & trois ponts l'un sur l'autre, on nommoit thalamitae, , les rameurs qui étoient au plus bas pont ; ceux du milieu s'appelloient zygitae, ; & ceux du haut thranitae, : l'ancien auteur des Tactiques dit, que ces rangs étoient les uns sur les autres en hauteur. Des savans qui ont bien de la peine à comprendre ces étages de rames les uns sur les autres, estiment que le mot triremis, désigne une galere qui avoit de chaque côté trois hommes sur chaque rame, quelque nombre de rames qu'il y eût d'ailleurs : en ce cas thalamitae étoient les rameurs qui se trouvoient placés au milieu de chaque rame. (D.J.)


THALAMOS(Mythol.) c'est ainsi qu'on appelloit à Memphis, selon Pline, les deux temples qu'avoit le boeuf Apis, où le peuple l'alloit voir, & d'où il tiroit des présages & des augures. Thalamos signifie proprement des chambres à coucher. (D.J.)


THALASSARCHIES. f. (Littérat.) ce mot grec signifie l'empire des mers, le plus avantageux de tous les empires ; les Phéniciens le possédoient autrefois, & c'est aux Anglois que cette gloire appartient aujourd'hui sur toutes les puissances maritimes. (D.J.)


THALASSOMELIS. m. (Pharmac. anc.) , de , la mer, & , miel ; c'est, dit Dioscoride, un cathartique fort efficace, composé d'une égale quantité d'eau de pluie, de mer, & de miel, qu'on coule & qu'on expose au soleil durant la canicule, dans un vaisseau enduit de poix. Quelques-uns mettent deux parties d'eau de mer & une de miel dans un vaisseau ; & cette composition opere avec beaucoup moins de violence que l'eau de mer toute seule. Dioscoride, lib. V. cap. xx. (D.J.)


THALATTA(Géog. anc.) nom d'une ville de la Babylonie, selon Ptolémée, & 2°. d'un étang au pié du mont Caucase, qui selon Aristote, déchargeoit ses eaux dans le Pont-Euxin. (D.J.)


THALEou DALER, (Commerce) espece de monnoie usitée en Suede, où l'on en distingue de deux especes ; le thaler silvermunt ou thaler d'argent, vaut trente-deux sols, monnoie de France. Le thaler kopparmunt ou thaler de cuivre, vaut dix sols & demi, argent de France.


THALou THALLI, (Géogr. anc.) peuples d'Asie, voisins des Sauromates, & qui habitoient à l'orient de l'embouchure du Volga, appellé autrefois fauces maris Caspii. Le P. Hardouin croit que les Thalis habitoient ce qu'on appelle aujourd'hui le royaume d'Astracan ; & si l'on s'en rapporte à Pline, on ne peut les placer ailleurs. (D.J.)


THALIAS. f. (Hist. nat. Botan.) genre de plante nommé par le P. Plumier, cortusa, & dont voici les caracteres, selon Linnaeus. Le calice est une enveloppe ovale, pointue, & composée d'une seule feuille. La fleur est à cinq pétales, qui sont d'une figure ovoïde allongée, creux, & ondés dans les bords, mais il y en a deux près du calice qui sont petits & recoquillés. Le germe du pistil est ovoïde ; le fruit est une baie ovale, contenant une seule semence osseuse, partagée en deux loges, dans chacune desquelles est un noyau fort menu. Plumier, 8. Linnaei genplant. p. 522. (D.J.)


THALICTRUMS. m. (Hist. nat. Botan.) genre de plante à fleur en rose, composée de plusieurs pétales disposés en rond. Le pistil s'éleve du milieu de cette fleur ; il est entouré d'un grand nombre d'étamines, & il devient dans la suite un fruit dans lequel on trouve plusieurs capsules réunies en maniere de tête, qui sont aîlées ou sans aîles, & qui renferment chacune une semence le plus souvent oblongue. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.


THALIES. f. (Mythol.) mere des dieux palices, une des graces & des neuf muses, dont le nom signifie la florissante, de , je fleuris. On la fait présider à la comédie & à la peinture naïve des moeurs & des ridicules qu'on expose au théatre.

Des jeux innocens de Thalie

L'amusant spectacle étalé,

Des hommes montre la folie ;

Aux ris le vice est immolé ;

La fureur du jeu, l'imprudence,

Le faux-savoir & l'arrogance

Y sont percés de mille traits ;

Là le misantrope bizarre,

Le jaloux, l'imposteur, l'avare,

Rougissent de voir leurs portraits.

On représente Thalie, appuyée contre une colonne, & tenant un masque de la main droite. (D.J.)


THALINA(Géog. anc.) ville de la grande Arménie, sur le bord de l'Euphrate. Ptolémée, liv. V. c. xiij. la marque entre Chorsa & Armauria. (D.J.)


THALITRON(Mat. méd.) ou science des Chirurgiens, sophia chirurgorum, cette plante est de la classe des cruciferes de Tournefort ; son alkali volatil spontané est assez vif & assez abondant, à-peu-près au même degré de température que dans les cressons au genre desquels les Botanistes rapportent le thalitron. Les vertus réelles de cette plante sont suffisamment déterminées par ce que nous avons dit de celles du cresson, voyez CRESSON ; la semence de thalitron est cependant la partie de cette plante qui est la plus employée. C'est un remede fort usité à Paris, parmi le peuple, qu'un gros de cette semence pris dans du bouillon ou dans du vin pour arrêter le cours de ventre.

Le nom de sophia chirurgorum lui a été donné, parce qu'on l'a employée autrefois assez communément dans le traitement extérieur des plaies & des ulceres, qu'on l'a regardée comme un détersif, un cicatrisant assuré, & que son usage intérieur a été recommandé contre ces maladies externes à titre de vulnéraire, &c. cet usage du thalitron est absolument vieilli, & doit être vraisemblablement peu regretté. (b)


THALLOS. f. (Mythol.) c'est, selon Hygin, c. clxxxiij. une des heures, fille de Jupiter & de Thémis ; Pausanias dans son voyage de Béotie, l'appelle Thalloté ; mais la Thallo dont parle Clément d'Aléxandrie, Protrept. l. I. & qu'il joint aux parques, au destin & à la déesse Auxo, n'est point une heure ; c'est plutôt la déesse de la germination, comme Auxo est la déesse de l'accroissement. (D.J.)


THALLOPHORESS. m. (Antiq. grecq.) ; on nommoit ainsi chez les Athéniens, les vieillards & les vieilles femmes qui portoient des rameaux d'olivier dans leurs mains à la procession de la fête des Panathénées. Potter, Archaeol. graec. t. I. p. 421. (D.J.)


THALPUSou THELPUSA, (Géog. anc.) ville & petite contrée de l'Arcadie, selon Pausanias, liv. VIII. & Pline, liv. IV. ch. vj. Le pere Hardouin dit que c'est la Delphusia d'Etienne le géographe, & cela paroît très-vraisemblable. (D.J.)


THALUDA(Géog. anc.) fleuve de la Mauritanie tingitane. Ptolémée, l. IV. c. j. place son embouchure sur la côte de l'Océan ibérique, entre Jagath & le promontoire Oleastrum ; c'est le Tamuida des modernes. (D.J.)


THALUDE(Géog. mod.) petite ville d'Asie, dans les états du roi de Maroc, au royaume de Fez, dans la province d'Errif, sur une riviere, à deux milles de la Méditerranée. (D.J.)


THALYSIESS. f. pl. (Antiq. grecq.) , fêtes & sacrifices que les laboureurs célébroient dans l'Attique, en l'honneur de Cérès & de Bacchus, pour l'heureux succès de leurs moissons & de leurs vendanges. Voyez sur l'origine & les cérémonies de cette fête. Potter, Archaeol. graec. tom. I. pag. 400. (D.J.)


THAMESIS(Geogr. anc.) fleuve de la Grande-Bretagne, dont parle César, l. V. c. xviij. Ptolémée a fort bien connu cette riviere ; c'est la Thamise. (D.J.)


THAMIMASADÈSS. m. (Mythologie) divinité adorée par les Scythes ; ils la représentoient sous une figure moitié femme & moitié poisson, & c'étoit un symbole de la lune & de la mer. (D.J.)


THAMISELA, (Géog. mod.) les François écrivent à tort Tamise, riviere d'Angleterre, la plus considérable de toute la Grande-Bretagne ; elle se forme de deux rivieres, qu'on appelle Thame & Isis, qui se joignent près de Dorchester, dans Oxfordshire : delà elle coule à l'est, séparant la province de Buckingham de Berkshire, Middlesex d'avec Surrey, & Essex d'avec Kent. Dans son cours elle passe auprès de Windsor, à Kingston, à Londres, à Barking dans Essex, & à Gravesend dans Kent ; enfin elle se décharge dans la mer d'Allemagne par une très-grande embouchure.

C'est la riviere la plus avantageuse de l'Europe pour la navigation. Son courant est aisé, ses marées sont commodes, & son eau se purifiant par la fermentation dans les voyages de long cours, devient bonne à boire quand on en a le plus de besoin : c'est à cette riviere qu'est dûe la grandeur & l'opulence de Londres.

Quelle incomparable puissance

Fait fleurir sa gloire au-dehors ?

Quel amas d'immenses trésors

Dans son sein nourrit l'abondance ?

La Thamise, reine des eaux,

Voit ses innombrables vaisseaux

Porter sa loi dans les deux ondes,

Et forcer jusqu'aux dieux des mers,

D'enrichir ses rives fécondes,

Des tributs de tout l'univers.

La marée monte jusqu'à cent milles depuis l'embouchure de ce fleuve, c'est-à-dire environ vingt milles plus haut que Londres. Il y a plus de trente mille matelots qui subsistent du commerce de cette seule riviere, & Londres éprouve chaque jour les avantages infinis qu'elle lui procure.

Sur un refus que cette capitale avoit fait à Jacques I. du prêt d'une grosse somme, ce roi piqué, menaça le maire & les échevins de s'éloigner de leur ville, & de transporter dans un autre lieu les archives du royaume, ainsi que toutes les cours de justice. " Sire, répondit le maire, votre majesté fera ce qu'il lui plaira, & Londres lui sera toujours soumise ; une seule chose nous console, c'est que votre majesté ne sauroit transporter la Thamise avec elle ".

Le chevalier Derham a fait à la louange de cette riviere un très-beau morceau de poésie, qu'on peut voir dans ses ouvrages ; il commence par le vers suivant.

Thames, the most lov'd of all the Ocean's sons, &c.

M. Thompson parle aussi de la Thamise en ces termes magnifiques : " Belle Thamise, vaste, douce, profonde, & majestueuse reine des fleuves, tu fus destinée à faciliter ton premier ressort, le commerce ! c'est sur tes bords qu'on voit s'élever une foule de mâts, semblables à une forêt dans l'hiver ; les ancres se levent, les voiles se guindent, le navire s'ébranle ; la splendide berge voguant tout-autour, étend ses rames semblables à des aîles ; les cris du départ se répandent & font retentir la rive ; le vaisseau fend les ondes & va porter au-loin la gloire & le tonnerre britannique ". (Le chevalier DE JAUCOURT ). Voyez TAMISE.


THAMMUZ(Calend. des anc. Hébreux) nom d'un mois des Hébreux. Voyez TAMUS.


THAMNA(Géog. sacrée) ville dont parle l'Ecriture. Il semble qu'elle fait trois villes de ce nom, mais toutes les trois paroissent être la même qui étoit dans la Palestine, sur le chemin de Jérusalem à Diospolis. (D.J.)


THANES. m. (Hist. mod.) est le nom d'une dignité parmi les anciens Anglo-Saxons. Voyez NOBLESSE.

Skene dit que la dignité de thane étoit égale autrefois à celle de fils d'un comte ; mais Cambden prétend que les thanes n'étoient titrés que relativement aux charges dont ils étoient revêtus.

Il y avoit deux sortes de thanes, savoir les thanes du roi & les thanes ordinaires : les premiers étoient des courtisans ou des officiers servant à la cour des rois anglo-saxons, & possédant des fiefs qui relevoient immédiatement du roi ; de-sorte que dans le grand cadastre d'Angleterre, ils sont appellés indifféremment thanes & officiers du roi, thani & servientes regis.

Peu de tems après que les Normands eurent fait la conquête de l'Angleterre, le nom de thanes fut aboli, & remplacé par celui de barons du roi, barones regis. Voyez BARON.

L'origine des thanes est rapportée au roi Canut, qui ayant composé sa garde de la principale noblesse danoise, au nombre de 3000 hommes, & les ayant armés de haches & de sabres à poignées dorées, il les appella thing-litt, des deux mots danois, thein, corps de noblesse, & lith, ordre de bataille.

Les thanes ordinaires, thani minores, étoient les seigneurs des terres, qui avoient la jurisdiction particuliere dans l'étendue de leurs seigneuries, & rendoient la justice à leurs sujets & tenanciers. Voyez SEIGNEUR & MANOIR.

Ces deux sortes de thanes changerent leur nom en celui de barons, & c'est pour cela que leurs jurisdictions s'appellent encore aujourd'hui cours de barons. Voyez COUR & BARON.

Dans les anciens auteurs & dans les vieilles chartes, le nom de thane signifie un noble, quelquefois un vassal libre, & souvent un magistrat.

Terres des thanes, étoient celles dont les rois saxons avoient investi leurs officiers.


THANET(Géogr. mod.) en latin Thenos ou Thanatos dans Solin, île d'Angleterre dans la partie septentrionale du comté de Kent, dont elle fait partie, à quinze milles de l'embouchure de la Thamise, au levant. Elle est formée par la Stour en se déchargeant dans l'Océan par deux embouchures, elle a 8 milles de longueur sur 6 de largeur, & contient dix paroisses ou hameaux. Stonar qui est un port de mer, est son chef-lieu. La terre de cette île est toute de marne blanche, & abonde en froment. Ce fut dans cette île que le moine Augustin, depuis archevêque de Cantorbery, aborda lorsqu'il vint annoncer l'Evangile aux Bretons : les Saxons y descendirent aussi quand ils s'emparerent d'une partie de l'Angleterre. (D.J.)


THANN(Géog. mod.) bourg plutôt que ville de France, dans la haute Alsace, & le chef-lieu d'un bailliage ; c'est auprès de ce bourg que commence la montagne de Vosge, qui s'étend jusque vers Weissembourg. (D.J.)


THAPSAQUE(Géog. anc.) Thapsacus ou Thapsacum, ville de Syrie, sur l'Euphrate, où l'on passoit ce fleuve pour venir de la Mésopotamie dans l'Arabie déserte, & pour aller de l'Arabie déserte dans la Mésopotamie. Elle n'étoit pas loin de l'embouchure du Chaboras dans l'Euphrate ; les anciens en ont beaucoup parlé. Il paroît par la route que tenoient les rois d'Assyrie en venant vers la Palestine, qu'ils devoient passer l'Euphrate à Thapsaque.

Tous les anciens géographes ne s'accordent pas à mettre cette ville dans la Syrie. Ptolémée, liv. V. ch. xix. la marque dans l'Arabie déserte, mais aux confins de la Syrie. Pline, liv. V. ch. xxiv. & Etienne le géographe la mettent dans la Syrie. Ce dernier dit qu'elle fut bâtie par Seleucus : cela ne se peut pas, du-moins n'en jetta-t-il pas les fondemens ; il put la réparer ou l'orner. Ce qu'il y a de certain, c'est que Thapsaque subsistoit long-tems avant Séleucus. Xénophon, de Cyri exped. liv. I. pag. 150. nous apprend que cette ville étoit grande & opulente du tems de Cyrus. C'est à Thapsaque, selon Arrien, l. I. p. 116. & liv. III. p. 168. que Darius passa l'Euphrate, soit lorsqu'il marcha contre Alexandre, soit dans sa fuite, après qu'il eut été vaincu. (D.J.)


THAPSIAS. f. (Hist. nat. Botan. anc.) les anciens ont décrit sous le nom de thapsia, outre la racine vénéneuse que nous connoissons, trois autres plantes fort différentes ; savoir le bois de Lycie qui teint en jaune, la racine de Scythie, qui est notre réglisse, & la luteola, qui est notre gaude ; le mot grec thapsos signifie une couleur jaune-pâle, & s'applique indifféremment à une chose qui est telle en elle-même ou par artifice. (D.J.)

Entre les huit especes de ce genre de plante comptées par Tournefort, nous décrirons la plus cultivée par les curieux, thapsia, seu turbith garganicum, semine latissimo, I. R. H. 315.

Cette plante est haute de deux ou trois piés ; sa tige & ses feuilles sont férulacées ; ses fleurs sont en cloche, ses sommités disposées en ombelles ou parasols, comme celles de l'anet, de couleur jaune ; chacune de ces fleurs est ordinairement à cinq pétales disposés en rose vers l'extrêmité du calice : lorsque cette fleur est passée, ce calice devient un fruit composé de deux graines longues, grises, cannelées sur le dos, environnées d'une grande bordure applatie en feuillet, & échancrée ordinairement par les deux bouts : sa racine est moyennement grosse, longue, chevelue en sa partie supérieure, de couleur grise-blanchâtre, & quelquefois noirâtre en-dehors, empreinte d'un suc laiteux très-âcre, corrosif & amer. Cette plante croît aux lieux montagneux : on fait sécher sa racine pour la conserver, après en avoir ôté le coeur ; elle a à-peu-près la même figure que celle du véritable turbith, mais elle est plus légere, plus blanche, & beaucoup plus âcre. Elle excite des convulsions très-dangereuses, qu'on ne peut appaiser, dit Clusius, que par les acides & l'huile ; aussi est-elle bannie de la médecine ; mais les racines de quelques autres especes de thapsia ne sont pas si redoutables. (D.J.)


THAPSOSS. m. (Hist. nat. Botan. anc.) nom donné par les anciens à une espece de bois d'un jaune pâle, dont ils se servoient pour la teinture de leurs laines.

Quelques savans ont imaginé, sans aucune bonne raison, que thapsos & thapsia étoient une même plante ; cependant le thapsia étoit une plante dont la racine passoit pour vénéneuse, & le thapsos étoit un arbre dont le bois, je ne dis pas la racine, mais le bois du tronc & les grosses branches, servoient à la teinture : comme la couleur naturelle de ce bois étoit d'un jaune pâle & livide, il devint un emblême de la mort, & quelques écrivains grecs employerent le mot thapsos pour un nom de la couleur des corps morts. Il est vraisemblable que le thapsos étoit le bois du lycium, dont les peuples de Crete se servoient alors pour teindre les étoffes en jaune. Dioscoride nous dit que de son tems on l'employoit aussi pour teindre les cheveux de cette couleur, & pour les rendre d'un blond doré que les Grecs goûtoient beaucoup. (D.J.)


THAPSUMS. m. (Hist. nat. Botan. anc.) nom que les anciens auteurs romains ont donné au verbascum, en françois mollaine ou bouillon blanc ; mais comme il y avoit plusieurs autres plantes dont les noms approchoient de celui de thapsum, entr'autres le thapsia, on jugea nécessaire d'ajouter une épithete au thapsum pris pour le verbascum, & on l'appella thapsum barbatum.

Les Grecs employerent le mot thapson ou thapsos pour le bois d'un arbre qui teignoit en jaune, ainsi que pour désigner la couleur jaune. Le genistella tinctoria, en françois spargelle, fut appellé thapsum, parce que ses fleurs sont jaunes. Le verbascum eut aussi ce nom par la même raison, & les fleurs de ces deux plantes servoient également à teindre les cheveux en blond doré. L'épithete barbatum vient peut-être des feuilles qui sont couvertes d'un duvet cotonneux, dont elles paroissent comme barbues. (D.J.)


THAPSUS(Geogr. anc.) ville de l'Afrique propre. Ptolémée, l. IV. c. viij. en fait une ville maritime au midi de la petite Leptis. Dans la table de Peutinger, Thapsus est marquée à huit milles de la petite Leptis. Strabon écrit de deux façons le nom de cette ville. Dans un endroit il dit , ad Thapso, & plus bas, après avoir parlé d'Adryme ou Adrumete, il dit : , deinde est urbs Thapsus. Cette ville étoit très-forte ; & la guerre de César, & encore plus sa victoire, rendit la ville de Thapsus fameuse. (D.J.)


THARAZ(Géog. mod.) ville des confins du Turquestan. Tous les habitans sont musulmans. Long. suivant Abulfeda, 89. 50. latit. septentrionale, 44. 25. (D.J.)


THARGELIONS. m. (Calend. d'Athènes) mois attique ; on l'appelloit ainsi, parce que pendant ce mois, on célebroit les fêtes du Soleil nommées thargélies. Le Soleil lui-même s'appelloit , comme qui diroit , le Soleil échauffant la terre. Le vase dans lequel on faisoit cuire les prémices des moissons & des fruits qu'on offroit à ce dieu, se nommoit . Le mois thargélion répondoit au mois d'Avril, selon le P. Pétau ; c'étoit le onzieme mois de l'année athénienne, & il avoit trente jours. (D.J.)


THARSIS(Géog. sacrée) lieu maritime dont il est parlé en plusieurs endroits de l'Ecriture sainte, surtout à l'égard des navigations qui furent faites sous le regne de Salomon. Comme on ne trouve le nom de ce lieu dans aucun ancien géographe, les savans ignorent parfaitement sa situation, malgré toutes leurs recherches pour la découvrir.

Josephe, à qui le vieux Testament étoit connu, a suivi la tradition de son tems, qui expliquoit Tharsis par la mer de Tharse. L'idée des navigations de Salomon étoit déja entierement perdue ; on savoit bien qu'elle s'étoit faite, mais on ne savoit pas où. D'ailleurs Josephe, auteur peu exact, & d'un jugement borné, pour ne rien dire de plus, confond perpétuellement les marchandises d'Ophir & de Tharsis. Si Strabon, Pline, & les autres géographes eussent connu l'endroit nommé Tharsis dans l'Ecriture, nous saurions à quoi nous en tenir ; mais faute de guide, tous les commentateurs de l'Ecriture s'accordent si peu dans leurs opinions conjecturales, qu'on ne sait laquelle préférer.

Les uns, comme le paraphraste chaldaïque, S. Jerome & plusieurs modernes, ont pris avec les septante Tharsis pour la mer en général. Ainsi ils ont entendu par vaisseau de Tharsis tous ceux qui voguent sur la mer quelle qu'elle soit ; c'est une idée commode, & qui mettroit à l'aise, s'il n'étoit constant par plusieurs passages que l'Ecriture entend par Tharsis un lieu particulier, riche en argent, en mines, &c. En effet, si par ce terme de vaisseau de Tharsis on devoit entendre vaisseau de la mer, tous ceux qui voguent sur la mer quelle qu'elle soit, mer Egée, mer Adriatique, mer Noire, seront des vaisseaux de Tharsis ; & quelque part qu'ils aillent, soit du côté de l'orient ou de l'occident, ils seront toujours censés aller à Tharsis, ce qui seroit de la derniere absurdité. Il résulte donc que l'Ecriture appelle vaisseaux de Tharsis, des vaisseaux qui devoient aller à Tharsis, ainsi que la flotte d'Ophir alloit à Ophir.

Plusieurs commentateurs ont cherché Tharsis en Afrique, Bochart dans les Indes, & M. le Grand en Arabie. Enfin quelques modernes ont cru que Tharsis devoit être plutôt dans la Bétique, c'est-à-dire, dans l'Andalousie, ou près du détroit de Gibraltar. Cette derniere opinion est celle de toutes qui paroît la plus raisonnée.

Les Phoeniciens ayant une colonie à Carthage, pousserent aisément leur navigation jusqu'au détroit de Gibraltar, où ils eurent des établissemens considérables ; ils sortirent du détroit, & furent les fondateurs de Cadix. Ils bâtirent Tartessus, & y éleverent un temple en l'honneur d'Hercule. Le géographe nomme trois Tartesses, toutes trois dans la Bétique ; l'une, savoir, Carteïa, dans la baie de Gibraltar ; l'autre Gardir ou Gades, au golfe de Cadix ; & l'ancienne Tartessus, fondée par les Phoeniciens à l'embouchure du Guadalquivir, entre les deux sorties de ce fleuve ; c'est dans cette troisieme Tartesse que les premiers Phoeniciens commerçoient, & c'est celle qui paroît être la Tharsis de l'Ecriture, & qui possédoit des richesses immenses, comme il paroît par un passage d'Aristote dans son livre des merveilles. On dit, rapporte-t-il, que les premiers Phoeniciens qui navigerent à Tartessus, y changerent l'huile & autres ordures qu'ils portoient sur leurs vaisseaux, contre de l'argent, en telle quantité que leurs navires ne pouvoient presque le contenir. Si donc l'on joint la richesse du pays à sa situation, & au commerce qu'y faisoient les Tyriens, on aura moins de peine à regarder Tartessus pour la Tharsis de l'Ecriture. Ajoutez ce passage d'Eusebe, , Tharsis ex quo Iberi, Tharsis de qui sont venus les Ibériens ou les Espagnols.

Dès le tems de Josué les Phoeniciens étoient passés en Afrique. Des vaisseaux qui rasoient la côte de Phoenicie, & ensuite celle de Cilicie, arrivoient aisément à l'île de Candie, & aux autres îles qui sont au midi de la Morée, de-là ils ne perdoient point la vue des terres pour côtoyer la Grece, la côte méridionale d'Italie & celle de Sicile ; à la pointe occidentale de Sicile, ils touchoient presque aux côtes d'Afrique, où étoit leur colonie de Carthage. De-là en suivant cette côte, ils trouvoient le détroit de Gibraltar : je ne dis rien ici qui ne soit conforme aux témoignages de l'antiquité, & à la plus saine géographie. Ce voyage de Cilicie, de Carthage & du détroit, a pu être appellé le voyage de Tharsis, parce que Tharsis étoit le premier terme : de même nous appellons voyage du Levant, un voyage qui s'étend quelquefois jusqu'à la Perse ; & voyage des Indes, un voyage qui s'étend jusqu'au Tonquin & à la Chine. On ne doit donc pas s'étonner si quelques anciens par Tharsis ont entendu les environs de Tharses, d'autres Carthage, d'autres l'Afrique, sans désigner quelle partie de l'Afrique.

A l'égard de Tharsis en Espagne, la différence qu'il y a entre ce nom & celui de Tartessus, ne doit point faire de peine ; car les Phoeniciens peuvent avoir changé le premier en , c'est-à-dire l's en t, comme on a dit l'Aturie pour l'Assyrie, la Batanée pour le pays de Batan : peut-être aussi n'ont-ils rien changé à ce nom. Polybe rapportant les conditions d'un traité fait entre les Romains & les Carthaginois, dit : il ne sera point permis aux Romains de faire des prises au-delà de Mastia & de Tarseïum, ni d'y aller trafiquer, ni d'y bâtir des villes. , Tarseïum, selon Etienne le géographe est une ville auprès des colomnes d'Hercule. Le nom de Tharsis est bien reconnoissable en celui de Tarseïum. Aussi Goropius, Hispan. l. V. VI. VII. Grotius, in 111. Reg. c. x. v. 28. Pineda, de rebus Salom. l. IV. c. xiv. & Bochart, Phaleg. l. III. c. vij. n'ont-ils fait aucune difficulté d'assurer que c'étoit le même nom, & le même lieu.

Il n'est pas douteux qu'on ne trouvât dans la Bétique les marchandises dont il est dit que la flotte de Tharsis se chargeoit en revenant. Ces marchandises étoient de l'argent en masse ou en lame, la chrysolite, de l'ivoire, des singes, des perroquets, & des esclaves éthiopiens. La Bétique produisoit de l'argent, comme nous avons vu, & comme elle avoit, selon Pline, des chrysolites du poids de douze livres, on voit bien qu'elle ne devoit pas être stérile de cette sorte de pierres.

Les Phoeniciens avoient des établissemens au-delà du détroit de la Nigritie. Ils étoient sur les flottes de Salomon ; ils savoient bien comment lui procurer de l'ivoire, des singes, des negres, & des perroquets. La côte occidentale d'Afrique ne manque point de tout cela, & il n'est pas nécessaire d'aller bien loin, ni jusqu'au coin de la Guinée, pour en trouver, encore moins de faire le tour de l'Afrique. Les Phoeniciens de la Bétique avoient soin de se fournir d'une marchandise qu'ils voyoient que la flotte combinée de Hiram & de Salomon emportoit avec plaisir ; & le terme de trois ans, qui s'écouloit d'un voyage à l'autre, étoit bien assez long pour les amasser au lieu où la flotte abordoit, sans qu'elle eût la peine de les aller chercher ailleurs qu'à Tharsis.

D'après cette hypothèse, on pourroit peut-être concilier tous les passages de l'Ecriture sur Tharsis, avec les propositions suivantes.

Il n'y avoit qu'une Tharsis proprement dite, que l'on connut d'abord ; savoir, Tharses & les environs, connus ensuite sous le nom de Cilicie.

Les Phoeniciens vers le tems de Josué, ayant fait des établissemens en Afrique, leurs vaisseaux fréquenterent le port de Carthage.

Cette navigation les mena peu-à-peu vers le détroit de Gibraltar, & leur fit découvrir le pays de Tharsis en Espagne ; c'est de cette Tharsis, du détroit ou des environs, que Salomon tiroit tant d'argent, d'ivoire, &c.

La Tharsis d'Holoferne est la Tharsis de Cilicie, & ne peut être l'Arabie. C'est aussi celle du pseaume, où il est parlé des rois de Tharsis & des îles.

Pour aller à Tharsis, on s'embarquoit à Joppé, comme Jonas, ou à Tyr sur les vaisseaux des marchands dont parle Ezéchiel.

Les passages que l'on cite du livre des rois & des Paralipomenes, pour en conclure que la flotte de Tharsis partoit d'Asiongaber, ne le disent point ; & il est plus naturel & plus raisonnable d'entendre dans les paroles mêmes de l'Ecriture, une distinction réelle entre ces deux flottes & ces deux voyages, que de donner lieu à une contradiction dont on ne sait comment sortir. (D.J.)


THARTACS. m. (Critique sacrée) nom d'une idole qu'adoroient les Hévéens, IV. Rois, xvij. 31. Elle est représentée sous la forme d'un homme à tête d'âne, tenant un petit bâton à la main. (D.J.)


THASE(Géog. anc.) île de la mer Egée, sur la côte de la Thrace, à l'opposite de l'embouchure du fleuve Nestus. La plûpart des géographes écrivent Thasus ; mais Polybe & Etienne le géographe, disent Thassos, & Pline Thassus.

Thassus fils d'Agenor, roi des Phéniciens, passe pour avoir peuplé cette île, & pour y avoir demeuré plusieurs années : il lui donna son nom. L'île fut ensuite augmentée d'une nouvelle colonie grecque, qu'on y avoit menée de Paros ; ce qui la rendit considérable entre les autres îles situées dans la mer Egée ; mais elle ne continua guere de jouir de cette heureuse position : elle tomba sous la domination des Cériniens & des Entriens. Ces peuples s'y étoient rendus de la Thrace, ou des confins de l'Asie. A la fin les Athéniens se rendirent les maîtres de Thases ; ils la dépouillerent entierement de sa liberté, en desarmerent les habitans, & pour les tenir plus aisément dans la sujétion, ils les accablerent de continuels impôts.

Les Athéniens en furent dépossedés par les Macédoniens, & ceux-ci par les Romains. Thase essuya depuis le gouvernement tyrannique de plusieurs usurpateurs, & finalement elle fut contrainte de suivre le sort de l'empire de Constantinople, & de subir le joug de la domination turque. Mahomet II. s'en empara dès l'an 1453 ; elle fut traitée d'abord avec la derniere rigueur ; mais dans la suite, les Turcs même y établirent un négoce ; ce qui y attira derechef de nouveaux habitans.

Cette île contient aujourd'hui trois bourgs assez peuplés, & mis par des fortifications en état de défense. On donne même au plus grand de ces bourgs le nom de ville de Thaso. Les deux autres bourgs retiennent en quelque maniere leurs anciens noms ; l'un est appellé Ogygia ou Gisi, & l'autre Etira, ou Tyrra. Le commerce y attire des étrangers, & plusieurs bâtimens dans le port ; il en vient sur-tout de Constantinople.

Le terroir de cette île abonde en toutes choses nécessaires à la vie ; les fruits particulierement sont délicieux ; & elle a un excellent vignoble, célebre déjà dès le tems de Varron ; Virgile, Géorg. l. II. v. 91. en parle ainsi :

Sunt Thasiae vites, sunt & Maraeotides albae.

Pinguibus hae terris habiles, levioribus illae.

Cette île a encore des mines d'or & d'argent, & des carrieres d'un marbre très-fin. Pline remarque que ces mines & ces carrieres rapportoient beaucoup des le tems d'Alexandre le grand. Les empereurs ottomans ne les ont pas laissées en friche ; Sélim I. entr'autres, & Soliman II. en ont tiré un profit considérable. Le sultan Amurath fit creuser avec succès dans la montagne qui est vers le septentrion de l'île, vis-à-vis de celle de Nesso : mais au bout de cinq mois, on discontinua ce travail, parce que la veine étoit manquée, ou plutôt parce qu'on avoit perdu le fil.

Les habitans de l'île de Thase avoient jadis fait une alliance étroite avec ceux de la ville d'Abdere, à dessein de se mettre à couvert des incursions des Sarrasins, & d'autres peuples barbares de l'Asie ; mais ils les abandonnerent dans les plus pressans besoins, lorsque ces barbares vinrent avec une armée ravager toute la côte méridionale de la Thrace. Après leur départ, ceux d'Abdere s'étant remis, penserent aux moyens de se venger des Thasiens qui avoient manqué à la foi promise, de s'assister mutuellement ; ils aborderent pour cet effet à l'impourvu dans cette île, & firent tout leur possible pour s'en rendre les maîtres. Les peuples voisins prirent part à cette guerre, & ils obligerent les Thasiens à donner une satisfaction convenable aux habitans d'Abdere.

Théagene étoit de Thase ; il fut souvent couronné dans les jeux de la Grece, & mérita des statues & les honneurs héroïques dans sa patrie. Un de ses ennemis ayant voulu un jour insulter une de ses statues, vint de nuit la fustiger par vengeance ; comme si Théagene en bronze eût pu sentir cet affront. La statue étant tombée tout-à-coup sur cet insensé, le tua sur la place. Ses fils la citerent en justice, comme coupable de la mort d'un homme, & le peuple de Thase la condamna à être jettée dans la mer, suivant la loi de Dracon, qui veut que l'on extermine jusqu'aux choses inanimées, qui, soit en tombant, soit par quelqu'autre accident, ont causé la mort d'un homme.

Quelque tems après, ceux de Thase ayant souffert une famine causée par la stérilité de la terre, envoyerent consulter l'oracle de Delphes : il leur fut répondu que le remede à leurs maux étoit de rappeller tous ceux qu'ils avoient chassés ; ce qu'ils firent, mais sans en recevoir aucun soulagement. Ils députerent donc une seconde fois à Delphes, avec ordre de représenter à la Pythie qu'ils avoient obéi, & que cependant la colere des dieux n'étoit point cessée : on dit que la Pythie leur répondit par ce vers :

Et votre Théagene est-il compté pour rien !

Au milieu de leur embarras, il arriva que des pêcheurs retrouverent la statue perdue, en jettant leurs filets dans la mer. On la remit dans son ancienne place ; & dès ce moment le peuple de Thase rendit les honneurs divins à Théagene ; plusieurs autres villes, soit grecques, soit barbares, en firent autant. On regarda Théagene comme une divinité secourable, & les malades sur-tout lui adresserent leurs voeux. (Le chevalier DE JAUCOURT )


THASIUS(Mythol.) surnom d'Hercule, pris de la ville de Thase, dans une île de la mer Egée : les habitans de cette ville honoroient Hercule, comme leur dieu tutélaire, parce qu'il les avoit délivrés de quelques tyrans dont ils étoient opprimés. (D.J.)


THASPE(Géog. anc.) ville de l'Afrique propre, dans la province proconsulaire. C'est-là où Juba ayant pour ainsi dire ranimé les restes de la guerre civile en Afrique, par les conseils de Julius Scipion, & de Caton, eut le malheur d'être défait par Jules César, à cette bataille qu'on nomma la journée de Thaspe. Cette ville est présentement un lieu ruiné, dans le royaume de Tunis, entre Souzet & Elfaque. (D.J.)


THATA(Géog. mod.) Dotes par les Allemands, Totis dans la carte de la Hongrie de M. Delisle, en 1717 ; Tata dans celle de 1703, & c'étoit mieux, car les Hongrois écrivent Thata ; c'est une petite ville, aujourd'hui bourgade de Hongrie, entre Javarin & Grau. (D.J.)


THAUS. m. (Gram. & Critique sacrée) derniere lettre de l'alphabet hébreu, qui avoit d'abord la forme d'une espece de potence, avant que les Juifs se servissent du caractere chaldaïque, & qui du tems de S. Jérôme, conservoit encore cette figure dans l'alphabet samaritain. Dans la suite, on l'a un peu changée, & on lui a donné la forme de T, qu'elle a en partie aujourd'hui ; cette lettre tire son origine d'un mot hébreu, qui signifie marque, signe ; & c'est par ces derniers mots que les septante ont traduit le passage d'Ezéchiel, ch. ix. 4. en disant : " mettez une marque (un signal) au front de ceux qui sont dans la douleur, & qui gémissent de voir toutes les abominations qui se font dans la ville ". (D.J.)

THAU, l'étang de, (Géog. mod.) étang de France sur les côtes de Languedoc ; cet étang est nommé Taurus par Avienus, & Laterra par Pline. Il s'étend presque de l'est à l'ouest, environ douze bonnes lieues, au midi du diocèse de Montpellier, & d'une partie de celui d'Agde. On lui donne dans le pays les différens noms d'étang de Frontignan, de Maguelone, & de Péraut, que l'on emprunte des lieux qui sont sur ses bords. Cet étang se débouche dans le golphe de Lyon par le grau de Palavas, ou passage de Maguelone, & par le port de Cette, où commence le canal de Languedoc. (D.J.)


THAULACHES. f. (Anc. mil. franç.) sorte d'armes des anciens françois, dont les unes étoient offensives en forme de halebarde ou d'épieu ; les autres étoient du nombre des armes défensives, & étoient des especes de rondelles, ou petits boucliers. (D.J.)


THAUMACI(Géog. anc.) ville de la Phthiotide ; Tite-Live, l. XXXII. c. iv. dit qu'en partant de Pylae, & du golfe Maliacus, & passant par Lamia, on rencontroit cette ville sur une éminence, tout près du défilé appellé Caele. Il ajoute que cette ville dominoit sur une plaine d'une si vaste étendue que l'on ne pouvoit en voir l'extrêmité, & que c'est cette espece de prodige qui étoit l'origine du nom Thaumaci. Etienne le géographe prétend que ce fut Thaumacus son fondateur qui lui donna son nom ; ce seroit un fait difficile à vérifier, ou du moins il faudroit aller chercher des preuves dans des siecles bien reculés, car cette ville subsistoit déja du tems d'Homere, Iliad. B. v. 716.


THAUMANTIADE(Mythol.) la déesse Iris fut ainsi nommée, soit parce qu'elle étoit fille de Thaumas & d'Electre, soit du mot grec , j'admire, parce que les couleurs de sa belle robe excitent l'admiration de tout le monde. (D.J.)


THAUMATRONS. m. (Antiq. grecq.) mot grec qui signifie la récompense qu'on donnoit à celui qui avoit fait voir quelque chose de merveilleux au peuple ; cette sorte de libéralité de deniers se prélevoit sur le montant de la somme payée par ceux qui avoient assisté à ce spectacle. Le thaumatron revenoit au nicetium des jeux olympiques, & du cirque, & aux brabeia, que l'on donnoit aux acteurs de théatre, aux baladins, & aux pantomimes. (D.J.)


THAUMATURGES. m. & f. (Hist. eccl.) surnom que les catholiques ont donné à plusieurs saints, qui se sont rendus célebres par le grand nombre, & par l'éclat de leurs miracles.

Ce mot est formé du grec , merveille, & , ouvrage.

Saint Grégoire de Neo-Césarée, surnommé Thaumaturge, fut disciple d'Origène vers l'an 223, & depuis évêque de Césarée dans le royaume de Pont : il assista en cette qualité, au premier concile d'Antioche, & à celui d'Ephèse, contre Paul de Samosate. Saint LÉon de Catanée fut surnommé aussi Thaumaturge, il vivoit dans le huitieme siecle, & son corps est honoré encore aujourd'hui dans l'église de saint Martin de Tours à Rome. Saint François de Paule, & S. François Xavier, sont les grands Thaumaturges des siecles derniers. Voyez MIRACLE.


THAUN(Géog. mod.) petite ville, ou pour mieux dire, bourg d'Allemagne dans le Palatinat, au comté de Spanheim, & au confluent des rivieres de Nalu & de Simmeren. (D.J.)


THÉS. m. (Bot. exot.) C'est une petite feuille désséchée, roulée, d'un goût un peu amer, légérement astringent, agréable, d'une douce odeur, qui approche de celle du foin nouveau & de la violette.

L'arbrisseau qui porte le thé, s'appelle chaa par C. B. P. 147. theae frutex, Bont. evonymo affinis, arbor orientalis, nucifera, flore roseo, Pluk. Phyt. mais cet arbrisseau est encore mieux défini par Kaempfer : thea frutex, folio cerasi, flore rosae sylvestris, fructu unicocco, bicocco, & ut plurimùm tricocco ; c'est-à-dire, qu'il a la feuille de cerisier, la fleur semblable à la rose des champs, & que son fruit n'a qu'une, ou deux, ou tout au plus trois coques : les Chinois le nomment theh, les Japonois tsjaa, ou tsjanoki.

Ce qu'il y a de plus commode dans une plante si débitée, c'est qu'elle n'occupe point de terrein qui puisse servir à d'autres ; ordinairement on en fait les bordures des champs de blé, ou de riz, & les endroits les plus stériles sont ceux où elle vient le mieux ; elle croît lentement, & s'éleve à la hauteur d'une brasse, & quelque chose de plus ; sa racine est noire, ligneuse, & jette irrégulierement ses branches ; la tige en fait de même de ses rameaux, & de ses rejettons ; il arrive assez souvent qu'on voit sortir ensemble du même tronc, plusieurs tiges si serrées l'une contre l'autre, & qui forment une espece de buisson si épais, que ceux qui n'y regardent pas d'assez près, croyent que c'est un même arbrisseau ; au-lieu que cela vient de ce que l'on a mis plusieurs graines dans la même fosse.

L'écorce de cet arbrisseau est couverte d'une peau fort mince, qui se détache lorsque l'écorce devient seche ; sa couleur est de chataigne, grisâtre à la tige, & tirant sur le verdâtre ; son odeur approche fort de celle des feuilles du noisettier, excepté qu'elle est plus désagréable ; son goût est amer, dégoûtant, & astringent ; le bois est dur, composé de fibres fortes & épaisses, d'une couleur verdâtre tirant sur le blanc, & d'une senteur fort rebutante quand il est verd ; la moëlle est fort adhérente au bois.

Les feuilles tiennent à une queue ou pédicule court, gros, & verd, assez rond, & uni en-dessous, mais creux & un peu comprimé au côté opposé ; elles ne tombent jamais d'elles-mêmes, parce que l'arbrisseau est toujours verd, & il faut les arracher de force ; elles sont d'une substance moyenne, entre la membraneuse & la charnue, mais de différente grandeur ; les plus grandes sont de deux pouces de long, & ont un peu moins de deux pouces dans leur plus grande largeur : en un mot, lorsqu'elles ont toute leur crue, elles ont parfaitement la substance, la figure, la couleur, & la grandeur du griottier des vergers, que les botanistes nomment cerasus hortensis, fructu acido ; mais lorsqu'elles sont tendres, qui est le tems qu'on les cueille, elles approchent davantage des feuilles de ce qu'on appelle evronimus vulgaris fructu acido, excepté pour la couleur.

Ces feuilles, d'un petit commencement deviennent à-peu-près rondes, puis s'élargissent davantage, & enfin elles finissent en une pointe piquante ; quelques-unes sont de figure ovale, un peu pliées, ondées irrégulierement sur la longueur, enfoncées au milieu, & ayant les extrêmités recourbées vers le dos ; elles sont unies des deux côtés, d'un verd sale & obscur, un peu plus clair sur le derriere, où les nerfs étant assez élevés, forment tout autant de sillons du côté opposé.

Elles sont dentelées ; la denture est un peu recourbée, dure, obtuse, & fort pressée, mais les pointes sont de différentes grandeurs ; elles sont traversées au milieu par un nerf fort remarquable, auquel répond du côté opposé un profond sillon, il se partage de chaque côté en six ou sept côtes de différentes longueurs, courbées sur le derriere ; près du bord des feuilles, de petites veines s'étendent entre les côtes traversieres.

Les feuilles, lorsqu'elles sont fraîches, n'ont aucune senteur, & ne sont pas absolument aussi désagréables au goût que l'écorce, quoiqu'elles soient astringentes, & tirant sur l'amer ; elles different beaucoup les unes des autres en substance, en grandeur, & en figure ; ce qui se doit attribuer à leur âge, à leur situation, & à la nature du terroir où l'arbrisseau est planté : de-là vient qu'on ne peut juger de leur grandeur, ni de leur figure, lorsqu'elles sont séchées & portées en Europe. Elles affecteroient la tête si on les prenoit fraîches, parce qu'elles ont quelque chose de narcotique qui attaque les nerfs, & leur cause un tremblement convulsif ; cette mauvaise qualité se perd quand elles sont séchées.

En automne, les branches de cet arbrisseau sont entourées d'un grand nombre de fleurs, qui continuent de croître pendant l'hiver ; elles sortent une à une, ou deux à deux des aîles des feuilles, & ne ressemblent pas mal aux roses sauvages ; elles ont un pouce ou un peu plus de diametre, & sont composées de six pétales, ou feuilles, dont une ou deux se retirent, & n'approchent pas de la grandeur & de la beauté des autres ; ces pétales, ou feuilles, sont rondes & creuses, & tiennent à des pédicules de demi-pouce de long, qui d'un commencement petit & délicat, deviennent insensiblement plus grands ; leur extrêmité se termine en un nombre incertain, ordinairement de cinq ou six enveloppes, petites & rondes, qui tiennent lieu de calice à la fleur.

Ces fleurs sont d'un goût désagréable, tirant sur l'amer : on voit au fond de la fleur un grand nombre d'étamines blanches, extrêmement petites, comme dans les roses ; le bout en est jaune, & ne ressemble pas mal à un coeur. Kaempfer nous assure qu'il a compté deux cent trente de ces étamines dans une seule fleur.

Aux fleurs succédent les fruits en grande abondance ; ils sont d'une, de deux, & plus communément de trois coques, semblables à celles qui contiennent la semence du riem, composées de trois autres coques rondes, de la grosseur des prunes sauvages qui croissent ensemble à une queue commune, comme à un centre, mais distinguées par trois divisions assez profondes.

Chaque coque contient une gousse, une noisette, & la graine ; la gousse est verte, tirant sur le noir lorsqu'elle est mûre ; elle est d'une substance grasse, membraneuse, & un peu ligneuse, s'entr'ouvrant audessus de sa surface, après qu'elle a demeuré une année sur l'arbrisseau, & laissant voir la noisette qui y est renfermée ; cette noisette est presque ronde, si ce n'est du côté où les trois coques se joignent, elle est un peu comprimée ; elle a une écaille mince, un peu dure, polie, de couleur de chataigne, qui étant cassée fait voir un pepin rougeâtre, d'une substance ferme comme celle des avelines, d'un goût douceâtre, assez désagréable au commencement, devenant dans la suite plus amer, comme le fruit du noyau de cerise ; ces pepins contiennent beaucoup d'huile, & rancissent fort aisément, ce qui fait qu'à peine deux entre dix germent lorsqu'ils sont semés. Les Japonois ne font aucun usage ni des fleurs ni des pepins.

Ce n'est pas une chose fort aisée que la récolte du thé : voici de quelle façon elle se fait au Japon. On trouve pour ce travail des ouvriers à la journée, qui n'ont point d'autres métiers ; les feuilles ne doivent point être arrachées à pleines mains, il les faut tirer avec beaucoup de précaution une à une, & quand on n'y est pas stylé, on n'avance pas beaucoup en un jour : on ne les cueille pas toutes en même tems, ordinairement la récolte se fait à deux fois, assez souvent à trois ; dans ce dernier cas, la premiere récolte se fait vers la fin du premier mois de l'année japonoise, c'est-à-dire les premiers jours de Mars ; les feuilles alors n'ont que deux ou trois jours, elles sont en petit nombre, fort tendres, & à peine déployées ; ce sont les plus estimées, & les plus rares ; il n'y a que les princes & les personnes aisées qui puissent en acheter, & c'est pour cette raison qu'on leur donne le nom de thé impérial : on l'appelle aussi fleur de thé.

Le thé impérial, quand il a toute sa préparation, s'appelle ticki tsjaa, c'est-à-dire thé moulu, parce qu'on le prend en poudre dans de l'eau chaude : on lui donne aussi le nom d'udsi tsjaa, & de tacke sacki tsjaa, de quelques endroits particuliers, où il croît ; le plus estimé au Japon, est celui d'Udsi, petite ville assez proche de Méaco. On prétend que le climat y est le plus favorable de tous à cette plante.

Tout le thé qui sert à la cour de l'empereur & dans la famille impériale, doit être cueilli sur une montagne qui est proche de cette ville ; aussi n'est-il pas concevable avec quel soin & quelle précaution on le cultive : un fossé large & profond environne le plan, les arbrisseaux y sont disposés en allées, qu'on ne manque pas un seul jour de balayer : on porte l'attention jusqu'à empêcher qu'aucune ordure ne tombe sur les feuilles ; & lorsque la saison de les cueillir approche, ceux qui doivent y être employés, s'abstiennent de manger du poisson, & de toute autre viande qui n'est pas nette, de peur que leur haleine ne corrompe les feuilles ; outre cela, tant que la récolte dure, il faut qu'ils se lavent deux ou trois fois par jour dans un bain chaud, & dans la riviere ; & malgré tant de précautions pour se tenir propres, il n'est pas permis de toucher les feuilles avec les mains nues, il faut avoir des gants.

Le principal pourvoyeur de la cour impériale pour le thé, a l'inspection sur cette montagne, qui forme un très-beau point de vue ; il y entretient des commis pour veiller à la culture de l'arbrisseau, à la récolte, & à la préparation des feuilles, & pour empêcher que les bêtes & les hommes ne passent le fossé qui environne la montagne ; pour cette raison on a soin de le border en plusieurs endroits d'une forte haie.

Les feuilles ainsi cueillies & préparées de la maniere que nous dirons bientôt, sont mises dans des sacs de papier, qu'on renferme ensuite dans des pots de terre ou de porcelaine, & pour mieux conserver ces feuilles délicates, on acheve de remplir les pots avec du thé commun. Le tout ainsi bien empaqueté, est envoyé à la cour sous bonne & sûre garde, avec une nombreuse suite. De-là vient le prix exorbitant de ce thé impérial ; car en comptant tous les frais de la culture, de la récolte, de la préparation, & de l'envoi, un kin monte à 30 ou 40 taëls, c'est-à-dire à 42 ou 46 écus, ou onces d'argent.

Le thé des feuilles de la seconde espece, s'appelle, dit Kaempfer, tootsjaa, c'est-à-dire thé chinois, parce qu'on le prépare à la maniere des Chinois. Ceux qui tiennent des cabarets à thé, ou qui vendent le thé en feuilles, sous-divisent cette espece en quatre autres, qui different en bonté & en prix ; celles de la quatrieme sont ramassées pêle-mêle, sans avoir égard à leur bonté, ni à leur grandeur, dans le tems qu'on croit que chaque jeune branche en porte dix ou quinze au plus ; c'est de celui-là que boit le commun peuple. Il est à observer que les feuilles, tout le tems qu'elles demeurent sur l'arbrisseau, sont sujettes à de promts changemens, eû égard à leur grandeur & à leur bonté, desorte que si on néglige de les cueillir à propos, elles peuvent perdre beaucoup de leur vertu en une seule nuit.

On appelle ban-tsjaa, celles de la troisieme espece ; & comme elles sont pour la plûpart fortes & grosses, elles ne peuvent être préparées à la maniere des Chinois, c'est-à-dire séchées sur des poëles & frisées ; mais comme elles sont abandonnées aux petites gens, il n'importe de quelle maniere on les prépare.

Dès que les feuilles de thé sont cueillies, on les étend dans une platine de fer qui est sur du feu, & lorsqu'elles sont bien chaudes, on les roule avec la paume de la main, sur une natte rouge très-fine, jusqu'à ce qu'elles soient toutes frisées ; le feu leur ôte cette qualité narcotique & maligne dont j'ai parlé, & qui pourroit offenser la tête ; on les roule encore pour les mieux conserver, & afin qu'elles tiennent moins de place ; mais il faut leur donner ces façons sur le champ, parce que si on les gardoit seulement une nuit, elles se noirciroient & perdroient beaucoup de leur vertu : on doit aussi éviter de les laisser long-tems en monceaux, elles s'échaufferoient d'abord & se corromproient. On dit qu'à la Chine, on commence par jetter les feuilles de la premiere récolte dans l'eau chaude, où on les tient l'espace d'une demi-minute, & que cela sert à les dépouiller plus aisément de leur qualité narcotique.

Ce qui est certain, c'est que cette premiere préparation demande un très-grand soin : on fait chauffer d'abord la platine dans une espece de four, où il n'y a qu'un feu très-moderé ; quand elle a le degré convenable de chaleur, on jette dedans quelques livres de feuilles que l'on remue sans-cesse ; quand elles sont si chaudes que l'ouvrier a peine à y tenir la main, il les retire & les répand sur une autre platine pour y être roulées.

Cette seconde opération lui coûte beaucoup, il sort de ces feuilles roties un jus de couleur jaune, tirant sur le verd, qui lui brûle les mains, & malgré la douleur qu'il sent, il faut qu'il continue ce travail jusqu'à ce que les feuilles soient refroidies, parce que la frisure ne tiendroit point si les feuilles n'étoient pas chaudes, desorte qu'il est même obligé de les remettre deux ou trois fois sur le feu.

Il y a des gens délicats qui les y font remettre jusqu'à sept fois, mais en diminuant toujours par degrés la force du feu, précaution nécessaire pour conserver aux feuilles une couleur vive, qui fait une partie de leur prix. Il ne faut pas manquer aussi de laver à chaque fois la platine avec de l'eau chaude, parce que le suc qui est exprimé des feuilles, s'attache à ses bords, & que les feuilles pourroient s'en imbiber de nouveau.

Les feuilles ainsi frisées, sont jettées sur le plancher, qui est couvert d'une natte, & on sépare celles qui ne sont pas si bien frisées, ou qui sont trop roties ; les feuilles de thé impérial doivent être roties à un plus grand degré de sécheresse, pour être plus aisément moulues & réduites en poudre ; mais quelques-unes de ces feuilles sont si jeunes & si tendres, qu'on les met d'abord dans l'eau chaude, ensuite sur un papier épais, puis on les fait sécher sur les charbons sans être roulées, à cause de leur extrême petitesse. Les gens de la campagne ont une méthode plus courte, & y font bien moins de façons ; ils se contentent de rotir les feuilles dans des chaudieres de terre, sans autre préparation ; leur thé n'en est pas moins estimé des connoisseurs, & il est beaucoup moins cher.

C'est par tout pays que les façons même les plus inutiles font presque tout le prix des choses, parmi ceux qui n'ont rien pour se distinguer du public que la dépense. Il paroît même que ce thé commun doit avoir plus de force que le thé impérial, lequel après avoir été gardé pendant quelques mois, est encore remis sur le feu pour lui ôter, dit-on, une certaine humidité qu'il pourroit avoir contractée dans la saison des pluies ; mais on prétend qu'après cela il peut être gardé long-tems, pourvû qu'on ne lui laisse point prendre l'air ; car l'air chaud du Japon en dissiperoit aisément les sels volatils, qui sont d'une grande subtilité. En effet tout le monde convient que ce thé, & à proportion tous les autres, les ont presque tous perdus quand ils arrivent en Europe, quelque soin qu'on prenne de les tenir bien enfermés. Kaempfer assure qu'il n'y a jamais trouvé hors du Japon, ni ce goût agréable, ni cette vertu modérément rafraîchissante qu'on y admire dans le pays.

Les Japonois tiennent leurs provisions de thé commun dans de grands pots de terre, dont l'ouverture est fort étroite. Le thé impérial se conserve ordinairement dans des vases de porcelaine, & particulierement dans ceux qui sont très-anciens, & d'un fort grand prix. On croit communément que ces derniers non-seulement conservent le thé, mais qu'ils en augmentent la vertu.

L'arbrisseau de la Chine qui porte le thé differe peu de celui du Japon ; il s'éleve à la hauteur de trois, de quatre ou de cinq piés tout-au-plus ; il est touffu & garni de quantité de rameaux. Ses feuilles sont d'un verd foncé, pointues, longues d'un pouce, larges de cinq lignes, dentelées à leur bord en maniere de scie ; ses fleurs sont en grand nombre, semblables à celles du rosier sauvage, composées de six pétales blanchâtres ou pâles, portées sur un calice partagé en six petits quartiers ou petites feuilles rondes, obtuses, & qui ne tombent pas. Le centre de ces fleurs est occupé par un nombreux amas d'étamines, environ deux cent, jaunâtres. Le pistil se change en un fruit sphérique tantôt à trois angles & à trois capsules, souvent à une seule. Chaque capsule renferme une graine qui ressemble à une aveline par sa figure & sa grosseur, couverte d'une coque mince, lisse, roussâtre, excepté la base qui est blanchâtre. Cette graine contient une amande blanchâtre, huileuse, couverte d'une pellicule mince & grise, d'un goût douçâtre d'abord, mais ensuite amer, excitant des envies de vomir, & enfin brûlant & fort desséchant. Ses racines sont minces, fibreuses & répandues sur la surface de la terre. On cultive beaucoup cette plante à la Chine ; elle se plaît dans les plaines tempérées & exposées au soleil, & non dans des terres sablonneuses ou trop grasses.

On apporte beaucoup de soin & d'attention pour le thé de l'empereur de la Chine, comme pour celui de l'empereur du Japon, on fait un choix scrupuleux de ses feuilles dans la saison convenable. On cueille les premieres qui paroissent au sommet des plus tendres rameaux ; les autres feuilles sont d'un prix médiocre. On les seche toutes à l'ombre, & on les garde sous le nom de thé impérial ; parmi ces feuilles, on sépare encore celles qui sont plus petites de celles qui sont plus grandes ; car le prix varie selon la grandeur des feuilles, plus elles sont grandes, plus elles sont cheres.

Le thé roux, que l'on appelle thé bohéa, est celui qui a été plus froissé & plus rôti : c'est de-là que vient la diversité de la couleur & du goût.

Les Chinois, dont nous suivons la méthode, versent de l'eau bouillante sur les feuilles entieres de thé que l'on a mises dans un vaisseau destiné à cet usage, & ils en tirent la teinture ; ils y mêlent un peu d'eau claire pour en tempérer l'amertume & la rendre plus agréable, ils la boivent chaude. Le plus souvent en bûvant cette teinture, ils tiennent du sucre dans leur bouche, ce que font rarement les Japonois ; ensuite ils versent de l'eau une seconde fois, & ils en tirent une nouvelle teinture qui est plus foible que la premiere ; après cela ils jettent les feuilles.

Les Chinois & les Japonois attribuent au thé des vertus merveilleuses, comme il arrive à tous ceux qui ont éprouvé quelque soulagement ou quelque avantage d'un remede agréable ; il est du-moins sûr que dans nos pays, si l'on reçoit quelque utilité de cette boisson, on doit principalement la rapporter à l'eau chaude. Les parties volatiles du thé qui y sont répandues, peuvent encore contribuer à atténuer & résoudre la lymphe quand elle est trop épaisse, & à exciter davantage la transpiration ; mais en même tems l'usage immodéré de cette feuille infusée perpétuellement dans de l'eau chaude, relâche les fibres, affoiblit l'estomac, attaque les nerfs, & en produit le tremblement ; desorte que le meilleur, pour la conservation de la santé, est d'en user en qualité de remede, & non de boisson agréable, parce qu'il est ensuite très-difficile de s'en priver. Il faut bien que cette difficulté soit grande, puisqu'il se débite actuellement en Europe par les diverses compagnies environ huit à dix millions de livres de thé par an, tant la consommation de cette feuille étrangere est considérable. (D.J.)

THE DES ANTILLES, (Botan.) plante de deux ou trois piés de hauteur extrêmement commune dans toutes les îles Antilles ; elle croît abondamment entre les fentes des rochers, sur les vieilles murailles, dans les savanes, sur les chemins, enfin par-tout ; ses branches sont chargées de petites feuilles d'un verd foncé, longues, étroites, terminées en pointe & dentelées sur les bords, comme celles du thé de la Chine ; à quoi cependant cette plante n'a aucun autre rapport, malgré l'opinion du R. P. Labat jacobin, qui, faute de connoissances en histoire naturelle, s'est fréquemment trompé dans ses décisions. Le prétendu thé des îles n'est d'aucun usage universellement connu dans le pays, on l'arrache comme une mauvaise herbe nuisible dans les savanes & dans les jardins. Article de M. LE ROMAIN.


THÉA(Botan.) nom du genre de plante qui porte la feuille que nous nommons thé ; nous avons décrit l'arbrisseau au mot THE, nous allons ici le caractériser d'après le système de M. Linnaeus. Le calice est très-petit, permanent, divisé en six feuilles rondelettes & obtuses ; la fleur est composée de six pétales ronds & concaves ; les étamines sont des filets très-déliés, chevelus, plus courts que la fleur, & si nombreux qu'on en compte ordinairement deux cent ; les bossettes sont simples ; le germe du pistil est sphérique & tricapsulaire ; le style finit en pointe, & a la longueur des étamines ; le stigma est simple ; le fruit est une capsule formée de trois corps globulaires croissant ensemble, il contient trois loges, & s'ouvre au sommet en trois parties ; les graines sont simples, rondes, & intérieurement angulaires. Linnaeus, gen. plant. p. 233. (D.J.)

THEA, (Mythologie) fille du Ciel & de la Terre, femme d'Hypérion, & mere du Soleil, de la Lune & de la belle Aurore, dit Hésiode. (D.J.)


THÉACHIou THÉACO ou THIAKI, (Géog. mod.) île de la mer Ionienne. Cette île a presque autant de noms que d'auteurs qui l'ont décrite. Elle est appellée Haca par Strabon & par Pline, Nericia par Porcacchi, Val di Compagno par Niger. Les Grecs d'à-présent la nomment Thiachi, les Turcs Phiachi, & nos voyageurs écrivent les uns Théachi, d'autres Thiachi, & d'autres Théaco. Cette île regarde Céphalonie, dont elle est séparée par un canal de la longueur de vingt milles. On lui donne quarante milles de circuit. De tous ses ports, le meilleur est celui de Vathi. On prend communément cette île pour l'ancienne Ithaque, patrie d'Ulysse ; elle avoit autrefois une ville que Plutarque appelle Alalcomene, mais elle n'a présentement que quelques villages peuplés de dix à douze mille habitans. (D.J.)


THÉAMEDESS. f. (Hist. nat. Litholog.) espece d'aimant, à qui les anciens attribuoient la vertu de repousser le fer, au-lieu de l'attirer. Cette pierre nous est inconnue.


THÉANDRIQUEadj. (Théolog.) terme dogmatique, dont on se sert quelquefois pour exprimer les opérations divines & humaines de Jesus-Christ.

Ce mot est formé du grec, , Dieu, & ou , homme. Voyez HOMME-DIEU, Dei-Virile.

S. Denis, évêque d'Athènes, fut le premier qui se servit du mot de théandrique, pour exprimer une opération double, ou deux opérations unies en Jesus-Christ, l'une divine & l'autre humaine.

Les Monophysites abuserent ensuite de ce terme, pour l'appliquer à une seule opération qu'ils admettoient en Jesus-Christ ; car ils soutenoient qu'il y a en lui un mêlange de la nature divine & de la nature humaine, d'où résultoit une troisieme nature qui étoit un composé de l'une & de l'autre, & dont les opérations tenoient de l'essence & des qualités du mêlange, desorte que ces opérations n'étoient ni divines, ni humaines, mais l'une & l'autre à-la-fois, ce qu'ils entendoient exprimer par le terme de théandrique. Voyez OPERATION & MONOTHELITE.

L'opération théandrique ou Dei-Virile, dans le sens de S. Denis & de S. Jean Damascène, est expliquée par S. Athanase, qui en rapporte pour exemples la guérison de l'aveugle-né & la résurrection du Lazare : la salive que Jesus-Christ fit sortir de sa bouche étoit l'opération humaine, mais l'ouverture des yeux se fit par l'opération divine. De même en ressuscitant le Lazare, il l'appella comme homme, mais il l'éveilla du sommeil de la mort comme Dieu.

Le terme de théandrique & le dogme des opérations théandriques furent examinés avec des attentions infinies au concile de Latran tenu en 649, où le pape Martin réfuta solidement la notion des opérations théandriques, & fit voir que le sens dans lequel S. Denis employa d'abord ce terme, étoit catholique, & très-éloigné du sens des Monophysites & Monothélites. Voyez PERSONNE & TRINITE.


THÉANTHROPES. m. (Théologie) Homme-Dieu, terme dont on se sert quelquefois dans les écoles, pour désigner Jesus-Christ qui est Dieu & Homme, ou qui a deux natures dans une seule personne. Voyez PERSONNE & TRINITE.

Ce mot est formé du grec , Dieu, & , homme.


TEATEou THÉATE, (Géog. mod.) ville d'Italie, au royaume de Naples, dans l'Abruzze citérieure. Clément VII. l'érigea en métropole. Elle a donné le nom aux Théatins, parce que Jean Pierre Caraffe, le principal fondateur de cet ordre, avoit été évêque de Théate, & renonça à cette dignité pour se faire religieux. (D.J.)


THÉATINESS. f. (Hist. ecclésiast.) ordre de religieuses sous la direction des Théatins. Voyez THEATINS.

Il y a deux sortes de Théatines sous le nom de soeurs de l'immaculée Conception ; elles forment deux congrégations différentes ; les religieuses de l'une s'engagent par des voeux solemnels, & celles de l'autre ne font que des voeux simples. Leur fondatrice commune étoit Ursule Benincasa.

Les plus anciennes sont celles qui font des voeux simples, & on les appelle simplement Théatines de la congrégation. Elles furent instituées à Naples en 1583.

Les autres s'appellent Théatines de l'hermitage. Elles n'ont autre chose à faire qu'à prier Dieu en retraite, & à vivre dans une solitude austere, à quoi elles s'engagent par des voeux solemnels.

Celles de la premiere congrégation prennent soin des affaires temporelles des autres, leurs maisons se touchent, & la communication est établie entre les deux sortes de religieuses par le moyen d'une grande salle. Leur fondatrice dressa leurs regles ou constitutions, & jetta les fondemens de leurs maisons ; mais elle mourut avant qu'elles fussent achevées.

Grégoire XV. qui confirma ce nouvel institut sous la regle de S. Augustin, mit les deux congrégations sous la direction des Théatins. Urbain VIII. révoqua cette disposition par un bref de l'an 1624, & soumit les Théatines au nonce de Naples. Mais Clément IX. annulla ce bref, & les remit de nouveau sous la direction des Théatins par un bref de l'an 1668.


THÉATINSS. m. (Hist. ecclésiast.) ordre religieux de prêtres réguliers, ainsi nommés de don Jean-Pierre Caraffa, archevêque de Chieti dans le royaume de Naples, qui s'appelloit autrefois Théate.

Le même archevêque fut élevé au souverain pontificat sous le nom de Paul IV. Ce prélat, suivi de Gaëtan gentilhomme vénitien, de Paul Consiliari & de Boniface Colle, jetta les premiers fondemens de cet ordre à Rome en 1524.

Les Théatins furent les premiers qui prirent le nom de clercs réguliers : non-seulement ils ne possedent point de terres, & n'ont point de revenus fixes, ni en commun, ni en propriété, mais ils ne peuvent même rien demander ni mandier, & ils sont réduits à vivre de ce que la providence leur envoie pour les faire subsister.

Ils s'employent le plus souvent dans les missions étrangeres ; & en 1627, ils entrerent dans la Mingrelie, où ils se firent un établissement. Ils en eurent aussi en Tartarie, en Circassie & en Géorgie, mais ils furent obligés de les abandonner par le peu de fruit qu'ils tiroient de ces missions.

Leur premiere congrégation parut à Rome en 1524, & y fut confirmée la même année par Clément VII. leur regle fut dressée dans un chapitre général en 1604, & approuvée par Clément VIII. Ils portent la soutane & le manteau noir, avec des bas blancs. Le cardinal Mazarin les fit venir en France en 1644, & leur acheta la maison qu'ils ont vis-à-vis les galeries du Louvre, où ils entrerent en 1648. Le même cardinal leur avoit légué par son testament une somme de cent mille écus pour bâtir une église, qui vient d'être achevée par les soins de M. Boyer, de l'ordre des Théatins. Ayant été élevé à l'évêché de Mirepoix, il a été ensuite précepteur de M. le dauphin. Cette congrégation a donné à l'Eglise des missionnaires apostoliques, d'habiles prédicateurs & des prélats distingués par leur science & par leur vertu.


THÉATRES. m. (Architect.) les anciens appelloient ainsi un édifice public destiné aux spectacles, composé d'un amphithéatre en demi-cercle, entouré de portiques & garni de sieges de pierre ; ces sieges environnoient un espace appellé orchestre, au-devant duquel étoit le proscenium ou pulpitum, c'est-à-dire le plancher du théatre, avec la scène formée par une grande façade décorée de trois ordres d'architecture, & derriere laquelle étoit le lieu appellé proscenium, où les acteurs se préparoient. Chez les Grecs & chez les Romains, le théatre avoit trois sortes de scènes mobiles, la tragique, la comique & la satyrique. Le plus célebre théatre qui reste de l'antiquité est celui de Marcellus à Rome.

Nous avons défini le mot théatre selon son étymologie, tirée du grec théatron, spectacle, parce que l'usage qu'on fait aujourd'hui de ce terme dans l'art de bâtir, est abusif. Cependant, pour ne rien laisser en arriere, nous dirons qu'on entend aujourd'hui par théatre, particulierement chez les Italiens, l'ensemble de plusieurs bâtimens qui, par leur élévation & une disposition heureuse, présentent une agréable scène à ceux qui les regardent. Tels sont la plûpart des bâtimens des vignes de Rome, mais principalement celui de monte Dragone, à Frescati, & en France le château de S. Germain-en-Laye, du côté de la riviere. (D.J.)

THEATRE des anciens, (Architect. & Littér.) les Grecs & les Romains étendoient plus loin que nous le sens du mot théatre ; car nous n'entendons par ce terme qu'un lieu élevé où l'acteur paroit, & où se passe l'action : au-lieu que les anciens y comprenoient toute l'enceinte du lieu commun aux acteurs & aux spectateurs.

Le théatre chez eux étoit un lieu vaste & magnifique, accompagné de longs portiques, de galeries couvertes, & de belles allées plantées d'arbres, où le peuple se promenoit en attendant les jeux.

Leur théatre se divisoit en trois principales parties, sous lesquelles toutes les autres étoient comprises, & qui formoient pour ainsi-dire, trois différens départemens ; celui des acteurs, qu'ils appelloient en général la scène ; celui des spectateurs, qu'ils nommoient particulierement le théatre ; & l'orchestre, qui étoit chez les Grecs le département des mimes & des danseurs, mais qui servoit chez les Romains à placer les sénateurs & les vestales.

Pour se former d'abord une idée générale de la situation de ces trois parties, & par conséquent de la disposition de tout le théatre, il faut remarquer que son plan consistoit d'une part en deux demi-cercles décrits d'un même centre, mais de différent diametre ; & de l'autre en un quarré long de toute leur étendue, & moins large de la moitié ; car c'étoit ce qui en établissoit la forme, & ce qui en faisoit en même tems la division. L'espace compris entre les deux demi-cercles, étoit la partie destinée aux spectateurs : le quarré qui les terminoit, celle qui appartenoit aux autres ; & l'intervalle qui restoit au milieu, ce qu'ils appelloient l'orchestre.

Ainsi l'enceinte des théatres étoit circulaire d'un côté, & quarrée de l'autre ; & comme elle étoit toujours composée de deux ou trois rangs de portiques, les théatres qui n'avoient qu'un ou deux étages de degrés, n'avoient que deux rangs de portiques ; mais les grands théatres en avoient toujours trois élevés les uns sur les autres ; desorte qu'on peut dire que ces portiques formoient le corps de l'édifice : on entroit non-seulement par dessous leurs arcades de plain-pié dans l'orchestre, & l'on montoit aux différens étages du théatre, mais de plus les degrés où le peuple se plaçoit étoient appuyés contre leur mur intérieur ; & le plus élevé de ces portiques faisoit une des parties destinées aux spectateurs. De-là les femmes voyoient le spectacle à l'abri du soleil & des injures de l'air, car le reste du théatre étoit découvert, & toutes les représentations se faisoient en plein jour.

Pour les degrés où le peuple se plaçoit, ils commençoient au bas de ce dernier portique, & descendoient jusqu'au pié de l'orchestre ; & comme l'orchestre avoit plus ou moins d'étendue suivant les théatres, la circonférence des degrés (gradationes), étoit aussi plus ou moins grande à proportion ; mais elle alloit toujours en augmentant à mesure que les degrés s'élevoient, parce qu'ils s'éloignoient toujours du centre en montant.

Il y avoit dans les grands théatres jusqu'à trois étages, & chaque étage étoit de neuf degrés, en comptant le pâlier qui en faisoit la séparation, & qui servoit à tourner autour ; mais comme ce pâlier tenoit la place de deux degrés, il n'en restoit plus que sept où l'on pût s'asseoir, & chaque étage n'avoit par conséquent que sept rangs de sieges. Ainsi quand on lit dans les auteurs que les chevaliers occupoient les quatorze premiers rangs du théatre, il faut entendre le premier & le second étage de degrés, le troisiéme étant abandonné au peuple avec le portique supérieur, & l'orchestre étoit, comme nous avons dit, reservé pour les sénateurs & pour les vestales.

Il faut néanmoins prendre garde que ces distinctions de rangs ne commencerent pas en même tems ; car ce fut, selon Tite-Live, l'an 568, que le sénat commença à être séparé du peuple aux spectacles, & ce ne fut que l'an 685, sous le consulat de L. Metellus & de Q. Marcius, que la loi Roscia assigna aux chevaliers les quatorze premiers rangs du théatre. Ce ne fut même que sous Auguste, que les femmes commencerent à être séparées des hommes, & à voir le spectacle du troisieme portique.

Les portes par où le peuple se répandoit sur les degrés, étoient tellement disposées entre les escaliers, que chacun d'eux répondoit par en-haut à une de ces portes, & que toutes ces portes se trouvoient par en-bas, au milieu des amas de degrés dont ces escaliers faisoient la séparation. Ces portes & ces escaliers étoient au nombre de trente-neuf en tout ; & il y en avoit alternativement six des uns & sept des autres à chaque étage, savoir sept portes & six escaliers au premier, sept escaliers & six portes au second, & sept portes & six escaliers au troisieme.

Mais comme ces escaliers n'étoient, à proprement parler, que des especes de gradins pour monter plus aisément sur les degrés où l'on s'asseyoit, ils étoient pratiqués dans ces degrés mêmes, & n'avoient que la moitié de leur hauteur & de leur largeur. Les pâliers au contraire qui en séparoient les étages, avoient deux fois leur largeur, & laissoient la place d'un degré vuide ; de maniere que celui qui étoit au-dessus avoit deux fois la hauteur des autres ; tous ces degrés devoient être tellement alignés qu'une corde tendue depuis le bas jusqu'en haut en touchât toutes les extrêmités.

C'étoit sous ces degrés qu'étoient les passages par où l'on entroit dans l'orchestre, & les escaliers qui montoient aux différens étages du théatre ; & comme une partie de ces escaliers montoit aux degrés, & les autres aux portiques, il falloit qu'ils fussent différemment tournés ; mais ils étoient tous également larges, entierement dégagés les uns des autres, & sans aucun détour, afin que le peuple y fût moins pressé en sortant.

Jusqu'ici le théatre des Grecs & celui des Romains étoient entierement semblables, & ce premier département avoit non-seulement chez eux la même forme en général, mais encore les mêmes dimensions en particulier ; & il n'y avoit de différence dans cette partie de leur théatre, que par les vases d'airain que les Grecs y plaçoient, afin que tout ce qui se prononçoit sur la scène fût distinctement entendu de tout le monde. Cet usage même s'introduisit ensuite chez les Romains dans leurs théatres solides. Voyez VASE de théatre.

Les Grecs établirent beaucoup d'ordre pour les places, & les Romains les imiterent encore. Dans la Grece les magistrats étoient, au théatre, séparés du peuple, & le lieu qu'ils occupoient s'appelloit : les jeunes gens y étoient aussi placés dans un endroit particulier, qu'on nommoit ; & les femmes y voyoient de même le spectacle du troisieme portique ; mais il y avoit outre cela des places marquées où il n'étoit pas permis à tout le monde de s'asseoir, & qui appartenoient en propre à certaines personnes. Ces places étoient héréditaires dans les familles, & ne s'accordoient qu'aux particuliers qui avoient rendu de grands services à l'état. C'est ce que les Grecs nommoient , & il est aisé de juger par ce nom, que c'étoient les premieres places du théatre, c'est-à-dire les plus proches de l'orchestre ; car l'orchestre étoit, comme nous avons dit, une des parties destinées aux acteurs chez les Grecs, au-lieu que c'étoit chez les Romains la place des sénateurs & des vestales.

Mais quoique l'orchestre eût des usages différens chez ces deux nations, la forme en étoit cependant à-peu-près la même en général. Comme elle étoit située entre les deux autres parties du théatre, dont l'une étoit circulaire, & l'autre quarrée, elle tenoit de la forme de l'une & de l'autre, & occupoit tout l'espace qui étoit entr'elles. Sa grandeur varioit par conséquent suivant l'étendue des théatres ; mais sa largeur étoit toujours double de sa longueur, à cause de sa forme, & cette largeur étoit précisément le demi-diametre de tout l'édifice.

La scène, chez les Romains, se divisoit comme chez les Grecs, en trois parties, dont la situation, les proportions & les usages étoient les mêmes que dans les théatres des Grecs.

La premiere & la plus considérable partie s'appelloit proprement la scène, & donnoit son nom à tout ce département. C'étoit une grande face de bâtiment qui s'étendoit d'un côté du théatre à l'autre, & sur laquelle se plaçoient les décorations. Cette façade avoit à ses extrêmités deux petites aîles en retour, qui terminoient cette partie ; de l'une à l'autre de ces aîles s'étendoit une grande toile à-peu-près semblable à celle de nos théatres, & destinée aux mêmes usages, mais dont le mouvement étoit fort différent ; car au-lieu que la nôtre se leve au commencement de la piece, & s'abaisse à la fin de la représentation, parce qu'elle se plie sur le ceintre, celle des anciens s'abaissoit pour ouvrir la scène, & se levoit dans les entr'actes, pour préparer le spectacle suivant, parce qu'elle se plioit sur le théatre ; de maniere que lever & baisser la toile, signifioit précisément chez eux le contraire de ce que nous entendons aujourd'hui par ces termes. Voyez TOILE de théatre.

La seconde partie de la scène, que les Grecs nommoient indifféremment , les Latins proscenium & pulpitum, en françois l'avant - scène, étoit un grand espace libre au devant de la scène où les acteurs venoient jouer la piece, & qui par le moyen des décorations, représentoit une place publique, un simple carrefour, ou quelque endroit champêtre, mais toujours un lieu à découvert ; car toutes les pieces des anciens se passoient au-dehors, & non dans l'intérieur des maisons, comme la plûpart des nôtres. La longueur & la largeur de cette partie varioient suivant l'étendue des théatres, mais la hauteur en étoit toujours la même, savoir de dix piés chez les Grecs, & de cinq chez les Romains.

La troisieme & derniere partie étoit un espace ménagé derriere la scène, qui lui servoit de dégagement, & que les Grecs appelloient . C'étoit où s'habilloient les acteurs, où l'on serroit les décorations, & où étoit placée une partie des machines, dont les anciens avoient de plusieurs sortes dans leurs théatres, ainsi que nous le verrons dans la suite.

Comme ils avoient de trois sortes de pieces, des comiques, des tragiques & des satyriques, ils avoient aussi des décorations de ces trois différens genres. Les tragédies représentoient toujours de grands bâtimens avec des colonnes, des statues, & les autres ornemens convenables ; les comiques représentoient des édifices particuliers, avec des toits & de simples croisées, comme on en voit communément dans les villes ; & les satyriques, quelque maison rustique, avec des arbres, des rochers, & les autres choses qu'on voit d'ordinaire à la campagne.

Ces trois scènes pouvoient se varier de bien des manieres, quoique la disposition en dût être toujours la même en général ; & il falloit qu'elles eussent chacune cinq différentes entrées, trois en face, & deux sur les aîles. L'entrée du milieu étoit toujours celle du principal acteur ; ainsi dans la scène tragique, c'étoit ordinairement la porte d'un palais ; celles qui étoient à droite & à gauche étoient destinées à ceux qui jouoient les seconds rôles ; & les deux autres qui étoient sur les aîles, servoient l'une à ceux qui arrivoient de la campagne, & l'autre à ceux qui venoient du port, ou de la place publique.

C'étoit à-peu-près la même chose dans la scène comique. Le bâtiment le plus considérable étoit au milieu ; celui du côté droit étoit un peu moins élevé, & celui qui étoit à gauche représentoit ordinairement une hôtellerie. Mais dans la satyrique il y avoit toujours un antre au milieu, quelque méchante cabane à droite & à gauche, un vieux temple ruiné, ou quelque bout de paysage.

On ne sait pas bien sur quoi ces décorations étoient peintes ; mais il est certain que la perspective y étoit observée ; car Vitruve remarque que les regles en furent inventées & mises en pratique dès le tems d'Eschyle par un peintre nommé Agatharcus, qui en laissa même un traité, d'où les philosophes Démocrite & Anaxagore tirerent ce qu'ils écrivirent depuis sur ce sujet. Voyez PERSPECTIVE.

Parlons à-présent des machines, car, comme je l'ai dit, les anciens en avoient de plusieurs sortes dans leurs théatres ; outre celles qui étoient sous les portes des retours, pour introduire d'un côté les dieux des bois & des campagnes, & de l'autre les divinités de la mer, il y en avoit d'autres au-dessus de la scène pour les dieux célestes, & de troisiemes sous le théatre pour les ombres, les furies & les autres divinités infernales. Ces dernieres étoient à-peu-près semblables à celles dont nous nous servons pour ce sujet. Pollux nous apprend que c'étoient des especes de trappes qui élevoient les acteurs au niveau de la scène, & qui redescendoient ensuite sous le théatre par le relâchement des forces qui les avoient fait monter. Ces forces consistoient, comme celles de nos théatres, en des cordes, des roues & des contrepoids. Celles qui étoient sur les portes des retours, étoient des machines tournantes sur elles-mêmes, qui avoient trois différentes faces, & qui se tournoient d'un ou d'autre côté, selon les dieux à qui elles servoient.

De toutes ces machines, il n'y en avoit point dont l'usage fut plus ordinaire, que de celles qui descendoient du ciel dans les dénouemens, & dans lesquelles les dieux venoient pour ainsi dire au secours du poëte. Ces machines avoient assez de rapport avec celles de nos ceintres ; car aux mouvemens près, les usages en étoient les mêmes, & les anciens en avoient comme nous de trois sortes en général ; les unes qui ne descendoient point jusqu'en bas, & qui ne faisoient que traverser le théatre ; d'autres dans lesquelles les dieux descendoient jusque sur la scène, & de troisiemes qui servoient à élever ou à soutenir en l'air les personnes qui sembloient voler.

Comme ces dernieres étoient toutes semblables à celles de nos vols, elles étoient sujettes aux mêmes accidens. Nous lisons dans Suétone qu'un acteur qui jouoit le rôle d'Icare, & dont la machine eut malheureusement le même sort, alla tomber près de l'endroit où étoit placé Néron, & couvrit de sang ceux qui étoient autour de lui.

Mais quoique toutes ces machines eussent assez de rapport avec celles de nos ceintres, comme le théatre des anciens avoit toute son étendue en largeur, & que d'ailleurs il n'étoit point couvert, les mouvemens en étoient fort différens ; car au-lieu d'être emportées comme les nôtres par des chassis courans dans des charpentes en plafonds, elles étoient guindées à une espece de grue, dont le cou passoit pardessus la scène, & qui tournant sur elle-même, pendant que les contre-poids faisoient monter ou descendre ces machines, leur faisoit décrire des courbes composées de son mouvement circulaire, & de leur direction verticale ; c'est-à-dire, une ligne en forme de vis de bas en - haut, ou de - haut en-bas, à celles qui ne faisoient que monter ou descendre d'un côté du théatre à l'autre.

Les contrepoids faisoient aussi décrire différentes demi - ellipses aux machines, qui après être descendues d'un côté jusqu'au milieu du théatre, remontoient de l'autre jusqu'au dessus de la scène, d'où elles étoient toutes rappellées dans un endroit du postcénium, où leurs mouvemens étoient placés. Toutes ces machines avoient différentes formes & différens noms, suivant leurs usages ; mais c'est un détail qui ne pourroit manquer d'ennuyer les lecteurs.

Quant aux changemens des théatres, Servius nous apprend qu'ils se faisoient ou par des feuilles tournantes, qui changeoient en un instant la face de la scène, ou par des chassis qui se tiroient de part & d'autre, comme ceux de nos théatres. Mais comme il ajoute qu'on levoit la toile à chacun de ces changemens, il y a bien de l'apparence qu'ils ne se faisoient pas promtement.

D'ailleurs, comme les aîles de la scène sur laquelle la toile portoit, n'avançoient que de la huitieme partie de sa longueur, les décorations qui tournoient derriere la toile, ne pouvoient avoir au plus que cette largeur pour leur circonférence. Ainsi il falloit qu'il y en eût au moins dix feuilles sur la scène, huit de face, & deux en aîles ; & comme chacune de ces feuilles devoit fournir trois changemens, il falloit nécessairement qu'elles fussent doubles, & disposées de maniere qu'en demeurant pliées, elles formassent une des trois scènes ; & qu'en se retournant ensuite les unes sur les autres, de droite à gauche, ou de gauche à droite, elles formassent les deux : ce qui ne peut se faire qu'en portant de deux en deux sur un point fixe commun, c'est-à-dire en tournant toutes les dix sur cinq pivots placés sous les trois portes de la scène, & dans les deux angles de ses retours.

Comme il n'y avoit que les portiques & le bâtiment de la scène qui fussent couverts, on étoit obligé de tendre sur le reste du théatre, des voiles soutenues par des mâts & par des cordages, pour défendre les spectateurs de l'ardeur du soleil. Mais comme ces voiles n'empêchoient pas la chaleur, causée par la transpiration & les haleines d'une si nombreuse assemblée, les anciens avoient soin de la tempérer par une espece de pluie, dont ils faisoient monter l'eau jusqu'au dessus des portiques, & qui retombant en forme de rosée, par une infinité de tuyaux cachés dans les statues qui regnoient autour du théatre, servoit non seulement à y répandre une fraîcheur agréable, mais encore à y exhaler des parfums les plus exquis ; car cette pluie étoit toujours d'eau de senteur. Ainsi ces statues qui sembloient n'être mises au haut des portiques que pour l'ornement, étoient encore une source de délices pour l'assemblée, & enchérissant par leur influence sur la température des plus beaux jours, mettoient le comble à la magnificence du théatre, & servoient de toute maniere à en faire le couronnement.

Je ne dois pas oublier d'ajouter un mot des portiques qui étoient derriere les théatres, & où le peuple se retiroit lorsque quelque orage en interrompoit les représentations. Quoique ces portiques en fussent entierement détachés, Vitruve prétend que c'étoit où les choeurs alloient se reposer dans les entre-actes, & où ils achevoient de préparer ce qui leur restoit à représenter ; mais le principal usage de ces portiques consistoit dans les deux sortes de promenades qu'on y avoit menagées dans l'espace découvert qui étoit au milieu, & sous les galeries qui en formoient l'enceinte.

Comme ces portiques avoient quatre différentes faces, & que leurs arcades étoient ouvertes en dehors, on pouvoit, quelque tems qu'il fît, se promener à l'abri de leur mur intérieur, & profiter de leur différente exposition suivant la saison ; & comme l'espace découvert qui étoit au milieu, étoit un jardin public, on ne manquoit pas de l'orner de tout ce qui en pouvoit rendre l'usage plus agréable ou plus utile ; car les anciens avoient soin de joindre l'utile à l'agréable, dans tous leurs ouvrages, & surtout dans ces monumens publics qui devoient transmettre leur goût à la postérité, & justifier à ses yeux ce qu'ils publieroient eux-mêmes de leur grandeur.

Je dois ces détails à un excellent mémoire de M. Boindin, inseré dans le recueil de l'académie des Inscriptions ; & c'est tout ce que j'en pouvois tirer sans joindre des figures aux descriptions. Mais les théatres de Rome en particulier, m'offrent encore quelques particularités qu'il ne convient pas de supprimer.

Si nous remontons aux Grecs mêmes, nous trouverons d'abord que jusqu'à Cratinus, leurs théatres, ainsi que leurs amphithéatres, n'étoient que de charpente ; mais un jour que ce poëte faisoit jouer une de ses pieces, l'amphithéatre trop chargé se rompit & fondit tout-à-coup. Cet accident engagea les Athéniens à élever des théatres plus solides ; & comme vers ce tems-là la tragédie s'accrédita beaucoup à Athènes, & que cette république avoit depuis peu extrêmement augmenté sa puissance & ses richesses, les Athéniens firent construire des théatres qui ne le cédoient en magnificence à aucun édifice public, pas même aux temples des dieux.

Ainsi la scène née de la simplicité des premiers acteurs, qui se contentoient de l'ombre des arbres pour amuser le public, ne fut d'abord composée que d'arbres assemblés, & de verdures appropriées. On vint ensuite à charpenter des ais informes qu'on couvrit de toiles. Enfin l'Architecture éleva la scène en bâtiment ; le luxe l'embellit de tapisserie, & la Sculpture & la Peinture y prodiguerent leurs plus beaux ouvrages.

Les théatres à Rome ne se bâtissoient anciennement que de bois, & ne servoient que pendant quelques jours, de même que les échaffauds que nous faisons pour les cérémonies. L. Mummius fut le premier qui rendit ces théatres de bois plus splendides, en enrichissant les jeux qu'on fit à son triomphe, des débris du théatre de Corinthe. Ensuite Scaurus éleva le sien avec une telle magnificence, que la description de ce théatre paroît appartenir à l'histoire des Fées. Le théatre suspendu & brisé de Curion, fit voir une machine merveilleuse, quoique d'un autre genre. Pompée bâtit le premier un magnifique théatre de pierre & de marbre. Marcellus en construisit un autre dans la neuvieme région de Rome, & ce fut Auguste qui le consacra. Voyez THEATRE de Scaurus, THEATRE de Curion, THEATRE de Pompée, THEATRE de Marcellus.

Les théatres de pierre se multiplierent bientôt ; on en comptoit jusqu'à quatre dans le seul camp de Flaminius. Trajan en éleva un des plus superbes, qu'Adrien fit ruiner.

Caius Pulcher fut un des premiers qui à la diversité des colonnes & des statues, joignit les peintures pour en orner la scène. Catullus la fit revêtir d'ébene ; Antoine enchérissant, la fit argenter ; & Néron pour régaler Tiridate, fit dorer tout le théatre.

Entre les rideaux, tapisseries, ou voiles du théatre des Romains, les uns servoient à orner la scène, d'autres à la spécifier, & d'autres à la commodité des spectateurs. Ceux qui servoient d'ornement, étoient les plus riches ; & ceux qui spécifioient la scène, représentoient toujours quelque chose de la piece qu'on jouoit. La décoration versatile étoit un triangle suspendu, facile à tourner, & portant des rideaux où étoient peintes différentes choses qui se trouvoient avoir du rapport au sujet de la fable, ou du choeur, ou des intermedes.

Les voiles tenoient lieu de couverture, & on s'en servoit pour la seule commodité des spectateurs, afin de les garantir des ardeurs du soleil. Catullus imagina le premier cette commodité, car il fit couvrir tout l'espace du théatre & de l'amphithéatre de voiles étendues sur des cordages, qui étoient attachés à des mâts de navires, ou à des troncs d'arbres fichés dans les murs. Lentulus Spinther en fit de lin d'une finesse jusqu'alors inconnue. Néron non seulement les fit teindre en pourpre, mais y ajouta encore des étoiles d'or, au milieu desquelles il étoit peint monté sur un char ; le tout travaillé à l'aiguille, avec tant d'adresse & d'intelligence, qu'il paroissoit comme un Phoebus qui modérant ses rayons dans un jour sérein, ne laissoit briller que le jour agréable d'une belle nuit.

Ce n'est pas tout, les anciens par la forme de leurs théatres donnoient plus d'étendue, & avec plus de vraisemblance à l'unité du lieu, que ne le peuvent les modernes. La scène, qui parmi ces derniers ne représente qu'une salle, un vestibule, où tout se dit en secret, d'où rien ne transpire au dehors, que ce que les acteurs y répetent ; la scène, dis-je, si resserrée parmi les modernes, fut immense chez les Grecs & les Romains. Elle représentoit des places publiques ; on y voyoit des palais, des obélisques, des temples, & sur-tout le lieu de l'action.

Le peu d'étendue de la scène théatrale moderne, a mis des entraves aux productions dramatiques. L'exposition doit être faite avec art, pour amener à-propos des circonstances qui réunissent dans un seul point de vûe, ce qui demanderoit une étendue de lieu que l'on n'a pas. Il faut que les confidens inutiles soient rendus nécessaires, qu'on leur fasse de longs détails de ce qu'ils devroient savoir, & que les catastrophes soient ramenées sur la scène par des narrations exactes. Les anciens par les illusions de la perspective, & par la vérité des reliefs, donnoient à la scène toute la vraisemblance, & toute l'étendue qu'elle pouvoit admettre. Il y avoit à Athènes une partie considérable de fonds publics destinée pour l'ornement & l'entretien du théatre. On dit même que les décorations des Bacchantes, des Phéniciennes, de la Médée d'Euripide, d'Oedipe, d'Antigone, d'Electre & de Sophocle, coûterent prodigieusement à la république.

La vérité du lieu qui étoit observée sur le théatre ancien, facilitoit l'illusion ; mais des toiles grossierement peintes, peuvent-elles représenter le péristile du Louvre ? & la masure d'un bon villageois, pourroit-elle donner à des spectateurs le sentiment du palais magnifique d'un roi fastueux ? Ce qui étoit autrefois l'objet des premiers magistrats ; ce qui faisoit la gloire d'un archonte grec, & d'un édile romain, j'entens de présider à des pieces dramatiques avec l'assemblée de tous les ordres de l'état, n'est plus que l'occupation lucrative de quelques citoyens oisifs. Alors le philosophe Socrate & le savetier Mycicle, alloient également jouir des plaisirs innocens de la scène.

Comme le spectacle chez les anciens, se donnoit dans des occasions de fêtes & de triomphes, il demandoit un théatre immense, & des cirques ouverts ; mais comme parmi les modernes, la foule des spectateurs est médiocre, leur théatre a peu d'étendue, & n'offre qu'un édifice mesquin, dont les portes ressemblent parmi nous, aux portes d'une prison, devant laquelle on a mis des gardes. En un mot, nos théatres sont si mal bâtis, si mal placés, si négligés, qu'il paroît assez que le gouvernement les protege moins qu'il ne les tolere. Le théatre des anciens étoit au contraire un de ces monumens que les ans auroient eu de la peine à détruire, si l'ignorance & la barbarie ne s'en fussent mêlées. Mais que ne peut le tems avec un tel secours ? Il ne lui est échappé de ces vastes ouvrages, que quelques restes assez considérables pour intéresser la curiosité, mais trop mutilés pour la satisfaire. (D.J.)

THEATRE DE SCAURUS, (Archit. Décorat. des Rom.) théatre de charpente élevé à Rome pour servir à l'usage des spectacles pendant le cours d'un seul mois, quoique ce théatre ait surpassé en magnificence des édifices bâtis pour l'éternité. Celui-ci fut le fruit de la prodigalité incroyable d'un édile de la noble famille des Emiles.

L'histoire nomme deux Marcus Aemilius Scaurus, l'un pere, l'autre fils. Le premier se trouva si pauvre, qu'il fut obligé de vendre du charbon pour pouvoir subsister. Il se consola de sa mauvaise fortune avec des livres, & se distingua dans le barreau. Il entra de bonne heure dans le sénat, en devint le prince, exerça plusieurs fois le consulat, & triompha des Liguriens. Etant censeur, il fit bâtir le pont Milvius, & paver un des plus grands chemins d'Italie, qui fut appellé de son nom la voie émilienne. Il mit au jour l'histoire de sa vie, & publia d'autres ouvrages dont les anciens ont parlé avec éloge.

M. Aemilius Scaurus son fils ne fut point consul, ne triompha point, n'écrivit point, mais il donna aux Romains le plus superbe spectacle qu'ils aient jamais vu dans aucun tems. Voici la traduction du passage de Pline, l. XXXVI. c. xv. où il décrit la grande magnificence dont je veux parler.

" Je ne sais, dit cet historien, si l'édilité de Scaurus ne contribua pas plus que toute autre chose, à corrompre les moeurs, & si les proscriptions de Sylla ont fait autant de mal à la république, que les richesses immenses de son beau-fils. Ce dernier étant édile, fit bâtir un théatre auquel on ne peut comparer aucun des ouvrages qui aient jamais été faits, non-seulement pour une durée de quelques jours, mais pour les siecles à venir. Cette scene composée de trois ordres, étoit soutenue par trois cent soixante colonnes, & cela dans une ville où l'on avoit fait un crime à un citoyen des plus recommandables d'avoir placé dans sa maison six colonnes du mont Hymette.

Le premier ordre étoit de marbre ; celui du milieu étoit de verre, espece de luxe que l'on n'a pas renouvellé depuis ; & l'ordre le plus élevé étoit de bois doré. Les colonnes du premier ordre avoient trente-huit piés de haut, & les statues de bronze distribuées dans les intervalles des colonnes, étoient au nombre de trois mille ; le théatre pouvoit contenir quatre-vingt mille personnes ; tandis que celui de Pompée, qui n'en contient que quarante mille, suffit à un peuple beaucoup plus nombreux, par les diverses augmentations que la ville de Rome a reçues depuis Scaurus.

Si l'on veut avoir une juste idée des tapisseries superbes, des tableaux précieux, en un mot, des décorations en tout genre dont le premier de ces théatres fut orné, il suffira de remarquer que Scaurus après la célébration de ses jeux, ayant fait porter à sa maison de Tusculum ce qu'il avoit de trop, pour l'employer à différens usages, ses esclaves y mirent le feu par méchanceté, & l'on estima le dommage de cet incendie cent millions de sesterces, environ douze millions de notre monnoie ".

Ce passage est fort connu ; car il se trouve transcrit dans plus de mille ouvrages des modernes ; mais les idées de ces magnificences sont à tel point éloignées des nôtres, qu'on en relit toujours la description avec un étonnement nouveau.

Un historien ajoute au récit de Pline, que l'entrepreneur chargé de l'entretien des égoûts de Rome se crût obligé d'exiger de Scaurus qu'il s'engageât à payer le dommage que le transport de tant de colonnes si pesantes pourroit causer aux voûtes, qui depuis Tarquin l'ancien, c'est-à-dire, depuis près de sept cent ans, étoient toujours demeurées immobiles ; & elles soutinrent encore une si violente secousse sans s'ébranler. (D.J.)

THEATRE DE CURION, (Archit. Décorat. des Rom.) ce théatre en contenoit deux construits de bois près l'un de l'autre, & si également suspendus chacun sur son pivot, qu'on pouvoit les faire tourner, en réunir les extrêmités, & former par ce moyen une enceinte pour des combats de gladiateurs.

M. le comte de Caylus a donné dans le recueil de Littérature, tom. XXIII. un mémoire plein de lumieres sur cette étonnante machine, & il a le premier démontré la méchanique de ce prodigieux ouvrage. Quoique je ne puisse le suivre dans cette partie faute de planches, son discours renferme d'ailleurs assez de choses curieuses pour en régaler les lecteurs qui n'ont pas sous les yeux le vaste recueil de l'acad. des Inscriptions.

Les anciens, dit-il, ont eu plusieurs connoissances que nous n'avons pas, & ils ont poussé beaucoup plus loin que nous, quelques - unes de celles dont nous faisons usage. Les moyens qu'ils employoient pour remuer des masses d'un poids énorme, sont de ce nombre, & doivent nous causer d'autant plus d'admiration, que nous ne savons comment ils sont parvenus à exécuter des choses qui nous paroissent aujourd'hui tenir du prodige. Nous en sommes étonnés avec raison, dans le tems même que nous croyons être arrivés à une grande profondeur dans les mathématiques, & que nous nous flattons de laisser les anciens fort loin derriere nous dans plusieurs parties de cette science ; cependant ces anciens savoient allier une grande simplicité aux plus grands efforts de la méchanique ; ils attachoient même si peu de mérite à ces sortes d'opérations, que leurs historiens, & ce qui est plus fort encore, leurs poëtes n'en paroissent nullement occupés. L'étalage pompeux que les modernes ont fait de l'élévation des corps qui leur ont paru considérables, est tout le contraire de la conduite des anciens, le livre in-fol. de Fontana sur l'obélisque que Sixte V. fit relever dans Rome, & la planche gravée par le Clerc pour célébrer la pose des pierres du fronton du louvre, justifient bien la médiocrité des modernes en comparaison des anciens.

La machine de Curion, sans parler des autres bâtimens des anciens, est une nouvelle preuve de la supériorité des anciens dans la méchanique, mais avant que de parler de cette prodigieuse machine de Curion, & de la singularité du spectacle qu'il fit voir aux Romains, il faut dire un mot du personnage dont il est tant parlé dans les lettres de Cicéron à Atticus, dans Dion Cassius, liv. LX. dans Velleius Paterculus, l. II. & dans les vies d'Antoine, de Pompée, de Caton d'Utique, de César & de Brutus, par Plutarque.

C. Scribonius Curion étoit de famille patricienne ; son pere avoit été consul, & avoit eu les honneurs du triomphe. Le fils se fit connoitre de bonne heure par son esprit, ses talens, son éloquence, ses intrigues dans les factions de César & de Pompée, ainsi que par ses débauches & ses dissipations. Il se lia avec Antoine, & le plongea dans des dépenses si folles, qu'il l'avoit endetté dans sa jeunesse de deux cent cinquante talens, ce qui revient à plus d'un million de notre monnoie. Il vendit sa foi à la fortune de César, & pour le servir plus utilement, il avoit l'art de dissimuler leurs engagemens secrets, & affectoit, quand il fut tribun du peuple, de n'agir que pour les intérêts de la république. Velleius Paterculus l'a peint d'après nature : vir nobilis, eloquens, audax, suae alienaeque fortunae, & pudicitiae prodigus ; homo ingeniosissimè nequam, & facundus malo publico.

Il eut différens succès dans les brigues qu'il fit pour César ; il fut un jour couronné de fleurs comme un athlete qui a remporté le prix ; cependant le consul Lentulus le chassa honteusement du sénat avec Antoine, & ils furent obligés de sortir de Rome déguisés en esclaves dans des voitures de louage. Mais le service qu'il avoit rendu à César long-tems auparavant, étoit du nombre de ceux qu'un homme généreux ne sauroit oublier ; il couvrit César de sa robe, & l'empêcha d'être tué par les jeunes gens armés qui suivoient Cicéron. César plein de reconnoissance ne cessa de lui prodiguer ses largesses par millions, & après lui avoir fait obtenir plusieurs grands emplois contre les loix & les usages, il lui donna le gouvernement de la Sicile. On sait qu'il obtint la questure l'an de Rome 698, & qu'il fut tué l'an 706 dans la guerre d'Afrique.

C. Scribonius Curion, tel que nous venons de le représenter, tout vendu à César, ne construisit apparemment son théatre que dans l'intention d'attirer de nouvelles créatures à son protecteur, & par conséquent l'argent des Gaules y fut employé. Il donna ces spectacles au peuple romain, vraisemblablement l'an de Rome 703, sur un prétexte pareil à celui de M. Aemilius Scaurus, c'est-à-dire, pour les funérailles de son pere, mort l'an 701 ; mais ne pouvant égaler la magnificence du théatre de Scaurus que nous avons décrit dans l'article précédent, ni rien faire voir au peuple qui ne parût pauvre & misérable en comparaison, il voulut, sinon le faire oublier, du moins se distinguer d'une maniere singuliere.

Pour y parvenir, il eut recours à l'imagination d'un théatre dont Pline seul nous a donné la connoissance, l. XXXVI. c. xv. Voici la traduction de ce qu'il en dit à la suite de la description du magnifique spectacle de Scaurus.

" L'idée d'une profusion si extraordinaire emporte mon esprit, & le force à s'éloigner de son objet pour s'occuper d'une autre folie plus grande encore, & dans laquelle on n'employa que le bois. C. Curion, qui mourut dans les guerres civiles, attaché au parti de César, voulant donner des jeux pour les funérailles de son pere, comprit bientôt qu'il n'étoit pas assez riche pour surpasser la magnificence de Scaurus. En effet il n'avoit pas comme lui, un Sylla pour beau-pere, & pour mere une Metella, cette femme avide de s'enrichir des dépouilles des proscrits ; il n'étoit pas fils de ce M. Scaurus, qui fut tant de fois à la tête de la république, & qui, associé à toutes les rapines des partisans de Marius, fit de sa maison un gouffre, où s'engloutit le pillage d'un si grand nombre de provinces ; cependant Scaurus avouoit, après l'incendie de sa maison, qu'il ne pouvoit faire une seconde dépense pareille à la premiere. Ainsi les flammes, en détruisant des richesses rassemblées de tous les coins du monde, lui laisserent du moins l'avantage de ne pouvoir être imité dans sa folie.

Curion fut donc obligé de suppléer au luxe par l'esprit, & de chercher une nouvelle route pour se distinguer. Voyons le parti qu'il prit ; applaudissons-nous de la perfection de nos moeurs, & de cette supériorité que nous aimons si fort à nous attribuer.

Curion fit construire deux très-grands théatres de bois assez près l'un de l'autre ; ils étoient si également suspendus chacun sur son pivot, qu'on pouvoit les faire tourner. On représentoit le matin des pieces sur la scène de chacun de ces théatres ; alors ils étoient adossés pour empêcher que le bruit de l'un ne fût entendu de l'autre ; & l'après - midi, quelques planches étant retirées, on faisoit tourner subitement les théatres, & leurs quatre extrêmités réunies formoient un amphithéatre où se donnoient des combats de gladiateurs ; Curion faisant ainsi mouvoir tout-à-la-fois & la scene, & les magistrats, & le peuple romain. Que doit-on ici admirer le plus, l'inventeur ou la chose inventée, celui qui fut assez hardi pour former le projet, ou celui qui fut assez téméraire pour l'exécuter ?

Ce qu'il y a de plus étonnant, c'est l'extravagance du peuple romain ; elle a été assez grande pour l'engager à s'asseoir sur une machine si mobile & si peu solide. Ce peuple vainqueur & maître de toute la terre ; ce peuple qui, à l'exemple des dieux dont il est l'image, dispose des royaumes & des nations, le voilà suspendu dans une machine, applaudissant au danger dont il est menacé. Pourquoi faire si peu de cas de la vie des hommes ? pourquoi se plaindre des pertes que nous avons faites à Cannes ? Une ville abimée dans un gouffre de la terre entr'ouverte remplit l'univers de deuil & d'effroi ; & voilà tout le peuple romain renfermé, pour ainsi dire, en deux vaisseaux, & qui soutenu seulement par deux pivots, regarde, tranquille spectateur, le combat qu'il livre lui-même, en danger de périr au premier effort qui dérangera quelques pieces de ces vastes machines. Est-ce donc en élevant les tribus dans les airs qu'on vient à bout de plaire aux dieux, & de mériter leur faveur ? Que ne fera pas dans la tribune aux harangues, que n'osera entreprendre sur un peuple, celui qui avoit pu lui persuader de s'exposer à un danger pareil ? Il le faut avouer ; ce fut le peuple tout entier qui combattit sur le tombeau du pere de Curion dans la pompe de ses funérailles.

Curion changea l'ordre de sa fête magnifique : car les pivots se trouvant fatigués & dérangés, il conserva le dernier jour la forme de l'amphithéatre, & ayant placé & adossé les scènes (c'est-à-dire ce que nous nommons aujourd'hui théatre), dans tout le diametre de ce même amphithéatre, il donna des combats d'athletes. Enfin, il fit enlever tout-d'un-coup ces mêmes scènes, & fit paroître dans l'arene, tous ceux de ses gladiateurs qui avoient été couronnés les jours précédens. "

Voici quelques réflexions sur ce passage, plein de grandeur & d'éloquence.

Premierement, ces théatres que Pline fait construire à Curion, étoient les portions circulaires ou gradins, sur lesquels le peuple étoit assis ; les anciens ne donnoient point d'autre nom à cette partie. Il n'est pas douteux qu'il n'y eût deux scènes, comme ils les nommoient encore, où les acteurs représentoient, & qui devoient se démonter & se déplacer, pour laisser le passage au théâtre dans son mouvement circulaire ; on sait que ces portions circulaires se terminoient dans tous les théâtres au proscenium, qui faisoit la base du demi-cercle, en même tems qu'il formoit un des côtés du quarré long, destiné pour la scène & les décorations.

2°. Les théâtres de bois aussi souvent répétés que nous le voyons dans l'histoire Romaine, rendirent l'exécution de ceux de Curion plus facile, & donnerent sans-doute la hardiesse de les entreprendre.

3°. Comme ces sortes de théâtres étoient fort grands, & que celui de Marcellus le plus petit de tous, contenoit, dit-on, vingt-deux mille personnes : nous pouvons raisonnablement supposer que ceux de Curion en pouvoient contenir chacun trente mille ; ce qui est assez pour autoriser le discours de Pline, qui regarde les spectateurs, comme le peuple romain tout entier.

4°. Les deux théâtres de Curion étoient si également suspendus chacun sur son pivot, qu'on pouvoit les faire tourner, dit Pline ; or pour cela, il falloit que la fondation fût extrêmement solide & bien de niveau, parce qu'elle devoit porter un poids des plus considérables, & que les plus petites irrégularités de plan auroient interrompu les mouvemens, à l'égard du pivot ; il a dû être composé d'une forte colonne de bronze, bien fondue, bien retenue, & bien fondée dans le massif.

5°. Quant au détail de la charpente du théâtre, on peut s'en éclaircir par plusieurs livres de l'antiquité, où l'on en a donné les desseins ; & M. Boindin en a décrit la forme dans les mém. de l'acad. des Inscriptions.

6°. Pline ajoute, qu'on faisoit tourner subitement chaque théâtre de Curion pour les mettre vis-à-vis l'un de l'autre. Pour cet effet, il est vraisemblable que le peuple sortoit des théâtres après les spectacles du matin. En effet, indépendamment de l'augmentation du poids & du malheur que l'écroulement de quelques parties de la charpente auroit pû causer, malheur auquel ces sortes de fabriques sont d'autant plus sujettes, qu'elles sont fort composées, & malheur dont les Romains avoient des exemples, quoique les constructions ne fussent pas mobiles ; le peuple, disje, ne pouvoit avoir d'autre objet, en demeurant en place, que le plaisir bien médiocre de se voir tourner. Il est du moins certain que les sénateurs, les chevaliers romains, les vestales, les prêtres ; enfin, tous les gens considérables dont les places étoient marquées, se trouvoient obligées d'en sortir le matin, parce qu'elles étoient changées pour le soir.

7°. Enfin, il faut remarquer que Pline ne parle du théâtre de Curion que sur des oui-dire ; il ne l'avoit point vû ; il écrivoit cent trente ans ou environ après que le spectacle avoit été donné. Il semble même que cette machine théâtrale s'étoit encore plus tournée dans les esprits à jetter un ridicule sur le peuple Romain, qu'à la gloire & à la réputation de Curion.

Il y a là-dessus un passage de Plutarque, qui est trop singulier pour n'être pas rapporté. " Favonius, dit-il, ayant été fait édile par le crédit de Caton, celui-ci l'aida à se bien acquiter des fonctions de sa charge, & régla toute la dépense des jeux. Il voulut qu'au lieu de couronnes d'or que les autres donnoient aux acteurs, aux musiciens & aux joueurs d'instrumens, &c. on leur donnât des branches d'olivier, comme on faisoit dans les jeux olympiques ; & au lieu de riches présens que les autres distribuoient, il fit donner aux Grecs quantité de poireaux, de laitues, de raves & de céleri, & aux Romains, des pots de vin, de la chair de pourceau, des figues, des concombres & des brassées de bois.

Enfin, Favonius lui-même alla s'asseoir parmi les spectateurs, où il battit des mains, en applaudissant à Caton, & en le priant de gratifier les acteurs qui faisoient bien, & de les récompenser honorablement. Pendant que cela se passoit dans ce théâtre de Favonius, poursuit Plutarque, Curion l'autre édile donnoit dans un autre théâtre des jeux magnifiques ; mais le peuple quitta les jeux de Curion, pour venir à ceux de Favonius. "

Quoi, le peuple Romain, épris des spectacles raffinés, quitte dans un tems de luxe des fêtes magnifiques, pour se rendre à des jeux ridicules, où il ne recevoit que des figues ou des concombres, au lieu des riches présens qui lui étoient destinés au théâtre de Curion ? Ce trait d'histoire est fort étrange ! mais Caton présidoit aux jeux de Favonius ; & les Romains ne pouvoient se lasser de rendre des hommages à ce grand homme & de marquer la joie qu'ils avoient de voir que leur divin Caton daignoit se relâcher de son austérité, & se prêter pendant quelques jours à leurs jeux & à leurs passe-tems. (D.J.)

THEATRE DE POMPEE, (Archit. décorat. des Rom.) théâtre magnifique bâti de pierres sur des fondemens si solides, qu'il sembloit être bâti pour l'éternité. Il y avoit une espece d'aqueduc pour porter de l'eau dans tous les rangs du théâtre, tant pour rafraîchir le lieu, que pour remédier à la soif des spectateurs.

Pompée revenant de Grèce, apporta le plan du théâtre de Mytilene, & fit construire celui-ci tout semblable. Il pouvoit contenir quarante mille personnes, & étoit orné de tableaux, de statues de bronze & de marbre, transportées de Corinthe, d'Athènes & de Syracuse. Mais une particularité remarquable, c'est que Pompée pour prévenir les caprices du peuple & des magistrats, fit bâtir dans l'enceinte de son théâtre un temple magnifique, qu'il dédia à Vénus la victorieuse ; desorte qu'ayant mis ingénieusement son édifice sous la protection d'une grande déesse, il le fit toujours respecter.

Avant lui, on élevoit des théâtres toutes les fois qu'il falloit représenter des jeux ; ils n'existoient que pendant la durée de ces jeux, & le peuple y assistoit toujours de-bout. Pompée fit un théâtre à demeure & y mit des siéges, nouveau genre de mollesse, inconnu jusqu'alors, & dont les gens sages lui surent mauvais gré, à ce que nous apprend Tacite dans le liv. XIV. de ses annales : Quippè erant qui Cn. quoque Pompeium incusatum à senioribus ferrent, quod mansuram theatri sedem posuisset ; nam anteà subitariis gradibus, & scenâ in tempus structâ ludos edi solitos ; vel si vetustiora repetas stantem populum spectavisse ; si sedeat, theatro dies totos ignaviâ continuabit. (D.J.)

THEATRE DE MARCELLUS, (Archit. décorat. des Rom.) théâtre consacré par Auguste, à la mémoire du jeune Marcellus, son neveu, son fils adoptif, & son gendre, qui, selon Properce, mourut l'an de Rome 731 à l'âge de vingt ans. C'étoit un jeune prince d'un si grand mérite, qu'il faut rappeller au lecteur, les hommages que lui a rendus toute l'antiquité ; & je le ferai d'autant plus volontiers, que j'ai peu de choses à dire du théâtre qui porta son nom.

Horace a loué bien dignement ce jeune héros dans le tems qu'il vivoit encore. " La gloire du vieux Marcellus, dit ce poëte, loin de s'obscurcir, prend un nouveau lustre dans un de ses rejettons, & s'augmente de jour en jour, comme on voit un jeune arbre se fortifier peu-à-peu par des accroissemens insensibles : cette nouvelle lumiere de la maison des Jules, brille entre les premieres familles de Rome, comme l'astre de la nuit brille entre les étoiles. "

Crescit occulto velut arbor aevo

Fama Marcelli : micat inter omnes

Julium sidus, velut inter ignes

Luna minores. L. I. Ode 12.

Tant que le goût des belles choses subsistera dans le monde, on ne cessera de lire sans des transports d'admiration, & sans être émû, l'éloge que Virgile a fait de ce jeune Marcellus ; c'est sans-doute le plus beau morceau du sixieme livre de l'Enéide ; nous avons peut-être déjà dit ailleurs, combien cet endroit attendrit Auguste & Octavie, & combien de larmes il leur fit répandre ; mais quand cette tendre mere entendit ces mots, tu Marcellus eris, elle s'évanouit, & l'on eut bien de la peine à la faire revenir. Auguste fut extrêmement touché de la perte de son gendre, & les Romains dont il étoit les délices, en témoignerent la plus vive douleur à ses funérailles qui se firent dans le champ de Mars. Virgile n'a pas oublié cette anecdote dans son éloge.

Quantos ille virûm magnam Mavortis ad urbem

Campus ages gemitus ! vel quae, Tiberine, videbis

Funera, cùm tumulum praeterlabere recentem !

De combien de gémissemens, & de quels cris sa mort fera retentir le champ de Mars ! Dieu du Tibre, quelle pompe funebre tu verras sur tes bords, lorsqu'on lui élevera un tombeau que tu baigneras de tes ondes !

Sa mort fut un si rude coup pour Octavie, qu'elle ne s'en put jamais consoler. Elle fit donner à Virgile un talent (4700 l.) pour chaque vers de l'éloge de son fils, mais ils réveillerent tellement sa douleur, qu'elle défendit qu'on lui en lût d'autres à l'avenir. Dès ce moment, elle se plongea dans la solitude, & dans une affreuse mélancolie qui dura le reste de ses jours. Pour encourir son indignation, c'étoit assez que d'être mere. Elle ne garda aucun portrait de son fils, & ne voulut plus qu'on lui en parlât. Séneque peint si bien toutes ces choses, en y joignant un tableau si parfait des vertus de Marcellus, que je n'en puis rien supprimer, parce que ce sont des morceaux uniques dans l'histoire.

Octavia Marcellum, cui & avunculus & socer incumbere caeperat, in quem onus imperii reclinare : adolescentem animo alacrem, ingenio potentem ; sed & frugalitatis, continentiaeque in illis aut annis, aut opibus, non mediocriter admirandum ; patientem laborum, voluptatibus alienum ; quantum cùmque imponere illi avunculus, & (ut ità dicam) inaedificare voluisset, laturum. Benè legerat nulli cessura ponderi fundamenta.

Nullum finem, per omne vitae suae tempus, flendi gemendique fecit ; nec ullas admisit voces, salutare aliquid afferentes : ne avocari quidem se passa est. Intenta in unam rem, & toto animo affixa, talis per omnem vitam fuit, qualis in funere : non dico non ausa consurgere, sed allevari recusans : secundam orbitatem judicans, lacrimas omittere. Nullam habere imaginem filii carissimi voluit, nullam sibi fieri de illo mentionem. Oderat omnes matres, & in Liviam maximè furebat ; quia videbatur ad illius filium transiisse sibi promissa felicitas.

Tenebris & solitudini familiarissima, ne ad fratrem quidem respiciens, carmina celebrandae Marcelli memoriae composita, aliosque studiorum honores rejecit, & aures suas adversus omne solatium clausit, à solemnibus officiis seducta, & ipsam magnitudine fraternae nimis circumlucentem fortunam exosa, defodit se, & abdidit. Assidentibus liberis, nepotibus lugubrem vestem non deposuit ; non sine contumeliâ omnium suorum, quibus salvis orba sibi videbatur. Senec. consol. ad Mariam, cap. ij.

Pour revenir au théâtre qu'Auguste consacra à la mémoire du jeune Marcellus ; il contenoit, dit-on, 22 mille personnes, & c'est le plus petit des théâtres qui se voyoient à Rome. Le diamêtre intérieur du demi cercle de ce théâtre, étoit de 194 piés antiques, & le diamêtre extérieur de 417. Il étoit situé dans la neuvieme région ; l'on en voit aujourd'hui les ruines dans la place Montanara, où est le palais Savelli au quartier Ripae de Rome moderne. (D.J.)

THEATRE DES GRECS, (Archit. grecq.) de toutes les matieres dont les auteurs anciens ont traité, celle de la construction de leurs théâtres est la plus obscure & la plus tronquée. Vitruve lui-même y laisse les gens à moitié chemin, & ne donne ni les dimensions, ni la situation, ni le nombre des principales parties qu'il supposoit être assez connues, ne s'imaginant pas qu'elles dussent jamais périr ; par exemple, il ne détermine point la quantité des diazoma ou praecinctiones, que nous appellons indifféremment corridors, retraites ou paliers. En même tems dans les choses qu'il a spécifiées il établit des regles, que nous voyons actuellement n'avoir pas été observées, comme quand il donne de deux sortes de hauteurs à la construction de ses degrés, & cependant ni l'une ni l'autre ne s'accorde aucunement à ce qui nous reste des amphithéâtres & des théâtres de l'antiquité.

Entre les modernes, le jésuite Gallutius Sabienus & le docte Scaliger ont négligé le plus essentiel ; tandis que l'amas informe des citations de Bulengerus épouvante ceux qui le veulent déchiffrer. On auroit beau consulter les auteurs qu'il a cités, Athénée, Hésychius, Pollux, Eustathius, Suidas & les autres, toutes les lumieres qu'ils donnent sont si foibles, qu'elles ne peuvent servir de rien sans l'inspection du terrein. Ainsi la curiosité de M. de la Guilletiere l'ayant mis en tête d'en faire un plan exact, il eut recours aux mesures actuelles des parties qui subsistent encore à Athènes, & aux présomptions convaincantes prises de ces auteurs qui ayant marqué à quel usage étoient destinées les parties qui ne subsistent plus, fournissent des préjugés infaillibles de l'étendue qu'elles avoient.

Pour cet effet, il se servit d'une mesure divisée selon le pié commun des Athéniens, & selon le pié de roi qui surpasse l'athénien de huit à neuf lignes ; de sorte que trois de nos piés françois gagnent un peu plus de deux pouces sur trois piés athéniens, & parlà cent de leurs piés répondent à 94 piés, & environ 6 pouces de notre mesure françoise, rejettant les petites fractions pour éviter ici les minuties du calcul.

Par le mot de théâtre, les anciens entendoient tout le corps d'un édifice où l'on s'assembloit pour voir les représentations publiques. Le fameux architecte Philon fit bâtir à Athènes celui de Bacchus du tems de Périclès, il y a plus de deux mille ans, & le dessein de Philon fut encore suivi par Ariobarsane, roi de Cappadoce, qui le rétablit, & par l'empereur Adrien qui le répara ; son dehors étoit composé de trois rangs de portiques élevés l'un sur l'autre ; & à l'égard du dedans, comme il avoit des lieux principaux, le lieu des spectateurs & le lieu des spectacles, chacun des deux étoit composé de ses parties différentes. Les parties qui composoient le lieu des spectateurs s'appelloient le conistra ou parterre ; les rangs des degrés, le diazoma ou corridor ; les gradins ou petits escaliers, le cercys & les échos. Les autres parties qui appartenoient au lieu des spectacles s'appelloient l'orchestre, l'hyposcénion, le logéon ou thimélé, le proscénion, le parascénion & la scene.

Pour tracer le plan de l'édifice, on avoit donc décrit un cercle d'un demi-diamêtre de 47 piés & 3 pouces ; & du même cercle, on avoit retranché le quart en tirant la corde de quatre-vingt-dix degrés. Cette corde déterminoit le front de la scène ou la face des décorations, car proprement le mot de scène ne signifioit autre chose.

La petite partie du diamêtre que la corde de quatre-vingt-dix degrés avoit retranchée au derriere de la scène, étoit d'environ quatorze piés ; & à dix-huit piés de cette corde, allant vers le centre du cercle, on avoit tiré une ligne parallele à la face ou au-devant du proscénion, c'est ainsi qu'ils appelloient un exhaussement ou plate-forme qui servoit de poste aux comédiens, desorte que l'enfoncement ou la largeur de ce poste étoit de dix-huit piés ; & la face ou devant du proscénion retranchoit cent quarante-deux degrés, quarante-six minutes, de la circonférence du cercle : le reste, à savoir deux cent dix-sept degrés, quatorze minutes, déterminoit l'enceinte intérieure de l'édifice, dont le trait surpassoit le demi-cercle contre l'opinion de beaucoup de gens qui ont écrit que la figure du théâtre grec étoit un hémicicle.

C'est le terrein de toute cette enceinte, que les Athéniens appelloient conistra, c'est-à-dire le parterre ; les Romains le nommoient l'arène. A Athènes, l'orchestre occupoit une partie du conistra, d'où vient que quelques-uns, prenant la partie pour le tout, l'appellerent aussi l'orchestre. Cette usurpation de mots est particulierement venue des Romains, sur quoi l'on remarquera qu'encore que le théâtre romain eût à-peu-près les mêmes parties que celui d'Athènes, & que ces parties eussent presque les mêmes noms, il y avoit une notable différence dans leurs proportions, dans leurs situations & dans leurs usages ; mais il n'est ici question que du théâtre des Grecs.

La structure intérieure du théâtre regnoit donc en arc-de-cercle jusqu'aux deux encoignures de la face du proscénion ; sur cette portion de circonférence s'élevoient vingt-quatre rangs de sieges par étages qui régnoient circulairement autour du conistra ou parterre, pour placer les spectateurs.

Toute la hauteur de ces rangs étoit divisée de huit en huit rangs, par trois corridors, retraites ou palliers, que les Athéniens appelloient diazoma. Ils suivoient la courbure des rangs, & servoient à faire passer les spectateurs d'un rang à l'autre, sans incommoder ceux qui étoient déja placés. Et, pour la même commodité, il y avoit de petits escaliers ou gradins, qui alloient de haut en-bas d'un corridor à l'autre au-travers des rangs, pour monter & descendre sans embarrasser. Il y avoit auprès de ces gradins des passages qui donnoient dans les portiques de l'enceinte extérieure, & c'étoit par ces passages qu'entroient les spectateurs pour se venir placer sur les rangs.

Les meilleures places étoient sur les huit rangs, compris entre le huitieme & le dix-septieme ; c'est ce qu'ils appelloient bouleuticon, destiné particulierement pour les officiers de judicature. Les autres rangs s'appelloient éphébicon, où se plaçoient les citoyens, dès qu'ils entroient dans leur dix-neuvieme année.

La hauteur de chacun de ces rangs de degrés étoit de treize à quatorze pouces, la largeur environ de vingt-deux. On ne laissoit pas d'y être assis fort commodément. Théophraste dit que les plus riches y portoient chacun un petit carreau. Le plus bas rang avoit presque quatre piés de hauteur sur le niveau de la campagne. Chaque marche des petits escaliers ou gradins n'avoit que la moitié de la hauteur, & la moitié de la largeur d'un des rangs de degrés. Pour les corridors, la largeur & la hauteur de chacun d'eux étoit double de la hauteur & de la largeur des mêmes rangs ; mais les escaliers n'étoient point paralleles l'un à l'autre, car si on eût prolongé le trait de leur alignement depuis la plus haute de leurs marches jusqu'à la plus basse, toutes ces lignes produites se seroient venues couper du côté du parterre. Ainsi les degrés compris entre deux escaliers ou gradins, faisoient la figure d'un coin étroit par en-bas, & large par en-haut : d'où vient que les Romains les appelloient cunei. Pour empêcher que la pluie gâtât rien à toutes ces marches, on leur avoit donné une petite pente, par où les eaux s'écouloient.

Le long de chaque corridor, il y avoit de distance en distance dans l'épaisseur du bâtiment des petits réduits ou cellules, appellées echaea, qui étoient occupés par des vaisseaux d'airain en façon de tonneaux, chaque vaisseau étoit ouvert par un de ses fonds ; ce fond-là étoit tourné vers la scène, & y regardoit par de petites ouvertures qu'avoit chaque réduit pour un usage admirable que je dirai dans la suite, la répercussion de la voix.

Au-dessus du troisieme corridor s'élevoit une galerie ou portique, qui s'appelloit cercys. C'étoit-là que les Athéniens plaçoient leurs femmes : celles d'une vie déréglée avoient un lieu séparé. On mettoit aussi dans le cercys les étrangers & les amis de province ; car il falloit nécessairement avoir le droit de bourgeoisie, pour être placé sur les degrés ; il y avoit même des places qui appartenoient en propre à des particuliers ; & c'étoit un bien de succession, qui alloit aux aînés de la maison.

Le théâtre des Grecs n'étoit pas de la capacité de celui que l'édile Marcus Scaurus fit bâtir à Rome, où il y avoit place pour soixante-dix-neuf mille hommes. Il sera facile aux Géometres de savoir, par exemple, le nombre des spectateurs que contenoit le théâtre de Bacchus à Athènes. L'arc d'un pié & demi est ce qu'on donne ordinairement pour la place qu'un homme peut occuper ; mais on remarquera que, comme les assemblées du peuple s'y faisoient quelquefois pour régler les affaires d'état, il falloit du-moins qu'il pût contenir six mille hommes ; car les loix attiques vouloient positivement qu'il y eût au-moins six mille suffrages pour autoriser un decret du peuple.

Voilà ce qui regarde le lieu des spectateurs. Quant au-lieu des spectacles, l'orchestre, qui étoit une estrade, une élévation dans le conistra ou parterre, commençoit à-peu-près à cinquante-quatre piés de la face du proscénion ou poste des comédiens, & venoit finir sur le trait du même proscénion ; la hauteur de l'orchestre étoit environ de quatre piés, autant qu'en avoit le premier rang des degrés sur le rez-de-chaussée. La figure de son plan étoit un quarré long, détaché des sieges des spectateurs ; c'étoit dans un endroit de l'orchestre que nous allons décrire, que se mettoient les musiciens, le choeur & les mimes. Chez les Romains, elle avoit un plus noble usage, car l'empereur, le sénat, les vestales & les autres personnes de qualité y avoient leurs sieges.

Sur le plan de l'orchestre d'Athènes, tirant vers le poste des comédiens, il y avoit un autre exhaussement ou petite plate-forme, nommée logéon ou thimélé. Les Romains l'appelloient pulpitum. Le logéon étoit élevé environ neuf piés sur le rez-de-chaussée, & cinq sur le plan de l'orchestre. Sa figure étoit un quarré de vingt-quatre piés à chaque face. C'étoit-là que venoient les mimes pour marquer les entre-actes de la piece, & c'étoit-là que le choeur faisoit ses récits.

Au pié du logéon sur le même plan de l'orchestre, il y avoit une enceinte de colonnes qui enfermoit un espace de l'orchestre, appellé hyposcénion. Voilà la partie du théâtre grec, que les écrivains modernes ont le plus mal entendue. Les uns l'ont confondue avec le podion ou balustrade, qui étoit entre le proscénion & la scène du théâtre romain, ce qu'on peut convaincre d'absurdité par la différence de leurs situations & de leurs usages. Quelques autres disent que l'hyposcénion étoit la face du proscénion, comprise depuis le niveau de l'orchestre jusqu'à l'esplanade du proscénion ; cette derniere opinion n'est pas mieux fondée.

L'hyposcénien étoit un lieu particulier pratiqué sur l'orchestre, comme un réduit dégagé pour la commodité des joueurs d'instrumens & des personnages du logéon ; car le choeur & les mimes se tenoient dans l'hyposcénion, jusqu'à ce que les nécessités de la représentation les obligeassent à monter sur le logéon pour l'exécution de leurs rôles. Les poëtes mêmes venoient dans l'hyposcénion, & c'est ce qui est justifié par Athénée, quand il raconte qu'Asopodore Phliasien se mocqua plaisamment des injustes acclamations du théâtre, où bien souvent les mauvaises choses sont applaudies ; il observe que cet Asopodore étant encore dans l'hyposcénion, & entendant l'approbation éclatante que le peuple donnoit à un joueur de flûte, " qu'est-ceci, s'écria-t-il, vous verrez qu'on vient d'admirer quelque nouvelle sottise " ? Il paroît de-là qu'Athénée ne considere pas l'hyposcénion comme une simple façade, mais comme un lieu & espace où étoit Asopodore, soit qu'il y fût pour y demeurer tout le long du spectacle, soit qu'il n'y fut qu'en passant.

Pollux est d'accord avec Athénée touchant l'hyposcénion, & confirme la véritable définition de cette partie du théatre. Je ne rapporterai pas le grec de Pollux, qu'on peut lire dans le xix. chapitre de son IV. livre ; mais voici le latin de Seberus : hyposcenium autem columnis & imaginibus ornatum erat, ad theatrum conversum, pulpito subjacens. Et vous remarquerez que, dans le grec, il y a formellement le mot de logéon, que Seberus a rendu par le mot de pulpitum.

L'enceinte de l'hyposcénion étoit parallele à celle du logéon. Sa largeur pouvoit être de six à sept piés ; mais enfin le logéon, l'hyposcénion, l'orchestre & le conistra sont les quatre endroits que beaucoup de gens ont confondus sous le mot d'orchestre, comme les endroits suivans ont été compris sous le mot de scène.

Le proscénion ou poste des comédiens s'élevoit de deux piés au-dessus du logéon ; desorte qu'il avoit environ sept piés de hauteur sur l'orchestre, & onze sur le rez-de-chaussée ; & il ne faut pas s'imaginer qu'un aussi grand architecte que Philon eût donné sans raison toutes ses diverses élévations aux différens postes de ses théâtres. Outre les égards de la vue, il les avoit ainsi ménagés, afin que le son des instrumens & la voix des acteurs se pussent porter avec une distribution égale aux oreilles des spectateurs, selon les diverses hauteurs des degrés qu'ils occupoient. Sur le proscénion, il y avoit un autel, que les Athéniens appelloient agyéus, consacré à Apollon.

La scène, selon ce que nous avons déja remarqué, n'étoit autre chose que les colonnes & les ornemens d'architecture qui étoient élevés dans le fond & sur les aîles du proscénion, & qui en faisoient la décoration. Quand il y avoit trois rangs de colonnes l'un sur l'autre, le plus haut s'appelloit episcénion. Agatarchus a été le premier décorateur qui a travaillé aux embellissemens de la scène, selon les regles de la perspective ; Eschyle l'avoit instruit.

On appelloit en général parascénion l'espace qui étoit devant & derriere la scène, & on donnoit aussi ce nom à toutes les avenues & escaliers, par où l'on passoit des postes de la musique aux postes de la comédie. Voilà comment, sous le nom de scène, on a confondu le proscénion, le parascénion & la scène.

Les Athéniens employoient souvent des machines ; la principale s'appelloit théologéon. Elle étoit élevée en l'air, & portoit les dieux que le poëte introduisoit. C'est de celle-là que les savans de l'antiquité ont tant condamné l'usage, parce qu'elle servoit de garant à la stérilité du mauvais poëte ; & quand il avoit embarrassé l'intrigue de son sujet, aulieu d'en sortir par des moyens ingénieux & par un dénouement naturel, il s'en tiroit d'affaire en introduisant sur le théologéon un dieu qui, de pure autorité & par un contre-tems ridicule, ramenoit des pays éloignés un homme absent de sa patrie, rendoit tout-à-coup la santé à un malade, ou la liberté à un prisonnier. Aussi les Athéniens en avoient fait un mot de raillerie ; & quand ils voyoient un homme déconcerté, ils s'écrioient en se mocquant, apo micanis. A leur exemple, les critiques de Rome disoient en pareille occasion, deus è machinâ.

Cependant il ne falloit pas que la comédie des anciens fût toujours aussi ridicule qu'on l'imagine à cet égard. Quand les dieux paroissoient sur le théologéon on n'entendoit rien que de bon : voici ce que le plus éloquent des Romains a dit de cette machine, ex eâ dii effata saepè fabantur, homines ad virtutem excitabant, à vitio deterrebant.

L'enceinte extérieure de l'édifice étoit toute de marbre, & composée de trois portiques l'un au-dessus de l'autre, dont le cercys étoit le plus élevé.

Il n'y avoit point de toît qui couvrît ce spectacle. Pour le théâtre de Regilla, qui étoit auprès du temple de Thésée, il étoit couvert magnifiquement, & avoit une charpente de cèdre. L'odéon ou théâtre de musique avoit aussi un toît, & Plutarque vous dira comment sa couverture donna lieu au poëte comique Cratinus, de railler ingénieusement Periclès qui en avoit pris soin. Au théâtre de Bacchus il n'y avoit rien de découvert que le proscénion & le cercys : aussi comme les Athéniens y étoient exposés aux injures de l'air, ils y venoient d'ordinaire avec de grands manteaux pour se garantir du froid & de la pluie ; & pour se défendre du soleil, ils avoient un sciadion qui est notre parasol. Les Romains en portoient aussi au théâtre, & l'appelloient umbella : de cette maniere, s'il arrivoit quelque orage inopiné, la représentation étoit interrompue, & les spectateurs se sauvoient, ou sous les portiques de l'enceinte extérieure, ou sous le portique d'Eumenicus qui joignoit au théâtre. Quoique le temple de Bacchus en fût proche, il n'étoit pas possible de s'y retirer, car on ne l'ouvroit qu'une fois l'année. Cependant quand la comédie se donnoit dans le fort de l'été, la magnificence des Athéniens enchérissoit par mille artifices, sur la non-température des beaux jours : ils faisoient exhaler par-tout le théâtre des odeurs agréables, & le plus souvent on y voyoit tomber une petite pluie de liqueurs odoriférantes ; car le troisieme corridor, & le cercys, étoient ornés d'une infinité de riches statues, qui par des tuyaux cachés, jettoient une grande rosée sur le spectacle, & tempéroient ainsi les chaleurs du tems & d'une si nombreuse assemblée.

Mais on ne sait pas si les Athéniens pratiquoient au théâtre une chose assez curieuse que Varron remarque des Romains. A Rome, quand on croyoit être retenu trop long-tems au théâtre par les charmes de la représentation, les peres de famille portoient dans leur sein des colombes domestiques, qui leur servoient à envoyer des nouvelles à leur maison : ils attachoient un billet à la colombe, lui donnoient l'essor, & elle ne manquoit pas d'aller porter au logis les ordres de son maître.

Les représentations ne se faisoient que de jour. A Rome, quand Lentulus Spinther se fut avisé de couvrir les théâtres de toile, on y jouoit quelquefois la nuit. Le droit d'entrer au théâtre de Bacchus coûtoit à chaque citoyen, tantôt deux oboles, tantôt trois ; l'obole valoit environ deux ou trois sols de notre monnoie de France. Cet argent n'étoit employé qu'aux petites réparations du bâtiment ; car les personnes de la premiere qualité faisoient les frais du pompeux appareil des représentations, & l'on tiroit au sort un homme de chaque tribu, qui étoit obligé de faire cette dépense. A la création des archontes ou premiers magistrats, on donnoit au public cinq ou six différentes comédies, où l'émulation des concurrens pour le prix de la poésie & de la musique les transportoit de telle sorte, que les poëtes, Alexis & Cléodeme, moururent publiquement de joie sur la scène de ce théâtre, au milieu des applaudissemens du prix qu'ils venoient de gagner. La brigue & la cabale déroboient quelquefois la victoire au mérite ; on sait le bon mot de Ménandre, qui voyant le poëte Philémon triompher à son préjudice par la corruption des suffrages, le vint trouver au milieu de la multitude, & lui dit froidement : N'as-tu pas honte de m'avoir vaincu ? Ménandre, en cinquante ans qu'il a vécu, a composé cent & cinq comédies, & n'en a eu que huit qui aient été favorisées du triomphe : pour Euripide, qui a fait autant de tragédies qu'il a vécu d'années, savoir soixante & quinze, il n'a remporté le prix que de cinq.

Voilà quel étoit le théâtre de Bacchus, qui ne servoit pas seulement aux jeux publics & aux assemblées de l'état, puisque les philosophes les plus fameux y venoient encore expliquer leur doctrine à leurs écoliers ; & en général les théâtres n'étoient pas si fort décriés parmi les premiers chrétiens, que l'on veut nous le faire croire ; les premieres prédications du christianisme y ont été prononcées ; Gaius & Aristarchus furent enlevés du théâtre d'Ephese comme ils y expliquoient l'Evangile, & S. Paul fut prié par ses disciples de ne s'y pas présenter, de peur d'une pareille violence.

Mais avant que d'avoir examiné la construction de celui d'Athènes, M. de la Guilletiere n'auroit pas cru, que de tous les ouvrages de la belle & curieuse architecture, ce fut celui-là qui demanda les plus grands efforts de l'art. Ce n'avoit pas été assez à Philon d'y employer un excellent architecte, une agréable symmétrie par le juste rapport des parties de main droite aux parties de main gauche, & par l'ingénieuse convenance des parties supérieures aux inférieures, il affecta d'y travailler en musicien & en médecin. Comme la voix se seroit perdue dans un lieu vaste & découvert, & que le bâtiment étant de marbre, il ne se faisoit point de repercussion pour la soutenir, Philon pratiqua des réduits ou cellules dans l'épaisseur des corridors, où il plaça les vaisseaux d'airain dont j'ai parlé, echaea ; ils étoient soutenus dans leurs petites cellules par des coins de fer, ne touchoient point à la muraille, & on les avoit disposés desorte que la voix sortant de la bouche des acteurs comme d'un centre, se portoit circulairement vers les corridors ou paliers, & venoit frapper la concavité des vaisseaux, qui renvoyoient le son plus fort & plus clair. Mais les instrumens des musiciens qui étoient placés dans l'hyposcénion, y avoient encore de plus grands avantages ; car on avoit situé ces vaisseaux d'airain avec une telle proportion mathématique, que leur distance s'accordoit aux intervalles & à la modulation de la musique ; chaque ton différent étoit soutenu par la repercussion de quelqu'un de ces vaisseaux placé méthodiquement pour cela : il y en avoit vingt-huit.

C'est ici qu'il faut que je justifie ce que j'ai avancé ci-dessus, quand j'ai dit que Vitruve avoit mal déterminé le nombre des diazoma ou paliers : de prétendre qu'il ait justifié ce nombre, quand il a dit que les echaea étoient sur ces paliers, & qu'il y avoit trois rangs d'echaea dans les grands théâtres, deux rangs dans les moyens, & un rang dans les petits, ce seroit trop prétendre. En effet, comment distinguerons-nous ce qui est grand, médiocre & petit, à-moins qu'on ne nous donne les mesures actuelles de l'un ou de l'autre ? Vitruve ne nous en a rien déterminé par des déterminations de l'usage, lui qui nous a marqué en mesures romaines l'étendue de quelques-autres parties du théâtre beaucoup moins importantes ; car pour les proportions fondées sur les parties du diamêtre de l'orchestre, elles sont semblables dans ces trois ordres de théâtres, & ne distinguent pas le grand du petit : ainsi cette expression vague de Vitruve n'a pas déterminé véritablement le nombre des paliers.

A ces soins de l'harmonie du théâtre grec on avoit ajouté les soins de la médecine. L'excellent architecte étant toujours garant de la santé de ceux qu'il loge & de ceux qu'il place, Philon n'avoit pas cru indigne de ses réflexions, de considérer que sans le secours de son art, la joie des spectacles agitant extraordinairement les corps, pouvoit causer de l'altération dans les esprits. Il y pourvut par la disposition du bâtiment, par la judicieuse ouverture des jours ou entre-colonnes, & par l'économie des vents salutaires & des rayons du soleil, dont il sut ménager le cours & le passage : sur-tout il eut égard au vent d'occident, parce qu'il a une force particuliere sur l'ouïe, & qu'il porte à l'oreille les sons de plus loin & plus distinctement que les autres ; & comme ce vent est ordinairement chargé de vapeurs, ce fut un chef-d'oeuvre de l'art, de tourner les jours des portiques avec tant de justesse, que l'intempérie de l'ouest ne causât point de rhumes en interceptant la transpiration ; ainsi dans son théâtre la scène regardoit la montagne de la citadelle, & avoit à dos la colline de Cynosargue ; celle du Muséon étoit à main droite, & le chemin ou la rue du Pyrée étoit à gauche.

Il ne reste rien aujourd'hui du portique d'Eumenicus qui étoit derriere la scène ; mais c'étoit un double portique, composé de deux allées, divisées l'une de l'autre par des colonnes. Le plan du portique étoit élevé sur le rez-de-chaussée, de-sorte que de la rue on n'y entroit pas de plain-pié, mais on y montoit par des perrons : il formoit un quarré long, & l'espace de terre qu'il renfermoit étoit embelli de palissades & de verdure, pour réjouir la vue de ceux qui se promenoient dans le portique ; on y faisoit les répétitions des ouvrages de théâtre, comme les répétitions de la symphonie se faisoient dans l'odéon.

Il seroit à souhaiter qu'il y eût dans nos villes un portique d'Eumenicus, non pas pour régler l'économie des ouvrages de théâtre, comme à Athènes, mais pour en réformer la morale, & condamner au silence les auteurs du bas ordre qui deshonorent la scène, en blessant la pudeur par de grossieres équivoques. (D.J.)

THEATRE ANATOMIQUE, (Architect.) c'est dans une école de médecine ou de chirurgie, une salle avec plusieurs siéges en amphithéâtre circulaire, & une table posée sur un pivot, au milieu, pour la dissection & la démonstration des cadavres : tel est le théâtre anatomique du Jardin-royal des plantes à Paris. (D.J.)

THEATRE D'EAU, (Archit. hydraul. Décorat.) c'est une disposition d'une ou plusieurs allées d'eau, ornées de rocailles, de figures, &c. pour former divers changemens dans une décoration perspective, & pour y représenter des spectacles : tel est le théâtre d'eau de Versailles. (D.J.)

THEATRE, (Marine) on appelle ainsi sur la Méditerranée un château d'avant. Voyez CHATEAU.

THEATRE DE JARDIN, (Décorat. de Jardins) espece de terrasse élevée sur laquelle est une décoration perspective d'allées d'arbres, ou de charmille, pour jouer des pastorales. L'amphithéâtre qui lui est opposé, a plusieurs degrés de gazon ou de pierre ; & l'espace le plus bas entre le théâtre & l'amphithéâtre ; tient lieu de parterre.

On met encore au nombre des théâtres de jardin, les théâtres de fleurs. Ceux-ci consistent dans le mêlange des pots avec les caisses, ou dans l'arrangement que l'on fait par symmétrie sur des gradins & estrades de pierre, de bois, ou de gazon. Les fleurs propres pour cela sont l'oeillet, la tubéreuse, l'amarante, la hyacinthe, l'oreille d'ours, la balsamine, le tricolor & la giroflée. (D.J.)

THEATRE, (Fabrique de poudre à canon) on nomme théâtre dans les moulins à poudre, de grands échafauds de bois élevés de terre de quelques piés, sur lesquels, après que la poudre a été grenée, on l'expose au soleil le plus ardent, pour être entierement séchée, l'humidité étant ce qu'il y a de plus pernicieux à cette sorte de marchandise ; ces théâtres sont couverts de grandes toiles, ou especes de draps, sur lesquels on étend la poudre. C'est au sortir de-là qu'elle se met en barrils. (D.J.)

THEATRE, terme de riviere, pile de bois flotté ou neuf.


THEBAE(Géog. anc.) nom de plusieurs villes que nous allons indiquer, en les distinguant par des chiffres.

1°. Thebae, ville de la haute Egypte, & à la droite du Nil pour la plus grande partie. C'est une très-ancienne ville qui donna son nom à la Thébaïde, & qui le pouvoit disputer aux plus belles villes de l'univers. Ses cent portes chantées par Homere, Iliad. j. v. 381. sont connues de tout le monde, & lui valurent le surnom d'Hécatonpyle. On l'appella pour sa magnificence Diospolis, la ville du Soleil ; cependant dans l'itinéraire d'Antonin, elle est simplement nommée Thebae. Les Grecs & les Romains ont célebré sa grandeur, quoiqu'ils n'en eussent vu en quelque maniere que les ruines ; mais Pomponius Méla, l. I. c. jx. a exagéré sa population plus qu'aucun autre auteur, en nous disant avec emphase qu'elle pouvoit faire sortir dans le besoin dix mille combattans par chacune de ses portes.

Le nom de cette ville de Thebes ne se trouve pas dans le texte de la vulgate ; on ignore comment les anciens Hébreux l'appelloient ; car il est vraisemblable que le No-Ammon dont il est souvent parlé dans les prophêtes Ezéchiel, xxx. 14. Nahum, iij. 8. Jérem. xlvj. 25. est plutôt la ville de Diospolis dans la basse Egypte, que la Diospolis magna, ou la Thebae de la haute Egypte. Quoi qu'il en soit, cette superbe ville a eu le même sort que Memphis & qu'Alexandrie, on ne la connoît plus que par ses ruines.

2°. Thebae, ville de Grèce, dans la Béotie, sur le bord du fleuve Ismenus & dans les terres ; ceux du pays la nomment aujourd'hui Thiva ou Thive, & non pas Stiva ni Stives, comme écrit le P. Briet. Voyez THIVA.

Thebae, ou comme nous disons en françois Thebes, fut ainsi nommée, selon Pausanias, de Thébé, fille de Prométhée. Cette ville capitale de la Béotie, fameuse par sa grandeur & par son ancienneté, l'étoit encore par les disgraces de ses héros. La fin tragique de Cadmus son fondateur, & d'Oedipe l'un de ses rois, qui tous deux transmirent leur mauvaise fortune à leurs descendans ; la naissance de Bacchus & d'Hercule ; un siege soutenu avant celui de Troie, & divers autres événemens historiques ou fabuleux, la mettoient au nombre des villes les plus renommées ; Amphion l'entoura de murailles, & persuada par son éloquence aux peuples de la campagne de venir habiter sa ville. C'est ce qui fit dire aux poëtes qu'Amphion avoit bâti les murailles de Thebes au son de sa lyre, qui obligeoit les pierres à se placer d'elles-mêmes par-tout où il le falloit. Bientôt la ville de Cadmus ne devint que la citadelle de Thebes qui s'aggrandit, & forma la république des Thébains. Voyez THEBAINS.

Cette république fut élevée pendant un moment au plus haut point de grandeur par le seul Epaminondas ; mais ce héros ayant été tué à la bataille de Mantinée, Philippe plus heureux, se rendit maître de toute la Béotie, & Thebes au plus haut point de grandeur fut soumise au roi de Macédoine. Alexandre en partant pour la Thrace, y mit une garnison macédonienne, que les habitans égorgerent sur les faux-bruits de la mort de ce prince. A son retour il assiégea Thebes, la prit, & par un terrible exemple de sévérité, il la détruisit de fond en comble. Six mille de ses habitans furent massacrés, & le reste fut enchaîné & vendu. On connoît la description touchante & pathétique qu'Eschine a donnée du saccagement de cette ville dans sa harangue contre Ctésiphon. Strabon assure que de son tems, Thebes n'étoit plus qu'un village.

Ovide par une expression poétique dit qu'il n'en restoit que le nom ; cependant Pausanias, qui vivoit après eux, fait encore mention de plusieurs statues, de temples, & de monumens qui y restoient, il seroit maintenant impossible d'en pouvoir justifier quelque chose.

Mais il reste à la gloire de Thebes, la naissance du plus grand de tous les poëtes lyriques, du sublime Pindare ; qui lui-même appelle Thebes sa mere. Ses parens peu distingués par leur fortune, tiroient cependant leur origine des Aegides, tribu considérable à Sparte, & d'où sortoit la famille d'Arcésilas roi des Cyrénéens, à laquelle Pindare prétendoit être allié. Quoique les auteurs varient sur le tems de sa naissance, l'opinion de ceux qui la placent dans la 65 olympiade, l'an 520 avant J. C. paroît la mieux fondée. " Ce poëte, dit Pausanias, étant encore dans sa premiere jeunesse, un jour d'été qu'il alloit à Thespies, il se trouva si fatigué de la chaleur, qu'il se coucha à terre près du grand chemin, & s'endormit. Durant son sommeil, des abeilles vinrent se reposer sur ses levres, & y laisserent un rayon de miel ; ce qui fut comme un augure de ce que l'on devoit un jour entendre de lui ".

Il prit des leçons de Myrtis, femme que distinguoit alors son talent dans le poëme lyrique. Il devint ensuite disciple de Simonide de Lasus, ou d'Agathocle, qui excelloit dans ce même genre de poésie ; mais il surpassa bientôt tous ses maîtres, & il brilloit déjà au même tems que le poëte Eschyle se signaloit chez les Athéniens dans le poëme dramatique.

La haute réputation de Pindare pour le lyrique, le fit chérir de plusieurs princes ses contemporains, & sur-tout des athletes du premier ordre, qui se faisoient grand honneur de l'avoir pour panégyriste, dans leurs victoires agonistiques ; Alexandre fils d'Amyntas, roi de Macédoine, renommé par ses richesses, étoit doué d'un goût naturel pour tous les beaux arts, & principalement pour la poésie & pour la musique. Il prenoit à tâche d'attirer chez lui par ses bienfaits, ceux qui brilloient en l'un & l'autre genre, & il fut un des admirateurs de Pindare, qu'il honora de ses libéralités. Ce poëte n'eut pas moins de crédit à la cour de Gélon & d'Hiéron, tyrans de Syracuse ; & de concert avec Simonide, il contribua beaucoup à cultiver & orner l'esprit de ce dernier prince, à qui son application continuelle au métier de la guerre, avoit fait négliger totalement l'étude des belles-lettres ; ce qui l'avoit rendu rustique, & d'un commerce peu gracieux.

Clément Alexandrin donne Pindare pour l'inventeur de ces danses, qui dans les cérémonies religieuses, accompagnoient les choeurs de musique, & qu'on appelloit hyporchemes. Il est du-moins certain, que non-seulement il chanta les dieux par des cantiques admirables, mais encore qu'il leur éleva des monumens. Il fit ériger à Thebes, proche le temple de Diane, deux statues, l'une à Apollon, l'autre à Mercure. Il fit construire pour la mere des dieux & pour le dieu Pan, au-delà du fleuve Dircé, une chapelle où l'on voyoit la statue de la déesse, faite de la main d'Aristomede & de celle de Socrate, habiles sculpteurs thébains. La maison de Pindare étoit tout auprès, & l'on en voyoit encore les ruines du tems de Pausanias.

Ces marques de piété ne lui furent point infructueuses. Les dieux ou leurs ministres eurent soin de l'en récompenser. Le bruit se répandit que le dieu Pan aimoit si fort les cantiques de Pindare, qu'il les chantoit sur les montagnes voisines ; mais ce qui mit le comble à sa gloire, dit Pausanias, ce fut cette fameuse déclaration de la Pythie, qui enjoignoit aux habitans de Delphes de donner à Pindare la moitié de toutes les prémices qu'on offroit à Apollon : en conséquence, lorsque le poëte assistoit aux sacrifices, le prêtre lui crioit à haute voix de venir prendre sa part au banquet du Dieu. Voilà quelle fut la reconnoissance des Péans que sa muse lui avoit dictés à la louange d'Apollon, & qu'il venoit chanter dans le temple de Delphes, assis sur une chaise de fer, qu'on y montroit encore du tems de Pausanias, comme un reste précieux d'antiquité.

Pindare étoit aimé de ses citoyens & des étrangers, quoiqu'il ait découvert en plusieurs occasions un caractere intéressé, en insinuant à ses héros, que c'est au poids de l'or qu'on devoit payer ses cantiques. Il n'étoit pas moins avide de louanges, & semblable à ses confreres, il ne se les épargnoit pas lui-même dans les occasions ; en cela, il fut l'écho de toute la Grèce.

La grossiéreté de ses compatriotes étoit honteuse. Nous lisons dans Plutarque, que pour adoucir les moeurs des jeunes gens, ils permirent par les loix un amour qui devroit être proscrit par toutes les nations du monde. Pindare épris de cet amour infame pour un jeune homme de ses disciples nommé Théoxène, fit pour lui des vers bien différens de ceux que nous lisons aujourd'hui dans ses odes. Athénée nous a conservé des échantillons d'autres poésies qu'il fit pour des maîtresses ; & il faut convenir que ces échantillons nous font regretter la perte de ce que ce poëte avoit composé en ce genre, dans lequel on pourroit peut-être le mettre en parallele avec Anacréon & Sapho.

Il eut des jaloux dans le nombre de ses confreres, outre le chagrin de voir ses dithyrambes tournés en ridicule par les poëtes comiques de son tems, il reçut aussi une autre espece de mortification de ses compatriotes.

Les Thébains alors ennemis déclarés des Athéniens, le condamnerent à une amende de mille drachmes, pour avoir appellé ces derniers dans une piece de poésie, le plus ferme appui de la Grèce ; & en conséquence il lui fallut essuyer mille insultes d'un peuple irrité. Il est vrai qu'il en fut dédommagé par les Athéniens, qui, pour lui marquer combien ils étoient reconnoissans de ses éloges, non-seulement lui rendirent le double de la somme qu'il avoit payée, mais lui firent ériger une statue dans Athènes, auprès du temple de Mars ; honneur que ses compatriotes n'ont pas daigné lui accorder ; & cette statue le représentoit vêtu, assis, la lyre à la main, la tête ceinte d'un diadême, & portant sur ses genoux un petit livre déroulé. On la voyoit encore du tems de Pausanias.

Pindare mourut dans le gymnase ou dans le théâtre de Thebes. Sa mort fut des plus subites & des plus douces, selon ses souhaits. Durant le spectacle, il s'étoit appuyé la tête sur les genoux de Théoxène son éleve, comme pour s'endormir ; & l'on ne s'apperçut qu'il étoit mort, que par les efforts inutiles que l'on fit pour l'éveiller, avant que de fermer les portes.

L'année de cette mort est entierement inconnue, car les uns le font vivre 55 ans, d'autres 66, & quelques-uns étendent sa carriere jusqu'à sa 80 année. Ce qu'il y a de sûr, c'est qu'on lui éleva un tombeau dans l'Hippodrome de Thebes, & ce monument s'y voyoit encore du tems de Pausanias. On trouve dans l'anthologie grecque six épigrammes à la louange de Pindare, dont il y en a deux qui peuvent passer pour des épitaphes, & les quatre autres ont été faites pour servir d'inscriptions à différentes statues de ce poëte.

Sa renommée se soutint après sa mort, jusqu'au point de mériter à sa postérité les distinctions les plus mémorables. Lorsqu'Alexandre le grand saccagea la ville de Thebes, il ordonna expressément qu'on épargnât la maison du poëte, & qu'on ne fît aucun tort à sa famille. Les Lacédémoniens, long-tems auparavant, ayant ravagé la Béotie, & mis le feu à cette capitale, en avoient usé de même. La considération pour ce poëte fut de si longue durée, que ses descendans, du tems de Plutarque, dans les fêtes théoxéniennes, jouissoient encore du privilege de recevoir la meilleure portion de la victime sacrifiée.

Pindare avoit composé un grand nombre d'ouvrages en divers genres de poésie. Le plus considérable de tous, celui auquel il est principalement redevable de sa grande réputation, & le seul qui nous reste aujourd'hui, est le recueil de ses odes destinées à chanter les louanges des athletes vainqueurs dans les quatre grands jeux de la Grèce, les olympiques, les pythiques, les néméens & les isthmiques. Elles sont toutes écrites dans le dialecte dorique & l'éolique.

Celles de ses poésies que nous n'avons plus, & dont il ne nous reste que des fragmens, étoient 1°. des poésies bacchiques ; 2°. d'autres qui se chantoient dans la fête des portes-lauriers () ; 3°. plusieurs livres de Dithyrambes ; 4°. dix-sept tragédies ; 5°. des éloges () ; 6°. des épigrammes en vers héroïques, 7°. des lamentations () ; 8°. des Parthénies ; 9°. des Péans ou cantiques à la louange des hommes & des dieux, sur-tout d'Apollon ; 10°. des prosodies ; 11°. des chants scoliens ; 12°. des hymnes ; 13°. des hyporchemes ; 14°. des poésies faites pour la cérémonie de monter sur le trône (), &c.

Parmi ceux qui ont écrit la vie de Pindare, on peut compter Suidas, Thomas Magister, l'auteur anonyme d'un petit poëme grec en vers héroïques sur ce même sujet : le Giraldy, Ger. J. Vossius, Jean Benoît, dans son édition de Pindare à Saumur ; Erasme Schmidt dans la sienne de Wittemberg ; les deux éditeurs du beau Pindare d'Oxford, in-folio. Tannegui le Fevre, dans son abrégé des vies des poëtes grecs ; François Blondel, dans sa comparaison de Pindare & d'Horace, M. Fabricius dans sa bibliotheque grecque, & M. Burette dans les mémoires de littérature, tome XV. je lui dois tous ces détails.

Platon, Eschine, Dénys d'Halicarnasse, Longin, Pausanias, Plutarque, Athénée, Pline, Quintilien, ont fait à l'envi l'éloge de Pindare : mais Horace en parle avec un enthousiasme d'admiration dans cette belle ode qui commence :

Pindarum quisquis studet aemulari....

Il dit ailleurs que quand Pindare veut bien composer une strophe pour un vainqueur aux jeux olympiques, il lui fait un présent plus considérable que s'il lui élevoit cent statues :

Centum potiore signis

Munere donat.

Le caractere distinctif de Pindare est qu'il possede à un degré supérieur l'élevation, la force, la précision, l'harmonie, le nombre, le feu, l'enthousiasme, & tout ce qui constitue essentiellement la poésie. S'il a quelquefois des écarts difficiles à justifier, on lui en reproche beaucoup d'autres sans fondement.

Quand il loue le pere de son héros, sa famille, sa patrie, les dieux qui y sont particulierement honorés, il ne fait que développer la formule dont on se servoit pour proclamer le vainqueur. L'autre reproche qu'on lui fait d'avoir employé des termes bas en notre langue, attaque également tous les anciens, & est d'autant plus mal fondé, que des termes bannis de notre poésie, peuvent être employés avec élégance dans la poésie grecque & latine ; enfin quant à l'obscurité dont on accuse Pindare, je réponds que l'espece d'obscurité qui procede du tour de phrase & de la construction des mots, n'est pas un objet de notre compétence. Nous sommes encore moins juges de l'obscurité qui naît de l'ignorance des coutumes & des généalogies. Au reste tout ce qui regarde le caractere de Pindare, que nous avons déja tracé en parlant des poëtes lyriques, a été savamment discuté dans les belles traductions françoises des odes de ce poëte, par MM. les abbés Massieu, Fraguier & Sallier.

Cébès philosophe pythagoricien, né à Thebes, étoit le disciple de Socrate, dont il est parlé dans le Phédon de Platon. Nous avons sous le nom de ce Cébès une table, tableau, ou dialogue moral sur la naissance, la vie, & la mort des hommes. Cet ouvrage supérieur en ce genre à plusieurs traités des anciens, a exercé la critique de Saumaise, de Casaubon, de Wolfius, de Samuel Petit, de Relandus, de Fabricius, & de plusieurs autres savans. Il a été traduit dans toutes les langues ; M. Gronovius en a publié la meilleure édition à Amsterdam, en 1689, in-8 °. sur un manuscrit de la bibliotheque du roi. Cependant ce dialogue moral tel que nous l'avons, ne peut pas être du pythagoricien Cébès ; les raisons solides qu'en apporte M. Sévin, dans les mém. de Littérat. tome III. page 137. sont 1°. qu'on y trouve des choses postérieures à Cébès ; 2°. qu'on y condamne des philosophes inconnus de son tems ; 3°. que l'auteur ne suit pas les idées de la secte pythagoricienne, dont Cébès faisoit profession ; 4°. qu'il n'a point écrit dans la dialecte en usage chez les philosophes de cette même secte ; 5°. qu'il n'est pas croyable qu'un ouvrage comme celui-là, eût été enseveli dans l'oubli pendant plus de cinq siecles ; car il est certain que personne ne l'a cité avant Lucien ; & certes il ne paroît pas beaucoup plus ancien que cet auteur.

Clitomaque, athlete célebre par sa pudeur, & par les prix qu'il remporta à tous les jeux de la Grèce, étoit de Thebes en Béotie. Voyez son éloge dans Pausanias & dans Aelien. Cratès, disciple de Diogene, le mari de la belle Hipparchie, étoit aussi de Thebes en Béotie. Son article a déjà été fait ailleurs.

Après avoir parlé de Thebes en Egypte, & de Thebes en Béotie, il ne me reste plus qu'à dire un mot des autres villes qui ont porté ce nom.

3°. Thebae, ville de la Macédoine, dans la Phthiotide ; c'est pourquoi elle est appellée Thebae-Phthiotidis, Thebae-Phthiae, Thebae-Phthioticae, ou ThebaeThessaliae par les Géographes & les Historiens ; Strabon met cette ville vers les confins de la Phthiotide, du côté du septentrion. Il est certain qu'elle étoit sur la côte de la mer ; car ses habitans se plaignent dans Tite-Live, l. XXXIX. c. xxv. de ce que Philippe de Macédoine leur avoit ôté leur commerce maritime. Ce prince établit une colonie dans cette ville, dont il changea le nom en celui de Philippopolis.

4°. Thebae-Lucanae, ville d'Italie dans la Lucanie ; elle ne subsistoit déjà plus du tems de Pline.

5°. Thebae-Corcicae, nom que Pline, l. IV. c. iij. donne à la ville de Thebes, capitale de la Béotie. Elle ne porta cette épithete que dans le tems que les habitans de la ville Corceia y eurent été transférés.

6°. Thebae, ville de l'Asie mineure dans la Cilicie, près de Troie ; il paroît que cette ville est la même que celle d'Adramyste.

7°. Thebae, ville de l'Asie mineure dans l'Ionie, au voisinage de Milet, selon Etienne le géographe.

8°. Thebae, ville de l'Attique, selon le même géographe ; il paroît qu'il y avoit aussi un bourg dans l'Attique de ce nom ; mais on en ignore la tribu.

9°. Thebae, ville dans la Cataonie, selon Etienne le géographe, qui met encore une autre Thebae en Syrie.

10°. Thebae, nom d'une colonne milliaire en Italie, dans le pays des Sabins, sur la voie Salarienne, au voisinage de Réate. (D.J.)


THÉBAIDE(Géog. anc.) grande contrée de l'Egypte, vers l'Ethiopie ; elle n'a pas toujours eu les mêmes bornes ; Ptolémée, l. IV. c. v. la marque au midi des nomes Heptanomides Oasites. Cette contrée est appellée Thébaïde par Strabon, l. XVII. & par Pline, l. V. c. jx. Le premier, en parlant de la ville de Ptolémaïde d'Egypte, dit que c'est la plus grande des villes de Thébaïde, & le second dit que la haute Egypte avoit donné son nom à cette contrée, qui s'étendoit des deux côtés du Nil, depuis le nome Heptanomide, jusqu'à l'Ethiopie. Ainsi elle étoit divisée en deux parties ; l'une à la droite du Nil, l'autre à la gauche. Cette derniere renfermoit les nomes que Ptolémée place à l'occident du fleuve, & l'autre comprenoit les nomes que le même auteur met à l'orient.

Les nomes de la Thébaïde, que Ptolémée met à l'occident du Nil, sont, le nome Lycopolite, le nome Hypsélite, le nome Aphroditopolite, le nome Thinite, le nome Diospolite, le nome Téatyrite, & le nome Hermontite. Les nomes de la Thébaïde à l'orient du Nil, sont le nome Antaeopolite, le nome Panopolite, le nome Coptite, & le nome de Thebes.

Dans la premiere division de l'empire, la Thébaïde fut comprise sous l'Egypte. Du tems d'Ammien Marcellin, liv. XXII. qui a écrit dans le quatrieme siecle, & qui vivoit sous les empereurs Valentinien & Valens ; la Thébaïde faisoit une des trois provinces, dont l'Egypte étoit composée ; mais dans la notice de LÉon le sage, elle est partagée en deux provinces ; l'une appellée premiere Thébaïde, & l'autre seconde Thébaïde ; chacune contenoit plusieurs évêchés. Antinoé étoit la Métropole de la premiere Thébaïde, & Ptolémaïs de la seconde. Enfin, les solitaires qui se sont retirés dans cette contrée, l'ont rendu célebre ; le P. Coppin a décrit fort au long dans son voyage d'Egypte, les hermitages de ces premiers anachoretes ; ou pour mieux dire, les lieux qu'on imagine leur avoir servi de retraite. La Thébaïde a bien changé de face, depuis que les Turcs & les Arabes y exercent leur empire. Voyez THEBAÏDE, Géog. mod. (D.J.)

THEBAÏDE, (Géog. mod.) grande contrée d'Afrique, dans la haute Egypte ; elle s'étend depuis Fiousie, le long du Nil, jusqu'à la mer Rouge ; on la divise en haute & basse Thébaïde. Ce pays est serré par une chaîne de montagnes qui regnent le long du Nil, & au-delà desquelles sont les déserts qui s'étendent jusqu'à une autre chaîne de montagnes le long de la mer Rouge. La Thébaïde est aujourd'hui la province la moins peuplée & la moins fertile de l'Egypte. On y compte deux béglierbeys : celui de Kerkoffy, situé vis-à-vis de Bénésouef, n'a que quarante villages, & ne produit que du blé, quelques légumes, du fenouil & du cumin ; le second est celui de Cossir ; il s'étend dans les déserts, & sur les côtes de la mer Rouge. Voilà deux pauvres gouvernemens ! Ajoutez que les Arabes sont maîtres de la plûpart des deserts, & qu'il se fait souvent une cruelle guerre entr'eux & les Turcs. (D.J.)

THEBAÏDE BASSE, Grottes de la, (Géogr. mod.) les grottes de la basse Thébaïde, ne sont autre chose que des concavités formées par art dans les carrieres de ce pays, d'espace en espace, & dans un terrein de quinze à vingt lieues d'étendue.

Elles sont creusées dans la montagne du levant du Nil, faisant face à la riviere qui baigne le pié de cette montagne : à la seule vue de ces grottes, on juge aisément, qu'elles ont été d'abord un terrein pierreux de la montagne qui cotoye le Nil ; qu'on a ensuite fouillé ce terrein pour en tirer des pierres, qui devoient servir à la construction des villes voisines, des pyramides, & des autres grands édifices. Les pierres qu'on a tirées de ces carrieres, ont laissé, pour ainsi parler, des appartemens vastes, obscurs, bas, & qui forment une espece d'enfilade sans ordre, & sans symmétrie. Les voutes de ces concavités basses & inégales, sont soutenues de distance en distance, par des piliers, que les ouvriers ont laissés exprès pour les appuyer.

Rien ne ressemble donc plus à des carrieres, que ce qu'on appelle aujourd'hui grottes de la Thébaïde ; & il est hors de doute qu'elles ont été carrieres dans leur origine. En effet, Hérodote nous apprend, que le roi Cléopas employa cent mille hommes l'espace de dix ans à ouvrir des carrieres dans la montagne du levant du Nil, & à en transporter les pierres audelà du fleuve ; que pendant dix autres années, les mêmes cent mille hommes furent occupés à élever une pyramide construite de ces pierres tendres & blanches en sortant de la carriere ; mais qui peu-à-peu se durcissent à l'air & brunissent. C'est encore de ces mêmes carrieres, que les successeurs d'Alexandre, & les Romains après eux, ont tiré une quantité prodigieuse de pierres pour l'établissement de leurs colonies.

On trouve dans ces carrieres des trous de six piés de long, & de deux de large, taillés dans l'épaisseur du roc ; ces trous étoient peut-être destinés à servir de sépulchres aux morts. Enfin, c'est dans ces carrieres que se sont retirés plusieurs solitaires, comme il paroît par différentes cellules très-petites, pratiquées dans les voûtes de ces ténébreuses cavernes, dont les portes & les fenêtres n'ont pas plus d'un pié en quarré. (D.J.)

THEBAÏDE, (Littérat.) fameux poëme héroïque de Stace, dont le sujet est la guerre civile de Thèbes entre les deux freres Etéocle & Polynice, ou la prise de Thèbes par Thésée. Voyez EPIQUE, HEROÏQUE, &c.

Stace employa 12 ans à composer sa Thébaïde, qui consiste en douze livres ; il écrivit sous l'empire de Domitien. Les meilleurs critiques, comme le pere Bossu, & autres, lui reprochent une multiplicité vicieuse de fables & d'actions, un trop grand feu, qui tient de l'extravagance, & des faits qui passent les bornes de la probabilité. Voyez FABLES & PROBABILITE.

Divers poëtes grecs avoient composé des Thébaïdes avant Stace, savoir Antagoras, Antiphanes de Colophon, Ménélaüs d'Egée, & un anonyme dont Pausanias fait mention dans son neuvieme livre.

Aristote en faisant l'éloge d'Homere par rapport à la simplicité de sa fable, le releve encore davantage en peignant l'ignorance de certains poëtes qui s'imaginoient avoir satisfait abondamment à la regle de l'unité d'action, en n'introduisant dans leur piece qu'un seul héros, & qui composoient des Théséïdes, Hérculéïdes, &c. des poëmes où ils ramassoient, & racontoient toutes les actions & avantures de leur personnage principal. Voyez HEROS, ACTION, &c.


THÉBAINSLES, (Hist. des Grecs) les Thébains étoient les principaux peuples de la Béotie, province de la Grece, entre l'Attique, la Locride & la Phocide. Cette province touchoit à trois mers, c'est-à-dire à la mer supérieure, qui est entre la Macédoine & l'Ionie, à la Propontide & à la Méditerranée, par où les Béotiens pouvoient naviger jusqu'en Egypte ; & par le golfe de Corinthe il leur étoit aisé de faire voile en Italie. Ainsi ces peuples étoient en état de se former un vaste empire, mais leur grossiereté ou leur modération s'opposerent à leur aggrandissement.

Je ne décide point si c'est par stupidité ou par modération que les Thébains furent long-tems sans se faire valoir ; ce qu'il y a de sûr, c'est qu'on disoit d'étranges choses de leur intelligence épaisse, ainsi que de celle des Béotiens en général. Horace, dans le précepte qu'il donne de garder le caractere des personnages, recommande en particulier de ne pas faire parler un thébain comme un argien, thebis nutritus an argis ; mais ce qui est plus décisif, c'est que Pindare & Plutarque, qui sont bien éloignés de sentir le terroir de la Béotie, passent eux mêmes condamnation sur la bêtise de leurs compatriotes en général.

La Béotie fut d'abord occupée par les Aones & les Temnices, nations barbares. Elle fut ensuite peuplée de Phéniciens que Cadmus avoit amenés de Phénicie, & ce chef ayant entouré de murailles la ville Cadmeïa, qui porta son nom, en laissa le gouvernement à ses descendans. Ceux-ci ajouterent à la ville de Cadmus celle de Thèbes, qui s'aggrandit avec le tems, au point que Cadmeïa située au-dessus, n'en devint que la citadelle, & les événemens qui suivirent, mirent Thèbes au nombre des plus renommées. Voyez THEBES.

Les Thébains, après la fin tragique de Cadmus & d'Oedipe, se formerent en république, s'attacherent à l'art militaire, & eurent beaucoup de part aux grands événemens de la Grece. Ils en trahirent d'abord indignement les intérêts sous le regne de Xerxès roi de Perse, action qui les décria d'autant plus que le succès ne la justifia point, & que contre leur attente fondée sur toutes les regles de la vraisemblance, l'armée barbare fut défaite. Cet événement les jetta dans un étrange embarras. Ils eurent peur que, sous prétexte de venger une si noire perfidie, les Athéniens leurs voisins, dont la puissance augmentoit de jour en jour, n'entreprissent de les assujettir ; resolus de parer le coup, ils chercherent l'alliance de Lacédémone qu'ils devoient moins redouter quand il n'y auroit eu que la raison de l'éloignement. Sparte dans cette occasion se relâcha de sa vertu sévere. Elle aima mieux pardonner aux partisans des barbares, que de laisser périr les ennemis d'Athènes.

Les Thébains, par reconnoissance, s'attacherent aux intérêts de leur protectrice ; & durant la guerre du Péloponnèse, elle n'eut point de meilleurs ni de plus fideles alliés. Ils ne tarderent pas toutefois à changer de vues & d'intérêts. Sparte, toujours ennemie de la faction populaire, entreprit de changer la forme de leur gouvernement ; & après avoir surpris la citadelle de Thèbes dans la troisieme année de la 99e. olympiade ; après avoir détruit ou dissipé tout ce qui résistoit, elle déposa l'autorité entre les mains des principaux citoyens, qui la plûpart agirent de concert avec elle. Pélopidas, à la tête des bannis, & avec le secours d'Athènes, rentre sécrettement dans Thèbes au bout de quarante ans, extermine les tyrans, chasse la garnison lacédémonienne, & remet sa patrie en liberté.

Jusque-là Thèbes unie tantôt à Sparte, tantôt avec Athènes, n'avoit tenu que le second rang, sans que l'on soupçonnât qu'un jour elle occuperoit le premier. Enfin les Thébains naturellement forts & robustes, de plus extrêmement aguerris, pour avoir presque toujours eu les armes à la main depuis la guerre du Péloponnèse, & pleins d'un desir ambitieux, qui croissoit à proportion de leur force & de leur courage, se crurent trop serrés dans leurs anciennes limites. Ils refuserent de signer la paix ménagée par Athènes pour faire rentrer les villes grecques dans leur pleine indépendance.

Les Thébains vouloient qu'on les reconnût pour les chefs de la Béotie. Ce refus non-seulement les exposoit à l'indignation du roi de Perse, qui pour agir plus librement contre l'Egypte révoltée, avoit ordonné à tous les Grecs de poser les armes, mais encore soulevoit contr'eux Athènes, Sparte & la Grece entiere qui ne soupiroit qu'après le repos. Toutes ces considérations ne les arrêterent pas. Ils rompirent avec Athènes, attaquerent Platée & la raserent. Depuis la bataille de Marathon, où les Platéens postés à l'aîle gauche par Miltiade, avoient signalé leur zèle & leur courage, les Athéniens ne célébroient point de fête, où le héraut ne formât des voeux communs pour la prospérité d'Athènes & de Platée.

Les Lacédémoniens crurent alors que Thèbes délaissée de ses alliés, étoit hors d'état de leur faire tête. Ils marcherent donc comme à une victoire certaine, entrerent avec une puissante armée dans le pays ennemi, & y pénetrerent bien avant. Tous les Grecs regarderent Thèbes comme perdue. On ne savoit pas qu'en un seul homme elle avoit plus d'une armée. Cet homme étoit Epaminondas. Il n'y avoit pas de meilleure école que la maison de Polyme son pere, ouverte à tous les savans, & le rendez-vous des plus excellens maîtres. De cette école sortit Philippe de Macédoine. C'est-là qu'en ôtage pendant neuf années, il fut assez heureux pour devenir l'éleve du maître d'Epaminondas, ou plutôt pour étudier Epaminondas lui-même.

Les talens de ce dernier, soit pour la politique, soit pour la guerre, joints à beaucoup d'autres qu'il possédoit dans le degré le plus éminent, se trouvoient encore tous inférieurs à ses vertus. Philosophe de bonne foi, & pauvre par goût, il méprisa les richesses, sans vouloir qu'on lui tînt compte de ce mépris ; & cultiva la vertu, indépendamment du plus doux fruit qu'elle donne, j'entends la réputation. Avare de son loisir qu'il consacroit à la recherche de la vérité, il fuyoit les emplois publics, & ne briguoit que pour s'en exclure. Sa modération le cachoit si bien qu'il vivoit obscur & presqu'inconnu. Son mérite le décéla pourtant ; on l'arracha de la solitude pour le mettre à la tête des armées.

Dès que ce sage parut, il fit bien voir que la philosophie suffit à former des héros, & que la plus grande avance pour vaincre ses ennemis, c'est d'avoir appris à se vaincre soi-même. Epaminondas au sortir de sa vie privée & solitaire, battit les Lacédémoniens à Leuctres, & leur porta le coup mortel dont ils ne se releverent jamais. Ils perdirent quatre mille hommes, avec le roi Cléombrote, sans compter les blessés & les prisonniers. Cette journée fut la premiere où les forces de la nation grecque commencerent à se déployer.

Les plus sanglantes défaites jusqu'alors ne coûtoient guere plus de quatre ou cinq cent hommes. On avoit vu Sparte d'ailleurs si animée contre Athènes, racheter d'une trève de trente années huit cent de ses citoyens qui s'étoient laissé envelopper. On peut juger de la consternation, ou plutôt du désespoir des Lacédémoniens, lorsqu'ils se trouverent tout-d'un-coup sans troupes, sans alliés, & presqu'à la merci du vainqueur. Les Thébains se croyant invincibles sous leur nouveau général, traverserent l'Attique, entrerent dans le Péloponnèse, passerent le fleuve Eurotas, & allerent assiéger Sparte. Toute la prudence & tout le courage d'Agésilas ne la sauverent que difficilement, du propre aveu de Xénophon.

D'ailleurs Epaminondas appréhendoit de s'attirer sur les bras toutes les forces du Péloponnèse, & plus encore d'exciter la jalousie des Grecs, qui n'auroient pû lui pardonner d'avoir pour son coup d'essai, détruit une si puissante république, & arraché, comme le disoit Leptines, un oeil à la Grece. Il se borna donc à la gloire d'avoir humilié les Spartiates, & en même tems il perpétua le souvenir de sa victoire par un monument de justice & d'humanité. Ce fut le rétablissement de Messène, dont il y avoit trois cent ans que les Lacédémoniens avoient chassé ou mis au fer les habitans. Il rappelle de tous côtés les Messéniens épars, les remet en possession de leurs terres qu'un long exil leur faisoit regarder comme étrangeres, & forme de ces gens rassemblés une république, qui depuis l'honora toujours comme son second fondateur.

Il n'en demeura pas là : ce grand homme si retenu, si modéré pour lui-même, avoit une ambition sans bornes pour sa patrie : non-content de l'avoir rendue supérieure par terre, il vouloit lui donner sur mer une même supériorité ; sa mort renversa ce beau projet que lui seul pouvoit soutenir. Il mourut entre les bras de la victoire à la bataille de Mantinée, & selon quelques-uns, de la main de Gryllus fils de Xénophon. Les Thébains, malgré la perte de leur héros, ne laisserent pas de vouloir se maintenir où il les avoit placés ; mais leur gloire naquit & mourut avec Epaminondas. Tourreil. (D.J.)


THÉBAIS(Géog. anc.) fleuve de la Carie. Pline liv. V. c. xxjx. dit qu'il passoit au milieu de la ville de Tralles. (D.J.)


THÉBARMA(Géog. anc.) ville de la Perside, dans la partie orientale. L'histoire miscellanée nous apprend qu'il y avoit dans cette ville un temple consacré au feu, & que c'étoit-là où l'on gardoit le trésor du roi Crésus. (D.J.)


THEBES(Géog. anc.) nom commun à plusieurs villes, & entr'autres 1°. à celle de la haute Egypte, qui donna son nom à la Thébaïde. 2°. A la capitale de la Béotie, détruite par Alexandre le grand. Voyez en les articles, ainsi que des autres villes de même nom, au mot latin Thebae. (D.J.)

THEBES, le lac de, (Géogr. mod.) le lac de Thèbes moderne, ou pour mieux dire de Thiva, se nomme en latin Thebanus lacus, Hylica palus, & Aliartus lacus ; il est en Grece dans la Livadie, à une lieue de Thiva vers le nord, & à pareille distance du lac de Copaïs, dont il est séparé par le mont Cocino au nord, & à l'ouest par le mont Phoenicius ou Sphuigis. Ces deux lacs avoient autrefois communication ensemble par un aqueduc qui traverse la montagne ; mais présentement leurs eaux sont trop basses pour monter jusqu'à ce conduit. Ce lac a le mont Ptoos au nord-est, le mont Hyppatus au sud-sud-est du côté de Thèbes. Wheler croit que c'est au-travers de cette montagne qu'il se décharge au nord de l'Euripe ; ce lac ne paroît pas plus long que large, il a deux lieues de traverse, & est plus petit que celui de Livadie ; il s'y jette deux ruisseaux qui sont peut-être le Piroé & le Dircé des anciens ; on lui donne le nom de marais Hylica, parce qu'il a peu de profondeur ; mais il est fort poissonneux. (D.J.)

THEBES, (Littérat.) ses murailles, selon la fable, s'éleverent au son de la lyre d'Amphyon, & ses deux guerres célebres ont fourni de grands sujets aux poëtes tragiques anciens & modernes. (D.J.)

THEBES, marbre de, (Hist. nat. Litholog.) thebaïcum marmor ; nom d'un marbre noir fort estimé des anciens, & qu'ils tiroient de la haute Egypte. Suivant Pline il étoit noir avec des veines de couleur d'or ; d'où l'on voit que ce marbre étoit semblable à celui que nous appellons porte-or. Voyez cet article. Nonobstant la description de Pline, quelques auteurs ont cru que le marmor thebaïcum des anciens étoit rouge & rempli de veines ou de taches jaunes, tel que le marbre que les modernes nomment brocatelle ; d'autres ont cru que le marmor thebaïcum étoit une espece de porphyre, à qui on donnoit aussi le nom de syenites & de pyropacilon. Voyez d'Acosta, natural history of fossils.


THEBETS. m. (Hist. jud.) mois des Hébreux. C'est le quatrieme de l'année civile, & le dixieme de l'année ecclésiastique. Il a vingt-neuf jours, & répond à la lune de Décembre.

Le huit de ce mois les Juifs jeûnent à cause de la traduction de la loi d'hébreu en grec.

Le jeûne du dixieme mois ordonné par Moïse, arrivoit aussi dans le mois de Thebet.

Le dix les Juifs jeûnent encore en mémoire du siege de Jérusalem par Nabuchodonosor.

Le dix-huit ils célebrent une fête en mémoire de l'exclusion des Saducéens, qui furent chassés du sanhedrin, où ils dominoient sous le regne d'Alexandre Jannée, ainsi que le raconte un de leurs livres, intitulé Megillat. taanith. Calendrier des Juifs, Dict. de la bible.


THECAS. m. (Hist. nat. Botan.) grand arbre des Indes orientales dont on trouve des forêts entieres. Il fournit aux Indiens le bois dont ils bâtissent leurs temples. Sa feuille donne une liqueur qui sert à teindre leurs soies & leurs cotons en pourpre. Ils mangent ces mêmes feuilles ; on en fait avec du sucre un syrop qui guérit les aphthes. Les fleurs de cet arbre bouillies dans du miel sont un remede contre l'hydropisie. Voyez THEKA.


THECNOLOGIES. f. (Gram.) science abusive des mots. Les ouvrages des Théologiens & même des Philosophes, sur-tout scholastiques, en sont remplis.


THECUou THECUé, (Géog. sacrée) ville de la Palestine, à 6 milles de Bethléem, & environ à 12 de Jérusalem. Elle est célebre dans l'Ecriture. Le P. Nau dit qu'on en voit les ruines à une lieue de la montagne de Ferdaous, & que sa situation est agréable. Ses environs contiennent quelques familles d'Arabes qui demeurent sous des tentes, & dont les troupeaux paissent dans les vallées. (D.J.)


THÉERS. m. (terme de relation) c'est ainsi qu'on nomme aux Indes certains hommes de la plus basse espece, qui ne servent qu'à écurer les cloaques, les privés, ou à écorcher les bêtes mortes. Ils ne demeurent point dans les villes, mais dans les extrêmités des fauxbourgs, parce que les Indiens les ont en abomination. (D.J.)


THEIERES. f. (terme de Fayancier) vaisseau un peu ventru à anse & à bec, où l'on fait infuser du thé dans de l'eau bouillante pour boisson. Il y a des theieres de toute forme & grandeur, qui contiennent depuis une petite tasse jusqu'à dix ; les plus belles nous viennent de la Chine & du Japon. (D.J.)


THÉISMES. m. (Théol.) dérivé du grec , dieu, terme usité parmi les théologiens modernes, pour exprimer le sentiment de ceux qui admettent l'existence de Dieu. Il est opposé à l'athéisme. Voyez ATHEISME.

Il est aisé de prouver que le théisme est préférable à l'athéisme, & qu'il est plus avantageux, soit pour les sociétés, soit pour les princes, soit pour les particuliers, d'admettre l'existence d'un Dieu que de la rejetter. Voici les raisons qu'on en apporte communément.

1°. Une société d'athées a un principe de moins pour arrêter la corruption des moeurs qu'une société de théistes. La raison, le desir de la gloire & de la bonne réputation, la crainte des peines séculieres sont les seuls motifs qui peuvent empêcher le crime dans une société d'athées. Dans une société de théistes, la crainte des jugemens d'un être suprême se trouvant jointe à tous ces principes, leur donne une nouvelle force. L'homme en effet est d'autant plus porté à remplir ses devoirs, que les peines qu'on lui fait craindre, sont plus grandes, & que les récompenses qu'on lui fait espérer, sont plus considérables & plus consolantes. Qu'on dise tant qu'on voudra, qu'il est plus noble de faire le bien sans intérêt, & de fuir le mal sans aucun motif de crainte : c'est mal connoître l'homme que de prétendre qu'il puisse ou qu'il doive toujours agir indépendamment de ces motifs. L'espérance & la crainte sont nées avec lui ; ce sont des apanages inséparables de sa nature, & les récompenses ou les châtimens par lesquels le théisme réveille l'une & l'autre dans le coeur des hommes, sont des motifs infiniment plus puissans pour l'attacher à la vertu & pour l'éloigner du vice, que ceux que l'athéisme propose à ses partisans.

2°. Les princes ont plus d'intérêt que qui que ce soit, à l'établissement de la croyance d'une divinité suprême. Les athées eux-mêmes en conviennent, puisqu'ils disent que l'idée de la divinité doit son origine aux artifices & aux desseins des politiques, qui par-là ont voulu rendre sacrée l'obéissance dûe aux souverains. Un homme se soumet par raison à son prince, parce qu'il est juste de tenir la foi à celui à qui on l'a promise ; il s'y soumet par principe de crainte, parce qu'il a peur d'être condamné suivant toute la sévérité des loix ; mais son obéissance est tout autrement ferme & constante, quand il est vivement persuadé qu'il y a une divinité vengeresse qui prend connoissance de ses désobéissances pour les punir.

3°. Rien de plus avantageux ni de plus consolant pour les particuliers que le théisme. L'homme qui est exposé à tant de miseres dans le cours de cette vie, a un motif de consolation, en croyant une divinité pleine de justice & de bonté qui peut mettre fin à tous ses maux. L'homme vertueux qui est ordinairement en bute à la contradiction des méchans, se soutient dans la pratique de la vertu par l'idée d'une divinité qui récompense les bonnes actions, & qui punit les mauvaises ; pour lui la mort est le commencement d'une nouvelle vie & d'un bonheur éternel ; pour l'athée, la mort n'est que la fin des miseres de la vie, & l'anéantissement qu'il se promet, est un état d'insensibilité parfaite, ou pour mieux dire, une privation d'existence, que personne ne regardera jamais comme un avantage : anéantissement au reste dont l'athée n'a aucune certitude ; il est donc à cet égard dans le doute & dans la perplexité ; mais cet état d'incertitude est-il aussi satisfaisant que l'espérance du théiste ? Enfin ce dernier risque quelque chose pour gagner infiniment ; & l'autre aime mieux perdre tout que de rien risquer. On peut voir ce raisonnement poussé avec force dans les pensées de M. Pascal. Traité de la véritable religion, tom. I. dissert. III.


THEISOou THISOA, (Géog. anc.) ville de l'Arcadie, selon Etienne le géographe. Pausanias, l. VIII. c. xxxviij. dit que de son tems Thisoa n'étoit qu'une bourgade qui autrefois avoit été une ville très-peuplée, aux confins des Parrasii, & dans le territoire de Mégalopolis. Cette ville tiroit son nom de celui de la nymphe Thisoa, l'une des trois nourrices de Jupiter. (D.J.)


THÉISTEtheïsta, celui qui admet l'existence de Dieu, d'un être suprême de qui tout dépend.


THEIUS(Géog. anc.) riviere de l'Arcadie ; Pausanias, l. VIII. c. xxxv. dit qu'en allant de Mégalopolis à Lacédémone, le long de l'Alphée, on trouve au bout d'environ trente stades le fleuve Theius qui se joint à l'Alphée du côté gauche. (D.J.)


THÉKAS. m. (Hist. nat. Botan. exot.) grand chêne dont on trouve des forêts entieres dans le Malabar ; son tronc est fort gros, revêtu d'une écorce rude, épaisse & cendrée. Il pousse un grand nombre de branches vertes, noueuses & quadrangulaires. Son bois est blanchâtre, dur, lisse, strié ; sa racine est rougeâtre ; ses feuilles naissent par paires & dans un ordre parallele ; elles sont oblongues, rondes, pointues, épaisses, luisantes, longues de deux palmes, larges d'un empan, d'un goût acide. Ses fleurs sont petites & odoriférantes ; elles sortent des aisselles des feuilles en forme de pédicules longs, quadrangulaires & sillonés, qui se déployent peu-à-peu en forme de parasol ; elles sont composées de cinq ou six pétales arrondis, blancs, repliés en-dehors, & soutenus par de petits calices terminés en pointe. Il s'éleve d'entre les pétales un pareil nombre d'étamines blanches, à sommets jaunes, avec un pistil verdâtre & pointu. Il leur succede à la fin de grosses gousses fendues par le haut, divisées par une cloison ligneuse en trois ou quatre loges qui contiennent chacune un fruit presque sphérique, verd, cotonneux & velu, dont la chair est verdâtre, sans odeur, d'un goût amer & astringent ; il renferme un noyau quarré, de couleur blanche, tirant sur le rouge, dans lequel est une petite amande blanchâtre.

Les habitans n'employent point d'autre bois que le théka pour bâtir & réparer leurs temples. Ils tirent des feuilles de cet arbre une liqueur dont ils se servent pour teindre leurs soies & leurs cotons en pourpre. Ils font encore de cette liqueur un syrop avec du sucre pour guérir les aphthes. Ils font bouillir les fleurs dans du miel, & en préparent un remede pour évacuer les eaux des hydropiques. (D.J.)


THEKUPHES. f. (terme de Calend.) révolution, cercle ; mais il se dit sur-tout des quatre points où commencent les saisons ; c'est-à-dire, les deux points solstitiaux & les deux points équinoxiaux.


THELEBOAE(Géog. anc.) ou plutôt Teleboae, peuples insulaires au voisinage de l'Acarnanie. Tous les écoliers savent qu'Alcmène conçut Hercule pendant qu'Amphitryon faisoit la guerre aux Téleboes, parce que cette femme pour venger la mort de ses freres, avoit promis d'épouser celui qui entreroit dans son ressentiment.

Etienne de Byzance nous apprend que la Téleboïde étoit une partie de l'Acarnanie, & qu'elle emprunta ce nom de Téléboas, après avoir eu celui de Taphion. Le scholiaste d'Apollonius appelle les mêmes peuples Théléboëns Taphiens. L'île de Taphos, dit-il, est l'une des Echinades. Les Théléboens qui auparavant demeuroient dans l'Acarnanie, l'ont habitée : c'étoient de grands voleurs ; ils allerent au royaume d'Argos, enleverent des boeufs d'Electryon pere d'Alcmène. Il y eut un combat dans lequel Electryon & ses fils furent tués ; c'est pourquoi Alcmène fit publier que sa personne seroit le prix de la vengeance d'Electryon, & parce qu'Amphitryon s'engagea à la venger, elle devint son épouse. Amphitryon ravagea les îles des Théléboëns, mais il ne put prendre Taphe la capitale, qu'après que Comoetho eût arraché à son pere Ptérélaüs le cheveu d'or qui le rendoit immortel.

Les Téléboëns passerent en Italie, & s'établirent dans une île de la grande Grece, dans cette île que la retraite de Tibere rendit si fameuse ; c'est Tacite qui nous l'apprend : Graecos ea tenuisse, capreasque Telebois habitatas fama tradit. Annal. l. IV. c. lxvij. Virgile confirme le même fait :

Nec tu carminibus nostris indictus abibis,

Oebale, quem generasse Telon Sebethide nymphâ

Fertur, Teleboum capreas dum regna teneret

Jam senior.

" Je ne t'oublierai point dans mes vers, illustre Oebale, fils de la nymphe Sebethis & du vieux Telon, roi des Téléboëns, peuples de l'île de Caprée. "

Enfin Ausone & Stace confirment que l'île de Caprée avoit été la demeure des Téléboens ; viridesque resultant Teleboae, dit Ausone en parlant de Caprée. Stace désigne ainsi la même île, silv. V. l. III. v. 100.

Seu tibi Bachi vincta madentia Gauri

Teleboum que domos, trepidis ubi dulcia nautis

Lumina noctivagae tollit Pharus aemula lunae.

(D.J.)


THELIGONIUMS. m. (Hist. nat. Bot.) genre de plante nommée par le commun des botanistes, cynocrambe, (vulgairement chou de chien, ou mercuriale sauvage). En voici les caracteres. Les fleurs mâles & femelles naissent sur la même plante ; dans la fleur mâle le calice est composé d'une seule feuille turbinée, légerement divisée en deux segmens, avec de légeres dentelures ; il n'y a point de pétales ; les étamines sont communément au nombre de douze, droites, & de la longueur du calice ; les bossettes sont simples. La fleur femelle a un calice très-petit, d'une seule feuille, découpée en segmens profonds ; elle n'a point de pétales ; le pistil a un germe rond ; le stile est court, & le stigma obtus ; le fruit est une capsule globuleuse, coriace, ayant une seule cellule, & contenant une seule semence ronde. Linnaei, gen. plant. p. 406. (D.J.)


THêMES. m. (Gram.) ce mot est grec , & vient de , pono ; thema, (thême), positio, id quod primò ponitur. Les grammairiens font usage de ce terme dans deux sens différens.

1°. On appelle communément thême d'un verbe, le radical primitif d'où il a été tiré par diverses formations. " On appelle thême en grec, le présent d'un verbe, parce que c'est le premier tems que l'on pose pour en former les autres ". (Méth. gram. de P. R. liv. V. ch. vj.) Il me semble qu'en hébreu le thême est moins déterminé, & que c'est absolument le premier & le plus simple radical d'où est dérivé le mot dont on cherche le thême.

" La maniere de trouver le thême (en grec), est donc de pouvoir réduire tous les tems qu'on rencontre, à leur présent ; ce qui suppose qu'on sache parfaitement conjuguer les verbes en tant circonflexes que barytons ; & les verbes en , tant réguliers qu'irréguliers ; & qu'on connoisse aussi la maniere de former ces tems (ibid.) ". Ainsi l'investigation du thême grec, est une espece d'analyse par laquelle on dépouille le mot qui se rencontre, de toutes les formes dont le présent aura été revêtu par les loix synthétiques de la formation, afin de retrouver ce présent radical ; & par-là de s'assurer de la signification du mot que l'on a décomposé.

Par exemple, pour procéder à l'investigation du thême de , dont la terminaison annonce un futur premier du participe moyen : j'observe, 1°. que ce tems se forme du futur premier de l'indicatif moyen, en changeant en ; d'où je conclus qu'en otant , & substituant , j'aurai le futur premier de l'indicatif moyen, : j'observe 2°. que ce tems de l'indicatif moyen est formé de celui qui correspond à l'indicatif actif, en changeant en ; si je mets donc à la place de , j'aurai , futur premier de l'indicatif actif : j'observe enfin que ce futur en suppose un thême en pur, ou en ; ainsi consultant le lexicon, je trouve , solvo, d'où vient , puis , & enfin , soluturus.

L'investigation du thême, dans la langue hébraïque, est aussi une sorte d'analyse, par laquelle on dépouille le mot proposé, des lettres serviles, afin de n'y laisser que les radicales, qui servent alors à montrer l'origine & le sens du mot. Les Hébraïsans entendent par lettres radicales, celles qui, dans toutes les métamorphoses du mot primitif, subsistent toujours pour être le signe de la signification objective ; & par lettres serviles, celles qui sont ajoutées en diverses manieres aux radicales, relativement à la signification formelle, & aux accidens grammaticaux dont elle est susceptible. On peut approfondir dans les grammaires hébraïques ce méchanisme, qui ne peut appartenir à l'Encyclopédie, non plus que celui de l'investigation du thême grec.

2°. Le second usage que l'on fait en grammaire, du mot thême, est pour exprimer la position de quelque discours dans la langue naturelle, qui doit être traduit en latin, en grec, ou en telle autre langue que l'on étudie. Commencer l'étude du latin ou du grec par un exercice si pénible, si peu utile, si nuisible même, est un reste de preuve de la barbarie où avoient vêcu nos ayeux, jusqu'au renouvellement des lettres en France, sous le regne de François I. le pere des lettres : car c'est à-peu-près vers ce tems que la méthode des thêmes s'introduisit presque partout ; aujourd'hui justement décriée par les meilleures têtes de la littérature, personne ne peut plus ignorer les raisons qui doivent la faire proscrire, & qui n'ont plus contr'elle que l'inflexibilité de l'habitude établie par un usage déja ancien. Voyez ETUDES, LITTERATURE, THODEHODE.

" Au reste, dit M. du Marsais, (Préf. d'une gram. lat. §. vj.) je suis bien éloigné de désapprouver, qu'après avoir fait expliquer du latin pendant un certain tems, & après avoir fait observer sur ce latin les regles de la syntaxe, on fasse rendre du françois en latin, soit de vive voix, soit par écrit. Je suis au-contraire persuadé que cette pratique met de la varieté dans les études, qu'elle fait voir de nouveau (& sous un autre aspect) la réciprocation des deux langues, & qu'elle exerce les jeunes gens à faire l'application des regles qu'ils ont apprises dans l'explication, & des exemples qu'ils y ont remarqués ; mais le latin que le disciple compose, ne doit être qu'une imitation de celui qu'il a vu auparavant.

Quand votre disciple sait bien décliner & bien conjuguer, & qu'il a appris la raison des cas dont il a remarqué l'usage dans les auteurs qu'il a expliqués, vous ferez bien de lui donner à mettre en latin, un françois composé sur l'auteur qu'il aura expliqué, en ne changeant guere que les tems, & quelques légeres circonstances : mais il faut lui permettre d'avoir l'original devant les yeux, afin qu'il le puisse imiter plus aisément : pourquoi l'empêcher d'avoir recours à son modele ? plus il le lira, plus il deviendra habile ; c'est à vous à disposer le françois de façon qu'il ne trouve ni l'ouvrage tout fait, ni trop éloigné de l'original. "

On peut encore, quand le disciple a acquis une certaine force, lui donner le françois de quelque chose qu'il a déja expliqué, & lui en faire retrouver le latin : vous ferez cela sur une explication du jour ; peu après vous le ferez sur celle de la veille, ensuite sur une plus ancienne. Insensiblement vous pourrez lui proposer le françois de quelque trait qu'il n'aura pas encore vu, & lui en demander le latin ; vous serez sûr de le bien corriger, & de lui donner un bon modele, si vous avez pris votre matiere dans un bon auteur. Un maître intelligent trouvera aisément mille ressources pour être utile ; le véritable zèle est un feu qui éclaire en échauffant.

" Je ne condamne donc pas, continue M. du Marsais (ibid.), la pratique de mettre du françois en latin ; j'en blâme seulement l'abus & l'usage déplacé ". Ainsi pense le rédacteur des instructions pour les professeurs de la grammaire latine, faites & publiées par ordre du roi de Portugal, à la suite de son édit sur le nouveau plan des études d'humanités, du 28 Juin 1759. " Comme pour composer en latin il faut auparavant savoir les mots, les phrases, & les propriétés de cette langue, & que les écoliers ne peuvent les savoir qu'après avoir fait quelque lecture des livres où cette langue a été déposée, pour être comme un dictionnaire vivant, & une grammaire parlante. Les hommes les plus habiles soutiennent en conséquence que dans les commencemens on doit absolument éviter de faire faire des thêmes... ils ne servent qu'à molester les commençans, & à leur inspirer une grande horreur pour l'étude ; ce qu'il faut éviter sur toutes choses, selon cet avis de Quintilien, dans ses institutions : (lib. I. cap. j. §. 4.) Nam id in primis cavere oportet, ne studia, qui amare nondùm potest, oderit ; & amaritudinem semel praeceptam, etiam ultrà rudes annos, reformidet ". Instruct. pour les professeurs de la gramm. lat. §. xiv. (B. E. R. M.)

THEME, en terme d'Astrologie, est la figure que tracent les astrologues, lorsqu'ils veulent tirer l'horoscope de quelqu'un, en représentant l'état du ciel par rapport à un certain point, ou par rapport au moment dont il est question, en marquant le lieu où en sont à ce moment-là les astres & les planetes. Voyez HOROSCOPE.

Le thême céleste consiste en douze triangles que l'on enferme dans deux quarrés, & qu'on appelle les douze maisons. Voyez MAISON.


THÉMIS(Mythol.) fille du Ciel & de la Terre. ou d'Uranus & de Titaïa, étoit soeur ainée de Saturne, & tante de Jupiter. Elle se distingua par sa prudence & par son amour pour la justice : c'est elle, dit Diodore, qui a établi la divination, les sacrifices, les loix de la religion, & tout ce qui sert à maintenir l'ordre & la paix parmi les hommes. Elle régna dans la Thessalie, & s'appliqua avec tant de sagesse à rendre la justice à ses peuples, qu'on la regarda toujours depuis, comme la déesse de la justice, dont on lui fit porter le nom : elle s'appliqua aussi à l'astrologie, & devint très-habile dans l'art de prédire l'avenir ; & après sa mort elle eut des temples où se rendoient des oracles. Pausanias parle d'un temple & d'un oracle qu'elle avoit sur le mont Parnasse, de moitié avec la déesse Tellus, & qu'elle céda ensuite à Apollon. Thémis avoit encore un autre temple dans la citadelle d'Athènes, à l'entrée duquel étoit le tombeau d'Hippolite.

La fable dit que Thémis vouloit garder sa virginité, mais que Jupiter la força de l'épouser, & lui donna trois filles, l'équité, la loi, & la paix. C'est un emblême de la justice qui produit les loix & la paix, en rendant à chacun ce qui lui est dû. Hésiode fait encore Thémis mere des Heures & des Parques. Thémis, dit Festus, étoit celle qui commandoit aux hommes de demander aux dieux ce qui étoit juste & raisonnable : elle préside aux conventions qui se font entre les hommes, & tient la main à ce qu'elles soient observées. (D.J.)


THEMISCYRE(Géog. anc.) Themiscyra, ville de l'Asie mineure dans le Pont. Arrien dans son périple du Pont-Euxin, ne marque entre les fleuves Iris & Thermodonte, aucune place qu'Héracleum, dont il dit que le port est à trois cent quarante stades de l'embouchure de l'Iris, & à quarante stades de celle du Thermodonte ; mais Ptolémée, l. V. c. vj. avant que d'arriver à Herculeum, nomme la campagne Phanaroca ; car c'est ainsi qu'il faut écrire avec Strabon, & non, comme portent les exemplaires de Ptolémée, Phanagoria, qui est le nom d'une ville sur le Bosphore cimmérien. Ptolémée nomme encore Themiscyra, dont il fait une ville. Le périple de Scylax en fait autant, & il dit que c'étoit une ville grecque.

Strabon ne connoit qu'une campagne qu'il nomme Themiscyra, & dont il loue beaucoup la fertilité. Etienne le géographe ne parle non plus que de la campagne, qu'il étend depuis Chadisia jusqu'au fleuve Thermodonte. Il a pu y avoir une campagne & une ville de même nom ; & on ne peut raisonnablement en douter, parce qu'un trop grand nombre d'auteurs font mention de l'une & de l'autre. Diodore de Sicile, l. IV. c. xvj. en parlant d'Hercule, dit qu'il navigea jusqu'à l'embouchure du Thermodonte, & qu'il campa près de la ville de Themiscyre, où étoit le palais royal de la reine des Amazones. Hérodote, l. IV. c. lxxxvj. met aussi la ville de Themiscyre sur le fleuve Thermodonte. Pomponius Mela, l. I. c. xix. dit qu'il y a une campagne près du Thermodonte, & que c'est dans cette campagne qu'avoit été la ville de Themiscyre. Elle ne subsistoit plus apparemment de son tems.

Enfin Apollonius, l. II. v. 371, joint le promontoire Themiscyreum avec l'embouchure du Thermodonte. Il ne donne pas à la campagne voisine le nom de Themiscyra, il l'appelle Daeantis campus. Sur cela son scholiaste, vers. 373, remarque que Daeas & Alcmon étoient freres ; puis il ajoute que dans la campagne de Daeas il y a trois villes, savoir Lycastia, Themiscyra & Chalybia, & que les Amazones avoient habité ces trois places ; mais comme l'histoire des Amazones est mêlée de bien des fables, on ne peut presque rien dire de certain de leurs villes ni de leurs demeures. Cellar. Géogr. antiq. l. III. c. viij. (D.J.)


THÉMISONE(Géog. anc.) Themisonium, ville & contrée de l'Asie mineure, dans la Phrygie, selon Pausanias, l. X. c. xxxij. Strabon, l. XII. p. 576. & Etienne le géographe ; Ptolémée, l. V. c. ij. place Themisonium dans la grande Phrygie, & met des peuples nommés Themisonii dans la Lycie. (D.J.)


THÉMISTIADES(Antiq. grecq.) c'est le nom des nymphes de Thémis, ou des prêtresses de son temple à Athènes. (D.J.)


THENAEou THENNAE, (Géog. anc.) ville de l'île de Crete, au voisinage de Gnosse. Callimaque en fait mention. (D.J.)


THENARS. m. en Anatomie, est un muscle qui sert à éloigner le pouce du doigt indice ; c'est pourquoi on le nomme aussi abducteur du pouce.

Il y a un semblable muscle qui appartient au gros orteil, & qui est aussi appellé thenar ou abducteur du gros orteil.

Le thenar, ou l'abducteur du pouce de la main, est situé le long de la partie interne de la premiere phalange du pouce, ou de l'os du métacarpe qui soutient le pouce. Il vient du ligament annulaire interne de l'os du carpe, qui soutient le pouce & se termine le long de la partie externe de la derniere phalange, & à la partie supérieure de la premiere.

Le thenar, ou l'abducteur du gros orteil, est situé tout le long de la face inférieure de l'os du métatarse qui soutient le doigt & le long de la face inférieure, il vient de la partie latérale interne du calcaneum, de l'os naviculaire, & se termine au côté interne du pouce sur l'os sésamoïde interne.


THENSES. f. (Antiq. rom.) en latin thensa. Les thenses étoient comme nos châsses, ornées de figures. On les faisoit en forme de char, de bois, d'ivoire, & quelquefois d'argent. Il y a une médaille de l'empereur Claude, qu'on trouve également en or & en argent, représentant d'un côté la tête de ce prince couronné de laurier, & ayant de l'autre une thense. C'est un des honneurs qui fut rendu à l'empereur Claude après sa mort, par ordre du sénat. On portoit dans des thenses les statues des dieux ; & s'il est permis de se servir du mot suivant, en parlant des faux dieux, toutes leurs reliques, qui s'appelloient exuvia, dépouilles. (D.J.)


THENSYS. m. (Hist. nat. Litholog.) nom que les Chinois donnent à une pierre qui se trouve, dit-on, dans le Katai. Quand on la met sur la langue, on la trouve âcre & caustique ; mise dans le feu, elle répand une odeur arsénicale & désagréable. On en vante l'usage externe pour les tumeurs, après l'avoir fait dissoudre dans de l'eau. Voyez Ephémerides nat. curiosor.


THEOBROMAS. m. (Botan.) genre de plante qui renferme le cacao & le guazuma du P. Plumier : voici ses caracteres. Le calice particulier de la fleur est ouvert, & composé de feuilles ovales, concaves & qui tombent. La couronne de la fleur est formée de cinq pétales, droits, ouverts, en casque, & terminés par une soie fendue en deux. Le nectarium est fait en cloche, plus petit que la fleur, & composé de cinq pétales. Les étamines sont cinq filets pointus, de la longueur du nectarium ; chaque filet a son sommet divisé en cinq segmens, & porte cinq bossettes. Le germe du pistil est ovale ; le stile est pointu, & de la longueur du nectarium ; le stigma est simple. Le fruit est ligneux, divisé en cinq côtes sur la surface, qui contiennent autant de cellules remplies de semences. Les semences sont nombreuses, charnues, de forme ovale ; il se trouve quelque différence dans le fruit, selon les différentes especes d'arbres qui le produisent. Le cacaotier a un fruit long, pointu des deux côtés. Le guazuma a le fruit globulaire, chargé de tubercules ; est percé comme un crible, & divisé intérieurement en cinq cellules. Linnaei, Gen. Plant. pag. 367. Plumier, Gen. 18. Tourn. Inst. pag. 444. (D.J.)


THEOCATAGNOSTESS. m. pl. (Hist. ecclés.) secte d'hérétiques ou plutôt de blasphémateurs, qui sont assez téméraires, pour trouver à redire à certaines paroles ou actions de Dieu, & pour blâmer plusieurs choses rapportées dans l'Ecriture.

Ce mot est formé du grec , dieu, & , je juge ou je condamne.

Marshal, dans ses Tables, place ces hérétiques dans le septieme siecle, on n'en sait pas la raison ; car saint Jean Damascène, qui est le seul auteur qui en ait fait mention, ne dit pas un mot du tems où cette secte s'éleva dans l'Eglise.

A quoi l'on peut ajouter que S. Jean Damascène, dans son Traité des hérésies, appelle souvent hérétiques, ces gens impies & pervers qu'on a trouvés dans tous les tems, & qui cependant n'avoient jamais été auteurs, ni chefs de sectes.


THÉOCRATIES. f. (Hist. anc. & politiq.) c'est ainsi que l'on nomme un gouvernement dans lequel une nation est soumise immédiatement à Dieu, qui exerce sa souveraineté sur elle, & lui fait connoître ses volontés par l'organe des prophêtes & des ministres à qui il lui plaît de se manifester.

La nation des Hébreux nous fournit le seul exemple d'une vraie théocratie. Ce peuple dont Dieu avoit fait son héritage, gémissoit depuis long-tems sous la tyrannie des Egyptiens, lorsque l'éternel se souvenant de ses promesses, résolut de briser ses liens, & de le mettre en possession de la terre qu'il lui avoit destinée. Il suscita pour sa délivrance un prophête, à qui il communiqua ses volontés ; ce fut Moïse, Dieu le choisit pour être le libérateur de son peuple ; & pour lui prescrire des loix dont lui-même étoit l'auteur. Moïse ne fut que l'organe & l'interprête des volontés du ciel, il étoit le ministre de Dieu, qui s'étoit reservé la souveraineté sur les Israélites ; ce prophête leur prescrivit en son nom, le culte qu'ils devoient suivre, & les loix qu'ils devoient observer.

Après Moïse, le peuple hébreu fut gouverné par des juges que Dieu lui permit de choisir. La théocratie ne cessa point pour cela ; les juges étoient les arbitres des différens, & les généraux des armées : assistés par un sénat de soixante & dix vieillards, il ne leur étoit point permis ni de faire de nouvelles loix, ni de changer celles que Dieu avoit prescrites ; dans les circonstances extraordinaires, on étoit obligé de consulter le grand-prêtre & les prophêtes, pour savoir les volontés du ciel : ainsi on regloit sa conduite d'après les inspirations immédiates de la divinité. Cette théocratie dura jusqu'au tems de Samuel ; alors les Israélites par une ingratitude inouie, se lasserent d'être gouvernés par les ordres de Dieu même, ils voulurent à l'exemple des nations idolâtres, avoir un roi qui les commandât, & qui fît respecter leurs armes. Le prophête Samuël consulté sur ce changement, s'adresse au Seigneur qui lui répond, j'ai entendu le peuple, ce n'est pas toi qu'il rejette, c'est moi-même. Alors l'éternel dans sa colere consent à lui donner un roi ; mais ce n'est point sans ordonner à son prophête d'annoncer à ces ingrats les inconvéniens de cette royauté qu'ils préferoient à la théocratie.

" Voici, leur dit Samuël, quel sera le droit du roi qui regnera sur vous : il prendra vos fils, & se fera porter sur leurs épaules ; il traversera les villes en triomphe ; parmi vos enfans, les uns marcheront à pié devant lui, & les autres le suivront comme de vils esclaves ; il les fera entrer par force dans ses armées ; il les fera servir à labourer ses terres, & à couper ses moissons ; il choisira parmi eux les artisans de son luxe & de sa pompe ; il destinera vos filles à des services vils & bas ; il donnera vos meilleurs héritages à ses favoris & à ses serviteurs ; pour enrichir ses courtisans, il prendra la dixme de vos revenus ; enfin vous serez ses esclaves, & il vous sera inutile d'implorer sa clémence, parce que Dieu ne vous écoutera pas, d'autant que vous êtes les ouvriers de votre malheur ". Voyez Samuël, ch. viij. vers. 9. C'est ainsi que le prophête exposa aux Israélites les droits que s'arrogeroit leur roi ; telles sont les menaces que Dieu fait à son peuple, lorsqu'il voulut se soustraire à son pouvoir pour se soumettre à celui d'un homme. Cependant la flaterie s'est servie des menaces mêmes du prophête pour en faire des titres aux despotes. Des hommes pervers & corrompus ont prétendu que par ces mots l'être suprême approuvoit la tyrannie, & donnoit sa sanction à l'abus du pouvoir : quoique Dieu eût fait connoître ainsi aux Hébreux les dangers du pouvoir qu'ils alloient conférer à l'un d'entr'eux, ils persisterent dans leur demande. " Nous serons, dirent-ils, comme les autres nations, nous voulons un roi qui nous juge, & qui marche à notre tête contre nos ennemis ". Samuël rend compte à Dieu de l'obstination de son peuple ; l'éternel irrité ne lui répond que par ces mots, donne leur un roi : le prophête obéit en leur donnant Saül ; ainsi finit la théocratie.

Quoique les Israélites soient le seul peuple qui nous fournisse l'exemple d'une vraie théocratie, on a vû cependant des imposteurs, qui, sans avoir la mission de Moïse, ont établi sur des peuples ignorans & séduits, un empire qu'ils leur persuadoient être celui de la Divinité. Ainsi, chez les Arabes, Mahomet s'est rendu le prophête, le législateur, le pontife, & le souverain d'une nation grossiere & subjuguée ; l'alcoran renferme à-la-fois les dogmes, la morale, & les loix civiles des Musulmans ; on sait que Mahomet prétendoit avoir reçu ces loix de la bouche de Dieu même ; cette prétendue théocratie dura pendant plusieurs siecles sous les califes, qui furent les souverains, & les pontifes des Arabes. Chez les Japonois, la puissance du dairi ou de l'empereur ecclésiastique, ressembloit à une théocratie, avant que le cubo ou empereur séculier, eût mis des bornes à son autorité. On trouve des vestiges d'un empire pareil chez les anciens gaulois ; les druides exerçoient les fonctions de prêtres & de juges des peuples. Chez les Ethiopiens & les Egyptiens, les prêtres ordonnoient aux rois de se donner la mort, lorsqu'ils avoient déplu à la Divinité ; en un mot il n'est guere de pays où le sacerdoce n'ait fait des efforts pour établir son autorité sur les ames & sur les corps des hommes.

Quoique Jesus-Christ ait déclaré que son royaume n'est pas de ce monde ; dans des siecles d'ignorance, on a vû des pontifes chrétiens s'efforcer d'établir leur puissance sur les ruines de celle des rois ; ils prétendoient disposer des couronnes avec une autorité qui n'appartient qu'au souverain de l'univers.

Telles ont été les prétentions & les maximes des Grégoire VII. des Boniface VIII. & de tant d'autres pontifes romains, qui profitant de l'imbécillité superstitieuse des peuples, les ont armés contre leurs souverains naturels, & ont couvert l'Europe de carnage & d'horreurs ; c'est sur les cadavres sanglans de plusieurs millions de chrétiens que les représentans du Dieu de paix ont élevé l'édifice d'une puissance chimérique, dont les hommes ont été long-tems les tristes jouets & les malheureuses victimes. En général l'histoire & l'expérience nous prouvent que le sacerdoce s'est toujours efforcé d'introduire sur la terre une espece de théocratie ; les prêtres n'ont voulu se soumettre qu'à Dieu, ce souverain invisible de la nature, ou à l'un d'entr'eux, qu'ils avoient choisi pour représenter la divinité ; ils ont voulu former dans les états un état séparé indépendant de la puissance civile ; ils ont prétendu ne tenir que de la Divinité les biens dont les hommes les avoient visiblement mis en possession. C'est à la sagesse des souverains à réprimer ces prétentions ambitieuses & idéales, & à contenir tous les membres de la société dans les justes bornes que prescrivent la raison & la tranquillité des états.

Un auteur moderne a regardé la théocratie comme le premier des gouvernemens que toutes les nations aient adoptés ; il prétend qu'à l'exemple de l'univers qui est gouverné par un seul Dieu, les hommes réunis en société ne voulurent d'autre monarque que l'être suprême. Comme l'homme n'avoit que des idées imparfaites & humaines de ce monarque céleste, on lui éleva un palais, un temple, un sanctuaire, & un trône, on lui donna des officiers & des ministres. On ne tarda point à représenter le roi invisible de la société par des emblêmes & des symboles qui indiquoient quelques-uns de ses attributs ; peu-à-peu l'on oublia ce que le symbole désignoit, & l'on rendit à ce symbole ce qui n'étoit dû qu'à la Divinité qu'il représentoit ; ce fut là l'origine de l'idolâtrie à laquelle les prêtres, faute d'instruire les peuples, ou par intérêt, donnerent eux-mêmes lieu. Ces prêtres n'eurent point de peine à gouverner les hommes au nom des idoles muettes & inanimées dont ils étoient les ministres ; une affreuse superstition couvrit la face de la terre sous ce gouvernement sacerdotal, il multiplia à l'infini les sacrifices, les offrandes, en un mot toutes les pratiques utiles aux ministres visibles de la Divinité cachée. Les prêtres enorgueillis de leur pouvoir en abuserent étrangement ; ce fut leur incontinence, qui, suivant l'auteur, donna naissance à cette race d'hommes qui prétendoient descendre des dieux, & qui sont connus dans la Mythologie sous le nom de demi-dieux. Les hommes fatigués du joug insupportable des ministres de la théocratie, voulurent avoir au milieu d'eux des symboles vivans de la Divinité, ils choisirent donc des rois, qui furent pour eux les représentans du monarque invisible. Bientôt on leur rendit les mêmes honneurs qu'on avoit rendu avant eux aux symboles de la théocratie ; ils furent traités en dieux, & ils traitent en esclaves les hommes, qui, croyant être toujours soumis à l'être suprême, oublierent de restraindre par des loix salutaires le pouvoir dont pouvoient abuser ses foibles images. C'est-là, suivant l'auteur, la vraie source du despotisme, c'est-à-dire de ce gouvernement arbitraire & tyrannique sous lequel gémissent encore aujourd'hui les peuples de l'Asie, sans oser réclamer les droits de la nature & de la raison, qui veulent que l'homme soit gouverné pour son bonheur. Voyez PRETRES.


THÉODOLITES. m. (Arpentage) instrument en usage dans l'arpentage, pour prendre les hauteurs & les distances ; il est composé de plusieurs parties, 1°. un cercle de cuivre divisé en quatre quarts de 90d représentant les quatre points cardinaux de la boussole, l'est, l'ouest, le nord, & le sud, & marqué des lettres E, O, N, S ; chacun de ces quarts est divisé en 90 degrés, & subdivisé autant que la grandeur de l'instrument le peut permettre communément par les diagonales. Les quatre quarts doivent être marqués de 10, 20, 30, &c. deux fois, commençant au point du nord & du sud, finissant à 90 aux points de l'est & de l'ouest ; 2°. une boîte & une aiguille placées justement sur le centre du cercle, sur lequel centre l'instrument, l'index avec ses guidons, doivent être mis de-sorte qu'ils puissent tourner & se mouvoir en rond ; mais la boîte & l'aiguille demeurent fixes. Au fond de la boîte il faut qu'il y ait une boussole attachée de-sorte qu'elle réponde aux lettres E, O, N, S, marquées sur l'instrument ; 3°. par - derriere un emboîtement ou plan, ou, ce qui est le mieux, un rond, pour entrer dans la tête d'un pié à trois branches, sur lesquelles l'instrument est porté ; 4°. ce bâton ou ce pié pour poser l'instrument dessus, & dont le cou ou manche vers la tête doit entrer dans l'emboîtement qui est derriere l'instrument.

Au reste, il y a plusieurs autres manieres de faire les théodolites ; il faut préférer la plus simple, la plus exacte, la plus promte, & celle dans laquelle l'instrument mathématique soit du transport le plus facile.

L'usage du théodolite est abondamment justifié par celui du demi - cercle qui est seulement un demi théodolite ; mais M. Sisson a perfectionné cet instrument par de nouvelles vues : on trouvera la description de son théodolite dans le livre anglois de M. Gardner, intitulé Practical surveying improved, & dans un traité de géométrie pratique publié en anglois à Edimbourg 1745, in-8 °. par le célebre M. Maclaurin. (D.J.)


THEODORIAS(Géog. anc.) nom commun à une ville d'Asie, située aux confins de la Colchide, & à une province ecclésiastique d'Asie, aux environs de la Coelé-Syrie. Laodicée étoit la métropole de cette province, & avoit trois évêchés suffragans. (D.J.)


THÉODORIEN(Philos. grecq.) les Théodoriens étoient une secte de philosophes de l'académie d'Athènes, & qui avoient eu Théodore pour maître. Le seul bien de l'homme, disoient-ils, c'est le plaisir des sens, ou même l'assemblage de toutes les voluptés ; que de gens parmi nous qui sont de cette secte ! (D.J.)


THEODOROPOLIS(Géog. anc.) ville de Thrace, dans la Moesie. Justinien fonda cette ville, & la nomma Théodoropole, du nom de l'impératrice Theodora son épouse. (D.J.)


THÉODOSIE(Géog. anc.) Theodosia, ville de la Chersonese taurique. Le périple de Scylax, Strabon, l. VII. p. 309. Pomponius Mela, liv. II. c. j. Pline & Ptolémée, liv. IV. ch. xij. font mention de cette ville ; présentement on l'appelle Caffa. (D.J.)


THÉODOSIENCODE, (Jurisprud.) Voyez ci-devant au mot CODE, l'article CODE THEODOSIEN.


THEODOSIOPOLIS(Géog. anc.) nom commun à quelques villes & à divers siéges épiscopaux.

1°. Theodosiopolis, ville de l'Arménie, sur les frontieres de la Persaménie : on croit assez communément, dit Tournefort, qu'Erzeron est l'ancienne ville de Théodosiopolis ; la chose néanmoins ne paroît pas trop assurée, à-moins qu'on ne suppose, comme cela se peut, que les habitans d'Artze se fussent retirés à Theodosiopolis, après qu'on eut détruit leurs maisons.

2°. Theodosiopolis, ville de la Mésopotamie, sur le bord du fleuve Aborras.

3°. Theodosiopolis, ville de la grande Arménie, fondée par Anastase, & qui ne put jamais lui ôter son premier nom. Procope en parle beaucoup dans ses éloges des édifices de Justinien.

4°. Theodosiopolis est le nom, 1°. d'un siége épiscopal de la province d'Asie ; 2°. d'un siége épiscopal de la Thrace ; 3°. d'un siége épiscopal d'Egypte, dans la province d'Arcadie ; 4°. d'un siége épiscopal d'Egypte, dans la premiere Thébaïde ; 5°. d'un siége épiscopal de l'Asie proconsulaire ; 6°. d'un siége épiscopal d'Asie, dans l'Osrhoène. (D.J.)


THÉOÉNIESS. f. pl. (Antiq. grecq.) têtes de Bacchus chez les Athéniens ; le dieu lui-même étoit appellé Théoénos, le dieu du vin, de , dieu, & , du vin. (D.J.)


THÉOGAMIES. f. pl. (Antiq. grecq.) , fête qui se célébroit en l'honneur de Proserpine, & en mémoire de son mariage avec Pluton : ce mot signifie mariage des dieux, de , dieu, & , mariage. Voyez Potter, Archaeol. graec. l. II. c. xx. tom. I. p. 402. (D.J.)


THÉOGONIES. f. (Hist. anc.) branche de la théologie payenne, qui enseignoit la génération de leurs dieux. Voyez DIEU.

Ce mot est formé du grec theos, Dieu, & de goné, génération, semence, généalogie.

Hésiode nous a donné l'ancienne théogonie dans un poëme qui porte ce titre.

Le docteur Burnet observe que les anciens auteurs confondent la théogonie, avec la cosmogonie : en effet la génération des dieux des anciens Persans, savoir, le feu, l'eau & la terre, n'est probablement autre chose que la génération des premiers élémens. Voyez CHAEOS.


THÉOLLE, ou LE THÉO, (Géog. mod.) petite riviere de France, en Berri, élection d'Issoudun. Elle a sa source à 14 lieues d'Issoudun, & se jette dans l'Arnois, à Reuilly. (D.J.)


THÉOLOGALS. m. (Hist. ecclés.) nom qu'on donne dans les cathédrales & dans quelques collégiales à un théologien prébendé, pour prêcher à certains jours & pour faire des leçons de théologie aux jeunes clercs.

Le pape Innocent III. dans le second concile de Latran, ordonna que dans chaque église métropolitaine, on nommeroit un théologien pour interprêter l'Ecriture-sainte, & pour enseigner ce qui regarde le soin des ames. Pour récompense il assigne à celui qui fera ces leçons, le revenu d'une prébende. Le concile de Basle, sess. 31. can. 3. dont le decret fut inséré dans la pragmatique sanction, étend à toutes les églises cathédrales la nécessité d'avoir un théologal qui n'étoit auparavant que pour les églises métropolitaines. Cette disposition a passé de la pragmatique dans le concordat, approuvé par le cinquieme concile de Latran. Il porte qu'il y aura une prébende théologale dans toutes les églises cathédrales & métropolitaines affectée à un docteur, licencié ou bachelier formé en théologie. Il doit faire au-moins deux leçons par semaine, sous peine d'être privé, s'il y manque, de ses distributions ; mais quand il enseigne, il doit être censé présent au choeur, & ne rien perdre de tout ce qui peut revenir aux autres chanoines.

Le concile de Trente, sess. 5. c. j. affecte aussi une prébende au théologal, qu'il veut qu'on établisse dans chaque cathédrale. Suivant les décisions de la congrégation du concile, les chanoines & les autres prêtres de la cathédrale sont obligés d'assister aux leçons du théologal, & on peut priver celui-ci de sa prébende, s'il manque à satisfaire à ses devoirs.

Dans le cinquieme concile de Milan, on oblige le théologal d'interprêter publiquement l'Ecriture-sainte dans l'église cathédrale tous les jours de fêtes & de dimanches. S. Charles dans son onzieme synode diocésain, enjoint au théologal de faire trois leçons par semaine, & de prêcher quelquefois. Ainsi le théologal qui n'étoit d'abord que le docteur des clercs, est devenu aussi celui du peuple.

Les ordonnances d'Orléans & de Blois prescrivent l'établissement d'un théologal dans les cathédrales ; elles veulent qu'il prêche tous les dimanches & fêtes solemnelles, & qu'il fasse des leçons publiques sur l'Ecriture-sainte trois fois la semaine. Les chanoines sont obligés d'assister à ses leçons, sous peine d'être privés de leurs rétributions ; mais toutes ces dispositions sont aujourd'hui fort négligées. Thomassin, disciplin. de l'Eglise, part. IV. liv. II. c. lxix. & xcvij.


THÉOLOGIETheologia, du grec , Dieu, & , discours, prise en général, est la science de Dieu & des choses divines, même entant qu'on peut les connoître par la lumiere naturelle. C'est en ce sens qu'Aristote, Metaphysic. l. VI. appelle théologie, la partie de la philosophie, qui s'occupe à traiter de Dieu & de quelques-uns de ses attributs. C'est encore dans le même sens que les Payens donnoient à leurs poëtes le nom de théologiens, parce qu'ils les regardoient comme plus éclairés que le vulgaire, sur la nature de la divinité & sur les mysteres de la religion.

Les anciens avoient trois sortes de théologie ; savoir, 1°. la mythologique ou fabuleuse qui florissoit parmi les Poëtes, & qui rouloit principalement sur la théogonie ou génération des dieux. Voyez FABLE, MYTHOLOGIE & THEOGONIE.

2°. La politique, embrassée principalement par les princes, les magistrats, les prêtres, & le corps des peuples, comme la science la plus utile & la plus nécessaire pour la sûreté, la tranquillité & la prospérité de l'état.

3°. La physique naturelle, cultivée par les Philosophes, comme la science la plus convenable à la nature & à la raison, elle n'admettoit qu'un seul Dieu suprême, & des démons ou génies, comme médiateurs entre Dieu & les hommes. Voyez DEMON & GENIE.

Les Hébreux qui avoient été favorisés de la révélation ont aussi leurs Théologiens, car on peut donner ce titre aux Prophêtes suscités de Dieu pour les instruire, aux pontifes chargés par état de leur expliquer la loi, & aux scribes ou docteurs qui faisoient profession de l'interprêter. Depuis leur dispersion, les Juifs modernes n'ont manqué ni d'écrivains, ni de livres ; les écrits de leurs rabbins sont répandus par tout le monde. Voyez RABBINS & THALMUD.

Parmi les Chrétiens, le mot de Théologie se prend en divers sens. Les anciens peres, & particulierement les Grecs, comme saint Basile & saint Grégoire de Nazianze, ont donné spécialement ce nom à la partie de la doctrine chrétienne qui traite de la divinité ; de-là vient que parmi eux on appelloit l'évangéliste S. Jean, le théologien par excellence, à cause qu'il avoit traité de la divinité du Verbe, d'une maniere plus profonde & plus étendue que les autres apôtres. Ils surnommoient aussi S. Grégoire de Nazianze, le théologien, parce qu'il avoit défendu avec zele la divinité du Verbe contre les Ariens ; & en ce sens les Grecs distinguoient la théologie, de ce qu'ils appelloient économie, c'est-à-dire de la partie de la doctrine chrétienne qui traite du mystere de l'incarnation.

Mais dans un sens plus étendu, l'on définit la Théologie, une science qui nous apprend ce que nous devons croire de Dieu, & la maniere dont il veut que nous le servions ; on la divise en deux especes, qui sont la Théologie naturelle & la Théologie surnaturelle.

La Théologie naturelle est la connoissance que nous avons de Dieu & de ses attributs, par les seules lumieres de la raison & de la nature, & en considérant les ouvrages qui ne peuvent être sortis que de ses mains.

La Théologie surnaturelle ou Théologie proprement dite est une science, qui se fondant sur des principes révélés, tire des conclusions, tant sur Dieu, sa nature, ses attributs, &c. que sur toutes les autres choses qui peuvent avoir rapport à Dieu : d'où il s'ensuit, que la Théologie joint dans sa maniere de procéder l'usage de la raison à la certitude de la révélation, ou qu'elle est fondée en partie sur les lumieres de la révélation, & en partie sur celles de la raison.

Toutes les vérités dont la Théologie se propose la recherche & l'examen, étant ou spéculatives ou pratiques, on la divise à cet égard en Théologie spéculative, & Théologie pratique ou morale. La Théologie spéculative est celle qui n'a pour objet que d'éclaircir, de fixer, de défendre les dogmes de la religion, en tant qu'ils doivent être crus. La Théologie, pratique ou morale, est celle qui s'occupe à fixer les devoirs de la religion, en traitant des vertus & des vices, en prescrivant des regles, & décidant de ce qui est juste ou injuste, licite ou illicite dans l'ordre de la religion.

Quant à la maniere de traiter la Théologie, on la distingue en positive & en scholastique. La Théologie positive, est celle qui a pour objet d'exposer & de prouver les vérités de la religion par les textes de l'Ecriture, conformément à la tradition des peres de l'Eglise & aux décisions des conciles, sans s'attacher à la méthode des écoles, mais en les traitant dans un style oratoire, comme ont fait les peres de l'Eglise.

La scholastique est celle qui emploie la dialectique, les argumens & la forme usitée dans les écoles pour traiter les matieres de religion.

Quelques auteurs pensent, que la différence qui se trouve entre la Théologie positive & la scholastique, ne vient point de la diversité du style & de l'élocution ; en un mot, de la forme scholastique propre à la derniere, & qu'on ne remarque pas dans la premiere ; mais de ce que les Théologiens scholastiques ont renfermé en un seul corps & mis dans un certain ordre, toutes les questions qui regardent la doctrine, au lieu que les anciens ne traitoient des dogmes de la religion, que séparément & par occasion : mais cela ne fait rien quant au style, car les modernes auroient pû traiter tout le plan de la religion en style oratoire, & les anciens n'en traiter que quelques questions en style scholastique. La véritable différence entre la positive & la scholastique dépend donc de la forme du style, puisque pour le fonds les matieres sont les mêmes.

Luther appelloit la Théologie scholastique une discipline à deux faces, composée du mêlange de l'Ecriture-sainte & des raisons philosophiques. Mixtione quadam ex divinis eloquiis & philosophicis rationibus tanquam ex centaurorum genere biformis disciplina conflata est. Mais on verra par la suite, qu'il n'en avoit qu'une fausse idée & qu'il en jugeoit par les abus.

M. l'abbé Fleury dans son cinquieme discours sur l'histoire ecclésiastique, ne paroît pas non plus fort favorable à la scholastique ; car après s'être objecté, s'il n'est pas vrai que les scholastiques ont trouvé une méthode plus commode & plus exacte pour enseigner la Théologie, & si leur style n'est pas plus solide & plus précis que celui des anciens, il répond, " Je l'ai souvent oui-dire, mais je ne puis en convenir, & on ne me persuadera jamais, que jusqu'au douzieme siecle la méthode ait manqué dans les écoles chrétiennes. Il est vrai, ajoute-t-il, que les anciens n'ont pas entrepris de faire un cours entier de Théologie, comme ont fait Hugues de Saint-Victor, Robert Pullus, Hildebert de Tours, & tant d'autres. Mais ils n'ont pas laissé que de nous donner dans leurs ouvrages le plan entier de la religion, comme S. Augustin dans son Enchiridion, montre tout ce qu'on doit croire, & la maniere de l'enseigner dans le livre de la doctrine chrétienne. On trouve de même l'abrégé de la morale dans quelques autres traités, comme dans le pédagogue de S. Clément Alexandrin ".

" Que manque-t-il donc aux anciens, continue-t-il ? Est-ce de n'avoir pas donné chacun leur cours entier de Théologie, recommençant toujours à diviser & à définir les mêmes matieres ? J'avoue que les modernes l'ont fait, mais je ne conviens pas que la religion en ait été mieux enseignée. L'effet le plus sensible de cette méthode est d'avoir rempli le monde d'une infinité de volumes, partie imprimés, partie encore manuscrits qui demeurent en repos dans les grandes bibliotheques, parce qu'ils n'attirent les lecteurs ni par l'utilité, ni par l'agrément : car qui lit aujourd'hui Alexandre de Halles ou Albert le grand " ? Et il avoit remarqué plus haut qu'il ne voyoit rien de grand dans ce dernier que la grosseur & le nombre des volumes.

Il observe ensuite que les scholastiques prétendoient suivre la méthode des géomêtres, mais qu'ils ne la suivoient pas en effet, prenant souvent l'Ecriture dans des sens figurés & détournés, posant pour principes des axiomes d'une mauvaise philosophie, ou des autorités de quelqu'auteur profane. Puis il ajoute : " si les scholastiques ont imité la méthode des géomêtres, ils ont encore mieux copié leur style sec & uniforme. Ils ont donné dans un autre défaut, en se faisant un langage particulier distingué de toutes les langues vulgaires & du vrai latin, quoiqu'il en tire son origine. Ce qui toutefois n'est point nécessaire, puisque chacun peut philosopher en parlant bien sa langue. Les écrits d'Aristote sont en bon grec ; les ouvrages philosophiques de Cicéron en bon latin, & dans le dernier siecle Descartes a expliqué sa doctrine en bon françois....

Une autre erreur est de croire qu'un style sec, contraint, & partout uniforme, soit plus clair & plus court que le discours ordinaire & naturel, où l'on se donne la liberté de varier les phrases, & d'employer quelques figures. Ce style gêné & jetté en moule, pour ainsi dire, est plus long, outre qu'il est très-ennuyeux. On y répete à chaque page les mêmes formules, par exemple ; sur cette matiere on fait six questions ; à la premiere, on procede ainsi, puis trois objections, puis je réponds qu'il faut dire, &c. ensuite viennent les réponses aux objections. Vous diriez que l'auteur est forcé par une nécessité inévitable de s'exprimer toujours de même. On répete à chaque ligne les termes de l'art : proposition, assertion, majeure, mineure, preuve, conclusion, &c. or ces répétitions allongent beaucoup le discours....

Les argumens en forme allongent encore notablement le discours, & impatientent celui qui voit d'abord la conclusion. Il est soulagé par un enthymême ou par une simple proposition, qui fait sousentendre tout le reste. Il faudroit reserver les syllogismes entiers pour des occasions rares, lorsqu'il faut développer un sophisme spécieux, ou rendre sensible une vérité abstraite.

Cependant, conclut-il, ceux qui sont accoutumés au style de l'école ne reconnoissent point les raisonnemens, s'ils ne sont revêtus de la forme syllogistique. Les peres de l'Eglise leur paroissent des rhétoriciens pour ne pas dire des discoureurs, parce qu'ils s'expliquent naturellement, comme on fait en conversation, parce qu'ils usent quelquefois d'interrogations, d'exclamations & d'autres figures ordinaires, & les scholastiques ne voyent pas que les figures & les tours ingénieux épargnent beaucoup de paroles, & que souvent par un mot bien placé, on prévient ou l'on détourne une objection qui les occuperoit long-tems. "

Ces accusations sont graves, & l'on ne peut gueres dire plus de mal de la scholastique ; mais elle ne tombent que sur l'ancienne scholastique défigurée par des questions frivoles & par un style barbare. Car il faut convenir que depuis le renouvellement des études dans le xvj. siecle la scholastique a bien changé de forme à ces deux égards. En effet, à la considérer dans son véritable point de vue, elle n'est que la connoissance des divines Ecritures, interpretées suivant le sens que l'Eglise approuve, en y joignant les explications & les censures des peres, sans toutefois négliger les secours qu'on peut tirer des sciences profanes pour éclaircir & soutenir la vérité. Scholastica theologia est divinarum scripturarum peritia, recepta quem ecclesia approbat sensu, non spretis orthodoxorum doctorum interpretationibus & censuris, interdum aliarum disciplinarum non contempto suffragio.. C'est ainsi que l'a connue la faculté de théologie de Paris, qui la cultive sur ces principes, & dont le but en y exerçant ses éleves est de les accoutumer à la justesse du raisonnement par l'usage de la dialectique.

Retranchez en effet de la scholastique un grand nombre de questions futiles dont la surchargeoient les anciens, écartez les abus de leur méthode, & réduisez-la à traiter par ordre des vérités intéressantes du dogme & de la morale, & vous trouverez qu'elle est aussi ancienne que l'Eglise. Tant d'ouvrages polémiques & dogmatiques des peres de tous les siecles, dans lesquels ils établissent les divers dogmes de la religion attaqués par les hérétiques, en sont une preuve incontestable. Car ils ne se contentent pas d'y exposer simplement la foi de l'Eglise, & d'apporter les passages de l'Ecriture & des peres sur lesquels elle est fondée, mais ils employent aussi la dialectique & le raisonnement pour établir le véritable sens des passages qu'ils citent, pour expliquer ceux qui sont allégués par leurs adversaires, pour réfuter les difficultés qu'ils proposent, pour éclaircir & développer les conséquences des principes qu'ils trouvent établis dans l'Ecriture sainte & dans la tradition, & pour convaincre d'erreur les fausses conséquences tirées par les hérétiques : enfin ils ne négligerent rien de tout ce qui peut servir à faire connoître, à éclaircir & à soutenir la vérité, à persuader ceux qui n'en sont pas convaincus, à retirer de l'erreur ceux qui y sont engagés ; pour y réussir, ils employent les principes de la raison naturelle, la science des langues, les subtilités de la dialectique, les traits de l'éloquence, l'autorité des philosophes & celle des historiens. On trouve dans leurs écrits des propositions, des preuves, des objections, des réponses, des argumens, des conséquences, &c. toute la différence vient donc de ce que la méthode des modernes est moins cachée, & qu'ils ne sont pas ou n'affectent pas de paroître si éloquens. Mais au fond, en sont-ils moins solides quand ils ne s'attachent qu'aux points essentiels, & qu'ils les traitent par les grands principes, comme font les scholastiques modernes, sur-tout dans la faculté de théologie de Paris ? Les défauts d'une méthode naissante ne prouvent pas toujours qu'elle soit mauvaise, & font souvent l'éloge de ceux qui l'ont perfectionnée.

Les théologiens ont coutume de traiter plusieurs questions sur la dignité, l'utilité, la nécessité de la science qu'ils professent, & nous renvoyerons sur tous ces articles le lecteur à leurs écrits : nous nous contenterons de toucher ce qui regarde la certitude de la Théologie ou des conclusions théologiques. Par conclusions théologiques on entend celles qui sont évidemment & certainement déduites d'une ou deux prémisses, qui sont toutes deux révelées, ou dont l'une est révelée, & l'autre est simplement connue par la lumiere naturelle, & l'on demande si ces conclusions sont d'une égale certitude que les propositions qui sont de foi. 2°. Si elles sont plus ou moins certaines que les conclusions des autres sciences. 3°. Si elles égalent en certitude les premiers principes ou axiomes de géométrie, philosophie, &c.

La décision de toutes ces questions dépend de savoir quel est le fondement de la certitude des conclusions théologiques, c'est-à-dire, quel est le motif qui détermine l'esprit à y acquiescer. On convient généralement que la révélation immédiate de Dieu proposée par l'Eglise, est le motif qui porte à acquiescer aux vérités qui sont de foi, & que la révélation virtuelle ou médiate, c'est-à-dire, la connexion qui se trouve entr'une conclusion théologique & la révélation, connexion manifestée par la lumiere naturelle, est le motif qui porte à acquiescer aux conclusions théologiques.

De-là il est aisé d'inférer 1°. que les conclusions purement théologiques n'ont pas le même degré de certitude que les vérités de foi, celles-ci étant fondées 1°. sur la révélation immédiate de Dieu ; 2°. sur la décision de l'Eglise qui atteste la vérité de cette révélation, au lieu que les conclusions théologiques n'ont pour motif que leur liaison avec la révélation, mais liaison apperçue seulement par les lumieres de la raison ; le motif d'acquiescement, & le moyen de connoître ce motif, sont, comme on voit, dans les conclusions théologiques d'un ordre inférieur au motif qui détermine l'esprit à se soumettre aux vérités de foi, & au moyen qui lui découvre ce motif.

2°. Que les conclusions théologiques sont plus certaines que les conclusions des sciences naturelles prises en général, parce qu'on sait que celles-ci ne sont souvent appuyées que sur des conjectures, & que leur liaison avec les premiers principes, n'est pas si évidente que celle des conclusions théologiques avec la révélation immédiate.

Mais on est partagé sur la troisieme question ; savoir, si les conclusions théologiques sont plus ou moins certaines que les premiers principes géométriques ou philosophiques ; & il y a sur ce point deux opinions.

La premiere est celle des anciens théologiens qui soutiennent que les conclusions théologiques sont plus certaines que les premiers principes, parce que, disent-ils, elles sont appuyées sur la révélation de Dieu, qui ne peut, ni ne veut tromper les hommes, au lieu que la certitude des premiers principes n'est fondée que sur la raison ou la lumiere naturelle, qui est sujette à l'erreur.

La plûpart des modernes pensent au-contraire que les premiers principes sont aussi certains que les conclusions théologiques, parce que 1°. telle est la certitude de ces axiomes : le tout est plus grand que sa partie ; deux choses égales à une troisieme sont égales entr'elles, &c. qu'il est impossible d'en assigner une plus grande ; & qu'on sent par expérience qu'il n'est point de vérités auxquelles l'esprit acquiesce plus promtement. 2°. Parce que Dieu n'est pas moins l'auteur de la raison que de la révélation, d'où il s'ensuit, que si l'on ne peut soupçonner la révélation de faux, de peur d'en faire retomber le reproche sur Dieu même, on ne peut non-plus soupçonner la raison d'erreur quant aux premiers principes, puisque Dieu nous a donné également ces deux moyens, l'un de connoître les vérités naturelles, l'autre d'adhérer aux vérités de foi. 3°. Parce que la foi même est en quelque sorte appuyée sur la raison : car, disent-ils, pourquoi croyons-nous à la révélation ? parce que nous savons que Dieu est la vérité par essence, qui ne peut ni tromper, ni être trompé ; & qui est-ce qui nous manifeste cette vérité ? la raison sans-doute ; c'est elle aussi qui par divers motifs de crédibilité nous persuade que Jesus-Christ est le messie, & que sa religion est la seule véritable : si donc la raison nous mene comme par la main jusqu'à la foi, & si elle en est en quelque sorte le fondement, pourquoi veut-on que les conclusions théologiques qu'on avoue être moins certaines que les vérités de foi, le soient davantage que les axiomes & les premiers principes de la raison ? Holden de resolut. fidei, l. I. c. iij. & element. theolog. c. j. p. 12.

THEOLOGIE MYSTIQUE, signifie une espece de théologie raffinée & sublime, que professent les mystiques. Voyez MYSTIQUES & THEOLOGIE.

Cette théologie consiste dans une connoissance de Dieu & des choses divines, non pas celle que l'on acquiert par la voie ordinaire, mais celle que Dieu infuse immédiatement par lui-même, & qui est assez puissante pour élever l'ame à un état calme, pour la dégager de tout intérêt propre, pour l'enflammer d'une dévotion affectueuse, pour l'unir intimément à Dieu, pour illuminer son entendement, ou pour échauffer ou animer sa volonté d'une façon extraordinaire.

Parmi les oeuvres que l'on attribue à S. Denis l'Aréopagite, on trouve un discours de théologie mystique, & plusieurs auteurs anciens & modernes ont écrit sur le même sujet.

THEOLOGIE POSITIVE, est celle qui consiste dans la simple connoissance ou exposition des dogmes & des articles de foi, autant qu'ils sont contenus dans les saintes Ecritures, ou expliqués par les peres & les conciles, dégagées de toutes disputes & controverses. Voyez THEOLOGIE.

En ce sens, la théologie positive est opposée à la théologie scholastique & polémique.


THÉOLOGIENS. m. (Gram.) qui étudie, enseigne ou écrit de la théologie. Voyez THEOLOGIE.


THEOLOGIUMS. m. (Littérat.) on donnoit ce nom chez les anciens à un lieu du théatre, élevé au-dessus de l'endroit où les acteurs ordinaires paroissoient. C'étoit celui d'où les dieux parloient, & des machines sur lesquelles ils descendoient. Il falloit un theologium pour représenter l'Ajax de Sophocle & l'Hippolyte d'Euripide. Voyez Scaliger, poët. l. I. c. j. & Gronovius, sur l'Hercules Aeneus de Sophocle, act. V. vers. 1940. Le mot latin theologium est formé de , dieu, & , discours. (D.J.)


THÉOMANTIES. f. (Antiq. grecq.) , divination qui se faisoit par l'inspiration supposée de quelque divinité ; les détails en sont curieux, le tems ne me permet pas de les décrire, mais vous en trouverez le précis dans Potter, Archaeol. graec. l. II. c. xij. tome I. p. 298. & suiv. (D.J.)


THÉOPASCHITESS. m. pl. (Hist. ecclés.) hérétiques du v. siecle, & sectateurs de Pierre le Foulon, d'où ils ont été appellés quelquefois Fuloniani.

Leur doctrine distinctive étoit que toute la Trinité avoit souffert dans la passion de Jesus-Christ. Voy. PATRIPASSIENS.

Cette hérésie fut embrassée par les moines Eutychiens de Scythie, lesquels en s'efforçant de l'introduire dans l'Eglise, y exciterent de grands troubles au commencement du vj. siecle.

Elle fut condamnée d'abord dans les conciles tenus à Rome & à Constantinople en 483. On la fit revivre dans le ix. siecle, & elle fut condamnée de nouveau dans un concile tenu à Rome sous le pape Nicolas I. en 862.

Le P. le Quien, dans ses notes sur S. Jean Damascene, dit que la même erreur avoit déja été avancée par Apollinaire, dont les disciples furent les premiers qui eussent été appellés Théopatites ou Théopaschites. Voyez APOLLINAIRE.


THÉOPHANIES. f. pl. (Antiq. grecq.) , c'étoit la fête de l'apparition d'Apollon à Delphes, la premiere fois qu'il se montra aux peuples de ce canton. Ce mot est composé de , dieu, & , j'apparois, je manifeste. Voyez Potter, Archaeol. graec. l. II. c. xx. tome I. pag. 402. (D.J.)

THEOPHANIE, s. f. terme d'Eglise, nom que l'on a donné autrefois à l'Epiphanie ou à la fête des rois ; on l'a aussi appellé théoptie. Le P. Pétau, dans ses notes sur S. Epiphane, observe que, selon Clément d'Alexandrie, lorsque la théophanie, qui étoit un jour de jeûne, tomboit le Dimanche, il falloit jeûner. Cette pratique a bien changé, puisqu'aujourd'hui, bien-loin de jeûner le jour de la Nativité lorsqu'elle arrive le Dimanche, au contraire lorsqu'elle arrive un Vendredi ou un Samedi, qui sont des jours d'abstinence dans l'Eglise romaine, les lois ecclésiastiques dispensent de cette abstinence ; l'on fait gras, & c'est un jour de régal. (D.J.)


THÉOPHRASTAS. f. (Hist. nat. Bot.) genre de plante ainsi nommé par Linnaeus. Le calice de la fleur est une petite enveloppe légerement découpée en cinq segmens obtus, & il subsiste après la chûte de la fleur. La fleur est monopétale, en cloche, finement divisée en cinq segmens obtus ; les étamines sont cinq filets pointus plus courts que la fleur ; les bossettes des étamines sont simples ; le germe du pistil est ovale ; le stile est affilé, & plus court que la fleur ; le stigma est aigu ; le fruit est une grosse capsule ronde, contenant une seule loge ; les semences sont nombreuses, arrondies, & attachées à chaque partie de leur silique qui est lâche. Linnaei, gen. plant. p. 66. (D.J.)


THEOPNEUSTES(Littérat.) , épithete que les Grecs donnoient à leurs prêtres, quand ils étoient saisis de l'esprit prophétique. Potter, Archaeol. graec. tome I. p. 302. (D.J.)


THEOPROPIA(Littérat.) , c'est l'épithete même que les Grecs donnoient aux oracles. Voyez ORACLE. (D.J.)


THÉOPSIES. f. (Mythologie) c'est-à-dire l'apparition des dieux. Les païens étoient persuadés que les dieux se manifestoient quelquefois, apparoissoient à quelques personnes, & que cela arrivoit ordinairement aux jours où l'on célébroit quelque fête en leur honneur. Cicéron, Plutarque, Arnobe & Dion Chrysostôme font mention de ces sortes d'apparitions.


THÉOPTIES. f. terme d'Eglise, c'est la même chose que Théophanie ou Epiphanie. Ce mot vient de , Dieu, & , je vois. (D.J.)


THÉORBou TUORBE, s. m. (Lutherie) instrument de musique fait en forme de luth, à la réserve qu'il a deux manches, dont le second, qui est plus long que le premier, soutient les quatre derniers rangs de cordes qui doivent rendre les sons les plus graves. Voyez LUTH, & la fig. Planches de Lutherie.

Ce mot est françois, quoiqu'il y en ait qui le dérivent de l'italien tiorba, qui signifie la même chose ; il y en a d'autres qui prétendent que c'est le nom de celui qui a inventé cet instrument.

C'est le théorbe qui, depuis environ cent ans, a pris la place du luth, & qui dans les concerts fait la basse continue. On dit qu'il a été inventé en France par le sieur Hotteman, & qu'il a passé de-là en Italie.

La seule différence qu'il y a entre le théorbe & le luth, c'est que le premier a huit grosses cordes plus longues du double que celle du luth : cette longueur considérable fait rendre à ces cordes un son si doux, & qu'elles soutiennent si long-tems, qu'il ne faut point s'étonner que plusieurs préferent le théorbe au clavessin même. Le théorbe a du-moins cet avantage, qu'on peut aisément le changer de place.

Toutes ses cordes sont ordinairement simples, cependant il y en a qui doublent les plus grosses d'une petite octave, & les minces d'un unisson ; & comme, dans cet état, le théorbe ressemble davantage au luth, les Italiens l'appellent arci-leuto ou archi-luth. Voyez ARCHI-LUTH.


THÉORES. m. (Antiq. grecq.) , les théores étoient des sacrificateurs particuliers, que les Athéniens envoyoient à Delphes offrir en leur nom de tems en tems à Apollon pythien des sacrifices solemnels, pour le bonheur de la ville d'Athènes & la prospérité de la république. On tiroit les théores tant du corps du sénat, que de celui des thesmothetes.


THÉORÊMES. m. en Mathématique, c'est une proposition qui énonce & démontre une vérité. Ainsi si l'on compare un triangle à un parallélogramme appuyé sur la même base & de même hauteur, en faisant attention à leurs définitions immédiates, aussi-bien qu'à quelques-unes de leurs propriétés préalablement déterminées, on en infere que le parallélogramme est double du triangle : cette proposition est un théorême. Voyez DEFINITION, &c.

Le théorême est différent du problême, en ce que le premier est de pure spéculation, & que le second a pour objet quelque pratique. Voyez PROBLEME.

Il y a deux choses principales à considérer dans un théorême, la proposition & la démonstration ; dans la premiere on exprime la vérité à démontrer. Voyez PROPOSITION.

Dans l'autre on expose les raisons qui établissent cette vérité.

Il y a des théorêmes de différente espece : le théorême général est celui qui s'étend à un grand nombre de cas ; comme celui-ci, le rectangle de la somme & de la différence de deux quantités quelconques est égal à la différence des quarrés de ces mêmes grandeurs.

Le théorême particulier est celui qui ne s'étend qu'à un objet particulier ; comme celui-ci, dans un triangle équilatéral rectiligne, chacun des angles est de 60 deg.

Un théorême négatif exprime l'impossibilité de quelqu'assertion ; tel est celui-ci : un nombre entier qui n'est pas quarré ne sauroit avoir pour racine quarrée un nombre entier plus une fraction.

Le théorême réciproque est celui dont la converse est vraie ; comme celui-ci : si un triangle a deux côtés égaux, il faut qu'il ait deux angles égaux : la converse de ce théorême est aussi vraie, c'est-à-dire que si un triangle a deux angles égaux, il a nécessairement deux côtés égaux. Voyez RECIPROQUE, INVERSE & CONVERSE. Chambers.


THÉORÉTIQUEou THÉORIQUE, qui a rapport à la théorie, ou qui se termine à la spéculation. Dans ce sens, le mot est opposé à pratique, & il répond à dogmatique.

Il est formé du grec , je vois, j'examine, je contemple.

Les sciences se divisent ordinairement en théorétiques ou spéculatives, comme la Théologie, la Philosophie, &c. & en pratiques, comme la Médecine, le Droit, &c. Voyez SCIENCE.

THEORETIQUE, est un nom qui fut donné en particulier à une ancienne secte de médecins opposés aux empiriques. Voyez MEDECIN.

Les Médecins théorétiques étoient ceux qui s'appliquoient à étudier & à examiner soigneusement tout ce qui regarde la santé & les maladies ; les principes du corps humain, sa structure, ses parties, avec leurs actions & leurs usages ; tout ce qui arrive au corps, soit naturellement, soit contre nature, les différences des maladies, leur nature, leurs causes, leurs signes, leurs indications, &c. le tissu, les propriétés, &c. des plantes & des autres remedes, &c. en un mot, les Médecins théorétiques étoient ceux qui se conduisoient par raisonnement, au-lieu que les Médecins empiriques ne suivoient que l'expérience. Voyez MEDECINE & EMPIRIQUE.


THÉORETRES. m. (Antiq. grecq.) , de , je vois, nom qu'on donnoit en Grece au présent qu'on faisoit aux jeunes filles prêtes à se marier, lorsqu'elles se montroient la premiere fois en public en ôtant leur voile. Scaliger, poét. l. III. c. cj. prétend que ce mot désignoit les présens que l'on faisoit à la nouvelle épouse, lorsqu'on la conduisoit au lit nuptial. Quoi qu'il en soit, ces mêmes présens étoient encore appellés optheres, anacalypteres & prophtengteres, parce que l'époux futur voyoit alors à sa volonté sa future épouse. (D.J.)


THÉORIES. f. (Philos.) doctrine qui se borne à la considération de son objet, sans aucune application à la pratique, soit que l'objet en soit susceptible ou non.

Pour être savant dans un art, la théorie suffit ; mais pour y être maître, il faut joindre la pratique à la théorie. Souvent les machines promettent d'heureux succès dans la théorie, & échouent dans la pratique. Voyez MACHINE.

On dit la théorie de l'arc-en-ciel, du microscope, de la chambre obscure, du mouvement du coeur, de l'opération des purgatifs, &c.

Théories des planetes, &c. Ce sont des systêmes ou des hypotheses, selon lesquelles les Astronomes expliquent les phénomenes ou les apparences de ces planetes, & d'après lesquels ils donnent des méthodes pour calculer leurs mouvemens. Voy. SYSTEME, PLANETE, &c. Chambers.

THEORIE, s. f. (Antiq. grecq.) , pompe sacrée composée de choeurs de musique que les principales villes grecques envoyoient toutes les années à Délos. Plutarque, en racontant la magnificence & la dévotion de Nicias, dit : avant lui les choeurs de musique que les villes envoyoient à Délos pour chanter des hymnes & des cantiques à Apollon, arrivoient d'ordinaire avec beaucoup de désordre, parce que les habitans de l'île accourant sur le rivage au-devant du vaisseau, n'attendoient pas qu'ils fussent descendus à terre ; mais poussés par leur impatience, ils les pressoient de chanter en débarquant, desorte que ces pauvres musiciens étoient forcés de chanter dans le tems même qu'ils se couronnoient de leurs chapeaux de fleurs, & qu'ils prenoient leurs habits de cérémonie, ce qui ne pouvoit se faire qu'avec beaucoup d'indécence & de confusion. Quand Nicias eut l'honneur de conduire cette pompe sacrée, il se garda bien d'aller aborder à Délos ; mais pour éviter cet inconvénient, il alla descendre dans l'île de Rhène, ayant avec lui son choeur de musiciens, les victimes pour le sacrifice & tous les autres préparatifs pour la fête ; il avoit encore amené un pont qu'il avoit eu la précaution de faire construire à Athènes selon la mesure de la largeur du canal qui sépare l'île de Rhène & celle de Délos. Ce pont étoit d'une magnificence extraordinaire, orné de dorures, de beaux tableaux & de riches tapisseries. Nicias le fit jetter la nuit sur le canal, & le lendemain au point du jour il fit passer toute sa procession & ses musiciens superbement parés, qui en marchant en bel ordre & avec décence, remplissoient l'air de leurs cantiques. Dans cette belle ordonnance il arriva au temple d'Apollon. On choisissoit pour la conduite des choeurs un des principaux citoyens, & c'étoit une grande gloire que d'être intendant des théores. Voyez THÉORE. Voyez aussi pour les détails de cette célebre procession navale, qu'on nommoit théorie, les archaeol. graec. de Potter. l. II. c. ix. t. I. pag. 284 & suiv. (D.J.)


THÉORIUS(Mythol.) Apollon avoit un temple à Troëzène, sous ce nom qui signifie je vois, & qui convient fort à ce dieu considéré comme le soleil. C'étoit le plus ancien temple de cette ville ; il fut rebâti & décoré par le sage Pithée. (D.J.)


THÉOSOPHESLES, (Hist. de la Philosophie) voici peut-être l'espece de philosophie la plus singuliere. Ceux qui l'ont professée, regardoient en pitié la raison humaine ; ils n'avoient nulle confiance dans sa lueur ténébreuse & trompeuse ; ils se prétendirent éclairés par un principe intérieur, surnaturel & divin qui brilloit en eux, & s'y éteignoit par intervalles, qui les élevoit aux connoissances les plus sublimes lorsqu'il agissoit, ou qui les laissoit tomber dans l'état d'imbécillité naturelle lorsqu'il cessoit d'agir ; qui s'emparoit violemment de leur imagination, qui les agitoit, qu'ils ne maîtrisoient pas, mais dont ils étoient maîtrisés, & qui les conduisoit aux découvertes les plus importantes & les plus cachées sur Dieu & sur la nature : c'est ce qu'ils ont appellé la théosophie.

Les théosophes ont passé pour des fous auprès de ces hommes tranquilles & froids, dont l'ame pesante ou rassise n'est susceptible ni d'émotion, ni d'enthousiasme, ni de ces transports dans lesquels l'homme ne voit point, ne sent point, ne juge point, ne parle point, comme dans son état habituel. Ils ont dit de Socrate & de son démon, que si le sage de la Grece y croyoit, c'étoit un insensé, & que s'il n'y croyoit pas, c'étoit un fripon.

Me sera-t-il permis de dire un mot en faveur du démon de Socrate & de celui des théosophes ? Nous avons tous des pressentimens, & ces pressentimens sont d'autant plus justes & plus promts, que nous avons plus de pénétration & d'expérience. Ce sont des jugemens subits auxquels nous sommes entraînés par certaines circonstances très-déliées. Il n'y a aucun fait qui ne soit précédé & qui ne soit accompagné de quelques phénomenes. Quelque fugitifs, momentanés & subtils que soient ces phénomenes, les hommes doués d'une grande sensibilité, que tout frappe, à qui rien n'échappe, en sont affectés, mais souvent dans un moment où ils n'y attachent aucune importance. Ils reçoivent une foule de ces impressions. La mémoire du phénomene passe ; mais celle de l'impression se réveillera dans l'occasion ; alors ils prononcent que tel événement aura lieu ; il leur semble que c'est une voix secrette qui parle au fond de leur coeur, & qui les avertit. Ils se croyent inspirés, & ils le sont en effet, non par quelque puissance surnaturelle & divine, mais par une prudence particuliere & extraordinaire. Car qu'est-ce que la prudence, sinon une supposition dans laquelle nous sommes portés à regarder les circonstances diverses où nous nous trouvons, comme les causes possibles d'effets à craindre ou à espérer dans l'avenir ? or il arrive que cette supposition est quelquefois fondée sur une infinité de choses légeres que nous avons vues, apperçues, senties, dont nous ne pouvons plus nous rendre compte, ni à nous-mêmes, ni aux autres, mais qui n'en ont pas une liaison moins nécessaire ni moins forte avec l'objet de notre crainte & de notre espérance. C'est une multitude d'atomes imperceptibles chacun, mais qui réunis forment un poids considérable qui nous incline, sans presque savoir pourquoi. Dieu voit l'ordre de l'univers entier dans la plus petite molécule de la matiere. La prudence de certains hommes privilégiés tient un peu de cet attribut de la divinité. Ils rapprochent les analogies les plus éloignées ; ils voyent des liaisons presque nécessaires où les autres sont loin d'avoir des conjectures. Les passions ont chacune leur physionomie particuliere. Les traits s'alterent sur le visage à mesure qu'elles se succedent dans l'ame. Le même homme présente donc à l'observateur attentif un grand nombre de masques divers. Ces masques des passions ont des traits caractéristiques & communs dans tous les hommes. Ce sont les mêmes visceres intérieurs qui se meuvent dans la joie, dans l'indignation, dans la colere, dans la frayeur, dans le moment de la dissimulation, du mensonge, du ressentiment. Ce sont les mêmes muscles qui se détendent ou se resserrent à l'extérieur, les mêmes parties qui se contractent ou qui s'affaissent ; si la passion étoit permanente, elle nous feroit une physionomie permanente, & fixeroit son masque sur notre visage. Qu'est-ce donc qu'un physionomiste ? C'est un homme qui connoît les masques des passions, qui en a des représentations très-présentes, qui croit qu'un homme porte, malgré qu'il en ait, le masque de sa passion dominante, & qui juge des caracteres des hommes d'après les masques habituels qu'il leur voit. Cet art est une branche de la sorte de divination dont il s'agit ici.

Si les passions ont leurs physionomies particulieres, elles ont aussi leurs gestes, leur ton, leur expression. Pourquoi n'ai-je point été surpris qu'un homme que j'avois regardé pendant de longues années comme un homme de bien, ait eu tout-à-coup la conduite d'un coquin ? C'est qu'au moment où j'apprends son action, je me rappelle une foule de petites choses qui me l'avoient annoncé d'avance, & que j'avois négligées.

Les théosophes ont tous été chymistes, ils s'appelloient les philosophes par le feu. Or il n'y a aucune science qui offre à l'esprit plus de conjectures déliées, qui le remplisse d'analogies plus subtiles, que la chymie. Il vient un moment où toutes ces analogies se présentent en foule à l'imagination du chymiste : elles l'entrainent ; il tente en conséquence une expérience qui lui réussit, & il attribue à un commerce intime de son ame avec quelque intelligence supérieure, ce qui n'est que l'effet subit d'un long exercice de son art. Socrate avoit son démon ; Paracelse avoit le sien ; & ce n'étoient l'un & l'autre ni deux sous, ni deux fripons, mais deux hommes d'une pénétration surprenante, sujets à des illuminations brusques & rapides, dont ils ne cherchoient point à se rendre raison.

Nous ne prétendons point étendre cette apologie à ceux qui ont rempli l'intervalle de la terre aux cieux, de natures moyennes entre l'homme & Dieu, qui leur obéissoient, & qui ont accrédité sur la terre toutes les rêveries de la magie, de l'astrologie & de la cabale. Nous abandonnons ces théosophes à toutes les épithetes qu'on voudra leur donner.

La secte des théosophes a été très-nombreuse. Nous ne parlerons que de ceux qui s'y sont fait un nom, tels que Paracelse, Valentin, Fludd, Boëhmius, les van-Helmont & Poiret.

Philippe Aureolus Théophraste Paracelse Bombast de Hohenheim naquit en Suisse en 1493. Il n'y a sorte de calomnies que ses ennemis n'ayent hazardées contre lui. Ils ont dit qu'un soldat lui avoit coupé les testicules, dans la Carinthie où il étoit employé à conduire un troupeau d'oies. Ce qu'il y a de certain, c'est que les premieres années de sa vie furent dissolues, & qu'il n'eut jamais de goût pour les femmes. Il garda le célibat. Son pere prit sur lui-même le soin de son éducation. Il lui montra les humanités, & l'instruisit des principes de la médecine ; mais cet enfant doué d'un génie surprenant, & dévoré du désir de connoître, ne demeura pas long-tems sous l'aîle paternelle. Il entreprit dans l'âge le plus tendre les voyages les plus longs & les plus pénibles, ne méprisant ni aucun homme ni aucune connoissance, & conférant indistinctement avec tous ceux dont il espéroit tirer quelque lumiere. Il souffrit beaucoup ; il fut emprisonné trois fois ; il servit ; il fut exposé à toutes les miseres de la nature humaine : ce qui ne l'empêcha point de suivre l'impulsion de son enthousiasme, & de parcourir presque toutes les contrées de l'Europe, de l'Asie & de l'Afrique. L'enthousiasme est le germe de toutes les grandes choses, bonnes ou mauvaises. Qui est-ce qui pratiquera la vertu au milieu des traverses qui l'attendent, sans enthousiasme ? Qui est-ce qui se consacrera aux travaux continuels de l'étude, sans enthousiasme ? Qui est-ce qui sacrifiera son repos, sa santé, son bonheur, sa vie, aux progrès des sciences & des arts & à la recherche de la vérité, sans enthousiasme ? Qui est-ce qui se ruinera, qui est-ce qui mourra pour son ami, pour ses enfans, pour son pays, sans enthousiasme ? Paracelse descendoit à vingt ans dans les mines de l'Allemagne ; il s'avançoit dans la Russie ; il étoit sur les frontieres de la Tartarie ; apprenoit-il qu'un homme possédoit quelque secret, de quelqu'état qu'il fût, en quelque coin de la terre qu'il fût relégué, il le visitoit. Il s'occupoit particulierement à recueillir les ouvrages des chymistes ; il alloit au fond des monasteres les arracher aux vers, aux rats & à la poussiere ; il feuilletoit jour & nuit Raimond Lulle & Arnaud de Villeneuve ; il conféroit sans dédain avec les charlatans, les vieilles, les bergers, les paysans, les mineurs, les ouvriers ; il vécut familierement avec des hommes d'un rang le plus distingué, des prêtres, des abbés, des évêques. Il disoit avoir plus appris de ceux que le monde appelle des ignorans, que toute l'école galénique ne savoit ; il faisoit peu de cas des auteurs anciens ; il abandonna la lecture de bonne heure ; il pensoit qu'il y avoit plus de tems à perdre avec eux que de vraies connoissances à recueillir. Il affectoit surtout le plus grand mépris pour les médecins qui l'avoient précédé. Les médecins de son tems ne le lui pardonnerent pas. Il brûla publiquement à Bâle les ouvrages d'Avicenne ; mon maître, disoit-il, je n'en reconnois point d'autre que la nature & moi. Il substitua les préparations chymiques à la pharmacie galénique. Ses succès dans les cas les plus désespérés lui firent une réputation incroyable. Jean Frobenius qui s'est immortalisé, sinon par l'invention, du moins par la perfection de l'art typographique, étoit tourmenté de la goutte au pié droit ; les remedes qu'on lui ordonnoit, ne faisoient qu'irriter son mal ; on étoit sur le point de lui couper le pié ; Paracelse le vit & le guérit. Si l'on en croit van Helmont, la lepre, l'asthme, la gangrene, la paralysie, l'épilepsie, la pierre, l'hydropisie, la goutte, le cancer & toutes ces maladies qui font le désespoir de nos médecins, ne lui résistoient pas. Les habitans de Bâle l'appellerent à eux, & le nommerent à une chaire de physique. Il fit ses leçons en langue vulgaire, & il eut l'auditoire le plus nombreux. Il ne savoit point de grec ; la langue latine lui étoit peu familiere ; d'ailleurs il avoit un si grand nombre d'idées qui lui étoient propres, & qui n'avoient point de nom dans aucun idiome, soit ancien, soit moderne, qu'il eût été obligé de s'en faire un particulier. Il s'appliqua beaucoup plus à l'étude de la matiere médicale, à la pratique de la chymie, à la connoissance & à la cure des maladies, qu'à la théorie & à l'érudition de l'art. Cependant il ne négligea pas entierement ces dernieres parties. Il fit un usage surprenant du laudanum qu'on appelloit dans son école le remede par excellence. Il parle souvent dans ses ouvrages de l'azoth qu'il définit lignum & linea vitae. On prétend que cet azoth est le remede universel, la pierre philosophale. Il auroit pu jouir à Bâle de la considération des hommes & du repos, les deux plus grands biens de la vie ; mais il connoissoit l'ignorance & les autres vices de ses collegues, & il s'en expliquoit sans ménagement. Ses cures les ulcéroient ; ses découvertes les humilioient ; son désintéressement leur reprochoit sans-cesse leur avarice ; ils ne purent supporter un homme d'un mérite si affligeant ; ils chercherent l'occasion de le mortifier. L'imprudent & vain Paracelse la leur offrit ; il entreprit la guérison d'un chanoine de Bâle ; il en vint à bout ; les magistrats reglerent son honoraire à un prix dont la modicité choqua Paracelse ; il s'en plaignit avec amertume ; il se compromit par l'indiscrétion de sa plainte, & il fut obligé de sortir de Bâle & de se refugier en Alsace, où il trouva des hommes qui surent honorer & récompenser ses talens. Oporinus son disciple, & le conducteur de son laboratoire, préparoit les médicamens, Paracelse les administroit ; mais cet homme avoit pris du goût pour la vie errante & vagabonde. Il quitta l'Alsace, il revint en Suisse, il disparut pendant onze ans. Il disoit qu'il ne convenoit point à un homme né pour soulager le genre humain, de se fixer à un point de la terre, ni à celui qui savoit lire dans le livre de la nature, d'en avoir toujours le même feuillet ouvert sous les yeux. Il parcourut l'Autriche, la Suisse, la Baviere, guérissant les corps, & infectant les ames d'un systême particulier de théologie qu'il s'étoit fait. Il mourut à Saltzbourg en 1541.

Ce fut un homme d'un mérite & d'une vanité prodigieuse ; il souffroit avec impatience qu'on le comparât à Luther, & qu'on le mît au nombre des disciples de cet hérésiarque. Qu'il fasse son affaire, disoit-il, & qu'il me laisse faire la mienne ; si je me mêlois de réforme, je m'en tirerois mieux que lui : on ne nous associe que pour nous perdre. On lui attribue la connoissance de transmuer les métaux ; il est le fondateur de la pharmacie chymique ; il exerça la médecine avec le plus grand succès ; il a bien mérité du genre humain, par les préparations dont il a enrichi l'art de guérir les maladies. Ses ennemis l'accuserent de plagiat ; il les défia de montrer dans quelqu'auteur que ce fût, le moindre vestige de la plus petite de ses découvertes, & ils resterent muets : on lui reprocha la barbarie de ses termes & son obscurité, & ce fut avec raison. Ce ne fut pas non plus un homme pieux : l'habitude de fréquenter le bas peuple, le rendit crapuleux ; les chagrins, la débauche, & les veilles, lui dérangerent la tête : il passa pour sorcier, ce qui signifie aujourd'hui que ses contemporains étoient des imbécilles. Il se brouilla avec les Théologiens ; le moyen de penser d'après soi, & de ne se pas brouiller avec eux ? Il a beaucoup écrit ; la plûpart de ceux qui le jugent, soit en bien, soit en mal, n'ont pas lu une ligne de ses ouvrages : il a laissé un grand nombre de disciples mal instruits, téméraires ; ils ont nui à la réputation de leur maître, par la maladresse qu'ils ont montrée dans l'application de ses remedes.

Il eut pour disciple, pour secrétaire, & pour ami, Oporinus. Adam de Bodenstein professa le premier publiquement sa doctrine. Jacques Gohory la fit connoître à Paris. Gerard Dornée expliqua sa méthode & ses procédés chymiques. Michel Toxite s'appliqua à définir ses mots obscurs. Oswald Crollius réduisit le paracelsisme en systême. Henri Kunrat, & Joseph-François Burrhus laisserent là ce qu'il y avoit de vrai & d'important, pour se précipiter dans le théosophisme.

Voici les principaux axiomes de la doctrine de Paracelse, autant qu'il est possible de les recueillir d'après un auteur aussi obscur & aussi décousu.

La vraie philosophie & la médecine ne s'apprennent ni des anciens, ni par la créature, elles viennent de Dieu ; il est le seul auteur des arcanes ; c'est lui qui a signé chaque être de ses propriétés.

Le médecin naît par la lumiere de la nature & de la grace, de l'homme interne & invisible, de l'ange qui est en nous, par la lumiere de la nature qui fait à son égard la fonction de maître qui l'instruit, c'est l'exercice qui le perfectionne & le confirme ; il a été produit par l'institution de Dieu & de la nature.

Ce ne sont pas les songes vains des hommes qui servent de base à cette philosophie & médecine ; mais la nature que Dieu a imprimée de son doigt aux corps sublunaires, mais sur-tout aux métaux : leur origine remonte donc à Dieu.

Cette médecine, cette momie naturelle, ce pepin de nature, est renfermé dans le soufre, trésor de la nature entiere ; il a pour base le baume des végétaux, auquel il faut rapporter le principe de toutes les actions qui s'operent dans la nature, & par la vertu duquel seul toutes les maladies peuvent être guéries.

Le rapport ou la convenance de l'homme, ou du petit monde au grand, est le fondement de cette science.

Pour découvrir cette médecine il faut être astronome & philosophe ; l'une nous instruit des forces & des propriétés de la terre & de l'eau ; l'autre, des forces & des propriétés du firmament & de l'air.

C'est la philosophie & l'astronomie qui font le philosophe interne & parfait, non-seulement dans le macrocosme, mais aussi dans le microcosme.

Le macrocosme est comme le pere, & le microcosme, ou l'homme, est comme l'enfant ; il faut disposer convenablement l'un à l'autre.

Le monde intérieur est comme un miroir, où le petit monde, ou l'homme, s'apperçoit ; ce n'est pas par la forme extérieure, ou la substance corporelle, qu'ils conviennent, mais par les vertus & les forces ; ils sont un & même quant à l'essence & à la forme interne ; ils ne different que par la forme extérieure.

Qu'est-ce que la lumiere de nature ? sinon une certaine analogie divine de ce monde visible, avec le corps microcosmique.

Le monde intérieur est la figure de l'homme ; l'homme est le monde occulte, car les choses qui sont visibles dans le monde, sont invisibles dans l'homme ; & lorsque ces invisibles dans l'homme se rendent visibles, les maladies naissent.

La matiere de l'homme étant un extrait des quatre élémens, il faut qu'il ait en lui de la sympathie avec tous les élémens & leurs fruits ; il ne pourroit subsister ni vivre sans eux.

Pour éviter le vuide, Dieu a créé dans les quatre élémens des êtres vivans, mais inanimés, ou sans ame intellectuelle ; comme il y a quatre élémens, il y a quatre sortes d'habitans élémentaires ; ils different de l'homme qui a été créé à l'image de Dieu, en entendement, en sagesse, en exercices, en opérations & en demeures.

Les eaux ont leurs nymphes, leurs ondains, leurs mélozénis, & leurs monstres ou bâtards, les sirenes qui habitent le même élément.

Les terres ont leurs gnomes, leurs lémures, leurs sylphes, leurs montains, leurs zonnets, dont les monstres sont les pigmées.

L'air a ses spectres, ses sylvains, ses satyres, dont les monstres sont les géans.

Le feu, ou le firmament, a ses vulcanales, ses pennates, ses salamandres, ses supérieurs, dont les monstres sont les zundels.

Le coeur macrocosmique est igné, aërien, aqueux, & terreux.

L'harmonie céleste est comme la maîtresse & directrice de l'inférieure ; chacune a son ciel, son soleil, sa lune, ses planetes, & ses étoiles ; les choses supérieures sont de l'astrologie ; les inférieures de la chymiologie.

La providence & la bonté du créateur ont fait que les astres invisibles des autres élémens, eussent leurs représentations en especes visibles, dans l'élément suprême, & que les lois des mouvemens, & les productions des tems y fussent expliquées.

Il y a deux cieux ; le ciel externe, ou l'aggrégat de tous les corps dans le firmament ; l'interne, ou l'astre invisible, le corps insensible de chaque astre ; celui-ci est l'esprit du monde ou de la nature ; c'est hylecs ; il est diffus dans tous les astres, ou plutôt il les constitue ; il les est.

Tout émane du dedans, & naît des invisibles & occultes ; ainsi les substances corporelles visibles viennent des incorporelles, des spirituelles, des astres, & sont les corps des astres ; leur séjour est dans les astres ; les nues sont dans les antres.

Il suit que tout ce qui vit, tout ce qui croît, tout ce qui est dans la nature, est signé, possede un esprit sydéré, que j'appelle le ciel, l'astre, l'ouvrier caché, qui donne à ce qui est, sa figure & sa couleur, & qui a présidé à sa formation : c'est-là le germe & la vertu.

Il ne faut pas entendre ce qui précede du corps visible ou invisible des astres dans le firmament, mais de l'astre propre de chaque chose ; c'est celui-ci, & non l'autre qui influe sur elle.

Les astres intérieurs n'inclinent ni ne nécessitent l'homme, c'est l'homme plutôt qui incline les astres, & les attaque par la magie de son imagination.

Le cours de chaque ciel est libre ; l'un ne gouverne point l'autre.

Cependant les fruits des astres, ou semences célestes, aëriennes, aqueuses, terrestres, conspirent & forment une république qui est une ; elles sont citoyennes d'une même province ; elles se secourent & se favorisent mutuellement ; c'est l'anneau de Platon, la chaîne d'Homere, ou la suite des choses soumises à la divine providence ; la sympathie universelle ; l'échelle générale.

Il y a trois principes des choses ; ils sont dans tout composé ; la liqueur ou le mercure, le soufre ou l'huile, & le sel.

La Trinité sainte a parlé ; son verbe un & triple, que cela soit fait, a été proféré, & tout a été cru un & triple ; témoin l'analyse spargirique.

Dieu a dit que cela soit, & la matiere premiere a été ; eu égard à ses trois principes, elle fut triple ; ces trois especes qu'elle contenoit se séparerent ensuite, & il y eut quatre especes de corps ou élémens.

Les vrais élémens spirituels sont les conservateurs, les nourriciers, les lieux, les matrices, les mines & les reservoirs de toutes matieres ; ils sont l'essence, l'existence, la vie & l'action des êtres, quels qu'ils soient.

Ils sont partagés en deux spheres, l'une supérieure, c'est le feu, ou le firmament & l'air, qu'on peut comparer au blanc ou à la coque de l'oeuf ; l'autre inférieure, c'est l'eau & la terre, qu'on peut comparer au jaune.

Le Créateur, par la vertu du verbe, développant la multitude qui étoit dans l'unité, & cet esprit qui étoit porté sur les eaux, combinant les principes des corps, ou les revêtant de l'habit sous lequel ils devoient paroître sur la scène du monde, & leur assignant leurs lieux, donnerent à ces quatre natures incorporelles, inertes, vuides & vaines, la lumiere & les raisons séminales des choses qui les ont remplies par la bénédiction divine, & qui ne s'y éteindront jamais.

Les semences des choses, les astres qui les lient, sont cachés dans les élémens des choses, comme dans un abîme inépuisable, où dès le commencement de la matiere les visibles se font par les invisibles, les extrêmes se touchent & se joignent, tout s'engendre dans des périodes de tems marqués ; les élémens conspirent au bien général ; c'est ainsi que la sympathie universelle subsiste ; les élémens président au monde, ils suffisent à son éternité.

Les germes, ou principes des choses, ont reçu du Verbe la vertu de génération & de multiplication.

On ne peut séparer les semences ou germes, des élémens ; ni les principes du corps, des lois de nature.

Les productions, & les semences les plus petites, suivent l'harmonie universelle, & montrent en abregé l'analogie générale des élémens & des principes.

Les élémens sont en tout, ils sont combinés, & la combinaison s'en conserve par le moyen du baume & de la teinture radicale.

Toutes les créatures sont formées des élémens : on rapporte à l'air la production des animaux, à la terre celle des végétaux, à l'eau celle des minéraux ; le feu donne la vie à tout ce qui est.

Le corps des élémens est une chose morte & ténébreuse ; l'esprit est la vie ; il est distribué en astres qui ont leurs productions & qui donnent leurs fruits ; de même que l'ame sépare d'elle le corps, & y habite ; les élémens spirituels, dans la formation générale, ont séparé d'eux les corps visibles, & y habitent.

Du corps igné se sont séparés les astres visibles ; du corps aqueux, les métaux ; du corps salin, les minéraux ; du corps terreux, les végétaux.

Il y a deux terres ; la terre extérieure visible, qui est le corps de l'élément, le soufre, le mercure du sel ; la terre interne & invisible qui est l'élément, la vie, l'esprit, où sont les astres de la terre, qui produisent par le moyen du corps terreux, tout ce qui croît : la terre a donc en elle les germes & la raison séminale de tout.

Il en faut dire autant des autres élémens ; ils sont ou corps & composés de ces trois principes ; ou ils sont élémens, un & esprit, & contiennent les astres d'où naissent comme d'une mer ou d'un abîme les fruits des élémens.

Notre feu n'est point un élément, il consume tout, tout meurt par lui ; mais le feu, premier & quatrieme élément, qui contient tout, comme la coque enveloppe l'oeuf, c'est le ciel.

Un élément n'est ni ne peut être séparé de tout autre ; il y a en tout combinaison d'élément.

Les astres des élémens sont les germes ; il y a quatre élémens ; il y a deux choses toujours unies, le corps & l'astre, ou le visible & l'invisible ; le corps naît & s'accroit de l'astral, le visible de l'invisible ; il reste en lui ; & c'est ainsi que se propagent & multiplient les puissances ou vertus invisibles, les semences, les astres ; elles se distribuent sous une infinité de formes diverses ; elles se montrent en une infinité d'êtres, par le moyen du corps visible.

Lorsqu'une semence, un germe, ou un astre meurt ou se corrompt dans sa matrice ; aussitôt il passe dans un nouveau corps & se multiplie : car toute corruption est cause d'une génération.

Voilà la raison pour laquelle les chymistes ont recours à la putréfaction ; c'est ainsi qu'ils obtiennent la régénération, dans laquelle les trois élémens se manifestent avec toutes leurs propriétés secrettes.

Les trois élémens premiers sont unis dans tout corps ; c'est cette union qui constitue le corps sain ; la santé est la température de l'union ; où elle n'est pas ou s'altere, la maladie s'introduit, & avec elle le principe radical de la mort.

Les maladies sont ou élémentaires, ou astrales & firmamentales ; celles-ci naissent du firmament ou ciel de l'homme ; celles-là, de son germe ou de ses astres.

L'homme eu égard à son corps, a un double magnétisme ; une portion tire à soi les astres & s'en nourrit, de-là la sagesse, les sens, les pensées ; une partie tire à soi les élémens & s'en répare, de-là la chair & le sang.

Le firmament est cette lumiere de nature qui influe naturellement sur l'homme.

Les astres ou les élémens qui sont esprits, n'ont point de qualité ; mais ils produisent tout ce qui a qualité.

Les maladies ne se guérissent point par les contraires ; il ne s'agit pas de chasser de l'homme des élémens. Il faut posséder des arcanes ; il faut avoir en sa disposition les astres ; il faut avoir appris par la chymie à les réduire de la matiere derniere à la matiere premiere.

Les astres n'ont ni froid ni chaud actuel.

L'esprit de Dieu habite au milieu de nos coeurs.

Nulle connoissance ne restera perpétuellement dans l'ame, que celle qui a été infuse au-dedans, & qui réside dans le sein de l'entendement. Cette connoissance essentielle n'est ni du sang, ni de la chair, ni de la lecture, ni de l'instruction, ni de la raison ; c'est une passion ; c'est un acte divin ; une impression de l'être infini sur l'être fini.

L'homme a possédé tous les avantages naturels & surnaturels ; mais ce caractere divin s'est obscurci par le péché. Purgez-vous du péché, & vous le recouvrerez en même proportion que vous vous purifierez.

La notion de toutes choses nous est congenere ; tout est dans l'intime de l'esprit : il faut dégager l'esprit des enveloppes du péché, & ses notions s'éclairciront.

L'esprit est revétu de toute science, mais il est accablé sous le corps auquel il s'unit ; mais il recouvre sa lumiere par les efforts qu'il fait contre ce poids.

Connoissons bien notre nature & notre esprit ; & ouvrons l'entrée à Dieu qui frappe à la porte de notre coeur.

De la connoissance de soi naît la connoissance de Dieu.

Il n'y aura que celui que Dieu instruira lui-même qui puisse s'élever à la vraie connoissance de l'univers. La philosophie des anciens est fausse ; tout ce qu'ils ont écrit de Dieu est vain.

Les saintes écritures sont la base de toute vraie philosophie ; elle part de Dieu & y retourne. La renaissance de l'homme est nécessaire à la perfection des arts : or il n'y a que le chrétien qui soit vraiment régénéré.

Celui qui se connoît, connoît implicitement tout en lui, & Dieu qui est au-dessus de l'homme, & les anges qui sont à côté de Dieu ; & le monde qui est au-dessous, & toutes les créatures qui le composent.

L'homme est la copule du monde. Il a été formé du limon de la terre, ou de l'essence très-subtile de la machine universelle, extraite & concentrée sous forme corporelle par le grand spagiriste.

L'homme par son corps représente le macrocosme sensible & temporel ; par son ame, le grand archetype. Lorsqu'il eut en lui les propriétés des animaux, des végétaux & des minéraux, le souffle de Dieu y surajouta l'ame.

Dieu est le centre & la circonférence, ou l'unité de tout ce qu'il a produit ; tout émane de Dieu ; il comprend, il pénetre tout. L'homme, à l'imitation de Dieu, est le centre & la circonférence, ou l'unité des créatures ; tout est relatif à lui, & verse sur lui ses propriétés.

L'homme contient toutes les créatures, & il reporte avec lui à la source éternelle tout ce qui en est primitivement émané.

Il y a dans l'homme deux esprits ; l'un du firmament & sideré ; l'autre qui est le souffle du tout-puissant ou l'ame.

L'homme est un composé du corps mortel, de l'esprit sideré & de l'ame immortelle. L'ame est l'image de Dieu, & son domicile dans l'homme.

L'homme a deux peres ; l'un éternel, l'autre mortel : l'esprit de Dieu & l'univers.

Il n'y a point de membre dans l'homme qui ne corresponde à un élément, une planete, une intelligence, une mesure, une raison dans l'archetype.

L'homme tient des élémens le corps visible, enveloppe & séjour de l'ame ; du ciel ou du firmament, le corps invisible, véhicule de l'ame, son lien avec le corps visible.

L'ame passe par le moyen du corps invisible, en conséquence de l'ordre de Dieu, à l'aide des intelligences, au centre du coeur, d'où elle se répand dans toutes les autres parties du corps.

Ce corps éthéré & subtil, participe de la nature du ciel ; il imite dans son cours celui du firmament ; il en attire à lui les influences. Ainsi les cieux versent sur l'homme leurs propriétés, l'en pénetrent, & lui communiquent la faculté de connoître tout.

Il y a trinité & unité dans l'homme, ainsi que dans Dieu ; l'homme est un en personne ; il est triple en essence : il y a le souffle de Dieu ou l'ame, l'esprit sideré & le corps.

Il y a aussi trois cieux dans l'homme ; il correspond à trois mondes, ou plutôt il est le modele le plus parfait du grand oeuvre, ou de la complexion générale des choses.

Citoyen de trois mondes, il communique avec l'archetype, avec les anges, avec les élémens.

Il communique avec Dieu par le souffle qu'il en a reçu. Ce souffle y a laissé le germe de son origine ; aussi n'y a-t-il rien en l'homme qui n'ait un caractere divin.

Il communique avec les anges par le corps invisible ; c'est le lieu de son commerce possible entr'eux & lui.

Il communique avec l'univers par son corps visible. Il a les images des élémens ; les élémens ne changent point. La conformité des images que l'homme en a est inaltérable : c'est ainsi que la notion qu'il a des végétaux & des minéraux est fixe.

Le corps sideré est le génie de l'homme, son lare domestique, son bon démon, son adech interne, son évestre, l'origine du pressentiment, la source de la prophétie.

En tout l'astre, le corps invisible ou l'esprit, quoique privé de raison, agit en imaginant & en informant : c'est la même chose dans l'homme.

L'imagination est corporelle ; cependant exaltée, échauffée par la foi, elle est la base de la magie. Elle peut sans nuire à l'esprit astral, engendrer, produire des corps visibles ; & présente ou absente, exécuter des choses au-dessus de l'intelligence humaine. Voilà l'origine de la magie naturelle, qui veut être aidée par l'art ; elle peut faire invisiblement tout ce que la nature fait visiblement.

L'homme est la quintessence du macrocosme ; il peut donc imiter le ciel, il peut même le dominer & le conduire. Tout est soumis au mouvement, à l'énergie, au desir de son ame. C'est la force de l'archetype qui réside en nous, qui nous éleve à lui, & qui nous assujettit la créature & la chaîne des choses célestes.

La foi naturelle infuse nous assimile aux esprits ; c'est le principe des opérations magiques, de l'énergie de l'imagination & de toutes ses merveilles.

L'imagination n'a de l'efficacité que par l'effet de sa force attractive sur la chose conçue. Il faut que cette force soit d'abord en exercice ; il faut qu'elle se féconde, par la production d'un spectre imité de la chose. Ce spectre se réalise ensuite ; c'est là ce qu'on appelle l'art cabalistique.

L'imagination peut produire par l'art cabalistique, tout ce que nous voyons dans le monde.

Les trois moyens principaux de l'art cabalistique, sont la priere qui unit l'esprit créé à l'esprit incréé ; la foi naturelle & l'exaltation de l'imagination.

Les hommes à imagination triste & pusillanime sont tentés & conduits par l'esprit immonde.

L'ame purifiée par la priere tombe sur les corps comme la foudre ; elle chasse les ténebres qui les enveloppe, & les pénetre intimement.

La médecine réelle & spécifique des maladies matérielles, consiste dans une vertu secrette, que le verbe a imprimée à chaque chose en la créant. Elle n'est ni des astres, ni du concours des atomes, ni de la forme des corps, ni de leur mixtion.

Il faut distribuer toute la nature inférieure en trois classes principales, les végétaux, les animaux & les minéraux.

Chacun de ces regnes fournit une multitude inépuisable de ressources à la médecine.

On découvre dans ces axiomes le premier germe de la théorie chymique ; la distinction des élémens ; la formation des mixtes ; la difficulté de leur décomposition ; l'origine des qualités physiques ; leurs affinités ; la nature des élémens qui ne sont rien en unité, tout ce qu'il plaît à la combinaison en masse, & plusieurs autres vérités dont les successeurs de Paracelse ont tiré bon parti. Mais cet homme étoit dominé par son imagination ; il est perpétuellement enveloppé de comparaisons, de symboles, de métaphores, d'allégories ; créateur de la science, & plein d'idées nouvelles pour lesquelles il manquoit de mots, il en invente qu'il ne définit point. Entraîné par le succès de ses premieres découvertes, il n'est rien qu'il ne se promette de son travail. Il se livre aux accessoires d'une comparaison comme à des vérités démontrées. A force de multiplier les similitudes, il n'y a sortes d'extravagances qu'il ne débite. Il en vient à prendre les spectres de l'imagination, pour des productions réelles. Il est fou, & il prescrit sérieusement la maniere de le devenir ; & il appelle cela s'unir à Dieu, aux anges, & imiter la nature.

Gilles Gushmann & Jule Sperber enchérirent sur Paracelse. Voyez l'ouvrage que le premier a publié sous le titre de Revelatio divinae majestatis, quâ explicatur quo pacto in principio omnibus sese Deus creaturis suis, & verbo, & facto manifestaverit, & quâ ratione opera sua omnia, eorumque virtutem, attributa, & operationes scripto brevi eleganter comprehenderit, atque primo homini ad suam imaginem ab ipso condito tradiderit. Et l'écrit du second qui a paru sous celui de Isagoge in veram triunius Dei & naturae cognitionem. C'est un système de platonico-pithagorico-péripathetico-paracelsico-christianisme.

Valentin Weigel, qui parut dans le quinzieme siecle, laissa des ouvrages de théosophie, qui firent grand bruit dans le seizieme & dix-septieme. Il prétendoit que les connoissances ne naissoient point dans l'homme du dehors ; que l'homme en apportoit en naissant les germes innés ; que le corps étoit d'eau & de terre ; l'ame, d'air & de feu ; & l'esprit, d'une substance astrale. Il soumettoit sa destinée aux influences des cieux ; il disoit que par la lumiere de la révélation, deux contradictions se pouvoient combiner. Leibnitz, qui lui accordoit du génie, lui reproche un peu de spinosisme.

Robert fut dans le xvij. siecle, ce que Paracelse avoit été au xvj. Jamais on n'extravagua avec tant de talent, de génie, de profondeur, & de connoissances. Celui-ci donna dans la Magie, la Cabale, l'Astrologie ; ses ouvrages sont un cahos de physique, de chymie, de méchanique, de médecine, de latin, de grec, & d'érudition ; mais si bien brouillé, que le lecteur le plus opiniâtre s'y perd.

Boehmius fut successivement pâtre, cordonnier, & théosophe : voici les principes qu'il s'étoit fait ; il disoit :

Dieu est l'essence des essences ; tout émane de lui ; avant la création du monde, son essence étoit la seule chose qui fût ; il en a tout fait ; on ne conçoit dans l'esprit d'autres facultés que celles de s'élever, de couler, de s'insinuer, de pénétrer, de se mouvoir, & de s'engendrer. Il y a trois formes de génération, l'amer, l'acerbe, & le chaud ; la colere & l'amour, ont un même principe ; Dieu n'est ni amer, ni acerbe, ni chaud, ni eau, ni air, ni terre ; toutes choses sont de ces principes, & ces principes sont de lui ; il n'est ni la mort ni l'enfer ; ils ne sont point en lui ; ils sont de lui. Les choses sont produites par le soufre, le mercure & le sel ; on y distingue l'esprit, la vie, & l'action ; le sel est l'ame, le soufre la matiere premiere.

Le reste des idées de cet auteur sont de la même force, & nous en ferons grace au lecteur : c'est bien ici le lieu de dire, qu'il n'est point de fou qui ne trouve un plus fou qui l'admire. Boehmius eut des sectateurs, parmi lesquels on nomme Quirinus Kuhlmann, Jean Podage, & Jacques Zimmermann.

Ils prétendoient tous que Dieu n'étoit autre chose que le monde développé : ils considéroient Dieu sous deux formes, & en deux périodes de tems ; avant la création & après la création ; avant la création, tout étoit en Dieu ; après la création, il étoit en tout ; c'étoit un écrit roulé ou déplié ; ces idées singulieres n'étoient pas nouvelles.

Jean-Baptiste van-Helmont naquit à Bruxelles en 1474 ; il étudia les Lettres, les Mathématiques, l'Astronomie ; son goût, après s'être porté légerement sur la plûpart des sciences & des arts, se fixa à la Médecine & à la Chymie ; il avoit reçu de la nature de la pénétration ; personne ne connut mieux le prix du tems ; il ne perdit pas un moment ; il passa dans son laboratoire tous les instans qu'il ne donna pas à la pratique de la Médecine ; il fit des progrès surprenans en Chymie ; il exerça l'art de guérir les maladies avec un succès incroyable ; son nom a été mis à côté de ceux de Bacon,de Boyle, de Galilée, & de Descartes. Voici les principes de sa Philosophie.

Toute cause physique efficiente n'est point extérieure, mais intérieure, essentielle en nature.

Ce qui constitue, ce qui agit, la cause intérieure, je l'appelle archée.

Il ne faut à un corps naturel, quel qu'il soit, que des rudimens corporels ; ces rudimens sont sujets à des vicissitudes momentanées.

Il n'y a point de privation dans la nature.

Il n'y faut point imaginer une matiere indéterminée, nue, premiere ; cette matiere est impossible.

Il n'y a que deux causes, l'efficiente & la matérielle.

Les choses particulieres supposent un suc générique, & un principe séminal, efficient, générateur ; la définition ne doit renfermer que ces deux élémens.

L'eau est la matiere dont tout est fait.

Le ferment séminal & générateur est le rudiment par lequel tout commence & se fait.

Le rudiment ou le germe, c'est une même chose.

Le ferment séminal est la cause efficiente du germe.

La vie commence avec la production du germe.

Le ferment est un être créé ; il n'est ni substance, ni accident ; sa nature est neutre ; il occupe dès le commencement du monde les lieux de son empire ; il prépare les semences ; ils les excite ; il les précede.

Les fermens ont été produits par le Créateur ; ils dureront jusqu'à la consommation des siecles ; ils se régénerent ; ils ont leurs semences propres qu'ils produisent & qu'ils excitent de l'eau.

Les lieux ont un ordre, une raison assignée par la Divinité, & destinée à la production de certains effets.

L'eau est l'unique cause matérielle des choses ; elle a en elle la qualité initiante ; elle est pure ; elle est simple ; elle est résoluble, & tous les corps peuvent s'y réduire comme à une matiere derniere.

Le feu a été destiné à détruire, & non à engendrer ; son origine n'est point séminale, mais particuliere ; il est entre les choses créées, un être un, singulier & incomparable.

Entre les causes efficientes en nature, les unes sont efficiemment efficientes ; les autres effectivement ; les semences & leurs esprits ordinaires, composent la premiere classe ; les réservoirs & les organes immédiats des semences, les fermens qui disposent extérieurement de la matiere, les palingénésies composent la seconde.

Le but de tout agent naturel est de disposer la matiere qui lui est soumise, à une fin qui lui est connue, & qui est déterminée, du-moins quant à la génération.

Quelque opaques & dures que soyent les choses, elles avoient avant cette solidité que nous leur remarquons, une vapeur qui fécondoit la semence, & qui y traçoit les premiers linéamens déliés & subtils de la génération conséquente. Cette vapeur ne se sépare point de l'engendré ; elle le suit jusqu'à ce qu'il disparoisse de la scene ; cette cause efficiente intérieure est l'archée.

Ce qui constitue l'archée, c'est l'union de l'autre séminale, comme matiere, avec l'image séminale, ou le noyau spirituel intérieur qui fait & contient le principe de la fécondité de la semence ; la semence visible n'est que la silique de l'archée.

L'archée auteur & promoteur de la génération, se revêtit promtement lui-même d'une enveloppe corporelle : dans les êtres animés, il se meut dans les replis de sa semence ; il en parcourt tous les détours & toutes les cavités secrettes ; il commence à transformer la matiere, selon l'entéléchie de son image, & il reste le dispositeur, le maître, & l'ordinateur interne des effets, jusqu'à la destruction derniere.

Une conclusion forme une opinion, & non une démonstration.

Il préexiste nécessairement en nous la connoissance de la convenance des termes comparés dans le syllogisme avant la conclusion ; ensorte qu'en général je savois d'avance ce qui est contenu dans la conclusion, & ce qu'elle ne fait qu'énoncer, éclaircir, & développer.

La connoissance que nous recevons par la démonstration, étoit antérieurement en nous ; le syllogisme la rend seulement plus distincte, mais le doute n'est jamais entierement dissipé ; parce que la conclusion suit le côté foible des prémisses.

La science est dans l'entendement comme un feu sous la cendre, qu'il peut écarter de lui-même, sans le secours des modes & des formes syllogistiques.

La connoissance de la conclusion n'est pas renfermée nécessairement dans les prémisses.

Le syllogisme ne conduit point à l'invention des Sciences ; il dissipe seulement les ténebres qui les couvrent.

Les vraies sciences sont indémontrables ; elles n'émanent point de la démonstration.

La méthode des Logiciens n'est qu'un simple resumé de ce qu'on sait.

Le but de cette méthode se termine donc à transmettre son opinion d'une maniere claire & distincte à celui qui nous écoute, & à réveiller facilement en lui la réminiscence, par la force de la connexion.

Il n'y a qu'ignorance & erreur dans la physique d'Aristote & de Galien ; il faut recourir à des principes plus solides.

Le ciel, la terre, & l'eau, ont été dans le commencement la matiere créée de tous les êtres futurs ; le ciel contenoit l'eau & la vapeur fécondante ou l'ame.

Il ne faut pas compter le feu parmi les élémens ; on ne voit point qu'il ait été créé.

La terre n'est point une partie du mixte ; elle n'est point la mere, mais la matrice des corps.

L'air & l'eau ne convertissent rien en eux.

Au commencement la terre étoit continue, indivisée ; une seule source l'arrosoit ; elle fut séparée en portions diverses par le déluge.

L'air & l'eau ne se convertissent point l'un en l'autre.

Le globe, composé d'eau & de terre, est rond ; il va d'orient en orient par l'occident ; il est rond dans le sens de son mouvement, elliptique d'ailleurs.

Le gas & le blas sont deux rudimens physiques que les anciens n'ont point connus ; le gas est une exhalaison de l'eau, élevée par le froid du mercure, & atténuée de plus en plus par la dessiccation du soufre ; le blas est le mouvement local & alternatif des étoiles : voilà les deux causes initiantes des météores.

L'air est parsemé de vuides ; on en donne la démonstration méchanique par le feu.

Quoique les porosités de l'air soient actuellement vuides de toute matiere, il y a cependant un être créé & réel ; ce n'est pas un lieu pur, mais quelque chose de moyen entre l'esprit & la matiere, qui n'est ni accident ni substance, un neutre, je l'appelle magnale.

Le magnale n'est point lumiere, c'est une certaine forme unie à l'air, les mêlanges sont des produits matériels de l'eau seule, il n'y a point d'autre élément : ôtez la semence, & le mercure se résoudra en une eau insipide ; les semences, parties similaires des concrets, se résolvent en sel, en soufre, & en mercure.

Le ferment qui empreint de semence la masse, n'éprouve aucune vicissitude séminale.

Il y a deux sortes de fermens dans la nature ; l'un contient en lui-même l'aure fluante, l'archée seminal qui tend dans son progrès à l'état d'ame vivante ; l'autre est le principe initiant du mouvement ou de la génération d'une chose dans une chose.

Celui qui a tout fait de rien, crée encore la voie, l'origine, la vie & la perfection en tout : l'effet des causes secondes n'est que partial.

Dieu créa les hommes de rien.

Dieu est l'essence vraie, parfaite & actuelle de tout. Les essences des choses sont des choses, ce n'est pas Dieu.

Lorsque la génération commence, l'archée n'est pas lumineux ; c'est une aure où la forme, la vie, l'ame sensitive du générateur est obscure, jusqu'à ce que dans le progrès de la génération il s'éclaire & imprime à la chose une image distincte de son éclat.

Cette aure tend par tous les moyens possibles à organiser le corps & à lui transmettre sa lumiere & toutes les qualités qui en dépendent ; elle s'enflamme de plus en plus ; elle se porte avec ardeur sur le corps ; elle cherche à l'informer & à le vivifier : mais cet effet n'a lieu que par le concours de celui qui est la vie, la vérité & la lumiere.

Lorsqu'un être a conçu l'archée, il est en lui le gardien de la vie, le promoteur des transmutations depuis la premiere jusqu'à la derniere.

Il y a de la convenance entre les archées, par leur qualité vitale commune & par leur éclat ; mais il ne se reçoivent point réciproquement, ils ne se troublent point dans leur ordre & leur district.

La vicissitude en nature n'est point l'effet de la matiere, mais du feu.

La corruption est une certaine disposition de la matiere conséquente à l'extinction du feu recteur ; ce n'est point une pure privation, ses causes sont positives.

Ce sont les fermens étrangers qui introduisent la corruption ; c'est par eux qu'elle commence, se continue, & s'acheve.

Entre les choses, les unes périssent par la dissipation du baume de nature, d'autres par la corruption.

La nature ignore & n'admet rien de contraire à son voeu.

Il y a deux blas dans l'homme, l'un mu naturellement, l'autre volontairement.

La chaleur n'est point la cause efficiente de la digestion, qu'elle excite seulement. Le ferment stomachique est la cause efficiente de la digestion.

La crainte de Dieu est le commencement de la sagesse.

L'ame ne se connoit ni par la raison ni par des images : la vérité de l'essence & la vérité de l'entendement se pénetrent en unité & en identité ; voilà pourquoi l'entendement est un être immortel.

Il y a plusieurs sortes de lumieres vitales. La lumiere de l'ame est une substance spirituelle, une matiere vitale & lumineuse.

Ceux qui confondent notre identité avec l'immensité de Dieu, & qui nous regardent comme des parties de ce tout, sont des athées.

L'entendement est uni substantiellement à la volonté qui n'est ni puissance ni accident, mais lumiere, essence spirituelle, indivise, distincte de l'entendement par abstraction.

Il faut reconnoître dans l'ame une troisieme qualité, l'amour ou le desir de plaire. Ce n'est point un acte de la volonté seule ni de l'entendement seul, mais de l'un & de l'autre conjointement.

L'esprit est un acte pur, simple, formel, homogene, indivis, immortel, image de Dieu, incompréhensible, où tous les attributs qui conviennent à sa nature sont rassemblés dans une unité.

L'entendement est la lumiere de l'esprit, & l'esprit est l'entendement éclairé ; il comprend, il voit, il agit séparément du corps.

L'entendement est lié aux organes du corps ; il est soumis aux actions de l'ame sensitive : c'est par cette union qu'il se revêtit de la qualité qu'on appelle imagination.

Il n'y a rien dans l'imagination qui n'ait été auparavant dans la sensation ; les especes intellectuelles sont toutes émanées des objets sensibles.

La force intelligente concourt avec la faculté phantastique de l'ame sensitive, sur le caractere de l'organe, & lui est soumise.

L'ame a son siége particulier à l'orifice superieur de l'estomac ; la mémoire a son siége dans le cerveau.

L'entendement est essentiel à l'ame ; la volonté & la mémoire sont des facultés caduques de la vie sensitive.

L'entendement brille dans la tête, mais d'une lumiere dépendante de la liaison de l'ame avec le corps, & des esprits étherés.

L'intelligence qui naît de l'invention & du jugement, passe par une irradition qui se fait de l'orifice de l'estomac au cerveau.

L'orifice de l'estomac est comme un centre d'où l'ame exerce son énergie en tout sens.

L'ame, image de la Divinité, ne pense rien principalement, ne connoît rien intimement, ne contemple rien vraiment que Dieu, ou l'unité premiere, à laquelle tout le reste se rapporte.

Si une chose s'atteint par le sens ou par la raison, ce ne sera point encore une abstraction pure & complete .

Le moyen d'atteindre à l'abstraction pure & complete est très-éloigné ; il faut être séparé de l'attention à toutes choses créées, & même incréées ; il faut que l'activité de l'ame soit abandonnée à elle-même ; qu'il n'y ait aucun discours ni intérieur ni extérieur ; aucune action préméditée, aucune contemplation déterminée ; il faut que l'ame n'agisse point, qu'elle attende dans un repos profond l'influence gratuite d'enhaut ; qu'il ne lui reste aucune impression qui la ramene à elle ; qu'elle se soit parfaitement oubliée ; en un mot qu'elle demeure absorbée dans une inexistence, un oubli, une sorte d'anéantissement qui la rende absolument inerte & passive.

Rien ne conduit plus efficacement & plus parfaitement à ce dépouillement, à ce silence, à cette privation de lumiere étrangere, à ce défaut général de distraction, que la priere, son silence & ses délices : exercez-vous à l'adoration profonde.

Dans cette profondeur d'adoration l'ame se perdra, les sens seront suspendus, les ténebres qui l'enveloppent se retireront, & la lumiere d'enhaut s'y réflechira : alors il ne lui restera que le sentiment de l'amour qui l'occupera toute entiere.

Nous pourrions ajouter beaucoup d'autres propositions tirées des ouvrages de cet auteur à celles qui précedent, mais elles n'instruiroient pas davantage. D'ailleurs ce van-Helmont s'exprime d'une maniere si obscure & si barbare, qu'on est bientôt dégoûté de le suivre, & qu'on ne peut jamais se promettre de le rendre avec quelque exactitude. Qu'est-ce que son blas, son gas, & son archée lumineux ? qu'est-ce que cette méthode de s'abrutir, pour s'unir à Dieu ; de se séparer de ses connoissances, pour arriver à des découvertes ; & de s'assoupir pour penser plus vivement ?

Je conjecture que ces hommes, d'un tempérament sombre & mélancolique, ne devoient cette pénétration extraordinaire & presque divine qu'on leur remarquoit par intervalles, & qui les conduisoit à des idées tantôt si folles, tantôt si sublimes, qu'à quelque dérangement périodique de la machine. Ils se croyoient alors inspirés & ils étoient fous : leurs accès étoient précédés d'une espece d'abrutissement, qu'ils regardoient comme l'état de l'homme sous la condition de nature dépravée. Tirés de cette léthargie par le tumulte subit des humeurs qui s'élevoient en eux, ils imaginoient que c'étoit la Divinité qui descendoit, qui les visitoit, qui les travailloit ; que le souffle divin dont ils avoient été premierement animés, se ranimoit subitement & reprenoit une portion de son énergie ancienne & originelle, & ils donnoient des préceptes pour s'acheminer artificiellement à cet état d'orgasme & d'ivresse où ils se trouvoient au-dessus d'eux-mêmes & qu'ils regrettoient ; semblables à ceux qui ont éprouvé l'enchantement & le délire délicieux que l'usage de l'opium porte dans l'imagination & dans les sens ; heureux dans l'ivresse, stupides dans le repos, fatigués, accablés, ennuiés, ils prenoient la vie commune en dégoût ; ils soupiroient après le moment d'exaltation, d'inspiration, d'aliénation. Tranquilles ou agités, ils fuyoient le commerce des hommes, insupportables à eux-mêmes ou aux autres. O que le génie & la folie se touchent de bien près ! Ceux que le ciel a signés en bien & en mal sont sujets plus ou moins à ces symptomes : ils les ont plus ou moins fréquens, plus ou moins violens. On les enferme & on les enchaîne, ou on leur éleve des statues : ils prophétisent ou sur le trône, ou sur les théatres, ou dans les chaires ; ils tiennent l'attention des hommes suspendue ; ils en sont écoutés, admirés, suivis, ou insultés, bafoués, lapidés ; leur sort ne dépend point d'eux, mais des circonstances dans lesquelles ils se montrent. Ce sont les tems d'ignorance & de grandes calamités qui les font naître : alors les hommes qui se croyent poursuivis par la Divinité, se rassemblent autour de ces especes d'insensés, qui disposent d'eux. Ils ordonnent des sacrifices, & ils sont faits ; des prieres, & l'on prie ; des jeûnes, & l'on jeûne ; des meurtres, & l'on égorge ; des chants d'allegresse & de joie, & l'on se couronne de fleurs & l'on danse & l'on chante ; des temples, & l'on en éleve ; les entreprises les plus desespérées, & elles réussissent ; ils meurent, & ils sont adorés. Il faut ranger dans cette classe Pindare, Eschile, Mahomet, Shakespear, Roger Bacon,& Paracelse. Changez les instans, & celui qui fut poëte eût été ou magicien, ou prophete, ou législateur. O hommes à qui la nature a donné cette grande & extraordinaire imagination, qui criez, qui subjuguez, que nous qualifions insensés ou sages, qui est ce qui peut prédire votre destinée ? Vous naquîtes pour marcher entre les applaudissemens de la terre ou l'ignominie, pour conduire les peuples au bonheur ou au malheur, & laisser après vous le transport de la louange ou de l'exécution.

François-Mercure van-Helmont, fils de Jean-Baptiste, naquit en 1618 ; il n'eut ni moins de génie, ni moins de connoissances que son pere. Il posséda les langues anciennes & modernes, orientales & européennes. Il se livra tout entier à la Chymie & à la Médecine, & il se fit une grande réputation par ses découvertes & par ses cures. Il donna éperdument dans la cabale & la théosophie. Né catholique, il se fit quaker. Il n'y a peut-être aucun ouvrage au monde qui contienne autant de paradoxes que son ordo seculorum. Il le composa à la sollicitation d'une femme qui l'écrivit sous sa dictée.

Pierre Poiret naquit à Metz en 1646 de parens pauvres, mais honnêtes. Il étudia autant que sa santé le lui permit. Il fut successivement syncretiste, éclectique, cartésien, philosophe, théologien & théosophe. Attaqué d'une maladie dangereuse, il fit voeu, s'il en guérissoit, d'écrire en faveur de la religion, contre les athées & les incrédules. C'est à cette circonstance qu'on dut l'ouvrage qu'il publia sous le titre de cogitationes rationales de Deo, animâ & malo. Il fit connoissance étroite à Hambourg avec la fameuse Antoinette Bourignon, qui l'entraîna dans ses sentimens de mysticité. Il attendit donc, comme elle, l'illumination passive, & il se rendit l'apologiste du silence sacré de l'ame & de la suspension des sens, & le détracteur de la philosophie & de la raison. Il mourut en Hollande âgé de soixante-trois ans, après avoir passé dans la retraite la plus profonde, les dernieres années de sa vie : entre les qualités de coeur & d'esprit qu'on lui reconnoît, on peut louer sa tolérance. Quoiqu'il fût très-attaché à ses opinions religieuses, il permettoit qu'on en professât librement de contraires ; ce qui suffit seul pour caractériser un honnête homme & un bon esprit.

Ce fut dans ce tems, au commencement du xvij. siecle, que se forma la fameuse société des rose-croix, ainsi appellée du nom de celui qu'elle regarda comme son fondateur ; c'étoit un certain Rosencreuz, né en Allemagne en 1388. Cet homme fit un voyage en Palestine, où il apprit la magie, la cabale, la chymie & l'alchymie. Il se fit des associés, à qui il confia ses secrets. On ajouta qu'il mourut âgé de cent vingt ans. L'association se perpétua après sa mort. Ceux qui la composoient se prétendoient éclairés d'en-haut. Ils avoient une langue qui leur étoit propre, des arcanes particuliers ; leur objet étoit la réformation des moeurs des hommes dans tous les états, & de la science dans toutes ses branches ; ils possédoient le secret de la pierre philosophale & de la teinture ou médecine universelle. Ils pouvoient connoître le passé & prédire l'avenir. Leur philosophie étoit un mêlange obscur de paracelsisme & de théosophie. Les merveilles qu'ils disoient d'eux, leur attacherent beaucoup de sectateurs, les uns fourbes, les autres dupes. Leur société répandue par toute la terre n'avoit point de centre. Descartes chercha par-tout des Rose-croix, & n'en trouva point. Cependant on publia leurs statuts : mais l'histoire des Rose-croix s'est tellement obscurcie depuis, que l'on regarde presqu'aujourd'hui ce qu'on en débitoit autrefois comme autant de fables.

Il suit de ce qui précede que les Théosophes ont été des hommes d'une imagination ardente ; qu'ils ont corrompu la Théologie, obscurci la Philosophie, & abusé de leurs connoissances chymiques, & qu'il est difficile de prononcer s'ils ont plus nui que servi au progrès des connoissances humaines.

Il y a encore quelques théosophes parmi nous. Ce sont des gens à demi-instruits, entêtés de rapporter aux saintes Ecritures toute l'érudition ancienne & toute la philosophie nouvelle ; qui deshonorent la révélation par la stupide jalousie avec laquelle ils défendent ses droits ; qui retrécissent autant qu'il est en eux l'empire de la raison, dont ils nous interdiroient volontiers l'usage ; qui sont toujours tout prêts à attacher l'épithete d'hérésie à toute hypothese nouvelle ; qui réduiroient volontiers toute connoissance à celle de la religion, & toute lecture aux livres de l'ancien & du nouveau Testament, où ils voyent tout ce qui n'y est pas & rien de ce qui y est ; qui ont pris en aversion la Philosophie & les Philosophes, & qui réussiroient à éteindre parmi nous l'esprit de découvertes & de recherches, & à nous replonger dans la barbarie, si le gouvernement les appuioit, comme ils le demandent.


THÉOXÉNIESS. f. pl. (Antiq. grecq.) , fête solemnelle des Athéniens où l'on sacrifioit à tous les dieux ensemble. Elle est ainsi nommée, parce qu'on y faisoit des préparatifs comme pour recevoir à un festin tous les dieux, . On célébroit aussi la même fête dans d'autres villes de Grece.

On en attribue l'institution à Castor & à Pollux. Le scholiaste de Pindare rapporte que les dioscures avoient institué les théoxénies, pour célébrer la mémoire de l'honneur que les dieux avoient daigné leur faire, d'assister à un festin qu'ils avoient préparé.

Les poëtes, pour inspirer l'hospitalité envers les étrangers, assûroient qu'on pouvoit d'autant moins s'en dispenser, que les dieux revêtus de la forme humaine venoient quelquefois visiter la terre, pour y observer les moeurs des hommes. C'est pourquoi Télémaque reçut Minerve dans sa maison sans la connoître, ce dont il fut bien récompensé. Au contraire Jupiter, humana lustrans sub imagine terras, pour me servir des termes d'Ovide, vint aborder chez Lycaon qui refusa de le recevoir, & il le changea en loup à cause de son inhumanité. En un mot, tout, chez les païens, inspiroit cette vertu de bienfaisance. S. Paul, en recommandant d'autres devoirs aux Hébreux, xiij. 2. y joint celui-ci : N'oubliez point l'hospitalité, car quelques-uns ont logé des anges. La loi des peuples de la Lucanie condamnoit à l'amende celui qui manquoit à cette charité ; on lui intentoit l'action d'inhospitalité, & l'amende étoit au profit de Jupiter hospitalier.

Quand chez les anciens un étranger demandoit à être reçu, le maître de la maison se présentoit ; il mettoit, ainsi que l'étranger, un pié sur le seuil de la porte, & là ils juroient de ne se faire aucun préjudice ; celui qui violoit cet engagement, se rendoit coupable du plus grand parjure, & étoit en exécration aux autres hommes ; en un mot, puisque l'hospitalité étoit une chose sainte & sacrée, voyez -en l'article ; voyez aussi TESSERE d'hospitalité. (D.J.)


THÉOXENIUS(Mythologie) surnom d'Apollon qu'on lui donnoit à Pellene en Achaïe. Il y avoit un temple où sa statue étoit en bronze ; on célébroit aussi dans cette ville des jeux en son honneur, où les seuls citoyens de Pellene étoient admis ; mais il ne faut pas confondre ces jeux avec les Théoxénies. (D.J.)


THÉRA(Géog. anc.) 1°. île de la mer de Crete ; elle est du nombre de celles de l'Archipel, que les anciens appelloient Sporades, parce qu'elles étoient semées çà & là dans la mer. Ptolémée s'est trompé dans la position de cette île, en la mettant proche des côtes de l'Attique, au-dessous de l'île d'Eubée ; peut-être s'est-il trompé conséquemment en attribuant à cette île les deux villes d'Oëa & d'Eleusine, parce qu'il n'en est parlé dans aucun autre auteur ; & parce que si ce géographe eût connu cette île, il eût certainement fait mention de la ville de Théra que Théras y avoit bâtie, & qui en étoit la capitale.

L'île de Théra est située environ au 56 degré de longitude, & au 37 & demi de latitude septentrionale. Elle a au midi l'île de Crete, dont elle est éloignée d'environ 90 milles ; & autour d'elle, à diverses distances, sont les îles de Thérasie, d'Anaphé, d'Amorgos, d'Ios, &c.

Strabon lui donne deux cent stades de circuit, c'est-à-dire vingt-cinq mille pas géométriques : les voyageurs modernes lui en donnent trente-six mille, qui valent douze grandes lieues de France. J'aime mieux accuser Strabon de n'avoir pas connu exactement son étendue, que de croire qu'elle ait reçu aucun accroissement depuis le siecle de Strabon ; parce qu'aucun auteur ne l'a dit, & que, dans les fréquens tremblemens de terre qu'elle a essuyés depuis ce tems-là, elle a plus perdu, sans comparaison, qu'elle n'a acquis.

Les habitans de cette île sont encore aujourd'hui dans l'opinion qu'elle s'est élevée du fond de la mer, par la violence d'un volcan qui depuis a produit cinq ou six autres îles dans son golfe. On peut appuyer cette opinion du témoignage des poëtes, suivant lesquels l'île de Théra étoit née d'une motte de terre, qu'Euphème avoit laissé tomber par mégarde dans le lieu où cette île est située. Pline le naturaliste, l. II. c. lxxxvij. l. IV. c. xij. dit formellement que l'île de Théra n'a pas toujours été, & que lorsqu'elle parut hors de la mer, elle fut appellée Callisté.

Enfin une derniere preuve qui paroît assez forte, c'est que le volcan qui l'a produite n'est pas même encore éteint. Dans la quatrieme année de la cxxxv. olympiade, selon Pline, environ 233 ans avant Jesus-Christ, ce volcan poussa hors de la mer l'île de Thérasie, qui n'est éloignée de l'île de Théra que d'environ une demi-lieue. Quelque tems après, le même volcan produisit une île nouvelle de 1500 pas de circuit, entre les deux îles de Théra & de Thérasie. On vit pendant quatre jours, dit Strabon, l. I. la mer couverte de flammes qui l'agiterent extrêmement, & du milieu de ces flammes sortirent quantité de rochers ardens, qui, comme autant de parties d'un corps organisé, vinrent s'arranger les uns auprès des autres, & prirent enfin la forme d'une île.

Cette île fut appellée Hiera & Automaté. Les Rhodiens, qui étoient alors fort puissans sur mer, coururent au bruit qu'elle fit en naissant, & furent assez hardis pour y débarquer & pour y bâtir un temple qu'ils consacrerent à Neptune, surnommé Asphalien.

Cette île s'est accrue à deux reprises différentes ; la premiere fois, sous l'empire de LÉon l'Iconoclaste, l'an 726 de l'ere chrétienne ; & la seconde fois l'an 1427, le 25 de Novembre, comme on l'apprend d'une inscription en vers latins que l'on a trouvée à Scaro sur un marbre. On l'appelle aujourd'hui , grande brûlée, pour la distinguer d'une autre qui parut en 1593, que l'on nomme , ou petite brûlée. Pline, Séneque & Dion Cassius nous parlent d'une autre île fort petite, qui avoit paru l'an de Rome 799 ou 800 au mois de Juillet. Pline lui donne le nom de Thia. Je ne sais ce qu'elle est devenue ; peut-être s'est-elle jointe à l'île d'Hiéra, dans l'un de ses deux accroissemens, car elle n'en étoit qu'à trois cent pas.

Enfin l'an 1707, le volcan se ralluma avec plus de furie que jamais, dans le même golfe de l'île de Théra, entre la grande & la petite Camméni, & donna le spectacle d'une île nouvelle de cinq ou six milles de circuit.

Je ne parlerai point du fracas épouvantable qui précéda & qui suivit sa naissance, on peut s'en instruire dans les relations que l'on en a données au public : ce que l'on y apprendra sur la production de la derniere île, est tout-à-fait conforme à ce que les anciens ont dit sur la production de celles qui l'ont précédée.

L'île de Théra fut appellée d'abord Callisté, , c'est-à-dire très-belle. L'état affreux où elle est aujourd'hui, ne répond nullement à ce premier nom ; de fertile & peuplée qu'elle étoit, elle est devenue stérile & peu habitable. Les tremblemens de terre & les volcans l'ont bouleversée plusieurs fois ; & son port, autrefois excellent, a été ruiné par les îles qui en sont sorties, de maniere que l'on n'y trouve plus de fond pour l'ancrage des vaisseaux. Théras fit perdre le nom de Callisté, & lui donna le sien : elle se nomme aujourd'hui Sant-Erini ou Santorini, , comme l'appellent les Grecs modernes, c'est-à-dire l'île de Ste Irene, qui en est la patrone. Les François disent Santorin ; mais voyez SANT-ERINI.

Les Phéniciens en ont été les premiers habitans. Cadmus apperçut cette île en passant dans la Grece. Il s'y arrêta, & y bâtit deux autels, l'un à Neptune, l'autre à Minerve. Il en trouva le séjour si agréable, qu'il y laissa une partie des Phéniciens de sa suite sous les ordres de Membliarès, fils de Pélicée, pour la tenir en son nom. Membliarès, selon Hérodote, étoit parent de Cadmus ; selon Pausanias, il n'étoit qu'un simple particulier. Théras qui descendoit en ligne directe, crut avoir des prétentions légitimes sur la souveraineté de cette île, quoique les descendans de Membliarès la possédassent depuis plus de 300 ans. Il y alla avec trois galeres chargées de Lacédémoniens & de ceux des Minyens, qui s'étoient associés à son entreprise. Si nous en croyons Pausanias, les descendans de Membliarès se soumirent à leur nouveau maître, fans lui faire de résistance, sans lui alléguer, du-moins contre son droit prétendu, la longue possession où ils étoient de l'île Callisté. Disons plutôt, qu'ils se soumirent, parce qu'ils furent ou qu'ils se crurent les plus foibles ; & c'est ce qu'Hérodote nous fait entendre, lorsqu'il dit que Théras ne voulut point chasser les anciens habitans de l'île, & qu'il les associa à la colonie qu'il y avoit menée. Ainsi les Phéniciens, les Lacédémoniens & les Minyens vont être confondus, & ne feront qu'un seul peuple ; & de ce peuple doivent sortir à la treizieme génération le fondateur & les premiers habitans de Cyrene.

Personne n'ignore que les chefs des colonies avoient accoutumé de se vouer à quelque dieu, sous la protection duquel ils alloient chercher de nouvelles habitations. Apollon fut le dieu à qui Théras se voua. Il lui consacra en arrivant toute l'île Callisté, & y établit en son honneur cette fête célebre des Lacédémoniens, appellée , les Carnéennes, & qui passa ensuite de l'île de Théra à Cyrene.

La seconde chose que fit Théras en arrivant fut de bâtir une ville de son nom, pour y loger son peuple. Il y a lieu de croire qu'il la bâtit sur une montagne, appellée aujourd'hui la montagne de S. Etienne. On y voit encore les ruines d'une ville qui paroît avoir été considérable. Les pierres qui sont restées de la démolition de ses murailles sont d'une grandeur extraordinaire. On y a trouvé des colonnes de marbre blanc toutes entieres, des statues, & sur-tout quantité de sépulchres : monumens qui prouvent que cette ville a été la capitale de l'île. Et qui peut douter que cette ville capitale n'ait été la ville même de Théra, appellée dans plusieurs auteurs la ville métropole de Cyrene ?

Quant à la forme du gouvernement que Théras établit dans son petit royaume, il est à présumer qu'il l'établit sur le modele de celui de Lacédémone, dont il s'étoit bien trouvé pendant le tems de sa régence ; du-moins n'en trouve-t-on rien de particulier dans les auteurs, si ce n'est une coutume ou une loi touchant le deuil qu'Eustathe nous a conservée dans son commentaire sur Denys le géographe. Les Théréens, dit-il, ne pleuroient ni les enfans qui mouroient avant sept ans, ni les hommes qui mouroient au-delà de cinquante ans. Ceux-ci, parce qu'apparemment ils étoient censés avoir assez vécu, & ceux-là, parce qu'on ne pensoit pas qu'ils eussent encore vécu.

Les Théréens crurent ne pouvoir trop reconnoître les biens que Théras leur avoit fait pendant sa vie ; ils lui rendirent après sa mort des honneurs divins, récompense ordinaire qu'on rendoit autrefois aux fondateurs des villes & des états. Il laissa en mourant un fils appellé Samus, lequel eut deux fils, Télémaque & Clytius. Ce dernier succéda à son pere, & Télémaque passa dans la Sicile avec une colonie. La suite des descendans de Clytius est perdue jusqu'à Aesanius, pere de Grinus, le dernier des rois de Théra que nous connoissions, & sous qui Battus passa dans la Libye.

Quoique l'île de Théra ait extrêmement changé de face par les tremblemens de terre, on voyoit encore dans le dernier siecle sur une des collines du mont Saint-Etienne, les ruines d'un temple à colonnes de marbre. Peut-être que c'étoit celui de Neptune que les Rhodiens y bâtirent, & peut-être aussi un temple de Minerve ou d'Apollon ; car l'île de Théra étoit consacrée à ce dernier dieu, & c'est pour cela que Pindare l'appelle une île sacrée.

M. Spon a recueilli dans ses antiquités curieuses toutes les inscriptions qu'il a trouvées parmi les ruines de la plus jolie ville de l'île de Théra, & qui étoit illustre encore sous la belle Rome, puisqu'on lui permit de consacrer des monumens à ses empereurs. Voici en françois les inscriptions dont nous parlons ; car il seroit pénible de les transcrire en grec.

I. Inscription. " Coeranus fils d'Agnosthène, & Agnosthène son fils, au nom du peuple, marquent leur attachement pour Tibere, Claude, César, Auguste, Germanique. "

II. " Par les soins d'Asclépiade & de Quietus, magistrats pour la seconde fois avec Alexandre fils d'Euphrosyne, le sénat & le peuple de l'île de Théra ont fait ériger la statue de l'empereur César, Marc-Aurele, Antonin, Auguste, consacrée par Poliuchus, grand prêtre pour la seconde fois. "

III. " Le senat & le peuple de Théra assurent l'empereur César, L. Septime Severe, Pertinax, Auguste, de leur entier dévouement. "

IV. " Sous les magistrats M. Aurele Isoclée fils d'Asclépiades, Aurele Cleotelès fils de Tyrannus, & Aurele Philoxène fils d'Abascantus, par ordre du sénat & du peuple de Théra, Aurele Isoclée, premier magistrat pour la seconde fois, a fait la dépense, & pris le soin de faire ériger la statue du très-grand empereur César, Marc Aurele Severe, Antonin Pie, Auguste, Arabique, Adiabénique, Parthique, Germanique. "

V. " Aurelius Tychasius pour son pere, & Elpizousa pour son cher mari Tychasius, consacrent les témoignages de leur tendresse. "

VI. " Carpus a consacré par ce monument son amour pour sa chere femme Soeide, qui n'avoit point eu d'autre mari. "

Quelques-uns font naître Aristippe dans l'île de Théra, & Horace l'appelle graecus Aristippus ; mais tous les historiens donnent à ce philosophe pour patrie la ville de Cyrène en Libye, aujourd'hui Caïroam, dans le royaume de Barca ; cependant on peut défendre l'épithete d'Horace comme poëte, & dire qu'Aristippe étoit grec d'origine, parce que l'île de Théra avoit été peuplée par une colonie grecque, & que la ville de Cyrène fut ensuite bâtie par une colonie de Théra. (D.J.)


THERAPEUTESS. m. pl. (Hist. jud.) terme grec qui signifie serviteurs, & en particulier ceux qui se consacroient au service de Dieu, dérivé de , qui signifie guérir ou servir. Les Grecs donnoient le nom de therapeutes à ceux qui avoient embrassé une vie contemplative, soit que ce fût par rapport aux soins extrêmes qu'ils prenoient de l'affaire de leur salut, soit par rapport à la façon particuliere d'exercer leur religion. Le mot therapeuein d'où est venu celui de therapeutes, signifie les soins qu'un médecin prend de son malade, & le service qu'un homme rend à un autre.

Philon dans son premier livre de la vie contemplative, raconte qu'il y avoit un peuple répandu dans presque toutes les parties du monde, connu surtout dans l'Egypte, aux environs d'Alexandrie, & nommé therapeutes : que ces gens-là renonçoient à leurs amis & parens, à leurs biens & à leur patrie : qu'ils se débarrassoient de toutes leurs affaires temporelles, & qu'ils se retiroient dans les solitudes où ils avoient chacun leur habitation particuliere nommée semnée ou monastere. Voyez MONASTERE.

Il ajoute que les therapeutes s'y livroient entierement aux exercices de la priere & de la contemplation, qu'ils se regardoient comme étant continuellement en présence de Dieu, qu'ils faisoient des prieres publiques le soir & le matin, qu'ils ne mangeoient qu'après le coucher du soleil, & qu'il y en avoit beaucoup qui ne mangeoient qu'une fois en trois jours, ou même en six jours de tems, & que pour toute nourriture ils ne prenoient alors qu'un morceau de pain assaisonné d'un peu de sel ou d'hyssope : que dans leur semnée ils ne se chargeoient que des livres de Moïse, des prophetes, des pseaumes & d'autres écritures semblables, où ils cherchoient le sens des expressions mystiques & allégoriques, dans la persuasion que les Ecritures-saintes n'étoient que des ombres ou figures dont il falloit découvrir les sens cachés & mystérieux : qu'ils avoient aussi quelques livres qui leur avoient été transmis par les fondateurs de leur secte : qu'ils s'assembloient tous les samedis dans un grand monastere pour conférer ensemble, & participer aux mysteres de leur religion.

Les critiques sont extrêmement divisés sur deux points concernant ces thérapeutes ; il est question de savoir s'ils étoient juifs ou chrétiens ; & supposé qu'ils fussent chrétiens, s'ils étoient moines ou séculiers.

A l'égard du premier point, Scaliger, de emend. temp. soutient qu'ils étoient des juifs esséens ; mais de Valois & Eusebe rejettent l'opinion de Scaliger, 1°. parce que Philon ne les a appellés nulle-part esséens ; 2°. parce que les Esséens n'habitoient que la terre sainte, au lieu que les Thérapeutes s'étoient répandus dans la Grece & dans tous les pays des peuples barbares ; 3°. parce que Josephe qui entre dans un grand détail sur les Esséens, ne dit pas un seul mot des Thérapeutes, ni de la vie thérapeutique. Voyez ESSÉEN ou ESSÉNIEN.

Cependant de Valois convient qu'ils étoient juifs, & en cela il est appuyé par Photius. Les principales raisons qu'en rapporte de Valois, sont 1°. que suivant Philon, ils ne lisoient d'autres livres que la loi & les prophetes : 2°. qu'ils avoient quelques livres de leurs fondateurs, ce qui ne peut pas s'entendre des chrétiens, puisque dans ce tems-là le christianisme ne venoit que de naître : 3°. que les Thérapeutes ne prioient Dieu que deux fois par jour ; au lieu que les Chrétiens le prioient alors plus souvent : 4°. que les Chrétiens ne commencerent à chanter des hymnes & des pseaumes qu'après la mort de l'empereur Antonin, & enfin que les Chrétiens ne pouvoient encore être répandus par toute la terre.

Malgré toutes ces raisons, Eusebe, lib. II. hist. eccles. cap. xvij. S. Jérôme, Sozomène, Nicephore, Baronius, Petau, Godeau, Montfaucon & autres maintiennent que les Thérapeutes étoient chrétiens, & tâchent de le prouver, en disant que rien ne peut être plus conforme à la vie des premiers chrétiens, que celle qui est attribuée par Philon aux Thérapeutes : que ces livres de leurs fondateurs étoient les évangiles & les écrits des apôtres, & même que Philon semble indiquer par son récit qu'il y avoit parmi eux des évêques & d'autres ministres évangéliques.

Mais M. Bouhier, président au parlement de Dijon, refute ce sentiment, parce qu'il y auroit de l'absurdité à supposer que Philon qui étoit un juif, eût fait un livre exprès à la louange des Chrétiens.

Ce qui n'empêche point que divers auteurs, comme Cassien, le P. Helyot, & autres ne soutiennent que les Thérapeutes étoient des chrétiens, & même des religieux. Et en effet M. Bouhier avoue que s'ils étoient chrétiens, il n'y a plus à douter qu'ils ne fussent des religieux.

Pour ce qui est de l'argument que Philon n'auroit jamais fait le panégyrique des Chrétiens, on répond que les Thérapeutes étoient des gens de sa propre nation ou juifs, comme il le déclare lui-même, & qu'il les regardoit seulement comme une secte de Juifs dont les vertus extraordinaires faisoient honneur à la nation.

Mais quoique le christianisme des Thérapeutes paroisse assez probable, on aura bien de la peine à prouver qu'ils étoient des moines. Voyez MOINE.

Les raisons qu'on apporte encore pour prouver que les Thérapeutes n'étoient point chrétiens, sont 1°. que tous les auteurs qui ont parlé du christianisme des Thérapeutes, n'ont fait que copier Eusebe qui ne s'étoit fondé que sur le témoignage de Philon ; or ce qu'en dit Philon ne prouve pas que les Thérapeutes ayent été chrétiens. On peut très-bien expliquer tout ce qu'il en dit d'une secte de juifs plus religieuse & plus épurée dans ses sentimens que le commun de la nation. Les austérités, le silence, la retraite, le mépris des richesses, la continence même ne sont pas des preuves univoques du christianisme. Tant de payens ont été desintéressés, austeres, retirés, continens. Tous les Thérapeutes n'étoient pas obligés d'observer la virginité ; il n'y avoit que ceux dont les femmes & les enfans ne vouloient pas observer le même genre de vie. Les veilles, l'observance du sabbat & du jour de la pentecoste, les hymnes, les explications allégoriques sont plus du caractere des Juifs que des Chrétiens. Les diacres ou ministres sont connus dans les assemblées des Hébreux & dans leur synagogue. Le repas mystique de pain levé & du sel mêlé avec de l'hyssope ne peut être le repas eucharistique où il entroit toujours du vin, mais jamais ni sel ni hyssope. Enfin ce que Philon ajoute que ce repas ou cette table étoit instituée, par une distinction respectueuse pour la table sainte, posée au vestibule du temple, sur laquelle on ne mettoit que du pain sans levain & du sel tout pur, prouve encore que c'étoit une cérémonie purement judaïque.

2°. Le terme de monasteres ou de semnées ne doit imposer à personne. Les anciens moines ont pu emprunter ce terme des Thérapeutes, ainsi que plusieurs de leurs pratiques, de même que l'église a emprunté plusieurs termes & plusieurs pratiques des Juifs, sans qu'on en puisse conclure pour cela que les Chrétiens sont juifs.

3°. Les convenances générales qui se trouvent entre les Thérapeutes & les Chrétiens, ne prouvent pas que les premiers ayent professé le christianisme. Il faudroit pour cela trouver dans les premiers quelque caractere particulier aux Chrétiens, quelque dogme qu'ils ne pussent avoir appris que de Jesus-Christ, & qui ne pût leur être commun avec aucune autre religion.

4°. La vie commune des Thérapeutes qu'on regarde comme semblable à celle des premiers fideles, ne prouve rien non plus ; car elle est accompagnée de circonstances qui ne sont point applicables à tous les premiers chrétiens. Les premiers quittoient leur patrie, leurs biens, leurs parens, & se retiroient dans la solitude. Il est certain que ce caractere ne convient pas à tous les Chrétiens, pas même aux premiers fideles qui vivoient dans les villes, dans leurs propres maisons, avec leurs parens, leurs femmes, leurs enfans. L'usage de quitter les villes & de se retirer dans les solitudes n'est venu que longtems après Philon, & lorsqu'on ne parloit plus de Thérapeutes.

5°. Philon reconnoit que les Thérapeutes étoient répandus en plusieurs endroits de la terre, mais surtout qu'ils étoient nombreux en Egypte. Cela peut-il désigner les Chrétiens, qui comme on sait, étoient bien plus nombreux dans la Palestine & dans la Syrie que dans l'Egypte, du tems de Philon ? Enfin les Thérapeutes étudioient les Ecritures saintes & les écrits que leur avoient laissés leurs ancêtres touchant la maniere allégorique de les expliquer : ceci convient mieux à des juifs d'Egypte qu'aux Chrétiens, qui du tems de Philon ne faisoient que de naître, qui n'avoient point d'auteurs anciens, ni de livres allégoriques, genre d'étude aussi commun chez les Juifs, qu'il l'étoit peu parmi les Chrétiens.

De toutes ces raisons le P. Calmet de qui nous les avons empruntées, conclut qu'il est très-probable que les Thérapeutes étoient juifs & non pas chrétiens ; & l'on en peut conclure à plus forte raison qu'ils n'étoient pas moines, dans le sens où ce mot se prend par les auteurs ecclésiastiques. Dictionn. de la Bible, tom. III. lettre T, au mot Thérapeutes, pag. 671.


THÉRAPEUTIQUES. f. (Méd.) partie de l'art de guérir les maladies, qui traite de la maniere de les découvrir & de les appliquer. Elle se divise en Diete, Chirurgie & Pharmacie.


THERAPHIMS. m. (Hist. jud.) mot hébreu, dont l'explication a donné beaucoup de peine aux critiques. On le trouve treize ou quatorze fois dans l'Ecriture, où il est traduit ordinairement par le mot d'idoles ; mais les rabbins ne se contentent point de lui faire signifier simplement des idoles ; ils prétendent qu'il doit être appliqué à une espece particuliere d'idoles ou d'images que l'on consultoit sur les événemens futurs, comme les oracles.

Le rabbin David de Pomis observe qu'on les appelloit théraphim de raphah, laisser, parce que le peuple quittoit tout pour les aller consulter. Il ajoute que les théraphims avoient la figure humaine, & qu'en les mettant debout, ils parloient à certaines heures du jour, & sous certaines constellations, par les influences des corps célestes : mais c'est-là une fable rabbinique que David avoit apprise d'Abenezra.

D'autres prétendent que les théraphims étoient des instrumens de cuivre qui marquoient les heures & les minutes des événemens futurs, comme gouvernés par les astres. De Pomis enchérit sur Abenezra, en disant que les théraphims étant faits sous une certaine constellation, le demon les faisoit parler sous cet aspect du ciel. Voyez TALISMAN.

Le rabbin Eliézer nous dit la raison pourquoi ses confreres veulent que les théraphims parlent & rendent des oracles ; savoir, parce qu'il est écrit dans le prophete Zacharie, x. 2. que les théraphims ont dit des choses vaines.

Le même rabbin ajoute que pour faire un théraphim on tuoit un enfant nouveau-né, qu'on fendoit sa tête, & qu'on l'assaisonnoit de sel & d'huile : qu'on gravoit sur une plaque d'or le nom de quelque esprit impur, & qu'on mettoit cette plaque sous la langue de l'enfant mort, qu'on attachoit la tête contre un mur, qu'on allumoit des lampes, & qu'on faisoit des prieres devant cette tête, qui parloit ensuite avec ses adorateurs.

Quoi qu'il en soit, Vorstius observe qu'outre le passage de Zacharie que l'on vient de citer ; il paroît aussi par celui d'Ezéchiel, xxj. 22. que les théraphims étoient consultés comme des oracles.

De Pomis s'efforce de prouver que le théraphim qui fut mis par Michol dans le lit de David, n'en étoit point un de cette espece, parce qu'il n'avoit pas une figure humaine. Mais le rabbin Eliézer est d'un sentiment contraire.

Mais quoi qu'en disent les rabbins, & que le texte hébreu porte théraphim, que la vulgate rend par statuam, on croit communément que c'étoit une figure faite à la hâte avec quelque bois, que l'on revêtit de linges, comme une grosse poupée, ou comme un épouventail de chéneviere, que Michol mit dans le lit de son mari pour faire croire à ceux qui le cherchoient de la part du roi qu'il étoit malade.

Pour ce qui est de la maniere de faire les théraphims, Vorstius est persuadé que c'est une vaine tradition rabbinique, quoique les rabbins Tanichuma, & Jonathan dans son targum, Gen. xxxj. 19. l'aient rapportée après le rabbin Eliézer ; il se fonde principalement sur ce que Laban, qui n'avoit pas absolument perdu toute notion du vrai Dieu, comme il paroît par le passage de la Genese, xxxj. 53. ne pouvoit pas être capable d'une cruauté si affreuse : mais Vorstius n'a pas fait attention que cette coutume, pour n'avoir point encore été établie du tems de Laban, pouvoit fort bien être devenue réelle dans la suite, outre qu'il est certain que les Hébreux ont brûlé quelquefois leurs enfans à l'honneur de Moloch.

Le pere Kircher nous conduit en Egypte pour y chercher l'origine des théraphims, ajoutant que ce mot est égyptien lui-même. Spencer, en sa dissertation sur l'urim & thummin soutient que théraphim est un mot chaldéen, & qu'il signifie la même chose que seraphim, parce qu'on sait que les chaldéens changent souvent le en , c'est-à-dire, l's en t, il ajoute que ces images venoient des amorites chaldéens ou syriens, & que le serapis des Egyptiens est la même chose que le théraphim des Chaldéens. Voyez SELDEN, des dieux de Syrie, synt. I. c. ij.

Le pere Calmet observe que la figure du serpent aîlé, nommé seraph, d'où l'on a fait le nom seraphim, a pu donner aussi naissance au mot théraphim, parce que sur les abraxas, & autres talismans des anciens qui sont de vrais théraphims, on trouve des figures de serpens représentés tantôt avec des aîles, & tantôt sans aîles ; d'où il conclut que les théraphims de Laban, qui furent enlevés par Rachel, étoient de véritables talismans.

M. Jurieu a proposé sur ces théraphims de Laban une conjecture ; c'est que ces théraphims étoient les dieux pénates ou domestiques de Laban. Ces dieux lares, dit-il, étoient les ames des héros de familles qu'on avoit déifiés, & qu'on y adoroit. Ainsi les théraphims de Laban, selon cet auteur, étoient les images de Noé, restaurateur du genre humain, & de Sem, chef de la famille de Laban. Celui-ci ne se plaint pas seulement qu'on lui a dérobé des dieux ou des statues en qui il avoit confiance, & à qui il rendoit un culte religieux ; il dit qu'on lui a ravi ses dieux, c'est-à-dire, les dieux de sa maison, cur furatus es deos meos, Genes. xxxj. Jurieu, hist. des cultes.

Mais, comme le remarque dom Calmet, cette conjecture n'est pas solide. Il n'est nullement croyable que le culte des dieux pénates & lares ait été connu du tems de Laban : il est même fort douteux qu'il l'ait été parmi les orientaux plusieurs siecles après ce patriarche. D'ailleurs est-il croyable, que Laban ait mis au rang des dieux Noé & Sem, qui étoient morts depuis si peu de tems ? Car Noé mourut l'an du monde 2006, & Sem l'an du monde 2158, c'est-à-dire, 87 ans seulement avant que Jacob arrivât en Mésopotamie auprès de Laban. Calmet, dictionn. de la Bible tom. III. lettre T, au mot Théraphim, p. 674.


THERAPNEou THERAPNAE, ou THERAMNAE, (Géog. anc.) ville du Péloponnèse dans la Laconie, au voisinage de la ville de Sparte. Pausanias, Lacon. c. xx. fait entendre que pour aller de Sparte à Therapné, il falloit traverser le fleuve Eurotas. Il donne à Therapné le titre de ville ; mais Suidas se sert simplement du nom de lieu, & le scholiaste de Pindare, ode j. v. 43. en fait un village. Ce dernier ajoute, qu'il y avoit un temple dédié à Castor & Pollux. C'est à quoi Stace, Silvar. l. IV. carm. viij. v. 52. fait allusion dans ces vers :

Et vos Tyndaridae, quos non horrenda Lycurgi

Taygeta ; umbrosaeque magis coluere Therapnae.

Ce même poëte, Thébaïd. l. VII. v. 793. parlant de Castor & de Pollux, les appelle Therapnaei fratres. Pindare & la plûpart des auteurs anciens qui ont parlé de ces deux jumeaux, racontent ce qui leur arrivoit de deux jours l'un à Therapné après leur mort. Jupiter, disent-ils, ordonna qu'ils passeroient alternativement un jour dans le ciel, & un autre jour au-dessous de la terre ; c'est-à-dire, qu'ils se cacheroient sous l'hémisphere ; & c'étoit sous Therapné qu'ils se cachoient. Ainsi cette fiction poétique étoit mêlée à l'astronomie. Pour rendre une raison ingénieuse du lever & du coucher des deux étoiles appellées Castor & Pollux ; les anciens ont dit qu'elles sortoient de l'hémisphere inférieur du côté de Therapné, qui est véritablement vers l'horison oriental de Lacédémone, & que par le mouvement diurne, elles s'élevoient à la plus haute partie du ciel. En effet, il ne s'en faut que de cinq à six degrés qu'elles ne soient véritables, & dans le zénith de Lacédémone.

Therapné étoit encore célebre, pour être le lieu où Diane avoit été adorée pour la premiere fois. On y voyoit un temple consacré à Ménélas, qui y avoit été enterré avec Hélene. Comme cette belle lacédémonienne y avoit été élevée, les poëtes l'ont appellée la nymphe de Therapné. On cherche envain le tombeau de cette belle nymphe, il reste à peine des traces de la ville même. (D.J.)


THÉRARQUES. m. (Littérat.) , dans la milice des anciens Grecs on appelloit thérarque celui qui commandoit deux éléphans ; zoarque, celui qui n'en commandoit qu'un, épitherarque, celui qui en commandoit 4 ; itarque celui qui en commandoit 8 ; éléphantarque celui qui en commandoit 16, & kérarque celui qui en commandoit 32. Trévoux. (D.J.)


THERENUS(Géog. anc.) fleuve de l'île de Crete, selon Diodore de Sicile. Ce fleuve couloit près de Gnossus, où la fable dit que furent célébrées des noces de Jupiter & de Junon. (D.J.)


THÉRIAQUES. f. (Pharm. Thérapeutiq.) absolument décidé tel par le bon usage, qui ne peut être que celui qui est consacré par les gens de l'art à qui cet objet appartient, c'est-à-dire, dans le cas présent par les médecins.

La thériaque est une des plus anciennes & des plus célebres compositions de la pharmacie ; elle est dûe à Andromachus l'ancien ou le pere, médecin célebre, archiatre de l'empereur Néron. Galien prétend que la theriaque est un très-noble & très-ancien remede, que plusieurs médecins célebres avoient travaillé à la perfectionner ; & qu'Andromachus y mit la derniere main, en y ajoutant les viperes. Mais il y a apparence que ç'a été une affaire plus simple que la production de cet antidote, c'est qu'Andromachus ne fit qu'imiter l'antidote de Mithridate, ou le mithridat. Voyez MITHRIDAT, dont la recette avoit été apportée à Rome long-tems auparavant par Pompée.

Ce nouvel antidote fut appellé d'abord par son inventeur galené, c'est-à-dire, tranquille ; & il prit ensuite le nom de thériaque du mot grec , bête vénimeuse, tant parce qu'elle contenoit une espece de ces bêtes, savoir les viperes ; que parce qu'elle étoit regardée comme utile contre les morsures des bêtes vénimeuses.

La composition de la thériaque a varié en divers tems, tant par le nombre & l'espece de drogues, que par rapport au modus conficiendi. Les pharmaciens modernes se sont sur-tout appliqués à la reformer, depuis que la chymie éclairant la pharmacie a découvert les vices énormes de cette composition, qui ne put qu'être barbare dans sa naissance, comme l'art qui la produisoit. Mais & les soins que se sont donnés ces réformateurs pour rectifier cette composition, & les prétentions de ceux qui ont cru qu'il n'étoit point permis de toucher à une composition si précieuse, annoncent également un respect aveugle & superstitieux pour la célebrité, assurément très-précaire de ce remede, qu'on peut justement appeller un monstre pharmaceutique. La meilleure réforme étoit donc assurément de chasser la thériaque des dispensaires & des boutiques ; car elle est certainement pire encore que le mithridat duquel Pline a écrit avec raison qu'il étoit manifestement dû à l'ostentation de l'art & à un monstrueux étalage de science : ostentatio artis, & portentosa scientiae, venditatio manifesta.

Mais le vice essentiel de la thériaque ne consiste pas seulement dans l'amas bizarre d'une foule de drogues de différentes vertus, stomachiques, cordiales, astringentes, narcotiques, purgatives, & même des poisons ; mais encore en ce que tout cela est réduit sous une forme peu propre à la conservation, à la durée, ou plutôt sous une forme destinée à faire subir à ce mêlange une altération prévue & inévitable, de laquelle on attend des corrections & de nouvelles vertus ; ensorte que la perfection de la thériaque, quant à ses qualités médicamenteuses, doit dépendre de l'imperfection même de sa préparation.

On a beau dire que ce remede une fois formé par le mêlange de tant de choses diverses, & même par l'altération dont nous venons de parler, produisant constamment un grand nombre d'effets utiles, peu importe qu'il ait été fait ou non, suivant les regles de l'art ; qu'il soit dû à la charlatanerie ou à l'ignorance, ou qu'il ait une origine plus honnête : car 1°. il faudroit sans-doute que la thériaque fût plus efficace dans les mêmes cas, que plusieurs remedes beaucoup plus simples, & préparés selon les regles d'un art qui a des principes très-surs. 2°. Il faudroit au-moins encore que les vertus absolues attribuées à la thériaque fussent réelles quant au plus grand nombre : or assurement cela n'est point ; la prétendue vertu contre le venin lui est absolument refusée depuis que les médecins connoissent mieux la nature & les vrais remedes des poisons ; on se souvient à peine de sa vertu fébrifuge ; elle possede la vertu calmante à un degré très-inférieur ; on ne s'en sert point pour les maladies de poitrine, pour les ulceres internes, pour l'hydropisie, la jaunisse, &c. toutes maladies contre lesquelles elle fut célebrée d'abord comme un spécifique ; on ne connoissoit pas même les usages que Galien lui attribue pendant la santé ; enfin elle partage avec un très-grand nombre de remedes, & ne possede qu'à un degré très-commun les vertus stomachique, cordiale, nervine, emménagogue, sudorifique, &c.

Cependant comme la thériaque est un remede si fameux, qu'on doit le faire connoître, ne fût-ce que pour satisfaire la curiosité du lecteur, en voici la description d'après Andromachus lui-même, & telle qu'elle est rapportée dans Galien, lib. de theriacâ ad Pisonem.

Pastillorum theriacorum drachmas viginti-quatuor. Pastillorum scilliticorum drachmas xlviij. piperis longi, succi papaveris, spinamenti hedychroi, singulorum drachmas xxiiij. rosarum siccarum, iridis illyricae, glycyrrhizae, seminis napi sylvestris, graeci buniada appellant, scordii, opobalsami, cinnamomi, agarici, singulorum drachmas xij. myrrhae, costi, croci, casiae, nardi, schoeni, id est, junci odorati floris, thuris, piperis albi & nigri, dictamni, marrubii, rhei, stoechados, petroselini macedonici, calaminthae, terebinthinae, zingiberis, quinque folii radicis, singulorum drachmas vj. polii, chamaepithyos, styracis, amomi racemosi, meu, nardi Celticae, sigilli lemnii, phu pontici, chamaedryos creticae, foliorum malabathri, chalcitidis tostae, gentianh, anisi, hypocystidis succi, balsami fructus, gummi, foeniculi seminis, cardamomi, siseleos, succi acaciae, thlaspeos, hyperici, sagapeni, ammeos singulorum drachmas iiij. castorei, aristolochiae tenuis, dauci seminis, bituminis judaici, opopanacis, centaurii tenuis, galbani, singulorum drachmas duas, mellis libras decem, vini falerni quod satis est. (b)

Thériaque celeste, composition moderne bien plus parfaite que la thériaque ancienne, même la plus reformée ; & qui n'est composée que de corps chymiquement homogenes, la plûpart séparés & purifiés par la chymie, tels qu'extraits, résines, huiles essentielles, &c. Nous ne donnerons point ici la description de ce remede, parce qu'il est presque inusité ; & qu'encore qu'on ne puisse lui refuser de posséder en un degré éminent les vertus ranimante, tonique, cordiale, stomachique, emménagogue, sudorifique, &c. & cela dans un volume concentré, rapproché, efficace, à petite dose, &c. que malgré ces avantages, dis-je, c'est un reproche très-grave que celui qu'on déduit de sa trop grande composition. Voyez COMPOSITION, Pharmac. Car il faut toujours en revenir au précepte : frustra (& au-moins frustra, si ce n'est pis) fit per plura quod potest fieri per pauciora.

Thériaque diatessaron, ou de quatre drogues de Mesue ; prenez racines de gentiane & d'aristoloche ronde, baies de laurier, & myrrhe choisie, de chacun deux onces, miel choisi écumé deux livres ; faites un électuaire, selon l'art. Il ne manque à celle-ci que l'opinion pour posséder les principales des vertus réelles de la grande thériaque. C'est un bon cordial, stomachique, anticolique, &c. qui a d'abord été ainsi simplifié pour les chevaux, en cela mieux traités que les hommes pour qui on réservoit la grande thériaque. La dose pour les adultes peut être portée sans inconvénient jusqu'à demi-once.

Thériaque des Allemands ; c'est un des noms du rob ou extrait de genievre. (b)


THÉRISTRES. m. (Littérat.) le théristre, selon Caelius Rhodiginus, Antiq. lect. l. XIII. c. vj. étoit l'habit d'été, vêtement fort léger, que les honnêtes femmes portoient par-dessus leurs autres habits, mais que les femmes débauchées portoient sur la peau immédiatement, & seul, sans autre habit par-dessus. (D.J.)


THÉRITAS(Mytholog.) il y avoit à Thérapné, un temple de Mars Théritas, ainsi nommé de Théra, nourrice de ce dieu, ou selon Pausanias, du mot , qui signifie la chasse, pour faire entendre qu'un guerrier doit avoir l'air terrible dans les combats. La statue de Mars Théritas avoit été apportée de Colchos, par Castor & Pollux, selon la fable. (D.J.)


THERMA(Geogr. anc.) 1°. bains de l'Asie mineure dans la Bithynie. Etienne le géographe dit qu'on les appelloit therma pythia. Ces sources d'eau chaude étoient apparemment au voisinage d'Astacum ; car le même géographe met Pythium près du golfe Astacène. Procope, l. V. aedif. c. iij. fait mention de ces bains. Dans un endroit appellé Pythia, il y a, dit-il, des sources d'eau chaude, d'où plusieurs personnes, & principalement les habitans de Constantinople, tirent un notable soulagement dans leurs maladies. Justinien bâtit dans ce lieu un bain pour l'usage du public, & fit conduire par un canal, des eaux fraîches, afin de tempérer la chaleur des eaux chaudes.

2°. Therma, ville de la Cappadoce ; elle est marquée dans l'itinéraire d'Antonin, sur la route de Taria à Césarée.

3°. Therma, étoit encore une ville située aux confins de la Macédoine & de la Thessalie, vers les Thermopyles, selon Hérodote, l. VII. (D.J.)


THERMAE(Géog. anc.) le nom Thermae, ainsi que Therma, a été donné à quelques lieux où se trouvoient des sources d'eau chaude. C'est ainsi que les géographes ont nommé Thermae, non-seulement un lieu de l'Attique, au voisinage de la ville de Corinthe, où se trouvoient des bains chauds, mais encore divers autres lieux : par exemple, Thermae étoit un lieu de Sicile, avec titre de colonie, sur la côte méridionale de l'île. Les sources d'eaux chaudes qui avoient donné le nom de Thermae à ce lieu, sont appellées aquae larodae, par l'itinéraire d'Antonin, qui les marque à quarante milles d'Agrigente. Ces bains subsistent encore & se trouvent au voisinage du bourg Sciacca. (D.J.)


THERMAEUS SINUS(Géog. anc.) golfe de la mer Egée, sur la côte de la Macédoine. On le nomme aussi Thermatius sinus ; & ce nom, comme le premier, vient de celui de Therma, que portoit anciennement la ville de Thessalonique, quoiqu'il y en ait qui distinguent Therma de Thessalonique. Ce golfe qui s'avance beaucoup dans les terres, mouille la péninsule de Pallène, la Paraxie, la Chrestonie, la Mygdonie, la Bottiée, la Piérie, la Perrhébie, & la Magnésie ; c'est ce qui a fait que Pline, l. IV. c. x. l'a nommée par excellence le golfe de Macédoine, sinus Macedonicus : on l'appelle présentement golfe de Salonique, ou golfo di Salonichi. (D.J.)


THERMALESadj. (Médecine) les eaux chaudes tirent leur vertu d'un mêlange de feu & de soufre, qui se trouvent dans les mines voisines des sources, joint à un alkali qui divise ces minéraux & les étend dans l'eau, les y rend miscibles & leur en communique la faculté & les vertus ; les différentes indications dans les maladies se réduisent à lever les obstructions, à corriger les humeurs peccantes, à rétablir la force des fibres, & à chasser tout ce qui nuit à la constitution : on ne peut mieux y satisfaire que par l'usage des eaux chaudes, puisqu'elles ont la vertu d'inciser, de résoudre, & de fondre les humeurs qui croupissent : car elles débouchent les vaisseaux, elles émoussent & corrigent les humeurs acides & salines logées dans les premieres voies ; elles divisent la mucosité gluante du sang, délayent les sucs cruds & mal digerés ; elles absorbent, enveloppent les parties salines avec lesquelles ils sont mêlés ; elles rétablissent l'action & le jeu des solides, & par-là elles augmentent la circulation du sang, hâtent les secrétions & les excrétions en général & en particulier ; elles sont salutaires dans la phthisie & la cacochymie, dans les maladies de l'estomac, telles que sa bouffissure, son relâchement, le défaut d'appétit, la pesanteur comme dans le cochemar ; elles soulagent & arrêtent le vomissement ordinaire & journalier ; elles arrêtent les chûtes de l'anus ; elles calment le ténesme. Elles peuvent aussi soulager dans la cachexie, le scorbut, & les fievres quartes rebelles.

On emploie avec succès les eaux thermales, pour appaiser les hémorrhagies dans plusieurs cas, soit du poumon, soit des hémorrhoïdes ou de la matrice ; & lorsque les écoulemens périodiques sont arrêtés, rien n'est plus propre pour les rétablir, que ces mêmes eaux.

Elles nettoyent les conduits urinaires, & préviennent la gravelle, la pierre, & la dysurie ; elles sont bonnes dans les abscès des reins, de l'urétere, & de la vessie, mais avec certaines précautions.

Quant aux maladies du poumon, elles rendent la respiration plus libre, en débarrassant les bronches de la lymphe visqueuse, dans l'asthme, la fausse péripneumonie, & la phthisie, sur-tout lorsque ces maladies sont produites par l'obstruction & la lenteur des humeurs ; aussi le célebre Morton ordonne-t-il les eaux thermales dans la phthisie, & d'autres remedes qui agissent en suivant les mêmes indications.

Si le savon est un grand remede dans les maladies arthritiques, on peut dire que les eaux chaudes étant sulphureuses & savonneuses, sont bonnes dans les différentes especes de gouttes, telles que la sciatique, le rhumatisme, soit prises intérieurement, soit appliquées au-dehors en bains, en douches, ou en fomentations.

Elles sont aussi émollientes & résolutives pour les tumeurs dures & skirrheuses ; elles fortifient aussi les fibres relâchées, tandis qu'elles relâchent celles qui sont affectées de spasme, ce qui fait que ces eaux sont très-bonnes dans la paralysie & la contraction convulsive des membres.

Comme elles détergent & nettoyent les conduits excrétoires, elles soulagent dans nombre de maladies cutanées, comme la gale, la gratelle, & la lepre, elles sont efficaces dans les obstructions des glandes de la peau, dans la suppression de la transpiration, dans la dureté & la rigidité de la peau.

Mais comme les remedes les plus salutaires nuisent souvent, sur-tout si les visceres sont affectés, de même les eaux chaudes sont préjudiciables dans certaines maladies de la tête, de la poitrine, & du bas ventre, comme les skirrhes, les tubercules, ou lorsque ces parties, ou leurs viscères sont ulcerés ou affectés d'un empyeme.

L'usage de ces eaux est aussi préjudiciable à ceux qui sont disposés à l'apoplexie, à la migraine, à l'épilepsie, aux mouvemens convulsifs, aux polypes, & aux anévrismes ; elles nuisent dans les hydropisies, dans les phthisies confirmées, dans les cancers, dans les ulcères phagédéniques.

Lorsqu'il y a des inflammations externes ou internes, on doit les éviter jusqu'à ce que les maladies soient fort calmées.

L'usage de ces eaux, soit intérieur, soit extérieur, demande l'administration des remedes généraux. 1°. la saignée est nécessaire dans les pléthoriques, & dans ceux qui ont le sang épais, pour diminuer la résistance qu'il opposeroit à leur action.

2°. Les purgatifs doivent précéder, de peur que les eaux n'entraînent avec elles la matiere des premieres voies, dans les troisiemes voies. Les purgatifs conviennent aussi au milieu & à la fin de leur usage ; mais il faut que ce soit des minoratifs, autrement ils ne disposeroient pas efficacement à l'action des eaux chaudes.

3°. Si on boit les eaux, il faut commencer par de légeres doses, que l'on augmentera par degré, pour y accoutumer l'estomac peu-à-peu ; l'exercice & le régime sont absolument nécessaires, selon la dose & la quantité des eaux ; les fruits sur-tout, & le vin doivent être évités.

4°. Les passions lentes, & les violentes, telles que le chagrin & la colere, sont également contraires dans leur usage ; il faut éviter de les ordonner aussi aux personnes qui sont disposées à ces passions, attendu que leur constitution est trop roide ou trop foible.

5°. Il faut prendre garde de prendre le bain trop chaud, ou de boire les eaux trop chaudes ; mais on ne peut faire de regles précises à ce sujet ; la chaleur externe ou interne que cette pratique causeroit dans le corps, produiroit un mouvement d'expansion trop violent dans le sang & dans les humeurs, ce qui ne manqueroit pas d'attirer des inflammations, des douleurs de tête, & des constrictions spasmodiques, avec des anxiétés dans les visceres du bas ventre.

6°. Ce n'est pas tout d'approprier les différentes especes d'eaux thermales aux maladies ; il faut avoir égard aux fibres & à la différence de leur tissu : car dans le cas de fibres tendres & délicats, il faut emploier des eaux chaudes douces, émollientes, & qui soient peu actives ; cela a sur-tout lieu pour les eaux dures que l'on emploie dans les bains, comme leur pression est violente, elles produiroient des effets dangereux pour les entrailles.

C'est ainsi qu'entre les plus fameuses eaux thermales, celles d'Aix-la-chapelle sont les plus fortes & les plus purgatives, desorte qu'elles ne conviennent qu'à des estomacs capables d'en supporter la chaleur & le dégout. Les eaux de Bourbon tiennent le milieu entre ces premieres & celles de Bath ; elles sont moins chaudes, moins dégoûtantes & moins purgatives. Celles de Bath contiennent moins de soufre & plus de feu que les deux autres ; elles ne purgent point, à moins qu'on ne les prenne avec trop de précipitation, ou en trop grande quantité.


THERMASMAS. m. (Méd. anc.) ; terme employé par les anciens, pour désigner en général tout ce qui est propre à échauffer le corps ; mais ce mot désigne en particulier une fomentation chaude, prescrite par Hippocrate, pour adoucir les douleurs de côté qu'on ressent dans les pleurésies. (D.J.)


THERMES(Antiq. rom.) les thermes étoient chez les Romains de grands édifices, principalement destinés pour les bains chauds ou froids ; nous verrons dans la suite que ces bains étoient publics ou particuliers.

Thermae, du grec , chaleur. Tite-Live, liv. XXXVI. c. xv. en décrivant le pays des thermopyles, dit que ce lieu étoit nommé pylae, & par d'autres thermopylae, parce qu'on trouvoit des eaux chaudes dans l'endroit le plus resserré entre les montagnes.

Les Romains par ce mot therma, entendoient des bains d'eau chaude ; & on l'appliqua tellement aux édifices où étoient ces bains, qu'il s'étendit même jusqu'à ceux où l'on se baignoit dans de l'eau froide.

Les thermes eurent rang parmi les édifices les plus somptueux de Rome : on s'y lavoit l'hiver avec de l'eau tiede, quelquefois avec des eaux de senteur, ou bien par une autre sorte de mollesse, on faisoit seulement sentir à son corps les vapeurs chaudes de l'eau. Pendant l'hiver, on s'oignoit le corps avec des huiles & des parfums de prix ; & pendant l'été après être sorti du bain tiede, on alloit se rafraîchir dans de l'eau froide. Gordien voulut bâtir dans un même lieu des thermes pour l'hiver & pour l'été, mais la mort qui le prévint l'empêcha d'achever l'ouvrage. L'empereur Aurelien fit bâtir au-delà du Tibre des thermes pour l'hiver seulement.

Les thermes étoient si vastes, qu'Ammien-Marcellin, liv. XVI. c. vj. pour donner une idée de leur grandeur, les compare à des provinces entieres, in modum provinciarum extructa lavacra. Ce qui nous reste encore aujourd'hui de quelques anciens thermes nous fait juger de leur étendue prodigieuse.

Le nombre de ces thermes étoit aussi surprenant à Rome, que leur grandeur. Publius-Victor dit, qu'il y en avoit plus de huit cent, & Pline le jeune, liv. IV. epist. 8. dit qu'ils s'étoient augmentés à l'infini : Quae nunc Roma ad infinitum auxere numerum. Les empereurs les firent d'abord bâtir pour leur usage particulier, ensuite ils les abandonnerent au peuple ; ou en firent bâtir pour lui. Outre les thermes où l'on ne payoit rien, il y en avoit qui se donnoient à ferme, & de plus les principaux citoyens avoient des bains particuliers chez eux.

Ces thermes étoient accompagnés de divers édifices, & de plusieurs pieces & appartemens. Il y avoit de vastes réservoirs où se rassembloit l'eau par le moyen des aqueducs ; des canaux qu'on avoit ménagés, servoient à faire écouler les eaux inutiles. Les murailles des réservoirs étoient si bien cimentées, que le fer avoit de la peine à rompre la matiere employée à la liaison des pierres. Le pavé des thermes, comme celui des bains, étoit quelquefois de verre, le plus souvent néanmoins on y employoit la pierre, le marbre, ou des pieces de rapport qui formoient un ouvrage de marqueterie de différentes couleurs.

La description des thermes de Dioclétien qui nous a été donnée par André Baccius, fournit une idée complete de la grandeur & de la magnificence romaine dans ces sortes d'ouvrages. On y voit entr'autres un grand lac dans lequel on s'exerçoit à la nage, des portiques pour les promenades, des basiliques où le peuple s'assembloit avant que d'entrer dans le bain, ou après en être sorti ; des appartemens où l'on pouvoit manger, des vestibules & des cours ornées de colonnes, des lieux où les jeunes gens faisoient leurs exercices, des endroits pour se rafraîchir, où l'on avoit pratiqué de grandes fenêtres, afin que le vent y pût entrer aisément ; des lieux où l'on pouvoit suer, des bois délicieux, plantés de planes & autres arbres ; les endroits pour l'exercice de la course ; d'autres où l'on s'assembloit pour conférer ensemble, & où il y avoit des siéges pour s'asseoir ; des lieux où l'on s'exerçoit à la lutte, d'autres où les Philosophes, les rhéteurs & les poëtes cultivoient les sciences par maniere d'amusement ; des endroits où l'on gardoit les huiles & les parfums ; d'autres où les lutteurs se jettoient du sable l'un sur l'autre, pour avoir plus de prise sur leurs corps qui étoient frottés d'huile.

L'usage des thermes, comme celui des bains, étoit très-ancien à Rome. Les peuples de l'Asie en donnerent l'exemple aux Grecs, & ceux-ci le transmirent aux Romains, qui avoient des thermes, avant que les Médecins grecs eussent mis le pié à Rome, époque que l'on rapporte à l'an 535 de la fondation de cette ville, sous le consulat de L. Emilius, & de M. Licinius. Homere, odiss. , v. 248. compte l'usage des thermes , au nombre des plaisirs honnêtes de la vie.

Semper autem nobis conviviumque gratum, citharaeque, chorique

Vestesque mutatoriae, lavacraque calida, & cubilia.

Plaute décrit dans les deux vers suivans, les exercices auxquels on formoit la jeunesse dans les thermes

Ibi cursu, luctando, hasta, disco, pugilatu, pila,

Saliendo, sese exercebant magis quam scorto aut saviis.

C'étoit une des fins qu'on s'étoit proposées dans l'établissement des thermes. Par ces exercices, on augmentoit la force des jeunes gens, on leur donnoit de l'adresse, & on les instruisoit dans les Sciences. Une autre vûe que l'on avoit eue, c'étoit la conservation de la santé, & peut-être la volupté y entra-t-elle aussi pour quelque chose. J'ai déja dit qu'il y avoit des thermes où l'on entroit librement, & sans qu'il en coutât rien, & que dans d'autres il falloit payer ; du reste, la somme que l'on donnoit étoit modique ; on étoit quitte pour la plus petite piece de monnoie, comme Juvenal le remarque dans la sixieme satyre.

Coedere sylvano porcum, & quadrante lavari.

Cette piece pourtant ne suffisoit pas lorsqu'on venoit trop tard, c'est-à-dire après les dix heures ; il falloit alors payer, selon le caprice des personnes préposées pour le service des thermes. Martial, l. X. épigr. 70. a fait allusion à cette sorte d'exaction, quand il a dit :

Balnea post decimam lasso, centumque petuntur

Quadrantes, &c.

Les édiles avoient inspection sur les thermes, & sous eux étoient plusieurs ministres inférieurs, de sorte que l'ordre y régnoit, malgré l'entiere liberté que l'on y trouvoit. Il n'y avoit aucune distinction pour les places ; le peuple, comme la noblesse, l'artisan, comme le magistrat, avoit droit de choisir parmi les places vuides, celle qui étoit le plus à son gré.

Ordinairement les thermes n'étoient point communs aux hommes & aux femmes ; ce ne fut que sous quelques empereurs corrompus que cette indécence eut lieu. Les endroits où les hommes se baignoient, furent presque toujours séparés des lieux destinés aux bains des femmes ; & même pour mettre encore mieux à couvert l'honneur de celles-ci, Agrippine, mere de Néron, fit ouvrir un bain destiné uniquement à l'usage des femmes ; exemple qui fut imité par quelques autres dames romaines, comme nous l'apprend Publius-Victor. On lit dans Spartien, que l'empereur Adrien ordonna que les bains des femmes seroient séparés des bains des hommes.

Le signal pour venir aux bains & pour en sortir, se donnoit au son d'une cloche ; si l'on s'y rendoit un peu tard, on couroit risque de n'avoir que de l'eau froide pour se baigner ; c'est ce que signifient ces deux vers de Martial, liv. XIV. épig. 163.

Redde pilam : sonat aes thermarum ; ludere pergis ?

Virgine vis solâ, locus abire domum.

L'heure pour entrer dans les thermes, étoit, selon Pline, liv. III. c. j. la huitieme heure du jour en été, & la neuvieme en hiver. Martial, liv. IV. épig. 8. semble dire la même chose dans ces vers.

Sufficit in nonam nitidis octava palaestris.

Spartien, in Adriano, nous apprend que l'empereur Adrien défendit qu'on se mît dans le bain en public avant la huitieme heure. La plûpart ne se baignoient qu'une fois par jour ; quelques-uns néanmoins, plus adonnés aux exercices qui s'y faisoient, y retournoient jusqu'à sept fois dans un même jour. Galien de sanitate tuenda, liv. V. rapporte, qu'un certain philosophe nommé Primigène, étoit attaqué de la fievre le jour qu'il manquoit de se baigner.

L'usage des bains n'étoit interdit qu'à l'occasion d'un grand deuil ou d'une calamité publique, comme nous le voyons dans Tite-Live & dans Suétone.

Mais S. Clément d'Alexandrie, Pédag. l. III. c. v. dit que les nobles faisoient porter aux bains des draps de toile très-fine, & des vases d'or & d'argent, sans nombre, tant pour servir aux bains, que pour le boire & le manger.

Ainsi le luxe s'introduisit dans un usage que le manque de linge, la chaleur du climat, & la nécessité de la propreté avoient fait naître. Les empereurs romains se prêterent aux besoins de la nation qu'ils gouvernoient, en bâtissant pour elle des thermes publics, plus grands ou plus magnifiques les uns que les autres. Tels furent ceux d'Auguste, de Néron, de Titus, de Trajan, de Commode, de Severe, d'Antonin, de Caracalla & de Dioclétien. Ces deux derniers surpasserent tous les autres par leur étendue. On ne peut voir les ruines des thermes de Caracalla, sans être surpris de l'immensité qu'avoit ce bâtiment ; mais il n'y en eut point de plus somptueux, plus chargé d'ornemens & d'incrustations, ni qui fit plus d'honneur à un prince, que les thermes de Dioclétien. Une seule salle de ces édifices fait aujourd'hui l'église des Chartreux à Rome ; une des loges du portier fait l'église des Feuillans. (D.J.)

THERMES DES NYMPHES, (Littérat.) les Poëtes peuploient tous les élémens de dieux, de déesses, de nymphes ; & la plus petite fontaine avoit sa divinité comme le plus grand fleuve. Les bains connus dans l'histoire, sont également fameux dans la fable. Si l'on en croit Diodore, les anciennes traditions portoient qu'Hercule revenant d'Espagne, & amenant les boeufs de Géryon, passa par la Sicile ; là s'étant arrêté près d'Himère, Minerve ordonna aux Nymphes de faire sortir de terre des bains où ce héros pût se délasser ; & les Nymphes obéirent. C'est peut-être pour cette raison que Pindare les nomme simplement les bains des Nymphes. Cet événement fabuleux a trouvé place sur les médailles. Nous en avons une représentant Hercule, & au revers trois nymphes qui font sortir de terre les bains d'Himère. L'autre médaille figure un char attelé de deux chevaux, monté par un homme que l'on croit être Ergoteles ; cet homme tient les rènes de la main droite, & de la gauche une espece de bâton avec une victoire audessus ; au revers est une nymphe tenant une patere élevée sur un brasier. Derriere la nymphe est Hercule dans le bain, sur les épaules duquel un lion accroupi verse de l'eau. (D.J.)


THERMESIA(Mytholog.) il y avoit dans le territoire de Corinthe, un temple de Cérès Thermesia, ainsi nommée parce que le culte qu'on y rendoit à la déesse avoit été apporté de Thermesse, île voisine de la Sicile, dont parle Strabon. (D.J.)


THERMIDA(Géog. anc.) ville de l'Espagne tarragonoise, selon Ptolémée, l. II. c. vj. qui la donne aux Carpétains. Quelques savans croyent que c'est aujourd'hui Rajas, village d'Espagne dans la nouvelle Castille, entre Madrid & Siguença. (D.J.)


THERMIEL'ILE, (Géog. anc. & mod.) ou l'île Thermia ; île de l'Archipel, l'une des Cyclades, entre l'île de Zia au nord, & l'île de Serpho au midi ; elle est à quarante milles de Syra ou Syros, & à trente-six du port de Zia, mais seulement à douze milles de ce dernier port en droiture.

Le voisinage de ces deux îles ne permet pas de douter que Thermie ne soit l'île de Cytnos, dont les anciens estimoient tant les fromages, puisque Dicéarque dans sa Description de la Grece, la place entre Céos & Sériphus. Il en sortit un grand peintre que Eustathe appelle Cydias. C'est encore dans cette île que fut rejetté par la tempête, le faux Néron esclave, grand joueur du luth & grand musicien, accompagné d'une troupe de gens de sa sorte, armés & soulevés, comme Tacite, Hist. l. II. c. viij. nous l'apprend.

L'île Thermie a quatorze ou quinze lieues de tour. Elle a pris son nom des thermes ou bains d'eaux chaudes, qui la rendoient autrefois célebre. Ces eaux chaudes sont dans le fond d'un des culs-de-sac du port, au nord-est à droite en entrant. La principale source bouillonne au pié de la colline, dans une maison où l'on va laver le linge, & où les malades viennent suer ; les autres sources sortent à quelques pas de-là, par petits bouillons, & forment un ruisseau qui va se rendre dans la mer, d'où toutes ces eaux étoient venues ; car elles sont très-salées, & s'échauffent sans-doute en traversant la colline parmi des mines de fer, ou des matieres ferrugineuses : ces matieres sont la véritable cause de la plûpart des eaux chaudes. Celles de Thermie blanchissent l'huile de tartre, & ne causent aucun changement à la solution du sublimé corrosif. Les anciens bains étoient au milieu de la vallée ; on y voit encore les restes d'un reservoir bâti de briques & de pierres, avec une petite rigole, par le moyen de laquelle l'eau du gros bouillon se distribuoit où l'on vouloit.

On remarque dans les ruines d'une ville de cette île, trois cavernes creusées à pointe de ciseau dans le roc, & enduites de ciment, pour empêcher que les eaux de la pluie ne s'écoulassent par les fentes ; mais on n'y découvre aucune inscription qui donne le nom de la ville.

Il n'y a qu'un bourg dans l'île Thermia qui porte le nom de Thermie ; à deux lieues de ce bourg est un gros village. On ne compte que quatre mille personnes dans toute l'île, qui sont tous du rit grec, excepté une douzaine de familles latines, dont la plûpart sont des matelots françois. Le terroir de cette île est bon & bien cultivé ; c'est même un endroit de bonne chere, mais on n'y fait presque aucun commerce, il n'y a point de bois, & l'on n'y brûle que du chaume. (D.J.)

Thermius, (Mytholog.) surnom d'Apollon pris pour le soleil : il signifie chaud, brûlant. Ce dieu avoit un temple à Elis, sous le nom de Thermius. (D.J.)


THERMODON(Géog. anc.) fleuve de la Cappadoce. Ptolémée, l. V. c. vj. marque son embouchure dans le Pont-Polémoniaque. Ce fleuve est fameux, sur-tout chez les Poëtes, parce qu'ils vouloient que les Amazones habitassent sur ses bords. Virgile, Aeneid. l. XI. vers. 659. en a parlé.

Quales Threiciae, quum flumina Thermodontis

Pulsant & pictis bellantur Amazones armis.

Properce, l. III. Eleg. xiv. dit :

Qualis Amazonidum nudatis bellica mammis

Thermodonteis turba lavatur aquis.

Et Valerius Flaccus, l. IV. Argonaut. vers. 600.

Quid memorem, quas Iris aquas, quas torqueat Ancon ?

Proxima Thermodon hic jam secat arva, memento.

Inclyta Amazonidum, magnoque exorta gradivo

Gens ubi.

On sait que le Thermodon arrosoit une partie du pays des fameuses Amazones ; cette riviere rappelle toujours agréablement l'idée de ces héroïnes, sur lesquelles peut-être on a avancé bien des fables. (D.J.)


THERMOMETRES. m. (Phys.) c'est un instrument qui sert à faire connoître, ou plutôt à mesurer les degrés de chaleur & de froid. Voyez CHALEUR & THERMOSCOPE.

Un paysan hollandois, nommé Drebel, passe pour avoir eu au commencement du xvij. siecle la premiere idée de cet instrument.

Il y a différentes sortes de thermometres, dont voici les constructions, les défauts, les théories, &c.

Ancienne construction d'un thermometre dont l'effet dépend de la raréfaction de l'air. Dans un tuyau B C, Pl. de Pneumatique, fig. 3. n °. 2. auquel est attachée une boule de verre A B, on met une quantité d'eau commune, mêlée d'eau régale, pour empêcher qu'elle ne se gele l'hiver ; on ajoute à cette mixtion une teinture de vitriol, dissous pour la rendre verte. En emplissant le tuyau, il faut avoir soin de laisser dans la boule & dans le tuyau, assez d'air pour qu'il puisse remplir précisément la boule au plus fort de l'hiver, lorsque l'air se trouve le plus condensé, & qu'il ne puisse point chasser du tuyau toute la liqueur dans les plus fortes chaleurs de l'été, lorsque l'air est au plus haut degré de sa raréfaction. A l'autre extrêmité du tuyau est attachée une autre boule de verre C D, ouverte du côté de l'air en D : des deux côtés du tuyau on applique une échelle, ou une platine E F, sur laquelle on marque les degrés, ou un certain nombre de lignes également distantes les unes de autres.

Dans cet état, quand l'air qui environne le tuyau devient plus chaud, l'air renfermé dans la boule & dans le haut du tuyau venant à se dilater, chasse la liqueur dans la boule inférieure, & par conséquent fait descendre la liqueur : au contraire, quand l'air qui environne le tuyau devient plus froid, l'air renfermé dans la boule venant à se condenser, fait monter la liqueur. Voyez RAREFACTION & CONDENSATION.

Ancienne construction du thermometre avec du vif-argent. C'est de la même maniere & avec les mêmes précautions, que l'on met une petite quantité de mercure ou de vif-argent, qui n'excede point l'épaisseur d'un pois, dans un tuyau B C, fig. 4. n °. 2. que l'on coude en plusieurs endroits, afin qu'on puisse le manier plus aisément, & qu'on risque moins de le casser ; on divise ce tuyau en un certain nombre de parties égales, qui servent d'échelle. Dans cet état, les différentes approches du mercure vers la boule A, marqueront les accroissemens ou les différens degrés de chaleur.

Les défauts de ces deux thermometres consistent en ce qu'ils sont sujets à recevoir les impressions d'une double cause ; car ce n'est pas seulement l'augmentation de la chaleur, mais aussi une augmentation du poids de l'athmosphere, qui peut faire monter la liqueur dans le premier, & le mercure dans le second de ces thermometres ; & d'un autre côté ce peut être la diminution du poids, aussi-bien que la diminution de la chaleur de l'athmosphere, qui fera descendre la liqueur & le mercure dans les deux thermometres. Voyez BAROMETRE.

Construction du thermometre commun ou de Florence. Les académiciens del Cimento ayant remarqué les inconvéniens, ou défauts des thermometres ci-dessus, ils essayerent d'en construire un autre par le moyen duquel ils se flattoient de mesurer les degrés de chaleur & de froid de l'air, par la raréfaction & condensation de l'esprit de vin ; quoique la raréfaction & condensation de cette liqueur soit moins considérable que celle de l'air, & que par conséquent les variations dans les degrés de chaleur doivent y être beaucoup moins sensibles.

Voici la construction de leur thermometre.

Sur quelques petits morceaux de turmeric, qui est une sorte de racine dont on se sert pour guérir la jaunisse, on verse une certaine quantité d'esprit de vin rectifié, pour lui donner une teinture rouge ; ensuite on filtre plusieurs fois l'esprit de vin par un papier gris, afin que les particules grossieres de la racine se séparent de la liqueur. De cet esprit de vin ainsi teint & préparé, on emplit une boule de verre A B, fig. 5. n °. 2. & un tuyau B C, & afin que tout l'esprit de vin ne descende point dans la boule pendant l'hiver, il est à-propos de mettre cette boule dans un petit tas de neige mêlée de sel : ou si cet instrument se fait pendant l'été, on met la boule dans de l'eau de source impregnée de salpêtre, afin que l'esprit de vin étant extrêmement condensé, on puisse voir à quel point il s'abaissera dans le plus fort de la gelée.

Si l'esprit-de-vin monte à une trop grande hauteur au-dessus de la boule, il faut en ôter une partie ; & afin que le tuyau ne soit pas excessivement long, il est à-propos de mettre la boule, remplie de son esprit-de-vin, dans de l'eau bouillante, & de marquer le point le plus éloigné où monte pour-lors l'esprit-de-vin.

C'est à ce point que le tuyau doit être fermé hermétiquement par la flamme d'une lampe ; & des deux côtés du tuyau on applique une échelle comme aux autres thermometres.

L'esprit-de-vin étant susceptible d'une raréfaction & d'une condensation considérables, il se dilate à mesure qu'augmente la chaleur de l'air qui l'environne, & par conséquent il monte dans le tuyau ; de même à mesure que diminue la chaleur de l'air, l'esprit-de-vin descend dans le tuyau, & l'on voit sur l'échelle de combien de degrés il a monté ou descendu d'un jour à l'autre.

Si on n'a pas soin de faire sortir de la liqueur tout l'air qu'elle contient, ce qui est extrêmement difficile, il faut laisser de l'air dans la partie supérieure du tube. Car autrement si elle se trouve sans air, la liqueur ne manquera pas de se séparer en divers endroits à cause de l'air qui se trouve dans les interstices de ses parties. Or si on laisse de l'air dans la partie supérieure du tube, cet air produit un autre inconvénient ; car en vertu de sa pesanteur il doit tendre en en-bas, & empêcher par conséquent la liqueur de monter ; ou si la liqueur monte, elle doit comprimer l'air, & augmenter par conséquent son élasticité.

Comme l'expérience a fait connoître qu'un moindre degré de chaleur se communique plus aisément à l'esprit-de-vin qui est dans la boule, que ne fait un plus grand degré de chaleur, les raréfactions de l'esprit-de-vin ne sont pas proportionnelles aux causes qui les produisent.

Il paroît donc que le thermometre de Florence, quoiqu'il soit fort en usage, ne donne rien moins qu'une mesure exacte du froid & du chaud. A quoi l'on peut ajouter ce que dit le docteur Halley dans les Transactions philosophiques, savoir, qu'il a appris de ceux qui avoient gardé long-tems de l'esprit-de-vin, que cette liqueur perd à la longue une partie de sa vertu expansive.

De plus le verre n'est pas moins dilaté par la chaleur que la liqueur, & le froid les condense l'un & l'autre ; par conséquent lorsque la liqueur est chaude elle ne monte pas si haut qu'elle monteroit, si la boule & le tube avoient toujours la même capacité. Par la même raison la liqueur descend moins lorsqu'elle est froide, qu'elle ne feroit si le verre ne se condensoit pas. On ne peut donc savoir au juste quel est l'effet de la chaleur sur la liqueur seule. C'est ce qu'on remarque fort sensiblement quand on vient à plonger un thermometre dans une liqueur très-froide ou très-bouillante ; car dans le premier cas la liqueur commence par monter, parce que le verre est condensé avant la liqueur, & quand la condensation parvient jusqu'à la liqueur elle redescend ; dans le second cas, par une raison contraire, la liqueur commence par baisser à cause de la dilatation du verre, & elle remonte ensuite.

Un autre défaut considérable de ce thermometre & des autres, c'est que ces thermometres ne peuvent point être comparés entr'eux. A la vérité ils marquent les différens degrés de chaud & de froid, mais chacun ne les marque que pour lui-même & à sa façon particuliere. De plus ils ne partent point de quelque point fixe de chaleur ou de froid, & c'est encore un défaut commun à tous les thermometres. Il en est de ces instrumens comme de deux pendules, qui pour n'avoir point été réglées d'abord sur l'heure du soleil, marqueront à la vérité qu'il y a une, deux, ou plusieurs heures de passées, mais ne marqueront point l'heure précise du jour ou du soleil. D'ailleurs quand la liqueur a monté d'un degré dans deux thermometres différens, nous ne pouvons pas être assurés que tous les deux ayent reçu la même impression d'une chaleur égale & additionnelle, puisqu'il se peut faire que l'esprit-de-vin ne soit pas le même dans l'un & dans l'autre, & qu'à proportion que cet esprit est plus ou moins rectifié, il montera plus ou moins dans le tuyau par le même degré de chaleur.

Ce n'est pas encore tout, car en réglant les degrés des thermometres, on juge de l'égalité de l'élévation de l'esprit-de-vin par l'égalité de la longueur du tuyau, en supposant que les diametres du tuyau sont égaux dans toute sa longueur, ce qui arrive très-rarement ; mais il y a tant d'irrégularités dans l'intérieur, qu'une certaine longueur de tuyau demande quelquefois pour être remplie, le double de liqueur qu'il faut pour emplir un autre tube de même longueur & de même diametre ; ce qui ne vient que des inégalités d'épaisseur des parois des tuyaux, & des éminences & cavités qui se trouvent toujours aux surfaces intérieures, mais sur-tout de ce qu'ils sont presque toujours plus épais à une des extrêmités qu'ils ne le sont à l'autre.

C'est pour cela que les comparaisons des thermometres sont si défectueuses & si difficiles à faire ; cependant ce qu'il y a de plus curieux & de plus intéressant dans l'usage des thermometres, c'est le résultat de ces comparaisons ; car c'est par ce moyen que l'on peut connoître le degré de chaud ou de froid d'une autre saison, d'une autre année, d'un autre climat, & quel est le degré de chaud ou de froid que peuvent supporter les hommes & les animaux.

M. de Réaumur a inventé un thermometre nouveau, & qu'il assure être exempt des défauts ci-dessus mentionnés. La principale propriété de ce thermometre est de servir à comparer les différens degrés de chaleur à des mesures connues, comme la dilatation & la condensation d'une liqueur quelconque, telle que l'esprit-de-vin.

Pour connoître les degrés de dilatation ou de condensation de l'esprit-de-vin, il ne s'agit que de mesurer l'accroissement ou la diminution de son volume, par rapport au volume qu'il avoit dans un certain état dont on est convenu. M. de Réaumur prend pour cet état celui de la liqueur quand elle est environnée d'eau qui commence à se glacer, ou plutôt de neige ou de glace pilée qui commence à se fondre. M. de Réaumur commence par graduer le tuyau en y versant de l'eau & du vif-argent, au moyen de différentes petites mesures qu'il assure être très-exactes, ensuite il vuide le tuyau, & le remplit d'esprit-de-vin jusqu'à environ un tiers de la longueur audessus de la boule : alors il plonge la boule dans la glace, la liqueur descend jusqu'à un certain endroit où elle demeure stationnaire ; & l'on ajoute ou l'on ôte ce qu'il faut d'esprit-de-vin pour que le terme de la congélation soit précisément à l'endroit qui marque 1000 parties. Quand le point de la congélation est ainsi déterminé, on chasse le peu d'air qu'il y a dans le tuyau, & on le scelle hermétiquement. Ensuite on écrit d'un côté 0 au point de la congélation, & au-dessus les nombres 1, 2, 3, 4, &c. qui doivent exprimer les degrés de chaleur ; de même au-dessous en allant vers la boule, on écrit 1, 2, 3, 4, &c. qui marque les degrés de froid. De l'autre côté du tuyau, vis-à-vis 0, on écrit 1000, & tant au-dessous qu'audessus les nombres 1001, 1002, 1003, &c. qui marquent les degrés de condensation ou de raréfaction de la liqueur.

Il est absolument nécessaire de se servir du même esprit-de-vin pour avoir des thermometres qui soient comparables étant construits sur ces principes ; & comme il s'en trouve qui ont différens degrés de dilatabilité, M. de Réaumur a choisi celui dont le volume étant 1000 à la congélation, devient 1080 par la chaleur de l'eau bouillante. Voyez les mém. de l'ac. royale des Sciences, ann. 1730, p. 645. hist. p. 15. item 1731. p. 354. hist. p. 7.

Malgré toutes ces précautions, M. Musschenbroeck pense que le thermometre de M. de Réaumur est encore sujet à plusieurs des défauts du thermometre de Florence, savoir que l'esprit-de-vin perd à la longue sa vertu expansive ; que le verre se dilate aussi-bien que la liqueur, qu'en général les thermometres à esprit-de-vin ne peuvent servir que pour mesurer de petits degrés de chaleur ; car aussi-tôt que la liqueur commence à bouillir, ils ne peuvent plus marquer. Or l'esprit-de-vin rectifié bout un peu plus tôt que l'eau, desorte que l'on ne peut découvrir à l'aide de ce thermometre quel est le degré de chaleur de l'eau qui bout, & encore moins celui d'une plus grande chaleur, comme celle de l'huile bouillante, du savon bouillant, du mercure qui bout, &c. enfin ils ne peuvent marquer quelle peut-être la chaleur des métaux fondus. Voilà les objections de M. Musschenbroeck contre ce thermometre, que nous nous contentons simplement de rapporter, sans nous en rendre garans, & sans prétendre rien ôter à M. de Réaumur de l'utilité de sa découverte.

Plusieurs auteurs ont proposé diverses méthodes pour trouver un point fixe ou un degré de froid & de chaud, afin de régler sur ce degré les autres degrés, & de pouvoir comparer les observations faites dans les mêmes tems, ou dans des tems différens, & en différens endroits.

Quelques-uns marquent l'endroit où se trouve la liqueur dans l'hiver quand l'eau commence à se geler, comme aussi dans l'été quand le beurre mis auprès de la boule du thermometre commence à se fondre ; ils divisent l'espace intermédiaire en deux parties égales, dont le point du milieu, suivant leur façon de compter, répond à la chaleur tempérée ; & ils subdivisent chaque moitié en dix degrés, ajoutant encore quatre autres degrés égaux à chacune des deux extrêmités. Mais cette méthode suppose que le même degré de chaud & de froid répond à la congélation de toutes sortes d'eaux & à la fonte de toutes sortes de beurres ; comme aussi que toutes sortes de thermometres reçoivent les mêmes impressions du même degré de chaleur, quoique toutes ces suppositions soient contraires à l'expérience.

D'autres proposent de mettre la boule du thermometre dans une certaine quantité de neige & de sel, & de marquer le point où s'arrête la liqueur ; ensuite on descend le thermometre dans une cave profonde où l'air extérieur ne sauroit pénétrer ; desorte que la liqueur recevant l'impression d'un air tempéré, puisse marquer le degré de la chaleur tempérée. Enfin on divise l'espace intermédiaire en quinze ou plusieurs parties égales, ce que l'on continue de faire au-delà de chaque extrêmité : mais cette méthode est sujette aux mêmes inconvéniens que la précédente.

Le docteur Halley prend pour un degré fixe de chaleur celui où l'esprit-de-vin commence à bouillir ; mais il y a lieu de soupçonner que cet expédient n'a pas plus de justesse que les autres, quoique M. Amontons s'arrête comme lui au degré de chaleur qui répond à l'eau bouillante pour faire l'échelle de son thermometre de mercure ; mais comme les différentes gravités spécifiques des eaux marquent une différence dans leur masse & dans leur texture, il est très-probable que la chaleur de toutes sortes d'eaux bouillantes n'est pas la même, desorte que le point fixe reste encore indéterminé.

M. Musschenbroeck paroît préférer à tous les autres thermometres ceux qui sont faits avec du mercure, qui, selon lui, a beaucoup d'avantages sur l'esprit-de-vin ; car on peut l'avoir pur, il reste toujours le même quoiqu'on l'ait gardé pendant plusieurs années, & il se raréfie toujours également quelque vieux qu'il soit. M. Musschenbroeck prétend que le principal défaut de ces thermometres est celui de la dilatation & de la condensation du verre qu'on ne sauroit empêcher. Il propose cependant différens expédiens pour remédier à ce défaut ; on en peut voir le détail dans le chapitre du feu de son essai de physique. Cependant il n'ose assurer que ce thermometre ait encore toute la perfection que l'on peut desirer. Mais il le croit supérieur à tous les autres. Les thermometres de mercure les plus en usage aujourd'hui sont celui de Farenheit & celui de M. Delisle. Ces thermometres different du thermometre de Florence, 1°. en ce qu'on s'y sert de mercure bien purgé d'air, au-lieu d'esprit-devin ; 2°. en ce que le tuyau de verre est capillaire & fort étroit, & se termine non par une boule, mais par une bouteille cylindrique, d'une capacité proportionnée au diametre du tuyau ; 3°. en ce que les divisions y sont beaucoup plus exactes, sur-tout dans le thermometre de M. Delisse ; car on ne marque point ces divisions par des parties égales sur la longueur du tuyau, attendu les inégalités intérieures qui peuvent être au-dedans ; mais on verse successivement dans le tuyau une petite quantité de mercure qui est toujours la même, & qui occupe plus ou moins d'espace en longueur dans le tuyau, selon que le tuyau est moins ou plus large en-dedans ; c'est par ce moyen qu'on parvient à graduer les thermometres. Ceux qui desireront un plus grand détail sur ce sujet, peuvent consulter l'essai de Physique de Musschenbroeck, les miscellanea Berolinensia, tom. IV. p. 343. & l'appendice qui est à la fin des leçons de physique de M. Cottes, traduites en françois, & imprimées à Paris en 1742. (O)

On a encore donné depuis quelques années le nom de thermometre à une machine composée de deux métaux, qui en même tems qu'elle indique les variations du froid & du chaud, sert à compenser les erreurs qui en résultent dans les horloges à pendule.

M. Graham, illustre membre de la société royale de Londres, fut un des premiers qui tenta de remédier aux erreurs qu'occasionnent dans les horloges à pendule, les contractions ou dilatations des métaux, par les différens degrés de chaud & de froid qu'ils éprouvent. Voyez METAL. Il imagina pour cet effet de mettre en place de la lentille un tuyau contenant du mercure, afin que ce fluide se dilatant, ou se contractant par le chaud ou par le froid, il s'élevât ou s'abaissât dans le tube, & fît par-là monter ou descendre le centre d'oscillation précisément de la même quantité dont il seroit descendu ou monté, par l'allongement de la verge du pendule.

L'auteur, apparemment, n'a pas tiré de son invention tout l'avantage qu'il auroit pu desirer, car il n'en a point fait usage dans la pendule que messieurs les académiciens ont porté au nord.

Pour parvenir au même but, M. le Roy se sert d'un moyen tout différent, & sans-doute préférable. Il place perpendiculairement à l'horison, sur le coq, ou autrement dit la potence qui porte le pendule, un tuyau de cuivre T Y (Voyez COQ, & nos Pl. d'horl.), long de 54 pouces, dans lequel passe une barre d'acier de même longueur ; celle-ci porte par son extrêmité supérieure sur le bout du tuyau, & par l'inférieure elle est attachée aux ressorts de suspension. R R, en telle sorte que le poids du pendule ne fait effort sur la potence, qu'après avoir agi sur la barre & sur le tube ; par ce moyen la chaleur allongeant le tube de laiton plus que la barre d'acier qu'il contient, elle fait monter le pendule dans la fente du coq, & le raccourcit autant qu'il allonge, par le surcroît de cette chaleur, ce qui produit une exacte compensation.

L'effet que je viens de décrire, se manifeste par un index E auquel l'extrêmité inférieure de la barre fait parcourir les divisions d'un limbe.

Les métaux de même nom n'étant pas toujours entierement semblables, & l'expérience prouvant que les différentes especes de cuivre jaune s'allongent plus ou moins par la chaleur, selon la quantité de pierre calaminaire ou autres ingrédiens qui entrent dans leur composition : il est à propos de rapporter ici la méthode que M. le Roy met en usage pour rendre la longueur de son tube proportionnelle à celle de sa verge : on pourra juger par-là de l'exactitude qu'on doit attendre de sa construction.

Outre l'index dont nous avons parlé, M. le Roy en place un second de même genre, en I, au bas du pendule, le plus près que l'on peut de son centre d'oscillation, ensorte qu'il puisse être mû par l'extrêmité de sa verge. Il échauffe ensuite beaucoup l'endroit où cet appareil est situé ; s'il voit que l'index inférieur ne se meuve point, tandis que le supérieur parcourt les divisions de son limbe, il conclut que le tuyau a fait autant remonter la lentille, qu'elle est descendue par l'allongement ; si au-contraire il apperçoit qu'il se meuve, il allonge ou raccourcit le tuyau, selon le chemin que l'index inférieur a pris.

Quelquefois aussi il met deux tubes l'un dans l'autre, & après avoir attaché des lames de fer au bas de celui du dedans destiné à porter la barre où sont fixés les ressorts de suspension, il le fait soutenir sur celui du dehors par l'extrêmité supérieure du tuyau intérieur ; par ce moyen, la hauteur du tube est diminuée de moitié. Voyez SUSPENSION.

Plusieurs personnes, d'après ce thermometre, inventé en 1738, en ont imaginé d'autres, où ils ont combiné en différentes manieres des verges de cuivre & d'acier pour produire le même effet ; mais on peut dire que de toutes les méthodes qui ont été mises en usage, celle de M. le Roy est incontestablement la meilleure, tant par sa simplicité que par sa solidité : car rien n'est plus propre à soutenir un fardeau, que le tube ; cependant pour ne rien laisser à desirer, j'en rapporterai une seconde qui a été inventée par M. Ellicott, célebre horloger de Londres, elle pourroit être utile dans le cas où l'on voudroit suspendre le pendule sur des couteaux ; & dans celui ou la longueur du tuyau précédent pourroit causer quelque embarras, par rapport à la disposition des lieux, où la pendule devroit être située : selon cette nouvelle méthode, au haut de la verge d'acier du pendule, on en attache une autre de laiton de même longueur ; elle est comme on voit contenue dans la largeur de la verge d'acier, son extrêmité s'appuie sur les bouts des leviers E X adaptés à la verge d'acier, & mobile autour des points I ; sur les extrêmités X des leviers, portent les bouts des vis VV, qui tiennent à la lentille T T T T creuse en dedans. D'après cette description, on en comprendra facilement l'effet, car la verge de cuivre l, l, &c. s'allongeant par la chaleur plus que celle d'acier, pressera en E sur les bouts des leviers X E, & fera par conséquent monter un peu la lentille, au moyen des vis V V, dont les extrêmités peuvent approcher plus ou moins près du centre I : on a la facilité de varier l'effet de la verge l, l, l, en allongeant ou raccourcissant le bras du levier I X.


THERMOPOLIUMS. m. (Littérat.) c'étoit chez les Romains une espece de cabaret, où l'on vendoit des liqueurs douces & chaudes ; c'est ce qui paroit par un passage du pseudolus de Plaute, act. II. sc. iv. v. 50. ce mot vient de , chaud, & de , je vends. (D.J.)


THERMOPYLESou PYLES, (Littérat.) passage à jamais célebre, de soixante pas de largeur, séparant la Phocide de la Thessalie. Divers lacs, outre la mer de Locride & le mont Oeta, embarrassoient cette espece de défilé, qu'on nommoit la clé de la Grèce. Xerxès dépeupla ses états pour le passer ; son armée immense mit à sec le fleuve Lissus, en y abreuvant ses chevaux : que produisirent tous ses efforts ?

Trois cent Grecs retranchés au pas des Thermopyles,

Rendirent en un jour ses efforts inutiles ;

Et les Athéniens aimerent mieux cent fois

Abandonner leurs murs, que de subir ses lois.

Dans la suite des tems, les Phocéens voulant à leur tour avoir une barriere de facile garde contre les Thessaliens, bâtirent une muraille aux Thermopyles ; unique voie qui conduisoit de Thessalie en Phocide. Les ouvertures laissées dans cette muraille, pour ne pas entierement boucher le chemin, s'appellerent , portes ; à quoi quelques bains chauds d'alentour firent ajouter , chaudes ; & de ces mots se fit celui de Thermopyles.

Quoiqu'on donnât communément soixante pas de largeur à ce passage, il y avoit des endroits où une voiture pouvoit à peine passer : ce qui a fait qu'Hérodote, l. VII. c. clxvj. a appellé ce détroit . Il ajoute que la montagne qui forme le passage des Thermopyles, du côté de l'occident, est inaccessible & très-escarpée, & que la mer inonde une partie du chemin, du côté de l'orient.

C'est près de ce défilé qu'on faisoit en certains jours les assemblées de toutes la Grèce : elle y tenoit deux foires, & les Amphyctions leurs congrès. Tout le monde sait que LÉonidas, premier de ce nom, roi des Lacédémoniens, de la famille des Agides, défendit avec trois cent hommes seulement, le passage des Thermopyles, contre une armée effroyable de Perses, conduite par leur roi Xerxès. Cette multitude n'ébranla point le courage de LÉonidas, & quelqu'un lui ayant dit que le soleil seroit obscurci des fleches des Perses : tant-mieux, reprit-il, nous combattrons à l'ombre. Il fut tué avec tous les siens, à cette journée mémorable, sur laquelle Simonide fit quatre beaux vers grecs, dont voici le sens :

Thermopyles soyez à jamais célébrées !

Vous servez de tombe & d'autel

A ces braves guerriers, dont les ombres sacrées

Ont tiré de leur chûte un triomphe immortel.

L'épitaphe gravée sur leur tombe, aux Thermopyles mêmes, portoit ces mots : " Passant, va dire à Sparte, que nous sommes morts pour obéir à ses saintes loix ". Malheur à celui qui n'admire pas la beauté de cette épitaphe ! il n'est fait que pour goûter les inscriptions des places Vendôme & des Victoires. (D.J.)


THERMOSCOPES. m. (Phys.) est un instrument qui fait connoître les changemens qui arrivent dans l'air, par rapport au froid & au chaud. Voyez AIR, TEMS, &c.

Le mot de thermoscope se confond en général avec celui de thermometre : cependant il y a quelque différence dans la signification littérale de l'un & de l'autre. Le premier signifie un instrument qui marque ou représente aux yeux les changemens de chaleur & de froid ; il est formé du grec , chaleur, & de , je vois ; au-lieu que le second est un instrument fait pour mesurer ces changemens, & qu'il est formé de , chaleur, & de , mesurer ; de sorte que suivant cette étymologie, le thermometre devroit être un thermoscope plus exact & plus parfait que les thermoscopes ordinaires. M. Wolf, regarde tous les thermometres qui sont en usage, comme de simples thermoscopes, prétendant qu'il n'y en a pas un seul qui mesure, à proprement parler, le changement de froid & de chaud, & qu'ils ne font qu'indiquer ces changemens, & qu'ainsi quoique les différentes hauteurs où ils montent d'un jour à l'autre, marquent une différence de chaleur, cependant comme elles ne marquent point la proportion qu'il y a de la chaleur d'hier à celle d'aujourd'hui, on ne peut pas à la rigueur leur donner le nom de thermometres.

On trouve dans le journal intitulé, acta erudit. Lips. une méthode pour régler l'échelle des thermometres communs, desorte que leurs divisions inégales répondent à des degrés égaux de chaleur, au moyen de quoi la proportion qu'il y a de la chaleur d'aujourd'hui à celle d'hier, peut être mesurée, & par conséquent un thermoscope peut être porté à la perfection d'un thermometre.

Cette méthode est d'un physicien nommé Renaldinus, & les éditeurs de LÉipsic l'ont rendue en ces termes. Prenez un tuyau de verre mince, d'environ quatre palmes de long, avec une boule attachée au-bas ; versez-y autant d'esprit-de-vin qu'il en faut pour remplir exactement la boule pendant qu'elle est environnée de glace ; dans cet état, fermez hermétiquement l'orifice du tuyau, & prenez six vaisseaux qui puissent contenir chacun une livre d'eau, ou quelque chose de plus ; dans le premier versez onze onces d'eau froide, dans le second dix onces, dans le troisieme neuf, &c. cela fait, enfoncez le thermometre dans le premier vaisseau, & versez-y une once d'eau chaude, en remarquant à quelle hauteur l'esprit-de-vin monte dans le tuyau, & en marquant ce point de hauteur par le chiffre 1 ; ensuite plongez le thermometre dans le second vaisseau, où vous verserez deux onces d'eau chaude, & marquerez le point où monte l'esprit-de-vin par le chiffre 2 ; en continuant cette opération jusqu'à ce que toute la livre d'eau soit dépensée, l'instrument se trouvera divisé en douze parties, qui marqueront autant de termes ou degrés de chaleur ; desorte qu'au n°. 2. la chaleur est double par rapport à celle du n°. 1. au n°. 3. elle est triple, &c.

M. Wolf fait voir que cette méthode est défectueuse & fondée sur des suppositions fausses : car elle suppose qu'une once d'eau chaude mise sur onze onces d'eau froide, nous donne un degré de chaleur ; deux onces d'eau chaude, sur dix d'eau froide, deux degrés, &c. elle suppose qu'un simple degré de chaleur agit sur l'esprit-de-vin qui est dans la boule, par une puissance simple ; un degré double, par une puissance double, &c. enfin elle suppose que si l'effet qui se produit ici par l'eau chaude, se produit dans le thermometre par la chaleur de l'air qui l'environne, l'air a le même degré de chaleur que l'eau.

Mais il n'y a aucune de ces suppositions qui soit vraie : car à l'égard de la premiere, quand on accorderoit que la chaleur de l'eau chaude étant distribuée également dans l'eau froide, il se trouvera pour lors un degré de chaleur distribué également dans les onze parties de l'eau froide ; deux degrés dans les dix ; trois dans les neuf, &c. la chaleur ne sera point double dans l'une, triple dans une autre, quadruple dans une troisieme, &c.

La premiere supposition est donc erronée ; la seconde ne l'est pas moins ; car la chaleur de l'eau chaude ne se distribue point également par toute l'eau froide, & la chaleur de l'eau chaude n'agit point d'une maniere uniforme sur l'esprit-de-vin ; c'est-à-dire qu'elle ne conserve pas la même force pendant tout le tems de son action.

Pour ce qui est de la troisieme supposition, la chaleur de l'air qui environne le thermometre, agit non-seulement sur l'esprit-de-vin qui est dans la boule, mais aussi sur celui qui est dans le tuyau ; desorte qu'il doit arriver du changement à l'un aussi-bien qu'à l'autre. Chambers.

Pour se convaincre du peu de solidité de toutes ces hypothèses sur la mesure des degrés de chaleur, on n'a qu'à se demander ce que c'est que la chaleur : on ne pourra pas s'en former d'autre idée nette que celle de la sensation qu'elle excite en nous : or quelle absurde entreprise que de comparer nos sensations entr'elles par des nombres ? (O)


THESES. f. (Gram.) proposition paradoxale qu'on avance dans le dessein de la défendre, si elle est attaquée. On entend encore par ce mot une suite de propositions ou de mathématique, ou de philosophie, ou de théologie, dont on s'engage à démontrer publiquement la vérité. On donne le même nom au placard sur lequel ces propositions sont indiquées.


THESÉEou THESÉENES, s. f. pl. (Hist. anc.) fêtes que les Athéniens célébroient tous les ans le 8 d'Octobre en l'honneur de Thésée, & en mémoire de ce qu'à pareil jour il étoit revenu de l'île de Crete après avoir tué le Minotaure.

Ce héros bienfaiteur & législateur de sa patrie, qu'il avoit délivrée du tribut infame qu'elle payoit tous les ans à Minos d'un certain nombre de jeunes gens de l'un & de l'autre sexe pour être dévorés par le minotaure, si l'on en croit la fable, & selon l'histoire, pour être réduits en servitude ; ce héros, dis-je, ne put éviter l'ingratitude de ses concitoyens qui le bannirent. Il s'étoit retiré à Scyros chez Lycomede qui le tua par jalousie.

Incontinent après sa mort, les dieux, selon quelques-uns, le vengerent par une horrible famine qui désola l'Attique. L'oracle consulté dans cette occasion répondit que la calamité ne cesseroit point qu'on n'eût vangé la mort de Thésée ; les Athéniens firent la guerre à Lycomede, le tuerent, & ayant rapporté dans leur ville, les os de Thésée, ils lui bâtirent un temple, & instituerent en son honneur les fêtes théséenes.

Plutarque donne à tout cela une origine bien différente ; car il assure qu'à la bataille de Marathon les Athéniens ayant cru voir Thésée, qui comme un dieu tutélaire combattoit à leur tête ; l'oracle qu'ils consulterent sur ce prodige, leur ordonna de recueillir les os de Thésée ensevelis dans l'île de Scyros ; qu'après bien des recherches un nouveau prodige les indiqua à Cimon qui les fit transporter à Athènes avec beaucoup de pompe. On les déposa dans un superbe tombeau élevé au milieu de la ville, & en mémoire du secours que ce prince avoit donné aux malheureux pendant sa vie, son tombeau devint un asyle sacré pour les esclaves. D'ailleurs on lui bâtit un temple où on lui offroit des sacrifices le huit de chaque mois ; mais la plus grande solemnité étoit le huit d'Octobre.

Quoi qu'il en soit de ces deux origines, la divinité prétendue de Thésée si authentiquement reconnue à Athènes ne l'étoit pas également à Rome, puisque dans le VI. liv. de l'Enéide, Virgile place Thésée dans le tartare parmi les scélérats tourmentés pour leurs crimes. La théologie payenne étoit pleine de ces contradictions.


THESEI-ARA(Géog. anc.) ou Thesei-saxum, lieu du Péloponnèse, sur le chemin qui conduisoit de Troezène à Hermione. Pausanias, l. II. c. xxxij. & 34, dit que ce lieu s'appella d'abord l'autel de Jupiter sthénien ; mais qu'il changea de nom, lorsque Thésée en eut enlevé l'épée & la chaussure d'Egée, qui étoient cachées sous la roche sur laquelle étoit l'autel. Cette roche est nommée par Callimaque Thesei saxum. (D.J.)


THÉSÉIDES. f. (Mytholog.) partie d'une mythologie des anciens, composée en vers ; c'étoit un centon de différens poëtes nommé le cycle épique. Le morceau qui concernoit Thésée, son regne, ses actions, s'appelloit théséide. La théséide étoit encore une maniere de se raser la tête introduite par Thésée. Ce héros étant allé à Delphes, offrit aux dieux sa chevelure ; ce fut ceux de devant qu'il fit couper. On l'imita d'abord, ensuite la mode changea ; & l'on donna le nom de théséide à l'ancienne. Les Romains ont eu un poëme intitulé la théséide dont Juvenal s'est moqué ; rauci theséide Codri. Codrus étoit l'auteur de ce poëme insipide.


THÉSISS. f. (en Musique) positio, abaissement. C'est ainsi qu'on appelloit autrefois le tems fort ou le frappé de la mesure, à la différence du levé qui portoit le nom d'Arsis. Voyez ARSIS & THESIS. (S)


THESKERou TESCARET, s. m. (Comm.) on nomme ainsi dans les états du grand seigneur, & particulierement à Smyrne, un certificat que donnent les commis de la douanne, lorsque les marchandises y ont payé les droits d'entrée. En vertu de ce theskeré ou acquit, ces marchandises doivent passer franches dans les autres villes des états du grand seigneur où on les peut envoyer, c'est-à-dire, dans l'étendue de la ferme où elles ont payé ; car dans les autres, comme dans celles du Caire, elles doivent payer un nouveau droit. Dictionn. de Commerce.


THESMIou THESMOPHORE, (Antiq. grecq.) épithete de Cérès qui signifie la législatrice. Elle avoit sous ce nom un temple à Phénéon en Arcadie, au bas du mont Cyllène, & un autre à Tithronium en Phocide, où la fête des thesmophories se célébroit tous les ans avec un grand concours de peuple. Voy. THESMOPHORIES. (D.J.)


THESMOPHORIESS. f. plur. (Antiq. grecque) , on appelloit ainsi les fêtes qui se célébroient dans l'Attique au mois Pyanepsion (Novembre, selon le P. Petau), en l'honneur de Cérès législatrice, parce que cette déesse avoit, dit-on, donné de sages loix aux mortels. Il n'étoit point permis aux hommes d'assister aux thesmophories, & il n'y avoit que les femmes de condition libre qui pussent les célébrer ; elles se rendoient en procession à Eleusis, & faisoient porter par des filles choisies les livres sacrés. Toutes ces femmes étoient vêtues de robes blanches, selon Ovide ; & durant la solemnité qui étoit de cinq jours, elles étoient obligées de se séparer de la compagnie de leurs maris, pour célébrer les mysteres de la déesse avec plus de pureté. Voyez ELEUSINIES.

Potter, dans ses archaeol. graec. t. I. p. 403. & suiv. a décrit plusieurs détails de cette solemnité, consultez - le. (D.J.)


THESMOTHETES. m. (Antiq. grecq.) , grand magistrat d'Athènes ; il y avoit six thesmothetes qu'on tiroit du nombre des neuf archontes, & qu'on élisoit tous les ans, pour être les surveillans & les conservateurs des loix. Les six derniers archontes d'Athènes étoient appellés d'un nom commun thesmothetes, parce qu'ils avoient une intendance particuliere sur les loix. Leur principal devoir étoit de veiller à leur intégrité, de s'opposer aux nouvelles loix, avant qu'elles eussent été examinées, & de maintenir les anciennes dans toute leur pureté. Ils jugeoient ce qui regarde l'adultere, les insultes, les calomnies, les fausses inscriptions & citations, la corruption des magistrats & des juges inférieurs, les fraudes des marchands & des contrats de commerce ; ils pouvoient convoquer les assemblées extraordinairement, quand les affaires le requéroient, punir de la peine du talion les faux accusateurs, & marquer le rang des juges & des assesseurs. Pour entendre ce mot assesseur, il faut savoir que les trois premiers archontes se choisissoient chacun deux coadjuteurs pour former leur tribunal ; c'étoient comme des conseillers ; ils les présentoient au sénat, & les faisoient agréer au peuple. On pouvoit appeller de leurs jugemens, & dans le cas d'appel, c'étoit à eux d'introduire les parties au tribunal où la cause étoit renvoyée. (D.J.)


THESPHATA(Littérat.) , c'étoit un des noms que les Grecs donnoient aux oracles. Voy. ORACLE. (D.J.)


THESPIADES(Mytholog.) surnom des muses, pris de la ville de Thespie, où elles étoient honorées. (D.J.)


THESPIE(Géogr. anc.) Thespia ou Thespiae ; car ce mot, selon Strabon, s'écrit de ces deux manieres. C'étoit une ville de la Béotie, au pié du mont Hélicon, du côté du midi, sur le bord du golfe Chryssaeus. Pausanias, Baeot. c. xxvj. dit qu'elle étoit au pié de l'Hélicon ; de façon qu'elle regardoit aussi le mont Cithéron. Le périple de Scylax, Hérodote, Etienne le géographe, Tite-Live & Pline parlent de cette ville. Ce dernier, l. IV. c. vij. en fait une ville libre.

L'itinéraire d'Antonin la marque sur la route de l'Epire, de la Thessalie & de la Macédoine, en suivant la côte, & il la place entre Phocides & Mégare, à quarante milles du premier de ces lieux, & à égale distance du second. Les habitans de Thespie faisoient gloire d'ignorer tous les arts, sans excepter même l'agriculture.

Les Thébains victorieux sous Epaminondas saccagerent Thespie, & n'en épargnerent que les temples. Athènes recueillit les Thespiens qui eurent le bonheur d'échapper à la fureur du soldat. Ceux-ci avoient été de tout tems si dévoués aux Athéniens, qu'autant de fois, c'est-à-dire de cinq ans en cinq ans, que les peuples de l'Attique s'assembloient dans Athènes pour la célébration des sacrifices, le héraut ne manquoit pas de comprendre les Thespiens dans les voeux qu'il faisoit à haute voix pour la république.

On célébroit à Thespie une fête solemnelle en l'honneur des muses ; & pendant cette fête on faisoit des jeux qui étoient appellés musées. Il y en avoit aussi d'autres qu'on nommoit érotidies, à l'honneur de Cupidon, & on décernoit des prix non-seulement aux musiciens, mais encore aux athletes.

On admiroit dans cette ville une statue de bronze de Jupiter sauveur ; l'histoire dit que c'étoit un jeune homme nommé Cléostrate qui se dévoua pour sa patrie, & que les Thespiens érigerent cette statue en son honneur ; mais Ciceron dans une de ses harangues contre Verrès, & Pline, l. XXXVI. c. v. prétendent que l'on alloit à Thespie uniquement pour y voir le Cupidon de Praxitele. Ils ont tous raison, en distinguant les tems. (D.J.)


THESPROTIE(Géog. anc.) Thesprotia, selon Etienne le géographe, & Thesprotis, selon Thucydide, l. I. p. 32, petite contrée de l'Epire. Le périple de Scylax appelle les habitans de cette contrée Thesproti ; ils avoient au midi la Chaonie, à l'orient l'Ambracie & le lac Ambracius. Hérodote, l. VIII. c. xlvj. les dit voisins des Ambraciotes. Dans la suite les Cassiopenses ayant été séparés des Thesprotes, le pays de ces derniers eut des bornes plus étroites.

C'est dans la Thesprotie qu'étoit l'oracle de Dodone, & ces fameux chênes consacrés à Jupiter. On y voyoit aussi le marais Achéruseia, le fleuve Acheron & le Cocyte dont l'eau étoit d'un goût fort désagréable. Il y a bien de l'apparence qu'Homere avoit visité tous ces lieux, dit Pausanias, & que c'est ce qui lui a donné l'idée d'en tirer parti dans sa description des enfers, où il a consacré les noms de ces fleuves.

Plutarque, dans la vie de Thésée, dit que le roi des Thesprotiens étoit Pluton, qu'il avoit une femme appellée Proserpine, une fille nommée Coré, & un chien qui s'appelloit Cerbere, chien redoutable, cui tres erant linguae, tergeminumque caput. Mais n'ayons plus peur de ce terrible animal, infernae portitor aulae ; il doit être mort depuis des siecles. (D.J.)


THESSALIE(Géog. anc.) par ce mot, on entend tantôt une grande contrée de Grèce, & tantôt une partie de cette contrée, appellée communément la Thessalie propre, & quelquefois la Thessaliotide.

La Thessalie prise en général, s'étend, selon Strabon, à l'orient, depuis les Thermopyles jusqu'à l'embouchure du Pénée. Au midi elle est bornée par cette chaîne de montagnes qui prend depuis le mont Oeta, jusqu'au mont Pindus ; au couchant, elle a les Etoliens, les Acarnaniens, & les Amphiloques.

Du côté du nord, ses bornes sont moins connues ; si néanmoins on tire de l'embouchure du Pénée une ligne parallele au mont Oeta & au Pindus, on aura à-peu-près les limites du côté du septentrion. En effet, le Pénée ne servoit pas de bornes entre la Macédoine & la Thessalie ; ce n'étoit qu'à son embouchure qu'il séparoit ces deux contrées. Quant à ce que Strabon dit, que le Pénée sépare la Thessalie de la Phthiotide ; ou quand Ptolémée dit qu'il sépare la Thessalie de la Pélasgiotide, ces auteurs n'entendent parler alors que d'une partie de cette contrée, ou de la Thessalie propre, appellée Thessaliotide par Strabon.

Pline, l. IV. c. vij. remarque que ce pays changea souvent de nom, suivant les différens rois qui le gouvernerent. On le nomma Aemonia, Pelasgicum, Hellas, Thessalia, Argos, & Dryopis. C'est-là, ajoute Pline, que naquit le roi Graecus, qui donna son nom à la Grèce, & Hellen, du nom duquel les Grecs furent appellés Hellenes.

Strabon divise la Thessalie en quatre parties ; savoir, la Phthiotide, l'Estiaeotide, la Thessaliotide, la Pélasgiotide ; si l'on y veut joindre la Magnésie, on aura une cinquieme partie ; car quoique Strabon la distingue de la Thessalie, elle y a été comprise par plusieurs auteurs, entr'autres par Ptolémée.

Parcourons maintenant l'histoire de la Thessalie suivant les anciens historiens.

Avant la guerre de Troie, disent-ils, Pélias, & après lui, Jason fils d'Aeson, furent rois d'Iolcos, ville de la Thessalie : Jason & son fils Pirithoüs, se rendirent maîtres d'une partie de cette contrée, qui eut plusieurs petits rois en ce tems-là, comme Achille, fils de Pélée, prince de la Phthiotide ; Euripile qui possédoit une partie de la Magnésie ; Protésilas, Philoctete, & Phoenix gouverneur d'Achille. Après cela, les Thessaliens secouerent pour la plûpart le joug de leurs princes. Ils ne firent qu'un seul corps, & se gouvernerent par une assemblée solemnelle, qu'on appelloit pylaïque. Ils ne laissoient pas d'avoir encore quelques rois du tems de la guerre du Péloponnèse. Dans ce tems-là, Pharsalus roi des Thessaliens chassa Oreste, fils d'Echécratides, qui fut contraint de quitter la Thessalie pour se retirer à Athènes.

Vers ce même tems, une partie de la Thessalie étoit sous la domination des Thraces ; & ceux qui avoient conservé leur liberté, favorisoient plus les Athéniens que les Lacédémoniens. Tandis qu'une partie de cette province vivoit ainsi libre, Jason usurpa la ville de Phérès, & persuada aux Thessaliens de se rendre maîtres de la Grèce. Il devint leur chef, & ensuite leur seigneur & leur tyran ; cette puissance se nommoit Tageie. Jason fut tué par ses freres Polydore, & Polyphron, la troisieme année de la 102e. olympiade. Après ce meurtre, Polyphron se défit de Polydore, & régna seul une année ; ensuite il fut empoisonné par son frere Alexandre, qui régna douze ans, & fut plus méchant que les trois autres. Les Thessaliens secourus par les Thébains, taillerent ses troupes en pieces sous la conduite de Pélopidas, & Alexandre se vit obligé de rendre leurs villes, & de garder seulement celle de Phérès. Il ne put éviter les embuches que lui tendirent sa femme Thebé, & ses freres Lycophron & Tisiphon, qui après sa mort devinrent tyrans.

Les Alévades qui étoient les principaux nobles de Thessalie, ayant envoyé prier Philippe, pere du grand Alexandre, de les affranchir de la tyrannie, il les en délivra dans la quatrieme année de la cent cinquieme olympiade ; & il les eut toujours pour amis depuis ce tems-là ; desorte qu'ils l'assisterent lui & son fils Alexandre dans toutes leurs guerres. Il est vrai que Philippe, lorsqu'il eut rendu la liberté aux Thessaliens, se les assujettit, & s'empara de leurs mines. Alexandre le grand fut aussi reconnu pour prince de la même nation, qui lui laissa la jouissance de tous ses revenus ; depuis lors la Thessalie étant comme unie à la Macédoine, eut même fortune ; & enfin, les Romains conquirent l'une & l'autre.

On donnoit communément le nom de cavalerie aux troupes des Thessaliens, à cause qu'ils avoient d'excellens cavaliers. La Thessalie étoit si abondante en bons chevaux, qu'elle mérita les épithetes ; on prétend même qu'on lui doit l'invention de les dompter. C'est pourquoi dans les anciennes médailles, la Thessalie, & particulierement Larisse sa capitale, ont pour symbole un cheval qui court ou qui paît ; le fameux Bucéphale étoit thessalien. L'on conserve encore en Thessalie les bonnes races de chevaux avec un soin qui répond presque à leur ancienne réputation.

Mais si leurs chevaux sont excellens, le caractere des peuples ne l'étoit pas ; les Thessaliens étoient regardés dans toute la Grèce pour perfides. Une trahison s'appelloit un tour des Thessaliens, ; & la fausse monnoie, monnoie de Thessalie, ; Euripide dit qu'Etéocle dans son commerce avec les Thessaliens, avoit appris la ruse & la mauvaise foi.

La Grèce, & particulierement Athènes, éprouva souvent leur perfidie, & dans de grandes occasions. Non content d'avoir appellé Xerxès dans la Grèce, ils se joignirent à Mardonius après la bataille de Salamine, & lui servirent de guides pour envahir l'Attique. Une autre fois au fort du combat qui se donnoit entre les Athéniens & les Lacédémoniens, ils abandonnerent les Athéniens leurs alliés, & se rangerent du côté des ennemis.

Si les Thessaliens savoient si bien trahir, les Thessaliennes passoient pour être les plus habiles en magie. Que n'ai-je à mes gages une sorciere de Thessalie, dit Strepsiade dans Aristophane, & que ne puis-je par son moyen faire descendre la lune en terre ? Les Thessaliens, sur-tout ceux de Pharsale & de Larissa, étoient les hommes les mieux faits de toute la Grèce ; les femmes y étoient si belles, qu'on a dit d'elles qu'elles charmoient par des sortilèges. Elles excelloient si bien dans la coquetterie, que pour les cajoler, on disoit que les charmes étoient leur seul partage. Ce fut une fleurette qui échappa spirituellement à Olympias, femme de Philippe, & mere d'Alexandre. Dans le dernier siecle, les beautés de Thessalie n'épargnerent pas plus Mahomet IV. que Philippe roi de Macédoine : une jeune thessalienne vint à bout de l'enchanter dans les plaines de Pharsale.

On sait qu'il s'est donné dans ces mêmes plaines des batailles à jamais célebres ; mais il s'y en fût donné une des plus grandes dont l'histoire eût parlé, si les Grecs avoient accepté le défi de Mardonius, général des Perses, qui leur envoya dire de sortir de leurs places, & qu'il leur livreroit bataille dans la Thessalie, où il y avoit des campagnes assez belles, & qui avoient assez d'étendue pour y déployer leur valeur.

Le P. Briet a divisé la Thessalie en cinq parties, qui sont les mêmes que celles du géographe d'Amasie. Larissa, aujourd'hui Larizzo, est la capitale de la Pélasgiotide ; les fleuves Pénée, Atrax, Pamise, & Tétarèse, arrosent cette partie.

Tricala est la principale ville de l'Estiaeotide ; Hypata & Thaumasi sont dans la Thessaliotide ; Pharsale, Thebes, aujourd'hui Zetton, ainsi qu'Héraclée, Trachinienne, sont les principaux lieux de la Phthiotide. Le mont Oeta s'y trouve, & elle est arrosée par les fleuves Enipeus, Amphrysius, & Sperchius ; la Magnésie avoit Pherae, Zerbeos, Démétrias ; les monts Ossa, Olympe, & Pélion, aujourd'hui Pétras.

Selon la notice d'Hiéroclès, la province de Thessalie comprenoit quatorze évêchés, & deux métropoles.

La Thessalie s'appelle aujourd'hui la Janna : nous avons vu que c'étoit une région de la Grèce, entre la Macédoine & l'Achaïe. Les vallées de Tempé si vantées par les Poëtes, s'étendoient le long du fleuve Pénée, entre le mont Olympe au nord, & le mont Ossa au sud, dans la partie orientale de la Pélasgiotide, qu'occupoient les Perrébiens, vers le golfe Thermaïque, maintenant nommé le golfe de Salonique ; le Pénée est la Sélambrie.

La Janna est un excellent pays pour tous les fruits du monde : les figues, les melons, les grenades, les citrons, les oranges, s'y trouvent en abondance ; le raisin y est exquis ; le tabac y est fort ; & les oignons beaucoup plus gros que les nôtres y ont un meilleur goût. Les campagnes y sont couvertes de setanum & de petits arbres de coton ; les montagnes y produisent le cystus, de la lavande, de la marjolaine, du romarin, & plusieurs autres plantes aromatiques. Les planes sont aussi beaux du côté de la Macédoine, qu'ils l'étoient autrefois près d'Abdere, lorsque Hippocrate trouva sous l'ombrage épais d'un de ces arbres, son ami Démocrite occupé à considérer les labyrinthes du cerveau. (D.J.)


THESSALIENSLES, (Géog. anc.) Thessali, Pline, l. VII. c. lvij. remarque que les Thessaliens, auxquels on avoit donné le nom de Centaures, habitoient au pié du mont Pélion, & qu'ils avoient inventé la maniere de combattre à cheval. Je ne crois pas, dit le P. Hardouin, qu'il faille entendre ce mot de combattre, des batailles que les hommes se livrent les uns aux autres : car l'usage de se battre à cheval, est plus ancien sans-doute que l'invention dont Pline attribue la gloire aux Thessaliens. Je croirois plus volontiers, continue ce savant jésuite, qu'il seroit question des combats contre les taureaux à la chasse sur le mont Pélion ; ce qui, selon Palaephatus, leur fit donner le nom de Centaures : cette conjecture est vraisemblable. (D.J.)


THESSALONIQUEou Thessalonica, (Géogr. anc.) ville de la Macédoine, sur le golfe Thermaïque, auquel elle donna son nom ; car anciennement cette ville s'appelloit Therma. Etienne le géographe dit qu'elle fut nommée Thessalonique par Philippe de Macédoine, en mémoire de la victoire qu'il remporta près de Therma sur les Thessaliens.

Cette ville sous les Romains étoit la capitale de la Macédoine, & le siége d'un président & d'un questeur. Pline lui donna le titre de ville libre, Thessalonica liberae conditionis. On la nomme aujourd'hui Salonichi ; elle est peuplée de mahométans, de chrétiens grecs & de juifs.

Il y avoit déjà dans cette ville, du tems de J. C. un assez grand nombre de juifs qui y possédoient une synagogue ; venerûnt Thessalonicam ubi erat synagoga judaeorum, Act. 17. 1. S. Paul y vint l'an 52. de l'ere vulgaire ; & étant entré dans la synagogue, selon sa coutume, il entretint l'assemblée des écritures & de J. C. durant trois jours de sabbat. Une multitude de gentils & quelques juifs se convertirent ; mais les autres juifs, poussés d'un faux zèle, exciterent du tumulte, & tenterent de se saisir de Paul & de Silas qui logeoient dans la maison de Jason, pour les traduire devant le magistrat romain. Paul se retira à Bérée, d'où il se rendit à Athènes, & d'Athènes à Corinthe ; c'est vraisemblablement de cette derniere ville qu'il écrivit sa premiere épître aux Thessaloniciens, dans laquelle il leur témoigne beaucoup de tendresse & une grande estime pour la ferveur de leur foi.

La ville de Thessalonique, métropole de la province d'Illyrie & de la premiere Macédoine, a été le siége du vicaire du pape jusqu'au schisme des Grecs ; & la notice d'Hiéroclès met sous cette métropole une trentaine d'évêchés. Selon l'état moderne du patriarchat de Constantinople, publié par Schelstrate, le métropolitain de Thessalonique a sous lui neuf évêchés ; mais ce sont des évêques qui n'ont pas de pain.

Patrice (Pierre), célebre par son crédit & ses négociations sous l'empire de Justinien, étoit né à Thessalonique. Il fut revêtu par ce prince de la charge de maire du palais. On a des fragmens de son histoire des ambassadeurs sous le regne des empereurs romains ; & cette histoire étoit divisée en deux parties. La premiere commence à l'ambassade des Parthes à Tibere, l'an de J. C. 35. pour lui demander un roi, & finit par l'ambassade qui fut envoyée par les Barbares à l'empereur Julien. La seconde partie commence à l'ambassade de l'empereur Valérien à Sapor, roi de Perse, pour obtenir de lui la paix, en 258, & finit à celle que Dioclétien & Galere envoyerent à Narsès, pour traiter de la paix avec lui, l'an 297. Ces fragmens ont été traduits de grec en latin par Chanteclair, avec des notes auxquelles Henri de Valois a ajouté les siennes en 1648. On a imprimé ces fragmens au louvre dans le corps de la byzantine.

Gaza (Théodore), né à Thessalonique, passa en Italie après la prise de Constantinople par les Turcs, & contribua beaucoup par ses ouvrages à la renaissance des Belles-lettres. Il traduisit de grec en latin l'histoire des animaux d'Aristote ; celle des plantes de Théophraste. Il traduisit de latin en grec le songe de Scipion, & le traité de la vieillesse de Ciceron. Il donna lui-même une histoire de l'origine des Turcs, un traité de mensibus atticis, & quelques autres ouvrages. Il mourut à Rome en 1475, âgé d'environ 80 ans.

Andronicus, né pareillement à Thessalonique, fut encore un des grecs fugitifs qui porterent l'érudition en Occident au XVe. siecle. Il passoit pour être supérieur à Théodore Gaza dans la connoissance de la langue grecque ; mais, comme il arrive ordinairement, ses lumieres dans la langue ne l'enrichirent pas. Il se flatta sur la fin de ses jours de trouver en France plus de ressources ; il s'y transporta, & y mourut peu de tems après. Il ne faut pas le confondre avec un autre Andronicus qui enseignoit de son tems à Bologne, & qui étoit de Constantinople. (D.J.)


THESTIA(Géog. anc.) nom commun à une ville d'Epire, dans l'Acarnanie, & à une ville du Péloponnèse, dans la Laconie, sur l'Eurotas. (D.J.)


THESTIS(Géog. anc.) nom commun, 1°. à une ville des Arabes ; 2°. à une ville de la Libye ; 3°. & à une fontaine de la Cyrénaïque, près de laquelle les Cyrénéens remporterent une grande victoire sur les Egyptiens, selon Hérodote, l. IV. n°. 159. (D.J.)


THETA(Littérature) cette lettre grecque, qui est la premiere du mot , la mort, servoit chez les Romains à donner son suffrage pour la condamnation à la mort ; d'où vient que Martial l'appelle mortiferum theta, & que Perse dit : vitio, nigrumque praefigere theta. (D.J.)


THETES(Antiq. grecq.) , nom de la plus basse classe du peuple à Athènes. Aristides fit revivre la loi de Solon qui excluoit cette classe de citoyens, d'avoir aucune charge dans le gouvernement de la république. (D.J.)


THETFORD(Géog. mod.) ville d'Angleterre, dans la province de Norfolck, sur la riviere d'Ouse, à 18 milles de Norvich, à 22 à l'orient de Dély, à 31 de Cambridge, & à 60 de Londres. Elle est bâtie sur les ruines de l'ancienne Sitomagum : elle a droit de députer au parlement & de tenir marché. (D.J.)


THETIDIUM(Géog. anc.) bourgade en Thessalie, près de la vieille & de la nouvelle Pharsale. Strabon, liv. IX. pag. 431. & Polybe, liv. XXVII. n°. 16. parlent de cette bourgade. (D.J.)


THÉTIS(Mytholog.) fille de Nérée & de Doris, étoit la plus belle des néréïdes. Jupiter, Neptune & Apollon la vouloient avoir en mariage ; mais ayant appris que, selon un ancien oracle de Thémis, il naîtroit de Thétis un fils qui seroit plus grand que son pere, les dieux se désisterent de leurs poursuites, & céderent la nymphe à Pélée. Les noces se firent sur le mont Pélion avec beaucoup de magnificence, & toutes les divinités de l'Olympe y furent invitées, excepté la déesse Discorde. Pour ôter à ce récit l'air de fable, on dit qu'aux noces de Thétis & de Pélée, les princes & princesses qui y assisterent prirent ce jour-là le nom des dieux & déesses, parce que Thétis portoit celui de Néréïde. Quoi qu'il en soit, ce n'est point le nom de Néréïde que portoit Thétis ; ce n'est point encore sa beauté & la somptuosité de ses noces qui ont immortalisé sa gloire, c'est d'avoir eu pour fils Achille, dont Homere a chanté la colere & les exploits. (D.J.)


THÉTYS(Mytholog.) femme de l'Océan, & la fille du Ciel & de la Terre. Voyez THETIS.


THEU-PROSOPON(Géogr. anc.) en latin Facies Dei, promontoire de Phénicie. Ptolémée, liv. V. c. xxv. le place entre Tripolis & Botrys : c'est l'Euprosopon de Pomponius Mela. (D.J.)


THEUDORIA(Géog. anc.) ville de l'Athamanie. Tite-Live, liv. XXXVIII. chap. j. dit que les Macédoniens en furent chassés par les Romains. (D.J.)


THEUDURUM(Géog. anc.) ville de la basse Germanie. L'itinéraire d'Antonin la marque à 9 milles de Mederiacum, & à 7 de Coriovallum ; on croit que c'est aujourd'hui un bourg appellé Tuddere : il est situé dans le duché de Juliers, sur le Rebecq. (D.J.)


THEUMEUSIA-ARRATHEUMEUSIA-ARRA


THÉURGIou THEOURGIE, s. f. (Divinat.) espece de magie chez les anciens, dans laquelle on avoit recours aux dieux ou aux génies bienfaisans, pour produire dans la nature des effets surnaturels & absolument supérieurs aux forces de l'homme, du mot , Dieu, & , ouvrage.

La théurgie, si on en veut croire ceux qui en faisoient profession, étoit un art divin, qui n'avoit pour but que de perfectionner l'esprit & de rendre l'ame plus pure ; & ceux qui étoient assez heureux pour parvenir à l'autopsie, état où l'on croyoit avoir un commerce intime avec les divinités, se croyoient revêtus de toute leur puissance.

L'appareil même de la magie théurgique avoit quelque chose de sage & de spécieux. Il falloit que le prêtre théurgique fût irréprochable dans ses moeurs, que tous ceux qui avoient part aux opérations fussent purs, qu'ils n'eussent eu aucun commerce avec les femmes, qu'ils n'eussent point mangé de choses qui eussent eu vie, & qu'ils ne se fussent point souillés par l'attouchement d'un corps mort. Ceux qui vouloient y être initiés devoient passer par différentes épreuves toutes difficiles, jeûner, prier, vivre dans une exacte continence, se purifier par diverses expiations : alors venoient les grands mysteres où il n'étoit plus question que de méditer & de contempler toute la nature, car elle n'avoit plus rien d'obscur ni de caché, disoit-on, pour ceux qui avoient subi ces rigoureuses épreuves ; on croyoit que c'étoit par le pouvoir de la théurgie qu'Hercule, Jason, Thésée, Castor & Pollux, & tous les autres héros opéroient ces prodiges de valeur qu'on admiroit en eux.

Aristophane & Pausanias attribuent l'invention de cet art à Orphée, qu'on met au nombre des magiciens théurgiques ; il enseigna comment il falloit servir les dieux, appaiser leur colere, expier les crimes & guérir les maladies : on a encore les hymnes composés sous son nom vers le tems de Pisistrate : ce sont de véritables conjurations théurgiques.

Il y avoit une grande conformité entre la magie théurgique & la théologie mystérieuse du paganisme, c'est-à-dire celle qui concernoit les mysteres secrets de Cérès de Samothrace, &c. Il n'est donc pas étonnant, dit M. Bonami, de qui nous empruntons cet article, qu'Apollonius de Thyane, Apulée, Porphyre, Jamblique, l'empereur Julien, & d'autres philosophes platoniciens & pythagoriciens accusés de magie se soyent fait initier dans ses mysteres ; ils reconnoissoient à Eleusis les sentimens dont ils faisoient profession. La théurgie étoit donc fort différente de la magie goëtique ou goëtie, où l'on invoquoit les dieux infernaux & les génies malfaisans ; mais il n'étoit que trop ordinaire de s'adonner en même tems à ces deux superstitions, comme faisoit Julien.

Les formules théurgiques, au rapport de Jamblique, avoient d'abord été composées en langue égyptienne ou en langue chaldéenne. Les Grecs & les Romains qui s'en servirent, conserverent beaucoup de mots de langues originales, qui mêlés avec des mots grecs & latins, formoient une langue barbare & inintelligible aux hommes ; mais qui, selon le même philosophe, étoit claire pour les dieux. Au-reste, il falloit prononcer tous ces termes sans en omettre, sans hésiter ou begayer, le plus léger défaut d'articulation étant capable de faire manquer toute l'opération théurgique. Mém. de l'académie, tome VII.

Les démonographes & les théologiens prouvent que la théurgie étoit superstitieuse & illicite, parce que les démons intervenoient dans ses mysteres, quoi qu'en disent ses défenseurs.


THEUTAou THEUTATES, s. m. (Mytholog. & Hist. anc.) noms sous lequel les Celtes adoroient la divinité, connue aux Grecs & aux Romains sous le nom de Mercure.

Le mot theutat dans la langue des Celtes signifioit pere du peuple ; ils le regardoient comme le fondateur de leur nation, & prétendoient en être descendus. Il étoit le dieu des arts & des sciences, des voyageurs & des grands chemins, des femmes enceintes, des voleurs, & il avoit des temples dans toute la Gaule. C'est ce même dieu qui étoit connu des Gaulois sous le nom d'Ognius, ou du dieu de l'éloquence, que Lucain a confondu avec Hercule. Voyez OGNIUS & MERCURE.


THEUTHS. m. (Mythol. égyptienne) nom d'un dieu des anciens Egyptiens.

Parmi les anciens auteurs, les uns comme Platon, écrivent Theuth, d'autres, comme Ciceron Thoyt, d'autres Thoyth, d'autres Thot, d'autres Thouth ; quelques savans prétendent que de Thout, l'on fit Theot, d'où les anciens Germains avoient fait Woth, Wothan, Wodan, Woden, Wode, & ensuite Guosh, Goth, God & Got, qui encore aujourd'hui signifie Dieu.

Le Theuth des Egyptiens n'étoit point le Dieu suprême, mais une divinité dont tous les arts tiroient leur origine. Scaliger prétend que ce Theuth étoit si sage, qu'on donna dans la suite ce nom à tous ceux qui se distinguerent par leur sagesse. Il prétend encore que les Theutatès des Germains étoient le Theuth des Egyptiens ; ce qu'il y a de sûr, c'est que toutes les hypothèses sur cette matiere sont également chimériques. (D.J.)

THEUTH ou THOT, (Calendrier égyptien) c'étoit selon Ciceron de nat. deor. l. III. n°. 36. chez les Egyptiens le nom du premier mois de leur année, c'est-à-dire, le mois de Septembre, selon Lactance. Ce mois commençoit le 29 Août du calendrier Julien, répondoit au mois Elul des Juifs, & au mois Gorpiaeus des Macédoniens. (D.J.)


THEXIS(Médec. anc.) , terme employé par les anciens auteurs en médecine, quelquefois pour signifier les blessures ou piquures faites avec de petits instrumens pointus ; quelquefois pour le traitement des plaies par la suture ; & quelquefois pour la réunion des levres d'une blessure, en produisant la plus petite cicatrice possible. (D.J.)


THIA(Géog. anc.) 1°. île de la mer Egée, & l'une des Cyclades, selon Pline, liv. II. ch. lxxxvij. Cette île du naturaliste de Rome, n'est qu'un méchant écueil, qui n'a pas même de nom aujourd'hui.

2°. Ville du Pont cappadocien, sur la route de Trapézunte à Satala, selon l'itinéraire d'Antonin.

3°. Lieu de Grèce dans la Béotie. (D.J.)


THIARUBEKESSISS. f. terme de relation, balayeur des mosquées en Perse ; cet emploi parmi nous méprisable, est recherché en Perse, & appartient à un ordre inférieur du clergé mahométan de ce royaume.


THIES. f. (Outil de Fileuse) petit instrument de fer ou d'autre matiere, dans lequel les fileuses mettent le bout de leur fuseau. La thie paroît être le verticilla des Latins ; on disoit autrefois verteil ou verteau.

Dans le Maine, l'Anjou, le Poitou, & autres provinces de France, la thie est un petit instrument de fer, de cuivre ou d'argent, qui est creux, & où l'on fourre la pointe d'en-haut du fuseau à la main, comme on fourre une baguette de pistolet dans un tire-bourre. Cette thie est cannelée à colonne torse, c'est-à-dire qu'elle a une rainure enfoncée qui tourne en vis deux ou trois tours. Cette cannelure soutient le fil sans pouvoir aller à droite ni à gauche, & facilite aux fileuses, la maniere imperceptible dont le fil qu'elles filent, se place comme de lui-même sur leur fuseau ; les fileuses qui ne se servent point de thie, sont obligées de s'arrêter à chaque aiguillée de fil qu'elles ont filé, afin de les dévider sur leur fuseau. Savary. (D.J.)


THIÉRACHE(Géog. mod.) pays de France qui fait partie de la province & du gouvernement militaire de la Picardie. Il est borné au nord par le Hainaut & le Cambrésis, au midi par le Laonnois, au levant par la Champagne, & au couchant par le Vermandois. Philippe Auguste le réunit à la couronne après la mort d'Elisabeth, comtesse de Flandres, fille du dernier comte de Vermandois. Il abonde en blé ; Guise en est le chef-lieu. (D.J.)


THIERS(Géog. mod.) ville de France, dans l'Auvergne, au diocèse de Clermont, frontiere du Forez, sur la Durole, à 10 lieues au couchant de Clermont, avec titre de vicomté. Il y a un séminaire, une collégiale, justice royale ; enfin une abbaye d'hommes de l'ordre de S. Benoît. Il s'y faisoit autrefois beaucoup de commerce en quinquaillerie, papier, cartes & cartons. Long. 21. 12. latit. 45. 50.

Guillet (George), écrivain spirituel, naquit dans cette ville vers l'an 1625, & mourut à Paris en 1705. Son livre intitulé les arts de l'homme d'épée, ou le dictionnaire du gentilhomme, a été imprimé par-tout ; mais on fait encore plus de cas de son Athènes & de sa Lacédémone ancienne & nouvelle. Ce sont deux livres charmans, & qui deviennent rares. (D.J.)


THILELA, ou LA THIELE, (Géog. mod.) riviere de Suisse, au pays de Vaud. Après s'être jettée à Yverdun dans le lac de Neuchâtel, elle entre dans celui de Bienne, en sort, & se perd dans l'Aar. (D.J.)


THILEMARCK(Géog. mod.) petite province de Norwege, dans le gouvernement d'Aggerhus. Elle dépend de l'évêché de Berghen.


THIMERAIS(Géog. mod.) en latin du moyen âge. Theoderemensis ager ; pays de France, qui fait partie du Perche, & qui est uni au gouvernement militaire de l'île de France. Châteauneuf en est le lieu principal.


THIMINS. m. (Monnoie) monnoie qui a cours dans l'Archipel ; elle valoit cinq sols quand l'écu étoit sur le pié de trois livres douze. (D.J.)


THINS. m. (Mat. méd. des Arabes) nom donné par les anciens médecins arabes à toute espece de terre ou de bol d'usage en médecine. Ainsi le bol d'Arménie de Galien est nommé par Avicenne thin Armeni ; de-là le mot muthin signifie tout ce qui est terreux, & qui approche de la nature des bols médecinaux.


THINAE(Géog. mod.) ville d'Asie, à laquelle Ptolémée, l. VII. c. v. donne le titre de métropole des Chinois, & la place dans les terres. Le nom moderne, selon Mercator, est Tenduc. (D.J.)


THINITES. m. (Hist. d'Egypte) c'est le nom qu'on donne aux rois d'Egypte qui ont regné à This, capitale de leur royaume. Il y a eu deux dynasties de thinistes. La premiere commença à Ménès, & finit à Bienachès : elle comprend huit rois ; la seconde commença à Bocthus, & finit à Neperchetes ; elle comprend dix rois, ensorte qu'il y a eu en tout dix-huit rois thinites, qui ont possédé ce royaume pendant six cent trois ans. Ce royaume, selon Usserius, commença 2130 ans avant J. C. (D.J.)


THIOISLE, (Langue) le thiois, autrement dit théotisque, est la même chose que l'ancienne langue téutonique ou tudesque. Voyez TUDESQUE.


THIONVILLE(Géog. mod.) en latin du moyen âge Theodonis villa ; ville de France, dans le Luxembourg, sur le bord de la Moselle, entre Metz & Sierck. Cette petite ville, qui est chef-lieu d'un bailliage, a été originairement une maison royale ; c'est aujourd'hui un gouvernement de place, avec état major. Le pont qu'on y passe est défendu par un ouvrage à corne. Les Espagnols étoient les maîtres de Thionville, lorsque M. le prince s'en saisit en 1643, après la bataille de Rocroy. Elle fut cédée à la France par le traité des Pyrénées en 1659. Long. suivant Cassini, 23. 42. lot. 41. 29. 40. (D.J.)


THIRS. m. (Calend des Ethiopiens) nom du cinquieme mois des Ethiopiens, qui répond suivant Ludolf, au mois de Janvier.


THIRENSTEIou THIRUSTEIN, (Géog. mod.) petite ville d'Allemagne, dans la basse Autriche, proche le Danube, à un mille au-dessus de Stein, avec un château, où l'on dit que Richard I. roi d'Angleterre, fut détenu quelque tems prisonnier par LÉopold duc d'Autriche ; celui-ci rendit le roi Richard à l'empereur Henri VI. qui ne le mit en liberté, en 1194, qu'en le rançonnant à cent mille marcs d'argent. (D.J.)


THIRITES(Hist. nat.) on ne nous dit rien de cette pierre, sinon qu'elle ressembloit au corail.


THIRSK(Géog. mod.) petite ville ou bourg d'Angleterre, dans la province d'Yorck. Elle a droit de tenir marché & de députer au parlement. (D.J.)


THISBÉ(Géog. anc.) ville de la Béotie, selon Pausanias, liv. IX. c. xxxij. elle avoit pris son nom d'une nymphe qui s'appelloit ainsi.


THISOAS. f. (Mythol.) une des trois nymphes qui éleverent Jupiter sur le mont Lycée en Arcadie. (D.J.)


THISRINPRIOR, (Calend. syrien) nom que les Syriens donnent au premier mois de l'année. Il a 31 jours. Le mois qui suit immédiatement, & qui a 30 jours, est appellé Thisrin posterior.


THIUou THEIUS, (Géogr. anc.) riviere de l'Arcadie. Pausanias dit, l. VIII. c. xxxv. qu'en allant de Mégalopolis à Lacédémone le long de l'Alphée, on trouve au bout d'environ trente stades le fleuve Thius, qui se joint à l'Alphée du côté gauche. (D.J.)


THIVA(Géog. mod.) ville de la Livadie, bâtie sur une éminence, où étoit jadis l'ancienne Thèbes, capitale de la Béotie, cette ville fameuse par sa grandeur, par son ancienneté, par ses malheurs & par les exploits de ses héros. Voyez THEBAE, n°. 2.

Depuis qu'Alexandre eut détruit cette belle ville, elle n'a jamais pu se relever ; c'est sur ses ruines qu'on a bâti Thiva ou Thive. En y arrivant, dit M. Spon, nous passames un petit ruisseau qui coule le long des murailles ; & ce doit être la riviere d'Isménus, que d'autres, avec plus de raison, n'appellent qu'une fontaine ; mais Wheler n'est pas de ce sentiment. Selon lui, Thiva est entre deux petites rivieres, l'une au levant, qu'il regarde être l'Isménus, & l'autre au couchant, qu'il prend pour Dircé. Je ne comprens pas, poursuit-il, ce qui oblige M. Spon à être d'un autre sentiment, puisque Pausanias, après avoir décrit les côtés du nord & de l'est de la porte Proetida vers la Chalcidie, recommence à la porte Neitis, &, après avoir remarqué quelques monumens qui y sont, passe cette riviere de Dircé, & va de-là au temple de Cabira & de Thespia, ce qui est au couchant de Thèbes. M. Spon ajoute que la riviere Isménus est hors de la ville à main droite de la porte Homoloïdes, & passe près d'une montagne appellée aussi Isménus ; tout cela ne répond à aucune chose qui soit au couchant.

La forteresse nommée Cadmie, dont les murailles & quelques tours quarrées qui y restent sont fort antiques ; cette forteresse, dis-je, est ovale ; & tout ce qui est renfermé dans les murailles est beaucoup mieux bâti, & plus élevé que ce que l'on bâtit aujourd'hui dans le pays. On croit que Thiva a une lieue & demi de tour, & qu'il y a trois ou quatre cent habitans. Les Turcs, qui en sont les maîtres & qui font la moindre partie, y ont deux mosquées ; & les Chrétiens y ont quelques églises, dont la cathédrale s'appelle Panagia-Chrysaphoritza.

On n'y voit rien de remarquable que quelques fragmens d'anciennes inscriptions parmi les carreaux du pavé. On trouve deux kans dans cette ville. Au-lieu de trois à quatre cent habitans, M. Spon en met, par une grande erreur, trois à quatre mille, en y comprenant les fauxbourgs, dont le plus grand, mais également dépeuplé, est celui de S. Théodore ; il y a une belle fontaine, qui vient d'un réservoir sur le chemin d'Athènes. C'est ce ruisseau que M. Spon prend pour le Dircé des anciens.

On voit vers le chemin de Négrepont le lieu d'où l'on tire la matiere dont on fait les pipes à fumer du tabac. Ceux qui jugent qu'il y a de cette matiere dans un endroit, en achetent le terroir du vayvode, & y font creuser à quinze ou vingt piés de profondeur, & de la largeur d'un puits ordinaire. Ensuite ils y font descendre des gens qui tirent une terre fort blanche qui s'y trouve ; elle est molle comme de la cire. On la travaille ou sur le lieu même, ou dans les boutiques avec un couteau, & on la façonne avec des fers pour en faire des bottes de pipes à la turque, c'est-à-dire sans manche, parce qu'on y ajoute de grands tuyaux de bois. Cette terre ainsi figurée s'endurcit à l'air, sans la faire cuire ; & avec le tems, elle devient aussi dure que la pierre. La plus pesante est la meilleure, & la moins sujette à se casser. Les moindres se vendent cinq aspres la piece, & les plus belles neuf à dix.

La notice épiscopale de Nilus Doxapatrius appelle cette ville Thebae graeciae, & en fait une province ecclésiastique, avec trois évêchés qu'elle ne nomme point. Il paroît, par la notice de l'empereur Andronic Paléologue le vieux, que Thèbes étoit une métropole sous le patriarchat de Constantinople, & que du cinquante-septieme rang, elle passa au soixante-neuvieme. Dans la même notice, elle est comptée parmi les villes qui avoient changé de nom, Baeotia, nunc Thebae.

Thiva est dans la Livadie, & appartient aux Turcs qui y ont quelques mosquées ; les Grecs y ont un prêtre qui prend le titre d'évêque. Long. 41. 38. latit. suivant les observations de M. Vernon, 38. 22. (D.J.)


THLASISS. f. (Médec. anc.) ou , contusion, collision, espece de fracture des os plats qui consiste dans une contusion, & un enfoncement des fibres osseuses ; ce mot vient du verbe , je froisse. , dans Hippocrate & dans Galien, est toute contusion faite par un corps émoussé, & toute blessure produite par un instrument mousse qui a contus les parties. (D.J.)


THLASPIS. m. (Hist. nat. Botan.) genre de plante à fleur en croix, composé de quatre pétales : le pistil sort du calice, & devient dans la suite un fruit plat, arrondi, bordé le plus souvent d'une aîle ou d'un feuillet, & échancré à sa partie supérieure ; ce fruit est divisé en deux loges par une cloison intermédiaire, dirigée obliquement relativement au plan des panneaux, & il renferme des semences le plus souvent applaties. Ajoutez aux caracteres de ce genre que ses feuilles sont simples, en quoi il differe de celui du cresson. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.

Des vingt & une especes de thlaspi de Tournefort, nous décrirons la plus ordinaire, thlaspi vulgatus I. R. H. 212. en anglois, the common treaclemustard.

Sa racine est assez grosse, fibreuse, ligneuse, blanche, un peu âcre. Elle pousse des tiges à la hauteur d'environ un pié, rondes, velues, roides, rameuses, garnies de feuilles simples sans queue & sans découpure, longues comme le petit doigt, larges à leur base, s'étrécissant peu-à-peu en pointe, crenelées en leurs bords d'un verd-blanchâtre, d'un goût âcre & piquant. Ses fleurs sont petites, blanches, nombreuses, disposées comme celles de la bourse à berger, composées chacune de quatre pétales en croix, avec six étamines à sommets pointus.

A ces fleurs succedent des fruits ronds, ovales, applatis, bordés ordinairement d'une aîle ou feuillet plus étroits à leur base, plus larges & échancrés par le haut. Ils sont composés de deux panneaux séparés par une cloison mitoyenne, posée de travers, & divisés en deux loges ; elles contiennent des graines presque rondes, applaties, d'une couleur rouge obscure ; ces graines noircissent en vieillissant, & sont d'un goût âcre & brûlant, comme la moutarde.

Cette plante vient aux lieux incultes, rudes, pierreux, sablonneux, exposés au soleil & contre les murailles ; elle fleurit en Mai, & sa semence mûrit en Juin. On nous l'apporte du Languedoc & de la Provence, où elle croît supérieure à celle des autres climats tempérés : il faut la choisir nouvelle, nette, bien nourrie, âcre & piquante au goût. (D.J.)

THLASPI, (Mat. méd.) la semence de plusieurs especes de thlaspi est recommandée comme remede par quelques auteurs de médecine. Ces plantes sont de la classe des cruciferes de Tournefort, & dans la division de celles qui contiennent l'alkali volatil spontané dans un état assez nud, & en une quantité assez considérable.

La semence de thlaspi n'est guere moins âcre & piquante que la semence de moutarde, dont on peut la regarder comme la succédanée. Voy. MOUTARDE. Cette semence est très-peu usitée, ou même absolument inusitée dans la prescription des remedes magistraux. Elle entre dans le mithridat & dans la thériaque. (b)


THLASPIDIUMS. m. (Hist. nat. Botan.) genre de plante à fleur en croix, composée de quatre pétales ; le pistil sort du calice, & devient dans la suite un fruit applati, double, pour ainsi dire, & composé de deux parties qui sont séparées par une cloison intermédiaire, & qui renferment chacune une semence le plus souvent oblongue & applatie. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.

Entre les dix especes de ce genre de plante que compte Tournefort, il suffira de décrire la premiere, celle de Montpellier, thlaspidium Monspeliense, hieracii folio hirsuto, I. R. H. 214. Il pousse plusieurs tiges à la hauteur d'un pié, grêles, rondes, rameuses, portant peu de feuilles ; mais il en sort de sa racine plusieurs qui sont longues, rudes, sinueuses, vertes, velues, ressemblantes à celles du hiéracium, éparses par terre. Ses fleurs naissent aux sommités de ses tiges, petites, à quatre feuilles jaunes, disposées en croix : quand elles sont tombées, il leur succede un fruit en lunette composée de deux parties très-applaties, qui renferment dans leur creux chacune une semence oblongue, fort applatie, rousse ou rougeâtre : sa racine est longue & médiocrement grosse. Cette plante croît vers Montpellier, & aux lieux montagneux des pays chauds. (D.J.)


THLIPSIS(Lexicog. Médec.) de , comprimer, compression ; est une compression causée à l'estomac par les alimens, qui le surchargent par leur quantité. (D.J.)


THMUIS(Géog. anc.) ville de la basse Egypte, vers la bouche du Nil, nommée Mendeze ; c'étoit une ville considérable, & qui devint épiscopale, car S. Phileus & S. Sérapion en ont été évêques. Thmuis signifioit un bouc en langue égyptienne, à ce que prétend S. Jérôme. (D.J.)


THNETOPSYCHITESS. m. pl. (Hist. ecclésiast.) anciens hérétiques, croyant que l'ame humaine étoit parfaitement semblable à celle des bêtes, & qu'elle mouroit avec le corps. Voyez AME.

Ce mot est composé du grec , mortel, & , ame.

On ne trouve nulle part ces hérétiques que dans S. Jean Damascene, héres. xc. à-moins qu'ils ne soient les mêmes que ceux dont parle Eusebe, hist. ecclésiast. liv. IX. c. xxxviij. où il est dit que du tems d'Origene il y avoit en Arabie des hérétiques, croyant que l'ame humaine mouroit avec le corps, mais qu'elle ressusciteroit avec le corps à la fin du monde. Eusebe ajoute qu'Origene réfuta ces hérétiques dans un concile nombreux, & qu'il les fit revenir de leurs erreurs. S. Augustin & Isidore les appellent hérétiques arabes.

Marshal, dans ses tables, a défiguré ce mot faute de l'entendre, car il l'écrit thenopsychites, au-lieu de thnetopsychites : il les place aussi dans le sixieme siecle, mais on ne peut deviner sur quel fondement il l'a fait.


THOÉS. f. (Mytholog.) nymphe marine, fille de l'Océan & de Téthys, selon Hésiode ; elle se nommoit ainsi à cause de sa vîtesse. (D.J.)


THOISSEY(Géog. mod.) en latin du moyen âge Tossiacus, ville de France, dans la principauté de Dombes, proche les rivieres de Saone & de Chalarone, à 7 lieues au nord de Trévoux. Il y a un bailliage & un college. (D.J.)


THOLOSATLE, (Géog. mod.) petite riviere de France en Guienne ; elle se jette dans la Garonne, entre Tonneins & Marmande. (D.J.)


THOLUSS. m. (Archit. rom.) Vitruve nomme tholus une coupe ou un dôme en général. C'est la clé du milieu d'une piece où s'assemblent toutes les courbes d'une voûte, quand elle est de charpente. On y suspendoit anciennement dans les temples les présens faits aux dieux.

On entend aussi par le mot tholus la coupe d'un temple. Philander & Barbaro appelloient aussi tholus la lanterne que l'on met au-dessus du temple. (D.J.)

THOLUS ou THOLANTES, (Géog. anc.) ville d'Afrique, selon Arrien. Elle étoit située dans les terres, &, selon les apparences, peu éloignée de Carthage. Syphax la prit par trahison, & passa la garnison romaine au fil de l'épée. (D.J.)


THOMA'S-TOWN(Géogr. mod.) ville murée d'Irlande, dans la province de Leicester, au comté de Kilkenny, où elle tient le second rang. Elle a droit d'envoyer deux députés au parlement d'Irlande. (D.J.)


THOMASARBRE DE SAINT -, (Hist. nat. Bot.) arbre des Indes orientales. Ses feuilles ressemblent à celles du lierre, ses fleurs sont comme des lys violets, dont l'odeur est très-agréable. Cet arbre ne produit aucun fruit.

THOMAS, Saint -, (Géog. mod.) île d'Afrique, dans la mer d'Ethiopie, sous la ligne. Elle a été découverte par les Portugais en 1495. On lui donne environ douze lieues de diamêtre ; l'air y est malsain, à cause des chaleurs excessives qu'on y ressent. Le terroir en est cependant fertile en raisins & en cannes de sucre. Pavoasan est la capitale de cette île. (D.J.)

THOMAS, Saint -, (Géog. mod.) île de l'Amérique septentrionale, une des Antilles, au levant de Porto-Rico. Elle a six lieues de tour, & appartient aux Danois. Long. 18. 27. (D.J.)

THOMAS, CHRETIENS DE SAINT, (Hist. ecclés.) c'est le nom qu'on donne aux chrétiens indiens, établis dans la presqu'île des Indes, au royaume de Cochin, & sur la côte de Malabar & de Coromandel.

On ne doit pas douter que le christianisme n'ait percé de bonne heure dans les Indes, & l'on peut le prouver par Cosmas, témoin oculaire d'une partie de ce qu'il avance dans sa topographie chrétienne. " Il y a, dit-il, dans l'île Taprobane, dans l'Inde intérieure, dans la mer des Indes, une église de chrétiens, avec des clercs & des fideles ; je ne sai s'il n'y en a point au-delà. De même dans les pays de Malé, où croît le poivre, & dans la Calliane, il y a un évêque qui vient de Perse, où il est ordonné ".

Nous avons dans ces paroles, un témoignage de christianisme, établi aux Indes dans le sixieme siecle. Cosmas écrivoit environ l'an 547 de Notre-Seigneur, & ces chrétiens se sont conservés jusqu'à notre siecle dans un état qui paroît n'avoir été exposé par rapport à la religion, à aucune contradiction violente, hormis celle qu'ils eurent à essuyer de la part des Portugais, vers la fin du seizieme siecle.

Le P. Montfaucon a rendu service à l'Eglise & à la république des lettres, par la publication & la traduction de l'ouvrage de Cosmas. Sans parler de plusieurs choses curieuses qui y sont rapportées, on y trouve les plus anciennes connoissances qu'on ait de l'établissement de l'Eglise chrétienne sur la côte de Malabar, & de la dépendance où étoit leur évêque, à l'égard du catholique ou métropolitain de Perse : dépendance qui a continué jusqu'à-ce que les Portugais, qui s'étoient rendus puissans dans les Indes, mirent tout en oeuvre pour amener cette église à la tutele du pape, auquel elle n'avoit jamais été soumise.

Les chrétiens de S. Thomas se donnent une antiquité bien plus reculée que celle dont nous venons de parler. Ils prétendent que l'apôtre S. Thomas est le fondateur de leur église, & les Portugais leurs ennemis, n'ont pas peu contribué à appuyer cette tradition. Antoine Gouvea, religieux Augustin, la soutient dans son livre intitulé : Jornada do Arçobispo de Goa, imprimé à Conimbre en 1606.

Il prétend que dans la répartition de toutes les parties du monde qui se fit entre les apôtres, les Indes échurent à S. Thomas, qui après avoir établi le christianisme dans l'Arabie heureuse, & dans l'île Dioscoride, appellée aujourd'hui Socotora, se rendit à Cranganor, où résidoit alors le principal roi de la côte de Malabar. Le saint apôtre ayant fondé plusieurs églises à Cranganor, vint sur la côte opposée, connue aujourd'hui sous le nom de Coromandel, & s'étant arrêté à Méliapour, que les Européens appellent S. Thomas, il y convertit le roi & tout le peuple.

Je ne suivrai point sa narration romanesque, qui doit peut-être son origine à ceux-là même, qui ont autrefois supposé divers actes sous le nom des apôtres ; entr'autres les actes de S. Thomas, & l'histoire de ses courses dans les Indes. Ces actes fabuleux subsistent encore dans un manuscrit de la bibliotheque du roi de France. M. Simon dans ses observations sur les versions du nouveau Testament, en a donné un extrait, que le savant Fabricius a inséré dans son premier volume des apocryphes du nouveau Testament. Il paroît que c'est de-là, que le prétendu Abdias, babylonien, a puisé tout ce qu'il débite dans la vie de S. Thomas ; & il n'est pas surprenant que les chrétiens de Malabar, gens simples & crédules, aient adopté la fable de cette mission, ainsi que beaucoup d'autres.

Il est néanmoins toujours certain, que la connoissance du christianisme est ancienne sur la côte de Malabar, non-seulement par le témoignage de Cosmas, mais encore, parce qu'on trouve dans les souscriptions du concile de Nicée, celle d'un prélat qui se donne le titre d'évêque de Perse. De plus, un ancien auteur cité par Suidas, dit que les habitans de l'Inde intérieure (c'est le nom que Cosmas donne à la côte de Malabar), les Ibériens & les Arméniens, furent baptisés sous le regne de Constantin.

Les princes du pays, entr'autres Serant Peroumal, empereur de Malabar, fondateur de la ville de Calecut, l'an de J. C. 825, selon M. Vischer, donna de grands privileges aux chrétiens de la côte. Ils ne dépendent à proprement parler que de leur évêque, tant pour le temporel, que pour le spirituel.

Le roi de Cranganor honora depuis de ses bonnes graces un arménien nommé Thomas Cana ou marThomas ; ce mot de mar est syriaque, & signifie la même chose que le dom des Espagnols. Il y a de l'apparence que la conformité de nom l'a quelquefois fait confondre avec l'apôtre S. Thomas. Cet homme qui faisoit un gros trafic avoit deux maisons, l'une du côté du sud, dans le royaume de Cranganor, & l'autre vers le nord, au voisinage d'Augamale.

Dans la premiere de ces maisons, il tenoit son épouse légitime, & dans la seconde, une concubine convertie à la foi. Il eut des enfans de l'une & de l'autre de ces femmes. En mourant, il laissa à ceux qui lui étoient nés de son épouse légitime, les terres qu'il possédoit au midi ; & les bâtards hériterent de tous ses biens qui étoient du côté du nord. Ces descendans de mar Thomas s'étant multipliés, partagerent tout le christianisme de ces lieux - là. Ceux qui descendent de la femme légitime, passent pour les plus nobles ; ils sont si fiers de leur origine, qu'ils ne contractent point de mariages avec les autres, ne les admettant pas même à la communion dans leurs églises, & ne se servant point de leurs prêtres.

Quelques tems après la fondation de la ville de Coulan, à laquelle commence l'époque du Malabar, c'est-à-dire après l'an 822 de Notre-Seigneur, deux ecclésiastiques syriens vinrent de Babylone dans les Indes : l'un se nommoit mar Sapor, & l'autre mar Peroses. Ils aborderent à Coulan, où le roi voyant qu'ils étoient respectés des chrétiens, leur accorda entr'autres privileges, celui de bâtir des églises partout où ils voudroient ; ces privileges subsistent peut-être encore : les chrétiens indiens les firent voir à Alexis de Menezès, écrits sur des lames de cuivre, en langue & caracteres malabares, canarins, bisnagares & tamules, qui sont les langues les plus en usage sur ces côtes.

Une si longue suite de prospérités rendit les chrétiens indiens si puissans, qu'ils secouerent le joug des princes infideles, & élurent un roi de leur nation. Le premier qui porta ce nom s'appelloit Baliarté, & il se donnoit le titre de roi des Chrétiens de S. Thomas. Ils se conserverent quelque tems dans l'indépendance sous leurs propres rois, jusqu'à-ce qu'un d'eux, qui selon une coutume établie dans les Indes, avoit adopté pour fils, le roi de Diamper, mourut sans enfans, & ce roi payen lui succéda dans tous ses droits sur les chrétiens des Indes. Ils passerent ensuite par une adoption semblable sous la jurisdiction du roi de Cochin, auquel ils étoient soumis, lorsque les Portugais arriverent dans les Indes. Il y en avoit cependant un nombre assez considérable qui obéissoit aux princes voisins.

L'an 1502, Vasco de Gama, amiral du roi de Portugal, étant arrivé à Cochin avec une flotte, ces chrétiens lui envoyerent des députés, par lesquels ils lui représenterent que puisqu'il étoit vassal d'un roi chrétien, au nom duquel il venoit pour conquérir les Indes, ils le prioient de les honorer de sa protection & de celle de son roi ; l'amiral leur donna de bonnes paroles, n'étant pas en état de les assister d'une autre maniere.

Ils dépendent du catholique de Perse & du patriarche de Babylone, & de Mosul. Ils appellent leurs prêtres, caçanares, dont les fonctions étoient d'expliquer leurs livres écrits en langue syriaque. Les premiers missionnaires qui travaillerent à leur instruction, pour les soumettre à l'Eglise romaine, furent des Cordeliers ; mais les jésuites envisageant cette charge comme une affaire fort lucrative, obtinrent un college du roi de Portugal, outre des pensions, & la protection du bras séculier. Malgré tout cela, les chrétiens malabares suivirent leur culte, & ne permirent jamais qu'on fit mention du pape dans leurs prieres. Mais il faut ici donner une idée complete des opinions & des rits ecclésiastiques de ces anciens chrétiens.

La premiere erreur qu'on leur reproche, est l'attachement qu'ils ont pour la doctrine de Nestorius, joint à leur entêtement à nier, que la bienheureuse Vierge soit véritablement la mere de Dieu.

Ils n'admettoient aucunes images dans leurs églises, sinon dans quelques-unes qui étoient voisines des Portugais, dont ils avoient pris cet usage. Cela n'empêchoit pas que de tout tems ils n'eussent des croix, pour lesquelles ils avoient beaucoup de respect.

Ils croyoient que les ames des bienheureux ne verroient Dieu qu'après le jour du jugement universel, opinion qui leur étoit commune avec les autres églises orientales ; & qui, quoique traitée d'erreur par Gouvea, est en quelque maniere appuyée sur la tradition.

Ils ne connoissoient que trois sacremens, le baptême, l'ordre & l'eucharistie. Dans la forme du baptême, il y avoit fort peu d'uniformité entre les diverses églises du diocèse.

Quelques - uns de leurs ecclésiastiques administroient ce sacrement d'une maniere invalide, au sentiment de l'archevêque, qui à l'exemple des autres ecclésiastiques de sa nation, rapportoit tout à la théologie scholastique. Dans cette persuasion, il rebaptisa tout le peuple d'une des nombreuses églises de l'évêché.

Ils différoient le baptême des enfans, souvent un mois, quelquefois plus long-tems ; il arrivoit même qu'ils ne les baptisoient qu'à l'âge de sept, de huit, ou de dix ans, contre la coutume des Portugais qui baptisent ordinairement les leurs le huitieme jour après la naissance, en quoi ils semblent suivre le rit de la circoncision des Juifs, comme l'a remarqué l'auteur du Traité de l'inquisition de Goa.

Ils ne connoissoient aucun usage des saintes huiles, ni dans le baptême, ni dans l'administration des autres sacremens : seulement après le baptême des enfans, ils les frottoient par tout le corps d'huile de cocos, ou de gergelin, qui est une espece de safran des Indes. Cet usage, quoique sans prieres, ni bénédiction, passoit chez eux pour quelque chose de sacré.

Ils n'avoient aucune connoissance des sacremens de confirmation & d'extrême-onction ; ils n'admettoient point aussi la confession auriculaire.

Ils étoient fort devots au sacrement de l'eucharistie, & communioient tous sans exception le Jeudi-Saint. Ils n'y apportoient point d'autre préparation que le jeûne.

Leur messe ou liturgie étoit altérée par diverses additions que Nestorius y avoit faites. Avant l'arrivée des Portugais dans les Indes, ils consacroient avec des gâteaux, où ils mettoient de l'huile & du sel. Ils faisoient cuire ces gâteaux dans l'église même. Cette coutume de paîtrir le pain de l'eucharistie avec de l'huile & du sel, est commune aux nestoriens & aux jacobites de Syrie. Il faut observer ici, qu'ils ne mêloient dans la pâte l'huile qu'en très-petite quantité, ce qui ne change point la nature du pain. Dans l'église romaine, on se sert d'un peu de farine délayée dans de l'eau, & séchée ensuite entre deux fers que l'on a soin de frotter de tems-en-tems de cire blanche, de peur que la farine ne s'y attache. C'est donc une colle séchée, mêlée de cire ; ce qui semble plus contraire à l'institution du sacrement, que l'huile des églises syriennes.

Au lieu de vin ordinaire, ils se servoient comme les Abyssins, d'une liqueur exprimée de raisins secs, qu'ils faisoient infuser dans de l'eau. Au défaut de ces raisins, ils avoient recours au vin de palmier.

Celui qui servoit le prêtre à l'autel portoit l'étole, soit qu'il fût diacre, ou qu'il ne le fût pas. Il assistoit à l'office l'encensoir à la main, chantant en langue syriaque, & récitant lui seul presque autant de paroles que le prêtre qui officioit.

Les ordres sacrés étoient en grande estime chez eux. Il y avoit peu de maisons où il n'y eût quelqu'un de promu à quelque degré ecclésiastique. Outre que ces dignités les rendoient respectables, elles ne les excluoient d'aucune fonction séculiere. Ils recevoient les ordres sacrés dans un âge peu avancé : ordinairement ils étoient promus à la prêtrise dès l'âge de dix-sept, de dix-huit & de vingt-ans. Les prêtres se marioient même à des veuves, & rien ne les empêchoit de contracter de secondes noces après la mort de leurs femmes. Il arrivoit assez souvent que le pere, le fils & le petit-fils, étoient prêtres dans la même église.

Les femmes des prêtres, qu'ils appelloient caçaneires, avoient le pas par-tout. Elles portoient, pendue au col, une croix d'or, ou de quelqu'autre métal. Les ecclésiastiques des ordres inférieurs, qui ne paroissent pas avoir été distingués parmi ces chrétiens, s'appelloient chamazès, mot syriaque qui signifie diacre ou ministre.

L'habit ordinaire des ecclésiastiques consistoit dans de grands caleçons blancs, par-dessus lesquels ils revétoient une longue chemise. Quand ils y ajoutoient une soutane blanche ou noire, c'étoit leur habit décent. Leurs couronnes ou tonsures, étoient semblables à celles des moines ou des chanoines réguliers.

Ils ne récitoient l'office divin qu'à l'église, où ils le chantoient à haute voix deux fois le jour ; la premiere à trois heures du matin, la seconde à cinq heures du soir. Personne ne s'en exemptoit. Hors de-là ils n'avoient point de bréviaire à réciter, ni aucuns livres de dévotion particuliere qui fussent d'obligation.

Ils étoient simoniaques, dit Gouvea, dans l'administration du baptême & de l'eucharistie : le prix de ces sacremens étoit réglé. Je ne sai s'il n'y a point d'erreur à taxer de simonie un pareil usage. Ces ecclésiastiques n'avoient point d'autre revenu, & ils pouvoient bien exiger de leurs paroissiens ce qui étoit nécessaire pour leur subsistance.

Lorsqu'ils se marioient, ils se contentoient d'appeller le premier caçanare qui se présentoit. Souvent ils s'en passoient. Quelquefois ils contractoient leurs mariages avec des cérémonies assez semblables à celles des Gentils.

Ils avoient une affection extraordinaire pour le patriarche nestorien de Babylone, & ne pouvoient souffrir qu'on fît mention dans leurs églises, ni du pape, ni de l'église romaine. Le plus ancien des prêtres d'une église y présidoit toujours. Il n'y avoit ni curé, ni vicaire.

Tout le peuple assistoit le dimanche à la liturgie, quoiqu'il n'y eût aucune obligation de le faire. Mais il y avoit des lieux où elle ne se célébroit qu'une fois l'an.

Les prêtres se chargeoient quelquefois d'emplois laïques, jusqu'à être receveurs des droits qu'exigeoient les rois payens.

Ils mangeoient de la chair le samedi ; & leurs jours d'abstinence étoient le mercredi & le vendredi. Leur jeûne étoit fort sévere en carême. Ils ne prenoient de repas qu'une fois le jour après le coucher du soleil, & ils commençoient à jeûner dès le dimanche de la Quinquagésime. Pendant ce tems-là ils ne mangeoient ni poissons, ni oeufs, ni laitages, ne buvoient point de vin, & n'approchoient point de leurs femmes. Toutes ces observances leur étoient ordonnées sous peine d'excommunication ; cependant les personnes avancées en âge étoient dispensées de jeûner.

Pendant le carême ils alloient trois fois le jour à l'église, le matin, le soir & à minuit. Plusieurs s'exemptoient de la derniere heure ; mais nul ne manquoit aux deux précédentes. Ils jeûnoient de même tout l'avent. Outre ces deux jeûnes d'obligation, ils en avoient d'autres qui n'étoient que de dévotion, comme celui de l'assomption de la Vierge, depuis le premier d'Août jusqu'au quinzieme ; celui des apôtres qui duroit cinquante jours, & commençoit immédiatement après la Pentecôte ; & celui de la nativité de Notre - Seigneur, depuis le premier de Septembre jusqu'à Noël.

Toutes les fois qu'ils entroient dans l'église les jours de jeûne, ils y trouvoient les prêtres assemblés qui chantoient l'office divin, & leur donnoient la bénédiction. Cette cérémonie s'appelloit donner, ou recevoir le casturi. Elle consistoit à prendre entre leurs mains celles des caçanares, & à les baiser après les avoir élevées en-haut. C'étoit un signe de paix, qui n'étoit accordé qu'à ceux qui étoient dans la communion de l'église : les pénitens & les excommuniés en étoient exclus.

Les femmes accouchées d'un enfant mâle, n'entroient dans l'église que quarante jours après leur délivrance ; pour une fille on doubloit le nombre des jours, après lesquels la mere venoit dans l'assemblée offrir son enfant à Dieu & à l'Eglise.

Ces chrétiens étoient en général fort peu instruits. Quelques-uns seulement savoient l'oraison dominicale, & la salutation angélique.

Ils craignoient extrêmement l'excommunication, & ils avoient raison de la craindre ; la discipline ecclésiastique étoit si sévere, que les homicides volontaires, & quelques autres crimes, attiroient une excommunication dont le coupable n'étoit jamais absous, pas même à l'article de la mort.

Leurs églises étoient sales, peu ornées, & bâties à la maniere des pagodes, ou temples des Gentils. Nous avons déjà remarqué qu'ils n'avoient point d'images. Nous ajouterons ici qu'ils n'admettoient point de purgatoire, & qu'ils le traitoient de fable.

On voit par ce détail, que ces anciens chrétiens malabares, sans avoir eu de commerce avec les communions de Rome, de Constantinople, d'Antioche & d'Alexandrie, conservoient plusieurs des dogmes admis par les Protestans, & rejettés, en tout ou en partie, par les églises qu'on vient de nommer. Ils nioient la suprématie du pape, ainsi que la transubstantiation, soutenant que le sacrement de l'Eucharistie n'est que la figure du corps de J. C. Ils excluoient aussi du nombre des sacremens, la confirmation, l'extrême-onction & le mariage. Ce sont là les erreurs que le synode de Diamper proscrivit.

Le savant Geddes a mis au jour une traduction angloise des actes de ce synode, composés par les jésuites, & M. de la Croze en a donné des extraits dans son Histoire du christianisme des Indes. C'est assez pour nous de remarquer qu'Alexis Menezès, nommé archevêque de Goa, tint ce synode après avoir entrepris, en 1599, de soumettre les chrétiens de S. Thomas à l'obéissance du pape. Il réussit dans ce projet par la protection du roi de Portugal, & par le consentement du roi de Cochin, qui aima mieux abandonner les chrétiens de ses états, que de se brouiller avec les Portugais. Menezès jetta dans le feu la plûpart de leurs livres, perte considérable pour les savans curieux des antiquités ecclésiastiques de l'Orient ; mais le prélat de Goa ne s'en mettoit guere en peine, uniquement occupé de vûes ambitieuses. De retour en Europe, il fut nommé archevêque de Brague, vice-roi de Portugal, & président du conseil d'état à Madrid, où il mourut en 1617.

Cependant la conquête spirituelle de Menezès, ainsi que l'autorité temporelle des Portugais, reçut quelque tems après un terrible échec, & les chrétiens de S. Thomas recouvrerent leur ancienne liberté. La cause de cette catastrophe fut le gouvernement arbitraire des jésuites, qui par le moyen des prélats tirés de leur compagnie, exerçoient une domination violente sur ces peuples, gens à la vérité simples & peu remuans, mais extrêmement jaloux de leur religion. Il paroît par le livre de Vincent-Marie de Ste Catherine de Sienne, que les jésuites traitoient ces chrétiens avec tant de tyrannie, qu'ils résolurent de secouer un joug qu'ils ne pouvoient plus porter ; en sorte qu'ils se firent un évêque de leur archidiacre, au grand déplaisir de la cour de Rome.

Alexandre VII. résolut de remédier promtement au schisme naissant ; & comme il savoit que la hauteur des jésuites avoit tout gâté, il jetta les yeux sur les Carmes déchaussés, & nomma quatre religieux de cet ordre, pour ramener les chrétiens de S. Thomas à son obéissance : mais leurs soins & leurs travaux n'eurent aucun succès par les ruses du prélat jésuite, qui aliéna les esprits, & fit rompre les conférences.

Enfin la prise de Cochin par les Hollandois, en 1663, rendit aux chrétiens de S. Thomas la liberté dont ils avoient anciennement joui. Mais ces mêmes Hollandois, trop attachés à leur négoce, négligerent entiérement la protection de ces pauvres gens. Il est honteux qu'ils ne se soient pas plus interessés en leur faveur, que s'ils avoient été des infidèles dignes d'être abandonnés. (D.J.)


THOMASIUSPHILOSOPHIE DE, (Hist. de la Philosophie) il ne faut point oublier cet homme parmi les réformateurs de la philosophie & les fondateurs de l'éclectisme renouvellé ; il mérite une place dans l'histoire des connoissances humaines, par ses talens, ses efforts & ses persécutions. Il naquit à Leipsic en 1655. Son pere, homme savant, n'oublia rien de ce qui pouvoit contribuer à l'instruction de son fils ; il s'en occupa lui-même, & il s'associa dans ce travail important les hommes célebres de son tems, Filier, Rapporte, Ittigius, les Alberts, Menckenius, Franckensteinius, Rechenbergius & d'autres qui illustroient l'académie de Leipsic ; mais l'éleve ne tarda pas à exciter la jalousie de ses maîtres dont les sentimens ne furent point une regle servile des siens. Il s'appliqua à la lecture des ouvrages de Grotius. Cette étude le conduisit à celle des loix & du droit. Il n'avoit personne qui le dirigeât, & peut-être fut-ce un avantage pour lui. Puffendorf venoit alors de publier ses ouvrages. La nouveauté des questions qu'il y agitoit, lui susciterent une nuée d'adversaires. Thomasius se rendit attentif à ces disputes, & bientôt il comprit que la théologie & la jurisprudence avoient chacune un coup d'oeil sous lequel elles envisageoient un objet commun, qu'il ne falloit point abandonner une science aux prétentions d'une autre, & que le despotisme que quelques-unes s'arrogent, étoit un caractere très-suspect de leur infaillibilité. Dès ce moment il foula aux piés l'autorité ; il prit une ferme résolution de ramener tout à l'examen de la raison & de n'écouter que sa voix. Au milieu des cris que son projet pourroit exciter, il comprit que le premier pas qu'il avoit à faire, c'étoit de ramasser des faits. Il lut les auteurs, il conversa avec les savans, & il voyagea ; il parcourut l'Allemagne ; il alla en Hollande ; il y connut le célebre Graevius. Celui-ci le mit en correspondance avec d'autres érudits, se proposa de l'arrêter dans la contrée qu'il habitoit, s'en ouvrit à Thomasius ; mais notre philosophe aimoit sa patrie, & il y retourna.

Il conçut alors la nécessité de porter encore plus de sévérité qu'il n'avoit fait, dans la discussion des principes du droit civil, & d'appliquer ses réflexions à des cas particuliers. Il fréquenta le barreau, & il avoua dans la suite que cet exercice lui avoit été plus utile que toutes ses lectures.

Lorsqu'il se crut assez instruit de la jurisprudence usuelle, il revint à la spéculation ; il ouvrit une école ; il interpréta à ses auditeurs le traité du droit de la guerre & de la paix de Grotius. La crainte de la peste qui ravageoit le pays, suspendit quelque tems ses leçons ; mais la célébrité du maître & l'importance de la matiere ne tarderent pas à rassembler ses disciples épars. Il acheva son cours ; il compara Grotius, Puffendorf & leurs commentateurs ; il remonta aux sources ; il ne négligea point l'historique ; il remarqua l'influence des hypothèses particulieres sur les conséquences, la liaison des principes avec les conclusions, l'impossibilité de se passer de quelque loi positive, universelle, qui servit de base à l'édifice, & ce fut la matiere d'un second cours qu'il entreprit à la sollicitation de quelques personnes qui avoient suivi le premier. Son pere vivoit encore, & l'autorité dont il jouissoit, suspendoit l'éclat des haines sourdes que Thomasius se faisoit de jour en jour par sa liberté de penser ; mais bientôt il perdit le repos avec cet appui.

Il s'étoit contenté d'enseigner avec Puffendorf que la sociabilité de l'homme étoit le fondement de la moralité de ses actions ; il l'écrivit ; cet ouvrage fut suivi d'un autre où il exerça une satyre peu menagée sur différens auteurs, & les cris commencerent à s'élever. On invoqua contre lui l'autorité ecclésiastique & séculiere. Les défenseurs d'Aristote pour lequel il affectoit le plus grand mépris, se joignirent aux jurisconsultes, & cette affaire auroit eu les suites les plus sérieuses, si Thomasius ne les eût arrêtées en fléchissant devant ses ennemis. Ils l'accusoient de mépriser la religion & ses ministres, d'insulter à ses maîtres, de calomnier l'église, de douter de l'existence de Dieu ; il se défendit, il ferma la bouche à ses adversaires, & il conserva son franc-parler.

Il parut alors un ouvrage sous ce titre, interesse principum circa religionem evangelicam. Un professeur en théologie, appellé Hector Godefroi Masius, en étoit l'auteur. Thomasius publia ses observations sur ce traité ; il y comparoit le lutheranisme avec les autres opinions des sectaires, & cette comparaison n'étoit pas toujours à l'avantage de Masius. La querelle s'engagea entre ces deux hommes. Le roi de Danemarck fut appellé dans une discussion où il s'agissoit entr'autres choses de savoir si les rois tenoient de Dieu immédiatement leur autorité ; & sans rien prononcer sur le fond, sa majesté danoise se contenta d'ordonner l'examen le plus attentif aux ouvrages que Thomasius publieroit dans la suite.

Il eut l'imprudence de se mêler dans l'affaire des Piétistes, d'écrire en faveur du mariage entre des personnes de religions différentes, d'entreprendre l'apologie de Michel Montanus accusé d'athéisme, & de mécontenter tant d'hommes à la fois, que pour échapper au danger qui menaçoit sa liberté, il fut obligé de se sauver à Berlin, laissant en arriere sa bibliotheque & tous ses effets qu'il eut beaucoup de peine à recouvrer.

Il ouvrit une école à Halles sous la protection de l'électeur ; il continua son ouvrage périodique, & l'on se doute bien qu'animé par le ressentiment & jouissant de la liberté d'écrire tout ce qu'il lui plaisoit, il ne ménagea guere ses ennemis. Il adressa à Masius même les premieres feuilles qu'il publia. Elles furent brûlées par la main du bourreau ; & cette exécution nous valut un petit ouvrage de Thomasius, où sous le nom de Attila Fréderic Frommolohius, il examine ce qu'il convient à un homme de bien de faire, lorsqu'il arrive à un souverain étranger de flétrir ses productions.

L'école de Halles devint nombreuse. L'électeur y appella d'autres personnages célebres, & Thomasius fut mis à leur tête. Il ne dépendoit que de lui d'avoir la tranquillité au milieu des honneurs ; mais on n'agitoit aucune question importante qu'il ne s'en mêlât ; & ses disputes se multiplioient de jour en jour. Il se trouva embarrassé dans la question du concubinage, dans celle de la magie, des sortileges, des vénéfices, des apparitions, des spectres, des pactes, des démons. Or je demande comment il est possible à un philosophe de toucher à ces sujets sans s'exposer au soupçon d'irréligion ?

Thomasius avoit observé que rien n'étoit plus opposé aux progrès de nos connoissances que l'attachement opiniâtre à quelque secte. Pour encourager ses compatriotes à secouer le joug & avancer le projet de réformer la philosophie, après avoir publié son ouvrage de prudentiâ cogitandi & ratiocinandi, il donna un abrégé historique des écoles de la Grece ; passant de-là au cartésianisme qui commençoit à entraîner les esprits, il exposa à sa maniere ce qu'il y voyoit de répréhensible, & il invita à la méthode éclectique. Ces ouvrages, excellens d'ailleurs, sont tachés par quelques inexactitudes.

Il traita fort au long dans le livre qu'il intitula, de l'introduction à la philosophie rationelle, de l'érudition en général & de son étendue, de l'érudition logicale, des actes de l'entendement, des termes techniques de la dialectique, de la vérité, de la vérité premiere & indémontrable, des démonstrations de la vérité, de l'inconnu, du vraisemblable, des erreurs, de leurs sources, de la recherche des vérités nouvelles, de la maniere de les découvrir ; il s'attacha surtout à ces derniers objets dans sa pratique de la philosophie rationelle. Il étoit ennemi mortel de la méthode syllogistique.

Ce qu'il venoit d'exécuter sur la logique, il l'entreprit sur la morale ; il exposa dans son introduction à la philosophie morale ce qu'il pensoit en général du bien & du mal, de la connoissance que l'homme en a, du bonheur, de Dieu, de la bienveillance, de l'amour du prochain, de l'amour de soi, &c. d'où il passa dans la partie pratique aux causes du malheur en général, aux passions, aux affections, à leur nature, à la haine, à l'amour, à la moralité des actions, aux tempéramens, aux vertus, à la volupté, à l'ambition, à l'avarice, aux caracteres, à l'oisiveté, &c.... Il s'efforce dans un chapitre particulier à démontrer que la volonté est une faculté aveugle soumise à l'entendement, principe qui ne fut pas goûté généralement.

Il avoit surtout insisté sur la nature & le mêlange des tempéramens ; ses réflexions sur cet objet le conduisirent à des vues nouvelles sur la maniere de découvrir les pensées les plus secrettes des hommes par le commerce journalier.

Après avoir posé les fondemens de la réformation de la logique & de la morale, il tenta la même chose sur la jurisprudence naturelle. Son travail ne resta pas sans approbateurs & sans critiques ; on y lut avec quelque surprise que les habitudes théorétiques pures appartiennent à la folie, lors même qu'elles conduisent à la vérité : que la loi n'est point dictée par la raison, mais qu'elle est une suite de la volonté & du pouvoir de celui qui commande : que la distinction de la justice en distributive & commutative est vaine : que la sagesse consiste à connoître l'homme, la nature, l'esprit & Dieu : que toutes les actions sont indifférentes dans l'état d'intégrité : que le mariage peut être momentané : qu'on ne peut démontrer par la raison que le concubinage, la bestialité, &c. soient illicites &c...

Il se proposa dans ce dernier écrit de marquer les limites de la nature & de la grace, de la raison & de la révélation.

Quelque tems après il fit réimprimer les livres de Poiret de l'érudition vraie, fausse & superficielle.

Il devint théosophe, & c'est sous cette forme qu'on le voit dans sa pneumatologie physique.

Il fit connoissance avec le médecin célebre Fréderic Hoffman, & il prit quelques leçons de cet habile médecin, sur la physique méchanique, chymique & expérimentale ; mais il ne goûta pas un genre d'étude qui, selon lui, ne rendoit pas des vérités en proportion du travail & des dépenses qu'il exigeoit.

Laissant-là tous les instrumens de la physique, il tenta de concilier entr'elles les idées mosaïques, cabalistiques & chrétiennes, & il composa son tentamen de naturâ & essentiâ spiritûs. Avec quel étonnement ne voit-on pas un homme de grand sens, d'une érudition profonde, & qui avoit employé la plus grande partie de sa vie à charger de ridicules l'incertitude & la variété des systèmes de la philosophie sectaire, entêté d'opinions mille fois plus extravagantes. Mais Newton, après avoir donné son admirable ouvrage des principes de la philosophie naturelle, publia bien un commentaire sur l'apocalypse.

Thomasius termina son cours de philosophie par la pratique de la philosophie politique, dont il fait sentir la liaison avec des connoissances trop souvent négligées par les hommes qui s'occupent de cette science.

Il est difficile d'exposer le système général de la philosophie de Thomasius, parce qu'il changea souvent d'opinions.

Du reste ce fut un homme aussi estimable par ses moeurs que par ses talens. Sa vie fut innocente, il ne connut ni l'orgueil ni l'avarice ; il aima tendrement ses amis ; il fut bon époux ; il s'occupa beaucoup de l'éducation de ses enfans ; il chérit ses disciples qui ne demeurerent pas en reste avec lui ; il eut l'esprit droit & le coeur juste ; & son commerce fut instructif & agréable.

On lui reproche son penchant à la satyre, au scepticisme, au naturalisme, & c'est avec juste raison.

Principes généraux de la philosophie de Thomasius.

Tout être est quelque chose.

L'ame de l'homme a deux facultés, l'entendement & la volonté.

Elles consistent l'une & l'autre en passions & en actions.

La passion de l'entendement s'appelle sensation ; la passion de la volonté, inclination. L'action de l'entendement s'appelle méditation ; l'action de la volonté, impulsion.

Les passions de l'entendement & de la volonté précedent toujours les actions ; & ces actions sont comme mortes sans les passions.

Les passions de l'entendement & de la volonté sont des perceptions de l'ame.

Les êtres réels s'apperçoivent ou par la sensation & l'entendement, ou par l'inclination & la volonté.

La perception de la volonté est plus subtile que la perception de l'entendement ; la premiere s'étend aux visibles & aux invisibles.

La perceptibilité est une affection de tout être, sans laquelle il n'y a point de connoissance vraie de son essence & de sa réalité.

L'essence est dans l'être la qualité sans laquelle l'ame ne s'apperçoit pas.

Il y a des choses qui sont apperçues par la sensation ; il y en a qui le sont par l'inclination, & d'autres par l'un & l'autre moyen.

Etre quelque part, c'est être dedans ou dehors une chose.

Il y a entre être en un lieu déterminé, & être quelque part, la différence de ce qui contient à ce qui est contenu.

L'amplitude est le concept d'une chose en tant que longue ou large, abstraction faite de la profondeur.

L'amplitude est ou l'espace où la chose est ou mue ou étendue, ou le mu ou l'étendu dans l'espace, ou l'extension active, ou l'étendu passif, ou la matiere active, ou la chose mue passivement.

Il y a une étendue finie & passive. Il y en a une infinie & active.

Il y a de la différence entre l'espace & la chose étendue, entre l'extension & l'étendue.

On peut considérer sous différens aspects une chose ou prise comme espace, ou comme chose étendue.

L'espace infini n'est que l'extension active où tout se meut, & qui ne se meut en rien.

Il est nécessaire qu'il y ait quelqu'étendu fini, dans lequel, comme dans l'espace, un autre étendu ne se meuve pas.

Dieu & la créature sont réellement distingués ; c'est-à-dire que l'un des deux peut au - moins exister sans l'autre.

Le premier concept de Dieu est d'être de lui - même, & que tout le reste sort de lui.

Mais ce qui est d'un autre est postérieur à ce dont il est ; donc les créatures ne sont pas co - éternelles à Dieu.

Les créatures s'apperçoivent par la sensation ; alors naît l'inclination, qui cependant ne suppose pas nécessairement ni toujours la sensation.

L'homme ne peut méditer des créatures qu'il n'apperçoit point, & qu'il n'a pas apperçues par la sensation.

La méditation sur les créatures finit, si de nouvelles sensations ne la réveillent.

Dieu ne s'apperçoit point par la sensation.

Donc l'entendement n'apperçoit point que Dieu vive, & toute sa méditation sur cet être est morte. Elle se borne à connoître que Dieu est autre chose que la créature, & ne s'étend point à ce qu'il est.

Dieu s'apperçoit par l'inclination du coeur qui est une passion.

Il est nécessaire que Dieu mesure le coeur de l'homme.

La passion de l'entendement est dans le cerveau ; celle de la volonté est dans le coeur.

Les créatures meuvent l'entendement ; Dieu meut le coeur.

La passion de la volonté est d'un ordre supérieur, plus noble & meilleure que la passion de l'entendement. Elle est de l'essence de l'homme ; c'est elle qui le distingue de la bête.

L'homme est une créature aimante & pensante ; toute inclination de l'homme est amour.

L'intellect ne peut exciter en lui l'amour de Dieu ; c'est l'amour de Dieu qui l'excite.

Plus nous aimons Dieu, plus nous le connoissons.

Dieu est en lui-même ; toutes les créatures sont en Dieu ; hors de Dieu il n'y a rien.

Tout tient son origine de lui, & tout est en lui.

Quelque chose peut opérer par lui, mais non hors de lui, ce qui s'opere, s'opere en lui.

Les créatures ont toutes été faites de rien, hors de Dieu.

L'amplitude de Dieu est infinie ; celle de la créature est finie.

L'entendement de l'homme, fini, ne peut comprendre exactement toutes les créatures.

Mais la volonté inclinée par un être infini, est infinie.

Rien n'étend Dieu ; mais il étend & développe tout.

Toutes les créatures sont étendues ; & aucune n'en étend une autre par une vertu qui soit d'elle.

Etre étendu n'est pas la même chose que d'avoir des parties.

Toute extension est mouvement.

Toute matiere se meut ; Dieu meut tout, & cependant il est immobile.

Il y a deux sortes de mouvement, du non être à l'être, ou de l'espace, à l'espace ou dans l'espace.

L'essence de Dieu étoit une amplitude enveloppée avant qu'il étendît les créatures.

Alors les créatures étoient cachées en lui.

La création est un développement de Dieu, ou un acte, parce qu'il a produit de rien, en s'étendant, les créatures qui étoient cachées en lui.

N'être rien ou être caché en Dieu, c'est une même chose.

La création est une manifestation de Dieu, par la créature produite hors de lui.

Dieu n'opere rien hors de lui.

Il n'y a point de créature hors de Dieu ; cependant l'essence de la créature differe de l'essence de Dieu.

L'essence de la créature consiste à agir & à souffrir, ou à mouvoir & à être mue ; & c'est ainsi que la sensation de l'homme a lieu.

La perception par l'inclination est la plus déliée ; il n'y en a point de plus subtile ; le tact le plus délicat ne lui peut être comparé.

Tout mouvement se fait par attouchement ou contact, ou application ou approche de la chose qui meut à la chose qui est mue.

La sensation se fait par l'approximation de la chose au sens, & l'inclination par l'approximation de la chose au coeur.

Le sens est touché d'une maniere visible, le coeur d'une maniere invisible.

Tout contact du sens se fait par pulsion ; toute motion de l'inclination, ou par pulsion ou par attraction.

La créature passive, l'être purement patient, s'appelle matiere ; c'est l'opposé de l'esprit. Les opposés ont des effets opposés.

L'esprit est l'être agissant & mouvant.

Tout ce qui caractérise passion est affection de la matiere ; tout ce qui marque action est affection de l'esprit.

La passion indique étendu, divisible, mobile ; elle est donc de la matiere.

La matiere est pénétrable, non pénétrante, capable d'union, de génération, de corruption, d'illumination & de chaleur.

Son essence est donc froide & ténébreuse ; car il n'y a rien dans cela qui ne soit passif.

Dieu a donné à la matiere le mouvement de non être à l'être ; mais l'esprit l'étend, la divise, la meut, la pénetre, l'unit, l'engendre, la corrompt, l'illumine, l'échauffe & la réfroidit ; car tous ces effets marquent action.

L'esprit est par sa nature lucide, chaud & spirant, ou il éclaire, échauffe, étend, meut, divise, pénetre, unit, engendre, corrompt, illumine, échauffe, réfroidit.

L'esprit ne peut souffrir aucun de ces effets de la matiere ; cependant il n'a ni sa motion, ni sa lumiere de lui-même, parce qu'il est une créature, & de Dieu.

Dieu peut anéantir un esprit.

L'essence de l'esprit en elle-même consiste en vertu ou puissance active. Son intention donne la vie à la matiere, forme son essence & la fait ce qu'elle est, après l'existence qu'elle tient de Dieu.

La matiere est un être mort, sans vertu ; ce qu'elle en a, elle le tient de l'esprit qui fait son essence & sa vie.

La matiere devient informe, si l'esprit l'abandonne à elle.

Un esprit peut être sans matiere ; mais la matiere ne peut être sans un esprit.

Un esprit destiné à la matiere desire de s'y unir & d'exercer sa vertu en elle.

Tous les corps sont composés de matiere & d'esprit ; ils ont donc une sorte de vie en conséquence de laquelle leurs parties s'unissent & se tiennent.

L'esprit est dans tous les corps comme au centre ; c'est de-là qu'il agit par rayons, & qu'il étend la matiere.

S'il retire ses rayons au centre, le corps se résout & se corrompt.

Un esprit peut attirer & pousser un esprit.

Ces forces s'exercent sensiblement dans la matiere unie à l'esprit.

Dans l'homme l'attraction & l'impulsion s'appellent amour & haine, dans les autres corps sympathie & antipathie.

L'esprit ne s'apperçoit point par les organes des sens, parce que rien ne souffre par la matiere.

La matiere ténébreuse en elle-même ne peut être ni vue, ni touchée ; c'est par l'esprit qui l'illumine qu'elle est visible ; c'est par l'esprit qui la meut qu'elle est perceptible à l'oreille, &c.

La différence des couleurs, des sons, des odeurs, des saveurs, du toucher, naît de l'efformation & configuration du reste de la matiere.

La chaleur & le froid sont produits par la diversité de la motion de l'esprit dans la matiere ; & cette motion est ou rectiligne ou circulaire.

C'est l'attraction de l'esprit qui constitue la solidité & la fluidité.

La fluidité est de l'attraction de l'esprit solaire ; la solidité est de l'attraction de l'esprit terrestre.

C'est la quantité de la matiere qui fait la gravité ou la légereté, l'esprit du corps séparé de son tout étant attiré & incliné par l'esprit universel ; c'est ainsi qu'il faut expliquer l'élasticité & la raréfaction.

L'esprit en lui-même n'est point opposé à l'esprit. La sympathie & l'antipathie, l'amour & la haine naissent d'opérations diverses que l'esprit exécute dans la matiere, selon la diversité de son efformation & de sa configuration.

Le corps humain, ainsi que tous les autres, a esprit & matiere.

Il ne faut pas confondre en lui l'esprit corporel & l'ame.

Dans tous les corps la matiere mue par l'esprit touche immédiatement la matiere d'un autre corps ; mais la matiere touchée n'apperçoit pas l'attouchement ; c'est la fonction de l'esprit qui lui appartient.

J'entends ici par appercevoir, comprendre & approuver la vertu d'un autre, chercher à s'unir à elle, à augmenter sa propre vertu, lui céder la place, se resserrer. Ces perceptions varient dans les corps avec les figures, & selon les especes. L'esprit au contraire d'un corps à un autre ne differe que par l'acte intuitif, plus ou moins intense.

La division des corps en esprits est une suite de la varieté de la matiere & de sa structure.

Il y a des corps lucides ; il y en a de transparens & d'opaques, selon la quantité plus ou moins grande de la matiere, & les motions diverses de l'esprit.

L'opération ou la perception de l'esprit animal consiste dans l'animal, en ce que l'image du contact est comprise par le cerveau, & approuvée par le coeur ; & conséquemment les membres de l'animal sont déterminés par l'esprit à approcher la chose qui a touché, ou à la fuir.

Si ce mouvement est empêché, l'esprit moteur dans l'animal excite le desir des choses agréables & l'aversion des autres.

La structure de la matiere du corps de l'homme est telle que l'esprit ou conserve les images qu'il a reçues, ou les divise, ou les compose, ou les approuve, ou les haïsse, même dans l'absence des choses, & en soit réjoui ou tourmenté.

Cet esprit & l'esprit de tous les autres corps est immatériel ; il est cependant capable d'approuver le contact de la matiere, du plaisir & de la peine ; il est assujetti à l'intention des opérations conséquentes aux changemens de la matiere ; il est, pour ainsi dire, adhérent aux autres corps terrestres, & il ne peut sans eux perseverer dans son union avec son propre corps.

L'homme consideré sous l'aspect de matiere unie à cet esprit, est l'homme animal.

Sa propriété de comprendre les usages des choses, de les composer & de les diviser, s'appelle l'entendement actif.

Sa propriété de desirer les choses, s'appelle volonté naturelle.

La matiere est hors de l'esprit ; cependant il la pénetre. Il ne l'environne pas seulement. L'esprit qu'elle a & qui l'étend desire un autre esprit, & fait que dans certains corps la matiere s'attache à un second esprit, l'environne & le comprend, s'il est permis de le dire.

Si l'esprit est déterminé par art à s'éprendre de lui-même, il se rapproche & se resserre en lui-même.

Si un corps ne s'unit point à un autre, ne l'environne point, on dit qu'il subsiste par lui-même ; autrement les deux corps ne forment qu'un tout.

L'esprit existe aussi hors des corps, il les environne, & ils se meuvent en lui. Mais ni les corps, ni l'esprit subsistant par lui-même, ne peuvent être hors de Dieu.

On peut concevoir l'extension de l'esprit comme un centre illuminant, rayonant en tout sens, sans matérialité.

L'espace où tous les corps se meuvent est esprit ; & l'e space où tous les esprits se meuvent est Dieu.

La lumiere est un esprit invisible illuminant la matiere.

L'air pur ou l'aether est un esprit qui meut les corps & qui les rend visibles.

La terre est une matiere condensée par l'esprit.

L'eau est une matiere mue & agitée par un esprit interne.

Les corps sont ou terrestres ou spirituels, selon le plus ou le moins de matiere qu'ils ont.

Les corps terrestres ont beaucoup de matiere ; les corps spirituels, tels que le soleil, ont beaucoup de lumiere.

Les corps aqueux abondent en esprit & en matiere. Ils se voyent, les uns parce qu'ils sont transparens, les autres parce qu'ils sont opaques.

Les corps lucides sont les plus nobles de tous ; après ceux-ci ce sont les aériens & les aqueux ; les terrestres sont les derniers.

Il ne faut pas confondre la lumiere avec le feu. La lumiere nourrit tout. Le feu qui est une humeur concentrée détruit tout.

Les hommes ne peuvent s'entretenir de l'essence incompréhensible de Dieu que par des similitudes. Il faut emprunter ces similitudes des corps les plus nobles.

Dieu est un être purement actif, un acte pur, un esprit très-énergique, une vertu très-effrénée, une lumiere, une vapeur très-subtile.

Nous nous mouvons, nous vivons, nous sommes un Dieu.

L'ame humaine est un être distinct de l'esprit corporel.

Le corps du protoplaste fut certainement spirituel, voisin de la nature des corps lucides & transparens ; il avoit son esprit, mais il ne constituoit pas la vie de l'homme.

C'est pourquoi Dieu lui souffla dans les narines l'ame vivifiante.

Cette ame est un rayon de la vertu divine.

Sa destination fut de conduire l'homme & de le diriger vers Dieu.

Et sous cet aspect l'ame de l'homme est un desir perpétuel d'union avec Dieu qu'elle apperçoit de cette maniere. Ce n'est donc autre chose que l'amour de Dieu.

Dieu est amour.

Cet amour illuminoit l'entendement de l'homme, afin qu'il eut la connoissance des créatures. Elle devoit, pour ainsi dire, transformer le corps de l'homme & l'ame de son corps, & les attirer à Dieu.

Mais l'homme ayant écouté l'inclination de son corps, & l'esprit de ce corps, de préférence à son ame, s'est livré aux créatures, a perdu l'amour de Dieu, & avec cet amour la connoissance parfaite des créatures.

La voie commune d'échapper à cette misere, c'est que l'homme cherche à passer de l'état de bestialité à l'état d'humanité, qu'il commence à se connoître, à plaindre la condition de la vie, & à souhaiter l'amour de Dieu.

L'homme animal ne peut s'exciter ces motions, ni tendre au-delà de ce qu'il est.

Thomasius part de-là pour établir des dogmes tout-à-fait différens de ceux de la religion chrétienne. Mais l'exposition n'en est pas de notre objet. Sa philosophie naturelle où nous allons entrer, présente quelque chose de plus satisfaisant.

Principes de la logique de Thomasius. Il y a deux lumieres qui peuvent dissiper les ténebres de l'entendement. La raison & la révélation.

Il n'est pas nécessaire de recourir à l'étude des langues étrangeres pour faire un bon usage de sa raison. Elles ont cependant leur utilité même relative à cet objet.

La logique & l'histoire sont les deux instrumens de la philosophie.

La fin premiere de la logique ou de l'art de raisonner est la connoissance de la vérité.

La pensée est un discours intérieur sur les images que les corps ont imprimées dans le cerveau, par l'entremise des organes.

Les sensations de l'homme sont ou extérieures ou intérieures, & il ne faut pas les confondre avec les sens. Les animaux ont des sens, mais non des sensations. Il n'est pas possible que tout l'exercice de la pensée se fasse dans la glande pinéale. Il est plus raisonnable que ce soit dans tout le cerveau.

Les brutes ont des actions pareilles aux nôtres, mais elles ne pensent pas ; elles ont en elles un principe interne qui nous est inconnu.

L'homme est une substance corporelle qui peut se mouvoir & penser.

L'homme a entendement & volonté.

L'entendement & la volonté ont action & passion.

La méditation n'appartient pas à la volonté, mais à l'entendement.

Demander combien il y a d'opérations de l'entendement, c'est faire une question obscure & inutile.

J'entends par abstractions les images des choses, lorsque l'entendement s'en occupe dans l'absence des choses. La faculté qui les arrête & les offre à l'entendement comme présentes, c'est la mémoire.

Lorsque nous les unissons, ou les séparons à notre discrétion, nous usons de l'imagination.

Déduire des abstractions inconnues de celles qu'on connoît, c'est comparer, raisonner, conclure.

La vérité est la convenance des pensées intérieures de l'homme, avec la nature & les qualités des objets extérieurs.

Il y a des vérités indémontrables. Il faut abandonner celui qui les nie, comme un homme qu'on ne peut convaincre, & qui ne veut pas être convaincu.

C'est un fait constant, que l'homme ne pense pas toujours.

Les pensées qui ne conviennent pas avec l'objet extérieur sont fausses ; si l'on s'y attache sérieusement on est dans l'erreur ; si ce ne sont que des suppositions, on feint.

Le vrai considéré relativement à l'entendement est ou certain ou probable.

Une chose peut être d'une vérité certaine, & paroître à l'entendement ou probable ou fausse.

Il y a rapport & proportion entre tout ce qui a convenance & disconvenance.

Les mots sans application aux choses ne sont ni vrais, ni faux.

Le caractere d'un principe, c'est d'être indémontrable.

Il n'y a qu'un seul premier principe où toutes les vérités sont cachées.

Ce premier principe, c'est que tout ce qui s'accorde avec la raison, c'est-à-dire, les sens & les idées, est vrai, & que tout ce qui les contredit est faux.

Les sens ne trompent point celui qui est sain d'esprit & de corps.

Le sens interne ne peut être trompé.

L'erreur apparente des sens extérieurs naît de la précipitation de l'entendement, dans ses jugemens.

Les sens ne produisent pas toujours en tout les mêmes sensations. Ainsi il n'y a aucune proposition universelle & absolue des concepts variables.

Sans la sensation, l'entendement ne peut rien ni percevoir ni se représenter.

Les pensées actives, les idées, leurs rapports & les raisonnemens, qui équivalent aux opérations sur les nombres, naissent des sensations.

L'algebre n'est pas toutefois la clé & la source de toutes les sciences.

La démonstration est l'éviction de la liaison des vérités avec le premier principe.

Il y a deux sortes de démonstrations ; ou l'on part des sensations, ou d'idées & de définitions & de leur connexion avec le premier principe.

Il est ridicule de démontrer ou ce qui est inutile, ou indémontrable, ou connu en soi.

Autre chose est être vrai, autre chose être faux ; autre chose connoître le vrai & le faux.

L'inconnu est ou relatif, ou absolu.

Il y a des caracteres de la vraisemblance ; ils en sont la base, & ils en mesurent les degrés.

Il y a connoissance ou vraie ou vraisemblable, selon l'espece de l'objet dont l'entendement s'occupe.

Il est impossible de découvrir la vérité par l'art syllogistique.

La méthode se réduit à une seule regle que voici ; c'est disposer la vérité ou à trouver ou à démontrer, de maniere à ne se pas tromper, procédant du facile au moins facile, du plus connu au moins connu.

L'art de découvrir des vérités nouvelles exige l'expérience, la définition & de la division.

Les propositions catégoriques ne sont pas inutiles dans l'examen des vérités certaines, ni les hypothetiques, dans l'examen des vraisemblances.

La condition de l'homme est pire que celle de la bête.

Il n'y a point de principes matériels connés.

L'éducation est la source premiere de toutes les erreurs de l'entendement. De-là naissent la précipitation, l'impatience & les préjugés.

Les préjugés naissent principalement de la crédulité qui dure jusqu'à la jeunesse ; telle est la misere de l'homme, & la pauvre condition de son entendement.

Il y a deux grands préjugés. Celui de l'autorité, & celui de la précipitation.

L'ambition est une source des préjugés particuliers. De-là le respect pour l'antiquité.

Celui qui se propose de trouver la vérité, déposera ses préjugés ; c'est-à-dire, qu'il doutera méthodiquement ; qu'il rejettera l'autorité humaine, & qu'il donnera aux choses une attention requise. Il s'attachera préalablement à une science qui le conduise à la sagesse réelle. C'est ce qu'il doit voir en lui-même.

Nous devons aux autres nos instructions & nos lumieres. Pour cet effet, nous examinerons s'ils sont en état d'en profiter.

Les autres nous doivent les leurs. Nous nous rapprocherons donc de celui en qui nous reconnoîtrons de la solidité, de la clarté, de la fidélité, de l'humanité, de la bienveillance, qui n'accablera point notre mémoire, qui dictera peu, qui saura discerner les esprits, qui se proportionnera à la portée de ses auditeurs, qui sera l'auteur de ses leçons, & qui évitera l'emploi de mots superflus & vuides de sens.

Si nous avons à enseigner les autres, nous tâcherons d'acquérir les qualités que nous demanderions de celui qui nous enseigneroit.

S'agit-il d'examiner & d'interprêter les opinions des autres, commençons par nous juger nous-mêmes, & par connoître nos sentimens ; entendons bien l'état de la question ; que la matiere nous soit familiere. Que pourrons-nous dire de sensé, si les loix de l'interprétation nous sont étrangeres, si l'ouvrage nous est inconnu ; si nous sommes ou animés de quelque passion, ou entêtés de quelques préjugés ?

Principes de la pneumatologie de Thomasius. L'essence de l'esprit considéré généralement, ne consiste pas seulement dans la pensée, mais dans l'action ; car la matiere est un être purement passif, & l'esprit est un être entierement opposé à la matiere. Tout corps est composé de l'un & de l'autre, & les opposés ont des prédicats opposés.

Il y a des esprits qui ne pensent point, mais qui agissent ; savoir la lumiere & l'aether.

Toute puissance active est un être subsistant par lui-même, & une subsistance qui perfectionne la puissance passive.

Il n'y a point de puissance passive subsistante par elle - même. Elle a besoin d'une lumiere suffisante pour se faire voir.

Toutes les puissances actives sont invisibles ; & quoique la matiere soit invisible, elle n'en est pas moins l'instrument & le signe de la puissance active.

Sous un certain aspect la lumiere & l'aether font invisibles.

Tout ce qu'on ne peut concevoir privé d'action est spirituel.

Principes de la morale de Thomasius. Le bien consiste dans l'harmonie des autres choses avec l'homme & avec toutes ses forces, non avec son entendement seulement ; sous ce dernier aspect, le bien est la vérité.

Tout ce qui diminue la durée des forces de l'homme, & qui n'en accroit la quantité que pour un tems, est mal.

Toute commotion des organes, & toute sensation qui lui est conséquente, est un mal, si elle est trop forte.

La liberté & la santé sont les plus grands biens que nous tenions de la fortune ; & non les richesses, les dignités, & les amis.

La félicité de l'homme ne consiste ni dans la sagesse ni dans la vertu. La sagesse n'a du rapport qu'à l'entendement, la vertu qu'à la volonté.

Il faut chercher la félicité souveraine dans la modération du desir & de la méditation.

Cet état est sans douleur & sans joie, il est tranquille.

C'est la source de l'amour raisonnable.

L'homme est né pour la société paisible & tranquille, ou de ceux à qui ces qualités sont cheres, & qui travaillent à les acquérir.

L'homme raisonnable & prudent, aime plus les autres hommes que lui-même.

Si l'on entend par la félicité souveraine, l'assemblage le plus complet & le plus parfait de tous les biens que l'homme puisse posséder ; elle n'est ni dans la richesse, ni dans les honneurs, ni dans la modération, ni dans la liberté, ni dans l'amitié ; c'est une chimere de la vie.

La santé est une des qualités nécessaires à la tranquillité de l'ame ; mais ce n'est pas elle.

La tranquillité de l'ame suppose la sagesse & la vertu ; celui qui ne les a pas est vraiment misérable.

La volupté du corps est opposée à celle de l'ame, c'est un mouvement inquiet.

Dieu est la cause premiere de toutes les choses qui changent ; ce n'est point là son essence, elle est dans l'aséité.

La matiere premiere a été créée ; Dieu l'a produite de rien ; elle ne peut lui être coéternelle.

Les choses inconstantes ne peuvent se conserver elles-mêmes ; c'est l'ouvrage du créateur.

Il y a donc une providence divine.

Quoique Dieu donne à tout moment aux choses une vie, une essence, & une existence nouvelle ; elles sont une, & leur état présente le passé & l'avenir ; ce qui les rend mêmes.

La connoissance de l'essence divine est une regle à laquelle l'homme sage doit conformer toutes ses actions.

L'homme sage aimera Dieu sincerement, aura confiance en lui, & l'adorera avec humilité.

La raison ne nous présente rien au-delà de ce culte intérieur ; quant au culte extérieur, elle conçoit qu'il vaut mieux s'y soumettre que de le refuser.

Il y a deux erreurs principales relativement à la connoissance de Dieu, l'athéïsme & la superstition.

Le superstitieux est pire que l'athée.

L'amour est un desir de la volonté de s'unir & de perséverer dans l'union avec la chose dont l'entendement a reconnu la bonté.

On peut considerer l'amour déraisonnable sous différents aspects, ou le desir est inquiet, ou l'objet aimé est mauvais & nuisible, ou l'on confond en lui des unions incompatibles, &c.

Il y a de la différence entre le desir de s'unir à une femme, par le plaisir qu'on en espere, ou dans la vue de propager son espece.

Le desir de posséder une femme doit être examiné soigneusement, si l'on ne veut s'exposer à la séduction secrette de l'amour déraisonnable, cachée sous le masque de l'autre amour.

L'amour raisonnable de ses semblables est un des moyens de notre bonheur.

Il n'y a de vertu que l'amour ; il est la mesure de toutes les autres qualités louables.

L'amour de Dieu pour lui-même est surnaturel ; la félicité éternelle est son but ; c'est aux théologiens à nous en parler.

L'amour de nos semblables est général ou particulier.

Il n'y a qu'un penchant commun à la vertu, qui établisse entre deux êtres raisonnables, un amour vrai.

Il ne faut haïr personne, quoique les ennemis de nos amis nous doivent être communs.

Cinq vertus constituent l'amour universel & commun ; l'humanité, d'où naissent la bienfaisance & la gratitude ; la véracité & la fidélité dans ses promesses, même avec nos ennemis & ceux de notre culte ; la modestie qu'il ne faut pas confondre avec l'humilité ; la modération & la tranquillité de l'ame ; la patience sans laquelle il n'y a ni amour ni paix.

L'amour particulier est l'amour de deux amis, sans cette union il n'y a point d'amitié.

Le mariage seul ne rend pas l'amour licite.

Plus le nombre de ceux qui s'aiment est grand, plus l'amour est raisonnable.

Il est injuste de haïr celui qui aime ce que nous aimons.

L'amour raisonnable suppose de la conformité dans les inclinations, mais il ne les exige pas au même degré.

La grande estime est le fondement de l'amour raisonnable.

De cette estime naît le dessein continuel de plaire, la confiance, la bienveillance, les biens, & les actions en commun.

Les caracteres de l'amour varient selon l'état des personnes qui s'aiment ; il n'est pas le même entre les inégaux qu'entre les égaux.

L'amour raisonnable de soi-même, est une attention entiere à ne rien faire de ce qui peut interrompre l'ordre que Dieu a établi, selon les regles de la raison générale & commune, pour le bien des autres.

L'amour du prochain est le fondement de l'amour de nous-mêmes ; il a pour objet la perfection de l'ame, la conservation du corps, & la préférence de l'amour des autres, même à la vie.

La conservation du corps exige la tempérance, la pureté, le travail, & la fermeté.

S'il y a tant d'hommes plongés dans le malheur, c'est qu'ils n'aiment point d'un amour raisonnable & tranquille.

C'est moins dans l'entendement que dans la volonté & les penchans secrets, qu'il faut chercher la source de nos peines.

Les préjugés de l'entendement naissent de la volonté.

Le malheur a pour base l'inquiétude d'un amour déréglé.

Deux préjugés séduisent la volonté ; celui de l'impatience, & celui de l'imitation : on déracine difficilement celui-ci.

Les affections sont dans la volonté, & non dans l'entendement.

La volonté est une faculté de l'ame qui incline l'homme, & par laquelle il s'excite à faire ou à omettre quelque chose.

Il ne faut pas confondre l'entendement avec les pensées.

La volonté se meut toujours du désagréable à l'agréable, du fâcheux au doux.

Tous les penchans de l'ame sont tournés vers l'avenir & vers un objet absent.

Les affections naissent des sensations.

Le coeur est le lieu où la commotion des objets intérieurs se fait sentir avec le plus de force.

L'émotion du sang extraordinaire est toujours une suite d'une impression violente ; mais cette émotion n'est pas toujours accompagnée de celle des nerfs.

Il n'y a qu'une affection premiere, c'est le desir qu'on peut distinguer en amour ou en haine.

Il ne faut pas compter l'admiration parmi nos penchans.

Les affections ou penchans ne sont en eux-mêmes ni bons ni mauvais ; c'est quand ils sont spécifiés par les objets, qu'ils prennent une qualité morale.

Les affections qui enlevent l'homme à lui-même, sont mauvaises ; & celles qui le rendent à lui-même, bonnes.

Toute émotion trop violente est mauvaise ; il n'y en a de bonnes que les tempérées.

Il y a quatre penchans ou affections générales ; l'amour raisonnable, le desir des honneurs, la cupidité des richesses, le goût de la volupté.

Les hommes sanguins sont voluptueux, les bilieux sont ambitieux, & les mélancoliques sont avares.

La tranquillité de l'ame est une suite de l'harmonie entre les forces de la pensée, ou les puissances de l'entendement.

Il y a trois qualités qui conspirent à former & à perfectionner l'amour raisonnable, l'esprit, le jugement, & la mémoire.

L'amour raisonnable est taciturne, sincere, libéral, humain, généreux, tempérant, sobre, continent, économe, industrieux, promt, patient, courageux, obligeant, officieux, &c.

Tout penchant vicieux produit des vices contraires à certaines vertus.

Un certain mêlange de vices produit le simulacre d'une vertu.

Il y a dans tout homme un vice dominant, qui se mêle à toutes ses actions.

C'est d'une attention qui analyse ce mêlange, que dépend l'art de connoître les hommes.

Il y a trois qualités principales qu'il faut sur-tout envisager dans cette analyse, l'oisiveté ou paresse, la colere & l'envie.

Il faut étouffer les affections vicieuses, & exciter l'amour raisonnable : dans ce travail pénible, il faut s'attacher premierement à l'affection dominante.

Il suppose des intentions pures, de la sagacité & du courage.

Il faut employer la sagacité à démêler les préjugés de la volonté ; ensuite ôter à l'affection dominante son aliment, converser avec les bons, s'exercer à la vertu, & fuir les occasions périlleuses.

Mais pour conformer scrupuleusement sa vie aux regles de la vertu, les forces naturelles ne suffisent pas.

Principes de la jurisprudence divine de Thomasius. Le monde est composé de corps visibles, & de puissances invisibles.

Il n'y a point de corps visible qui ne soit doué d'une puissance invisible.

Ce qu'il y a de visible & de tangible dans les corps s'appelle matiere.

Ce qu'il y a d'invisible & d'insensible, s'appelle nature.

L'homme est de la classe des choses visibles ; outre les qualités qui lui sont communes avec les autres corps, il a des puissances particulieres qui l'en distinguent ; l'ame par laquelle il conçoit & veut, en est une.

Les puissances produisent les différentes especes de corps, en combinant les particules de la matiere, & en les reduisant à telle ou telle configuration.

L'ame en fait autant dans l'homme ; la structure de son corps est l'ouvrage de son ame.

L'homme est doué de la vertu intrinseque de descendre en lui, & d'y reconnoître ses propres puissances & de les sentir.

C'est ainsi qu'il s'assure qu'il conçoit par son cerveau, qu'il veut par son coeur.

L'une de ces actions s'appelle la pensée, l'autre le desir.

L'entendement est donc une faculté de l'ame humaine, qui réside dans le cerveau, & dont la pensée est le produit ; & la volonté, une faculté de l'ame humaine qui réside dans le coeur, & qui produit le desir.

Les pensées sont des actes de l'entendement ; elles ont pour objet, ou les corps, ou les puissances ; si ce sont les corps, elles s'appellent sensations, si ce sont les puissances, concepts.

Les sensations des objets présens, forment le sens commun ; il ne faut pas confondre ces sensations avec leurs objets ; les sensations sont des corps, mais elles appartiennent à l'ame ; il faut y considérer la perception & le jugement.

Il n'y a ni appétit, ni desir de ce qu'on ne connoit pas ; tout appétit, tout desir suppose perception.

La pensée qui s'occupe d'un objet absent, mais dont l'image est restée dans l'entendement, en conséquence de la sensation, s'appelle imagination ou mémoire.

Les pensées sur les corps, considérées comme des tous, sont individuelles.

Il n'y a point de pensées abstraites de la matiere, mais seulement des puissances.

La puissance commune des corps, ou la matiere, s'appelleroit plus exactement la nature du corps.

Quand nous nous occupons d'une puissance, abstraction faite du corps auquel elle appartient, notre pensée est universelle.

On peut rappeller toutes les formes de nos pensées, ou à l'imagination, ou à la formation des propositions.

Dans l'investigation, il y a question & suspension de jugement. Dans la formation des propositions, il y a affirmation & négation : ces actions sont de l'entendement & non de la volonté ; il n'y a point de concept d'un terme simple.

Le raisonnement ou la méditation est un enchaînement de plusieurs pensées.

On a de la mémoire, quand on peut se rappeller plusieurs sensations, les lier, & découvrir par la comparaison la différence que les puissances ont entr'elles.

Toute volonté est un desir du coeur, un penchant à s'unir à la chose aimée ; & tout desir est un effort pour agir.

L'effort de la volonté détermine l'entendement à l'examen de la chose aimée, & à la recherche des moyens de la posséder.

La volonté est donc un desir du coeur accompagné d'un acte de l'entendement.

Si on la considere abstraction faite de la puissance d'agir, on l'appelle appétit sensitif.

La volonté n'est point une pensée : il y a de la différence entre l'effort & la sensation.

Les actions de l'entendement s'exercent souvent sans la volonté, mais la volonté meut toujours l'entendement.

Les puissances des choses qui sont hors de nous meuvent & les facultés du corps & celles de l'entendement, & la volonté.

Il est faux que la volonté ne puisse être contrainte ; pourquoi les puissances invisibles des corps ne l'irriteroient-elles pas, ou ne l'arrêteroient-elles pas ?

La faculté translative d'un lieu dans un autre ne dépend pas de la pensée, c'est la suite de l'effort du coeur ; la volonté humaine ne la produit pas toujours, c'est l'effet d'une puissance singuliere donnée par Dieu à la créature, & concourante avec sa volonté & sa pensée.

L'entendement a des forces qui lui sont propres, & sur lesquelles la volonté ne peut rien ; elle peut les mettre quelquefois en action, mais elle ne peut pas toujours les arrêter.

L'entendement est toujours soumis à l'impulsion de la volonté, & il ne la dirige point, soit dans l'affirmation qu'une chose est bonne ou mauvaise ; soit dans l'examen de cette chose ; soit dans la recherche des moyens de l'obtenir. La volonté ne desire point une chose parce qu'elle paroît bonne à l'entendement ; mais au-contraire elle paroît bonne à l'entendement parce que la volonté la desire.

L'entendement & la volonté ont leurs actions & leurs passions.

L'intellect agit quand la volonté l'incline à la réflexion ; il souffre quand d'autres causes que la volonté le meuvent & le font sentir.

La volonté est passive, non relativement à l'entendement, mais à d'autres choses qui la meuvent. Elle se sert de l'entendement comme d'un instrument pour irriter les affections, par un examen plus attentif de l'objet.

L'entendement agit dans le cerveau. Parler est un acte du corps & non de l'entendement.

La volonté opere hors du coeur, c'est un effort : ses actes ne sont point immanens.

La volonté est le premier agent de la nature humaine, car elle meut l'entendement.

Les actes commandés par la volonté sont ou volontaires, ou moraux & spontanés, ou nécessaires, contraints & physiques.

La nature de l'homme moral est la complexion de la puissance de vouloir, & des puissances qui sont soumises à la volonté.

La raison est le prédicat de l'entendement seul & non de la volonté.

L'entendement juge librement de la nature des choses, du bien & du mal, toutes les fois que la volonté ne le meut pas ; mais il est soumis à la volonté & il lui obéit, en tant qu'il en est mu & poussé.

L'entendement & la volonté ont leur liberté & leur servitude ; l'une & l'autre extrinseques.

Il n'y a donc nul choix de volonté, nulle liberté d'indifférence. Comme on ne conçoit pas toujours dans l'acte de la liberté, qu'elle soit excitée par des puissances extérieures, on dit sous ce point de vue qu'elle est libre.

On accorde aux actions de l'homme la spontanéité parce qu'il en est l'auteur, mais non parce qu'elles sont libres.

Les puissances sont ou en guerre ou d'accord ; dans le premier cas la plus forte l'emporte.

Ce qui conserve les puissances d'un corps est bon ; ce qui détruit les puissances d'un corps, & conséquemment le corps même, est mauvais.

Qu'est-ce que la vie ? l'union des puissances avec le corps. Qu'est-ce que la mort ? la séparation des puissances d'avec le corps. Tant que le corps vit, ses parties qui sont le siége des puissances restent unies ; lorsqu'il se dissout, ses parties se séparent ; les puissances passent à des puissances séparées, car il est impossible qu'elles soient anéanties.

Le corps est mortel, mais les puissances sont immortelles.

Il est particulier à l'homme d'être porté à des biens qui sont contraires au bien général.

L'effort vers une chose qui lui convient s'appelle desir, amour, espérance ; vers une chose qui lui est contraire, haine, fuite, horreur, crainte.

On donne à l'effort le nom de passion, parce que l'objet ne manque jamais de l'exciter.

La raison est saine quand elle est libre, ou non mue par la volonté & qu'elle s'occupe sans son influence de la différence du bien réel & du bien apparent ; corrompue, lorsque la volonté la pousse au bien apparent.

Chaque homme a ses volontés. Les volontés des hommes s'accordent peu ; elles sont très-diverses, souvent opposées : un même homme ne veut pas même constamment ce qu'il a voulu une fois ; ses volontés se contredisent d'un instant à un autre ; les hommes ont autant de passion, & il y a dans chacune de leurs passions autant de diversité qu'il s'en montre sur leurs visages, pendant la durée de leur vie.

L'homme n'est point l'espece infime, & la nature du genre humain n'est pas une & la même.

Il y a dans l'homme trois volontés principales, la volupté, l'avarice, & l'ambition. Elles dominent dans tous, mais diversement combinées ; ce ne sont point des mouvemens divers qui se succedent naturellement, & dirigés par le principe commun de l'entendement & de la volonté.

Des actes volontaires & contradictoires ne peuvent sortir d'une volonté une & commune.

D'où il suit que c'est aux passions de la volonté, à la contrainte & à la nécessité qu'il faut rapporter ce que l'on attribue ordinairement au choix & à la liberté : la discorde une fois élevée, la puissance la plus forte l'emporte toujours.

La volonté est une puissance active de sa nature, parce que plusieurs de ses affections ont leur origine dans d'autres puissances, & que toutes ses actions en sont excitées.

La volupté, l'ambition, l'avarice, sont trois facultés actives qui poussent l'entendement, & qui excitent la puissance translative.

L'espérance, la crainte, la joie, la tristesse, sont des passions de l'ame, qui naissent de la connoissance d'une puissance favorable ou contraire.

Il y a des passions de l'ame qui excitent les premieres volontés ; il y en a d'autres qui les suppriment.

A proprement parler il n'y a que deux différences dans les affections premieres, l'espérance & la crainte ; l'une naît avec nous ; l'autre est accidentelle.

L'espérance naît de quelque volonté premiere ; la crainte vient d'autres puissances.

L'espérance & la crainte peuvent se considérer relativement à Dieu : raisonnables on les appelle piété, crainte filiale ; déraisonnables on les appelle superstition, crainte servile. Celui qui n'est retenu que par des considérations humaines est athée.

L'homme est prudent & sage, lorsqu'il a égard à la liaison des puissances, non-seulement dans leur effet présent, mais encore dans leur effet à venir.

Les prophêtes sont des hommes dont Dieu meut immédiatement la puissance intellectuelle ; ceux dont il dirige immédiatement la volonté, des héros ; ceux dont l'entendement & la volonté sont soumis à des puissances invisibles, des sorciers : l'homme prudent apporte à l'examen de ces différens caracteres la circonspection la plus grande.

La puissance humaine est finie, elle ne s'étend point aux impossibles. En-deçà de l'impossibilité, il est difficile de marquer ses limites.

Il est plus facile de connoître les puissances des corps en les comparant, que les puissances des hommes entr'eux.

Toute puissance, sur-tout dans l'homme, peut être utile ou nuisible.

Il faut plus craindre des hommes qu'en espérer, parce qu'ils peuvent & veulent nuire plus souvent que servir.

Le sage secourt souvent ; craint plus souvent encore ; résiste rarement ; met son espoir en peu de choses, & n'a de confiance entiere que dans la puissance éternelle.

Le sage ne prend point sa propre puissance pour la mesure de la puissance des autres, ni celle des autres pour la mesure de la sienne.

Il y a des puissances qui irritent les premieres volontés ; il y en a qui les appaisent. Les alimens accroissent ou diminuent la volupté ; l'ambition se fortifie ou s'affoiblit par la louange & par le blâme ; l'avarice voit des motifs de se reposer ou de travailler dans l'inégalité des biens.

La volonté dominante de l'homme, sans être excitée ni aidée par des puissances extérieures, l'emporte toujours sur la volonté d'une puissance surordonnée, abandonnée à elle-même & sans secours. Les forces réunies de deux puissances foibles peuvent surmonter la volonté dominante. Le succès est plus fréquent & plus sûr, si les puissances auxiliaires sont extérieures.

Une passion foible, irritée violemment par des puissances extérieures, s'exercera plus énergiquement dans un homme que la passion dominante dans un autre. Pour cet effet il faut que le secours de la puissance extérieure soit grand.

Il y a entre les passions des hommes des oppositions, des concurrences, des obstacles, des secours, des liaisons secrettes que tous les yeux ne discernent pas.

Il y a des émanations, des écoulemens, des simulaires moraux qui frappent les sens & qui affectent l'homme & sa volonté.

La volonté de l'homme n'est jamais sans espérance & sans crainte, & il n'y a point d'action volontaire sans le concours de ces deux passions.

Il n'y a point d'action libre considérée relativement à la seule dépendance de la volonté. Si l'on examine l'action relativement à quelque principe qui la dirige, elle peut être libre ou contrainte.

La puissance de la volonté est libre, quand l'homme suit son espérance naturelle, lorsqu'elle agit en lui sans le concours ou l'opposition d'une force étrangere qui l'attire ou qui l'éloigne. Cette force est ou visible ou invisible ; elle s'exerce ou sur l'ame ou sur le corps.

Toute action qui n'est pas volontaire ou spontanée se fait malgré nous. Il n'en est pas de même dans le cas de la contrainte. Une action contrainte ne se fait pas toujours malgré nous.

Dans l'examen de la valeur morale des actions volontaires, il faut avoir égard non-seulement au mouvement de la volonté qui les a précédées, mais à l'approbation qui les a suivies.

Le spontanée est ou libre ou contraint ; libre, si la volonté a mis en action la puissance translative, sans le concours d'une puissance étrangere favorable ou contraire ; contrainte, s'il est intervenu quelque force, quelque espérance ou quelque crainte extérieure.

Les moeurs consistent dans la conformité d'un grand nombre de volontés. Les sages ont leurs moeurs, qui ne sont pas celles des insensés. Les premiers s'aiment, s'estiment, mettent leur dignité principale dans les qualités de leur entendement, en font l'essence de l'homme & soumettent leurs appétits à leur raison qu'on ne contraint point.

C'est du mêlange des passions qu'il suit qu'entre les insensés, il y en a d'instruits & d'idiots.

La force des passions dominantes n'est pas telle qu'on ne les puisse maîtriser.

Il n'y a point d'homme, si insensé qu'il soit, que la sagesse d'un autre ne domine & ne dispose à l'utilité générale.

Les passions dominantes varient selon l'âge, le climat, & l'éducation : voilà les sources de la diversité des moeurs chez les peuples divers.

Les moeurs des hommes ont besoin d'une regle.

L'expérience & la méditation font le sage.

Les insensés font peu de cas de la sagesse.

Les hommes, dont le caractere est une combinaison de l'ambition & de la volupté, n'ont besoin que du tems & de l'expérience pour devenir sages.

Tous ces principes qu'on établit sur la conscience juste & la conscience erronée, ne sont d'aucune utilité.

Le sage use avec les insensés du conseil & de l'autorité : il cherche à les faire espérer ou craindre.

L'honnête, l'agréable & l'utile sont les objets du sage : ils font tout son bonheur ; ils ne sont jamais séparés.

Dans la regle que le sage imposera aux insensés, il aura égard à leur force.

Le conseil est d'égal à égal ; le commandement est d'un supérieur à son inférieur.

Le conseil montre des biens & des maux nécessaires ; la puissance en fait d'arbitraires. Le conseil ne contraint point, n'oblige point du-moins extérieurement ; la puissance contraint, oblige du-moins extérieurement. Le sage se soumet au conseil ; l'insensé n'obéit qu'à la force.

La vertu est sa propre récompense.

A proprement parler, les récompenses & les châtimens sont extérieurs.

L'insensé craint souvent des douleurs chimériques & des puissances chimériques. Le sage se sert de ces fantômes pour le subjuguer.

Le but de la regle est de procurer aux insensés la paix extérieure, & la sécurité intérieure.

Il y a différentes sortes d'insensés. Les uns troublent la paix extérieure, il faut employer contr'eux l'autorité ; d'autres qui n'y concourent pas, il faut les conseiller & les contraindre ; & certains qui ignorent la paix extérieure, il faut les instruire.

Il est difficile qu'un homme puisse réunir en lui seul le caractere de la personne qui conseille, & le caractere de celle qui commande. Ainsi il y a eu des prêtres & des rois.

Point d'actions meilleures que celles qui tendent à procurer la paix intérieure ; celles qui ne contribuent ni ne nuisent à la paix extérieure, sont comme indifférentes ; les mauvaises la troublent ; il y a dans toutes différens degrés à considérer. Il ne faut pas non plus perdre de vue la nature des objets.

Le juste est opposé au mal extrême ; l'honnête est le bien dans un degré éminent ; il s'éleve au-dessus de la passion ; le décent est d'un ordre moyen entre le juste & l'honnête. L'honnête dirige les actions extérieures des insensés ; le décent est la regle de leurs actions extérieures ; ils sont justes, de crainte de troubler la paix.

Le pacte differe du conseil & de l'autorité ; cependant il n'oblige qu'en conséquence.

La loi se prend strictement pour la volonté de celui qui commande. En ce sens, elle differe du conseil & du pacte.

Le but immédiat de la loi est d'ordonner & de défendre ; elle punit par les magistrats, elle contraint par les jugemens, & elle annulle les actes qui lui sont contraires : son effet est d'obliger.

Le droit naît de l'abandon de sa volonté : l'obligation lie.

Il y a le droit que j'ai, abstraction faite de toute volonté, & celui que je tiens du pacte & de la loi.

L'injure est l'infraction de l'obligation & du droit.

Le droit est relatif à d'autres ; l'obligation est immense : l'un naît des regles de l'honnête ; l'autre des regles du juste.

C'est par l'obligation interne que l'homme est vertueux ; c'est par l'obligation externe qu'il est juste.

Le droit, comme loi, est ou naturel ou positif. Le naturel se reconnoît par l'attention d'une ame tranquille sur elle-même. Le positif exige la révélation & la publication.

Le droit naturel se prend ou pour l'aggrégat de tous les préceptes moraux qui sont dictés par la droite raison, ou pour les seules regles du juste.

Tout droit positif relativement à sa notoriété est humain.

Dieu a gravé dans nos coeurs le droit naturel ; il est divin ; la publication lui est inutile.

La loi naturelle s'étend plus aux conseils qu'à l'autorité. Ce n'est pas le discours de celui qui enseigne, mais de celui qui commande, qui la fait recevoir. La raison ne nous conduit point seule à reconnoître Dieu comme un souverain autorisé à infliger des peines extérieures & arbitraires aux infracteurs de la loi naturelle. Il voit que tous les châtimens qui n'émanent pas de l'autorité, sont naturels, & improprement appellés châtimens. Il n'y a de châtimens proprement dits que ceux qui sont décernés par le souverain, & visiblement infligés. La publication est essentielle aux loix. Le philosophe ne connoît aucune publication de la loi naturelle : il regarde Dieu comme son pere, plus encore que comme son maître. S'il a quelque crainte, elle est filiale & non servile.

Si l'on regarde Dieu comme pere, conseiller, docteur, & que l'honnêteté & la turpitude marque plutôt bonté & malice, ou vice en général, que justice ou injustice en particulier ; les actions sur lesquelles le droit naturel a prononcé ou implicitement ou explicitement, sont bonnes ou mauvaises en elles-mêmes, naturellement & relativement à toute l'espece humaine.

Le droit considéré comme une puissance morale relative à une regle commune & constante à un grand nombre d'hommes, s'appelle droit naturel. Le droit positif est relatif à une regle qui varie.

Le droit de la nature oblige même ceux qui ont des opinions erronnées de la divinité.

Ni la volonté divine, ni la sainteté du droit naturel, ni sa conformité avec la volonté divine, ni son accord avec un état parfait, ni la paix, ni les pactes, ni la sécurité, ne sont point les premiers fondemens du droit naturel.

Sa premiere proposition, c'est qu'il faut faire tout ce qui contribue le plus à la durée & au bonheur de la vie.

Veux-toi à toi-même ce que tu desires des autres, voilà le premier principe de l'honnête : rends aux autres ce que tu exiges d'eux ; voilà le premier principe du décent : ne fais point aux autres ce que tu crains d'eux ; voilà le premier principe du juste.

Il faut se repentir ; tendre à son bonheur par des moyens sages ; reprimer l'excès de ses appétits, par la crainte de la douleur, de l'ignominie, de la misere ; fuir les occasions périlleuses ; se refuser au désespoir ; vivre pour & avec ceux même qui n'ont pas nos moeurs ; éviter la solitude ; dompter ses passions ; travailler sans délai & sans-cesse à son amendement : voilà les conséquences de la regle de l'honnête. Céder de son droit ; servir bien & promtement les autres ; ne les affliger jamais sans nécessité ; ne point les scandaliser ; souffrir leur folie : voilà les suites de la regle du décent. Ne point troubler les autres dans leur possession ; agir avec franchise ; s'interdire la raillerie, &c. voilà les conclusions de la regle du juste.

Il y a moins d'exceptions à la regle du juste & de l'honnête, qu'à celle du décent.

Le sage se fait de l'autorité, par ses discours & ses actions.

Le sage sert par l'exemple, & par le châtiment qu'il ne sépare pas.

Il faut punir & récompenser ceux qui le méritent.

Celui qui suit la regle de la sagesse mérite récompense : celui qui l'enfreint, châtiment.

Le mérite consiste dans le rapport d'une action volontaire, à la récompense & au châtiment.

Imputer, c'est traduire comme cause morale d'un effet moral.

Dans les cas de promesse, il faut considérer l'inspiration relativement à la volonté de celui qui a promis, & à l'aptitude de celui qui a reçu.

La méthode de traiter du droit naturel qu'Hobbes a présentée est très-bonne ; il faut traiter d'abord de la liberté ; ensuite de l'empire, & finir par la religion.

Voilà l'extrait de la philosophie de Thomasius dont on fera quelque cas, si l'on considere le tems auquel il écrivoit. Il a peut-être plus innové dans la langue que dans les choses ; mais il a des idées qui lui appartiennent.

Il mourut en 1728 à Halle, après avoir vécu d'une vie très-laborieuse & très-troublée. Son penchant à la satyre fut la source principale de ses peines ; il ne se contenta pas d'annoncer aux hommes des vérités qu'ils ignoroient, mais il acheva de révolter leur amour-propre, en les rendant ridicules par leurs erreurs.


THOMISMES. m. (Théologie) doctrine de saint Thomas d'Aquin & de ses disciples, appellés Thomistes, principalement par rapport à la prédestination & à la grace.

On ne sait pas positivement quel est le véritable Thomisme : les dominicains prétendent enseigner le Thomisme dans toute sa pureté ; mais il y a des auteurs qui font une distinction entre le Thomisme de S. Thomas & celui des dominicains. Voyez DOMINICAINS.

D'autres soutiennent que le Thomisme n'est qu'un Jansénisme déguisé ; mais on sait que le Jansénisme a été condamné par les papes, & que le pur Thomisme ne l'a jamais été. Voyez JANSENISME.

En effet les écrits d'Alvarez & de LÉmos, chargés par leurs supérieurs d'exposer & de défendre devant le saint siege la doctrine de leur école, ont passé depuis ce tems-là pour la regle du pur Thomisme.

L'école moderne a abandonné les sentimens de plusieurs anciens thomistes, dont les expressions avoient paru trop dures à LÉmos & à Alvarez ; & les nouveaux thomistes qui passent les bornes prescrites par ces deux docteurs, ne peuvent pas donner leurs opinions pour les sentimens de l'école de S. Thomas, comme ayant été défendues & censurées par le pape.

Le Thomisme reçu ou approuvé est celui d'Alvarez & de LÉmos : ces deux auteurs distinguent quatre classes de thomistes : la premiere qu'ils rejettent, détruit le libre arbitre ; la seconde & la troisieme ne different point de la doctrine de Molina. Voyez MOLINISTES.

La derniere embrassée par Alvarez est celle qui admet une prémotion physique, ou une prédétermination qui est un supplément du pouvoir actif qui, par le moyen de ce supplément, passe du premier acte au second, c'est-à-dire d'un pouvoir complet & prochain à l'action. Voyez PREDETERMINATION.

Les Thomistes soutiennent que cette prémotion est offerte à l'homme dans la grace suffisante ; que la grace suffisante est donnée à tout le monde, & que tous les hommes ont un pouvoir complet, indépendant & prochain, non pas pour agir, mais pour rejetter la grace la plus efficace. Voyez SUFFISANT & GRACE.


THOMISTESS. m. pl. (Théolog.) nom que l'on donne aux théologiens d'une école catholique, qui font profession de suivre la doctrine de S. Thomas d'Aquin.

Quoique les Thomistes soient opposés aux Scotistes sur plusieurs points, tels que la distinction des attributs de Dieu, la maniere dont les sacremens operent, l'immaculée conception, &c. cependant ce qui les caractérise particulierement, & ce qui les distingue des autres théologiens molinistes, augustiniens, congruistes, &c. c'est leur systême sur la grace, dont nous allons donner une idée.

La base de leur systême est que Dieu est cause premiere & premier moteur à l'égard de toutes ses créatures ; comme cause premiere, il doit influer sur toutes leurs actions ; parce qu'il n'est pas de sa dignité d'attendre la détermination de la cause seconde ou de sa créature. Comme premier moteur, il doit imprimer le mouvement à toutes les facultés ou les puissances qui en sont susceptibles ; de-là ils concluent :

1°. Que dans quelque état qu'on suppose l'homme, soit avant, soit après sa chûte, & pour quelque action que ce soit, la prémotion de Dieu est nécessaire. Ils appellent cette prémotion prédétermination physique, lorsqu'il s'agit des actions considérées dans l'ordre naturel, & ils la nomment grace efficace par elle-même, quand il s'agit des oeuvres surnaturelles ou méritoires du salut.

2°. Que la grace efficace par elle-même a été nécessaire aux anges & à nos premiers parens pour les oeuvres surnaturelles.

3°. Que quant à l'efficacité de la grace, il n'y a aucune différence entre la grace efficace de l'état de nature innocente, & celle de nature tombée ou corrompue par le péché.

4°. Que cette grace efficace nécessaire pour les oeuvres surnaturelles, fut refusée à Adam & aux anges lorsqu'ils prévariquerent pour la premiere fois, mais qu'elle ne leur fut refusée que par leur faute.

5°. Que quant à l'état de nature innocente & aux oeuvres surnaturelles & libres, soit des anges, soit des hommes dans cet état, il faut admettre en Dieu des decrets absolus, efficaces, & antécédens au libre consentement de la volonté créée.

6°. Que la préscience que Dieu a eu de ces oeuvres étoit fondée sur ses decrets absolus, efficaces, & antécédens.

7°. Que la prédestination dans cet état a été antécédente à la prévision des mérites.

8°. Que la réprobation négative qu'ils font consister dans l'exclusion de la gloire, a été également antécédente à la prévision des péchés, & uniquement fondée sur la volonté de Dieu ; mais que la réprobation positive, c'est-à-dire la destination aux peines éternelles, a été conséquente à la prévision des démérites de ceux qui devoient être ainsi réprouvés.

9°. Qu'Adam ayant péché, tous ses descendans dont il avoit été établi le prince & le chef moral, ont péché en lui ; & qu'ainsi tout le genre humain est devenu une masse de perdition que Dieu auroit pû sans injustice abandonner, comme il a fait les anges prévaricateurs.

10°. Que Dieu par sa pure miséricorde a bien voulu d'une volonté antécédente & de bon plaisir, réparer la chûte du genre humain, & qu'en conséquence, il a décerné de lui envoyer pour rédempteur Jesus - Christ qui est mort pour le salut de tous les hommes, & de conférer à ceux-ci, ou du-moins de leur préparer des secours de grace très-suffisans.

11°. Que par une miséricorde spéciale & antécédemment à la prévision de leurs mérites, il a élu efficacement & prédestiné à la gloire un certain nombre d'hommes préférablement à tout le reste, par un decret que les Thomistes appellent decret d'intention.

12°. Qu'à ceux qu'il a ainsi élus, il accorde certainement la grace efficace, le don de persévérance, & la gloire dans le tems ; mais qu'il n'accorde à tous les autres que des graces suffisantes pour opérer le bien & pour y persévérer.

13°. Que dans l'état de nature tombée, la grace efficace est nécessaire à la créature à double titre ; 1°. à titre de dépendance, parce qu'elle est créature ; 2°. à titre de foiblesse ou d'infirmité, parce que quoique la grace suffisante guérisse la volonté & la rende saine, cependant à cause de l'infirmité de la chair & de ses combats ou de ses révoltes perpétuelles contre l'esprit, la volonté éprouve une très-grande difficulté de faire le bien surnaturel ; elle a un pouvoir véritable, prochain & complet, de le faire, & cependant elle ne le fera jamais sans une grace efficace ; à peu près, disent-ils, comme un convalescent a des forces suffisantes pour faire un voyage, qu'il n'exécutera cependant pas sans quelque autre secours que ses seules forces.

14°. Que la préscience des bonnes oeuvres que l'homme doit faire avec le secours de la grace, est fondée sur un decret efficace, absolu, & antécédent, d'accorder cette grace ; & que la préscience du mal futur est également fondée sur un decret de permission par lequel Dieu par un juste jugement, a résolu de ne point accorder de grace efficace dans les circonstances où elle seroit nécessaire pour éviter le péché.

15°. Que Dieu voit dans ses decrets qui sont ceux qui persévereront dans le bien ; qui sont au contraire ceux qui persévereront dans le mal ; & qu'en conséquence il accorde aux uns la gloire éternelle, il condamne les autres aux supplices de l'enfer par un decret que les Thomistes appellent decret d'exécution.

16°. Que la prédestination ou le decret d'intention d'accorder la gloire aux bons, est absolument & purement gratuit.

17°. Que la réprobation négative dépend uniquement de la volonté de Dieu, & que la réprobation positive suppose la prévision des péchés. Quelques thomistes cependant, comme Lemos & Gonet, pensent que le péché originel est la cause de la réprobation négative.

On accuse communément ce systême de n'être pas favorable à la liberté ; mais les Thomistes se lavent de ce reproche en répondant, 1°. que Dieu en prémeuvant ses créatures raisonnables, ne donne aucune atteinte aux facultés qu'il leur a accordées d'ailleurs, & qu'il veut qu'en agissant elles agissent librement. 2°. Que sous l'action de Dieu la raison propose toujours à la volonté une infinité d'objets entre lesquels celle-ci peut choisir, & que la volonté elle-même étant une faculté que Dieu seul peut remplir & rassasier, trouve toujours quelque chose qu'elle peut desirer ou choisir, ce qui suffit pour la liberté.

On reproche aussi aux Thomistes que la grace suffisante qu'ils admettent, n'est une grace que de nom. A quoi ils répondent que dans leur systême la grace suffisante donne un pouvoir très-complet de faire le bien, in actu primo, comme ils s'expriment ; pouvoir si complet & si réel, que si l'homme en vouloit bien user, il feroit le bien ; que c'est sa faute s'il ne le fait pas ; que dans la grace suffisante Dieu lui en offre une efficace, & que si Dieu ne la lui accorde pas, c'est que l'homme par sa résistance y met obstacle. C'est la doctrine même de S. Thomas : Quod aliquis non habeat gratiam, non est ex hoc quod Deus non velit eam dare, sed quia homo non vult eam accipere. In. ij. dist. 28. quaest. j. art. 4. & ailleurs : Non immerito in culpam imputatur ei qui impedimentum praestat gratiae receptioni, Deus enim quantum in se est paratus est omnibus gratiam dare.... sed illi soli gratia privantur qui in se ipsis gratiae impedimentum praestant : sicut sole illuminante, in culpam imputatur ei qui oculos claudit, si ex hoc aliquod malum sequatur. lib. III. contr. Gent. cap. clix.

Ceux qui affectent de confondre la doctrine des Thomistes avec celle des Jansénistes, se trompent aussi grossierement que ceux qui trouvent que le Molinisme ressuscite les erreurs des Sémi-pélagiens. Voyez EFFICACE, GRACE, MOLINISME, PREDESTINATION, &c.


THOMONDou CLARE, (Géog. mod.) comté d'Irlande, dans la province de Connaught. Il est borné à l'est & au sud par la riviere de Shanon, à l'ouest par l'Océan, & au nord par le comté de Galloway. On lui donne 55 milles de long sur 38 de large, qu'on divise en huit baronies ; cependant il n'y a dans tout ce comté que deux villes qui aient droit de tenir des marchés publics, savoir Cillalow, & Enis-Tow ; cette derniere même est la seule qui députe au parlement d'Irlande. (D.J.)


THONATHON, s. m. (Hist. nat. Icthyolog.) poisson de mer qui ressemble à la pélamy de par la forme du corps, mais il est plus grand & plus épais ; il a de grandes écailles qui sont couvertes d'une peau très-mince ; le museau est pointu & épais ; les deux mâchoires sont garnies de petites dents aiguës & serrées les unes contre les autres ; les yeux sont grands, ronds & saillans ; le dos est noirâtre. Ce poisson a deux nageoires près des ouies, deux à la partie antérieure du ventre, une auprès de l'anus, qui s'étend jusqu'à celle de la queue, une sur la partie antérieure du dos, & une autre à sa partie postérieure, qui va jusqu'à la queue ; la premiere nageoire du dos est composée de longs aiguillons pointus que le poisson dresse à son gré ; ceux qui sont en-avant ont le plus de longueur ; la nageoire de la queue a la figure d'un croissant. On pêche les thons en automne & au printems en Espagne, principalement vers le détroit de Gibraltar, en Provence, en Languedoc, &c. Ce poisson est très-gras ; il a la chair un peu dure & d'un goût un peu piquant. Hist. nat. des poissons, premiere partie, liv. VIII. chap. xij. Voyez POISSON.

THON, (Pêche du) la pêche du thon qui se fait aux côtes des Basques & de Labour, dans le ressort de l'amirauté de Bayonne, commence ordinairement à la mi-Avril, ou au plus tard au commencement de Mai ; elle dure jusques à la fin de Septembre, & même quelquefois elle se continue encore en Octobre, si les thons ne sont pas encore repassés. Elle se fait à la ligne, le bateau toujours à la voile ; les Pêcheurs la font à quelques lieues à la côte, & quand les thons ne la rangent point, & qu'ils s'en éloignent, les Pêcheurs vont quelquefois à quinze & vingt lieues ; il faut du vent pour faire cette pêche avec succès.

Le pêcheur ne met point d'appât à l'hameçon ; il est seulement garni de vieux linge disposé de maniere que le dort de la tige de l'ain est couvert de bleu, & l'hameçon recouvert d'une espece de petit sac de gros bazin blanc taillé en forme d'une sardine dont les thons sont friands ; ensorte que cet hameçon mouillé & ainsi enveloppé, fait illusion au poisson qui est très-vorace, & qui le gobe aussi-tôt.

Pour empêcher le thon de se dégager de la ligne, & d'emporter l'ain en le coupant, les Pêcheurs frappent l'hameçon sur une petite ligne d'environ une brasse de long, formée de huit à dix files de cuivre que le thon ne peut couper ; cette ligne de cuivre est frappée sur une autre de fin fil de coeur de chanvre bien retorse & bien travaillée, de deux à trois brasses de long ; la grosse ligne où elle est amarrée a ordinairement deux cent brasses de long ; chaque double chaloupe en a six, avec lesquelles on peut prendre chaque fois autant de poisson ; quand la pêche est bonne & abondante, une chaloupe peut prendre par jour cent, cent cinquante thons, dont quelques-uns pesent jusques à deux quintaux & plus.

Tous ces poissons & les autres qui se pêchent à cette côte, se consomment sur les lieux, & même les Espagnols voisins viennent quelquefois en prendre en échange d'huile d'olive, de vin d'Espagne, & d'autres semblables denrées.

Les Basques n'ont point l'usage de saler & de mariner le thon, qui s'y trouve souvent à si grand marché, qu'il ne revient pas à un sol la livre, & même à moins.

Les thons meurent aussi-tôt qu'on les a retirés sur le rivage ; alors on les vuide, on les dépece par tronçons ; on les rôtit sur de grands grils de fer ; on les frit dans l'huile d'olive ; on les assaisonne de sel, de poivre, & enfin on les encaque dans de petits barrils avec de nouvelle huile d'olive, & un peu de vinaigre. Le thon ainsi préparé s'appelle thonine, dont l'une est désossée, c'est-à-dire sans arrête, & l'autre a les arêtes du poisson. (D.J.)

THON D'ARISTOTE, voyez PELAMYDE.

THON, (Médailles & Littér.) les Sinopiens tiroient autrefois un grand profit de la pêche du thon qui se faisoit sur leur rivage, où en certain tems, selon Strabon, ce poisson se vendoit en quantité. C'est la raison pour laquelle ils le représentoient sur leurs monnoies, comme il paroît par les médailles de Géta. Ce poisson venoit des Palus Méotides, passoit à Trébisonde & à Pharnacie, où l'on en faisoit la premiere pêche ; il alloit de-là le long de la côte de Sinope, où s'en faisoit la seconde pêche ; il traversoit ensuite jusqu'à Byzance, où s'en faisoit une troisieme pêche.

Les Romains qui alloient à la pêche des thons, faisoient des sacrifices de thon à Neptune, nommé , pour le prier de détourner de leurs filets le poisson , qui les déchiroit, & de prévenir les secours que les dauphins rendoient aux thons. Aussi sacrifioient-ils à Neptune le premier thon qu'ils prenoient.

Les Grecs en particulier faisoient grand cas des entrailles de thon, sur quoi Athénée rapporte un bon mot du poëte Dorion qui n'étoit pas de ce goût : un convive louoit extrêmement un plat d'entrailles de thon qu'on servit à la table de Philippe de Macédoine : elles sont excellentes, dit Dorion ; mais il faut les manger comme je les mange : eh comme les mangez-vous donc, reprit le convive ? comment, répondit Dorion ? je les mange avec une ferme résolution de les trouver bonnes. (D.J.)

THON, (Géog. anc.) ville de l'Afrique propre. Ce fut dans cette ville qu'Annibal se retira quand son armée eut été défaite par Scipion ; mais la crainte que les Brutiens, qui l'avoient suivi, ne le livrassent aux Romains, l'engagea d'en sortir bientôt après secrettement. (D.J.)

THON, le, (Géog. mod.) petite riviere de France en Poitou ; elle a sa source à Maulion, & se jette dans la Touc à Montreuil-Bellay. (D.J.)


THONÉEvoyez HUNE.


THONINES. f. (Comm.) chair de thon coupée & salée ; la plus maigre est la meilleure.


THONIS(Géog. anc.) ville d'Egypte. Strabon, liv. XVII. p. 800. & Etienne le géographe la placent vers l'embouchure canopique ; elle ne subsistoit plus de leur tems. Strabon remarque qu'elle avoit eu son nom du roi Thonis, qui reçut chez lui Ménélas & la belle Hélène. Diodore de Sicile, liv. I. ch. xij. fait aussi mention de cette ancienne ville. (D.J.)


THONNAIRES. m. (Pêche) nom d'un filet dont on se sert sur la Méditerranée pour prendre des thons & autres grands poissons.


THONON(Géog. anc.) petite ville de Savoye, au duché de Chablais, dont elle est capitale, près de l'embouchure de la Drance dans le lac de Genève. Long. 24. 12. lat. 46. 22.

Amédée IX. duc de Savoye naquit dans cette petite ville l'an 1435 ; c'étoit un prince plein de douceur & de bonnes qualités ; mais la foible constitution de sa santé l'engagea de donner la régence de ses états à Yolande de France son épouse, dont il eut six fils & quatre filles. Il mourut à Verceil l'an 1472, à l'âge de 37 ans. (D.J.)


THOOSES. f. (Mythol.) nymphe marine fille de Phorcys roi puissant de la mer, & de plus dieu marin, selon Homere, Odyssée, l. I. v. 71. Elle eut de Neptune le cyclope Poliphème, si célebre par l'Odyssée, & par la piece d'Euripide, intitulée le Cyclope. (D.J.)


THORS. m. (Mythol.) divinité adorée par les anciens peuples du nord. Il étoit l'aîné des fils d'Odin ; il régnoit sur les airs, lançoit la foudre, excitoit & appaisoit les tempêtes ; faisoit du bien aux hommes, & les protégeoit contre les attaques des géants & des mauvais génies. On le regardoit même comme le défenseur & le vengeur des dieux. On représentoit Thor à la gauche d'Odin son pere ; il avoit une couronne sur la tête, un sceptre dans une main, & une massue dans l'autre. Quelquefois on le peignoit sur un char traîné par deux boucs de bois, avec un frein d'argent, & la tête couronnée d'étoiles. On croit que Thor étoit la même chose que le Mithras des Perses ou que le Soleil. Les peuples du nord célébroient en son honneur une grande fête, nommée juul ; elle se célébroit au solstice d'hiver ; on y faisoit des sacrifices pour obtenir une année abondante. On se livroit d'ailleurs à la joie ; on faisoit des festins & des danses ; & M. Mallet croit que c'est cette fête qui a donné lieu aux réjouissances que les peuples du nord font encore aujourd'hui, à l'occasion des fêtes de Noël. Par les fonctions que la mythologie celtique attribuoit au dieu Thor, César l'a confondu avec le Jupiter des Grecs & des Romains. Lucain lui donne le nom de Taranis, mot qui signifie encore aujourd'hui tonnerre, chez les habitans de la principauté de Galles en Angleterre. Le même jour de la semaine qui étoit consacré à Jupiter chez les Romains, c'est-à-dire le jeudi, étoit consacré à Thor chez les peuples du nord, & il s'appelle encore aujourd'hui Thors dag, le jour de Thor ; d'où est venu le thur's day des Anglois, qui signifie le jeudi. Voyez l'introduction à l'hist. de Danemarck. (-)


THORAS. f. (Hist. nat. Botan.) thora folio cyclaminis, J. B. thora venenata, Gen. seu pthora valdensium, Clus. Adv. Lobel. Aconitum pardalianches, seu thora major, C. B. P. Ranunculus, cyclaminis folio, asphodeli radice, Tournefort.

Cette plante est une espece de renoncule qui pousse de sa racine deux ou trois feuilles presque rondes, semblables à celles du cyclamen, mais une fois aussi grandes, dentelées en leurs bords, nerveuses, fermes, attachées par des queues. Il s'éleve d'entr'elles une tige à la hauteur d'environ demi-pié, garnie en son milieu d'une ou de deux feuilles pareilles à celles d'en-bas, mais sans queue. Ses fleurs naissent aux sommités de la tige, composées chacune de quatre pétales jaunes disposés en rose. Quand cette fleur est passée, il paroît un fruit arrondi, où sont ramassées en maniere de tête, plusieurs semences plates. Sa racine est à petits navets, comme celle de l'asphodele. Cette plante contient beaucoup de sel corrosif & d'huile ; on se sert de son suc pour empoisonner les fleches & les armes dont on tue les loups, & autres bêtes nuisibles.

La thora croît en abondance dans les montagnes de Savoye & de Piémont. Comme son suc est un poison très-actif, on accusa les malheureux Vaudois de l'avoir employé dans les guerres qu'ils eurent à soutenir pour leur défense contre la France & le duc de Savoye en 1560, parce qu'un petit nombre de Vaudois battit leurs troupes en plusieurs occasions ; on les accusa, dis-je, d'avoir trempé la pointe de leurs épées & de leurs dards dans le suc de leur thora ; mais la vérité est que ces braves gens réduits au désespoir, combattoient pour leurs vies, leurs biens & leur religion, & qu'ils tremperent leurs épées dans la rage & la vengeance.

Mais ce qu'il y a de plus vrai, c'est que les Espagnols, dans le tems que l'arbalete étoit leur arme principale, empoisonnerent réellement leurs fleches, comme ils firent en 1570, dans leurs combats contre les Maures, en se servant du suc d'une espece d'ellebore noir qui vient dans les montagnes de Castille. Ils se servirent aussi du suc d'une espece d'aconit qui croît au voisinage de Grenade, & qu'on nomme par cette raison dans le pays, herbe d'arbalete. L'effet de ces deux poisons est de produire des vertiges, des engourdissemens, l'enflure du corps, & la mort. (D.J.)


THORACHIQUECANAL, (Anatom.) conduit par lequel le chyle est porté dans le coeur. C'est un canal mince & transparent qui s'étend le long de l'épine du dos, entre la veine azygos & l'aorte ; passe derriere l'aorte à gauche, monte derriere la veine souclaviere gauche, & s'ouvre dans la partie postérieure de cette veine attenant le côté externe de la jugulaire interne.

Il mérite toute l'attention des physiciens ; car, comme dit Cowper, si nous considérons dans ce canal ses diverses divisions & circulations, le grand nombre des valvules qui s'ouvrent de bas en haut, sa situation avantageuse entre la grande artere & les vertebres du dos, & que c'est-là où vont se décharger les vaisseaux lymphatiques qui rapportent la lymphe des poumons & des parties voisines, nous trouverons que tout conduit à la démonstration de l'art suprême que la nature employe pour avancer le chyle, & pour le pousser perpendiculairement de bas en-haut.

Pecquet s'est illustré par la découverte qu'il fit en 1651 de ce reservoir du chyle dans l'homme ; c'est encore par lui que nous savons évidemment que les veines lactées portent le chyle à ce reservoir, qu'il passe de-là par des veines particulieres à-travers la poitrine jusqu'à la hauteur de l'épaule gauche, entre dans la veine souclaviere, & est porté droit au coeur. Il faut en voir la figure dans Cowper, car la plûpart des autres anatomistes ont représenté d'après Eustachi, le reservoir du chyle tel qu'il est dans la bête.

Il importe d'observer que le canal thorachique est exposé à des jeux de la nature. Pecquet a trouvé en 1657, dans un sujet, que ce canal communiquoit avec la veine émulgente, & dans un autre sujet avec la veine lombaire droite. Il se termine dans les uns par une ampoule, & dans les autres par plusieurs branches réunies ; il est encore quelquefois double, un de chaque côté, & quelquefois accompagné d'appendices pampiniformes.

Il montre dans les bêtes des variations, comme dans l'homme. On sait que dans les chiens & les autres animaux qui n'ont point de clavicule, ce canal se décharge ordinairement dans la veine de la patte antérieure gauche ; mais Pecquet & Verheyen ont vu ce conduit se décharger dans la veine de la patte antérieure droite. Bartholin a trouvé une des deux branches qui s'inseroit dans la veine de la patte antérieure gauche, & une autre dans la droite. Enfin van-Horne a eu occasion de voir l'une des deux branches s'ouvrir dans la veine jugulaire. (D.J.)

Les arteres thorachiques, ou mammaires externes, viennent de l'axillaire qui fournit trois ou quatre rameaux, qui se distribuent au grand & au petit pectoral, au grand dentelé, au grand dorsal & à toutes les parties circonvoisines ; elles communiquent avec les mammaires internes & les intercostales. On peut les distinguer par rapport à leur situation, en antérieure, en moyenne & en inférieure.


THORAE(Géog. anc.) peuples de la tribu Antiochide, selon Etienne le géographe, & selon M. Spon, Thorae étoit un lieu maritime entre Phalere & Sunium. (D.J.)


THORAXS. m. en Anatomie, est cette partie du corps humain qui forme la capacité de la poitrine, & renferme le coeur & les poumons. Voyez Pl. anat. (Ostéol.)

Ce mot vient du grec , salire, sauter, à cause du battement continuel du coeur qui est renfermé dans la poitrine. Galien nomme aussi le thorax, cithara, & dit qu'il contient les parties qui excitent à l'amour.

Le thorax est aussi appellé second ventre, ou ventre moyen, & proprement le coffre ou la poitrine. Voyez VENTRE.

Il est terminé en-haut par les clavicules, & en-bas par le cartilage xiphoïde & le diaphragme. La partie antérieure se nomme le sternum ; les parties latérales les côtes ; les parties postérieures sont l'épine & les vertebres du dos & l'omoplate. Voyez COTES, STERNUM, &c.

Outre le coeur & les poumons, le thorax contient encore la veine-cave ascendante, l'aorte, la veine & l'artere pulmonaire, la trachée artere, l'oesophage, &c.

Il est tapissé intérieurement d'une membrane appellée la plevre, & il est partagé dans le milieu par une autre membrane appellée le médiastin. Voy. PLEVRE & MEDIASTIN.

THORAX, (Géog. anc.) montagne de la Magnésie, selon Diodore de Sicile, l. XIV. & Strabon, l. XIV. p. 647. C'est sur cette montagne qu'un certain grammairien nommé Daphitas fut crucifié pour avoir attaqué les rois de Pergame dans ces vers :


THORICUS(Géog. anc.) bourg de l'Attique, dans la tribu Acamantide ; il étoit situé entre Sunium & Potamus, appellé maintenant Porto-Rafti. On trouve cette inscription à Athènes dans le jardin d'Hussein-Bey, dit Spon, liste de l'Attique, p. 344.


THORN(Géog. mod.) ou Toorn, en latin moderne Taurunium, ville de Pologne, dans le palatinat de Culm, à la droite de la Vistule qu'on y passe sur un pont remarquable par sa longueur, qu'on dit être de 1770 aulnes, à trente-cinq lieues de Dantzik.

Thorn est une ville du xiij. siecle, & qui fut d'abord libre. Les chevaliers de l'ordre teutonique s'en emparerent, & en furent ensuite délogés par les rois de Pologne. Charles Gustave la prit l'an 1655, & la rendit par la paix d'Oliva en 1660. Elle fut reprise en 1703 par Charles XII. qui fit démolir ses fortifications. C'étoit une ville anséatique au XV. siecle ; mais elle a perdu depuis son commerce par l'élargissement de la Vistule qui empêche les grands vaisseaux d'y pouvoir aborder. Quoique le luthéranisme y domine, les Catholiques ont la liberté d'y célébrer les cérémonies de leur religion, en vertu de la protection de la Pologne. Long. 36. 35. latit. 53.

C'est à Thorn que naquit en 1473 Copernic (Nicolas) si célebre en Astronomie. Il avoit trouvé le vrai systême du monde & des phénomènes célestes, avant que Ticho-Brahé eût inventé le sien qui n'étoit qu'ingénieux. Il mourut comblé de gloire par cette découverte en 1543, à 70 ans. (D.J.)


THORNAX(Géog. anc.) montagne du Péloponnèse, dans la Laconie. Les modernes la nomment Vouni ; elle est au nord de Magula. Meursius s'est trompé évidemment, quand il a dit que ce fut sur cette montagne que Jupiter prit la figure d'un coucou, pour faire réussir quelque amourette, & tromper la jalousie de Junon. Il confond deux passages de Pausanias ; mais cet auteur dit dans ses corinthiaques que ce déguisement de Jupiter se passa sur une montagne du même nom située auprès de la ville d'Hermione, à plus de trente lieues de Thornax de Laconie. (D.J.)


THORNOS(Géog. anc.) île que Pline, l. IV. c. xij. met au voisinage de celle de Corcyre, en tirant vers la côte de l'Italie. On la nomme aujourd'hui isola Melere, selon le P. Hardouin, qui remarque que les manuscrits ne s'accordent pas sur l'orthographe du nom ancien de cette île. Les uns portent Athoronos, & d'autres Othonoros. (D.J.)


THORS-AA(Géog. mod.) riviere d'Islande, dans sa partie méridionale. C'est une des principales de l'île. Elle a son cours près du mont Hecla. (D.J.)


THORSUS(Géog. anc.) fleuve qui coule au milieu de l'île de Sardaigne, selon Pausanias, liv. X. c. xvij. C'est le Thyrsus de Ptolémée, liv. III. c. iij. & peut-être le Sacer des modernes. (D.J.)


THOSS. m. (Hist. nat. Zoologie anc.) , nom donné par les Grecs à un animal de la classe des renards, mais plus gros que le renard ordinaire, & qui, disent-ils, se nourrissoit principalement & par ruses d'oiseaux aquatiques & de la volaille des basses-cours. (D.J.)


THOTS. m. (Calend. égypt.) dieu des Egyptiens, & semblablement nom du premier mois de l'année égyptienne. Voyez THEUTH. (D.J.)


THOUAILLES. f. (terme de riviere) mot dont on se sert dans les anciennes ordonnances pour signifier une serviette.

" Les sergens, quand ils goûtent les vins étrangers, doivent avoir la thouaille au col, le beau pot doré en une main, & le hanap en l'autre.


THOUARS(Géog. mod.) en latin du moyen âge Toarcis castrum, Toarcium, Toarcius, ville de France, dans le Poitou, sur la riviere de Thoué, entre Argenton-le-Château au couchant, & Loudun au levant, au midi de Saumur, à 12 lieues au sud-est d'Angers. Il y a une élection, une maréchaussée, trois paroisses & plusieurs couvens des deux sexes. Thouars a été anciennement pendant plus de 400 ans dans la maison de ce nom. Louis, seigneur de la Trimouille, traita de ses droits sur ce vicomté avec Louis XI. qui le réunit à la couronne. Charles IX. éleva Thouars en duché en 1563, & Henri IV. l'érigea en duché-pairie en 1595, en faveur de la maison de la Trimouille. Les lettres de pairie furent vérifiées au parlement en 1599. Long. 17. 20. latit. 46. 57.

Bertram (Corneille Bonaventure) né dans cette ville en 1531, se rendit recommandable par ses connoissances des langues orientales. Il mourut à Lausanne l'an 1594, âgé de 63 ans. On a de lui 1°. une république des Hébreux qui est courte & méthodique, 2°. un parallele de la langue hébraïque avec la syriaque, 3°. une révision de la bible françoise de Genève faite sur le texte hébreu, 4°. une nouvelle édition du trésor de Pagninus, 5°. un traité latin de la police des Juifs, &c. (D.J.)


THOUN(Géog. anc.) ville de Suisse, dans le canton de Berne, à quatre lieues de Berne, au bord d'un petit lac qu'on nomme lac de Thoun. Elle est dans un pays fertile, bien cultivé, & en partie dans une île formée par l'Aare. Les Bernois acheterent Thoun en 1357 des comtes de ce nom, & conserverent aux bourgeois tous leurs privileges. Long. 25. 20. latit. 46. 44. (D.J.)


THOURLE, (Géog. mod.) en latin Thyras, Taurus ou Durius, riviere de la Suisse, au pays de Thourgaw. Elle prend sa source dans les montagnes qui sont à l'extrêmité méridionale du Tockembourg, & finit par se jetter dans le Rhin, environ à deux milles au-dessus d'Eglisaw. C'est une riviere rapide, inégale dans son accroissement & son décroissement.


THOUR-THAL(Géog. mod.) c'est-à-dire, la vallée de Thour. On appelloit autrefois de ce nom général tout le comté de Tockembourg en Suisse ; on ne le donne maintenant qu'à une portion peu considérable de ce comté, & qui renferme seulement quelques villages. (D.J.)


THOURGAWLE, (Géog. mod.) ou Thourgau, pays de la Suisse, qui suivant l'origine de son nom, comprend toute cette étendue de pays qui est aux deux côtés de la riviere de Thour, & qui s'avance d'un côté jusqu'au Rhin, & de l'autre jusqu'au lac de Constance. Dans ce sens, il fait toute la partie orientale de la Suisse. Il comprend une partie du canton de Zurich, celui d'Appenzell tout entier, les terres de la république & de l'abbé de Saint-galll, celles de l'évêque de Constance & celles des sept anciens cantons ; mais dans l'usage ordinaire, on entend par le Thourgaw les seules terres qui dépendent de la souveraineté commune des cantons. Dans ce dernier sens, le Thourgaw est un grand bailliage, qui est borné à l'orient en partie par le lac de Constance, & en partie par la ville de ce nom & par les terres de son évêque ; au midi par les terres de l'abbé de Saint-galll ; & à l'occident par le canton de Zurich. Ce bailliage est le plus grand qu'il y ait dans toute la Suisse ; car il comprend quelques villes, plusieurs villages & plus de cinquante paroisses.

Le gouvernement civil du Thourgaw est sous la souveraineté des huit anciens cantons qui y envoyent tour-à-tour pour deux ans, un baillif, dont la résidence est à Frawenfeld. A l'égard du gouvernement spirituel, les quatre principales villes se choisissent elles-mêmes leurs pasteurs, qui composent ensemble un synode. Les catholiques qui font à-peu-près le tiers des habitans, dépendent de l'évêque de Constance. (D.J.)


THRACEPIERRE DE, (Hist. nat.) Thracia gemma. Pline donne ce nom à une pierre dont il dit qu'il y avoit trois especes ; la premiere étoit entierement verte & d'une couleur très-vive ; la seconde étoit d'un verd plus foible ; la troisieme étoit remplie de taches de couleur de sang. Cette description paroît convenir au jaspe.

Les anciens appelloient encore pierre de Thrace, thracius lapis, une substance noire & inflammable que l'on croit être le jais ou jayet, ou le charbon de terre.

THRACE, (Géog. anc.) en grec , en latin, Thracia ou Thracé, grande contrée de l'Europe, renfermée entre le mont Hémus, la mer Egée, la Propontide & le Pont-Euxin. La borne septentrionale du côté du Pont-Euxin, est cependant assez incertaine.

Les anciens géographes, comme le Périple de Scylax, Pomponius Méla & Pline, étendent la Thrace jusqu'à l'embouchure du Danube ; de sorte qu'ils y renferment Istropolis, Tomi & Catalis. Pline a suivi en cela Pomponius Méla ; & peut-être celui-ci a-t-il suivi le périple de Scylax.

Les historiens au contraire, mettent ces trois villes & quelques autres du voisinage dans la Scythie, en-deçà du Danube, ou les marquent simplement sur la côté du Pont-Euxin. Strabon lui-même divise ce quartier-là en côtes pontiques ; savoir, celle qui prend depuis l'embouchure sacrée du Danube, jusqu'aux montagnes qui sont près du mont Hémus ; & celle qui s'étend depuis ces montagnes jusqu'à l'embouchure du Bosphore, près de Bysance.

Les bornes que Ptolémée donne à la Thrace paroissent plus naturelles. Ce qui est au-delà du mont Hémus, il l'attribue à la basse Moesie ; & du côté du Pont-Euxin, il ne pousse pas la Thrace au-delà de la ville Mesembria. En effet, on ne voit pas comment Pline, après avoir marqué le mont Hémus pour la borne de la Thrace dans les terres, a pû le long de la côte, l'étendre si fort au-delà de cette montagne, & la pousser jusqu'au Danube.

La Thrace a été extrêmement peuplée autrefois ; ses habitans étoient robustes & pleins de valeur ; leur fleuve Strymon servit long-tems de bornes entre la Thrace & la Macédoine ; mais Strabon dit qu'aussi - tôt que Philippe eut réduit sous sa domination, plusieurs villes entre le Strymon & le Nessus, on s'accoutuma à confondre sous le nom de Macédoine, le pays conquis nouvellement.

Les poëtes grecs & latins ne nous font pas un beau portrait de la Thrace. Callimaque, Eschile, Euripide & Aristophane l'appellent la patrie de Borée, le séjour des aquilons & le pays des frimats. Virgile, Horace, Ovide & Catulle tiennent le même langage. Sénéque la nomme la mere des neiges & des glaçons ; & Lucain appelle les grands hivers, des hivers de Thrace. Pomponius-Méla, l. II. c. ij. n'en parle pas plus avantageusement. Regio, dit-il, nec caelo laeta, nec solo, & nisi qua mari propior est, infaecunda, frigida, eorumque servatur maximè admodùm patiens. Rarò usquam pomiferam arborem, vitem frequentiùs tolerat, sed nec ejusquidem fructus maturat ac mitigat, nisi ubi frigora objectu frondium, cultores arcuere.

Celui qui a civilisé ces peuples, & qui leur a donné le premier des lois, a été un disciple de Pythagore nommé Zamolxis. Hérodote rapporte les noms d'une multitude infinie de différens peuples qui ont habité la Thrace. Il dit, que s'ils eussent pû, ou se réunir sous un seul chef, ou se lier d'intérêts & de sentimens, ils auroient formé un corps de nation très-supérieur à tout ce qui les environnoit.

Les Thraces avoient eu divers rois depuis Térès, qui eut deux fils, Sitalcée & Sparado. Il y eut de grandes brouilleries entre leurs descendans, qui tour-à-tour se détrônerent, jusqu'à ce que Seuthès reconquit une partie des états de son pere Moësadès, & transmit sa succession paisible à Cotys, pere de Chersoblepte. A la mort de Cotys, les divisions recommencerent, & au lieu d'un roi de Thrace, il y en eut trois, Chersoblepte, Bérisade & Amadocus. A la fin Chersoblepte déposséda les deux autres : après quoi Philippe, roi de Macédoine, le dépouilla lui-même.

La république d'Athènes, après les victoires de Salamine & de Marathon, ne commanda pas seulement dans la Grece, mais conquit beaucoup de villes vers la Thrace, & dans la Thrace même ; entr'autres Pidne, Potidée & Méthone. Ces villes secouerent le joug, dès que Lacédémone à la fin de la guerre du Péloponnèse, eut abattu la puissance d'Athènes ; mais Thimothée l'athénien, les remit encore sous l'obéissance de sa patrie. Le roi Philippe les leur enleva, & se rendit maître de trente-deux villes de la Thrace.

Alexandre acheva la conquête entiere de ce pays, dont les peuples ne recouvrerent leur liberté, qu'après sa mort. Un autre Seuthès, fils ou petit-fils de Chersoblepte, entra aussi-tôt dans les droits de ses ancêtres, & il livra deux sanglantes batailles à Lysimachus, un des capitaines & des successeurs d'Aléxandre.

A quelque tems de-là une partie des Gaulois, qui sous la conduite de Brennus, ravageoient la Grece, se détacha du gros de la nation, & alla s'établir en Thrace. Le premier roi de ces Gaulois thraces s'appella Commontorius, & le dernier Clyaeus, sous qui les Thraces naturels exterminerent les Gaulois, transplantés chez eux, & remirent sur le trône Seuthès, issu de leurs anciens rois. Ce prince & ses descendans régnerent sans interruption jusqu'à Vespasien, qui à la fin, réduisit la Thrace en province romaine.

Depuis ce tems-là, la Thrace a eu le même sort que le reste de la Grece, jusqu'à ce qu'elle soit demeurée sous la puissance des Turcs, que la prise de Constantinople a rendu maîtres du pays.

La Thrace des anciens se nomme aujourd'hui la Romanie de Thrace, pour la distinguer de la Romanie de la Morée ; c'est la province la plus orientale de la Turquie européenne, entre la mer Noire, la mer de Marmora, l'Archipel, la Macédoine & la Bulgarie.

Le P. Briet divise l'ancienne Thrace en Thrace, en-deçà de Rhodope, & Thrace en-delà de Rhodope. La premiere comprend la Thrace médique, grecque ou macédonienne ; la Thrace drausique, sapaïque, corpialique ; la province de Bysance, la Thrace cénique, sellétique & samaïque. La seconde Thrace audelà du Rhodope, comprend la Thrace usdicestique, la Thrace bennique, danthelétique, bessique ; & enfin la Quersonnèse de Thrace.

La notice de l'empire, depuis Constantin jusqu'à Arcadius & Honorius, renferme dans la Thrace six provinces, qui sont l'Europe, Rhodope, la Thrace, l'Hémimont, la seconde Moësie, & la Scythie.

Les Thraces étoient naturellement féroces, violens, emportés & cruels ; cependant ceux qui venoient des colonies de Phénicie, & qui demeuroient au voisinage de la Grece, se policerent, & se rendirent célebres dans les arts & dans les sciences ; leur pays produisit Orphée, Linus & Musée, dont j'ai déja parlé dans cet ouvrage.

Phèdre étoit aussi de Thrace ; il fut réduit à l'esclavage, ensuite affranchi sous Auguste, & exposé sous Tibere à toutes les persécutions de Séjan, jusqu'à la mort de cet indigne favori d'un tyran odieux. Il ne se soucia jamais d'amasser du bien, & met cette raison entre les choses qui devoient lui faciliter la promotion au rang de poëte. Ses fables sont admirables, & l'on a raison d'être surpris qu'un ouvrage plein d'autant d'agrément & de pureté, que l'est celui de Phèdre, ait été si peu connu pendant plusieurs siecles. Nous avons outre la belle édition d'Hoogstraten, mise au jour à Amsterdam en 1701, in-4 °. celle de Burmann, imprimée dans la même ville en 1727, in -4°. (D.J.)

THRACE, la mer de, (Géog. anc.) Thracium mare. Strabon donne ce nom à la partie de la mer Egée, qui baigne les côtes de la Thrace. (D.J.)

THRACE, bosphore de, (Géog. mod.) autrement dit le canal de Constantinople, qui sépare l'Asie d'avec l'Europe. C'est un canal de 15 milles de long, sur environ deux de large, en des endroits plus, en d'autres moins. Sa promenade est agréable, & son aspect est charmant, voyez les détails au mot BOSPHORE de Thrace. (D.J.)

THRACé, s. f. (Mythol.) nymphe de la fable ; elle étoit fille de Titan, & eut de Saturne Doloneus qui donna son nom aux Dolones ; & de Jupiter elle eut Bithy, qui donna le sien aux Bithyniens. (D.J.)


THRACIUS<Pagus, (Géog. anc.) bourg de l'Asie mineure, dans l'Hellespont, près de la ville de Cyzique.


THRAMBUS(Géog. anc.) promontoire de la Macédoine, selon Etienne le géographe, entre le golfe Thermaïque & le golfe Toronaïque. (D.J.)


THRANITAES. m. (Littérat.) dans les galeres à trois rangs de rames, & trois ponts l'un sur l'autre, on nommoit thranitae les rameurs qui étoient au pont du haut, & zygitae, les rameurs du second pont.

Meibom, dans son discours sur l'architecture navale des anciens, tâche de prouver que la prodigieuse hauteur qu'on a supposé nécessaire aux galeres de plusieurs rangs de rames, est une hauteur imaginaire ; & que le fameux vaisseau de Philopater, qu'on dit avoir eu quarante rangs de rames, & quatre mille rameurs pour le faire aller, pouvoit très - bien être conduit par un si grand nombre de gens.

Cet auteur croit qu'on devroit perfectionner nos propres galeres, d'après le plan qu'il a donné de celles des Romains ; il reconnoît cependant que notre forme mérite la préférence ; mais il voudroit que nous suivissions les mêmes proportions que gardoient les Romains dans la bâtisse de leurs longs vaisseaux.

La question est de savoir si l'une & l'autre, la forme & les proportions, quadreroient ensemble. Les gens de lettres parlent très-bien ! mais qu'ils laissent aux gens de l'art, guidés par la pratique & l'expérience, la gloire de bâtir les vaisseaux & les galeres.


THRASOS(Médec. anc.) ; Hippocrate se sert de ce terme pour signifier une certaine férocité dans le regard & dans les yeux, qui paroît aux approches d'un délire. (D.J.)


THRASYLLUMou THRASYLLUS, (Géog. anc.) montagne de l'Asie mineure, dans la Mysie, au voisinage du fleuve Caïcus. (D.J.)


THRAUSTON(Géog. anc.) ville du Péloponnèse, dans l'Elide. Xénophon la donne aux Acrorians.


THRENODIES. f. (Littérat.) chanson triste ou funebre, en usage chez les anciens dans les cérémonies des funérailles. Voy. FUNERAILLES & FUNEBRE.

Ce mot est grec, & composé de , pleurs, lamentations, & de , chant.


THRIA(Géog. anc.) bourg de l'Attique, dans la tribu oenéïde. Les champs des environs s'appelloient campi thriasii. Ce bourg étoit entre Athènes & Eléusis ; il en est souvent parlé dans Thucydide, & dans les autres historiens des guerres d'Athènes. C'étoit la patrie du poëte Cratès, dont Suidas rapporte quelques ouvrages comiques ; la porte d'Athènes par laquelle on sortoit pour y aller, s'appelloit porta thriasia, & fut aussi ensuite nommée Ceramica & Dipylon. Ce bourg donnoit encore son nom au rivage près duquel il étoit situé, & à une riviere voisine.


THRIESS. f. (Littérat.) Les sorts que l'on jettoit dans une urne se nommoient thries, du nom de trois nymphes de l'antiquité, qui demeuroient sur le Parnasse, & qui avoient été nourrices d'Apollon, dieu de la divination. (D.J.)


THRIO(Antiq. grecq.) ; fête particuliere des Grecs, en l'honneur d'Apollon. Voyez sur cette fête Potter, Archaeol. graec. t. I. p. 405. (D.J.)


THRIPSgen. pis. m. (Littérat.) ; nom donné par les Grecs & les Romains, à une espece de ver, né de l'oeuf du scarabé, lequel ver, tandis qu'il est dans cet état de ver, perce le bois, & y fait des cavités de différentes formes, & en des directions différentes, qui ressemblent souvent à des caracteres d'écriture.

Les anciens Grecs se servoient de petits morceaux de bois ainsi rongés, au-lieu de sceau & de cachet, avant l'invention de la gravure ; & en effet, ils répondoient très-bien à cet usage, car il n'étoit guere possible d'imiter l'impression, ni de contrefaire les empreintes que formoient sur la cire ces morceaux de bois ainsi rongés.

Lucien parlant de la maniere qu'il avoit de marquer ses oliviers, emploie le mot thrips, non comme étant le nom d'un ver, mais comme étant celui du morceau de bois percé par l'insecte. Théophraste, Aristote, & Pline, se servent du même mot thrips ; enfin nous trouvons qu'il désigne aussi souvent un morceau de bois percé de divers trous, que l'animal qui les a formés. (D.J.)


THRISMAS. m. (Commerce) étoit une ancienne piece de monnoie de la valeur d'un groat, ou du tiers d'un shelling. C'est apparemment une corruption de tremissis, qui étoit une ancienne monnoie d'Allemagne, de la valeur de quatre sous sterling. Quelques-uns prétendent que c'est une piece de trois shellings ; mais cela paroît une erreur.


THRIUS(Géog. anc.) nom d'une ville, & d'un fleuve du Péloponnèse, dans l'Elide. (D.J.)


THROANA(Géog. anc.) ville de l'Inde, au-delà du Gange. Ptolémée, l. VII. c. ij. la marque dans le pays des Lesti ou des Pirates ; & Castald la nomme Taigin. (D.J.)


THROMBUSS. m. terme de Chirurgie, tumeur formée par un sang épanché, & grumelé sous les tégumens en conséquence d'une saignée. Ce mot vient du grec , qui signifie un grumeau de sang.

La cause de cette tumeur vient de ce qu'on n'a pas fait l'ouverture de la peau assez grande faute d'élévation, ou quand il se présente un morceau de graisse à l'ouverture, alors une portion du sang qui ne peut sortir librement, se glisse dans les cellules du corps graisseux, & forme la tumeur dont nous parlons.

Quand le thrombus est petit, il suffit de mouiller avec de l'eau fraîche, la compresse qu'on applique sur la plaie ; la résolution se fait à merveille par ce petit secours. Si la tumeur est considérable, il faut mettre du sel marin entre les doubles de la compresse mouillée. La résolution s'opere très-aisément & sans inconvénient que l'échymose consécutive du bras. Dans les personnes dont le sang est vicié, sur-tout lorsqu'on a négligé les secours indiqués, le plus petit thrombus attire la suppuration des levres de la plaie. Voyez SAIGNEE. (Y)


THRONES. m. (Archit. & Littér.) mot dérivé du grec ; chaise ou siege magnifique. C'est un siege royal, enrichi d'architecture & de sculpture de matiere précieuse, élevé sur plusieurs degrés, & couvert d'un dais. Le thrône est dans la salle d'audience du souverain.

La description du thrône du Mogol, par Tavernier, est entierement romanesque ; celle du thrône de l'empereur de la Chine, par le P. le Comte, est brodée suivant sa coutume ; & celle du thrône du grand-seigneur, par Duloir, ne l'est pas moins ; mais j'aime la représentation des deux thrônes de l'antiquité, qu'on voit gravés dans les peintures d'Herculanum (Pl. 29). La colombe qui est sur le coussin d'un des deux thrônes, prouve que c'est la représentation du thrône de Venus ; le feston qu'un des génies soutient, paroît être de mirthe, & le sceptre que tient l'autre génie, convient encore à la déesse. Le second thrône est celui de Mars, comme il paroît par le bouclier & le panache que soutiennent deux génies. (D.J.)

THRONE, (Critique sacrée) siege ou tribunal des rois ; le thrône de Salomon étoit d'ivoire, & revêtu d'or pur ; on y montoit par six degrés : aux deux côtés du siege, soutenu sur deux bras, étoient deux figures de lions, & sur les six degrés, douze lionceaux, III. Rois, x. 20. Isaïe & Ezéchiel, pour donner une idée magnifique du thrône du Seigneur, disent : le thrône de l'Eternel est comme un char animé, porté sur un firmament semblable au saphir ; ses roues, d'une grandeur & d'une beauté merveilleuse, sont dirigées par l'esprit ; celui qui est assis sur le thrône, est tout environné de lumiere éclatante, que les yeux des hommes ne peuvent soutenir.

Le mot thrône se prend au figuré pour royaume, état ; affermissez votre thrône par la clémence, Prov. xx. 28. Il désigne aussi la demeure d'un roi ; Jesus - Christ, dans S. Matt. c. v. 34. défend de jurer par le ciel, qui est le thrône de Dieu, ni par aucun autre thrône ; c'est que l'abus des sermens étoit fréquent chez les Juifs, & que ces sermens étoient approuvés. (D.J.)

THRONES, (Crit. sacr.) ; ce mot se trouve dans l'Ep. aux Coloss. j. 16. Toutes choses, dit l'apôtre, ont été par Dieu, visibles ou invisibles ; soit les thrônes, , ou les dominations, les principautés, ou les puissances : il s'exprime ainsi par allusion aux chérubins dont parle Isaïe & Ezéchiel, qui sont dits figurément être autour du thrône du Tout-puissant, parce qu'ils étoient représentés sur l'arche ; mais les hommes ayant forgé une hiérarchie céleste & réelle, ont imaginé que les thrônes étoient les anges de cette hiérarchie, & qu'ils étoient ainsi nommés, parce qu'ils servoient comme de thrônes à la majesté de Dieu. Les peres de l'église ont crû qu'il y avoit trois especes d'anges ; selon eux, ceux du premier ordre, s'appellent les thrônes, & siegent immédiatement au-dessous de la Divinité ; voilà, dit Clément d'Alexandrie, ceux qui sont .


THRONI(Géog. anc.) ville & promontoire de l'île de Cypre, sur la côte méridionale. Le nom moderne est Cabo de Pile, selon Lusignan. (D.J.)


THRONIUM(Géog. anc.) ville des Locres Epicnémidiens, & dans les terres. Cette ville étoit très-ancienne, puisqu'il en est fait mention dans Homere, Iliad. B. v. 533. Scylax est le seul qui place cette ville dans la Phocide. Elle reçut son nom de la nymphe Thronia. (D.J.)


THRYALLIS(Botan.) nom donné par Nicandre, & quelques autres écrivains, à une espece de verbascum ou mollaine, employée par les anciens dans leurs couronnes & leurs guirlandes. Dioscoride l'appelle lychnitis, parce qu'elle étoit d'usage pour servir de meche dans les lampes des Grecs, qui en employoient les tiges après les avoir réduites en petits filets. (D.J.)


THUBEN(Géog. anc.) ville de l'Afrique intérieure. Pline, l. V. c. v. la met au nombre de celles qui furent subjuguées par Cornelius Balbus. (D.J.)


THUBUNA(Géog. anc.) ville de la Mauritanie césarienne, selon Ptolémée. M. Shaw paroît assez bien fondé à la retrouver dans Thabné, ville du pays de Zab, située dans une belle plaine entourée d'un mur de terre. Elle a des jardins & de l'eau ; son terrein produit du froment, de l'orge, du coton, des dattes, & d'autres fruits ; mais les Arabes ont tellement détruit les murs & les édifices de l'ancienne Thubuna, qu'il seroit impossible de déterminer quelle en fut autrefois l'enceinte. (D.J.)


THUIN(Géog. mod.) en latin du moyen âge, Thudinium ; petite ville dans l'évêché de Liege, sur la droite de la Sambre, entre Maubeuge & Charleroi, environ à trois lieues de chacune de ces villes. Thuin est bâtie sur une hauteur, & doit son origine aux anciens abbés de Lobes, dans le x. siecle. Long. 21. 52. lat. 50. 16. (D.J.)


THULou THYLÉ, (Géog. anc.) par les Grecs ; île de l'Océan septentrional, que tous les anciens géographes joignent aux îles Britanniques : mais il y a de grandes difficultés à fixer sa situation, parce que les anciens n'ont point parlé de sa grandeur. Virgile, Géorgiq. l. I. vers 30. appelle cette île ultima Thule. Ptolémée, l. VII. c. v. Agathamere & le géographe Etienne, disent que durant les équinoxes les jours sont à Thulé de vingt heures, & que le milieu de l'île est à 63 degrés de l'équateur. De-là Cellarius pense que par l'île de Thulé, les anciens n'ont point entendu l'Islande, mais l'île de Schetland, ou l'île de Fero, soumises au roi de Danemarck, & dont la position s'accorde avec celle que Ptolémée donne à l'île de Thulé. Le témoignage de Tacite, Vie d'Agric. c. x. appuie ce sentiment : car il dit qu'en navigeant autour de la Grande Bretagne, on apperçoit l'île de Thulé. Or l'Islande est trop éloignée pour pouvoir être apperçue des côtes de la Grande Bretagne.

Cependant si l'on s'en rapporte à Procope, qui s'est fort étendu sur cette île, l. III. de bello Goth. c. xiv. Thulé est dix fois plus considérable que la Grande Bretagne ; elle en est assez éloignée, & est presque déserte du côté du septentrion. Ce discours a engagé plusieurs géographes à prendre la grande Scandinavie, pour être l'île de Thulé. Ortelius pense en particulier, que Thulé est une partie de la Norwege, dont le nom même s'est conservé dans celui de Tilemarck, province de ce royaume. La convenance qui se trouve entre la latitude & la longitude de Tilemarck, avec celle que Ptolémée donne à l'île de Thulé, sert à fortifier la conjecture d'Ortelius ; mais il faut remarquer en même tems, que Procope avoue qu'il ne parle de Thulé que sur le récit d'autrui, & qu'il n'a jamais vu cette île. Il résulte de ce détail que le Thulé des anciens nous est encore inconnu. (D.J.)


THUMELITA(Géog. anc.) ville de la Libye intérieure, située aux environs de la source du fleuve Cinyphis. (D.J.)


THURLA, (Géog. mod.) petite riviere d'Alsace. Elle a sa source dans les montagnes de Vosge, coule dans le Sundgaw, & se perd dans l'Isle, à dix lieues de sa source. (D.J.)


THURIA(Géog. anc.) 1°. ville du Péloponnèse, dans la Messénie. Strabon, l. VIII. dit qu'Aepea, qui de son tems s'appelloit Thuria, étoit voisine de Pherae. Pausanias, Messen, c. xxxj. dit que Thuria étoit dans les terres, à quatre-vingt stades de Pherae, qui étoit a six stades de la mer. Il ajoute que Thuria étoit d'abord bâtie sur une montagne, & qu'ensuite on bâtit dans la plaine, sans abandonner néanmoins le haut de la montagne. Le nom des habitans étoit Thuriatae. Auguste piqué contre les Messéniens, qui avoient pris le parti de Marc-Antoine, donna la ville de Thuria aux Lacédémoniens. Il y en a qui prétendent que cette ville est l'Antheia d'Homere.

2°. Ile de la mer Egée. Plutarque, de exsulio, pag. 602. qui la dit voisine de l'île de Naxos, ajoute qu'elle fut la demeure d'Orion.

3°. Fontaine d'Italie, dans la grande Grece, au voisinage de la ville de Sybaris, selon Diodore de Sicile, l. XII. c. x. Elle donna le nom à la ville de Thurium, qui fut bâtie dans cet endroit. Le nom moderne de cette fontaine est Aqua che Fuella, selon LÉander. (D.J.)


THURIBULUMS. m. (Littérat.) nom que donnoient les Romains au vaisseau dans lequel on brûloit l'encens pour les sacrifices.


THURIFÉRAIRES. m. terme ecclésiastique, c'est le nom qu'on donne à un acholythe ou clerc, qui dans les cérémonies de l'Eglise porte l'encensoir ou la navette. (D.J.)


THURINGE(Géog. mod.) en latin Thuringia, province d'Allemagne, dans le cercle de la haute Saxe, avec titre de landgraviat. Elle est bornée au nord par les duchés de Brunswick & par la principauté d'Anhalt ; à l'orient par la Misnie, dont elle est séparée par la Sala ; au midi par la Franconie ; & à l'occident par la Hesse. Cette province a trente-deux lieues de longueur, & presque autant de largeur : elle abonde en forêts, & est fertilisée pour les grains par les rivieres qui l'arrosent.

La Thuringe est en partie l'ancien pays des Cattes, qui devint après la décadence de l'empire romain, un royaume puissant, d'où il sortit des armées nombreuses, & composées de troupes aguerries. Aujourd'hui ce pays renferme plusieurs états, possédés par l'électeur de Mayence, les ducs de Saxe, & différens comtes. Erford, capitale de toute la Thuringe, appartient à l'électeur de Mayence. Les deux villes impériales de la Thuringe sont Mulhausen & Northausen : ce qu'on nomme la Thuringe-Ballay, répond au mot françois ballival, & consiste en un assemblage de commanderies, qui appartiennent aux chevaliers de l'ordre Teutonique. Si quelqu'un est curieux de connoître l'histoire de tous les anciens monasteres de la Thuringe, il peut consulter l'ouvrage intitulé, Thuringia sacra, Francof. 1737, in-fol. (D.J.)


THURINGIENSLES, (Géog.) Thuringi, Thoringi, & Doringi, peuples de la Germanie, célebres depuis la décadence de l'Empire romain. Vegetius, Mulomedic. liv. IV. ch. vj. qui écrivoit vers la fin du quatrieme siecle, est le premier qui fasse mention des Thuringiens, en disant que leurs chevaux résistoient aisément à la fatigue. Jornandès, Procope, Cassiodore, & Grégoire de Tours, connoissent aussi les Thuringiens, & l'on peut conclure, que puisque les auteurs qui ont écrit avant le quatrieme siecle, n'en parlent en aucune façon, il faut que ces peuples n'ayent pris naissance, ou du-moins n'ayent commencé à se rendre fameux que dans ce siecle-là.

On doit se contenter de regarder comme la premiere demeure des Thuringiens, celle que les auteurs dont nous venons de parler leur donnent ; car ils ont habité auparavant quelqu'autre pays, mais personne ne peut nous instruire là-dessus. On voit que ces Thuringiens habiterent le pays des Chérusques, après que le nom de ceux-ci ne fut plus connu : outre cela, une partie du pays des Hermundures paroît avoir été renfermée dans la Thuringe, qui s'étendit nonseulement en-deçà, mais encore au-delà de la Sala : enfin on trouve que la meilleure partie du pays des Cattes servit à former la Thuringe, qui, lorsqu'elle fut devenue un royaume, s'étendoit du nord au midi, depuis l'Aller jusqu'au Meyn ; la Multa la bornoit à l'orient, & la Fulde & l'Adrana à l'occident.

Vers la fin du cinquieme siecle, & au commencement du sixieme, la Thuringe avoit un roi, & on a les noms des princes qui y regnerent. Bien des auteurs néanmoins font difficulté de leur donner le titre de roi ; mais Spener ne balance point à les reconnoître pour tels. " Le royaume de Thuringe, dit-il, étoit comme celui des Marcomans & comme celui des Francs, quoiqu'il ne leur fût pas comparable pour l'étendue ". Les Thuringiens firent parler d'eux sous leurs rois ; & à la faveur des troubles dont la Germanie étoit agitée, ils eurent occasion d'étendre leurs frontieres, mais ayant voulu attaquer les Francs, après que ceux-ci eurent établi leur domination dans la Gaule, ils furent battus, perdirent une grande partie de leur pays, & devinrent tributaires. Dans la suite, la jalousie de deux freres ébranla cette monarchie, & la fit devenir la proye des Francs & des Saxons, qui profiterent de ces troubles. Voyez son état moderne au mot THURINGE. (D.J.)


THURIUM(Géog. anc.) 1°. ville d'Italie, dans la grande Grece, sur le golfe de Tarente. Pline, liv. III. ch. xj. dit qu'elle étoit bâtie entre le fleuve Crathis & le fleuve Sybaris, où avoit été autrefois la ville de Sybaris ; mais il se trompe, c'étoit dans son voisinage.

Les habitans de Crotone ayant détruit Sybaris, les Athéniens & quelques autres grecs la rebâtirent dans un lieu voisin, & l'appellerent Thuri ou Thurium, du nom d'une fontaine qui se trouvoit auprès. La proximité de l'ancienne Sybaris & de la nouvelle ville, a été cause que quelques auteurs les ont prises pour la même place. Outre Pline, Etienne le géographe dit ; Thurii urbs Italiae, priùs Sybaris dicta. Tite-Live, liv. XXXIV. ch. xliij. nous apprend que les Romains y envoyerent dans la suite une colonie, & lui donnerent le nom de Copia : cependant l'ancien nom paroît avoir prévalu ; car plusieurs siecles après, Ptolémée & les itinéraires l'appellent Thurium. Tite-Live, l. X. c. ij. qui écrit Thuriae, nomme le territoire de cette ville, Thurinus ager, & le golfe sur lequel elle étoit bâtie est appellé Thurinus sinus par Ovide, liv. XV. v. 52. & Diodore de Sicile liv. XII. ch. xc.

On voit encore aujourd'hui quelques vestiges de cette ancienne ville près de la mer, dans le royaume de Naples ; on nomme cet endroit Torre-del-Cupo, & quelques cartes disent, Sybari-roinata ; il y reste un aqueduc, qui pouvoit servir à conduire les eaux de la fontaine Thuria à la ville. Au-dessus de ces ruines on trouve un canton appellé Torrana, mot peut-être corrompu de Thurina ; mais il importe de connoître plus à fond l'histoire de Thurium & des Thuriens, dont Charondas fut le législateur : la voici cette histoire.

Quelque tems après l'entiere destruction de Sybaris par les Crotoniates, Lampon & Xénocrite fonderent, à quelque distance de l'ancienne Sybaris, la ville de Thurium. Diodore de Sicile en parle à-peu-près en ces termes, l. XII. Les Sybarites qui avoient été chassés de la ville qu'ils vouloient rétablir, envoyerent des ambassadeurs à Lacédémone & à Athènes, afin de demander les secours dont ils avoient besoin pour retourner en leur pays, & offrirent des habitations à ceux qui voudroient les y suivre. Les Lacédémoniens n'eurent aucun égard à cette demande ; mais les Athéniens armerent dix vaisseaux sous la conduite de Lampon & de Xénocrite. On fit encore publier l'offre des terres dans tout le Péloponnèse, ce qui attira beaucoup de monde : mais le plus grand nombre étoit des Achéens & des Trézéniens, entraînés à cette migration par les promesses d'un oracle, qui avoit ordonné de poser les fondemens de leur ville dans le lieu où ils trouveroient autant d'eau qu'il en faudroit pour leur usage, & où la terre leur assureroit du blé sans mesure.

Cette flotte passa en Italie, aborda auprès du terrein où étoit Sybaris, & découvrit le lieu que l'oracle sembloit avoir indiqué. Non loin de l'ancienne Sybaris se trouva la fontaine Thuria, dont les eaux étoient conduites dans des tuyaux de cuir. Persuadés que c'étoit à cet endroit que le dieu les adressoit, ils formerent l'enceinte d'une ville, & du nom de la fontaine, ils l'appellerent Thurium. Elle fut partagée dans sa longueur en quatre quartiers ; l'un fut appellé le quartier d'Hercule ; le second celui de Vénus ; le troisieme celui d'Olympie ; & le quatrieme celui de Bacchus. Dans sa largeur elle fut encore coupée en trois quartiers ; l'un fut appellé le quartier des Héros ; le second celui de Thurium, & le troisieme Thurinum. Toute cette enceinte se remplit de maisons bien bâties, bien distribuées, & qui formerent un corps de ville commode & agréable.

Il n'étoit guere possible qu'un peuple composé de nations si différentes se maintînt long-tems en repos. Les Sybarites, comme anciens propriétaires du terrein qui avoit été distribué aux citoyens qu'ils avoient associés, s'attribuerent les premieres places dans le gouvernement, & ne laisserent que les emplois subalternes aux autres. Ils donnerent à leurs femmes les premieres places dans les cérémonies publiques de la religion. Ils prirent pour eux les terres que le voisinage de la ville rendoit plus aisées à exploiter : toutes ces distinctions irriterent ceux qui crurent avoir sujets de se plaindre d'être maltraités. Comme ils étoient en plus grand nombre & plus aguerris, ils en vinrent à une sédition ouverte, & chasserent ou massacrerent presque tout ce qui restoit des anciens Sybarites.

Mais une pareille expédition dépeuplant le pays, laissoit beaucoup de terres d'un bon rapport à distribuer. Ils firent venir de la Grece de nouveaux habitans, à qui ils donnerent, par la voie du sort, des maisons dans la ville, & des terres à mettre en valeur à la campagne. Cette ville devint riche & puissante, fit alliance avec les Crotoniates ; & s'étant formé un gouvernement démocratique, elle distribua ses habitans en dix tribus, dont les trois venues du Péloponnèse furent appellées l'Arcadienne, l'Achéenne, & l'Eléotique. Les trois composées des peuples venus de plus loin furent appellées la Béotique, l'Amphictyonique, & la Dorienne : les quatre autres furent l'Ionienne, l'Athénienne, l'Eubéenne, & l'Insulaire.

Ce sage arrangement fut suivi du choix d'un homme admirable, de Charondas leur illustre compatriote, pour former un corps de lois qui pussent servir à entretenir le bon ordre dans une ville composée d'esprits & de moeurs si différens. Il y travailla si utilement, & fit un triage de toutes les lois qu'il crut les plus sages & les plus nécessaires, d'entre celles qui étoient en vigueur parmi les nations policées ; il y en ajouta quelques-unes que nous allons rapporter après Diodore de Sicile.

Il déclara incapables d'avoir part à l'administration des affaires publiques, ceux qui après avoir eu des enfans d'une premiere femme, passeroient après sa mort à de secondes noces, si les enfans étoient vivans. Pouvoit-on, ajoute-t-il, attendre que des hommes qui prenoient un parti si peu avantageux pour leurs enfans, fussent en état de donner de sages conseils pour la conduite de leur patrie ; & s'ils avoient eu lieu d'être satisfaits d'un premier mariage, ne devoit-il pas leur suffire, sans être si téméraires, que de s'exposer aux hasards d'un second engagement ?

Il condamna les calomniateurs atteints & convaincus à n'oser paroître en public qu'avec une couronne de bruiere, qui présentoit à tous ceux qui les rencontroient, la noirceur de leur crime. Plusieurs ne purent survivre à cette infamie, & se donnerent la mort ; & ceux qui avoient fondé leur fortune sur cette détestable manoeuvre, se retirerent d'une société où la sévérité des lois les obligeoit d'aller porter ailleurs cette maladie contagieuse, qui n'a que trop infecté le monde dans tous les tems.

Charondas avoit aussi senti de quelle importance il étoit de prendre des mesures pour empêcher que les vicieux ne corrompissent les bonnes moeurs par l'attrait de la volupté. Il donna action contr'eux à ceux qui étoient intéressés à prévenir la corruption de leurs enfans ou de leurs parens ; & l'amende étoit si forte & si sévérement exigible, que tous craignoient de l'encourir.

Mais pour attaquer ce mal dans son principe, il pensa sérieusement aux avantages d'une bonne éducation, & ne laissa à personne, de quelqu'état qu'il fût, le prétexte de la négliger. Il établit des écoles publiques, dont les maîtres étoient entretenus aux dépens de l'état. Là se formoit la jeunesse à la vertu, & de-là naissoit l'espérance d'une république bien policée.

Par une autre loi, Charondas donnoit l'administration des biens des orphelins aux parens paternels, & la garde de la personne du pupille aux parens du côté de la mere. Les premiers qui étoient appellés à l'héritage, au cas du décès du mineur, faisoient, pour leur propre intérêt, valoir son bien ; & par la vigilance des parens maternels, ils ne pouvoient, sans exposer leur vie & leur honneur, suivre les mouvemens de la cupidité.

Les autres législateurs ordonnoient la peine de mort contre ceux qui refusoient de servir à la guerre, ou qui désertoient ; Charondas ordonna qu'ils resteroient trois jours exposés dans la place publique en habit de femme, persuadé que cette ignominie rendroit les exemples fort rares, & que ceux qui survivroient à cette infamie, n'oseroient pas dans les besoins de l'état s'y exposer une seconde fois, & laveroient cette premiere tache dans les ressources que leur pourroit fournir une bravoure de commande.

La sagesse de ces lois maintint les Thuriens en honneur, & soutint leur république dans la splendeur. Le législateur ne crut pas cependant qu'elles ne dussent souffrir aucun changement. Certaines circonstances que la prudence humaine ne sauroit prévoir, y peuvent déterminer. Mais pour aller au-devant des altérations que l'amour de la nouveauté pourroit y introduire, il ordonna que ceux qui auroient à se plaindre de quelque loi, & qui voudroient en demander la réforme ou l'abrogation, seroient obligés de faire leur représentation en présence de tout le peuple, la corde au cou, & ayant à leur côté l'exécuteur de la justice prêt à les punir, si l'assemblée déclaroit leur prétention injuste.

Cette précaution fit que ses lois furent long-tems sans atteinte, & au rapport de Diodore de Sicile, il n'y a jamais été dérogé que trois fois. Un borgne eut l'oeil qui lui restoit crevé. La loi qui décernoit la peine d'oeil pour oeil, ne privoit pas de la lumiere celui qui avoit fait le coup. L'aveugle porta sa plainte devant le peuple, qui substitua une interprétation pour un cas pareil qui arriveroit, & le renvoya.

Le divorce étoit permis au mari & à la femme. Un vieillard abandonné de la sienne qui étoit jeune, se plaignit de la liberté que celui qui se séparoit avoit d'épouser qui il lui plairoit ; il proposa pour ôter toute idée de libertinage, de ne permettre au demandeur en action de divorce, que d'épouser une personne à-peu-près du même âge que celle qu'il quittoit. Son observation parut juste, il évita la peine, & les divorces devinrent fort rares.

La troisieme loi qui souffrit quelque changement, fut celle qui ordonnoit que les biens d'une famille, ne passeroient point dans une autre, tant qu'il resteroit quelqu'un de cette famille, que le dernier de l'un ou de l'autre sexe pourroit épouser. S'il en restoit une fille, l'héritier qui ne vouloit pas la prendre en mariage, étoit obligé de lui donner cinq cent drachmes, par forme de dédommagement. Le cas arriva : une fille de bonne famille, mais très-pauvre, se voyant négligée par le seul & dernier héritier de son nom, se plaignit dans une assemblée indiquée à ce sujet, suivant la forme prescrite par la loi, de la médiocrité de la somme, qui ne lui constituoit qu'une dot qui ne pouvoit la tirer de la misere, ni la faire entrer dans quelque famille qui convînt à sa naissance. Le peuple attendri sur le danger qu'elle couroit si sa demande étoit rejettée, reforma la loi, & condamna l'héritier à l'épouser.

Des lois si sages furent scellées du sang du législateur. Quelques affaires le menerent à la campagne armé de son épée, pour se défendre contre les brigands qui attaquoient les voyageurs. Comme il rentroit dans la ville, il apprit qu'il se tenoit alors une assemblée où le peuple étoit dans une grande agitation. Il ne fit pas attention qu'il avoit fait une loi qui défendoit expressément à toutes personnes de quelqu'état qu'elles fussent, de s'y trouver en armes. Quelques mal-intentionnés virent son épée, & lui reprocherent qu'il étoit le premier qui eût osé violer la loi qu'il avoit faite. Vous allez voir, leur dit-il, combien je la juge nécessaire, & combien je la respecte. Il tira son épée, & se perça le sein.

Les Thuriens fleurirent tant qu'ils suivirent les lois de Charondas ; mais la mollesse ayant pris le dessus, ils furent maltraités par les Brutiens, les Lucaniens, & les Tarentins, sous l'oppression desquels ils gémissoient, lorsqu'ils se soumirent aux Romains. Ceux-ci trouvant le pays épuisé d'hommes, y envoyerent une colonie, & donnerent à la ville qu'elle habita le nom de Copia, comme il paroît par la monnoie qui nous en reste, avec une tête de Mars, & une corne d'abondance au revers, & pour inscription Copia.

2°. Thurium étoit aussi une ville de la Béotie. Plutarque in Syllâ, dit que c'est une croupe de montagne fort rude, & qui finit en pointe comme une pomme de pin : ce qui faisoit qu'on l'appelloit Ortophagus. Au pié de cette montagne, ajoute-t-il, coule un ruisseau appellé Morion, & sur ce ruisseau est le temple d'Apollon thurien. Ce dieu a eu le nom de Thurien, de Thyro, mere de Charon, qui mena une colonie à Chéronée. (D.J.)


THURLES(Géog. mod.) petite ville d'Irlande, dans la province de Munster, au comté de Tipperari, sur la Stuere ; elle envoie deux députés au parlement de Dublin ; elle est à six milles des frontieres de Kilkenny, & à douze de Cashel. (D.J.)


THURSO(Géog. mod.) petite ville d'Ecosse, dans la province de Caithness, avec un port sur la côte du nord.


THUou TUS, (Géog. mod.) ville de Perse, dans le Khorassan. Long. selon Nassir-Eddin qui y naquit, 92. 30. lat. 37. & dans le quatrieme climat. (D.J.)


THUSCIENPRETRE, (Antiq.) prêtre tyrrhénien ou d'Etrurie ; on nommoit les prêtres d'Etrurie prêtres thusciens, à cause des fonctions qu'ils faisoient dans les sacrifices, ou de brûler les victimes & l'encens, de , qui signifie encens, & , qui veut dire brûler ; ou de consulter les entrailles des victimes, de , qui veut dire aussi sacrifices, & de , qui signifie la même chose que , regarder, considérer. (D.J.)


THUSEI(Géog. anc.) nom de la belle terre que Pline le jeune avoit en Toscane : il en fait la description dans une de ses lettres à Apollinaire, liv. VI. let. 9. & je vais la transcrire ici, parce que c'est la plus charmante description que je connoisse, parce qu'elle est un modele unique en ce genre, & parce qu'enfin il faut quelquefois amuser le lecteur par des peintures riantes, & le dédommager de la sécheresse indispensable de plusieurs autres articles.

Ma terre de Toscane, dit Pline, est un peu audessous de l'Apennin ; voici quelle est la temperature du climat, la situation du pays, la beauté de la maison. En hiver l'air y est froid, & il y gele ; il y est fort contraire aux myrthes, aux oliviers, & aux autres especes d'arbres qui ne se plaisent que dans la chaleur. Cependant il vient des lauriers, qui conservent toute leur verdure, malgré la rigueur de la saison. Véritablement elle en fait quelquefois mourir : mais ce n'est pas plus souvent, qu'aux environs de Rome. L'été y est merveilleusement doux ; vous y avez toujours de l'air ; mais les vents y respirent plus qu'ils n'y soufflent. Rien n'est plus commun que d'y voir de jeunes gens qui ont encore leurs grands-peres & leurs bisayeuls ; que d'entendre ces jeunes gens raconter de vieilles histoires, qu'ils ont apprises de leurs ancêtres. Quand vous y êtes, vous croyez être né dans un autre siecle.

La disposition du terrein est très-belle. Imaginez-vous un amphithéatre immense, & tel que la nature le peut faire ; une vaste plaine environnée de montagnes chargées sur leurs cimes de bois très-hauts, & très-anciens. Là, le gibier de différente espece y est très-commun. De-là descendent des taillis par la pente même des montagnes. Entre ces taillis se rencontrent des collines, d'un terroir si bon & si gras, qu'il seroit difficile d'y trouver une pierre, quand même on l'y chercheroit. Leur fertilité ne le cede point à celle des plaines campagnes ; & si les moissons y sont plus tardives, elles n'y murissent pas moins.

Au pié de ces montagnes, on ne voit, tout le long du côteau, que des vignes, qui, comme si elles se touchoient, n'en paroissent qu'une seule. Ces vignes sont bordées par quantité d'arbrisseaux. Ensuite sont des prairies & des terres labourables, si fortes, qu'à peine les meilleures charrues & les mieux attelées peuvent en faire l'ouverture. Alors même, comme la terre est très-liée, elles en enlevent de si grandes mottes, que pour bien les séparer, il y faut repasser le soc jusqu'à neuf fois. Les prés émaillés de fleurs, y fournissent du treffle, & d'autres sortes d'herbes, toujours aussi tendres & aussi pleines de suc, que si elles ne venoient que de naître. Ils tirent cette fertilité des ruisseaux qui les arrosent, & qui ne tarissent jamais.

Cependant en des lieux où l'on trouve tant d'eaux, l'on ne voit point de marécages, parce que la terre disposée en pente, laisse couler dans le Tibre le reste des eaux dont elle ne s'est point abreuvée. Il passe tout-au-travers des campagnes, & porte des bateaux, sur lesquels pendant l'hiver & le printems, on peut charger toutes sortes de provisions pour Rome. En été, il baisse si fort, que son lit presque à sec, l'oblige à quitter son nom de fleuve, qu'il reprend en automne. Vous aurez un grand plaisir à regarder la situation de ce pays du haut d'une montagne. Vous ne croirez point voir des terres, mais un paysage peint exprès ; tant vos yeux, de quelque côté qu'ils se tournent, seront charmés par l'arrangement & par la variété des objets.

La maison, quoique bâtie au bas de la colline, a la même vue que si elle étoit placée au sommet. Cette colline s'éleve par une pente si douce, que l'on s'apperçoit que l'on est monté, sans avoir senti que l'on montoit. Derriere la maison est l'Apennin, mais assez éloigné. Dans les jours les plus calmes & les plus sereins, elle en reçoit des haleines de vent, qui n'ont plus rien de violent & d'impétueux, pour avoir perdu toute leur force en chemin. Son exposition est presque entierement au midi, & semble inviter le soleil en été vers le milieu du jour ; en hiver un peu plus tôt, à venir dans une galerie fort large & longue à proportion.

La maison est composée de plusieurs pavillons. L'entrée est à la maniere des anciens. Au-devant de la galerie, on voit un parterre, dont les différentes figures sont tracées avec du buis. Ensuite est un lit de gazon peu élevé, & autour duquel le buis représente plusieurs animaux qui se regardent. Plus bas, est une piece toute couverte d'acanthes, si doux & si tendres sous les piés, qu'on ne les sent presque pas. Cette piece est enfermée dans une promenade environnée d'arbres, qui pressés les uns contre les autres, & diversement taillés, forment une palissade. Auprès est une allée tournante en forme de cirque, au-dedans de laquelle on trouve du buis taillé de différentes façons, & des arbres que l'on a soin de tenir bas. Tout cela est fermé de murailles seches, qu'un buis étagé couvre & cache à la vue. De l'autre côté est une prairie, qui ne plaît guere moins par ses beautés naturelles, que toutes les choses dont je viens de parler, par les beautés qu'elles empruntent de l'art. Ensuite sont des pieces brutes, des prairies, & des arbrisseaux.

Au bout de la galerie est une salle à manger, dont la porte donne sur l'extrêmité du parterre, & les fenêtres sur les prairies, & sur une grande partie des pieces brutes. Par ces fenêtres on voit de côté le parterre, & ce qui de la maison même s'avance en saillie, avec le haut des arbres du manege. De l'un des côtés de la galerie & vers le milieu, on entre dans un appartement qui environne une petite cour ombragée de quatre planes, au milieu desquels est un bassin de marbre, d'où l'eau qui se dérobe entretient par un doux épanchement la fraîcheur des planes & des plantes qui sont au-dessous. Dans cet appartement est une chambre à coucher : la voix, le bruit, ni le jour, n'y pénétrent point ; elle est accompagnée d'une salle où l'on mange d'ordinaire, & quand on veut être en particulier avec ses amis.

Une autre galerie donne sur cette petite cour, & a toutes les mêmes vues que la galerie que je viens de décrire. Il y a encore une chambre, qui pour être proche de l'un des planes, jouit toujours de la verdure & de l'ombre. Elle est revêtue de marbre tout-autour, à hauteur d'appui ; & au défaut du marbre est une peinture qui représente des feuillages & des oiseaux sur des branches ; mais si délicatement, qu'elle ne cede point à la beauté du marbre même. Au-dessous est une petite fontaine, qui tombe dans un bassin, d'où l'eau, en s'écoulant par plusieurs petits tuyaux, forme un agréable murmure.

D'un coin de la galerie, on passe dans une grande chambre qui est vis-à-vis la salle à manger ; elle a ses fenêtres d'un côté sur le parterre, de l'autre sur la prairie ; & immédiatement au - dessous de ses fenêtres, est une piece d'eau qui réjouit également les yeux & les oreilles : car l'eau, en y tombant de haut dans un grand bassin de marbre, paroît toute écumante, & forme je ne sais quel bruit qui fait plaisir. Cette chambre est fort chaude en hiver, parce que le soleil y donne de toutes parts. Tout auprès est un poële, qui supplée à la chaleur du soleil, quand les nuages le cachent. De l'autre côté est une salle où l'on se deshabille pour prendre le bain. Elle est grande & fort gaie.

Près de-là on trouve la salle du bain d'eau froide, où est une baignoire spacieuse & assez sombre. Si vous voulez vous baigner plus au large & plus chaudement, il y a dans la cour un bain, & tout-auprès un puits, d'où l'on peut avoir de l'eau froide quand la chaleur incommode. A côté de la salle du bain froid est celle du bain tiéde, que le soleil échauffe beaucoup, mais moins que celle du bain chaud, parce que celle-ci sort en saillie. On descend dans cette derniere salle par trois escaliers, dont deux sont exposés au grand soleil ; le troisieme en est plus éloigné, & n'est pourtant pas plus obscur.

Au-dessus de la chambre, où l'on quitte ses habits pour le bain, est un jeu de paume, où l'on peut prendre différentes sortes d'exercices, & qui pour cela est partagé en plusieurs réduits. Non loin du bain est un escalier qui conduit dans une galerie fermée, & auparavant dans trois appartemens, dont l'un voit sur la petite cour ombragée de planes, l'autre sur la prairie, le troisieme sur des vignes ; ensorte que son exposition est aussi différente que ses vues. A l'extrêmité de la galerie fermée est une chambre prise dans la galerie même, & qui regarde le manege, les vignes, les montagnes. Près de cette chambre est une autre fort exposée au soleil, sur-tout pendant l'hiver. De-là on entre dans un appartement, qui joint le manege à la maison. Voilà sa façade & son aspect. A l'un des côtés, qui regarde le midi, s'éleve une galerie fermée, d'où l'on ne voit pas seulement les vignes, mais d'où l'on croit les toucher.

Au milieu de cette galerie, on trouve une salle à manger, où les vents qui viennent de l'Apennin, répandent un air fort sain. Elle a vue par de très grandes fenêtres sur les vignes, & encore sur les mêmes vignes par des portes à deux battans, d'où l'oeil traverse la galerie. Du côté où cette salle n'a point de fenêtres, est un escalier dérobé, par où l'on sert à manger. A l'extrêmité est une chambre, à qui la galerie ne fait pas un aspect moins agréable que les vignes. Au-dessous est une galerie presque souterraine, & si fraîche en été, que, contente de l'air qu'elle renferme, elle n'en donne, & n'en reçoit point d'autre.

Après ces deux galeries fermées, est une salle à manger, suivie d'une galerie ouverte, froide avant midi, plus chaude quand le jour s'avance. Elle conduit à deux appartemens : l'un est composé de quatre chambres, l'autre de trois, qui, selon que le soleil tourne, jouissent de ses rayons ou de l'ombre. Au-devant de ces bâtimens si bien entendus & si beaux, est un vaste manege : il est ouvert par le milieu, & s'offre d'abord tout entier à la vue de ceux qui entrent : il est entouré de planes ; & ces planes sont revêtus de lierres. Ainsi le haut de ces arbres est verd de son propre feuillage, & le bas est verd d'un feuillage étranger. Ce lierre court autour du tronc & des branches ; & passant d'un plane à l'autre les lie ensemble.

Entre ces planes sont des buis ; & ces buis sont par-dehors environnés de lauriers, qui mêlent leurs ombrages à celui des planes. L'allée du manege est droite ; mais à son extrêmité, elle change de figure, & se termine en demi-cercle. Ce manege est entouré & couvert de cyprès, qui en rendent l'ombre & plus épaisse & plus noire. Les allées en rond qui sont au-dedans (car il y en a plusieurs les unes dans les autres), reçoivent un jour très-pur & très-clair. Les roses s'y offrent par-tout ; & un agréable soleil y corrige la trop grande fraîcheur de l'ombre. Au sortir de ces allées rondes & redoublées, on rentre dans l'allée droite, qui des deux côtés en a beaucoup d'autres séparées par des buis. Là est une petite prairie ; ici le buis même est taillé en mille figures différentes, quelquefois en lettres qui expriment tantôt le nom du maître, tantôt celui du jardinier. Entre ces buis, vous voyez successivement de petites pyramides & des pommiers ; & cette beauté rustique d'un champ, que l'on diroit avoir été tout-à-coup transporté dans un endroit si peigné, est rehaussé vers le milieu par des planes que l'on tient fort bas des deux côtés.

De-là vous entrez dans une piece d'acanthe flexible, & qui se répand, où l'on voit encore quantité de figures & de noms que les plantes expriment. A l'extrêmité est un lit de repos de marbre blanc, couvert d'une treille soutenue par quatre colonnes de marbre de cariste. On voit l'eau tomber de dessous ce lit, comme si le poids de ceux qui se couchent l'en faisoit sortir ; de petits tuyaux la conduisent dans une pierre creusée exprès ; & de-là elle est reçue dans un bassin de marbre, d'où elle s'écoule si imperceptiblement & si à propos, qu'il est toujours plein, & pourtant ne déborde jamais.

Quand on veut manger en ce lieu, on range les mets les plus solides sur les bords de ce bassin ; & on met les plus légers dans des vases qui flottent sur l'eau tout-autour de vous, & qui sont faits les uns en navires, les autres en oiseaux. A l'un des côtés est une fontaine jaillissante, qui reçoit dans sa source l'eau qu'elle en a jettée : car, après avoir été poussée en-haut, elle retombe sur elle-même ; & par deux ouvertures qui se joignent, elle descend & remonte sans-cesse. Vis-à-vis du lit de repos est une chambre qui lui donne autant d'agrément qu'elle en reçoit de lui. Elle est toute brillante de marbre ; ses portes sont entourées & comme bordées de verdure.

Au-dessus & au - dessous des fenêtres hautes & basses, on ne voit aussi que verdure de toutes parts. Auprès est un autre petit appartement qui semble comme s'enfoncer dans la même chambre, & qui en est pourtant séparé. On y trouve un lit : & quoique cet appartement soit percé de fenêtres par-tout, l'ombrage qui l'environne le rend agréablement sombre. Une vigne, artistement taillée, l'embrasse de ses feuillages & monte jusqu'au faîte. A la pluie près que vous n'y sentez point, vous croyez être couché dans un bois. On y trouve aussi une fontaine qui se perd dans le lieu même de sa source. En différens endroits sont placés des sieges de marbre propres, ainsi que la chambre, à délasser de la promenade. Près de ces sieges sont de petites fontaines, & par-tout vous entendez le doux murmure des ruisseaux, qui, dociles à la main du fontainier, se laissent conduire par de petits canaux où il lui plaît. Ainsi on arrose tantôt certaines plantes, tantôt d'autres, quelquefois on les arrose toutes.

J'aurois fini il y auroit long-tems, de peur de paroître entrer dans un trop grand détail ; mais j'avois résolu de visiter tous les coins & recoins de ma maison avec vous. Je me suis imaginé que ce qui ne vous seroit point ennuyeux à voir, ne vous le seroit point à lire, sur-tout ayant la liberté de faire votre promenade à plusieurs reprises, de laisser là ma lettre, & de vous reposer autant de fois que vous le trouverez à propos. D'ailleurs j'ai donné quelque chose à ma passion ; & j'avoue que j'en ai beaucoup pour tout ce que j'ai commencé ou achevé. En un mot, (car pourquoi ne vous pas découvrir mon entêtement ou mon goût ?) je crois que la premiere obligation de tout homme qui écrit, c'est de jetter les yeux de tems en tems sur son titre. Il doit plus d'une fois se demander quel est le sujet qu'il traite ; & savoir que s'il n'en sort point, il n'est jamais long ; mais que s'il s'en écarte, il est toujours très-long.

Voyez combien de vers Homere & Virgile employent à décrire, l'un les armes d'Achille, l'autre celles d'Enée. Ils sont courts pourtant, parce qu'ils ne font que ce qu'ils s'étoient proposé de faire. Voyez comment Aratus compte & rassemble les plus petites étoiles, il n'est point accusé cependant d'être trop étendu ; car ce n'est point digression, c'est l'ouvrage même. Ainsi du petit au grand, dans la description que je vous fais de ma maison, si je ne m'égare point en récits étrangers, ce n'est pas ma lettre, c'est la maison elle-même qui est grande.

Je reviens à mon sujet, de peur que si je faisois cette digression plus longue, on ne me condamnât par mes propres regles. Vous voilà instruit des raisons que j'ai de préférer ma terre de Toscane à celles que j'ai à Tusculum, à Tibur, à Préneste. Outre tous les autres avantages dont je vous ai parlé, on y jouit d'un loisir d'autant plus sûr & plus tranquille, que les devoirs ne viennent point vous y relancer. Les fâcheux ne sont point à votre porte ; tout y est calme ; tout y est paisible : & comme la bonté du climat y rend le ciel plus serein, & l'air plus pur, je m'y trouve aussi le corps plus sain & l'esprit plus libre. J'exerce l'un par la chasse, l'autre par l'étude. Mes gens en font de même : ils ne se portent nulle part si bien ; & graces aux dieux, je n'ai jusqu'ici perdu aucun de ceux que j'ai amenés avec moi. Puissent les dieux me continuer toujours la même faveur, & conserver toujours à ce lieu les mêmes avantages ! Adieu. (D.J.)


THUYAS. m. (Botan.) en françois vulgaire arbre de vie. Bauhin, Boerhaave & Tournefort le nomment thuya, c'est un arbre de hauteur médiocre, dont le tronc est dur & noueux, couvert d'une écorce rouge-obscure ; ses rameaux se répandent en aîles ; ses feuilles ressemblent en quelque maniere à celles du cyprès, mais elles sont plus plates, & formées par de petites écailles posées les unes sur les autres ; il porte, au-lieu de chatons ou de fleurs, de petits boutons écailleux, jaunâtres, qui deviennent ensuite des fruits oblongs, composés de quelques écailles, entre lesquelles on trouve des semences oblongues & comme bordées d'une aîle membraneuse. Le thuya est odorant, principalement en ses feuilles ; car étant écrasées entre les doigts, elles leur communiquent une odeur forte, résineuse & assez permanente ; leur goût est amer.

Cet arbre vient originairement du Canada, d'où le premier qu'on ait vu en Europe fut apporté à François I. On ne le cultive cependant que dans les jardins de quelques curieux, & on peut lui donner, comme à l'if, telle figure qu'on desire. Il résiste au froid de l'hiver, mais il perd sa verdure, ses rameaux & ses feuilles, devenant noirâtre jusqu'au printems qu'il reprend sa couleur.

Le thuya des Grecs n'est point notre thuya ; c'étoit une espece de cedre qui n'avoit chez les Latins que le nom de commun avec le citronnier, arbor citrea. Cet arbre venoit d'une branche de l'Atlas, dans la Mauritanie septentrionale, appellée par Pline, l. XIII. c. xv. mons Anchorarius. (D.J.)

THUYA, bois de, (Botanique sacrée) thyinum lignum ; sorte de bois fort estimé par les Hébreux, & qui étoit d'une odeur excellente ; la flotte du roi Hircan en apporta d'Ophir en abondance, III. Rois, x. 11. Quelques interpretes rendent ce mot par bois de bresil, d'autres par bois de pin, & d'autres plus sagement & plus sûrement par bois odoriférant, sans déterminer quel étoit ce bois. (D.J.)


THYAMIou THYAMUS, (Géog. anc.) 1°. fleuve de l'Epire, selon Thucydide, l. I. p. 32. & Athénée, l. III. c. j. Strabon & Pausanias connoissent aussi ce fleuve, dont le nom moderne est Calama, selon Thevet.

2°. Thyamis promontoire de l'Epire, selon Ptolémée, l. III. c. xiv. Il servoit de bornes entre la Thesprotide & la Cestrinie, Niger dit que le nom moderne est Nisto.

3°. Thyamis, ancienne ville d'Asie, dans l'Arachosie. (D.J.)


THYATIRE(Géogr. anc.) ville de l'Asie mineure, dans la Lydie, au nord de Sardis, en tirant vers l'orient de Pergame. Cette situation convient à celle que lui donne Strabon, l. XIII. qui dit qu'en allant de Pergame à Sardis, on avoit Thyatire à la gauche. Strabon & Polybe écrivent Thyatira au pluriel, & Pline, l. V. c. xxix. aussi-bien que Tite-Live, l. XXVII. c. xliv. disent Thyatira au nominatif singulier. C'étoit, selon Strabon, une colonie des Macédoniens. Il ajoute que quelques-uns vouloient que ce fût la derniere ville des Mysiens ; ce qu'il y a de certain, c'est qu'elle étoit aux confins de la Mysie ; mais Pline, Ptolémée, Etienne le géographe, & les auteurs des notices la marquent dans la Lydie.

Le tems & les changemens arrivés avoient fait perdre jusqu'à la connoissance de la situation de cette fameuse ville. On n'en fit la découverte que fort avant dans le dernier siecle. M. Spon, voyage du levant, l. III. en parle ainsi : il n'y a pas plus de sept ou huit ans qu'on ne savoit où avoit été la fameuse ville de Thyatire, le nom même en ayant été perdu. Ceux qui se croyoient les plus habiles, trompés par une fausse ressemblance de nom, s'imaginoient que ce fût la ville de Tiria, à une journée d'Ephese ; mais M. Ricaut, consul de la nation angloise, y étant allé accompagné de plusieurs de ses compatriotes qui négocioient à Smyrne, reconnut bien que Tiria n'avoit rien que de moderne, & que ce n'étoit pas ce qu'ils cherchoient. Comme ils jugeoient à-peu-près du quartier où elle pouvoit être, ils allerent à Ak-Hissar, où ils virent plusieurs masures antiques, & trouverent le nom de Thyatire dans quelque inscription ; après quoi ils ne douterent plus que ce ne fût elle-même. M. Spon s'en est convaincu lui-même par ses propres yeux.

Avant que d'entrer dans la ville, poursuit-il, on voit un grand cimetiere des Turcs, où il y a quelques inscriptions. Dans le kan proche du bazar, on trouve environ trente colonnes avec leurs chapiteaux & piédestaux de marbre, disposées confusément en-dedans pour soutenir le couvert. Il y a un chapiteau d'ordre corinthien, & des feuillages sur le fût de la colonne. Sous une halle proche du bazar, on lit une inscription qui commence ainsi, , le très-puissant sénat de Thyatire.

Dans la cour d'un des principaux habitans, appellé Mustapha-Chelebi, on lit trois inscriptions. Les deux premieres font les jambages du portail de la maison, & parlent d'Antonin Caracalla, empereur romain, comme du bienfaiteur & du restaurateur de la ville, & le titre de maître de la terre & de la mer qui lui est donné est aussi rare que celui de divinité présente des mortels, qui lui est attribué dans une base de marbre à Frescati proche de Rome. Au milieu de la cour de la même maison, on voit un grand cercueil de marbre, où il y a la place de deux corps, & à l'un des côtés l'épitaphe du mari & de la femme qui y avoient été ensévelis, & le nom de Thyatire est répété deux fois dans cette épitaphe.

Dans une colonne qui soutient une galerie du kan, on voit une autre inscription où on lit en grec & en latin que l'empereur Vespasien fit faire à Thyatire des grands chemins l'année de son sixieme consulat.

Les Turcs, après avoir bâti une ville nommée Ak-Hissar ou Eski-Hissar, c'est-à-dire château blanc, abandonnerent ce lieu, & vinrent bâtir dans un lieu plus commode sur les ruines de l'ancienne Thyatire, en donnant à leur nouvelle ville le nom du château qu'ils avoient quittés. Les maisons de leur Thyatire ou plutôt d'Ak-Hissar, ne sont que de terre ou de gazon cuit au soleil. Le marbre n'est employé qu'aux mosquées. Les habitans de cette ville sont au nombre d'environ trois mille, dont la plûpart négocient en coton. Il sont tous mahométans ; on ne voit dans ce lieu ni chrétiens, ni grecs, ni arméniens, & l'ancien évêché de Thyatire n'existe plus qu'en idée. (D.J.)


THYBARRA(Géog. anc.) lieu de l'Asie mineure, au voisinage du Pactole. Xénophon, cyrop. l. VI. nous apprend que c'est où se tenoient les assemblées de la basse Syrie. Etienne le géographe écrit Thymbrara ; & Berkelius panche à croire que c'est la véritable orthographe. (D.J.)


THYBRIS(Géog. anc.) nom d'un fleuve de Sicile, selon le scholiaste de Théocrite, qui dit que ce fleuve couloit sur le territoire de Syracuse. Servius, in Aeneid. lib. VIII. v. 322. qui écrit Tybris, lui donne seulement le nom de Fosse, Fossae syracusanae, & ajoute qu'elle fut creusée par les Africains & par les Athéniens près des murs de la ville pour insulter aux habitans. (D.J.)


THYELLIESS. f. pl. (Antiq. grecq.) fêtes en l'honneur de Vénus, qu'on invoquoit dans les orages ; , orage, tempête. (D.J.)


THYESSOS(Géog. anc.) nom commun à une ville de la Lydie, & à une ville de la Pisidie. (D.J.)


THYIA(Antiq. grecq.) , fête de Bacchus qui se célébroit à Elis. Les Eléens ont une dévotion particuliere à Bacchus, dit Pausanias dans ses éliaques. Ils prétendent que le jour de sa fête, appellée thyia, il daigne les honorer de sa présence, & se trouver en personne dans le lieu où elle se célebre ; les prêtres du dieu apportent trois bouteilles vuides dans sa chapelle, & les y laissent en présence de tous ceux qui y sont, éléens ou autres : ensuite ils ferment la porte de la chapelle, & mettent leur cachet sur la serrure, permis à chacun d'y mettre le sien. Le lendemain on revient, on reconnoît son cachet, on entre, & l'on trouve les trois bouteilles pleines de vin. Il falloit mettre le cachet sur la bouteille, & cette précaution eût encore été vaine. " Plusieurs éléens très-dignes de foi, ajoute l'historien, & même des étrangers, m'ont assuré avoir été témoins de cette merveille ; ceux d'Andros assurent aussi que chez eux, durant les fêtes de Bacchus, le vin coule de lui-même dans son temple ; mais conclut Pausanias, si sur la foi des Grecs nous croyons ces sortes de miracles, il ne restera plus qu'à croire les contes que chaque nation fera sur ses dieux ". Au reste on peut lire ici Potter, Archaeol. graec. liv. II. c. xx. tome I. p. 405. (D.J.)


THYIADES(Mytholog.) mot formé du grec , courir avec impétuosité ; c'étoit des surnoms qu'on donnoit aux bacchantes, parce que dans les fêtes & les sacrifices de Bacchus, elles s'agitoient comme des furieuses, & couroient comme des folles. Les thyiades étoient quelquefois saisies d'enthousiasme ou vrai ou simulé, qui les poussoit même jusqu'à la fureur ; ce qui pourtant ne diminuoit en rien le respect du peuple à leur égard. En voici deux preuves historiques.

Plutarque me fournira la premiere. Après, dit-il, que les tyrans des Phocéens eurent pris Delphes, dans la guerre sacrée, les prêtresses de Bacchus, qu'on nomme thyiades, furent saisies d'une espece de fureur bacchique, & errant pendant la nuit, elles se trouverent sans le savoir à Amphisse ; là fatiguées de l'agitation que leur avoit causé cet enthousiasme, elles se coucherent & s'endormirent dans la place publique. Alors les femmes de cette ville confédérée des Phocéens, craignant que les soldats des tyrans ne fissent quelque insulte à ces thyiades consacrées à Bacchus, coururent au marché, se rangerent en cercle autour d'elles, afin que personne ne pût en approcher, gardant en même tems un profond silence pour ne point troubler leur sommeil. Quand les thyiades furent éveillées, & revenues de leur phrénésie, les Amphissiennes leur donnerent à manger, les traiterent avec honneur, & obtinrent permission de leurs maris de les reconduire jusqu'en lieu de sûreté. Seconde preuve.

Les Eléens avoient une compagnie de ces femmes consacrées à Bacchus, qu'on appelloit les seize, parce qu'elles formoient toujours ce même nombre. Dans le tems qu'Aristotime qui avoit occupé la tyrannie, traitoit ce peuple avec la derniere dureté, ils lui envoyerent les seize, dans le dessein d'obtenir de lui quelque grace. Chacune d'elles étoit ornée d'une des couronnes consacrées au dieu Bacchus. Le tyran se tenoit alors dans la grande place, entouré de soldats de sa garde, qui voyant arriver les thyiades, se rangerent par respect de côté & d'autre pour les laisser approcher d'Aristotime ; mais dès que le tyran eut appris le sujet de leur venue, il les fit chasser, & les condamna chacune à deux talens d'amende. Ce procédé indigna tellement les Eléens, qu'ils conspirerent sa perte, & se défirent de lui. (D.J.)


THYIASES(Antiq. grecq.) on appelloit ainsi les danses des bacchantes en l'honneur du dieu qui les agitoit. Il y a d'anciens monumens qui nous représentent les gestes & les contorsions affreuses qu'elles faisoient dans leurs danses ; l'une paroît un pié en l'air, haussant la tête vers le ciel, ses cheveux négligés flottans au - delà des épaules, tenant d'une main un thyrse, & de l'autre une petite figure de Bacchus ; une autre bacchante, plus furieuse encore, les cheveux épars, le corps à demi - nud, dans la plus violente contorsion, tient une épée d'une main, & de l'autre la tête d'un homme qu'elle vient de couper. (D.J.)


THYIES(Mythol.) ce sont les fêtes de Bacchus honoré par les Thyiades. Voyez THYIA. (D.J.)


THYITES(Hist. nat.) nom donné par Dioscoride à une terre compacte, & endurcie comme une pierre qui se trouvoit en Egypte, & dont on vantoit les vertus dans les maladies des yeux. Il paroît par ses vertus que cette terre pouvoit être vitriolique. Quelques-uns ont cru que Dioscoride avoit voulu désigner sous ce nom la turquoise, d'autres ont cru que c'étoit un marbre verd.


THYLACION(Méd. anc.) ; ce mot grec désigne dans les anciens auteurs, la bourse qui est formée par les membranes du foetus à l'orifice des parties naturelles peu avant l'accouchement. Il n'y a que les Grecs qui ayent exprimé par un seul mot des phénomenes aussi cachés à nos yeux. (D.J.)


THYLLA(Antiq. grecq.) ; fête particuliere en l'honneur de Vénus. (D.J.)


THYMou THIM, s. m. (Hist. natur. Botan.) thymus ; genre de plante à fleur monopétale labiée, dont la levre supérieure est relevée, & le plus souvent divisée en deux parties, & l'inférieure en trois.

Le pistil sort du calice ; il est attaché comme un clou à la partie postérieure de la fleur, & entouré de quatre embryons qui deviennent dans la suite autant de semences renfermées dans une capsule qui a servi de calice à la fleur. Ajoutez aux caracteres de ce genre, que les tiges sont dures & ligneuses, & que les fleurs sont réunies en maniere de tête. Tournefort, I. R. H. Voyez PLANTE.

Entre les douze especes de thym que compte Tournefort, il y en a bien deux ou trois dont il faut dire un mot ; le principal est le thym de Crete, thymus capitatus, qui Dioscoridis, I. R. H. en anglois, the headed-thyme from Creta.

C'est un sous-arbrisseau qui croît à la hauteur d'un pié ; il pousse plusieurs rameaux, grêles, ligneux, blancs, garnis de petites feuilles opposées, menues, étroites, blanchâtres, qui tombent l'hiver en certains lieux, selon Clusius, & qui sont d'un goût âcre. Ses fleurs naissent en maniere de tête aux sommets des rameaux, petites, purpurines, formées en gueule ; chacune est un tuyau découpé en deux levres avec quatre étamines à sommets déliés. Quand cette fleur est passée, il lui succede quatre semences presque rondes, renfermées dans une capsule qui a servi de calice à la fleur.

Cette plante, dont l'odeur est agréable, est des plus communes en Candie, dans l'île de Corfou, dans toute la Grece, en Espagne, en Sicile, le long des côtes maritimes tournées au midi, sur les montagnes, & aux autres lieux exposés au soleil ; on la cultive dans les jardins des curieux ; sa fleur varie en couleur suivant le terroir.

THYM, (Chymie & Mat. médic.) plante aromatique de la classe des labiées de Tournefort.

Toute cette plante répand une odeur très-agréable, quoique assez forte. Elle a un goût âcre & amer. On emploie principalement ses feuilles & ses fleurs, ou plutôt leurs calices ; car on doit compter les pétales à-peu-près pour rien comme dans toutes les fleurs des plantes de cette classe.

La marjolaine & le serpolet sont celles des plantes labiées avec lesquelles le thym a le plus de rapport. M. Cartheuser assure que l'huile essentielle de thym est plus âcre que celle de marjolaine, & que la premiere plante contient aussi une plus grande quantité du principe camphré, dont nous parlerons plus bas. L'huile essentielle de thym est d'une couleur dorée ou rouge. M. Cartheuser en a retiré environ un gros & demi d'une livre de plante. Cette huile est, selon une expérience de Neumann, rapportée dans les miscellanea berolinensia, en partie liquide, & en partie concrete, dès le tems même de la distillation ; c'est-à-dire qu'en distillant le thym avec l'eau, selon la méthode ordinaire, il s'éleve un principe huileux concret, un vrai camphre capable d'obstruer le bec de l'alambic, &c. Voyez CAMPHRE.

Le thym est rarement employé dans les remedes magistraux destinés à l'usage intérieur. Il est sûr cependant que réduit en poudre, ou bien infusé dans l'eau, dans le vin, &c. il pourroit servir utilement dans tous les cas pour lesquels on emploie les feuilles ou les fleurs de sauge, & qu'il fourniroit même dans tous ces cas un remede plus efficace ; on peut regarder ces remedes, & sur-tout la poudre, comme de bons emmenagogues, aristolochiques, &c. comme stomachiques, cordiaux, vulnéraires, &c.

L'usage du thym pour les remedes extérieurs est plus fréquent. On le fait entrer assez généralement dans la composition des vins aromatiques, des lotions & des demi-bains qu'on destine à fortifier les membres, à en dissiper les enflures, à en calmer les douleurs, &c.

Le thym que les botanistes appellent de Crete, qui est celui de Dioscoride & des anciens, & qui est absolument analogue à notre thym commun, a été employé dans plusieurs anciennes compositions officinales, telles que la confection hamech, l'aurea alexandrina, &c. Les modernes emploient le thym vulgaire dans un grand nombre de compositions tant externes qu'internes, & ils y font entrer aussi ses principes les plus précieux, son huile essentielle par exemple, dans le baume nervin & dans le baume apoplectique ; son eau distillée dans une eau composée, appellée aromatique par excellence, aqua odorata, seu milleflorum, de la pharmacopée de Paris. (b)


THYMBRES. f. (Hist. nat. Botan.) thymbra, genre de plante qui ne differe du thym, de la sarriette & du calament, qu'en ce que ses fleurs sont disposées en rond. Tournefort, I. R. H. Voyez PLANTE.

Il y a cinq especes de ce genre de plante, dont les fleurs sont toutes semblables à celles du thym, & n'en different que parce qu'elles naissent verticillées autour des tiges. La plus commune, thymbra legitima, seu saturcia cretica, a la racine dure & vivace. Elle pousse comme le thym plusieurs tiges rameuses en maniere d'arbrisseau, quarrées, fermes & couvertes d'une laine assez rude : ses feuilles sont fréquentes, un peu velues dès le bas, semblables à celles du thym ; ses fleurs sont verticillées, ou disposées par anneaux & par étages entre les feuilles, aux sommités des tiges d'une couleur blanchâtre tirant sur le purpurin. Cette plante est cultivée dans les jardins, elle fleurit en été, a une saveur un peu âcre ; mais elle répand une odeur agréable, qui participe de la sarriette & du thym ; on l'estime apéritive, atténuante & discussive ; on l'emploie intérieurement & extérieurement. (D.J.)


THYMBRÉE(Géogr. anc.) Thymbraïa ou Thymbrara ; c'est le nom d'une ville de la Troade, fondée par Dardanus, & un fleuve sur le bord duquel les Troyens avoient consacré un temple à Apollon surnommé par cette raison Thymbréen.

Mais Thymbrée est encore un nom immortel, pour avoir été le lieu de la Phrygie où se donna la bataille entre Cyrus, fondateur de la monarchie des Perses, & Crésus roi de Lydie ; cette bataille, un des plus considérables événemens de l'antiquité, décida de l'empire de l'Asie en faveur de Cyrus ; elle se trouve décrite dans les VI. & VII. l. de la Cyropédie de Xénophon ; & puisque c'est la premiere bataille rangée dont nous connoissons le détail avec quelque exactitude, on la doit regarder comme un monument précieux de la plus ancienne tactique.

M. Freret, sans avoir connu la pratique de la guerre, a remarqué, dans les mém. de littér. tom. VI. in -4°. p. 536. deux choses importantes sur cette bataille de Thymbrée ; sa premiere remarque est que le retranchement mobile de chariots dont Cyrus forma son arriere-garde, & qui lui réussit si bien, a été employé heureusement par de grands capitaines modernes.

Lorsque le duc de Parme, Alexandre Farnese, vint en France pendant les guerres de la ligue, il traversa les plaines de Picardie, marchant en colonne au milieu de deux files de chariots qui couvroient ses troupes ; & Henri IV. qui cherchoit à l'engager au combat, n'osa jamais entreprendre de l'y forcer, parce qu'il ne le pouvoit sans attaquer ce retranchement mobile, ce qu'il ne pouvoit faire sans s'exposer à une perte presque certaine.

Le duc de Lorraine employa la même disposition avec un égal succès, lorsqu'après avoir tenté inutilement de jetter du secours dans Brissac, assiégé par le duc de Weimar, il fut obligé de se retirer presque sans cavalerie, à la vue de cet habile général qui avoit une armée très-forte en cavalerie. Le duc de Lorraine marcha sur une seule colonne, couverte aux deux aîles par les chariots du convoi qu'il avoit voulu jetter dans Brissac ; & ce retranchement rendit inutiles tous les efforts que fit le duc de Weimar pour le rompre.

La seconde chose qui paroît à M. Freret mériter encore plus d'attention dans ce même combat, c'est que Cyrus dut presque uniquement sa victoire aux 4000 hommes qui étoient derriere le retranchement, puisque ce furent ces troupes qui envelopperent & prirent en flanc les deux portions des aîles de l'armée lydienne, avec lesquelles Crésus espéroit envelopper l'armée persane.

César employa une semblable disposition à Pharsale ; & ce fut elle seule qui lui fit remporter la victoire sur l'armée de Pompée beaucoup plus forte que la sienne, sur-tout en cavalerie. César lui-même nous apprend dans ses mémoires, que c'étoit de cette disposition qu'il attendoit le gain de la bataille. On appercevra sans peine la conformité des deux dispositions de Thymbrée & de Pharsale, en lisant les mémoires de César ; & cette conformité est le plus grand éloge que l'on puisse faire de Cyrus dans l'art militaire. Elle montre que ce qu'il avoit fait à Thymbrée, a servi de modele à un des plus grands généraux qui aient jamais paru, & cela dans une occasion où il s'agissoit de l'empire de l'univers. (D.J.)


THYMBREUS(Mythol.) surnom que Virgile donne à Apollon, parce qu'il avoit un culte établi dans la Troade, en un lieu appellé Thymbra. Ce fut dans le temple d'Apollon Thymbreus, qu'Achille fut tué en trahison par Pâris. (D.J.)


THYMES. m. (Nosologie) en latin thymus, en grec , & ; petit tubercule indolent, charnu, semblable à une verrue, qui se forme à l'anus, ou aux environs des parties naturelles de l'un & de l'autre sexe, & qui ressemble à la fleur du thym. (D.J.)


THYMELÉ(Littérat.) ; lieu du théatre des Grecs & des Romains, où ils plaçoient la symphonie. (D.J.)


THYMÉLÉES. f. (Hist. nat. Bot.) On trouvera le caractere de ce genre de plante au mot GAROU. Tournefort en compte trente-cinq especes ; nous en décrirons deux, celle des pays chauds, à feuille de lin, & celle de la mer Noire.

La thymélée des pays chauds, thymelaea monspeliaca, J. B. 1. 591. thymelaea foliis lini, J. R. 494. a la racine longue, grosse, dure, ligneuse, grise ou rougeâtre en dehors, blanche en-dedans, couverte d'une écorce épaisse, forte & tenace, d'un goût doux au commencement, mais ensuite âcre, brûlant & caustique.

Elle pousse un petit arbrisseau, dont le tronc gros comme le pouce, est haut d'environ deux piés, divisé en plusieurs branches, menues, droites, revêtues de feuilles toujours vertes, assez ressemblantes à celles du lin, mais plus grandes, plus larges, pointues, un peu visqueuses au toucher, & sous la dent.

Ses fleurs naissent aux sommités des rameaux, ramassées plusieurs ensemble comme en grappes, petites, blanches, formant chacune un tuyau cylindrique fermé dans le fond, evasé par le haut, & découpé en quatre parties opposées en croix, avec huit étamines à sommets arrondis.

Quand ces fleurs sont passées, il leur succede des fruits gros à-peu-près comme ceux du myrthe, mais un peu plus longs, ovales, charnus, remplis de suc, verds au commencement, puis rouges comme du corail ; ils contiennent une seule semence oblongue, couverte d'une pellicule noire, luisante, fragile, sous laquelle est cachée une moëlle blanche, d'un goût brûlant.

Cette plante croît abondamment en Italie, en Espagne, en Provence, en Languedoc, aux lieux rudes, incultes, escarpés, parmi les brossailles, proche de la mer ; elle fleurit en Juillet, & souvent durant toute l'automne.

La thymélée de la mer Noire, thymelaea pontica citrei foliis, est qualifiée de plante admirable par Tournefort, dans ses voyages. Sa racine est couverte d'une écorce couleur de citron ; elle produit une tige si pliante qu'on ne sauroit la casser ; elle est chargée vers le haut, de feuilles semblables par leur figure & par leur consistance, à celles du citronnier ; chaque fleur est un tuyau jaune, verdâtre, tirant sur le citron, divisé en quatre parties opposées en croix, avec quatre étamines surmontées de quatre autres ; le pistil est terminé par une petite tête blanche ; les feuilles écrasées ont l'odeur de celles du sureau, & sont d'un goût mucilagineux, lequel laisse une impression de feu assez considérable, de même que le reste de la plante ; l'odeur de la fleur est douce ; de toutes les especes connues de thymélées, c'est celle qui a les feuilles les plus grandes ; mais sa qualité caustique & brûlante, montre assez qu'il ne faut jamais l'employer en médecine : c'est bien dommage qu'il en soit de même de toutes les autres especes, car d'ailleurs ce sont des plantes charmantes pour l'ornement d'un jardin ; plusieurs d'entr'elles fleurissent en Janvier, quand la saison est douce, & sont en Février dans toute leur perfection. (D.J.)

THYMELEE de Montpellier, (Mat. méd.) Voyez GAROU.

THYMELEE à feuilles de laurier, (Mat. méd.) Voyez LAUREOLE.


THYMELICIS. m. (Littérat.) les Romains nommoient ainsi les musiciens qui chantoient dans les entr'actes, ou ceux qui dansoient d'après les airs de la symphonie. Le lieu du théâtre où ils étoient placés, s'appelloit, comme je l'ai dit, thymele, d'où vient que Juvenal dit, sat. vj. vers. 66.

Attendit Tymele : Tymele tunc rustica discit.

(D.J.)


THYMÉLIESS. m. (Antiq. rom.) les thymélies étoient des chansons en l'honneur de Bacchus ; ces chansons tirerent leur nom de Thymélée fameuse baladine, qui fut agréable à l'empereur Domitien : on appella par la même raison thyméliens, les gens de théâtre qui dansoient & chantoient dans les intermedes ; enfin le lieu où ils faisoient leurs représentations, reçut aussi le nom de thymélé. (D.J.)


THYMIAMAS. f. (Hist. nat. Bot. mod.) nom donné par quelques auteurs à l'écorce de cascarille, & par d'autres à l'écorce de l'arbre qui porte l'encens dont on se sert dans les parfums. Voyez ENCENS, SCARILLEILLE. (D.J.)


THYMIAMATA(Mat. med. anc.) ; c'étoit des especes de fumigations aromatiques, dont les ingrédiens étoient choisis, & si diversifiés, qu'il paroît que dans leur composition, on consultoit le plaisir autant que l'utile. Comme plusieurs des ingrédiens qui entroient dans ces sortes de fumigations, ne répandent point une bonne odeur, les commentateurs se sont persuadés que c'étoient des drogues différentes de celles auxquelles nous donnons aujourd'hui les mêmes noms ; mais cette opinion n'est fondée que sur la fausse supposition qu'on ne composoit ces sortes de préparations aromatiques, que pour la bonne odeur.

Le castoreum étoit un ingrédient des fumigations aromatiques, d'où il suit que les anciens faisoient entrer dans ces fumigations, des drogues salutaires, ainsi que des drogues d'une odeur agréable. La gomme ammoniaque y entroit aussi ; l'odeur du galbanum est encore pire ; cependant, suivant le témoignage des anciens, toutes ces drogues de mauvaise odeur, se rencontroient ensemble dans les thymiamata, conjointement avec l'encens, la myrrhe, le jonc odorant, & autres parfums. (D.J.)


THYMIATERIUM(Géogr. anc.) le périple d'Hannon nous apprend que c'est la premiere ville, ou colonie, que ce général carthaginois fonda dans son voyage, le long des côtes de Libye ; mais Thymiaterium ne paroît pas être exactement le nom de cette ville, ou de cette colonie ; c'est dumathiria qu'on doit lire, suivant Bochart, qui traduit ce mot phénicien par le mot grec , en latin urbem campestrem. Les mots dumathir & dumthor, en hébreu, signifient un terrein uni ; telle étoit la situation de cette premiere ville d'Hannon, & sans-doute il prétendit l'exprimer dans le nom qu'il lui donna. Le mot grec , substitué par le traducteur, dans la vue, dit Bochart, d'adoucir le phénicien, trop rude apparemment pour des oreilles attiques, veut dire un vase à brûler de l'encens. Ramusio & Mariana prétendent que le nom moderne est Azamor, située en Libye, environ à deux journées de navigation au-delà de Gibraltar. (D.J.)


THYMIQUEadj. en Anatomie, se dit des arteres & des veines qui se distribuent au thymus. Voyez THYMUS.


THYMNIAS(Géog. anc.) golfe de l'Asie mineure, dans la Doride, selon Pline, l. III. c. xxviij. & Pomponius Méla, l. I. c. 16. (D.J.)


THYMOS. m. (Hist. nat. Ichthyolog.) poisson qui se pêche dans le Tésin, fleuve d'Italie, & auquel on a donné le nom de thymo, parce qu'il sent le thym. Il devient long d'une coudée ; il a la tête petite à proportion du corps ; le ventre est un peu pendant à sa partie antérieure, le corps a une couleur bleue, & la tête est de diverses couleurs : ce poisson a deux nageoires aux ouies, deux à la partie antérieure du ventre, une au-dessous de l'anus, & deux sur le dos : la premiere des nageoires du dos est beaucoup plus grande que l'autre, & de couleur rouge avec des taches noires : la nageoire de la queue est fourchue. Rondelet, hist. des poissons de riviere, ch. x. Voyez POISSON.


THYMOXALME(Mat. méd. anc.) ; préparation de vinaigre, de thym, de sel, & de quelques autres ingrédiens. On ordonnoit le thymoxalme extérieurement dans la goutte & les enflures, & on le prescrivoit intérieurement dans les maux d'estomac, à la dose d'environ un quart de pinte, dans de l'eau chaude : il opéroit comme purgatif, & voici sa préparation. On prenoit deux onces de thym pilé, autant de sel, un peu de farine, de rue, & de pouliot : on mettoit le tout dans un pot, ensuite on versoit dessus trois pintes d'eau, & quatorze onces de vinaigre : on couvroit bien le pot d'un gros drap, & on l'exposoit pendant quelque tems à la chaleur du soleil. Dioscoride, l. V. c. xxiv. (D.J.)


THYMUSS. m. en Anatomie, est une glande conglobée, située à la partie supérieure du thorax, sous les clavicules, à l'endroit où la veine-cave & l'aorte se partagent, & forment les branches qu'on appelle souclavieres. Voyez GLANDE.

Le thymus est cette partie qui dans la poitrine du veau se nomme ris de veau. Elle est grosse dans les enfans ; mais à mesure qu'ils croissent, elle diminue. Ses arteres & ses veines sont des branches des carotides & des jugulaires. Ses nerfs viennent de la huitieme paire ; & ses vaisseaux lymphatiques se rendent dans le canal thorachique.

Le savant docteur Tyson prétend que l'usage du thymus est de servir de décharge au chyle qui est dans le conduit thorachique du foetus, dont l'estomac étant toujours plein de la liqueur dans laquelle il nage, tient nécessairement le conduit thorachique distendu par le chyle ; d'autant que le sang que le foetus reçoit de la mere, remplit les veines, & empêche le chyle d'entrer librement dans la veine souclaviere. Voyez FOETUS.

M. Cheselden observe que le thymus est fort petit dans les hommes, & que les glandes thyroïdes sont très-grosses à-proportion. Mais dans les animaux qu'il a examinés, il y a trouvé justement le contraire ; ce qui l'a porté à croire que le thymus & les glandes thyroïdes ont les mêmes vaisseaux lymphatiques, & que le premier, ou les dernieres venant à augmenter à proportion autant que feroient tous deux ensemble, cela produit le même effet que si tous deux augmentoient réellement ; & que la raison pour laquelle le thymus grossit plutôt que les glandes thyroïdes dans les brutes, c'est que la forme du thorax dans ceux-ci laisse un espace convenable pour loger cette glande ; qu'au contraire dans les hommes, la raison pour laquelle les glandes thyroïdes augmentent si fort, c'est que l'endroit du thorax où est placé le thymus, n'est pas assez étendu pour loger une grosse glande.


THYNÉES. m. (Littérat.) thyneum, en grec ; sacrifice que les pêcheurs grecs faisoient à Neptune, auquel ils immoloient un thon, afin de se rendre ce dieu favorable, & de faire une bonne pêche. (D.J.)


THYNIAS(Géog. anc.) ou THYNNIAS, nom 1°. d'un promontoire de Thrace, entre Apollonie & les îles Cyanées. Niger dit qu'on l'appelle aujourd'hui Sagora.

2°. Ile du Pont-Euxin, sur la côte de la Bithynie. Pline, Strabon & Pomponius Mela, connoissent tous cette île.


THYNNÉESS. f. pl. (Antiq. grecq.) ; c'étoient des fêtes où les pêcheurs sacrifioient des thons à Neptune ; un thon se dit en grec . (D.J.)


THYONÉ(Mytholog.) c'est, selon Ovide, le nom sous lequel Sémélé fut mise par Jupiter au rang des déesses, après que son fils l'eût retirée des enfers ; d'où vient que Bacchus est aussi surnommé Thyoneus.


THYONÉEN(Littérat.) thyoneus ; c'est-à-dire furieux, du grec , fureur. Ce nom fut donné à Bacchus, à cause des mouvemens de fureur dont les Bacchantes étoient animées. (D.J.)


THYOS(Antiq. grecq.) ; offrande qu'on faisoit aux dieux, de glands, d'herbes & de fruits, & c'étoit là les seuls sacrifices qui fussent d'usage dans les premiers tems. Voyez Potter, Archaeol. graec. t. I. pag. 213.


THYRÉE(Géog. anc.) Thyraea, 1°. Ville de la Phocide. Pausanias, l. II. c. iv. dit que Phocus mena une colonie à Thyraea, dans le pays appellé depuis Phocide ; mais il faut lire ici Tithorea, comme Pausanias lui-même l'écrit en d'autres endroits de ses ouvrages. Voyez TITHOREA.

2°. Thyraea, ville située entre la Laconie & le pays d'Argos, selon Pausanias, l. VIII. c. iij. & Strabon, l. VIII. pag. 376. Cette ville appartenoit aux Lacédémoniens, mais ils l'avoient donnée aux Eginetes, qui avoient été chassés de leur pays.

3°. Thyraea, île sur la côte du Péloponnèse, dans le golfe Thyréatique, selon toute apparence. (D.J.)


THYRÉENS(Géog. anc.) Thyraei ; peuple d'Italie dans la Japygie. Strabon, l. VI. pag. 282. les place entre Tarente & Brindes, dans les terres au milieu de l'isthme.


THYRIDES(Géog. anc.) c'est-à-dire les fenêtres. Pausanias, l. III. c. xxv. donne ce nom au sommet du Ténare, qui étoit à trente stades du promontoire Taenarum, & auprès duquel on voyoit les ruines de la ville Hippola. Pline, l. IV. c. xij. donne ce même nom de Thyrides, à trois îles du golfe Asinaeus, îles connues aujourd'hui, dit le P. Hardouin, sous le nom commun de Venetico, à cause du cap voisin appellé Capo Venetico. Le nom de Thyrides se trouve dans Strabon, l. VIII. pag. 335, 360 & 362, mais il ne dit point s'il entend par là des îles, ou un cap ; on lit seulement dans un endroit Thyrides, quod est in Messeniaco sinu praecipitium fluctibus obnoxium, à Taenaro distans stadiis 130. Cette distance si différente de celle que marque Pausanias, pourroit faire croire que le nom de Thyrides étoit commun à deux endroits de ce quartier du Péloponnèse. (D.J.)


THYRIUM(Géog. anc.) ville de l'Acarnanie. Tite-Live, Polybe & Etienne le géographe, l'ont connue. (D.J.)


THYRO STAPHYLINen Anatomie, nom d'une paire de muscles de la luette qui viennent des parties latérales du cartilage thyroïde, & en s'élargissant se terminent en forme d'arc au voile du palais.


THYRO-ÉPIGLOTIQUESen Anatomie, nom de deux muscles de l'épiglotte, qui se croisent avec les muscles thyro-aryténoïdiens, & s'attachent à la face latérale interne du cartilage thyroïde, & latéralement à l'épiglotte.


THYRO-HYOIDIENen Anatomie, nom d'une paire de muscles du larynx. Voyez HYO-THYROIDIEN.


THYRO-PALATINen Anatomie, nom d'un muscle du voile du palais décrit par Santorini, & qu'on nomme aussi thireo-palatin. Il naît supérieurement du bord postérieur osseux du palais & de la membrane ferme qui des narines se rend au voile du palais, & une partie marchant ensemble, tandis qu'une autre sait diversion, il descend, se réfléchit du voile derriere les amygdales, à la partie postérieure & latérale de la langue & de l'os hyoïde, plus enfoncé que le stylopharingien ; & ayant passé au-delà de la langue, il cottoie latéralement le pharinx pour se rendre à la corne & à la côte latérale du cartilage thyroïde même, toujours couvert de la membrane de ce cartilage ; il va lâchement s'insérer à tous les muscles du pharinx. C'est le principal agent de la déglutition. Le pharingo-staphilin de Valsalva & l'hiperoo-pharingien de Santorini sont des portions de ce muscle. Voyez PHARINGO-STAPHYLIN & HIPEROO-STAPHYLIN.


THYRO-PHARYNGIENen Anatomie, nom d'une paire de muscles qui viennent du cartilage thyroide entre le bord & la ligne oblique, d'où ils montent obliquement en-arriere, se rencontrent & se croisent l'un sur l'autre sur la ligne blanche.


THYROARYTÉNOIDIENen Anatomie, est le nom d'une paire de muscles situés au-dessous du cartilage thyroïdien ; ils viennent de la partie moyenne & postérieure de ce cartilage, & se terminent à la partie antérieure des cartilages aryténoïdes. Voyez ARITENOIDE.


THYROIDEen Anatomie, cartilage le plus grand de tous ceux du larynx ; il est situé à la partie antérieure. Voyez LARYNX.

Ce mot vient du grec , bouclier, parce qu'il ressemble à un bouclier.

Il est attaché par l'extrêmité de ses grandes cornes avec l'extrêmité de celles de l'os hyoïde, au moyen d'un ligament, & avec le cartilage cricoïde. Voyez CRICOÏDE.

Il y a quatre glandes assez grosses, qui servent à humecter le larynx, deux supérieurement, & deux inférieurement. Les deux dernieres sont appellées thyroïdes, & sont situées à côté du larynx, près du cartilage cricoïde ou annulaire, & du premier anneau de la trachée-artere, une de chaque côté.

Elles ont la figure de petites poires, & une couleur un peu plus rougeâtre, une substance plus ferme, plus visqueuse & plus ressemblante à la chair des muscles que les autres glandes.

Leurs nerfs viennent des recurrens, & leurs arteres des carotides ; leurs veines se déchargent dans les jugulaires, & leurs vaisseaux lymphatiques dans le canal thorachique.

L'usage des glandes thyroïdes est de séparer une humeur visqueuse qui sert à humecter & lubrifier le larynx, à faciliter le mouvement de ses cartilages, à tempérer l'acrimonie de la salive, & rendre la voix plus douce.


THYROIDIENNEGLANDE, (Anat.) c'est une grosse masse glanduleuse, blanchâtre, qui couvre antérieurement la convexité du larynx. Elle paroît d'abord comme formée de glandes, ou portions oblongues unies ensemble par leurs extrêmités inférieures au-dessous du cartilage cricoïde, desorte qu'elles représentent assez grossierement une figure semilunaire, ou une espece de croissant dont les cornes sont en haut, & le milieu en bas. Elle est médiocrement épaisse, & elle est latéralement courbée, comme le cartilage thyroïde dont elle a reçu le nom. Les deux portions latérales sont appliquées sur les muscles thyro-hyoïdiens ou hyo-thyroïdiens, & la partie moyenne ou inférieure embrasse les muscles crico-hyoïdiens. Les muscles thyropharyngiens inférieurs jettent des fibres charnues sur cette glande. Ces mêmes muscles communiquent de part & d'autres par quelques fibres charnues avec les muscles sterno- thyroïdiens & avec les hyo-thyroïdiens.

Elle paroît de la même espece que les premieres glandes salivaires ; mais elle est plus ferme. On a cru en avoir trouvé le conduit de décharge ; mais c'étoit un vaisseau sanguin qui en avoit imposé. Il s'y rencontre quelquefois une traînée, comme une espece de corde glanduleuse, qui va devant le cartilage thyroïde, & disparoît devant la base de l'os hyoïde.

Cette corde glanduleuse part du milieu de la base commune des portions latérales, & va se perdre entre les muscles sterno-hyoïdiens, derriere la base de l'os hyoïde, entre la base de cet os & la base de l'épiglotte, par lequel elle est attachée à la base de la langue. (D.J.)


THYRRÉENNEPIERRE, (Hist. nat.) lapis thyrreus, nom donné par Pline à une pierre qui selon lui, surnageoit à l'eau quand elle étoit entiere, mais qui tomboit au fond lorsqu'elle étoit brisée.


THYRREUM VINUMvin connu des anciens, qui étoit fort épais & fort chargé en couleur, mais doux & agréable au goût.


THYRSES. m. (Littérat.) , hastula frondibus vestita, c'étoit une demi-pique ornée de feuillages de lierre & de pampre de vigne, entrelacés en forme de bandelettes. Il est incroyable combien Saumaise a répandu d'érudition pour le prouver dans ses homonymies.

Les dieux de la fable avoient chacun leurs armes ou leurs symboles ; le thyrse étoit tout ensemble l'arme & le symbole de Bacchus & des bacchantes. Ce dieu portoit toujours le thyrse à la main.

Quis Bacchum gracili vestem praetendere thyrso,

Quis te celatâ cum face vidit Amor ?

Qui vit jamais Bacchus mettre son thyrse sous sa robe, ou Cupidon cacher son flambeau ? On dit que Bacchus & ses compagnons porterent le thyrse dans leurs guerres des Indes pour tromper ces peuples, qui ne connoissoient pas les armes. Ensuite l'usage s'établit de s'en servir dans les fêtes de ce dieu. Phornutus prétend que le thyrse appartient à Bacchus & aux bacchantes, parce que les grands buveurs ont besoin d'un bâton pour se soutenir, lorsque le vin leur a troublé la tête. Cette origine du thyrse n'est pas fort ingénieuse ; il vaut encore mieux s'en tenir à la premiere ; les poëtes n'ont pas voulu voir le thyrse stérile entre les mains des bacchantes. Ils ont assuré qu'en frappant la terre de leur thyrse, il en jaillissoit sur le champ, tantôt une source d'eau vive, & tantôt une fontaine de vin. (D.J.)

THYRSE, (Critiq. sacrée) bâton entouré de feuillages, que les Juifs portoient en réjouissance pendant la fête des tabernacles, pour rendre graces à Dieu de la prise de Jérusalem par Macchabée. Ensuite ils ordonnerent unanimement qu'à l'avenir toute la nation célébrât chaque année la même fête, en portant des thyrses & des rameaux de palmes vertes devant l'Eternel qui leur avoit accordé la faveur inespérée de pouvoir purifier son temple. II. Macch. x. 7. (D.J.)


THYSSAGETES(Géog. anc.) peuples qui habitoient près des Palus Méotides, selon Hérodote, l. IV. n °. 22. Ils étoient voisins des Jircae. Pomponius Méla, l. I. c. xix. écrit Thysagetae, & Pline, l. IV. c. xij. Thussagetae. (D.J.)


THYSSELINUMS. m. (Hist. nat. Bot.) genre de plante qui ne differe de celui du persil de montagne qu'en ce que les especes qui le composent, rendent un suc laiteux. Voyez PERSIL DE MONTAGNE, Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.

Tournefort ne compte que deux especes de ce genre de plante umbellifere ; la premiere, thysselinum Plinii, I. R. H. 319, s'appelle assez bien en anglois the milky parsley.

Sa racine est vivace, rouge-brune, empreinte d'un suc laiteux, d'un goût âcre & desagréable ; elle pousse une tige à la hauteur de trois ou quatre piés, cannelée & creuse en-dedans ; ses feuilles sont férulacées, c'est-à-dire, ressemblantes à celles de la férule, empreintes comme la racine d'un suc laiteux mêlé d'âcre & d'amer. Les sommités des rameaux soutiennent des parasols garnis de petites fleurs à cinq feuilles d'un blanc jaunâtre, disposées en rose avec autant d'étamines capillaires à sommets arrondis ; à ces fleurs succedent des semences jointes deux-à-deux, ovales, larges, applaties, rayées sur le dos ; cette plante croît le long des étangs & des ruisseaux, dans les prés bas & aquatiques, & aux lieux humides ; elle fleurit en Juin & Juillet, & ses semences sont mûres au commencement de l'automne. (D.J.)


THYSSUS(Géog. anc.) ville de la Macédoine, sur le mont Athos, selon Pline & Thucydide. (D.J.)


TIALQUETIARLCK ou TIARLEC, s. m. (Marine) sorte de bâtiment qui a une petite fourche, un grand baleston, un pont très-bas autour duquel il y a des courcives, deux petits blocs au bordage vers l'avant, pour y lancer des manoeuvres, & trois ou quatre défenses de deux piés de long, qui pendent à des cordes aux deux côtés de l'avant.


TIANCOS. m. (Hist. nat. Botan.) fruit des Indes orientales dont on ne nous apprend rien, sinon que les habitans le pilent & le prennent dans toutes sortes de liqueurs pour les moindres incommodités qu'ils ressentent.


TIANO(Géog. mod.) en latin Teanum, ancienne petite ville d'Italie, au royaume de Naples, dans la terre de Labour, à quatre lieues au couchant de Capoue. Elle a des eaux minérales dans son voisinage. Long. 31. 45. latit. 41. 36. (D.J.)


TIARAE(Géog. anc.) lieu de l'île de Lesbos, au voisinage de la ville de Mytilène. Pline, l. XIX. c. iij. dit que ce lieu produisoit une grande quantité de truffes, & Athénée remarque la même chose. Je voudrois bien savoir si les truffes de Lesbos étoient de la même nature que les nôtres ; on n'en trouve plus à présent à Mytilène. Voyez le mot TRUFFE. (D.J.)


TIARE(Critiq. sacrée) ornement de tête des prêtres juifs, Exod. xxviij. 40. Cet ornement cependant ne consistoit qu'en une espece de petite couronne faite de bysse ou de fin lin, Exod. xxxix. 26. Mais le grand prêtre, outre cette tiare, en avoit une autre d'hyacinthe, entourée d'une triple couronne d'or, garnie sur le devant d'une lame d'or sur laquelle étoit gravé le nom Jéhova. (D.J.)

TIARE, (Littérat.) couverture de tête en Orient. On appelle ainsi une espece de bonnet rond, droit, ou en pointe recourbée, tel qu'on le voit sur les figures d'Atis & de Mythras. Les tiares de plusieurs seigneurs particuliers étoient en cône courbé sur la pointe, avec deux bandelettes que l'on attachoit sous le menton pour les tenir ; la tiare devint aussi l'ornement de tête ordinaire aux prêtres de Cybele. Les rois de Perse portoient leurs tiares à pointes droites, & les autres souverains de l'Orient en portoient de différentes formes. Voyez TIARE, Art numism. (D.J.)

TIARE, (Art numism.) La tiare étoit d'un grand usage parmi les Orientaux. Celles dont les particuliers se servoient, étoient ou rondes ou recourbées par-devant, ou semblables au bonnet phrygien ; il n'étoit permis qu'aux souverains de les porter droites & élevées. Les rois de Perse étoient si jaloux de ce droit, qu'ils auroient puni de mort ceux de leurs sujets qui auroient osé se l'attribuer ; & l'on en faisoit tant de cas, que Demaratus le lacédémonien, après avoir donné un conseil fort utile à Xerxès, lui demanda pour récompense de pouvoir faire une entrée publique dans la ville de Sardes avec la tiare droite sur la tête.

Les médailles nous représentent ces différentes sortes de tiares. On y voit que celles des rois d'Arménie se terminoient par une espece de cercle surmonté de plusieurs pointes ; on y distingue communément celles des rois parthes de celles des rois de l'Osrhoène, par les divers ornemens dont les unes & les autres sont chargées ; enfin la médaille de Xerxès fait présumer que les tiares des rois d'Arsamosate étoient fort pointues. Ces remarques toutes frivoles qu'elles paroissent, ont cependant un objet utile, puisqu'on peut en conclure 1°. que tout prince qui a pris la tiare sur ses médailles, a dû regner en Orient ; 2°. qu'en observant avec attention la forme de sa tiare, on connoitra à-peu-près l'endroit où il a regné. (D.J.)

TIARE DU PAPE, (Hist. des papes) ornement qu'a pris le pontife de Rome pour marquer sa dignité ; cet ornement est si superbe, qu'on a lieu de juger qu'il ne le tient pas de S. Pierre ; en effet c'est une espece de grand bonnet, autour duquel il y a trois couronnes d'or qui sont les unes sur les autres en forme de cercle, toutes éclatantes de pierreries, & ornées d'un globe avec une croix sur le haut de ce globe, & un pendant à chaque côté de la tiare.

Il est vrai néanmoins que la tiare papale n'étoit d'abord qu'un bonnet rond, entouré d'une simple couronne ; mais Boniface VIII. trouvant ce bonnet trop simple, l'embellit d'une seconde couronne, pour indiquer qu'il avoit droit sur le temporel des rois ; enfin Benoît XII. mit la troisieme couronne ; & cette triple couronne peut signifier tout ce qu'on voudra ; pour moi je crois qu'elle désigne l'église d'Italie qui est triomphante, militante & souffrante.


TIARIULIA(Géog. anc.) ville de l'Espagne tarragonoise située dans les terres, au pays des Ilercaons, suivant Ptolémée, l. II. c. vj. le nom moderne est, à ce qu'on prétend, Teruel. (D.J.)


TIASUM(Géog. anc.) ville de la Dace ; Ptolémée, l. II. c. viij. la marque au voisinage de Nétindana & de Zeugma ; le nom moderne est Diod, selon Lazius. (D.J.)


TIBALANGS. m. (Hist. mod. superstit.) nom que les anciens habitans idolâtres des Philippines donnoient à des fantômes qu'ils croyoient voir sur le sommet des arbres. Ils se les représentoient comme d'une taille gigantesque, avec de longs cheveux, de petits piés, des aîles étendues, & le corps peint. Ils prétendoient connoître leur arrivée par l'odorat, & ils avoient l'imagination si forte, qu'ils assûroient les voir. Quoique ces insulaires reconnussent un Dieu suprème qu'ils nommoient Barhala-may-capal, ou dieu fabricateur, ils adoroient des animaux, des oiseaux, le soleil & la lune, des rochers, des rivieres, &c. Ils avoient sur-tout une profonde vénération pour les vieux arbres ; c'étoit un sacrilége de les couper, parce qu'ils étoient le séjour ordinaire des Tïbalangs.


TIBARÉNIENSLES, (Géog. anc.) Tibareni, peuples d'Asie, sur le Pont-Euxin, aux environs de la Cappadoce. Pomponius Méla, l. I. c. ix. Strabon, l. XII. p. 548. & Pline, l. XI. c. iv. en font mention ; ils sont appellés Tibrani par Eustathe ; la contrée qu'ils habitoient, est nommée Tibarania ou Tibarenia, par Etienne le géographe ; c'est d'eux dont parle Diodore de Sicile, l. XIV. sous le nom de Tiberis tribus.

Ces peuples mettoient ainsi que les Chalibes, le souverain bien à jouer & à rire, cui in visu lusuque, summum bonum est, dit Pomponius Méla, l. I. c. xix. De plus, dès que leurs femmes étoient délivrées du mal d'enfant, ils se mettoient au lit pour elles, & en recevoient tous les services qu'on rendoit ailleurs à des accouchées ; ils en usoient peut-être ainsi par cet esprit de plaisanterie qui les portoit à se divertir de tout. Quoi qu'il en soit, divers auteurs, Apollonius, Valerius Flaccus, & l'historien Nymphodore, leur attribuent cette coutume. Diodore de Sicile, l. V. c. xiv. dit que la même chose avoit lieu dans l'île de Corse. M. Colomiés nous assure que le même usage se pratiquoit autrefois chez les Béarnois, & qu'ils le tenoient des Espagnols. Théodoret observe une chose plus sérieuse, c'est que les Tibaréniens ayant reçu l'Evangile, abrogerent la cruelle loi qui régnoit chez eux, & qui ordonnoit de précipiter les vieilles gens. (D.J.)


TIBEREMARBRE DE, (Hist. nat.) marmor Tiberium ; les Romains appelloient ainsi un marbre verd rempli de veines blanches, qui se tiroit d'Egypte ; ils l'appelloient aussi marmor Augustum. Pline nous dit qu'Auguste & Tibere furent les premiers qui en firent venir à Rome ; il paroît que ce marbre est le même que celui que nous connoissons sous le nom de verd antique, ou de verd d'Egypte.


TIBERIACUM(Géog. anc.) ville de la basse Germanie, selon l'itinéraire d'Antonin, qui la marque sur la route de Colonia-Trajana, à Colonia-Agrippina, entre Juliacum, & Colonia-Agrippina, à huit milles de la premiere de ces villes, & à dix de la seconde. C'est aujourd'hui Bertheim, qui conserve en quelque sorte son ancien nom, dont il a perdu la premiere syllabe. (D.J.)


TIBERIADEEAUX DE, (Hist. nat. Eaux minér.) source d'eaux chaudes qui sont près de Tibériade en Egypte ; le docteur Perry étant sur les lieux, a fait en physicien quelques expériences sur ces eaux minérales, pour en connoître la nature. Une demi-drachme d'huile de tartre versée dans une once & demie de cette eau, elle est devenue trouble & bourbeuse ; au bout de douze heures, les trois quarts de cette eau parurent comme de la laine blanche, laissant seulement une petite quantité d'une eau limpide au fond du vaisseau. Cette substance laineuse de couleur blanche ayant été séchée, a donné une fort petite quantité d'ochre jaune.

Une drachme & demie d'esprit de vitriol ayant été jettée dans cette eau, a produit beaucoup de sédiment blanc & onctueux. Une solution de sublimé ayant été versée dessus l'eau à la même dose d'une drachme & demie, l'eau est devenue trouble, jaunâtre, & a déposé un peu de sédiment terreux ; il paroît de-là que cette eau contient un sel nitreux. Le sucre de Saturne ayant été ajouté semblablement à la dose d'une drachme & demie, cette eau a déposé un peu de sédiment de brique. Mêlée avec de l'esprit de sel armoniac, elle se change en une liqueur trouble, d'un verd bleuâtre, & dépose enfin un sédiment cotonneux. Le suc de violettes la change en couleur jaunâtre ; les rapures de noix de galle, la changent en un pourpre foncé, & en secouant la bouteille, elle devient aussi noire que de l'encre.

Il résulte de ces expériences, que l'eau minérale de Tibériade contient une assez grande quantité de sel grossier, vitriolique fixe, du sel nitreux, ou natron, & un peu d'alun. Elle est trop salée & nauséabonde pour en boire ; mais elle doit être utile en forme de bain dans toutes les maladies cutanées, & en particulier dans les cas de lepre ; car elle est propre à déterger puissamment, nettoyer les pores excrétoires ; & elle peut par son poids & son action stimulante, rétablir les solides en général dans leur état & leur ton naturel. Philos. Transact. n°. 462. (D.J.)

TIBERIADES, (Mythol.) ou les nymphes qui habitoient les bords du Tibre ; les poëtes latins invoquoient quelquefois ces nymphes, qui n'existerent que dans leurs écrits ; mais les grecs en avoient forgé bien d'autres. (D.J.)

TIBERIADE, (Géog. anc.) ville de la Galilée, à l'extrêmité méridionale du lac de Génésareth, qu'on appelloit aussi mer de Tibériade de son nom. Josephe nous apprend que cette ville fut bâtie en l'honneur de Tibere, par Hérode Agrippa, Tétrarque de Galilée. Il en jetta les fondemens l'an 17 de l'ére chrétienne, & en fit la dédicace dix ans après ; elle avoit dans ses environs des bains d'eau chaude qui y attiroient des malades. Ce sont les eaux d'Emmaüs, dont parle Nicéphore & Sozomene ; car on n'en trouve point à l'Emmaüs où notre Seigneur fut invité par deux de ses disciples le lendemain de sa résurrection.

Vespasien ayant pris Tibériade, se contenta d'abattre une partie de ses murailles par considération pour Agrippa à qui elle appartenoit. Après la ruine de Jérusalem, quelques savans juifs s'y retirerent, & y jetterent les fondemens d'une espece d'école, qui devint célebre dans la suite ; c'est de cette école que sortirent la Misna, & l'ouvrage des Massoretes. Les Chrétiens sous Godefroi de Bouillon, s'emparerent de Tibériade, mais ils ne la garderent pas long-tems. Il n'y a plus aujourd'hui dans cet endroit qu'une espece de fort appartenant aux Turcs, & plusieurs palmiers ; tout ne présente que ruine & destruction. Cette ville a été la patrie de Juste de Tibériade en Palestine, contemporain de l'historien Josephe dont il n'étoit pas ami ; il avoit fait une chronique des rois des Juifs ; mais cet ouvrage est perdu. (D.J.)


TIBERINA-CASTRA(Géog. anc.) ville de la Vindélicie : Lazius dit que c'est aujourd'hui le village de Peringen, au voisinage de Dingelfing, dans la basse Baviere. (D.J.)

TIBERINA-INSULA, (Géog. anc.) île du Tibre, dans la ville de Rome, selon Vitruve ; Suétone la nomme l'île d'Esculape ; &, selon Plutarque, on l'appelloit à Rome l'île sacrée, & l'île des deux ponts. Voici de quelle maniere il rapporte l'origine du premier de ces noms.

Parmi les biens des Tarquins, il se trouvoit une piece de terre dans le plus bel endroit du champ de Mars ; on la consacra à ce dieu, dont on lui donna le nom ; les blés ne venoient que d'être coupés, & les gerbes y étoient encore. On ne crut pas qu'il fût permis d'en profiter, à cause de la consécration qu'on venoit d'en faire ; mais on prit les gerbes, & on les jetta dans le Tibre avec tous les arbres que l'on coupa, laissant au dieu le terrein tout nud, & sans fruit. Les eaux étoient alors fort basses, en-sorte que ces matieres n'étant pas portées loin par le fil de l'eau, elles s'arrêterent à un endroit découvert ; les premieres arrêtoient les autres, qui ne trouvant point de passage, se lierent si bien avec elles, qu'elles ne firent qu'un même corps, qui prit racine. L'eau coulante servit encore à l'affermir, parce qu'elle y charrioit quantité de limon, qui en grossissant la masse, contribuoit à la lier & à la resserrer.

La solidité de ce premier amas, le rendit encore plus grand ; car le Tibre ne pouvoit presque plus rien amener qui ne s'y arrêtât ; de maniere qu'enfin, il se forma une île que les Romains appellerent l'île sacrée, à cause de divers temples qu'on y avoit élevés en l'honneur des dieux : on l'appelle en latin, ajoute Plutarque, l'île des deux Ponts.

Il y a pourtant des écrivains qui prétendent que cela n'arriva que plusieurs siecles après Tarquin ; lorsque la vestale Tarquinie eut fait au dieu Mars la consécration d'un champ qu'elle possédoit, & qui se trouvoit voisin de celui de l'ancien roi de Rome, dont elle portoit le nom. (D.J.)


TIBERINUSS. m. (Mytholog.) fils de Capetus, devint roi d'Albe, se noya dans le Tibre, & fut mis par Romulus au nombre des dieux ; on le regardoit comme le génie qui présidoit au fleuve dans lequel il se noya. (D.J.)


TIBERIOPOLIS(Géog. anc.) c'est, 1°. une ville de la grande Phrygie, selon Ptolémée, liv. V. c. ij. Sophien l'appelle Stromizz ; 2°. c'est une ville de la Bulgarie, sur le bord du Pont-Euxin. Leunclavius dit, que le nom moderne est Varna. (D.J.)


TIBEou THIBET, (Géog. mod.) vaste pays d'Asie, qui nous est très-peu connu ; on le divise en deux parties, dont l'une s'appelle le petit, & l'autre le grand Tibet.

Le petit Tibet est à peu de journées de Caschemire : il s'étend du septentrion vers le couchant, & s'appelle Baltistan. Ses habitans & les princes qui le gouvernent sont mahométans, & tributaires du Mogol.

Le grand Tibet qu'on nomme aussi Boutan, s'étend du septentrion vers le levant, & commence au haut d'une affreuse montagne, nommée Kaniel, toute couverte de neige ; cependant la route est assez fréquentée par les Caravanes qui y vont tous les ans chercher des laines. Son chef-lieu nommé Ladak, où réside le roi, n'est qu'une forteresse, située entre deux montagnes. Dans ces provinces montueuses, tout le trafic se fait par l'échange des denrées. Les premieres peuplades qu'on rencontre, sont mahométanes ; les autres sont habitées par des payens, mais moins superstitieux qu'on ne l'est dans plusieurs contrées idolâtres.

Les religieux des Tibétins se nomment lamas. Ils sont vêtus d'un habit particulier, différent de ceux que portent les personnes du siecle ; ils ne tressent point leurs cheveux, & ne portent point de pendans d'oreilles comme les autres ; mais ils ont une bousane, & ils sont obligés à garder un célibat perpétuel. Leur emploi est d'étudier les livres de la loi, qui sont écrits en une langue & en des caracteres différens de la langue ordinaire. Ils récitent certaines prieres en maniere de choeur ; ce sont eux qui font les cérémonies, qui présentent les offrandes dans le temple, & qui y entretiennent des lampes allumées. Ils offrent à Dieu, du blé, de l'orge, de la pâte & de l'eau dans de petits vases fort propres.

Les lamas sont dans une grande vénération ; ils vivent d'ordinaire en communauté, ils ont des supérieurs locaux, & outre cela un pontife général, que le roi même traite avec beaucoup de respect. Ce grand pontife qu'on nomme dalaï-lama, habite Lassa, qui est le plus beau des pagodes qu'aient les Tibétins ; c'est dans ce pagode bâti sur la montagne de Poutala, que le grand lama reçoit les adorations nonseulement des gens du pays, mais d'une partie de l'Indoustan.

Le climat du grand & du petit Tibet est fort rude, & la cime des montagnes toujours couverte de neige. La terre ne produit que du blé & de l'orge. Les habitans n'usent que des étoffes de laine pour leurs vêtemens ; leurs maisons sont petites, étroites, & faites sans art.

Il y a encore un troisieme pays du nom de Tibet, dont la capitale se nomme Rassa ; ce troisieme Tibet n'est pas fort éloigné de la Chine, & se trouve plus exposé que les deux autres aux incursions des Tartares qui sont limitrophes. (D.J.)


TIBIAS. m. en Anatomie, est un des deux os de la jambe, situé entre le genou & la cheville du pié. Voyez PIE.

Le tibia est semblable à une ancienne espece de flute, d'où est venu son nom latin tibia.

Le tibia est le plus interne & le plus gros des os de la jambe. Voyez Pl. Anat. (Ostéol.) Voyez l'article OS.

Le tibia est d'une substance dure & ferme dans sa partie moyenne & spongieuse dans ses extrêmités : il a dans son milieu une assez grande cavité qui sert à contenir la moëlle. Voyez MOELLE.

Il est presque triangulaire dans sa longueur ; son angle antérieur qui est aigu se nomme crête. A son extrêmité supérieure, il a deux grandes cavités ou sinus, qui sont revêtues, tapissées, d'un cartilage poli nommé à cause de sa figure, cartilage semi-lunaire. Ce cartilage se trouve entre les extrêmités des deux os, & devient fort mince à son bord ; il sert à faciliter le petit mouvement latéral du génou, ayant le même usage que celui qui est dans l'articulation de la mâchoire inférieure.

Les deux sinus dont nous avons parlé, reçoivent les deux éminences du fémur ou os de la cuisse ; & l'éminence qui est entre ces deux sinus, est reçue dans le sinus qui sépare les deux éminences du fémur. Voyez FEMUR.

En pliant le genou lorsque nous marchons, nous portons en droite ligne la jambe en-devant ; ce que nous n'aurions pû faire sans l'articulation du genou ; mais semblables à ceux qui ont le malheur d'avoir une jambe de bois, nous eussions été obligés d'avancer le pié en demi-cercle, même en marchant dans la plaine, & beaucoup plus en montant.

A la face externe de l'extrêmité supérieure du tibia, se voit une petite éminence qui est reçue dans une petite cavité du péroné ; & à la partie antérieure, un peu au-dessous de la rotule, il y a une autre éminence, où s'inserent les tendons des muscles extenseurs de la jambe.

L'extrêmité inférieure du tibia, qui est beaucoup plus petite que la supérieure, a une apophyse considérable, qui forme la malleole interne ; & une assez grande cavité qui est partagée dans son milieu par une petite éminence. La cavité ou sinus reçoit la partie convexe de l'astragale ; & l'éminence est reçue dans l'enfoncement sur la partie latérale interne du même os. On voit à la face externe de l'extrêmité inférieure du tibia une autre cavité superficielle qui reçoit le péroné.

M. Cheselden rapporte l'exemple d'un enfant de sept ans, qui avoit les deux épiphyses de l'extrêmité supérieure du tibia tellement éloignées l'une de l'autre, que la moitié seulement de chaque tibia étoit jointe à chaque moitié d'épiphyse ; ce qui lui ôtoit entierement l'usage de ses jambes. Cet accident étoit arrivé par la faute de la nourrice, qui lorsque l'enfant étoit fort petit, le soutenoit par les talons & le dos sur la chaise percée ; ce qui n'est que trop ordinaire aux nourrices, comme le remarque le même M. Cheselden.

Le tibia a un contour particulier qui échappe quelquefois aux yeux des Anatomistes, & dont l'ignorance peut faire grand tort dans le pansement des fractures de cet os ; on sait qu'il est large en-haut & en-bas, mais on ne prend pas toujours garde que ces deux largeurs ne sont pas dans le plan, comme il paroît d'abord ; car la malléole interne est un peu tournée en devant, & l'enfoncement opposé qui sert à recevoir l'extrêmité inférieure du péroné ou malleole externe, est un peu tournée en arriere ; cette fracture paroîtra encore mieux dans un tibia couché sur un plan égal ; alors on verra que le plus grand diametre de la tête du tibia sera parallele à ce plan, & celui de la base sera oblique dans le sens que je viens de marquer ; il suit de-là, que le pié se tourne naturellement en-dehors. (D.J.)


TIBII(Géog. anc.) peuple d'Asie, aux environs de la grande Arménie, selon Ortélius, qui cite Cedrene & Curopalate, & ajoute que leur métropole se nommoit Tibium. Galien, l. I. meth. medendi, fait aussi mention de ces peuples. (D.J.)


TIBIRS. m. terme de relation ; nom que l'on donne à la poudre d'or en plusieurs endroits des côtes d'Afrique.


TIBISCA(Géog. anc.) ville de la basse Moesie, selon Ptolémée, l. II. c. x. Le nom moderne est Sophia, à ce que dit Niger.


TIBISCUS(Géog. anc.) fleuve de la Dace, selon Ptolémée, l. III. c. vij. Pline, l. IV. c. xij. l'appelle Pathissus ; il a sa source dans les monts Crapac, & son embouchure dans le Danube, un peu au-dessous de celle de la Save. Le nom moderne est Theisse. (D.J.)


TIBOSES. f. (Monnoie du Mogol) c'est une des roupies qui a cours dans les états du grand-mogol. Elle vaut le double de la roupie gasana qui vaut cinquante sols de France.


TIBRE(Monum. Médailles) ce fleuve qui baigne les murs de Rome, se trouve personnifié sur les monumens & les médailles sous la figure d'un vieillard couronné de laurier, à demi-couché ; il tient une corne d'abondance, & s'appuie sur une louve, auprès de laquelle sont deux petits enfans, Rémus & Romulus. C'est ainsi qu'on le voit représenté dans ce beau grouppe en marbre, qui est au jardin des Tuileries, copié sur l'antique à Rome. (D.J.)

TIBRE, (Mythol.) si le fleuve Inachus, l'Eurotas & l'Alphée ont été célebrés par les Grecs, les Romains ne solemniserent pas le Tibre avec moins de vénération. Virgile ne le nomme jamais sans quelque épithète magnifique ; ses eaux sont chéries du ciel, caelo gratissimus amnis. Dans quelle majesté ce prince des poëtes ne fait-il pas apparoître en songe le dieu du Tibre à Enée ; souverain maître du lieu où ce héros reposoit, & aussi versé que Jupiter même dans la connoissance de l'avenir, il lui annonce la grandeur de ses destinées, & l'instruit de ce qu'il doit faire pour s'en rendre digne :

Huic deus ipse loci, fluvio Tiberinus amoeno,

Populeas inter senior se attollere frondes

Visus : eum tenuis glauco velabat amictu

Carbasus, & crines umbrosa tegebat arundo.

Aeneid. l. VIII. v. 31.

" Alors le dieu du Tibre sous la figure d'un vieillard, lui sembla à-travers les peupliers, sortir de son lit, les épaules couvertes d'un voile bleu de toile fine, & la tête chargée de roseaux. "

Enée se tournant vers l'orient, selon l'usage observé dans l'invocation des dieux célestes, prend de l'eau du Tibre dans ses mains (autre pratique usitée dans l'invocation des fleuves), & adressant sa priere au dieu du Tibre, comme à la divinité tutélaire du pays, il exalte la sainteté de ses eaux, & l'honore du titre superbe de maître de l'Italie ; il implore sa protection, & jure de ne jamais cesser de lui rendre ses hommages.

Tuque ô Tibri, tu o genitor cum flumine sancto,

Accipite Aeneam, & tandem arcete periclis.

Semper honore meo, semper celebrabere donis,

Corniger Hesperidum, fluvius regnator aquarum :

Adsis, ô tandem, & propiùs tua numina firmes.

Aeneid. l. VIII. v. 72.

" Dieu du Tibre, s'écria-t-il, recevez Enée sur vos eaux, & garantissez le des périls qui le menacent. Fleuve sacré, puisque tu es touché de nos maux, de quelque terre que tu sortes, & quelle que soit ta source, je te rendrai toujours mes hommages. O fleuve, roi des fleuves de l'Hespérie, sois-moi propice, & que ton promt secours justifie ta divine promesse. "

Que ne peut point un poëte ? Il ennoblit tout. Le Tibre, ce ruisseau bourbeux, peint par Virgile devient le premier fleuve du monde. Voilà l'art magique des hommes de génie. (D.J.)

TIBRE, le, (Géogr. mod.) en italien Tevere, en latin Tiberis, auparavant Tybris, & premierement Albula ; c'est Pline qui le dit, l. III. c. v. Tiberis anteà Tiberis, appellatus, & priùs Albula, tenuis primo à mediâ longitudine Apennini, finibus Arelluorum profluit, quamlibet magnarum navium ex Italo mari capax, rerum in toto orbe nascentium mercator placidissimus. Mais Virgile a cru devoir relever davantage la gloire du Tibre, Aeneid. l. VIII. v. 330.

Tum reges, asperque immani corpore Tibris

A quo post Itali fluvium cognomine Tibrim

Diximus : amisit verum vetus Albula nomen.

" Tibris, guerrier d'une taille énorme, conquit le Latium, & les Latins donnerent son nom à ce fleuve, qui portoit auparavant celui d'Albula ". Selon les historiens, ce fut le roi Tiberinus qui en réalité donna son nom au Tibre ; mais un grand poëte devoit lui-même donner une étymologie plus ancienne, & même fabuleuse.

Ce fleuve prend sa source dans l'Apennin, assez près des confins de la Romagne ; il n'est qu'un petit ruisseau vers sa source, mais il reçoit plusieurs ruisseaux & rivieres, avant de se rendre à Ostie. Les villes qu'il arrose sont Borgo, Citta di Castello, Todi, Rome & Ostie. En se jettant dans la mer il se partage en deux bras ; dont celui qui est à la droite s'appelle Fiumechino, & celui qui est à la gauche, conserve le nom de Tibre ou Tevere. Ce dernier bras étoit l'unique bouche par laquelle ce fleuve se déchargeoit autrefois dans la mer, & c'est ce qui avoit fait donner à la ville qui étoit sur son bord oriental, le nom d'Ostia, comme étant la porte par laquelle le Tibre entroit dans la Méditerranée ; son embouchure est aujourd'hui entre Ostie & Porto.

Virgile donne à ce fleuve l'épithete de Lydius, Aeneid. l. II. v. 781. parce que le pays d'Etrurie où il coule, étoit peuplé d'une colonie de Lydiens ; ce n'est plus le tems où Lucain pourroit dire de ce fleuve.

Le Tibre a sous ses loix & le Nil & l'Ibere,

Voit l'Euphrate soumis, & le Rhin tributaire.

Il n'a pas dans Rome trois cent piés de largeur. Auguste le fit nettoyer, & l'élargit un peu, afin de faciliter son cours ; il fit aussi fortifier ses bords par de bonnes murailles de maçonnerie. D'autres empereurs ont fait ensuite leurs efforts pour empêcher le ravage de ses inondations ; mais presque tous leurs soins ont été inutiles.

Le sirocco-levante, qui est le sud-est de la Méditerranée, & qu'on appelle en Italie le vent-marin, souffle quelquefois avec une telle violence, qu'il arrête les eaux du Tibre à l'endroit de son embouchure ; & quand il arrive alors que les neiges de l'Apennin viennent à grossir les torrens qui tombent dans le Tibre, ou qu'une pluie de quelques jours produit le même effet, la rencontre de ces divers accidens, fait nécessairement enfler cette riviere, & cause des inondations qui sont le fléau de Rome, comme les embrasemens du Vésuve sont le fléau de Naples.

Le Tibre si chanté par les poëtes, n'est bon à rien, & n'est redevable de l'honneur qu'il a d'être si connu qu'à la poésie, & à la réputation de la célebre ville qu'il arrose ; les grands fleuves ont eu raison de le traiter de ruisseau bourbeux ; son eau est presque toujours chargée d'un limon qu'on assure être d'une qualité pernicieuse ; les poissons même du Tibre ne sont ni sains, ni de bon goût. Aussi de tout tems Rome payenne & chrétienne s'est donnée des soins infinis pour se procurer de l'autre eau, & avoir un grand nombre de fontaines pour suppléer à la mauvaise eau du Tibre. (D.J.)


TIBULA(Géog. anc.) ville de l'île de Sardaigne. Elle est marquée par Ptolémée, l. III. c. iij. sur la côte septentrionale de l'île entre Juliola civitas & Turris Bissonis civitas. L'itinéraire d'Antonin qui écrit Tibulae lui donne un port, d'où il commence trois de ses routes. Cette ville étoit apparemment la capitale des peuples Tibulatii, qui habitoient, selon Ptolémée, dans la partie la plus septentrionale de l'île. (D.J.)


TIBUR(Géog. anc.) en grec ; ville d'Italie, dans le Latium, à 16 milles de Rome, & bien plus ancienne que Rome. Elle fut bâtie sur le fleuve Aniénus, aujourd'hui Tévéronne, 1513 ans avant J. C. ou par les Aborigenes, selon Denys d'Halicarnasse, l. I. c. xvj. ou par une troupe de Grecs qui étoient venus du Péloponnèse, selon quantité d'autres, qui s'accordent sur l'origine grecque de cette ville. Horace dit, ode vj. l. II.

Tibur Argeo posita colono,

Sit meae sedes utinam senectae !

" Veuillent les dieux, que Tibur, cette belle colonie d'Argos, soit le séjour de ma vieillesse ". Ovide n'en parle pas moins clairement, lib. IV. Fastorum, v. 71.

Jam moenia Tiburis udi

Strabant, Argolicae quod posuere manus.

Enfin Strabon, l. V. p. 175. Martial, épig. 57. l. IV. & Artémidore cité par Etienne de Byzance, tiennent pour la même opinion.

Tibur, aujourd'hui Tivoli, fut bâtie par un grec nommé Tibur ou Tiburnus, qui avec ses deux freres Catillus & Coras, mena là une colonie. Virgile le dit dans son Enéide, l. VII. v. 670.

Tum gemini fratres, Tiburnia moenia linquunt,

Fratris Tiburti dictam cognomine gentem,

atilusque, acerque Coras, Argiva juventus.

" Alors les deux freres Catillus & Coras sortis de la ville d'Argos, quitterent les murailles, & le peuple qui portoit le nom de leur frere Tibur. "

Cette ville étoit déjà bien florissante lorsqu'Enée débarqua en Italie. Virgile, l. VII. v. 629. la compte parmi les grandes villes qui s'armerent contre les Troïens.

Quinque adeo magnae, positis incudibus, urbes,

Tela novant, Atina potens, Tiburque superbum,

Ardea, Crustumerique, & turrigerae Antemnae.

L'histoire nous apprend qu'elle résista vigoureusement & assez long-tems aux armes romaines, avant que de subir le joug de cette victorieuse république. Elle y fut enfin contrainte l'an de Rome 403 ; mais comme elle avoit de la grandeur d'ame, elle reprocha une fois si fierement aux Romains les services qu'elle leur avoit rendus, que ses députés remporterent pour toute réponse, vous êtes des superbes, superbi estis ; & voilà pourquoi Virgile dit dans les vers que nous venons de citer, Tiburque superbum.

Cette ville eut une dévotion particuliere pour Hercule, & lui fit bâtir un temple magnifique. Stace, silv. j. l. III. a placé Tibur au nombre des quatre villes où Hercule étoit principalement honoré ; ce sont, dit-il, Némée, Argos, Tibur & Gadès.

Nec mihi plus Nemeae, priscumque habitabitur Argos,

Nec Tiburna domus, solisque cubilia Gades ;

C'est pour cela que Tibur fut surnommée Herculeum ou Herculea, ville d'Hercule. Properce, l. II. éleg. 23. le dit :

Cur ve te in Herculeum deportant esseda Tibur ?

On apprend aussi la même chose dans ces deux vers de Silius Italicus, l. IV.

Quosque suo Herculeis taciturno flumine muris

Pomifera arva creant, Anienicolaeque Catilli.

On voit en même tems ici, que Tibur portoit le nom de Catillus, & c'est pour cela qu'Horace, ode xviij. l. I. dit moenia Catilli.

Il y avoit dans le temple d'Hercule à Tibur, une assez belle bibliotheque, Aulugelle le dit, l. XIX. c. v. promit è bibliothecâ Tiburti quae tunc in Herculis templo satis commodè instructa libris erat, Aristotelis librum.

On juge bien que Tibur honoroit avec zèle son fondateur le dieu Tiburnus. Il y avoit un bois sacré, le bois de Tiburne, autrement dit le bois d'Albunée, si célebre dans les Poëtes : voici ce qu'en dit Virgile :

At rex sollicitus monstris, oracula Fauni

Fatidici genitoris adit, lucosque sub altâ

Consulit Albuneâ, nemorum quae maxima sacro

Fonte sonat, saevamque exhalat opaca mephitin.

Hinc Italae gentes, omnisque Oenotria tellus

In dubiis responsa petunt.

" Le roi inquiet sur ces événemens alla consulter les oracles du dieu Faune son pere. Il les rendoit dans le bois sacré d'Albunée, & près de la fontaine qui roulant ses eaux avec grand bruit, exhale d'horribles vapeurs. C'est à cet oracle que les peuples d'Italie, & tous les pays d'Oenotrie en particulier, ont recours dans leurs doutes. "

Albunée étoit tout ensemble le nom d'un bois, d'une fontaine, & d'une divinité de la montagne du Tibur. Cette divinité étoit la dixieme des sibylles ; on l'honoroit à Tibur comme une déesse, & l'on disoit que son simulacre avoit été trouvé un livre à la main dans le gouffre de l'Anio.

Strabon parle des belles carrieres de Tibur, & observe qu'elles fournirent de quoi bâtir la plûpart des édifices de Rome. La dureté des pierres de ces carrieres étoit à l'épreuve des fardeaux & des injures de l'air, ce qui augmentoit leur prix & leur mérite. Pline, l. XXXVI. c. vj. rapporte comme un bon mot ce qui fut dit par Cicéron aux habitans de l'île de Chios, qui lui montroient avec faste les murs de leurs maisons bâtis de marbre jaspé. Je les admirerois davantage, leur dit Cicéron, si vous les aviez bâti des pierres de Tibur. Cicéron vouloit leur dire : votre marbre ne vous coûte guere, vous le trouvez dans votre île, ne vous glorifiez donc pas de la somptuosité de vos maisons : vos richesses & vos dépenses paroîtroient avec plus d'éclat, si vous aviez fait venir de Tibur, les matériaux de vos édifices.

Martial dit quelque part, que l'air de la montagne de Tibur avoit la vertu de conserver à l'ivoire sa blancheur & son éclat, ou même de les réparer. Pline & Properce disent la même chose, & Silius Italicus, liv. XII. le dit aussi.

Quale micat semperque novum est quod Tiburis aura

Pascit ebur.

L'air de Tibur étoit sain & frais, les terres étoient arrosées d'une infinité de ruisseaux, & très-propres à produire beaucoup de fruits. Il ne faut donc pas s'étonner que les Romains y aient eu tant de maisons de campagne, tant de vergers, & tant d'autres commodités. Auguste s'y retiroit de tems-en-tems. Ex secessibus praecipuè frequentavit maritima, insulasque Campaniae, aut proxima urbi oppida, Lanuvium, Praeneste, Tibur, ubi etiam in porticibus Herculis templi, persaepè jus dixit. L'empereur Adrien y bâtit un magnifique palais. Zénobie eut une retraite au voisinage. Manlius Vopiscus y avoit une très-belle maison, décrite par Stace. Enfin C. Aronius fit des dépenses énormes à élever dans Tibur un bâtiment qui effaçoit le temple d'Hercule.

Aedificator erat Cetronius, & modo curvo

Litore Cajetae, summa nunc Tiburis arce,

Nunc praenestinis in montibus, alta parabat

Culmina villarum, Graecis longeque petitis

Marmoribus vincens Fortunae, atque Herculis aedem.

Je ne veux pas oublier Horace qui avoit une maison où il alloit très-souvent, & qu'il souhaitoit pour retraite fixe de ses derniers jours. Vixit ut plurimum in secessu ruris sui Sabini aut Tiburtini : domusque ejus ostenditur circà Tiburtini lucum, dit Suétone. Il ne faut donc pas s'étonner que ce poëte vante tant la beauté de Tibur, & qu'il préfere cette ville à toutes celles de la Grece.

Me nec tam patiens Lacedaemon ;

Nec tam Larissae percussit campus opimae,

Quam domus Albuneae resonantis,

Et praeceps Anio, & Tiburni lucus, & uda

Mobilibus pomaria rivis.

" Je suis enchanté des bocages de Tibur, & de ses vergers couverts d'arbres fruitiers, & entrecoupés de mille ruisseaux distribués avec art. J'aime à entendre tantôt l'Albula rouler ses eaux avec bruit du haut des montagnes ; tantôt le rapide Anio se précipiter au-travers des rochers. Non, Lacédémone, si recommandable par la patience de ses habitans, & Larisse avec ses gras paturages, n'ont rien à mon gré qui approche de ce charmant séjour ".

Rien n'est plus heureux que le mobilibus rivis d'Horace ; c'est le ductile flumen aquae riguae de Martial, les petits ruisseaux que l'on mene où l'on veut pour arroser les jardins & les vergers : pomaria sont des vergers de pommiers. La campagne de Tibur en étoit couverte comme la Normandie : de-là vient que Columelle dit en parlant : pomosi Tiburis arva.

Munatius Plancus, dont nous connoissons d'admirables lettres qu'il écrivoit à Cicéron, & qui joua un grand rôle dans les armées, avoit aussi une fort belle maison à Tibur ; Horace le dit dans la même ode

.... Seu te fulgentia signis

Castra tenent, seu densa tenebit

Tiburis umbra tui.

Enfin les poëtes ne cessent de faire l'éloge des agrémens de Tibur. On connoît les vers de Martial, épigr. lvij. liv. V. sur la mort d'un homme qui n'avoit pû sauver sa vie en respirant le bon air de cette ville.

Cùm Tiburtinus damnet Curiatius auras

Inter laudatas ad stiga missus aquas,

Nulla fata loco possis excludere : cum mors

Venerit, in medio Tibure sardinia est.

Voici d'autres vers que le même auteur adresse à Faustinus qui jouissoit de la fraîcheur de ce lieu-là pendant les chaleurs de la canicule.

Herculeos colles gelidâ vos vincite brumâ,

Nunc Tiburtinis sedite frigoribus.

La Rome chrétienne n'a pas moins couru après les délices de Tivoli. LÉandre Alberti rapporte que les prélats de cette cour alloient passer tout l'été à la fraîcheur de ce lieu-là. Voyez TIVOLI.

Mais qu'est devenu le tombeau de l'orgueilleux Pallas, qui étoit sur le chemin de Tibur, & dont Pline parle si bien dans une de ses lettres à Fontanus, let. xxix. liv. VII.

Vous rirez, lui dit-il, vous entrerez en colere, & puis vous recommencerez à rire, si vous lisez ce que vous ne pourrez croire sans l'avoir lû. On voit sur le grand chemin de Tibur, à un mille de la ville, un tombeau de Pallas avec cette inscription : Pour récompenser son attachement & sa fidélité envers ses patrons, le sénat lui a décerné les marques de distinction dont jouissent les préteurs, avec quinze millions de sesterces (environ quinze cent mille livres de notre monnoie) & il s'est contenté du seul honneur.

Je ne m'étonne pas ordinairement, continue Pline, de ces élévations où la fortune a souvent plus de part que le mérite. Je l'avoue pourtant, j'ai fait réflexion combien il y avoit de momeries & d'impertinences dans ces inscriptions, que l'on prostitue quelquefois à des infames & à des malheureux. Quel cas doit-on faire des choses qu'un misérable ose accepter, ose refuser, & même sur lesquelles il ose se proposer à la postérité pour un exemple de modération ? Mais pourquoi me fâcher ? il vaut bien mieux rire, afin que ceux que le caprice de la fortune éleve ainsi ne s'applaudissent pas d'être montés fort haut, lorsqu'elle n'a fait que les exposer à la risée publique. (D.J.)


TIBURONVoyez REQUIN.


TICS. m. (Gram.) geste habituel & déplaisant : il se dit au simple & au figuré. Il a le tic de remuer toujours les piés. Il veut faire des vers, c'est sa maladie, son tic. Il n'y a peut-être personne qui, examiné de près, ne décelât quelque tic ridicule dans le corps ou dans l'esprit. Wasp a le tic de juger de tout sans avoir jamais rien appris.

TIC, (Maréchal.) maladie des chevaux ou mauvaise habitude qu'ils ont d'appuyer les dents contre la mangeoire ou la longe du licou, comme s'ils les vouloient mordre, ce qu'ils ne font jamais qu'ils ne rottent. Un cheval ticqueur ou qui ticque, ou sujet au tic, se remplit de vents, & devient sujet aux tranchées : le tic est fort incommode & se communique dans une écurie.

Il y a à cette incommodité plusieurs palliatifs qui ne durent que quelques jours, comme d'entourer le cou près de la tête d'une courroie de cuir un peu serrée, de garnir le bord de la mangeoire de lames de fer ou de cuivre, de frotter la mangeoire avec quelque herbe fort amere, ou avec de la fiente de vache ou de chien, ou avec de la peau de mouton ; mais le meilleur & le plus efficace est de donner l'avoine dans un havresac pendu à la tête du cheval, & de lui ôter sa mangeoire.


TICALS. m. (monnoie) c'est une monnoie d'argent qui se fabrique & qui a cours dans le royaume de Siam : elle pese trois gros & vingt-trois grains.


TICAO(Géog. mod.) île d'Asie, une des Philippines, habitée par des Indiens, qui sont la plûpart sauvages. Elle a huit lieues de tour, un bon port, de l'eau, du bois en abondance, & est à 4 lieues de Burias. (D.J.)


TICARIUS(Géog. anc.) fleuve de l'île de Corse. Ptolémée, liv. III. ch. marque l'embouchure de ce fleuve sur la côte occidentale de l'île, entre Paucacivitas & Titanis-portus : le nom moderne est Grosso, selon LÉander. (D.J.)


TICHASA(Géog. anc.) ville de l'Afrique propre. Elle est marquée par Ptolémée, l. IV. c. iij. au nombre des villes qui sont entre les fleuves Bagradas & Triton, & au midi de Carthage. (D.J.)


TICINUou TICINUS, (Geogr. anc.) ville d'Italie, chez les Insubres, sur le bord d'un fleuve de même nom. Pline, liv. III. chap. xvij. nous apprend qu'elle avoit été bâtie par les Gaulois. Dans la suite des tems elle devint un municipe, comme le prouve Cluvier par une ancienne inscription où on lit ces mots : municipi patrono : elle fut célebre sous les empereurs ; le nom moderne est Pavie. Voyez ce mot qui est corrompu de Pabia ou Papia, nom que les auteurs du moyen âge lui donnent. (D.J.)


TICOU(Géog. mod.) ville des Indes, dans l'île de Sumatra, sur la côte occidentale, vis-à-vis de Pulo-Menton. Elle dépend du royaume d'Achem, & son territoire abonde en poivre. (D.J.)


TIDORTIDORE, TYDOR, (Géog. mod.) en arabe Tubara, île de la mer des Indes, dans l'Archipel des Moluques, à l'orient de celle de Gilolo, au midi oriental de Ternate, & au nord de l'île Motir. Elle produit, comme l'île de Ternate, le clou de girofle & la noix muscade : son circuit est d'environ sept lieues. Il y a un volcan du côté du sud. Les Hollandois ont chassé les Portugais de cette île, & en sont depuis long-tems les maîtres au moyen des forts qu'ils y ont élevés, quoiqu'il y ait un roi qui fait sa résidence à Tidor, capitale de l'île, & qui est sur sa côte orientale. Long. suivant Harris, 116d. 46'. 15''. lat. 0. 36'. (D.J.)


TIEDEadj. (Gram.) d'une chaleur médiocre. Ce terme est bien vague ; entre la glace & l'ébullition il y a un grand intervalle : où commence la tiedeur, où finit-elle, & où commence la chaleur ? Il semble qu'il n'y ait qu'un instrument gradué qui pût apporter quelque précision à l'acception de ce mot si essentiel à déterminer par le rapport qu'il a avec la santé, la maladie, & l'art qui s'occupe à la conservation de l'un & à la guérison de l'autre. On dit, faites infuser à tiede ; prenez de l'eau tiede ; faites tiedir ces substances avant que de les mêler ; donnez ce médicament tiede. Tiede & tiedeur se prennent aussi figurativement. Il est devenu bien tiede sur cette affaire ; je fuis les amis tiedes ; je méprise les amans tiedes ; cette eau commence à tiedir ; sa passion est bien tiede.


TIELTIELE, ou THIEL, (Géog. mod.) ville des Pays-bas, dans la province de Gueldre, & la principale du bas Bétuwe. Cette ville fut fondée dans le neuvieme siecle ; & dans le suivant, l'an 950, Otton le grand la donna à Baldric, évêque d'Utrecht. Dans le onzieme siecle Tiel, le Bétau, le Veleau, furent inféodés à Godefroy le Bossu, duc de Brabant. Par un traité de paix de l'an 1335, Tiel fut cédé à Renaud, comte de Gueldre. Enfin durant les guerres des Pays-bas, cette ville, après divers événemens, passa l'an 1588, au pouvoir des Etats-généraux, malgré tous les efforts du duc de Parme. Long. 22. 40. lat. 51. 5.

C'est à Tiel que naquit Bibauc, en latin Bibaucius (Guillaume), mort général des chartreux, l'an 1535, après avoir passé dans son pays pour un prodige d'éloquence & de savoir. Le lecteur pourra juger de son talent dans l'art de la parole, par l'échantillon d'un de ses sermons prêché le jour de la Magdelaine, & rapporté dans le second tome des mêlanges d'histoire & de littérature.

Dans ce sermon Bibauc dit que, " Marthe étoit une très - bonne femme, rara avis in terris, fort attachée à son ménage, très-pieuse, & qui se plaisoit beaucoup à aller entendre le sermon & l'office divin ; mais que Magdelaine sa soeur étoit une coquette qui n'aimoit qu'à jouer, à courir, & à perdre le tems ; que cependant Marthe n'épargnoit rien pour l'attirer à Dieu ; que pour ne la pas effaroucher, faciebat bonam sociam, elle faisoit le bon compagnon avec elle, & entroit en apparence dans ses inclinations mondaines ; desorte que sachant combien elle aimoit le bon air & le beau langage, elle lui dit des merveilles de la personne & des sermons de Notre Seigneur, pour l'obliger finement à le venir écouter ; que Magdelaine poussée de curiosité y vint enfin ; mais qu'arrivant trop tard, comme les dames de qualité, pour se faire davantage remarquer, elle fit grand bruit, & passant par-dessus les chaises, elle se plaça in conspectu domini, vis-à-vis du prédicateur, & le regarda entre deux yeux avec une hardiesse épouvantable, &c. " (D.J.)


TIENou TYEN, s. m. (Hist. mod. Relig.) ce mot signifie en langue chinoise le ciel. Les lettrés chinois désignent sous ce nom l'Etre suprème, créateur & conservateur de l'Univers. Les Chinois de la même secte des lettrés, désignent encore la divinité sous le nom de cham-ti, ou chang-ti, ce qui signifie souverain ou empereur ; ces dénominations donnerent lieu à de grandes contestations entre les missionnaires jésuites & les mandarins qui sont de la secte des lettrés : les premiers ne voulurent jamais admettre le nom de tien, que les lettrés donnoient à la divinité, parce qu'ils les accusoient d'athéïsme, ou du moins de rendre un culte d'idolatrie au ciel matériel & visible. Ils vouloient que l'on donnât à Dieu le nom de tientchu, seigneur du ciel. L'empereur Canghi, dans la vue de calmer les soupçons & les scrupules des missionnaires, qu'il aimoit, donna un édit ou déclaration solemnelle, qu'il fit publier dans tout son empire, par laquelle il faisoit connoître que ce n'étoit point au ciel matériel que l'on offroit des sacrifices, & à qui l'on adressoit ses voeux ; que c'étoit uniquement au souverain maître des cieux à qui l'on rendoit un culte d'adoration, & que par le nom de chang-ti, on ne prétendoit désigner que l'Etre suprème. L'empereur, non content de cette déclaration, la fit souscrire & confirmer par un grand nombre des mandarins les plus distingués de l'empire, & par les plus habiles d'entre les lettrés ; ils furent très-surpris d'apprendre que les Européens les eussent soupçonnés d'adorer un être inanimé & matériel, tel que le ciel visible ; ils déclarerent donc de la maniere la plus authentique, que par le mot tyen, ainsi que par celui de chang-ti, ils entendoient le Seigneur suprème du ciel, le principe de toutes choses, le dispensateur de tous les biens, dont la providence, l'omniscience, & la bonté, nous donnent tout ce que nous possédons. Par une fatalité incompréhensible, des déclarations si formelles n'ont jamais pu rassurer les consciences timorées des missionnaires ; ils crurent que l'empereur & les lettrés ne s'étoient expliqués de cette façon, que par une condescendance & par une foiblesse à laquelle rien ne pouvoit pourtant les obliger ; ils persisterent à les soupçonner d'athéïsme & d'idolatrie, quelqu'incompatible que la chose paroisse ; & ils refuserent constamment de se servir des mots de tyen & de chang-ti, pour désigner l'Etre suprème, aimant mieux se persuader que les lettrés ne croyoient point intérieurement ce qu'ils professoient de bouche, & les accusant de quelques restrictions mentales qui, comme on sait, ont été authorisées en Europe, par quelques théologiens connus des missionnaires. Voyez l'histoire de la Chine du R. P. du Halde.


TIENBORD(Marine) Voyez STRIBORD.


TIENSUS. f. terme de Relation, idole des peuples du Tonquin, dont parle Tavernier. Ils révérent la Tiensu, dit-il, comme la patrone des arts ; ils l'adorent, & lui font des sacrifices, afin qu'elle donne de l'esprit, du jugement, & de la mémoire à leurs enfans.


TIERANou TIERSAN, (Venerie) il se dit du sanglier, à la troisieme année.


TIERÇAGES. m. (Jurisprud.) étoit la troisieme partie des biens du défunt, que le curé de sa paroisse exigeoit autrefois en quelques lieux, pour lui donner la sépulture. Ce tierçage fut depuis reduit au neuvieme, & ensuite aboli. Voyez Alain Bouchard, l. III. des annales de Bretagne ; Brodeau, sur Louet, let. c, som. 4. (A)


TIERCES. f. (Théolog.) nom d'une des petites heures canoniales, composée suivant l'usage présent de l'église romaine, du Deus in adjutorium, d'un hymne, de trois pseaumes sous une seule antienne, d'un capitule avec son répons bref, d'un verset, & d'une oraison.

Des auteurs ecclésiastiques très-anciens, tels que S. Basile dans ses grandes regles, quaest. 37. & l'auteur des constitutions apostoliques, l. VIII. c. xxxiv. attestent que de leur tems, tierce faisoit partie de la priere publique : on la nommoit ainsi tertia, parce qu'on la faisoit à la troisieme heure du jour, selon la maniere de compter des anciens, laquelle répondoit à neuf heures du matin ; & cela en mémoire de ce qu'à cette heure le S. Esprit étoit descendu sur les apôtres. C'est la raison qu'en donne S. Basile. L'auteur des constitutions apostoliques dit que c'étoit en mémoire de la sentence de mort prononcée par Pilate à pareille heure, contre Jesus-Christ. C'est aussi ce que dit la glose dat causam tertia mortis : on ne sait pas précisément de quelles prieres, ni de quel nombre de pseaumes l'heure de tierce étoit composée dans les premiers tems ; mais on conjecture qu'il n'y avoit que trois pseaumes, parce que, dit Cassien, chaque heure canoniale étoit composée de trois pseaumes avec les prieres ; Bingham prétend, mais sans alléguer aucune autorité, qu'on ne récitoit point tierce les jours de dimanche & de fête, parce que c'étoit à cette heure que commençoit la célébration de l'eucharistie : comme si l'on n'eût pas pu anticiper tierce, ou du moins en chanter les pseaumes tandis que le peuple s'assembloit. Voyez Bingham, orig. eccles. t. V. l. XIII. c. ix. §. 2.

TIERCE, fievre, (Médec.) fievre qui revient tous les deux jours, accompagnée de froid & de frisson, d'un pouls promt & fréquent, que suit une chaleur incommode & brûlante ; c'est l'espece de fievre la plus commune ; elle attaque indistinctement les personnes de tout âge, de tout sexe, & de tout tempérament.

Symptomes. Lorsque cette fievre est réguliere & vraie, voici ses symptomes les plus ordinaires.

Les articulations sont foibles : on a mal à la tête : on sent aux environs des premieres vertebres du dos, une douleur de reins : il y a constipation & tension douloureuse aux hypocondres. Ajoutez à cela le refroidissement des parties extérieures, sur-tout des narines & des oreilles, des bâillemens, un frisson accompagné quelquefois de tremblement dans tous les membres, un pouls petit, foible, serré, & quelquefois une soif insatiable.

Ces symptomes sont suivis de nausées & de vomissemens ; ensuite il survient une chaleur brûlante & seche, qui s'empare de tout le corps ; les joues s'affaissent, le visage devient pâle, la peau retirée, les vaisseaux des piés & des mains paroissent rouges & gonflés, le pouls devient plus grand, plus plein, plus promt, & la respiration plus pénible ; le malade tient aussi quelquefois des discours sans ordre & sans suite.

Ces symptomes diminuent peu-à-peu, la chaleur se calme, la peau se relâche & s'humecte ; les urines sont hautes en couleur, & sans sédiment, le pouls s'amollit, la sueur succede, & le paroxysme cesse.

Quant à sa durée, elle varie selon la différence des tempéramens & des causes morbifiques ; chez la plûpart des malades, elle est de onze ou douze heures, & dans d'autres davantage ; il y a le jour suivant intermission ; le corps est languissant ; le pouls qui étoit promt & véhément dans le paroxysme, est alors lent, foible, & ondoyant ; les urines sont plus épaisses, déposent un sédiment, ou portent une espece de nuage ; ce qui marque de la disposition à précipiter un sédiment.

Personnes sujettes à la fievre tierce. Tout le monde y est sujet, mais les jeunes gens plus que les vieillards ; les hommes plus que les femmes ; les personnes d'une vie active, plus que celles qui menent une vie sédentaire ; les personnes d'un tempérament délicat & bilieux ; celles qui font un usage excessif de liqueurs froides ; celles qui vivent sous un athmosphere malsain ; celles qui ont souvent des nausées, &c. sont aussi plus fréquemment attaquées de fievre tierce que les autres, &c.

Division des différentes fievres tierces. La fievre tierce est vraie ou bâtarde : la premiere est accompagnée de symptomes violens, mais sa terminaison se fait quelquefois promtement. Dans la fievre tierce bâtarde, les symptomes sont plus doux.

La fievre tierce se distingue aussi en réguliere & irréguliere. La premiere conserve la même forme, soit dans son accès, soit dans sa terminaison. L'irréguliere varie à ces deux égards : les fievres tierces irrégulieres, sont communément épidémiques, & proviennent de la constitution bizarre des saisons.

La fievre tierce est quelquefois simple, quelquefois double. Dans la simple, les paroxysmes reviennent tous les seconds jours, ou deux fois par jour, avec un jour d'intermission. Il faut toutefois distinguer la fievre double- tierce, de la fievre quotidienne qui prend tous les jours dans le même tems, au-lieu que les paroxysmes de la double tierce reviennent tous les deux jours.

Causes des fievres tierces. Ces fievres naissent comme les autres, d'une infinité de causes différentes ; mais pour l'ordinaire, de la corruption de la bile & des humeurs, après de grands exercices, d'agitations d'esprit, d'une saison chaude, humide, des veilles, de l'abus des liqueurs échauffantes, des alimens gras, épicés, de difficile digestion, des crudités, &c.

Pronostics. Les fievres tierces qui n'ont pas été mal traitées, sont plus favorables que contraires à la santé : car ceux qui en ont été attaqués, se portent communément après qu'ils sont guéris, mieux qu'ils ne le faisoient auparavant.

Souvent la fievre tierce cesse d'elle-même, par le simple régime, sans aucun remede, & par une légere crise au bout de quelques accès. Ces sortes de fievres ne sont jamais nuisibles ; mais les fievres tierces mal conduites par le médecin, sur-tout lorsqu'il a mis en usage de violens sudorifiques ou astringens, laissent après elles un délabrement de santé cent fois pire que n'étoit la fievre.

Les fievres tierces sont plus opiniâtres en automne & en hiver, que dans les autres saisons. Elles sont sujettes à revenir, sur-tout lorsqu'elles ont été arrêtées mal-à-propos, & que le malade, après leur guérison, a péché inconsidérément dans le régime diaphorétique, ou diétetique.

Méthode curative. C'est 1°. de corriger l'acrimonie qui est la cause prochaine de cette fievre. 2°. De dissiper doucement, sur-tout par la transpiration, la matiere peccante. 3°. De calmer la violence des spasmes & des symptomes. 4°. D'expulser & d'évacuer les humeurs viciées, qui sont logées principalement dans le duodenum. 5°. De rétablir les forces après le paroxysme, & de tenir les excrétions en bon état. 6°. D'empêcher le retour de la fievre, accident commun, & qui demande plus de précautions qu'on n'en prend d'ordinaire.

Pour remplir la premiere indication curative, on corrige l'acrimonie bilieuse, par le nitre commun, bien épuré, & par des liqueurs humectantes & délayantes, comme des tisanes d'orge, de l'eau de gruau, du petit lait, des boissons de racines de gramen, du suc & d'ecorce de citron, &c.

On satisfait à la seconde indication par des diaphorétiques doux, les infusions de scordium, de chardon béni, & d'écorce de citron.

La troisieme indication est remplie, en employant des substances nitreuses, rafraîchissantes, modérément diaphorétiques & délayantes ; tel est l'esprit dulcifié de nitre bien préparé, & donné dans des eaux sédatives, comme celles de fleurs de sureau, de tilleul, de primevere, de camomille commune, &c.

On corrige & on évacue les humeurs viciées, par de doux vomitifs, des purgatifs, des savonneux acescens, & autres remedes semblables. Quand les sucs viciés sont visqueux & tenaces, les sels neutres, comme le tartre vitriolé, le sel d'Epsom, les sels des eaux de Sedlitz & d'Egra, sont très-bienfaisans : on délaye ces sels dans une quantité suffisante de quelques véhicules aqueux. Si les sucs viciés sont acides & salins, on peut user de manne, avec une demi-drachme de terre-foliée de tartre, & quelques gouttes d'huile de cédre. Lorsque le duodenum, ou l'estomac, sont engorgés de sucs corrompus, on doit tenter l'évacuation par les émétiques convenables.

Après l'évacuation des humeurs peccantes, on rétablit le ton des solides par les fébrifuges resserrans, & en particulier par le quinquina, donné dans le tems d'intermission, en poudre, en décoction, infusion, essence ou extrait.

Le mal étant guéri, on en prévient le retour par le régime, les alimens faciles à digérer, l'exercice modéré, les frictions, & quelques stomachiques en petite dose.

Observation de pratique. Les émétiques, les échauffans, & les sels purgatifs, ne conviennent point aux hypochondriaques : on substitue à ces remedes, des balsamiques en petite dose, & des clysteres préparés de substances émollientes & laxatives.

On n'entreprend rien dans l'accès, & sur-tout pendant les frissons ; mais à mesure que la chaleur augmente, on use d'une boisson agréable, propre à éteindre la soif, & à petits coups ; lorsque la chaleur diminue, on facilite l'éruption de la moiteur ; & après la cessation de la fievre, on continue d'entretenir la transpiration.

Quoique le quinquina soit un excellent fébrifuge, il ne convient pas aux personnes mélancholiques, aux femmes dont les regles sont supprimées, & dans plusieurs autres cas : on ne doit point l'employer avant que la matiere morbifique soit corrigée & suffisamment évacuée.

La saignée ne convient qu'aux gens robustes, pléthoriques, jeunes, & dans la vigueur de l'âge.

Les opiats & les anodins diminuent les forces, dérangent les périodes de la maladie, & troublent la crise.

L'écorce de cascarille qui est balsamique, sulphureuse, terreuse & astringente, est un excellent remede pour les personnes languissantes & flegmatiques ; on mêle fort bien cette écorce avec le quinquina.

Les femmes que la suppression des regles a rendu cachectiques, doivent être traitées avec beaucoup de circonspection dans la fievre tierce.

Les enfans de huit ou dix ans, attaqués de fievre tierce, se guérissent à merveille par un léger émétique, suivi de clysteres fébrifuges, ou de syrop de quinquina.

Les sudorifiques, & les remedes échauffans font souvent dégénérer la fievre tierce en continue, ou en fievre inflammatoire, ce qui suffit pour bannir à jamais de la médecine cette méthode qui n'a que trop long-tems regné.

Quand la fievre tierce produit un nouvel accès dans les jours d'intervalle, on les nomme double tierce ; si elles ont trois accès, triple tierce ; ainsi de la quarte.

La cause prochaine de ce phénomene est 1°. l'augmentation de la matiere fébrile, assez considérable pour produire un nouvel accès. 2°. Le manque de forces qui n'a pas pu soumettre & expulser toute la matiere fébrile dans l'accès précédent. 3°. La reproduction d'une nouvelle matiere fébrile dans l'intervalle. Le danger est toujours plus grand à proportion que les accès se touchent & se multiplient ; cependant la méthode curative ne change pas : on peut seulement augmenter avec prudence, la dose du fébrifuge, & s'y tenir un peu plus long-tems, pour prévenir la récidive. (D.J.)

TIERCE, s. f. en Musique, est la premiere des deux consonnances imparfaites. Voyez CONSONNANCE. Comme les Grecs ne la reconnoissoient pas pour telle, elle n'avoit point parmi eux de nom générique. Nous l'appellons tierce, parce que son intervalle est formé de trois sons, ou de deux degrés diatoniques. A ne considérer les tierces que dans ce dernier sens, c'est-à-dire par leur degré, on en trouve de quatre sortes, deux consonnantes, & deux dissonnantes.

Les consonnantes sont 1°. la tierce majeure, que les Grecs appelloient diton, composée de deux tons comme d'ut à mi ; son rapport est de 4 à 5. 2°. La tierce mineure appellée par les Grecs hemi-diton, est composée d'un ton & demi, comme mi sol ; son rapport est de 5 à 6.

Les tierces dissonnantes sont, 1°. la tierce diminuée, composée de deux semi-tons majeurs, comme si, ré bémol, dont le rapport est de 125 à 144. 2°. La tierce superflue, composée de deux tons & demi, comme fa, la dieze ; son rapport est de 96 à 125.

Ce dernier intervalle ne s'employe jamais ni dans l'harmonie, ni dans la mélodie. Les Italiens pratiquent assez souvent dans le chant la tierce diminuée ; pour dans l'harmonie, elle n'y sauroit jamais faire qu'un très-mauvais effet.

Les tierces consonnantes sont l'ame de l'harmonie, sur-tout la tierce majeure, qui est sonore & brillante. La tierce mineure a quelque chose de plus triste ; cependant elle ne laisse pas d'avoir beaucoup de douceur, sur-tout quand elle est redoublée.

Nos anciens musiciens avoient sur les tierces des loix presque aussi séveres que sur les quintes ; il n'étoit pas permis d'en faire deux de suite de la même espece, sur-tout par mouvement semblable. Aujourd'hui on fait autant de tierces majeures ou mineures de suite, que la modulation en peut comporter, & nous avons des duo fort agréables qui, du commencement à la fin, ne procedent que par tierces.

Quoique la tierce entre dans la plûpart des accords, elle ne donne son nom à aucun, si ce n'est à celui que quelques-uns appellent accord de tierce-quarte, & que nous connoissons plus généralement sous le nom de petite sixte. Voyez ACCORD, SIXTE. (S)

TIERCE DE PICARDIE, les Musiciens appellent ainsi par plaisanterie, la tierce majeure donnée à la finale d'un morceau de musique composé en mode mineur. Comme l'accord parfait majeur est plus harmonieux que le mineur, on se faisoit autrefois une loi de finir toujours sur ce premier : mais cette finale avoit quelque chose de niais & de mal chantant qui l'a fait abandonner, & l'on finit toujours aujourd'hui par l'accord qui convient au mode de la piece, si ce n'est lorsqu'on passe du mineur au majeur ; car alors la finale du premier mode porte élégamment la tierce majeure.

Tierce de Picardie, parce que l'usage de cette tierce est resté plus long-tems dans la musique d'église, & par conséquent en Picardie où il y a un grand nombre de cathédrales & autres églises, où l'on fait musique. (S)

TIERCE, terme d'Imprimeur, c'est la troisieme épreuve, ou la premiere feuille que l'on tire immédiatement après que la forme a été mise en train, avant que d'imprimer tout le nombre que l'on s'est proposé de tirer sur un ouvrage. Quoiqu'il arrive que l'on donne trois ou quatre épreuves d'un ouvrage, c'est toujours la derniere qui s'appellé tierce. Le prote doit collationner avec grande attention, sur la tierce, si les fautes marquées sur la derniere épreuve ont été exactement corrigées. La tierce doit ressembler à une premiere bonne feuille, & être exempte de tout défaut, sans quoi on en exige une autre. Voyez METTRE EN TRAIN.

TIERCE, (Lainage) en terme de commerce de laines d'Espagne, on appelle laine tierce, la troisieme sorte de laine qui vient de ce royaume ; c'est la moindre de toutes. Savary. (D.J.)

TIERCE, (Jeu d'orgue) est faite en plomb, & a tous ses tuyaux ouverts. Voyez la fig. 41. jeu d'Orgue. Ce jeu sonne l'octave au-dessus de la double tierce, qui sonne l'octave au-dessus du prestant. Voyez la table du rapport & de l'étendue des jeux d'Orgue.

TIERCE DOUBLE, (Jeu d'orgue) sonne la tierce au-dessus du prestant ou du quatre piés. Ce jeu a quatre octaves, & est fait comme le nazared, en ce cas il a des oreilles, ou est fait comme la tierce qui n'en a point : sa matiere est le plomb. Voyez l'article ORGUE, & la table du rapport & de l'étendue des jeux de l'orgue.

TIERCES PLUMES, en Plumacerie, ce sont des plumes d'autruche qui à force d'être sur l'oiseau, sont usées au point qu'il ne reste presque plus de franges sur la tige.

TIERCE, (Comm.) en Angleterre est une mesure pour des choses liquides, comme du vin, de l'huile, &c. elle contient le tiers d'une pipe, ou 42 gallons ; un gallon contient environ 4 pintes de Paris. Voyez MESURE, GALLON.

TIERCE, estocade de, (Escrime) est un coup d'épée qu'on allonge à l'ennemi dehors, & sur les armes. Voyez TIRER DEHORS LES ARMES, R LES ARMESRMES.

Pour exécuter cette estocade, il faut 1°. faire du bras droit & de la main droite, tout ce qui a été enseigné pour parer en tierce, & effacer de même : 2°. étendre subitement le jarret gauche pour chasser le corps en avant : 3°. avancer le pié droit vers l'ennemi, à quatre longueurs de pié de distance d'un talon à l'autre : 4°. le genou droit plié, le gauche bien étendu, & le tibia perpendiculaire à l'horison : 5°. développer le bras gauche avec action la main ouverte, & avancer le corps jusqu'à ce que le bout des doigts soit sur l'à-plomb du talon gauche : 6°. le dedans de la main gauche tourné de même côté que le dedans de la droite, le pouce du côté de la terre & à hauteur de la ceinture : 7°. regarder l'ennemi par le dedans du bras droit : 8°. faire tout le reste comme à l'estocade de quarte. Voyez ESTOCADE DE QUARTE.

TIERCE, parer en, (Escrime) c'est détourner du vrai tranchant de son épée, celle de son ennemi sur une estocade qu'il porte dehors, & sur les armes. Voyez TIRER DEHORS LES ARMES, R LES ARMESRMES.

Pour exécuter cette parade, il faut 1°. sans varier la pointe d'aucun côté, élever le poignet à la hauteur du noeud de l'épaule : 2°. avancer un peu le haut du corps vers l'ennemi, en tournant l'axe des épaules à droite : (Voyez EFFACER) 3°. tourner la main droite de façon que le vrai tranchant soit sur l'alignement du coude, & mettre le plat de la lame parallele à l'horison : 4°. porter le talon du vrai tranchant du côté de l'épée ennemie, jusqu'à ce que la garde ait passé l'alignement du corps : 5°. regarder l'ennemi par le dedans du bras : 6°. serrer la poignée de l'épée avec toute la main, dans l'instant qu'on la tourne. Nota, qu'on fait tous ces mouvemens d'un seul tems & avec action.

TIERCES ou TIERCHES, terme de Blason, ce sont fasces en devise qui se mettent trois à trois, comme les jumelles deux à deux, les trois fasces n'étant comptées que pour une, & toutes les trois n'occupant que la largeur de la fasce ordinaire, ou de la bande, si elles y sont posées, pourvu qu'il n'y en ait qu'une dans un écu. P. Menestrier. (D.J.)

TIERCE au piquet, c'est trois cartes de la même couleur qui se suivent en nombre, comme l'as, le roi, la dame, que l'on appelle tierce-majeure ; les autres s'appellent du nom de la plus haute carte qui la forme ; comme dans celle où le roi est la premiere, se nomme tierce au roi, ainsi des autres : la plus haute annullant toujours la plus foible.

TIERCE-FEUILLE, terme de Blason, figure dont on charge les écus des armoiries ; elle a une queue par laquelle elle est distinguée des treffles qui n'en ont point. (D.J.)

TIERCE-FOI, (Jurisprud.) c'est la troisieme foi & hommage qui est rendue pour un fief, depuis la premiere acquisition dans les coutumes d'Anjou & Maine, Lodunois, Tours, & quelques autres ; un fief ou héritage noble ou tenu à franc devoir, se partage noblement entre rôturiers, lorsqu'il tombe en tierce-foi. Voy. le gloss. de M. de Lauriere, & les mots FOI, HOMMAGE, TIERCE-MAIN.

TIERCE-MAIN ou MAIN-TIERCE, est la main d'un tiers. Ce terme est usité en matiere de saisie ; un particulier qui est en même tems créancier & débiteur de quelqu'un, saisit en ses propres mains, comme en main-tierce, ce qu'il peut devoir à son créancier qui est en même tems son débiteur.

Tierce-main signifie aussi quelquefois la troisieme main ou le troisieme possesseur d'un héritage noble dont la foi n'est plus dûe, parce qu'elle a été convertie en franc-devoir, quand ces héritages passent en tierce-main ou au troisieme possesseur : depuis l'affranchissement de l'héritage, il se partage noblement entre roturiers, dans les coutumes d'Anjou & Maine ou autres, où la qualité des personnes regle la maniere de partager les biens. Voyez le gloss. de M. de Lauriere au mot tierce-foi ou main. (A)

TIERCE OPPOSITION, est celle qui est formée à l'exécution d'un jugement par un tiers qui n'a point été partie dans la contestation décidée par le jugement.

On la forme devant le même juge qui a rendu le jugement contre les parties avec lesquelles il a été rendu.

Si la tierce opposition est bien fondée, le jugement est retracté à l'égard du tiers-opposant seulement ; s'il succombe, il est condamné aux dépens & en l'amende.

Cette opposition est recevable en tout tems, même contre une sentence, après que le tems d'en appeller est expiré, parce qu'une sentence ne passe en force de chose jugée que contre ceux avec qui elle a été rendue. Voyez l'ordonnance de 1667, tit. XXVII. art. x. & tit. XXXV. art. ij. & les mots APPEL, ARRET, JUGEMENT, OPPOSITION, REQUETE CIVILE, SENTENCE. (A)


TIERCÉadj. terme de Blason, ce mot se dit d'un écu qui est divisé en trois parties, soit en pal, soit en bande, soit en fasce, par deux lignes paralleles qui ne se coupent point. Tiercé en bande, est lorsque l'écu est divisé en trois parties égales, comme en trois bandes faites de trois émaux différens, sans autre champ ni figure. On dit aussi tiercé en pal & en fasce. Menestrier. (D.J.)


TIERCELETS. m. on a donné ce nom au mâle de l'autour. Voyez AUTOUR.

TIERCELET, (Commerce & Monnoie) celle-ci se frappa à Milan, & eut cours dans le douzieme siecle. On ne dit point sa valeur.


TIERCELINES. & adj. (Ordre de religieuses) nom qu'on donne aux religieuses du tiers-ordre de S. François de l'étroite observance. Claire Françoise de Besançon en a été la premiere fondatrice. (D.J.)


TIERCEMENTS. m. (Jurisprud.) est une enchere que l'on fait sur l'adjudicataire d'un bail judiciaire du tiers en sus du prix de l'adjudication, comme de 100 liv. sur un bail de 400 liv.

Cette voie a été introduite pour empêcher que les baux ne soyent adjugés à vil prix.

Le tiercement doit être fait peu de tems après le bail, autrement on n'y seroit plus reçu. Voyez M. d'Héricourt en son traité de la vente des imm. par decret.

Dans les adjudications des fermes & domaines du roi, on entend par tiercement le triple du prix de l'adjudication ; il faut que ce tiercement soit fait dans les vingt-quatre heures ; on peut encore huitaine après venir par triplement sur le tiercement demander que si le prix du bail est de 3000 liv. le tiercement doit être de 9000 liv. & le triplement du tiercement de 27000 liv. Voyez le réglement de 1682, & les arrêts du conseil des 20 Novembre 1703 & 12 Juin 1725. (A)


TIERCERv. act. (Archit.) c'est réduire au tiers. On dit que le pureau des tuiles ou ardoises d'une couverture sera tiercée à l'ordinaire, c'est-à-dire que les deux tiers en seront recouverts ; ensorte que si c'est de la tuile au grand moule qui a douze ou treize pouces de longueur, on lui en donnera quatre de pureau ou d'échantillon. (D.J.)

TIERCER, (Longue paume) voyez RABATTRE.


TIERCERONS. m. (Coupe des pierres) c'est un nerf des voûtes gothiques, placé entre le formeret ou arc doubleau & l'arc d'ogive.


TIERCIAIRou TIERTIAIRE, s. m. (Ordre relig.) c'est ainsi qu'on appelle un homme ou une femme qui est d'un tiers-ordre. Les tierciaires ont des réglemens qu'ils doivent suivre, & un habit particulier ; ce qui sert à maintenir l'observance parmi les tierciaires est sous le nom de regle ; il faut qu'ils soyent éprouvés par un noviciat d'un an, au bout duquel ils font profession avec des voeux simples. On peut consulter le P. Hélyot & Lezeaux, qui ont traité tout ce qui regarde les tierciaires, leurs états, leurs privileges, leurs obligations, &c. (D.J.)


TIERCINEterme de Couvreur, piece de tuile ou morceau de tuile fendue en longueur, & employée au battellement. (D.J.)


TIERÇONS. m. (Commerce) sorte de caisse de bois de sapin, dans laquelle on envoye les savons blancs en petits pains, & les savons jaspés en pains ou briques. (D.J.)

TIERÇON, s. m. (Mesure de liquide) mesure qui fait le tiers d'une mesure entiere : ainsi les tierçons de muids contiennent environ quatre-vingt-quatorze pintes, qui sont le tiers de deux cent quatre-vingt pintes, à quoi se monte le total d'un muid. Il en est de même des tierçons des autres mesures, comme barriques, poinçons, &c. Savary. (D.J.)


TIERRATIERRA

TIERRA DOS FUMOS, (Géogr. anc.) contrée d'Afrique au pays des Hottentots, sur la côte orientale des Cafres errans. Cette contrée s'étend le long de la mer des Indes, entre la terre de Zanguana au nord, la terre de Natal au midi, & le pays appellé Terra dos Naonetas à l'occident. (D.J.)


TIERS(Arithmétique) c'est la troisieme partie d'un tout, soit nombre, soit mesure ; le tiers de vingt sols est six sols huit deniers, qui est une des parties aliquotes de la livre tournois. L'aune est composée de trois tiers. Dans les additions de fractions d'aunages, un tiers se met ainsi 1/3, & deux tiers de cette maniere 2/3. Le Gendre. (D.J.)

TIERS, s. m. (Ornith.) espece de canard ainsi nommé vulgairement, parce qu'il est de moyenne grosseur entre un gros canard & la sarcelle. Ses aîles sont bigarrées comme celles du morillon, mais son bec est comme celui de la piette (les phalaris des Grecs), c'est-à-dire arrondi, un peu applati pardessus, & dentelé par les bords. (D.J.)

TIERS-ETAT, (Histoire de France) troisieme membre qui formoit, avec l'église & la noblesse, les états du royaume de France, nommés états généraux, dont les derniers se tinrent à Paris en 1614 ; le tiers - état étoit composé des bourgeois notables, députés des villes pour représenter le peuple dans l'assemblée. Voyez ETATS, Hist. anc. & mod.

On a épuisé dans cet article tout ce qui concerne ce sujet ; j'ajouterai seulement que, quoiqu'on pense que Philippe-le-Bel ait convoqué le premier une assemblée des trois états par des lettres du 23 Mars 1301, cependant il y a une ordonnance de S. Louis datée de S. Gilles en 1254, par laquelle il paroît que le tiers-état étoit consulté quand il étoit question de matieres où le peuple avoit intérêt. (D.J.)

TIERS-ORDRE, (Hist. du monachisme) troisieme ordre établi sous une même regle & même forme de vie, à proportion de deux autres ordres institués auparavant.

Les tiers-ordres ne sont point originairement des ordres religieux, mais des associations des personnes séculieres & même mariées, qui se conforment autant que leur état le peut permettre, à la fin, à l'esprit & aux regles d'un ordre religieux qui les associe & les conduit. Les carmes, les augustins, les franciscains, les prémontrés, &c. se disputent vivement l'honneur d'avoir donné naissance aux tiers-ordres, qu'ils supposent tous d'une grande utilité dans le Christianisme.

Si l'ancienne noblesse des carmes étoit bien prouvée, les autres ordres ne devroient pas certainement entrer en concurrence. Le frere de Coria & Maestro Fray Diego de Coria Maldonado, carme espagnol, a fait un traité du tiers-ordre des carmes, dans lequel il prétend que les tierciaires carmes descendent immédiatement du prophete Elie, aussi-bien que les carmes mêmes ; & parmi les grands hommes qui ont fait profession de ce tiers-ordre, il met le prophete Abdias qui vivoit environ 800 ans avant la naissance de Jesus Christ ; il place parmi les femmes la bisayeule du Sauveur du monde sous le nom emprunté de Ste Emérentienne. Le traité singulier du P. de Coria sur cette matiere est intitulé, para los Hermanos, y Hermanas de la orden tercera de nuestra Senora del Carmel, Hispali, à Séville 1592. Le même auteur publia, six ans après à Cordoue 1598, une chronique de l'ordre des carmes, in-folio. Il dit dans ce dernier ouvrage, qu'Abdias, intendant de la maison du roi Achab, dont il est parlé au troisieme livre des rois, c. xviij. & qu'il croit être le prophête Abdias, fut disciple d'Elie, & qu'après avoir servi Achab & Ochosias son fils, il entra dans l'ordre d'Elie, composé de gens mariés qui étoient sous la conduite d'Elie & d'Elisée, & sous leur obéissance comme les conventuels.

Le P. de Coria prétend enfin que les chevaliers de Malthe dans leur origine ont été du tiers - ordre des carmes, &, pour en combler la gloire, il y met aussi S. Louis.

Les augustins font remonter assez haut leur noblesse dans l'Eglise ; car si l'on en croit le P. Bruno Sanoé, le tiers-ordre de S. Augustin a été institué par S. Augustin lui-même. Il met Ste Géneviéve de ce tiers-ordre, & beaucoup d'autres depuis S. Augustin jusqu'au sixieme siecle.

Le tiers-ordre des prémontrés seroit aussi bien ancien, s'il est vrai qu'il eût commencé du vivant même de saint Norbert, lequel étoit déja mort en 1134.

Le tiers-ordre de S. François semble avoir craint de faire remonter trop haut sa noblesse, & il a cru parlà s'en assûrer davantage la possession ; tous les membres de ce corps conviennent que S. François n'institua son tiers-ordre qu'en 1221, pour des personnes de l'un & de l'autre sexe ; il leur donna une regle dont on n'a plus les constitutions. Le premier ordre de S. François comprend les ordres religieux, qu'on appelle freres mineurs, & qui sont les cordeliers, les capucins & les récollets. Le second comprend les filles religieuses de Ste Claire. Enfin le troisieme comprend plusieurs personnes de l'un & de l'autre sexe qui vivent dans le monde, & c'est ce qu'on appelle le tiers-ordre. Les personnes qui sont de ce tiers-ordre portent sous leurs habits une tunique de serge grise ou un scapulaire de même étoffe, avec un cordon ; & elles observent une regle autorisée par les pontifes de Rome.

Tous les tiers-ordres anciens & modernes ont été approuvés, & avec raison, par le saint siege, comme on le peut voir par les bulles de Nicolas IV. en faveur des tierçaires de S. François, d'Innocent VII. pour ceux de S. Dominique, de Martin V. pour ceux des Augustins, de Sixte IV. pour ceux des carmes, & de Jules II. pour ceux des minimes, des servites, des trinitaires, &c. (D.J.)

TIERS, (Jurisprud.) triens, est quelquefois pris pour la légitime des enfans, ainsi que cela se pratique en pays de droit écrit, lorsqu'il n'y a que quatre enfans ou moins de quatre. Novell. 118 de triente & semisse. (A)

TIERS ACQUEREUR, (Jurisprud.) est celui qui a acquis un immeuble affecté & hypothéqué à un créancier par celui qui étoit avant lui propriétaire de cet immeuble. Voy. CREANCIER, HYPOTHEQUE, POSSESSION, PRESCRIPTION, TIERS DETENTEUR. (A)

TIERS ARBITRE, (Jurisprud.) Voyez ci - devant SUR - ARBITRE.

TIERS EN ASCENDANT, (Jurisprud.) est un terme usité aux parties casuelles, lorsqu'il s'agit de liquider le droit dû pour la résignation d'un office ; on ajoute à l'évaluation le tiers denier en ascendant, c'est-à-dire, au-dessus de l'évaluation ; & l'on paie le huitieme du total, c'est-à-dire, tant de l'évaluation que du tiers en ascendant, lorsque la provision s'expédie dans l'année que le droit annuel a été payé, quand même ce seroit six mois après le décès de l'officier ; mais si elle s'expédie après l'année, il faut payer le quart denier du tout. Voyez Loyseau, des offic. liv. II. c. x. n. 64, l'édit du mois de Juin 1568, & les mots ANNUEL, OFFICE, PAULETTE, PARTIES CASUELLES, HUITIEME DENIER, QUART DENIER, RESIGNATION. (A)

TIERS DES BIENS EN CAUSE, (Jurisprud.) on entend par-là la troisieme partie des héritages & biens immeubles que quelqu'un possede dans le bailliage de Caux en Normandie ou autres lieux de ladite province tenant nature d'icelui. La coutume de Normandie, art. 279, permet aux pere & mere & autres ascendans de disposer entrevifs ou par testament de ce tiers au profit de leurs enfans puînés ou l'un d'eux sortis d'un même mariage, à la charge de la provision à vie des autres puînés. Les articles suivans contiennent encore plusieurs autres dispositions sur ce tiers des puînés sur les biens en Caux. (A)

TIERS, Chambre des tiers ou des procureurs tiers, (Jurisprud.) est une chambre dans l'enclos du palais, proche la chapelle de S. Nicolas, où les procureurs au parlement qui font la fonction de tiers, s'assemblent pour donner leur avis sur les difficultés qui surviennent dans la taxe des dépens, & dont le procureur tiers référendaire leur fait le rapport.

S'il reste encore quelque doute après le rapport fait à cette chambre, on va à la communauté des avocats & procureurs. Voyez ci-devant COMMUNAUTE DES PROCUREURS & PROCUREUR. (A)

TIERS COUTUMIER, (Jurisprud.) en Normandie est une espece de légitime que la coutume accorde en propriété aux enfans sur les biens de leurs pere & mere.

Ce droit n'avoit pas lieu dans l'ancienne coutume.

Le tiers coutumier sur les biens du pere consiste dans le tiers des immeubles dont le pere étoit saisi lors du mariage, & de ceux qui lui sont échus pendant le mariage en ligne directe.

L'usufruit de ce tiers est ce que la coutume donne à la femme pour douaire coutumier, desorte que ce tiers coutumier tient lieu aux enfans de ce qu'ils prennent ailleurs à titre de douaire ; il differe pourtant du douaire en ce qu'il n'est pas toujours la même chose que le douaire de la femme ; car celle-ci peut, suivant le contrat, avoir moins que l'usufruit du tiers, au lieu que les enfans ont toujours leur tiers en propriété.

Le tiers coutumier est acquis aux enfans du jour du mariage ; cependant la jouissance en demeure au pere sa vie durant, sans toutefois qu'il le puisse vendre, engager ni hypothéquer, comme aussi les enfans ne peuvent le vendre, hypothéquer ou en disposer avant la mort du pere, & qu'ils ayent tous renoncé à la succession.

S'il y a des enfans de divers lits, tous ensemble n'ont qu'un tiers ; ils ont seulement l'option de le prendre eu égard aux biens que leur pere possédoit lors des premieres, secondes ou autres noces, sans que ce tiers diminue le douaire de la seconde, troisieme ou autre femme, lesquelles auront plein douaire sur tout le bien que le mari avoit lors du mariage, à moins qu'il n'y ait eu convention au contraire.

Pour jouir du tiers coutumier sur les biens du pere, il faut que les enfans renoncent tous ensemble à la succession paternelle, & qu'ils rapportent toutes les donations & autres avantages qu'ils pourroient avoir reçus de lui.

Ce tiers se partage selon la coutume des lieux où les héritages sont assis, sans préjudice du droit d'aînesse.

Les filles n'y peuvent avoir que mariage avenant.

Si le pere avoit fait telle aliénation de ses biens que ce tiers ne pût se prendre en nature, les enfans peuvent révoquer les dernieres aliénations jusqu'à concurrence de ce tiers, à moins que les acquéreurs n'aiment mieux payer l'estimation du fond au denier 20, ou si c'est un fief, au denier 25, le tout eu égard au tems du décès du pere.

Mais si les acquéreurs contestent, il sera au choix des enfans de prendre l'estimation, eu égard au tems de la condamnation qu'ils auront obtenue.

Le tiers coutumier sur les biens de la mere est de même le tiers des biens qu'elle avoit lors du mariage, ou qui lui sont échus pendant icelui, ou qui lui appartiennent à droit de conquêt.

Ce tiers du bien maternel appartient aux enfans aux mêmes charges & conditions que le tiers des biens du pere. Voyez la coutume de Normandie, art. 399 & suiv. les placites, art. 86 & suiv. & les commentateurs. (A)

TIERS COUTUMIER ou LEGAL, (Jurisprud.) se prend aussi en quelques coutumes pour la troisieme partie des biens nobles que la coutume réserve aux puînés, les deux autres tiers appartenant à l'aîné ; c'est ainsi que ce tiers des puînés est appellé dans la coutume de Touraine ; ailleurs on l'appelle le tiers des puînés. Voy. TIERS DES BIENS EN CAUX. (A)

TIERS ET DANGER, (Jurisprud.) est un terme d'eaux & forêts qui signifie un droit qui appartient au roi & à quelques autres seigneurs, principalement en Normandie, sur les bois possédés par leurs vassaux.

Il consiste au tiers de la vente qui se fait d'un bois, soit en argent, soit en espece, & en outre au dixieme qui est ce que l'on entend par le mot danger, lequel vient du latin denarius ou deniarius qui signifie dixieme, que l'on a mal-à-propos écrit & lu denjarius, d'où l'on a fait en françois danger.

Dans les bois où le roi a le tiers, on ne peut faire aucune vente sans sa permission, à peine de confiscation des deux autres tiers.

Pour obtenir cette permission, on lui donnoit le dixieme du prix des ventes ; c'est de-là qu'est venu le droit de danger, & non pas, comme quelques-uns l'ont cru mal-à-propos, de ce qu'il y avoit du danger de vendre sans la permission du roi.

Ce droit appartient au roi sur tous les bois de Normandie, & l'ordonnance de 1669 le déclare imprescriptible. Il y a cependant des bois qui ne doivent que le tiers sans danger, & d'autres qui ne sont sujets qu'au danger sans tiers. Voyez ci-devant le mot DANGER. (A)

TIERS DENIER, (Jurisprud.) est la troisieme partie du prix de la vente à laquelle en quelques lieux est fixé le droit dû au seigneur pour la mutation, comme dans la coutume d'Auvergne où il est ainsi appellé, & en Nivernois où l'on donne aussi ce nom au droit dû au seigneur bordelier pour la vente de l'héritage tenu de lui à bordelage. Voyez le tit. 4. & le tit. 6. (A)

TIERS DETENTEUR, (Jurisprud.) est celui qui se trouve possesseur d'un immeuble ou droit réel, soit par acquisition ou autrement, sans être néanmoins héritier ni autrement successeur à titre universel de celui qui avoit pris cet immeuble ou droit réel, à la charge de quelque rente, ou qui l'avoit affecté & hypothéqué au payement de quelque créance. Voyez ci-devant TIERS ACQUEREUR & les mots DECLARATION D'HYPOTHEQUE, HYPOTHEQUE, INTERRUPTION, PRESCRIPTION, POSSESSION. (A)

TIERS EXPERT, (Jurisprud.) est un troisieme expert qui est nommé pour donner son avis & pour départager les deux autres experts qui se sont trouvés d'avis contraire.

Ce tiers expert est ordinairement nommé d'office ; c'est pourquoi on ne peut le recuser sans cause légitime. Voyez ci-devant EXPERT. (A)

TIERS LEGAL ou COUTUMIER, (Jurisprud.) voyez ci-devant TIERS COUTUMIER.

TIERS LOT, (Jurisprud.) on appelle ainsi dans le partage des biens des abbayes ou prieurés, entre l'abbé ou le prieur commendataire & ses religieux, le troisieme lot qui est destiné pour les charges claustrales, à la différence des deux autres dont l'un est donné à l'abbé ou au prieur commendataire pour sa subsistance, l'autre aux religieux.

L'administration du tiers lot appartient à l'abbé ou au prieur commendataire, à moins qu'il n'y ait convention au contraire.

Les frais du partage doivent être pris sur le tiers lot qui existoit lors de la demande en partage ; & s'il n'y en avoit point, & que la jouissance fût en commun, les frais du partage doivent être avancés par la partie qui le demande, à la charge d'en être remboursé sur le tiers lot à faire.

Les réparations de l'église & des lieux claustraux doivent être prises sur le tiers lot jusqu'au partage, après quoi chacun est tenu de réparer & entretenir ce qui est à sa charge.

Les portions congrues ne se prennent pas sur tous les biens de l'abbaye ou prieuré, mais seulement sur le tiers lot.

On prend aussi ordinairement sur le tiers lot ce qui est abandonné aux religieux pour acquiter les obits & fondations, qui étoient des charges communes.

Quand le lot des religieux n'est pas suffisant pour acquiter les charges claustrales, ils peuvent obliger l'abbé de leur abandonner le tiers lot, ainsi qu'il fut jugé au grand-conseil le 6 Août 1711, contre le cardinal d'Etrées pour l'abbaye d'Anchin. Voyez le dictionnaire de Brillon au mot RELIGIEUX, n°. 85. & suiv. & Lacombe, recueil de jurisprud. canonique, au mot PARTAGE n. 4. & suiv. & les mots ABBE, ABBAYE, COUVENT, MONASTERE, PARTAGE, PRIEURE, RELIGIEUX, REPARATIONS. (A)

TIERS LOT ou TIERCE PARTIE, (Jurisprud.) est en Touraine le tiers des biens que l'aîné entre nobles assigne à ses puînés pour leur part, réservant les deux autres tiers pour lui. Si les puînés ne sont pas contens de ce partage, ils peuvent faire la refente des deux tiers en deux parts égales, auquel cas l'aîné en prend une avec le tiers lot, & l'autre part demeure aux puînés. Voyez la coutume de Touraine, tit. 25, & Palu sur cette coutume. (A)

TIERS LOT, (Jurisprud.) on donne aussi quelquefois ce nom au tiers ou triage que le seigneur a droit de demander dans les bois communaux ; mais on l'appelle plus communément triage. Voyez l'ordonnance des eaux & forêts, tit. 25, art. 4, & le mot TRIAGE. (A)

TIERS A MERCY, (Jurisprud.) étoit apparemment un droit seigneurial du tiers que certains seigneurs prenoient à volonté. Il fut adjugé sous ce titre de tiers à mercy au prieur d'Osay par arrêt du parlement de Paris du pénultieme jour d'Août 1404, dont M. de Lauriere fait mention en son glossaire au mot tiers. (A)

TIERS OPPOSANT, (Jurisprudence) est celui qui n'ayant pas été partie ni appellé dans un jugement, y forme opposition à ce qu'il soit exécuté à son égard à cause de l'intérêt qu'il a de l'empêcher.

L'opposition qu'il forme, est appellée tierce opposition, parce qu'elle est formée par un tiers qui n'étoit pas partie dans le jugement.

C'est la seule voie par laquelle ce tiers puisse se pourvoir, ne pouvant appeller d'une sentence où il n'a pas été partie, ni se pourvoir en cassation, ou par requête civile, contre un arrêt qui n'a pas été rendu contre lui.

Quand le tiers opposant est débouté de son opposition, on le condamne à l'amende de 75 livres, si c'est une sentence, & de 150 livres, si l'opposition a été formée à un arrêt. Voy. l'ordonnance de 1667, tit. 27, & les mots OPPOSITION, ARRET, SENTENCE, JUGEMENT, TIERCE OPPOSITION. (A)

TIERS POSSESSEUR, (Jurisprud.) est la même chose que tiers détenteur ou tiers acquéreur. Voyez ci-devant ces deux articles. (A)

TIERS, procureur tiers, (Jurisprud.) voyez TIERS REFERENDAIRE.

TIERS AU QUART, (Jurisprud.) se dit de ce qui est entre le tiers & le quart, comme la lésion du tiers au quart qui forme un moyen de restitution contre un partage, c'est-à-dire, qu'il n'est pas nécessaire que la lésion soit du tiers, mais qu'il suffit qu'elle soit de plus du quart. Voyez LESION, PARTAGE, RESCISION, RESTITUTION. (A)

TIERS ou TIERS REFERENDAIRE, PROCUREUR TIERS REFERENDAIRE, (Jurisprud.) est un des procureurs au parlement qui exercent la fonction de régler les dépens entre leurs confreres demandeur & défenseur en taxe.

Avant que le parlement prononçât des condamnations de dépens, les procureurs faisoient seuls en leur qualité la fonction de tiers.

La premiere création des tiers référendaires en titre d'office fut faite par l'édit de Décembre 1635, qui en créa 30 pour le parlement de Paris & autres jurisdictions de l'enclos du palais.

La déclaration de 1637 ordonna qu'il seroit pourvu à ces offices des procureurs qui auroient au-moins six ans de charge ; l'arrêt d'enrégistrement étendit cela à 10 ans.

Des trente charges de tiers référendaires créées par l'édit de 1635, trois seulement avoient été levées, les pourvus ne firent même aucune fonction, & par déclaration du mois de Mai 1639, les 30 offices de tiers référendaires furent supprimés, & leurs fonctions, droits & émolumens réunis à la communauté des 400 procureurs.

Il y a encore eu plusieurs autres édits & déclarations qui ont maintenu les procureurs dans la fonction de tiers.

Tous ceux qui ont dix ans de réception, prennent la qualité de procureurs tiers référendaires, & en font les fonctions chacun à leur tour dans l'ordre qui suit.

Parmi ceux qui ont 10 ans de charge, on en choisit 36 toutes les six semaines, on en fait trois colonnes de 12 chacune, & chaque colonne va pendant quinze jours à la chambre des tiers régler les difficultés qui s'élevent sur les dépens.

Il y a un trente-septieme procureur qui distribue les dépens dans la chambre qui est en-bas, appellée la sacristie, parce qu'elle sert en effet de sacristie pour la chapelle les jours de cérémonie. Ce distributeur a droit de nommer pour tiers un des 36, chacun à leur tour ; mais ordinairement il nomme pour tiers celui des 36 qu'on lui demande.

Le procureur tiers auquel le demandeur en taxe remet sa déclaration des dépens, fait sur cette déclaration son mémoire où il taxe tous les articles ; ensuite le défendeur en taxe apostille la déclaration ; & si les procureurs ne sont pas d'accord, ils vont en la chambre des tiers qui régle leurs difficultés. Voyez le code Gillet, & les mots DEPENS, FRAIS, EXECUTION, PROCUREUR, TAXE. (A)

IERS SAISI, (Jurisprud.) est celui entre les mains duquel on a saisi ce qu'il doit au débiteur du saisissant.

Le tiers saisi, quand il est assigné pour déclarer ce qu'il doit a celui sur qui la saisie est faite, doit le déclarer, & est obligé de plaider où l'instance principale est pendante. Voyez CREANCIER, DEBITEUR, PROCURATION AFFIRMATIVE, SAISIE. (A)

TIERS EN SUS, (Jurisprud.) est une augmentation que l'on fait à une somme en y ajoutant un tiers de ce à quoi elle monte. (A)

TIERS, le, (Monnoie) petite monnoie de France ainsi nommée, parce qu'elle valoit le tiers du gros tournois ; on l'appelloit autrement maille tierce ou obole tierce. (D.J.)

TIERS-DE-SOL, s. m. (Monnoie) c'étoit, selon Bouteroue, une sorte de monnoie d'or, qu'on fabriquoit du tems des rois de la premiere race ; cette monnoie avoit sur un côté la tête de Mérovée orné du diadême perlé. (D.J.)

TIERS, en terme de Blondier, c'est la troisieme partie d'une moche. Voyez MOCHE. Chaque tiers se découpe en cinq écales très-distinguées les unes des autres. Voyez ECALES.

TIERS, au jeu de la longue paulme, se dit des joueurs qui n'ont d'autre emploi que celui de rabattre, étant trop foibles pour servir.

TIERS-POINT, s. m. (Archit.) c'est le point de section qui est au sommet d'un triangle équilatéral. Il est ainsi nommé par les ouvriers, parce qu'il est le troisieme point après les deux qui sont sur la base. (D.J.)

TIERS-POINT, coupe des pierres, est la courbure des voûtes gothiques qui sont composées de deux arcs de cercles AC BC de 60°. tracés d'un intervalle B pour rayon, égal au diamêtre de la voûte.

Les claveaux de ces arcs gothiques sont dirigés à leur centre ; c'est une faute dont on voit des exemples, d'avoir mis un joint au sommet C, ainsi qu'on le peut voir au petit châtelet de Paris.

IERS-POINT, (Marine) voyez LATINE.

TIERS POINT, s. m. terme d'Horlogerie ; on appelle ainsi une lime qui est formée de trois angles. (D.J.)


TIERS-POTEAUS. m. (Charpent.) piece de bois de sciage, de 3 sur 5 pouces & demi de grosseur, faite d'un poteau de 5 à 7 pouces refendu. Cette piece sert pour les cloisons légeres & celles qui portent à faux. (D.J.)


TIESA(Géogr. anc.) fleuve du Péloponnèse, qui couloit de Sparte à Amiclée, & qui, à ce qu'on croyoit, tiroit son nom de Tiesa, fille d'Eurotas. (D.J.)


TIFATA(Géog. anc.) montagne d'Italie, dans la Campanie, près de Capoue : elle commande cette ville, selon Tite-Live, l. VII. c. xxix. & l. XXVI. c. v. tifata imminentes Capuae colles. Silius Italicus, l. XII. v. 48. dit, en parlant d'Annibal.

.... Arduus ipse

Tifata invadit prior, quâ moenibus instat

Collis, & è tumulis subjectam despicit urbem.

Cette montagne étoit sacrée, & la table de Peutinger y marque deux temples ; celui qui étoit à l'occident est désigné par ces mots ad dianam, & celui qui étoit à l'orient par ceux-ci, jovis tifatinus.

TIFATA, ville d'Italie, dans le Latium, selon Pline, l. III. c. v. (D.J.)


TIFAUGES(Géog. mod.) petite ville ou plutôt bourg de France, en Poitou, élection de Mauleon, sur la Sevre nantoise, aux confins de l'Anjou & de la Bretagne. Long. 16. 35. lat. 46. 58. (D.J.)


TIFERNUM(Géog. anc.) ville d'Italie, dans la partie de l'Umbrie qui est en-deçà de l'Apennin, sur le bord du Tibre. On la nommoit Tifernum Tiberinum, pour la distinguer d'une autre Tifernum, surnommée Metaurum. Les habitans de ces deux villes avoient aussi les mêmes surnoms : car Pline, liv. III. c. xiv. dit, Tifernates cognomine Tiberini, & alii Metaurenses. Ce furent les Tifernates Tiberini qui le nommerent leur patron ; il décora leur ville de statues, & y fit bâtir un temple à ses dépens. Il est fait mention de cette ville dans une ancienne inscription rapportée par Gruter, pag. 494. n°. 5. où on lit, reip. Tif. Tib. Holstenius, p. 90. prouve par une autre inscription que le nom de cette ville s'employoit au plurier : C. Julio. C. F. Clu. proculo Tifernis Tiberinis. Le nom moderne est Citta di castello.

Tifernum Metaurum, ville d'Italie, dans le Samnium, selon Tite-Live, l. IX. c. xliv. & l. X. c. xiv. Dans un autre endroit, liv. X. ch. xxx. il donne ce nom à une montagne. Ce nom étoit encore commun à un fleuve, suivant le témoignage de Pomponius-Méla, l. II. c. iv. & de Pline, l. III. c. ij. Le fleuve se nomme aujourd'hui il Biferno ; & c'étoit vers sa source, qu'on avoit bâti la ville de Tifernum. Cluvier a conjecturé de-là, que cette ville étoit dans l'endroit où l'on voit présentement Molise, qui est la capitale du pays. (D.J.)


TIGES. f. (Botan.) c'est la partie des plantes qui tire sa naissance de la racine, & qui soutient les feuilles, les fleurs & les fruits. La tige dans les arbres prend le nom de tronc, en latin, truncus ; & celui de caudex dans les herbes, on l'appelle caulis, & scaphus lorsqu'elle est droite comme une colonne. Les auteurs modernes l'ont nommée viticulus, lorsqu'elle est grêle & couchée, comme est celle de la nummulaire. Enfin, la tige des plantes graminées, s'appelle culmus.

Mais ce ne sont pas des mots qui intéressent les physiciens, ce sont les phénomenes curieux de la végétation ; par exemple, le redressement des tiges, car on sait que de jeunes tiges de plantes inclinées vers la terre se redressent peu-à-peu, & regardent la perpendiculaire. Dans celles qui n'ont de libre que l'extrêmité, c'est cette extrêmité qui se redresse. M. Dodart est le premier qui ait observé ce fait en France. Des pins qu'un orage avoit abattus sur le penchant d'une colline, attirerent l'attention de cet habile physicien. Il remarqua avec surprise, que toutes les sommités des branches s'étoient repliées sur elles-mêmes, pour regagner la perpendiculaire ; ensorte que ces sommités formoient avec la partie inclinée, un angle plus ou moins ouvert, suivant que le sol étoit plus ou moins oblique à l'horison.

M. Dodart cite à ce sujet dans les Mém. de l'acad. des Sciences ann. 1700. l'exemple de quelques plantes qui croissent dans les murs, telles que la pariétaire ; ces plantes après avoir poussé horisontalement, se redressent pour suivre la direction du mur : mais il n'a pas approfondi davantage la nature de ce mouvement de tiges ; nous savons seulement qu'il s'opere presque toujours, de façon que la partie qui se redresse devient extérieure à celle qui demeure inclinée : la tige prend alors la forme d'un siphon à trois branches : j'ai appris que depuis vingt-ans, M. Bonnet a tenté plusieurs expériences curieuses sur cette matiere ; mais il en reste encore beaucoup à faire avant que de chercher à en assigner la cause, car ce n'est pas avec des dépenses d'esprit & des hypothèses, qu'on y peut parvenir. (D.J.)

TIGE, s. f. (Archit.) on appelle ainsi le fût d'une colonne.

Tige de rinceau, espece de branche qui part d'un culot ou d'un fleuron, & qui porte les feuillages d'un rinceau d'ornement. (D.J.)

TIGE, s. f. (Hydr.) voyez SOUCHE. (K)

TIGE DE FONTAINE, (Archit. hydr.) espece de balustre creux, ordinairement rond, qui sert à porter une ou plusieurs coupes de fontaines jaillissantes, & qui a son profil différent à chaque étage. (D.J.)

TIGE, s. f. terme de plusieurs ouvriers, la tige d'une clé, en terme de Serrurier, est le morceau rond de la clé, qui prend depuis l'anneau jusqu'au panneton.

La tige d'une botte, en terme de Cordonnier, est le corps de la botte, depuis le pié jusqu'à la genouillere.

La tige d'un flambeau, en terme d'Orfevre, est le tuyau du flambeau, qui prend depuis la pate jusqu'à l'embouchure inclusivement.

La tige d'un guéridon, en terme de Tourneur, est la partie du guéridon, qui prend depuis la pate jusqu'à la tablette. (D.J.)

TIGE, nom que les Horlogers donnent à l'arbre d'une roue ou d'un pignon, lorsqu'il est un peu mince ; c'est ainsi que l'on dit la tige de la roue de champ, de la roue de rencontre, &c. Voyez ARBRE, AISSIEU, AXE, &c.

TIGE, (Serrurerie) c'est la partie de la clé, comprise depuis l'anneau jusqu'au bout du panneton, elle est ordinairement ronde, quelquefois cependant en tiers-point.

TIGE, adj. terme de Blason, qui se dit des plantes & des fleurs représentées sur leurs tiges.

Le Fevre d'Ormeson & d'Eaubonne à Paris, d'azur à trois lis au naturel d'argent, feuillés & tigés de synople.


TIGERONS. m. terme dont les Horlogers se servent pour désigner une petite tige fort courte, qui dans l'axe d'une roue ou d'un balancier, s'étend depuis la portée d'un pivot jusqu'au pignon, ou à la roue, &c. Dans les anciennes montres françoises, & dans presque toutes celles qu'on fait actuellement en Angleterre, la longueur de ces tigerons est si petite que par l'attraction l'huile qu'on met aux pivots, monte dans les pignons, ou s'extravase contre les roues. Parmi plusieurs habiles horlogers qui s'apperçurent de cet inconvénient, M. Gaudron fut un des premiers qui avança, que si on pouvoit mettre une bouteille d'huile à chaque pivot d'une montre, elle en conserveroit plus long-tems sa justesse. M. Sully qui saisit cette idée, imagina de petits réservoirs, (voyez la regle artificielle du tems, page 280.) qui fournissoient de l'huile aux pivots à mesure qu'elle s'évaporoit. Cette méthode entraînant après elle une grande multiplication d'ouvrage, & plusieurs inconvéniens, M. le Roy eut recours à un autre expédient, dont la lecture de l'optique de M. Newton lui fournit l'idée. En refléchissant sur l'expérience que ce grand homme rapporte, pag. 576., du livre dont nous venons de parler : M. le Roy raisonna ainsi. " Les pivots sont placés aux extrêmités des arbres ; ces arbres sont perpendiculaires aux platines qui les soutiennent, & concourent avec elles vers un même point, sommet de l'angle qu'ils font entre eux. Leur disposition étant semblable à celle des glaces dans l'expérience de Newton, ils sont comme elles susceptibles des mêmes causes d'attraction. Ainsi l'huile devroit se tenir à leur point de concours, par conséquent aux pivots. Si donc l'huile, dans les montres ordinaires, quitte les pivots pour monter dans les pignons, cet effet ne peut être produit que par la convergence de leurs aîles, au moyen de quoi ils attirent le fluide avec plus de force que les points de concours de la tige & des platines : donc pour entretenir une suffisante quantité d'huile à ce point & aux pivots, il faut en éloigner suffisamment les pignons ". L'expérience a parfaitement confirmé ce raisonnement ; car M. le Roy ayant placé dans les montres, des barettes aux endroits convenables, pour allonger ces tigerons, & éloigner les pignons & les roues des pivots ; & dans le cas où on ne pouvoit faire usage de ces barettes, y ayant suppléé par des creusures ou des noyons, il a eu la satisfaction de voir que l'huile restoit constamment aux pivots & aux portées, sans monter dans les pignons, ni s'extravaser comme ci-devant. Voyez BARETTE, CREUSURE, NOYON, &c.

Comme il est d'une extrême conséquence que le balancier soit toujours parfaitement libre, & que ses pivots, au-lieu de s'appuyer sur leurs portées, frottent sur leurs extrêmités ; il a fallu pour leur conserver aussi de l'huile, chercher une nouvelle configuration de parties. M. le Roy en a trouvé une des plus avantageuses & des plus simples.

Pour s'en procurer une idée juste, on prendra une montre, on mettra une goutte d'huile sur le milieu de son crystal ; on posera ensuite dessus un corps plus transparent, un morceau de glace par exemple, alors on verra la goutte se disposer circulairement au sommet du crystal ; on verra aussi qu'en élevant la glace, cette goutte se rétrecira, sans néanmoins quitter prise.

Afin de produire l'effet résultant de cette expérience, M. le Roy met sur le coq de ses montres, trois petites pieces fort aisées à faire ; l'inférieure qu'on nomme le petit coq de laiton, voy. PETIT COQ, fait l'effet du crystal ; la supérieure, c'est-à-dire le petit coq d'acier, tient une petite agate, comme la main tient la glace dans l'expérience, & le bout du balancier venant s'appuyer au centre de l'agate, il est toujours abondamment pourvu d'huile. A l'égard de l'autre pivot, une seule piece qu'on nomme lardon, voyez LARDON, suffit, la potence faisant l'office des deux autres. On peut consulter à ce sujet, un mémoire que M. le Roy a inséré à la suite de la regle artificielle du tems ; il le conclut en disant : " que mieux les Horlogers, & en général tous les Méchaniciens, sauront faire usage de l'attraction de cohésion, en configurant les parties de leurs ouvrages pour y fixer l'huile aux endroits nécessaires, plus en même tems ils approcheront de la perfection. "


TIGETTES. f. (Archit.) c'est dans le chapiteau corinthien, une espece de tige ou cornet, ordinairement cannelé, & orné de feuilles, d'où naissent les volutes & les hélices. (D.J.)


TIGIS(Géog. anc.) ville de la Mauritanie césariense, selon Ptolémée, l. IV. c. ij. L'itinéraire d'Antonin la marque sur la route de Rusuceurum à Badil, à douze milles du premier de ces lieux, & à vingt-sept du second. Peut-être est-ce cette ville dont le siege épiscopal est appellé Tigisitanus, dans la conférence de Carthage.


TIGNIUM(Géog. anc.) ville d'Italie dans le Picenum, selon César, de bell. civil. l. I. c. xij. Ciacconius a fait voir qu'il falloit lire Iguvium, au lieu de Tignium. On croit que c'est aujourd'hui S. Maria in Georgio. (D.J.)


TIGNOLLES. f. terme de Pêche, petit bateau fait de trois planches seulement.


TIGRANOCERTE(Géog. anc.) ville de la grande Arménie, bâtie par le roi Tigrane, du tems de la guerre de Mithridate ; ce qui fait qu'Appien en décrivant cette guerre, appelle Tigranocerte une ville toute nouvelle.

Elle étoit située au-delà des sources du Tigre, en tirant vers le mont Taurus ; & selon Pline, l. VI. c. ix. sur une haute montagne dans la partie méridionale de l'Arménie. Tacite, Ann. l. XV. c. v. la met à 37 milles de Nisibis. Tigranocerta dans la langue du pays, veut dire la ville de Tigrane. Elle étoit fortifiée & défendue par une bonne garnison ; Plutarque ajoute que c'étoit une belle ville, & puissamment riche.

Le mot Tigranocerta est du genre neutre, selon Etienne le géographe ; Appien cependant le fait du genre féminin, & Tacite l'emploie aux deux genres : ce n'est pas là le plus important.

Tigranocerte étoit une ville sur l'Euphrate, que Tigrane avoit eu la fantaisie de peupler aux dépens de douze autres villes, dont bon gré malgré il avoit transféré les habitans dans celle-là. Tous les grands de son royaume, pour lui plaire, y avoient bâti des palais. Tigrane en vouloit faire une ville comparable à Babylone, & cela étoit bien avancé ; mais Lucullus ne lui donna pas le tems de l'achever : car après avoir pris & saccagé Tigranocerte, il en fit une solitude, renvoyant les habitans dans leur ancienne demeure, ce qui convenoit à tous ces divers peuples, qui soupiroient après leur patrie.

Cette grande ville étoit peuplée de grecs & de barbares. La division se mit parmi eux ; Lucullus en sut profiter, il fit donner l'assaut, prit la ville, & après s'être emparé des trésors du roi, il abandonna Tigranocerte à ses soldats, qui avec plusieurs autres richesses, y trouverent huit mille talens d'argent monnoyé, c'est-à-dire vingt-quatre millions ; & outre le pillage, il donna encore à chaque soldat quatre cent drachmes sur le butin qui y fut fait. (D.J.)


TIGRES. m. (Hist. nat. Zoolog.) tigris, Pl. III. fig. 1. animal quadrupede, un peu plus petit que le lion ; il a les oreilles courtes & arrondies, & la queue longue comme celle du lion. Son poil est court & de couleur jaune, avec des taches noires & longues. Le tigre se trouve en Asie & en Afrique ; il est très - féroce.

Il y a plusieurs especes d'animaux auxquels on a donné le nom de tigre. Celui qui ressemble le plus au vrai tigre, est l'animal nommé tigre royal. L'animal auquel on donne le nom de tigre d'Amérique, & que les Brasiliens nomment jaguara, a plus de rapport au léopard qu'au tigre, car il a des taches rondes comme celles du léopard, & non des taches longues comme celles du tigre. Le tigre noir ou once, nommé au Brésil jaguarete, differe du tigre d'Amérique en ce qu'il a le poil d'un noir ondé & lustré, avec des taches d'un noir plus foncé. Le tigre barbet, tigre frisé ou loup tigre, du cap de Bonne-Espérance, a le poil frisé comme celui d'un barbet, & des taches noires. Le tigre rouge de la Guyane & du Brésil, differe du tigre d'Amérique par sa couleur qui est d'un jaune roussâtre, plus foncé sur le dos que sur le reste du corps ; le dessous de la mâchoire inférieure & le ventre, sont un peu blanchâtres. Voyez REGNE ANIMAL.

Le tigre dans le systeme zoologique de Linnaeus, constitue un genre distinct dans la classe des quadrupedes ; ses caracteres sont qu'il a quatre mamelles placées sous le nombril, & que ses piés sont faits pour grimper ; Linnaeus rapporte la panthere à ce genre, en l'appellant tigre à taches orbiculaires.

Les voyageurs qui ont vu de près le tigre en Amérique, sont bien loin de le regarder comme le plus leste des animaux sauvages carnivores ; ils prétendent au contraire que c'est une bête lente, stupide, incapable d'atteindre un homme à la course, & qui ne sait faire que deux ou trois grands sauts pour attraper sa proie. On trouve aussi des tigres aux Indes orientales, & en plusieurs parties de l'Asie ; mais il semble qu'il y a quelque différence entre les uns & les autres, & peut-être que de nouvelles observations justifieroient que les tigres asiatiques sont très-agiles, comme l'ont assuré les anciens.

Pline, l. VIII. c. xviij. nous a décrit le moyen qu'on employoit de son tems pour enlever les jeunes tigres à la mere, & les transporter à Rome. Les Hircaniens & les Indiens, dit-il, sont obligés, quand ils prennent les petits tigres, de les emporter bien vîte sur un cheval ; car quand la mere ne les trouve plus, elle sent leurs traces, les suit avec une promtitude furieuse ; & la personne qui les emporte, n'a rien de mieux à faire quand il est atteint par la tigresse, que de lui jetter un de ses petits à terre ; alors elle le prend dans sa gueule, le porte dans son trou, & revient bien-tôt après ; on l'amuse en répétant la même manoeuvre, jusqu'à ce qu'on soit sur le vaisseau, d'où l'on entend la tigresse qui n'ose se jetter dans l'eau, pousser des hurlemens affreux sur le rivage.

TIGRE, (Monum. antiq.) ce cruel animal accompagne assez souvent les monumens de Bacchus, & des bacchantes. Le char de Bacchus est ordinairement tiré par des tigres, & quelquefois aussi on voit des tigres aux piés des bacchantes : seroit-ce pour caractériser la fureur dont elles étoient agitées ? (D.J.)

TIGRE, (Maréchal.) poil de cheval dont le fond est blanc & parsemé de taches noires & rondes d'espace en espace.

TIGRE, le (Géog. anc.) Tigris, grand fleuve d'Asie, qui prend sa source dans les montagnes de la grande Arménie, & se jette dans le golfe Persique. Moïse l'appelle Chidkeli, genes. xj. 14. les anciens le nommoient Diglito ; & encore aujourd'hui, il est appellé Tegil ou Tigil.

Josephe, le paraphraste chaldéen, les traducteurs arabes & persans, le nomment Diglat. Pline, l. VI. c. xxvij. dit qu'il prend sa source dans la grande Arménie, au milieu d'une campagne nommée Elégosine. Il entre dans le lac Aréthuse, & coule au-travers sans y mêler ses eaux. Après cela, il remonte le mont Taurus, rentre dans la terre, passe sous la montagne, & va reparoître de l'autre côté ; une preuve, ajoute-t-il, que ce n'est pas un nouveau fleuve qui sort au-delà de la montagne, c'est qu'il rend à sa sortie ce qu'on y avoit jetté à l'entrée de la caverne.

Ptolémée met aussi la source du Tigre au milieu de l'Arménie au trente-neuvieme degré & un tiers de latitude ; mais Strabon, l. XI. p. 339. semble avoir pris pour la source du Tigre la sortie du mont Taurus ; le Tigre à l'orient, & l'Euphrate au couchant, bordent la Mésopotamie qui est entre deux. Après avoir parcouru beaucoup de pays du septentrion au midi, ces deux fameux fleuves se dégorgent dans le golfe persique. Aujourd'hui ils y tombent par un canal commun, mais autrefois ils y tomboient séparément. L'embouchure de ce fleuve est nommée Pastigris par Strabon, & par Arrien.

Le Tigre est dépeint avec l'Euphrate, dans une médaille de Trajan, où ce fleuve est dit vaincu. L'empereur est représenté debout entre les deux fleuves, avec la figure d'un arménien à ses piés, & à côté du Tigre, qui, comme nous l'avons dit, prend sa source dans les montagnes de la grande Arménie. L'inscription de cette médaille est : Armenia & Mesopotamia in potestatem populi Romani redactae. (D.J.)

TIGRE, la (Géog. mod.) riviere de l'Amérique méridionale, au pays des Yaméos. Elle se jette dans la partie septentrionale de l'Amazone, après s'être grossie de plusieurs rivieres.


TIGRÉTÉGRé, ou TÉGRA, (Géog. mod.) royaume d'Afrique, dans l'Ethiopie ou Abyssinie, & le premier qu'on trouve en entrant de l'Egypte dans l'Ethiopie. Il est borné au nord par le royaume de Sennar & de Balous, au midi par celui d'Angor, au levant par la mer Rouge, & au couchant par le royaume de Dambéa. Il y a, selon Ludolf, dans la province de Tigré, vingt-sept préfectures, habitées par différens peuples. (D.J.)


TIGRILLOS. m. (Hist. nat.) oiseau de la nouvelle Espagne, qui est de la grosseur d'une grive, les Espagnols lui ont donné son nom, parce que son plumage est moucheté comme la peau d'un tigre.


TIGUARESLES, (Géog. mod.) peuples sauvages de l'Amérique méridionale dans la partie occidentale de la capitainerie de Parayba, au nord des Pétiguares. (D.J.)


TIGULIA(Géog. anc.) ville d'Italie, dans la Ligurie, selon Pline, l. III. c. v. Les itinéraires marquent Tigulia ou Tegulata, sur la voie Aurélienne, & Segesta Teguliorum, ou Segeste de Ligurie, sur la côte. Cette position s'accorde avec Pline, qui fait une ville maritime de Tigulia, & dit que Segesta Teguliorum étoit dans les terres. (D.J.)


TIGURINUS-PAGUS(Géog. anc.) César, l. I. c. xij. donne ce nom à un des quatre cantons qui composoient la société helvétique. Ce canton pouvoit prendre son nom de la ville Tigurum, qui fut sans-doute une des douze villes que les Helvétiens brûlerent eux-mêmes, lorsqu'ils voulurent aller s'établir dans l'intérieur de la Gaule. A la vérité aucun ancien auteur ne nomme la ville Tigurum : mais malgré ce silence des écrivains, on peut bien supposer que cette ville existoit dès ce tems-là. Tigurum en effet, se trouve encore aujourd'hui la capitale de ce canton. De Tigurum on a fait Zurich, comme de Taberna Zabern, & de Tolbiacum Zulpich. Les auteurs du moyen âge disoient Turegum, au lieu de Tigurum. Les Tigurini se joignirent aux Cimbres, lorsque ceux - ci entreprirent de passer en Italie. (D.J.)


TIJEGUACU-PAROARAS. m. (Hist. naturelle Ornithol.) nom d'un oiseau du Brésil, décrit par Marggrave, & qui est de la grosseur d'une alouette. Il a le bec court, épais, brun en-dessus, cendré en-dessous. Sa tête, sa gorge, la partie inférieure de son cou, & ses côtes sont d'un beau jaune diapré de rouge dans la femelle, & d'un rouge de sang éclatant dans le mâle. Le haut du cou & tout le dos sont gris, avec un mêlange de brun ; les aîles sont brunes, marquetées de blanc ; la queue est de la même couleur ; les côtés du cou, le ventre & les cuisses sont blanches.


TIJEPIRANGAS. m. (Hist. nat. Ornithol.) oiseau du Brésil, du genre des passereaux. Il y en a de deux especes ; la premiere, qui est de la grosseur de l'alouette, a tout le corps, le cou & la tête d'un rouge admirable, avec les aîles & la queue noire. L'autre espece plus petite est d'un gris-bleu sur le dos, blanche sur le ventre, & d'un verd de mer sur les aîles. (D.J.)


TIKMITHS. m. (Calend. éthiop.) nom du second mois de l'année des Ethiopiens, qui répond au mois d'Octobre. Ludolf nous a donné tout le calendrier éthiopique dans son histoire d'Ethiopie.


TILS. m. (Archit.) écorce d'arbre dont on fait les cordes des puits, & dont les appareilleurs nouent des morceaux déliés, les uns au-bout des autres, pour faire une longueur nécessaire au tracement de leurs épures. Cette sorte de cordeau a cet avantage de ne point s'allonger comme la corde. Daviler. (D.J.)


TILAVENTUM(Géog. anc.) Pline met deux fleuves de ce nom en Italie, au pays des Vénetes. LÉander dit que ce sont deux fleuves du Frioul, & que Tilaventum majus est le Tagliamento, & Tilaventum minus, la Stella. Ptolémée, l. III. c. j. ne parle que du premier de ces fleuves, qu'il nomme Tilaventum.


TILBOURG(Géog. mod.) bourg des Pays-bas hollandois, au pays d'Osterwick. Ce bourg est un lieu considérable, & renommé par ses manufactures. On y compte plus de quatre mille communians, & il peut mettre encore aujourd'hui quinze cent hommes sous les armes. C'est une seigneurie qui appartient au prince de Hesse-Cassel. La justice est administrée par un drossart, un bourgmestre, sept échevins, & deux décemvirs. (D.J.)


TILLACS. m. (Marine) c'est le plancher qui forme l'étage d'un vaisseau, sur lequel la batterie est posée, comme sur une plate-forme. Voyez PONT.

On appelle franc-tillac le premier pont ; & faux-tillac un faux-pont. V. FAUX-PONT & FRANC-TILLAC.

TILLAC, (Marine) espece de plate-forme de planches, qui est au fond-de-cale, où le munitionnaire fait ses bidons.


TILLAEAS. f. (Hist. nat. Botan.) genre de plante que Linnaeus caractérise ainsi. Le calice est applati, divisé en trois gros quartiers, de forme ovale ; la fleur est composée de trois pétales applatis, ovoïdes, pointus, plus petits que les segmens du calice ; les étamines sont trois filets plus courts que le calice ; leurs bossettes sont petites ; le pistil a trois germes ; les stiles sont simples, & trois en nombre ; les stigmats sont obtus ; le fruit a trois capsules allongées autant que la fleur, pointues, recourbées en-arriere, & s'ouvrant longitudinalement dans leur partie supérieure ; les graines sont ovales, au nombre de deux dans chaque capsule. Linnaei, gen. plant. p. 36.


TILLES. f. (Marine) c'est l'endroit où se tient le timonnier dans les flûtes.

TILLE, (Marine) c'est un couvert ou accastillage, qui est à l'arriere d'un vaisseau non ponté.

TILLE, (Arts méchaniques) instrument dont se servent les tonneliers, les couvreurs, & les autres artisans, qui est hache & marteau tout ensemble ; car d'un côté il y a un large tranchant en forme de hache, & de l'autre il a une tête plate. La tille est à-peu-près faite comme la hache d'armes, excepté que celle-ci étoit toute de fer, & que la tille a un manche de bois ; la tille se nomme autrement hachette, aissette, & assiette. Savary. (D.J.)

TILLE, (Sucrerie) petit instrument de cuivre fait en forme de couteau, avec lequel on fouille le fond des formes de sucre avant de leur donner la terre. Savary. (D.J.)

TILLE, LA, (Géog. mod.) riviere de France, en Bourgogne ; elle a sa source à Saint-Seine, bailliage de Châtillon, & se jette dans la Saone, à une lieue au-dessous d'Auxonne. On pourroit faire un canal depuis Dijon jusqu'à la Saone, & ce canal augmenteroit le commerce de cette province. (D.J.)


TILLEMONT(Géog. mod.) en flamand Tienen, ville des Pays-bas, dans le Brabant, au bord de la Géete, qu'on y passe sur plusieurs ponts, à quatre lieues au sud-est de Louvain. Les guerres ont presque entierement ruiné cette ville, qui étoit autrefois une des principales du Brabant. Long. 22. 34. latit. 50. 47.

Bollandus (Jean) célebre jésuite, y naquit en 1596, & fut choisi pour exécuter le projet que le P. Rosweïde avoit eu de recueillir tout ce qui pourroit servir aux vies des saints, sous le titre de Acta sanctorum. Bollandus l'entreprit, & en publia cinq volumes in-folio ; il travailloit au sixieme lorsqu'il mourut en 1665, à 70 ans. On donne en son honneur aux continuateurs de ce volumineux ouvrage, fort connu dans la république des Lettres, le surnom de Bollandistes. (D.J.)


TILLERTILLER

Il y a des provinces où l'on tille tout le chanvre ; dans d'autres on ne le tille que quand on en a fort peu ; autrement on le broye.

Ce travail est fort long ; mais on y occupe les enfans qui s'en acquitent aussi-bien que des grandes personnes. Voyez l'article CHANVRE.

TILLER, terme dont les Cordiers se servent pour dire faire de la corde avec du tille ou écorce de tilleul.

Il y a encore d'autres écorces qu'on peut tiller, par exemple celle du mahot ; on en fait aussi de la ficelle & de gros cordages qui ne le cedent guere en bonté aux cordes de chanvre.


TILLETS. m. terme de Jardinier, c'est le nom qu'on donne aux lieux plantés de tilleuls ou tillots, ou au lieu où l'on en éleve, comme on dit chenaie, sapée, ozeraie, tremblaies, pour les lieux plantés de chênes, de sapins, d'oziers, de trembles. (D.J.)

TILLET, (Librairie) ce mot signifie la même chose que billet ; c'est une permission par écrit que donnent les syndics & adjoints, de retirer des livres des voituriers & de la douanne. (D.J.)


TILLEULTILLAU, s. m. (Hist. nat. Bot.) tilia, genre de plante à fleur en rose composée de plusieurs pétales disposés en rond ; le pistil sort du calice, & devient dans la suite une coque qui n'a qu'une seule capsule, & qui renferme des semences oblongues. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE.

TILLEUL, tilia, grand arbre qui vient naturellement dans les climats tempérés de l'Europe & de l'Amérique septentrionale. Il fait une belle tige, fort droite, & d'une grosseur proportionnée ; sa tête se garnit de beaucoup de rameaux, & prend d'elle-même une forme ronde & réguliere ; son écorce qui est d'abord unie, mince & cendrée dans la jeunesse de l'arbre, devient brune, épaisse & gersée à l'âge de quinze ou vingt ans. Ses racines qui sont fort fibreuses s'étendent au loin près la surface de la terre ; sa feuille est grande, faite en maniere d'un coeur, dentelée sur les bords, & d'une agréable verdure. Cet arbre donne ses fleurs au mois de Juin ; elles sont petites, jaunâtres, peu apparentes, mais de très-bonne odeur ; les graines qui succedent sont des coques rondes, velues, anguleuses, de la grosseur d'un pois, renfermant une ou deux amandes douces au goût ; elles sont en maturité au mois d'Août, & elles tombent en Septembre.

Le tilleul est un arbre forestier du troisieme ordre ; on le met au rang des arbres que l'on désigne par bois blancs : par conséquent on en fait assez peu de cas ; on le laisse subsister dans les bois où il se trouve, parce qu'il fait une bonne garniture dans les endroits où d'autres arbres d'une meilleure essence ne réussiroient pas si bien ; mais on ne s'avise guere d'en former de nouveaux cantons de bois ; cependant c'est l'arbre que l'on cultive le plus en France par rapport à l'agrément.

Cet arbre vient dans presque tous les terreins & à toutes expositions ; il réussit dans les vallées, le long des coteaux, même sur les montagnes. Toutes ces situations lui sont à-peu-près égales, pourvu que la premiere position ne soit pas trop aquatique, la seconde trop chaude, & qu'il y ait dans la derniere, ou de l'humidité ou de la profondeur, ou enfin quelque mêlange de terre limoneuse ; mais le tilleul se plaît particulierement dans un terrein gras & fertile. Il fait les plus grands progrès dans la terre franche mêlée de gravier, & il réussit fort bien dans les terres legeres qui ont beaucoup de fonds ; il dépérit par la pourriture de ses racines dans un sol trop aquatique ; les Hollandois le jugent de cette qualité lorsqu'il est à moins d'un pié & demi d'épaisseur audessus de l'eau pendant l'hiver. Enfin, cet arbre se refuse absolument à la craie pure, au sable trop chaud & aux terreins arides, pierreux & trop superficiels.

Le tilleul se multiplie très-aisément ; on peut l'élever de graine, de rejettons, de boutures & de branches couchées ; on peut aussi le greffer, mais on n'employe ce dernier expédient que pour multiplier quelques especes rares ou curieuses de cet arbre. La semence est une mauvaise ressource, peu sûre, & fort longue, que l'on met rarement en usage ; attendu que la graine se trouve rarement de bonne qualité, qu'elle leve difficilement, qu'elle ne paroît souvent qu'au second printems, & que les plants sont la plûpart dégénérés de l'espece dont on a tiré la graine. Les rejettons ne se trouvent pas communément pour peupler une pepiniere. Ce sont presque toujours des branches éclatées, mal enracinées & défectueuses ; la bouture est un moyen difficile, incertain, & qui rend trop peu : la méthode la plus sûre, la plus expéditive, & la plus usitée, est de propager cet arbre de branches couchées.

Cette opération se fait pour le mieux en automne, dès que les feuilles commencent à tomber. Les rejettons forts & vigoureux sont les plus propres à réussir. Au bout d'un an ils seront assez enracinés pour être mis en pepiniere à 15 ou 18 pouces les uns des autres en rayons éloignés de deux piés & demi. On pourra les cultiver trois ou quatre fois l'an, en ne remuant la terre qu'à deux ou trois pouces de profondeur. Il faudra les élaguer avec ménagement, se contenter d'abord de rabattre les branches latérales à deux ou trois yeux, & ne les retrancher entierement qu'à mesure que les plants prendront du corps. Au bout de cinq ans ils auront quatre ou cinq pouces de circonférence, & seront en état d'être transplantés à demeure. On pourroit également coucher de grosses branches de tilleul qui réussiroient aussi-bien, si ce n'est qu'elles ne donneroient qu'au bout de deux ans des plants assez formés pour être mis en pepiniere. On auroit encore le même succès en couchant l'arbre entier. On sait que c'est sur le tilleul qu'on a fait la fameuse épreuve qui a fait voir que de la tête d'un arbre on en peut faire les racines, & des racines la tête. Si l'on prend le parti de le semer, il faut faire amasser des graines par un tems sec dans le mois de Septembre ou d'Octobre, les conserver pendant l'hiver dans du sable ou de la terre, & les semer de bonne heure au printems, même dès le mois de Février. Car si on laisse les graines se dessécher, ou qu'on attende trop tard à les semer, elles ne leveront qu'à l'autre printems, & il en manquera beaucoup. Lorsqu'ils seront âgés de deux ans, on pourra les mettre en pépiniere, où il faudra les soigner & les conduire comme ceux qu'on éleve de branches couchées.

Le tilleul réussit facilement à la transplantation. On peut le planter fort gros avec succès quand même il auroit un pié de diametre. On s'est assuré que des plants pris dans les bois, & éclatés sur des vieux troncs, reprennent assez communément. L'automne est la saison la plus convenable pour la transplantation de cet arbre, & on fera toujours mieux de s'y prendre dès que les feuilles commencent à tomber, à-moins qu'on eût à planter dans un terrein gras, sujet à recevoir trop d'humidité pendant l'hiver. Il vaudroit mieux dans ce dernier cas attendre le printems, & au plus tard la fin de Février. Ce qu'il y a de plus essentiel à observer, c'est de planter ces arbres d'une bonne hauteur. Je suis obligé de répeter ici ce que j'ai déja dit à l'article de L'ORME ; c'est que presque tous les jardiniers, sur-tout dans les environs de Paris, ont la fureur de couper à sept ou huit piés tous les arbres qu'ils transplantent. Il semble que ce soit un terme absolu au-delà duquel la nature doive tomber dans l'épuisement. Ils ne voyent pas que cette absurde routine de planter des arbres trop courts, retarde leur accroissement, & les prépare à une défectuosité qu'il n'est jamais possible de réparer. Ces arbres font toujours à la hauteur de la coupe un genouil difforme, une tige courbe d'un aspect très-desagréable ; il faut donc les planter à quatorze ou quinze piés de tige. On les laisse pousser & s'amuser pendant quelques années au-dessus de dix piés, ensuite on les élague peu-à-peu pour ne leur laisser en tête que la tige la plus propre à se dresser : c'est ainsi qu'on en jouit promtement, & qu'on leur voit faire des progrès inséparables de l'agrément.

Le tilleul peut se tailler tant que l'on veut sans inconvénient. On peut l'élaguer, le tondre, le palisser au ciseau, à la serpe, au croissant ; il souffre ces opérations dans tous les tems où la seve n'est pas en mouvement, & il se cicatrise promtement tant qu'il est audessous de l'âge de vingt ans ; cependant lorsqu'on est obligé de retrancher de fortes branches, on doit le faire avec la précaution d'y mettre un enduit.

On demande toujours à quelle distance il faut planter ; c'est sur la qualité du terrein, sur la grandeur des espaces, sur la sorte de plantation que l'on veut faire, & sur l'empressement qu'on a de jouir, qu'il faut régler les intervalles. Il peut être aussi convenable de planter des tilleuls à huit piés que de leur en donner vingt de distance. Cet arbre se prête à toutes les formes qui peuvent servir à l'ornement d'un grand jardin. On en fait des avenues, des allées couvertes, des salles de verdure, des quinconces. On peut l'assujettir à former des portiques, à être taillé en palissades, & le réduire même à la régularité & à la petite stature d'un oranger. Depuis qu'on s'est dégoûté du marronnier d'inde à cause de sa malpropreté, de l'orme par rapport aux insectes qui le défigurent, de l'acacia qui ne donne pas assez d'ombre, on ne plante par-tout que des tilleuls, en attendant que quantité d'arbres étrangers qui donneroient plus d'agrément soient connus & multipliés.

Si le tilleul a le mérite de former naturellement une tête réguliere & bien garnie, d'avoir un feuillage d'une assez belle verdure, de donner des fleurs sinon apparentes, du-moins d'une odeur fort agréable, de n'être point sujet aux insectes, de résister au vent, de réussir assez communément dans la plûpart des terreins, & de se plier aux différentes sortes d'agrément que l'art veut lui imposer ; on doit convenir aussi que son accroissement est fort lent, qu'il ne profite pas sur les hauteurs, qu'il se refuse aux terreins secs & légers, qu'il perd ses feuilles de bonne heure, & qu'il est trop sujet à se verser & à se creuser lorsqu'il se trouve exposé aux vents de midi & de sud-ouest. On tombe alors dans un inconvénient de le voir languir & périr avant d'entrer dans l'âge de sa force, qui est à vingt ans. Mais aussi quand cet arbre a bravé cet accident, & qu'il se trouve dans un terrein qui lui plaît, il fait de grands progrès, s'éleve & grossit considérablement, & dure très long - tems. M. Miller, auteur anglois, dit avoir vu un tilleul qui avoit trente piés de tour à deux piés au-dessus de terre, & il cite un autre anglois nommé Thomas Brown, qui fait mention d'un arbre de cette espece dans le comté de Norfolk, qui avoit quarante-huit piés de tour à un pié & demi au-dessus de terre, & 90 piés de hauteur ; il faut entendre ici le pié anglois.

Quoique le tilleul n'ait avec juste raison que la petite considération des bois blancs, il ne laisse pas de servir à différens usages, & son débit est assez étendu. Ce bois est employé par les charrons, les menuisiers, les carrossiers, les tourneurs, les ébénistes, les graveurs en bois, & particulierement les sculpteurs qui préferent ce bois à tous les autres ; il a le mérite de n'être sujet ni à la vermoulure, ni à se fendre, ni à se gerser : il est blanc, léger, tendre, liant, tenace, de longue durée, & il se coupe aisément. Ces qualités le font estimer par les charpentiers de vaisseaux. Ses jeunes rejettons peuvent servir aux ouvrages de vanerie, comme les saules de petite espece. Le charbon de bois de tilleul est plus propre qu'aucun autre pour faire la poudre-à-canon. Quoique ce bois ne soit pas des meilleurs pour le chauffage, on ne laisse pas d'en tirer assez bon parti lorsqu'il est bien sec. On peut faire des coupes réglées de la tonte & de l'élaguement des vieilles allées de tilleuls. On se sert de la seconde écorce pour faire des cordes & des cables. On en faisoit autrefois un plus noble usage avant l'invention du papier qui a remplacé pour l'écriture l'écorce intérieure du tilleul avec un avantage incomparable. Ses feuilles ramassées sont pendant l'hiver une des meilleures nourritures pour le gros bétail.

Le tilleul a peu de propriétés pour la médecine. Elle tire quelques services du suc séveux de l'écorce intérieure, & du charbon fait avec le bois de cet arbre ; mais la fleur est la partie dont elle fait le plus d'usage.

On connoît différentes especes de tilleuls dont voici les principales.

1. Le tilleul à larges feuilles ou le tilleul de Hollande, est le tilia foemina, folio majore I. R. H. 611. Sa racine descend profondément en terre, & s'étend beaucoup ; elle pousse un tronc d'arbre, grand, gros, rameux, qui se répand au large, & rend beaucoup d'ombre. Il est couvert d'une écorce unie, cendrée, ou noirâtre en-dehors, jaunâtre ou blanchâtre en-dedans, si pliante & si flexible, qu'elle sert à faire des cordes de puits & des cables ; son bois est tendre, sans noeuds, blanchâtre ; ses feuilles sont larges, arrondies, terminées en pointe, un peu velues des deux côtés, luisantes, dentelées en leurs bords ; il sort de leurs aisselles des petites feuilles longues, blanchâtres, où sont attachés des pédicules, qui se divisent en quatre ou cinq branches ; elles soutiennent chacune une fleur à cinq pétales, & sont disposées en rose, de couleur blanche, tirant sur le jaune, d'une odeur agréable, soutenues sur un calice taillé en cinq parties blanches & grasses.

Lorsque cette fleur est passée, il lui succede une coque grosse comme un gros pois, ovale, ligneuse, anguleuse, velue, qui contient une ou deux semences arrondies, noirâtres, & douces au goût. Il fleurit en Mai & Juin ; son fruit mûrit en Août, & s'ouvrant en Septembre, il tombe de lui-même. Ses feuilles sont couvertes lorsque la saison est un peu avancée, d'une espece de sel essentiel, semblable à de la crême de tartre ; ce sel s'y amasse après l'extravasation du sel nourricier, qui dans les grandes chaleurs s'échappe des vaisseaux.

Cet arbre est l'ornement des avenues, des promenades, des jardins, & des bosquets, par son port gracieux, par son ombrage, & par son odeur agréable, lorsqu'il est en fleur.

Le tilleul demande une terre grasse, & prend telle figure qu'on veut, mais il ne dure pas long-tems ; son bois est utile dans les arts ; les Sculpteurs l'employent par préférence à d'autres, parce qu'il cede facilement sans s'éclater à l'impression du ciseau, & qu'il est moins sujet à la vermoulure que celui de l'érable ; on en fait aussi du charbon qui entre dans la composition de la poudre à canon.

C'est à cette espece qu'on doit rapporter particulierement ce qui a été dit ci-dessus. La largeur de la feuille fait le principal mérite de cette espece. Mais cette qualité n'est pas uniquement propre au tilleul de Hollande ; il s'en trouve dans quelques cantons de bois aux environs de Montbard en Bourgogne, dont la feuille est aussi grande que celle du tilleul de Hollande, mais qui ont encore l'avantage d'être plus robustes, & de réussir dans des terreins élevés où celui de Hollande n'avoit fait que languir. D'ailleurs ils ont la feuille d'un verd plus tendre & plus agréable.

2. Le tilleul de Hollande à feuilles panachées. Cet accident n'est pas ici d'une grande beauté.

3. Le tilleul à petites feuilles. Il a en effet la feuille beaucoup plus petite que celle du tilleul de Hollande, mais encore plus brune, plus ferme, plus lisse. Il fleurit plus tard ; sa graine n'est pas si-tôt mûre, son écorce est plus rude, son bois moins blanc, moins tendre & assez ordinairement noueux, parce que cet arbre est plus branchu.

4. Le tilleul de montagne à très-grande feuille. Cette belle espece n'a été vue que par Gaspard Bauhin, qui en fit la découverte sur une montagne près de Bâle. Ses feuilles étoient trois ou quatre fois plus grandes que celle du tilleul de Hollande. Il eût mieux valu s'occuper à le multiplier qu'à le décrire.

5. Le tilleul à feuilles d'orme. Sa feuille est de médiocre grandeur & fort rude au toucher. Son bois est jaunâtre, noueux & moins tendre que celui des autres especes. Sa graine a six angles au-lieu de cinq qui est le nombre le plus ordinaire.

6. Le tilleul à feuilles velues. Sa feuille est aussi grande que celle du tilleul de Hollande ; ses jeunes rejettons ont l'écorce rougeâtre, & sa graine n'a que quatre angles.

7. Le tilleul de Bohème. Ses feuilles sont petites & lisses, & sa graine qui est pointue des deux bouts n'est nullement anguleuse.

8. Le tilleul de Canada. C'est la plus belle espece de ce genre d'arbre qui soit actuellement dans ce royaume. Ses feuilles sont d'un verd tendre fort clair, elles sont du double plus grandes que celle du tilleul de Hollande, & se terminent par une pointe fort allongée. L'arbre pousse aussi plus vigoureusement, & son écorce est plus unie, plus cendrée. Il se trouve dans la plûpart des pays de l'Amérique septentrionale. Cette espece est encore fort rare.

9. Le tilleul noir d'Amérique. Il a beaucoup de ressemblance avec le précedent, mais ce n'est pas du côté de l'agrément. Sa feuille est aussi grande & aussi pointue, mais elle est brune, épaisse, rude ; néanmoins elle a des nervures un peu rouges qui la relevent. Cette espece est aussi originaire de l'Amérique septentrionale, & encore plus rare que la précédente. Article de M. D'AUBENTON le subdélégué.

TILLEUL, (Mat. méd.) les fleurs de tilleul sont la seule partie de cet arbre qui soit en usage en médecine. On en prépare une eau distillée, & on en fait une conserve. L'un & l'autre de ces remedes est regardé comme un excellent céphalique, & presque généralement ordonné dans les menaces d'apoplexie & d'épilepsie, dans les vertiges, le tremblement des membres, & dans la plûpart des autres maladies qui dépendent évidemment des vices du cerveau, ou de l'origine des nerfs. L'infusion des fleurs de tilleul est employée aux mêmes usages. Elle doit être regardée comme plus foible que l'eau distillée & que la conserve, s'il est vrai que la vertu des fleurs de tilleul (si néanmoins il est permis de croire à cette prétendue vertu), réside dans leur principe aromatique, dont l'infusion est beaucoup moins chargée que l'eau distillée ou la fleur contenue en substance dans la conserve ; or il est clair par l'analyse de M. Cartheuser, que le principe fixe, ou l'extrait de cette fleur ne possede aucune vertu réelle ; cet auteur n'en a retiré par le menstrue aqueux, qu'une substance mucilagineuse, fade & sans activité.

Les fleurs de tilleul sont une des matieres végétales aromatiques, qui ne contiennent point d'huile essentielle.

Ses fleurs entrent dans l'eau générale, & dans l'eau épileptique de la pharmacopée de Paris. (b)


TILLIGRAINS DE, (Mat. méd.) voyez RICIN.


TILLIUou TILIUM, (Géog. anc.) ville de l'île de Sardaigne sur la côte occidentale. Ptolémée liv. III. ch. iij. la marque entre le promontoire Gorditanum, & le port Nymphaeus. Molet croit que Tilium est aujourd'hui S. Reparata. (D.J.)


TILLOTTESS. f. terme de Pêche, sortes de petits bateaux dont la construction est particuliere ; ils n'ont ni quille ni gouvernail ; ainsi ils étoient dans le cas d'être supprimés, en exécution de l'article 26 de la déclaration du 23 Avril 1726 : mais sur les représentations qui ont été faites à sa majesté par les officiers de l'amirauté, qui ont fait connoître la solidité de ces bateaux, & la nécessité de s'en servir pour piloter les bâtimens & navires qui entrent & qui sortent du port de la ville de Bayonne, ils ont été exceptés.

On ne peut trouver de meilleures chaloupes pour naviger dans l'Adour, & même aller à la mer lorsqu'elle n'est pas émue de tempêtes, quoique les courans soyent fort rapides.

TILLOTTE, s. f. (terme de Tailleur de chanvre) c'est ainsi qu'on appelle en Champagne l'instrument de bois dont on se sert pour briser le chanvre ; il se nomme en Normandie une brie, en Picardie une brayoire, en d'autres provinces une maque ou une macachoire, & à Paris un brisoir. Mais quel que soit son nom, cet instrument est par-tout fait de même, c'est-à-dire comme une espece de bancelle de bois haute de deux piés & demi, & longue environ de quatre, traversée d'une extrêmité à l'autre par une tringle assez tranchante aussi de bois ; une double tringle pareillement de bois, propre à s'emmortoiser dans les ouvertures de la bancelle, est attachée par un de ses bouts à une extrêmité de la bancelle avec une cheville qui la laisse mouvante. A son autre bout elle a une poignée qui sert au briseur de chanvre à la lever ou à l'abaisser, à mesure qu'il tire le chanvre roui & bien séché qu'il a mis entre deux.

Quand le chanvre est haut & fort, au-lieu de l'écraser à la brie, on le teille à la main ; ce qui se fait en le brisant d'abord dessus le doigt à sept ou huit pouces de sa racine ; & en continuant ainsi d'en séparer la filasse de la chenevotte jusqu'à l'autre extrêmité. C'est ordinairement le chanvre mâle que l'on teille, & le chanvre teillé est toujours le plus beau. Savary. (D.J.)


TILLOTTIERSS. m. (Pêche) c'est une compagnie de pêcheurs, ainsi appellés de leurs bateaux.


TILMI(Méd. anc.) ; Hippocrate, lib. I. sect. 3. entend par , les mouvemens des malades qui arrachent la laine de leurs couvertures, ou les poils de leurs habits, ou qui veulent prendre sur la muraille de petits corpuscules qu'ils croyent y être, & autres actions semblables qu'on fait ordinairement dans le délire, lorsqu'on est affligé de maladies aiguës, comme dans la phrénésie & la péripneumonie. (D.J.)


TILOGRAMMON(Géog. anc.) ville de l'Inde, en-deçà du Gange, dans le golfe auquel ce fleuve donne son nom, dit Ptolémée, l. VII. c. j. Castald veut que le nom moderne soit Catigan. (D.J.)


TILPHOSAou TILPHURA, (Géog. anc.) célebre fontaine de la Béotie ; Strabon liv. IX. pag. 413. dit qu'elle étoit près de la ville de Tilphosium, à laquelle elle donnoit son nom. C'est la Tilphusia d'Apollodore, l. III. & la Tilphusia de Pausanias, l. IX. c. xxxiij. qui place dans ce quartier une montagne nommée Tilphusios, & dit que la fontaine & la montagne étoient tout-au-plus à cinquante stades de la ville Haliartus. Etienne le géographe dit que c'est la nymphe Telphusa, fille du fleuve Ladon, qui a donné son nom à la fontaine & à la montagne. Tirésias fuyant avec les Thébains, obligés par les Epigones de quitter Tilphosium, se retira sur cette montagne, où étant accablé de lassitude & de soif, il voulut se désaltérer, prit de l'eau de la fontaine Tilphura, & mourut en en beuvant. On dressa son tombeau sur le lieu même. (D.J.)


TILSAou TILSIT, (Géog. mod.) petite ville du royaume de Prusse, sur le bord du Niémen. Cette petite ville bâtie en 1552, est aujourd'hui réduite à un simple bourg. (D.J.)


TIMANA(Géog. mod.) ville de l'Amérique méridionale, au Popayan, dans la contrée à laquelle elle donne son nom, à l'orient des hautes montagnes des Andes, dans une région fort chaude, sur le bord d'une petite riviere. Latit. 1. 28. (D.J.)


TIMARS. m. (Hist. mod.) district ou portion de terre que le grand-seigneur accorde à une personne, à condition de le servir pendant la guerre, en qualité de cavalier.

Quelques-uns disent que cette portion de terre s'accorde à un spahi, ou autre personne en état de servir à cheval, pour en avoir la jouissance pendant sa vie.

Meninski en parle comme d'une récompense accordée aux vieux soldats qui ont bien servi, & comme d'un revenu en fonds de terre, châteaux, bourgs, villages, dixmes, & autres émolumens ; auxquels revenus on ajoute quelquefois le gouvernement & la jurisdiction de ces terres & places. Voyez BENEFICE, &c.

Le timar est une espece de fief, dont le vassal jouit pendant sa vie. Voyez FIEF.

Tout l'empire ottoman est divisé en sangiackies ou banneries, & tous ceux qui possedent des timars, & qu'on appelle timariots, sont obligés de s'enroller eux-mêmes, dès qu'ils ont été sommés de se préparer à une expédition militaire. Voyez TIMARIOTS.

Un timar se résigne comme un bénéfice, après en avoir obtenu l'agrément du béglierbey, ou gouverneur de la province ; mais si le revenu du timar excede 20000 aspres, auquel cas il est appellé zaïm, il n'y a que le grand visir qui puisse donner l'agrément pour la résignation.


TIMARIOTSS. m. (Hist. mod.) nom que les Turcs donnent à ceux qui possedent des terres, sur le pié & suivant l'usage des timars. Voyez TIMAR.

Les timariots sont obligés de servir en personne à la guerre, avec un nombre d'hommes & de chevaux proportionné au revenu du timar ; c'est-à-dire que celui dont le timar est estimé à 2500 aspres par an, qui font environ six livres sterlings, doit fournir un cavalier monté & armé suivant la coutume : celui dont le timar vaut le double, en doit fournir deux, &c. ces cavaliers doivent se tenir prêts à marcher, dès qu'ils en reçoivent l'ordre, & ce à peine de la vie, desorte que la maladie même ne peut pas leur servir d'excuse.

Outre ce service, les timariots payent le dixieme de leur revenu. Si en mourant ils laissent des enfans en âge de porter les armes, & en état de servir le grand seigneur, ou si, au défaut d'enfans, ils ont quelques parens, à quelque degré qu'ils soient, on a coutume d'en gratifier ceux-ci aux mêmes conditions, sinon on les confere à d'autres.

Si le revenu excede quinze mille aspres, ou trente-six livres sterlings, ceux qui en jouissent s'appellent subassi, ou zaims, & rendent la justice dans les lieux de leur dépendance, sous l'autorité du sangiac de la province.

Les timariots ont des appointemens depuis quatre ou cinq mille aspres, jusqu'à vingt mille ; mais on ne les oblige jamais d'aller à la guerre, à moins que leur timar ne rapporte plus de huit mille aspres, & que le grand-seigneur ne se rende à l'armée en personne : dans ce dernier cas on n'exempte personne.

L'origine des timariots est rapportée aux premiers sultans, qui étant les maîtres des fiefs ou terres de l'empire, les érigerent en baronies ou commanderies, pour recompenser les services de leurs plus braves soldats, & sur-tout pour lever & tenir sur pié un grand nombre de troupes, sans être obligé de débourser de l'argent.

Mais ce fut Soliman II. qui introduisit le premier l'ordre & la discipline parmi ces barons ou chevaliers de l'empire ; & ce fut par son ordre qu'on régla le nombre de cavaliers que chaque seigneur eut à fournir à proportion de son revenu.

Ce corps a toujours été extrêmement puissant & illustre dans toutes les parties de l'empire ; mais son avarice, défaut ordinaire des Orientaux, a causé depuis peu sa décadence & son avilissement.

Les vicerois & gouverneurs de province savent si bien ménager leurs affaires à la cour du grand-seigneur, que les timars se donnent aujourd'hui à leurs domestiques, ou à ceux qui leur en offrent le plus d'argent, quand même les timars ne sont pas situés dans l'étendue de leur gouvernement.

Il y a deux sortes de timariots ; les uns appointés par la cour, & les autres par les gouverneurs des provinces ; mais les revenus des uns & des autres, sont plus modiques que ceux des zaïms, & leurs tentes & équipages sont aussi à proportion moins riches & moins nombreux. Voyez ZAÏMS.

Ceux qui ont des lettres patentes de la cour, ont depuis 5 ou 6 mille, jusqu'à 19999 aspres de gages par an. Un aspre de plus, les met au rang des zaïms ; mais ceux qui tiennent leurs patentes des vicerois, ont depuis trois jusqu'à six mille aspres d'appointement.

Cette cavalerie est mieux disciplinée que celle des spahis, quoique cette derniere ait meilleure mine & plus de vivacité.

Les spahis ne se battent que par pelotons ; au-lieu que les zaïms & les timariots sont enrégimentés, & commandés par des colonels, sous les ordres des bachas. Le bacha d'Alep, quand il se trouve à l'armée, est le colonel général de cette cavalerie.


TIMAVE(Géog. anc.) Timavus ; fontaine, lac, fleuve, & port d'Italie. Virgile parle de la fontaine du Timavus, au premier livre de l'Enéïde, vers. 246.

Antenor potuit....

.... fontem superare Timavi :

Undè per ora novem, vasto cum murmure montis

It mare praeruptum.

Tite-Live, l. XLI. c. j. fait mention du lac : le consul, dit-il, étant parti d'Aquilée, alla camper sur le bord du lac du Timavus. Le fleuve Timave sortoit du lac par sept ou neuf ouvertures, couloit entre Tergeste & Concordia, & se jettoit dans la mer par une seule embouchure, selon Pomponius Méla, l. II. c. iv. Claudien dit à-peu-près la même chose :

Mincius, inque novem consurgens ora Timavus.

Par les descriptions que les poëtes donnent de ce fleuve, on s'imagineroit qu'il auroit été auprès de Padoue, chez les Vénetes, ou du moins dans leur voisinage : car Stace, l. IV. silv. 7. donne à Tite-Live qui étoit de Padoue, l'épithete de Timavi alumnus. Sidonius Apollinaris donne au Timavus le surnom d'Euganeus, à cause des peuples Euganées qui habitoient au couchant des Vénetes ; & Lucain, l. VII. vers. 192. met aussi le Timavus dans le même quartier :

Euganeo ; si vera fides memorantibus, augur

Colle sedens, Aponus terris ubi fumifer exit,

Atque Antenorci dispergitur unda Timavi.

Carm. IX. v. 196.

Mais comme la géographie des poëtes n'est pas fort exacte, il vaut mieux s'en rapporter aux géographes, comme Strabon, Polybe, & Possidonius ; & parmi les Latins, à Pomponius Méla, à Pline, à l'itinéraire d'Antonin, & à la table de Peutinger, qui tous mettent le Timavus après Aquilée & Tergeste.

Strabon, qui nous apprend qu'il y avoit dans cet endroit un temple de Diomède, appellé templum timavum Diomedis, un port, & un bois fort agréable, donne sept sources au fleuve Timavus, qui, dit-il, après s'être formé un lit vaste & profond, va bientôt après se perdre dans la mer.

Ce fleuve n'a point changé de nom, on l'appelle encore le Timavo, & son embouchure est dans la mer Adriatique. (D.J.)


TIMBALEvoyez TYMBALE.


TIMBOS. m. (Hist. nat. Bot.) plante du Brésil, qui, semblable à du lierre, s'attache aux arbres, & monte jusqu'à leur sommet. Elle est quelquefois de la grosseur de la cuisse, ce qui ne nuit point à sa souplesse ; son écorce est un poison dont les Brésiliens se servent pour engourdir le poisson qu'ils veulent prendre à la pêche.


TIMBRES. m. (Jurispr.) est la formule ou marque que l'on imprime au haut du papier & parchemin destiné à écrire les actes publics. Voyez ci-devant PAPIER, & PARCHEMIN TIMBRE. (A)

TIMBRE, s. m. terme de Bossetier ; ce sont deux cordes de boyau, posées sur la derniere peau d'un tambour, & qui lorsqu'on bat la peau de dessus, servent à faire résonner la caisse.

On dit en un sens assez voisin, le timbre d'une cloche, pour sa résonnance ; le timbre de la voix ; le timbre d'un instrument musical, d'airain ou de métal. (D.J.)

TIMBRE, s. m. (Commerce de dentelle) c'est l'empreinte du cachet ou matrice du fermier, mise sur un petit morceau de papier de quatre à cinq lignes de largeur, & d'un pouce & demi de longueur, qui s'attache avec un double fil, aux deux bouts de chaque piece de dentelle. Dict. du Comm. (D.J.)

TIMBRE, (Horlog.) petite cloche que l'on employe dans toutes sortes d'horloges, de pendules, & de montres sonnantes, & sur laquelle frappe le marteau. Autrefois toutes les montres à répétition étoient à timbre ; mais aujourd'hui on les fait la plûpart sans timbre : ce qui leur a fait donner le nom de répétitions sans timbre. Voyez REPETITION.

Les meilleurs timbres viennent d'Angleterre. Ils sont faits d'un métal composé de cuivre de rosette, d'étain de Cornouaille, & d'un peu d'arsenic ; mais les différentes proportions dans le mêlange de ces matieres, ne sont pas absolument déterminées ; c'est à celui qui en fait usage à les varier, pour découvrir celles qui produisent des timbres dont le son est le plus agréable.

Comme dans les carillons on a souvent de la peine à assortir les timbres à la suite des tons que l'on veut employer, on est alors obligé de les limer près de leurs bords, pour les rendre plus aigus. Voyez CARILLON.

TIMBRE, s. m. (Pelleterie) ce mot se dit d'un certain nombre de peaux de martes zibelines ou d'hermines, attachées ensemble par le côté de la tête, qui viennent ainsi de Moscovie & de Laponie ; chaque timbre, que l'on appelle aussi masse, est composé de vingt paires ou couples de peaux. Une caisse de marte zibeline assortie telle qu'elle vient de Moscovie contient dix timbres, qui font quatre cent peaux. On dit aussi un demi timbre, pour dire vingt peaux ou la moitié d'un timbre. Autrefois le timbre étoit en France de trente paires, ou soixante peaux. Le lunde de peaux contient trente-deux timbres. Savary. (D.J.)

TIMBRE, terme de Blason, ce mot se dit de tout ce qui se met sur l'écu qui distingue les degrés de noblesse ou de dignité, soit ecclésiastique, soit séculiere, comme la tiare papale, le chapeau des cardinaux, évêques & protonotaires, les croix, les mitres, les couronnes, bonnets, mortiers, & sur-tout les casques, que les anciens ont appellés particuliérement timbres, parce qu'ils approchoient de la figure des timbres d'horloges, ou parce qu'ils résonnoient comme les timbres quand on les frappoit. C'est l'opinion de Loyseau qui prétend que ce mot vient de tintinnabulum.

Les armoiries des cardinaux sont ornées d'un chapeau rouge qui leur sert de timbre. Les rois & les princes portent le timbre ouvert ; les ducs, les marquis & les comtes le portent grillé & mis de front ; les vicomtes, les barons & les chevaliers le portent un peu tourné, & on le nomme alors de trois quartiers. (D.J.)


TIMBRÉTIMBRER, voyez TIMBRE, Jurisprudence.


TIMBRÉESARMES, terme de Blason, armes qui sont chargées d'un timbre, & qui n'appartiennent qu'aux nobles, suivant les regles du blason. Voyez TIMBRE. (D.J.)


TIMESQUIT(Géog. mod.) ville d'Afrique, & l'une des principales de la province de Dara, selon Marmol, qui dit qu'elle a un gouverneur avec des troupes, pour arrêter les courses des béréberes de Gezula, & pour recueillir les contributions du pays qui abonde en dattes, en blé, en orge & en troupeaux. (D.J.)


TIMETHUS(Géog. anc.) fleuve de Sicile. Son embouchure est placée par Ptolémée, l. III. c. iv. sur la côte septentrionale, entre Tyndarium & Agathyrium. Le nom moderne, selon Fazel, est Traina. (D.J.)


TIMIDEadj. m. & f. TIMIDITé, s. f. (Gram. & Morale) appréhension, retenue dans ses discours ou dans ses actions ; il y a une aimable timidité qui vient de la crainte de déplaire ; on doit la chérir, c'est la fille de la décence. Il y en a une autre qui vient d'un certain manque d'usage du monde, & dont il est dangereux de reprendre les personnes qu'on en veut corriger. Il y a aussi une timidité stupide, naturelle à un sot embarrassé de savoir que dire. Enfin il y a une quatrieme espece de timidité, qui procede du mal-aise d'un libertin qui ne se sent pas à sa place auprès d'une honnête fille. (D.J.)


TIMIDENSIS(Géog. anc.) siege épiscopal d'Afrique, dans la province proconsulaire, où Benenatus est qualifié Timidensis episcopus. Le nom de cette ville étoit Timida regia. (D.J.)


TIMOKLE, ou le TIMOC, (Géog. mod.) riviere de la Turquie européenne, dans la Bulgarie, où elle se joint au Danube. On croit que c'est le Cebrus d'Antonin, si tant est que le mot Cebrus dans ce géographe désigne une riviere. (D.J.)


TIMONS. m. (Marine) piece de bois longue & arrondie, dont l'une des extrêmités répond du côté de l'habitacle à la manivelle que tient le timonnier, où elle est jointe par une cheville de fer qui lui est attachée, & qui entre dans la boucle de la manivelle. De-là elle passe par la sainte-barbe ; & portant sur le traversin, elle entre dans la jauniere, & aboutit à la tête du gouvernail qu'elle fait jouer à stribord & à bas-bord, selon qu'on la fait mouvoir à droite ou à gauche. Voyez MARINE, Pl. IV. fig. 1. n °. 177. barre du gouvernail.

TIMON, s. m. (Charronage) longue piece de bois de frêne ou d'orme mobile, qui fait partie du train d'un carrosse où l'on attele les chevaux, & qui sert à les séparer & à reculer. Un timon de carrosse doit avoir au-moins neuf piés de longueur, & trois piés neuf pouces & demi en quarré par le menu bout quand il est en grume.

Le timon d'une charrue est cette longue piece de bois formée effectivement en timon, au bout d'enbas de laquelle sont attachés le manche de la charrue & les autres parties qui contribuent à fendre la terre, & le bout d'en-haut de ce timon se pose sur la sellette, où il est arrêté par le moyen de l'anneau d'une chaîne de fer.

Le timon d'une charrette, nommé plus communément limon, sont les pieces de bois entre lesquelles on met le cheval qui tire la charrette. (D.J.)


TIMONIUM(Géog. anc.) 1°. lieu fortifié dans la Paphlagonie, selon Etienne le géographe. Il donnoit son nom à une contrée nommée Timonitis, par Strabon, l. XII. p. 562. & Ptolémée, l. V. c. j. C'étoit la partie de la Paphlagonie, qui étoit limitrophe de la Bithynie. Les peuples de cette contrée sont appellés Timoniacenses par Pline, l. V. c. xxxij.

2°. Timonium, Strabon, l. XVII. p. 794. nomme ainsi la maison qu'Antoine bâtit auprès d'Alexandrie d'Egypte pour sa retraite. Plutarque en parle aussi. Antoine quittant la ville d'Alexandrie, & renonçant au commerce du monde, se fonda une retraite secrette auprès du Phare sur une jettée qu'il fit dans la mer, & se tint là en fuyant la compagnie des hommes ; il déclara qu'il aimoit & vouloit imiter la vie de Timon, parce qu'il avoit éprouvé la même infidélité & la même perfidie ; qu'enfin n'ayant reçu de ses amis qu'injustice & qu'ingratitude, il se défioit de tous les humains, & les haïssoit tous également. C'est l'origine du nom de Timonium ou de la maison de Timon, qu'il avoit donné à sa retraite maritime. Voyez le mot TRIUMVIRAT. (D.J.)


TIMONNIERS. m. (Marine) c'est celui qui, posté au-devant de l'habitacle, tient le timon du gouvernail pour conduire & gouverner un vaisseau.

TIMONNIER, s. m. terme de Messager, cheval qu'on met au timon du carrosse, de voiture ou autre, & qui est opposé à celui qu'on met à la volée. (D.J.)


TIMORMETUS, (Lang. lat.) ceux qui sont versés dans la latinité recherchée savent que ces deux mots ne sont pas entierement synonymes. Timor regarde la frayeur d'un péril prochain ; metus, la crainte d'un danger éloigné. (D.J.)

TIMOR, (Géog. mod.) île de la mer des Indes, au midi des Moluques & au levant de celle de Java. On lui donne soixante lieues de long, & quinze dans sa plus grande largeur. On en tire du bois de Santal, de la cire & du miel. Les Hollandois y ont un fort assez bien situé pour le commerce de la compagnie. (D.J.)


TIMORÉECONSCIENCE, (Morale) la conscience timorée a son danger, ainsi qu'une conscience peu délicate ; en nous montrant sans-cesse des monstres où il n'y en a point, elle nous épuise à combattre des chimeres ; & à force de nous effaroucher sans sujet, elle nous tient moins en garde contre les péchés véritables, & nous les laisse moins discerner. (D.J.)


TIMOTHÉEHERBE DE, (Hist. nat. Bot. Economie rustique) en anglois timothy-grass, espece de gramen ou de lolium.

Le nom de cette plante lui vient de M. Timothée Hanson, qui, de Virginie, l'a apportée dans la Caroline septentrionale, d'où sa graine a été transportée en Angleterre, où on la cultive avec le plus grand succès. Elle réussit parfaitement, & croît avec une promtitude merveilleuse, sur-tout dans les terreins bas, aquatiques & marécageux, en trois semaines de tems elle y forme un gazon suffisant pour porter les bestiaux ; elle s'éleve fort haut, & ressemble assez à du blé ou à du seigle. Les chevaux & les bestiaux la mangent avec avidité & par préférence même au treffle & au sain-foin ; on peut la leur laisser paître verte, ou la leur donner séchée ; mais pour la donner seche, il faut qu'elle ait été fauchée dans toute sa seve & avant qu'elle fleurisse, sans quoi elle deviendroit trop dure. Des expériences réitérées faites en Angleterre ont fait connoître l'utilité de cette plante. Voyez le Weckly, amusement de Février 1763, p. 154.


TIMOTHIENSS. m. pl. (Hist. ecclés.) hérétiques ainsi appellés de leur chef Timotheus Aelurus, qui prétendit dans le v. siecle que les deux natures s'étoient tellement mêlées dans le sein de la Vierge, qu'il en étoit résulté une troisieme qui n'étoit ni la divine ni l'humaine. On leur donna dans la suite le nom de Monothélites & de Monophysites. Voyez ces articles.


TIMPFENS. m. (Monnoie) monnoie de compte dont on se sert à Konigsberg & à Dantzick pour tenir les livres de marchands. Le timpfen, qu'on nomme aussi florin polonois, vaut trente gros polonois. (D.J.)


TIMURIDES. m. terme d'Histoire, nom que l'on donne à la famille des Tamerlans qui regnerent dans la Transoxane jusqu'en l'année 900 de l'hégire, qui répond à l'an 1494 de Jesus-Christ. (D.J.)


TIN-LAURIER(Botan.) le laurier-tin, en anglois the laurustine, est un arbrisseau, dont Tournefort distingue trois especes ; la premiere est nommée tinus prior dans ses I. R. H. Il croît à la hauteur d'un cornouiller femelle, poussant plusieurs verges longues, quarrées, rameuses. Ses feuilles sont grandes, larges, presque semblables à celles du cornouiller femelle, & approchantes de celles du laurier, rangées deux à deux, l'une vis-à-vis de l'autre le long des branches ; ces feuilles sont noirâtres, luisantes, velues, toujours vertes, sans odeur, d'un goût amer, avec un peu d'astriction : ses fleurs naissent aux sommets des rameaux en bouquets, blanches, odorantes ; chacune d'elles est un bassin découpé en cinq parties. Quand cette fleur est passée, son calice devient un fruit qui approche en figure d'une olive, mais plus petit, & un peu plus pointu par le bout d'en-haut où il est garni d'une espece de couronne ; sa peau est un peu charnue, & d'une belle couleur bleue : on trouve dans ce fruit une semence couverte d'une peau cartilagineuse. Cet arbrisseau vient aux lieux rudes & pierreux.

La seconde espece de laurier-tin est appellée par le même Tournefort, tinus altera, I. R. H. Cet arbrisseau differe du précédent, en ce qu'il est plus rameux & en ce que ses branches sont plus fermes, couvertes d'une écorce rouge-verdâtre ; ses feuilles sont un peu plus longues, plus étroites & plus veineuses ; sa fleur n'est pas si odorante, & elle tire un peu sur le purpurin ; son fruit est plus petit & d'une couleur plus brune. Cet arbrisseau croît aux lieux incultes & maritimes.

La troisieme espece est le tinus tertia, I. R. H. C'est un arbrisseau plus petit en toutes ses parties que les précédens ; il fleurit deux fois l'année, au printems & en automne ; son fruit est d'un bleu noirâtre, d'ailleurs tout-à-fait semblable aux autres. On le cultive dans les jardins à cause de sa beauté, mais sa fleur a très-peu d'odeur.

Les fruits du laurier-tin, & principalement ceux de la derniere espece, sont fort âcres & brûlans ; ils purgent par les selles avec violence, & il n'est pas à propos de s'en servir à cause de leur âcreté caustique. (D.J.)

TIN - laurier, (Agricult.) la beauté du laurier-tin consiste principalement dans ses fleurs qui croissent à Noël, & pendant la plus grande partie de l'hiver. On le multiplie en semant son fruit, & en le gouvernant de même que celui du houx ; cependant la voie la plus promte est de coucher en terre dès le mois de Septembre ses branches les plus tendres, qui prendront racine aussi-tôt, & fourniront des plantes telles qu'on les veut. Le laurier-tin croît fort vîte, mais il devient rarement un grand arbre. On en forme souvent une plante à tête, que l'on place dans les parterres parmi les houx & les ifs ; il convient mieux de le planter auprès d'un mur, ou dans des bosquets où on pourroit éviter de le tailler à cause de ses fleurs, dont une main mal-adroite nous prive assez souvent en le taillant mal-à-propos.

Cette plante, ainsi que toutes les plantes exotiques, est disposée à fleurir dans la saison où tombe le printems dans leur climat naturel. Bradley prétend que toutes les plantes qui viennent du cap de Bonne-Espérance poussent leurs rejettons les plus forts, & commencent à fleurir vers la fin de notre automne, qui est le tems du printems dans cette partie de l'Afrique d'où on nous les apporte. Pareillement toutes les autres qui viennent des différens climats, conservent l'ordre naturel de leur végétation. Ainsi c'est dans notre saison du printems qu'on doit tailler ces plantes exotiques, afin qu'elles puissent mieux se disposer à pousser dans l'hiver de fortes tiges à fleurs.

Le laurier-tin, quoique tendre à la gelée, aime à croître à l'ombre, & fleurit fort bien dans la terre franche, sans le secours d'aucun engrais, qui le feroit avancer trop vîte, le rendroit plus sensible au froid, & sujet à employer sa seve pour des tiges inutiles qui empêcheroient l'arbre de fleurir. (D.J.)

TINS, s. m. pl. (Marine) grosses pieces de bois, qui soutiennent sur terre la quille & les varangues d'un vaisseau, quand on le met en chantier & qu'on le construit. Voyez CONSTRUCTION & LANCER UN VAISSEAU A L'EAU.


TINAGOGOS. m. terme de relation, nom d'une idole des Indiens, imaginée par Fernand Mendez Pinto ; elle a, selon lui, un temple magnifique dans le royaume de Brama, près de la ville de Meydur.

Ce voyageur romanesque s'est amusé à décrire le temple de cette idole, ses prêtres, ses processions, la quantité de peuples qui s'y rendent chaque année, les milliers de personnes qui traînent avec des cordes le char de Tinagôgô, les martyrs qui viennent se faire couper en deux sous les roues du char, les autres dévots à l'idole qui se taillent par morceaux, s'égorgent, se fendent le ventre sur la place, & autres contes semblables, qui forment peut-être l'article le plus long & le plus faux du dictionnaire de Trévoux.

Toutes les fictions du récit de Pinto sautent aux yeux ; mais le lieu même de la scène est imaginaire. Les Géographes ne connoissent ni la ville de Meydur, ni le royaume de Brama ; tout ce qu'on sait de cette partie de l'Asie où les Européens n'ont pas encore pénétré, c'est qu'aux extrêmités des royaumes d'Ava & de Pégu, il y a un peuple nommé les Bramas, qui sont doux, humains, ayant cependant quelques loix semblables à celles du Japon ; c'est à-peu-près tout ce que nous apprend de ce pays le voyage des peres Espagnac & Duchalz, jésuites. (D.J.)


TINCHEBRAY(Géog. mod.) petite ville de France, dans la basse Normandie, au diocèse de Bayeux, entre Vire, Domfront, & Condé. Elle a deux paroisses : son territoire donne des grains & des paturages. (D.J.)


TINCONTIUou TINCONCIUM, (Géog. mod.) ville de la Gaule lyonnoise. Elle est marquée dans l'itinéraire d'Antonin, sur la route de Bourdeaux à Autun, entre Avaricum & Deccidae, à vingt milles du premier de ces lieux, & à vingt-deux milles du second. (D.J.)


TINCTORIA ARBOR(Bot. exot.) arbre étranger, ainsi nommé par J. B. Il est de la taille de nos chênes, croit dans le royaume de Jenago en Ethiopie, & porte un fruit semblable à la datte, dont on tire une huile qui donne à l'eau avec laquelle on la mêle, la couleur du safran ; les habitans en teignent leurs chapeaux, qui sont tissus de paille & de jonc ; mais ils l'employent sur-tout pour assaisonner leur riz & leurs autres alimens. Ray, hist. plant. (D.J.)


TINES. f. terme de Tonnelier, en latin tina dans Varron, petit vaisseau en forme de cuve, dont on se sert en plusieurs lieux pour porter les vendanges de la vigne au pressoir ; on l'appelle autrement tinette. Voyez ce mot. (D.J.)

TINE, (Géog. mod.) île de l'Archipel, & l'une des Cyclades, au midi oriental d'Andros, au couchant de l'île de Nicaria, au nord de l'île de Nicone, & à l'Orient de l'île Jura.

Cette île fut anciennement nommée Tenos, suivant Etienne le géographe, d'un certain Tenos qui la peupla le premier. Hérodote, liv. VIII. nous apprend qu'elle fit partie de l'empire des Cyclades, que les Naxiotes possederent dans les premiers tems. Il est parlé des Téniens parmi les peuples de Grece, qui avoient fourni des troupes à la bataille de Platée, où Mardonius, général des Perses, fut défait ; & les noms de tous ces peuples furent gravés sur la droite d'une base de la statue de Jupiter regardant l'orient.

A voir l'inscription rapportée par Pausanias, il semble que les peuples de cette île fussent alors plus puissans ou aussi puissans que ceux de la nation : néanmoins ceux de Tenos, les Andriens, & la plûpart des autres insulaires, dont les intérêts étoient communs, effrayés de la puissance formidable des Orientaux, se tournerent de leur côté. Xerxès se servit d'eux & des peuples de l'île Eubée, pour réparer les pertes qu'il faisoit dans ses armées.

Les forces maritimes des Téniens, sont marquées sur une médaille fort ancienne, frappée à la tête de Neptune, révéré particulierement dans cette île ; le revers représente le trident de ce dieu accompagné de deux dauphins. Goltzius a fait aussi mention de deux médailles de Tenos au même type. Tristan parle d'une médaille d'argent des Téniens, à la tête de Neptune, avec un trident au revers.

Le bourg de San - Nicolo, bâti sur les ruines de l'ancienne ville de Tenos, au-lieu de port, n'a qu'une méchante plage qui regarde le sud, & d'où l'on découvre l'île de Syra au sud-sud-ouest. Quoi qu'il n'y ait dans ce bourg qu'environ cent cinquante maisons, on ne peut pas douter par le nom de Polis qu'il porte encore, & par les médailles & les marbres antiques qu'on y trouve en travaillant la terre, que ce ne soient les débris de la capitale de l'île. Strabon assure que cette ville n'étoit pas grande, mais qu'il y avoit un fort beau temple de Neptune dans un bois voisin, où l'on venoit célébrer les fêtes de cette divinité, & où l'on étoit régalé dans des appartemens magnifiques ; ce temple avoit un asyle, dont Tibere regla les droits, de même que ceux des plus fameux temples de la mer Egée.

A l'égard de Neptune, Philocore, cité par Clément d'Alexandrie, rapporte qu'il étoit honoré dans Tenos comme un grand médecin, & que cela se confirme par quelques médailles : il y en a une chez le Roi, dont Tristan & Patin font mention. La tête est d'Alexandre Sévere ; au revers est un trident, autour duquel est tortillé un serpent, symbole de la Médecine chez les anciens : d'ailleurs cette île avoit été appellée l'île aux serpens.

Elle a soixante milles de tour, & s'étend du nord-nord-ouest au sud-sud-est. Elle est pleine de montagnes pelées, & elle ne laisse pas d'être la mieux cultivée de l'Archipel. Tous les fruits y sont excellens, melons, figues, raisins ; la vigne y vient admirablement bien, & c'est sans - doute depuis long - tems, puisque M. Vaillant fait mention d'une médaille frappée à sa légende, sur le revers de laquelle est représenté Bacchus tenant un raisin de la main droite, & un thyrse de la gauche ; la tête est d'Antonin Pie. La médaille que M. Spon acheta dans la même île est plus ancienne ; d'un côté c'est la tête de Jupiter Hammon, & de l'autre une grappe de raisin.

Tine est la seule conquête qui soit restée aux Vénitiens, de toutes celles qu'ils firent sous les empereurs latins de Constantinople. André Cizi se rendit maître de Tine vers l'an 1209, & la république en a toujours joui depuis, malgré toutes les tentatives des Turcs. Peu s'en fallut que Barberousse II. du nom, dit Chereddin, capitan bacha, qui soumit en 1537 presque tout l'Archipel à Soliman II. ne s'emparât aussi de Tine.

Quoique les Vénitiens n'aient pas des troupes reglées dans cette île, on y pourroit cependant, en cas d'allarmes, rassembler trois ou quatre mille hommes de milice. Le provéditeur de ce lieu ne retire néanmoins qu'environ deux mille écus de son gouvernement. Les femmes des bourgeois & contadins, comme on parle dans le pays, sont vêtues à la vénitienne ; les autres ont un habit approchant de celui des Candiotes. Latit. de San-Nicolo, 37. (D.J.)

TINE, (Géog. mod.) petite ville de la Turquie européenne, dans la Bosnie, à quatorze lieues au nord - est de Sébénico. Long. 24. 45. latit. 44. 27. (D.J.)

TINE, la, ou LA TYNE, (Géog. anc.) en latin Tina, riviere d'Angleterre. Elle sépare une partie de la province de Durham de celle de Northumberland, & se jette dans la mer du Nord, à Tinmouth : cette riviere sert à un prodigieux négoce de charbon. (D.J.)


TINELS. m. (Droit coutumier) vieux mot du Droit coutumier, qui signifioit le droit qui est dû pour la place que chacun occupe dans le marché. (D.J.)

TINEL, (Langue françoise) en latin tinello ; ce mot qui n'est plus d'usage signifioit autrefois dans la cour d'un prince, la salle basse où mangeoient ses officiers, ou de grands seigneurs de sa cour. L'historien de Dauphiné, M. de Valbonnais, dit : le portier de l'hôtel (des dauphins), avoit cinq florins de gage ; il étoit chargé de faire nettoyer les cours & la salle du grand commun, appellée le tinel ; il avoit soin d'y faire mettre des bancs, des chaises, & tous les meubles nécessaires ; mais il en pouvoit prendre à la fourriere lorsqu'il en manquoit ; il dressoit les tables, & l'officier de paneterie mettoit le couvert : au reste, il ne laissoit entrer dans la salle, aux heures du repas, que les officiers qui avoient droit d'y manger, & nul autre n'y étoit reçu sans un ordre exprès du grand-maître.

Tinel signifioit aussi la cour du roi, desorte que les gens de cour étoient appellés le tinel, d'un nom général. (D.J.)


TINETS. m. terme de Boucher, espece de machine dont se servent les Bouchers, pour suspendre par les jambes de derriere, les boeufs qu'ils ont assommés, vuidés, soufflés, & écorchés. Trévoux. (D.J.)

TINET, s. m. terme de Marchand de vin, gros bâton dont on se sert pour porter les tines, & pour descendre du vin dans la cave sans le troubler. (D.J.)


TINETTES. f. terme de Chandelier, les maîtres Chandeliers qui font de la chandelle moulée appellent tinette, le vaisseau dans lequel ils mettent leur suif liquide au sortir de la poële. (D.J.)

TINETTE, s. f. (Tonnelerie) espece de vaisseau approchant de la figure conique, le bas étant plus étroit que le haut, fait de douves, reliés de cerceaux, ayant du côté le plus large deux especes d'oreilles, chacune percée d'un trou pour y passer un bâton au-travers afin d'en arrêter le couvercle. Les tinettes servent à mettre diverses sortes de marchandises, particulierement les beurres salés & les beurres fondus. Savary. (D.J.)


TINGIS(Géog. anc.) 1°. ville d'Afrique, dans la Mauritanie tingitane, dont elle étoit la capitale, & à laquelle elle donnoit son nom. Pomponius-Méla, l. I. c. v. & Pline, l. V. c. j. rapportent que c'est une ville très-ancienne, qu'on disoit avoir été bâtie par Antée. Le dernier ajoute, que lorsque l'empereur Claude y transporta une colonie, le premier nom fut changé en celui de Traducta-Julia. Le nom de cette ville est différemment écrit par les anciens. Pomponius-Méla, dit Tinge ; Pline, Tingi ; & Ptolomée, Tingis.

Les habitans de Tingis, dit Plutarque, racontent qu'après la mort d'Antée, sa veuve appellée Tinga, coucha avec Hercule, & en eut un fils nommé Sophax, qui régna dans le pays & fonda cette ville, à qui il donna le nom de sa mere. Plutarque ajoute, que Sertorius ayant pris d'assaut la ville de Tingis, ne pouvant croire ce que les Africains disoient de la grandeur monstrueuse d'Antée qui y étoit enterré, il fit ouvrir son tombeau, où ayant trouvé à ce qu'on dit, un corps de soixante coudées de haut, il fut très-étonné, immola des victimes, fit religieusement refermer le tombeau, & par-là augmenta beaucoup la vénération qu'on avoit pour ce géant dans la contrée, & tous les bruits qu'on en semoit. Strabon donne aussi soixante coudées à ce corps d'Antée ; mais il fait entendre en même tems que c'est une fable, que Gabinius avoit débitée dans son histoire Romaine avec plusieurs autres.

La ville de Tingis étoit située sur le détroit, entre le promontoire, les côtes & l'embouchure du fleuve Valon, selon Ptolémée, l. IV. c. j. qui la surnomma Caesarea. L'itinéraire d'Antonin la marque à 18 milles du lieu, nommé ad Mercuri ; c'est aujourd'hui la ville de Tanger.

2°. Ville de la Bétique ; Pomponius Méla dit, qu'il étoit de Tingis, en Bétique, colonie de Tingis, capitale de la Mauritanie tingitane, en Afrique. Cette Tingis en Espagne, patrie de Méla, étoit la même que Cetraria. (D.J.)


TINGLES. f. terme de Riviere, piece de merrain, dont on se sert pour étancher l'eau qui entreroit dans les bateaux, en mettant de la mousse tout-autour de la tingle.


TINIA(Géog. anc.) Teneas, par Strabon, l. V. p. 225. fleuve d'Italie, dans l'Umbrie. Silius Italicus, l. VIII. vers. 454. fait entendre que c'étoit un petit fleuve qui se jettoit dans le Tibre.

Narque albescentibus undis

In Tibrim properans, Tene aeque inglorius humor.

Le nom moderne, selon Cluvier, Ital. Ant. l. II. c. x. est, il Topino. (D.J.)


TINIAN(Géog. mod.) île de l'Océan oriental, au sud-est de Saipan, & à l'ouest d'Acapulco. C'est une des principales îles Marianes ; elle s'étend du sud sud-ouest, au nord nord-est ; sa longueur est d'environ 12 milles, & sa largeur va à-peu-près à la moitié. Elle est sans habitans ; les Espagnols l'appellent Buona Vista, à cause de la beauté de sa vûe. En effet, cette île offre de tous côtés, en bois, en eau pure, en animaux domestiques, boeufs, cochons sauvages, & en légumes, tout ce qui peut servir à la nourriture, aux commodités de la vie, & au radoub des vaisseaux. L'amiral Anson y trouva même en 1742. une espece d'arbre, dont le fruit ressemble pour le goût au meilleur pain ; trésor réel, dit M. de Voltaire, qui transplanté, s'il se pouvoit, dans nos climats, seroit bien préférable à ces richesses qu'on va ravir parmi tant de périls au bout de la terre. L'île de Tinian gît à 15 deg. 8 min. de lat. septent. & à la longit. de 114 deg. 50. min. (D.J.)


TINKALS. m. (Hist. nat.) c'est le nom que les Indiens donnent au borax brut & impur qui n'a point encore été purifié. Voyez BORAX & SEL SEDATIF.


TINNEIou TINEIA, ou THINNEIA, (Géog. anc.) Servius fait la remarque suivante sur ce vers de Virgile, Aeneid. l. III. v. 399.

Hîc & Naritii posuerunt moenia Locri.

Les Locres épizéphyriens & ozoles furent, dit-il, les compagnons d'Ajax Oiléen ; mais ayant été séparés par la tempête, les Epizéphyriens aborderent en Italie, dans le pays des Brutiens & s'y établirent, tandis que les Ozoles jettés sur les côtes d'Afrique, s'établissoient dans la Pentapole. On lit encore, par rapport aux Ozoles, ajoute Servius, qu'ayant été portés à Tinneia, ils pénétrerent dans le pays, & y bâtirent une ville qu'on nomme aujourd'hui Usalis ou Ozalis. (D.J.)


TINNELS. m. (Lang. franç.) vieux mot qui signifioit le son d'une cloche du palais de nos rois pour indiquer l'heure des repas que le prince donnoit à sa cour aux grands seigneurs, ou aux officiers de sa maison. (D.J.)


TINNEN(Géog. mod.) ville des états de l'empire Russien, dans la Sibérie ; les Tartares & les Samoïdes y portent quantité de pelleteries pour le commerce. (D.J.)


TINO(Géog. mod.) les François disent Tin, petite île de la mer Méditerranée, sur la côte d'Italie, à l'entrée du golfe de la Spécie, au midi oriental de l'île Palmaria. Latit. 44. 8. (D.J.)


TINTAMARRES. m. (Science étymolog.) bruit que faisoient nos anciens vignerons & laboureurs, en frappant sur leurs mares ou leurs instrumens de labour, pour se donner quelque signal ; tintamarre signifie donc tinte ta marre.

Ce mot est purement françois, & vient du mot tinter & de celui de marre qui signifie béche ; c'est comme si l'on disoit, faire du bruit en frappant sur la marre.

Pasquier, l. VIII. c. ij. de ses Recherches, dit que les paysans des environs de Bourges avertissent leurs compagnons de quitter leur besogne en frappant avec des pierres sur leurs mares ; pourquoi, continue-t-il, ce ne seroit point à mon jugement, mal deviner, d'estimer que d'autant qu'au son du tint qui se faisoit sur la marre, s'excitoit une grande huée entre vignerons ; quelques-uns du peuple françois, avertis de cette façon, aient appellé tintamarre à la similitude de ceci, tout grand bruit & clameur qui se fait quelque part. (D.J.)


TINTEMENTTINTEMENT

Pour comprendre comment on peut appercevoir des sons qui ne sont pas effectivement, il faut remarquer que l'action de l'ouie consistant dans un ébranlement de l'organe immédiat, il suffit que cet ébranlement soit excité pour faire un son, sans qu'il soit nécessaire que ce mouvement y soit causé par l'air ; car de même que l'on comprend que la vision, qui dépend de la maniere dont la rétine est ébranlée par les rayons visuels, peut se faire sans ces rayons, lorsque quelqu'autre cause produit le même ébranlement, ainsi qu'il arrive quand les yeux voyent des étincelles dans l'obscurité, lorsqu'ils reçoivent quelque coup : on peut dire aussi, que quand quelqu'autre cause que l'air ébranlé produit dans l'organe de l'ouie (j'entends intérieurement), cet ébranlement modifié de la même maniere qu'il l'est ordinairement par l'air qui apporte le son, l'oreille paroît être frappée par un son qui n'est point véritable, non plus que la lumiere des étincelles dont il a été parlé, n'est point une véritable lumiere : mais ce qui rend encore cette comparaison assez juste, est que de même que ces fausses apparences de lumiere qui ne sont point causées par des objets extérieurs n'ont rien de distinct, mais seulement une simple lumiere, la vue d'un objet plus circonstancié demandant le concours de trop de choses ; il n'arrive presque point aussi que les bruits de l'oreille dont il s'agit, aient rien que de confus, les sifflemens & les tintemens qui sont les bruits les plus distincts dans ce symptome, étant très-simples.

La cause de cet ébranlement dans l'organe immédiat, dépend des maladies dans lesquelles les tintemens se rencontrent. Ces maladies sont l'inflammation, l'abscès du tympan, ou du labyrinthe, & les maladies du conduit de l'ouie.

La seconde espece de tintement, est celle où l'on apperçoit un bruit véritable, mais intérieur. C'est ainsi que l'on sent un bourdonnement lorsqu'on se bouche les oreilles. Ce bruit se fait par le frottement de la main, ou par la compression qui froisse la peau & les cartilages.

Les commotions du crâne, & les maladies qui étrecissent le conduit, peuvent causer de ces especes de tintemens ; le desordre des esprits, les pulsations violentes d'une artere dilatée, produisent aussi cette sensation. Enfin, il se peut faire une perception d'un faux bruit sans aucun vice dans les organes de l'ouie, c'est ce qui arrive toutes les fois que les parties du cerveau où se terminent les filets du nerf auditif, sont agitées de la même maniere qu'elles ont coutume d'être ébranlées par les objets ; c'est pour cela que plusieurs maladies du cerveau, comme le délire, la phrénesie, le vertige, sont accompagnées de tintemens d'oreilles. Le tintement d'oreille peut aussi provenir du froid, mais c'est alors peu de chose.

On peut donc établir deux sortes de tintemens, dont les uns dépendent des maladies du cerveau, les autres des maladies de l'oreille. Ceux qui suivent les maladies de l'oreille, sont ou vrais ou faux ; & de ceux-ci, les uns sont appellés tintemens, les autres sifflemens, les autres bourdonnemens, les autres murmures ; en général, on peut dire que les bruits sourds & bourdonnans sont causés par un ébranlement lâche, & les bruits sifflans & tintans par un ébranlement tendu, ce qui est confirmé par les causes éloignées de ces symptomes ; les rhumes, par exemple, & les suppurations où les membranes sont relâchées, produisent ordinairement un bourdonnement ; & les inflammations & les douleurs d'oreille, où ces parties sont tendues & desséchées, causent les sifflemens & les tintemens ; peut-être que tous ces bruits font la même impression sur la lame spirale, & sur les canaux demi-circulaires que font les sons graves & les aigus.

La cure du tintement dépend des maladies du cerveau, ou de l'oreille qui le produisent. Le tintement qui procede de l'inflammation demande les remedes généraux, sur-tout la saignée, & des injections émollientes & rafraîchissantes quand le mal est extérieur. Le tintement qui vient du froid, se dissipe de lui-même. Le tintement habituel incommode rarement, & ne demande aucun remede particulier, à-moins qu'on n'en connoisse bien la cause. Celse est parmi les anciens celui qui a le mieux traité des tintemens de l'oreille. (D.J.)


TINTENACS. m. (Commerce) espece de cuivre qu'on tire de la Chine ; c'est le meilleur de tous les cuivres que produisent les mines de ce vaste empire ; aussi ne s'en apporte-t-il guere en Europe : les Hollandois qui en font le plus grand commerce, le réservant tout pour leur négoce d'Orient où ils l'échangent contre les plus riches marchandises. (D.J.) Voyez TOUTENAGUE.


TINURTIUM(Géog. anc.) ville de la Gaule, selon Spartien qui en parle dans la vie de l'empereur Sévere. Martianus Scotus, l. II. la place dans le territoire de Châlon-sur-Saône ; & Grégoire de Tours, lib. martyr. dit qu'elle étoit à trente milles de la même ville. Dans l'itinéraire d'Antonin, Tinurtium est marqué sur la route de Lyon à Gessoriacum, entre Mâcon & Châlon, à dix-neuf milles de la premiere de ces villes, & à vingt & un milles de la seconde. (D.J.)


TINZEDA(Géog. mod.) ville de l'Afrique, dans la province de Darha, sur la riviere de même nom ; son territoire abonde en indigo, en orge & en dattes. Long. 11. 38. lat. 26. 52.


TIORA(Géog. anc.) ville d'Italie. Denys d'Halicarnasse, l. I. c. xiv. dit qu'on la nommoit aussi Matiena. Il la place sur la route de Réate à Lista, métropole des Aborigenes, entre Vatia & Lista, à trois cent milles de Réate. Il ajoute qu'il y avoit autrefois dans cette ville un oracle du dieu Mars. Cette ville, selon Ortélius, est appellée par Baronius Thoraca ecclesia, & placée par le même auteur sur le lac Velinus. Voyez TUDER. (D.J.)


TIOS(Géog. anc.) Strabon, l. XII. p. 542. écrit Tieum, Ptolomée Tion, & d'autres Tius ; ville de la Paphlagonie, sur le bord du Pont - Euxin, entre Psyllium & l'embouchure du fleuve Parthenius.

Dans les guerres d'Euménès, roi de Cappadoce, & de Pharnace, roi de Pont, ayeul du célebre Mithridate, LÉocrite général de Pharnace, mit le siége devant Tios, résolu de prendre cette place importante. La garnison ne se rendit qu'après une longue résistance, à condition qu'on lui conserveroit & la vie, & la liberté de se retirer où bon lui sembleroit. LÉocrite, non-plus que son maître, ne se faisoit pas un scrupule de violer sa parole. Diodore de Sicile nous apprend que les soldats furent inhumainement passés au fil de l'épée. Euménès favorisé par Prusias, eut bientôt sa revanche ; il pénétra dans le royaume de Pont, & contraignit son ennemi à recevoir la loi du vainqueur. Les habitans de Tios furent rétablis dans leur patrie, & Euménès fit présent de cette ville à Prusias son allié.

Tios étoit à soixante & trois milles d'Amastris. (D.J.)


TIPARENUS(Géog. anc.) île de Grece, dans le golfe Argolique. Pline, liv. IV. c. xij. dit qu'elle étoit sur la côte du territoire d'Hermione. (D.J.)


TIPASA(Géog. anc.) ville de la Mauritanie césariense. Ptolémée, liv. IV. ch. ij. la marque entre Julia-Caesarea & Via. Selon l'itinéraire d'Antonin, qui lui donne le titre de colonie, elle se trouvoit sur la route de Tingis à Carthage, entre Caesarea-Colonia & Casae-Caluenti, à seize milles de la premiere de ces places, & à quinze milles de la seconde. Ortelius croit que ce pourroit être la Tipata d'Ammien Marcellin. On croit que cette ville est aujourd'hui le lieu du royaume d'Alger, qu'on nomme Saça ou Sasa. (D.J.)


TIPHAou SIPHAE, (Géog. anc.) par Ptolémée & Etienne le géographe ; ville située dans le fond de la Béotie, sur le bord de la mer ; on l'appelle aujourd'hui Rosa, selon Sophien. Elle donna ou prit son nom d'une montagne voisine, nommée Typhaonium par Hésiode, & Typnium dans Hesychius. Pausanias, l. IX. c. xxxij. parle de Tiphae, & écrit Tipha ; il dit qu'il y avoit dans cette ville un temple dédié à Hercule, & qu'on y célebroit une fête chaque année. Tous les habitans de Tiphae se vantoient d'être habiles marins ; Aussi Typhis qui y prit naissance, passoit pour être fils de Neptune. Il fut le pilote du vaisseau des Argonautes, & mourut à la cour de Lycus, dans le pays des Mariandiniens. (D.J.)


TIPIS. m. (Hist. nat. Botan. exot.) arbrisseau qui croît au Brésil ; sa fleur est blanchâtre, & le fruit noir & rond comme une prune. Ray.


TIPPERARI(Géog. mod.) comté d'Irlande, dans la province de Mounster. Il a le Queens-County & Kilkenny à l'est, le comté de Thomond à l'ouest, Kings-County au nord-est, & Waterford au sud. On le divise en quatorze baronies. Deux de ses villes tiennent marché public, & cinq députent au parlement de Dublin.

Keating (Geoffroi), connu par une histoire des poëtes irlandois, dont on a donné une magnifique édition à Londres, en 1738, in-fol. étoit natif du comté de Tipperari. Il a publié quelques autres ouvrages en irlandois, & est mort vers l'an 1650. (D.J.)


TIPRA(Géog. mod.) royaume d'Asie, dans les Indes, aux états du roi d'Ava, sous le tropique du cancer. Il est borné au nord par le royaume d'Asem, au midi par celui d'Aracan, au levant par celui d'Osul, & au couchant par celui de Bengale. Marbagan en est la capitale.


TIPULS. m. (Hist. nat. Ornithol. exot.) nom donné par les habitans des îles Philippines à une espece de grue commune dans leur pays, & qui est d'une si grande taille, que quand elle se tient droite, elle peut regarder par-dessus la tête d'un homme ordinaire. (D.J.)


TIPULES. m. (Hist. nat. Insectolog.) mouche à deux aîles, dont M. Linnaeus, faun. suec. donne trente-deux especes. Le tipule a beaucoup de ressemblance avec le cousin, mais il en differe principalement en ce qu'il n'a point de trompe. Les différentes especes de tipules varient beaucoup pour la grandeur. Voyez INSECTE.


TIQUADRA(Géog. anc.) île d'Espagne, & l'une des petites îles voisines des Baléares. Pline, l. III. c. v. la marque près de la ville Palma. Le nom moderne est Connéjera.


TIQUES. m. (Hist. nat. Insectol.) ricinus ; petit insecte noirâtre, qui s'engendre dans la peau des animaux ; il a six pattes, & la tête se termine par une espece de bec pointu & court ; la peau est dure. Cet insecte tourmente beaucoup en été les animaux, & principalement les chiens. Voyez INSECTE.


TIQUER(Maréchal.) c'est avoir le tic. Voyez TIC.


TIQUEURS. m. (Maréchal.) on appelle ainsi un cheval qui tique souvent.


TIQUMITS. m. (Calend. des Abyssins) nom du quatrieme mois des Abyssins, qui répond au mois d'Avril. (D.J.)


TIRS. m. (Art milit.) se dit de la ligne suivant laquelle on tire une piece d'artillerie.

Les canonniers, selon M. de Saint-Remy, disent quelquefois qu'ils ont fait un bon tir, quand ils ont fait un bon coup ; mais ce terme n'est plus guere usité. On se sert plus communément de celui de jet. Voyez JET.


TIR-RYFou TIR-RIF, (Géog. anc.) petite île d'Ecosse, & l'une des Aebudes ; on remarque cinq lacs dans cette île qui n'a que 12 milles de longueur, & quatre ou cinq de largeur. (D.J.)


TIRAS. m. (Hist. mod. Culte) c'est ainsi que l'on nomme au Japon, les temples consacrés aux idoles étrangeres. Ces temples sont sans fenêtres, & ne tirent de jour que de leurs portiques, qui conduisent à une grande salle remplie de niches, dans lesquelles on place des idoles. Au milieu du temple est un autel isolé, qui est communément très-orné, & sur lequel on place une ou plusieurs idoles d'une figure monstrueuse. On place devant elles un grand chandelier à plusieurs branches, où l'on allume des bougies odoriférantes ; le tout est ordinairement surmonté d'un dôme. Quelques-uns de ces temples sont d'une grandeur prodigieuse, & qui excede de beaucoup nos plus grandes églises d'Europe. A côté des tiras l'on voit ordinairement des édifices somptueux, destinés à la demeure des bonzes ou des prêtres, qui ont toujours eu soin de choisir des emplacemens agréables.


TIRADES. f. (Littérat.) expression nouvellement introduite dans la langue, pour désigner certains lieux communs dont nos poëtes, dramatiques sur-tout, embellissent, ou pour mieux dire, défigurent leurs ouvrages. S'ils rencontrent par hasard dans le cours d'une scène, les mots de misere, de vertu, de crime, de patrie, de superstition, de prêtres, de religion, &c. ils ont dans leurs porte-feuilles une demi-douzaine de vers faits d'avance, qu'ils plaquent dans ces endroits. Il n'y a qu'un art incroyable, un grand charme de diction, & la nouveauté ou la force des idées, qui puissent faire supporter ces hors d'oeuvre. Pour juger combien ils sont déplacés, on n'a qu'à considérer l'embarras de l'acteur dans ces endroits ; il ne sait à qui s'adresser ; à celui avec lequel il est en scène, cela seroit ridicule : on ne fait pas de ces sortes de petits sermons à ceux qu'on entretient de sa situation ; au parterre, on ne doit jamais lui parler.

Les tirades quelque belles qu'elles soient, sont donc de mauvais goût ; & tout homme un peu versé dans la lecture des anciens les rejettera, comme le lambeau de pourpre dont Horace a dit : Purpureus late qui splendeat unus & alter assuitur pannus ; sed non erat his locus. Cela sent l'écolier qui fait l'amplification.

TIRADE, en Musique ; lorsque deux notes sont séparées par un intervalle disjoint, & qu'on remplit cet intervalle par plusieurs autres notes qui passent diatoniquement de l'une à l'autre, cela s'appelle une tirade.

Les anciens nommoient en grec , & en latin ductus, ce que nous appellons aujourd'hui tirade ; & ils en distinguoient de trois sortes. 1°. Si les sons se suivoient en montant, ils appelloient cela , ductus rectus : 2°. s'ils se suivoient en descendant, c'étoit , ductus revertens : 3°. que si après avoir monté par bémol, ils redescendoient par béquarre, cela s'appelloit , ductus circumcurrens. On auroit bien à faire, aujourd'hui que la musique est si prodigieusement composée, si l'on vouloit donner des noms à tous ces différens passages. (S)


TIRAGETIRAGE

TIRAGE, s. m. (Imprimerie) ce mot se dit dans quelques imprimeries, soit de livres, soit de tailles douces, de l'impression de chaque forme, ou de chaque planche. (D.J.)

TIRAGE DE LA SOIE, Voyez l'article SOIE.

TIRAGE ou PENDULE A TIRAGE, parmi les Horlogers signifie une pendule à répétition.

TIRAGE ou TIRER, en terme d'Orfevre, c'est donner à l'or ou à l'argent, la grosseur & la longueur en le faisant passer dans des filieres toujours plus petites en plus petites, sur un banc à tirer. Voyez BANC A TIRER.

TIRAGE, (Commerce) que d'autres appellent trait, c'est l'espace qui doit rester libre sur les bords des rivieres pour le passage des chevaux qui tirent les bateaux.


TIRAILLEMENTS. m. (Gram.) il se dit en Médecine, des mouvemens convulsifs des muscles, des nerfs, des intestins, des bords d'une blessure, mouvemens toujours accompagnés d'une violente douleur.


TIRANCEPIEUX DE, (Charpent.) les pieux de tirance ont été inventés pour traîner des cordages sur le fond de la mer. Ces pieux sont armés à leur extrêmité de deux pointes, entre lesquelles est un rouleau tournant sur son aissieu ; ils portent à leur tête une poulie de retour. Hist. de l'acad. des Scienc. ann. 1742. (D.J.)


TIRANO(Géog. mod.) ville du pays des Grisons, capitale du gouvernement de même nom, sur la rive gauche de l'Adda, à 10 lieues au sud-ouest de Bormio. Elle est la résidence du gouverneur. Long. 27. 22. lat. 46. 15.

TIRANO, (Géog. mod.) gouvernement dans la Valteline, de la dépendance des Grisons. Il est partagé en deux archiprêtrés, qui comprennent onze communautés ; le chef-lieu lui donne son nom. (D.J.)


TIRANTS. m. (Archit.) transtrum dans Vitruve ; longue piece, qui arrêtée par ses extrêmités par des ancres, sert sous une ferme de comble pour en empêcher l'écartement, comme aussi celui des murs qui la portent. Il y a de ces tirans dans les vieilles églises qui sont chanfreinés & à huit pans, & qui sont assemblés avec le maître entrait du comble, par une aiguille ou un poinçon.

Tirant de fer. Grosse & longue barre de fer, avec un oeil ou trou à l'extrêmité, dans lequel passe une ancre qui sert pour empêcher l'écartement d'une voûte, & pour retenir un mur, un pan de bois, ou une souche de cheminée. Daviler. (D.J.)

TIRANT, terme de Boisselier, sorte de noeud fait de cuir de boeuf, dont on se sert pour bander un tambour.

TIRANT, terme de Cordonnier, c'est un ruban de fil de diverses couleurs, qu'on attache au-dedans de la tige des bottes, & dont on se sert pour se botter aisément. (D.J.)

TIRANS, (Rubanier) ce sont les ficelles attachées aux lames, pour faire agir celles qui montent & passent sur les poulies du chatelet, pour suspendre & faire agir les hautes lisses. Voyez POULIES.

TIRANT, terme de Serrurier, c'est un morceau de fer, ou plutôt une barre de fer attachée sur une poutre, ou scellée contre le mur de quelque maison.

Le tirant a un oeil d'un bout où l'on place une ancre ; il est fendu de l'autre, lorsqu'il doit être scellé en plâtre ; il a un talon & des trous, lorsqu'il doit être posé sur une piece de bois. On prend pour le faire une barre de fer plat, de longueur & grosseur convenables ; on forme l'oeil en pliant la barre, à environ un pié du bout. Pour cet effet, on se sert d'un mandrin quarré, de la grosseur que doit avoir l'ancre ; on soude sur la barre le bout replié ; on chantourne la barre au défaut de l'oeil, pour que l'oeil soit perpendiculaire au plat de la barre. Si l'ouvrier ne chantourne pas l'oeil, c'est qu'alors la barre ne doit pas être posée sur son plat, ou que le tirant est destiné pour un lieu qui n'exige pas cette précaution, sans laquelle l'ancre peut s'ajuster au tirant.

TIRANT D'EAU, (Marine) c'est la quantité de piés d'eau qui est nécessaire pour soutenir un vaisseau.


TIRARIS. f. (Salines) femme occupée autour des braises dans les manufactures de sel.


TIRASSES. f. (Chasse) c'est un filet à mailles quarrées, ou en losanges, dont un des côtés est bordé d'une corde qui excede chaque bout de la tirasse de cinq à six piés, pour la pouvoir tirer ; on les fait depuis deux cent jusqu'à quatre cent mailles de levure, d'un pouce de large ; elles doivent être de fil fort & retors en trois bien rondement ; il y en a qui les font teindre en brun : on tirasse les cailles en Mai & Septembre, on y prend aussi les perdrix : pour cela on fait chasser doucement devant soi un chien couchant, instruit à arrêter la plume ; il doit chasser au vent, le nez dedans, pour mieux sentir le gibier & faire des arrets plus fréquens ; aussi-tôt que le chien a arrêté, on va devant lui, à quinze pas on déploie la tirasse, on la porte à deux, ou si l'on chasse seul, on la tient d'un bout sur le bras gauche, & avec un bâton ferré en pointe, qu'on met à l'autre bout de la corde, on l'arrête en terre, puis en tournant on couvre le chien avec la tirasse, & on fait partir la caille qui donne dans la tirasse, qu'on ferme aussi-tôt pour prendre le gibier : on tirasse aussi sans chien, mais à l'appeau, quand les cailles sont en chaleur : on les trouve alors dans les blés verds & dans les prés : on ne tirasse point lorsqu'il a plu, parce que quand l'herbe est mouillée, soit de pluie ou de rosée, les cailles ne se promenent pas : le véritable tems pour tirasser est une heure après le lever du soleil, & une heure avant son coucher. L'usage de la tirasse est défendu, parce qu'elle dépeuple trop : on y prend des compagnies entieres de perdreaux, & jusqu'à des lievres ; & c'est pour empêcher cette chasse après la recolte, que dans les capitaineries royales on oblige les paysans de ficher cinq épines sur chaque arpent de terre qu'ils dépouillent.


TIRASSERc'est tendre la tirasse.


TIRCKou TERKI, (Géog. mod.) capitale du pays des Tartares Circasses, située à demi-lieue de la mer Caspienne, sur la rive septentrionale de la riviere de Tirck, à 43 degr. 15. de latit. Comme cette place est d'une grande importance pour la Russie qui la possede, le czar Pierre l'a fait fortifier à la maniere européenne, & la Russie y entretient toujours une bonne garnison. (D.J.)


TIRES. f. (Toilerie) terme en usage dans le commerce des toiles : on appelle une tire de six coupons de batiste, six coupons de cette espece de toile attachés l'un à l'autre, ensorte qu'ils composent comme une piece entiere. (D.J.)

TIRE, petite tire, (Soierie) la petite tire a été imaginée pour avancer davantage l'étoffe : on ne s'en sert ordinairement que pour les droguets destinés à habiller les hommes, & les desseins pour cette méchanique ne peuvent pas être longs ; huit ou dix dixaines sont suffisantes pour ce genre de travail. Il est vrai qu'on en a fait qui alloient jusqu'à vingt dixaines ; mais dans ce cas les semples étoient aussi aisés que le bouton, qui est le nom donné à la façon de travailler.

Le rame, les arcades, & le corps, sont attachés pour la petite tire, comme dans les autres métiers. La différence qu'il y a, c'est que le nombre n'en est pas si considérable, & qu'on ne passe pas cinquante cordes ; il s'en est fait cependant qui alloient à deux cent cordes ; mais dans ce cas le semple est aussi bon ; ce qui fait qu'il faut autant d'arcades qu'on veut mettre des mailles de corps ; à deux mailles pour une arcade, la déduction en est considérable, puisqu'elle a été portée jusqu'à 3200 mailles, mais les plus ordinaires sont de 1600 & 2400. On comprend de-là, par ce qui a été dit des satins réduits, combien cette étoffe est délicate & belle quand elle est travaillée comme il faut.

On lit les desseins pour la petite tire sur un chassis, au haut duquel, & dans une petite tringle de bois ou de fer, on enfile autant de bouts de ficelle un peu ronde, qu'il y a de cordes au rame, ou de cordes indiquées au dessein. Chacune de ces ficelles doit avoir près d'un pié de longueur : on enverge les ficelles de façon qu'une boucle sur la tringle, ne se trouve pas avant l'autre, mais de suite & conforme à l'envergeure : on attache au bout de chaque ficelle autant de cordes fines, comme celles de semple, & bouclées comme les arcades, qu'il y a de cordes à tirer à chaque lac : on lit le dessein à l'ordinaire, & on prend autant de cordes fines entre ses doigts qu'il y a de cordes à tirer sur la ligne transversale ou horisontale du dessein ; cette ligne finie, on noue ensemble toutes les cordes qui ont été prises, & on en commence une autre, en continuant jusqu'à ce que le dessein soit lû. La différence de la petite tire d'avec la grande, est que dans cette derniere le lac seul arrête, au moyen de l'embarbe, toutes les cordes de semple que la tireuse doit tirer, sans que pour cela il soit besoin de plus de cordes de semple ; au-lieu que dans la petite tire il n'y a point de lac, mais autant de cordes de semple, telles que nous les avons indiquées, qu'il y a de cordes à tirer au dessein.

Lorsque le dessein est lû on le détache du chassis, les cordes étant toujours enfilées dans la tringle : on passe si on veut une envergeure en place des deux baguettes qui tenoient les ficelles rondes envergées : on détache les parties de cordes attachées à la ficelle ronde, & chacune de ces parties est attachée de suite à une corde double qui est gancée : on donne le nom de collet ou tirant à cette corde double, à la corde de lame, ayant soin de faire passer chacune des cordes gancées dans un petit trou qui est fait à une planche percée, dont la quantité est égale à celle des cordes gancées, & distribuée de façon que chaque trou soit placé perpendiculairement à la corde ou à la gance qui tient la corde de rame : on égalise bien les cordes gancées, dont le noeud, avec la partie des cordes qui y sont attachées, est arrêté au petit trou de la planche, & empêche la corde de rame de monter plus haut que la mesure que l'attacheur aura fixée. Lorsque toutes ces cordes gancées sont arrêtées & ajustées, on prend séparément & de suite, toutes les parties de cordes qui ont été nouées par le bas à mesure qu'on lisoit le dessein, & on attache chaque partie à une corde un peu grosse & forte, laquelle étant doublée & passée dans une grande planche, après l'avoir été précédemment dans un bouton fait exprès, dont les deux extrêmités nouées ensemble la retiennent au bouton, & dans la boucle qui se trouve par la doublure de la corde, dont la longueur est de 15 à 16 pouces plus ou moins : on y passe la quantité de cordes qui ont été lues & choisies pour composer le lac, & on les arrête fermes pour qu'elles soient fixées & ne glissent pas ; quelques ouvriers les entrelacent avec la corde doublée de façon qu'elles ne peuvent pas glisser. Il faut observer que la grande planche d'enbas doit avoir autant de trous que la planche du haut, qu'elle doit être infiniment plus grande, & les trous de même, tant parce que la corde double est plus grosse que la corde gancée, que parce qu'il faut que le bouton soit rangé & de suite, ayant soin quand on les attache, ou qu'on attache les cordes doubles aux cordes fines de semple, de suivre le même ordre qui a été observé en attachant les cordes gancées, & que ces dernieres soient relatives avec les grosses & rangées de même.

La différence de la grande & de la petite tire étant démontrée, quant au montage de métier, il s'agit de faire voir quelle est son utilité. Pour travailler une étoffe à la grande tire, soit courante soit brochée, il faut que la tireuse perde un tems pour choisir ou trier la gavassine qui tient le lac ; il faut prendre ce lac dans les fils duquel, ou entrelacemens, sont contenues les cordes qui doivent être tirées. Second tems. Il faut enfin prendre ces cordes & les tirer. Troisieme tems, pour un lac seul, qui est peu de chose dans une étoffe brochée, parce que tandis que l'ouvrier broche ou passe les espolins du lac tiré, la tireuse choisit sa gavassine & son lac, ce qui empêche le retardement de l'ouvrage ; mais la chose devient différente dans une étoffe courante, où il faut aller vîte & ne faire ni ne perdre de tems. On lit encore les desseins à la réduction, mais cette méthode, outre qu'elle est un peu plus pénible, ne sert qu'à épargner les cordes des lacs, & ne fait pas mieux ni plus mal.

Le bouton supplée à ce défaut de deux façons : 1°. la tire va plus vîte, & il n'y a aucun tems à faire. 2°. l'ouvrier placé sous la grande planche, tirant son premier bouton de la main droite, choisit le second de la gauche, & sitôt qu'il laisse aller le premier, il tire le second, ainsi des autres : ce qui fait qu'on peut avec le bouton, faire le double de l'ouvrage qu'on feroit avec la semple ; l'usage des boutons n'étant destiné que pour les étoffes courantes.

TIRE, grande, (Soierie) Voyez l'article VELOURS.

TIRE, (Marine) commandement à l'équipage d'une chaloupe de nager avec force.


TIRE-AVANT(Marine) commandement à l'équipage d'une chaloupe de nager le plus qu'il pourra.

IRE-DU-VENT, (Marine) on se sert de cette expression pour désigner la force qu'a le vent, lorsqu'il est à l'ancre, de faire roidir son cable.

TIRE, s. f. terme de Blason ; ce mot se dit des traits ou rangées de vair, dont on se sert pour distinguer le beffroi, le vair, & le menu vair. Le beffroi est composé de trois tires, le vair de quatre, & le menu vair de six. Quand un chef ou une face sont vairés, il faut spécifier de combien de tires ou de rangs. Ménestrier. (D.J.)

TIRE-BALLE, s. m. instrument de Chirurgie, qui tire son nom de son usage. Il y en a de plusieurs especes : le premier, fig. 4. Pl. III. est un vilebrequin avec une pointe en double vis, appellée par les ouvriers meche, longue de cinq ou six lignes, terminée par deux petits crochets : le corps de ce vilebrequin, qui est une espece de poinçon, est une longue tige d'acier, ronde, polie, longue d'environ un pié ; son extrêmité postérieure est une vis garnie par le bout, d'un treffle ou d'un anneau pour servir de manche : ce poinçon se met dans une cannule dont la base est un écrou pour recevoir sa vis, & qui est affermie par deux traverses soutenues sur deux colonnes : on introduit cet instrument dans la plaie, la vis cachée dans la cannule, & lorsque l'extrêmité de la cannule touche la balle, on tourne le poinçon pour faire enfoncer la meche dans ce corps étranger, pour le retirer doucement.

L'on ne prescrit l'usage de ce tire-balle que pour les balles enclavées dans les os ; mais si le corps étranger, au-lieu d'être une balle, étoit par exemple un morceau de fer tellement enchassé dans l'os qu'aucun des instrumens consacrés pour l'extraction des corps étrangers, ne pût avoir prise sur lui, on voit bien que cet instrument ne pourroit pas le percer : dans ce cas, on pourroit dans quelques circonstances, trépaner l'os aux parties voisines du corps étranger, & passer dessous celui-ci des élévatoires, ou d'autres instrumens pour l'ôter.

Le second tire-balle, (fig. 5. Pl. III.) est à-peu-près semblable au précédent ; mais au-lieu de meche, l'extrêmité antérieure de la tige est divisée en trois lames minces, élastiques, longues de quatre pouces, recourbées en-dedans & polies en-dehors : elles forment chacune une petite cueillier ; en tournant la vis qui est au bas de la tige, de gauche à droite, on fait écarter les trois cueilliers ; en la tournant de droite à gauche, on les fait rapprocher l'une de l'autre, & l'instrument se ferme : il doit être fermé quand on l'enfonce dans la plaie ; lorsqu'on touche la balle, on l'ouvre doucement, on embrasse le corps étranger avec les cueilliers, & on le retire après avoir refermé un peu l'instrument.

Ce tire-balle approche fort de celui qui se nommoit alphonsin ; mais il n'avoit point de cannule : les trois cueilliers se fermoient par le moyen d'un anneau coulant, en le passant en avant ; & s'ouvroient en le retirant. La partie cave des cueilliers étoit garnie de dents pour mieux saisir les balles.

Les becs de grue, de canne, de corbeau, &c. sont pareillement des especes de tire-balle.

L'ancienne Chirurgie, qui n'avoit point encore apperçu la nécessité d'aggrandir les plaies d'armes à feu par les incisions & contr'ouvertures convenables, avoit beaucoup multiplié les especes de tire-balles dont l'usage est actuellement fort borné. (Y)


TIRE-BORDS. m. (Marine) sorte de grand tire-fond dont on se sert pour retirer le bordage d'un vaisseau quand il est enfoncé. (D.J.)


TIRE-BOTTESS. m. (terme de Cordonnier) ce sont des petits bâtons qui servent à chausser des bottes ; mais on appelle aussi tire-bottes une petite planche élevée d'un côté qui a une entaille proportionnée au talon d'une botte, pour se débotter tout seul. (D.J.)

TIRE-BOTTE, (terme de Tapissier) gros galon de fil dont les Tapissiers se servent pour border les étoffes qu'ils employent en meubles. (D.J.)


TIRE-BOUCHONS. m. (terme de marchand de vin) sorte de vis de fer ou d'acier qui tient à un anneau, & dont on se sert pour tirer les bouchons des bouteilles. (D.J.)


TIRE-BOUCLERSS. m. plur. (Charpent.) les Charpentiers appellent tire-bouclers en quelques lieux, certains outils qui leur servent à dégauchir le dedans des mortaises. Félibien. (D.J.)


TIRE-BOURRE(terme d'Arquebusier) sorte de fer en forme de vis, qu'on met au bout d'une baguette bien arrondie, & dont on se sert pour tirer la bourre du canon des fusils, des pistolets & autres armes à feu. (D.J.)

TIRE-BOURRE, (Bourrelier) sorte de crochet dont les Bourreliers se servent pour arranger la bourre des pieces qu'ils veulent rembourrer. Voyez la Pl. du Bourrelier.


TIRE-BOUTONS. m. (terme de Tailleur) petit fer long comme le doigt, percé par le haut & crochu par le bas, afin de tirer le bouton & le mettre dans la boutonniere. (D.J.)


TIRE-CLOUS. m. (terme de Couvreur) c'est un outil de fer plat & dentelé des deux côtés en forme de crémaillere, pour tirer les clous qui attachent les ardoises. Le manche de cet outil est coudé quarrément en-dessus. Les Couvreurs s'en servent avec beaucoup d'utilité ; car en passant cet outil entre deux ardoises, ses dents prennent & accrochent les clous, & en frappant du marteau sur le manche du tire-clou, les Couvreurs attirent les clous à eux. (D.J.)


TIRE-DENTS. m. (Soyerie) pince plate, large & menue par le bec, pour rechanger un peigne de dents.


TIRE-FIENTES. m. (terme d'Agriculture) espece de fourche qui sert aux Laboureurs à tirer du fumier, & dont les dents qui sont de fer, sont renversées & courbées un peu, au lieu d'être emmanchées droites ; au bout d'en-haut de ces deux dents est une douille dans laquelle on met un manche de trois piés de longueur, & gros de trois pouces de tour. En plusieurs endroits les dents sont beaucoup recourbées, ensorte qu'elles font un angle obtus, ou une espece de demi-lune avec la douille. (D.J.)


TIRE-FILETS. m. (Dist. méchaniq.) petit instrument d'acier trempé sur l'épaisseur duquel l'on a pratiqué une fente plus ou moins large, selon le filet qu'on veut tirer. Les bords de cette fente trempés vifs & tranchans, sont promenés & appuyés fortement sur un morceau de fer ou de bois, enlevent la partie de ce fer ou de ce bois sur laquelle ils portent d'un & d'autre côté de la fente, tandis que la partie correspondante à la fente reste intacte & s'éleve. La partie qui s'éleve, s'appelle un filet. C'est un ornement qu'on pratique sur le dos d'une lame de couteau, sur le dos d'un ressort, d'une platine, sur un manche, sur un instrument de musique ; & l'instrument qui sert à cet usage, s'appelle tire-filet. On peut faire des tire-filets doubles ou triples ; alors on y pratiquera autant de fentes ; l'ouvrier tient le tire-filet avec ses deux mains, l'une placée à un bout & l'autre à l'autre. Cet outil ne laisse pas que d'avoir de la force, sans quoi il casseroit souvent.


TIRE-FONDS. m. instrument de Chirurgie, dont quelques personnes se servent pour enlever la piece d'os sciée par le trépan, lorsqu'elle ne tient plus guere. Cet instrument (Voyez fig. 10, Pl. XVI.) qui a environ trois pouces, peut être divisé en trois parties. Le milieu est une tige d'acier de quatorze lignes de long, ornée de certaines façons qui dépendent de l'habileté du coutelier. La partie supérieure est un anneau qui sert de manche à l'instrument. La partie inférieure est une double vis de figure pyramidale, appellée par les ouvriers mêche ; elle a neuf lignes de longueur, & sa base peut avoir quatre lignes de diamêtre. Lorsqu'on veut se servir de cet instrument, il faut, dès qu'on a jugé à-propos d'ôter la pyramide de la couronne, introduire la mêche dans le trou formé par le perforatif ; on tient avec le pouce & le doigt indice de la main droite l'anneau qui sert de manche au tire-fond ; ensuite le pouce & l'indice de la main gauche appuyés du côté du trou, on tourne doucement jusqu'à ce qu'on sente que la mêche tienne avec fermeté ; on retire le tire-fond en détournant, & on acheve de scier l'os avec la couronne jusqu'à ce qu'il vacille ; on introduit alors la vis du tire-fond avec les mêmes mesures que nous venons de prescrire, dans l'écrou qu'elle s'est formé dans l'os ; par ce moyen on ne risque pas d'enfoncer la piece d'os sur la dure mere ; on l'enleve au contraire perpendiculairement, en donnant de petites secousses pour rompre les fibres osseuses qui la tiennent encore attachée.

On peut convenir avec les partisans de cet instrument, qu'il n'est point dangereux, lorsqu'on sait bien s'en servir, mais il est inutile ; si la piece d'os qu'on se propose d'enlever, étoit trop adhérente, le tirefond emporteroit la table externe, comme je l'ai vu arriver plusieurs fois, ce qui rend la suite de l'opération plus difficile ; & si l'on ne fait usage du tire-fond que lorsque la piece d'os ne tient presque plus, on peut se dispenser de cet instrument ; car avec une feuille de mirrhe le manche d'un scalpel ou l'extrêmité d'une spatule qui a la figure d'un élevatoire, on enleve très-facilement la piece sciée par la couronne du trépan. (Y)

TIRE-FOND, espece d'outil de fer en forme de vis, qui sert aux Tabletiers & aux Ebénistes dans la fabrication de leurs ouvrages. Voyez EBENISTE & la fig. Pl. de Marqueterie.

TIRE-FOND, (outil de Guainier) c'est un anneau de fer où il y a une petite queue de la longueur d'un pouce, dont le bas est fait en vis ; cela sert aux Guainiers pour tirer les moules dedans leurs ouvrages, en introduisant la vis dans le trou du moule, & en tirant par l'anneau. Voyez la Pl. du Guainier.

TIRE-FOND, s. m. (Soierie) vis assez longue à la tête de laquelle on a pratiqué un anneau assez large, pour recevoir le bâton de semple.

TIRE-FOND, instrument de Tonnelier, il est de fer ; il consiste en une tige de fer terminée par en-haut par un anneau de fer assez large, & fait en forme de vis par en-bas. Les Tonneliers s'en servent pour tirer le fond d'une futaille dont les douves se sont enfoncées après être sorties de la rainure du jable.


TIRE-JY(Géog. mod.) île occidentale d'Ecosse, au sud-est de Coll, dont elle est séparée par un petit détroit. Elle est très-fertile, & appartient au duc d'Argyle. Sa longueur est de sept milles, & sa largeur de trois. Il y a dans cette île un lac, une petite île dans ce lac, & un château dans cette petite île. (D.J.)


TIRE-LIGNE(Ecrivain) est plus un instrument de mathématique que d'écriture ; cependant on s'en sert quelquefois pour tracer deux lignes à-la-fois, horisontales ou perpendiculaires : c'est un petit poinçon d'acier fendu par les deux bouts ; chaque pointe taillée en plume en fait la fonction. Voyez le volume des Planches à la table de l'Ecriture, Planches des instrumens de l'Ecriture.


TIRE-LIRES. f. terme de Potier-de-terre, sorte de petit pot de terre, rond, creux & couvert, qui n'a qu'une petite fente par le haut ; on s'en sert à mettre de l'argent, dont on veut ignorer la somme ; & pour avoir cet argent, on est obligé de casser la tire-lire. (D.J.)


TIRE-LISSESS. f. pl. (Gazerie) autrement nommés contre-lames ; ce sont trois regles ou tringles de bois, qui servent dans les métiers à gaze à baisser les lisses, après que les bricôteaux les ont levées. Dict. du Comm. (D.J.)


TIRE-MOELLES. m. terme de Cuisine, espece de petite curelle d'argent concave, dont on se sert à table pour tirer la moëlle d'un os. Acad. Franç. (D.J.)


TIRE-PIÉS. m. (Cordonnerie) courroie en forme de demi-bretelle ou bricole de porteur de chaises, dont les cordonniers, savetiers, selliers, bourreliers & autres ouvriers qui travaillent en cuir & qui les cousent avec l'alene, se servent pour affermir leur ouvrage sur un de leur genoux. (D.J.)


TIRE-PIECEen terme de Raffineur, est un morceau de fer battu d'un pié de large, en quarré dans son fond. Les deux côtés percés de plusieurs trous à un pouce l'un de l'autre en forme d'écumoire, sont, comme le derriere, relevés en bords d'un bon pouce de haut. Le devant est plat. La queue sur le derriere est aussi relevée directement, & terminée par une douille, dans laquelle on met un manche de trois piés de long. Le tire-piece sert à tirer du bac à formes, les immondices & les morceaux de formes cassées dans l'eau. Voyez FORMES & BAC A FORMES, voyez Pl. & fig.


TIRE-PLANCHES. m. (Imprimerie) nom qu'on donne au titre d'un livre lorsqu'il est gravé en taille-douce avec des ornemens historiés, & qui ont rapport à la matiere de l'ouvrage. (D.J.)


TIRE-PLOMBou ROUET A FILER LE PLOMB, en terme de Vitrerie, est une machine ordinairement composée de deux jumelles ou plaques de fer, jointes & assemblées avec deux étoquiaux, qui se montent avec des écroues & des vis ou avec des clavettes ; de deux aissieux ou arbres, à un bout desquels sont deux pignons ; & de deux petites roues d'acier, au-travers desquelles passent les arbres. Ces roues n'ont d'épaisseur que celle qu'on veut donner à la fente des lingots de plomb, & sont aussi près l'une de l'autre qu'on veut que le coeur ou entre-deux du plomb ait d'épaisseur. Elles sont entre deux bajoues ou coussinets d'acier. Il y a une manivelle qui faisant tourner l'arbre de dessous, fait aussi, par le moyen de son pignon, tourner celui de dessus, & le plomb qui passe entre les bajoues étant pressé par les roues s'applatit des deux côtés, & forme des aîlerons au même tems que les mêmes roues le fendent.

Il y a de ces machines qui ont quatre aissieux & trois roues pour tirer deux plombs à-la-fois, il faut que les arbres & les roues soient tournées & arrondies sur le tour.

L'on n'avoit point anciennement de ces sortes de rouets pour fendre le plomb, c'est une invention nouvelle ; l'on se servoit d'un rabot pour le creuser, & l'on voit encore aux vieilles vitres du plomb fait de la sorte, ce qui étoit un long & pénible travail.


TIRE-POILS. m. terme de Monnoie, maniere dont on s'est autrefois servi pour donner la couleur aux flaons d'or, & blanchir les flaons d'argent. Le tirepoil consistoit en ce que, quand les flaons étoient assez recuits, on les jettoit, savoir les flaons d'or dans un grand vaisseau d'eau commune, où il y avoit huit onces d'eau-forte pour chaque seau d'eau ; & les flaons d'argent dans un autre grand vaisseau plein d'eau commune, où il n'y avoit que six onces d'eau-forte pour chaque seau d'eau. On appelloit cette maniere tire-poil, parce qu'elle attiroit au-dehors ce qu'il y avoit de plus vif dans les flaons ; mais comme cela coutoit beaucoup plus que la maniere dont on se sert aujourd'hui, & que l'eau-forte diminuoit le poids des flaons d'argent, on a cessé de s'en servir. Boissard. (D.J.)


TIRE-TÊTEinstrument de Chirurgie, propre aux accouchemens ; il y en a de plusieurs especes. 1°. Le tire-tête de Mauriceau, voyez fig. 3. Pl. XX. il est composé d'une cannule & d'une tige de fer. La partie antérieure de la cannule est une platine immobile, circulaire, large d'un pouce six lignes, située horisontalement, légerement concave en-dessus, un peu convexe en-dessous, percée dans son milieu pour communiquer avec le canal de la cannule. La tige qui se met dans la cannule porte à son sommet une platine semblable à la premiere, excepté que ses deux surfaces sont un peu convexes & qu'elle est mobile, ensorte qu'elle est perpendiculaire & collée le long de la tige ; mais elle s'abaisse & devient horisontale comme l'autre dans le besoin. La partie inférieure de la tige est faite en double vis, qui entre dans un écrou ou clé figurée en treffle ou en coeur. Tout l'instrument est long de dix à onze pouces. Il sert à tirer la tête de l'enfant mort arrêtée au passage. Pour cet effet, on lui fait une ouverture ou fente au crâne entre les pariétaux, avec la lance du même auteur décrite en son lieu, & gravée, fig. 2. à côté du tire-tête. On tourne l'écrou de la tige du tire-tête de droite à gauche pour le baisser. On pousse le bout de la tige dans la cannule, pour faire avancer la platine mobile & la rendre perpendiculaire. On introduit cette platine dans le crâne de l'enfant par l'ouverture qu'on y a faite ; on tourne l'écrou de gauche à droite après avoir fait faire, par un tour de poignet, la bascule à la platine pour la rendre horisontale ; par ce moyen, cette platine mobile s'approche de l'autre qui est restée au-dehors, & les pariétaux se trouvent engagés avec le cuir chevelu entr'elles.

On auroit beaucoup de facilité à tirer directement la tête de l'enfant, si la prise étoit suffisante. Les plus habiles accoucheurs regardent avec raison cet instrument comme inutile ; on en trouve une description très-détaillée dans le traité des instrumens de M. de Garengeot ; ce que nous en avons dit suffit avec la figure pour le faire connoître.

2°. Le forceps ou tire-tête en forme de pinces ; il est fort convenable dans le cas indiqué & dans plusieurs autres. Voyez FORCEPS.

3°. Le tire-tête d'Amand ; c'est un réseau de soie qu'Amand, chirurgien de Paris, inventa pour tirer la tête de l'enfant séparée du corps, & restée seule dans la matrice. Ce réseau a neuf pouces de diamêtre, il est garni à sa circonférence de quatre rubans attachés à quatre points opposés. Ce réseau se fronce en forme de bourse au moyen de deux cordons qui en font le tour. Au bord extérieur de la circonférence, il y a cinq anneaux de soie, dans lesquels on loge les extrêmités des doigts pour tenir le réseau étendu sur le dos de la main. Pour se servir de cette machine, il faut, suivant l'auteur, introduire dans la matrice la main graissée & munie de ce réseau. On tire un peu les rubans pour l'étendre, on enveloppe la tête, on dégage ses doigts des anneaux, on retire doucement sa main, on serre les cordons pour faire froncer la machine comme une bourse ; & quand la tête est bien enveloppée, on la tire hors de la matrice.

M. Levret ne trouve dans ce moyen qu'un produit d'imagination ou superflu ou impraticable. En effet, s'il étoit possible d'aller coëffer la tête d'un enfant avec ce réseau, quelle difficulté pourroit-il y avoir de la tirer sans ce secours ? & si le jeu de la main n'est pas libre dans la matrice, il ne sera pas possible de faire le moindre usage de ce réseau. Aussi, malgré cette prétendue invention, on a été réduit jusqu'à présent à la dure nécessité de se servir de crochets, toutes les fois que la main n'a pas été suffisante.

M. Levret a fait construire un instrument qu'il destine particulierement à tirer la tête séparée du corps & restée seule dans la matrice. Il en donne une description très-amplement détaillée dans un ouvrage intitulé : Observations sur les causes & les accidens de plusieurs accouchemens laborieux, &c. Ce nouveau tire-tête (voyez Pl. XXXV. fig. 1. & 2.) est composé de trois branches d'acier plates, flexibles & faisant ressort, longues d'environ un pié, larges de six lignes, plus minces à leur fin qu'à leur base, où elles sont percées de deux trous & courbées convenablement. L'union de ces trois branches se fait par leur extrêmité antérieure au moyen d'un axe qui a une tête horisontale formée en goutte de suif très-lisse, & l'autre bout duquel est en vis pour entrer dans un petit écrou fait aussi en goutte de suif, fig. 7.

Ces trois branches sont montées par leur base sur un arbre, fig. 3. C'est un cylindre d'acier de deux diamêtres différens. Les deux tiers de la partie inférieure sont d'un moindre diamêtre, mais deux viroles d'acier (fig. 4. & 5.) qui se montent dessus, en font un cylindre égal, dont la partie supérieure a une entaille percée de deux trous taraudés, pour recevoir deux vis à tête platte qui y fixent la base de la premiere branche, & qui est la plus courte. La seconde branche se monte sur la virole qui occupe le milieu de l'arbre, & est par conséquent un peu plus longue que la premiere ; & la troisieme branche finit à la virole inférieure par deux vis, comme la seconde branche à la virole supérieure. Une de ces vis est à tête platte, & l'autre à une tête longue, olivaire & cannelée. La vis à tête est à droite à la seconde branche, & à gauche à la troisieme ; ces vis sont en même tems des pieces de pouces, au moyen de quoi l'on fait tourner ces branches avec les viroles sur lesquelles elles sont montées.

Pour fixer la progression de ces deux branches de chaque côté à un tiers de la circonférence du manche, chaque vis à tête olivaire déborde intérieurement la virole, & entre dans un petit fossé creusé sur un tiers de l'étendue circulaire de l'arbre. Cet arbre se monte à vis sur une tige d'acier (fig. 8.) qui passe au-travers d'un manche d'ébene, & qui est fixé à son extrêmité par une vis (fig. 11.) qui entre dans le bout taraudé de la tige.

Pour faire mieux comprendre la construction de cet instrument, nous allons en donner l'explication particuliere. Planche XXXV. la fig. 1. représente l'instrument vu de profil, & les branches appliquées les unes sur les autres. Fig. 2. l'instrument ouvert ; les branches sont développées ; le manche y est représenté coupé par la moitié suivant sa longueur, pour voir les pieces qui y sont renfermées quand l'instrument est tout monté ; les proportions de ces deux figures sont à moitié du volume naturel, suivant toutes les dimensions. Fig. 3. l'arbre de l'instrument de grandeur naturelle. Fig. 4. premiere virole. Fig. 5. seconde virole. Fig. 6. ressort monté sur la seconde virole par une jonction à coulisse ; le talon de ce ressort a une queue d'aronde, qui entre dans la mortaise pratiquée sur l'anneau, fig. 5. ce ressort sert par l'autre extrêmité à accrocher la base de la seconde branche ; par ce moyen, les deux branches mobiles sont fixées invariablement quand il a saisi la tête. Fig. 7. axe qui joint l'extrêmité antérieure des trois branches. Fig. 8. tige ou partie inférieure de l'instrument, laquelle est cachée dans le manche de bois lorsque l'instrument est tout monté ; cette piece est ici réduite à la moitié de son volume. Fig. 9. petit verrou qui sert à fixer la tige de l'instrument avec la partie inférieure de son corps, afin qu'il ne puisse tourner sur la vis qui forme cette union. Fig. 10. piece auxiliaire qui peut être soudée sur le corps de la tige, pour empêcher que le manche de bois ne tourne sur la tige qu'il recouvre. Fig. 11. vis qui empêche que le manche de bois ne puisse sortir par en-bas.

Quoique cet instrument paroisse fort composé, il est néanmoins très-simple dans son opération : pour s'en servir, on le graissera avec du beurre ou autre corps onctueux ; on portera le doigt index de la main gauche inférieurement dans l'orifice de la matrice, & on introduira sur ce doigt l'extrêmité de l'instrument fermé par-delà la tête de l'enfant, comme on conduit une algalie dans la vessie en sondant pardessus le ventre. Voyez CATHETERISME. On fera glisser ensuite les branches sur la tête de côté ou d'autre, pour mettre la partie extérieure des branches toujours réunies sous l'os pubis ; on les dégagera alors à droite & à gauche : le développement des branches forme, comme on le voit fig. 2. un sphéroïde ouvert, lequel embrasse la tête du foetus que l'on tirera avec beaucoup de fermeté. On peut lire dans l'ouvrage de l'auteur les avantages de l'effet & de la construction de ce nouveau tire-tête. (Y)


TIRERv. act. (Gram.) c'est faire effort pour déplacer quelque chose qu'on saisit de la main ou avec un instrument, & pour l'approcher de soi, ou l'entraîner avec soi. Ce verbe a un grand nombre d'acceptions : on dit, tirer une charrue ; tirer de l'eau d'un puits ; tirer la langue : on dit aux chiens tire, pour les éloigner ; l'armée tire vers la Flandre ; le soleil tire à son couchant ; votre ouvrage tire à sa fin. On tire les vaches soir & matin ; combien tire -t-il de son emploi ? belle conséquence à tirer ; tirez avantage de votre accident ; tirez une ligne sur cet article ; tirez un alignement de ce côté ; tirez la racine de ce nombre ; c'est une sottise que de faire tirer son horocospe, c'est une friponnerie que de se mêler de ce métier ; que tire -t-on de cette substance ? on lui a tiré du mauvais sang ; on tire de la jambe ; on tire à la mer ; on tire une personne ou l'on en fait le portrait ; on tire un coup de pistolet pour voir qui levera la tête ; un cheval tire à la main ; on tire des armes ; on tire sur quelqu'un quand on lui fait des plaisanteries ; on tire cent exemplaires, mille, deux mille d'un ouvrage ; on tire une carte ; on tire au jeu la primauté ; on tire l'or ; on tire le linge ; une piece de drap tire plus ou moins de longueur ; on ne sauroit tirer une parole honnête de cet homme brusque ; ne vous faites jamais tirer l'oreille. Voyez les articles suivans.

TIRER, en terme d'Epinglier, faiseur d'aiguilles pour les bonnetiers, est l'action de redresser sur un engin le fil de fer qui étoit roulé en bottes auparavant, pour le façonner & le rendre le plus droit qu'on peut. Voyez ENGIN.

TIRER L'EPINGLE, terme d'Epinglier, qui signifie passer par la filiere le laiton dont on se sert pour fabriquer des épingles, afin de le rendre de la grosseur des numéros suivant les échantillons. Voyez ÉPINGLE.

TIRER, en terme de Cardeur, c'est éloigner le fil de la broche en retirant le bras, pour lui donner la force & la grosseur qu'on veut.

TIRER UN CHAPEAU A POIL, terme de Chapelier, c'est en faire sortir le poil en le tirant avec le carrelet. Voyez CARRELET.

TIRER LE CIERGE, (Cirerie) c'est le fabriquer à la main, c'est-à-dire ne le pas couler avec la cire liquide & fondue, mais étendre la cire amollie dans l'eau chaude le long de la meche. Savary. (D.J.)

TIRER AU SEC, en terme de Confiseur, c'est l'action de confire une chose en la faisant sécher, pour la garder telle.

TIRER L'EMAIL A LA COURSE, (Emailleur) c'est former avec l'émail des filets extrêmement déliés après l'avoir ramassé dans la cuilliere de fer où il est en fusion avec du crystallin.

Pour tirer l'émail à la course, il faut que deux ouvriers tiennent chacun un des bouts de la pipe brisée pour ramasser l'émail : tandis que l'un le présente à la lampe, l'autre s'éloigne autant qu'on veut donner de longueur au filet ; c'est ainsi que se tire l'émail dont on fait de fausses aigrettes, & qui est si délié & si pliable, qu'on peut facilement le rouler sur un devidoir, malgré la nature cassante du verre dont il est composé.

Lorsqu'on tire le verre encore plus fin, on se sert d'un rouet sur lequel il se devide à mesure qu'il sort de la flamme de la lampe. Voyez la fig. Planche de l'Emailleur, le bas de la planche représente l'établi, la roue du rouet chargée d'un écheveau de fil de verre, & un écheveau coupé.

TIRER, terme d'Imprimeur ; c'est imprimer tout-à-fait un certain nombre d'exemplaires d'un livre, ou autre ouvrage d'impression dont on a vu les épreuves nécessaires, & qu'on juge bien correct. (D.J.)

TIRER A LA PERCHE, (Lainage) c'est lainer une piece de drap ou autre étoffe de laine, c'est-à-dire en tirer le poil avec le chardon, tandis qu'elle est étendue du haut en bas sur une perche. (D.J.)

TIRER, (Maréchal.) est l'action des chevaux de tirage ; tirer à la main, se dit d'un cheval qui au-lieu de se ramener refuse à la bride en allongeant la tête lorsqu'on tire les rênes ; tirer une ruade. Voy. RUER.

Un cheval trop chargé d'encolure pese ordinairement à la main ; mais le défaut de tirer à la main vient de trop d'ardeur, ce qui est pire que s'il pesoit simplement à la main. Pour appaiser un cheval trop ardent & sujet à tirer à la main, il faut le faire aller doucement, & le tirer souvent en arriere ; mais si c'est par engourdissement d'épaules ou par roideur de cou, il faut tâcher de l'assouplir avec le cavesson à la neucastle.

TIRER, en terme de Fondeur de petit plomb, c'est mettre le plomb fondu dans le moule pour y former la branche. Voyez MOULE & BRANCHE.

TIRER LA SOIE. Voyez l'article SOIE.

TIRER LES ARMES, (Relieure) pour cet effet on passe une couche légere de blanc d'oeuf sur la place de l'arme ; ce blanc d'oeuf se lave avec un linge pour en ôter la superficie ; on met une couche d'eau pure, puis on pose l'or ; quand le cuir est un peu essoré on met un côté du livre en presse avec l'arme qui doit être un peu chaude, on serre la presse suffisamment pour qu'elle s'imprime également ; le livre étant retiré de presse, on essuie le trop de l'or avec un linge un peu mouillé. Voy. la presse à tirer les armes. Voyez les Planches de la Relieure.

TIRER L'OR, est l'action de réduire un lingot en fil extrêmement délié en le faisant passer à différentes fois dans des filieres toujours moins grandes ; ce qui désigne plusieurs opérations, dont la premiere se fait par le moyen de l'argue (voyez ARGUE), où huit hommes tirent le lingot qu'on a introduit dans une fort grosse filiere. Ensuite on le passe dans un ras qui est beaucoup moins gros, puisque quatre hommes suffisent pour l'en tirer. Voyez RAS. Quand le lingot est devenu de la grosseur d'une plume, on le dégrossit (voyez DEGROSSIR), il passe après cela dans les mains de l'avanceur (voyez AVANCEUR), & de - là les tourneuses le prennent pour le mettre au degré de finesse que le tireur le souhaite. Voyez TIREUR D'OR.

TIRER DE LONG, (Vénerie) il se dit de la bête qui s'en va sans s'arrêter.

Tirer sur le trait, il se dit du limier qui trouve la voie & veut avancer.

Tirez chiens, tirez, c'est le terme dont on se sert pour faire suivre les chiens quand on les appelle.

TIRER UNE VOLEE DE CANON, (Art milit.) c'est tirer plusieurs pieces ou plusieurs coups de canon.

Tirer le canon à toute volée, c'est élever la piece & la tirer en rase campagne sans lui donner d'objet ni de but : on mesure cette portée depuis la piece jusqu'à l'endroit où le boulet s'est arrêté.

Tirer un mortier à toute volée, c'est le placer sur son affut de maniere que le mortier fasse un angle de 45 degrés avec la ligne horisontale. Voyez MORTIER & JET.

Si tous les soldats de M. Defolard étoient aussi-bien exercés à tirer que des flibustiers, il arriveroit dans les combats, qu'en deux heures de tems la perte de tout le monde termineroit la journée. (Q)

TIRER, (Marine) on dit qu'un vaisseau tire tant de piés d'eau pour être à flot. Voyez TIRANT D'EAU.

TIRER A LA MER, (Marine) c'est prendre le large, s'éloigner des côtes, de quelque terrein, ou de quelque vaisseau.

TIRER une lettre de change, (Commerce) c'est l'écrire, la signer, & la donner à celui qui en a payé le contenu, pour la recevoir en un autre endroit. Il ne faut tirer de lettre de change qu'on ne soit certain qu'elle sera acceptée & bien payée. Voyez LETTRE DE CHANGE, ACCEPTER, &c.

TIRER en ligne de compte, (Commerce) signifie porter sur son livre en débit ou en crédit ; c'est-à-dire, en recette ou en dépense, un article qu'on a reçu ou payé pour quelqu'un avec lequel on est en compte ouvert. Voyez COMPTE, LIVRES, &c. Dictionn. de commerce.

TIRER l'oiseau, terme de Fauconnerie ; c'est le faire becqueter en le paissant.


TIRÉSIASS. m. (Mythol.) Hésiode, Homere, Hygin, & autres mythologues, ont pris plaisir à broder diversement l'histoire de ce fameux devin de l'antiquité, & à donner des causes merveilleuses à son aveuglement naturel. L'histoire dit, qu'il eut à Orchomene un oracle célebre pendant quelques siecles, mais qui fut réduit au silence, après qu'une peste eut désolé la ville. Peut-être que les directeurs de l'oracle périrent tous dans cette contagion. Il y avoit à Thèbes un lieu appellé l'observatoire de Tirésias, c'étoit apparemment l'endroit d'où il contemploit les augures. Diodore ajoute que les habitans lui firent de pompeuses funérailles, & qu'ils lui rendirent des honneurs divins. (D.J.)


TIRETS. m. (Gram.) c'est un petit trait droit & horisontal, en cette maniere -, que les imprimeurs appellent division, & que les grammairiens nomment tiret ou trait d'union.

Les deux dénominations de division & d'union sont contradictoires, & toutes deux fondées. Quand un mot commence à la fin d'une ligne, & qu'il finit au commencement de la ligne suivante, ce mot est réellement divisé ; & le tiret que l'on met au bout de la ligne a été regardé par les imprimeurs comme le signe de cette division : les grammairiens le regardent comme un signe qui avertit le lecteur de regarder comme unies les deux parties du mot séparées par le fait. C'est pourquoi je préférerois le mot de tiret, qui ne contredit ni les uns, ni les autres, & qui peut également s'accommoder aux deux points de vue.

M. du Marsais a détaillé, article DIVISION, les usages de ce caractere dans notre orthographe : mais il en a omis quelques-uns que j'ajouterai ici.

1°. Dans son troisieme usage, il auroit dû observer que le mot ce après les verbes être ou pouvoir, doit être attaché à ces verbes par un tiret : qu'est-ce que Dieu ? étoit-ce mon frere ? sont-ce vos livres ? qui pourroit-ce être ? eût-ce été lui-même.

2°. Lorsqu'après les premieres ou secondes personnes de l'impératif, il y a pour complément l'un des mots moi, toi, nous, vous, le, la, lui, les, leur, en, y ; on les joint au verbe par un tiret, & l'on mettroit même un second tiret, s'il y avoit de suite deux de ces mots pour complément de l'impératif : dépêche-toi, donnez-moi, flattons-nous-en, transportez-vous-y, accordez-la-leur, rends-le-lui, &c. On écriroit faites-moi lui parler, & non faites-moi-lui parler, parce que lui est complément de parler, & non pas de faites.

3°. On attache de même par un tiret au mot précédent les particules postpositives ci, là, çà, dà ; comme ceux-ci, cet homme-là, oh-çà, oui-dà. On écrivoit cependant de çà, de là, il est allé là, venez çà, sans tiret ; parce que çà & là, dans ces exemples, sont des adverbes, & non des particules. Voyez PARTICULE. (B. E. R. M.)

TIRET, terme de Praticien ; c'est une petite bande de parchemin longue & étroite, qu'on tortille après l'avoir mouillée, & dont on se sert pour attacher les papiers. (D.J.)


TIRETAINES. f. (Lainage) sorte d'étoffe dont la chaîne est ordinairement de fil, & la treme de laine. Savary. (D.J.)


TIRETOIRES. m. (Tonnellerie) est un outil dont les tonneliers se servent pour faire entrer à force les derniers cerceaux des futailles. C'est un morceau de bois de cinq ou six pouces de grosseur, & long de près de deux piés ; il est arrondi par le côté qui lui sert de manche, & applati par l'autre bout & garni de fer. Vers le milieu il y a une mortaise dans laquelle est attaché par une cheville de fer, un morceau de fer mobile d'environ 10 pouces de longueur recourbé par l'autre bout en-dedans. On accroche le cerceau par-dessus avec la piece de fer, & appuyant sur le jable le bout applati de l'instrument, on pese sur le manche. Cette opération attire le cerceau, & le fait entrer sur le jable, & on l'enfonce ensuite avec le maillet, en frappant dessus.


TIREURS. m. (Gram. Jurisprud.) est celui qui tire une lettre de change sur une autre personne, c'est-à-dire, qui prie cette personne de payer pour lui à un tiers la somme exprimée dans cette lettre. Voyez CHANGE & LETTRE DE CHANGE. (A)

TIREUR, (Commerce de banque) c'est celui qui tire ou fournit une lettre de change sur son correspondant ou commissionnaire, portant ordre de payer la somme y contenue, à la personne qui lui en a donné la valeur, ou à celui en faveur duquel cette personne aura passé son ordre. (D.J.)

TIREUR, terme d'ouvrier, chez les ferrandiniers, gaziers, & autres ouvriers en étoffes de soie façonnées ou brochées, c'est le compagnon qui tire les ficelles du simblot qui servent à faire la figure, ou le brocher des étoffes. On dit une tireuse, quand c'est une femme qui tire. (D.J.)

TIREUR, (Fonte de la dragée au moule) on appelle ainsi l'ouvrier qui tire dans la chaudiere le plomb fondu, & qui le verse dans les moules pour en former des dragées ou des balles pour les armes à feu. Voyez B, fig. 1. Pl. de la fonte des dragées au moule, & l'article FONTE DES DRAGEES AU MOULE.

TIREUR, chez les Gaziers ; c'est un compagnon qui tire les ficelles du simblot qui servent à faire le brocher des gazes.

Pour savoir quelles ficelles il faut tirer, cet ouvrier doit avoir lu auparavant le dessein, c'est-à-dire, avoir passé autant de petites cordes à noeuds coulans que le lisseur en a nommé. Cette lecture du dessein est ce qu'il y a de plus curieux & de plus difficile dans la monture de ces métiers ; & l'on a besoin pour cela d'habiles ouvriers, principalement quand le dessein est fort chargé. Voyez DESSEIN.

TIREUR D'OR ET D'ARGENT, est un artisan qui tire l'or & l'argent, qui le fait passer de force à-travers les pertuis ou trous ronds & polis de plusieurs especes de filieres qui vont toujours en diminuant de grosseur, & qui le réduit par ce moyen en filets très-longs & très-déliés, que l'on nomme fil d'or ou d'argent, ou de l'or ou de l'argent trait.

Les tireurs d'or & d'argent, sont aussi batteurs & écacheurs d'or & d'argent, parce que ce sont eux qui se mêlent de battre ou écacher l'or & l'argent trait, pour l'applatir ou le mettre en lame, en le faisant passer entre les deux rouleaux d'acier poli, d'une sorte de petite machine nommée moulin à battre ou à écacher. Voyez l'article OR.

Les statuts de la communauté des tireurs & batteurs d'or de Paris se trouvent insérés dans le recueil des statuts, ordonnances & privileges accordés en faveur des marchands orfévres-jouailliers. Ils prêtent serment à la cour des monnoies.

L'élection des jurés se fait le 3 Janvier, de même que celle des deux maîtres examinateurs des comptes ; & le premier Décembre s'élisent les maîtres ou couriers de la confrairie.

La communauté est réduite à 40 maîtres de chef-d'oeuvres, il est défendu de ne plus recevoir de maîtres de lettres.

Tout apprentif, même les fils de maîtres, doivent avoir 12 ans accomplis, & ne peuvent être reçus à la maîtrise, qu'ils n'aient fait un apprentissage de 5 ans, & qu'ils n'aient fini le chef-d'oeuvre.

Chaque maître ne peut obliger qu'un apprentif à-la-fois, & chaque apprentif doit servir 10 années chez les maîtres en qualité de compagnon, avant que d'avoir droit de tenir boutique, ni de travailler pour son compte.

Tout maître doit avoir sa marque enregistrée au greffe de la monnoie, & empreinte sur une table de cuivre.

L'ouvrage des tireurs doit se vendre au poids du roi de huit onces au marc, & de huit gros à l'once, & non au poids subtil, vulgairement appellé le poids de Lyon.

L'argent fin fumé est défendu sous peine de confiscation & de 2000 liv. d'amende.

L'or ou l'argent doit être filé sur la soie teinte, & non sur la crue, & le faux seulement sur le fil.

Maniere de tirer l'or & l'argent fin. On prend d'abord un lingot d'argent du poids de 35 à 36 marcs, que l'on réduit par le moyen de la forge, en forme de cylindre, de la grosseur à-peu-près d'un manche à balai.

Après que le lingot a été ainsi forgé, on le porte à l'argue, où on le fait passer par 8 ou 10 pertuis d'une grosse filiere, que l'on nomme calibre, tant pour l'arrondir plus parfaitement, que pour l'étendre jusqu'à ce qu'il soit parvenu à la grosseur d'une canne, ce qui s'appelle tirer à l'argue, ou apprêter pour dorer. Voyez ARGUE & FILIERE.

Le lingot ayant été tiré, comme il vient d'être dit, est reporté chez le tireur d'or, où il est limé avec exactitude sur toute sa superficie, pour ôter la crasse qui peut y être restée de la forge ; puis on le coupe par le milieu, ce qui forme deux lingots d'égale grosseur, longs chacun d'environ 24 à 25 pouces, que l'on fait passer par quelques pertuis de calibre, soit pour abaisser les crans ou inégalités que la lime y a pu faire, soit aussi pour le rendre le plus uni qu'il est possible.

Lorsque les lingots ont été ainsi disposés, on les fait chauffer dans un feu de charbon pour leur donner le degré de chaleur propre à pouvoir recevoir l'or que l'on y veut appliquer ; ce qui se fait de la maniere suivante.

On prend des feuilles d'or, chacune du poids d'environ 12 grains, & de 4 pouces au-moins en quarré, que l'on joint quatre, huit, douze ou seize ensemble, suivant qu'on désire que les lingots soyent plus ou moins surdorés ; & lorsque ces feuilles ont été jointes de maniere à n'en plus former qu'une seule, on frotte les lingots tout chauds avec un brunissoir, puis on applique en longueur sur toute la superficie de chaque lingot, six de ces feuilles préparées, par dessus lesquelles on passe la pierre de sanguine pour les bien unir.

Après que les lingots ont reçu leur or, on les met dans un nouveau feu de charbon pour y prendre un certain degré de chaleur ; & lorsqu'ils en sont retirés, on repasse par-dessus une seconde fois la pierre de sanguine, soit pour bien souder l'or, soit aussi pour achever de le polir parfaitement.

Les lingots ayant été ainsi dorés, sont reportés à l'argue, où on les fait passer par autant de pertuis de filiere qu'il est nécessaire, (ce qui peut aller environ à quarante) pour les réduire à-peu-près à la grosseur d'une plume à écrire.

Ensuite on les reporte chez le tireur d'or pour les dégrosser, c'est-à-dire, les faire passer par une vingtaine de pertuis d'une sorte de filiere moyenne qu'on appelle ras ; ce qui les réduit à la grosseur d'un ferret de lacet.

Le dégrossage se fait par le moyen d'une espece de banc scellé en plâtre, que l'on nomme banc à dégrosser, qui n'est qu'une maniere de petite argue que deux hommes peuvent faire tourner.

Après que les lingots ont été dégrossés & réduits, comme on vient de dire, & à la grosseur d'un ferret de lacet, ils perdent leur nom de lingots, pour prendre celui de fil d'or. Ce fil est ensuite tiré sur un autre banc, que l'on nomme banc à tirer, où on le fait passer par vingt nouveaux pertuis d'une espece de filiere appellée prégaton ; après quoi il se trouve en état d'être passé par la plus petite filiere, qu'on nomme fer à tirer, pour le porter à son dernier point de finesse ; ce qui se pratique de la maniere suivante.

Premierement, on passe le fil d'or par le trou du fer à tirer appellé pertuis neuf, qu'on a auparavant retréci avec un petit marteau sur un tas d'acier, & poli avec un petit poinçon d'acier très-pointu, que l'on nomme pointe. Ce pertuis est ainsi retréci & repoli successivement avec de pareilles pointes, toujours de plus fines en plus fines, & le fil y est aussi successivement tiré jusques à ce qu'il soit parvenu à la grosseur d'un cheveu.

Ce qui paroît de plus admirable, est que tout délié & tout fin que soit ce fil, il se trouve si parfaitement doré sur toute sa superficie, qu'il seroit assez difficile de s'imaginer, sans le savoir, que le fond en fût d'argent.

Le fil d'or en cet état s'appelle or trait, & peut s'employer en crépines, boutons, cordons de chapeau, & autres semblables ouvrages.

Il faut remarquer qu'avant que l'or trait soit réduit à cet extrême point de finesse, il a dû passer par plus de 140 pertuis de calibre, de filiere, de ras, de prégaton, & de fer à tirer, & que chaque fois qu'on l'a fait passer par un de ces pertuis, on l'a frotte de cire neuve, soit pour en faciliter le passage, soit aussi pour empêcher que l'argent ne se découvre de l'or qui est dessus.

Pour disposer l'or trait à être filé sur la soie, il faut l'écacher ou applatir, ce que plusieurs appellent battre l'or, & le mettre en lame. On lui donne cette façon, en le faisant passer entre deux rouleaux d'une petite machine nommée moulin à battre, ou moulin à écacher.

Ces rouleaux qui sont d'un acier très-poli, environ de trois pouces de diamêtre, c'est-à-dire, épais de douze ou quinze lignes, & très-serrés l'un contre l'autre sur leur épaisseur, sont tournés par le moyen d'une manivelle attachée à l'un des deux, qui fait mouvoir l'autre ; ensorte qu'à mesure que le fil trait passe entre les deux rouleaux, il s'écache & s'applatit, sans pourtant rien perdre de sa dorure, & il devient en lame si mince & si flexible, qu'on peut aisément le filer sur la soie, par le moyen d'un roüet & de quelques rochets ou bobines passées dans de menues broches de fer.

Lorsque l'or en lame a été filé sur la soie, on lui donne le nom de filé d'or.

Quand on ne veut avoir que de l'argent trait, de l'argent en lame, ou du fil d'argent, on ne dore point les lingots ; à cela près, tout le reste se pratique de la même maniere que pour l'or trait, l'or en lame, & le filé d'or.

L'or & l'argent trait battu, ou en lames de Lyon, se vend par bobines de demi-once, & d'une once net, c'est-à-dire, sans comprendre le poids de la bobine, & ses différens degrés de finesse, se distinguent par des P, depuis un jusqu'à sept, toujours en diminuant de grosseur ; ensorte que celui d'un P est le plus gros, & que celui de sept P est le plus fin, que l'on appelle à cause de cela superfin.

L'or & l'argent trait, battu ou en lame, qui se fabrique à Paris, se débite en bobines de différens poids ; & ses divers degrés de finesse ou de surdorure sont indiqués par des numéros depuis 50 jusqu'à 72, qui vont toujours en diminuant de grosseur, & en augmentant de surdorure ; de maniere que celui du n°. 50 est le plus gros & le moins surdoré, & celui du n°. 72 est le plus fin & le plus surdoré, & ainsi des autres numéros à proportion.

Les filés d'or & d'argent de Lyon se vendent tout dévidés sur des bobines de différens poids, & leurs divers degrés de finesse sont distingués par un certain nombre d'S ; ensorte que l'on commence par une S, qui est le plus gros, & que l'on finit par sept S, qui est le plus menu : ainsi l'on dit du une S, du deux S, du trois S, du quatre S, du quatre S & demie, du cinq S, du cinq S & demie, du six S, & du sept S, autrement du superfin. Ceux d'une, deux, trois, & quatre S, sont par bobines de quatre onces, & ceux de quatre S & demie, de cinq, de cinq & demie, de six & de sept S, sont par bobines de deux onces, le tout net.

Il y a des filés d'or & d'argent que l'on nomme filés rebours, parce qu'ils ont été filés à contre-sens, c'est-à-dire, de gauche à droite. Ces sortes de filés ne s'emploient qu'en certains ouvrages particuliers, comme crépines, franges, molets, & autres semblables, qui ont des filets pendans ; il en entre aussi dans la boutonnerie.

On compte de cinq sortes de filés d'or & d'argent rebours, qui se distinguent par une demie S, par une S, par deux S, par trois S, & par quatre S, qui vont en diminuant de grosseur ; de maniere que celui d'une demi S est le plus gros, & celui de quatre S le plus fin : ces sortes de filés d'or & d'argent sont ordinairement par bobines de quatre onces net.

Ce qu'on appelle or de Milan, est de l'argent trait que l'on a écaché ou applati en lames très-minces & très-déliées d'une certaine longueur, qui ne sont dorées que d'un côté ; desorte que venant à être filées, on n'apperçoit plus que de l'or, le côté de l'argent se trouvant entierement caché.

La maniere de ne dorer les lames que d'un côté, est un secret très-ingénieux & très-particulier, dont les seuls tireurs d'or de Milan sont en possession depuis long-tems. Ceux de Paris & de Lyon ont plusieurs fois tenté de les imiter ; mais ç'a toujours été sans un succès parfait.

Les filés d'or de Milan viennent par bobines de deux & de quatre onces net ; & leurs degrés de finesse se distinguent par un certain nombre d'S, de même que ceux de Lyon.

Maniere de tirer l'or & l'argent faux, pour le disposer à être employé en trait, en lame, ou en filé, ainsi que le fin. On prend du cuivre rouge appellé rozette, dont on forme par le moyen de la forge un lingot semblable à celui d'argent ; on le tire à l'argue, puis on fait des cannelures ou filets sur toute sa longueur avec une espece de lime plate dentelée par les bords en façon de peigne, que l'on nomme griffon ; après quoi on applique dessus six feuilles d'argent, chacune du poids d'environ 18 grains : ensuite on chauffe le lingot dans un feu de charbon, d'où étant retiré, on passe le brunissoir par-dessus jusqu'à ce que les feuilles soient bien unies ; puis on y applique encore six nouvelles feuilles d'argent semblables aux précédentes, & l'on employe ainsi une once & demie d'argent en feuille sur un lingot de cuivre d'environ vingt marcs.

Le lingot ainsi argenté se remet dans un feu de charbon où il chauffe jusqu'à un certain degré de chaleur ; & lorsqu'il a été retiré du feu, on passe pardessus le brunissoir, soit pour souder l'argent, soit aussi pour le rendre tout-à-fait uni.

Ensuite on le fait passer par autant de trous de filiere qu'il est nécessaire, pour le réduire de même que l'or & l'argent fin à la grosseur d'un cheveu : en cet état c'est ce qu'on nomme du faux argent trait, ou de l'argent trait faux.

Quand on désire avoir de l'or trait faux, on porte le lingot tout argenté à l'argue, où on le fait passer par sept ou huit pertuis de calibre ; puis on le dore de la même maniere que les lingots d'argent fin ; & l'on observe au surplus toutes les circonstances marquées pour les autres especes de fils traits.

L'or & l'argent traits faux s'écachent & se filent de même que le fin ; avec cette différence néanmoins que le fin doit être filé sur la soie, & que le faux ne se doit faire que sur du fil de chanvre ou de lin.

L'or & l'argent faux, soit trait, soit battu ou en lame, vient la plus grande partie d'Allemagne, particulierement de Nuremberg, par bobines de deux & de quatre onces net ; & leurs différens degrés de finesse se distinguent par des numéros depuis un jusqu'à sept, toujours en diminuant de grosseur ; de sorte que le premier numéro est le plus gros, & que le dernier est le plus fin. Il s'en fabrique quelque peu à Paris, qui est fort estimé pour sa belle dorure, dont les bobines ne sont point numérotées se vendant au poids, à proportion qu'il est plus ou moins fin, ou plus ou moins argenté ou surdoré.

Tirer & filer l'or. Pour préparer la matiere propre à être tirée, on commence à fondre un lingot d'argent, c'est-à-dire, une partie de matiere d'argent, soit piastre, vaisselle, &c. pour en composer un lingot dont le poids est ordinairement de 50 marcs environ. Il est d'une nécessité indispensable que cette matiere soit bien purgée de l'alliage qui pourroit s'y trouver, tant pour faire un filé plus brillant que pour la tirer plus fin. C'est pour cela même que l'argent, dont le titre le plus haut est de 12 deniers de fin, doit être pour le lingot de 11 deniers & 20 grains au-moins, n'étant pas possible de le porter à ce degré de finesse de 12 deniers de fin, attendu les matieres nécessaires, telles que le plomb, &c. qui doivent aider à la fonte.

Le lingot fondu & examiné pour le titre est porté chez le forgeur, où il est divisé sous le marteau en trois parties égales, & autant rondes qu'il est possible, pour être passé à l'argue. On donne ce nom au laboratoire, où chaque barre du lingot étant passé dans une filiere plus étroite que la barre même, étant tirée à l'aide d'une tenaille dentée qui tient la pointe de la barre & étant passée successivement dans différens trous, plus petits les uns que les autres, elle est réduite à une grosseur assez convenable, pour que deux hommes seuls puissent achever de la rendre encore plus fine, ainsi qu'il est démontré dans les fig. & dans les Planches.

La fig. 1. démontre un moulinet à l'arbre duquel, & dans le bas est une corde, laquelle prenant à une tenaille qui tient la barre du lingot passée dans la filiere, la tire jusqu'à ce qu'étant sortie du trou où elle se trouve, on la fasse passer dans un plus petit ; ainsi des autres.

La fig. 2. représente deux hommes qui dégrossissent la même barre, après qu'elle a été amincie & allongée par l'argue.

Figure 1. a, le haut du moulinet ; b, bas du moulinet ; c, barre du lingot ; d, idem derriere la filiere ; e, piece de bois taillée dans laquelle est arrêtée la filiere ; f, corde qui enveloppe le moulinet & tire la tenaille ; g, branches croisées du moulinet ; h, hommes qui tournent le moulinet ; i, crochet de la piece de fer qui arrête le moulinet ; k, traverse d'en-haut pour tenir le moulinet ; l, piece de fer pour arrêter le moulinet ; m, traverse d'en - bas ; n, poulie ou moufle pour doubler la corde arrêtée d'un côté à la piece ; r, o, dent de la tenaille ; r, piece de fer qui retient la corde d'un côté ; s, queue de la tenaille faite de façon que plus elle tire, plus elle est fermée ; p, boucle de corde accrochée à la queue de la tenaille ; q, grande caisse pour tenir les barres des lingots ; t, dents de la tenaille.

Figure 2. 1, deux hommes qui dégrossissent la matiere au sortir de l'argue ; 2, manette du tambour sur lequel la matiere se roule ; 3, le tambour ; 4, autre tambour sur lequel elle est roulée au sortir de l'argue ; 5, coin pour tenir la filiere arrêtée ; 6, la filiere ; 7, fer dans lequel entre la filiere ; 8, table sur laquelle sont posés les tambours ; 9, idem.

Figure 3. homme qui peut dégrossir seul la gavette. On donne le nom de gavette à la matiere sortie de l'argue, & tirée à une certaine grosseur ; & lorsqu'elle est dégrossie, on lui donne le nom de trait.

Fig. 4. Fille qui tire le trait en le faisant passer successivement dans plusieurs filieres plus petites les unes que les autres, jusqu'à ce qu'il soit tiré à la finesse qu'on se propose.

Fig. 5. Fille qui bobine le trait en le tirant de dessus le tambour qui a servi à le tirer pour le mettre sur une petite bobine, à laquelle on donne le nom de roquetin.

Le trait se divise ordinairement en trois parties principales pour la grosseur. La premiere est appellée lancé, beaucoup plus fine qu'un cheveu ; la deuxieme superfin fin ; la troisieme superfin ordinaire ; cette derniere partie est de la grosseur d'un cheveu. Tout ce qui vient d'être dit ne concerne précisément que le trait d'argent. Le trait d'or ne se tire pas autrement ; & à proprement parler, ce qui est appellé or dans les manufactures, n'est autre chose que de l'argent doré.

Pour faire le trait d'or, on dore le lingot en barre au sortir de la forge, & avant de le passer à l'argue. Le lingot pour or doit être disposé à la fonte d'une autre façon que le lingot pour argent ; c'est-à-dire que les affineurs ou fondeurs doivent avoir soin de le rendre plus dur afin que les feuilles d'or qui servent à le dorer ne s'enterrent pas dans la matiere d'argent, & se soutiennent toujours dessus pour que l'or soit plus brillant. De-là vient que le filé d'or est toujours plus pesant que le filé d'argent. On penseroit que l'or dont il est chargé cause l'augmentation du poids, ce qui n'est pas, puisque un lingot de 50 marcs n'employera pas un marc d'or pour le dorer. La véritable raison de la différence de ce poids ne vient donc que de ce que le lingot étant plus dur, le trait ne peut pas être tiré si fin que l'argent. D'ailleurs quand il seroit possible de le tirer aussi fin, la qualité de l'or qui n'est que superficielle sur matiere d'argent, n'auroit plus aucune apparence, attendu la finesse du trait.

Pour dorer le lingot, on fait chauffer une barre d'argent bien ronde & bien polie, jusqu'à ce qu'elle rougisse, après quoi le tireur d'or couche au long & autour de ladite barre des feuilles d'or, telles qu'on les trouve chez les Batteurs d'or, en quantité proportionnée à la qualité qu'il veut donner au trait qu'il se propose de faire ; & après les avoir couchées, il les frotte avec une pierre bien polie pour les attacher au lingot, de façon que la barre d'argent & les feuilles ne composent qu'un tout. Les ors les plus bas sont dorés à 28 feuilles couchées les unes sur les autres & lissées avec la pierre à polir. Les ors les plus hauts ne passent guere 56 feuilles. Le superflu ou excédent des feuilles qu'on voudroit ajouter deviendroit inutile, & empêcheroit même la barre d'être tirée comme il faut. Le frottement fur les feuilles se fait à fur & à mesure qu'on couche les feuilles de six en six, ou de huit en huit feuilles. Il faut beaucoup plus de soin pour tirer l'or que l'argent ; & surtout que les filieres soient extraordinairement polies, parce que si par hasard il s'en trouvoit quelqu'une qui grattât la barre, ou la gavette, ou le trait, la partie grattée blanchissant, seroit continuée jusqu'à la fin ; parce que quoique le lingot soit bien doré, en quelque cas, ou en quelque tems que vous rompiez la barre, ou la gavette, elle sera toujours blanche en-dedans ; l'or, comme on l'a déja dit, n'occupant que la superficie du lingot, dont la dureté, par sa préparation, lui empêche de pénétrer plus avant, & lui donne plus de brillant.

Lorsque l'argent ou l'or est tiré, il s'agit de le filer ; & pour parvenir à cette opération, il faut l'écacher ou écraser sous deux roues ou meules dont la circonférence est d'un acier si poli, qu'il ne faut pas qu'il y ait une légere tache. C'est ce qui est représenté dans les Planches & les figures.

Le trait quelque fin qu'il puisse être, s'applatit en passant entre les deux meules du moulin m sortant du roquetin n. Le trait passe dans un livret o sur lequel est un petit poids de plomb qui le tient en regle, & empêche qu'il ne vienne plus vîte que le moulin le distribue, & ayant passé entre les deux meules, il s'enroule sur un autre petit roquetin appellé roquetin de lame, parce que le trait quoique fin & rond, étant écaché ne forme plus qu'une lame, & que c'est cette même lame, laquelle enveloppant la soie sur laquelle elle est montée, forme ce qu'on appelle le filé.

La fig. 6. représente un moulin à écacher l'or & l'argent ; la lettre a le batis du moulin ; b, planche au bout de laquelle on met un poids pour charger le moulin, & faire que les deux meules se frottent davantage ; elle forme une espece de levier, & appuyant sur les cordes z qui remontent sur une traverse qui appuie sur l'arbre de la meule supérieure du moulin, elle la serre davantage sur l'autre. c, pieces de fer percées dans lesquelles entre un fil de fer qui soutient le roquetin d. e, poids d'une livre environ posé sur le livret dans lequel passe le trait. f, manivelle à laquelle est attachée une poulie cavée dans laquelle passe une corde très-fine qui fait tourner le roquetin de lame pour ramasser le trait écaché ou la lame. h, la lame que le guimpier tient entre ses doigts pour la conduire sur le roquetin. g, fer courbé en équerre qui contient une petite poulie large autour de laquelle passe la lame, afin qu'elle ne se torde pas lorsqu'elle est portée sur le roquetin. h, corde qui passant autour de la poulie cavée marquée f, vient envelopper une fusée appellée porte-roquetin, & qui le fait tourner pour ramasser la lame. K, écrou pour avancer ou reculer les porte-roquetins de lame. X, dessus du moulin. Y, montant du moulin ou soutien des meules. T, table du moulin, V V, bas des montans du moulin. Z, cordes de quindage pour serrer les meules du moulin.

La fig. 7. n'est qu'une seconde représentation du moulin.

La fig. 8. représente les filieres de l'argue. 9, les tenailles de l'argue. 10, filiere à dégrossir, & le fil de la gavette passé dedans. 11, 12 & 13, filiere pour finir & achever le trait.

La fig. 9. 1, rouet à filer l'or ou l'argent. 2, ouvriere qui écache la lame. 3, ouvrier qui dégrossit la gavette. 4, tambour sur lequel le trait s'enroule à mesure qu'on le tire. 5, autre tambour servant à dégrossir. 6, crochets posés sur le tambour dans lesquels entre la manette ou manivelle. 7, autre tambour pour achever le trait. 8, cage du moulin. 9, fer courbé aux deux extrêmités sur lequel passent les cordes qui servent à charger le moulin. 10, meules du moulin. 11, manivelle dans laquelle entre l'arbre des meules. 12, porte-roquetin de lame & de trait. 13, porte-poulie sous laquelle passe la lame au sortir d'entre les meules. 14, fer courbé & percé dans la partie supérieure, adhérant aux meules, dans lequel passe le trait, & qui lui sert de guide pour passer entre les meules. 15, grande roue du rouet à filer. 16, manivelle pour faire tourner le tambour. 17, fer appellé porte-piece pour le rouet à filer. 18, roue de piece. 19, roue de l'arbre. 20, filiere de l'argue. 21, filiere à dégrossir. 22, filiere pour achever. 23, fer ouvert dans lequel on pose les filieres pour achever. 24, pouce d'acier servant à ceux qui polissent les trous des fers où passe le trait pour le finir. 25, marteau pour frapper sur les trous. 26, le support de la barre de verre d'en-haut. 27, montans du rouet à filer. 28, traverse d'en-bas. 29, arbre taillé en fusées pour faire l'or ou l'argent plus ou moins couvert. 30, barre qui porte les poids d'attirage. 31, roulettes posées dans les entailles de la barre sur lesquelles passent les cordes des poids d'attirage. 32, porte-cueilleux. 33, piece de verre posée sur la bande du rouet sur laquelle passe le filé. 34, planche qui est entre la bobiniere & le sommier. 35, le sommier. 36, la bobiniere. 37, les cueilleux. 38, les bobines sur lesquelles est enroulée la soie sur laquelle porte la lame. 39, la machine ou porte-cueilleux servant à trancanner le filé & à le mettre sur des bobines. 40, la fusée de la grande roue. 41, partie de l'arbre. 42, poulies d'attirage. 43, cordes d'attirage. 44, poids d'attirage. 45, partie de la barre qui porte les poids d'attirage. 46, traverse pour arrêter la cage du moulin.

La fig. 10. 1. représente une fille qui trancanne, ou met du filé sur une bobine. 2. A une fille qui file l'or ou l'argent sur un rouet à douze. 3. B doubloir pour faire les bobines de soie sur lesquelles on file l'or. 4. C montant du rouet. 5. D baguette de verre sous laquelle passe la soie des bobines, sur laquelle se couche la lame d'or. 6. E F G traverses sur lesquelles sont adossés les cueilleux ou bobines sur lesquelles s'enroule le filé à mesure. G les cueilleux. 7. H partie de la même piece. 8. L M cueilleux. 9. N grenouille de fer dans laquelle entre le pivot du cueilleux. 10. O P partie du porte-cueilleux. 11. Q piece taillée pour soutenir l'arbre. 12. R l'arbre. 13. S. traverse d'en-bas du rouet. 14. T partie de la barre qui supporte les attirages. 15. V partie de l'arbre. X poulies d'attirage. Y cordes d'attirage. Z cueilleux enveloppé de la corde qui lui donne le mouvement, &c. poids d'attirage. 16. a b bobiniere. 17. c baguette de verre sous laquelle passe la soie des bobines. 18. d e f g sommier, ou porte-piece. h planche qui est entre le sommier & la bobiniere. 19. i cage d'un rouet & l'arbre. k roue de l'arbre. l traverse de devant le rouet. m. fusée de la grande roue. n corde de flanc. o traverse de côté. p barre de derriere pour soutenir la roue de piece. q poulie qui conduit la corde de flanc sur la roue de l'arbre. r poulie pour conduire la même corde. s cordes d'attirage. t cueilleux. u poulies d'attirage. x barre qui soutient les poids d'attirage. y poids d'attirage. z grande roue.

Fig. 11. A B C E cage d'un grand rouet à seize bobines. D bobiniere. E sommier ou porte-piece. F partie supérieure de la bobiniere. H pieces de bois qui supportent une baguette de verre, sous laquelle passe la soie des bobines. G baguette de verre. I face de la bobiniere. L le sommier. M la bande du rouet. N piece de verre, ou baguette sur laquelle passe la dorure filée pour aller sur les cueilleux. O les cueilleux. P bande de face du rouet. Q bande de côté. R ouverture de l'arbre de la grande roue. S entaille pour tenir le pivot de l'arbre du côté de la corde de flanc. T entaille pour tenir l'autre pivot de l'arbre. V roue de l'arbre. X poulie assez grande pour guider la corde de flanc.

a tourniquet pour bander la corde de flanc. b traverse. c piece de bois mobile à laquelle sont attachées deux grosses poulies qui conduisent la corde de flanc sur la roue de l'arbre. d traverse qui tient les poulies. e pilier ou piece de bois qui soutient la roue de piece. f la roue de piece.

Fig. 12. représentant un rouet vu par le derriere. A, B, C, D, E, cage du rouet. F, la bobiniere. G, la barre qui soutient les poids d'attirage. H, poids d'attirage. I, barre de traverse dans laquelle entre le tourillon de l'arbre de la roue de piece. K, noyau ou poulie cavée de la roue de piece. L traverse pour soutenir l'arbre de la grande roue. M. N, corde de la grande roue qui donne le mouvement à la roue de piece. O, la roue de piece.

a, b, c, d, e, f, piece montée de son roquetin de lame, du fer, du bouton de verre, &c. h, i, le derriere de la piece. l, le devant de la piece. m, le canon de la piece qui entre dans le roquetin de lame. n, la plaque de la piece & les trous pour y passer les crochets qui servent à arrêter le roquetin de lame. o, p, crochet de fil de fer qui enfile une petite poulie de verre, sur laquelle passe la lame, & qui est attaché à la plaque de piece. q, crochets de fil de fer. r, idem. s, petite cheville de bois tournante, à laquelle est attaché un fil de soie qui enveloppe le roquetin de lame, afin de le retenir. t, la soie. u, le roquetin de lame. x, l'entrée du même roquetin. y, z, fer qui porte la piece montée. 1, 2, petit bout de verre percé, attaché à un petit canon ou conduit de fer-blanc qui entre dans la partie Z du fer qui porte la piece dans lequel passe la soie qui reçoit la lame. 3, poulie cavée fort étroite, attachée derriere la plaque de piece dans laquelle passe la corde de piece. 4, partie de la planche & de la baguette de verre. 5, le coin. 6, petite vis de bois pour bander le roquetin de lame.

Fileur d'or. La façon de filer l'or & l'argent n'est autre chose que de coucher sur de la soie qui doit être très-belle, le fil d'or ou d'argent, après qu'il a été écaché ou applati sous la meule du moulin du tireur-d'or ou guimpier.

Cette opération se fait à l'aide d'un rouet tourné par quelqu'un, ainsi qu'il est démontré dans les Planches & les figures, concernant le fileur d'or. La méchanique de ce rouet est si ingénieuse, qu'avec une seule manivelle celui ou celle qui tourne la machine fait mouvoir plus de cent pieces séparées. On voit dans ces Planches le batis d'un rouet accompagné de son principal mouvement. La manivelle attachée à l'arbre de la grande roue marquée z z indique que lorsque la roue est en mouvement, la corde sans fin marquée h, qui enveloppe la fusée de l'arbre de la même roue venant passer en croisant dessous les poulies o & q ; enveloppant ensuite la roue k de l'arbre taillé en fusée, l'un ne peut pas tourner que toutes ces parties enveloppées par cette même corde ne tournent aussi : à chaque taille de l'arbre est passé une corde sans fin y y y, appellée corde d'attirage, laquelle passant dans les poulies u u, vient envelopper une partie cavée du cueilleux, & lui donne un mouvement lent ou promt, au prorata de la grande ou petite cannelure de l'arbre autour de laquelle elle se trouve, de façon qu'au moyen de toutes ces liaisons la grande roue, celle de l'arbre à laquelle il est attaché, les cueilleux tournent tous ensemble ; c'est le premier mouvement du rouet. Le second mouvement est démontré ailleurs. Cette même grande roue a une corde assez forte, laquelle passant dans sa cannelure, vient envelopper une poulie cavée, adhérente & fixée à l'arbre de la roue z, appellé la roue de piece.

Voilà donc une seconde roue mise en mouvement par la seule manivelle. Cette roue de piece a plusieurs cavités ou rainures dans lesquelles passe une corde très-fine, laquelle enveloppant les pieces montées & marquées a, b, c, d, e, f, & entrant dans une rainure fort étroite fait tourner toutes celles qu'elle enveloppe. Le nombre de ces pieces est ordinairement de 16 dans les grands rouets. La poulie k, voyez les fig. & les Planches, indique parfaitement le mouvement de la roue de piece, au moyen de celui qui est donné à la grande roue. Cette même roue de piece doit avoir quatre cannelures, dans lesquelles passe la corde qui donne le mouvement aux seize pieces dont le rouet est monté ; & cette corde doit être passée si artistement, qu'elle prenne toutes les pieces de quatre en quatre, & les fasse toutes tourner dans un même sens.

Par la démonstration qui vient d'être faite, on peut concevoir le mouvement de toutes les pieces qui composent le rouet. Il ne s'agit maintenant que de démontrer de quelle façon la lame d'or ou d'argent se couche sur la soie, & nous nous servirons pour cette démonstration de la figure où l'on voit la bobiniere. Elle est chargée de seize bobines, sur lesquelles est enroulée la soie marquée h, g ; les brins de cette même soie viennent passer sous la baguette de verre H ; & étant portés au-travers & dans le trou du fer représenté par la figure séparée y, z, viennent s'enrouler sur les cueilleux o, de façon que quand les cueilleux tournent, ils tirent la soie des bobines & l'enroulent. Or pour que cette soie soit couverte de la lame d'or ou d'argent, le roquetin marqué u, x, dans la partie séparée, est ajusté sur la partie 7 k, l, m, ainsi qu'il paroît dans les fig. a, b, c, d, e, f : sur le roquetin est la lame f, laquelle étant arrêtée avec la soie, la piece tournant d'une vîtesse extraordinaire, la lame passant sur une petite poulie de verre, dans laquelle est passé un petit crochet de fil de fer. Le roquetin étant mobile sur la piece & arrêté très-légerement à mesure que cette même piece tourne, la lame se porte autour de la soie qu'elle enveloppe ; & la soie enveloppée étant tirée par le cueilleux, le filé se trouve fait. Il faut observer que le roquetin de lame tourne dans un sens contraire à la piece qui le supporte ; & que les bobines sur lesquelles est la soie destinée à faire le filé, sont arrêtées légerement par un fil de laine qui enveloppe la cavité qui se trouve dans un des bords extérieurs de la bobine. Cette laine qui est arrêtée d'un bout à la bobiniere, s'enroule de l'autre sur une cheville, à l'aide de laquelle on resserre ou on lâche à discrétion, en tournant la cheville du côté nécessaire pour l'opération.

Le roquetin de lame est arrêté de même sur la piece. La fig. t indique la cheville & le fil qui l'enveloppe. La fig. n, les crochets arrêtés sur la plaque de la piece n, n, afin que le fil de laine passant dessus, ne touche que superficiellement la cannelure du roquetin de lame u. La fig. o, p, indique la poulie de verre sur laquelle passe la lame du roquetin, pour se joindre au fil de soie. La fig. séparée q est une visse qui entre dans le sommier marqué L ailleurs, & qui arrête tous les fers sur lesquels sont montées les pieces, de façon qu'ils soient solides & ne branlent point, sans quoi le filé ne sauroit se faire.

Il faut observer encore que l'arbre qui est taillé en seize parties pour les rouets à seize ; & chaque partie taillée en pain-de-sucre & cannelée n'est travaillée de cette façon que pour faire le filé plus ou moins couvert, c'est-à-dire plus ou moins cher ; parce que plus il est couvert, moins il prend de soie ; & moins il est couvert, plus il en prend. Or comme l'arbre, au moyen des cordes d'attirage, donne le mouvement plus ou moins promt aux cueilleux, il arrive que quand la corde est passée dans la cannelure dont la circonférence est la plus grande, elle fait tourner le cueilleux plus vîte, lequel ramasse le filé plus promtement. Conséquemment la lame qui l'enveloppe & qui feroit, par exemple, cinquante tours autour du fil de soie dans la longueur d'un pouce, la corde étant passée sur la plus grande circonférence de l'arbre, en fera plus de soixante, si la corde est passée plus bas, ce qui fera dix tours de lame de moins dans la longueur d'un pouce, par conséquent un filé plus riant ; c'est le terme. Le cueilleux doit avoir aussi deux ou trois cannelures de différens diamêtres du côté droit, pour suppléer à celles de l'arbre. Ces cannelures différentes sont d'autant plus nécessaires, que lorsque le cueilleux se remplit de filé ; son tour étant plus grand, il ramasse bien plus vîte : pour-lors il faut baisser dans les cannelures de l'arbre, & augmenter dans celles du cueilleux.

Afin que le filé se roule avec égalité sur les cueilleux, on a eu soin de faire de petits trous dans la partie du rouet qui leur est supérieure marquée P ; ces trous servent à placer une cheville de laiton bien polie, qui conduit le fil dans la partie désirée du cueilleux, comme il est démontré dans la même figure. En remuant avec soin ces chevilles, on empêche le filé de faire bosse sur le cueilleux, qui se trouve par ce moyen toujours égal.


TIREVEILLES(Marine) ce sont deux cordes qui ont des noeuds de distance en distance, qui pendent le long du vaisseau, en-dehors, de chaque côté de l'échelle, & dont on se sert pour se soutenir lorsqu'on monte dans un vaisseau & qu'on en descend.

TIREVEILLE DE BEAUPRE. Voyez SAUVEGARDE.


TIRINvoyez TARIN.


TIRINANXESS. m. (Hist. mod.) les Chingulais ou habitans de l'île de Ceylan ont trois sortes de prêtres, comme ils ont trois sortes de dieux & de temples. Les prêtres du premier ordre ou de la religion dominante, qui est celle des sectateurs de Buddou, s'appellent Tirinanxes ; leurs temples se nomment ochars ; on ne reçoit parmi eux que des personnes distinguées par la naissance & le savoir ; on n'en compte que trois ou quatre qui sont les supérieurs de tous les autres prêtres subalternes que l'on nomme gonnis ; tous ces prêtres sont vétus de jaune ; ils ont la tête rasée, & ils portent un éventail pour se garantir du soleil ; ils sont également respectés des rois & des peuples, & ils jouissent de revenus considérables ; leur regle les oblige au célibat ; ils ne peuvent manger de la viande qu'une fois par jour ; mais ils ne doivent point ordonner la mort des animaux qu'ils mangent, ni consentir qu'on les tue. Leur culte & leur regle sont les mêmes que ceux des Talapoins de Siam. Voyez cet article. Leur divinité est Buddou ou Poutsa, qui est la même chose que Siakka, que Fohi, ou que Sommona-Kodom.

Les prêtres des autres divinités de Ceylan s'appellent koppus ; leur habillement, même dans leurs temples, ne les distingue point du peuple ; leurs temples se nomment deovels ; ils offrent du ris à leurs dieux ; les koppus ne sont point exempts des charges de la société.

Le troisieme ordre de prêtres s'appelle celui des jaddeses, & leurs temples se nomment cavels ; ils se consacrent au culte des esprits, & font des sacrifices au diable, que les habitans craignent sur-tout dans leurs maladies ; ce sont des coqs qui servent alors de victimes ; chaque particulier qui bâtit un temple peut en devenir le jaddese ou le prêtre : cet ordre est méprisé par les autres.


TIRIOLOou TYRIOLO, (Géog. mod.) petite ville, ou bourg d'Italie, dans la Calabre ultérieure, proche du mont Apennin, & à trois lieues nord de Squillace ; c'est l'ancienne Tyrus, ville de la grande Grece. (D.J.)


TIRMAH(terme de Calendrier) nom du quatrieme mois de l'année des anciens Perses ; il répondoit à notre mois de Décembre. (D.J.)


TIRNAUTYRNAU, ou TIRNAVIA, (Géog. mod.) ville de la haute Hongrie, dans le comté de Neitra, sur la riviere de Tirna, à 8 lieues au nord-est de Presbourg. Les Jésuites y ont une belle église. Long. 35. 48. lat. 48. 32.

Sambuc (Jean) savant écrivain du seizieme siecle, naquit à Tirnau en 1531, & mourut à Vienne en Autriche en 1584 à 53 ans. Il fut extrêmement considéré à la cour des empereurs Maximilien II. & Rodolphe son fils, dont il devint conseiller & historiographe. On a de lui 1°. une grande histoire de Hongrie ; 2°. les vies des empereurs romains ; 3°. des traductions latines d'Hésiode, de Théophylacte, & d'une partie des oeuvres de Platon, de Xénophon & de Thucydide ; 4°. des commentaires sur l'art poétique d'Horace ; 5°. des notes sur plusieurs auteurs grecs & latins. (D.J.)


TIRNSTEINou TYRNSTEIN, (Géogr. mod.) petite ville d'Allemagne dans la basse Autriche sur la rive gauche du Danube, un peu au-dessus de Stein. Cette place ne consiste qu'en deux rues, dont l'une conduit au bord du Danube. (D.J.)


TIROIRS. m. (terme de Menuisier) partie quarrée de cabinet, de table, d'armoire, de cassette, &c. qui est sous une autre piece, & qu'on tire par un anneau ou un bouton. (D.J.)

TIROIR, en termes de Tondeur, est une partie de la machine à friser, ainsi nommée parce qu'elle tire l'étoffe d'entre le frisoir & la table à friser, faite en forme de cylindre ou rouleau de bois tout garni de petites pointes de fil de fer très-fines & très-courtes, à-peu-près semblables à celles des cardes à carder la laine.

TIROIR, s. m. (terme de Fauconnerie) appât qui sert aux fauconniers à rendre gracieux les oiseaux de fauconnerie & à les reprendre au poing, soit avec des aîles de chapon, de coq-d'inde, ou autre chose de leur goût. (D.J.)


TIROLLE, (Géog. mod.) ou le TYROL, comté d'Allemagne qui fait partie des états héréditaires de la maison d'Autriche. Il est borné au nord par la Baviere ; au midi par une partie de l'état de Venise ; au levant par la Carinthie & l'archevêché de Saltzbourg ; au couchant par les Suisses & les Grisons.

Le Tirol a autrefois fait partie de la Rhétie, & ensuite du duché de Baviere ; enfin Elisabeth, comtesse de Tirol, le porta dans la maison d'Autriche vers l'an 1289 par son mariage avec Albert duc d'Autriche, depuis empereur. C'est un pays montagneux & assez stérile, excepté en pâturages. L'Adige y prend sa source. Elle le traverse du midi au nord-est. On divise ce comté en quatre parties principales ; savoir, le Tirol propre, les pays annéxés, l'évêché de Brixen & l'évêché de Trente. Inspruck est la capitale du Tirol proprement dit. (D.J.)


TIROMANCIES. f. (Divinat.) espece de divination dans laquelle on se servoit de fromage. On ignore les cérémonies & les regles qu'on y pratiquoit.

Ce mot est composé du grec , fromage, & de , divination.


TIRON(Géog. mod.) petite riviere d'Espagne dans la vieille Castille. Elle tire sa source des montagnes appellées Sierra d'Occa, & se jette dans l'Hèbre, près de Brienes. (D.J.)


TIRONESS. m. (Art milit. des Rom.) soldats apprentis, comme le mot latin le désigne ; c'étoient des surnuméraires qui n'étoient point censés enrôlés, parce qu'ils ne prêtoient de serment, qu'après avoir été reçus dans les légions à la place des morts, ou de ceux qui avoient fini le tems de leur service ; cependant ils étoient toujours nourris & formés aux dépens de la république, jusqu'à ce qu'ils fussent soldats légionnaires. Voyez LEGION, LITAIREAIRE, discipline des Romains. (D.J.)


TIROQUIS. m. (Hist. nat. Bot.) plante du Brésil qui a des feuilles comme le sainfoin ; ses fleurs sont roussâtres. C'est un remede efficace contre la dyssenterie. Les Brésiliens se font souffler la fumée de cette plante dans toutes sortes de maladies ; on la regarde comme excellente contre les vers. Cette plante se flétrit après le coucher du soleil, & reprend sa vigueur lorsqu'il remonte sur l'horison.


TIRTOIRvoyez TIRETOIRE.


TIRYNS(Géog. anc.) ville du Péloponnèse dans l'Argolide, selon Etienne le géographe. Cette ville célebre par le séjour qu'y fit Hercule lorsqu'il étoit dans le Péloponnèse, existoit du tems d'Homere, qui l'appelle benè munitam Tïrynthem. Strabon dit que sa forteresse fut bâtie par les cyclopes, que Proetus mit en besogne. Elle fut détruite par les Argiens, & ne subsistoit plus du tems de Pline, liv. IV. c. v. Je crois que M. Fourmont s'est trompé quand il a cru l'avoir découverte dans son voyage de Grece en 1729. (D.J.)


TIRYNTHEUS(Mythol.) c'étoit un des surnoms d'Hercule, à cause du séjour qu'il faisoit assez souvent dans la ville de Tirynthe en Argolide : on croit même qu'il y fut élevé. Après cet accès de fureur dans lequel il tua les enfans qu'il avoit eus de Mégare, l'oracle de Delphes lui ordonna d'aller se cacher pour quelque tems à Tirynthe. (D.J.)


TISAEUS(Géog. anc.) montagne de la Thessalie, selon Tite-Live, l. XXVIII. c. v. qui dit que c'est une pointe de montagne fort élevée. C'est le Tisaeum de Polybe & de Suidas.

Apollonius, liv. II. met aussi dans la Thessalie un promontoire nommé Tisaeum ; mais son scholiaste ajoute que ce promontoire étoit dans la Thesprotie. (D.J.)


TISARS. m. (Glaces) on nomme ainsi les ouvertures des fours à couler, par lesquels le tireur entretient le feu, en y jettant continuellement des billettes. Chaque four a deux tisars & deux cheminées. (D.J.)


TISARIA(Géog. mod.) & Cara-Hissar dans Paul Lucas, petite ville de l'Anatolie dans l'Amasie. C'est l'ancienne Diocésarée de Cappadoce. (D.J.)


TISCHANFFERRAS. f. (Com.) c'est la plus petite mesure de Venise pour les liquides. Quatre tischanfferras font la quarte, quatre quartes le bigot, quatre bigots l'amphora, l'amphora tient soixante & seize mustaches, dont les trente-huit font la botte. Voyez BOTTE. Dict. de Comm.


TISCHEN(Géog. mod.) petite ville de Bohème, dans la Moravie, près de Stramberg, vers les frontieres de la Silésie.


TISEBARICA(Géog. anc.) contrée de l'Ethiopie. Elle commençoit près du port de Bérénice, & s'étendoit le long de la mer Rouge jusqu'aux Moschophages, selon Arrien, II. Péripl. p. 1. La partie maritime de cette contrée étoit habitée par des Ichthyophages, qui demeuroient épars sous des chaumieres placées dans des passages étroits. Au-dedans des terres habitoient des peuples barbares. (D.J.)


TISEURS. m. (Manufact. de glaces) c'est dans les manufactures de glaces du grand volume, le nom de celui qui a soin d'entretenir le feu dans le four à couler. Ce tiseur court sans-cesse & avec vîtesse autour du four, & met en passant dans les tisars les billettes qu'il trouve toutes préparées sur son passage. Le tiseur se relaye toutes les six heures. (D.J.)


TISIA(Géog. anc.) ville d'Italie, dans le pays des Brutiens. Ses habitans se nomment Tisiatae.


TISIDIUM(Géog. anc.) ville d'Afrique, dont Metellus, selon Salluste, donna le commandement à Jugurtha. On croit que c'est la même que Ptolémée nomme Thisica, située entre la ville Thabraca, & le fleuve Bagrada, au milieu du chemin d'Utique à Carthage, & dans la province que les Romains avoient en Afrique. (D.J.)


TISIPHONE(Mythol.) une des furies ; couverte d'une robe ensanglantée. Tisiphone est assise nuit & jour à la porte du tartare, où elle veille sans cesse. Dès que l'arrêt est prononcé aux criminels, elle se leve armée d'un fouet vengeur, les frappe impitoyablement, & leur présente des serpens horribles ; bien-tôt après elle appelle ses barbares soeurs pour la seconder. Tibulle dit que Tisiphone étoit coëffée de serpens au-lieu de cheveux. Son nom signifie proprement celle qui venge les meurtres. (D.J.)


TISONNÉadj. (terme de Maréchal) ce mot se dit des chevaux marqués de taches toutes noires, larges comme la main ou environ, éparses çà & là sur le poil blanc. (D.J.)


TISONNIERS. m. (Forgeron) outil de fer dont les ouvriers qui travaillent à la forge, se servent pour attiser le feu. Il y en a de deux sortes, l'un applati par le bout en forme de palette, & l'autre dont le bout est coudé & tourné en crochet. (D.J.)

TISONNIER, outil de Fondeur en sable, est une barre de fer de trois piés de long pointue par un bout, dont on se sert pour déboucher les trous de la grille du fourneau. Voyez FOURNEAU & l'article FONDEUR EN SABLE, & les fig. Pl. du Fondeur en sable.


TISRIS. m. (Hist. jud.) premier mois hébreu de l'année civile, & le septieme de l'année ecclésiastique ou sacrée. Les Hébreux le nomment rosch-haschana, c'est-à-dire le commencement de l'année. Il répond à la lune de Septembre, & a trente jours.

On célébroit au premier jour de ce mois la fête des trompettes. Voyez TROMPETTES.

Les années sabbatique & du jubilé commençoient le même jour. Voyez JUBILE & SABBATIQUE.

Le troisieme jour jeûne pour la mort de Godolias, fils d'Ahican, qui fut tué à Maspha, comme il est rapporté au IV. liv. des Rois, c. xxv. v. 29. & dans Jérém. c. xlj. v. 2.

Le cinquieme jeûne pour la mort de vingt des principaux docteurs juifs, & en particulier pour celle d'Akiba.

Le dixieme jour étoit la fête de l'expiation solemnelle. Voyez EXPIATION.

Le quinzieme la fête des tabernacles qui duroit sept jours. Voyez TABERNACLES.

Le vingt-trois, les Juifs font la fête qu'ils appellent la réjouissance de la loi. Ils rendent graces à Dieu de la leur avoir donnée, & lisent le testament & l'histoire de la mort de Moïse, rapportée au Deuteronome, ch. xxxiij. & xxxiv. Dictionn. de la bible, tome III. p. 687.


TISSA(Géog. anc.) petite ville de Sicile, au pié du mont Aetna, du côté du septentrion, près du fleuve Onobala, suivant la position que lui donne Ptolémée, l. III. c. iv. Silius Italicus, l. XIV. v. 268. écrit Tisse, & en fait un petit lieu :

.... Et parvo nomine Tisse.

On croit que c'est aujourd'hui Randazzo, ou dumoins que la ville de Randazzo est bâtie auprès de l'endroit où étoit Tissa. Les habitans étoient nommés Tissenses, & non Tissinenses, comme écrit Pline, liv. III. c. viij. car Ciceron le décide ainsi. (D.J.)


TISSERv. act. (Gramm.) c'est fabriquer sur le métier ou autrement, tout tissu ou un ouvrage d'ourdissage, quel qu'il soit, comme la toile, le drap, les étoffes, &c.

TISSER, v. act. terme de Friseuse de point, c'est coucher & ranger le tissu, selon l'ordre du patron ; pour faire du point, on cordonne, on tisse, on fait les brides, on brode, & finalement on fait les picots. (D.J.)

TISSER, (Rubanier) c'est la maniere de fabriquer la frange sur le moule, voici comment cela se fait ; après que les soies de la chaîne sont passées dans les lisses, ainsi qu'il a été dit ailleurs, le bout étant fixé sur l'ensuple de devant au moyen de la corde à encorder ; il est question d'y introduire la trame qui est ordinairement composée de plusieurs bouts de soie retords ensemble, & dont on peut prendre tant de brins que l'on voudra. Cette trame est appellée retord. Voyez RETORD. On approche de cette chaîne un moule de bois, qui est de la hauteur & figure que l'on veut donner à la frange ; c'est-à-dire uni, si la frange doit être unie, ou festonnée, si la frange doit être festonnée ; on voit ces différens moules dans les figures. L'ouvrier ouvrant son pas y introduit la trame au moyen de cette ouverture, en passant la soie qui la compose & qu'il tient de la main droite, & le moule de la gauche, & du côté gauche de la chaîne ; il commence cette introduction de trame par-dessous le moule, en tenant le bout de cette trame avec les mêmes doigts dont il tient le moule ; il ramene cette trame par-dessus ledit moule, puis il frappe cette duite avec le doigtier ou coignée qu'il a à la main droite ; ensuite il enfonce un autre pas où il fait la même chose & continue de même ; on voit que cette continuité de tours est ce qui forme la pente de la frange qui sera guipée en sortant de dessus le métier, si elle le doit être, ou coupée sur le moule si c'est de la frange coupée ; lorsque le moule se trouve rempli, l'ouvrier prend une partie de cette pente qu'il fait glisser de dessus le moule (qui va pour cet effet un peu en rétrécissant par ce bout) du côté du rouleau de la poitrine, & tirant la marche du côté des lisses ; cette partie de pente ainsi hors du moule se tortille aisément par son propre rond, & par le secours des doigts de l'ouvrier qui entortillent un peu cette partie ayant les doigts passés dedans, ce qui l'oblige à se tourner & à former ce qu'on appelle coupon, & que l'on voit sur les métiers de la Planche ; ces différens coupons débarrassent le moule, à l'exception d'une certaine quantité de duites que l'on y laisse pour le tenir en respect, & en laissant la plus grande portion libre pour recommencer le travail.


TISSERANDS. m. terme générique, ce nom est commun à plusieurs ouvriers travaillans de la navette, tels que sont ceux qui font les draps, les tiretaines, & quelqu'autres étoffes de laine, qui sont appellés tisserans -drapans, tisseurs ou tissiers : ceux qui fabriquent les futaines se nomment tisserands-futainiers ; & ceux qui manufacturent les basins sont appellés tisserands en basins. Pour ce qui est des autres artisans qui se servent de la navette, soit pour fabriquer des étoffes d'or, d'argent, de soie, & d'autres étoffes mêlangées pour faire des tissus & rubans ; ils ne sont point nommés Tisserands : les premiers sont appellés marchands, maîtres, ouvriers en draps d'or, d'argent, de soie, & autres étoffes mêlangées, ou simplement ouvriers de la grande navette ; & les autres maîtres tissutiers-rubaniers ; ou bien ouvriers de la petite navette. (D.J.)

TISSERAND, s. m. (Lainage) ouvrier qui travaille de la navette dans les manufactures de lainage, & qui fait sur le métier, de la toile, des draps, des ratines, des serges, & autres étoffes de laine ; c'est-à-dire toutes ces étoffes telles qu'elles sont, avant d'avoir été au foulon & d'avoir reçu aucun apprêt. Savary. (D.J.)

TISSERAND, s. m. (Toilerie) artisan dont la profession est de faire de la toile sur le métier avec la navette : en quelques lieux on le nomme toilier, telier ou tissier. En Artois & en Picardie, son nom est musquinier. (D.J.)


TISSEURterme de Manufacture, ouvrier qui travaille sur le métier avec la navette, à la fabrique de toutes sortes d'étoffes de lainage & de toileries. (D.J.)


TISSUterme de Manufacture, qui se dit de toutes sortes d'étoffes, rubans & autres ouvrages semblables, faits de fils entrelacés sur le métier avec la navette, dont les uns étendus en longueur s'appellent la chaîne, & les autres en-travers sont nommés la trame de l'ouvrage.

On fabrique les tissus avec toutes les sortes de matieres qu'on peut filer, comme l'or, l'argent, la soie, la laine, le fil, le coton, &c.

Tissu se dit aussi de certaines bandes, composées de gros fils de chanvre que les Cordiers ont seuls le droit de fabriquer, & qui servent aux Bourreliers à faire des sangles pour les chevaux de bât & autres bêtes de somme. Voyez SANGLE.

TISSU, étoffe de soie, d'or & d'argent. Le tissu est un drap d'or ou d'argent qui se fait avec deux chaînes ; l'une est pour faire le fond gros-de-tour, au moyen d'une navette de la couleur du fond qui se passe au travers ; la seconde qu'on met blanc ou aurore qu'on nomme poil, sert pour passer une soie blanche ou aurore pour accompagner la navette de fil d'or ou d'argent qu'on passe ensuite. Cette étoffe est ordinairement tout or ou tout argent, glacé façonné.

On fait aussi cette étoffe tout en soie qu'on nomme tissu en soie, elle est toujours à Lyon de 11/24 d'aunes. Voyez ÉTOFFE DE SOIE.

Tissu d'or. Le tissu d'or ou d'argent est une étoffe dont la dorure est passée à-travers avec une navette, cette étoffe est également montée en gros-de-tours. La chaîne & le poil est du même compte que celles des brocards, avec cette différence que dans ces tissus elle est presque toujours de couleur, & c'est pour cela qu'il faut que cette étoffe soit accompagnée. L'endroit de cette étoffe se fait ordinairement dessus ; parce qu'ayant peu de fonds, si on le faisoit dessous, la tire seroit trop rude, ce qui fait que pour faire l'endroit dessus, on a soin de ne faire lire que le fond.

Pour faire cette étoffe parfaite, il faut que le poil ne paroisse ni à l'envers, ni à l'endroit. Le fond est armé en taffetas ou gros-de-tours, & le poil de même pour le premier coup de navette qui doit être toujours de la couleur de la chaîne, ainsi que dans tous les gros-de-tours. Le second coup de navette est celui d'accompagnage, dont le poil est armé en raz de saint-maur. Le troisieme coup qui est la navette d'or ou d'argent, fait lever une des lisses qui a levé au coup de fond & à l'accompagnage, & baisser également une lisse qui a fait le même jeu. De façon que deux marches suffisent pour le fond & huit pour le poil ; savoir quatre pour l'accompagnage, & quatre pour lier la dorure. Et pour faire le course entier, il faut reprendre une seconde fois les deux marches de fond.

Si on vouloit faire cette étoffe d'un seul pié, il faudroit deux marches de fond de plus, & larder les marches d'accompagnage & de dorure entre celles de fond, mais pour l'ordinaire on fait cette étoffe des deux piés.

Les tissus d'or dont la chaîne est aurore, n'ont pas besoin d'être accompagnés de même que ceux d'argent ; pour lors, on supprime les marches d'accompagnage & on ne laisse que les quatre qui lient la dorure ; ce qui fait en tout six marches.

Tissu damassé, ou toile d'or. Cette étoffe qui est nouvelle ne se fait ordinairement qu'avec de la laine, qu'on passe à-travers, au-lieu de fil, comme aux autres étoffes ; elle est montée & ornée comme les tissus sans accompagnage, c'est-à-dire la chaîne & le poil de la couleur de la dorure : pour faire le damassé, il faut avoir un dessein tel qu'on veut qu'il soit représenté, & tirer ce lac au coup de dorure ; le lac tiré, si l'endroit est dessus, on baisse au coup de lame trois lisses de rabat, de maniere qu'il ne reste qu'un quart de la soie tirée qui couvre la laine ; ce qui forme une espèce de fond sablé, au-travers duquel la dorure paroît si différente des endroits où elle est liée à l'ordinaire, qu'il n'y a personne, sans être connoisseur, qui n'imagine que cette partie n'est pas composée de la même dorure qui se montre ailleurs. Quand l'endroit de la toile se fait dessous, & qu'elle est brochée, pour lors on fait lever trois lisses de chaîne, au-lieu des trois de rabat qu'on fait baisser quand l'endroit est dessus ; après quoi on continue le travail comme aux autres étoffes.

Armure d'un tissu de couleur, l'endroit dessus ; on peut sur la même armure le fabriquer aussi beau dessous que dessus, sans l'armer différemment.


TISSURES. f. terme de Manufacture ; c'est la maniere ou l'art de fabriquer le tissu. Les tissures des brocards, des draps & des toiles, sont différentes : il y a des tissures frappées & serrées, & d'autres qui sont lâches ; des tissures à double broche ; des tissures croisées, & d'autres qui ne le sont pas ; toutes ces tissures différentes sont expliquées aux articles qui sont propres à la manufacture de chaque espece d'étoffe, qui sont du métier des diverses sortes de tisserands.


TITACIDAE(Géogr. anc.) municipe de la tribu Antiochide, selon Etienne le géographe. M. Spon, dans sa liste des bourgs de l'Attique, marque celui de Titacidae, dans la tribu Acantide. Ce bourg prenoit son nom du héros Titacus, qui livra Apidna à Castor & Pollux, lorsqu'ils vinrent dans l'Attique, pour tirer leur soeur Hélène des mains de son ravisseur Thésée, comme le rapporte Hérodote. (D.J.)


TITANILE DE, (Géog. mod.) île de France, sur les côtes de Provence, dans le diocèse de Toulon. Cette île est la plus orientale des îles d'Hieres : c'est à cause de cela qu'on lui a donné le nom de Titan, c'est-à-dire du côté où se leve le soleil. Les Marseillois & les Grecs l'appelloient autrefois Hypoea l'inférieure, parce qu'à l'égard de Marseille, elle est audessous des autres : ensuite, dans le moyen âge, on lui a donné le nom de Cabaros. Elle peut avoir quatre mille pas de long, sur mille de large ; mais elle est toute dépeuplée. (D.J.)


TITANA(Géog. anc.) ville du Péloponnèse, dans la Sicyonie. Pausanias, l. II. c. xj. & xij. la met à soixante stades de Sicyone. On voyoit autrefois dans cette ville un temple d'Esculape, dont la statue étoit couverte d'une robe de laine & d'un manteau, ensorte qu'on ne lui voyoit que le visage, les mains, & la pointe des piés. Celle d'Hygia sa fille, déesse de la santé, étoit aussi tellement couverte, ou de ses habits, ou des cheveux que les femmes s'étoient coupés pour les lui offrir, qu'on avoit peine à la voir. Les statues d'Alexanor & d'Examérion étoient aussi dans ce temple ; ainsi que celle de Coronis, qui étoit de bois. Les habitans porterent cette derniere dans le temple de Minerve, où ils l'adoroient, brûlant toutes les victimes, à la réserve des oiseaux, qu'ils mettoient sur les autels ; quant aux serpens, consacrés à Esculape, les hommes n'osoient en approcher, & mettoient seulement la viande à l'entrée du lieu où ils étoient.

Près de Titana, on voyoit l'autel des vents, où le prêtre sacrifioit une nuit toutes les années, & faisoit certains mysteres en quatre fosses qui leur étoient dédiées, chantant même quelques vers magiques. Entre cette même ville & Sicyone, on trouvoit le temple des déesses nommées Séveres par les Athéniens, & Euménides par les Sicyoniens : on leur sacrifioit tous les ans, en un certain jour, des brebis pleines, de même qu'aux parques dont les autels étoient près de-là. M. Fourmont découvrit en 1729. à deux lieues de Phliasia, sur un des bras de l'Asopus, un temple des dieux de la Titanie, où il trouva encore l'autel consacré à Titan même, avec une inscription en Boustrophédon.

2. Titana, ville d'Egypte, dont Claudien, in Phoenic. fait l'éloge dans ces vers :

Clara per Aegyptum placidis notissima sacris,

Urbs Titana colit.

On voit assez que par Titana, ce poëte entend la ville de Diospolis, ou la ville du soleil ; car le soleil a été aussi appellé Titan. (D.J.)


TITANIES. f. (Antiq. grecq.) ; fête qu'on célébroit dans quelques pays, en mémoire des Titans. Potter, Archaeol. graec. t. I. p. 433. (D.J.)


TITANO-KERATOPHYTONS. m. (Hist. nat. Bot.) nom que Boerhaave donne à une grande plante marine, qu'on trouve aux environs des côtes de la Norwege, & qui ressemble au keratophyton, avec cette différence qu'elle est chargée, & pour ainsi dire, incrustée d'une sorte de plâtre. (D.J.)


TITANSS. m. dans la Mythologie, fils d'Uranus ou de Coelus & de Vesta, c'est-à-dire du Ciel & de la Terre, selon l'explication d'Hésiode & d'Apollodore, ou de l'Air & de la Terre, suivant celle d'Hygin.

L'histoire & la généalogie des Titans est diversement racontée par les anciens auteurs, qui se sont fondés sur les traditions fabuleuses.

Apollodore, par exemple, compte six titans, savoir, Oceanus, Coelus, Hyperion, Crius, Japet, & Saturne ; Hygin en compte également six, dont à la reserve d'Hyperion, les noms sont tous différens, puisqu'il les appelle Briarée, Gigez, Sterope, Atlas, & Cottus. Il met par conséquent au nombre des Titans, les géans à cent mains, que beaucoup d'auteurs en ont distingués. D'autres enfin, à ces six freres, ajoutent cinq soeurs nommées Rhea, Themis, Mnémosyne, Phoebé, & Thétis ; & prétendent qu'ils firent tous aux hommes part de quelque découverte utile, qui leur en attira une reconnoissance éternelle.

Il est également difficile de concilier les sentimens des auteurs, sur les actions attribuées à ces titans ; les uns supposent qu'ils voulurent détroner Jupiter, & c'est bien le sentiment le plus commun ; mais quelques autres prétendent qu'il fut secouru par Briarée, Gigez, & Cottus, contre les autres Titans leurs freres, tandis que d'autres soutiennent que Briarée fut foudroyé par Jupiter.

Un autre sentiment veut que Coelus, après avoir engendré de sa femme Vesta les trois géans Briarée, Gigez, & Cottus, les enferma dans le Tartare ; que Vesta outrée de ce mauvais traitement, souleva les Titans contre leur pere, qu'ils détrônerent, & mirent à sa place Saturne, qui ayant aussi maltraité les géans, fut détrôné à son tour par Jupiter son propre fils, qui se défit ensuite des Titans.

D'autres enfin disent que Titan étoit fils aîné du Ciel & de Vesta, ou Titée, & frere aîné de Saturne ; que quoiqu'il fût l'ainé, il céda ses droits à Saturne à la priere de sa mere, à condition néanmoins que Saturne ne conserveroit aucun enfant mâle, afin que l'empire du ciel revînt à la branche aînée ; mais ayant appris que par l'adresse de Rhéa, trois fils de Saturne avoient été conservés & élevés en secret, il fit la guerre à son frere, le vainquit, le prit avec sa femme & ses enfans, & les tint prisonniers jusqu'à-ce que Jupiter ayant atteint l'âge viril, délivra son pere, sa mere & ses freres, fit la guerre aux Titans, & les obligea de s'enfuir au fond de l'Espagne, où ils s'établirent : ce qui a fait dire que Jupiter précipita les Titans dans le fond du Tartare.

Le pere Pezron, dans son antiquité des Celtes, prétend que les Titans ne sont point des hommes fabuleux, quoique les Grecs aient voilé leur histoire de beaucoup de fables. Selon lui les Titans sont les descendans de Gomer, fils de Japhet. Le premier fut Aimon qui régna dans l'Asie mineure ; le second eut nom Uranus, qui en grec signifie ciel ; celui-ci porta ses armes, & étendit ses conquêtes, jusqu'aux extrêmités de l'Europe & de l'Occident ; Saturne ou Chronos, fut le troisieme, il osa le premier prendre le titre de roi : car jusque-là, les autres n'avoient été que les chefs & les conducteurs des peuples soumis à leurs loix. Jupiter, le quatrieme des Titans fut le plus renommé. C'est lui qui par son habileté & ses victoires, forma l'empire des Titans, & le porta au plus haut point de gloire où il pût atteindre. Son fils Teuta ou Mercure, avec son oncle Dis, que nous nommons Pluton, établit les Titans dans les provinces d'Occident, & sur-tout dans les Gaules. Cet empire des Titans dura environ trois cent ans, & finit vers le tems que les Israélites entrerent en Egypte. Les Titans, ajoute le même auteur, surpassoient de beaucoup les autres hommes en grandeur & en force de corps : ce qui leur a fait donner par la fable le nom de géans.

Hésychius observe que titan signifie aussi un sodomite, & ajoute que c'est un des noms de l'Antechrist, auquel cas il faut l'écrire en grec par , afin qu'il renferme le nombre 666, qui dans l'Apocalypse, c. iij. vers. 18. font le nombre de la bête.


TITANUS(Géogr. anc.) nom d'un fleuve de l'Asie mineure, & d'une montagne de la Thessalie, selon Hésychius. (D.J.)


TITARESSUS(Géog. anc.) fleuve de la Thessalie. Vibius-Sequester, p. 85. qui dit qu'on le nomme aussi Orcus, ajoute qu'il se jette dans le Pénée, sans mêler ses eaux avec celles de ce dernier fleuve, mais en coulant dessus.

Lucain, l. VI. v. 375. & suiv. dont les meilleures éditions lisent Titaresos, dit que ce fleuve orgueilleux de sortir du Styx, fleuve respecté même par les dieux, dédaigne de mêler ses eaux avec celles d'une riviere commune.

Solus in alterius nomen cum venerit undae,

Defendit Titaresos aquas, lapsusque superne

Gurgite Penei pro siccis utitur arvis.

Hunc fama est, stygiis manare paludibus amnem,

Et capitis memorem, fluvii contagia vilis

Nolle pati, superûmque sibi servare timorem.

Ses eaux, disent les poëtes, en tombant dans celles du Pénée, surnageoient dessus comme de l'huile, c'est que les eaux de ce fleuve étoient fort grasses, à cause des terres par lesquelles elles passoient. Strabon dit que la source du Titaresus étoit nommée Styx, & qu'on la tenoit pour sacrée par cette seule raison. (D.J.)


TITARUS(Géog. anc.) montagne de la Thessalie. Strabon, l. IX. p. 441. dit qu'elle touchoit au mont Olympe, & que le fleuve Titaressus y prenoit sa source. (D.J.)


TITEou TITUL, (Géog. mod.) bourgade de la haute Hongrie, dans le comté de Bodrog, sur la rive droite de la Teisse, près de sa jonction avec le Danube. On croit que c'est le Tibiscum des anciens. (D.J.)


TITENUS FLUVIUS(Géog. anc.) fleuve de la Colchide ; il se jettoit dans le Pont - Euxin, & donna son nom à une contrée nommée Titenia, & par Valerius Flaccus Titania tellus. (D.J.)


TITHÉNIDIESS. m. (Antiq. grecq.) , fête des Lacédémoniens, dans laquelle les nourrices, nommées en grec , portoient les enfans mâles au temple de Diane Corythallienne, & pendant qu'on immoloit à la déesse de petits cochons pour la santé de ces enfans, les nourrices dansoient au pié de l'autel de la divinité. Voyez le détail des cérémonies de cette fête dans Potter, Archaeol. graec. l. II. c. xx. t. I. p. 432. & suiv. (D.J.)


TITHONS. m. (Mythol.) tout le monde sait ce que la Mythologie a feint de Tithon & de l'Aurore. La déesse l'aima éperdument, l'enleva dans son char, obtint de Jupiter son immortalité, & oublia de demander qu'il fût à l'abri des outrages du tems. Tithon ennuyé des infirmités de la vieillesse, souhaita d'être changé en cigale, & sa priere lui fut accordée par les dieux. Voila la fable, voici l'histoire.

Tithon, fils de Laomedon, & frere de Priam, étoit un prince aimable & très-bien fait de figure. Le royaume de la Troade, gouverné par Priam, dépendoit de l'empire d'Assyrie : Tithon alla à la cour du roi d'Assyrie, qui lui donna le gouvernement de la Susiane. Il s'y maria dans un âge avancé, & parce que sa femme étoit d'un pays situé à l'orient de la Grece & de la Troade, les Grecs qui tournoient toute l'histoire en fictions, dirent qu'il avoit épousé l'Aurore.

Mais un de nos poëtes modernes enchérissant sur l'ancienne mythologie, a fait des amours de Tithon & de l'Aurore, une nouvelle broderie, qui par sa délicatesse n'en est que plus propre à gâter l'imagination ; je n'en veux pour preuve que la morale qui couronne son conte ingénieux, car il ne faut pas être injuste dans ses critiques. L'auteur, après un tableau pittoresque de l'entrevue des deux amans, & de la résolution que l'Aurore, en quittant Jupiter, avoit formée de conserver les beaux jours de Tithon, ainsi qu'elle le lui déclare, sans y réussir, ajoute :

L'Amour couvrant leurs yeux de voiles séduisans,

Semble éloigner leurs destinées ;

Tithon ainsi dans la même journée

Se retrouve à quatre-vingt ans.

La déesse est en pleurs, sechez, dit-il, vos larmes,

J'ai vu de mon printems s'évanouir les charmes,

J'en regrette la perte, & ne m'en repens pas ;

Ce que j'eus de beaux jours, du moins, charmante Aurore,

Je les ai passé dans vos bras ;

Rendez-les moi, grands dieux, pour les reperdre encore !

&c. (D.J.)


TITHONI-REGIA(Géog. anc.) palais fameux de l'Ethiopie, sous l'Egypte. Quinte-Curce, l. IV. c. viij. dit que la curiosité de voir le palais de Memnon & de Tithon, emporta Alexandre presque audelà des bornes du soleil. Voyez Diodore de Sicile, l. II. (D.J.)


TITHOREA(Géog. anc.) ville de la Phocide, sur le mont Parnasse. Hérodote, l. VIII. n. 32, dit qu'auprès de la ville de Néon il y avoit une cime du Parnasse appellée Tithorea ; mais Pausanias, l. X. c. xxxij. après avoir rapporté le sentiment d'Hérodote, dit qu'il y a apparence que toute la contrée se nommoit autrefois Tithorea, & que dans la suite les habitans des villages voisins s'étant venus établir dans la ville de Néon, cette ville prit peu-à-peu le nom de Tithorea. Le mot est corrompu dans Plutarque, in Sylla, qui écrit Tithora pour Tithorea. Du tems de Sylla Tithore n'étoit pas une si grande ville que du tems que Plutarque écrivoit ; car ce n'étoit alors, dit-il, qu'une forteresse assise sur la pointe d'une roche escarpée de tous côtés, où les peuples de la Phocide fuyant devant Xerxès, s'étoient retirés autrefois, & y avoient trouvé leur salut. (D.J.)


TITHORÉES. f. (Mythol.) c'étoit une de ces nymphes qui naissoient des arbres, & particulierement des chênes. Elle habitoit sur la cime du mont Parnasse, à laquelle elle donna son nom, qui se communiqua dans la suite à tout le voisinage, & même à la petite ville de Néon en Phocide. (D.J.)


TITHRAS(Géog. anc.) bourg de l'Attique, dans la tribu Aegéïde, selon Etienne le géographe. Ce bourg, dit M. Spon, prenoit son nom de Tithras, fils de Pandion. Ce lieu étoit en réputation d'avoir des habitans très-méchans & des figues très-excellentes, selon le témoignage de Suidas, d'Aristophane & d'Athénée. Il est parlé du bourg de Tithras dans une ancienne inscription qui se trouve à Salamine & rapportée par M. Spon.


TITHRONIUM(Géogr. anc.) ou TETHRONIUM, selon Hérodote, ville de la Phocide. Pausanias, l. X. c. xxxiij. dit qu'elle étoit située dans une plaine à 15 stades d'Amphicléa, mais qu'on n'y voyoit rien qui fût digne de remarque. (D.J.)


TITIASS. m. (Mythol.) un des héros de l'île de Crete que l'on disoit fils de Jupiter. Le bonheur constant qu'il éprouva, le fit regarder comme un dieu, & lui valut après sa mort les honneurs divins ; on crut devoir l'invoquer pour obtenir une heureuse vie ; mais apparemment qu'il n'exauça personne, car son culte ne fut pas de longue durée. (D.J.)


TITICACA(Géog. mod.) île de l'Amérique méridionale, dans le Pérou, audience de Los-Charcas, au milieu d'un lac du même nom, qui passe pour être le plus large de toute l'Amérique. Cette île est seulement éloignée de demi-lieue de la terre-ferme, & elle n'a que cinq à six mille pas de circuit. (D.J.)


TITIENSS. m. pl. (Antiq. rom.) il y avoit à Rome un college de prêtres nommés les confreres titi ens, titii sodales, dont les fonctions étoient de faire les sacrifices & les cérémonies des Sabins. Tacite, dans ses annales, dit qu'ils furent établis par Romulus pour honorer la mémoire du roi Tatius dont le surnom étoit Titus. (D.J.)


TITILLATIONS. f. (Economie anim.) état d'un nerf tendu ; de façon que s'il l'étoit davantage, on auroit de la douleur. Ce que nous sentons, lorsqu'on nous chatouille les levres, ou le nez avec la barbe d'une plume, n'est pas de la douleur ; cependant ce sentiment ne peut être supporté long-tems : ce qui excite ces secousses, ces convulsions, ces tremblemens dans les nerfs, n'est point non plus de la douleur.


TITIMALou TITHYMALE, s. m. (Hist. nat. Bot.) tithymalus, genre de plante à fleur monopétale, campaniforme, en godet, découpé & entouré de deux feuilles qui semblent tenir lieu de calice. Le pistil est ordinairement triangulaire ; il sort du fond de la fleur, & devient dans la suite un fruit qui a la même forme que le pistil, & qui est divisé en trois loges dans lesquelles on trouve des semences oblongues. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.

Il n'y a guere de genre de plante plus étendu que celui des titimales ; Tournefort en compte soixante-trois especes, dans le nombre desquelles il y en a plusieurs d'étrangeres. Celles que les médecins connoissent le plus, sont le titimale des marais, les deux ésules, l'épurge & le petit titimale à feuille d'amandier. Tous les titimales rendent un suc laiteux qui dans quelques-uns est plus ou moins caustique.

Le titimale des marais, tithymalus palustris, fruticosus. I. R. H. 87, a la racine très-grosse, blanche, ligneuse, vivace & rampante. Elle pousse plusieurs tiges à la hauteur de deux ou trois piés, grosses environ comme le petit doigt, rougeâtres, rameuses, revêtues de feuilles alternes, unies, oblongues, vertes, approchantes de celles de l'épurge, mais beaucoup moins grandes, lesquelles périssent l'hiver avec les tiges. Les fleurs naissent au sommet des tiges & des rameaux, petites, jaunes, disposées comme en parasol ; ces fleurs sont de deux sortes, selon M. Linnaeus, les unes mâles ou stériles à cinq pétales, & les autres hermaphrodites à quatre pétales, entieres. Après que celles-ci sont passées, il leur succede des fruits relevés de trois coins en forme de verrue, & divisées en trois cellules, qui renferment chacune une semence presque ronde, remplie d'une substance ou moëlle blanche.

Cette plante croît sur les bords sablonneux des rivieres & autres lieux marécageux ; elle est commune en Allemagne le long du Rhin ; elle ne l'est guere moins en France le long de la Loire ; elle fleurit en Mai & Juin. Toute la plante est laiteuse comme les autres titimales, c'est-à-dire, empreinte d'un suc âcre, brûlant & caustique, qui cause à la bouche & aux gencives une inflammation assez durable ; passons aux ésules.

Les Apoticaires dans les différens pays ont coutume de donner différentes plantes sous le nom d'ésules, & ils choisissent celle qui est la plus commune parmi eux. Les uns emploient la racine de la petite ésule, d'autres celle de la grande ésule, & d'autres se servent de celle du titimale des marais. M. Tournefort croit qu'il ne faut pas les blâmer en cela, puisque ces plantes ont les mêmes vertus, & qu'on doit les préparer de la même maniere. On trouve dans les boutiques deux plantes sous le nom d'ésule, l'une qu'on appelle la petite ésule, & l'autre la grande.

La petite ésule, tithymalus cyparissias, I. R. H. 86, a la racine de la grosseur du doigt, ligneuse, fibreuse, & quelquefois rampante, d'une saveur âcre, piquante, & qui cause des nausées. Ses tiges hautes d'une coudée sont branchues à leur sommet. Ses feuilles naissent en très-grand nombre sur les tiges, d'abord semblables à celles de la linaire, molles, & ensuite il en naît de plus menues & capillacées, lorsque la tige se partage en branches. Ses fleurs viennent au sommet des rameaux disposées en parasol, & sont d'une seule piece, en grelot, verdâtres, & divisées en quatre parties arrondies ; leur pistil se change en un fruit triangulaire à trois capsules, qui contiennent trois graines arrondies. Toute cette plante est remplie de lait ; elle vient par tout le long des chemins & dans les forêts. Sa racine est seulement d'usage extérieurement.

Il sort encore de la même racine plusieurs petites tiges garnies de feuilles plus courtes, épaisses, arrondies, marquées en-dessous de points de couleur d'or. J. Bauhin n'y a remarqué aucune fleur, & Ray les regarde comme des avortons. On voit par-là, dit J. Bauhin, ce qu'il faut penser du tithymalus stictophyllus, thalii, ou du tithymalus cyparissias, foliis punctis, croceis, notatis, C. B. & du tithymalus foliis maculatis, Park. Ce titimale varie beaucoup, selon les différentes saisons & l'âge de la plante ; car souvent au printems elle porte une tête rougeâtre ou jaune. Il n'est pas surprenant que les Botanistes aient parlé avec tant de confusion & d'obscurité, des variétés que M. Tournefort a observées dans cette plante. Cependant il est facile de la distinguer des autres especes, selon la remarque de Ray, par ses racines rampantes, par sa tige peu élevée, par ses feuilles oblongues, étroites, vertes, molles & tendres, qui sont en grand nombre sur la tige, & qui ressemblent de telle sorte à celles de la linaire, qu'on y est trompé.

La grande ésule tithymalus folio pini, fortè Dioscoridis pithyusa, I. R. H. 86, vient dans les champs ; elle jette une racine grosse comme le pouce, longue d'un pié, un peu fibreuse, d'une saveur âcre. Ses tiges sont hautes d'une coudée, branchues, portant des feuilles semblables à celles de la linaire commune. Les découpures de ses fleurs ont la figure d'un croissant. Son fruit est triangulaire & à trois capsules. Toute cette plante est laiteuse. J. Ray soupçonne qu'elle est la même que la précédente.

La racine de la petite ésule, & surtout son écorce, purge fortement la pituite par les selles, mais elle trouble l'estomac, & cause des inflammations internes dans les visceres ; car si on avale un peu de cette écorce, elle laisse une impression de feu dans la gorge, dans l'oesophage & dans l'estomac même. C'est pour cela que les médecins prudens ont coutume de s'en abstenir ; ou du moins ils ne la donnent qu'après l'avoir adoucie ou tempérée de quelque façon.

L'épurge ou la catapuce ordinaire, tithymalus latifolius, cataputia dictus, I. R. H. 86, pousse une tige à la hauteur d'environ deux piés, grosse comme le pouce, ronde, solide, rougeâtre, rameuse en-haut, revêtues de beaucoup de feuilles, longues de trois doigts, semblables à celles du saule, disposées en croix, d'un verd bleuâtre & lisses. Ses fleurs naissent aux sommités de la tige & des branches, composées chacune de quatre petales, épaisses avec plusieurs étamines déliées, à sommets arrondis, entourées de deux feuilles pointues & jaunâtres qui semblent tenir lieu de calice. Quand ces fleurs sont passées, il leur succede des fruits plus gros que ceux des autres titimales, relevés de trois coins & divisés en trois loges qui contiennent chacune une semence grosse comme un grain de poivre, presque ronde, remplie d'une moëlle blanche.

Toute la plante jette un suc laiteux abondant, de même que les autres especes de titimale ; elle croît en tout pays, & fréquemment dans les jardins, où elle se multiplie tous les ans de graine jusqu'à devenir incommode ; elle fleurit en Juillet, & mûrit ses semences en Août & Septembre ; elle varie en grandeur, suivant l'âge, & a les feuilles plus larges ou plus étroites ; elle passe l'hiver, & périt lorsque sa graine est venue à maturité. Les mendians se servent ordinairement de son lait pour se défigurer la peau, & par ce moyen émouvoir la compassion des passans. Si les poissons mangent de ses feuilles ou de ses fruits jettés dans un étang ; ils viennent à la surface de l'eau couchés sur le côté, comme s'ils étoient morts, ensorte qu'on peut les prendre à la main ; mais on les fait bientôt revenir en les changeant d'eau.

Le petit titimale à feuilles d'amandier, tithymalus amygdaloïdes, angusti-folius, I. R. H. 86, a la racine d'un rouge brun en-dehors, blanche en-dedans, amere, âcre. Elle pousse plusieurs tiges à la hauteur d'environ un demi-pié, quelquefois d'un pié, grêles, garnies de beaucoup de feuilles longuettes, étroites, d'un verd de mer, d'un goût styptique, âcre & amer. Ses fleurs naissent aux sommets des tiges & des rameaux comme en parasol, composées chacune de quatre feuilles jaunes couleur d'herbe. Quand cette fleur est passée, il lui succede un fruit verdâtre, lisse, divisé en trois loges, dans chacune desquelles se trouve une graine roussâtre, bossue, applatie du côté qu'elle touche aux cloisons des loges.

Les pharmacologistes ont fait encore beaucoup d'especes de titimales dans la liste des remedes ; toutes ces especes possedent les mêmes propriétés médicinales. On a principalement employé leurs semences & leur racine pour l'usage intérieur. Les semences avalées entieres & les racines séchées & mises en poudre sont des purgatifs très-violens que les médecins n'ordonnent presque plus, même dans les hydropisies où le relâchement est le plus évident & le plus extrême. La poudre de racine de titimale n'est plus qu'un remede de charlatan, & les semences un remede de paysan, qui ne réussit même que chez les plus vigoureux.

C'est principalement de l'espece de titimale appellée épurge ou catapuce que les paysans prennent la semence ; & c'est l'ésule principalement dont la racine est usitée. C'est un ancien usage en pharmacie que de faire subir à cette racine ce qu'on appelle une préparation. Cette préparation consiste à en prendre l'écorce moyenne, à la faire macérer pendant vingtquatre heures dans du fort vinaigre, & à la faire sécher ensuite. On se propose par cette opération de corriger ou de châtrer la trop grande activité de ce remede, & on y réussit en effet, & même selon quelques auteurs, jusqu'au point de la trop affoiblir. La dose de racine d'ésule préparée est, selon les auteurs de matiere médicale, depuis un scrupule jusqu'à un gros en substance. Il est très - vraisemblable que la racine d'ésule même préparée est toujours un remede infidele & suspect.

Au reste la racine qu'on trouve dans les boutiques sous le nom de racine d'ésule, n'est pas toujours tirée de l'une ou de l'autre espece de titimale qui porte ce nom, savoir de la grande ou de la petite ésule. Les Apoticaires prennent indifféremment & gardent sous ce nom la racine de plusieurs autres especes de titimale, & ce n'est pas là une infidélité blamable, puisque les meilleurs juges en cette matiere assurent que toutes ces plantes ont les mêmes vertus. Tournefort, Geoffroi & le rédacteur du catalogue des remedes simples, qui est à la tête de la pharmacopée de Paris, sont de ce sentiment. (b)


TITIMALOIDESS. m. (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleur monopétale, qui a une espece de talon ; & dont le pistil devient dans la suite un fruit semblable à celui du titimale. Voyez TITIMALE. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.


TITIRou TITRI, s. m. (Hist. nat. Ichthyol.) poissons des îles Antilles, qu'on peut manger par centaine sur le bout de la fourchette : ils ne sont guere plus gros qu'une grosse épingle & plus petits de moitié. C'est ordinairement pendant la saison des pluies aux environs des pleines lunes, qu'on le trouve en si grande abondance à l'embouchure des petites rivieres peu profondes dont l'eau coule dans la mer, qu'il s'en fait une prodigieuse consommation dans tout le pays.

Cette espece n'est point particuliere ; c'est un mêlange de plusieurs sortes de petits poissons de mer nouvellement éclos, qui cherchent un asyle dans les ruisseaux où les gros ne peuvent entrer ni les poursuivre. On peut bien penser que ce poisson ne se prend pas à l'hameçon. La maniere de le pêcher est d'étendre au fond de l'eau une grande nappe ou un drap blanc chargé de quelques pierres pour l'assujettir. Le titiri, attiré par la blancheur, se rassemble par milliers, & le drap en étant tout couvert, on l'enleve par les quatre coins, & on recommence cet exercice jusqu'à-ce qu'on en ait rempli plusieurs petits baquets pleins d'eau qu'on a fait apporter exprès. Le titiri étant très-délicat, ne peut se garder long-tems. Il faut le manger tout-de-suite : la maniere de le préparer, est de commencer par le bien laver dans plusieurs eaux pour en séparer le sable dont il est toujours couvert ; on le fait cuire ensuite dans de l'eau avec du sel & des fines herbes, y ajoutant du beurre, si on se contente de le manger de cette façon. Autrement, après l'avoir retiré avec une écumoire, on le laisse s'égoutter, & on y fait une sauce liée : on peut encore le faire frire, en le saupoudrant de farine, ou bien en former des beignets, au moyen d'une pâte claire dont on rehausse le goût avec du jus de bigarade ou de citron.

Le titiri est blanc, gras, délicat & toujours très-bon, à quelque sauce qu'on l'accommode. Les Européens qui passent aux Isles, en sont très-friands : ce poisson est appellé pisquet par les habitans de la Guadeloupe : cependant il ne faut pas le confondre avec le pisquet proprement dit, & connu sous ce nom dans toutes les îles françoises : celui-ci est une espece particuliere qui n'excede guere la grosseur des petits éperlans. Article de M. le ROMAIN.


TITITLS. m. (Calend. des Méxic.) nom du seizieme des dix-huit mois de l'année des Méxicains. Comme l'année de ces peuples commence au vingt-sixieme de Février, & que chaque mois est de vingt jours, le mois tititl doit commencer le vingt - troisieme Décembre. (D.J.)


TITIUMFLUMEN, (Géog. anc.) fleuve de l'Illyrie. Pline, liv. III. ch. xxj. & xxij. fait entendre que ce fleuve se jettoit dans la mer à Sardona, & qu'il servoit de bornes entre la Liburnie & la Dalmatie. C'est le Titius dont Ptolémée, liv. II. ch. xvij. marque l'embouchure sur la côte entre Sadera Colonia & Scardona. (D.J.)


TITMONING(Géog. mod.) ville d'Allemagne dans l'archevêché de Saltzbourg, proche de la riviere de Saltza, sur les confins de l'électorat de Baviere, & à six milles de la ville de Saltzbourg. La peste y fit de grands ravages en 1310, & elle fut incendiée en 1571. Long. 30. 25. lat. 47. 54. (D.J.)


TITRES. m. (Hist. mod.) inscription qui se met au-dessus de quelque chose pour la faire connoître. Voyez INSCRIPTION.

Ce mot se dit plus particulierement de l'inscription que l'on met à la premiere page d'un livre, qui en exprime le sujet, le nom de l'auteur, &c. Voyez LIVRE.

Ce qui embarrasse un grand nombre d'auteurs, c'est de trouver des titres spécieux pour mettre à la tête de leurs livres. Il faut que le titre soit simple & clair : ce sont là les deux caracteres véritables de cette sorte de composition. Les titres fastueux & affectés forment des préjugés contre les auteurs. Les François donnent plus que les autres nations dans la fanfaronade des titres ; témoin celui de M. le Pays : Amitiés, Amours, Amourettes, à l'imitation duquel on a fait cet autre, Fleurs, Fleurons, Fleurettes, &c.

TITRE, en Droit civil & canon, signifie un chapitre ou une division d'un livre. Voyez CHAPITRE & TITRE.

Un titre est subdivisé en paragraphes, &c. Voyez PARAGRAPHE.

Chacun des cinquante livres du Digeste consiste dans un certain nombre de titres qui est plus grand dans les uns que dans les autres. Voyez DIGESTE.

TITRE est aussi un nom de dignité, de distinction ou de prééminence, qui se donne à ceux qui en sont décorés. Voyez NOBLESSE.

Loyseau observe que les titres de rang ou de dignité doivent toujours venir immédiatement après le nom de famille, & avant le titre de la charge. Voyez NOM.

Le roi d'Espagne emplit une page entiere de titres pour faire l'énumération de plusieurs royaumes & seigneuries dont il est souverain. Le roi d'Angleterre prend le titre de roi de la Grande-Bretagne, de France & d'Irlande : le roi de France, celui de roi de France & de Navarre : le roi de Suede s'intitule, roi de Suede & des Goths : celui de Danemarck, roi de Danemarck & de Norwege : celui de Sardaigne, entr'autres titres, prend celui de roi de Chypre & de Jérusalem : le duc de Lorraine porte le titre de roi de Jérusalem, de Sicile, &c. Voyez ROI, &c. Les cardinaux prennent pour leurs titres les noms de quelques églises de Rome, comme de Sainte-Cécile, de Sainte-Sabine, &c. On les appelle cardinaux, du titre de S te. Cécile, &c. Voyez CARDINAL.

L'empereur peut conférer le titre de prince ou de comte de l'empire ; mais le droit de suffrage dans les assemblées de l'Empire dépend du consentement des états. Voyez ÉLECTEUR & EMPIRE.

Les Romains donnerent aux Scipions les titres d'Africain, d'Asiatique, &c. à d'autres, ceux de Macédoniens, Numidiens, Crétiens, Parthiens, Daciens, &c. pour faire conserver le souvenir des victoires remportées sur ces peuples. Le roi d'Espagne imite cet exemple, en donnant des titres honorables aux villes de son royaume, en récompense de leurs services & de leur fidélité.

TITRE, est aussi une certaine qualité que l'on donne à certains princes, par forme de respect, &c. Voyez QUALITE.

Le pape porte le titre de sainteté : un cardinal prince du sang, celui d'altesse royale, ou d'altesse sérénissime, suivant qu'ils sont plus ou moins éloignés du trône : les autres cardinaux princes, celui d'altesse éminentissime : les simples cardinaux, celui d'éminence : un archevêque, celui de grandeur. [En Angleterre, celui de grace : & de très-révérend :] les évêques, celui de fort révérend : les abbés, prêtres, religieux, &c. celui de révérend. Voyez SAINTETE, ÉMINENCE, GRACE, REVEREND, PAPE, CARDINAL, &c.

Pour ce qui est des puissances séculieres, on donne à l'empereur, le titre de majesté impériale : aux rois, celui de majesté : au roi de France, celui de majesté très-chrétienne : au roi d'Espagne, celui de majesté catholique : au roi d'Angleterre, celui de défenseur de la foi : au turc, celui de grand-seigneur & de hautesse : au prince de Galles, celui d'altesse royale : aux princes du sang de France, celui d'altesse sérénissime : aux électeurs, celui d'altesse électorale : au grand-duc, celui d'altesse sérénissime : aux autres princes d'Italie & d'Allemagne, celui d'altesse : au doge de Venise, celui de sérénissime prince : à la république & au sénat de Venise, celui de seigneurie : au grand-maître de malthe, celui d'éminence : aux nonces & aux ambassadeurs des têtes couronnées, celui d'excellence, voyez EMPEREUR, ROI, PRINCE, DUC, ALTESSE, SERENITE, ÉMINENCE, EXCELLENCE, &c.

L'empereur de la Chine, parmi ses titres, prend celui de tien-su, c'est-à-dire, fils du ciel. On observe que les Orientaux aiment les titres à l'excès. Un simple gouverneur de Schiras, par exemple, après une pompeuse énumération de qualités, seigneuries, &c. ajoute les titres de fleur de politesse, muscade de consolation & de délices, &c.

Le grand-seigneur, dans ses patentes & dans les lettres qu'il envoie, soit aux princes étrangers, soit à ses bachas & autres officiers, prend les titres pompeux d'agent & d'image de Dieu. Tantôt il s'appelle tuteur du monde, gardien de l'univers, empereur des empereurs, distributeur des couronnes ; refuge & asyle des rois, princes, républiques & seigneuries affligées ; libérateur de ceux qui gémissent sous l'oppression des Infideles ; unique favori du ciel, chéri & redouté par-tout. Tantôt il se qualifie, propriétaire des célestes cités de la Mecque & de Médine, gardien perpétuel de la sainte Jérusalem. Souvent aussi il se dit, possesseur des empires de Grece & de Trébizonde, de soixante-dix royaumes, d'un nombre infini de peuples, terres & pays conquis en Europe, en Asie & en Afrique par l'épée exterminante des Musulmans ; & maître absolu de plusieurs millions de guerriers victorieux des plus grands fleuves du monde, des mers Blanche, Noire & Rouge, des palusméotides, &c. Ils en donnent aussi de singuliers aux princes chrétiens ; tels sont ceux qui étoient à la lettre, que Soliman aga présenta à Louis XIV. en 1669 de la part de Mahomet IV : Gloire des princes majestueux de la croyance de Jesus-Christ, choisi entre les grands lumineux dans la religion chrétienne, arbitre & pacificateur des affaires qui naissent dans la communauté des Nazaréens, dépositaire de la gravité, de l'éminence & de la douceur ; possesseur de la voie qui conduit à l'honneur & à la gloire ; l'empereur de France, notre ami, Louis, que la fin de ses desseins soit couronnée de bonheur & de prospérité.

Parmi les Européens, les Espagnols sur-tout, affectent d'étaler aussi des titres longs & fastueux. On sait que Charles-Quint ayant ainsi rempli de tous ses titres la premiere page d'une lettre qu'il adressoit à François premier, ce prince ne crut pouvoir mieux en faire sentir le ridicule, qu'en se qualifiant : François, par la grace de Dieu, bourgeois de Paris, seigneur de Vanvres & de Gentilly, qui sont deux petits villages au voisinage de Paris.

TITRE, (Jurisprud.) signifie quelquefois qualité, comme quand on dit titre d'honneur.

Titre est aussi quelquefois opposé à commende, comme quand on dit qu'un bénéfice est conféré en titre. On entend aussi par titre de bénéfice, quelque fonction qui a le caractere de bénéfice.

Titre se prend encore pour la cause en vertu de laquelle on possede, ou on réclame une chose.

Titre signifie aussi tout acte qui établit quelque droit ; les titres pris en ce sens se subdivisent en plusieurs especes.

Titre apparent est celui qui paroît valable quoiqu'il ne le soit pas.

Titre authentique est celui qui est émané d'un officier public, & qui fait une foi pleine & entiere.

Titre de bénéfice, voyez ce qui en est dit ci-dessus, & les mots BENEFICE & COMMENDE.

Titre clérical ou sacerdotal, est le fonds qui doit être assuré pour la subsistance d'un ecclésiastique, avant qu'il soit promu aux ordres sacrés.

Anciennement l'on n'ordonnoit aucun clerc sans lui donner un titre, c'est-à-dire sans l'attacher au service de quelque église, dont il recevoit de quoi subsister honnêtement.

Mais la dévotion & la nécessité ayant contraint de faire plus de prêtres qu'il n'y avoit de bénéfices & de titres, il a fallu y apporter un remede, qui est de faire un titre feint au défaut de bénéfice, en assurant un revenu temporel pour la subsistance de l'ecclésiastique.

Les conciles de Nicée & de Calcédoine, celui de Latran en 1179, le concile de Trente, ceux de Sens en 1528, de Narbonne en 1551, de Rheims & de Bordeaux en 1561, d'Aix en 1585, de Narbonne en 1609, de Bordeaux en 1624, & les quatre & cinquieme conciles de Milan, en ont fait un réglement précis.

L'ordonnance d'Orléans prescrit la même chose.

Un bénéfice peut servir de titre clérical, pourvû qu'il soit de revenu suffisant.

La quotité du titre clérical a varié selon les tems & les lieux. L'ordonnance d'Orléans n'exigeoit que 50 liv. de rente ; mais les dépenses ayant augmenté, il a fallu aussi augmenter à proportion le titre clérical. A Paris & dans plusieurs autres diocèses, il doit présentement être au moins de 150 liv. de revenu.

La constitution de ce titre ne peut être alterée par aucune convention secrette.

On ordonne pourtant sous le titre de religion, les religieux des monasteres fondés, & les religieux mendians, sous le titre de pauvreté. Quelquefois aussi les évêques ordonnent sous ce même titre, des clercs séculiers ; mais il faut en ce cas, qu'ils leur conferent au plus tôt un bénéfice suffisant pour leur subsistance ; & si c'est un évêque étranger qui ordonne l'ecclésiastique, en vertu d'un démissoire, c'est à l'évêque qui a donné le démissoire, à donner le bénéfice. Voyez les mémoires du clergé, d'Héricourt, & les mots CLERC, ECCLESIASTIQUE, ORDRES SACRES, PRETRISE.

Titre coloré est celui qui paroît légitime, & qui a l'apparence de la bonne foi, quoiqu'il ne soit pas valable, ni suffisant pour transferer seul la propriété, si ce n'est avec le secours de la prescription. Voyez POSSESSION, PRESCRIPTION.

Titre constitutif est le premier titre qui établit un droit, ou une chose. Voyez ci-après TITRE DECLARATIF & TITRE ÉNONCIATIF.

Titres de la couronne, ce sont les chartres & autres pieces qui concernent nos rois, les droits de leur couronne, & les affaires de l'état. Voyez CHARTRES DU ROI & TRESOR DES CHARTRES.

Titre déclaratif est celui qui ne constitue pas un droit, mais qui le suppose existant, & qui le rappelle.

Titre énonciatif est celui qui ne fait qu'énoncer & rappeller un autre titre, & qui n'est pas le titre même sur lequel on se fonde.

Titre exécutoire est celui qui emporte l'exécution parée contre l'obligé, comme une obligation ou un jugement expédiés en forme exécutoire. Voyez OBLIGATION, JUGEMENT EXECUTOIRE, EXECUTION PAREE, FORME EXECUTOIRE.

Titres de famille, ce sont les extraits de baptêmes, mariages & sépultures, les généalogies, les contrats de mariages, quittances de dot & de douaire ; les donations, testamens, partages & autres actes semblables, qui ont rapport à ce qui s'est passé dans une famille.

Titre gratuit est celui par lequel on acquiert une chose sans qu'il en coûte rien. L'ordonnance des donations porte qu'à l'avenir il n'y aura que deux formes de disposer de ses biens à titre gratuit ; savoir, les donations entre vifs, & les testamens ou codicilles.

Titre lucratif est celui en vertu duquel on gagne quelque chose, comme une donation ou un legs. Par le terme de titre lucratif, on entend souvent la cause lucrative, comme le legs, plutôt que le titre ou acte qui est le testament ou codicille contenant le legs.

C'est une maxime, en fait de titres ou de causes lucratives, que deux titres de cette espece ne peuvent pas concourir en faveur d'une même personne ; ce n'est pas que l'on ne puisse faire valoir les deux titres, en corroborant l'un par l'autre, cela veut dire seulement que l'on ne peut pas exiger deux fois la même chose en vertu de deux titres différens.

Titre nouvel, c'est proprement renovatio tituli ; c'est la reconnoissance que l'on fait passer à celui qui doit quelque somme ou quelque rente, soit pour empêcher la prescription, soit pour donner l'exécution parée contre l'héritier de l'obligé. Le titre nouvel tient lieu du titre primitif, & y est toujours présumé conforme, à moins qu'il n'y ait preuve du contraire. Voyez TITRE PRIMITIF.

Titre onéreux est celui par lequel on acquiert une chose, non pas gratuitement, mais à prix d'argent, ou moyennant d'autres charges & conditions, comme un contrat de vente ou d'échange, un bail à rente. Voyez TITRE GRATUIT, ACHAT, VENTE, ECHANGE, &c.

Titre présumé est celui que l'on suppose exister en faveur de quelqu'un, & que cependant on reconnoît ensuite qu'il n'a pas.

Titre primitif ou primordial, est le premier titre qui établit un droit ou quelque autre chose, à la différence des titres seulement déclaratifs ou énonciatifs, qui ne font que supposer le droit où en est encore le titre, & du titre nouvel qui est fait pour proroger l'effet du titre primitif.

Titre sacerdotal est la même chose que titre clérical. Voyez ci-devant TITRE CLERICAL.

Titre translatif de propriété, est celui qui a l'effet de faire passer la propriété de quelque chose, d'une personne à une autre, comme un contrat de vente, une donation, &c. à la différence du bail à loyer, du déport, & autres actes semblables qui ne transferent qu'une jouissance précaire.

Titre vicieux est celui qui est défectueux en la forme, comme un acte non signé ; ou au fond, comme une donation non acceptée par le donataire. C'est une maxime qu'il vaut mieux n'avoir pas de titre, que d'en avoir un vicieux. Il ne s'ensuit pourtant pas de-là que l'on ne puisse pas s'aider pour la prescription, d'un titre coloré qui seroit seul insuffisant pour transmettre la propriété, comme quand on a acquis d'un autre que le véritable propriétaire ; on entend en cette occasion par titre vicieux, celui dont le défaut est tel que la personne même qui s'en sert n'a pu l'ignorer, & qu'elle n'a pu prescrire de bonne foi en vertu d'un tel titre ; comme quand le titre de la jouissance est un bail à loyer, ou un séquestre, c'est le cas de dire qu'il vaudroit mieux n'avoir pas de titre, que d'en avoir un vicieux, parce que l'on peut prescrire par une longue possession sans titre ; au lieu que l'on ne peut prescrire en vertu d'un titre infecté d'un vice tel que celui que l'on vient d'expliquer, par quelque tems que l'on ait possédé. (A)

TITRE, (Hist. ecclés.) titulus ; c'est un des anciens noms donnés aux églises ou temples des premiers chrétiens. On sait qu'on les appelloit ainsi, parce que quand une maison étoit confisquée au domaine de l'empereur, la formalité que les officiers de justice observoient, étoit d'attacher au-devant de cette maison une toile où étoit le portrait de l'empereur, ou son nom écrit en gros caracteres, & cette toile s'appelloit titre, titulus : la formalité s'appelloit l'imposition du titre, tituli impositio. Or, comme cela marquoit que cette maison n'étoit plus à ses premiers maîtres, mais appartenoit à l'empereur, les Chrétiens imiterent cette maniere de faire passer une maison, du domaine d'un particulier, au service public de Dieu. Lorsque quelque fidele lui consacroit la sienne, il y mettoit pour marque une toile, où aulieu de l'image ou nom de l'empereur, on voyoit l'image de la croix ; & cette toile s'appelloit titre, comme celle dont elle étoit une imitation. De - là les maisons mêmes où étoient attachées les croix, furent appellées titres.

Il y a quelques auteurs qui aiment mieux faire venir le nom de titre, de ce que chaque prêtre prenoit son nom & titre de l'église dont il étoit chargé pour la desservir ; mais la premiere origine est plus vraisemblable, car on lit que le pape Evariste partagea les titres de Rome à autant de prêtres, l'an 112 de J. C. ce qui semble indiquer que les églises s'appelloient titres avant qu'elles fussent partagées aux prêtres. Il faut seulement remarquer que dans la suite, toutes les églises ne furent plus appellées titres ; & que ce nom fut seulement réservé aux plus considérables de Rome. (D.J.)

TITRE, (Poésie dramatiq.) ce que les Latins nomment titre, titulus, les Grecs l'appellent , enseignement, instruction. C'étoit autrefois la coutume de mettre des titres ou instructions à la tête des pieces de théatre ; & cet usage apprenoit aux lecteurs dans quel tems, dans quelle occasion, & sous quels magistrats ces pieces avoient été jouées. Cependant on ne mettoit de titres qu'aux pieces qui avoient été jouées pour célébrer quelque grande fête, comme la fête de Cérès, celle de Cybèle, ou celle de Bacchus, &c. La raison de cela, est qu'il n'y avoit que ces pieces qui fussent jouées par l'ordre des magistrats. Mais il ne nous reste point de titre entier d'aucune piece grecque ou latine, non pas même de celles de Térence ; car on n'y trouve point le prix, c'est-à-dire l'argent que les édiles avoient payé à Térence pour chacune de ces pieces : & c'est ce qu'on avoit grand soin d'y mettre.

On poussoit même, dans la Grece, cette exactitude si loin, qu'on y marquoit les honneurs qu'on avoit fait au poëte, les bandelettes dont on l'avoit décoré, & les fleurs qu'on avoit semées sur ses pas. Mais cela ne se pratiquoit qu'en Grece, où la comédie étoit un art honnête & fort considéré ; au lieu qu'à Rome ce n'étoit pas tout-à-fait la même chose.

Il ne nous reste plus qu'à donner un exemple d'un des titres latins, mais tronqué ; c'est celui de l'Andrienne, la premiere comédie de Térence.

Titulus, seu didascalia.

Acta ludis Megalensibus, M. Fulvio & M. Glabrione aedilibus curulibus ; egerunt L. Ambivius Turpio. L. Attilius Praenestinus. Modos fecit Flaccus Claudii, tibiis paribus dextris & sinistris, & est tota graeca. Edita M. Marcello. C. Sulpicio Coss.

" Titre, ou la didascalie.

Cette piece fut jouée pendant la fête de Cybèle, sous les édiles curules Marcus Fulvius & Marcus Glabrio, par la troupe de Lucius Ambivius Turpio & de Lucius Attilius de Preneste. Flaccus affranchi de Claudius fit la musique, où il employa les flûtes égales, droites & gauches. Elle est toute grecque. Elle fut représentée sous le consulat de M. Marcellus & de C. Sulpicius ". (D.J.)

TITRE, terme d'Imprimeur ; c'est un petit trait qu'on met sur une lettre pour marquer quelque abreviation. (D.J.)

TITRE, terme de manufacture ; c'est la même que la marque que tout ouvrier est tenu de mettre au chef de chaque piece de sa fabrique. (D.J.)

TITRE, à la Monnoie ; on appelle ainsi en fait d'or & d'argent le degré de finesse & de bonté de ces métaux. Ce titre varie selon les degrés de la pureté du métal, il appartient aux souverains de fixer les especes d'or & d'argent.

Les souverains ordonnent sagement aux orfevres & aux autres ouvriers tant en or qu'en argent, de ne donner que de l'or à 24 carats, & de l'argent du titre de 12 deniers : le but de cette précaution est d'empêcher les ouvriers d'employer les monnoies courantes à la fabrique des ouvrages de leurs professions ; la perte qu'ils souffriroient en convertissant des matieres de moindres titres en des ouvrages de pur or, ou d'argent fin, a paru le plus sûr moyen pour leur éviter une tentation qui auroit été capable de ruiner le commerce par la rareté des especes : mais en prescrivant des loix séveres aux orfévres pour les obliger à donner du fin, & aux monnoyeurs, pour les engager après l'affinage, & la fabrique d'une quantité de matieres, de rendre tant d'especes de tel poids & de tel titre ; on a remarqué qu'il étoit presque impossible aux ouvriers d'atteindre, sans perte de leur part, au point prescrit par les loix. Il y a toujours quelques déchets dans les opérations, quelque perte de fin parmi l'alliage ou les scories qui demeurent ; on a cru qu'il étoit juste d'avoir quelque indulgence à cet égard, & de regarder le titre & le poids comme suffisamment fourni, lorsqu'ils en approchent de fort près ; & afin qu'on sût à quoi s'en tenir, les loix ont réglé jusqu'où cette tolérance seroit portée.

Par exemple, un batteur d'or qui fournit de l'argent au titre de 11 deniers 18 grains, est censé avoir fourni du fin, de l'argent d'aloi, quoiqu'il s'en faille 6 grains qu'il ne soit au titre de 12 deniers ; & qu'ainsi cet argent contienne 6 grains d'alliage : cette indulgence est ce qu'on appelle remede, c'est-à-dire moyen, pour ne point faire supporter à l'ouvrier des déchets inévitables.

Il y a deux sortes de remedes, celui qu'on accorde sur le titre, & celui qu'on accorde sur le poids. Le premier se nomme remede d'aloi ; l'autre remede de poids. Il y a pareillement foiblage d'aloi & foiblage de poids. C'est une diminution du titre ou du poids au-dessous du remede, ou de l'indulgence accordée par les loix ; c'est une contravention punissable. Quand l'or & l'argent sont considérablement audessous du titre prescrit par les loix, c'est de l'or bas & de bas argent ; quand l'or est au-dessous de dix-sept carats, on le nomme encore tenant or, s'il tire sur le rouge, & argent tenant or, s'il tire sur le blanc ; quand l'or est au-dessous de douze carats, & l'argent au-dessous de six deniers, c'est-à-dire, que l'or contient douze parties d'alliage avec douze de sa matiere, & que l'argent contient six parties ou plus de matieres étrangeres avec six d'argent véritable, ces métaux s'appellent billon, nom qu'on donne aussi à la monnoie de cuivre mêlée d'un peu d'argent, & à toutes les monnoies, même de bon titre & de bon aloi, mais dont le cours est défendu pour leur substituer une nouvelle fonte.

TITRE, terme de Chasse ; c'est un lieu ou un relais, où l'on pose les chiens, afin que quand la bête passera, ils la courent à-propos ; ainsi mettre les chiens en bon titre, c'est les bien poster. (D.J.)


TITRE-PLANCHES. m. terme de Libraire ; c'est le nom qu'on donne au titre d'un livre, lorsqu'il est gravé en taille-douce avec des ornemens historiés, & qui ont rapport à la matiere de l'ouvrage.


TITTHÉNIDIESS. f. pl. (Ant. grecq.) fête des Lacédémoniens, dans laquelle les nourrices portoient les enfans mâles dans le temple de Diane Corythallienne ; & pendant qu'on immoloit à la déesse de petits cochons pour la santé de ces enfans, les nourrices dansoient. Ce mot vient de , nourrice. (D.J.)


TITTLISBERG(Géog. mod.) montagne de Suisse, dans le canton d'Underwald ; c'est une des plus hautes de la Suisse, & son sommet est toujours couvert de neige.


TITUBATIONS. f. (Astrologie) voyez TREPIDATION.


TITUBCIA(Géog. mod.) ville de l'Espagne tarragonoise. Ptolémée, l. II. c. vj. la donne aux Carpétains. Quelques-uns veulent que ce soit aujourd'hui Xétafe, & d'autres Bayonne. (D.J.)


TITULAIRE(Jurisprud.) est celui sur la tête duquel est le titre d'un office ou d'un bénéfice.

Le titulaire d'un office est celui qui est pourvu dudit office ; le propriétaire est quelquefois autre que le titulaire. Voyez OFFICE.

En fait de bénéfice le titulaire est celui qui est pourvu du bénéfice en titre, à la différence de celui qui n'en jouit qu'en commende qu'on appelle abbé ou prieur commendataire, selon la qualité du bénéfice. Voyez les mots COMMENDE & BENEFICE. (A)

TITULAIRE, se dit, dans l'Ecriture, de la grosse bâtarde & de la grosse ronde, qui servent de titre dans tous ouvrages d'écriture. Voyez le volume des Planches de l'Ecriture.


TITYRESS. m. pl. (Ant. rom.) Strabon & d'autres auteurs admettent des tityres dans la troupe bacchique : ils avoient tout-à-fait la figure humaine ; des peaux de bêtes leur couvroient une petite partie du corps. On les représentoit dans l'attitude des gens qui dansent en jouant de la flûte : quelquefois ils jouoient en même tems de deux flûtes, & frappoient des piés sur un autre instrument appellé scabilla ou crupezia. Virgile & Théocrite employent le nom de tityres dans leurs bucoliques, & le donnent à des bergers, qui jouissant d'un grand loisir, s'amusent à jouer de la flûte en gardant leurs troupeaux. (D.J.)


TITYRUS(Géog. anc.) montagne de l'île de Créte, dans la Cydonie, qui étoit une contrée, ou une plage dans la partie occidentale de l'île, & qui prenoit son nom de la ville de Cydonia. Il y avoit sur cette montagne un temple nommé Dictynaeum Templum. (D.J.)


TITYUS(Mythol.) fils de la terre, dont le corps étendu couvroit neuf arpens : ainsi parle la fable. Tityus étoit, selon Strabon, un tyran de Panope, ville de Phocide, qui pour ses violences, s'attira l'indignation du peuple. Il étoit fils de la Terre, parce que son nom signifie terre ou boue. Il couvroit neuf arpens, ce que les Panopéens, selon Pausanias, entendent de la grandeur du champ où est la sépulture, & non de la grandeur de sa taille.

Homere prétend que ce tyran ayant eu l'insolence de vouloir attenter à l'honneur de Latone lorsqu'elle traversoit les délicieuses campagnes de Panope pour aller à Pytho, il fut tué par Apollon à coups de fleches, & précipité dans les enfers. Là, un insatiable vautour attaché sur sa poitrine, lui dévore le foie & les entrailles, qu'il déchire sans-cesse, & qui renaissent éternellement pour son supplice.

Rostroque immanis vultur adunco,

Immortale jecur tundens, foecundaque poenis

Viscera, rimaturque epulas, habitatque sub alto

Pectore, nec fibris requies datur ulla renatis.

Aeneid. l. VI. v. 597.

Cette fiction, dit Lucrece, nous peint les tourmens que causent les passions, qui, suivant les anciens, avoient leur siege dans le foie : " le véritable Titye est celui dont le coeur est déchiré par l'amour, qui est dévoré par de cuisantes inquiétudes, & travaillé par des soucis cruels. "

At Tityus nobis hic est, in amore jacentem

Quem volucres lacerant, at que exest anxius angor,

Aut aliae quaevis scindunt torpedine curae.

Il est singulier qu'après avoir représenté Tityus, comme un de ces fameux criminels du tartare, je doive ajouter que ce Tityus avoit cependant des autels dans l'île d'Eubée, & un temple où il recevoit des honneurs religieux ; c'est Strabon qui nous le dit. (D.J.)


TIVICA(Géogr. mod.) bourg que les géographes qualifient de petite ville d'Espagne en Catalogne, & dans la viguerie de Tarragone.


TIVIOLLE, (Géog. mod.) ou la Tive, riviere de l'Ecosse méridionale, dans la province de Tiviodale qu'elle traverse, & se jette dans la Twede. (D.J.)


TIVIOTDALE(Géog. mod.) province de l'Ecosse méridionale, le long de la riviere de Tiviot, dont elle emprunte le nom. Elle est bornée au nord par la province de Merch, au levant par celle de Liddesdale, & au couchant par celle de Northumberland. Elle est fertile en blé & en pâturage ; sa longueur est d'environ trente milles, & sa largeur moyenne de douze. (D.J.)


TIVOLIPIERRE DE, (Hist. nat.) en italien tevertino. C'est le nom qu'on donne à une pierre qui se trouve aux environs de Tivoli ; elle est d'une couleur de cendres mêlée de verdâtre, poreuse & remplie de taches brunes & de mica. Ce qui n'empêche point qu'elle ne fasse feu lorsqu'on la frappe avec de l'acier. M. d'Acosta met cette pierre parmi les grais, mais M. de la Condamine la regarde comme de la lave produite par des embrasemens de volcans. Les Italiens l'appellent aussi pietra tiburtina di Roma, ou il piperino di Roma. Voyez l'article LAVE.

TIVOLI, (Géog. mod.) en latin Tibur ; ville d'Italie, dans la campagne de Rome, sur le sommet applati d'une montagne, à douze milles au nord-est de Frescati, à égale distance au nord-ouest de Palestrine, & à seize milles au nord-est de Rome, proche la riviere de Teveronne.

Tivoli est à présent une ville médiocre, mal percée & mal pavée. On y compte sept églises paroissiales, plusieurs couvens, un séminaire, une église de jésuites, & pour forteresse un donjon quarré. L'évêché de cette ville est assez souvent occupé par des cardinaux, quoiqu'il ne vaille que deux mille écus romains de revenu. Longitude 30. 35. latitude 41. 54.

La cascade de Tivoli attire les regards des étrangers curieux. C'est une chûte précipitée de la riviere appellée autrefois l'Anio, & à présent Teveronne, dont le lit, d'une largeur assez médiocre, se retrécit en cet endroit de maniere qu'il n'a qu'environ 40 à 45 piés de large.

L'eau de ce fleuve est claire, quand il ne pleut point ; mais pour peu qu'il tombe de la pluie, elle se charge de beaucoup de limon, qui la trouble & l'épaissit. La premiere cascade est environ dix toises audessus du pont ; elle peut avoir 140 à 150 piés de hauteur.

Le rocher qui sert de lit à la riviere, & dont elle tombe en nappe, est coupé à plomb comme un mur, & les rochers sur lesquels elle se précipite, sont fort inégaux, divisés en plusieurs pointes qui laissent entr'elles des vuides, & comme des chemins tortus fort en pente, où l'eau convertie en écume, court avec rapidité. Il y a une autre cascade au-dessous du pont moins considérable que la premiere, & une troisieme encore plus petite ; la riviere semble se cacher tout-à-fait sous terre entre la seconde & la troisieme chûte. On observe à la cascade de Tivoli, que l'eau qui tombe de haut sur les corps inégaux, se partage comme une pluie déliée, sur laquelle le soleil dardant ses rayons, fait paroître les couleurs de l'arc-en-ciel à ceux qui sont dans une certaine situation, & à une certaine distance.

A demi-lieue de Tivoli est un petit lac fort profond, qui n'a que quatre à cinq cent pas de circuit, & dont l'eau est soufrée. Au milieu de ce lac, on voit quelques petites îles flottantes, toutes couvertes de roseaux. Ces îles flottantes viennent peut-être du limon raréfié par le soufre, qui surnageant & s'attachant à des herbages qui s'amassent dans ce marais, se grossit peu-à-peu de semblables matieres ; desorte que ces îles étant composées d'une terre poreuse & mêlée de soufre, cette terre se soutient de cette maniere, & produit des joncs de même que les autres terres marécageuses.

Mais les antiquités de Tivoli sont encore plus dignes de remarque. Cette ville, plus ancienne que Rome, étoit autrefois célebre par ses richesses, ses forces, & son commerce. Camille la soumit aux Romains l'an 403 de Rome. Sa situation qui lui donne un air frais, sa vue qui est la plus belle du monde ; enfin son terroir qui produit des vins excellens & des fruits délicieux ; tout cela, dis-je, engagea les Romains d'y bâtir des maisons de plaisance, entre lesquelles la plus fameuse étoit celle de l'empereur Adrien. Voyez VILLA Hadriani. On a trouvé dans la place de Tivoli, entr'autres antiquités, deux belles statues d'un marbre granit choisi & rougeâtre, moucheté de grosses taches noires. Ces deux statues représentent la déesse Isis ; & vraisemblablement l'empereur Adrien les avoit tirées d'Egypte pour orner sa maison de plaisance.

En approchant de la ville, on remarque sur le Ponte-Lucano, quelques inscriptions de Plautius Sylvanus, consul romain, l'un des sept intendans du banquet des dieux, & à qui le sénat avoit accordé le triomphe pour les belles actions qu'il avoit faites dans l'Illyrie.

On trouve sur le chemin de Tivoli, entre les oliviers, plusieurs entrées de canaux, dont la montagne avoit été percée avec un travail inoui, pour porter aux maisons l'eau de fontaine qu'on tiroit de Subiaco ; il y a des canaux creusés dans la montagne, qui ont près de cinq piés de hauteur, sur trois de largeur.

Totila, roi des Goths en Italie, ayant défait les armées des Romains, livra la ville de Rome au pillage, & fit passer au fil de l'épée les habitans de Tivoli, l'an 545 de J. C. au rapport de Procope. Les guerres des Allemands désolerent aussi cette ville ; mais Fréderic Barberousse en fit relever les murailles, & l'aggrandit. Le pape Pie II. y bâtit la forteresse dont j'ai parlé, & dont l'entrée porte l'inscription suivante, faite par Jean - Antoine Campanus.

Grata bonis, invisa malis, inimica superbis,

Sum tibi Tibur, enim sic Pius instituit.

Il ne faut pas s'étonner que tous les environs de Tivoli aient été décorés de maisons de plaisance, & qu'ils aient fait les délices de Rome chrétienne, comme ils firent autrefois celles de Rome payenne. Il est peu de lieu où l'on ait de meilleurs matériaux pour bâtir ; la pierre travertine ou le travertin, & la poussolane abondent dans le voisinage ; la terre y est propre à faire des briques ; le mortier de poussolane, & la chaux de travertin, & des cailloux du Teveronne, est admirable. On sait que dans le seizieme siecle le cardinal Hippolite d'Est choisit Tivoli pour y élever un magnifique palais & des jardins somptueux ; dont Hubert Folietta donna lui-même une description poétique & intéressante. On peut aussi voir l'itinéraire d'Italie de Jerôme Campugniani.

Cette ville a donné la naissance à Nonius Marcellus, grammairien connu par un traité de la propriété du discours, de proprietate sermonum, dans lequel il rapporte divers fragmens des anciens auteurs, que l'on ne trouve point ailleurs. La meilleure édition de cet ouvrage a été faite à Paris en 1614, avec des notes. (D.J.)


TIVOLI-VECCHIO(Géog. mod.) lieu d'Italie, sur le chemin de Tivoli à Frescati ; ce sont les masures de Villa Hadriani, c'est-à-dire de la maison de plaisance de l'empereur Hadrien, que les paysans du pays appellent Tivoli-vecchio. Voyez VILLA HADRIANI. (D.J.)


TLACAXIPEVALITZILTS. m. (Calend. des Mexicains) nom du premier des dix-huit mois des Mexicains ; il commence le 26 Février, & n'est que de vingt jours, comme tous les autres mois. (D.J.)


TLACHTLIS. m. (Hist. mod.) espece de jeu d'adresse, assez semblable au jeu de la paume, qui étoit fort en usage chez les Mexicains lorsque les Espagnols en firent la conquête. Les balles ou pelotes dont ils se servoient pour ce jeu étoient faites d'une espece de gomme qui se durcissoit très-promtement (peut-être étoit - ce celle qui est connue fous le nom de gomme élastique) ; on poussoit cette pelote vers un mur, c'étoit l'affaire des adversaires d'empêcher qu'elle n'y touchât. On ne poussoit ou ne repoussoit la pelote qu'avec les hanches ou avec les fesses, qui pour cet effet étoient garnies d'un cuir fortement tendu. Dans les murailles on assujétissoit des pierres qui avoient la forme d'une meule, & qui étoient percées dans le milieu, d'un trou qui n'avoit que le diamêtre pour recevoir la pelote ; celui qui avoit l'adresse de l'y faire entrer gagnoit la partie & étoit le maître des habits de tous les autres joueurs. Ces tripots étoient aussi respectés que des temples ; aussi y plaçoit-on deux idoles ou dieux tutélaires, auxquels on étoit obligé de faire des offrandes.


TLAHUILILLOCANS. m. (Hist. nat. Botan.) grand arbre du Mexique, dont le tronc est uni, d'un rouge éclatant, & d'une odeur très-pénétrante ; les feuilles ressemblent à celles d'un olivier, & sont disposées en forme de croix ; cet arbre fournit une résine.


TLALAMATou TLACIMATL, s. m. (Hist. nat. Bot.) plante de la nouvelle Espagne, que les habitans du Mechoacan nomment yurintitaquaram, & les Espagnols herbe de Jean l'infant ; ses feuilles sont rondes, disposées de trois en trois, & semblables à la nummulaire : sa tige est purpurine & rampante ; ses fleurs sont rougeâtres & en forme d'épis ; sa semence petite & ronde, sa racine longue, mince, & fibreuse ; on dit qu'elle est astringente ; qu'elle guérit toutes sortes de plaies ; qu'elle mûrit les tumeurs ; qu'elle soulage les douleurs causées par les maux vénériens ; qu'elle appaise les inflammations des yeux ; & enfin qu'elle tue la vermine.


TLANHQUACHULS. m. (Hist. nat. Ornithol. exot.) nom d'un oiseau du Brésil, à long cou & à bec fait en dos de cueiller ; il est de la nature du héron, d'un caractere vorace, mangeant le poisson vivant, & le refusant quand il est mort ; tout son plumage est d'un rouge éclatant, avec un collier noir qui entoure toute la partie supérieure de son cou ; il est fort commun sur le rivage de la mer & des rivieres. (D.J.)


TLANTLAQUACUITLAPILLES. m. (Hist. nat. Bot.) c'est le nom sous lequel les Mexicains désignent la plante plus connue en Europe sous le nom de mechoacan. Voyez cet article.


TLAPALEZPATLIS. m. (Hist. nat. Bot.) grand arbrisseau du Mexique, qui quelquefois devient de la grosseur & de la grandeur d'un arbre entier. Ses feuilles ressemblent à celles des pois ; ses fleurs sont d'un blanc sale & disposées en épics ; son bois teint l'eau d'une couleur bleue ; on lui attribue des vertus merveilleuses contre les maux des reins, la gravelle & la pierre : macéré dans l'eau, ce bois perd au bout de quinze jours toutes ses vertus : c'est, dit-on, le même bois qui est connu sous le nom de bois nephrétique.


TLAQUATZINS. m. (Hist. nat. Zoolog. exot.) espece de gros écureuil de la nouvelle Espagne ; il a le museau long & menu, la tête petite, de petits yeux noirs, le poil long, blanchâtre & noir au bout ; sa queue est longue d'environ deux palmes ; il s'en sert ordinairement pour se suspendre aux arbres, où il grimpe avec une extrême vîtesse : ce n'est-là qu'une description de voyageur. D'autres écrivains prétendent que le tlaquatzin est le nom que les Américains donnent à l'opossum ; enfin Hernandès nomme le cuonda tlaquatzin épineux ; c'est une espece de porc-épic du Brésil. (D.J.)


TLASCALou TLAXCALLAN, (Géog. mod.) gouvernement de l'Amérique septentrionale, dans la nouvelle Espagne, & dans l'audience de Mexico. Ce gouvernement s'étend d'une mer à l'autre : il est borné au nord par le golfe du Mexique, au midi par la mer du sud, & au couchant par le gouvernement de Mexico : sa ville principale lui donne son nom. (D.J.)

TLASCALA ou TLAXCALLAN, (Géog. mod.) ville de l'Amérique, dans la nouvelle Espagne, au gouvernement de ce nom, dont elle est la capitale, sur le bord d'une riviere ; sous Montezuma cette ville étoit magnifique, & formoit une république considérable. Elle n'est plus à-présent que le siége d'un juge nommé alcald-mayor : son évêché a été transféré à Puebla-de-los-Angelos : les habitans sont des Espagnols & des Indiens mêlés ensemble, les premiers riches & les derniers très-pauvres. Latit. 19. 38. (D.J.)


TLAYOTICS. m. (Hist. nat.) nom que les habitans de la nouvelle Espagne donnent à une pierre de leur pays, & qu'ils estiment souveraine contre la colique ; c'est une espece de jaspe verd, approchant en nature de la pierre néphrétique. (D.J.)


TLÉONS. m. (Ophiol. exot.) c'est le nom qu'on donne à une espece de serpent du Brésil, grand à-peu-près comme la vipere ; il est couvert d'écailles blanches, noires, jaunes ; il habite sur les montagnes. Sa morsure est mortelle, si l'on n'y apporte du secours : les remedes qu'on y fait sont les mêmes dont on se sert pour la morsure de la vipere. (D.J.)


TLÉPOLÉMIESS. f. (Antiq. grecq.) après que Tlépoleme eut été tué à la guerre de Troie, on rapporta ses cendres dans l'île de Rhodes, & on institua en son honneur des sacrifices & des jeux, qui de son nom s'appellerent tlepolemia ; la couronne du vainqueur étoit de papier blanc. La plûpart des contrées ou des villes de la Grece, avoient de ces sortes de jeux, qui prenoient ordinairement leur dénomination du dieu, du héros, ou du lieu, junonia à Argos, herculeia à Thèbes, &c. (D.J.)


TLEUQUECHOLTOTOTL(Ornithol. exot.) nom d'un oiseau du Mexique, du genre des pies, & qui porte sur la tête une belle crête de plumes rouges. (D.J.)


TLILAYTI(Hist. nat. Minéral.) nom que les Mexicains donnent à une espece de jaspe d'une couleur obscure : ils sont persuadés qu'en appliquant cette pierre sur le nombril, elle dissipe les coliques les plus douloureuses.


TLOS(Géog. anc.) nom d'une ville de l'Asie mineure, dans la Lycie, au voisinage du mont Cragas, selon Ptolémée, & d'une ville de Pisidie, selon Etienne le géographe. (D.J.)


TMARUS(Géog. anc.) montagne de l'Epire, dans la Thesprotie. Strabon, liv. VII. p. 328. qui dit qu'on la nommoit aussi Tomarus, met un temple au pié de cette montagne. Pline & Solin écrivent pareillement Tomarus. C'est du nom de cette montagne que Jupiter est surnommé Tmarien, par Hésychius.

Les cent fontaines qui naissent au pié du mont Tmarus, sont célébrées par Théopompe. (D.J.)


TMESCHEDE(Géog. mod.) ville d'Allemagne, dans le comté d'Arnsperg, qui appartient aux archevêques de Cologne : elle est sur la riviere de Ruer, à deux lieues de la ville d'Arnsperg.


TMESES. f. (Gramm.) c'est une véritable figure de diction, comptée par les grammairiens dans les especes de l'hyperbate. Cette figure a lieu lorsque l'on coupe en deux parties un mot composé de deux racines élémentaires, & que l'on insere entre deux un autre mot ; comme septem subjecta trioni, Virg. pour subjecta septentrioni. Voyez HYPERBATE.


TMOLUS(Géog. anc.) montagne de l'Asie mineure, dans la Phrygie, & sur un des côtés de laquelle étoit bâtie la ville de Sardis. Homere, Catal. v. 373. dit que les Méoniens étoient nés au pié du Tmolus :

Qui aut Meonas adduxerunt sub Tmolo natos.

Denis le Périégete, v. 830. donne au Tmolus l'épithete de ventosus. D'autres ont vanté cette montagne comme un excellent vignoble. Virgile, Georg. l. II. v. 97. dit :

Sunt & Amineae vites, firmissima vina,

Tmolus & assurgit quibus, & rex ipse Phanaeus.

Et Ovide, Metam. l. VI. v. 15. s'exprime ainsi :

Deseruere sui nymphae vineta Timoli.

Ovide n'est pas le seul qui ait dit Timolus pour Tmolus. Pline, l. V. c. xxjx. nous apprend que c'étoit le nom ancien de cette montagne, qui antea Timolus appellabatur. Son sommet, selon le même auteur, l. VII. c. lxviij. se nommoit Tempsis.

Galien fait de Tmolus une montagne de Cilicie, & parle du vin tmolite, ainsi appellé de la montagne qui le produisoit. C'est toujours du même Tmolus dont il est question ; il pouvoit être placé dans la Cilicie, parce qu'on voit dans Strabon que les Ciliciens habiterent autrefois dans le quartier où est le mont Tmolus. Le fleuve Pactole avoit sa source dans cette montagne.

Les Turcs la nomment Bozdag, c'est-à-dire, montagne de joie. Il y avoit au pié de cette montagne une ville nommée Tmolus, qui fut renversée par le tremblement de terre, ainsi que celles d'Ephèse, de Philadelphie & de Temnus, la cinquieme année de Tibere ; mais ce prince les fit rebâtir, comme on le voit par la base de la statue colossale de cet empereur à Pouzzol. (D.J.)


TO-KEou SATSUKI, s. m. (Hist. nat. Bot.) c'est un cytise du Japon, dont on distingue plus de cent especes différentes. Il porte des lys, & ne fleurit qu'en automne. Ses fleurs sont rares, croissent une-à-une, & ne se ressemblent point. Les unes sont d'un bel incarnat, d'autres d'un écarlate un peu détrempé, d'autres blanches & doubles, d'autres d'un bel écarlate, d'autres couleur de pourpre tirant sur le blanc.


TOAM(Géog. mod.) Tuam, & Towmond, autrefois ville, maintenant simple bourg d'Irlande au comté de Galloway, dans la province de Connaught, dont elle a été la capitale, en-sorte qu'il y a un archevêque qui y réside encore. Longit. 8. 50. latit. 53. 25.


TOBIou TARANOO, s. m. (Hist. nat. Botan.) c'est une plante du Japon, qui par l'épaisseur de ses feuilles & par ses branches terminées en épis de fleurs, & appliquées contre la tige, ressemble, suivant la signification de son nom, à une queue de dragon. Ses feuilles sont étroites, inégalement dentelées. Ses fleurs sont d'un bleu clair, en forme de tuyau, & partagées en quatre levres. Voyez Kempfer.


TOBIELIVRE DE, (Critiq. sacrée) ce livre de l'Ecriture que le concile de Trente a déclaré canonique, finit la destruction de Ninive. Il fut d'abord écrit en chaldaïque par quelque juif de Babylone. C'étoit originairement, selon les apparences, un extrait des mémoires de la famille qu'il concerne, commencé par Tobie lui-même, continué par son fils, mis ensuite par l'auteur chaldéen dans la forme que nous l'avons maintenant.

S. Jérôme le traduisit du chaldaïque en latin, & sa version est celle de l'édition vulgate de la bible. Mais il y en a une version grecque qui est beaucoup plus ancienne ; car nous voyons que Polycarpe, Clément d'Alexandrie & d'autres peres plus anciens que S. Jérôme s'en sont servis. C'est sur celle-ci qu'a été faite la version syriaque, aussi-bien que l'angloise. L'original chaldaïque ne subsiste plus. A l'égard des versions hebraïques de ce livre, elles sont, aussi-bien que celle de Judith, d'une composition moderne.

Comme il est plus facile d'établir la chronologie de ce livre, que de celui de Judith, il n'a pas essuyé autant de contradictions de la part des savans. Les Juifs & les Chrétiens généralement le regardent comme une véritable histoire, à la reserve de certaines circonstances qui sont évidemment fabuleuses. Telles sont cet ange qui accompagne Tobie dans un long voyage sous la figure d'Azaria, l'histoire de la fille de Raguel, l'expulsion du démon par la fumée du coeur & du foie d'un poisson, & la guérison de l'aveuglement de Tobie par le fiel du même poisson ; ce sont-là autant de choses qu'on ne peut recevoir sans une extrême crédulité. Elles ressemblent plus aux fictions d'Homere qu'à des histoires sacrées, & forment parlà contre ce livre un préjugé où celui de Judith n'est point exposé.

Tel qu'il est pourtant, il peut servir à nous présenter les devoirs de la charité & de la patience, dans l'exemple de Tobie, toujours empressé à secourir ses freres affligés, & soutenant avec une pieuse résignation son esclavage, sa pauvreté, la perte de sa vue, aussi long-tems qu'il plaît à Dieu de le mettre à ces épreuves.

Les versions latines & grecques dont j'ai déja parlé, different en plusieurs choses, chacune rapportant des circonstances qui ne se trouvent pas dans l'autre. Mais la version latine doit céder à la grecque, car S. Jérôme, avant qu'il entendît la langue chaldaïque, composa sa version par le secours d'un juif, mettant en latin ce que le juif lui dictoit en hébreu, d'après l'original chaldaïque ; & de cette maniere il acheva cet ouvrage en un seul jour, comme il nous l'apprend lui-même. Une besogne faite si à la hâte & de cette maniere, ne peut qu'être pleine de méprises & d'inexactitudes. Il n'en est pas de même de sa version du livre de Judith. Il la fit dans un tems où par son application à l'étude des langues orientales, il s'étoit rendu aussi habile dans le chaldaïque qu'il l'étoit déja en hébreu ; il la composa d'ailleurs avec beaucoup de soin, comparant exactement les divers exemplaires, & ne faisant usage que de ceux qui lui paroissoient les meilleurs. Ainsi la version que ce pere a faite de ce livre, a un avantage sur la grecque à laquelle l'autre ne peut prétendre.

Si S. Jérôme a fait sa version de Tobie sur un bon exemplaire, & s'il ne s'est point mépris lui-même en la traduisant, toute l'autorité du livre est détruite par un seul endroit de sa version ; c'est le v. 7. du ch. xjv. où il est parlé du temple de Jérusalem comme déja brûlé & détruit : circonstance qui rend cette histoire absolument incompatible avec le tems où on la place. La version grecque ne donne point lieu à cette objection. Elle ne parle de cette destruction que par voie de prédiction, comme d'un événement futur, & non historiquement comme d'une chose déja arrivée, comme fait S. Jérôme. Malgré cela l'Eglise de Rome n'a pas laissé de canoniser la version de ce pere. Tout ce qu'on peut dire sur ce sujet, c'est que si le fonds de l'histoire de Tobie est véritable, l'auteur du livre y a mêlé plusieurs fictions qui la décréditent. (D.J.)


TOBITAS. m. (Hist. nat. Botan.) grand arbrisseau du Japon, qui ressemble par sa forme au cerisier, & sa fleur à celle de l'oranger, avec l'odeur de celle du sagapenum. Ses branches sont longues & partagées dans un même endroit en plusieurs rameaux ; son bois est mou, sa moëlle grosse ; son écorce raboteuse, d'un verd brun, grasse, se séparant aisément, & donnant une résine blanche & tenace. Ses feuilles dont le pédicule est court, sont disposées en rond autour des petites branches ; elles sont longues de deux ou trois pouces, fermes, grasses, étroites par le bas, rondes ou ovales à l'extrêmité, sans découpure, & d'un verd foncé par - dessus. Ses fleurs, dont le pédicule a près d'un pouce de long, sont ramassées en bouquets à l'extrêmité des rameaux, & font paroître l'arbre au mois de Mai, comme couvert de neige. Elles sont à cinq pétales, semblables en figure & en grandeur à celles d'un oranger, & d'une odeur très-agréable ; elles ont cinq étamines de même couleur que la fleur, mais rousses à leur pointe qui est assez longue, & un pistil court. Ses fruits sont parfaitement ronds, plus gros qu'une cerise, rouges, marqués de trois sillons, qui en automne deviennent autant de fentes profondes, couvertes d'une peau forte & grasse ; ses semences au nombre de trois sont rousses, à plusieurs angles, & leur substance intérieure est blanche, dure & d'une odeur très - fétide.


TOBIUS(Géog. anc.) fleuve de la grande Bretagne. Ptolémée, l. II. c. iij. marque son embouchure sur la côte occidentale, entre le promontoire Octapitarum, & l'embouchure du fleuve Ratostathylius. Le nom moderne est le Toweg, selon Cambden.


TOBOL(Géogr. mod.) Tobolsca, Tobolski, ville considérable de l'empire russien, capitale de la Sibérie, à environ 400 lieues au levant de Petersbourg, & à 160 au midi de Peresow. Elle est située d'un côté sur la rive droite de la grande riviere nommée Irtis, qui se jette dans l'Obi, & de l'autre côté sur celle de Tobol, qui lui donne son nom. Elle est habitée par des tartares grecs & mahométans, & par des russes. C'est la résidence d'un vice-roi, ou gouverneur général, nommé par la cour de Russie, dont la jurisdiction a une très-grande étendue, & le magasin des tributs en pelleteries que tout le pays paye à la Russie. Cette ville a un archevêque dont la jurisdiction spirituelle s'étend sur toute la Sibérie.

Les effets du vent du nord sont si terribles en Sibérie, qu'à Tobol, lorsque ce vent a soufflé trois jours de suite, on voit les oiseaux tomber morts. Au bout de trois jours, le vent tourne ordinairement au sud ; mais comme ce n'est qu'un reflux de l'air glacé de la nouvelle Zemble, que repousse le sommet du Poïas-Semnoï, il est aussi froid que le vent du nord même. Long. de Tobol, 50. lat. 57. 40. (D.J.)

TOBOL, le, (Géog. mod.) grande riviere de l'empire russien en Sibérie. Elle a sa source dans les montagnes qui confinent à la Sibérie & à la grande Tartarie, reçoit dans son cours plusieurs rivieres, & va se perdre dans l'Irtis, près de Tobol ou Tobolsca, qu'elle arrose d'un côté.


TOBRUS(Géog. anc.) ville de l'Afrique propre. Elle est marquée par Ptolémée, liv. IV. c. 3. au nombre des villes qui sont entre Thabraca & le fleuve Bagradas.


TOBULBA(Géog. anc.) ville d'Afrique, au royaume de Tunis, sur la côte, à quatre lieues de Monester. Marmol, descrip. d'Afrique, tome II. c. xxvij. en parle ainsi : Tobulba est une ville bâtie par les Romains. Elle étoit autrefois riche & fort peuplée, parce qu'elle avoit un grand territoire couvert d'oliviers. Elle a suivi la fortune de Suze, de Monester, & d'Africa, & elle a été à la fin si fort incommodée des guerres & des courses des Arabes, qu'elle s'est toute dépeuplée. Aujourd'hui ceux qui y demeurent reçoivent les étrangers qui y arrivent, & leur donnent dans un grand logis tout ce qui leur est nécessaire. Par-là ils se mettent à l'abri des insultes des Arabes, des Tunisiens & des Turcs, parce qu'ils les reçoivent bien, & les traitent tous également. Ptolémée marque cette ville sous le nom d'Aphrodisie à 36 degrés, 15 minutes de longitude, & à 32 degrés 40 minutes de latitude. (D.J.)


TOCS. m. (Jeu du) on l'appelle ainsi parce que le seul but des joueurs est de toucher & de battre son adversaire, ou de gagner une partie double ou simple par un jan ou par un plain. Ce jeu se regle comme le trictrac, c'est-à-dire qu'il faut pour y jouer un trictrac garni de quinze dames de chaque couleur, de deux cornets, de deux dez & de deux fichets pour marquer les trous ou parties. Il faut placer les dames de même qu'au trictrac, les empilant toutes sur la premiere lame de la premiere table, pour les mener ensuite dans la seconde, & y faire son plain ; il faut nommer le plus gros nombre de dez le premier, comme au trictrac. Les doublets ne s'y jouent aussi qu'une fois. Au jeu du toc l'on ne marque pas des points comme au jeu du trictrac, au - lieu de points on marque un trou ou deux, selon le nombre que l'on fait. Ce jeu se joue en plusieurs trous ; il est au choix des joueurs d'en fixer le nombre, & même l'on peut jouer au premier trou. Par exemple, j'ai mon petit jan fait à la reserve d'une demi-case, & au premier coup je fais mon petit jan par un nombre simple ; si c'étoit au trictrac je marquerois seulement quatre points, mais au toc, je marque le trou, & j'ai gagné la partie, parce qu'on a joué au premier trou. Si en commençant la partie on convient que le double ira, & de jouer au premier trou, alors si je remplis par deux moyens ou par un doublet, ou que je batte une dame par deux moyens ou par doublets, au-lieu que je fasse quelque jan, ou rencontre du jeu de trictrac par doublet, comme si je battois le coin, ou que commençant la partie je fisse jan de deux tables par doublet, ou jan de mézéas par doublet ; en ce cas je gagnerois le double, & celui contre qui je gagnerois me payeroit le double de ce que nous aurions joué. Ainsi il faut bien remarquer que les mêmes jans & coups de trictrac se rencontrent dans ce jeu tant à profit qu'à perte pour celui qui les fait. Lorsque l'on joue à plusieurs trous, celui qui gagne un trou de son dé peut s'en aller de même qu'au trictrac.


TOC-KAIES. m. (Hist. nat. Zoolog.) Pl. XIV. fig. 4. espece de lézard fort commun dans le royaume de Siam. On lui donne le nom de toc-kaie, parce qu'on distingue dans son cri la prononciation de ces deux mots : il se retire sur les arbres & dans les maisons ; il a une adresse surprenante pour aller de branches en branches, & pour marcher sur les parois verticales des murs les plus unis : il est deux fois plus gros que le lézard verd de ce pays-ci ; il a un pié six lignes de longueur depuis le bout des mâchoires jusqu'à l'extrêmité de la queue, & un peu plus de deux pouces & demi de circonférence prise à l'endroit le plus gros : la tête est triangulaire, & elle a environ un pouce & demi de largeur à sa base & un peu plus d'un pouce d'épaisseur ; le reste du corps est fait à-peu-près comme celui de nos lézards verds, à l'exception des piés qui ont une conformation différente ; les doigts sont garnis d'ongles pointus & courbes, & ils ont de plus chacun une membrane large, de figure ovale, & garnie en-dessous de petites pellicules paralleles entre elles & perpendiculaires à la membrane, ce qui donne à cet animal une très-grande facilité pour s'attacher aux corps les plus polis. L'oeil est fort grand à proportion des autres parties & très-saillant, la prunelle a quatre lignes & demie ; l'ouverture des oreilles se trouve située de chaque côté à un doigt de distance au-dessus des yeux, elle forme une cavité ovale & assez profonde. La face supérieure du corps est couverte d'une peau chagrinée, ses couleurs sont le rouge & le bleu mêlés par ondes : il y a le long du dos plusieurs rangées de pointes coniques d'un bleu pâle. La face inférieure est couverte d'écailles, & d'un gris de perles avec de petites taches roussâtres. Mémoires de l'académie royale des Sciences, par Perrault, t. III. part. II. Voyez LEZARD.


TOCAMBOAS. m. (Hist. nat. Botan.) fruit d'un arbre de l'île de Madagascar ; il ressemble à une petite poire, & a la propriété de faire mourir les chiens.


TOCANES. f. (Gramm. & Econ. rust.) c'est le vin nouveau de Champagne, sur-tout d'Ay, qui se boit aussi-tôt qu'il est fait, & qui ne peut guere se garder que six mois. La tocane est violente. L'abbé de Chaulieu en a fait le sujet d'un petit poëme très-agréable.


TOCANHOHAS. m. (Hist. nat. Botan. exot.) c'est un fruit de l'île de Madagascar qui donne la mort aux chiens. Il croît sur un arbre semblable à un poirier, dont le bois est extrêmement dur, massif, & susceptible du poliment. Ses feuilles sont de la longueur de celles d'un amandier, découpées de cinq ou six échancrures, à chacune desquelles il y a une fleur de la même forme & de la même couleur que celle du romarin, mais sans odeur. (D.J.)


TOCATou TOCCAL, (Géog. mod.) ville de la Turquie asiatique, dans l'Amasie, au pié d'une haute montagne, proche la riviere de Tosanlu, à 15 lieues au sud-est d'Amasie. Elle est bâtie en forme d'amphithéatre ; ses maisons sont à deux étages ; les rues sont pavées, ce qui est rare dans le Levant. Chaque maison a sa fontaine : on compte dans Tocat vingt mille turcs, quatre mille arméniens, quatre cent grecs qui ont un archevêque, & trois cent juifs. C'est la résidence d'un vaivode, d'un cadi & d'un aga. Le commerce y consiste en soie, dont on fait beaucoup d'étoffes, en vaisselle de cuivre, en toiles peintes & en maroquins.

Il faut regarder Tocat comme le centre de l'Asie mineure. Les caravanes de Diarbequir y viennent en dix-huit jours ; celles de Tocat à Sinope y mettent six jours. De Tocat à Pruse les caravanes emploient vingt jours ; celles qui vont en droiture de Tocat à Smyrne, sans passer par Angora, ni par Pruse, sont vingt-sept jours en chemin avec des mulets, mais elles risquent d'être maltraitées par les voleurs.

Tocat dépend du gouvernement de Sivas, où il y a un bacha & un janissaire aga. Tous les grecs du pays prétendent que l'ancien nom de Tocat étoit Eudoxia, ou Eutochia. Ne seroit-ce point la ville d'Eudoxiane que Ptolémée marque dans la Galatie pontique ? Paul Jove appelle Tocat, Tabenda, apparemment qu'il a cru que c'étoit la ville que cet ancien géographe appelle Tebenda. On trouveroit peut-être le véritable nom de Tocat sur quelques-unes des inscriptions qui sont, à ce qu'on dit, dans le château ; mais les turcs n'en permettent pas aisément l'entrée.

Après la sanglante bataille d'Angora, où Bajazet fut fait prisonnier par Tamerlan, le sultan Mahomet I., qui étoit un des fils de Bajazet, passa à l'âge de 15 ans, le sabre à la main, avec le peu de troupes qu'il put ramasser, au travers des tartares qui occupoient tout le pays, & vint se retirer à Tocat, dont il jouissoit avant le malheur de son pere ; ainsi cette ville se trouva la capitale de l'empire des Turcs ; & Mahomet I. ayant défait son frere Musa, fit mettre dans la prison de Tocat Mahomet Bey & Jacob Bey, qui étoient engagés dans le parti de son frere. Il paroît par ce récit que cette ville ne tomba pas alors en la puissance de Tamerlan ; mais ce fut sous Mahomet II. que Jusuf-Zez-Beg, général des troupes d'Uzum-Cassan, roi des Parthes, ravagea cette grande ville, & vint fondre sur la Caramanie. Sultan Mustapha, fils de Mahomet, le défit en 1473, & l'envoya prisonnier à son pere qui étoit à Constantinople.

La campagne de Tocat produit de fort belles plantes, & sur-tout des végétations de pierres qui sont d'une beauté surprenante. On trouve des merveilles en cassant des cailloux & des morceaux de roches creuses revêtues de crystallisations tout-à-fait ravissantes : il y en a qui sont semblables à l'écorce de citron confite ; quelques-unes ressemblent si fort à la nacre de perle, qu'on les prendroit pour ces mêmes coquilles pétrifiées ; il y en a de couleur d'or qui ne différent que par leur dureté de la confiture que l'on fait avec de l'écorce d'orange coupée en filets.

M. de Tournefort remarque que la riviere qui passe à Tocat n'est pas l'Iris ou le Casalmac, comme les géographes, sans en excepter T. Delisle, le supposent ; mais que c'est le Tosanlu qui passe aussi à Néocésarée ; & c'est sans-doute le Loup, Lupus, dont Pline a fait mention, & qui va se jetter dans l'Iris. Cette riviere fait de grands ravages dans le tems des pluies, & lorsque les neiges fondent. On assure qu'il y a trois rivieres qui s'unissent vers Amasia ; le Couleisar-Son, ou la riviere de Chonac, le Tosanlu, ou la riviere de Tocat, & le Casalmac qui retient son nom. Long. de Tocat, 53. 28. lat. 39. 32. (D.J.)


TOCAYMou TOCAIMA, (Géog. mod.) ville de l'Amérique méridionale, dans la Terre-ferme, au nouveau royaume de Grenade, sur le port de la riviere Pati, près de son confluent, avec celle de la Madelena. Le terroir de Tocayma abonde en pâturages & en fruits, comme figures, oranges, dattes, cannes de sucre ; cependant ses habitans vont presque nuds par indigence. (D.J.)


TOCCATA(Musique italienne) les Italiens appellent ainsi une espece de fantaisie ou prélude de musique, qui se joue sur les instrumens à clavier. Brossard. (D.J.)


TOCIA(Géog. mod.) ville d'Asie, dans les états du turc, sur la route de Constantinople à Ispahan, entre Cosizar & Ozeman. Son terroir est fertile en excellent vin. (D.J.)


TOCKAY(Géog. mod.) place forte de la haute Hongrie, dans le comté de Zemblin, au confluent du Bodrog & de la Teisse, à 16 lieues au midi de Cassovie. Le vin qui croît dans son terroir passe pour le plus délicieux de toute l'Europe. Long. 38. 42. latit. 48. 12. (D.J.)

TOCKAY, (Géog.) ville de la haute Hongrie, située au confluent de la Teisse & du Bodrog. Elle est renommée par les excellens vins de liqueur que l'on fait dans ses environs, & qui sont fort recherchés dans toute l'Europe. On a été jusqu'ici dans le préjugé que le territoire de Tockay ne fournissoit qu'une très-petite quantité de cet excellent vin ; mais ceux qui connoissent le pays, assûrent que le terrein où il croît occupe un espace de plus de sept milles d'Allemagne ou quatorze lieues de France ; les Hongrois appellent ce district hegy-allia, le pays sous les montagnes : il s'y trouve différens cantons qui produisent un vin tout aussi agréable que celui de Tockay. Ce qui rend ce vin rare, c'est qu'un grand nombre de vignes y demeurent en friche. On montre à Vienne, dans le cabinet de curiosités de l'empereur, un sep de vigne de Tockay, autour duquel s'est entortillé un fil d'or natif ; on le trouva en 1670 dans une vigne de ce canton. Voyez Keyssler, voyages, tome II.

TOCKAY, terre de, (Hist. nat.) terra Tocaviensis, nom que l'on donne à une terre qui se tire près de Tockay en Transylvanie, & que l'on regarde comme un puissant astringent. Quelques auteurs l'ont appellé bolus Pannonica & Hungarica.


TOCKENBOURG(Géog. mod.) comté de la Suisse, dépendant de l'abbaye de S. Gall. C'est un pays étroit entre de hautes montagnes, & qui avoit autrefois des seigneurs particuliers avec titre de comte. Le dernier, nommé Frideric, accorda par grandeur d'ame à ses sujets, au commencement du quinzieme siecle, de si grands privileges, qu'il les rendit en quelque maniere peuple libre.

Le Tockenbourg est considéré dans la Suisse comme un territoire important par sa situation, ses voisins, & le peuple qui l'habite. Il est séparé au nord du canton d'Appenzel par de hautes montagnes presque inaccessibles ; à l'orient & au couchant, par les terres du canton de Zurich. Il peut avoir en longueur cinq milles d'Allemagne, ou dix heures de chemin, & moitié en largeur. On distingue le pays en province supérieure & province inférieure, & chaque province est divisée en divers districts. Les habitans sont catholiques romains & réformés, & font ensemble environ neuf mille hommes, dont les deux tiers sont protestans.

Les deux religions sont réunies par un serment solemnel, que tous les Tockenbourgeois sont tenus de faire, savoir de conserver ensemble une concorde mutuelle. Ce serment précede même celui par lequel ils jurent le traité d'alliance & de combourgeoisie avec les cantons de Schwitz & de Glaris, alliance qui dure depuis 1440. Le terroir du pays abonde en graines, en prairies & en pâturages.

Le gouvernement est composé de membres en partie protestans & en partie catholiques, tirés des communautés de chaque religion. Dans les endroits où se fait l'exercice des deux religions, les Réformés & les Catholiques élisent conjointement les membres de leur grand-conseil, sans avoir égard à l'alliance ou à la parenté. Ce grand-conseil est le conservateur de la liberté publique. Dans les affaires de conséquence, il convoque l'assemblée générale du peuple qui en décide souverainement. Dans les petits conseils qui sont chargés d'examiner les affaires criminelles & les causes de peu d'importance, le grand - conseil en nomme les membres, & les tire également de chaque religion. Dans les justices inférieures du pays, il y a quelques communautés qui ont le droit d'élire leur amman. Dans d'autres, l'abbé de S. Gall nomme deux des chefs, & les habitans choisissent les autres. Enfin les Tockenbourgeois ont un gouvernement des plus sages & des mieux entendus pour leur bien-être. (D.J.)


TOCOUYS. m. (Commerce) sorte de toile qui se fait dans divers endroits de l'Amérique espagnole, sur-tout du côté de Buenos - Aires. (D.J.)


TOCROUR(Géog. mod.) ville de la Nigritie, sur la rive méridionale du Nil des negres, & à deux journées de Salah, selon Herbelot. (D.J.)


TOCSIou TOCSEING, s. m. (Lang. franc.) ce vieux mot françois signifie cloche élevée dans un clocher, & qu'on touche pour assembler le peuple ; on la portoit autrefois à la guerre pour sonner la charge, pour avertir que des ennemis paroissoient, &c. Dans Grégoire de Tours, le mot seing signifie le son d'une cloche. (D.J.)


TOCUYO(Géog. mod.) petite ville d'Amérique, dans la Terre-ferme, au nouveau royaume de Grenade, au gouvernement de Vénézuela, vers le midi de la nouvelle Ségovie. (D.J.)


TODDA-VADDIS. m. (Hist. nat. Botan. exot.) la plante nommée par les Malabares todda-vaddi, est une espece de sensitive ou mimose, comme disent les Botanistes, c'est-à-dire imitatrice des mouvemens animaux.

Toutes ses feuilles disposées ordinairement sur un même plan, qui forme une ombelle ou parasol, se tournent du côté du soleil levant ou couchant & se penchent vers lui, & à midi tout le plan est parallele à l'horison.

Cette plante est aussi sensible au toucher que les sensitives qui le sont le plus ; mais au lieu que toutes les autres sensitives ferment leurs feuilles en-dessus, c'est-à-dire en élevant les deux moitiés de chaque feuille pour les appliquer l'une contre l'autre, celle-ci les ferme en-dessous. Si lorsqu'elles sont dans leurs positions ordinaires, on les releve un peu avec les doigts pour les regarder de ce côté-là, elles se ferment aussi-tôt malgré qu'on en ait, & cachent ce qu'on vouloit voir. Elles en font autant au coucher du soleil, & il semble qu'elles se préparent à dormir. Aussi cette plante est-elle appellée tantôt chaste, tantôt dormeuse ; mais outre ces noms vulgaires qui ne lui conviendroient pas mal, on lui a donné quantité de vertus imaginaires, & il n'étoit guere possible que des peuples ignorans s'en dispensassent.

Cette plante aime les lieux chauds & humides, sur-tout les bois peu touffus, où se trouve une alternative assez égale de soleil & d'ombre. Hist. de l'acad. 1730. (D.J.)


TODDAPANNEtoddapanna, s. f. (Hist. nat. Botan.) genre de palmier dont les embryons naissent à l'extrêmité des branches, & adherent aux feuilles ; ils n'ont ni étamines, ni sommets, & ils deviennent dans la suite des fruits mous & charnus, qui renferment de petits noyaux dans lesquels il y a une amande. Pontederae, anthologia. Voyez PLANTE.


TODDIS. m. (Hist. nat.) espece de liqueur spiritueuse, assez semblable à du vin, que les habitans de l'Indostan tirent par des incisions qu'ils font aux branches les plus proches du sommet d'un arbre des Indes, & d'où il découle un suc qui est reçu dans des vaisseaux suspendus au-dessous des incisions. Cette opération se fait pendant la nuit, & l'on va enlever les vaisseaux de grand matin, en observant de reboucher les incisions qui ont été faites à l'arbre. C'est cette liqueur que les habitans nomment toddi, elle est claire, agréable & fort saine, si on la boit avant midi, c'est-à-dire avant la grande chaleur, alors elle ressemble à du vin nouveau ; mais si elle a essuyé la chaleur du jour, elle devient forte & propre à enivrer.


TODGA(Géog. mod.) contrée d'Afrique dans la Barbarie, à vingt lieues au midi du grand Atlas, & quinze de la province de Sugulmesse. Elle dépend d'un chérif, & n'a que quelques villages le long de la riviere qui la traverse & qui en prend le nom. (D.J.)

TODGA, la, (Géog. mod.) riviere d'Afrique dans la Barbarie. Elle prend sa source dans le grand Atlas, traverse la province de son nom, & se perd dans un lac, au midi de la ville de Sugulmesse. (D.J.)


TODI(Géog. mod.) en latin Tuder ou Tuderium ; ville d'Italie, dans l'état de l'Eglise, au duché de Spolete, sur une colline, proche le Tibre, à vingt milles de Pérouse & de Narni. Long. 30. 4. latit. 42. 45.

Cette ville, dont l'évêché ne releve que du saint siege, est la patrie de S. Martin pape, premier de ce nom. Il se jetta dans des querelles théologiques qui lui devinrent fatales. L'empereur Constant le fit arrêter, & le rélegua dans la Chersonese ; ce fut là qu'il finit ses jours en 655, six ans après son élévation sur la chaire de S. Pierre. (D.J.)


TODMA(Géog. mod.) ville du duché de Moscovie, au confluent des rivieres de Suchana & de Todma, à cent werstes de Wologda. Latit. septent. 60. 14. (D.J.)


TOEDTBERG(Géog. mod.) montagne de Suisse au canton des Grisons. Elle est très-difficile à monter, & passe pour une des plus hautes de toute la Suisse. (D.J.)


TOENIAvoyez FLAMBO.

TOENIA, voyez TAENIA.


TOENII(Géog. anc.) peuples de la Germanie, voisins d'un lac commun entr'eux, les Rhétiens & les Vindeliciens, selon Strabon, l. VII. p. 313. Où sont ces Toenii, dit Casaubon, & qui est celui des auteurs anciens qui en a parlé ? Aussi Casaubon ne balance-t-il pas à penser que ce mot est corrompu, & à la place de Toenios il substitue Boïos. Ce changement singulier n'est pas fait à la légere, c'est Strabon lui-même qui l'a dicté ; car, en parlant des peuples qui habitoient sur le lac de Bregentz, qui est le lac dont il est ici question, il nomme les Rhétiens, les Vindeliciens & les Boïens. (D.J.)


TOEPLITZ(Géog. & Hist. nat.) ville de Bohème, dans le cercle de Leutmeritz, à six milles de Dresde, & à dix milles de Prague ; elle est fameuse par ses eaux thermales.

Il y a encore un Toeplitz en Carinthie, dans le voisinage de Villach, où l'on trouve des eaux minérales chaudes. En général le mot Toeplitz signifie en langue slavone une source d'eaux thermales.


TOERALA, (Géogr. mod.) riviere de l'empire russien, dans la Sibérie. Ses environs sont habités par des tartares. (D.J.)


TOGATA(Littérature) épithete par laquelle on désignoit à Rome la comédie qui se jouoit avec l'habit de citoyen romain, appellé toga. (D.J.)


TOGES. f. (Hist. des habits rom.) toga ; habit particulier aux Romains, & qui leur couvroit tout le corps.

Le premier habit dont se soient servi les Romains étoit la toge ; que l'usage leur en soit venu des Lydiens ; que ceux-ci l'aient emprunté des Grecs ; qu'au rapport d'Artémidore, un roi d'Arcadie en ait laissé la mode aux habitans de la mer Ionienne ; ou que, pour parler avec plus de vraisemblance, Rome ne soit redevable de tous ces ajustemens, qu'au besoin & à la commodité, au commerce de ses voisins, au goût & au caprice même. Toutes ces recherches ne jettent aucun éclaircissement sur la forme & la diversité de cette espece d'habit. C'est donc assez de dire, que c'étoit une robe longue allant jusqu'aux talons, sans manches, & qui se mettoit sur les autres vêtemens.

La toge ordinaire, au rapport de Denys d'Halicarnasse, étoit un grand manteau d'étoffe de laine en forme de demi-cercle, qui se mettoit par-dessus la tunique. Cet habit étoit propre aux Romains ; ensorte que togatus & romanus étoient deux termes tellement synonymes, que Virgile appelle les Romains gens togata ; & c'est par cela même que ceux à qui ils permettoient de la porter, étoient censés jouir du droit de bourgeoisie romaine ; c'est encore pour cela qu'on appelloit gallia togata, la Gaule Césalpine ; & non pas, comme le dit Gronovius, la Gaule Narbonnoise, qui, au contraire, étoit nommée gallia braccata, à cause d'une maniere d'habillement toute différente. Enfin, le nom de togatus étoit si bien affecté aux Romains, que pour distinguer les piéces de théâtre dont le sujet étoit romain, des pieces de théâtre grecques, les premieres étoient appellées togatae, & les autres palliatae.

Il y avoit cependant dans les toges de grandes différences pour la longueur, pour la couleur, & pour les ornemens, selon la diversité des conditions, des professions, de l'âge, & du sexe.

Les femmes n'usoient point de la toge des hommes ; celle qu'elles portoient étoit longue comme nos simarres, & avoit les extrêmités bordées de pourpre, ou d'une autre couleur ; mais cet habit souffrit toutes les vicissitudes des modes, & prit enfin le nom de stole. Horace nous apprend, que les femmes répudiées pour adultere, étoient obligées de porter la toge des hommes ; & c'est dans ce sens que Martial a dit, lib. II. epist. 39.

Coccina famosae donas, & Janchina maechae ;

Vis dare quae meruit munera ? mitte togam.

Toga praetexta, fut inventée par Tullus Hostilius, troisieme roi des Romains, pour distinguer les gens de qualité ; c'étoit une longue robe blanche, avec une bande de pourpre au bas. Les enfans des patriciens la prenoient à l'âge de treize ans, car avant cet âge, ils ne portoient qu'une espece de veste à manches nommées plicata chlamys ; mais à treize ans, ils prenoient la prétexte jusqu'à ce qu'ils quittassent leur gouverneur. Lorsque Ciceron a fait ce reproche à Marc-Antoine,

Tenesne memoriâ praetextam te praecoxisse, decoxisse ?

c'est une allusion aux dépenses excessives que Marc-Antoine avoit faites dès sa tendre jeunesse, & qui avoient consumé une grande partie de sa fortune. Le jurisconsulte Ulpien dans la loi, vestis puerilis, ff. de auro & argento legato, met la toge prétexte dans le rang des habits que les jeunes gens ont accoutumé de porter jusqu'à l'âge de dix-sept ans.

Quand on avoit atteint cet âge, l'on prenoit une autre toge que l'on appelloit toga virilis. Ce jour-là étoit une grande fête dans les familles : le changement se faisoit dans le temple de Jupiter Capitolin, en présence des parens. On appelloit la même robe toga pura, parce qu'elle étoit blanche, sans aucun mêlange de couleurs.

Toga candida étoit une toge blanche, différente par la forme de la toge pure, & ne lui ressemblant que par la couleur ; les candidats revêtoient cette robe dans les brigues des charges ; & de - là vient qu'on les nomma candidati. Polybe de Mégalopolis cité dans Athénée, appelle en grec cette robe , d'un certain Tebenus arcadien qui l'inventa. Le même auteur parlant d'Antiochus dit : il ôta ses habits royaux pour prendre la toge blanche, , & briguer ainsi vêtu la magistrature qu'il desiroit.

Les nouveaux mariés portoient aussi une toge blanche d'un blanc éclatant, togam candidam, le jour des nôces, & dans les jours des fêtes & des réjouissances de leur mariage, selon le témoignage d'Horace, liv. II. sat. 2.

Toga pulla ou atra : cette toge étoit noire, marquoit le deuil, la tristesse & la pauvreté, les haillons étant les habits ordinaires des pauvres, que Pline appelle pullatum hominum genus ; & Quintilien, pullatus circulus & pullata turba. Au rapport de Suétone, dans la vie d'Auguste, num. 44. cet empereur défendit à tous ceux que l'on appelloit pullati, d'assister aux jeux dans le parterre : Sanxit nè quis pullatorum mediâ caveâ sederet. Il étoit aussi contre la bienséance de se trouver dans un festin avec cet habit noir, quelque beau qu'il fût ; d'où vient que Ciceron reproche à Vatinius, d'avoir paru à table chez Arius avec une toge noire : Quâ mente, dit-il, fecisti, ut in epulo Q. Arrii cum togâ pullâ procumberes.

Toga picta. Cette toge étoit ainsi appellée, ou parce qu'elle étoit remplie de différentes broderies faites à l'aiguille, ou parce que l'ouvrier en faisant l'étoffe, y avoit formé différentes figures & de diverses couleurs.

Toga purpurea, étoit la même robe que portoient les sénateurs, ornée de grandes fleurs de pourpre.

Toga palmata, étoit une robe semée de grandes palmes de pourpre, enrichie d'or ; les triomphateurs la portoient seulement le jour de leur triomphe. Paul Emile & le grand Pompée furent les seuls qui eurent la permission de la porter dans d'autres rencontres. Les empereurs prirent cette robe pour eux ; c'est pourquoi Martial, l. VII. epist. 1. s'adressant par une basse flatterie à la cuirasse de Domitien, lui dit : " Accompagne hardiment ton maître ; ne crains point les traits des ennemis, tant que tu couvriras sa divine personne ; marche, va lui aider à vaincre : mais ramene-le bien-tôt pour faire place à la toge palmée, brillante d'or & de pourpre. "

Toga rasa ; une toge de drap ras & sans poil. Martial, l. II. epist. 85. demande agréablement un habit à son ami : " Je vous envoye, dit-il, dans le tems froid des saturnales, une bouteille couverte d'osier, propre à garder de la neige ; si ce présent ne vous plaît pas, vengez-vous ; envoyez-moi une toge rase propre pour l'été ". Il y avoit cette différence entre trica toga & rasa toga, que l'étoffe de la premiere étoit rase par le tems, & que rasa toga signifioit toge, faite avec une étoffe fine & sans poil.

Toga pexa. Elle étoit faite d'une étoffe chaude, & dont on se servoit pendant l'hiver ; elle fut ainsi appellée à cause des grands poils dont elle étoit couverte, à spissitate. Martial, l. VII. appelle les draps pexa : il dit à Priscus :

Divitibus poteris musas elegosque sonantes

Mittere, pauperibus munera pexa dare.

Toga trabea, espece de toge blanche, bordée de pourpre, & parsemée de têtes de clous aussi de pourpre.

Toga regia, elle étoit faite d'une étoffe de laine, avec de l'or & de la pourpre, selon le témoignage de Pline, l. VIII. c. xlviij.

Toga vitrea, elle étoit faite d'une étoffe légere & transparente, que les censeurs obligeoient de porter ceux qui avoient commis certaines fautes, si nous en croyons Turnèbe, l. XIV. c. xix.

Toga forensis, étoit l'habillement des avocats. Simmaque parlant d'un avocat de son tems qui fut rayé du corps, dit : Epictetus togae forensis honore privatus est. Cassiodore appelle la dignité d'avocat, togata dignitas ; mais Apulée les nomme par une qualification odieuse, vultures togati ; on diroit qu'il parle de nos sangsues du palais.

Les jeunes avocats qui commençoient à fréquenter le barreau, portoient la toge blanche, togam candidam ; on les regardoit en effet comme des candidats qui briguoient le rang d'orateur. Antoine étoit ainsi vêtu quand il commença à parler contre Pompée ; mais ceux qui s'étoient acquis un rang distingué, portoient la toge de pourpre, en la ceignant de façon que les parties antérieures de la toge descendoient un peu au-dessous du genou ; ils la relevoient insensiblement à mesure qu'ils avançoient en matiere ; ensorte qu'elle avoit, pour ainsi dire, sa déclamation & son action, comme la voix : Ut vox vehementior ac magis varia est, sic amictus quoque habet actum quemdam velut praeliantem, dit Quintilien.

Toga militaris, étoit toute entiere à l'usage des soldats ; ils la portoient retroussée à la gabinienne.

Toga domestica, étoit la robe qu'on portoit seulement dans la maison, & avec laquelle on ne sortoit point en public. On quittoit aussi la toge pendant les saturnales, tems de plaisir & de liberté, qui ne s'accordoit point avec cet habit.

La forme en changea, sans-doute, suivant les tems, & c'est ce qui fait que les savans s'appuient sur divers passages des auteurs ; les uns, comme Sigonius, pour dire qu'elle étoit quarrée ; d'autres, comme le P. de Montfaucon, pour assurer qu'elle étoit toute ouverte par devant ; & d'autres, comme Ferrari, pour prétendre qu'elle n'étoit ouverte que par le haut pour la passer par-dessus la tête.

Elle devoit être fort ample dans le tems du déclin de la république ; car Suétone rapporte que Jules César se voyant blessé à mort par les conjurés, prit de sa main gauche un des plis de sa toge pour s'en couvrir le visage, & la fit descendre jusqu'en bas, afin de tomber avec plus de décence.

Il y avoit cette différence entre la toge des riches & celle des pauvres, que la premiere étoit fort large & avoit plusieurs plis, & que l'autre étoit fort étroite. Il arriva même que sous Auguste, le petit peuple ne portoit plus qu'une espece de tunique brune. L'empereur indigné de voir le peuple dans cet équipage, un jour qu'il le haranguoit, lui en marqua son ressentiment par ce vers prononcé avec mépris.

Romanos rerum dominos, gentemque togatam.

" Voyez comme ces Romains, ces maîtres du monde, sont habillés " ! Mais il eut été bien surpris, si quelqu'un lui eut répondu : César, c'est l'habit du changement de notre république en monarchie. (D.J.)


TOGISONUS(Géog. anc.) fleuve d'Italie, au pays des Vénetes, dans le territoire de Padoue. Pline, l. III. c. xvj. dit que les eaux de ce fleuve & celles de l'Adige formoient le port Brundulus. Le Togisonus se nomme aujourd'hui Bachiglione ou Bacchiglione. (D.J.)


TOILES. f. (Tisserand) tissu fait de fils entrelacés, dont les uns appellés fils de chaîne s'étendent en longueur, & les autres nommés fils de trême traversent les fils de la chaîne.

Les toiles se fabriquent sur un métier à deux marches par le moyen de la navette ; les matieres qu'on y employe le plus souvent, sont le lin, le chanvre & le coton.

Il y a des toiles de toute sorte de largeur & d'un nombre presqu'infini d'especes différentes.

Les ouvriers qui fabriquent les toiles, sont appellés toiliers, mais plus ordinairement tisserands. Voy. TISSERAND.

TOILE D'HOLLANDE, TOILE DE DEMI-HOLLANDE, on appelle ainsi des toiles très-fines & très-belles qui servent ordinairement à faire des chemises pour hommes & pour femmes. Elles viennent de Hollande & de Frise, & de quelques autres endroits des Provinces-Unies, d'où elles ont pris leur nom qu'on prononce presque toujours absolument, & sans y ajouter le mot de toile. Ainsi l'on dit de la Hollande, de la demi-Hollande ; mais on ne parle guere de la sorte que dans le commerce.

C'est à Harlem où se fait le plus grand négoce de ces toiles, d'autant que c'est en cette ville où elles sont presque toutes envoyées en écru des endroits de leur fabrique pour y recevoir dans le printems ce beau blanc que chacun admire.

Ces sortes de toiles dont la matiere est de lin, sont très-serrées, très-unies & très-fermes, quoique fort fines. Les plus belles & les plus estimées se font dans la province de Frise, ce qui fait qu'on les nomme par distinction toiles de Frise ou simplement frises.

Les toiles de Hollande ont pour l'ordinaire trois quarts & deux doigts de large, chaque piece contenant vingt - neuf à trente aunes mesure de Paris.

Il se fait encore en Hollande une sorte de grosse toile de chanvre écrue propre à faire des voiles de navire, qui est appellée dans le pays canefas.

On tire de Hollande, particulierement d'Amsterdam & de Rotterdam, certaines especes de toile dont la principale destination est pour l'Espagne, où elles sont appellées hollandillos. Ces toiles ne sont autre chose que des toiles de coton blanches des Indes.

Il se fait du côté de Gand & de Courtray certaines toiles auxquelles l'on donne le nom de toiles de Hollande.

Il y a d'autres toiles appellées demi-hollandes que l'on fabrique en Picardie. Il se manufacture encore en France des toiles auxquelles on donne le nom de toile demi-hollande truffette.

TOILE peinte des Indes, (Hist. des inventions) les toiles des Indes tirent leur valeur & leur prix de la vivacité, de la ténacité & de l'adhérence des couleurs dont elles sont peintes, qui est telle, que loin de perdre leur éclat quand on les lave, elles n'en deviennent que plus belles.

Avant que de se mettre à peindre sur la toile, il faut lui donner les préparations suivantes. 1°. On prend une piece de toile neuve & serrée, la longueur la plus commune est de neuf coudées ; on la blanchit à moitié ; nous dirons dans la suite comment cela se pratique. 2°. On prend des fruits secs nommés cadou ou cadoucaie, au nombre d'environ 25, ou pour parler plus juste, le poids de trois palams. Ce poids indien équivaut à une once, plus un huitieme ou environ, puisque quatorze palams & un quart font une livre. On casse ce fruit pour en tirer le noyau qui n'est d'aucune utilité. On réduit ces fruits secs en poudre. Les Indiens le font sur une pierre, & se servent pour cela d'un cylindre qui est aussi de pierre, & qu'ils employent à-peu-près comme les pâtissiers, lorsqu'ils broyent & étendent leur pâte. 3°. On passe cette poudre par le tamis, & on la met dans deux pintes ou environ de lait de bufle ; il faut augmenter le lait & le poids du cadou selon le besoin & la quantité des toiles. 4°. On y trempe peu de tems après la toile autant de fois qu'il est nécessaire, afin qu'elle soit bien humectée de ce lait ; on la retire alors, on la tord fortement, & on la fait sécher au soleil. 5°. Le lendemain on lave légerement la toile dans de l'eau ordinaire ; on en exprime l'eau en la tordant, & après l'avoir fait sécher au soleil, on la laisse au-moins un quart d'heure à l'ombre.

Après cette préparation qu'on pourroit appeller intérieure, on doit passer aussitôt à une autre, que l'on appellera, si l'on veut, extérieure, parce qu'elle n'a pour objet que la superficie de la toile. Pour la rendre plus unie, & pour que rien n'arrête le pinceau, on la plie en quatre ou en six doubles, & avec une piece de bois on la bat sur une autre piece de bois bien unie, observant de la battre par-tout également, & quand elle est suffisamment battue dans un sens, on la plie dans un autre, & on recommence la même opération.

Il est bon de faire ici quelques observations qui ne seront pas tout-à-fait inutiles. 1°. Le fruit cadou se trouve dans les bois sur un arbre de médiocre hauteur. Il se trouve presque par-tout, mais principalement dans le Malleialam, pays montagneux, ainsi que son nom le signifie, qui s'étend considérablement le long de la côte de Malabar. 2°. Ce fruit sec qui est de la grosseur de la muscade, s'employe aux Indes par les médecins, & il entre sur-tout dans les remedes que l'on donne aux femmes nouvellement accouchées. 3°. Il est extrêmement aigre au goût ; cependant quand on en garde un morceau dans la bouche pendant un certain tems, on lui trouve un petit goût de réglisse. 4°. Si après en avoir humecté médiocrement & brisé un morceau dans la bouche, on le prend entre les doigts, on le trouve fort gluant. C'est en partie à ces deux qualités, c'est-à-dire à son âpreté & à son onctuosité, qu'on doit attribuer l'adhérence des couleurs dans les toiles indiennes, surtout à son âpreté ; c'est au-moins l'idée des peintres indiens.

Il y a long-tems que l'on cherche en Europe l'art de fixer les couleurs, & de leur donner cette adhérence qu'on admire dans les toiles des Indes. Peut-être en découvrira-t-on le secret, si l'on vient à connoître parfaitement le cadoucaie, surtout sa principale qualité, qui est son extrême âpreté. Ne pourroit-on point trouver en Europe des fruits analogues à celui-là ? Les noix de galle, les neffles séchées avant leur maturité, l'écorce de grenade ne participeroient-elles pas beaucoup aux qualités du cadou ?

Ajoutons à ces observations quelques expériences qui ont été faites sur le cadou. 1°. De la chaux délayée dans l'infusion de cadou donne du verd ; s'il y a trop de chaux, la teinture devient brune ; si l'on verse sur cette teinture brune une trop grande quantité de cette infusion, la couleur paroît d'abord blanchâtre, peu après la chaux se précipite au fond du vase. 2°. Un linge blanc trempé dans une forte infusion de cadou contracte une couleur jaunâtre fort pâle ; mais quand on y a mêlé le lait de bufle, le linge sort avec une couleur d'orangé un peu pâle. 3°. Ayant mêlé un peu de notre encre d'Europe avec de l'infusion de cadou, on a remarqué au-dedans en plusieurs endroits une pellicule bleuâtre semblable à celle que l'on voit sur les eaux ferrugineuses, avec cette différence que cette pellicule étoit dans l'eau même, à quelque distance de la superficie. Il seroit aisé de faire en Europe des expériences sur le cadou même, parce qu'il est facile d'en faire venir des Indes, ces fruits étant à très-grand marché.

Pour ce qui est du lait de bufle qu'on met avec l'infusion du cadoucaie, on le préfere à celui de vache, parce qu'il est beaucoup plus gras & plus onctueux. Ce lait produit pour les toiles le même effet que la gomme & les autres préparations que l'on employe pour le papier afin qu'il ne boive pas. En effet on a éprouvé que notre encre peinte sur une toile préparée avec le cadou s'étend beaucoup, & pénétre de l'autre côté. Il en arrive de même à la peinture noire des Indiens.

Ce qu'il y a encore à observer, est que l'on ne se sert pas indifféremment de toute sorte de bois pour battre les toiles & les polir. Le bois sur lequel on les met, & celui qu'on employe pour les battre, sont ordinairement de tamarinier ou d'un autre arbre nommé porchi, parce qu'ils sont extrêmement compactes quand ils sont vieux. Celui qu'on employe pour battre, se nomme cattapouli. Il est rond, long environ d'une coudée, & gros comme la jambe, excepté à une extrêmité qui sert de manche. Deux ouvriers assis vis-à-vis l'un de l'autre battent la toile à-l'envi. Le coup d'oeil & l'expérience ont bientôt appris à connoître quand la toile est polie & lissée au point convenable.

La toile ainsi préparée, il faut y dessiner les fleurs & les autres choses qu'on veut y peindre. Les ouvriers indiens n'ont rien de particulier ; ils se servent du poncis de même que nos brodeurs. Le peintre a eu soin de tracer son dessein sur le papier ; il en pique les traits principaux avec une aiguille fine ; il applique ce papier sur sa toile ; il y passe ensuite la ponce, c'est-à-dire un nouet de poudre de charbon pardessus les piquures ; & par ce moyen le dessein se trouve tout tracé sur la toile. Toute sorte de charbon est propre à cette opération, excepté celui de palmier, parce que selon l'opinion des Indiens, il déchire la toile. Ensuite sur ces traits on passe avec le pinceau du noir & du rouge, selon les endroits qui l'exigent ; après quoi l'ouvrage se trouve dessiné.

Il s'agit maintenant de peindre les couleurs sur ce dessein. La premiere qu'on applique, est le noir. Cette couleur n'est guere en usage, si ce n'est pour certains traits, & pour les tiges des fleurs. C'est ainsi qu'on la prépare. 1°. On prend plusieurs morceaux de machefer ; on les frappe les uns contre les autres pour en faire tomber ce qui est moins solide. On réserve les gros morceaux, environ neuf à dix fois la grosseur d'un oeuf. 2°. On y joint quatre ou cinq morceaux de fer vieux ou neuf, peu importe. 3°. Ayant mis à terre en un monceau le fer & le machefer, on allume du feu par-dessus. Celui qu'on fait avec des feuilles de bananier, est meilleur qu'aucun autre. Quand le fer & le machefer sont rouges, on les retire, & on les laisse refroidir. 4°. On met ce fer & ce machefer dans un vase de huit à dix pintes, & l'on y verse du cange chaud, c'est-à-dire de l'eau dans laquelle on fait cuire le riz, prenant bien garde qu'il n'y ait pas de sel. 5°. On expose le tout au grand soleil, & après l'y avoir laissé un jour entier, on verse à terre le cange, & l'on remplit le vase de callou, c'est-à-dire de vin de palmier ou de cocotier. 6°. On le remet au soleil trois ou quatre jours consécutifs, & la couleur qui sert à peindre le noir, se trouve préparée.

Il y a quelques observations à faire sur cette opération. La premiere est qu'il ne faut pas mettre plus de quatre ou cinq morceaux de fer sur huit ou neuf pintes de cange ; autrement la teinture rougiroit & couperoit la toile. La seconde regarde la qualité du vin de palmier & de cocotier qui s'aigrit aisément & en peu de jours. On en fait du vinaigre, & l'on s'en sert au lieu de levain, pour faire lever la pâte. La troisieme est qu'on préfere le vin de palmier à celui du cocotier. La quatrieme est qu'au défaut de ce vin, on se sert de kevaron qui est un petit grain dont bien des indiens se nourrissent. Ce grain ressemble fort pour la couleur & la grosseur, à la graine de navet ; mais la tige & les feuilles sont entierement différentes. On y employe aussi le varagon, qui est un autre fruit qu'on préfere au kevaron. On en pile environ deux poignées qu'on fait cuire ensuite dans de l'eau. On verse cette eau dans le vase où sont le fer & le machefer. On y ajoute la grosseur de deux ou trois muscades de sucre brut de palmier, prenant garde de n'en pas mettre davantage ; autrement la couleur ne tiendroit pas long-tems, & s'effaceroit enfin au blanchissage. La cinquieme est que pour rendre la couleur plus belle, on joint au callou le kevaron ou le varagon préparé comme nous venons de le dire. La sixieme & derniere observation est que cette teinture ne paroîtroit pas fort noire, & ne tiendroit pas sur une toile qui n'auroit pas été préparée avec le cadou.

Après avoir dessiné & peint avec le noir tous les endroits où cette couleur convient, on dessine avec le rouge les fleurs & autres choses qui doivent être terminées par cette autre couleur. Il faut remarquer que l'on ne fait que dessiner ; car il n'est pas encore tems de peindre avec la couleur rouge : il faut auparavant appliquer le bleu ; ce qui demande bien des préparations.

Il faut d'abord mettre la toile dans de l'eau bouillante, & l'y laisser pendant une demi-heure : si l'on met avec la toile deux ou trois cadous, le noir en sera plus beau. En second lieu, ayant délayé dans de l'eau les crottes de brebis ou de chevres, on mettra tremper la toile dans cette eau, & on l'y laissera pendant la nuit : on doit la laver le lendemain & l'exposer au soleil.

Quand on demande aux peintres indiens à quoi sert cette derniere opération, ils s'accordent tous à dire qu'elle sert à enlever de la toile la qualité qu'elle avoit reçue du cadoucaie ; & que si elle la conservoit encore, le bleu qu'on prétend appliquer deviendroit noir.

Il y a encore une autre raison qui rend cette opération nécessaire, c'est de donner plus de blancheur à la toile ; car nous avons dit qu'elle n'étoit qu'à demi blanchie, quand on a commencé à y travailler. En l'exposant au soleil, on ne l'y laisse pas sécher entierement ; mais on y répand de l'eau de-tems-en-tems pendant un jour : ensuite on la bat sur une pierre au bord de l'eau ; mais non pas avec un battoir, comme il se pratique en France. La maniere indienne est de la plier en plusieurs doubles, & de la frapper fortement sur une pierre avec le même mouvement que font les Serruriers & les Maréchaux, en frappant de leurs gros marteaux le fer sur l'enclume.

Quand la toile est suffisamment battue dans un sens, on la bat dans un autre, & de la même façon : vingt ou trente coups suffisent pour l'opération présente. Quand cela est fini, on trempe la toile dans du cange de riz : le mieux seroit, si l'on avoit la commodité de prendre du kevaron, de le broyer, de le mettre sur le feu avec de l'eau, comme si on vouloit le faire cuire, & avant que cette eau soit fort épaissie, y tremper la toile, la retirer aussi-tôt, la faire sécher, & la battre avec le cottapouli, comme on a fait dans la premiere opération pour la lisser.

Comme le bleu ne se peint pas avec un pinceau, mais qu'il s'applique en trempant la toile dans l'indigo préparé, il faut peindre ou enduire la toile de cire généralement par-tout, excepté aux endroits où il y a du noir, & à ceux où il doit y avoir du bleu ou du verd. Cette cire se peint avec un pinceau de fer le plus légerement qu'on peut, d'un seul côté, prenant bien garde qu'il ne reste sans cire que les endroits que nous venons de dire ; autrement ce seroit autant de taches bleues, qu'on ne pourroit effacer. Cela étant fait, on expose au soleil la toile cirée de la sorte ; mais il faut être attentif à ce que la cire ne se fonde, qu'autant qu'il est nécessaire pour pénétrer de l'autre côté. Alors on la retire promtement ; on la retourne à l'envers, & on la frotte en passant fortement la main par-dessus. Le mieux seroit d'y employer un vase de cuivre rond par le fond ; par ce moyen la cire s'étendroit par-tout, même aux endroits qui de l'autre côté doivent être teints en bleu. Cette préparation étant achevée, le peintre donne la toile au teinturier en bleu, qui la rend au bout de quelques jours ; car il est à remarquer que ce ne sont pas les peintres ordinaires, mais les ouvriers ou teinturiers particuliers, qui font cette teinture.

Voici comment l'on prépare l'indigo : on prend des feuilles d'avarei ou d'indigotier, que l'on fait bien sécher ; après quoi on les réduit en poussiere : cette poussiere se met dans un fort grand vase qu'on remplit d'eau ; on la bat fortement au soleil avec un bambou fendu en quatre, & dont les quatre extrêmités inférieures sont fort écartées. On laisse ensuite écouler l'eau par un petit trou qui est au-bas du vase, au fond duquel reste l'indigo ; on l'en tire, & on le partage en morceaux gros à-peu-près comme un oeuf de pigeon ; on répand ensuite de la cendre à l'ombre, & sur cette cendre on étend une toile, sur laquelle on fait sécher l'indigo qui se trouve fait.

Après cela il ne reste plus que de le préparer pour les toiles qu'on veut teindre : l'ouvrier, après avoir réduit en poudre une certaine quantité d'indigo, la met dans un grand vase de terre qu'il remplit d'eau froide. Il y joint ensuite une quantité proportionnée de chaux réduite pareillement en poussiere ; puis il flaire l'indigo pour connoître s'il ne sent point l'aigre ; & en ce cas-là il ajoute encore de la chaux, autant qu'il est nécessaire pour lui faire perdre cette odeur. Prenant ensuite des graines d'avarei environ le quart d'un boisseau, il les fait bouillir dans un seau d'eau pendant un jour & une nuit, conservant la chaudiere pleine d'eau ; il verse après cela le tout, eau & graine, dans le vase de l'indigo préparé. Cette teinture se garde pendant trois jours ; & il faut avoir soin de bien mêler le tout ensemble, en l'agitant quatre ou cinq fois par jour avec un bâton : si l'indigo sentoit encore l'aigre, on y ajouteroit une certaine quantité de chaux.

Le bleu étant ainsi préparé, on y trempe la toile après l'avoir pliée en double ; ensorte que le dessus de la toile soit en-dehors, & que l'envers soit en-dedans. On la laisse tremper environ une heure & demie ; puis on la retire teinte en bleu aux endroits convenables : on voit par-là que les toiles indiennes méritent autant le nom de teintes, que celui de toiles peintes.

La longueur & la multiplicité de toutes ces opérations pour teindre en bleu, fait naître naturellement un doute, savoir si l'on n'auroit pas plutôt fait de peindre avec le pinceau les fleurs bleues, surtout quand il y a peu de cette couleur dans un dessein. Les Indiens conviennent que cela se pourroit ; mais ils disent que ce bleu ainsi peint ne tiendroit pas, & qu'après deux ou trois lessives il disparoîtroit.

La ténacité & l'adhérence de la couleur bleue doit être attribuée à la graine d'avarei ; cette graine croît aux Indes orientales, quoiqu'il n'y en ait pas partout. Elle est d'un brun clair olivâtre, cylindrique, de la grosseur d'une ligne, & comme tranchée par les deux bouts ; on a de la peine à la rompre avec la dent ; elle est insipide & laisse une petite amertume dans la bouche.

Après le bleu c'est le rouge qu'il faut peindre ; mais on doit auparavant retirer la cire de la toile, la blanchir, & la préparer à recevoir cette couleur ; telle est la maniere de retirer la cire.

On met la toile dans l'eau bouillante, la cire se fond ; on diminue le feu, afin qu'elle surnage plus aisément, & on la retire avec une cuillier le plus exactement qu'il est possible : on fait de nouveau bouillir l'eau afin de retirer ce qui pourroit y être resté de cire. Quoique cette cire soit devenue fort sale, elle ne laisse pas de servir encore pour le même usage.

Pour blanchir la toile on la lave dans de l'eau ; on la bat neuf à dix fois sur la pierre, & on la met tremper dans d'autres eaux, où l'on a délayé des crottes de brebis. On la lave encore, & on l'étend pendant trois jours au soleil, observant d'y répandre légerement de l'eau de-tems-en-tems, ainsi qu'on l'a dit plus haut. On délaye ensuite dans de l'eau froide une sorte de terre nommée ola, dont se servent les blanchisseurs, & on y met tremper la toile pendant environ une heure ; après quoi on allume du feu sous le vase ; & quand l'eau commence à bouillir, on en ôte la toile, pour aller la laver dans un étang, sur le bord duquel on la bat environ quatre cent fois sur la pierre, puis on la tord fortement. Ensuite on la met tremper pendant un jour & une nuit dans de l'eau, où l'on a délayé une petite quantité de bouse de vache, ou de bufle femelle. Après cela, on la retire ; on la lave de nouveau dans l'étang, & on la déploye pour l'étendre pendant un demi-jour au soleil, & l'arroser légerement de tems-en-tems. On la remet encore sur le feu dans un vase plein d'eau ; & quand l'eau a un peu bouilli, on en retire la toile pour la laver encore une fois dans l'étang, la battre un peu, & la faire sécher.

Enfin, pour rendre la toile propre à recevoir & à retenir la couleur rouge, il faut réïtérer l'opération du cadoucaie, comme on l'a rapporté au commencement ; c'est-à-dire, qu'on trempe la toile dans l'infusion simple du cadou, qu'on la lave ensuite, qu'on la bat sur la pierre, qu'on la fait sécher, qu'après cela on la fait tremper dans du lait de bufle, qu'on l'y agite, & qu'on la frotte pendant quelque tems avec les mains ; que quand elle est parfaitement imbibée, on la retire, on la tord, & on la fait sécher ; qu'alors s'il doit y avoir dans les fleurs rouges des traits blancs, comme sont souvent les pistils, les étamines, & autres traits, on peint ces endroits avec de la cire ; après quoi on peint enfin avec un pinceau indien le rouge qu'on a préparé auparavant. Ce sont communément les enfans qui peignent le rouge, parce que ce travail est moins pénible, à-moins qu'on ne voulût faire un travail plus parfait.

Venons maintenant à la maniere dont il faut préparer le rouge : on prend de l'eau âpre, c'est-à-dire, de l'eau de certains puits particuliers, à laquelle on trouve ce goût. Sur deux pintes d'eau on met deux onces d'alun réduit en poudre, on y ajoute quatre onces de bois rouge nommé vartangen, ou du bois de sapan réduit aussi en poudre. On met le tout au soleil pendant deux jours, prenant garde qu'il n'y tombe rien d'aigre & de salé ; autrement la couleur perdroit beaucoup de sa force. Si l'on veut que le rouge soit plus foncé, on y ajoute de l'alun ; on y verse plus d'eau, quand on veut qu'il le soit moins ; & c'est par ce moyen qu'on fait le rouge pour les nuances, & les dégradations de cette couleur.

Pour composer une couleur de lie de vin & un peu violette, il faut prendre une partie du rouge dont nous venons de parler, & une partie du noir dont on a marqué plus haut la composition. On y ajoute une partie égale de cange, de ris gardé pendant trois mois, & de ce mêlange il en résulte la couleur dont il s'agit. Il regne une superstition ridicule parmi plusieurs gentils au sujet de ce cange aigri. Celui qui en a, s'en servira lui-même tous les jours de la semaine ; mais le dimanche, le jeudi, & le vendredi, il en refusera à d'autres qui en manqueroient. Ce seroit, disent-ils, chasser leur dieu de leur maison, que d'en donner ces jours-là. Au défaut de ce vinaigre de cange, on peut se servir de vinaigre de callou, ou de vin de palmier.

On peut composer différentes couleurs dépendantes du rouge, qu'il est inutile de rapporter ici. Il suffit de dire qu'elles doivent se peindre en même tems que le rouge, c'est-à-dire avant de passer aux opérations dont nous parlerons, après que nous aurons fait quelques observations sur ce qui précede.

1°. Ces puits dont l'eau est âpre ne sont pas communs, même dans l'Inde ; quelquefois il ne s'en trouve qu'un seul dans toute une ville. 2°. Cette eau, selon l'épreuve que plusieurs européens en ont faite, n'a pas le goût que les Indiens lui attribuent, mais elle paroit moins bonne que l'eau ordinaire. 3°. On se sert de cette eau préférablement à toute autre, afin que le rouge soit plus beau, disent les uns, & suivant ce qu'en disent d'autres plus communément, c'est une nécessité de s'en servir, parce qu'autrement le rouge ne tiendroit pas. 4°. C'est d'Achen qu'on apporte aux Indes le bon alun & le bon bois de sapan.

Quelque vertu qu'ait l'eau aigre pour rendre la couleur rouge adhérente, elle ne tiendroit pas suffisamment, & ne seroit pas belle, si l'on manquoit d'y ajouter la teinture d'imbourre ; c'est ce qu'on appelle plus communément chaïaver ou racine de chaïa. Mais avant que de la mettre en oeuvre il faut préparer la toile en la lavant dans l'étang le matin, en l'y plongeant plusieurs fois, afin qu'elle s'imbibe d'eau, ce qu'on a principalement en vue, & ce qui ne se fait pas promtement, à cause de l'onctuosité du lait de bufle, où auparavant l'on avoit mis cette toile, on la bat une trentaine de fois sur la pierre, & on la fait sécher.

Tandis qu'on préparoit la toile, on a dû aussi préparer la racine de chaïa, ce qui se pratique de cette maniere. On prend de cette racine bien seche, on la réduit en poudre très-fine, en la pilant bien dans un mortier de pierre & non de bois, ce qu'on recommande expressément, jettant de tems-en-tems dans le mortier un peu d'eau âpre : on prend de cette poudre environ trois livres, & on la met dans deux seaux d'eau ordinaire, que l'on a fait tiédir, & l'on a soin d'agiter un peu le tout avec la main : cette eau devient rouge, mais elle ne donne à la toile qu'une assez vilaine couleur : aussi ne s'en sert-on que pour donner aux autres couleurs rouges leur derniere perfection.

Il faut pour cela plonger la toile dans cette teinture ; & afin qu'elle la prenne bien, l'agiter & la tourner en tout sens pendant une demi-heure, qu'on augmente le feu sous le vase. Lorsque la main ne peut plus soutenir la chaleur de la teinture, ceux qui veulent que leur ouvrage soit plus propre & plus parfait, ne manquent pas d'en retirer leur toile, de la tordre, & de la faire bien sécher : en voici la raison. Quand on peint le rouge, il est difficile qu'il n'en tombe quelques gouttes dans les endroits où il ne doit point y en avoir. Il est vrai que le peintre a soin de les enlever avec le doigt autant qu'il peut, à-peu-près comme nous faisons lorsque quelque goutte d'encre est tombée sur le papier où nous écrivons ; mais il reste toujours des taches que la teinture de chaïa rend encore plus sensibles : c'est pourquoi avant que de passer outre on retire la toile, on la fait sécher, & l'ouvrier recherche ces taches, & les enleve le mieux qu'il peut avec un limon coupé en deux parties.

Les taches étant effacées, on remet la toile dans la teinture, on augmente le feu jusqu'à ce que la main n'en puisse pas soutenir la chaleur ; on a soin de la tourner & retourner en tout sens pendant une demi-heure : sur le soir on augmente le feu, & on fait bouillir la teinture pendant une heure ou environ. On éteint alors le feu ; & quand la teinture est tiede, on en retire la toile qu'on tend fortement, & que l'on garde ainsi humide jusqu'au lendemain.

Avant que de parler des autres couleurs, il est bon de dire quelque chose sur le chaïa. Cette plante naît d'elle-même ; on ne laisse pas d'en semer aussi pour le besoin qu'on en a. Elle ne croît hors de terre que d'environ un demi-pié ; la feuille est d'un verd clair, large de près de deux lignes, & longue de cinq à six. La fleur est extrêmement petite & bleuâtre ; la graine n'est guere plus grosse que celle du tabac. Cette petite plante pousse en terre une racine qui va quelquefois jusqu'à près de quatre piés ; ce n'est pas la meilleure : on lui préfere celle qui n'a qu'un pié ou un pié & demi de longueur. Cette racine est fort menue, quoiqu'elle pousse avant en terre & tout droit ; elle ne jette à droite & à gauche que fort peu & de très-petits filamens. Elle est jaune quand elle est fraîche, & devient brune en se séchant : ce n'est que quand elle est séche qu'elle donne à l'eau la couleur rouge, sur quoi on a fait une épreuve assez singuliere. Un ouvrier avoit mis tremper cette racine dans de l'eau qui étoit devenue rouge. Pendant la nuit un accident fit répandre la liqueur ; mais il fut bien surpris de trouver le lendemain au fond du vase quelques gouttes d'une liqueur jaune qui s'y étoit ramassée ; ce qui ne venoit que de ce que le chaïa dont il s'étoit servi étoit de la meilleure espece. En effet, lorsque les ouvriers réduisent en poussiere cette racine, en jettant un peu d'eau, comme on l'a dit, il est assez ordinaire qu'elle soit de couleur de safran. On remarquera, qu'autour de ce vase renversé, il s'étoit attaché une pellicule d'un violet assez beau. Cette plante se vend en paquets secs ; on en retranche le haut, où sont les feuilles desséchées, & on n'employe que les racines pour cette teinture.

Comme la toile y a été plongée entierement, & qu'elle a dû être imbibée de cette couleur, il faut la retirer, sans craindre que les couleurs rouges soient endommagées par les opérations suivantes. Elles sont les mêmes que celles dont nous avons déjà parlé ; c'est-à-dire qu'il faut laver la toile dans l'étang, la battre dix à douze fois sur la pierre, la blanchir avec des crottes de mouton, & le troisieme jour la savonner, la battre, & la faire sécher en jettant légerement de l'eau dessus de tems-en-tems. On la laisse humide pendant la nuit ; on la lave encore le lendemain, & on la fait sécher comme la veille : enfin à midi on la lave dans de l'eau chaude pour en retirer le savon & toutes les ordures qui pourroient s'y être attachées, & on la fait bien sécher.

La couleur verte qu'on veut peindre sur la toile demande pareillement des préparations : les voici. Il faut prendre un palam, ou un peu plus d'une once de fleur de cadou, autant de cadou, une poignée de chaïaver ; & si l'on veut que le verd soit plus beau, on y ajoute une écorce de grenade. Après avoir réduit ces ingrédiens en poudre, on les met dans trois bouteilles d'eau, que l'on fait ensuite bouillir jusqu'à diminution des trois quarts ; on verse cette teinture dans un vase en la passant par un linge : sur une bouteille de cette teinture on y met une demi-once d'alun en poudre : on agite quelque tems le vase, & la couleur se trouve préparée.

Si l'on peint avec cette couleur sur le bleu, on aura du verd ; c'est pourquoi quand l'ouvrier a teint sa toile en bleu, il a eu soin de ne pas peindre de cire les endroits où il avoit dessein de peindre du verd, afin que la toile teinte d'abord en bleu, fût en état de recevoir le verd en son tems : il est si nécessaire de peindre sur le bleu, qu'on n'auroit qu'une couleur jaune, si on le peignoit sur une toile blanche.

Mais on doit savoir que ce verd ne tient pas comme le bleu & le rouge ; ensorte qu'après avoir lavé la toile quatre ou cinq fois, il disparoit, & il ne reste à sa place que le bleu sur lequel on l'avoit peint. Il y a cependant un moyen de fixer cette couleur, ensorte qu'elle dure autant que la toile même : le voici. Il faut prendre l'oignon du bananier, le piler encore frais, & en tirer le suc. Sur une bouteille de teinture verte on met quatre ou cinq cuillerées de ce suc, & le verd devient adhérent & ineffaçable ; l'inconvénient est que ce suc fait perdre au verd une partie de sa beauté.

Il reste à parler de la couleur jaune qui ne demande pas une longue explication. La même couleur qui sert pour le verd en peignant sur le bleu, sert pour le jaune en peignant sur la toile blanche. Mais cette couleur n'est pas fort adhérente ; elle disparoît après avoir été lavée un certain nombre de fois : cependant quand on se contente de savonner légerement ces toiles, ou de les laver dans du petit-lait aigri, mêlé de suc de limon, ou bien encore de les faire tremper dans de l'eau, où l'on aura délayé un peu de bouse de vache, & qu'on aura passée au-travers d'un linge ; ces couleurs passageres durent bien plus longtems. Observat. sur les cout. d'Asie. (D.J.)

TOILES PEINTES imitées des indiennes qui se fabriquent en Europe. Les toiles peintes ou les indiennes, sont des toiles de coton empreintes de diverses couleurs ; on en fait en plusieurs endroits en Europe, mais les plus belles viennent de Perse & des Indes orientales. On croit communément qu'on ne peut en faire en Europe de la beauté de celles des Indes, ni qui se lavent de la même maniere sans s'effacer, parce qu'on croit que dans l'Inde on y fait les teintures avec des sucs d'herbes qui ne croissent pas dans ce pays-ci : mais c'est une erreur qu'il est facile de détruire, en faisant voir que nous avons ici de quoi faire des couleurs aussi variées, aussi belles, & aussi ineffaçables qu'aux Indes ; il est vrai cependant que les toiles peintes qu'on fabrique en Hollande & ailleurs, ne sont pas de la beauté de celles des Indes ; mais voici quelle est la raison. Le travail des ouvriers ne coûte presque rien en Perse & aux Indes ; aussi le tems qu'on met à ces sortes d'ouvrages n'est pas un objet à considérer : ici au contraire, le tems est ce qu'il y a de plus précieux, les matieres qu'on employe ne sont rien en comparaison, il faut donc chercher à épargner le tems pour pouvoir faire quelque profit ; c'est ce que l'on fait, & c'est aussi pour cela que nos ouvrages sont inférieurs à ceux des Indes, car ils ne leur céderoient en rien s'il étoit possible d'y employer le tems nécessaire.

Il y a plusieurs manieres de travailler la toile peinte suivant l'espece & le nombre des couleurs qu'on y employe, quoiqu'il semble qu'on doive commencer par celles qui ne sont imprimées que d'une seule couleur ; nous ne le ferons pas cependant, parce que chaque couleur employée seule, demande une pratique différente qui sera plus facile à déduire lorsque l'on sera au fait de celles où il entre plusieurs couleurs.

Maniere de faire une toile peinte à fond blanc où il y a des fleurs de deux ou trois nuances, des fleurs violettes & gris-de-lin, des fleurs bleues, des fleurs jaunes, le trait des tiges noir, les tiges & les feuilles vertes. Préparation de la toile. Il faut d'abord ôter avec soin la gomme ou l'apprêt qu'il y a dans presque toutes les toiles, ce qui se fait en la faisant tremper dans l'eau tiede, la frottant bien, la tordant, la lavant ensuite dans l'eau froide bien claire, & la faisant sécher.

Engallage. La toile étant bien dégommée, il la faut engaller, & pour cela on mettra, par exemple, pour dix aunes de toile de coton, environ deux seaux d'eau froide dans un baquet où l'on jettera quatre onces de noix-de-galle bien pilées ; on y mettra en même tems la toile qu'on remuera un peu, afin qu'elle soit mouillée par-tout ; on la laissera ainsi environ une heure & demie ; on la retirera ensuite, on la tordra, & on la laissera sécher à l'ombre.

Précaution à prendre. Lorsque la toile sera bien séche, on verra qu'elle a contracté un oeil jaunâtre ; il faudra prendre garde alors qu'il ne tombe quelque goutte d'eau par-dessus, ce qui feroit une tache ; & dans tout le cours du travail, il faut avoir une grande attention à la propreté, parce que les moindres taches sont irrémediables. Si l'on veut de l'ouvrage fin, il faut calandrer la toile lorsqu'elle sera engallée, afin que cela soit plus fini ; on posera alors sur la toile le dessein que l'on jugera à propos, & on le dessinera à la plume ou au pinceau avec les couleurs ou les mordans dont nous parlerons dans la suite.

Maniere d'imprimer la toile. Si l'on veut un ouvrage plus commun, on l'imprimera avec des planches en cette sorte : on étendra la toile engallée & séchée, sur une grande table bien solide, sur laquelle il y aura de gros drap en double, afin que les planches s'impriment plus également, & on prendra avec une planche gravée, de la couleur noire sur un coussinet : on appliquera la planche sur la toile, on frappera dessus à plusieurs endroits, si elle est grande, afin qu'elle marque par-tout : on imprimera de suite & de la même maniere, tout ce qui doit être en noir, après quoi on fera la même chose avec le rouge foncé, que l'on appliquera avec une contreplanche, c'est-à-dire, une seconde planche, qui est la contrepartie de la premiere, & qui ne porte que sur les endroits où il doit y avoir du rouge, & où la premiere planche n'a pas porté, parce qu'à ces endroits-là il y avoit des lieux reservés à dessein.

Quoique cette opération paroisse jusque-là assez simple, il y a cependant bien des remarques à faire.

Maniere d'employer la couleur. Voici premierement ce qui est commun à toutes les couleurs en général, & qu'il faut observer pour les pouvoir employer, soit avec la planche, soit à la plume ou au pinceau. Lorsque la couleur ou le mordant sera fait, de la maniere que nous le décrirons dans la suite, il faudra dissoudre de la gomme arabique pour l'épaissir (le mordant), & pour le mettre en consistance de syrop épais, si l'on veut l'employer à la planche ; si c'est à la plume ou au pinceau, il le faut un peu moins épais, ensorte qu'il puisse couler plus facilement ; lorsqu'on voudra imprimer, on en prendra environ une cuillerée, que l'on étendra avec un morceau de coton sur un coussinet de crin, couvert d'un gros drap : on appliquera à plusieurs reprises la planche sur ce coussinet, pour la bien enduire de couleur : on la frottera avec une brosse, on la rappliquera de nouveau sur le coussinet, & on l'imprimera sur la toile comme nous l'avons dit.

S'il y a quelques endroits dans les angles des bordures ou ailleurs, où on ne veuille point que la planche porte, on y mettra une feuille de papier, qui recevra dans ces endroits l'impression de la planche & les épargnera sur la toile : on reprendra ensuite de la couleur avec la planche, & on imprimera à côté de la premiere impression, & ainsi de suite, prenant chaque fois de nouvelle couleur sur le coussinet, qu'on aura soin d'en fournir à mesure.

La planche est de poirier ou de tilleul, on la grave avec des gouges, des cizeaux & autres pareils instrumens : on voit bien que les traits qui impriment sur la toile, doivent être de relief, comme dans l'impression ordinaire qui se fait en planche de bois.

On n'imprime ordinairement sur la toile que le simple trait en noir ou en rouge, avec les deux premieres planches ; s'il y a des places un peu grandes où il doive y avoir du gros rouge ou du noir, cette premiere planche le porte, ou on le met au pinceau après l'impression.

Composition du noir. La composition pour le noir se fait en faisant bouillir de la limaille de fer avec partie de vinaigre & d'eau ; lorsque le mêlange aura bouilli un quart-d'heure, on le retirera du feu & on le laissera reposer vingt-quatre heures : on versera ensuite la liqueur par inclination, pour la garder dans des bouteilles ; elle se conserve autant que l'on veut, & lorsqu'on souhaite s'en servir, on l'épaissit avec de la gomme. Cette liqueur est couleur de rouille de fer, & sur la toile qui n'est point engallée, elle ne fait que du jaune ; mais comme dans l'opération présente on l'imprime sur la toile engallée, elle fait sur le champ un noir foncé qui ne s'en va pas.

Maniere d'appliquer le rouge. Le rouge ne s'applique pas de la même maniere : on ne le met pas immédiatement sur la toile, mais on imprime une composition appellée mordant, qui n'a presque aucune couleur, & qui est différente, selon les différentes nuances de rouge ou de violet. Cette composition sert à faire attacher dans les endroits où elle a été mise, la couleur dans laquelle on plonge & on fait bouillir toute la toile, & à lui donner les différentes nuances dont on a besoin, depuis le couleur de rose, jusqu'au violet foncé.

Premiere composition de mordant pour le rouge foncé. Le mordant pour le beau rouge un peu foncé, se fait en cette sorte : on prend huit parties d'alun de Rome, deux parties de soude d'alicante, & une d'arsenic blanc : on pilera toutes ces matieres, on les mettra dans une suffisante quantité d'eau, & on l'épaissira avec la gomme ; il est bon que l'eau dans laquelle on dissout ces matieres soit colorée avec du bois de Bresil, afin de voir sur la toile les endroits où le mordant pourroit n'avoir pas pris, pour les réparer avec la plume ou le pinceau.

Autre mordant pour un beau rouge. On fait un autre mordant, qui donne aussi un très-beau rouge : on met une once & demi d'alun de Rome, un gros & demi de sel de tartre, & un gros d'eau-forte, dans une pinte d'eau ; il faut toujours des épreuves de ces différens mordans, sur des petits morceaux de toile, pour voir si la couleur est belle.

Lorsque la toile sera imprimée de la sorte, c'est-à-dire avec le noir & le mordant pour le rouge, on mettra au pinceau ou avec des contre-planches le même mordant, aux endroits qui doivent être entierement rouges foncés : on les laissera sécher l'un & l'autre pendant douze heures au-moins, après quoi il faut bien laver la toile pour emporter toute la gomme qui y a été mise, avec le mordant & le noir.

Maniere de laver la toile. La maniere de laver la toile est très-importante, car c'est de-là qu'en dépend la propreté & la beauté, & c'est ce qui empêche les couleurs de s'étendre & de couler. Si l'on a beaucoup de toile à laver, il faut nécessairement avoir une grande quantité d'eau, & que ce soit de l'eau courante si cela est possible, ou tout au-moins un très-grand bassin, afin que la petite quantité de mordant & de couleur qui s'enleve avec la gomme, soit extrêmement étendue & ne puisse pas s'attacher sur le fond de la toile & la tacher : pour cela il faut beaucoup remuer la toile & la brasser en la lavant, & prendre garde lorsqu'il s'y fera des plis, qu'ils n'y soyent pas long-tems sans être défaits ; c'est principalement quand on commence à laver la toile qu'il faut avoir ces attentions : car lorsque la premiere gomme est emportée, il n'y a plus rien à craindre. Si on travailloit une petite quantité de toile, & qu'on la lavât dans un seau, ou quelque chose de semblable, il faudroit la laver dans trois ou quatre eaux successivement : on peut être assuré qu'il n'y a nul inconvénient à la trop laver : lorsqu'elle le sera suffisamment, on la tordra, & on la laissera sécher, ou si l'on veut on la bouillira de la maniere suivante.

Maniere de faire bouillir la toile en grappe ou grappée. Sitôt qu'on en a bien exprimé l'eau, & avant qu'elle soit seche, on met dans un chauderon de l'eau suivant la quantité de toile que l'on a à teindre ; lorsqu'elle commence à tiédir, on y jette de la bonne garance légerement broyée avec les mains ; on ne peut pas fixer exactement la dose, parce que cela dépend de la bonté de la garance, & de la couleur plus ou moins foncée que l'on veut donner : on peut seulement dire qu'il faut pour quinze aunes de toile, une livre & demie de garance & douze pintes d'eau ; si l'on veut une plus belle couleur, on mêlera de la cochenille avec la garance, à proportion de la beauté de l'ouvrage, & du prix qu'on veut y mettre. Lorsque la garance sera bien mêlée, & que l'eau sera chaude à n'y pouvoir souffrir la main qu'avec peine, on y mettra la toile, on la plongera & on la retirera à plusieurs reprises, afin qu'elle soit teinte bien également. Après cela on la plongera dans l'eau froide, & on la lavera le plus qu'il sera possible, en changeant d'eau très-souvent, jusqu'à ce qu'elle en sorte claire : on fera bouillir ensuite quelques poignées de son dans de l'eau claire, & après qu'elle aura bouilli, on la retirera du feu, on la passera par un linge afin d'en ôter le son, & on lavera bien dans cette eau encore chaude, la toile dont le fond perdra encore par ce moyen un peu de la couleur : on la tordra ensuite, & on la laissera bien sécher : on verra pour lors que le fond sera d'un rouge foncé, & que le noir est devenu encore plus beau ; c'est alors qu'avec des contre-planches, si c'est de l'ouvrage commun, ou avec le pinceau, si on le veut plus fini, on mettra le mordant pour le rouge clair, & celui pour le violet.

Composition du mordant pour le rouge clair. Voici de quelle maniere se fait le mordant pour le rouge clair : on prend parties égales d'alun & de crême de tartre ; s'il y a une once de chacun, on dissout ce mêlange dans une pinte d'eau, & on le gomme à l'ordinaire : si l'on veut des nuances intermédiaires, il n'y a qu'à mêler un peu du premier mordant avec celui-ci.

Mordant pour le violet. Le mordant pour le violet se fait en mettant dans de l'eau quatre pintes partie d'alun de Rome, une partie de vitriol de cypre, autant de verd-de-gris, une demi-partie de chaux vive, & de l'eau de ferraille à discrétion, suivant que l'on voudra le violet plus ou moins foncé ; l'eau de ferraille est la même composition dont on s'est servi d'abord pour imprimer en noir.

Mordant pour le gris-de-lin. Pour le gris-de-lin on mêlera le mordant du rouge clair avec celui du violet, dans la proportion qu'on jugera à propos.

Second bouillissage. Lorsqu'on aura mis avec la contre-planche ou au pinceau, ces différens mordans, & qu'ils auront séché pendant douze heures au-moins, on lavera la toile avec autant de soins & de précautions que la premiere fois, & lorsqu'on l'aura bien tordue, on la bouillira dans un nouveau bain de garance, à laquelle on ajoutera pour chaque once, un demi-gros de cochenille en poudre : on y remuera bien d'abord la toile, comme on a fait la premiere fois, avant que l'eau commence à bouillir, ensuite on lui laissera faire un bouillon : on la retirera, on la lavera bien dans plusieurs eaux ; ensuite dans de l'eau de son chaude, on la tordra & on la laissera sécher. Si l'on veut un rouge parfaitement beau, on mettra dans ce second bouillissage, parties égales de cochenille & de graine d'écarlate, & deux parties de garance ; toutes les couleurs en seront beaucoup plus belles. Il n'y a rien à changer dans la façon de bouillir & de laver ; on y verra alors les différentes nuances de rouge, de violet, & de noir, qui seront dans toute leur beauté, & telles qu'elles doivent demeurer ; mais le fond sera rougeâtre, & ce n'est qu'en faisant herber la toile qu'on blanchit le fond.

Maniere d'herber la toile. Voici comme on doit s'y prendre. On passe plusieurs fils aux bords & aux coins de la toile : on l'étend à l'envers sur un pré, & avec des petits bâtons passés dans chacun de ces fils, on fait ensorte qu'elle soit bien tendue : on l'arrose sept ou huit fois le jour ; enfin on ne la laisse jamais sécher, parce que le soleil terniroit les couleurs. Cette opération se fait en tout tems, mais elle est plutôt faite aux mois de Mai & de Septembre, à cause de la rosée, & les toiles en sont mieux blanchies. Elles sont ordinairement cinq à six jours de la sorte dans le pré, après quoi le fond est entierement blanc ; s'il ne l'étoit pas tout-à-fait, on pourroit les laver encore une fois dans de l'eau de son, & les laisser bien sécher.

Cirage de la toile. Il reste maintenant à y mettre le bleu, le verd & le jaune : on commence par le bleu, & pour cet effet on étend la toile sur une table couverte de sable très-fin, ou de sablon, & on fait une composition avec parties égales de suif & de cire : on la tient en la faisant, dans un vaisseau de terre, & on l'applique avec un pinceau sur toute la toile, en reservant seulement les endroits qui doivent être bleus ou verds : il faut faire cette opération avec précaution, car cette composition s'étend facilement lorsqu'elle est un peu chaude, & si elle ne l'étoit point assez, elle ne garantiroit pas suffisamment la toile qui couroit risque d'être tachée : il est vrai que le sable qui est sous la toile empêche la composition de s'étendre, parce qu'il s'y attache sur le champ qu'elle est appliquée : il faut cependant un peu d'usage ; pour la bien employer, & pour s'y accoutumer il n'y a qu'à s'exercer sur les endroits du fond où il n'y a rien à réserver. Cette opération s'appelle cirer la toile : lorsqu'on aura à cirer un endroit, on jettera du sable dessus, avant que la cire soit entierement froide ; le sable qui s'y attache empêche lorsqu'on plie la toile, que les parties cirées n'engraissent celles qui doivent être réservées.

Troisieme bain pour le bleu. Lorsque la toile est bien cirée, on la plonge dans une cuve de teinture bleue ; je donnerai dans la suite la préparation de cette cuve ; mais elle n'a rien de particulier, & c'est la même dont tous les teinturiers se servent pour teindre en bleu. Il faut que la cuve ne soit pas trop chaude, mais seulement un peu tiede, afin que la cire n'y fonde pas ; lorsqu'on a plongé à plusieurs reprises la toile dans la cuve, on la tire & on la laisse sécher.

Pour les nuances. Si l'on veut deux nuances de bleu, lorsque la toile sera séche, on couvrira de la même cire les parties qui doivent être bleu-clair, & on plongera la toile une seconde fois dans la cuve ; les parties qui seront demeurées découvertes se fonceront, & celles que l'on a cirées demeureront d'un bleu-clair : on laissera sécher la toile pendant un jour entier, & lorsqu'on voudra la décirer, on fera bouillir un peu de son dans une bonne quantité d'eau ; lorsqu'elle bouillira on y plongera la toile, dont toute la cire se fondra ; il faut aussitôt la retirer, la frotter légerement avec un peu de savon, la bien laver ensuite dans de l'eau froide, & la laisser sécher.

Si l'on veut faire les tiges & les feuilles vertes, de la même maniere qu'on le fait aux Indes, c'est-à-dire d'un verd brun & assez vilain, il n'y a qu'à passer sur le bleu avec un pinceau la liqueur de ferraille dont on s'est servi pour le noir ; comme la toile est totalement désengallée, elle fait le même verd que l'on voit sur la toile des Indes ; on ne fera rien aux fleurs qui doivent demeurer bleues, & s'il y a quelques parties de fleurs ou d'animaux qui ayent été réservées pour mettre en jaune, on passera la même eau de ferraille qui doit être gommée, (car quoique nous n'ayons pas toujours répété cette circonstance, on doit savoir qu'il ne faut jamais employer aucune couleur, qu'elle ne soit assez gommée pour ne point couler & s'étendre plus qu'on ne veut lorsqu'on l'employe) : on laissera sécher encore un jour l'eau de ferraille qui a été employée tant pour le verd que pour le jaune, après quoi on lavera bien la toile dans l'eau froide, pour en enlever bien la gomme, & on la laissera bien sécher : il ne reste plus alors qu'à apprêter & à calandrer la toile, ce qui se fait en cette maniere.

Apprêt de la toile. On fait bouillir un peu d'amidon dans de l'eau, & on en fait une espece d'empois blanc, dont on frotte toute la toile, l'humectant avec de l'eau à proportion de la force qu'on veut donner à l'apprêt : on l'étendra ensuite & on la laissera sécher. Cet apprêt est aussi bon que celui de colle de poisson, ou de différentes gommes que plusieurs ouvriers employent : l'apprêt étant sec, on calandre la toile en la maniere que nous décrirons à la fin de ce mémoire.

Il est bon d'ajouter ici quelques pratiques qui ne sont d'usage que dans les toiles de la premiere beauté, & qui demandent un tems assez considérable, quoique l'exécution n'ait aucune difficulté ; il s'agit de certains desseins délicats qui sont réservés en blanc, en jaune, ou en bleu clair, sur les différentes couleurs ; ces desseins réservés font un très-bel effet : nous aurions dû en parler plus tôt, mais nous ne l'avons pas fait, afin qu'on ne perdît pas de vue le cours de l'opération : tous ces desseins réservés se font avec de la cire. J'ignore de quelle maniere on l'employe aux Indes ; mais après avoir essayé de toutes les façons que j'ai pu imaginer, voici celle qui m'a paru la plus commode.

J'ai pris un pinceau ordinaire, de grosseur médiocre, dans le milieu duquel j'ai ajusté trois fils de fer, qui excédent d'environ une demi-ligne les plus longs poils ; ces trois fils doivent être joints ensorte qu'ils se touchent immédiatement, & qu'ils soient entourés du reste du pinceau.

On fera fondre de la cire blanche dans un petit vaisseau de terre, & on en prendra avec cette sorte de pinceau ; les fils de fer laissent couler la cire que la grosseur du pinceau entretient coulante assez longtems ; & ces mêmes fils soutiennent la main, & font qu'on trace les traits aussi délicatement qu'on pourroit le faire avec la plume : on fera ces raisonnemens sur le rouge, avant de mettre le mordant, & immédiatement après que le trait est imprimé ou dessiné à la main.

Il est aisé de comprendre que lorsqu'on vient à mettre ensuite le mordant sur la feuille où l'on a dessiné la cire, elle conserve ces endroits-là & empêche le mordant d'y prendre ; lorsqu'on fait ensuite bouillir la toile dans la garance ou la cochenille, la cire se fond & s'en va ; & comme il n'y a point eu de mordant dans ces endroits où elle étoit, ils demeurent blancs comme le fond de la toile.

On fera la même chose après le premier bouillissage pour les réservés, sur le rouge clair, le gris-de-lin, le violet, & enfin (après que la toile est herbée), pour le bleu, le verd & le jaune. Cet ouvrage est long, mais il s'en trouve quelquefois dans les toiles de la premiere beauté.

Nous allons donner maintenant les diverses manieres de travailler les toiles qui ont un moindre nombre de couleurs, & pour la plûpart desquelles on a trouvé des pratiques plus faciles ; & nous ajouterons ensuite des procédés de couleurs plus belles que quelques-unes de celles des Indes, & qui n'y sont pas connues.

On voit par le détail que nous venons de faire, que lorsque dans la toile on ne veut que du rouge ou du noir, il s'en faut tenir au premier bouillissage, dans lequel on ajoutera de la cochenille, à proportion de l'éclat qu'on voudra donner à la couleur ; & si l'on y veut du violet, on ira jusqu'au deuxieme bouillissage, & dans l'un & l'autre cas on fera blanchir la toile sur le pré.

Si l'on ne veut qu'une impression noire sur un fond blanc, il s'y faut prendre d'une maniere un peu différente ; on n'engallera point la toile, parce qu'elle contracte dans l'engallage une couleur roussâtre, qu'on ne peut jamais faire en aller, & qu'il n'y a que le bouillissage dans la garance, ou la cochenille qui le puisse détruire : ainsi on ne doit jamais engaller les toiles qui doivent être bouillies ; c'est-à-dire, celles qui doivent avoir du rouge, quoiqu'il soit cependant possible d'imprimer du rouge sans les engaller ni les bouillir, comme nous le dirons dans la suite ; mais cette pratique n'est pas ordinaire, & n'est pas connue aux Indes.

Pour faire donc les toiles qui ne sont que noir & blanc, on les imprimera avec la liqueur de ferraille ; & lorsqu'elle sera seche, on les lavera avec les précautions que nous avons rapportées ; l'impression sera d'un jaune pâle & ineffaçable ; il y en a quelques-unes qui demeurent en cet état, & qui sont assez jolies ; mais pour les avoir en noir, on hache un morceau de bois d'Inde ou de Campêche, on le fait bouillir dans une suffisante quantité d'eau ; on y plonge la toile, on la remue, on lui fait faire un bouillon, on la lave bien ensuite dans plusieurs eaux froides, & on la met herber sur le pré pendant deux ou trois jours : le fond se blanchit parfaitement, & l'impression demeure d'un très-beau noir ; on l'apprête ensuite, & on la calandre à l'ordinaire.

Il y a une sorte de toiles très-communes, qui ne sont que rouge & noir, & dont le fond, ou les grandes parties du fond, sont marbrés ou plutôt sablés. La maniere d'imprimer ces toiles paroît avoir plusieurs difficultés ; mais on y supplée par une pratique facile & ingénieuse : une seule planche porte tout ce qui doit être imprimé en noir, & une contre-planche tout ce qui doit être imprimé en rouge. Nous avons déjà vu faire la même chose ; mais comme il s'agit de sabler le fond, ce qui seroit impraticable, s'il falloit réserver sur les planches des petites parties de bois en relief assez proches les unes des autres, & assez menues pour faire les points tels qu'ils doivent être.

On creuse donc en entier le fond de la planche, & on le rend le plus uni qu'il est possible ; on y enfonce ensuite de petites pointes de fil-de-fer, dont l'extrêmité supérieure demeure au niveau des reliefs de la planche ; & pour s'assurer qu'elles sont de même hauteur, on a un petit outil de fer qui porte à 3 ou 4 lignes de son extrêmité une espece de talon, comme on le voit dans la figure ci-jointe ; on frappe sur l'extrêmité B, & le talon A enfonce la petite pointe dans la planche, jusqu'à ce que la partie C touche le fond de la planche. Ainsi la pointe ne sauroit enfoncer plus avant ; elles se trouvent par ce moyen toutes de même hauteur, & la grosseur de la partie inférieure du même outil sert en core à les placer à des intervalles égaux, ce qui ne seroit pas facile sans ce secours.


TOILÉen terme de Blondier, c'est proprement une fleur de telle ou telle forme, entierement remplie, faisant un tissu sans jour, & fabriquée avec des filets doublés de cinq, six & jusqu'à sept brins quand la soie est fine. C'est le toilé qui détermine le nom des blondes de fantaisie. Voyez BLONDES DE FANTAISIE. On employe ordinairement plusieurs fuseaux pour former les filets du toilé plus larges.

TOILE D'UNE DENTELLE, (Ouvrage au fuseau) on appelle le toilé d'une dentelle, ce qui dans le point à l'aiguille se nomme le tissu ou point fermé. Ce nom vient de ce que ce point ressemble assez à de la toile bien frappée. Plus le toilé d'une dentelle est serré, plus l'ouvrage en est bon ; ce terme ne s'applique guere qu'aux dentelles de fil. (D.J.)


TOILERIES. f. (Comm. & Manufact.) dans la langue des finances, les synonymes n'ont pas moins d'inconvéniens que dans la langue des arts, & ne fût-ce que relativement aux droits des fermes, il est essentiel d'expliquer, autant qu'il est possible, la valeur du mot toilerie.

C'est une expression moderne ; on ne la trouve pas une seule fois dans les réglemens des manufactures avant 1718.

Les auteurs des dictionnaires du commerce & de Trévoux définissent ce terme par ceux-ci, marchandise de toile, c'est-à-dire sans doute, faite avec de la toile.

Suivant ces mêmes auteurs, ce mot est exactement synonyme au mot toile, dans le sens où l'on dit, ce marchand ne fait que la toilerie, au lieu de dire, il ne commerce qu'en toiles ; & encore, il se fait beaucoup de toilerie dans tel pays, au lieu de dire on y fabrique beaucoup de toiles.

Une autre acception de ce mot dont ces auteurs n'ont point parlé, c'est celle suivant laquelle il est devenu le nom générique de quelques tissus, dont on ne peut pas dire qu'ils soient des étoffes, ni qu'ils soient des toiles. Il faut se garder de confondre ces dénominations, car dans certains bureaux les mêmes marchandises payeroient des droits plus considérables, étant annoncées comme étoffes, que si on les déclaroit comme toileries.

Il seroit à souhaiter que l'on pût fixer précisément la valeur des mots étoffe, toilerie & toile ; mais les ouvrages de l'art, ainsi que ceux de la nature, renferment tant de variétés, que les nuances de division se perdant l'une dans l'autre, les especes de différens genres se confondent aisément.

Toute méthode de distribution meneroit à des incertitudes, & il n'y a ce me semble, rien de mieux à faire que d'établir quelques points de comparaison, d'après lesquels on essayera de classer les différens tissus.

Ceux qui sont composés en entier de soie ou de laine, ou bien même dont la chaîne ou la trame est faite de l'une de ces deux matieres, sont des étoffes. Quelques-uns de ceux qui sont composés de coton ou de fil, & qui sont extrêmement forts, sont encore des étoffes. Ainsi les draps, les serges, les tiretaines, les taffetas, les ras de S. Cyr, les hyberlines, les velours de coton, les coutils, &c. sont des étoffes.

Les toileries sont des tissus un peu plus légers, dont la laine ou la soie ne font jamais une partie essentielle ; mais dans lesquels elles peuvent néanmoins entrer comme agrément. Les bazins unis & rayés, les siamoises unies, rayées & à fleurs, les nappes & les serviettes ouvrées, les mousselines même, ou toiles de coton de toute espece, sont des toileries.

Sous le nom de toiles, il faut entendre tout tissu simple & uniquement composé de fil de lin ou de chanvre, comme le sont les toiles dont on se sert pour faire des chemises.

Je sens bien que je ne leve point ici toute incertitude. On pourroit demander dans quelle classe on doit mettre les toiles à voiles, les toiles à matelats, & beaucoup d'autres ouvrages semblables. Il semble que ce devroit être entre les toiles & les étoffes.

Au reste, je ne prétends pas donner ici de décision. J'ai rapporté seulement ce qui m'a paru de plus instructif & de plus décidé sur l'usage de ces termes, soit dans le discours, soit dans les réglemens rendus depuis celui du 7 Août 1718, pour les fabriques de Rouen. C'est-là où je vois le mot toilerie employé pour la premiere fois. Article de M. BRISSON, inspecteur des manufactures & académies de Villefranche en Beaujolois.


TOILETTES. f. terme de Manufact. ce mot se dit chez les Marchands & Manufacturiers, d'un morceau de toile, plus ou moins grand, qui sert à envelopper les draps, les serges & autres pareilles marchandises, pour empêcher qu'elles ne se gâtent. Il y a des toilettes blanches, & d'autres teintes en différentes couleurs ; les unes unies, & les autres peintes d'armoiries, de devises, ou de quelques autres ornemens ; celles dont les Anglois se servent, particulierement pour leurs serges de Londres, sont des plus belles & des plus façonnées : ils en ont où l'or & l'argent est joint aux couleurs. On marque ordinairement sur les toilettes les numéros & les aunages des pieces qu'elles renferment, & quelquefois on y ajoute le nom du marchand qui en fait l'envoi. Les toiles que l'on employe le plus communément pour faire des toilettes, se nomment bougrans. Dictionn. du Comm. (D.J.)

TOILETTE, (Modes), c'est une espece de nappe de toile fine, garnie de dentelle tout autour, dont on couvre la table sur laquelle les hommes & les femmes qui aiment la propreté, se deshabillent le soir, & où ils trouvent préparé de quoi s'habiller le matin. On appelle pareillement toilettes, les tapis de soie, ou autres riches étoffes, bordés de dentelle ou de frange, & qu'on étend au-dessus du miroir qui orne la toilette des dames, ou même des hommes qui de nos jours sont devenus femmes. (D.J.)

TOILETTE, marchande à la, (Commerce des modes) on appelle ainsi certaines revendeuses qui vont de maison en maison porter de vieilles hardes, ou même quelquefois des marchandises neuves, que leur confient les marchands. Ces sortes de femmes gagnent leur vie par les petits profits qu'elles font ou sur les hardes mêmes, ou par un certain droit volontaire que leur donnent ordinairement le vendeur & l'acheteur. Ce sont ces femmes qui vendent la plûpart des marchandises de contrebande : elles font aussi assez souvent quelque petit trafic de pierreries & de bijoux. (D.J.)

TOILETTE des dames romaines, (Antiq. rom.) cet attirail de l'habiller du jour pour paroître en public, ce mundus muliebris, les dames romaines l'avoient comme les nôtres. Dans les siecles de luxe, leur toilette étoit fournie de tout ce qui peut réparer les défauts de la beauté, & même ceux de la nature. On y voyoit des faux cheveux, de faux sourcils, des dents postiches, des fards, & tous les autres ingrédiens renfermés dans de petits vases précieux. Martial, lib. IX. epig. 18. décrit tout cela plaisamment, en parlant de la toilette d'une dame nommée Galla.

Fiant absentes & tibi Galla comae ;

Nec dentes aliter quam serica nocte reponas

Et lateant centum condita pyxidibus ;

Nec tecum facies tua dormitat ; innuis illo,

Quod tibi prolatum est manè, supercilio.

Les dames romaines passoient du lit dans le bain ; quelques-unes se contentoient de se laver les piés, mais d'autres portoient bien plus loin l'usage des bains ; elles se servoient de pierre-ponce pour s'adoucir la peau, & faisoient succéder à cette propreté les oignemens & les parfums d'Assyrie. Elles rentroient ensuite dans leurs cabinets de toilette, vêtues d'une robe, où le luxe & la galanterie avoient jetté leurs ornemens ; c'est dans cette robe qu'on se laissoit voir à ses amis particuliers, & aux personnes les plus cheres. Entourée de plusieurs femmes, on se prêtoit aux mains qui savoient servir de la façon la plus commode & la plus agréable. Lorsque Claudien nous représente Vénus à sa toilette, il la met dans un siége brillant, environnée des graces, & souvent occupée elle-même à composer sa coëffure.

Caesariem tum fortè Venus subnixa corusco

Fringebat solio.

Une femme à sa toilette ne perdoit point de vûe son miroir, soit qu'elle conduisît elle-même l'ouvrage de ses charmes, soit qu'elle apprît à régler ses regards, soit qu'elle étudiât les mines & les airs de tête, omnes vultus tentabat, le miroir devoit poser à demeure.

Elle avoit aussi des coëffeuses qui vivoient de ce métier, & que les Latins appelloient ornatrices. On lit dans Suétone, matris Claudii ornatrix, & elles ont le même titre dans les anciennes inscriptions ornatrix Liviae, Domitiae. Ces ornatrices ne prenoient pas seulement soin des cheveux, mais du visage & de l'ajustement entier, d'où vient qu'Ovide dit, ornatrix toto corpore semper erat.

La vanité des coquettes saisoit quelquefois un crime de leur manque de beauté à leurs coëffeuses, & ces sortes de femmes se portoient contr'elles à des violences, au lieu de s'en prendre à la nature. La toilette de quelques-unes, selon Juvenal, n'étoit pas moins redoutable que le tribunal des tyrans de Sicile. Quelle est l'offense que Plécas a commise, dit ce poëte, en parlant à une de ces femmes ? de quel crime est coupable cette malheureuse fille, si votre nez vous déplaît ?

Quaenam est hîc culpa puellae,

Si tibi displicuit nasus tuus ?

Le desir de se trouver au temple d'Isis, cette déesse commode qui présidoit aux rendez-vous & aux mysteres des engagemens, causoit quelquefois d'extrêmes impatiences.

Apud Isiacae potius sacraria lenae.

Ainsi par toutes ces vivacités ordinaires, aussi-bien que par la nature du travail, & par le soin de coëffer, il y avoit des momens à saisir, qui faisoient une nécessité de trouver sous sa main, tout ce qui servoit à l'ornement de la tête & à la composition du visage.

Mais pour y mieux parvenir, le luxe multiplia le nombre des femmes qui servoient à la toilette des dames romaines ; chacune étoit chargée d'un soin particulier ; les unes étoient attachées à l'ornement des cheveux, soit pour les démêler ou pour les séparer en plusieurs parties. Multifidum discrimen erat, soit pour en former avec ordre & par étage des boucles & des noeuds différens : Dat varios nexus & certo dividit orbes ordine ; les autres répandoient les parfums, largos haec nectaris imbres irrigat ; toutes tiroient leurs noms de leurs différens emplois.

De-là viennent dans les poëtes les noms de cosmetae, de psecades, d'ornatrices. Il y en avoit d'oisives, & de préposées uniquement pour dire leur avis ; celles-ci formoient une espece de conseil : est in consilio matrona, & la chose, dit Juvenal, étoit traitée aussi sérieusement que s'il eût été question de la réputation ou de la vie :

Tanquam famae discrimen agatur

Aut animae.

On lit dans le livre des amours de Lucien, que les dames employoient une partie du jour à leur toilette environnées de suivantes, ornatrices, piccatrices, dont les unes tiennent un miroir, d'autres un réchaud, d'autres des bassins, &c. On voit sur cette même toilette toutes les drogues d'un parfumeur ; celles-ci pour nettoyer les dents, celles-là pour noircir les sourcils, d'autres pour rougir les joues & les levres, d'autres pour teindre les cheveux en noir ou en blond doré, indépendamment de toutes sortes de parfums. Ces femmes, dit Clément d'Alexandrie, ne ressembloient pas à la courtisanne Phriné, belle sans art, & sans avoir besoin d'étalage emprunté.

Cette remarque d'un pere de l'église, me rappelle une épigramme d'Addisson contre nos dames, & à la louange de la comtesse de Manchester, que son mari, ambassadeur à Paris, y avoit menée avec lui. Voici cette épigramme qui n'est point dans la derniere édition des ouvrages de cet illustre auteur.

While haughty Gallia's dames, that spread

O'er their pale cheeks, an artful red,

Beheld this beauteous stranger there,

In native charms, divinely fair,

Confusion in their looks they shew'd,

And with unborrow'd blushes glow'd.

C'est-à-dire : " Quand les fieres dames de France, qui couvrent leurs joues pâles d'un rouge artificiel, apperçurent cette belle étrangere, brillante comme une divinité, quoique parée des seuls attraits qu'elle tient de la nature ; leurs regards annoncerent leur confusion ; une rougeur naturelle se répandit sur leur visage ".

Les aiguilles d'or ou d'argent, le poinçon, les fers étoient d'un grand usage à la toilette. Les aiguilles différoient, selon les divers arrangemens qu'on vouloit donner à sa coëffure, & quelquefois même la dame romaine à l'exemple de Vénus, prenoit l'aiguille & faisoit sa disposition : Ipsa caput distinguit acu.

La façon de coëffer varioit perpétuellement : " Vous ne savez, disoit Tertullien, aux dames de son tems, à quoi vous en tenir sur la forme de vos cheveux ; tantôt vous les mettez en presse, une autre fois vous les attachez avec négligence & leur rendez la liberté ; vous les élevez ou les abaissez, selon votre caprice ; les unes les tiennent avec violence dans leurs boucles, tandis que les autres affectent de les laisser flotter au gré des vents ". C'étoit l'envie de plaire qui fit imaginer toutes ces différences, & qui les perpétuera jusqu'à la fin du monde.

Les fers dont elles se servoient ne ressembloient point aux nôtres, ce n'étoit tout-au-plus qu'une grande aiguille que l'on chauffoit, & les boucles se formoient en roulant les cheveux, volvit in orbem. On les arrêtoit par le moyen d'une aiguille ordinaire. " Ne crains point, dit Martial, que les ornemens dont ta tête est parée dérangent les cheveux parfumés, l'aiguille en soutiendra la frisure, & tiendra les boucles en respect ". L'union en étoit telle, qu'une seule boucle qui n'avoit point été arrêtée, laissoit voir du désordre dans toutes les autres. Palagé qui avoit vû que ce défaut se trouvoit dans sa chevelure, traita impitoyablement une de ses femmes.

Il falloit pour l'ornement d'une tête, les dépouilles d'une infinité d'autres. Souvent elles en formoient des ronds qu'elles plaçoient derriere la tête, d'où les cheveux s'élevoient de leurs racines & faisoient voir tout le chignon, nunc in cervicem retrò suggestum. Elles donnoient quelquefois à leur coëffure un air militaire, c'étoit un casque qui leur enveloppoit toute la tête, in galeri modum, quasi vaginam capitis ; ou bien elles donnoient à leurs cheveux la forme d'un bouclier, scutorum umbilicos cervicibus adstruendo. Elles avoient des coëffures toutes montées de la façon des hommes, qui dans ce genre de travail s'acquéroient de la réputation, frustrà peritissimos quosque structores capillaturae adhibetis.

Tertullien veut encore intéresser ici la délicatesse des femmes contre elles-mêmes ; il ne comprend pas que leur vanité puisse assez prendre pour ne pas leur donner de la répugnance à porter sur leurs têtes les dépouilles d'autrui, & sur-tout des cheveux d'esclaves ; mais elles pouvoient lui répondre, que ces cheveux d'esclaves valoient bien ceux des plus grands seigneurs pour l'usage qu'elles en faisoient, & qu'enfin il ignoroit la tyrannie des modes.

Les dames romaines, à l'exemple des grecques, nouoient leurs cheveux, tantôt avec de petites chaînes d'or, tantôt avec des rubans blancs ou couleur de pourpre, chargés de pierreries. Elles se poudroient d'une poudre éclatante ; elles plaçoient dans leurs cheveux des poinçons garnis de perles. C'étoit de ces ornemens que Sapho s'étoit dépouillée dans l'absence de Phaon : " Je n'ai pas eu, lui dit-elle, entre autres choses, le courage de me coëffer depuis que vous êtes parti, l'or n'a point touché mes cheveux ; pour qui prendrois-je la peine de me parer ? à qui voudrois-je plaire ? Du-moins cette négligence est conforme à mes malheurs, & le seul homme qui anime mes soins & ma vanité, est loin de moi ".

Le visage ne recevoit guere moins de façons que la chevelure. Le fard en particulier servoit à augmenter ou à gâter les couleurs naturelles. Voyez FARD & ROUGE.

Les dames romaines avoient grand soin de leurs dents, & ne les lavoient d'ordinaire qu'avec de l'eau pure, en quoi on ne peut que les louer ; leurs curedents étoient de lentisque, & c'étoit encore une fort bonne idée ; mais quelquefois l'art se portoit jusqu'à tâcher de réparer les traits. Celles qui avoient les yeux enfoncés tâchoient de déguiser cet enfoncement ; elles se servoient pour cela de poudre noire, nigrum pulverem quo exordia oculorum producuntur ; on la faisoit brûler, le parfum ou la vapeur agissoit sur les yeux, qui s'ouvroient par-là & paroissoient plus coupés, oculos fuligine porrigunt.

Voilà quelques-uns des mysteres de la toilette des dames romaines ; les hommes efféminés avoient aussi la leur. " L'on tenoit le miroir d'Othon, comme une glorieuse dépouille remportée sur son ennemi ; le prince s'y miroit tout armé, lorsqu'il commandoit qu'on levât les drapeaux pour aller au combat. C'est une chose digne d'être placée dans les annales, que la toilette d'un empereur qui fait partie de son bagage ". (D.J.)


TOISES. f. (Archit.) mesure de différente grandeur, selon les lieux où elle est en usage ; celle de Paris, dont on fait usage en quelques autres villes du royaume, est de six piés de roi. Son étalon ou mesure originale est au châtelet de Paris ; c'est pourquoi on l'appelle toise du châtelet.

On donne aussi le nom de toise à l'instrument avec lequel on mesure. Selon M. Ménage, le mot toise vient du latin tesa, dérivé de tensus, étendu.

Toise à mur. C'est une réduction de plusieurs sortes d'ouvrages de maçonnerie, par rapport à une toise de gros mur ; ainsi on dit toiser à mur de gros ou de légers ouvrages.

Toise courante. Toise qui est mesurée suivant sa longueur seulement, comme une toise de corniche, sans avoir égard au détail de ses moulures ; une toise de lambris, sans considérer s'il est d'appui ou de revêtement.

Toise cube, solide, ou massive. Toise qui est mesurée en longueur, largeur & profondeur ; elle contient 216 piés cubes.

Toise d'échantillon. On appelle ainsi la toise de chaque lieu où l'on mesure, quand elle est différente de celle de Paris, comme la toise de Bourgogne, par exemple, qui est de sept piés & demi.

Toise de roi. C'est la toise de Paris, dont on se sert dans tous les ouvrages que le roi fait faire, même dans les fortifications, sans avoir égard à la toise d'aucun lieu.

Toise quarrée, ou superficielle. Toise qui est multipliée par ses deux côtés, & dont le produit est de 36 piés.

TOISE D'ECHANTILLON, (Mesure) c'est celle de chaque lieu où l'on mesure lorsqu'elle n'a pas de rapport à celle de Paris. En Bourgogne elle est de sept piés & demi. Les arpenteurs, toiseurs, maçons, couvreurs, &c. se servent d'une toise ronde, & les charpentiers d'une toise plate pour mesurer leur bois, parce que cette derniere s'applique plus juste sur les pieces ; l'une & l'autre est divisée en piés, en pouces & en lignes. Toise se dit aussi de la chose mesurée ; une toise de corde, une toise de moilon, une toise de bois quarré, &c. Une toise courante est celle où l'on ne mesure que la longueur ; une toise quarrée, c'est six piés en longueur & six piés en largeur, dont l'aire est de trente-six piés ; une toise cube contient six piés de tout sens ; c'est-à-dire en longueur, largeur & hauteur ; ce qui est deux cent seize piés cubes. (D.J.)


TOISÉS. m. (Géom.) on appelle ainsi la partie de la Géométrie qui enseigne à mesurer les surfaces & les solides. Voyez SOLIDE, SURFACE & STÉNOMÉTRIE.

TOISE, (Archit. civile & milit.) l'art de calculer les dimensions des ouvrages d'architecture civile & militaire, c'est-à-dire les surfaces & les solidités de ces ouvrages ; ainsi la premiere partie de cet art est la multiplication, & la seconde les regles qu'il faut suivre pour toiser les différentes parties de l'édifice, suivant les figures de ces parties ; ce qui doit être rapporté aux articles où l'on donne la maniere de trouver la surface & la solidité de différens corps, tels que le prisme, la pyramide, &c. Il est vrai qu'il y a un cas particulier, c'est le toisé de la charpente qui a une mesure particuliere. Cette mesure est la solive contenant trois piés cubes de bois ; desorte que si l'on a une piece de bois dont la longueur soit de 6 piés, la largeur de 12 pouces, & l'épaisseur de 6 pouces, cette piece composera une solive, parce qu'elle vaut 32 piés cubes. Mais comme la toise cube vaut 216 piés cubes, & que 216 divisé par 3 donne 72, il suit que la solive est la soixante-douzieme partie d'une toise cube ; ce qui pour le reste du toisé de la charpente, devient une simple regle de multiplication. Sur quoi on peut consulter pour se conduire le cours de mathématique de M. Bélidor, & la géométrie pratique de M. Clermont.

Toisé signifie donc le dénombrement par écrit des toises de chaque sorte d'ouvrages qui entrent dans la construction d'un bâtiment, lequel se fait pour juger de la dépense, ou pour estimer & régler l'esprit & les quantités de ces mêmes ouvrages. (D.J.)

TOISE des bassins, (Hydraul.) c'est mesurer ce que contient d'eau un bassin, une piece d'eau, un reservoir.

On doit être prévenu qu'il y a trois sortes de toises, la courante, la toise quarrée, & la toise cube.

La toise courante est une longueur qui contient 6 piés de roi courans.

La toise quarrée est de 36 piés, c'est-à-dire en multipliant 6 piés par 6, dont le produit est 36 piés quarrés.

La toise cube est la multiplication de la superficie de la toise quarrée, contenant 36 piés quarrés, par la hauteur 6, ce qui donne 216 piés cubes.

Il résulte de toutes ces mesures qu'il y a trois sortes de toisés, le courant, le toisé quarré, & le toisé cube.

Le toisé courant est la mesure de la longueur seulement, ou de la largeur d'une figure quelconque.

Le toisé quarré est la multiplication de la longueur d'une piece par sa largeur, on doit auparavant distinguer quelles sont les figures de leurs superficies ; si ces pieces sont rectangulaires, on multipliera la longueur par la largeur ; si on les trouve triangulaires, on multipliera la perpendiculaire par la base dont on ne prendra que la moitié ; si elles ont une figure telle qu'un trapèse, on multipliera la perpendiculaire par la moyenne arithmétique qui est égale à la moitié de la somme des deux côtés opposés & paralleles ; si elle est circulaire, on la mesurera suivant le rapport de 14 à 11, en quarrant son diamêtre ; & par une regle de trois, on trouvera la superficie ; c'est ce qui se pratique dans le toisé ordinaire ; l'on réduit toutes sortes de superficies en triangles, trapezes, parallélogrammes & autres figures.

Le toisé cube est la multiplication de la superficie d'une figure, par sa hauteur ou profondeur. La figure suivante (figure 1.), en donne la pratique. Soit le réservoir A de 12 toises de long, sur 9 de large ; multipliez 12 par 9, vous aurez au produit 108 toises quarrées pour la superficie de ce réservoir ; pour en avoir le toisé cube, on multipliera sa profondeur, qu'on suppose être de 4 piés, par les 108 toises de sa superficie. On prépare ainsi ce calcul, & l'on dit : 4 piés sont les deux tiers de la toise ; vous prenez le tiers de 108, qui est 36, vous le prenez deux fois à cause des 4 piés, ce qui fait 72 toises cubes pour le réservoir A. S'il y avoit eu une toise de profondeur, il y auroit eu 108 toises cubes, car l'unité ne change rien.

Pour savoir combien de muids d'eau contient le réservoir A, on dira : si une toise cube donne 27 muids d'eau, ce que l'expérience a fait connoître, combien 72 toises cubes, contenu du réservoir A, donneront-elles de muids ? il n'y a qu'à multiplier les 72 toises cubes par le nombre 27, contenu des muids d'eau d'une toise cube, & ces 72 multipliés par 27, vous donneront 1944 muids d'eau que contient le réservoir A.

On remarquera que dans tous les toisés cubes, où il se trouve des sous-especes, on les prend comme parties aliquotes de la toise, sans s'embarrasser si elle est courante, quarrée, ou cube ; mais dans le résultat du toisé cela est différent, puisque dans un toisé quarré un pié courant, sur une toise de haut, vaut 6 piés quarrés ; un pouce courant, sur une toise de haut, vaut 72 pouces quarrés : dans un toisé cube un pié courant, sur une toise quarrée, vaut 36 piés cubes ; un pouce courant, sur une toise quarrée, vaut 3 piés cubes, ou 5184 pouces cubes.

Fig. 2. Si le bassin est rond, tel que celui B, de 12 toises de diamêtre, vous quarrerez ce diamêtre par lui-même, c'est-à-dire 12 par 12, qui sera 144 toises quarrées, & suivant le rapport de 14 à 11 ; pour en avoir la superficie, on multipliera 144 par 11, & le produit 1584, divisé par 14, donnera au quotient 113 toises quarrées, & un 1/7 de toise, pour la superficie totale de ce bassin. Comme il a trois piés de profondeur, on multipliera les 113 toises quarrées & un 1/7 qu'on peut évaluer à un pié, par 3 piés qui sont moitié de la toise, ce qui vous donnera 56 toises cubes, 3 piés & 1/2 courant, sur toise, qui multipliés par 27 muids, vous donneront pour le contenu total du bassin, 1527 muids, 6 piés cubes d'eau, valant 216 pintes ; en tout 1527 muids d'eau, 216 pintes mesure de Paris.

Fig. 3. Si le bassin étoit ovale, tel que celui C, dont le grand diamêtre est supposé de 30 toises, & le petit de 20 toises multipliées l'un par l'autre, ce qui produit 600 toises quarrées : multipliez ensuite comme au cercle 600, par 11, & divisez le produit 6600 par 14, ce qui vous donnera 471 toises quarrées 1/2 pour la superficie. Ce bassin a un pié 1/2 de profondeur ; multipliez 471 toises 1/2 par un pié 1/2, comme un pié est le sixieme d'une toise, prenez le sixieme de 471 1/2, qui est 78 toises 3 piés 6 pouces ; pour les 6 pouces restans, qui sont la moitié d'un pié, il faut prendre la moitié de 78 toises 3 piés 6 pouces, ce qui donne 39 toises 1 pié 9 pouces, & en tout 117 toises cubes 5 piés & 3 pouces, qui, multipliés par 27, vous donneront 4182 muids & 5 piés cubes d'eau, valant un demi muid & 36 pintes pour le contenu du bassin ovale C.

Fig. 4. Soit le canal D cintré dans ses extrêmités, long de 30 toises & large de 8 toises, toisez-en le parallélogramme qui est de 24 toises de long, sur 8 toises de large : multipliez cette longueur par la largeur, ce qui vous produira en toises 192 toises quarrées. Les deux demi-cercles parfaits de 6 toises de diamêtre chacun, étant joints ensemble, font un cercle de 36 toises quarrées, qui suivant la proportion de 14 à 11, donneront pour la superficie des deux demi-cercles 28 toises 2/7, qu'on peut évaluer à un tiers de toise quarrée. Cette somme jointe à 192 toises donnera pour superficie totale 220 toises quarrées & un 1/3. Pour avoir le toisé cube du canal qui a 3 piés de profondeur, on dira : si ce canal avoit eu une toise, elle auroit donné 220 toises cubes & un tiers, comme il n'a que 3 piés moitié de la toise, on prendra la moitié de cette somme qui est 110 toises cubes & un 1/6 : cette somme multipliée par 27, produira 2974 muids 1/2 d'eau, pour le contenu de ce canal.

Fig. 5. Si le bassin est octogone, comme E, on mesurera un des huit pans de l'octogone, afin de partager la figure en huit triangles ; ce pan est ici de 21 piés 6 pouces, & la perpendiculaire que l'on prendra au cordeau est de 4 toises 1 pié ; multipliez ces 21 piés 6 pouces par la perpendiculaire 4 toises 1 pié, vous aurez pour produit 14 toises quarrées 5 piés 7 pouces, dont vous ne prendrez que la moitié, ainsi qu'il se pratique dans la mesure des triangles ; cette moitié sera de 7 toises quarrées 2 piés 9 pouces, qui multipliées par 8 nombre des triangles de l'octogone, donnera pour la superficie entiere du bassin, 59 toises quarrées & 4 piés. Ce bassin a deux piés de profondeur, qui font le tiers de la toise ; ainsi on prendra le tiers de 59 toises 4 piés, ce qui donnera 19 toises cubes 5 piés 4 pouces, qu'on multipliera par 27, pour avoir 537 muids d'eau que contient ce bassin.

Il peut encore survenir des difficultés dans la mesure des pieces d'eau d'une forme singuliere ou irréguliere, ou dont les cintres n'étant pas parfaits, sont des segmens de cercle ; la résolution de ces difficultés seroit ici trop longue, & paroît passer même la portée ordinaire d'un dictionnaire. Consultez le traité d'Hydraulique, qui fait la quatrieme partie du livre de la théorie & pratique du jardinage, pag. 436. & suiv. (K)

TOISE, il n'est pas question ici de donner la maniere de toiser un champ, un jardin, ce qui regarde la maniere de lever les plans, l'arpentage, la longimétrie & planimétrie, auxquels on renvoie le lecteur.

Il s'agit ici de pouvoir mesurer le contenu d'un quarré de potager, de parterre, de bois, de boulingrin, ou en avoir la figure & le plan.

Pour les tracer & planter à neuf, il ne faut prendre que la longueur de la piece, supposée de 30 toises sur 20 de large ; multiplier 30 par 20, ce qui donne 600 toises quarrées pour superficie de votre piece ; si vous en voulez avoir le plan, partagez la piece par une diagonale d'un angle à l'autre, en vous alignant par des jalons pour aller plus droit ; mesurez cette diagonale, & les 4 murs aux côtés de la piece, rapportant sur le papier toutes ces mesures, suivant une échelle, vous aurez une figure semblable, & qui aura autant de biais qu'il s'en peut trouver sur le terrein.


TOISERv. act. (Archit.) c'est mesurer un ouvrage avec la toise pour en prendre les dimensions, ou pour en faire l'estimation. Et retoiser, c'est toiser de nouveau, quand les experts ne sont pas convenus du toisé.

Toiser à toise bout avant, c'est toiser les ouvrages sans retour ni demi-face, & les murs tant plein que vuide, le tout quarrément, sans avoir égard aux saillies, qui doivent néanmoins être proportionnées au lieu qu'elles décorent.

Toiser aux us & coutumes, c'est mesurer tant plein que vuide, en y comprenant les saillies ; ensorte que la moindre moulure porte demi-pié, & toute moulure couronnée un pié, lorsque la pierre est piquée, & qu'il y a un enduit, &c.

Toiser la couverture, c'est mesurer la superficie d'une couverture, sans avoir égard aux ouvertures ni aux croupes, & en évaluant les lucarnes, yeux de boeuf, arestieres, égoûts, faîtes, &c. en toises ou piés, suivant l'usage.

Toiser la taille de pierre, c'est réduire la taille de toutes les façons d'une pierre aux paremens seulement, mesurés à un pié de hauteur sur six piés courans par toise. Lorsque ce sont des moulures, chaque membre couronné de son filet est compté pour un pié de toise, dont les six font la toise, c'est-à-dire que six membres couronnés sur une toise de long, qui ne sont comptés que pour une toise à l'entrepreneur, sont comptés pour six toises au tailleur de pierre qui travaille à sa tâche.

Toiser le bois, c'est réduire & évaluer les pieces de bois de plusieurs grosseurs, à la quantité de trois piés cubes, ou de douze piés de long sur six pouces de gros, réglée pour une piece.

Toiser le pavé, c'est mesurer à la toise quarrée superficielle, sans aucun retour. Le prix est différent selon l'ouvrage. Les ouvrages de fortification se toisent à la toise cube dont 216 piés font la toise. (D.J.)


TOISEUR(Fortific.) les fonctions d'un toiseur est de mesurer le travail toutes les semaines, pour faire payer les ouvriers de ce qui leur est dû ; il donne une copie du toisé à l'entrepreneur & à un ingénieur en chef ; & à la fin de l'année il fait un état général dont il donne copie à l'entrepreneur & à l'ingénieur en chef, qui l'envoie au surintendant des fortifications, qui le renvoie, après l'avoir examiné, à l'intendant, pour faire payer par le trésorier le reste. (D.J.)

TOISEUR de plâtre, s. m. (Officier de police) officier de la ville de Paris qui est chargé de mesurer cette marchandise lorsqu'elle arrive au port au plâtre de cette ville. (D.J.)


TOISONS. m. (Gram. Oecon. rustiq.) la peau de la brebis chargée de sa laine, & plus souvent la laine séparée de la peau.

TOISON D'OR, (Mytholog.) les enfans savent la fable de la conquête de la toison d'or, qui donna lieu au voyage des Argonautes, mais les gens de lettres en cherchent encore l'explication.

Diodore de Sicile croyoit que c'étoit la peau d'un mouton que Phryxus avoit immolé, & qu'on gardoit très-soigneusement à cause qu'un oracle avoit prédit que le roi seroit tué par celui qui l'enleveroit.

Strabon & Justin pensoient que la fable de cette toison étoit fondée sur ce qu'il y avoit dans la Colchide des torrens qui rouloient sur un sable d'or qu'on ramassoit avec des peaux de mouton, ce qui se pratique encore aujourd'hui vers le fort Louis, où la poudre d'or se recueille avec de semblables toisons, lesquelles quand elles en sont bien remplies, peuvent être regardées comme des toisons d'or.

Varron & Pline prétendent que cette fable tire son origine des belles laines de ce pays, & que le voyage qu'avoient fait quelques marchands grecs pour en aller acheter, avoit donné lieu à la fiction.

Ajoutez que comme les Colcques faisoient un grand commerce de peaux de marte & d'autres pelleteries précieuses ; ce fut peut-être là le motif du voyage des Argonautes.

Paléphate a imaginé, on ne sait sur quel fondement, que sous l'emblème de la toison d'or, on avoit voulu parler d'une belle statue d'or que la mere de Pélops avoit fait faire, & que Phryxus avoit emportée avec lui dans la Colchide.

Enfin Suidas le lexicographe a songé que cette toison étoit un livre en parchemin qui contenoit le secret de faire de l'or, objet de la cupidité non-seulement des Grecs, mais de toute la terre ; & cette opinion que Tollius a voulu faire revivre, est embrassée par les alchymistes.

Mais Bochart qui connoissoit le génie des langues de l'Orient, a cru trouver dans celle des Phéniciens le dénouement de la plûpart de ces fictions ; & comme il nous semble que personne n'a mieux réussi que lui dans l'explication de cette fable, ce sont des idées conjecturales que l'on va proposer.

Médée que Jason avoit promis d'épouser & d'emmener dans la Grece, sollicitée encore par Calciope sa soeur, veuve de Phryxus, qui voyoit ses enfans en proie à l'avarice d'un roi cruel, aida son amant à voler les trésors de son pere, soit en lui donnant une fausse clé ou de quelqu'autre maniere, & s'embarqua avec lui. Cette histoire étoit écrite en phénicien, que les poëtes qui sont venus long-tems après, n'entendoient que très-imparfaitement ; & les mots équivoques de cette langue donnerent lieu aux fables qu'on en a racontées. En effet, dans cette langue le mot syrien gaza signifie également un trésor ou une toison ; sam qui veut dire une muraille, désigne aussi un taureau ; & on exprime dans cette langue de l'airain, du fer & un dragon par le mot nachas ; ainsi au lieu de dire que Jason avoit enlevé un trésor que le roi de la Colchide tenoit dans un lieu bien fermé, & qu'il faisoit garder soigneusement, on a dit que pour enlever une toison d'or, il avoit fallu dompter des taureaux, tuer un dragon, &c.

L'amour de Médée pour Jason, ce grand ressort qu'Aelien croit avoir été inventé par Euripide dans sa tragédie de Médée faite à la priere des Corinthiens n'a rien d'extraordinaire ; & cette princesse qui abandonna son pere & sa patrie pour suivre Jason, montre assez par sa conduite qu'elle en étoit amoureuse, sans qu'il soit besoin de faire intervenir Junon & Minerve dans cette intrigue qui fut l'ouvrage de Calciope. Cette femme pour venger la mort de son mari, & sauver ses enfans qu'Aëtès avoit résolu de faire mourir à leur retour de la guerre où il les avoit envoyés, favorisa de tout son pouvoir la passion que sa soeur avoit conçue pour Jason. On peut ajouter que les quatre jeunes princes que Jason avoit ramenés, & qui se voyoient exposés à la fureur de leur grand-pere, si les Grecs étoient vaincus, les secoururent de tout leur pouvoir.

Le même Bochart explique assez heureusement la circonstance de ces hommes armés qui sortirent de terre & s'entretuerent. Il devoit y avoir, selon lui, dans cette histoire une phrase composée à-peu-près des mots qui signifient : Jason assembla une armée de soldats armés de picques d'airain prêts à combattre, qu'on expliqua ainsi à l'aide des mots équivoques : il vit naître des dents de serpent une armée de soldats armés cinq à cinq, qui étoit la maniere ancienne, surtout chez les Egyptiens, de ranger & de faire marcher les troupes.

Il est permis de conjecturer que Jason, outre ses compagnons, avoit pris dans le pays quelques troupes auxiliaires, qu'on publia être sorties de terre, parce qu'elles étoient sujettes du roi de Colchide, & elles périrent toutes dans le combat qui fut donné, apparemment entre les Grecs & les Colcques ; car tout ce mystere poétique peut s'entendre d'un combat qui rendit les Grecs victorieux & maîtres de la personne & des trésors d'Aëtès. Cette explication semble préférable à celle de Diodore de Sicile, qui dit que le gardien de la toison d'or se nommoit Draco, & que les troupes qui le servoient, étoient venues de la Chersonese taurique, ce qui avoit donné lieu aux fables qu'on avoit débitées. (D.J.)

TOISON, ordre de la, (Hist. des ordres) ordre que confere le roi d'Espagne comme duc de Bourgogne. Ce fut en 1430 que Philippe le bon, duc de Bourgogne, après avoir épousé à Bruges en troisiemes noces Elisabeth de Portugal, institua l'ordre de la toison en l'honneur d'une de ses maîtresses. Il eut quinze bâtards qui eurent tous du mérite. L'amour des femmes, dit M. de Voltaire, ne doit passer pour un vice que quand il détourne les hommes de remplir leurs devoirs, & qu'il conduit à des actions blâmables. Anvers, Bruges & autres villes appartenantes à Philippe le bon, faisoient un grand commerce, & répandoient l'abondance dans ses états. La France dut à ce prince sa paix & sa grandeur.

Louis XI. qui ne lui ressembla point, eut d'abord intention de se rendre chef de l'ordre de la toison, & de le conférer à la mort de Charles le téméraire, comme étant aux droits de la maison de Bourgogne ; mais ensuite il le dédaigna, dit Brantôme, & ne crut pas qu'il lui convînt de se rendre chef de l'ordre de son vassal. Cet ordre a cependant continué de se soutenir jusqu'à ce jour, & se seroit soutenu bien davantage, si le nombre des chevaliers étoit borné comme au commencement à trente & un. Quoiqu'il en soit, il a fourni la matiere de trois volumes in-fol. publiés en 1756 par Julien de Pinedo y Salazar. (D.J.)


TOITS. m. (Archit.) c'est la charpenterie en pente & la garniture d'ardoises ou de tuiles qui couvre une maison. En Orient & en Italie la plûpart des toits sont en plate-forme. En France & autres pays de l'Occident, on donne aux toits différentes figures ; on les fait en pointe, en dos-d'âne, en croupe, en pavillon. Nous avons aussi des toits à la mansarde, ainsi nommés de Mansard qui en a été l'inventeur ; ce sont des toits coupés qui ont une double pente de chaque côté, ce qui retranche de leur élévation & ménage plus de logement ; mais comme en architecture le toît d'une maison s'appelle aussi le comble ou la couverture d'une maison, Voyez COMBLE & COUVERTURE. (D.J.)

TOIT, (terme de jeu de paume) c'est la couverture d'une galerie qui y regne de deux ou trois côtés, sur laquelle se fait le service de la balle. On distingue au jeu de paume trois sortes de toîts, le toît de la galerie, le toît de la grille & le toît du dedans. (D.J.)


TOKKIVARIS. m. (Hist. mod.) espece d'armoire à compartimens qui fait un des principaux meubles des Japonois, dans laquelle ils ont soin de placer le livre de la loi qu'ils ne montrent point aux étrangers, & qu'ils ne laissent jamais traîner dans leurs chambres.


TOKKO(Hist. mod.) c'est le nom que les Japonois donnent à un coffre ou meuble dont ils ornent leurs appartemens. Il n'a qu'un pié de haut sur deux de large ; on le place contre la muraille d'une chambre, & l'on étend deux tapis au-dessous ; c'est-là que l'on fait asseoir les personnes à qui l'on veut faire honneur.


TOLS. m. (Poids) c'est le plus petit poids & la plus petite mesure dont on se serve sur la côte de Coromandel. Il faut vingt-quatre tols pour le céer. (D.J.)


TOL-HUYS(Géog. mod.) c'est-à-dire la maison du péage ; lieu des pays-bas, au duché de Gueldre, dans le Bétaw, sur la rive gauche du Rhin, près du fort de Skenck, du côté du nord. C'est là qu'en 1672. la cavalerie françoise passa le Rhin, entra dans l'île de Bétaw, & pénétra dans les Provinces - Unies. (D.J.)


TOLALA, (Géog. mod.) riviere de la grande Tartarie, dans le pays des Mongales orientaux ; elle vient de l'orient se jetter dans la riviere d'Orchon, à environ deux cent cinquante werstes au sud-est de la ville de Sélirigiskoy. (D.J.)


TOLBIACUM(Géog. anc.) ville de la Gaule belgique, aux confins du territoire de Cologne, selon Tacite, Hist. l. IV. Le nom moderne est Zulpich. (D.J.)


TOLBOOTHS. m. (Comm.) est le nom de la principale prison d'Edimbourg en Ecosse, & l'endroit où, en d'autres villes de la grande Bretagne, on pese les marchandises, pour régler en conséquence les droits d'entrée & de sortie, comme ce qu'on appelle en France la douanne.


TOLES. m. (Hist. nat. Botan.) substance végétale dont les habitans des Antilles se servent au défaut d'amadou pour se procurer du feu ; cette substance provient d'une grande & belle plante nommée karatas, que les botanistes rangent au nombre des aloës ; les feuilles de cette plante naissent directement de la racine ; elles sont longues, étroites par rapport à leur longueur, fermes, pliées en gouttieres, terminées en pointe aiguë, & disposées en rond à-peu-près comme celles de l'ananas, formant une grosse touffe du milieu de laquelle s'éleve un jet de plus de douze piés de hauteur, rond, droit comme une fleche, & terminé par une gerbe chargée de boutons qui s'épanouissent en fleurs à cinq pointes ; ce jet seche en peu de tems & se renverse de lui-même ; toute sa substance se trouve alors aussi légere que du liege, ayant quelque rapport à l'agaric, mais un peu plus ligneuse ; dans cet état on la coupe par tronçons, on la fait noircir au feu & on l'enferme dans des petites calebasses pour s'en servir au besoin, en employant la pierre & le briquet.

TOLE, s. f. (Serrur.) fer mince ou en feuille, qui sert à faire les cloisons des moyennes serrures, les platines des verroux & targettes, & les ornemens de relief amboutis, c'est-à-dire, ciselés en coquille. On fait aussi des ornemens de tole évidée ou découpée à jour. Il y a de ces ornemens aux clôtures des chapelles de l'église des PP. Minimes à Paris. (D.J.)


TOLEDE(Géog. mod.) ville d'Espagne, aujourd'hui capitale de la nouvelle Castille, sur le bord du Tage, qui l'environne des deux côtés, à 16 lieues au midi de Madrid, & à 45 au nord-est de Mérida.

La situation de Tolede sur une montagne assez rude, rend cette ville inégale, de sorte qu'il faut presque toujours monter ou descendre ; les rues sont étroites, mais les places où l'on tient des marchés sont fort étendues. Le château royal, que l'on appelle Alcaçar, d'un mot retenu des Maures, est un beau & vaste bâtiment antique. L'église cathédrale est l'une des plus riches de toute l'Espagne. Le sagrario ou la principale chapelle, est un trésor en ouvrages d'or & d'argent ; la custode ou le tabernacle qui sert à porter le Saint-sacrement à la Fête-Dieu, est si pesant qu'il ne faut pas moins de trente hommes pour le porter.

Si cette église est superbement ornée, elle n'est pas moins bien rentée ; son archevêque est primat du royaume, conseiller d'état, grand chancelier de Castille, & jouissant du privilege de parler le premier après le roi ; il possede dix-sept villes, & son revenu est au-moins d'un million de notre monnoie ; les honneurs qu'il reçoit comme archevêque à son entrée dans Tolede, sont tels qu'on en rendroit à un monarque.

Le clergé de son église jouit d'environ 400000 écus de rente. Le cardinal Ximénès, qui fut archevêque de Tolede au commencement du seizieme siecle, a singulierement contribué à l'ornement de cette église, car on prétend que les dépenses qu'il y fit montoient à cinquante mille ducats ; il employa environ cinquante mille écus à la seule impression des missels & des bréviaires mozarabes. Voyez MOZARABE, office.

On compte dans Tolede dix-sept places publiques, vingt-sept paroisses, trente-huit maisons religieuses, & plusieurs hôpitaux. Il s'y est tenu divers conciles. Son université fondée en 1475, a été fort enrichie par le cardinal Ximénès. La ville est forte d'assiette, & fait un grand commerce de soie & de laine ; mais ce commerce fleuriroit bien davantage, pour peu qu'on voulût travailler à rendre le Tage navigable, afin que les bateaux arrivassent au pié de la ville.

L'air y est très-pur, mais ses environs sont secs & stériles. On nous a conservé l'inscription suivante tirée des restes d'un ancien amphithéatre découvert hors de la ville ; cette inscription faite à l'honneur de l'empereur Philippe porte ces mots : Imp. Caes. M. Julio Philippo Pio. Fel. Aug. Parthico. Pont. Max. Trib. Pott. P. P. Consuli Toletani Devotiss. Numini Majest. Que Ejus D. D.

Long. de Tolede, suivant de la Hire, 12d. 51'. 30''. latit. 39d. 46'. & suivant Street, long. 18d. 16'. 45''. latit. 39d. 54'.

La ville de Tolede a été dans l'ancien tems une colonie des Romains, dans laquelle ils tenoient la caisse du trésor. Jules César en fit sa place d'armes ; Auguste y établit la chambre impériale ; LÉovigilde, roi des Goths, y choisit sa résidence ; Bamba l'aggrandit & l'entoura de murailles. Les Maures la prirent l'an 714, lorsqu'ils entrerent en Espagne, & le roi Alphonse VI. roi de la vieille Castille, la reprit sur eux à l'instigation du Cid, fils de don Diegue, qui s'étoit tant distingué contre les Musulmans, & qui offrit au roi Alphonse tous les chevaliers de sa banniere pour le succès de l'entreprise.

Le bruit de ce fameux siége, & la réputation du Cid, appellerent de l'Italie & de la France beaucoup de chevaliers & de princes. Raimond, comte de Toulouse, & deux princes du sang de France de la branche de Bourgogne, vinrent à ce siége. Le roi mahométan, nommé Hiaja, étoit fils d'un des plus généreux princes dont l'histoire ait conservé le nom. Almamon son pere avoit donné dans Tolede un asyle à ce même roi Alphonse, que son frere Sanche persécutoit alors. Ils avoient vécu long-tems ensemble dans une amitié peu commune, & Almamon loin de le retenir, quand après la mort de Sanche il devint roi, & par conséquent à craindre, lui avoit fait part de ses trésors ; on dit même qu'ils s'étoient séparés en pleurant. Plus d'un chevalier mahométan sortit des murs pour reprocher au roi Alphonse son ingratitude envers son bienfaiteur, & il y eut plus d'un combat singulier sous les murs de Tolede.

Le siege dura une année ; enfin Tolede capitula en 1085, mais à condition qu'il traiteroit les Musulmans comme il en avoit usé avec les Chrétiens, qu'on leur laisseroit leur religion & leurs loix, promesse qu'on tint d'abord, & que le tems fit violer. Toute la Castille neuve se rendit ensuite au Cid, qui en prit possession au nom d'Alphonse ; & Madrid, petite place qui devoit être un jour la capitale de l'Espagne, fut pour la premiere fois au pouvoir des Chrétiens.

Plusieurs familles vinrent de France s'établir dans Tolede : on leur donna des privileges qu'on appelle même encore en Espagne franchises. Le roi Alphonse fit aussi-tôt une assemblée de prélats, laquelle sans le concours du peuple autrefois nécessaire, élut pour évêque de Tolede un prêtre nommé Bernard, à qui le pape Grégoire VII. conféra la primatie d'Espagne à la priere du roi.

La conquête fut presque toute pour l'Eglise ; mais le primat eut l'imprudence d'en abuser, en violant les conditions que le roi avoit jurées aux Maures. La plus grande mosquée devoit rester aux Mahométans. L'archevêque pendant l'absence du roi en fit une église, & excita contre lui une sédition. Alphonse revint à Tolede, irrité contre l'indiscretion du prélat ; il appaisa le soulevement en rendant la mosquée aux Arabes ; & en menaçant de punir l'archevêque, il engagea les Musulmans à lui demander eux-mêmes la grace du prélat chrétien, & ils furent contens & soumis. Je dois ce détail à M. de Voltaire.

Alphonse VIII. donna à Tolede, l'an 1135, les armes qu'elle porte encore aujourd'hui ; c'est un empereur assis sur un trône, l'épée à la main droite, & dans la gauche un globe avec la couronne impériale ; on voit bien que ce sont-là des armes espagnoles.

Dans la foule d'écrivains dont Tolede est la patrie, je ne connois guere depuis la renaissance des lettres, que le rabbin Abraham Ben Meir, le jésuite de la Cerda, le Jurisconsulte Covarruvias, & le poëte de la Vega, qui méritent d'être nommés dans cet ouvrage.

Le fameux rabbin Abraham Ben Meir, appellé communément Aben-Ezra, naquit à Tolede, selon Bartolocci, & fleurissoit dans le douzieme siecle ; c'étoit un homme de génie, & qui pour augmenter ses connoissances, voyagea dans plusieurs pays du monde : il entendoit aussi plusieurs langues, & particulierement l'arabe. Il cultiva la Grammaire, la Philosophie, la Médecine, & la Poésie, mais il se distingua sur-tout en qualité de commentateur de l'Ecriture. Après avoir vû l'Angleterre, la France, l'Italie, la Grece, & diverses autres contrées, il mourut à Rhodes, dans sa soixante & quinzieme année, l'an de Jesus-Christ 1165, selon M. Simon, & 1174, selon M. Basnage.

Il a mis au jour un grand nombre de livres, entre lesquels on a raison d'estimer ses Commentaires sur l'Ecriture, qu'il explique d'une maniere fort littérale & très-judicieuse ; on peut seulement lui reprocher d'être quelquefois obscur, par un style trop concis : il n'osoit entierement rejetter la cabale, quoiqu'il sût très-bien le peu de fonds de cette méthode, qui ne consiste qu'en des jeux d'esprit sur les lettres de l'alphabet hébreu, sur les nombres, & sur les mots qu'on coupe d'une certaine façon, méthode aussi vaine que ridicule, & qui semble avoir passé de l'école des Platoniciens dans celle des Juifs. Aben-Ezra craignit de montrer tout le mépris qu'il en faisoit, de peur de s'attirer la haine de ses contemporains, & celle du peuple qui y étoit fort attaché ; il se contente de dire simplement, que cette maniere d'expliquer l'Ecriture n'étoit pas sure ; & que s'il falloit avoir égard à la cabale des peres juifs, il n'étoit pas convenable d'y ajouter de nouvelles explications, ni d'abandonner les saintes Ecritures aux caprices des hommes.

Ce beau génie examine aussi quelques autres manieres d'interpreter l'Ecriture. Il y a, dit-il, des auteurs qui s'étendent fort au long sur chaque mot, & qui font une infinité de digressions, employant dans leurs commentaires tout ce qu'ils savent d'arts & de sciences. Il rapporte pour exemple un certain rabbin, Isaac, qui avoit composé deux volumes sur le premier chapitre de la Genèse ; il en cite aussi d'autres, qui, à l'occasion d'un seul mot, ont fait des traités entiers de Physique, de Mathématiques, de Cabale, &c. Aben-Ezra déclare que cette méthode n'est que le fruit de la vanité ; qu'il faut s'attacher simplement à l'interprétation des paroles du texte, & que ce qui appartient aux arts & aux sciences, doit être traité dans des livres séparés.

Il rejette également la méthode des interpretes allégoristes, parce qu'il est difficile qu'en la suivant on ne s'éloigne entierement du sens littéral : il ne nie point cependant qu'il n'y ait des endroits dans l'Ecriture qui ont un sens plus sublime que le littéral, comme lorsqu'il est parlé de la circoncision du coeur ; mais alors ce sens plus sublime est littéral, & le véritable sens.

Aben-Ezra s'est donc borné en interprétant l'Ecriture à rechercher avec soin la signification propre de chaque mot, & à expliquer les passages en conséquence. Au-lieu de suivre la route ordinaire de ceux qui l'avoient précédé, il étudia le sens grammatical des auteurs sacrés, & il le développa avec tant de pénétration & de jugement, que les Chrétiens même le préférent à la plûpart de leurs interpretes.

Au reste, c'est lui qui a montré le chemin aux critiques qui soutiennent aujourd'hui, que le peuple d'Israël ne passa point au-travers de la mer Rouge ; mais qu'il y fit un cercle pendant que l'eau étoit basse, afin d'engager Pharaon à les suivre, & que ce prince fut submergé par le montant.

Cerda (Jean-Louis de la), entra dans la societé des Jésuites en 1574. Il a publié des adversaria sacra, des commentaires sur une partie des livres de Tertullien, & en particulier sur le traité de pallio, du même pere de l'Eglise. Enfin, il a écrit trois volumes in-fol. de commentaires sur Virgile, imprimés à Paris en 1624, en 1630, & en 1641. Les ouvrages de ce jésuite n'ont pas fait fortune ; ils sont également longs & ennuyeux, parce qu'il explique les choses les plus claires pour étaler son érudition, & parce que d'ailleurs il s'écarte sans-cesse de son sujet.

Covarruvias (Diego), l'un des plus savans hommes de son siecle, dans le droit civil & canon, naquit en 1512. Il joignit à la science du droit la connoissance des belles-lettres, des langues, & de la théologie. Philippe II. le nomma évêque de Ciudad-Rodrigo, & il assista en cette qualité au concile de Trente. A son retour il fut fait évêque de Ségovie, en 1564, président du conseil de Castille en 1572, & cinq ans après évêque de Cuença ; mais il mourut à Madrid en 1577, à 66 ans, avant que d'avoir pris possession de ce dernier évêché. Ses ouvrages ont été recueillis en deux volumes in-folio ; on en fait grand cas, & on les réimprime toujours à Lyon & à Genève ; on estime sur-tout celui qui a pour titre, variarum resolutionum libri tres : Covarruvias est nonseulement un jurisconsulte de grand jugement, mais il passe encore pour le plus subtil interprete du droit que l'Espagne ait produit.

Garcias-Lasso de la Vega, un des célebres poëtes espagnols, étoit de grande naissance, & fut élevé auprès de l'empereur Charles-Quint. Il suivit ce prince en Allemagne, en Afrique, & en Provence : il commandoit un bataillon dans cette derniere expédition, où il fut blessé ; on le transporta à Nice, & l'empereur qui le considéroit lui fit donner tous les soins possibles ; mais il mourut de ses blessures vingt jours après, en 1536, à la fleur de son âge, à 36 ans.

Ses poésies ont été souvent réimprimées avec des notes de divers auteurs ; il ne faut pas s'en étonner. Garcias est un de ceux à qui la poésie espagnole a le plus d'obligation, non-seulement parce qu'il l'a fait sortir de ses premieres bornes, mais encore pour lui avoir procuré diverses beautés empruntées des étrangers : il étoit le premier des poëtes espagnols de son tems, & il réussissoit même assez bien en vers latins.

Il employa l'art à cultiver le naturel qu'il avoit pour la poésie ; il s'appliqua à la lecture des meilleurs d'entre les poëtes latins & Italiens, & il se forma sur leur modele. Ayant remarqué que Jean Boscan avoit réussi à faire passer la mesure & la rime des Italiens dans les vers espagnols, il abandonna cette sorte de poésie qu'on appelle ancienne, & qui est propre à la nation espagnole, pour embrasser la nouvelle, qui est imitée des Italiens : il quitta donc les couplets & les rondelets (coplas y redondillas), qui répondent à nos stances françoises, sans vouloir même retenir les vers de douze syllabes, ou d'onze, quand l'accent est sur la derniere du vers.

Il renonça même aux villanelles, qui répondent à nos ballades, aux romances, aux séguedilles, & aux gloses, pour faire des hendécasyllabes à l'italienne, qui consistent en des octaves, des rimes tierces, des sonnets, des chansons, & des vers libres. Il réussit en toutes ces sortes de rimes nouvelles, mais particulierement en rimes tierces, qui sont, 1°. des stances de trois vers, dont le premier rime au troisieme, le second au premier de la stance suivante, & ainsi jusqu'à la fin, où on ajoute un vers de plus dans la derniere stance, pour servir de derniere rime ; 2°. des stances dont le premier vers est libre, & les deux autres riment ensemble.

Cette nouvelle forme de poésie fut trouvée si bizarre, que quelques-uns tâcherent de la ruiner, & de rétablir l'ancienne, comme étant propre à l'Espagne : c'est ce qu'entreprit de faire Christophe de Castillejo ; mais ni lui ni les autres ne purent empêcher qu'elle n'eût le dessus, à la gloire de Garcias.

Ses ouvrages sont d'ailleurs animés de feu poétique & de noblesse ; c'est le jugement qu'en portent Mrs de Port-Royal dans leur nouvelle méthode espagnole. Paul Jove prétend même que les odes de Garcias ont la douceur de celles d'Horace.

Sanchez de Las-Brozas, savant grammairien espagnol, a fait des commentaires sur toutes les oeuvres de Garcias, & il a eu soin d'y remarquer les endroits imités des anciens, & d'en relever les beautés par des observations assez curieuses.

Il est bon de ne pas confondre le poëte de Tolede avec Lopès de Vega, autrement nommé Lopès-Felix-de-Vega-Carpio, autre poëte espagnol, chevalier de Malthe, né à Madrid en 1562, & mort en 1635. Il porta les armes avec quelque réputation, & cultiva la poésie avec une fécondité sans exemple, car ses comédies composent vingt-cinq volumes, dont chacun contient douze pieces de théatre. Quoiqu'elles soient généralement fort médiocres & peu travaillées, on a fait des recueils d'éloges à la gloire de l'auteur, & c'est à sa mémoire qu'un de ses confreres a consacré cette jolie épigramme.

El aplauso en que jamas

Tè podra bastar la fama,

Los mas del mundo te llama,

Y aun te queda a deber mas,

A los siglos que daras

Por duda y desconfianza,

Por castumbre à la alabanza,

A la invidia por officio,

Al dolor por exercizio,

Por termino à la esperanza.

Enfin, il faut encore distinguer notre poëte de Tolede d'un autre auteur assez célebre, qui porte le même nom, Garcias-Lasso-de-la-Vega, né à Cusco dans l'Amérique, & qui a donné en espagnol l'histoire de la Floride, & celle du Pérou & des Incas, qu'on a traduites en françois.

Salmeron (Alphonse), jésuite, naquit à Tolede en 1516, & mourut à Naples en 1595, à 69 ans. Il fit connoissance à Paris avec saint Ignace de Loyola, devint son ami, son compagnon, & un des neuf qui se présenterent avec lui au pape Paul III. en 1540. Il voyagea ensuite en Italie, en Allemagne, en Pologne, dans les Pays-bas, & en Irlande. Il composa des ouvrages d'un mérite assez médiocre ; il prit soin cependant de ne pas établir trop ouvertement la prétention de l'empire du pape sur le temporel des rois, en ne considérant cette puissance du pape que comme indirecte ; mais cette opinion est aussi pernicieuse à l'Eglise & à l'état, aussi capable de remplir la république de séditions & de troubles, que la chimere d'une autorité directe du pontife de Rome, sur l'autorité temporelle & indubitable des rois.

Je ne dois pas oublier, dans l'article de Tolede, une des illustres & des savantes dames du seizieme siecle, Sigée (Louise), connue sous le nom d'Aloisia Sigaea. Son pere lui apprit la philosophie & les langues. On dit que c'est lui qui introduisit l'amour pour les lettres à la cour de Portugal, où il mena son aimable fille, qu'on mit auprès de l'infante Marie, qui cultivoit les sciences dans le célibat. Louise Sigée épousa Alphonse Cueva de Burgos, & mourut en 1560.

On a d'elle un poëme latin intitulé Sintra, du nom d'une montagne de l'Estramadoure, au pié de laquelle est un rocher, où on dit qu'on a vu de tems-en-tems des tritons jouant de leur cornet : on lui attribue encore des épitres & diverses pieces en vers ; mais tout le monde sait que le livre infame, de arcanis amoris & Veneris, qui porte son nom, n'est point de cette dame, & qu'il est d'un moderne, qui a souillé sa plume à écrire les impuretés grossieres & honteuses dont ce livre est rempli. (D.J.)


TOLEN(Géogr. mod.) île des Pays-bas, dans la province de Zélande, près de la côte du Brabant dont elle n'est séparée que par un canal. Sa capitale qui est située sur ce canal, porte aussi le nom de Tolen ; c'est une ancienne ville qui a le troisieme rang entre celles de Zélande, & va après Middelbourg & Ziriczée Long. 21. 40. lat. 51. 34. (D.J.)


TOLENTINO(Géog. mod.) ville d'Italie, dans la Marche d'Ancone, sur la gauche de Chiento, à six milles de San Sevérino, à dix de Macerata, & quinze de Camérino. Elle avoit dès le cinquieme siecle un évêché, qui fut uni à celui de Macerata en 1586. Long. 31. 4. lat. 43. 12.

Philelphe (François), un des plus célebres écrivains du quinzieme siecle, naquit dans cette ville en 1398, & mourut à Milan en 1481, ayant 83 ans presque accomplis. Il professa dans les plus illustres villes d'Italie, avec une réputation extraordinaire, à Venise, à Florence, à Sienne, à Bologne, à Milan, &c. Il étoit grammairien, poëte, orateur & philosophe. On a de lui des harangues, des lettres, des dialogues, des satyres, & un grand nombre d'autres écrits latins en vers & en prose. Voici la liste de quelques-uns de ses principaux ouvrages.

1° Appiani Alexandrini historiae. Il entreprit cette version parce qu'il ne pouvoit souffrir, disoit-il, qu'un auteur aussi éloquent ne parût qu'un barbare, par la mauvaise traduction que Décembrius en avoit donnée. 2°. Une traduction de Dion, dont LÉonard Arétin fait de grands éloges. Béroalde a publié cette traduction in -4°. avec quelques autres opuscules. 3°. Conviviorum libri duo, imprimés plusieurs fois, entr'autres à Paris en 1552 in -8°. Item 4°. Satyrae, Milan 1476, in-fol. Venise 1502, in-4 °. Paris 1518, in-4 °. Ces satyres sont au nombre de cent, partagées en dix livres, & contiennent chacune cent vers, ce qui les lui a fait appeller hecatosticha ; elles ont le mérite par rapport aux faits, mais non pas pour la beauté des vers. 5°. Epistolarum familiarum libri XXXVII. Venise 1502, in-fol. & à Hambourg 1681 ; on trouve dans ces lettres des particularités de la vie de l'auteur, & quantité de traits de l'histoire littéraire & politique de ce tems-là. 6. Carminum libri V. Bresciae 1497, in -4°. Outre ces ouvrages latins, Philelphe a donné un commentaire italien sur les sonnets de Pétrarque, dont la premiere édition est de Bologne 1475, in-fol.

Il est certain que c'étoit un très-habile homme, quoique vain, mordant, satyrique ; mais c'étoit le goût dominant de son siecle, où presque tous les savans n'ont pas été plus modérés que lui. Je pardonnerois moins à Philelphe son inconstance & son inquiétude continuelle. Toujours mécontent de son sort, il chercha sans cesse la tranquillité, qu'il n'étoit pas en lui de se procurer. Sa dissipation mal entendue, ce mépris de l'argent dont il se pare à chaque instant, l'obligerent à faire des bassesses, qui répondoient peu à la prétendue noblesse de ses sentimens.

Il est vrai pourtant qu'il étoit généreux, donnoit volontiers d'une main ce qu'il arrachoit de l'autre, & ne pouvoit prendre sur lui l'attention de ménager pour se procurer des ressources dans la nécessité. Il avoit une nombreuse famille, & plusieurs valets ; aimoit le faste, & recevoit honorablement ses amis. D'ailleurs il n'épargnoit rien pour acheter & pour faire copier des livres. Au reste, il avoit conservé une santé vigoureuse par la sobriété ; aussi n'éprouvoit-il aucune incommodité dans sa plus grande vieillesse. Ses lettres respirent des sentimens, une morale saine, & une érudition aussi variée & aussi étendue que son siecle le comportoit. (D.J.)


TOLENUS(Géog. anc.) fleuve d'Italie chez les Marses. Orose, l. V. c. xviij. cité par Ortélius, dit que ce fut sur le bord de ce fleuve que Rutilius & huit mille romains qu'il avoit avec lui, furent pris par les Marses. C'est le Thelonum dont parle Ovide, Fastor. l. VI. vers. 565.

.... Flumenque Thelonum

Purpureum mistis sanguine fluxit aquis.

Ortélius conjecture que ce fleuve est le même que le

Liris. (D.J.)


TOLÉRANCE(Ordre encyclop. Théolog. Morale, Politiq.) la tolérance est en général la vertu de tout être foible, destiné à vivre avec des êtres qui lui ressemblent. L'homme si grand par son intelligence, est en même tems si borné par ses erreurs & par ses passions, qu'on ne sauroit trop lui inspirer pour les autres, cette tolérance & ce support dont il a tant besoin pour lui-même, & sans lesquelles on ne verroit sur la terre que troubles & dissentions. C'est en effet, pour les avoir proscrites, ces douces & conciliantes vertus, que tant de siecles ont fait plus ou moins l'opprobre & le malheur des hommes ; & n'esperons pas que sans elles, nous rétablissions jamais parmi nous le repos & la prospérité.

On peut compter sans doute plusieurs sources de nos discordes. Nous ne sommes que trop féconds en ce genre ; mais comme c'est sur-tout en matiere de sentiment & de religion, que les préjugés destructeurs triomphent avec plus d'empire, & des droits plus spécieux, c'est aussi à les combattre que cet article est destiné. Nous établirons d'abord sur les principes les plus évidens, la justice & la nécessité de la tolérance ; & nous tracerons d'après ces principes, les devoirs des princes & des souverains. Quel triste emploi cependant, que d'avoir à prouver aux hommes des vérités si claires, si intéressantes, qu'il faut pour les méconnoître, avoir dépouillé sa nature ; mais s'il en est jusque dans ce siecle, qui ferment leurs yeux à l'évidence, & leur coeur à l'humanité, garderions-nous dans cet ouvrage un lâche & coupable silence ? non ; quel qu'en soit le succès, osons du-moins reclamer les droits de la justice & de l'humanité, & tentons encore une fois d'arracher au fanatique son poignard, & au superstitieux son bandeau.

J'entre en matiere par une réflexion très-simple, & cependant bien favorable à la tolérance, c'est que la raison humaine n'ayant pas une mesure précise & déterminée, ce qui est évident pour l'un est souvent obscur pour l'autre ; l'évidence n'étant, comme on sait, qu'une qualité relative, qui peut venir ou du jour sous lequel nous voyons les objets, ou du rapport qu'il y a entre eux & nos organes, ou de telle autre cause ; en sorte que tel degré de lumiere suffisant pour convaincre l'un, est insuffisant pour un autre dont l'esprit est moins vif, ou différemment affecté, d'où il suit que nul n'a droit de donner sa raison pour regle, ni de prétendre asservir personne à ses opinions. Autant vaudroit en effet exiger que je regarde avec vos yeux, que de vouloir que je croie sur votre jugement. Il est donc clair que nous avons tous notre maniere de voir & de sentir, qui ne dépend que bien peu de nous. L'éducation, les préjugés, les objets qui nous environnent, & mille causes secrettes, influent sur nos jugemens & les modifient à l'infini. Le monde moral est encore plus varié que le physique ; & les esprits se ressemblent moins que les corps. Nous avons, il est vrai, des principes communs sur lesquels on s'accorde assez ; mais ces premiers principes sont en très-petit nombre, les conséquences qui en découlent deviennent toujours moins claires à mesure qu'elles s'en éloignent ; comme ces eaux qui se troublent en s'éloignant de leur source. Dès-lors les sentimens se partagent, & sont d'autant plus arbitraires, que chacun y met du sien, & trouve des résultats plus particuliers. La déroute n'est pas d'abord si sensible ; mais bientôt, plus on marche, plus on s'égare, plus on se divise ; mille chemins conduisent à l'erreur, un seul mene à la vérité : heureux qui sait le reconnoître ! Chacun s'en flatte pour son parti, sans pouvoir le persuader aux autres ; mais si dans ce conflit d'opinions, il est impossible de terminer nos différends, & de nous accorder sur tant de points délicats, sachons du-moins nous rapprocher & nous unir par les principes universels de la tolérance & de l'humanité, puisque nos sentimens nous partagent, & que nous ne pouvons être unanimes. Qu'y a-t-il de plus naturel que de nous supporter mutuellement, & de nous dire à nous-mêmes avec autant de vérité que de justice ? " Pourquoi celui qui se trompe, cesseroit-il de m'être cher ? l'erreur ne fut-elle pas toujours le triste apanage de l'humanité ? Combien de fois j'ai cru voir le vrai, où dans la suite j'ai reconnu le faux ? combien j'en ai condamné, dont j'ai depuis adopté les idées ? Ah, sans doute, je n'ai que trop acquis le droit de me défier de moi-même, & je me garderai de haïr mon frere, parce qu'il pense autrement que moi ! "

Qui peut donc voir, sans douleur & sans indignation, que la raison même qui devroit nous porter à l'indulgence & à l'humanité, l'insuffisance de nos lumieres & la diversité de nos opinions, soit précisement celle qui nous divise avec plus de fureur ? Nous devenons les accusateurs & les juges de nos semblables ; nous les citons avec arrogance à notre propre tribunal, & nous exerçons sur leurs sentimens l'inquisition la plus odieuse ; & comme si nous étions infaillibles, l'erreur ne peut trouver grace à nos yeux. Cependant quoi de plus pardonnable, lorsqu'elle est involontaire, & qu'elle s'offre à nous sous les apparences de la vérité ? les hommages que nous lui rendons, n'est-ce pas à la vérité même que nous voulons les adresser ? Un prince n'est-il pas honoré de tous les honneurs que nous faisons à celui que nous prenons pour lui-même ? Notre méprise peut-elle affoiblir notre mérite à ses yeux, puisqu'il voit en nous le même dessein, la même droiture que dans ceux qui mieux instruits, s'adressent à sa personne ? Je ne vois point de raisonnement plus fort contre l'intolérance ; on n'adopte point l'erreur comme erreur ; on peut quelquefois y persévérer à dessein par des motifs intéressés, & c'est alors qu'on est coupable. Mais je ne conçois pas ce qu'on peut reprocher à celui qui se trompe de bonne foi, qui prend le faux pour le vrai sans qu'on puisse l'accuser de malice ou de négligence ; qui se laisse éblouir par un sophisme, & ne sent pas la force du raisonnement qui le combat. S'il manque de discernement ou de pénétration, ce n'est pas ce dont il s'agit ; on n'est pas coupable pour être borné, & les erreurs de l'esprit ne peuvent nous être imputées qu'autant que notre coeur y a part. Ce qui fait l'essence du crime, c'est l'intention directe d'agir contre ses lumieres, de faire ce qu'on sait être mal, de céder à des passions injustes, & de troubler à dessein les loix de l'ordre qui nous sont connues ; en un mot, toute la moralité de nos actions est dans la conscience, dans le motif qui nous fait agir. Mais, dites-vous, cette vérité est d'une telle évidence, qu'on ne peut s'y soustraire sans s'aveugler volontairement, sans être coupable d'opiniâtreté ou de mauvaise foi ? Eh, qui êtes-vous pour prononcer à cet égard, & pour condamner vos freres ? Pénétrez-vous dans le fond de leur ame ? ses replis sont-ils ouverts à vos yeux ? partagez-vous avec l'éternel l'attribut incommunicable de scrutateur des coeurs ? quel sujet demande plus d'examen, de prudence & de modération, que celui que vous décidez avec tant de légéreté & d'assurance ? est-il donc si facile de marquer avec précision les bornes de la vérité ; de distinguer avec justesse, le point souvent invisible où elle finit, & où l'erreur commence ; de déterminer ce que tout homme doit admettre & concevoir, ce qu'il ne peut rejetter sans crime ? Qui peut connoître, encore une fois, la nature intime des esprits, & toutes les modifications dont ils sont susceptibles ? Nous le voyons tous les jours, il n'est point de vérité si claire qui n'éprouve des contradictions ; il n'est point de système auquel on ne puisse opposer des objections, souvent aussi fortes que les raisons qui le défendent. Ce qui est simple & évident pour l'un, paroît faux & incompréhensible à l'autre : ce qui ne vient pas seulement de leurs divers degrés de lumieres, mais encore de la différence même des esprits ; car on observe dans les plus grands génies, la même varieté d'opinions, & plus grande assurément entre eux, que dans le vulgaire.

Mais sans nous arrêter à ces généralités, entrons dans quelque détail ; & comme la vérité s'établit mieux quelquefois par son contraire que directement, si nous montrons en peu de mots l'inutilité, l'injustice & les suites funestes de l'intolérance, nous aurons prouvé la justice & la nécessité de la vertu qui lui est opposée.

De tous les moyens qu'on emploie pour arriver à quelque but, la violence est assurément le plus inutile & le moins propre à remplir celui qu'on se propose : en effet pour atteindre à un but quel qu'il soit, il faut au moins s'assurer de la nature & de la convenance des moyens que l'on a choisis ; rien n'est plus sensible, toute cause doit avoir en soi un rapport nécessaire avec l'effet qu'on en attend ; ensorte qu'on puisse voir cet effet dans sa cause, & le succès dans les moyens ; ainsi pour agir sur des corps, pour les mouvoir, les diriger, on employera des forces physiques ; mais pour agir sur des esprits, pour les fléchir, les déterminer, il en faudra d'un autre genre, des raisonnemens, par exemple, des preuves, des motifs ; ce n'est point avec des syllogismes que vous tenterez d'abattre un rempart, ou de ruiner une forteresse ; & ce n'est point avec le fer & le feu que vous détruirez des erreurs, ou redresserez de faux jugemens. Quel est donc le but des persécuteurs ? De convertir ceux qu'ils tourmentent ; de changer leurs idées & leurs sentimens pour leur en inspirer de contraires ; en un mot, de leur donner une autre conscience, un autre entendement. Mais quel rapport y a-t-il entre des tortures & des opinions ? Ce qui me paroît clair, évident, me paroîtra-t-il faux dans les souffrances ? Une proposition que je vois comme absurde & contradictoire, sera-t-elle claire pour moi sur un échafaud ? Est-ce, encore une fois, avec le fer & le feu que la vérité perce & se communique ? Des preuves, des raisonnemens peuvent me convaincre & me persuader ; montrez-moi donc ainsi le faux de mes opinions, & j'y renoncerai naturellement & sans effort ; mais vos tourmens ne feront jamais ce que vos raisons n'ont pu faire.

Pour rendre ce raisonnement plus sensible, qu'on nous permette d'introduire un de ces infortunés qui, prêt à mourir pour la foi, parle ainsi à ses persécuteurs : " O, mes freres, qu'exigez-vous de moi ? comment puis-je vous satisfaire ? Est-il en mon pouvoir de renoncer à mes sentimens, à mes opinions, pour m'affecter des vôtres ? de changer, de refondre l'entendement que Dieu m'a donné, de voir par d'autres yeux que les miens, & d'être un autre que moi ? Quand ma bouche exprimeroit cet aveu que vous desirez, dépendroit-il de moi que mon coeur fût d'accord avec elle, & ce parjure forcé de quel prix seroit-il à vos yeux ? Vous-même qui me persécutez, pourriez-vous jamais vous résoudre à renier votre croyance ? Ne feriez-vous pas aussi votre gloire de cette constance qui vous irrite & qui vous arme contre moi ? Pourquoi voulez-vous donc me forcer, par une inconséquence barbare, à mentir contre moi-même, & à me rendre coupable d'une lâcheté qui vous feroit horreur ?

Par quel étrange aveuglement renversez-vous pour moi seul toutes les loix divines & humaines ? Vous tourmentez les autres coupables pour tirer d'eux la vérité, & vous me tourmentez pour m'arracher des mensonges ; vous voulez que je vous dise ce que je ne suis pas, & vous ne voulez pas que je vous dise ce que je suis. Si la douleur me faisoit nier les sentimens que je professe, vous approuveriez mon désaveu, quelque suspect qu'il vous dût être ; vous punissez ma sincérité, vous récompenseriez mon apostasie ; vous me jugez indigne de vous, parce que je suis de bonne foi ; n'est-ce donc qu'en cessant de l'être que je puis mériter ma grace ? Disciples d'un maître qui ne prêcha que la vérité, croyez-vous augmenter sa gloire, en lui donnant pour adorateurs des hypocrites & des parjures ? Si c'est le mensonge que j'embrasse & que je défends, il a pour moi toutes les apparences de la vérité ; Dieu qui connoît mon coeur, voit bien qu'il n'est point complice des égaremens de mon esprit, & que dans mes intentions, c'est la vérité que j'honore, même en combattant contr'elle.

Eh ! quel autre intérêt, quel autre motif pourroit m'animer ? Si je m'expose à tout souffrir, à perdre tout ce que j'ai de plus cher pour suivre des sentimens dont l'erreur m'est connue, je ne suis qu'un insensé, un furieux, plus digne de votre pitié que de votre haine ; mais si je m'expose à tout souffrir, si je brave les tourmens & la mort pour conserver ce qui m'est plus précieux que la vie, les droits de ma conscience & de ma liberté, que voyez-vous dans ma persévérance qui mérite votre indignation ? Mes sentimens, dites-vous, sont les plus dangereux, les plus condamnables ; mais n'avez-vous que le fer & le feu pour m'en convaincre & me ramener ? Quel étrange moyen de persuasion que des bûchers & des échafauts ! La vérité même seroit méconnue sous cet aspect ; hélas ! ce n'est pas ainsi qu'elle exerce sur nous son empire, elle a des armes plus victorieuses ; mais celles que vous employez ne prouvent que votre impuissance : s'il est vrai que mon sort vous touche, que vous déploriez mes erreurs, pourquoi précipiter ma ruine, que j'aurois prévenue peut-être ? pourquoi me ravir un tems que Dieu m'accorde pour m'éclairer ? Prétendez-vous lui plaire en empiétant sur ses droits, en prévenant sa justice ? & pensez-vous honorer un Dieu de paix & de charité, en lui offrant vos freres en holocauste, & en lui élevant des trophées de leurs cadavres " ? Telles seroient en substance les expressions que la douleur & le sentiment arracheroient à cet infortuné, si les flammes qui l'environnent lui permettoient d'achever.

Quoiqu'il en soit, plus on approfondit le système des intolérans, & plus on en sent la foiblesse & l'injustice : du moins auroient-ils un prétexte, si des hommages forcés, qu'à l'instant le coeur désavoue, pouvoient plaire au Créateur ; mais si la seule intention fait le prix du sacrifice, & si le culte intérieur est surtout celui qu'il demande, de quel oeil cet Etre infini doit-il voir des téméraires qui osent attenter à ses droits, & profaner son plus bel ouvrage en tirannisant des coeurs dont il est jaloux ? Il n'est aucun roi sur la terre qui daignât accepter un encens que la main seule offriroit, & l'on ne rougit pas d'exiger pour Dieu cet indigne encens ; car enfin tels sont les succès si vantés des persécuteurs, de faire des hypocrites ou des martyrs, des lâches ou des héros ; l'ame foible & pusillanime qui s'effarouche à l'aspect des tourmens, abjure en frémissant sa croyance, & déteste l'auteur de son crime : l'ame généreuse au contraire, qui sait contempler d'un oeil sec le supplice qu'on lui prépare, demeure ferme & inaltérable, regarde avec pitié les persécuteurs, & vole au trépas comme au triomphe ; l'expérience n'est que trop pour nous ; quand le fanatisme a fait couler des flots de sang sur la terre, n'a-t-on pas vu des martyrs sans nombre s'indigner & se roidir contre les obstacles ? Et à l'égard des conversions forcées, ne les vit-on pas aussi-tôt disparoître avec le péril, l'effet cesser avec la cause, & celui qui céda pour un tems, revoler vers les siens dès qu'il en eut le pouvoir ; pleurer avec eux sa foiblesse, & reprendre avec transport sa liberté naturelle ? Non, je ne conçois point de plus horrible blasphème que de se dire autorisé de Dieu en suivant de tels principes.

Il est donc vrai que la violence est bien plus propre à confirmer dans leur religion, qu'à en détacher ceux qu'on persécute, & à réveiller, comme on prétend, leur conscience endormie. " Ce n'est point, disoit un politique, en remplissant l'ame de ce grand objet, en l'approchant du moment où il lui doit être d'une plus grande importance, qu'on parvient à l'en détacher ; les loix pénales, en fait de religion, impriment de la crainte, il est vrai, mais comme la religion a ses loix pénales, qui inspirent aussi de la crainte, entre ces deux craintes différentes les ames deviennent atroces. Nous ne voulons point, dites-vous, engager un homme à trahir sa conscience, mais seulement l'animer par la crainte ou par l'espoir à secouer ses préjugés, & à distinguer la vérité de l'erreur qu'il professe. Eh ! qui pourroit, je vous prie, se livrer dans les momens critiques, à la méditation, à l'examen que vous proposez ? L'état le plus paisible, l'attention la plus soutenue, la liberté la plus entiere suffisent à peine pour cet examen ; & vous voulez qu'une ame environnée des horreurs du trépas, & sans cesse obsédée par les plus affreuses images, soit plus capable de reconnoître & de saisir cette vérité qu'elle auroit méconnue dans des tems plus tranquilles : quelle absurdité ! quelle contradiction " ! Non, non, tel sera toujours le succès de ces violences, d'affermir, comme nous l'avons dit, dans leurs sentimens, ceux qui en sont les objets, par les malheurs mêmes qu'ils leur attirent ; de les prévenir au contraire contre les sentimens de leurs ennemis, par la maniere même dont ils les présentent, & de leur inspirer pour leur religion, la même horreur que pour leur personne.

Qu'ils ne s'en prennent donc qu'à eux-mêmes, qui trahissent indignement la vérité, s'ils en jouissent ; qui la confondent avec l'imposture, en lui donnant ses armes, & en la montrant sous ses étendarts ; cela seul ne suffiroit-il pas pour donner des préjugés contr'elle, & la faire méconnoître à ceux qui l'auroient peut-être embrassée ? Non, quoi qu'ils en disent, la vérité n'a besoin que d'elle-même pour se soutenir, & pour captiver les esprits & les coeurs ; elle brille de son propre éclat, & ne combat qu'avec ses armes ; c'est dans son sein qu'elle puise & ses traits & sa lumiere ; elle rougiroit d'un secours étranger qui ne pourroit qu'obscurcir ou partager sa gloire ; sa contrainte à elle est dans sa propre excellence ; elle ravit, elle entraîne, elle subjugue par sa beauté ; son triomphe, c'est de paroître ; sa force, d'être ce qu'elle est. Foible au contraire & impuissante par elle-même, l'erreur feroit peu de progrès sans la violence & la contrainte ; aussi fuit-elle avec soin tout examen, tout éclaircissement qui ne pourroit que nuire à sa cause ; c'est au milieu des ténebres de la superstition & de l'ignorance qu'elle aime à porter ses coups & à répandre ses dogmes impurs ; c'est alors qu'au mépris des droits de la conscience & de la raison, elle exerce impunément le despotisme de l'intolérance, & gouverne ses propres sujets avec un sceptre de fer ; si le sage ose élever sa voix, la crainte l'étouffe bientôt ; & malheur à l'audacieux qui confesse la vérité au milieu de ses ennemis. Cessez donc, persécuteurs, cessez, encore une fois, de défendre cette vérité avec les armes de l'imposture ; d'enlever au Christianisme la gloire de ses fondateurs ; de calomnier l'Evangile, & de confondre le fils de Marie avec l'enfant d'Ismaël ; car enfin de quel droit en appelleriez-vous au premier, & aux moyens dont il s'est servi pour établir sa doctrine, si vous suivez les traces de l'autre ? Vos principes mêmes ne sont-ils pas votre condamnation ? Jesus, votre modele, n'a jamais employé que la douceur & la persuasion ; Mahomet a séduit les uns & forcé les autres au silence ; Jesus en a appellé à ses oeuvres, Mahomet à son épée ; Jesus dit : voyez & croyez ; Mahomet, meurs ou crois. Duquel vous montrez-vous les disciples ? Oui, je ne saurois trop l'affirmer, la vérité differe autant de l'erreur dans ses moyens que dans son essence ; la douceur, la persuasion, la liberté, voilà ses divins caracteres ; qu'elle s'offre donc ainsi à mes yeux, & soudain mon coeur se sentira entraîné vers elle ; mais là où regnent la violence & la tyrannie, ce n'est point elle, c'est son fantôme que je vois. Eh ! pensez-vous en effet que dans la tolérance universelle que nous voudrions établir, nous ayons plus d'égard aux progrès de l'erreur qu'à ceux de la vérité ? si tous les hommes adoptant nos principes s'accordoient un mutuel support, se défioient de leurs préjugés les plus chers, & regardoient la vérité comme un bien commun, dont il seroit aussi injuste de vouloir priver les autres que de s'en croire en possession exclusivement à eux ; si tous les hommes, dis-je, cessant d'abonder en leur sens se répondoient des extrêmités de la terre, pour se communiquer en paix leurs sentimens, leurs opinions, & les peser sans partialité dans la balance du doute & de la raison, croit-on que dans ce silence unanime des passions & des préjugés, on ne vît pas au contraire la vérité reprendre ses droits, étendre insensiblement son empire, & les ténebres de l'erreur s'écouler & fuir devant elle, comme ces ombres légeres à l'approche du flambeau du jour ?

Je ne prétends pas cependant que l'erreur ne fît alors aucun progrès, ni que l'infidele abjurât aisément des mensonges rendus respectables à force de prévention & d'antiquité : je soutiens seulement que les progrès de la vérité en seroient bien plus rapides, puisqu'avec son ascendant naturel elle auroit moins d'obstacles à vaincre pour pénétrer dans les coeurs. Mais rien, quoi qu'on en dise, ne lui est plus opposé que le système de l'intolérance qui tourmente & dégrade l'homme en asservissant ses opinions au sol qui le nourrit, en comprimant dans un cercle étroit de préjugés son active intelligence, en lui interdisant le doute & l'examen comme un crime, & en l'accablant d'anathèmes, s'il ose raisonner un instant & penser autrement que nous. Quel moyen plus sûr pouvoit-on choisir pour éterniser les erreurs & pour enchaîner la vérité ?

Mais sans presser davantage le système des intolérans, jettons un coup-d'oeil rapide sur les conséquences qui en découlent, & jugeons de la cause par les effets. On ne peut faire un plus grand mal aux hommes que de confondre tous les principes qui les gouvernent ; de renverser les barrieres qui séparent le juste & l'injuste, le vice & la vertu ; de briser tous les noeuds de la société ; d'armer le prince contre ses sujets, les sujets contre leur prince ; les peres, les époux, les amis, les freres, les uns contre les autres ; d'allumer au feu des autels le flambeau des furies ; en un mot, de rendre l'homme odieux & barbare à l'homme, & d'étouffer dans les coeurs tout sentiment de justice & d'humanité : tels sont cependant les résultats inévitables des principes que nous combattons. Les crimes les plus atroces, les parjures, les calomnies, les trahisons, les parricides ; tout est justifié par la cause, tout est sanctifié par le motif, l'intérêt de l'Eglise, la nécessité d'étendre son regne, & de proscrire à tout prix ceux qui lui résistent, autorise & consacre tout : étrange renversement d'idées, abus incompréhensible de tout ce qu'il y a de plus auguste & de plus saint ! la religion donnée aux hommes pour les unir & les rendre meilleurs, devient le prétexte même de leurs égaremens les plus affreux ; tous les attentats commis sous ce voile sont désormais légitimes, le comble de la scélératesse devient le comble de la vertu ; on fait des saints & des héros de ceux que les juges du monde puniroient du dernier supplice ; on renouvelle pour le Dieu des Chrétiens le culte abominable de Saturne & de Moloch, l'audace & le fanatisme triomphent, & la terre voit avec horreur des monstres déifiés. Qu'on ne nous accuse point de tremper notre pinceau dans le fiel, nous ne pourrions que trop nous justifier de ce reproche, & nous frissonnons des preuves que nous avons en main : gardons-nous cependant de nous en prévaloir, il vaut mieux laisser dans l'oubli ces tristes monumens de notre honte & de nos crimes, & nous épargner à nous - mêmes un tableau trop humiliant pour l'humanité. Toujours est - il certain qu'avec l'intolérance vous ouvrez une source intarissable de maux, dès-lors chaque partie s'arrogera les mêmes droits, chaque secte employera la violence & la contrainte, les plus foibles opprimés dans un lieu deviendront oppresseurs dans l'autre, les vainqueurs auront toujours droit, les vaincus seront les seuls hérétiques, & ne pourront se plaindre que de leur foiblesse ; il ne faudra qu'une puissante armée pour établir ses sentimens, & confondre ses adversaires ; le destin de la vérité suivra celui des combats, & les plus féroces mortels seront aussi les meilleurs croyans : on ne verra donc de toutes parts que des buchers, des échaffauds, des proscriptions, des supplices. Calvinistes, romains, luthériens, juifs & grecs, tous se dévoreront comme des bêtes féroces ; les lieux où regne l'Evangile seront marqués par le carnage & la désolation ; des inquisiteurs seront nos maîtres ; la croix de Jesus deviendra l'étendart du crime, & ses disciples s'enivreront du sang de leurs freres ; la plume tombe à ces horreurs, cependant elles découlent directement de l'intolérance ; car je ne crois pas qu'on m'oppose l'objection si souvent foudroyée, que la véritable Eglise étant seule en droit d'employer la violence & la contrainte, les hérétiques ne pourroient sans crime agir pour l'erreur, comme elle agit pour la vérité ; un sophisme si puérile porte avec lui sa réfutation ; qui ne voit en effet qu'il est absurde de supposer la question même, & de prétendre que ceux que nous appellons hérétiques se reconnoissent pour tels, se laissent tranquillement égorger & s'abstiennent de représailles ?

Concluons que l'intolérance universellement établie armeroit tous les hommes les uns contre les autres, & feroient naître sans fin les guerres avec les opinions ; car en supposant que les infideles ne fussent point persécuteurs par des principes de religion, ils le seroient du-moins par politique & par intérêt ; les Chrétiens ne pouvant tolérer ceux qui n'adoptent pas leurs idées, on verroit avec raison tous les peuples se liguer contr'eux, & conjurer la ruine de ces ennemis du genre humain, qui, sous le voile de la religion, ne verroient rien d'illégitime pour le tourmenter & pour l'asservir. En effet, je le demande, qu'aurions nous à reprocher à un prince de l'Asie ou du Nouveau-monde qui feroit pendre le premier missionnaire que nous lui enverrions pour le convertir ? Le devoir le plus essentiel d'un souverain n'est-ce pas d'affermir la paix & la tranquillité dans ses états, & d'en proscrire avec soin ces hommes dangereux qui couvrant d'abord leur foiblesse d'une hypocrite douceur, ne cherchent dès qu'ils en ont le pouvoir qu'à répandre des dogmes barbares & séditieux ? Que les Chrétiens ne s'en prennent donc qu'à eux-mêmes, si les autres peuples instruits de leurs maximes ne veulent point les souffrir, s'ils ne voient en eux que les assassins de l'Amérique ou les perturbateurs des Indes, & si leur sainte religion destinée à s'étendre & à fructifier sur la terre en est avec raison bannie par leurs excès & par leurs fureurs.

Au reste il nous paroît inutile d'opposer aux intolérans les principes de l'Evangile, qui ne fait qu'étendre & développer ceux de l'équité naturelle, de leur rappeller les leçons & l'exemple de leur auguste maître qui ne respira jamais que douceur & charité, & de retracer à leurs yeux la conduite de ces premiers Chrétiens, qui ne savoient que benir & prier pour leurs persécuteurs. Nous ne produirons point ces raisonnemens, dont les anciens peres de l'Eglise se servoient avec tant de force contre les Nérons & les Dioclétiens, mais qui depuis Constantin le Grand sont devenus ridicules & si faciles à retorquer. On sent que dans un article nous ne pouvons qu'effleurer une matiere aussi abondante : ainsi après avoir rappellé les principes qui nous ont paru les plus généraux & les plus lumineux, il nous reste pour remplir notre objet à tracer les devoirs des souverains, relativement aux sectes qui partagent la société.

Incedo per ignes.

Dans une matiere aussi délicate, je ne marcherai point sans autorité ; & dans l'exposition de quelques principes généraux, on verra sans peine les conséquences qui en découlent.

I. Donc on ne réduira jamais la question à son véritable point, si l'on ne distingue d'abord l'état de l'église & le prêtre du magistrat. L'état ou la république a pour but la conservation de ses membres, l'assurance de leur liberté, de leur vie, de leur tranquillité, de leurs possessions & de leurs privileges : l'Eglise au contraire est une société, dont le but est la perfection de l'homme & le salut de son ame. Le souverain regarde sur-tout la vie présente : l'Eglise regarde sur-tout & directement la vie à venir. Maintenir la paix dans la société contre tous ceux qui voudroient y porter atteinte, c'est le devoir & le droit du souverain ; mais son droit expire où regne celui de la conscience : ces deux jurisdictions doivent toujours être séparées ; elles ne peuvent empiéter l'une sur l'autre, qu'il n'en résulte des maux infinis.

II. En effet le salut des ames n'est confié au magistrat ni par la loi révélée, ni par la loi naturelle, ni par le droit politique. Dieu n'a jamais commandé que les peuples fléchissent leur conscience au gré de leurs monarques, & nul homme ne peut s'engager de bonne foi à croire & à penser comme son prince l'exige. Nous l'avons déja dit : rien n'est plus libre que les sentimens ; nous pouvons extérieurement & de bouche acquiescer aux opinions d'un autre, mais il nous est aussi impossible d'y acquiescer intérieurement & contre nos lumieres, que de cesser d'être ce que nous sommes. Quels seroient d'ailleurs les droits du magistrat ? la force & l'autorité ? mais la religion se persuade & ne se commande pas. C'est une vérité si simple, que les apôtres même de l'intolérance n'osent la désavouer lorsque la passion ou le préjugé féroce cesse d'offusquer leur raison. Enfin si dans la religion la force pouvoit avoir lieu ; si même (qu'on nous permette cette absurde supposition) elle pouvoit persuader, il faudroit, pour être sauvé, naître sous un prince orthodoxe, le mérite du vrai chrétien seroit un hasard de naissance : il y a plus, il faudroit varier sa croyance pour la conformer à celle des princes qui se succedent, être catholique sous Marie, & protestant sous Elisabeth ; quand on abandonne une fois les principes, on ne voit plus où arrêter le mal.

III. Expliquons-nous donc librement, & empruntons le langage de l'auteur du contrat social. Voici comme il s'explique sur ce point. " Le droit que le pacte social donne au souverain sur les sujets, ne passe point les bornes de l'utilité publique ; les sujets ne doivent donc compte au souverain de leurs opinions, qu'autant que ces opinions importent à la communauté. Or il importe bien à l'état que chaque citoyen ait une religion qui lui fasse aimer ses devoirs ; mais les dogmes de cette religion n'intéressent l'état, ni ses membres, qu'autant qu'ils se rapportent à la société. Il y a une profession de foi purement civile, dont il appartient au souverain de fixer les articles, non pas précisément comme dogmes de religion, mais comme sentimens de sociabilité, sans lesquels il est impossible d'être bon citoyen, ni sujet fidele, sans pouvoir obliger personne à les croire ; il peut bannir de l'état quiconque ne les croit pas, non comme impie, mais comme insociable, comme incapable d'aimer sincerement les loix de la justice, & d'immoler au besoin sa vie à son devoir ".

IV. On peut tirer de ces paroles ces conséquences légitimes. La premiere, c'est que les souverains ne doivent point tolérer les dogmes qui sont opposés à la société civile ; ils n'ont point, il est vrai, d'inspection sur les consciences, mais ils doivent réprimer ces discours téméraires qui pourroient porter dans les coeurs la licence & le dégoût des devoirs. Les athées en particulier, qui enlevent aux puissans le seul frein qui les retienne, & aux foibles leur unique espoir, qui énerve toutes les loix humaines en leur ôtant la force qu'elles tirent d'une sanction divine, qui ne laissent entre le juste & l'injuste qu'une distinction politique & frivole, qui ne voient l'opprobre du crime que dans la peine du criminel : les athées, dis-je, ne doivent pas réclamer la tolérance en leur faveur ; qu'on les instruise d'abord, qu'on les exhorte avec bonté ; s'ils persistent, qu'on les réprime, enfin rompez avec eux, bannissez-les de la société, eux-mêmes en ont brisé les liens. 2°. Les souverains doivent s'opposer avec vigueur aux entreprises de ceux qui couvrant leur avidité du prétexte de la religion, voudroient attenter aux biens ou des particuliers, ou des princes mêmes. 3°. Sur-tout qu'ils proscrivent avec soin ces sociétés dangereuses, qui soumettant leurs membres à une double autorité, forment un état dans l'état, rompent l'union politique, relâchent, dissolvent les liens de la patrie pour concentrer dans leur corps leurs affections & leurs intérêts, & sont ainsi disposés à sacrifier la société générale à leur société particuliere. En un mot, que l'état soit un, que le prêtre soit avant tout citoyen ; qu'il soit soumis, comme tout autre, à la puissance du souverain, aux loix de sa patrie ; que son autorité purement spirituelle se borne à instruire, à exhorter, à prêcher la vertu ; qu'il apprenne de son divin maître que son regne n'est pas de ce monde ; car tout est perdu, si vous laissez un instant dans la même main le glaive & l'encensoir.

Regle générale. Respectez inviolablement les droits de la conscience dans tout ce qui ne trouble point la société. Les erreurs spéculatives sont indifférentes à l'état ; la diversité des opinions régnera toujours parmi des êtres aussi imparfaits que l'homme ; la vérité produit les hérésies comme le soleil des impuretés & des taches : n'allez donc pas aggraver un mal inévitable, en employant le fer & le feu pour le déraciner ; punissez les crimes ; ayez pitié de l'erreur, & ne donnez jamais à la vérité d'autres armes que la douceur, l'exemple, & la persuasion. En fait de changement de croyance, les invitations sont plus fortes que les peines ; celles-ci n'ont jamais eu d'effet que comme destruction.

V. A ces principes, on nous opposera les inconvéniens qui résultent de la multiplicité des religions, & les avantages de l'uniformité de croyance dans un état. Nous répondrons d'abord avec l'auteur de l'Esprit des Loix. " que ces idées d'uniformité frappent infailliblement les hommes vulgaires, parce qu'ils y trouvent un genre de perfection qu'il est impossible de n'y pas découvrir, les mêmes poids dans la police, les mêmes mesures dans le commerce, les mêmes loix dans l'état, la même religion dans toutes ses parties ; mais cela est-il toujours à propos, & sans exception ? le mal de changer est - il toujours moins grand que le mal de souffrir ? & la grandeur du génie ne consisteroit-elle pas mieux à savoir dans quels cas il faut de l'uniformité, & dans quels cas il faut des différences ". En effet, pourquoi prétendre à une perfection incompatible avec notre nature ? la diversité des sentimens subsistera toujours parmi les hommes ; l'histoire de l'esprit humain en est une preuve continuelle ; & le projet le plus chimérique seroit celui de ramener les hommes à l'uniformité d'opinions. Cependant, dites-vous, l'intérêt politique exige qu'on établisse cette uniformité ; qu'on proscrive avec soin tout sentiment contraire aux sentimens reçus dans l'état, c'est-à-dire, qu'il faut borner l'homme à n'être plus qu'un automate, à l'instruire des opinions établies dans le lieu de sa naissance, sans jamais oser les examiner, ni les approfondir, à respecter servilement les préjugés les plus barbares, tels que ceux que nous combattons. Mais que de maux, que de divisions n'entraîne pas dans un état la multiplicité de la religion ? L'objection se tourne en preuve contre vous, puisque l'intolérance est elle-même la source de ces malheurs ; car si les partis différens s'accordoient un mutuel support, & ne cherchoient à se combattre que par l'exemple, la régularité des moeurs, l'amour des loix & de la patrie ; si c'étoit-là l'unique preuve que chaque secte fît valoir en faveur de sa croyance, l'harmonie & la paix régneroient bien-tôt dans l'état, malgré la variété d'opinions, comme les dissonnances dans la musique ne nuisent point à l'accord total.

On insiste, & l'on dit que le changement de religion entraîne souvent des révolutions dans le gouvernement & dans l'état : à cela je répons encore que l'intolérance est seule chargée de ce qu'il y a d'odieux dans cette imputation ; car si les novateurs étoient tolérés, ou n'étoient combattus qu'avec les armes de l'Evangile, l'état ne souffriroit point de cette fermentation des esprits ; mais les défenseurs de la religion dominante s'élevent avec fureur contre les sectaires, arment contr'eux les puissances, arrachent des édits sanglans, soufflent dans tous les coeurs la discorde & le fanatisme, & rejettent sans pudeur sur leurs victimes les desordres qu'eux seuls ont produits.

A l'égard de ceux, qui sous le prétexte de la religion, ne cherchent qu'à troubler la société, qu'à fomenter des séditions, à secouer le joug des loix ; réprimez-les avec sévérité, nous ne sommes point leurs apologistes ; mais ne confondez point avec ces coupables ceux qui ne vous demandent que la liberté de penser, de professer la croyance qu'ils jugent la meilleure, & qui vivent d'ailleurs en fideles sujets de l'état.

Mais, direz-vous encore, le prince est le défenseur de la foi ; il doit la maintenir dans toute sa pureté, & s'opposer avec vigueur à tous ceux qui lui portent atteinte ; si les raisonnemens, les exhortations, ne suffisent pas ; ce n'est pas en vain qu'il porte l'épée, c'est pour punir celui qui fait mal, pour forcer les rébelles à rentrer dans le sein de l'Eglise. Que veux-tu donc, barbare ? égorger ton frere pour le sauver ? mais Dieu t'a-t-il chargé de cet horrible emploi, a-t-il remis entre tes mains le soin de sa vengeance ? D'où sais-tu qu'il veuille être honoré comme les démons ? va, malheureux, ce Dieu de paix desavoue tes affreux sacrifices ; ils ne sont dignes que de toi.

Nous n'entreprendrons point de fixer ici les bornes précises de la tolérance, de distinguer le support charitable que la raison & l'humanité reclament en faveur des errans, d'avec cette coupable indifférence, qui nous fait voir sous le même aspect toutes les opinions des hommes. Nous prêchons la tolérance pratique, & non point la spéculative ; & l'on sent assez la différence qu'il y a entre tolérer une religion & l'approuver. Nous renvoyons les lecteurs curieux d'approfondir ce sujet au commentaire philosophique de Bayle, dans lequel selon nous, ce beau génie s'est surpassé. Cet article est de M. ROMILLY le fils.


TOLÉRERSOUFFRIR, PERMETTRE, (Synonymes) on tolere les choses lorsqu'en les connoissant, & ayant le pouvoir en main, on ne les empêche pas : on les souffre lorsqu'on ne s'y oppose pas, les pouvant empêcher : on les permet lorsqu'on les autorise par un consentement formel. Tolérer ne se dit que pour des choses mauvaises, ou qu'on croit telles ; permettre se dit pour le bien & le mal.

Les magistrats sont quelquefois obligés de tolérer de certains maux, pour en prévenir de plus grands. Il est quelquefois de la prudence dans la discipline de l'église, de souffrir des abus, plutôt que d'en rompre l'unité. Les loix humaines ne peuvent jamais permettre ce que la loi divine défend, mais elles défendent quelquefois ce que celle-ci permet. Synonymes de l'abbé Girard. (D.J.)


TOLERIUM(Géog. anc.) ville d'Italie, dans l'ancien Latium. Etienne le géographe nomme ses habitans Tolerienses, & Denys d'Halicarnasse les appelle Tolerini. (D.J.)


TOLESBURGTOLSBERG, ou TOLSBURG, (Géog. mod.) petite ville de l'empire russien dans l'Esthonie, sur le golfe de Finlande, à l'embouchure de la riviere Semsteback. (D.J.)


TOLET(Marine) voyez ESCOME.


TOLETSS. m. (Marine) ce sont deux chevilles de bois, qu'on pose sur de très-petits bateaux, avec lesquels on met la rame, & qui la retiennent sans étrope.


TOLETUM(Géog. anc.) ville de l'Espagne tarragonoise, & la capitale des Carpétains, selon Pline, l. III. c. iij. qui nomme ses habitans Toletani. La ville conserve son ancien nom, car on ne peut douter que ce ne soit Tolède. (D.J.)


TOLI(Géog. mod.) ville de Grece dans le Comenolitari, sur la riviere Vardar, au nord du lac Petriski. (D.J.)


TOLIAPIS(Géog. anc.) Ptolémée, l. II. c. iij. marque deux îles de la côte de la Grande-Bretagne, sur la côte des Trinoantes, à l'embouchure de la Tamise, & il nomme ces îles Toliapis, & Counos. On croit que la premiere est Schepey, & la seconde Canvey. (D.J.)


TOLISTOBOGou TOLISTOBOII, (Géogr. anc.) peuples de l'Asie mineure, dans la Galatie. Tite-Live, l. XXXVIII. c. xix. écrit Tolistoboii, comme s'il vouloit faire entendre que ce nom fût formé de celui des Boïens, peuples connus dans les Gaules & dans la Germanie. Les Tolistoboges, selon Strabon, étoient limitrophes de la Bithynie & de la Phrygie. Pline nous apprend que leur capitale étoit Pessinunte. (D.J.)


TOLKEMIou TOLMITH, (Géog. mod.) petite ville du royaume de Prusse, dans le palatinat de Marienbourg. Elle fut bâtie l'an 1356, réduite en cendres l'an 1456, & n'a pu se rétablir depuis. (D.J.)


TOLLAS. f. (Hist. nat.) petite graine de l'île de Ceylan, qui fournit une huile dont les habitans se servent pour se frotter le corps.


TOLLA-GUIONS. m. (Hist. nat.) animal amphibie de l'île de Ceylan, qui ressemble à l'alligator ; il vit ordinairement dans le creux des arbres ; sa couleur est noirâtre. Les habitans du pays mangent sa chair & la trouvent délicieuse ; elle est, dit-on, si légere, que jamais on ne la rejette, même lorsqu'on a surchargé l'estomac d'autres alimens indigestes.


TOLLENTINATES(Géog. anc.) peuples d'Italie, dans le Picenum. Pline, l. III. c. xiij. les met au nombre des peuples qui habitoient dans les terres. Leur ville dont le nom est aujourd'hui Tolentino, étoit municipale, selon une ancienne inscription rapportée dans le trésor de Gruter, p. 194, où on lit : Praef. Fabr. municip. Tollentin. Le territoire de cette ville est appellé ager Tollentinus par Balbus. (D.J.)


TOLNA(Géog. mod.) comté de la basse Hongrie, ainsi nommé de sa capitale. Ce comté est borné au nord par celui d'Albe, à l'orient par le Danube, au midi par le comté de Baran, & à l'occident, partie par le comté de Simig, partie par celui de Salavar. (D.J.)

TOLNA, (Géog. mod.) capitale du petit comté de même nom, sur la droite du Danube, à vingt lieues au midi de Bude ; c'étoit autrefois une place assez considérable. Long. 36. 52. latit. 46. 28. (D.J.)


TOLOSA(Géog. mod.) ville d'Espagne, capitale de Guipuscoa, dans une vallée agréable, sur les rivieres de l'Araxe & d'Oria, à 16 lieues au sud-ouest de Bayonne. Cette ville a été fondée par Alphonse le sage, roi de Castille. Son fils Sanche acheva de la peupler en 1290, & lui accorda de grands privileges. On y garde encore les archives de la province de Guipuscoa ; cependant cette ville n'a guere prospéré ; car elle n'a qu'une seule paroisse. Long. 15. 30. latit. 43. 10. (D.J.)


TOLPACHESS. m. pl. (Art milit. mod.) on appelle tolpaches les soldats de l'infanterie hongroise, qui sont armés d'un fusil, d'un pistolet & d'un sabre. (D.J.)


TOLTERCAIZTLIS. m. (Hist. nat.) nom américain d'une pierre du pays fort semblable à la pierre à rasoir, excepté qu'elle est marquetée de taches rouges & noires. Les habitans employent la poudre de cette pierre mêlée avec du crystal calciné pour enlever les taches des yeux. (D.J.)


TOLUBAUME DE, (Mat. méd.) le baume de tolu, que l'on appelle encore communément baume d'Amérique, baume de Carthagène, baume sec, mérite quelques lignes de plus que ce qu'on en a dit à l'article BAUME.

C'est un suc résineux, ténace, d'une consistance qui tient le milieu entre le baume liquide & le sec ; de couleur rouge-brune, tirant sur la couleur d'or, d'une odeur très-pénétrante qui approche de celle du benjoin ou du citron, d'un goût doux & agréable, & qui ne cause pas des nausées comme les autres baumes.

On l'apporte dans de petites calebasses, d'une province de l'Amérique méridionale située entre les villes de Carthagène & de Nombre de Dios. Les Indiens appellent ce pays du nom de Tolu, & les Espagnols lui donnent celui de Honduras. Ce baume se seche avec le tems, & se durcit de sorte qu'il devient fragile.

L'arbre qui le porte, s'appelle balsamum tolutanum, foliis ceratiae similibus, quod candidum est, C. B. p. 401. Balsamum de Tolu, J. B. I. 196. Balsamum provinciae Tolu, balsamifera quarta, Hernand. 53.

Cet arbre est semblable aux bas pins ; il répand de tous côtés plusieurs rameaux, & il a des feuilles semblables au caroubier, toujours vertes. Je ne connois point de description plus ample de cet arbre. On fait une incision à l'écorce tendre & nouvelle ; on reçoit la liqueur qui coule, dans des cuillieres faites de cire noire ; on la verse ensuite dans des calebasses, ou dans d'autres vaisseaux que l'on a préparés pour cela.

On attribue à ce baume les mêmes vertus qu'au baume du Pérou, & même quelques-uns le croient préférable. Les Anglois en font un fréquent usage dans la phthisie & les ulceres internes. On le vante pour consolider les ulceres & les défendre de la pourriture ; on le prescrit dans les plaies des jointures & dans les coupures ; comme il n'a point d'acrimonie, les malades le prennent facilement, étant dissout dans quelque liqueur. Mêlé avec un jaune d'oeuf & du sucre, il forme un remede restaurant & assez agréable. (D.J.)

TOLU, (Géog. mod.) ville de l'Amérique méridionale, dans la Terre-ferme, au gouvernement de Carthagène, à douze lieues de cette ville. Il croît dans ses environs une espece de bas-pin, qui donne par des incisions faites à son écorce une liqueur d'un rouge doré, pénétrante, glutineuse & d'une saveur douce. On nomme cette liqueur baume de Tolu. Long. de la ville 9. 38. (D.J.)


TOLUIFERAS. f. (Hist. nat. Botan.) genre de plante ainsi nommée par Linnaeus, parce qu'il produit le baume de Tolu. Le calice est composé d'une seule feuille en cloche, divisé en cinq parties avec un angle plus éloigné que les autres. La fleur est composée de cinq pétales plantée dans le calice ; il y en a quatre droits, égaux, un peu plus longs que le calice ; mais le cinquieme est deux fois aussi large que les autres ; il finit en coeur, & a un onglet de la longueur du calice. Les étamines sont dix filets très-courts, mais leurs bossettes ont la longueur du calice, & même quelque chose de plus ; le germe du pistil est oblong ; à peine voit-on le stile ; le stigma est aigu ; le fruit & les graines sont encore inconnues. Linnaei gen. plant. p. 182. (D.J.)


TOLou MONASTER, (Géog. mod.) ville de Grece dans la Macédoine, aujourd'hui le Coménolitari, sur le bord occidental de la riviere Vardar, au nord du lac Petriski. (D.J.)


TOM(Géog. mod.) riviere de Sibérie. Elle se divise en deux bras au-dessus de la ville de Tomoskoi, & se jette enfin dans l'Oby. (D.J.)


TOMACOLE, (Géog. mod.) grande riviere de l'Amérique méridionale au Pérou, dans l'audience de Quito. Elle tire son nom d'un village d'indiens appellé Tomaco, & on dit qu'elle prend sa source dans les montagnes qui sont aux environs de la ville de Quito. (D.J.)


TOMANS. m. (Monnoie de compte) monnoie que quelques-uns nomment aussi timein ; c'est une monnoie de compte dont les Persans se servent pour tenir leurs livres & pour faciliter les réductions des monnoies dans le payement des sommes considérables. Le toman vaut cinquante abassis, & revient à environ soixante & dix livres monnoie de France. D'Herbelot écrit touman, & dit que les Persans & les Arabes ont emprunté ce mot de la langue des Mogols & des Khoaresmiens, dans laquelle il signifie le nombre de dix mille. (D.J.)


TOMAR(Géog. mod.) ville de Portugal, dans l'Estramadoure, sur le bord de la riviere Nabaon, entre Lisbonne & Coïmbre. Il y a un château qui appartient aux chevaliers de l'ordre de Christ dont le roi est grand-maître. C'est une des plus riches commanderies de l'ordre ; on croit que Tomar est l'ancienne Concordia de Ptolémée, l. II. c. v. Long. 9. 10. latit. 39. 35. (D.J.)


TOMATES. f. (Diete) c'est le nom que porte la pomme d'amour à la côte de Guinée, où elle croît abondamment. Les Espagnols qui ont appris des peuples de ce pays à manger ce fruit, ont adopté aussi ce nom. Ils les cultivent fort communément dans leurs jardins ; & c'est de chez eux que la culture de cette plante est passée depuis quelques années en Languedoc & en Provence où on l'appelle du même nom.

La tomate est encore une espece de morelle, mais dont le fruit n'est point dangereux : ce qui est conforme à l'observation générale que les parties quelconques de toutes les especes de solanum perdent leur qualité vénéneuse lorsqu'elles sont pénétrées d'acide, soit naturellement, soit ajouté par art, comme nous l'avons observé à l'article MORELLE, à l'article PHITOLACCA, & à l'article PIMENT. Voyez ces articles.

Le fruit de tomate étant mûr est d'un beau rouge, & il contient une pulpe fine, légere & très-succulente, d'un goût aigrelet relevé & fort agréable, lorsque ce fruit est cuit dans le bouillon ou dans divers ragoûts. C'est ainsi qu'on le mange fort communément en Espagne & dans nos provinces méridionales, où on n'a jamais observé qu'il produisît de mauvais effets. (b)


TOMBou TOMBO, (Hist. mod.) c'est ainsi que l'on nomme en Afrique parmi les habitans idolâtres des royaumes d'Angola & de Metamba, des cérémonies cruelles superstitieuses qui se pratiquent aux funérailles des rois & des grands du pays. Elles consistent à enterrer avec le mort plusieurs des officiers & des esclaves qui l'ont servi pendant sa vie, & à immoler sur son tombeau un certain nombre de victimes humaines, proportionné au rang que la personne décédée occupoit dans le monde ; après que ces malheureux ont été égorgés, & ont arrosé la terre de leur sang, les assistans dévorent leur chair. Les missionnaires européens ont eu beaucoup de peine à déraciner cette coutume abominable dans les pays où ils ont prêché l'évangile.


TOMBACS. m. (Métallurgie, Chymie & Arts) c'est un alliage métallique, dont la couleur est jaune & approchante de celle de l'or, & dont le cuivre fait la base. On en fait des boucles, des boutons, des chandeliers, & d'autres ustensiles & ornemens.

On trouve dans un grand nombre de livres différentes manieres de faire du tombac, & l'on y fait entrer quelquefois des substances entierement inutiles, & d'autres qui sont nuisibles ; telles sont le verd-de-gris, l'étain, le vitriol, le mercure, la tutie ou la chaux-de-zinc, le curcuma, &c. on prescrit aussi d'y employer différens sels, tels que le sel ammoniac, la soude, le fiel-de-verre, le borax, le tartre & le nitre, &c. & l'on dit de faire dissoudre ces substances tantôt dans de l'huile, tantôt dans du vinaigre, tantôt dans de l'huile de navette, &c. Sans s'arrêter à faire voir les défauts de la plûpart des procédés que les livres indiquent pour faire le tombac, nous allons donner celui qui nous a paru le plus sûr & le plus raisonnable ; il est tiré des Oeuvres chymiques de M. de Justi, publiées en allemand en 1760. Cet auteur examine d'abord quelles doivent être les qualités d'un tombac bien fait. Il trouve 1°. qu'il ne doit être que peu ou point sujet à se couvrir de verd-de-gris, inconvénient qui accompagne toujours le cuivre, & dont il est très-difficile de le dépouiller. 2°. Il doit être d'un grain plus fin & plus compacte que le cuivre, & avoir plus d'éclat que lui. 3°. Il doit être d'un jaune rougeâtre, comme l'or qui est allié avec du cuivre, & non d'un jaune pâle comme le cuivre jaune. 4°. Enfin il faut que le bon tombac ait une certaine ductilité, afin que les ustensiles qui en sont faits ne se cassent point trop aisément, comme cela n'arrive que trop souvent lorsque l'alliage n'a point été fait convenablement.

Cela posé, M. de Justi passe au procédé, & il dit que pour remédier au premier inconvénient, qui est celui du verd-de-gris auquel le cuivre est sujet, il faut enlever à ce métal l'acide qu'il contient, & qui est, selon lui, la cause principale de cette espece de rouille. Pour cet effet, il faut purifier le cuivre ; on y parviendra en prenant un quarteron de potasse bien seche, un quarteron de fiel-de-verre, & trois onces de verre blanc ; on pulvérisera ces matieres, on les mêlera ensemble, & on partagera ce mêlange en deux parts égales. Alors on mettra une livre & deux onces de cuivre dans un creuset que l'on placera dans un fourneau à vent, on donnera un feu assez violent, vu que le cuivre n'entre que difficilement en fusion. Lorsque ce métal sera fondu, on y joindra peu-à-peu & à différentes reprises la moitié du mêlange dont on vient de parler ; on couvrira le creuset, on poussera le feu pendant environ un quart-d'heure ; au bout de ce tems, on vuidera le cuivre fondu dans une lingotiere frottée de suif, ou bien on laissera refroidir le creuset, on le cassera ensuite pour en ôter le cuivre, que l'on séparera des sels qui formeront une espece de scorie à sa surface. On réïtérera la même opération avec l'autre moitié du mêlange que l'on avoit mise à part. M. de Justi a trouvé que cette purification rendoit le cuivre beaucoup plus doux, plus ductile & plus brillant. Il assûre que ce métal est dégagé par-là d'une portion de son acide qui, selon lui, produit le verd-de-gris, & il a reconnu par plusieurs expériences que cet acide s'étoit combiné avec les sels alkalis, qu'il avoit employés pour la purification. Dans cette opération, le cuivre ne perd que deux onces de son poids, ainsi il reste encore une livre de cuivre purifié. On fera fondre cette livre de cuivre au fourneau à vent ou à l'aide des soufflets : aussi-tôt qu'il est entré parfaitement en fusion, on lui joindra treize onces de zinc ; on ajoutera en même tems une demi-once de poix-résine ou de suif, afin d'empêcher que le zinc ne se consume avant d'avoir eu le tems de se combiner avec le cuivre ; après quoi, on remue tout le mêlange avec une baguette de fer. Comme ces matieres ne tardent point à se consumer, & comme pourtant il est important que le zinc ait le tems de s'incorporer avec le cuivre, on tiendra prêt le mêlange suivant, composé de trois onces de flux noir bien sec, fait avec trois parties de tartre crud & une partie de nitre ; on mêle ces deux substances, & on les fait détonner en y jettant un charbon allumé. A trois onces de ce flux noir, on joindra une once de sel ammoniac, une once de potasse, une once de fiel de verre, une demi-once de vitriol verd, deux onces de verre blanc pulvérisé, & une once de limaille de fer qui ait été lavée, & ensuite parfaitement séchée. Chacune de ces substances doit être réduite en une poudre très-fine, après quoi on les mêle soigneusement. Quand ce mêlange a été ainsi préparé, on le chauffe, de peur qu'il n'attire l'humidité de l'air, & on en met une cuillerée à-la-fois dans le creuset ; on le recouvre de son couvercle, & l'on donne le feu le plus violent, afin que le tout fonde pendant cinq ou six minutes ; alors on retire le creuset du feu, on le laisse refroidir, & en le cassant on obtient du tombac.

M. de Justi assûre que la limaille de fer contribue beaucoup à la bonté de cet alliage ; selon lui, il le rend plus compacte, d'un grain plus fin & plus aisé à travailler. Lorsqu'on veut en faire des ouvrages, on est obligé de faire fondre le tombac de nouveau ; mais aussi-tôt que cet alliage se fond, il faut y joindre de la poix ou du suif pour empêcher le zinc de se dissiper ; on donnera alors un feu violent, & l'on vuidera promtement le creuset dans des moules que l'on tiendra tout prêts pour lui donner la forme qu'on desire. Cet alliage sera d'une couleur qui approchera beaucoup de celle de l'or, il aura toutes les qualités que l'on a décrites ci-dessus, & aura un certain degré de ductilité, c'est-à-dire il ne sera point sujet à se casser.

On peut faire différentes especes de tombac, suivant les différentes proportions, dans lesquelles on joindra du zinc avec le cuivre. En mettant parties égales de zinc & de cuivre, l'alliage aura une véritable couleur d'or, mais il sera très-cassant. Si l'on y met moins de treize onces de zinc sur une livre de cuivre, ce qui est la dose prescrite dans l'opération qui a été décrite, la couleur du tombac ne sera point si belle à proportion que l'on aura diminué la quantité du zinc. Mais comme bien des ouvriers, pour faire différens ouvrages en tombac, ont besoin qu'il soit ductile & doux, plutôt que d'une belle couleur, voici la composition que M. de Justi leur propose dans ce cas.

On prendra dix onces de cuivre bien pur, & six onces de laiton ou de cuivre jauni par la calamine, on les fera fondre ensemble. Aussi-tôt qu'ils seront entrés en fusion, on leur joindra cinq onces de zinc. On continuera le reste du procédé de la maniere qui a été indiquée pour la premiere opération, c'est-à-dire on y joindra des sels, du verre pulvérisé, &c. avec la seule différence, qu'au-lieu d'une once de limaille de fer, on n'en mettra qu'une demi-once. On aura de cette façon un tombac d'une couleur plus pâle que le précédent, mais il aura l'avantage de pouvoir s'étendre sous le marteau.

A chaque fois que l'on fait fondre le tombac, il perd quelque chose de son éclat & de sa qualité ; cela vient de ce que le feu dissipe une portion du zinc qui entre dans sa composition. C'est-là ce qui cause la diminution que cet alliage souffre dans son poids, qui est à chaque fois d'une ou deux onces par livre de tombac ; ainsi il est à propos de r'ajouter à chaque livre de cet alliage deux onces de zinc & un gros de limaille de fer, chaque fois qu'on fait fondre ; il sera aussi très-bon d'y joindre en même tems de la poix ou du suif. (-)

TOMBAC BLANC, (Métallurgie) c'est le nom qu'on donne quelquefois à une composition métallique blanche, & qui par sa couleur a quelque ressemblance avec l'argent, c'est du cuivre blanchi par l'arsenic.

On trouve plusieurs manieres de faire cette composition. Voici celle que donne Stahl dans son Introduction à la Chymie. Faites fondre quatre onces de cuivre, auquel vous joindrez ensuite une demi-once d'arsenic fixé par le nitre, & qui sera empâté dans de la terre grasse humectée par de l'eau de chaux, dont on aura formé une ou deux boules. Laissez le tout en fusion environ pendant un quart d'heure. Prenez bien garde qu'il ne tombe point de charbons dans le creuset. Au bout de ce tems, vuidez le creuset, & examinez la couleur que cette composition tracera sur une pierre de touche ; & voyez si elle souffre le marteau. Si elle n'avoit point de ductilité convenable, il faudroit la remettre en fusion pendant quelque tems avec du verre pilé, ou avec un peu de nitre. Si on joint à cette composition la moitié ou le tiers d'argent, sa couleur blanche ne s'altérera point.

Autre maniere. Prenez une demi-livre de lames de cuivre. Plus, prenez de sel ammoniac, de nitre & de tartre de chacun une demi-once, de mercure sublimé deux gros. Stratifiez ces substances dans un creuset, & faites fondre le mêlange à un feu très-fort. Réitérez la même opération à plusieurs reprises, à la fin le cuivre deviendra blanc comme de l'argent.

Autre. Prenez d'arsenic blanc une demi-livre ; de nitre & de sel ammoniac, de chacun quatre onces ; de borax & de fiel de verre, de chacun deux onces. Réduisez le tout en poudre. On prendra une once de ce mêlange, que l'on joindra avec quatre onces de cuivre, avec lequel on le fera fondre ce qui le rendra blanc.

Autre. Prenez d'arsenic blanc, de mercure sublimé & d'argent, de chacun une once. On fera dissoudre chacune de ces substances séparément dans de l'eau-forte ; après quoi, on mêlera ensemble toutes ces dissolutions ; on enlevera par la distillation le superflu de la dissolution, jusqu'à ce que ce qui reste devienne trouble ; alors on y mettra de l'huile de tartre par défaillance jusqu'à saturation, il se fera un précipité que l'on séchera. On prendra une once de ce précipité, que l'on fera fondre avec une livre de cuivre qui en deviendra d'un très-beau blanc.

Autre. Mettez dans un creuset une once d'arsenic blanc, deux onces de sel marin, deux onces de nitre, une once de potasse, on mêlera bien toutes ces substances ; après quoi, on mettra le creuset dans le feu sous une cheminée qui attire bien ; on l'y laissera jusqu'à ce qu'il n'en parte plus de vapeurs qui sont très-dangereuses. On prendra une once de cette matiere qui sera restée dans le creuset, que l'on joindra avec quatre onces de lames de cuivre coupées par petits morceaux, & que l'on aura fait fondre dans un autre creuset ; on remuera bien le tout, & l'on y ajoutera deux onces de cuivre jaune réduit en lames très-minces ; on remuera de nouveau, & lorsque tout sera parfaitement entré en fusion, on mettra dans le creuset deux onces d'argent fin. Lorsque tout sera fondu, on remuera encore avec une verge de fer bien échauffée, & l'on vuidera le creuset dans une lingotiere. L'on aura par ce moyen une composition métallique très-malléable, & qui ressemblera beaucoup à de l'argent.

Autre. Faites fondre dans un creuset deux onces d'argent ; lorsqu'il sera parfaitement fondu, joignez-y quatre onces de cuivre jaune qui a été rougi & éteint deux ou trois fois dans de fort vinaigre. Faites fondre le tout de nouveau, alors joignez-y de sel marin décrépité, de borax, de nitre & d'arsenic blanc, de chacun une demi-once. Faites fondre de nouveau le tout pendant une heure, & alors vous vuiderez votre creuset. (-)


TOMBÉS. m. (Danse) pas de danse. On l'exécute en s'élevant d'abord sur la pointe du pié & en pliant après le pas. Veut-on faire, par exemple, un pas tombé du pié droit : il faut avoir le corps posé sur le pié gauche, & les jambes écartées à la deuxieme position, s'élever sur le pié gauche pour faire suivre la jambe droite jusqu'à la cinquieme position, où on la posera entierement à terre. Là en pliant le genou on fera lever le pié gauche. Et le genou droit s'étendant, obligera à se laisser tomber sur le pié gauche à la deuxieme position, ce qui est un demi-jetté, qui se fait en sautant à demi.

On prévient ce pas par un autre qui lui fait changer de nom. Il peut être devancé, par exemple, par un coupé ou un tems grave, & même très-souvent par un pas assemblé, ce qui lui fait porter le nom de gaillarde. Voyez GAILLARDE.


TOMBETOMBEAU, (Synon.) tombe & tombeau, sur-tout tombe, sont plus usités en vers qu'en prose dans le sens figuré.

Ma flamme par Hector fut jadis allumée,

Avec lui dans la tombe elle s'est enfermée.

Rac. Andr.

Eh, qu'ont fait tant d'auteurs pour remuer leur cendre !

Le tombeau contre vous ne peut-il les défendre ?

Despréaux, sat. ix.

On dit noblement en poésie, la nuit du tombeau, les horreurs du tombeau, pour signifier la mort ; tombeau se dit admirablement en prose des choses qui font perdre la mémoire d'un autre objet, des choses qui en sont la destruction, & qui, pour parler ainsi, l'ensevelissent. L'absence est le tombeau de l'amour. On regarde ordinairement le mariage comme le tombeau des soupirs. L'ordonnance de 1536, dit M. le Maître, tira du tombeau l'autorité paternelle ensevelie sous les vices & les débordemens du siecle. (D.J.)

TOMBE, s. f. (Archit.) mot dérivé du grec tumbos, sépulcre. C'est une dale de pierre ou tranche de marbre, dont on couvre une sépulture, & qui sert de pavé dans une église ou dans un cloître. (D.J.)


TOMBEAUS. m. (Antiq.) partie principale d'un monument funéraire où repose le cadavre. C'est ce que les anciens nommoient arca, & qu'ils faisoient de terre cuite, de pierre ou de marbre, creusé au ciseau quarrément ou à fond de cuve, & couvert de dalles de pierre ou de tranches de marbre, avec des bas-reliefs & des inscriptions. Il y avoit aussi des tombeaux faits d'une espece de pierre, qui consumoit les corps en peu de tems. On les appelloit sarcophages, mange-chair, d'où est venu le nom de cercueil.

TOMBEAU, (Antiq. rom.) sépulcre plus ou moins magnifique, où l'on met le corps des princes, des grands ou des riches après leur mort.

Les rois d'Egypte pour se consoler de leur mortalité, se bâtissoient des maisons éternelles, qui devoient leur servir de tombeaux après la mort ; voilà l'origine de leurs obélisques & de leurs superbes pyramides.

Les Romains avoient trois sortes de tombeaux, sepulchrum, monumentum & cenotaphium.

Sepulchrum étoit le tombeau ordinaire, où l'on avoit déposé le corps entier du défunt. Voyez SEPULCHRUM & SEPULCRE.

Le monument, monumentum, offroit aux yeux quelque chose de plus magnifique que le simple sépulcre ; c'étoit l'édifice construit pour conserver la mémoire d'une personne, sans aucune solemnité funebre. On pouvoit ériger plusieurs monumens à l'honneur d'une personne ; mais on ne pouvoit avoir qu'un seul tombeau. Gruter a rapporté l'inscription d'un monument élevé en l'honneur de Drusus, qui nous instruit en même tems des fêtes que l'on faisoit chaque année sur ces sortes de monumens.

Lorsqu'après avoir construit un tombeau, on y célébroit les funérailles avec tout l'appareil ordinaire, sans mettre néanmoins le corps du mort dans ce tombeau, on l'appelloit cenotaphium, cénotaphe, c'est-à-dire tombeau vuide. L'idée des cénotaphes vint de l'opinion des Romains, qui croyoient que les ames de ceux dont les corps n'étoient point enterrés, erroient pendant un siecle le long des fleuves de l'enfer, sans pouvoir passer dans les champs Elysées. Haec omnis quam cernis inops inhumataque turba est. On élevoit donc un tombeau de gazon, ce qui s'appelloit injectio glebae. Après cela, on pratiquoit les mêmes cérémonies que si le corps eut été présent. C'est ainsi que Virgile, Enéide, liv. VI. fait passer à Caron l'ame de Déiphobus, quoiqu'Enée ne lui eût dressé qu'un cenotaphe. Suétone, dans la vie de l'empereur Claude, appelle les cénotaphes, des tombeaux honoraires, parce qu'on mettoit dessus ces mots, ob honorem ou memoriâ, au-lieu que dans les tombeaux où reposoient les cendres, on y gravoit ces lettres D.M.S. pour montrer qu'ils étoient dédiés aux dieux manes.

Cependant comme ce n'étoit point en réalité que l'on faisoit les funérailles de la personne en l'honneur de laquelle ce tombeau vuide étoit construit, les Jurisconsultes ont beaucoup disputé, si le cénotaphe étoit religieux. Marcian le prétend, Ulpien le nie ; & tous deux se fondent sur divers endroits de l'Enéide : mais il est aisé de les concilier, en distinguant le cénotaphe consacré dans les formes, de celui qui ne l'a point été avec les cérémonies requises. Virgile lui-même a décrit les cérémonies de cette consécration, en parlant du cénotaphe élevé à l'honneur d'Hector sur le rivage feint du fleuve Simoïs.

Solemnes tùm fortè dapes, & tristia dona

Ante urbem in luco falsi Simoentis ad undam

Libabat cineri Andromache, manesque vocabat

Hectoreum ad tumulum, viridi quem cespite inanem

Et geminas, causam lacrimis, sacraverat aras.

On ne peut pas douter que la consécration n'ait été nécessaire pour rendre le cénotaphe religieux, puisque l'on apprend par plusieurs inscriptions, que ceux qui faisoient construire leur tombeau pendant leur vie, le consacroient dans la pensée qu'il ne pourroit passer pour religieux, si par quelque avanture leur corps n'y étoit pas mis après leur mort.

Les gens de naissance avoient aussi dans leur palais des voûtes sépulcrales, où ils mettoient dans différentes urnes, les cendres de leurs ancêtres. On a trouvé autrefois à Nismes une de ces voûtes pavée de marqueterie, & garnie de niches dans le mur, lesquelles niches contenoient chacune des urnes de verre remplies de cendres.

La pyramide de Cestius, qui contenoit intérieurement une chambre admirablement peinte, n'étoit que le tombeau d'un particulier ; mais il faut considérer ici principalement les tombeaux ordinaires de la nation.

Il y en avoit de famille, d'autres héréditaires, & d'autres qui n'avoient aucune destination. On trouve cette différence dans les loix du digeste & du code, sous le titre de religiosis, ainsi que dans le recueil d'inscriptions publiées par les savans.

Les tombeaux de famille étoient ceux qu'une personne faisoit faire pour lui & pour sa famille, c'est-à-dire pour ses enfans, ses proches parens, & ses affranchis. Les tombeaux héréditaires étoient ceux que le testateur ordonnoit pour lui, pour ses héritiers, ou pour ceux qui l'acquereroient par droit d'héritage.

Tout le monde pouvoit se réserver un tombeau particulier, où personne n'eût été mis. On pouvoit aussi défendre par testament, d'enterrer dans le tombeau de famille, aucuns des héritiers de la famille. Pour lors on gravoit sur le tombeau, les lettres suivantes : H. M. H. N. S. hoc monumentum haeredes non sequitur ; ou ces autres : H. M. ad H. N. TRANS. hoc monumentum ad haeredes non transit, le droit de ce monument ne suit point l'héritier, c'est-à-dire que les héritiers ne pourroient disposer de l'endroit où étoit le tombeau, & que ni l'endroit, ni le tombeau, ne feroient partie de l'héritage.

On peut voir dans les anciennes inscriptions sépulcrales, les précautions que l'on prenoit pour que les tombeaux subsistassent dans les différens changemens de propriétaires. Outre qu'on le gravoit sur la tombe ; outre les imprécations qu'on faisoit encore contre ceux qui oseroient violer la volonté du testateur, les loix attachoient aux contraventions de très-grosses amendes.

En un mot, les tombeaux étoient du nombre des choses religieuses. Celui, dit Justinien dans ses institutes, liv. II. tit. 1. §. 9. qui fait inhumer le corps d'une personne décédée, dans un fonds qui lui appartient, le rend religieux. On peut même inhumer un corps dans le fonds d'autrui, avec le consentement du propriétaire ; & s'il arrive qu'il l'oblige dans la suite d'enlever ce cadavre, le fonds restera toujours religieux.

Non seulement la place occupée par le tombeau étoit religieuse, il y avoit encore un espace aux environs qui étoit de même religieux, ainsi que le chemin par lequel on alloit au tombeau. C'est ce que nous apprenons d'une infinité d'inscriptions anciennes, que Gruter, Boissard, Fabretti, Reinesius, & plusieurs autres ont recueillies. On y voit qu'outre l'espace où le tombeau étoit élevé, il y avoit encore iter, aditus & ambitus, qui étant une dépendance du tombeau, jouissoit du même privilege. S'il arrivoit que quelqu'un eût osé emporter quelques-uns des matériaux d'un tombeau, comme des colonnes ou des tables de marbre, pour l'employer à des édifices profanes, la loi les condamnoit à dix livres pesant d'or, applicables au trésor public ; & de plus, son édifice étoit confisqué de droit au profit du fisc. La loi n'exceptoit que les sépulcres & tombeaux des ennemis, parce que les Romains ne les regardoient pas pour saints ni religieux.

Ils ornoient quelquefois leurs tombeaux de bandelettes de laine, & de festons de fleurs ; mais ils avoient sur-tout soin d'y faire graver des ornemens qui servissent à les distinguer, comme des figures d'animaux, des trophées militaires, des emblèmes caractéristiques, des instrumens, en un mot, différentes choses qui marquassent le mérite, le rang, ou la profession du mort.

Dans les tems de corruption, les particuliers du plus bas étage, mais favorisés des biens de la fortune, se bâtirent des tombeaux somptueux. Le tombeau de Licinus, barbier d'Auguste, égaloit en magnificence ceux des plus nobles citoyens romains de son tems. On connoît le distique que Varron indigné fit dans cette occasion.

Marmoreo Licinus tumulo jacet, at Cato parvo, Pompeius nullo ; quis putet esse deos ?

Mais que dire de celui de Pallas, affranchi de Tibere, portant cette inscription superbe, que le sénat eut la bassesse de laisser graver ?

Tib. Claudius. Aug. I.

Pallas

Huic. Senatus. ob. Fidem.

Patronos. Ornamenta.

Praetoria. Decrevit.

Et. H. S. Centies. Quin.

Quagies. Cujus. Honore.

Contentus. Fuit.

Je sai que l'orgueil ne perce pas moins sur nos épitaphes modernes ; mais ce n'est point pour les recueillir que je visite quelquefois les tombeaux dans nos églises : je le fais parce que je puis envisager la nature sans effroi, dans ces sortes de scènes muettes ; & de plus, parce que j'en tire quelque profit. Par exemple, quand je jette les yeux sur les tombeaux de ces hommes détestés, dont Virgile dit :

Vendidit hic auro patriam, dominumque potentem

Imposuit. Ille fixit leges pretio, atque refixit,

Ausi omnes immane nefas, ausoque potiti.

Enéid. liv. VI. vers 620.

" Celui-ci a vendu sa patrie & l'a soumise au despotisme ; celui-là, corrompu par l'argent, a porté des loix vénales, & en a abrogé de saintes. Ils ont commis ces énormes forfaits, & en ont joui indignement ". Quand, dis-je, je vois ces illustres coupables couchés dans la poussiere, j'éprouve une secrette joie de fouler leurs cendres sous mes piés.

Au contraire, quand je lis les plaintes des peres & des meres, gravées sur la tombe de leurs aimables enfans moissonnés à la fleur de leur âge, je m'attendris, & je verse des larmes. Lorsqu'avançant mes pas vers le choeur de l'église, je vois de saints personnages, qui déchiroient le monde par leurs cruelles disputes, placés côte-à-côte les uns des autres, je sens une vive douleur de toutes ces factions, & de tous ces petits débats qui mettent en feu le genre humain. Enfin, quand revenu chez moi, je lis la description des superbes tombeaux de la Grece & de Rome, je me demande ce que sont devenus ces grands hommes qui y étoient renfermés.

Dans ces tas de poussiere humaine,

Dans ce cahos de boue & d'ossemens épars,

Je cherche, consterné de cette affreuse scène,

Les Alexandres, les Césars,

Cette foule de rois, fiers rivaux du tonnerre ;

Ces nations la gloire & l'effroi de la terre,

Ce peuple roi de l'univers,

Ces sages dont l'esprit brilla d'un feu céleste :

De tant d'hommes fameux, voilà donc ce qui reste,

Des urnes, des cendres, des vers !

(D.J.)

TOMBEAUX des Péruviens, (Hist. du Pérou) la description des tombeaux qu'avoient les anciens habitans du Pérou, n'est pas moins curieuse que celle de la plûpart des autres peuples. Ces tombeaux bâtis sur le bord de la mer, étoient les uns ronds, les autres quarrés ; d'autres en quarrés longs. Les corps renfermés dans ces tombeaux, étoient diversement posés : les uns debout appuyés contre les murailles, les autres assis vers le fonds sur des pierres ; d'autres couchés de leur long sur des claies composées de roseaux. Dans quelques-uns on y trouvoit des familles entieres, & des gens de tout âge ; & dans d'autres le seul mari & son épouse. Tous ces corps étoient revêtus de robes sans manches, d'une étoffe de laine fine, rayées de différentes couleurs ; & les mains des morts étoient liées avec une espece de courroie. Il y avoit dans quelques-uns de ces tombeaux de petits pots remplis d'une poudre rouge ; & d'autres étoient pleins de farine de maïs. Voilà ce qu'en rapporte le P. Feuillée.

Le P. Plumier étant dans la vallée de d'Ylo, y vit une vaste plaine remplie de tombeaux, creusés dans la terre, semblables aux sépulcres ; ma curiosité, dit-il, me porta à voir leur construction. J'entrai dans un, par un escalier de deux marches hautes & larges chacune de quatre piés, & faisant un quarré long d'environ sept piés. Le tombeau étoit bâti de pierres, sans chaux & sans sable, couvert de roseaux sur lesquels on avoit mis de la terre. Son entrée étoit tournée vers l'orient ; & les deux morts encore entiers, étoient assis au fond du tombeau, tournant leur face vers l'entrée. Cette seule attitude fait voir que ces peuples adoroient le soleil, & que ces morts étoient ensévelis avant la conquête du Pérou par les Espagnols, puisque le soleil n'avoit été adoré dans ce vaste empire, que depuis le gouvernement des incas. Les deux morts, ajoute-t-il, que je trouvai au fond du sépulcre, avoient encore leurs cheveux nattés à la façon de ces peuples ; leur habit d'une grosse étoffe d'un minime-clair, n'avoit perdu que leur poil ; la corde paroissoit, & marquoit que la laine dont les Indiens se servoient, étoit extrêmement fine. Ces morts avoient sur leur tête une calotte de la même étoffe, laquelle étoit encore toute entiere ; ils avoient aussi un petit sac pendu au col, dans lequel il y avoit des feuilles de cuca. (D.J.)

TOMBEAU, s. m. (Tapissier) espece de lit dont le ciel ou le haut, tombe vers le pié en ligne diagonale. On dit un lit en tombeau, ou absolument un tombeau. Ces sortes de lits ont été inventés pour placer dans les galetas, parce que le toît ou le comble empêchoit qu'on ne leur donnât autant de hauteur aux piés qu'à la tête. Depuis on a mis des tombeaux indifféremment par-tout dans les appartemens qui ne sont pas de parade. (D.J.)

TOMBEAU de Pallas, (Hist. rom.) nos lecteurs connoissent bien Pallas, affranchi de l'empereur Claude ; il eut la plus grande autorité sous le regne de ce prince. Il avoit été d'abord esclave d'Antonia belle-soeur de Tibere ; c'est lui qui porta la lettre où elle donnoit avis à l'empereur de la conspiration de Séjan. Il engagea Claude à épouser Agrippine sa niece, à adopter Néron, & à le désigner son successeur. La haute fortune à laquelle il parvint, le rendit si insolent, qu'il ne parloit à ses esclaves que par signes. Agrippine acheta ses services, & de concert avec elle, Claude mourut. Quoique Néron dût la couronne à Pallas, il se dégoûta de lui, le disgracia, & sept ans après le fit périr secrettement pour hériter de ses biens ; mais il laissa subsister le tombeau de cet orgueilleux affranchi.

Ce tombeau magnifique étoit sur le chemin de Tibur, à un mille de la ville, avec une inscription gravée dessus, & ordonnée par un decret du sénat, sous l'empire de Claude. Pline le jeune nous a conservé seul entre tant d'écrivains, cette inscription & ce decret, dans une de ses lettres, qui m'a paru trop intéressante à tous égards, pour n'en pas orner cet ouvrage. Voici ce qu'il écrit à Montanus lettre 6. l. VIII.

L'inscription que j'ai remarquée sur le tombeau de Pallas est conçue en ces termes :

" Pour récompenser son attachement & sa fidélité envers ses patrons, le sénat lui a décerné les marques de distinction dont jouissent les préteurs, avec quinze millions de sesterces (quinze cent mille livres de notre monnoie) ; & il s'est contenté du seul honneur ". Cela me fit croire, continue Pline, que le decret même ne pouvoit qu'être curieux à voir. Je l'ai découvert. Il est si ample & si flatteur, que cette superbe & insolente épitaphe, me parut modeste & humble.

Que nos plus illustres romains viennent, je ne dis pas ceux des siecles plus éloignés, les Africains, les Numantins, les Achaïques ; mais ceux de ces derniers tems, les Marius, les Sylla, les Pompées, je ne veux pas descendre plus bas ; qu'ils viennent aujourd'hui faire comparaison avec Pallas. Tous les éloges qu'on leur a donnés, se trouveront fort au-dessous de ceux qu'il a reçus. Appellerai-je railleurs ou malheureux les auteurs d'un tel decret ? Je les nommerois railleurs, si la plaisanterie convenoit à la gravité du sénat. Il faut donc les reconnoître malheureux.

Mais personne le peut-il être jamais, jusqu'au point d'être forcé à de pareilles indignités ? C'étoit peut-être ambition & passion de s'avancer. Seroit-il possible qu'il y eût quelqu'un assez fou pour desirer de s'avancer aux dépens de son propre honneur, & de celui de la république, dans une ville où l'avantage de la premiere place, étoit de pouvoir donner les premieres louanges à Pallas ? Je ne dis rien de ce qu'on offre les honneurs, les prérogatives de la préture à Pallas, à un esclave ; ce sont des esclaves qui les offrent. Je ne releve point qu'ils sont d'avis, que l'on ne doit pas seulement exhorter, mais même contraindre Pallas à porter les anneaux d'or. Il eût été contre la majesté du sénat, qu'un homme revêtu des ornemens de préteur eût porté des anneaux de fer. Ce ne sont-là que des bagatelles qui ne méritent pas qu'on s'y arrête.

Voici des faits bien plus dignes d'attention. " Le sénat pour Pallas (& le palais où il s'assemble n'a point été depuis purifié) : pour Pallas, le sénat remercie l'empereur de ce que ce prince a fait un éloge magnifique de son affranchi, & a bien voulu permettre au sénat de combler un tel homme d'honneurs ". Que pouvoit-il arriver de plus glorieux au sénat, que de ne paroître pas ingrat envers Pallas ? On ajoute dans ce decret ; " qu'afin que Pallas, à qui chacun en particulier reconnoît avoir les dernieres obligations, puisse recevoir les justes récompenses de ses travaux, & de sa fidélité.... "

Ne croiriez-vous pas qu'il a reculé les frontieres de l'empire, ou sauvé les armées de l'état. On continue... " Le sénat & le peuple romain ne pouvant trouver une plus agréable occasion d'exercer leurs liberalités, qu'en les répandant sur un si fidele & si desintéressé gardien des finances du prince ". Voilà où se bornoient alors tous les desirs du sénat, & toute la joie du peuple ; voilà l'occasion la plus précieuse d'ouvrir le trésor public ! Il faut l'épuiser pour enrichir Pallas !

Ce qui suit n'est guere moins remarquable : " que le sénat ordonnoit qu'on tireroit de l'épargne 15 millions de sesterces (quinze cent mille livres), pour les donner à cet homme ; & que plus il avoit l'ame élevée au-dessus de la passion de s'enrichir, plus il falloit redoubler ses instances auprès du pere commun, pour en obtenir, qu'il obligeât Pallas de déferer au sénat ". Il ne manquoit plus en effet que de traiter au nom du public avec Pallas, que de le supplier de céder aux empressemens du sénat, que d'interposer la médiation de l'empereur, pour surmonter cette insolente modération, & pour faire ensorte que Pallas ne dédaignât pas quinze millions de sesterces ! Il les dédaigna pourtant. C'étoit le seul parti qu'il pouvoit prendre par rapport à de si grandes sommes. Il y avoit bien plus d'orgueil à les refuser qu'à les accepter. Le sénat cependant semble se plaindre de ce refus, & le comble en même tems d'éloges en ces termes :

" Mais l'empereur & le pere commun ayant voulu à la priere de Pallas, que le sénat lui remît l'obligation de satisfaire à cette partie du decret, qui lui ordonnoit de prendre dans le trésor public quinze millions de sesterces, le sénat déclare, que c'est avec beaucoup de plaisir & de justice, qu'entre les honneurs qu'il avoit commencé de décerner à Pallas, il avoit mêlé cette somme pour connoître son zèle & sa fidélité ; que cependant le sénat, pour marquer sa soumission aux ordres de l'empereur, à qui il ne croyoit pas permis de résister en rien, obéissoit ".

Imaginez-vous Pallas qui s'oppose à un decret du sénat, qui modere lui-même ses propres honneurs, qui refuse quinze millions de sesterces, comme si c'étoit trop, & qui accepte les marques de la dignité des préteurs, comme si c'étoit moins. Représentez-vous l'empereur, qui, à la face du sénat, obéit aux prieres, ou plutôt aux commandemens de son affranchi ; car un affranchi qui, dans le sénat, se donne la liberté de prier son patron, lui commande. Figurez-vous le sénat, qui, jusqu'à l'extrêmité, déclare qu'il a commencé avec autant de plaisir que de justice, à décerner cette somme, & de tels honneurs à Pallas ; & qu'il persisteroit encore, s'il n'étoit obligé de se soumettre aux volontés du prince, qu'il n'est permis de contredire en aucune chose. Ainsi donc, pour ne point forcer Pallas de prendre quinze millions de sesterces dans le trésor public, on a eu besoin de sa modération & de l'obéissance du sénat, qui n'auroit pas obéi, s'il lui eût été permis de résister en rien aux volontés de l'empereur !

Vous croyez être à la fin ; attendez, & écoutez le meilleur : " C'est pourquoi, comme il est très-avantageux de mettre au jour les faveurs dont le prince a honoré & récompensé ceux qui le méritoient, & particulierement dans les lieux où l'on peut engager à l'imitation les personnes chargées du soin de ses affaires ; & que l'éclatante fidélité & probité de Pallas, sont les modeles les plus propres à exciter une honnête émulation, il a été résolu que le discours prononcé dans le sénat par l'empereur le 28 Janvier dernier, & le decret du sénat à ce sujet, seroient gravés sur une table d'airain, qui sera appliquée près de la statue qui représente Jules-César en habit de guerre. "

On a compté pour peu que le sénat eût été témoin de ces honteuses bassesses. On a choisi le lieu le plus exposé pour les mettre devant les yeux des hommes de ce siecle, & des siecles futurs. On a pris soin de graver sur l'airain tous les honneurs d'un insolent esclave, ceux même qu'il avoit refusés ; mais qu'autant qu'il dépendoit des auteurs du decret il avoit possédés.

On a écrit dans les registres publics, pour en conserver à jamais le souvenir, qu'on lui avoit déféré les marques de distinction que portent les préteurs, comme on y écrivoit autrefois les anciens traités d'alliance, les loix sacrées. Tant l'empereur, le sénat, Pallas lui-même, eut montré de... (je ne sais que dire), qu'ils semblent s'être empressés d'étaler à la vue de l'univers, Pallas son insolence, l'empereur sa foiblesse, le sénat sa misere.

Est-il possible que le sénat n'ait pas eu honte de chercher des prétextes à son infamie ? La belle, l'admirable raison que l'envie d'exciter une noble émulation dans les esprits, par l'exemple des grandes récompenses dont étoit comblé Pallas. Voyez par-là dans quel avilissement tomboient les honneurs, je dis ceux-même que Pallas ne refusoit pas. On trouvoit pourtant des personnes de naissance qui desiroient, qui recherchoient avec ardeur, ce qu'ils voyoient être accordé à un affranchi, être promis à des esclaves. Que j'ai de joie de n'être point né dans ces tems, qui me font rougir comme si j'y avois vécu !

Cette lettre de Pline nous offre tout-à-la-fois un exemple des plus singuliers de la stupidité d'un prince, de la bassesse d'un sénat, & de l'orgueil d'un esclave. Cette épitaphe nous apprend encore combien il y a de momerie & d'impertinence dans les inscriptions prostituées à des infames & à des malheureux, car il n'y a guere eu d'infame plus grand que ce Pallas. Il est vrai d'un autre côté que quand le caprice de la fortune éleve si haut de tels misérables, elle ne fait que les exposer davantage à la risée publique. (D.J.)


TOMBELIERS. m. terme de Voiturier, il faudroit dire tomberier ; c'est un charretier qui conduit un tombereau pour transporter des terres, des pierres, des décombres, &c. d'un lieu à un autre. (D.J.)


TOMBERv. n. (Gram.) c'est changer de lieu par l'action de la pesanteur. On dit la vîtesse des graves s'accélere en tombant. Les eaux tombent des montagnes. Les feuilles commencent à tomber. Les plumes tombent aux oiseaux. L'ennemi tomba sur notre arriere-garde & la dispersa. Tomber en quenouille. La foudre tombe quelquefois sur les lieux saints. Le brouillard tombe, nous aurons beau tems. Le vent est tombé. Ce manteau tombe trop bas. Ces fortifications tombent en ruine. Il est tombé en apoplexie. Les chairs tombent en pourriture. Sa fluxion lui est tombée sur la poitrine. Cette maison m'est tombée en partage. Les chiens sont tombés en défaut. Le sort est tombé sur lui. Il est tombé entre les mains de son ennemi. Ce trait satyrique tombe sur lui. Les plus parfaits tombent quelquefois. Il est tombé dans une grande faute. Je tombe dans ce sens. Cette piece est tombée à la premiere représentation. Il est tombé dans une erreur très-délicate. Nous tombâmes enfin sur cette matiere. Le poids de cette pendule est tout-à-fait tombé. D'où l'on voit qu'à-travers toute la variété de ses acceptions, le verbe tomber conserve quelque chose de son idée primitive.

TOMBER, (Marine) c'est pencher ou cesser. Ainsi un mât, une galere tombent, quand ils penchent ; le vent tombe quand il cesse, & qu'il fait place au calme. Ce terme a encore d'autres significations, selon qu'il est joint avec d'autres termes, comme on le verra dans les articles suivans.

TOMBER sous le vent, (Marine) c'est perdre l'avantage du vent qu'on avoit gagné, ou dont on étoit en possession, ou qu'on tâchoit de gagner.

TOMBER sur un vaisseau, (Marine) c'est arriver & fondre sur un vaisseau.


TOMBEREAUS. m. terme de Charron, c'est une sorte de charrette dont le fond & les deux côtés sont faits de grosses planches enfermées par des gisans.

Un tombereau sert à transporter les choses qui tiennent du liquide, comme les boues, les ordures des rues, ainsi que le sable, la chaux, les terres, gravois, & choses semblables.

Du Cange dérive ce mot de tombrellum, dont les Anglois ont fait tumbrel, que Dodwel dit avoir été une espece de charrette, sur laquelle on promenoit par les villes d'Angleterre les femmes coupables d'adultere, & qu'en quelques lieux on plongeoit plusieurs fois dans l'eau, ce qu'on appelloit la peine du tumbrel.

Tombereau désigne aussi la charge d'une charrette faite en tombereau. (D.J.)


TOMBERELLou TONNELLE, s. f. (Chasse) c'est une espece de filet qui a 15 piés de queue pour prendre les perdrix ; le chasseur après l'avoir bien tendu contre terre, passe d'un autre côté, par-derriere les perdrix, & les chasse doucement vers la tonnelle en poussant devant soi un boeuf ou une vache de bois peint ; ou il prend de la toile peinte en couleur de vache, avec une tête d'osier, oreilles, cornes & col qui imitent le naturel de la vache, & une sonnette que le chasseur portera au col, & ainsi suivant les perdrix, il les amene toutes dans la tonnelle. A l'embouchure de la tonnelle on dresse un pan de filets de chaque côté en angle obtus, pour que les perdrix donnent plus facilement dans la tonnelle ; quand elles en sont proche, on les presse davantage, & dès qu'elles y sont entrées, on court sur le filet pour les prendre. On peut tonneller en tout tems & à toutes les heures du jour, principalement le matin & le soir ; les perdrix chantent une heure après le jour, ce qui les découvre ; on se sert de la vache artificielle pour approcher tous les oiseaux de passage & sauvages. Tonneller, c'est chasser à la tonnelle ; tonnelleurs, sont ceux qui chassent à la tonnelle.


TOMBISSEURS. m. (Venerie) c'est le nom qu'on donne au premier des oiseaux qui attaque le héron dans son vol ; on l'appelle tombisseur ou haussepié.


TOMBOUBITSIS. m. (Hist. nat. Botan.) arbre de l'île de Madagascar, dont les voyageurs ne nous apprennent rien, sinon que le coeur de son bois est d'un jaune orangé.


TOMBUT(Géog. mod.) royaume d'Afrique dans la Nigritie. Il est borné au nord par le royaume de Combour, au midi par la Guinée, au levant par le royaume de Gabi, & au couchant par les Mandingues ; c'est un pays qui contient plusieurs mines d'or & de cuivre, & qui produit du blé, du riz & autres grains nécessaires à la vie. Le roi de Tombut est de tous les princes de la Nigritie le plus riche & le plus puissant. Il réside dans la capitale qui porte le même nom, & qui est située à quelque distance du Niger ; c'est une ville considérable par l'abord des marchands de Barbarie & des autres pays voisins, qui y font un grand commerce. LÉon d'Afrique dit que cette ville a été fondée l'an 1213 par un prince de Barbarie, appellé Monsa-Suleiman. Longit. 14. 5. latit. 15. 34. (D.J.)


TOME(Gram. & Littérat.) espece de division d'un ouvrage. Il y a quelquefois plusieurs tomes dans un volume, & quelquefois aussi il y a plusieurs volumes, sans qu'il y ait de tomes ; ainsi un ouvrage en vingt tomes n'est pas la même chose qu'un ouvrage en vingt volumes, ni un ouvrage en vingt volumes la même chose qu'un ouvrage en vingt tomes. Cependant ces deux mots se prennent assez souvent l'un pour l'autre, & l'on dit indistinctement, j'ai perdu un volume ou un tome de l'histoire romaine.


TOMENTUMS. m. signifie proprement de la bourre ou des flocons de laine ; mais les anatomistes employent ce terme pour marquer cette espece de duvet qui vient sur les feuilles de certaines plantes, qui à cause de cela sont nommées tomentosae, comme le gramen tomentosum, le carduus tomentosus, &c.

M. Winslow observe une sorte de tomentum ou de duvet dans les vaisseaux secrétoires des glandes ; & c'est par-là qu'il explique la sécrétion des différentes liqueurs qui se séparent du sang. Voyez SANG.


TOMES(Géog. anc.) Tomi, ville de la basse Moesie, vers l'embouchure du Danube, près du Pont-Euxin. Tous les géographes en parlent ; Pomponius Méla, l. II. c. ij. Ptolémée, l. III. c. x. &c. Etienne le géographe écrit Tomeus ; & sur une médaille de Caracalla on trouve cette inscription : .

Ovide dans ses tristes, l. III. élég. 9, s'est amusé à donner l'origine fabuleuse de la ville de Tomes, où il étoit malheureusement relégué, & ce morceau est très-ingénieux. Il nomme Tomitae les habitans de Tomes ; cette ville peu considérable du tems de Strabon, s'accrut dans la suite. La table de Peutinger la représente avec toutes les marques des grandes villes ; & la notice d'Hiéroclès en fait la métropole de la Scythie, ou de la nation des Scythes soumis à l'empire. On croit que l'ancienne Tomes est aujourd'hui Kilianova, bourg de Bessérabie, vers l'embouchure la plus septentrionale du Danube. (D.J.)


TOMIAS(Antiq. grecq.) nom donné au sacrifice qu'on offroit pour la ratification des ligues solemnelles. On nommoit ainsi ce sacrifice, parce qu'on prêtoit le serment sur les testicules de la victime que les victimaires avoient coupées exprès. Voyez Potter, Archaeol. graec. t. I. p. 252. (D.J.)


TOMIou TOMINE, s. m. (Poids) petit poids dont on se sert en Espagne & dans l'Amérique espagnole pour peser l'or ; il faut huit tomins pour le castillan, six castillans & deux tomins pour l'once. Le tomin pese trois carats, & le carat quatre grains ; le tout poids d'Espagne, qui est environ d'un septieme par cent plus foible que le poids de Paris. (D.J.)


TOMOLOS. m. (Mesure de continence) mesure dont on se sert à Naples & en quelques autres lieux de ce royaume & de l'Italie ; le tomolo est le tiers du septier de Paris, c'est-à-dire, qu'il faut trois tomoli pour le septier. (D.J.)


TOMON-PUTES. f. (Hist. nat. Botan.) racine des Indes orientales qui ressemble à celle du curcuma, excepté qu'elle est blanche ; les Indiens s'en frottent le corps, & regardent cette pratique comme fort saine.


TOMOSKOYTOOM ou TOMO, (Géog. mod.) ville de l'empire russien, dans la Sibérie, entre les deux bras de la riviere Tom. Elle fournit de belles fourrures blanches que les Russiens nomment Telarski Bielski. On a découvert au voisinage de cette ville d'anciens tombeaux d'où l'on a tiré des pieces d'or, d'argent, des agraffes, des boucles, des bagues & des ustensiles de table : ce qui marque que ce pays a été autrefois habité par une nation plus opulente que celle qui l'habite aujourd'hui, & c'est une observation curieuse. (D.J.)


TONS. m. (Hist. nat. & Médec. pratiq.) c'est le nom que les habitans du Brésil ont donné à un insecte assez semblable à la puce par la couleur & par la maniere dont il saute, mais communément beaucoup plus petit, égalant à peine en grosseur un grain de sable. Jean Heurnius le pere, pour exprimer sa petitesse, l'appelle une idée d'animal ; le Brésil n'est pas le seul pays où l'on en trouve, il est répandu dans presque toutes les îles d'Amérique ; & c'est avec raison que Lerins pense que c'est le même insecte qui est connu dans les îles espagnoles sous le nom de nigua. (Hist. du Brésil, chap. ij.) Les tons habitent ordinairement les terreins sablonneux, & sur-tout ceux qui sont plantés en canne à sucre, & de-là s'élancent sur les passans, attaquent principalement ceux qui ont les piés nuds, se nichent dans la peau & entre les ongles, & y excitent une maladie que les naturels du pays appellent aussi ton. Les François ont donné à ces insectes le nom de chiques ; c'est sous ce nom que M. de Rochefort les décrit & détaille les effets de leur piquure dans son histoire naturelle & morale des îles Antilles. Voyez CHIQUES. Pour le completer, nous ajouterons ici quelques particularités sur l'espece d'affection qui suit l'entrée de ces animaux dans la peau, & sur les remedes que l'expérience a consacrés comme plus efficaces.

Les piés ne sont pas les seules parties du corps qu'ils attaquent ; souvent ils se glissent entre les ongles des doigts de la main ; & Lerins assure avoir vu aux aisselles & dans d'autres parties molles des marques de leur invasion ; deux jours après que cet insecte a pénétré la peau, le malade y ressent une démangeaison qui dans quelques heures devient si insupportable, qu'il ne peut s'empêcher de se gratter continuellement & avec force, ce qui vraisemblablement contribue à accélerer la formation d'une petite pustule livide ; elle est accompagnée d'une tumeur de la grosseur de la tête d'une épingle, qui bientôt augmente avec des douleurs très-vives jusqu'à celle d'un pois ; on apperçoit alors l'insecte au milieu de la tumeur, qui s'étend quelquefois tout-à-l'entour. Si dans ces entrefaites on n'apporte pas au mal un remede efficace, la tumeur se termine par la gangrene qui fait des progrès plus ou moins rapides ; l'insecte multiplie prodigieusement, & se répand par ce moyen dans les diverses parties du corps où il occasionne les mêmes symptomes ; on a vu des personnes qui faute de secours avoient perdu totalement l'usage des piés & des mains. Thomas Vander Guychten, dont Otho Heurnius donne l'histoire, qu'on trouve dans le quatrieme volume de la Bibliotheque de Médecine pratique de Manget, liv. XVII. p. 643 & suiv. fut obligé par la maladresse des chirurgiens qui le traitoient, de se faire couper un ou deux doigts du pié qui étoient entierement gangrenés ; & ce ne fut que par les soins long-tems continués de Heurnius, célebre médecin, que les progrès de la gangrene furent arrêtés, & que ce malade obtint une guérison complete.

Le secours le plus approprié & dont l'effet est le plus promt, est, suivant tous les Historiens, l'extraction du ton. Cette opération est très-douloureuse, mais en même tems immanquable ; les Brésiliens & les Negres la font avec une adresse singuliere & un succès constant, dès qu'ils s'apperçoivent par la tumeur de l'entrée de l'insecte. On tire dans le pays une huile rouge, épaisse, d'un fruit qu'on appelle couroy, qui passe aussi pour très-propre à guérir cette maladie ; on l'applique en forme de baume sur les parties où l'insecte est entré ; on vante encore beaucoup l'efficacité des feuilles du tabac, sur-tout imbibées de suc de citron très-acide ; mais quels que soient les effets de ces différens remedes, il est beaucoup plus prudent de ne pas se mettre dans le cas de les éprouver, & il ne faut que peu d'attention pour y parvenir ; on n'a qu'à ne jamais marcher piés nuds, porter des bas & des gants de peau, se laver souvent & observer en un mot une très-grande propreté. M. de Rochefort conseille aussi dans la même vue d'arroser les appartemens qu'on occupe, avec de l'eau salée.

TON, (Prose & Poésie) couleurs, nuances du style, langage qui appartient à chaque ouvrage.

Il y a 1°. le ton du genre : c'est par exemple, du comique ou du tragique ; 2°. le ton du sujet dans le genre : le sujet peut être comique plus ou moins ; 3°. le ton des parties ; chaque partie du sujet a outre le ton général, son ton particulier : une scène est plus fiere & plus vigoureuse qu'une autre : celle-ci est plus molle, plus douce : 4°. le ton de chaque pensée, de chaque idée : toutes les parties, quelque petites qu'elles soient, ont un caractere de propriété qu'il faut leur donner, & c'est ce qui fait le poëte ; sans cela, cur ego poëta salutor. On bat souvent des mains, quand dans une comédie on voit un vers tragique, ou un lyrique dans une tragédie. C'est un beau vers, mais il n'est point où il devroit être.

Il est vrai que la comédie éleve quelquefois le ton, & que la tragédie l'abaisse ; mais il faut observer que quelque essor que prenne la comédie, elle ne devient jamais héroïque. On n'en verra point d'exemple dans Moliere. Il y a toujours quelque nuance du genre qui l'empêche d'être tragique. De même quand la tragédie s'abaisse, elle ne descend pas jusqu'au comique. Qu'on lise la belle scène où Phedre paroît désolée, le style est rompu, abattu, si j'ose m'exprimer ainsi ; c'est toujours une reine qui gémit.

Ce que nous venons de dire du ton en poésie, s'applique également à la prose. Il y a chez elle le ton simple ou familier, le ton médiocre & le ton soutenu, selon le genre de l'ouvrage, le sujet dans le genre & les parties du sujet. Enfin le ton ou le langage d'un conte, d'une lettre, d'une histoire, d'une oraison funebre, doivent être bien différens. Voyez STYLE. (D.J.)

TON, (Art oratoire) inflexion de voix : on a parlé des différentes qualités du ton dans la prononciation & la déclamation, aux mots PRONONCIATION & DECLAMATION. (D.J.)

TON, s. m. (Mus.) Ce mot a plusieurs sens en Mus. 1°. Il se prend d'abord pour un intervalle qui caractérise le système & le genre diatonique. Voyez INTERVALLE. Il y a deux sortes de tons ; savoir le ton majeur dont le rapport est de 8 à 9, & qui résulte de la différence de la quarte à la quinte ; & le ton mineur dont le rapport est de 9 à 10, & qui est la différence de la tierce mineure à la quarte. La génération du ton majeur & celle du ton mineur se trouve également à la seconde quinte ré en commençant par ut ; car la quantité dont ce ré surpasse l'octave du premier ut, est justement dans le rapport de 8 à 9, & celle dont ce même ré est surpassé par le mi tierce majeure de cette octave, est dans le rapport de 9 à 10.

2°. On appelle ton, le degré d'élévation que prennent les voix, ou sur lequel sont montés les instrumens pour exécuter de la musique. C'est en ce sens qu'on dit dans un concert que le ton est trop haut ou trop bas. Dans les églises, il y a le ton du choeur pour le plein-chant ; il y a, pour la musique, ton de chapelle & ton d'opéra ; ce dernier n'a rien de fixe, mais est ordinairement plus bas que l'autre qui se regle sur l'orgue.

3°. On fait encore porter le même nom de ton à un instrument qui sert à donner le ton de l'accord à tout un orchestre : cet instrument, que quelques-uns appellent aussi choriste, est un sifflet, qui, au moyen d'une maniere de piston gradué, par lequel on allonge ou raccourcit le tuyau à volonté, vous représente toujours à-peu-près le même son sous la même division. Mais cet à-peu-près qui dépend des variations de l'air, empêche qu'on ne puisse s'assurer d'un ton fixe qui soit toujours le même. Peut-être, depuis que le monde existe, n'a-t-on jamais concerté deux fois exactement sur le même ton. M. Diderot a donné les moyens de perfectionner le ton ; c'est-à-dire, d'avoir un son fixe avec beaucoup plus de précision, en remédiant aux effets des variations de l'air. Voyez SON FIXE.

4°. Enfin, ton se prend pour le son de la note, ou corde principale qui sert de fondement à une piece de musique, & sur lequel on dirige l'harmonie, la mélodie & la modulation sur les tons des anciens. Voyez MODE.

Comme notre système moderne est composé de douze cordes ou sons différens, chacun de ces sons peut servir de fondement à un ton, & ce son fondamental s'appelle tonique. Ce sont donc déjà douze tons ; & comme le mode majeur & le mode mineur sont applicables à chaque ton, ce sont vingt-quatre modes dont notre musique est susceptible. Voyez MODE.

Ces tons different entr'eux par les divers degrés d'élévation du grave à l'aigu qu'occupent leurs toniques. Ils different encore par les diverses altérations produites dans chaque ton par le tempérament ; de sorte que sur un clavessin bien accordé, une oreille exercée reconnoît sans peine un ton quelconque dont on lui fait entendre la modulation, & ces tons se reconnoissent également sur des clavessins accordés plus haut ou plus bas les uns que les autres ; ce qui montre que cette connoissance vient du-moins autant des diverses modifications que chaque ton reçoit de l'accord total, que du degré d'élévation que sa tonique occupe dans le clavier.

De-là naît une source de variétés & de beautés dans la modulation. De-là naît une diversité & une énergie admirable dans l'expression. De-là naît, en un mot, la faculté d'exciter des sentimens différens avec des accords semblables frappés en différens tons. Faut-il du grave, du majestueux ? l'f ut fa, & les tons majeurs par bémol l'exprimeront noblement. Veut-on animer l'auditeur par une musique gaie & brillante, prenez a-mi la majeur, d-la ré, en un mot, les tons majeurs par dièse. C-sol ut mineur porte la tendresse dans l'ame, f-ut fa mineur va jusqu'au lugubre & au desespoir. En un mot, chaque ton, chaque mode a son expression propre qu'il faut savoir connoître ; & c'est-là un des moyens qui rendent un habile compositeur, maître en quelque maniere des affections de ceux qui l'écoutent ; c'est une espece d'équivalent aux modes anciens, quoique fort éloigné de leur énergie & de leur variété.

C'est pourtant de cette agréable diversité que M. Rameau voudroit priver la musique, en ramenant, autant qu'il est en lui, une égalité & une monotonie entiere dans l'harmonie de chaque mode, par sa regle du tempérament, regle déjà si souvent proposée & abandonnée avant lui. Selon cet auteur, toute l'harmonie en seroit plus parfaite : il est certain cependant qu'on ne peut rien gagner d'un côté, par sa méthode, qu'on ne perde tout autant de l'autre. Et quand on supposeroit que la pureté de l'harmonie y profiteroit de quelque chose, ce que nous sommes bien éloignés de croire, cela nous dédommageroit-il de ce qu'elle nous feroit perdre du côté de l'expression ? Voyez TEMPERAMENT. (S)

TONS DE L'EGLISE, (Musique) ce sont des manieres déterminées de moduler le plein-chant sur divers sons fondamentaux, & selon certaines regles admises dans toutes les églises où l'on pratique le chant grégorien.

On compte ordinairement huit tons réguliers, dont il y en a quatre authentiques & quatre plagaux. On appelle tons authentiques, ceux où la finale occupe à-peu-près le plus bas degré du chant ; mais si le chant descend jusqu'à trois degrés plus bas que la finale, c'est-à-dire, jusqu'à ce qu'on appelle en Musique la dominante ; alors le ton est plagal : on voit qu'il n'y a pas grand mystere à ces mots scientifiques.

Les quatre tons authentiques ont leur finale à un degré l'un de l'autre, selon l'ordre des quatre notes ré, mi, fa, sol ; ainsi le premier ton de ces tons répondant au mode dorien des Grecs, le second répond au phrygien, le troisieme à l'éolien, & non pas au lydien, comme a dit M l'abbé Brossard, & le dernier au mixo-lydien. C'est S. Miroclet, évêque de Milan, ou selon l'opinion la plus reçue, S. Ambroise qui vers l'an 370, choisit ces quatre tons pour en composer le chant de l'église de Milan, & c'est à ce qu'on croit le choix & l'approbation de ces deux grands hommes qui ont fait donner à ces quatre tons le nom d'authentiques.

Comme les sons employés dans ces quatre tons n'occupoient pas tout le disdiapason ou les quinze cordes de l'ancien système, S. Grégoire forma le projet de les employer toutes par l'addition des quatre nouveaux tons qu'on appelle plagaux, qui ont les mêmes finales que les précédens, & qui reviennent proprement à l'hypodorien, à l'hypophrygien, à l'hypoéolien & à l'hypomixolydien ; d'autres attribuent à Guy d'Arezzo l'invention de ce dernier.

C'est de-là que ces quatre tons authentiques ont chacun un ton plagal pour leur servir de collatéral ou supplément ; de sorte qu'après le premier ton qui est authentique, vient le second qui est son plagal, le troisieme authentique, le quatrieme plagal, & ainsi de suite. Ce qui fait que ces modes ou tons authentiques s'appellent aussi impairs & les plagaux pairs, eu égard à leur ordre dans la série des tons.

La connoissance du ton authentique ou plagal est essentielle pour celui qui donne le ton du choeur ; car s'il a à entonner dans un ton plagal, il doit prendre la finale à-peu-près dans le medium de la voix ; mais si le ton est authentique, la même finale doit être prise dans le bas. Faute de cette observation, on exposeroit les voix à se forcer, ou à n'être pas entendues.

Quelquefois on fait dans un même ton des transpositions à la quinte ; ainsi au-lieu de ré dans le premier ton, on aura pour finale le si pour le mi, l'ut pour le fa, & ainsi de suite ; mais si l'ordre de ces sons ne change pas, le ton ne change pas non plus, & ces transpositions ne se font que pour la commodité des voix : ce sont encore des observations à faire par l'organiste ou le chantre qui donne le ton.

Pour approprier autant qu'il est possible, l'intonation de tous ces tons à l'étendue d'une seule voix, les Organistes ont cherché les tons de la musique les plus propres à correspondre à ceux-là. Voici ceux qu'ils ont établis : on auroit pu les réduire encore à une moindre étendue, en mettant à l'unisson la plus haute corde de chaque ton, ou si l'on veut, celle qu'on rebat le plus, & qu'on appelle dominante, en terme de plein-chant. Mais on n'a pas trouvé que l'étendue de tous ces tons ainsi reglés excédoit celle de la voix humaine ; ainsi on n'a pas jugé à-propos de diminuer encore cette étendue par des transpositions qui se seroient trouvées à la fin plus difficiles & moins harmonieuses que celles qui sont en usage.

Au reste, les tons de l'église ne sont point asservis aux loix des tons de la Musique ; il n'y est point question de médiante ni de note sensible, & on y laisse les semi- tons où ils se trouvent dans l'ordre naturel de l'échelle, pourvu seulement qu'ils ne produisent ni tri- tons ni fausse-quintes sur la tonique. (S)

TON, (Lutherie) instrument dont les Musiciens se servent pour trouver & donner le ton sur lequel on doit exécuter une piece de musique ; c'est une espece de flûte à bec représentée, Planche de Lutherie, figure 27. 8. laquelle n'a point de trous pour poser les doigts, mais seulement une ouverture E par laquelle on souffle, & une autre ouverture D qui est la lumiere & par où le son de l'instrument sort ; on fait entrer par le trou de la patte C une espece de piston A B C ; la partie A B de ce piston sert de poignée pour la pouvoir tenir & enfoncer à volonté : la tige B C est graduée par de petites marques ou lignes c d e f g, a b c qui répondent aux notes de la musique ; ensorte que si on enfonce le piston jusqu'à une de ces marques, par exemple, jusqu'à 9 qui répond à sol, l'instrument rendra alors un son qui sera la quinte du premier son qu'il rend, lorsque la premiere marque c ou c sol ut est à l'extrêmité du corps D C de l'instrument. La formation du son dans le ton se rapporte à celle du son dans les tuyaux bouchés de l'orgue. Voyez l'article BOURDON DE 16 PIES & les figures.

TON, (Marine) c'est la partie du mât qui est comprise entre les barres de hune & le chouquet, & où s'assemblent par en-haut le bout du tenon du mât inférieur avec le mât supérieur, & cela par le moyen du chouquet ; & par en-bas, le pié du mât supérieur avec le tenon du mât inférieur, par le moyen d'une cheville de fer appellée clé.

TON, (Peinture) nom qui convient en peinture à toutes sortes de couleurs & à toutes sortes de teintes, soit qu'elles soient claires, brunes, vives, &c. Voyez TEINTE. On dit tons clairs, tons bruns, tons vifs ; ces couleurs ne sont pas de même ton.

Ce terme a néanmoins une acception particuliere lorsqu'on y joint l'épithete de beau, de bon. Alors il signifie que les objets sont bien caractérisés par la couleur, relativement à leur position, & que de la composition de leurs tons résulte une harmonie satisfaisante. Vilains, mauvais tons, signifient que de leur assemblage résulte le contraire.

TON, s. m. (Rubanerie) c'est une grosse noix percée de plusieurs trous dans sa rondeur, & traversée de deux cordes qui tiennent de part & d'autre au métier, elle sert à bander ces deux cordes par une cheville ou bandoir qu'on enfonce dans un de ces trous, & qui mene la noix à discrétion. (D.J.)


TONAIGES. m. (Hist. des impôts) sorte d'impôt nommé tolaige & grosse laige, qui se levoit anciennement par quelques seigneurs, mais sans droit & sans titre, sur ceux qui par ordre du roi, recueilloient & amassoient les paillettes d'or dans quelques rivieres de France. (D.J.)


TONCAT(Géog. mod.) ville d'Asie, dans la partie occidentale du Turquestan, sur le bord du fleuve Jaxartes dans un terroir délicieux. Alboulcaïr l'appelle le palais des sciences, à cause de l'académie des Arts & des Sciences qui y étoit établie de son tems. Long. suivant Delisle, 89. lat. 47. (D.J.)


TONDEREou TUNDERN, (Géog. mod.) ville de Danemarck, dans le duché de Sleswig, sur la rive méridionale du Widaw, à quatre milles de Ripen, d'Apenrade & de Flensbourg, à cinq de Sleswig, & à sept d'Hadersleben. Abel, duc de Sleswig, & depuis roi de Danemarck, donna à Tonderen le titre de ville en 1243. Elle est aujourd'hui bien fortifiée & dans un terrein fertile. Longit. 26. 44. latit. 54. 52.


TONDEURS. m. (Art méch.) ouvrier qui travaille dans les manufactures de lainage à tondre avec des forces, les draps, les serges & autres étoffes de laine.

A Paris, les tondeurs forment une communauté qui est fort ancienne. Leurs premiers statuts furent du mois de Décembre 1384. du tems de Charles VI ; ils furent ensuite confirmés & augmentés par Louis XI. en 1477, puis par Charles VIII. en Juillet 1484. & enfin par François I. en Septembre 1531.

Par ces statuts, ils sont nommés tondeurs de draps à table séche, parce qu'il ne leur est pas permis de tondre aucunes étoffes quand elles sont encore mouillées.

Il y a à la tête de cette communauté quatre maîtres qui ont la qualité de jurés-visiteurs, dont la fonction est d'aller visiter chez les maîtres pour veiller à la conservation de leur art & métier, & tenir la main à l'exécution des statuts & ordonnances qui le concernent.

L'élection des quatre jurés se fait tous les deux ans ; savoir, de deux anciens maîtres qui ont déja passé par la jurande, & de deux jeunes maîtres qui n'y ont pas encore passé.

Outre ces quatre jurés-visiteurs, il y a encore deux maîtres que l'on nomme simplement élus, qui sont proprement des petits jurés ou sous-jurés. Ces jurés doivent être présens au chef-d'oeuvre des aspirans à la maîtrise & aux expériences des compagnons ; ils doivent aussi tenir la main à ce que l'on ne travaille point les fêtes & les dimanches ; ces deux petits jurés sont aussi élus tous les deux ans.

Avec ces quatre jurés-visiteurs & ces deux petits jurés, il y a encore un ancien maître de la communauté que l'on élit pareillement tous les deux ans, auquel on donne la qualité de grand-garde ; il n'a aucune fonction, sa charge étant purement d'honneur, & seulement une marque du mérite & de la capacité de celui qui en est revêtu.

Pour être reçu maître tondeur à Paris, il faut avoir fait trois années d'apprentissage, faire chef-d'oeuvre, qui consiste à donner deux tontures ou coupes à un morceau de drap de deux aunes encore blanc ; savoir, une avant que le drap ait été lainé, & l'autre après le lainage. Outre ces deux tontures, il doit encore en donner une au même morceau de drap après avoir été teint.

Les fils de maîtres sont exempts de l'apprentissage & du chef-d'oeuvre ; ils sont seulement tenus de faire une simple expérience, qui consiste à tondre une fois en premier deux aunes de drap en couleur.

Chaque maître doit avoir chez lui un morceau de fer tranchant par un bout, qui est une espece de poinçon, qui sert à marquer toutes les étoffes qu'ils tondent ou qu'ils font tondre par leurs compagnons ; cette marque se fait ordinairement au premier bout ou chef de la piece. Il n'est pas permis à un maître de continuer à tondre une piece déja commencée & marquée par un de ses confreres.

Les tondeurs de drap prennent pour patron l'Assomption de la sainte Vierge ; ils ont une confrairie établie dans l'église des grands Augustins. Ils n'ont point de chambre de communauté pour faire leurs assemblées ; mais quand ils veulent en convoquer une, elle se tient chez le plus ancien des jurés en charge.

Par les réglemens généraux des manufactures de lainage faits au mois d'Août 1669, art. 53. il est défendu aux tondeurs de drap de se servir pour l'ensimage des étoffes d'aucunes graisses appellées flambarz ; ils doivent seulement y employer du sain-doux de porc le plus blanc. Il leur est encore défendu de se servir de cardes, ni d'en avoir dans leurs maisons pour coucher les draps, &c. ils ne peuvent se servir pour cela que de chardons à foulon.

Quoiqu'il semble par tout ce qui vient d'être dit, que la profession de tondeurs doive se renfermer dans la seule tonture des draps, ce sont cependant eux qui se mêlent de les presser, de les cattir & de les friser.


TONDI-TEREGAMS. m. (Hist. nat. Botan. exot.) grand arbre de Malabar qui s'éleve à la hauteur de cinquante à soixante piés ; son tronc, qui est extrêmement gros, pousse une infinité de branches droites, longues, vertes, lanugineuses, rudes & pleines d'une moëlle spongieuse ; ses feuilles sont disposées par paires dans un ordre parallele ; elles sont portées par des queues qui tiennent aux petites branches terminées en pointe, dentelées, épaisses, lisses, vertes, luisantes par-dessus, verdâtres & cotonneuses par-dessous, d'une odeur douce, & d'un goût aromatique. Les fleurs naissent trois à trois, & même en plus grand nombre d'entre les aisselles des feuilles ; elles sont tétrapétales, pointues, & répandent une odeur agréable lorsqu'on les froisse entre ses doigts. Il s'éleve d'entre les pétales quatre étamines purpurines, au centre desquelles est un pistil rouge à sommet blanchâtre. Les auteurs de l'Hort. malab. nomment cet arbre, arbor flore tetrapetalo, odorato, fructu nullo, Hort. malab. tom. IV. c'est-à-dire qu'ils ne lui donnent point de fruit ; mais c'est vraisemblablement une erreur de leur part. (D.J.)


TONDINSS. m. pl. (Plombier) instrument à l'usage des plombiers & des facteurs d'orgues. Ce sont de gros cilindres de bois dont on se sert pour former & arrondir les tuyaux de plomb destinés à la conduite & à la décharge des eaux, & les tuyaux d'étain pour monter les orgues. Ces tondins sont plus ou moins gros & longs, selon la grosseur & la longueur qu'on veut donner aux tuyaux. Voyez TUYAUX.


TONDREv. act. (Gramm.) en général c'est couper les poils superflus.

TONDRE, (terme de Chapelier) c'est à l'égard des chapeaux de Caudebec, & de ceux qui sont fabriqués de pure laine, les faire passer par-dessus la flamme d'un feu clair, ordinairement fait de paille ou de menu bois, pour en ôter les plus longs poils, ce qu'on appelle vulgairement flamber le chapeau ; & pour ce qui est des autres chapeaux, comme castors, demi-castors & vigognes, c'est les frotter par-dessus avec une pierre-ponce, pour user le poil qui excede trop ; c'est ce qui se nomme ordinairement poncer le chapeau. (D.J.)

TONDRE, TONDU, (Jardin.) plusieurs parties d'un jardin sont sujettes à la tonture, soit aux ciseaux, soit au croissant. Les parterres ne seront tondus que la seconde année pour laisser prendre terre au buis & le fortifier. Il les faut ensuite tondre aux ciseaux au-moins une fois l'an dans le mois de Mai. Les beaux parterres le sont deux fois l'année après les deux seves.

Les ifs, les arbrisseaux de fleurs & les palissades basses se tondent aux ciseaux, ainsi que les boules d'ormes, au-moins une fois par an entre les deux seves.

Les autres grandes palissades de charmille & d'érable, se tondent au croissant au-moins une fois l'an, comme en Juillet ; on les tond dans les beaux jardins en Juin & au commencement de Septembre après la pousse de chaque seve, pour les mieux entretenir dans la belle forme qu'on leur a donnée.

TONDRE, v. act. (Lainage) ce mot en manufacture de lainage, signifie couper avec de grands ciseaux que l'on appelle forces, le poil superflu & trop long qui se trouve sur la superficie des draps & autres étoffes de laines pour les rendre plus rases & plus unies. On tond plus ou moins de fois les étoffes suivant leur finesse & qualité. Savary. (D.J.)


TONDRUCou TENDRAC, s. m. (Hist. nat.) animal quadrupede de l'île de Madagascar, qui est une espece de porc-épic. Il est de la grandeur d'un chat ; il a le grouin, les yeux & les oreilles d'un cochon ; son dos est armé de pointes ; il n'a point de queue. Ses pattes sont comme celles d'un lapin ; il se nourrit d'insectes, & d'escargots. La femelle multiplie prodigieusement, elle produit jusqu'à vingt petits d'une portée. Cet animal se cache sous terre, où il forme une espece de galerie singuliere ; d'abord elle s'enfonce perpendiculairement d'environ deux ou trois piés, ensuite elle va obliquement, enfin elle remonte jusque près de la surface de la terre ; là l'animal se loge, & il y demeure cinq ou six mois sans prendre aucune nourriture, & sans qu'au bout de ce tems il en soit plus maigre. Sa chair est un très-bon manger.


TONÉES(Antiq. grecq.) fêtes qui se célébroient à Argos, selon Athénée : elles consistoient en ce que l'on portoit en grande pompe la statue de Junon qui avoit été volée par les Tyrrhéniens, puis abandonnée sur le rivage. La statue étoit environnée de liens tendus, d'où la fête prit son nom, , en grec, signifie tendre. Voyez TONNEES. (D.J.)


TONG-CHUS. m. (Hist. nat. Botan. exot.) arbre de la Chine dont on tire une liqueur qui approche du vernis. Quand on le voit de loin, disent nos missionnaires, on le prend pour un vrai noyer, tant il lui est semblable, soit pour la forme & la couleur de l'écorce, soit par la largeur & la couleur des feuilles, soit par la figure & la disposition des noix. Ces noix ne sont pleines que d'une huile un peu épaisse, mêlée avec une pulpe huileuse qu'on pressure ensuite pour ne pas perdre la plus grande partie de la liqueur. Pour la mettre en oeuvre on la fait cuire avec de la litharge, & l'on y mêle, si l'on veut, de la couleur ; souvent on l'applique sans mêlange sur le bois qu'elle défend de la pluie. On l'applique aussi sans mêlange sur les carreaux qui forment le plancher d'une chambre ; ils deviennent luisans ; & pourvu qu'on ait soin de les laver de-tems-en-tems, ils conservent leur lustre. C'est ainsi que sont faits les appartemens de l'empereur chinois & des grands de l'empire.

Mais si on veut faire un ouvrage achevé ; s'il s'agit, par exemple, d'orner une chambre, un cabinet, on couvre les colonnes & la boiserie de filasse, de chaux, ou d'autres matieres semblables préparées en pâte. On laisse sécher le tout jusqu'à un certain degré ; on mêle ensuite dans l'huile telle couleur que l'on veut ; & après l'avoir fait cuire à l'ordinaire, on l'applique avec des brosses, suivant le dessein qu'on s'est formé. On dore quelquefois les moulures, les ouvrages de sculpture, & tout ce qui est relevé en bosse ; mais sans le secours de la dorure, l'éclat & le lustre de ces ouvrages ne cedent guere à celui du vernis que les Chinois nomment tsi, parce qu'il découle du tsi-chu. Voyez TSI-CHU. (D.J.)


TONG-EUS. m. (Hist. nat.) ce mot signifie en chinois tymbale de cuivre ; on le donne à la Chine à une montagne située dans la province de Quey-chew, qui fait un bruit considérable dans de certaines saisons, sur-tout à l'approche de la pluie.


TONG-HOA-FANGS. m. (Hist. nat. Ornithol.) c'est le nom que les Chinois donnent à un petit oiseau dont le bec est rouge, & dont le plumage est des couleurs les plus vives & les plus variées ; suivant les Chinois cet oiseau est produit par la fleur appellée tong-hoa, à qui il ressemble par ses couleurs, & à laquelle l'oiseau ne peut survivre. Cette fleur croît, dit-on, dans la province de Se-chouen ; mais on croit qu'elle est fabuleuse, ainsi que l'oiseau qu'elle produit.


TONG-TSAOS. m. (Hist. nat. Botan. exot.) arbrisseau de la Chine qui s'éleve à la hauteur de quatre ou cinq piés. Ses feuilles ressemblent à celles du ricin, ou palma Christi. Le milieu de son tronc est rempli d'une moëlle blanche légere, moins serrée que la chair du melon, & moins spongieuse que la moëlle du sureau. On cuit cette moëlle, & l'on en fait un rob qui est doux, agréable, & qu'on mêle avec des fruits pour en relever le goût.

La tige du tong-tsao est divisée comme le bambou, par divers noeuds qui naissent entre deux des tuyaux de la longueur d'un pié. Ces tuyaux contiennent aussi de la moëlle dont on fait le même usage que de celle du tronc. (D.J.)


TONGOUSou TONGURES, ou TOUNGUSES, (Géog. mod.) peuples tartares soumis à l'empire russien, & qui occupent à-présent une grande partie de la Sibérie orientale. Voyez les détails qui concernent ces peuples au mot TARTARES. (D.J.)


TONGRES(Géog. mod.) Atuaticum Tongrorum, ensuite Tongri, en flamand Tongeren ; ville des Pays-bas, dans l'évêché & à trois lieues au nord-ouest de Liege, au pays nommé la Hasbaye, sur le Jecker. Elle a eu dès les premiers siecles un évêché qui fut ensuite transféré à Mastricht, & de-là à Liege. Tongres avoit de la célébrité du tems de Jules-César, & étoit la capitale d'un grand pays. Guichardin la donne pour la premiere des villes de France & de l'Allemagne qui ait été convertie au christianisme ; mais Attila la ruina dans ses incursions ; elle n'a fait que languir depuis ; & pour comble de maux, les François la démantelerent en 1673. Long. 23. 4. latit. 50. 54. (D.J.)


TONGUÉS. f. (Hist. nat. Botan.) plante de l'île de Madagascar ; sa racine est fort amere, sa fleur ressemble à celle du jasmin : on la regarde comme un excellent contre-poison.


TONIESS. f. pl. (Marine) sortes de bateaux des Indes, qu'on attache deux-à-deux avec des roseaux, ou des écorces d'arbres, afin qu'ils s'entresoutiennent, & auxquels on met une petite voile. On appelle cet assemblage catapanel.


TONIQUEmouvement tonique dans l'oeconomie animale, action dans laquelle les muscles d'une partie tant les antagonistes que les congeneres, agissent tous pour vaincre une puissance qui produit ou doit produire son effet dans une direction commune à celle de tous ces muscles en action. Voyez ANTAGONISTE & CONGENERE.

On croit communément que c'est l'action tonique des muscles, lorsqu'ils agissent tous ensemble, qui nous retient dans une situation droite ; ce qui nous empêche de tomber en-devant, en-arriere & sur les côtés.

On tombe en-devant en pliant les jambes vers les piés, & l'épine vers les genoux ; ainsi il n'y a pour lors que les extenseurs du pié qui puissent empêcher la cuisse & le pié de faire des angles, & non pas les fléchisseurs qui contribueroient plutôt à faire tomber ; c'est pourquoi ils demeurent sans action.

On tombe en arriere lorsqu'on étend trop le pié ; lorsque la cuisse se plie en-dedans ; ainsi il n'y doit y avoir que les extenseurs qui redressent les genoux.

L'action des muscles extenseurs opposés empêche de tomber sur les côtés ; d'où il est facile de voir que ce n'est point par l'action de tous ces muscles antagonistes que nous nous tenons debout, mais seulement par celle des extenseurs & de quelques fléchisseurs, pendant que quelques-uns de ceux qui fléchissent les genoux demeurent en repos & sans action. Voyez FLECHISSEUR & EXTENSEUR.

TONIQUE, adj. (Thérapeutique) du mot grec , ou , nom que les anciens donnoient aux remedes fortifians appliqués extérieurement, & qui est devenu très-familier aux modernes, & sur-tout aux solidistes, pour exprimer plus généralement un remede quelconque, soit intérieur soit extérieur, qui est capable de fortifier ; c'est-à-dire de maintenir, de rétablir ou d'augmenter le ton ou tension naturelle, soit du système général des solides, soit de quelque organe en particulier.

Cet effet peut convenir proprement à deux especes de remedes ; savoir aux astringens, c'est-à-dire à cette classe de remedes qui resserrent évidemment, & par conséquent fortifient le tissu des solides par l'effet très-caché d'une qualité très-manifeste, savoir l'austérité ou l'acerbité, & à une classe bien différente de remede, qui ne fait sur les solides qu'une impression beaucoup plus passagere, qui les stimule, qui les excite, qui augmente leur mouvement, & par conséquent leur force. L'effet des premiers est de procurer une espece de force morte, mais constante, mais inhérente ; l'effet des seconds, c'est de déterminer une force véritablement vitale, de produire de l'activité, du mouvement ; & cette propriété se trouve dans tous les remedes qu'on a appellés aussi cordiaux, échauffans, nervins, excitans, restaurans, &c. & c'est précisément à ce dernier genre qu'est donné le nom de tonique dans le langage le plus reçu aujourd'hui.

De quelque maniere que ces remedes produisent leurs actions (objet sur lequel on n'a absolument que des connoissances très-vagues, ou des théories fort arbitraires), leur effet sensible sur toute la machine est d'augmenter le mouvement progressif du sang, les forces vitales, les forces musculaires & la chaleur animale ; & sur quelques organes particuliers d'en réveiller le jeu, ou d'augmenter, pour ainsi dire, leur vie particuliere en y établissant un nouveau degré de tension & de vibratilité.

Ces remedes, considérés par leurs effets généraux & primitifs, sont désignés par tous les noms que nous avons rapportés plus haut ; mais lorsqu'on les considere par quelque effet secondaire & plus particulier, ils prennent différens noms ; celui d'alexipharmaque, comme résistant à de prétendus effets mortifians, au froid mortel des venins, suivant la doctrine des anciens, voyez ALEXIPHARMAQUE, sudorifiques, comme excitant la sueur, excrétion qui est une suite commune de la chaleur augmentée ; stomachiques, comme rétablissant le ton naturel de l'estomac, &c. Voyez STOMACHIQUE.

Les différentes classes des remedes toniques cordiaux, nervins, &c. qui parmi les différens effets propres à ces remedes, produisent éminemment l'augmentation de chaleur, sont exposées à l'article ECHAUFFANT, voyez cet article ; on peut y joindre encore deux autres especes de substance végétale ; savoir les amers purs & les amers aromatiques ; en observant néanmoins que leur effet est plus lent, mais par cela même plus durable, & que de tous les effets généraux des toniques, c'est l'augmentation de chaleur qu'ils produisent le moins. On peut joindre encore ici certains spécifiques connus dans l'art sous le nom d'antispasmodiques & d'hystériques. Voyez SPASME & HYSTERIQUE. (b)

TONIQUE, en Musique, est le nom de la corde principale sur laquelle le ton est établi. Tous les airs finissent communément par cette note, sur-tout à la basse. On peut composer dans les deux modes sur la même tonique ; enfin tous les musiciens reconnoissent cette propriété dans la tonique, que l'accord parfait n'appartient qu'à elle seule.

Par la méthode des transpositions, la tonique porte toujours le nom d'ut au mode majeur, & de la au mode mineur. Voyez TON, MODE, TRANSPOSITIONS, SOLFIER, GAMME, CLES TRANSPOSEES, &c.

Tonique est aussi le nom que donne Aristoxène à l'une des trois especes du genre chromatique, dont il explique les divisions, & qui est le chromatique ordinaire des Grecs, procédant par deux semi-tons consécutifs, puis une tierce mineure. (S)


TONLIEUS. m. (Gram. & Jurisprud.) a été ainsi appellé du latin telonium, qui, dans sa signification primitive, veut dire un bureau où l'on paye quelque tribut public ; mais par un usage assez ordinaire, il est arrivé que l'on a donné au tribut même le nom du bureau où il se payoit ; desorte que l'on a aussi appellé du latin telonium, & en françois tonlieu, ou droit de tonlieu, & par corruption tonnelieu, thonneu, thonnieu ou toulieu, deux sortes de droits qui se payent au roi ou autre seigneur du lieu.

La premiere, qu'on appelle aussi en quelques lieux droits de plaçage, est pour la permission de vendre des marchandises & denrées dans quelque foire ou marché.

L'autre est une espece de droit d'entrée & de sortie, pour la permission que le souverain, ou ceux qui sont à ses droits, donnent de faire entrer dans un pays des marchandises qui viennent d'un autre pays, lequel est étranger ou réputé tel à l'égard de celui où l'on veut les faire entrer, ou bien pour faire sortir ces marchandises du pays & les faire passer dans un autre qui est pareillement étranger ou réputé tel, soit que ces marchandises entrent ou sortent par mer, ou qu'elles soient transportées par terre.

On percevoit autrefois à Paris & à Orléans des droits de tonlieu dans les marchés, & il est parlé de ce droit dans les coutumes de Bourbonnois, Châlons, Artois, Boulenois, Saint-Omer, Hainault.

Les anciens comtes de Flandre jouissoient du droit de tonlieu, lequel faisoit partie des droits de hauteur, c'est-à-dire, des droits régaliens auxquels ils étoient subrogés. M. Galand, en ses mém. de Navarre & de Flandre, dit que ce droit se paye pour le poids, passage, péage & douanne de toutes sortes de marchandises, denrées, vins & autres choses généralement quelconques apportées dans la ville & qui y sont transportées en quelque maniere que ce soit.

La perception de ce grand tonlieu de Flandre fut par succession de tems établi à Gravelines, où on le nomma d'abord le tonlieu anglois, parce qu'il se percevoit principalement sur les marchandises venant d'Angleterre ; on l'appella depuis le tonlieu de Gravelines.

Le commerce de la Flandre ayant depuis passé à Bruges, on y transféra le tonlieu de Gravelines, & ensuite de Bruges à Saint-Omer, après quoi il fut remis à Gravelines.

Il fut dans la suite établi d'autres bureaux à Dunkerque, Ostende & ailleurs.

Les archiducs Albert & Isabelle le faisoient aussi percevoir dans la Zélande, où on l'appelloit le tonlieu de mer, parce que les marchandises ne pouvoient arriver que par mer dans les îles qui composent la Zélande ; mais ce tonlieu de Zélande fut cédé aux Hollandois par le traité de 1664. Voyez le gloss. de M. de Lauriere au mot TONLIEU. (A)


TONNAGou TOLLAGE, s. m. (Jurisprud.) étoit un impôt que quelques particuliers levoient indûment sur les Doriers, qui, par ordre du roi, ramassoient l'or de paillole dans quelques rivieres & montagnes de Languedoc ; il en est parlé dans un mandement adressé aux maîtres des monnoies pour empêcher ces vexations. Voyez Constant, p. 64. (A)

TONNAGE & PONDAGE, (Hist. mod. d'Anglet.) impôt qui est mis sur chaque tonneau de toutes les marchandises qui entrent dans le royaume & qui en sortent. Cet impôt est d'un schelling par livre sterling. Le parlement accorde ordinairement au roi le produit de cette imposition sur l'entrée & sur la sortie des marchandises, pour le mettre en état de bien garder la mer & de protéger le commerce. Charles I. voulut, après la mort du roi Jacques, lever ce droit, sans l'autorité d'un acte du parlement ; cette prétention nouvelle fut le sujet des plus grandes brouilleries, qui éclaterent dans la suite entre le parlement & ce monarque ; & l'on sait combien elles lui furent funestes. (D.J.)


TONNANT(Mythol.) épithete que les Poëtes donnent assez souvent à Jupiter, comme au dieu qui étoit maître du tonnerre. Jupiter tonnant avoit un temple à Rome. (D.J.)


TONNAY-BOUTONNE(Géog. mod.) petite ville, ou plutôt bourg de France, en Saintonge, au diocèse de Saintes, sur la petite riviere de Boutonne, à trois lieues de Saint-Jean-d'Angeli, & à pareille distance de Tonnay-Charente. Long. 16. 52. latit. 45. 54. (D.J.)


TONNAY-CHARENTE(Géog. mod.) en latin du moyen âge, Talniacum, Tauniacum ; ville de France, en Saintonge, au diocèse de Saintes, sur la Charente, à une lieue au-dessous de Rochefort, & à six de Saint-Jean d'Angeli. Elle est assez ancienne, a titre de principauté, un château, & une abbaye d'hommes de l'ordre de saint Benoît. Son port est passablement bon. Long. 16. 42. latit. 50. 5. (D.J.)


TONNES. f. (Conchyliol.) en latin dolium, concha globosa, concha spherica, ou concha ampullacea, à cause qu'elle a la forme d'une bouteille. Voici ses caracteres. C'est un genre de coquille univalve, ronde en forme de tonneau, dont l'ouverture est très-large, souvent avec des dents, quelquefois sans dents. Son sommet est peu garni de boutons, & applati. Son fût est ridé, ou uni.

Rumphius a confondu la famille des tonnes sphériques avec celle des casques, qui sont de vrais murex, en appellant les tonnes, cassides leves.

Une forme ronde, enflée dans son milieu, & la tête peu garnie de tubercules avec une bouche très-évasée, marquent le caractere générique de ces testacés.

Pour mettre de l'ordre dans ce discours, on peut établir, avec M. Dargenville, cinq classes de tonnes, 1°. celle des tonnes rondes & ombiliquées ; 2°. celle des tonnes oblongues & rayées ; 3°. celle des tonnes oblongues, garnies de côtes & de boutons ; 4°. les tonnes dont la queue est allongée & faite en croissant ; 5°. les tonnes en gondole.

Dans la premiere classe des tonnes rondes & ombiliquées, on compte, 1°. la tonne blanche, mince & striée ; 2°. la tonne cannelée, entourée de petites cordelettes jaunes ; 3°. la même à petites cordelettes tachetées ; 4°. la perdrix régulierement striée & marquetée ; 5°. la tonne épaisse, blanche, toute sillonnée, & la bouche dentée ; 6°. celle qui est striée & tachetée, avec la columelle ridée.

Dans la classe des tonnes oblongues & unies, on met les especes suivantes : 1°. la tonne jaune sans mamelon ; 2°. la blanche avec un mamelon ; 3°. la couronne d'Ethiopie, qui est une tonne fauve, couronnée, avec un mamelon ; 4°. la même oblongue sans mamelon ; 5°. la tonne bariolée avec un mamelon applati ; 6°. la tonne pyramidale, creusée dans ses étages, & bariolée.

Dans la troisieme classe, composée des tonnes oblongues, garnies de côtes & de boutons, on distingue, 1°. la harpe empennée, à treize côtes couleur de rose ; 2°. la même bariolée à onze côtes ; 3°. la même nommée la noble-harpe, à cause de sa belle figure ; elle est de couleur brune, bariolée de blanc ; 4°. la même, jaunâtre, à stries profondes ; 5°. la même, rougeâtre, à quatorze côtes étroites & rouges ; 6°. la conque persique, autrement dite la pourpre de Panama, chargée de mamelons. Quand elle est polie, elle paroît toute différente, en ce qu'elle devient toute lisse, & ceinte de petites lignes blanches ; 7°. la mûre, en anglois the mullberry-shell ; 8°. la même à stries, remarquable par ses taches brunes & blanches.

Dans la quatrieme classe des tonnes, dont la queue est allongée & faite en croissant, nous avons pour especes principales ; 1°. la figue dont la tête est entierement applatie ; 2°. le radis de couleur violette ; 3°. la tonne striée couleur de citron ; 4°. la même, jaune, épaisse, à stries & boutons rangés régulierement ; 5°. la même, mais de couleur blanche.

Dans la cinquieme classe, qui sont les tonnes en forme de gondole, on recherche dans les cabinets des curieux les unes ou les autres des especes suivantes : 1°. la noix de mer, qui est une grosse gondole épaisse & d'un gris cendré ; 2°. la gondole oblongue & verdâtre ; 3°. la même, rougeâtre ; 4°. la papyracée, de couleur blanche ; 5°. la citronnée, à quatre fasces fauves ; 6°. la fauve rayée de lignes fines comme des cheveux ; 7°. la grosse gondole blanche, ombiliquée des deux côtés.

Dans le nombre de toutes ces especes, on distingue beaucoup les suivantes, sur-tout la conque persique, que bien des gens rangent parmi les porcelaines. Rondelet la place avec les buccins, & la nomme echinophora ; mais la figure extérieure s'établit naturellement dans le genre des tonnes sphériques. Il est surprenant qu'Aldrovandus, ignorant dans quelle classe de coquille il pouvoit la ranger, ait pris le parti de la mettre à la fin de son livre, comme une coquille unique.

La couronne d'Ethiopie est encore une espece fort singuliere par sa couronne formée de pointes, & par la couleur fauve qui lui est presque toujours affectée.

La harpe, qu'on appelle communément la cassandre, sans trop savoir d'où vient ce nom, est une des belles especes de tonne ; & d'ailleurs très-variée dans ses couleurs. On estime sur-tout la noble-harpe quand elle est à côtes bariolées de noir sur un fond caffé.

Les tonnes qu'on appelle la figue, & le radis, sont remarquables par leur figure allongée, en queue recourbée, & par leurs couleurs qui imitent le naturel.

Enfin la conque sphérique fasciée de couleur bleue, jaune en-dedans, & qu'on appelle le cordon-bleu, est très-rare. Elle se trouve quelquefois brune & striée. Les sauvages de l'Amérique la montent sur un pié de bois travaillé suivant leur goût, & en font un de leurs dieux, appellé Manitou.

Il est tems de parler du coquillage. Rien n'est si simple que l'intérieur de l'animal qui habite la tonne. La partie depuis la tête jusqu'à la fraise, forme une masse de cinq sacs sphériques, remplis d'une humeur blanchâtre, ou rougeâtre ; tout est lié par de petits boyaux, dont le plus long & le plus gros se termine à la queue ; une fraise dentelée est au milieu de ce long boyau.

Souvent la coquille de la tonne est mince comme celle des gondoles : cependant il y en a d'épaisses, comme celle de la conque persique, & autres ; mais l'animal est toujours le même que celui de cette conque & du buccin ; il ne differe que par sa figure extérieure, dont l'ouverture est ordinairement plus grande du double de sa largeur. La levre droite est mince & tranchante, souvent avec un repli déchiqueté qui va jusqu'en bas. Son bourrelet en-dedans est garni d'une vingtaine de petites dents ; la levre gauche au contraire est arrondie, & n'a que quatre dents. Sa tête qui est assez large, a deux cornes fort courtes de figure triangulaire, dont les yeux sont placés sur leur côté extérieur, à-peu-près vers le milieu de la tête. Il sort de sa bouche une trompe percée, & garnie de dents qui servent à l'animal à sucer la chair des autres coquillages. La membrane qui tapisse les parois de sa coquille, paroît à l'extrêmité, & se replie pour former un tuyau qui passe entre les deux cornes, & qui lui sert à respirer & à se vuider. Son pié se forme en ellipse, & sort si considérablement, qu'il couvre la coquille.

La tonne fluviatile se trouve dans la Marne ; sa coquille est fort mince. Il y en a de grises, de noires & de verdies par le limon de l'eau. L'animal de cette coquille, au-moyen de sa couche baveuse terminée par un opercule, se montre quelquefois à la vue. Il sort alors de cette couche un long cou avec une tête où sont deux cornes fort courtes, & deux points noirs qui sont ses yeux ; sa bouche est fort large. On ne trouve point de tonnes terrestres vivantes. Hist. nat. éclaircie. (D.J.)

TONNE, s. f. (Mesure de continence) grand vaisseau ou futaille de bois, de forme ronde & longue, ayant deux fonds, & qui est reliée avec des cercles ou cerceaux. La tonne a du rapport au muid pour sa figure ; mais elle est plus grande, plus enflée par le milieu, & va plus en diminuant par les bouts. On se sert de la tonne à mettre diverses especes de marchandises, pour les pouvoir envoyer & voiturer plus facilement, comme sucre, cassonnade, pelleteries, chapeaux, &c. Savary. (D.J.)

TONNE D'OR, (Commerce) en Hollande on nomme une tonne d'or la somme de cent mille florins, ce qui fait un peu plus de deux cent mille livres argent de France. En Allemagne une tonne d'or est de cent mille thalers ou écus d'empire, ce qui fait environ trois cent soixante & quinze mille livres de notre monnoie.

TONNE, se dit, dans l'Artillerie, d'un grand vaisseau de bois propre à renfermer des munitions.

Il y a des tonnes à meche qui en contiennent 3000 pesant, poids de marc ; des tonnes à sacs à terre qui contiennent 500 livres de salpêtre. Saint - Remy, Mém. d'Artillerie. (Q)

TONNE, (Marine) grosse bouée faite en forme de barril. Voyez BOUEE.

TONNES, (Marine) ce sont des barrils défoncés par le gros bout, dont on se sert pour couvrir la tête des mâts, quand ces mâts sont dégarnis : on les couvre aussi de prélarts. Voyez PRELARTS.


TONNEAUS. m. (Commerce) signifie en général toutes sortes de vaisseaux ou futailles de bois, ronds, à deux fonds, & reliés de cercles, servant à mettre diverses sortes de marchandises, comme vin, eau-de-vie, huile, miel, pruneaux, &c.

Tonneau se dit aussi d'une certaine mesure de liqueurs. A Bordeaux & à Bayonne le tonneau est composé de quatre barriques qui font trois muids de Paris. Le muid de Paris est de 36 septiers, chaque septier de 8 pintes, ce qui monte à 288 pintes ; sur ce pié le tonneau de Bordeaux doit être de 864 pintes, & celui d'Orléans de 576 pintes, parce qu'il ne contient qu'environ 2 muids de Paris. Voyez MUID.

Le tonneau d'Amsterdam contient 6 aems ou ams, l'aem 4 ankers, l'anker 2 stekans, le stekan 16 mingles, & le mingle 2 pintes de Paris ; ce qui revient pour chaque tonneau à 1600 pintes.

Le tonneau d'Angleterre est de 252 gallons, chaque gallon de 4 pintes de Paris ; ce qui fait 1008 pintes de Paris. Voyez GALLON.

Tonneau est encore une mesure ou quantité de grains qui contient ou qui pese plus ou moins, suivant les lieux où elle est en usage.

A Nantes le tonneau de grains contient 17 septiers de 16 boisseaux chacun, & pese 2200 à 2500 livres. Il faut 3 tonneaux de Nantes pour faire 28 septiers de Paris.

A Marans & à la Rochelle il contient 42 boisseaux, & son poids est de deux pour cent moins que celui de Nantes.

A Brest il contient 20 boisseaux, chaque boisseau pesant près de 112 livres ; ainsi le tonneau de Brest qui fait 10 septiers de Paris peut peser environ 2240 livres.

A Port-Louis & à Hennebon il pese 2950 livres ; à Rennes & à Saint-Malo 2400 livres ; à Saint-Brieux 2600 ; à Aire, Quimpercorentin, & Quimperlay son poids n'est que de 1200.

Il y a encore quelques villes de France & des pays étrangers qui réduisent leurs mesures pour les grains au tonneau, entre autres Beauvais & Copenhague. Le tonneau de Beauvais est presque égal au muid de Paris, qu'il n'excede que d'une mine ; mais il faut 40 tonneaux ou tonnes de Copenhague pour faire 19 septiers de Paris.

Les tonneaux de toutes ces villes réduits à la mesure d'Amsterdam contiennent, les uns 13 muddes, comme ceux de Marans, de la Rochelle, de Nantes, & de Quimpercorentin ; d'autres 13 muddes & demi, tels que ceux de Brest & de Morlaix. Les tonneaux de Rennes & de Saint-Malo contiennent 14 muddes d'Amsterdam, celui de Saint-Brieux 15 muddes & demi, celui d'Hennebon & de Port-Louis 17 muddes. Voyez MUDDE, Diction. de Commerce.

TONNEAU est aussi un terme de Commerce de mer. Le tonneau de mer est estimé peser 2000 livres ou 20 quintaux de 100 liv. chacun ; le prix du fret ou voiture des marchandises qui se chargent dans un vaisseau se reglent sur le pié du quintal ou sur le pié du tonneau de mer ; ainsi l'on dit charger au quintal ou charger au tonneau ; on donne ordinairement dans le fond-de-cale qui est le lieu de la charge d'un vaisseau, 42 piés cubes pour chaque tonneau.

Quoique le tonneau de mer soit estimé peser 2000 livres, cependant l'évaluation ne laisse pas de s'en faire pour le prix du fret en deux manieres, ou par rapport au poids des marchandises, ou par rapport à l'encombrement ou encombrance, comme on dit à Bordeaux, qu'elles peuvent causer dans le fond-de-cale, c'est-à-dire de la place qu'elles peuvent y occuper à cause de leur volume : ainsi l'on évalue ces marchandises sur un certain pié, par exemple ; quatre barriques de vin sont prises pour un tonneau ; vingt boisseaux de chataignes, de blé, de féves, de graine de lin, de noix, &c. passent aussi pour un tonneau. Cinq balles de plume ou de pelleterie, pesant chacune un quintal, huit balles de papier, pesant chacune cent livres, ne font qu'un tonneau. Trois balles de chanvre pesant chacune deux quintaux, font le tonneau. Vingt quintaux de tabac sont estimés faire le tonneau quant au poids ; mais quant à l'encombrement, il faut cent cinquante rouleaux de tabac pour faire le tonneau. Diction. de Commerce.

TONNEAU DE PERMISSION, (Comm.) on nomme ainsi en Espagne la quantité de tonneaux de marchandises que le conseil des Indes & le consulat de Seville jugent à propos d'envoyer en Amérique par les galions & par la flotte.

Le nombre de ces tonneaux se regle ordinairement sur les avis que les ministres d'Espagne reçoivent des vice-rois du Méxique & du Pérou, de la nécessité que ces pays peuvent avoir de plus ou moins de marchandises ; en-sorte qu'il y a des flottes qui n'ont permission que pour deux mille tonneaux, & d'autres en ont jusqu'à cinq ou six mille ; on jauge même les vaisseaux marchands pour remplir la quantité de tonneaux de permission, ce qui fait qu'en certaines années il y a plus de vaisseaux marchands qu'en d'autres : le nombre des vaisseaux de guerre qui leur sert d'escorte est toujours le même. Id. ibid.

TONNEAU ; on nomme à Paris un tonneau de pierre de saint Leu ou d'autre pierre tendre, la quantité de quatorze piés cubes : chaque tonneau se divise en deux muids de sept piés cubes chacun. Id. ibid.

TONNEAU, se dit encore de la marchandise, soit solide soit liquide, renfermée dans un tonneau : un tonneau de vin, un tonneau d'huile, un tonneau de sardines, &c.

TONNEAU, en terme d'Argenteur, est un barril défoncé, sur lequel on pose la chaudiere afin qu'elle soit plus à portée de l'ouvrier. Voyez Pl. & fig. de l'Argenteur.

TONNEAU de pierre, s. m. (Archit.) c'est la quantité de quatorze piés cubes, qui sert de mesure pour la pierre de saint Leu, & qui peut peser environ un millier ou dix quintaux : ce qui fait la moitié d'un tonneau de la cargaison d'un vaisseau. Lorsqu'une riviere a sept ou huit piés d'eau, la navée d'un grand bateau peut porter 400 à 450 tonneaux de pierre.

TONNEAU des Danaïdes, (Mythol.) nom consacré à ce fatal tonneau :

Des sanguinaires Euménides ;

Châtiment à jamais nouveau :

Ces soeurs envain tentent sans cesse

D'emplir la tonne vengeresse ;

Mégère rit de leurs travaux ;

Rien n'en peut combler la mesure ;

Et par l'une & l'autre ouverture,

L'onde entre & fuit à flots égaux.

Si M. de la Mothe n'eut publié que des morceaux de cette beauté, on n'auroit pû lui refuser le nom d'un de nos premiers poëtes lyriques.

Ce qui a fait imaginer ce châtiment fabuleux, disent nos mythologues modernes, c'est que les Danaïdes communiquerent aux Argiens l'invention des puits, qu'elles avoient apportée d'Egypte où les eaux étoient rares ; si on l'aime mieux, c'est l'invention des pompes ; & comme on tiroit continuellement de l'eau par le moyen de ces pompes, pour les usages des cinquante filles de Danaüs, ceux qui étoient employés à ce pénible travail, dirent peut-être, que ces princesses étoient condamnées à remplir un vaisseau percé, pour consommer tant d'eau. En un mot, ce châtiment fabuleux doit vraisemblablement son origine à quelque fait historique de cette nature. (D.J.)


TONNÉESS. f. pl. (Mytholog.) fêtes qui se célébroient à Argos, selon Athénée. Elles consistoient en ce qu'on rapportoit en grande pompe la statue de Junon, en mémoire de ce qu'on l'avoit recouvrée sur les Tyrrhéniens, qui après l'avoir enlevée, l'avoient abandonnée sur le rivage. La statue dans cette solemnité, étoit environnée & comme garrotée de liens bien tendus, qu'on nommoit en grec du verbe , tendre, d'où cette fête a pris sa dénomination. Voyez TONÉES.


TONNEINS(Géog. mod.) petite ville de France, dans l'Agénois, au diocèse d'Agen, à une lieue au-dessus de l'embouchure du Lot, dans la Garonne.


TONNELAGES. m. (Commerce) les marchandises de tonnelage, sont les marchandises liquides qui s'entonnent dans des pipes, barriques, & autres telles futailles, comme les vins, les eaux-de-vie, les huiles, &c. ou qu'on encaisse dans les tonnes, tonneaux, ou autres caisses faites de douves, comme les sucres, les drogues, &c. (D.J.)


TONNELETS. m. terme de Modes, c'est la partie inférieure d'un habit à la romaine, qui contient les lambrequins, ou pour m'expliquer plus clairement, ce sont 4, 6, 8, ou 12 lambrequins, à la maniere des anciens Romains : on s'en servoit dans les ballets, les opéras, & dans de certaines tragédies & comédies. Le tonnelet étoit de toile d'argent, couvert de dix grandes bandes de broderie d'or, & les manches de cet habit finissoient en campane. Ce mot s'est dit aussi dans les carrousels d'un bas de soie ou pourpoint plissé, enflé, & tourné en rond, avec un bas d'attache qui alloit jusque sous l'habit de fête. (D.J.)


TONNELIERartisan qui fait, relie, & vend des tonneaux, c'est-à-dire toutes sortes de vaisseaux de bois, reliés de cerceaux avec de l'osier, & propres à contenir des liqueurs ou marchandises ; tels sont les tonnes, cuves, cuviers, muids, futailles, barrils, &c. Les tonneliers montent aussi & relient toutes sortes de cuves & autres vaisseaux reliés de cerceaux de fer. Ce sont encore eux qui descendent les vins, cidres, bieres, &c. dans les caves des bourgeois & des marchands de vin. Enfin il n'y a qu'eux qui aient droit de décharger sur les ports les vins qui arrivent par eau, & de les sortir des bateaux.

Les tonneliers forment à Paris une communauté nombreuse, & prennent la qualité de maîtres tonneliers déchargeurs de vins.

Leurs statuts sont fort anciens, & leur furent donnés sous le regne de Charles VII. Charles VIII. les augmenta, & François I. les confirma en 1538.

Ces statuts furent augmentés & dressés de nouveau en vingt-un articles, & confirmés en 1566, par Charles IX. on en ajouta deux autres sous Henri III. qui furent enregistrés en parlement en 1577.

Henri IV. en 1599, Louis XIII. en 1637, & Louis XIV. en 1651, leur donnerent aussi des lettres de confirmation, qui furent enregistrées au parlement, au châtelet, & à l'hôtel-de-ville.

Suivant ces statuts, la communauté doit être régie par quatre jurés, dont on en élit deux tous les ans ; ce sont eux qui font les visites, enregistrent les brevets, donnent le chef-d'oeuvre, & reçoivent les maîtres.

L'apprentissage est de six ans, après lequel l'aspirant doit faire chef-d'oeuvre, pour être admis à la maîtrise.

Les tonneliers ne peuvent entreprendre aucun ouvrage de tonnellerie chez les bourgeois, que ce ne soit pour mettre le vin de leur cru.

Il n'y a que les tonneliers qui aient le droit de fabriquer & de louer des cuves à baigner, ou des cuviers à faire lessive.

Les compagnons ne peuvent entrer chez aucun maître, qu'ils n'aient fini leur tems chez l'ancien maître.

Il est défendu aux tonneliers de faire aucune futailles, qu'elle ne soit de la jauge prescrite par l'ordonnance, suivant la qualité de la piece.

Les matieres que les tonneliers emploient dans les ouvrages de leur métier, sont des planches de chêne & de sapin pour les grandes cuves & les cuviers ; le mairrain pour les futailles ; les cerceaux, qui sont ordinairement de châtaigner, de fresne, ou de bouleau ; & enfin l'osier pour lier & arrêter les cerceaux.

Les outils dont se servent les tonneliers sont la jabloire, les planes plates, courbes, & rondes ; la bondonniere, le compas, la doloire, le barroir, le tiretoir, le maillet, la colombe, le chevalet, l'essette, le tranchet, le sergent ou le chien, la chienne, la serpe, le paroir, l'utinet, le bastissoir, la scie ordinaire, la scie à main, le rabot, le clouet, le compas ordinaire, & le barril à scier. Ils ont aussi le hacquet, le moulinet, & deux sortes de poulains pour descendre les vins en cave. Voyez tous ces différens instrumens, chacun à leurs articles.

Voici la maniere dont les tonneliers s'y prennent pour monter une futaille neuve. Quand leurs douves sont préparées, ils prennent le bâtissoir, y posent une douve en dedans qu'ils y assujettissent, en les serrant l'un & l'autre avec un compas ordinaire ; ensuite ils placent toutes les douves les unes après les autres, jusqu'à-ce qu'ils aient garni tout le tour du bâtissoir ; cela fait, ils passent un cerceau qu'ils font glisser depuis le haut jusqu'en-bas des douves ; & si les douves ont trop de peine à se joindre par en-bas, ils font un feu de copeau par terre, en-dedans du tonneau, ce qui resserre le dedans des douves, & les dispose à se rapprocher ; dans cet état on glisse un cerceau jusqu'en-bas, pour contenir les douves & les empêcher de se désassembler : ensuite on en fait passer un autre plus serré afin de les approcher de plus en plus, jusqu'à-ce qu'il n'y ait plus aucun jour entre les douves ; cela fait, on fait entrer sur les douves une plus grande quantité de cerceaux, pour assujettir entierement la futaille : après quoi on fait avec la bondonniere le trou destiné à recevoir le bondon. La futaille ainsi montée, on plane & on pare avec les planes courbes & rondes, & avec le paroir, le dedans des douves, & on égalise des deux côtés les bords de ces douves avec l'essette : cela fait on forme avec la jabloire une rainure appellée le jable, dans laquelle doivent entrer les pieces du fond : lorsque le jable est formé, on prend le compas de bois que l'on ouvre de six points, c'est-à-dire d'une ouverture qui répétée six fois, équivaudroit à la circonférence de l'ouverture du tonneau, à l'endroit du jable. Cette opération faite, on arrange les unes auprès des autres les douves destinées à faire le fond, & fixant une des pointes du compas à-peu-près au milieu, on trace un cercle avec l'autre pointe : cette ligne que trace le compas, marque la forme que doivent avoir ces douves : pour lors on les dégrossit avec la serpe, c'est-à-dire on en ôte le bois superflu ; mais comme il faut que les pieces du fond entrent dans le jable de plus d'une ligne, on diminue avec la plane le bord des douves du fond qui doit entrer dans le jable ; dans cet état, on met le fond au tonneau, en commençant par une des plus petites douves, & continuant de suite jusqu'à la derniere ; ensuite pour unir & arranger bien ces douves les unes auprès des autres, on frappe dessus avec l'utinet : cela fait, on acheve de garnir le tonneau de tous les cerceaux qu'il doit avoir. Il faut remarquer par rapport aux cerceaux, le premier qu'on place est le plus proche du bondon : on l'appelle le premier en bouge : ensuite on met le collet & le sous-collet, qui sont les troisieme & quatrieme cerceaux, à compter depuis le peigne en allant vers le bondon : après cela on met les cerceaux intermédiaires entre les collets & le premier en bouge : on place après cela le sommier immédiatement sur le jable, & on finit par celui qui est sur le peigne, qui se nomme le talus. Dans cet état, le tonneau est parfait, & il ne s'agit plus que d'y appliquer la barre en-travers des douves des fonds : pour cet effet on perce avec le barroir des trous pour placer les chevilles qui doivent retenir la barre : on pose la barre & on enfonce par-dessus, avec un maillet, des chevilles de bois dans les trous.

Outre les futailles, tonneaux, muids, quarteaux, barrils, & autres pieces de tonnellerie à deux fonds, les tonneliers fabriquent aussi des cuves, cuviers, tinettes, bacquets, &c. qui n'ont qu'un fond ; mais comme la fabrique en est à-peu-près la même, nous ne détaillerons pas ici la maniere de construire ces différentes sortes d'ouvrages.

TONNELIER, (Marine) c'est, sur un vaisseau, celui qui a soin des futailles, qui les rebat, & qui fait les chargemens nécessaires.

TONNELIER, (Verrerie) c'est une partie du fourneau. Voyez VERRERIE.


TONNELLES. f. (Jardin.) vieux mot encore en usage parmi le vulgaire, pour désigner un berceau, ou un cabinet de verdure ; Jean Martin s'est servi de ce terme pour signifier un berceau en plein ceintre : c'est de ce mot qu'a été fait, selon les apparences, celui de tonnellerie, ou portique de halle. (D.J.)

TONNELLE, s. f. terme de Chasse, sorte de filet pour prendre les perdrix & autres oiseaux : on ne lui donne que quinze piés de longueur, & environ dix-huit pouces de largeur, ou d'ouverture par l'entrée. (D.J.) Voyez TOMBERELLE.


TONNELLERIES. f. terme de Couvent, c'est le lieu du couvent où sont toutes les futailles, où l'on cuve le vin, où l'on remplit les muids, &c. (D.J.)

TONNELLERIE, lieu où on travaille à la fabrique des tonneaux ou futailles. Ce terme est aussi employé souvent pour signifier la profession de tonnelier.


TONNERRES. m. (Physiq.) bruit excité dans l'air, à l'occasion des exhalaisons sulphureuses qui s'y allument subitement. Voyez EXHALAISON, FOUDRE, &c.

Séneque, Rohault & d'autres auteurs, tant anciens que modernes, expliquent le tonnerre en supposant deux nuages, dont l'un est suspendu sur l'autre, & dont le supérieur & le moins dense venant à se condenser par une nouvelle addition d'air, que la chaleur fait monter jusqu'à lui, ou que le vent porte de ce côté-là, tombe aussi-tôt avec beaucoup de violence sur le nuage inférieur & plus dense. Au moyen de cette chûte, l'air se trouvant comprimé entre les deux nuages, sort en partie par les extrêmités, qui venant ensuite à se joindre exactement, enferment une grande quantité d'air ; & l'air se faisant enfin un passage, s'échappe, &, en brisant le nuage, fait ce bruit, que nous appellons tonnerre. Voyez NUAGE, &c.

Mais cette explication ne pourroit tout-au-plus s'étendre qu'aux phénomenes d'un tonnerre qui n'est point accompagné d'éclairs. On a donné depuis une solution plus satisfaisante de la question, savoir que le tonnerre n'est point occasionné par des nuages qui tombent les uns sur les autres, mais par le feu qui prend tout-à-coup aux exhalaisons sulphureuses, & qui fait du bruit en s'enflammant, de la même maniere qu'on voit l'or fulminant produire de pareils effets.

Newton dit qu'il y a des exhalaisons sulphureuses qui, pendant que la terre est seche, montent continuellement en l'air où elles fermentent avec les acides nitreux & où quelquefois elles s'allument, engendrent le tonnerre, les éclairs, &c.

Il n'est pas douteux qu'outre les vapeurs qui s'élevent de l'eau, il n'y ait aussi des exhalaisons qui se détachent du soufre, du bitume, des sels volatils, &c. la grande quantité de matieres sulphureuses & bitumineuses répandues sur toute la surface de la terre, & les sels volatils des plantes & des animaux, produisent une telle abondance de ces exhalaisons, qu'il n'est point étonnant que l'air soit rempli de particules sulphureuses, qui s'arrêtent plus bas ou s'élevent plus haut, suivant leur degré de subtilité & d'activité, & suivant la direction des vents qui les portent en plus grande quantité dans un endroit de l'air que dans un autre.

Au reste, les effets du tonnerre ressemblent si fort à ceux de la poudre à canon, que le docteur Wallis croit que nous ne devons pas faire difficulté de les attribuer à la même cause : or les principaux ingrédiens de la poudre sont le nitre & le soufre ; & le charbon ne sert qu'à tenir les parties de la poudre séparées les unes des autres, afin qu'elles s'allument plus aisément. Voyez POUDRE.

Si donc nous concevons que les causes ci-dessus mentionnées puissent former dans l'air un tel mêlange de particules nitreuses & sulphureuses, & qu'elles puissent y être allumées par quelque cause naturelle, nous n'aurons point de peine à comprendre l'éclat qu'elles font en même tems, & qui est accompagné de bruit & d'éclairs, semblables à ceux que fait la poudre, aussi-tôt qu'on y a mis le feu : ces matieres étant une fois allumées, le feu doit courir de côté & d'autre, suivant qu'il se communique successivement aux exhalaisons, à-peu-près comme il arrive dans une traînée de poudre.

Quand cet éclat se fait fort haut dans l'air & loin de nous, il ne peut causer aucun malheur ; mais quand il se fait près de nous, il peut détruire & détruit souvent des édifices, des arbres, des animaux, &c. comme fait la poudre dans les mêmes circonstances.

On peut juger de cette proximité ou de cet éloignement par l'intervalle du tems qu'il y a entre l'éclair & le bruit. Le docteur Wallis observe que cet intervalle est ordinairement d'environ sept secondes, qui, à raison de 170 toises que le son fait par secondes, font à-peu-près la distance d'une lieue : mais cet intervalle n'est quelquefois que d'une seconde ou deux, ce qui fait connoître que l'éclat se fait fort près de nous, &, pour ainsi dire, dans le même air que nous respirons.

Quoi qu'il en soit, il est certain que l'éclair est suivi d'une vapeur sulphureuse, comme il paroît par ce goût de soufre, que l'on sent après le tonnerre & par cette chaleur étouffante qui le précede ordinairement : le même auteur croit que l'air est accompagné aussi d'une vapeur nitreuse, parce qu'on ne connoît point de corps qui soit aussi capable de produire un éclat subit & violent que le nitre. A l'égard de la maniere dont s'allument ces exhalaisons, l'on sait qu'un mêlange de soufre & de limaille d'acier avec un peu d'eau fait naître la flamme sur le champ. Il ne manque donc à ces matieres pour faire l'éclat qu'un peu de vapeur qui tienne de l'acier & du vitriol ; & Wallis ne doute point que parmi les évaporations de la terre, il n'y ait quelque chose de semblable ; & M. Chambers croit pouvoir en apporter une espece de preuve.

L'histoire rapporte, dit-il, comme des faits constans qu'il a plu du fer en Italie, & des pierres de fer en Allemagne. Jules Scaliger dit qu'il avoit chez lui un morceau de fer tombé avec la pluie en Savoie. Cardan rapporte qu'un jour il tomba du ciel 1200 pierres, dont quelques-unes pesoient 30, d'autres 40, & une 120 livres, toutes fort dures & de couleur de fer.

Ce fait, ajoute-t-il, est si bien constaté, que le docteur Lister, dans les Transactions philosophiques, a fondé là-dessus un système entier sur la cause des éclairs & des tonnerres, soutenant que l'un & l'autre doivent leur matiere à l'exhalaison des pyrites. Quoi qu'il en soit de ces faits que bien des gens auront grande peine à croire & avec raison, il est possible qu'il y ait dans l'air des particules hétérogenes de la nature de celles du fer. Voyez PYRITES. Chambers.

Ce roulement que fait le bruit du tonnerre ne peut venir que du son qui se forme entre les différens nuages qui sont suspendus les uns sur les autres, & de l'agitation de l'air qui passe entr'eux. Les nuages & les objets qui se trouvent sur la surface de la terre renvoyent le son, & le multiplient à-peu-près comme autant d'échos. De-là vient que le tonnerre retentit d'une maniere affreuse dans les vallées, parce que les montagnes réfléchissent le son de toutes parts. Car le tonnerre par lui-même ne doit presque jamais produire qu'un seul coup, à-peu-près comme un boulet de canon qu'on tire, cependant lorsque la flamme allume en même tems trois ou quatre traînées, elle peut former de cette maniere des pelotons qui s'enflamment l'un après l'autre, & produire par ce moyen des coups redoublés.

On a observé que lorsqu'il fait du tonnerre & des éclairs, certains fluides cessent alors de fermenter, comme le vin & la biere, tandis que d'autres qui ne fermentoient pas auparavant, commencent alors à fermenter par le grand mouvement qui est excité dans l'air, & qui se répand de toutes parts. Apparemment le mouvement que produit la foudre se trouve contraire au mouvement qui étoit déja dans les parties des liqueurs qui fermentoient, & au contraire produit de l'agitation dans les parties des fluides qui auparavant étoient en repos. Il y a bien des choses qui se corrompent aussi-tôt qu'il a tonné, c'est ce qu'on remarque principalement dans le lait, à-moins qu'il ne soit dans une cave bien fermée & très-profonde. On peut rompre & détourner le tonnerre par le son de plusieurs grosses cloches, ou en tirant le canon ; par-là on excite dans l'air une grande agitation qui disperse les parties de la foudre ; mais il faut bien se garder de sonner lorsque le nuage est précisément au-dessus de la tête, car alors le nuage en se fendant peut laisser tomber la foudre. En 1718, le tonnerre tomba dans la basse Bretagne sur vingt-quatre églises, dans l'espace de côte qui s'étend depuis Landerneau jusqu'à S. Paul-de-LÉon, & précisément sur des églises où l'on sonnoit pour l'écarter. Des églises voisines où l'on ne sonnoit point furent épargnées. Mussch. Essai de Physique.

TONNERRE ARTIFICIEL, (Théatre des Romains) on appelloit les tonnerres artificiels qu'on faisoit entendre sur le théatre de Rome, Claudiana tonitrua, dit Festus, parce que Claudius Pulcher imagina d'imiter le fracas du tonnerre, en faisant rouler beaucoup de pierres arrondies sur un assemblage de planches mises en talus ; au-lieu qu'auparavant on n'imitoit qu'imparfaitement & foiblement ce bruit avec des clous & des pierrettes, qu'on agitoit fortement dans un bassin d'airain. (D.J.)

TONNERRE, s. m. terme d'Armurerie, c'est l'endroit du fusil, mousquet ou pistolet, où l'on met la charge. Les armes qui ne sont point assez renforcées par le tonnerre, sont sujettes à crever. (D.J.)

TONNERRE, (Géog. mod.) en latin moderne Tornodurum ; petite ville de France, dans la Champagne, chef-lieu d'un comté sur la riviere d'Armanson, à 9 lieues d'Auxerre, & à 40 de Paris. Il y a élection & grenier à sel, une collégiale, & quelques couvens. Les vins de son territoire sont en réputation. Long. 21. 37. latit. 47. 50. (D.J.)


TONNINGEN(Géog. mod.) ville de Danemarck, au duché de Sleswig, dans une péninsule formée par la riviere d'Eyder, à six lieues au sud-ouest de Sleswig, & à quatre de la mer. Le roi de Danemarck la prit en 1707 sur le duc de Gottorp, & en fit raser les fortifications. Elle a un port où les vaisseaux de l'Océan peuvent entrer aisément, ce qui lui procure du commerce. Long. 26. 44. latit. 54. 28. (D.J.)


TONNITE(Hist. nat.) nom donné par quelques auteurs à une coquille de mer univalve, pétrifiée, que l'on appelle tonne. On nomme aussi cette pétrification globosite, à cause qu'elle est renflée par le milieu & arrondie.


TONO-SAMAS. m. (Hist. mod.) c'est le nom qu'on donne au Japon aux gouverneurs des villes impériales ; chaque ville a deux gouverneurs qui commandent alternativement pendant une année ; celui qui est en exercice ne peut sortir de son gouvernement, l'autre est obligé de résider auprès de l'empereur. Lorsque quelqu'un est nommé à un gouvernement, il part pour s'y rendre, mais il laisse sa femme & ses enfans à la cour pour répondre de sa fidélité : pendant qu'il est en place, il lui est défendu sous peine de mort, de recevoir aucune femme dans son palais ; la punition la plus douce dans ce cas seroit un bannissement perpétuel, & la ruine de toute sa famille. La cour des tono-samas est très-brillante, & composée d'un grand nombre d'officiers, que l'on nomme jorikis, qui doivent être nobles, & qui sont nommés par l'empereur lui-même ; les gouverneurs exercent un pouvoir presqu'absolu dans leur gouvernement ; mais l'empereur tient dans chaque ville un agent qui éclaire la conduite des gouverneurs ; on l'appelle dai-quen : il est lui-même observé par des espions qui lui sont inconnus. Les tono-samas ont sous eux des officiers ou magistrats municipaux, qui les soulagent des détails de l'administration ; on les nomme te-sii-jori.


TONOUS. m. (Hist. nat.) c'est un lézard du Brésil, qui a quatre ou cinq piés de longueur, & qui est d'une grosseur proportionnée ; sa couleur est grise & sa peau fort lisse ; sa chair est un très-bon manger, elle est blanche & tendre comme celle d'un chapon.


TONSURES. f. (Hist. ecclés. & Jurisprud.) dans le sens grammatical & littéral, est l'action de couper les cheveux, & de raser la tête.

Dans un sens abstrait, la tonsure est la privation entiere des cheveux, ou une certaine place dessus la tête dont on a rasé les cheveux en rond.

La tonsure totale a toujours été regardée comme une marque d'infamie, tellement qu'en France anciennement lorsqu'on vouloit déclarer un prince incapable de porter la couronne, on le faisoit tondre & raser.

Chez les Romains une des peines de la femme convaincue d'adultere, étoit d'être enfermée dans un monastere après avoir été tondue ; ce qui s'observe encore parmi nous.

La tonsure prise littéralement en matiere ecclésiastique, est une couronne cléricale que l'on fait derriere la tête aux ecclésiastiques en rasant les cheveux de cette place en forme orbiculaire.

Tous les ecclésiastiques séculiers & réguliers doivent porter la tonsure ; c'est la marque de leur état ; celle des simples clercs, qu'on appelle clercs à simple tonsure, c'est-à-dire, qui n'ont d'autre caractere de l'état ecclésiastique que la tonsure, est la plus petite de toutes. A mesure que l'ecclésiastique avance dans les ordres, on fait sa tonsure plus grande ; celle des prêtres est la plus grande de toutes ; si l'on en excepte les religieux, dont les uns ont la tête entierement rasée ; d'autres ont une simple couronne de cheveux plus ou moins large.

La simple tonsure que l'on donne à ceux qui entrent dans l'état ecclésiastique n'est point un ordre, mais une préparation pour les ordres, & pour ainsi dire, un signe de la prise d'habit ecclésiastique ; l'évêque coupe un peu de cheveux avec des ciseaux à celui qui se présente pour être reçu dans l'état ecclésiastique, & le nouveau clerc récite pendant cette cérémonie ces paroles de David : Seigneur, vous êtes ma portion, c'est vous qui me rendrez mon héritage. Ensuite l'évêque met au clerc le surplis en priant le Seigneur de revêtir du nouvel homme celui qui vient de recevoir la tonsure.

Quelques-uns prétendent que l'on coupe les cheveux aux ecclésiastiques en signe d'adoption ; parce qu'en effet anciennement quand on adoptoit quelqu'un, on lui coupoit un flocon de cheveux ; ce que l'on pratiquoit encore du tems de Charles Martel, lequel envoya Pépin son fils à Luitprand roi des Lombards, pour l'adopter, en lui coupant un flocon de ses cheveux, comme c'étoit la coutume alors.

D'autres disent que c'est en signe de sujétion & de soumission à l'Eglise, & à l'instar de ce qui s'observoit de la part des sujets, lesquels pour marque de soumission envers leur prince, étoient obligés de porter leurs cheveux courts, les princes ayant seuls le droit de les porter longs pour marque de leur dignité.

D'autres encore prétendent que la tonsure a été instituée pour honorer l'affront que ceux d'Antioche voulurent faire à S. Pierre en lui coupant les cheveux, ou bien que cette coutume fut empruntée des Nazaréens qui se faisoient raser la tête, ou que cela fut ainsi établi par les apôtres, & notamment par S. Pierre, qui donna le premier exemple de se raser la tête, en mémoire de la couronne d'épine de Notre-Seigneur.

Selon quelques-uns, l'usage de tonsurer les clercs commença vers l'an 80.

Un auteur du viij. siecle, suivi par Baronius, rapporte un decret de l'an 108, qu'il attribue au pape Anicet, qui ordonne aux clercs de couper leurs cheveux en forme de sphere, suivant le précepte de S. Paul, qui ne permet qu'aux femmes de laisser croître leurs cheveux pour leur ornement.

Ce qui est de certain, c'est que cet usage est fort ancien dans l'Eglise ; le concile de Carthage tenu en 398, peut l'avoir eu en vûe, en défendant aux ecclésiastiques de nourrir leurs cheveux.

Cependant M. de Fleury, en son institution au droit ecclésiastique, dit que dans les premiers siecles de l'Eglise il n'y avoit aucune distinction entre les clercs & les laïcs quant aux cheveux ni à l'habit, & à tout l'extérieur : que c'eût été s'exposer sans besoin à la persécution, qui étoit toujours plus cruelle contre les clercs que contre les simples fideles.

Il ajoute que la liberté de l'Eglise n'apporta point de changement à cet égard, & que plus de 100 ans après, c'est-à-dire l'an 428, le pape S. Célestin témoigne que les évêques même n'avoient rien dans leur habit qui les distinguât du peuple.

Tous les chrétiens latins portoient, suivant M. de Fleury, l'habit ordinaire des Romains qui étoit long, avec les cheveux fort courts & la barbe rase ; les Barbares qui ruinerent l'empire, avoient au contraire des habits courts & serrés & les cheveux longs, & quelques-uns de grandes barbes.

Les Romains avoient ces peuples en horreur ; & comme alors tous les clercs étoient romains, ils conserverent soigneusement leur habit, qui devint l'habit clérical ; en sorte que quand les Francs & les autres barbares furent devenus chrétiens, ceux qui embrassoient l'état ecclésiastique faisoient couper leurs cheveux, & prenoient des habits longs.

Vers le même tems, plusieurs évêques & les autres clercs, prirent l'habit que les moines portoient alors, comme étant plus conforme à la modestie chrétienne ; & de-là vient, à ce que l'on croit, dit M. de Fleury, la couronne cléricale, parce qu'il y avoit des moines qui par esprit d'humilité se rasoient le devant de la tête pour se rendre méprisables.

Quoi qu'il en soit, la couronne cléricale étoit déjà en usage vers l'an 500, comme le témoigne Grégoire de Tours.

Dans les cinq premiers siecles où la tonsure fut pratiquée, on ne la conféroit qu'avec les premiers ordres ; ce ne fut que vers la fin du vj. siecle, que l'on commença à la conférer séparément, & avant les ordres.

L'évêque est le seul qui puisse donner la tonsure à ses diocésains séculiers & réguliers ; quelques-uns ont avancé que depuis S. Germain évêque d'Auxerre, qui vivoit dans le v. siecle, les évêques conféroient seuls la tonsure.

Mais il est certain que les abbés prétendent aussi avoir le droit de la donner à leurs religieux ; on trouve quelques canons qui autorisent leur prétention, entre autres, le ch. abbates, qui est du pape Alexandre IV. & est rapporté dans le texte, tit. de privilegiis. Mais s'ils ont joui autrefois en France de ce droit, on peut dire qu'ils l'ont perdu par prescription ; les évêques de France s'étant maintenus dans le droit de conférer seuls la tonsure, même aux réguliers.

Pour recevoir la tonsure, il faut avoir été confirmé ; il faut aussi être instruit au-moins des vérités les plus nécessaires au salut ; il faut aussi savoir lire & écrire.

Le concile de Narbonne en 1551, ne demande que l'âge de sept ans pour la tonsure ; celui de Bordeaux en 1624, exige 12 ans ; dans plusieurs diocèses bien réglés, il est défendu de la recevoir avant 14 ans ; mais à quelque âge que ce soit, il faut que celui qui se présente pour être tonsuré, paroisse le faire dans la vûe de servir Dieu plus particulierement, & non par aucune vûe temporelle, comme pour avoir des bénéfices.

On appelle bénéfices à simple tonsure, ceux que l'on peut posséder sans avoir d'autre qualité que celle de clerc tonsuré. Voyez M. de Fleury, M. d'Héricourt, la Combe, & les Mémoires du Clergé. (A)


TONTETONTE

TONTE, (Lainage) terme en usage dans les manufactures de lainage ; il signifie la façon que l'on donne à une étoffe en la tondant à l'endroit ou à l'envers avec des forces. (D.J.)


TONTINES. f. (Finances) espece de rente viagere qui prit son nom d'un italien nommé Tonti, qui l'imagina. Ce fut en 1653, que fut établie la premiere tontine en France. Le privilege qu'ont les acquéreurs d'hériter de la portion de ceux qui décedent, étoit très-propre à engager les particuliers à y employer quelques sommes, & à procurer très-promtement au gouvernement les fonds dont il avoit besoin. C'est en effet ce qu'on vit arriver : la tontine dont nous parlons, fut d'un million 25 mille livres de rente, & coûta cher à Louis XIV.

Quoiqu'il se trouve des circonstances où la rareté de l'argent & la nécessité d'en avoir, obligent de déroger aux loix de l'économie, il est surprenant qu'on ait assez peu calculé la force de l'intérêt, pour recourir aux rentes viageres, & sur-tout aux tontines, sans essayer quelque combinaison d'un avantage mitoyen. Les rentes viageres font un tort irréparable aux familles, dont le prince devient insensiblement l'héritier ; mais de tous les expédiens de finance, les tontines sont peut-être les plus onéreuses à l'état, puisqu'il faut environ un siecle pour éteindre une tontine, dont en même tems les intérêts sont d'ordinaire à un très-fort denier.

Il semble donc qu'un état qui n'est pas absolument dépourvu de ressources, devroit recourir à de toutes autres voies. Il pourroit, par exemple, se procurer avec promtitude une grande somme d'argent, en établissant des annuités viageres, c'est-à-dire, un emprunt dont le capital seroit remboursé certainement par égales portions dans un nombre d'années, soit que les prêteurs vécussent ou non ; mais on y attacheroit un intérêt qui ne cesseroit qu'à la mort du prêteur. Il est évident que le remboursement annuel d'une partie du capital, mettroit les familles en état de replacer à intérêt les sommes, à-fur-à-mesure de ce remboursement. Ainsi lorsque le capital entier seroit rentré, le prêteur jouiroit en sus de son intérêt ordinaire, de la rente viagere sur l'état. Si le prêteur venoit à mourir dès la premiere année du prêt, la famille n'auroit jamais perdu que partie des intérêts, & recouvreroit en entier le capital aux termes fixés. Ainsi 1°. l'intérêt de cet emprunt devroit être fort bas ; 2°. il n'est pas néanmoins de chefs de famille qui n'eût à coeur de placer quelque somme de cette maniere sur la tête de ses enfans : car s'ils vivent, c'est augmenter leurs revenus ; s'ils ne vivent pas, il n'y a qu'une partie des intérêts de perdue. On croit donc qu'en fixant cet intérêt à deux & demi pour cent, l'état trouveroit des prêteurs en abondance, en revêtissant son emprunt de toutes les sûretés suffisantes pour le rendre solide, & l'accréditer invariablement. (D.J.)

TONTINE, le jeu de la, le jeu de la tontine n'est guere connu à Paris ; mais on le joue dans les provinces assez communément. On y peut jouer douze ou quinze personnes, & plus l'on est plus le jeu est amusant. On y joue avec un jeu de cartes entier où toutes les petites cartes sont. Avant de commencer à jouer, on donne à chaque joueur le même nombre de jettons, quinze ou vingt, plus ou moins, & chacun en commençant la partie, doit mettre trois jettons au jeu, & celui qui mêle, ayant fait couper à sa gauche, tourne une carte de dessus le talon pour chaque joueur & pour lui ; celui dont la carte tournée est roi, tire trois jettons à son profit, pour une dame deux, pour un valet un, & pour un dix il ne prend rien, cette carte n'ayant d'autre avantage pour celui qui l'a, que de lui épargner un jetton que l'on donne aux joueurs pour toutes les autres cartes inférieures. Celui qui a un as, donne un jetton à son voisin à gauche ; celui qui a un deux, en donne deux à son second voisin à gauche ; un trois, pareil nombre à son troisieme voisin ; mais celui qui a au-dessus du trois une carte de nombre pair, comme quatre, six, huit, met deux jettons au jeu, & celui qui a une carte de nombre impair, comme cinq, sept & neuf, n'en met qu'un. On doit se faire payer exactement ; ensuite celui qui a été le premier, mêle tout, & les coups se jouent de la même maniere, chacun mêlant à son tour. Un joueur avec un seul jetton devant lui, joue comme s'il en avoit d'avantage, & s'il en perd plus d'un, il donne le seul qui lui reste, & on ne peut lui demander rien de plus, lors même qu'il reviendroit en jeu, se faisant alors payer de tout ce qu'il gagne à celui à qui il est redevable, sans égard pour ce qu'il doit.


TONTONGS. m. (Hist. mod.) instrument usité par les negres qui habitent la côte du Sénégal. C'est un tambour d'une grandeur démesurée dont le bruit s'entend à plus de deux lieues. Chaque village en possede un sur lequel on frappe à l'approche de l'ennemi.


TONTURES. f. (Marine) c'est un rang de planches dans le revêtement du bordage contre le ceintre du franc tillac.

Ce terme a une autre signification quand on le joint avec le mot vaisseau, & il signifie alors un bon arrimage & une bonne assiette.

TONTURE, (Marine) c'est la rondeur des préceintes qui lient les côtés du vaisseau, & des baux qui ferment le pont.

TONTURE DE LAINE, (Tapissier) on appelle ainsi ce qu'on tire ou qu'on coupe du drap ou de quelqu'autre étoffe de laine que l'on tond : c'est ce qu'on nomme ordinairement boure-tomisse. Voyez BOURRE-TOMISSE.


TOOS. m. (Hist. nat. Botan.) c'est un arbrisseau des jardins du Japon, qui sert à garnir les treillages & les berceaux. Ses feuilles sont longues, sans découpures ; il jette un grand nombre de fleurs longues d'un empan & plus, qui durent tout le printems, & qui étant suspendues comme des grappes de raisin, font un charmant spectacle. Elles sont en papillons & sans odeur. De grandes places sont quelquefois ombragées par une seule ou par deux ou trois de ces plantes. Les curieux mettent au pié, de la lie de sacki, qui est de la biere de riz, pour les engraisser & leur faire produire des épis de trois ou quatre empans de long. On visite ces lieux par curiosité, & les poëtes font des vers à leur honneur. La couleur des fleurs est toute blanche ou toute purpurine. Il y a un too sauvage dont les fleurs & les feuilles sont moins belles.


TOOKAIDO(Géogr. mod.) une des sept grandes contrées du Japon. Tookaido veut dire la contrée du sud-est. Elle comprend quinze provinces dont les revenus se montent en tout à 494 monkockfs de riz. On se rappellera qu'un man contient dix mille kockfs, & un kockf trois mille balles ou sacs de riz. (D.J.)


TOOSANDO(Géog. mod.) c'est le nom d'une des sept grandes contrées de l'empire du Japon. Toosando signifie la contrée orientale. Elle comprend huit grandes provinces qui sont Oomi, Mino, Fida, Sinano, Koodsuke, Simmodsuke, Mutsu & Dewa. Les revenus de ces huit provinces de la contrée orientale montent à 563 manckokfs de riz. (D.J.)


TOOTOMI(Géog. mod.) une des quinze provinces de l'empire du Japon, dans la contrée du sud-est. Cette province est une des plus fertiles & des plus belles de cette contrée par l'agréable variété de ses collines, rivieres, plaines, villes & villages. On compte sa longueur de deux journées & demie de l'est à l'ouest, & elle se divise en quatorze districts. (D.J.)


TOPARCHIES. f. (Théolog.) du grec , formé de , lieu ou pays, & d', commandement, puissance.

Ce mot signifie seigneurie, gouvernement d'un lieu, d'un canton. Il est souvent parlé dans les Macchabées de trois toparchies, Apherima, Lydda & Ramatha. Pline, l. V. c. xiv. marque dix toparchies de la Judée, savoir Jéricho, Emmaüs, Lydda, Joppe, l'Acrabatene, la Gophnitique, la Tamnitique, la Bekepthtephene, la Montueuse où étoit Jérusalem, & enfin Herodium. Josephe, lib. III. de bell. jud. c. iv. en nomme aussi dix dont Jérusalem étoit comme le centre, Gophna, Acrabate, Thamna, Lydda, Emmaüs, Pella, l'Idumée, Herodium, Jéricho. Ailleurs il nomme trois toparchies ajoutées à la Judée, la Samarie, la Galilée, la Perée ; & dans ses antiquités, l. XIII. c. viij. il fait mention de trois toparchies, Samarie, Joppé, la Galilée.

Il y a apparence que ces toparchies étoient des divisions de provinces, ou comme des généralités établies depuis les Asmonéens. Mais le P. Calmet remarque qu'elles ne donnoient à celui qui les possédoit, aucun titre particulier ni de gouverneur, ni de président, ni d'ethnarque, ni de roi. Calmet, dictionn. de la Bible.


TOPASE(Hist. nat.) topasius ou topazius, chrysolithus ; pierre précieuse jaune, transparente, & d'une dureté qui ne le cede qu'à celle du diamant. Lorsque cette pierre est aussi dure que le diamant, les Jouailliers lui donnent le nom de diamant jaune. Les anciens ont donné le nom de chrysolithus ou de pierre d'or à la topase à cause de sa couleur.

On distingue trois especes de topases relativement à la couleur ; la premiere est d'un jaune clair ou d'un jaune de citron ; la seconde est d'un jaune d'or ; & la troisieme est d'un jaune foncé ou tirant sur le brun ; on la nomme quelquefois topase enfumée.

On distingue encore les topases en orientales & en occidentales ; les premieres qui sont les plus dures & les plus estimées, viennent d'Orient. Pline dit qu'on trouvoit surtout cette pierre dans l'île de Topazon, dans la mer Rouge, dont elle a emprunté son nom. On prétend qu'il en venoit aussi d'Ethiopie & même d'Espagne. Il se trouve encore des topases dans le Pérou ; elles sont, dit-on, d'un jaune orangé, peut-être doit-on les regarder comme des hyacinthes. On dit que les topases du Brésil sont d'une très-grande dureté ; quant à celles qui viennent de Bohème, elles n'ont point la dureté des vraies topases, & doivent être regardées simplement comme du crystal de roche coloré en jaune, dont elles ont la forme prismatique & hexagone ; on les nomme topases enfumées, & l'on en trouve en fort grands morceaux ; mais on trouve une grande quantité de vraies topases dans le Voigtland, près d'Averbach, sur une montagne appellée Schneckenberg : ce sont là les pierres qu'on appelle communément topases de Saxe. Elles sont tantôt plus, tantôt moins jaunes, & communément de la couleur d'un vin blanc léger en couleur. Ces topases sont en crystaux prismatiques, composés de quatre côtés inégaux ; leur couleur est plus nette vers le sommet des crystaux, que vers la base par laquelle ils tiennent à une roche extrêmement dure. On assure que ces topases ne le cedent point à celles d'Orient ni pour l'éclat, ni pour leur dureté, qui est aussi grande que celle du saphir & du rubis.

M. Pott a fait un grand nombre d'expériences sur cette pierre, & il a trouvé que le feu le plus violent ne pouvoit point la faire entrer en fusion ; cependant l'action d'un tel feu altere considérablement sa consistance & sa dureté ; en effet M. Pott a trouvé qu'en l'exposant pendant longtems à un feu véhément, cette topase perd sa transparence & son éclat ; elle devient d'une couleur laiteuse ; sa liaison se perd ; elle devient feuilletée & friable, phénomènes qui arrivent au diamant & au saphir quand on les traite de la même maniere. La topase s'éclate en petites lames ou feuillets, lorsqu'après l'avoir fait rougir à plusieurs reprises, on en fait l'extinction dans de l'eau froide.

Le même M. Pott a observé que cette topase de Saxe ne commençoit à se fondre qu'en lui joignant huit parties de sel alkali fixe ; cependant alors il ne résultoit de ce mêlange qu'une masse opaque semblable à de l'albâtre ; mais le borax rend la fusion avec l'alkali beaucoup plus facile ; & deux parties de topase calcinée, mêlées avec une partie d'alkali fixe & une partie de borax, ont donné un verre jaune & transparent. Ce savant chymiste a encore combiné la topase avec un grand nombre de pierres de différente nature qui lui ont donné différens produits, comme on peut le voir dans le premier volume de la traduction françoise de la Lithogéognosie de M. Pott, pages 254-277, & dans les tables qui sont à la fin.

M. Gmelin, dans son voyage de Sibérie, dit avoir vu dans ce pays des topases de forme cubique comme la mine de plomb, qui étoient d'une dureté plus grande & d'une eau beaucoup plus pure que celles de Saxe, & qui ne le cédoient en rien aux topases orientales. Le terrein où on les trouve, est une glaise rougeâtre mêlée de pierres de la nature du quartz, & dans laquelle on trouve des crystaux noirs & impurs ; cette terre est aussi remplie de parties talqueuses. L'endroit où se trouvent ces topases, est près d'une habitation appellée Jusanskoi sawod. On rencontre aussi des topases d'un beau jaune, dans un ruisseau du voisinage appellé Alabasch.

On seroit tenté d'attribuer au plomb la couleur de la topase ; la forme cubique que les crystaux de cette pierre affectent, qui par conséquent a de la conformité avec la mine de plomb en cubes ou la galene, sembleroit même appuyer cette conjecture ; mais ce sentiment est détruit par l'expérience. En effet M. Guétard de l'académie des Sciences nous apprend que les topases du Brésil mises dans un creuset, où elles sont entourées de cendres, perdent leur couleur jaune pour devenir rouges, & se transforment en rubis, secret qui a été pratiqué avec succès par plusieurs jouailliers ; cette expérience semble prouver clairement que c'est au fer qu'est dûe la couleur de la topase, & que la calcination développe & rougit ce métal. On prétend que tous les rubis qui viennent du Brésil sont des topases qui ont été colorées en rouge de cette maniere. M. Guétard ajoute qu'une topase orientale traitée de la même façon n'a point changé de couleur ; peut-être que cette pierre étoit plus dure que celle du Brésil, & exigeoit pour changer de couleur, un degré de feu plus violent. On a prétendu que la pierre que les Jouailliers nomment topase blanche du Brésil, devenoit jaune quand on l'exposoit au même degré de chaleur qui rougit la topase jaune du même pays ; mais M. Guétard n'a point trouvé que ce fait fut véritable ; la topase blanche sortit blanche du creuset, quoiqu'il eût fait durer le feu plus longtems, & qu'il l'eût rendu plus violent. Voyez le journal oeconomique du mois d'Octobre 1751. (-)

C'est M. Dumelle, orfévre metteur-en-oeuvre à Paris, qui sacrifiant son intérêt au bien public & à l'avancement de l'histoire naturelle, a bien voulu communiquer à M. Guétard le procédé qu'on a ci-dessus indiqué, pour convertir la topase du Brésil en véritable rubis balais.

S'il est vrai que la pierre précieuse que nous nommons présentement topase, étoit anciennement appellée chrysolithe, parce qu'effectivement nos plus belles topases ont les caracteres des chrysolithes que les anciens recevoient de l'Orient par la voie de l'Ethiopie, il n'est pas moins certain que notre chrysolithe orientale ne convient point avec la topase décrite par Pline dans son hist. naturelle, l. XXXVII. c. viij.

En effet, qu'on y fasse attention, la topase que décrit Pline dans cet endroit, & qu'il dit avoir été découverte dans une île de la mer Rouge, n'a aucun des caracteres des véritables pierres précieuses ; c'étoit plutôt une espece de pierre fine, dont la couleur visoit à celle que rend le jus de la plante qui croît dans nos jardins potagers, & qu'on nomme porreau.

Cette pierre fournissoit d'assez gros morceaux, puisque la statue d'Arsinoë, épouse de Ptolomée Philadelphe, qui en avoit été faite, avoit quatre coudées de hauteur. Outre cela, elle étoit tendre, elle souffroit la rape comme le marbre, il n'étoit pas besoin d'autre outil pour la travailler. Ce devoit être une pierre opaque à-peu-près malachite, & jamais nom ne lui convint mieux que celui de chrysolite.

La topase, le saphir sont les plus dures de toutes les pierres orientales, & aucune à cet égard n'approche davantage du diamant. C'est aussi la raison pour laquelle lorsqu'une de ces pierres avoit le défaut d'être peu colorée, on la blanchissoit autrefois, ainsi que le saphir, par une violente action du feu ; on tâchoit de la faire passer ensuite pour un véritable diamant ; mais depuis que ceux-ci sont devenus moins rares, & que les connoissances se sont perfectionnées, il n'est plus aussi aisé d'en imposer que dans ces tems, où des joailliers fort experts, tels que Callini, étoient obligés d'avouer, que pour éprouver sûrement une pierre, il falloit la teindre, c'est-à-dire, y appliquer dessous une couche de noir, qui obscurcit généralement toutes les pierres, & fait seulement briller le diamant ; on ne s'avise plus guere aujourd'hui de décolorer la topase, ni aucune autre pierre de couleur. Qu'y gagneroit-on ?

Pour être dans son point de perfection, la topase doit être d'un très-beau jaune doré & satiné, ou d'un jaune de citron très-agréable. Ni les topases du Brésil, ni celles du Pérou, qu'on appelle topases d'Inde, qui sont tendres, & d'un jaune plus roux, non-plus que les topases de Saxe, dont la couleur est d'un jaune-clair, & dont la dureté n'est guere plus grande que celle du crystal, ne sont pas comparables aux orientales ; en général toutes les topases, si l'on excepte celles d'Orient, sont d'une nature seche & peu liante, toujours prêtes à s'éclater, & par conséquent un graveur risque beaucoup en les travaillant. (D.J.)


TOPASSES(Hist. mod.) c'est ainsi que l'on nomme dans l'Indostan des soldats mulâtres, provenus des mariages des Portugais avec des femmes indiennes. Ces troupes portent des chapeaux.


TOPAYOS(Géog. mod.) nom d'une forteresse, d'un bourg, d'une riviere, & d'un peuple de sauvages de l'Amérique méridionale au Brésil.

La forteresse de Topayos appartenant aux Portugais, est à 15 heures de Pauxis, à l'entrée de la riviere du même nom, qui est une riviere du premier ordre, & qui descend des mines du Brésil. Des débris du bourg de Tupinambara, s'est formé celui de Topayos, dont les habitans sont presque tout ce qui reste de la nation des Tupinambas, dominante, il y a deux siecles, dans le Brésil.

C'est chez les Topayos qu'on trouve le plus communément de ces pierres vertes, connues sous le nom de pierres des amazones, & qui ont été autrefois fort recherchées, à cause des prétendues vertus qu'on leur attribuoit de guérir de la pierre, de la colique néphrétique, & même de l'épilepsie. La vérité est qu'elles résistent à la lime, & qu'elles ne different guere ni en couleur, ni en dureté du jade oriental. Mémoires de l'académie royale des Sciences, ann. 1745.


TOPAZOS(Géog. anc.) île de la mer Rouge, à trois cent stades du continent, selon Pline, liv. XXXVII. c. viij. Il ajoute qu'elle est couverte de brouillards, ce qui a été cause que plusieurs navigateurs l'ont cherché inutilement, & que c'est ce qui lui a fait donner le nom de Topazos, parce que Topazis en langage troglodite, signifie chercher. (D.J.)


TOPHANou TOPANA, (Géog. mod.) fauxbourg de la ville de Constantinople sur le bord de la mer, au-dessous de Péra & de Galata, tout à l'entrée du canal de la mer Noire, où la plûpart des gens se rendent pour s'embarquer, quand ils veulent aller se promener sur l'eau. On l'appelle Tophana, comme qui diroit arsenal, ou maison du canon : car top en turc signifie canon, & hana signifie maison, ou lieu de fabrique. Rien n'est si agréable que l'amphithéâtre que forment les maisons de Galata, de Pera, & de Tophana ; il s'étend du haut des collines jusqu'à la mer. (D.J.)


TOPHUSS. m. (Médec.) en grec , en françois pierre ou gravelle des paupieres ; petite tumeur blanche, raboteuse, dure & calleuse, qui se forme à la partie extérieure ou intérieure des paupieres ; l'humeur renfermée dans cette petite tumeur ressemble en consistance ou à de la pierre, ou à du tuf, d'où lui vient son nom tophus ; cependant elle ne differe de la grêle des paupieres, que parce qu'elle est unique, raboteuse, & plus dure ; mais elle veut être traitée de même, tant pour l'opération, que pour les remedes ; ainsi voyez les mots ORGEOLET ou GRELE des paupieres. (D.J.)


TOPIARIUM OPUS(Architect. rom.) les auteurs sont peu d'accord sur la signification de topiarium opus ; la plus grande partie estiment que c'est la représentation qui se fait avec le buis, le cyprès, l'if, & d'autres arbrisseaux verds taillés de plusieurs sortes de figures, pour l'ornement des jardins. D'autres croyent avec plus de raison, que ce sont des paysages représentés ou en peinture, ou dans des tapisseries ; la chose seroit assez claire, si l'on dérivoit ce mot de , qui signifie un lieu, un pays ; alors topiarium exprimeroit naturellement un paysage, qui est la représentation des lieux. (D.J.)


TOPIGISS. m. (Hist. mod.) terme de relation ; c'est le nom que les Turcs donnent à leurs canonniers, & en général à tous ceux qui sont occupés au service de l'artillerie. Leur chef se nomme topigi bachi, charge qui pour l'autorité ne répond pas à celle de l'officier que nous appellons grand-maître de l'artillerie, parce que le capitan bacha a la principale autorité dans l'arsenal de Constantinople. Voyez CAPITAN BACHA.


TOPILZINS. m. (Hist. mod. superstition) c'est le nom que les Mexicains donnoient à leur grand-prêtre ou chef des sacrificateurs. Cette éminente dignité étoit héréditaire, & passoit toujours au fils aîné. Sa robe étoit une tunique rouge, bordée de franges ou de flocons de coton ; il portoit sur sa tête une couronne de plumes vertes ou jaunes ; il avoit des anneaux d'or enrichis de pierres vertes aux oreilles ; & sur ses levres il portoit un tuyau de pierre d'un bleu d'azur. Son visage étoit peint d'un noir très - épais.

Le topilzin avoit le privilege d'égorger les victimes humaines que les barbares mexicains immoloient à leurs dieux ; il s'acquitoit de cette horrible cérémonie avec un couteau de caillou fort tranchant. Il étoit assisté dans cette odieuse fonction par cinq autres prêtres subalternes, qui tenoient les malheureux que l'on sacrifioit ; ces derniers étoient vêtus de tuniques blanches & noires ; ils avoient une chevelure artificielle qui étoit retenue par des bandes de cuir.

Lorsque le topilzin avoit arraché le coeur de la victime, il l'offroit au Soleil, & en frottoit le visage de l'idole, avec des prieres mystérieuses, & l'on précipitoit le corps du sacrifié le long des degrés de l'escalier ; il étoit mangé par ceux qui l'avoient fait prisonnier à la guerre, & qui l'avoient livré à la cruauté des prêtres. Dans de certaines solemnités on immoloit jusqu'à vingt mille de ces victimes à Mexico.

Lorsque la paix duroit trop long-tems au gré des prêtres, le topilzin alloit trouver l'empereur, & lui disoit, le dieu a faim, aussitôt toute la nation prenoit les armes, & l'on alloit faire des captifs, pour assouvir la prétendue faim du dieu & la barbarie réelle de ses ministres. Voyez VITZILIPUTZLI.


TOPINAMBESILES DES, (Géog. mod.) îles de l'Amérique méridionale, dans la terre-ferme, au pays des Amazones, dans le fleuve de ce nom, au-dessus du bosphore de l'Amazone. Le comte de Pagan donne à cette île 60 lieues d'étendue, & vante beaucoup la fertilité de ses terres, ainsi que la beauté de ses rivages. (D.J.)


TOPINAMBOURS. m. (Hist. nat. Botan.) les topinambours sont des tubercules de la plante que plusieurs botanistes appellent helianthemum tuberosum esculentum, & que Tournefort nomme corona solis, parvo flore, tuberosâ radice, I. R. H. 489. en anglois pottatoa.

Il s'éleve d'une même racine de cette plante une ou plusieurs tiges cylindriques, cannelées, rudes, couvertes de poils, haute de douze piés & plus, remplies d'une moëlle blanche & fongueuse. Ses feuilles sont nombreuses, placées sans ordre depuis le bas jusqu'au haut, d'un verd-pâle, rudes, pointues, presque semblables à celles du souci ordinaire, cependant moins ridées, moins larges, & diminuant peu-à-peu de grandeur, en approchant de l'extrêmité des rameaux.

Ses tiges portent des fleurs radiées de la grandeur de celles du souci ordinaire ; leur disque est rempli de plusieurs fleurons, jaunes, fort serrés ; & leur couronne est composée de douze ou treize demi-fleurons rayés, pointus, de couleur d'or, portés sur des embryons, & renfermés dans un calice écailleux & velu ; ces embryons se changent en des petites graines.

Chaque tige jette diverses petites racines, rampantes, garnies de fibres capillaires, qui s'étendent au long & au large, entre lesquelles croissent à la distance d'un pié de cette racine-mere plusieurs tubercules, ou excroissances compactes qui soulevent la terre ; une seule de ces racines produit 30, 40, 50, & quelquefois un plus grand nombre de ces tubercules ; ils sont roussâtres en-dehors, fongueux & blanchâtres en-dedans, d'une saveur douce, bosselés en divers endroits, quelquefois de la grosseur du poing, & comme relevés en un petit bec du côté qu'ils doivent germer. Quand les tiges sont séchées, ces tubercules restent dans la terre pendant tout l'hiver, & poussent au printems suivant. On cultive cette plante dans les jardins & dans les campagnes, & l'art de la culture consiste dans le labour, & point à fumer les terres où on l'a plantée, comme M. Tull l'a fait voir par ses propres expériences.

On mange ces tubercules appellées topinambours, cruds ou cuits ; quand ils sont cuits, ils ont le goût de cul d'artichaud ; on les assaisonne de différentes manieres. (D.J.)


TOPINOLE, (Géog. mod.) riviere d'Italie au duché de Spolete, en latin Tinia ou Teneas. Elle a sa source dans l'Apennin, passe à Fuligno, & après avoir grossi ses eaux de celles de diverses rivieres qu'elle reçoit, elle va se jetter dans le Tibre, entre Pontenuovo & Torciano. (D.J.)


TOPIQUEadj. terme de Rhétorique ; c'est un argument probable qui se tire de plusieurs lieux & circonstances d'un fait, &c. Voyez LIEU, &c.

Topique se dit aussi de l'art ou de la maniere d'inventer & de tourner toutes sortes d'argumentations probables. Voyez INVENTION.

Ce mot est formé du grec topicos, de , lieu, comme ayant pour objet les lieux communs qu'Aristote appelle les sieges des argumens.

Aristote a traité des topiques, & Ciceron les a commentés pour les envoyer à son ami Trebatius, qui apparemment ne les entendoit point.

Mais les critiques observent que les topiques de Ciceron quadrent si mal avec les huit livres des topiques qui passent sous le nom d'Aristote, qu'il s'ensuit nécessairement, ou que Ciceron ne s'est point entendu lui-même, ce qui n'est guere probable, ou que les livres des topiques attribués à Aristote, ne sont point tous de ce dernier.

Ciceron définit le topique, l'art d'inventer des argumens : Disciplina inveniendorum argumentorum.

La Rhétorique se divise aussi quelquefois en deux parties, qui sont le jugement, appellé dialectique, & l'invention, appellée topique. Voyez RHETORIQUE.

Voici ce qu'en dit pour & contre le pere Lami de l'oratoire, dans sa rhétorique, liv. V. ch. v. pag. 3. & suivantes.

" On ne peut douter que les avis que donne cette méthode, n'aient quelqu'utilité. Ils font prendre garde à plusieurs choses, dont on peut tourner un sujet de tous côtés, & l'envisager par toutes ses faces. Ainsi, ceux qui entendent bien la topique, peuvent trouver beaucoup de matiere pour grossir leur discours. Il n'y a donc rien de stérile pour eux : ils peuvent parler sur ce qui se présente, autant de tems qu'ils le voudront.

Ceux qui méprisent la topique, ne contestent point sa fécondité. Ils demeurent d'accord qu'elle fournit une infinité de choses : mais ils soutiennent que cette fécondité est mauvaise, que ces choses sont triviales, & par conséquent que la topique ne fournit que ce qu'il ne faudroit pas dire. Si un orateur, disent-ils, connoît à fond le sujet qu'il traite... il ne sera pas nécessaire qu'il consulte la topique, qu'il aille de porte en porte frapper à chacun des lieux communs, où il ne pourroit trouver les connoissances nécessaires pour décider la question dont il s'agit. Si un orateur ignore le fond de la matiere qu'il traite, il ne peut atteindre que la surface des choses, il ne touchera point le noeud de l'affaire ; ensorte qu'après avoir parlé long-tems son adversaire aura sujet de lui dire ce que S. Augustin disoit à celui contre qui il écrivoit : laissez ces lieux communs qui ne disent rien, dites quelque chose, opposez des raisons à mes raisons, & venant au point de la difficulté établissez votre cause, & tâchez de renverser les fondemens sur lesquels je m'appuie. Separatis locorum communium magis, res cum re, ratio cum ratione, causa cum causâ confligat.

Si l'on veut dire en faveur des lieux communs, qu'à la vérité ils n'enseignent pas tout ce qu'il faut dire, mais qu'ils aident à trouver une infinité de raisons qui se fortifient les unes les autres ; ceux qui prétendent qu'ils sont inutiles, répondent, que pour persuader il n'est besoin que d'une seule preuve qui soit forte & solide, & que l'éloquence consiste à étendre cette preuve, & à la mettre dans son jour, afin qu'elle soit apperçue. Car les preuves qui sont communes aux accusés & à ceux qui accusent, dont on peut se servir pour détruire & pour établir, sont foibles. Or celles qui se tirent des lieux communs sont de cette nature. "

D'où il conclut que la topique approche fort de cet art de Raymond Lulle, dont l'auteur de la logique de Port-Royal a dit, que c'étoit un art qui apprend à discourir sans jugement des choses qu'on ne sait point. Or il est bien préférable, dit Ciceron, d'être sage & ne pouvoir parler, que d'être parleur & être impertinent. Mallem indisertam sapientiam quam stultitiam loquacem.

La topique est reléguée dans les écoles, & les grands orateurs ne suivent pas cette route pour arriver à la belle éloquence.

TOPIQUE, (Médecine) on appelle topiques, les remedes qu'on applique extérieurement sur diverses parties du corps pour la guérison des maladies ; ce mot vient de , lieu.

Les Médecins ont établi pour maxime, que les remedes peuvent devenir utiles ou pernicieux, suivant l'usage & l'application qu'on en fait ; & cette maxime est non-seulement vraie par rapport aux remedes internes, mais encore par rapport aux topiques ou applications externes, comme nous allons le voir.

On prescrit souvent les bains mêlés d'herbes céphaliques pour les maladies de la tête, sans songer qu'ils nuisent dans plusieurs cas, comme dans les foiblesses des nerfs, les achores, les catarrhes, &c.

Les emplâtres céphaliques dans les hémorrhagies, les apoplexies, les maux qui procedent de causes externes, sont plus nuisibles qu'utiles, parce qu'ils empêchent la transpiration de la partie, & qu'ils obstruent les pores de la tête. On croit aussi que les oignemens de baumes odoriférans sont fort efficaces contre les maux de tête, accompagnés d'un sentiment de pesanteur ; au contraire, ces sortes de topiques disposent à l'assoupissement par leur qualité sédative, anodine ; mais les linimens balsamiques préparés avec de l'esprit-de-vin rectifié, & des huiles de marjolaine, de lavande, &c. peuvent être à propos, parce qu'ils discutent & ouvrent les pores.

On commet beaucoup d'erreurs en fait de topiques pour les maladies des yeux. Dans leur inflammation les collyres incrassans, épaississans ne conviennent pas certainement ; il faut employer des substances, qui, sans acrimonie sont discussives ; tel est, par exemple, le camphre. Si l'inflammation est accompagnée d'une lymphe âcre & saline, il faut user d'un mucilage de graines de coings, mêlées avec du safran & du camphre. Quand l'inflammation est violente & dangereuse, l'esprit-de-vin camphré, appliqué tiede avec une addition de baume du Pérou, produit quelquefois d'excellens effets pour rétablir le ton des fibres.

Le vitriol à cause des parties de cuivre qu'il contient, passe chez plusieurs praticiens pour excellent dans les maux des yeux ; mais cela n'est que rarement vrai ; ce collyre, par exemple, est contraire dans toutes les inflammations, & dans toutes les fluxions chaudes & âcres ; il ne convient que quand les humeurs sont épaisses, sales & sordides, sans âcreté. Tout usage des collyres est déplacé dans la discrase de la lymphe & du sang, car il faut commencer par corriger les fluides viciés.

Dans les maladies d'oreilles, les topiques qu'on met intérieurement, ne conviennent que pour la dureté d'ouie qui vient de l'endurcissement de la cire. Les abscès dans l'oreille interne demandent un traitement particulier ; c'est de tâcher de les empêcher de dégénérer en ulceres par des injections balsamiques tiedes, tels que les essences de myrrhe.

Les topiques pour les hémorrhagies du nez sont rarement utiles, à-moins qu'on ne commence par des saignées, des frictions, l'immersion des piés dans l'eau tiéde, & quelquefois en employant le secours des doux diaphorétiques.

La plûpart des topiques recommandés pour les maux de dents, font plus de mal que de bien, outre que le mal de dents vient souvent de rhumatisme ou d'une fluxion âcre qui se jette sur une dent cariée, & conséquemment c'est la fluxion qu'il faut guérir.

Tous les topiques externes dans les maladies cutanées du visage & de la tête, doivent être administrés avec prudence, en y joignant les remedes internes pour corriger & dériver les humeurs peccantes. C'est une malheureuse pratique, que d'user pour les boutons ou les pustules au visage, du mercure sublimé ou d'une solution foible de mercure précipité, parce que de telles substances reçûes dans les pores produisent de grands maux de tête, & la perte des dents.

Dans le décharnement des gencives, on prescrit presque toujours l'usage des astringens ; mais si ce désordre procede du défaut de suc nourricier, ou de l'obstruction des fines arteres des gencives, elles perdront de plus en plus leur suc nourricier par les remedes astringens ; en ce cas, il faut laver la bouche & les gencives avec des décoctions de vin, imprégnées de sauge & d'une petite quantité de sel ammoniac.

On employe souvent les topiques dans les maladies du thorax, c'est-à-dire pleurésie ou péripneumonie ; mais le meilleur dans ces sortes de cas, est de s'abstenir de tout topique ; que si on en juge quelques-uns nécessaires, il faut les composer d'esprit - de - vin camphré, mitigé, & rendu anodin par une addition de safran.

Dans les douleurs d'estomac, les topiques ne sont bienfaisans qu'appliqués convenablement ; ce n'est point alors sur le creux de l'estomac qu'il faut les porter, comme on fait ordinairement dans la cardialgie ; mais il faut les appliquer sur le dos, vers la huitieme ou la neuvieme vertebre. Si c'est l'orifice droit qui est affecté, on appliquera les remedes sur l'estomac vers le côté droit.

Si la douleur violente, causée par une pierre arrêtée dans les ureteres, demande l'usage des topiques, c'est du-moins dans la direction des ureteres qui est depuis les reins jusqu'aux aînes ; & c'est avec bien de la prudence qu'ils doivent être administrés ; car si la douleur est accompagnée de spasmes, & qu'on applique des substances chaudes & spiritueuses, on augmente la douleur, & l'on occasionne de terribles symptomes ; il faut au contraire baigner le malade pour relâcher les parties irritées.

Dans le flux excessif des regles, la plus sûre méthode est de s'abstenir des topiques, sur-tout des topiques narcotiques, & de leur substituer l'usage d'autres remedes.

Les Médecins & les Chirurgiens ont imaginé une infinité de topiques dans les tumeurs des veines hémorrhoïdales ; mais l'art consiste à appliquer ces différens remedes suivant les circonstances ; par exemple, si la douleur est excessive, les substances anodines & émollientes seront les plus salutaires ; si la tumeur incommode par son volume, les fomentations de vin préparées avec les balaustes & les fleurs de rose, peuvent être bonnes.

Quant au désordre des articulations, les topiques sont toujours mal employés dans les douleurs arthritiques & dans la goutte ; c'est ce dont tous les habiles médecins conviennent ; si cependant la douleur est accompagnée d'une certaine insensibilité, comme il arrive souvent aux vieillards, alors on peut fortifier les nerfs par des linimens balsamiques, & tâcher d'attirer le fluide nerveux sur les parties affoiblies.

La plûpart des topiques nuisent dans l'érésipele ; il faut traiter cette maladie par des remedes internes, laisser libre la transpiration dans les parties affectées, en appliquant seulement quelquefois sur la partie des sachets pleins d'herbes parégoriques, qui par leur douce influence, tiennent les pores ouverts, & les relâchent s'ils sont resserrés.

Dans les bubons malins & critiques, les topiques sont d'une pratique dangereuse : mais si le bubon tend à suppuration ; on doit appliquer l'emplâtre de diachylon avec les gommes.

Pendant l'éruption & la suppuration de la petite vérole, il faut s'abstenir de tous linimens topiques ; ce n'est que dans le déclin & vers le tems du desséchement des pustules, qu'il est permis d'user d'huile d'amandes-douces, mêlée avec le camphre & le blanc de baleine, pour tempérer l'acrimonie des boutons.

La cure de toutes les maladies cutanées doit commencer & finir par les remedes internes, capables de corriger la matiere peccante, de la disposer à l'excrétion, & en même - tems de la chasser. A cette classe de remedes appartiennent les diaphorétiques émolliens, les infusions laxatives, les préparations de mercure & d'antimoine.

Les topiques qui conviennent le mieux sur les parties paralytiques, sont des onguens faits de graisse d'animaux & d'huiles distillées, telles que celles de riz, de romarin, de lavande, de marjolaine, de genievre, &c. car il est question de rétablir le ton des parties nerveuses dans leur état naturel ; ensorte qu'il n'y ait ni trop de relâchement, ni trop de constriction, ni trop d'humidité, ni trop de sécheresse.

Dans les tumeurs oedémateuses des piés, la plûpart des topiques sont contraires ; le meilleur est de faire le soir autour du pié un bandage convenable pour renforcer les fibres ; il est bon d'user en même-tems des fomentations de vinaigre fort, mêlé avec de l'essence d'ambre, & versé sur des briques rougies au feu.

Ces détails suffisent sur l'utilité ou le mal que peuvent faire les topiques dans leur usage & leur application. (D.J.)


TOPIRIS(Géog. mod.) ville de Thrace. Ptolémée, liv. III. c. xj. la marque dans les terres. Ortélius dit que cette ville étoit de la premiere Macédoine. Pline écrit aussi Topiris ; mais dans une médaille de Géta, cette ville est appellée Topirus avec le surnom d'Urpia ; & elle est nommée Toperus & Toparon, par Procope. (D.J.)


TOPLITZ(Géog. mod.) petite ville de Bohème, au cercle de Leutméritz, & à six mille de Dresde. Elle est renommée par ses bains d'eaux chaudes. (D.J.) Voyez TOEPLITZ.


TOPOGLIA(Géog. mod.) bourgade des états du Turc, dans la Livadie. On croit que c'est l'ancienne ville Copae, située sur le marais Copaïs, que les Grecs modernes appellent Limnitis Livadias. Le marais ou lac de Topoglia, reçoit le Cephyssus & autres petites rivieres qui arrosent une plaine d'environ 15 lieues de tour, & qui est abondante en blés & en pâturages ; aussi étoit-ce anciennement un des quartiers les plus peuplés de la Béotie. (D.J.)


TOPOGRAPHIES. f. (Arpent.) description ou plan de quelque lieu particulier ou d'une petite étendue de terre, comme celle d'une ville, d'un bourg, manoir, ferme, champ, jardin, château, maison de campagne, &c. tels sont les plans que levent les Arpenteurs. Voyez CARTE, PLAN, ARPENTAGE, &c. ce mot est formé du grec , lieu, & , je décris.

La topographie differe de la chorographie, comme le moins étendu differe du plus étendu ; la chorographie étant la description d'une contrée, d'un diocèse, d'une province, ou de quelque autre étendue considérable. Voyez CHOROGRAPHIE. Chambers.

TOPOGRAPHIE, (Rhétor.) on appelle ainsi cette figure qui décrit, qui peint vivement les lieux sur lesquels on veut engager l'auditeur ou le lecteur de porter ses regards ; tel est ce morceau de M. Fléchier. " Voyons-là, cette princesse, dans les hôpitaux où elle pratiquoit ses miséricordes publiques ; dans ces lieux où se ramassent toutes les infirmités & tous les accidens de la vie humaine, où les gémissemens & les plaintes de ceux qui souffrent remplissent l'ame d'une tristesse importune, où l'odeur qui s'exhale de tant de corps languissans.... " (D.J.)

TOPOGRAPHIE, TOPOGRAPHE, (Peinture) on appelle peintres topographes, ceux qui font des représentations ou descriptions de temples, de palais, de ports de mer, de villes, & d'autres lieux ; les anciens appelloient les tableaux de paysages topies, topia, du mot grec, .

Matthieu & Paul Bril étoient d'excellens topographes.

Il y a de fort belles topographies dans la galerie de Saint-Cloud.


TOPTCHIS. m. terme de relation, canonnier turc ; le toptchi-bachi est, en Perse, le grand-maître de l'artillerie, & la cinquieme personne de l'état. (D.J.)


TOQUES. f. (Hist. nat. Botan.) cassida, genre de plante à fleur monopétale labiée, dont la levre supérieure ressemble à un casque garni de deux oreillettes ; la levre inférieure est ordinairement divisée en deux parties. Le pistil sort du calice dont la partie supérieure ressemble à une crête ; il est attaché comme un clou à la partie postérieure de la fleur, & entourée de quatre embryons, qui deviennent dans la suite autant de semences oblongues renfermées dans une capsule qui a servi de calice à la fleur, & semble représenter une tête revêtue d'un casque. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE.

TOQUE, terme de relation, certain nombre de bouges ou cauris dont on se sert comme de monnoie dans le royaume de Juda, & en quelques autres endroits de la côte d'Afrique, où les bouges ou cauris sont reçus dans la traite des Nègres : une toque de bouges est composée de 40 de ces coquillages : cinq bouges font une galline. (D.J.)

TOQUE, terme de Religieuse, c'est chez les religieuses du saint Sacrement, un linge de chanvre ou de groslin, qui couvre leurs épaules & leur estomac. (D.J.)

TOQUE, terme de Marchande de mode, bonnet d'homme, de figure cylindrique, ou d'une forme de chapeau qui n'a qu'un petit bord ; c'étoit la coëffure de tous les officiers qui n'étoient point gradués. Encore aujourd'hui les pensionnaires des colleges qui font leurs humanités, portent des toques lorsqu'ils sont en robe ; on appelloit aussi cette espece de bonnet tocque ; toc en bas-breton signifioit chapeau. (D.J.)


TOQUETS. m. (Marchande de modes) petit bonnet d'enfant ; il est fait de taffetas, d'étoffe de soie, de toile garnie de dentelles, &c.


TOQUETTES. f. (Manufact. de tabac) ce sont des feuilles de tabac roulées en andouilles. Voyez TABAC, Manufact.


TOR(Géog. mod.) petite ville d'Asie, dans l'Arabie pétrée, sur le bord de la mer Rouge, avec un château pour défense. Son port est assez bon pour les vaisseaux & pour les galeres ; c'est l'abord des pélerins turcs qui vont à la Mecque. Lat. 28. (D.J.)


TORAILLES. f. (Corallogie) espece de corail brut, que les Européens portent au Caire & à Alexandrie ; il est peu estimé & ne vaut que le quart du corail brut de Messine. (D.J.)


TORBAY(Géog. mod.) baye d'Angleterre, dans le Dévonshire. Elle est sur la Manche, à quelques milles au nord de Darmouth ; c'est l'asyle de la flotte royale quand elle est sur cette côte & que les vents sont contraires.

C'est à cette baye que débarqua le prince d'Orange le 15 Novembre 1688. Le roi Jacques s'avança contre lui jusqu'à Salisbury, où ses propres troupes l'abandonnerent. Il reprit le chemin de Londres, & se vit bien-tôt obligé d'en sortir pour n'y plus rentrer : il vint en France, & mourut à Saint-Germain-en-Laye en 1701, à l'âge de 68 ans. (D.J.)


TORBERG(Géog. mod.) bailliage de Suisse, au canton & à deux lieues de Berne. Un gentilhomme du pays nommé Thornberg y fonda l'an 1397 une chartreuse, & donna sa terre pour l'entretien des moines. Les Bernois ont fait de cette terre un bailliage, & ont converti la chartreuse en un château pour la résidence du baillif. (D.J.)


TORBIA(Géog. mod.) village d'Italie, près de Monaco : il a pris son nom par corruption de trophea. On y voyoit encore, il y a cent ans, un monument des Romains, où l'on croyoit qu'avoit été la célebre inscription des peuples des Alpes vaincus par Auguste : c'est du-moins le sentiment de Cluvier & du pere Briet ; mais Guichenon & Bergier prétendent que cette inscription étoit sur l'arc de triomphe de la ville d'Aost. (D.J.)


TORCELLO(Géog. mod.) petite ville d'Italie, dans l'état de Venise, à six lieues de la capitale, avec titre d'évêché ; mais ce n'est qu'un titre, car c'est un évêché misérable, & tout dépeuplé. Long. 30 d. 9'. lat. 45 d. 34 '. (D.J.)


TORCHETISON, (Synon.) ces mots sont nobles en prose & en vers au figuré. Hélène fut la torche ou le tison funeste qui causa l'embrasement de Troie, fax teterrima belli, disoient les poëtes latins.

Je suis donc votre honte, & le fatal tison

Qui remplira de feux toute votre maison.

Desmarais. (D.J.)

TORCHE, s. f. (Cirerie) bâton rond plus ou moins gros, long depuis sept piés jusqu'à douze, de bois léger & combustible, tel que celui d'aune & de tilleul, entouré par l'un des bouts de six meches, que les marchands ciriers nomment les bras ou lumignons de la torche, couvertes de cire ordinairement blanche, qui étant allumés, produisent une lumiere un peu lugubre. On se sert de torches dans quelques cérémonies de l'Eglise, particulierement aux processions du Saint-sacrement, & dans les enterremens des petites gens ; autrefois on en portoit dans les pompes funebres des personnes de quelque considération ; mais aujourd'hui on leur a substitué les flambeaux de poing : les torches se font à la main ; pour les fabriquer on commence par appliquer en longueur sur l'un des bouts du bois, à distances égales, les six meches, après qu'elles ont été légerement enduites d'une sorte de cire molle préparée avec un peu de térébenthine pour la rendre plus ténace ; ensuite on couvre ces meches exactement avec de la cire blanche toute pure, que l'on a fait amollir dans l'eau chaude. Les meches de torches sont faites de fil d'étoupes de chanvre crud grossierement filé, que l'on nomme lumignon, & qui est le même dont on se sert pour la fabrique des flambeaux de poing. Savary. (D.J.)

TORCHES, (Antiq. grecq. & rom.) le jour de la fête de Cérès, que célébroient les initiés à ses mysteres, s'appelloit par excellence le jour des torches ou des flambeaux, dies lampadum, en mémoire de ceux que la déesse alluma aux flammes du mont Etna, pour aller chercher Proserpine.

Phèdre découvrant à sa nourrice l'amour dont elle brûle pour Hippolyte, lui dit que sa passion lui fait oublier les dieux ; qu'on ne la voit plus avec les dames athéniennes, agiter les torches sacrées autour des autels de la déesse.

Non colere donis templa votis libet,

Non inter aras Attidum, mistam choris,

Jactare tacitis conscias sacris faces.

Les torches ou flambeaux que les anciens avoient consacrés à la religion, étoient les mêmes que ceux qu'ils employoient aux obseques & aux cérémonies nuptiales. Ils les comprenoient tous sous le nom générique de funalia, parce qu'ils étoient faits de corde, & en particulier ils les appelloient indifféremment taedae & faces. Les Poëtes se sont souvent égarés dans les allusions que ce sujet leur fournissoit. Properce dans une de ses élégies, fait dire à deux époux qui avoient toujours vécu dans une parfaite union.

Viximus insignes inter utramque facem.

Et Martial exprime plaisamment, dans une épigramme, les différens usages du même flambeau.

Effert uxores Fabius, Chrystilla maritos,

Funereamque tori quassat uterque facem.

" Les femmes de Fabius, dit-il, & les maris de Chrystille ne vivent guere, & on les voit à tout moment rallumer le même flambeau, tantôt pour des noces, tantôt pour des funérailles. " (D.J.)

TORCHE, (Epinglerie) c'est du fil de laiton en torche, dont les épingliers doivent se servir à la fabrique de leurs épingles ; il leur est défendu par leurs statuts d'y employer du fil-de-fer. (D.J.)

TORCHE, s. f. (Ferranderie) les marchands de fer donnent ce nom aux paquets de fil-de-fer pliés en rond, en forme de cerceau ; ils disent aussi du fil de laiton.

TORCHE, s. f. (Commerce de poix) nom que l'on donne à une sorte de résine qui se tire des pins, des meleses, & de quelques autres arbres résineux, dont on se sert pour faire de la poix. Richelet.

TORCHE, s. f. (Tonnelier) rang de quatre ou cinq cerceaux sur un tonneau. Il y a sur une pipe six torches : on pose le tonneau en chantier sur les torches, il ne doit pas porter sur les douves.

TORCHES, s. f. pl. (Jardinage) on nomme torches dans le commerce des oignons, des bâtons couverts de paille, longs de deux ou trois piés, autour desquels sont liés par la queue, divers rangs d'oignons. La torche est différente de la glane, & de la botte.

TORCHES, s. f. pl. (Maçonnerie) ce sont des nattes, ou simplement des paquets & des bouchons de paille, que les bardeurs qui portent le bar, ou qui traînent le binard, mettent sur l'un & sur l'autre de ces instrumens, lorsqu'ils veulent porter ou traîner des pierres taillées, pour empêcher que leurs arêtes ne s'écornent & ne se gâtent : on dit qu'un bar ou qu'un binard est armé de ses torches, lorsque ces nattes sont placées dessus.

TORCHE, en terme de Vannier, est un ou plusieurs tours simples que l'on fait immédiatement sous chacune des faines d'une hotte, ou de tout autre ouvrage.

TORCHE-NES, s. m. (Maréchallerie) est un instrument long à-peu-près de dix pouces, qui avec une courroie, serre étroitement le nés d'un cheval ; ce bâton est arrêté au licou ou au filet, & cette gêne empêche le cheval de faire du désordre ou de se débattre, lorsqu'il est trop fougueux, & qu'on lui fait le poil ou qu'on le ferre.

TORCHE-PINCEAU, s. m. (Peinture) c'est un petit linge qui sert aux peintres à essuyer leur palette & leurs pinceaux.


TORCHEPOTPIC-CENDRé, s. m. (Hist. nat. Ornytholog.) sitta seu picus cinereus : oiseau un peu plus petit que le pinson, il pese au plus une once ; il a environ cinq pouces & demi de longueur depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrêmité des doigts ; le bec est droit, triangulaire, noir en-dessus, & blanc en-dessous ; la langue n'excede pas la longueur du bec ; la tête, le cou & le dos, sont cendrés ; les côtés du corps sous les aîles, ont une couleur rougeâtre ; la gorge & la poitrine sont d'un châtain roussâtre ; le bas ventre a au-dessous de l'anus, quelques plumes rougeâtres, dont l'extrêmité est blanche ; il y a une bande noire qui s'étend depuis le bec jusqu'au cou, en passant sur les yeux ; les grandes plumes des aîles sont au nombre de dix-huit, & ont toutes le tuyau noir ; l'extérieure est petite & très-courte ; celles qui se trouvent près du corps, ont une couleur cendrée, les autres sont brunes ; la queue a au-plus deux pouces de longueur, elle est composée de douze plumes ; les deux du milieu sont de couleur cendrée, les deux plumes de chaque côté de celles du milieu, ont seulement l'extrêmité cendrée, & le reste est noir ; les deux qui suivent ont de plus les barbes intérieures de la pointe blanche ; la plume extérieure a l'extrêmité d'un noir cendré, & au-dessous de cette couleur une tache blanche transversale, le reste de la plume est noir ; les ongles sont bruns, longs & crochus ; les doigts sont au nombre de quatre, trois en avant, & un en arriere, celui-ci a la même longueur que le doigt du milieu, & son ongle est le plus grand de tous. Le torchepot fait son nid dans des arbres creux, lorsque l'ouverture du trou est trop large, il la retrécit avec de la boue au point que l'entrée du nid n'a pas plus de diamêtre que le corps de l'oiseau ; il se nourrit d'insectes ; il fait aussi provision de noix pour l'hiver ; il les casse fort adroitement, en les frappant à grands coups de bec, après les avoir assujetties entre deux branches d'arbre, ou dans une fente. Willughbi, Ornit. Voyez OISEAU.


TORCHERv. act. (Gram.) c'est nettoyer, ôter la malpropreté ; on torche un pot, des plats, des meubles.

TORCHER, (Archit.) c'est enduire de terre, ou torchis : on torche une cloison, les murs d'une grange. Voyez TORCHIS.

TORCHER, c'est parmi les Vanniers, faire d'un ou plusieurs brins d'osier, ce cordon qu'on voit dans les ouvrages de mandrerie, ou de faisserie, un peu au-dessus de l'écaffe des pés.


TORCHERES. f. (Menuis. & Sculpt.) espece de grand guéridon dont le pié, qui est triangulaire, & la tige, enrichis de sculpture, soutiennent un plateau pour porter de la lumiere. Cet ornement peut comme les candelabres, servir d'amortissement à l'entour des dômes, des lanternes, & aux illuminations. Il y en a de métal, dans la salle du bal du petit parc de Versailles. (D.J.)


TORCHISS. m. (Archit.) espece de mortier fait de terre grasse détrempée, & mêlée avec de la paille coupée, pour faire des murailles de bauge, & garnir les panneaux des cloisons, & les entrevoux des planchers des granges & des métairies : on l'appelle torchis, parce qu'on le tortille pour l'employer, au bout de certains bâtons faits en forme de torches. (D.J.)


TORCHONS. m. terme de Lingere, morceau de grosse toile, d'une aune ou une aune & demie, plus ou moins, qu'on ourle, qu'on marque, & dont on se sert dans le ménage pour torcher & essuyer la vaisselle, les meubles, les planchers, &c.

TORCHON, ou TORCHES, terme de Maçon, ce mot se dit dans les atteliers, de vieilles nattes usées, ou de gros bouchons de paille qu'on met sur les pierres lorsqu'on les monte de la carriere, ou qu'on les transporte, pour empêcher qu'elles ne s'écornent ; ainsi on dit un bar armé de ses torchons. (D.J.)


TORCOUTORCOL, TORCOT, TERCOU, TERCOT, TURCOT, s. m. (Hist. nat. Ornithol.) lynx sive torquilla ; oiseau auquel on a donné le nom de torcou, parce qu'il tourne la tête au point que la partie antérieure se trouve du côté du dos ; il est presque de la grosseur d'une alouette ; il pese environ une once ; il a près de sept pouces de longueur, depuis la pointe du bec, jusqu'à l'extrêmité de la queue, & dix pouces d'envergure ; le bec est mince, court, & moins pointu que celui du pic ; il a une couleur livide ; la langue est terminée par une pointe dure & comme osseuse. Cet oiseau, comme tous les autres de son genre, allonge sa langue hors du bec pour prendre les insectes dont il se nourrit ; il hérisse quelquefois les plumes de la tête comme le geai, il paroît alors avoir une hupe ; ses couleurs sont le cendré, le blanc, le roux, le brun & le noir, mêlés fort agréablement ; la tête est cendrée, & elle a des taches & des lignes noires, rousses, & blanches ; il y a quelques plumes noirâtres depuis le dessus de la tête, jusqu'au milieu du dos ; le croupion est d'un cendré clair, avec des taches blanches & des lignes transversales noires ; la gorge & le bas ventre sont jaunâtres & ont aussi des lignes transversales noires ; il y a dans chaque aîle dix-neuf grandes plumes, qui sont noires, & qui ont de grandes taches rousses, celles qui se trouvent près du corps sont ponctuées de noir ; les plumes du second rang ont l'extrêmité blanchâtre, & les petites sont d'un brun roussâtre ; les longues plumes des épaules ont la même couleur mêlée de noirâtre ; la queue est composée de dix plumes foibles & courbées en-dessous comme celles des pies ; elles sont cendrées & elles ont trois ou quatre lignes noires transversales ; cet oiseau a deux doigts en avant & deux en arriere ; il se nourrit principalement de fourmis, qu'il perce avec sa langue, par le moyen de laquelle il retire ces insectes dans sa bouche pour se servir de son bec. La femelle a les couleurs plus pâles que celles du mâle, & elle est plus cendrée. Willughbi, Ornit. Voyez OISEAU.


TORCULARTORCULAR


TORDAou THORDA, (Géog. mod.) comté de la Transylvanie. Il est borné au nord par les comtés de Colosvar & de Dobaca ; à l'orient par la riviere de Marosch, qui le sépare du comté de Kokelvar ; au midi par le comté d'Albe ; & à l'occident par le comté d'Abrobania. Son chef-lieu est Torda. (D.J.)

TORDA, THORDA, ou TORENBOURG, (Géog. mod.) petite ville de la Transylvanie, au comté de Torda, dont elle est le chef-lieu. Elle est située sur la riviere Aramas, à quelques milles au-dessus de l'endroit où cette riviere se jette dans la Marosch. Marius Niger croit que Torda est la Tierna de Ptolémée.


TORDAGES. m. (Soierie) On appelle, en terme de manufacture d'étoffe de soie, le tordage de la soie, la façon qu'on lui donne en doublant les fils de soie sur le moulin, ce qui la rend en quelque maniere torse. (D.J.)


TORDÉSILLAS(Géog. mod.) en latin vulgaire, Turris-Sillana, ville d'Espagne au royaume de LÉon, sur la droite du Duero, à huit lieues au sud-ouest de Valladolid. On y compte six paroisses dépeuplées & quatre couvens. Son territoire abonde néanmoins en blé & en vin. Long. 13. 12. lat. 41. 38. (D.J.)


TORDIONS. m. terme de Danse ; c'est le nom qu'on a donné à une ancienne danse qui se dansoit avec une mesure ternaire. Après la basse danse & son retour, elle en faisoit comme la troisieme partie. Elle différoit seulement de la gaillarde, en ce qu'elle se dansoit bas, d'une maniere légere & promte ; & la gaillarde se dansoit haut, d'une mesure lente & pesante. Dict. de Trévoux.


TORDREv. act. (Gram.) Si un corps est fixe par un bout, & qu'en le tenant de l'autre, on le fasse tourner sur lui-même, on le tord. On le tord également, si on cherche à le faire tourner sur lui-même, en le tenant par les deux bouts qu'on mene en sens contraire. Si ce sont deux corps, il est évident que par cette action l'un se roulera & pressera sur l'autre.

TORDRE un cable, (terme de Cordier) Ce mot signifie joindre en un les cordons qui le doivent composer, ce qui se fait avec une espece de grand rouet, où sont attachés les cordons par un bout, tandis qu'ils tiennent de l'autre à une machine de bois à deux roues, chargée de plomb ou de pierres, qui étant mobile, & le rouet restant fixe, s'approche à-mesure que le cable s'appetisse en se tordant.

TORDRE la meche, (terme de Cirier & de Chandel.) c'est après qu'elle a été coupée de longueur & pliée en deux, en rouler les deux parties l'une avec l'autre, pour les tenir unies, quand on veut leur donner ou la cire ou le suif. (D.J.)

TORDRE, (Rubanerie) c'est l'action de joindre plusieurs brins d'or, d'argent ou de soie ensemble pour n'en former qu'un seul ; ce qui se fait en diverses façons, par le moyen du rouet à tordre & à détordre, dont la description se trouve jointe à la Planche qui le représente. Il y a plusieurs sortes de retords connus sous les noms de milanèse, graine d'épinars, cordons pour les galons à chaînette, retord pour les franges, guipures pour les livrées, cordonnets pour les agrémens, cordonnets à broder, cablés, grisettes, frisés pour le galon, la ganse ronde pour faire des boutonnieres mobiles or ou argent. Nous allons traiter ces différens ouvrages chacun séparément, en commençant par la milanèse.

La milanèse se fait ainsi : on tend une longueur, à volonté, de soie attachée d'un bout à la molette du pié-de-biche du rouet ; après cette attache, le retordeur s'en va à l'autre bout du jardin ; car tout le travail du retord ne se peut faire que dans de longs jardins, pour avoir quelquefois des longueurs de 60 à 70 toises ; on n'en fait guere de plus longues, parce que l'action du rouet ne pourroit se communiquer jusqu'au bout, outre que cette même longueur par son propre poids seroit sujette à traîner. Pendant que le retordeur s'en va à son but, les soies attachées se déroulent de dessus les rochets qui les contiennent, & qui sont dans les broches du rateau qu'il porte à la ceinture : pendant qu'il marche ainsi, le rouet est tourné modérément de droite à gauche ; lorsqu'il est arrivé au bout de la longueur proposée, il attache le bout des soies qu'il a amenées à l'émerillon du pié : cette longueur composée de plusieurs brins de soie, unis ensemble en telle quantité plus ou moins considérable, suivant la grosseur que doit avoir la milanèse, ne forme plus qu'un seul brin. Lorsque le retordeur connoît que cette longueur a acquis assez de retord, le rouet est arrêté ; il attache alors à l'émerillon un moyen retord de la même matiere, qui a été précédemment fait à part ; après quoi le rouet est tourné dans le même sens qu'auparavant ; le retordeur avance en approchant très-doucement du côté du rouet, & en conduisant avec les doigts de la main gauche la quantité de brins de soie, ce qui forme la premiere couverture de la premiere longueur, c'est-à-dire, que la soie qui s'y enroule actuellement par le mouvement du rouet, prend la figure spirale dont les trous sont à très-peu de distance les uns des autres. étant arrivé au rouet, le tourneur cesse, & le retordeur attache encore à la molette une autre quantité de brins de soie, mais de soie plus fine que celle dont il vient de faire les deux opérations ci-dessus expliquées ; & ce seront les seules soies que l'on verra, celles du fond ne formant qu'un corps, couvert seulement par celles-ci. Après cette attache, le retordeur s'en retourne pour aller rejoindre le pié, mais en marchant bien plus lentement qu'à la seconde fois, puisqu'il faut que les tours de cette derniere couverture soient si près-à-près, qu'aucune partie de ce qui est dessous ne paroisse ; ces tours sont arrangés de façon qu'ils forment une égalité parfaite qui dépend de l'exactitude de cette derniere couverture ; puisque s'il y avoit du vuide, on appercevroit le fond ; si au contraire les tours se trouvoient tellement entassés les uns sur les autres, l'ouvrage seroit difforme & employeroit trop de matiere. La milanèse se trouve ainsi achevée & dans sa perfection ; cette premiere longueur est ensuite relevée sur une grosse bobine à l'aide d'un rouet ordinaire, & on recommence : cette milanèse sert à embellir les ameublemens, à broder, à orner les têtes des franges, &c.

La graine d'épinars a tout un autre travail : il y a deux sortes de graines d'épinars ; celle en or ou argent, & celle en soie : elles ont chacune une façon d'être faite qui leur est particuliere : celle en or ou argent se fait ainsi. On attache à l'émerillon un brin de filé, de moyenne grosseur, appellé filé rebours, parce qu'il a été filé à gauche ; au-lieu que le filé appellé filé droit, a été filé à droite. On conduit ce brin de filé-rebours à la molette du pié-de-biche du rouet où il est attaché ; on y joint un autre brin de filé-droit, mais bien plus fin que le brin rebours : ce brin va servir par le moyen du tour à droite du rouet à couvrir le premier tendu, par des tours en spirale, comme la premiere couverture de la milanèse ; il est essentiellement nécessaire que les deux brins de filé, dont on vient de parler, aient été filés en sens contraire ; parce que s'ils l'étoient en même sens, le tord qu'on donne ici se trouvant au rebours du tord de l'autre, détordroit celui-ci, & feroit écorcher la lame : cette graine d'épinars sert à former la pente de certaines franges riches pour les carrosses d'ambassadeurs, pour les dais, pour les vestes, &c. La graine d'épinars en soie se fait d'une autre façon, qui est qu'on attache une quantité de brins de soie (contenue sur différens rochets qui sont à une banque posée sur le pié du rouet à retordre) à une des molettes du croissant LL du rouet. Cette branche attachée à la molette a ci-après est ensuite passée sur une coulette tournante b, que tient à sa main gauche le tourneur du rouet : après, cette même branche est passée sur une autre coulette tournante c, fixée en N sur le montant I du rouet, & encore passée sur une seconde coulette d, que tient encore le tourneur de la main droite ; il marche à reculons jusqu'à l'endroit fixé de la longueur, en déroulant à mesure les soies de la banque, par le moyen des coulettes qu'il tient à chaque main : on a par ce secours quatre longueurs d'une seule opération, comme on le voit dans la figure ci-après. Lorsque le tourneur est arrivé au bout de sa longueur, le retordeur qui est à-présent tourneur, coupe les soies de la banque e sur une lame de couteau fixée pour cet usage dans le montant I, & le bout coupé est attaché à la quatrieme molette du croissant. Les deux autres longueurs de la coulette c sont coupées le plus juste qu'il est possible au même couteau, & attachées à la deuxieme & troisieme molettes de ce croissant : le retordeur fait tourner lui-même le rouet à gauche, & donne le retord convenable ; après quoi il prend les mêmes soies de la banque, mais en plus petite quantité, qui est posée de la même façon sur les coulettes dont on a parlé ; puis coupées & attachées aux mêmes molettes, alors le rouet est tourné à droite : ce mouvement contraire opérant deux retords différens, forme ce qu'on appelle graine d'épinars en soie, pour faire la pente des franges & autres.

Cordon pour les galons à chaînettes est fait de-même ; excepté que les quatre longueurs ne sont point redoublées comme à la graine d'épinars. Ici les quatre longueurs étant attachées à leurs molettes, sont torses à droite convenablement ; après quoi elles sont unies ensemble en cette sorte : la branche de la deuxieme molette est unie à celle de la quatrieme, & celle de la troisieme à la premiere ; & le tourneur passant la branche de la coulette gauche sur la droite, le tout ne forme plus qu'une branche, mais double en longueur, quoiqu'attachée à deux molettes : on lui donne un second retord, mais à gauche ; & voilà le cordon fini qui sert à former les différentes chaînettes sur les galons des carrosses.

Le retord pour les franges, est fait de la même façon que le cordon ; à l'égard de la tension des quatre branches, voici ce qu'il y a de différent, les deux branches de la coulette du rouet sont coupées & attachées aux molettes 2 & 3 du croissant, puis retorses à droite. Après le retord suffisant, le rouet étant arrêté, les branches 2 & 3 sont nouées ensemble, & posées sur la coulette du rouet, & la quatrieme branche détachée de sa molette, est relevée au rouet à main sur une bobine. Ainsi ces quatre branches ne forment plus qu'une longueur ; mais ayant un noeud au milieu, ce retord servira à faire des franges pour les garnitures de carrosses, tours de jupes, &c.

Les guipures pour les livrées, se font en mettant certaine quantité de brins de soie du rateau à la molette du pié de biche ; le retordeur va à l'émerillon pendant que le rouet est tourné à droite. Après le retord requis, il attache la branche au crochet de l'émerillon : il prend un brin de grosse soie, & plusieurs de fine ; le gros brin est passé & conduit entre les doigts auriculaire & annulaire de la main gauche, & les brins de fine le sont, moitié d'abord par les doigts annulaire & me dius, puis l'autre moitié par le medius & l'index. Par conséquent le gros brin est toujours couché le premier sur la longueur tendue, puis recouvert tout de suite par les deux parties qui le suivent immédiatement ; desorte que ce que le gros brin fait à lui seul, par rapport à la distance des tours, les deux parties de soie fine le font à elles deux, au moyen de l'ouverture que l'on a fait remarquer. Arrivés à la molette, les brins sont coupés, le rouet tourné en sens contraire pour éviter le vrillage ; l'ouvrage est achevé. Cette guipure sert à orner les livrées, qui comme celle du roi, sont ornées de pareilles guipures.

Les cordonnets pour les agrémens se font ainsi. Premierement, le retordeur ayant attaché plusieurs brins de soie, pris au rateau qu'il a à la ceinture, à une molette du pié de biche, il va joindre l'émerillon, pendant que le rouet est tourné à droite, où étant arrivé, il attend que le retord soit suffisant ; puis faisant arrêter le rouet, il coupe cette longueur & l'attache au crochet de l'émerillon. Il prend une quantité de brins de soie, mais plus fine, & par conséquent plus belle, qu'il attache de même à ce crochet ; il fait tourner le rouet à droite, & conduit cette soie près-à-près, pour couvrir exactement la premiere longueur tendue, & étant arrivé à la molette, il coupe la soie & fait détordre ladite longueur, pour empêcher le vrillage ; cette longueur est relevée à l'ordinaire par le rouet à main. Ce cordonnet sert à faire quantité d'ouvrages de modes pour la parure des dames.

Les cordonnets à broder ont la même fabrique que celui dont on vient de parler, excepté que, aulieu de soie, ils sont faits de fil retord, autrement appellé fil d'Epinai ; la branche tendue étant de plus gros fil que celui qui la couvre à claire-voie, comme à la premiere couverture de la milanèse, ce cordonnet sert pour la broderie en linge.

Les cablés ont ceci de particulier : on prend trois brins de filé, or ou argent, qui sont contenus sur le rateau ; on les attache à trois molettes différentes du croissant. Y étant attachés, le retordeur va joindre l'émerillon, & coupe ces trois brins qu'il noue ensemble, & les attachant au crochet de l'émerillon, il passe les doigts de la main gauche entre ces trois branches, & fait tourner le rouet à droite. Ces trois brins s'unissent & se tordent ensemble derriere sa main, & pour lors l'émerillon tourne à gauche seulement dans ce seul ouvrage ; car dans tous les autres il tourne du même sens que le rouet. Etant arrivé au rouet, il quitte ces brins qu'il unit à la même molette, puis il envoie le tourneur arrêter l'émerillon pour l'empêcher de tourner, pendant que lui-même tourne le rouet à gauche suffisamment, & ensuite à droite pour éviter le vrillage. Le cablé sert à former des coquilles sur les bords du galon, & autres ouvrages qui se fabriquent dans ce métier.

Les grisettes, aussi pour les coquillages des bords du galon, se font de cette maniere. Le retordeur prend une quantité de brin des soies du rateau, qu'il attache à une molette du pié de biche, puis il fait tourner à gauche pendant qu'il va joindre l'émerillon. Y étant arrivé, & le rouet cessant de tourner, il coupe sa longueur & l'attache au crochet de l'émerillon. Il prend une quantité moins considérable de soie, mais bien plus fine, qu'il attache aussi au même crochet, & il fait encore tourner à gauche en recouvrant le dessous près-à-près, il arrive à la molette & fait cesser le rouet, ensuite il va à vuide à l'émerillon, où étant, il prend un brin de clinquant battu de son rateau, dont il couvre le tout près-à-près & sans aucun vuide. En allant joindre la molette du pié de biche, & ayant fait cesser le tournage, il retourne encore à vuide à l'émerillon, & prend un brin de soie très-fine qu'il attache encore au crochet de l'émerillon, & fait tourner le rouet à droite en s'en allant du côté de la molette. Ici ces tours de soie sont éloignés l'un de l'autre de l'épaisseur d'une ligne : cette derniere opération ne sert qu'à empêcher la lame du battu qui y a été mise auparavant, de s'écorcher ; ou si cela arrivoit, le brin de soie couché dessus, empêcheroit l'accident d'aller plus loin. Les grisettes servent à former le dedans des coquillages que l'on met sur les bords du galon.

Le frisé est fait de cette maniere : le retordeur prend une quantité de brins de soie sur le rateau, qu'il attache à la molette du pié de biche, & fait tourner à gauche en allant à l'émerillon, où lorsqu'il est arrivé, il coupe cette branche & l'attache au crochet ; ensuite faisant venir le tourneur à l'émerillon pour le retenir, le retordeur va à la molette, & attachant une quantité moins considérable de la même soie à la molette, il s'en retourne joindre l'émerillon en conduisant les soies le long de la longueur déjà tendue. Il reprend l'émerillon de la main du tourneur, qui s'en va à son tour à la molette, & tourne le rouet à droite. La diversité de ces deux différens tournages fait que la premiere longueur tendue couvre la seconde, ce qui forme une spirale parfaite dans toute cette longueur. Ensuite le retordeur attache une lame de clinquant battu au crochet de l'émerillon, & fait tourner à droite. Cette lame remplit juste les cavités de cette spirale, & laisse appercevoir la soie de couleur qui forme avec le battu une variété agréable. Le frisé sert de trame pour enrichir les rubans figurés, & les galons à plusieurs navettes.

La ganse ronde a cette maniere de se faire : on prend sur le rateau telle ou telle quantité de brins de filé, que l'on attache à la molette du pié de biche. Le retordeur tend sa longueur sans faire tourner le rouet, & étant arrivé au bout de cette longueur, il fait tourner le rouet à droite en tenant le bout de la longueur. Lorsqu'il apperçoit qu'elle a acquis le retord convenable, il fait venir le tourneur qui apporte deux coulettes, dont le retordeur prend une de la main gauche, tenant toujours le bout de la longueur de la droite ; il passe la branche sur la coulette, & tient toujours des mêmes mains ; puis le tourneur passe l'autre coulette entre celle du retordeur, & le bout tenu par la main droite, le tourneur va joindre (avec cette coulette qui porte la branche) la molette, le retordeur le suit à mesure & suivant le besoin, avec ceci de particulier, que le tourneur avance en vîtesse triple de celle du retordeur qui le suit. Le tourneur arrivé à la molette, attache la double branche qu'il a apportée, à la molette où est déjà attaché le bout par lequel on a commencé. Par ce moyen cette branche est triplée ; le retordeur de son côté joint ensemble les trois extrêmités qu'il tient. Alors la coulette lui devient inutile ; elle n'a servi, ainsi que celle du tourneur, que pour la conduite de ces branches avant leur jonction. Tout cela étant fait, le rouet est tourné à gauche jusqu'au retord suffisant pour cette liaison. Cette ganse ainsi achevée, sert à faire des boutonnieres pendantes sur les habits de certains régimens qui ont ces boutonnieres dans leur uniforme.

TORDRE, (Rubanier) maniere d'ajouter une piece de même contenance, au bout d'une autre piece qui finit : voici comme cela se fait. L'ensouple étant à sa place sur les potenceaux, & chargée de son contre-poids dont la charge est à terre, au moyen de ce qu'on a lâché la contre-charge, le bout de la piece qui finit reste dans l'inaction du côté des lisses, jusqu'à-ce que prenant l'un & l'autre bout de chaque piece, & les nouant ensemble par un seul noeud, on laisse un peu de lâche pour l'opération qui va suivre. Il faut prendre le brin de soie qui doit aller le premier, & qui est toujours du côté gauche du métier, pour recevoir aussi toujours sur la droite, il faut le prendre, dis-je, conjointement avec celui qui le doit accompagner, & qui se trouve, savoir celui de la piece nouvelle, par le moyen de l'encroix, & celui de l'ancienne, par le moyen de la lisse. On glisse le pouce & le doigt index de la main gauche par derriere le noeud commun, entre lui & le brin à tordre ; de cette maniere le pouce se trouve du côté des lisses, & l'index du côté de la nouvelle piece. Ces deux doigts se joignent auprès du noeud, & lorsqu'ils y sont arrivés, ils cassent chacun leur bout de soie, le plus près de ce noeud qu'il est possible. Ce noeud est tenu en respect par la main droite, pour donner plus de facilité à la rupture en question ; ces deux bouts se trouvant ainsi arrêtés entre les deux mêmes doigts, & en les tenant bien ferme, on les tortille assez fortement, puis on renverse l'extrêmité tortillée sur la partie du brin qui est vers les ensouples de derriere, où étant on tortille à-present le tout ensemble, ce qui rend ce brin triple à cet endroit, qui par ce moyen acquiert assez de solidité pour ne se plus désunir, & ainsi de chacun des autres. Voici la raison pour laquelle il a été dit qu'il falloit renverser l'extrêmité tortillée vers les ensouples de derriere ; si on faisoit le contraire, on doit prévoir que lorsqu'il faudroit que tous ces brins, ainsi tords, passassent à-travers les lisses, ils présenteroient leurs extrêmités, qui se rebroussant, rendroient ce passage impossible ; au-lieu que présentant le talon, le passage en devient facile, puisqu'il suit naturellement. Après que tous les brins ont été ainsi tordus, il est sensible qu'ils ont tous la même tension, puisque chaque tord vient à l'égalité de celui qui le précede. Cela fait, on remet le contrepoids en charge ; & c'est alors que le tout est en état de travailler comme auparavant. Il faut remarquer que l'endroit où s'est fait le tord dont on parle, est actuellement entre les lisses & l'encroix de la nouvelle piece. On entend par cet encroix le fil passé dans la chaîne, pour en conserver l'encroix, Voyez OURDIR. Quand il sera question que le tout passe à-travers les lisses, il faudra agir avec précaution lorsque l'on tirera la tirée, & prendre garde en tirant doucement, si quelques-uns de ces brins ne se désunissent pas en se détortillant, & y remédier sur le champ si cela arrivoit : même précaution à prendre lorsque le tout passera dans le peigne. Il est des cas où l'on emploie cette partie de chaîne, ainsi torse ; pour lors c'est où l'habileté de l'ouvrier se fait appercevoir, en sauvant l'inégalité & la saleté que ces soies ont acquises en passant par ses doigts. Il est vrai que quelque précaution qu'il prenne, l'ouvrage est toujours un peu difforme, & au moins terne à cet endroit ; ce que l'on éviteroit, si interrompant l'ouvrage à l'endroit de la jonction, on laissoit un intervalle convenable avant de recommencer le travail.


TORDYLIUMS. m. (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleur en rose & en ombelle, composée de plusieurs pétales inégaux qui ont la forme d'un coeur, & qui sont disposés en rond, & soutenus par un calice. Ce calice devient dans la suite un fruit presque rond, composé de deux semences applaties, bordées, & ordinairement dentelées : ces semences quittent aisément leur enveloppe. Tournefort, instit. rei herb. Voyez PLANTE.

Tournefort établit cinq especes de ce genre de plante ; celle de nos climats se nomme vulgairement seseli de Candie, c'est le tordylium narbonense minus, I. R. H. 320.

Sa racine est menue, simple, blanche ; elle pousse une tige à la hauteur d'environ deux piés, cannelée, velue, rameuse ; ses feuilles sont oblongues, arrondies, dentelées en leurs bords, velues, rudes, rangées par plusieurs paires le long d'une côte, & attachées à de longues queues. Ses fleurs naissent aux sommités de la tige & des branches en ombelles, composées chacune de cinq pétales blanches, disposées en fleur de lys, avec autant d'étamines capillaires. Quand ces fleurs sont passées, il leur succede des semences jointes deux à deux, arrondies, applaties, relevées d'une bordure taillée en grain de chapelet, odorantes, un peu âcres, approchantes du goût de celui de la carotte sauvage.

Cette plante croît abondamment en Languedoc sur les bords des vignes, le long des chemins, & dans les blés ; on la cultive dans les jardins ; elle fleurit en Juin, & mûrit sa semence plus tôt ou plus tard, selon les pays plus ou moins chauds. (D.J.)

TORDYLIUM oriental, (Botan.) plante nommée sisarum syriacum, par Ray, hist. I. 443. sisarum alterum syriacum, par K. theat. 945. apium syriacum, radice eduli. hist. oxon. III. 292. Racine tendre, lisse, grise en-dehors, blanche en-dedans, cassante, grosse comme le doigt ; mais deux fois aussi longue, & garnie de noeuds ou de tubercules de place en place. Elle a un goût agréable, comme celui de la carotte ; de cette racine naissent une multitude de feuilles dentelées très-menues ; ces tiges sont couvertes aux jointures de pareilles feuilles, & ont leurs sommités ornées d'une ombelle de fleurs jaune-pâles. Cette racine croît d'elle-même au grand Caire en Egypte, & à Alep en Syrie ; il paroît que c'est le secacul Arabum conformément à l'idée de Rauwolff. (D.J.)


TORES. m. (Archit.) grosse moulure ronde, servant aux bases des colonnes. Ce mot vient du grec toros, un cable, dont il a la ressemblance. On le nomme aussi tondin, boudin, gros bâton & bosel.

Tore corrompu. Tore dont le contour est semblable à un demi-coeur. Les Maçons & les Menuisiers nomment cette mesure brayette ou brague de Suisse.

Tore inférieur. C'est le plus gros tore d'une base attique ou corinthienne ; & tore supérieur, le plus petit.

On embellit souvent le tore de feuillages entortillés, parsemés de spheres planes, de roses, d'oeufs de serpens, &c. sa saillie est égale à la moitié de sa hauteur. (D.J.)


TOREÉRALA, (Géog. mod.) riviere d'Espagne en Catalogne. Elle se jette dans la Méditerranée, entre Barcelone & Palamos. (D.J.)


TORETAE(Géog. anc.) peuples du Pont, selon Pline, l. VI. c. v. & Etienne le géographe. Strabon, l. II. p. 496. écrit Torcatae, ainsi que Pomponius Méla, l. I. c. xix. (D.J.)


TOREUMATOGRAPHIES. f. terme technique, ce mot dérivé de deux mots grecs veut dire la connoissance des basses-tailles & des reliefs antiques. On doit l'invention de la Toreumatographie à Phidias, & sa perfection à Policlete. Les célebres Graveurs d'Italie ont donné un beau jour à cette science. (D.J.)


TORGALF(Géog. mod.) riviere de l'empire russien, en Sibérie, au pays des Samoyedes. Elle se jette dans le Jéniscéa. (D.J.)


TORGAU(Géog. mod.) ville d'Allemagne, dans le cercle de la haute-Saxe, sur la gauche de l'Elbe, à 10 lieues au nord-est de Leipsick. Les Hussites la brûlerent par représailles en 1429, & elle ne s'est pas relevée de ce malheur. Long. 30. 48. latit. 51. 36.

Horstius (Jacques & Grégoire) oncle & neveu, tous deux natifs de Torgau, se sont distingués dans la Médecine, ainsi que tous ceux de leur famille.

Jacques, né en 1537, & mort en 1592, fut non-seulement grand médecin, mais eut l'honneur d'être sept fois bourguemestre dans sa patrie. Il publia des lettres, epistolae philosophicae & medicinales, qui contiennent de très-bonnes choses ; mais il étoit trop crédule, & se laissa lourdement tromper à la prétendue dent d'or ; si vous voulez savoir comment on reconnut cette imposture, vous n'aurez qu'à lire M. Van-Dale au dernier chapitre du premier livre de oraculis, page 423, édit. 1700.

Grégoire Horstius se fit une telle réputation par la pratique de la Médecine, qu'on l'appelloit l'Esculape de l'Allemagne. On dit qu'il possédoit les trois qualités d'un bon médecin, la probité, la doctrine & le bonheur. Il publia beaucoup de livres, & eut deux fils qui marcherent sur ses traces. Il mourut de la goutte en 1636, âgé de 58 ans. (D.J.)


TORIGNI(Géogr. mod.) petite ville, ou, pour mieux dire, bourg de France, dans la basse Normandie, sur un ruisseau, à trois lieues au-dessus de S. Lô. Long. 16. 34. latit. 49. 10.

Callieres (François de) natif de Torigni d'une famille noble, fut reçu de l'académie françoise en 1689, & se distingua dans les négociations. Louis XIV. le nomma plénipotentiaire au congrès de Riswick. A son retour, il obtint une gratification de dix mille livres, avec la place de secrétaire du cabinet. Il se fit honneur par deux ouvrages, l'un de la maniere de négocier avec les souverains, & l'autre de la science du monde. Il mourut en 1717, à 72 ans. (D.J.)


TORMENTILLES. f. tormentilla, (Hist. nat. Botan.) genre de plante à fleur en rose, composée de quatre pétales disposés en rond ; le calice de cette fleur est d'une seule feuille & profondément découpé, il a la forme d'un bassin ; le pistil sort de ce calice, & devient dans la suite un fruit presque rond, qui renferme beaucoup de semences réunies en une sorte de tête, & enveloppées par le calice. Ajoutez aux caracteres de ce genre que les feuilles excedent le nombre de trois, & qu'elles tiennent à l'extrêmité du pédicule. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.

Tournefort nomme pour la premiere des cinq especes de ce genre de plante la tormentille sauvage, tormentilla sylvestris, I. R. H. 298. Elle pousse en terre une racine vive ou tubercule, de la grosseur du doigt ou plus, quelquefois raboteux, tantôt droit, tantôt oblique, de couleur obscure en-dehors, rougeâtre en-dedans, garni de fibres, & d'un goût astringent ; ses tiges sont grêles, foibles, velues, rougeâtres, longues d'environ un pié, ordinairement courbées & couchées par terre, entourées par intervalle de feuilles semblables à celles de la quinte-feuille, velues, rangées d'ordinaire au nombre de sept sur une queue. Ses fleurs sont composées chacune de quatre pétales jaunes, disposées en rose, soutenues par un calice fait en bassin découpé en huit parties, quatre grandes & quatre petites, placées alternativement avec seize étamines dans le milieu. Lorsque ces fleurs sont tombées, il leur succede des fruits sphéroïdes qui contiennent plusieurs semences menues, oblongues. Cette plante croît presque par-tout, aux lieux sablonneux, humides, herbeux, dans les bois & dans les pâturages maigres : elle fleurit en Mai, Juin & Juillet. Sa racine est astringente.

La tormentille des Alpes, tormentilla alpina major, differe de la précedente en ce que sa racine est plus grosse, mieux nourrie, plus rouge & plus remplie de vertu. On nous envoie cette racine seche, on doit la choisir récente, nourrie, grosse, nette, entiere, mondée de ses filamens, compacte, bien séchée, de couleur brune en-dehors, rougeâtre en-dedans, d'un goût astringent. (D.J.)

TORMENTILLE, (Mat. méd.) ce n'est que la racine de cette plante qui est d'usage en Médecine. Quoique cette plante croisse dans toutes les provinces du royaume, on ne se sert presque cependant que d'une racine de tormentille qu'on nous envoie seche des Alpes, & qu'on doit choisir récente, bien séchée, compacte, de couleur brune en-dehors, rougeâtre en-dedans, d'un goût styptique.

Cette racine est une des substances végétales, douées de la vertu astringente vulnéraire, qu'on emploie le plus communément dans l'usage intérieur. On la fait entrer à la dose de demi-once jusqu'à une once par pinte de liqueur dans les tisanes astringentes, qu'on prescrit dans certains cours-de-ventre opiniâtres, dans les hémorrhagies, les fleurs blanches, les flux séreux qui suivent quelquefois les gonorrhées virulentes, &c. on la fait entrer aussi en substance à la dose d'un demi-gros ou d'un gros dans les opiates astringentes destinées aux mêmes maladies, ou on la donne seule dans un excipient convenable pour remplir les mêmes indications, & même contre les flux dyssentériques, selon quelques auteurs. L'extrait de tormentille à la dose d'un gros ou de deux possede aussi à-peu-près les mêmes vertus, quoique les extraits des substances végétales astringentes souffrent une altération considérable dans la préparation, qu'il s'en sépare une matiere terreuse qui contribue vraisemblablement à leur vertu, comme il a été dit de certaines écorces à l'article EXTRAIT, Chymie, Pharmacie, &c. Voyez cet article.

La racine de tormentille réduite en poudre s'emploie aussi quelquefois extérieurement dans le traitement des plaies & des ulceres, sur lesquels on la répand pour les dessécher ; mais cette pratique est peu reçue. La décoction des racines de tormentille tenue dans la bouche, passe pour soulager très-efficacement la douleur des dents.

Cette racine entre dans le diascordium, la poudre astringente, les pilules astringentes, & la décoction astringente de la pharmacopée de Paris, dans l'huile de scorpion composée, dans l'emplâtre styptique, &c. son extrait entre dans la thériaque céleste. (b)


TORMESLA, (Géog. mod.) en latin Tormes, riviere d'Espagne, au royaume de LÉon. Elle prend sa source dans la vieille Castille au Puerto de Pico, entre dans le royaume de LÉon, & s'accroît de plusieurs rivieres avant que de se rendre dans la mer. (D.J.)


TORMINALS. m. (Hist. nat. Botan.) nom vulgaire du mespilus apii folio, sylvestris, spinosa, sive oxicantha, de nos Botanistes ; on appelle communément cet arbrisseau aubépine. Voyez AUBEPINE. (D.J.)


TORNou TORNAW, (Géog. mod.) comté de la haute Hongrie. Il est borné au nord par le comté de Liptow ; au midi, par celui de Borsod ; au levant, par celui d'Ungwar ; & au couchant, par celui de Zoll. Son chef-lieu porte le même nom. (D.J.)


TORNADGI-BACHIS. m. terme de relation, officier de chasse dans la maison du grand-seigneur. Il a l'intendance sur les gens qui ont soin des lévriers de sa hautesse. (D.J.)


TORNATES(Géogr. anc.) peuple de la Gaule aquitaine, au dire de Pline, l. IV. c. xix. Ce peuple, selon M. de Valois, habitoit un lieu nommé encore aujourd'hui Tournay dans le Berri. (D.J.)


TORNE-LAP-MARCK(Géog. mod.) contrée de la Laponie suédoise. Cette contrée est partagée en dix territoires ou biars. (D.J.)


TORNÉou TORNÉO, (Géog. mod.) nom commun à une ville, à un lac & à une riviere de la Laponie suédoise. La petite ville de Tornéa, dit M. de Maupertuis dans son discours de la figure de la terre, avoit l'air affreux lorsque nous y arrivâmes. Ses maisons basses se trouvoient enfoncées jusque dans la neige, qui auroit empêché le jour d'y entrer par les fenêtres, s'il y avoit eu du jour ; mais les neiges toujours tombantes ou prêtes à tomber, ne permettoient presque jamais au soleil de se faire voir, sinon pendant quelques momens dans l'horison vers midi. Le froid fut si grand dans le mois de Janvier, que les thermometres de mercure, de la construction de M. de Réaumur, descendirent à 37 degrés, & ceux de l'esprit-de-vin gelerent.

Lorsqu'on ouvroit la porte d'une chambre chaude, l'air de dehors convertissoit sur le champ en neige la vapeur qui s'y trouvoit, & en formoit de gros tourbillons blancs : lorsqu'on sortoit, l'air sembloit déchirer la poitrine ; les bois, dont toutes les maisons sont bâties, se fendoient avec bruit ; la solitude regnoit dans les rues, & l'on y voyoit des gens mutilés par le froid. Quelquefois il s'éleve tout-à-coup des tempêtes de neige, qui exposent à un grand péril ceux qui en sont surpris à la campagne ; en vain chercheroit-on à se retrouver par la connoissance des lieux ou des marques faites aux arbres, on est aveuglé par la neige.

Si la terre est horrible alors dans ces climats, le ciel présente aux yeux les plus charmans spectacles. Dès que les nuits commencent à être obscures, des feux de mille couleurs & de mille figures éclairent le ciel, & semblent vouloir dédommager cette terre, accoutumée à être éclairée continuellement, de l'absence du soleil qui la quitte.

La ville de Tornéa a un port, où les Lapons viennent troquer leurs pelleteries contre des denrées & des armes. Long. 41. 55. latit. 65. 40. 6.

Le lac de Tornéa est traversé par la riviere de même nom, d'occident en orient ; cette riviere a sa source aux confins de la Laponie danoise & suédoise, ensuite, après avoir reçu dans son cours les eaux de quelques lacs & rivieres, elle se jette dans le golfe de Bothnie, près de la ville de Tornéa. (D.J.)


TORNEBOUT(Musiq. instr.) instrument de musique à vent qui a dix trous, & qui s'embouche comme le haut-bois d'une anche ; les villageois en faisoient autrefois usage en Angleterre. (D.J.)


TORNOVO(Géog. mod.) ville de la Turquie européenne, dans le Coménolitari, sur le bord de la Sélampria, à dix milles au nord-ouest de Larisse, dont son évêché est suffragant. Les Turcs y ont trois mosquées, & les Grecs quelques églises. Long. 40. 25. latit. 39. 52. (D.J.)


TOROS. m. (terme de relation) c'est le mets le plus délicieux des Issinois. Il se fait du fruit du palma prunifera, lequel fruit est gros comme une prune. Après l'avoir mis en monceau pour le laisser mûrir, ils le concassent dans un mortier de bois, l'arrosent d'eau chaude, le pressent, & en tirent une liqueur grasse dans laquelle ils font cuire leur poisson avec du sel & du piment. (D.J.)

TORO ou TAURO, (Géog. mod.) ville d'Espagne, au royaume de LÉon, sur le Duero, entre Zamora au couchant, & Tordesillas au levant, au bout d'une belle plaine. Elle a vingt-deux paroisses dépeuplées, sept couvens d'hommes, cinq de filles, quatre hôpitaux & un château. La collégiale qui a été autrefois cathédrale, est composée d'un abbé & de seize chanoines. Les états s'y sont tenus quelquefois. Elle est célebre par la bataille de 1476, qui assura la couronne de Castille à Ferdinand, prince d'Aragon. Long. 12. 45. latit. 41. 38.

C'est ici que le comte-duc d'Olivarès, premier ministre d'Espagne, se retira dans sa disgrace. Le gouvernement du royaume remis par Philippe IV. entre ses mains pendant vingt-deux ans ne fut qu'un enchaînement de malheurs. Ce prince perdit le Roussillon par le manque de discipline de ses troupes, le Brésil par le délabrement de sa marine, & la Catalogne par l'abus de son pouvoir ; on vit par la révolution du Portugal combien une domination étrangere est odieuse, & en même tems combien peu le ministere espagnol avoit pris de mesures pour conserver tant d'états.

" On vit aussi (ajoute M. de Voltaire), comme on flatte les rois dans leurs malheurs, comme on leur déguise des vérités tristes. La maniere dont Olivarès apprit à Philippe IV. la perte du Portugal, est célebre : je viens vous annoncer, dit-il, une heureuse nouvelle ; Votre Majesté a gagné tous les biens du duc de Bragance ; il s'est avisé de se faire proclamer roi, & la confiscation de ses terres vous est acquise par son crime. La confiscation n'eut pas lieu. Le Portugal devint un royaume considérable, sur-tout lorsque les richesses du Brésil & les traités avec l'Angleterre rendirent son commerce florissant.

Le comte-duc d'Olivarès, longtems le maître de la monarchie espagnole & l'émule du cardinal de Richelieu, fut disgracié pour avoir été malheureux. Ces deux ministres avoient été longtems également rois, l'un en France, l'autre en Espagne ; tous deux ayant pour ennemis la maison royale, les grands & le peuple, tous deux très-différens dans leurs caracteres, dans leurs vertus & dans leurs vices ; le comte-duc, aussi réservé, aussi tranquille & aussi doux que le cardinal étoit vif, hautain & sanguinaire. Ce qui conserva Richelieu dans le ministere, & ce qui lui donna presque toujours l'ascendant sur Olivarès, ce fut son activité. Le ministre espagnol perdit tout par sa négligence ; il mourut de la mort des ministres déplacés ; on dit que le chagrin les tue ; ce n'est pas seulement le chagrin de la solitude après le tumulte, mais celui de sentir qu'ils sont haïs, & qu'ils ne peuvent se venger. Le cardinal de Richelieu avoit abrégé ses jours d'une autre maniere, par les inquiétudes qui le dévorerent dans la plénitude de sa puissance "

Au reste le roi d'Espagne alloit rappeller le duc d'Olivarès, si ce ministre n'eût pas précipité sa disgrace ; mais ayant voulu se justifier par un écrit public, il offensa plusieurs personnes puissantes, dont le ressentiment fut tel, que le roi ne songea plus qu'à le laisser à Toro où il mourut en 1640, de chagrin, comme il arrive ordinairement aux ministres qui ne savent pas jouir de ce repos heureux qu'on ne connoit point à la cour.

Philippe IV. en disgraciant le comte-duc d'Olivarès, n'y gagna que le beau jardin de ce favori dans le voisinage de Madrid ; encore ce jardin couta-t-il cher au roi ; car il y dépensa plusieurs millions. On l'appelle aujourd'hui Buen-Retiro. (D.J.)

TORO, (Géog. mod.) île de la mer Méditerranée, sur la côte méridionale de la Sardaigne, dont elle est à dix milles, à cinq de l'île Vacca, & environ à quatre de l'île Boaria. (D.J.)


TOROELLA(Géog. mod.) ville ou plutôt bourg d'Espagne, dans la Catalogne, sur la rive septentrionale du Ter, près de son embouchure dans la Méditerranée. Les François y remporterent la victoire sur les Espagnols le 27 de Mai 1694. Long. 20. 48. latit. 41. 52. (D.J.)


TORONAEUS-SINUS(Géog. anc.) golfe de la mer Egée, sur la côte de la Macédoine, & séparé des golfes Singitique & Thermée par deux grandes péninsules. Ce golfe avoit pris son nom de la ville Torone qui étoit bâtie sur son rivage. (D.J.)


TORONE(Géog. anc.) 1°. ville de l'Epire, selon Ptolémée, liv. III. c. xiv. Niger appelle cette ville Parga.

2°. Torone, ville de la Macédoine, sur le golfe Toronaïque auquel elle donne son nom. Le périple de Scylax, Diodore de Sicile, Thucydide & la plûpart des anciens parlent de cette ville.

3°. Torone, ville bâtie après la ruine de Troye, selon Etienne le géographe, qui ne dit point en quel endroit elle fut bâtie. (D.J.)


TORONS(terme de Corderie) ce sont des faisceaux composés d'autant de fils qu'on en a besoin, pour former les cordons d'un cordage un peu gros, & qui ont été tortillés par l'action du rouet.

Pour former les torons, on prend autant de fils qu'on croit en avoir besoin pour faire un cordon d'une grosseur proportionnée à celle qu'on veut donner à la corde ; on étend ces fils également, & on les tord ensemble au moyen du rouet ; ensuite on prend le nombre qu'on veut de ces torons pour les commettre ensemble & en fabriquer un cordage. Voyez l'article de la CORDERIE.


TORPIDI(Géog. anc.) peuples de Thrace, au voisinage de la ville de Philippes, du côté de l'orient, dans des détroits de montagnes que les Sapéens & eux occupoient. (D.J.)


TORPILLES. f. (Hist. nat. Ichthyolog.) l'engourdissement causé par ce poisson est une de ces merveilles qui ont cours depuis plusieurs siecles, qui ont été souvent célébrées, & que les esprits-forts en physique ont été tentés de ne pas croire ; en effet plusieurs anciens & modernes ont parlé de cet engourdissement avec des exagérations révoltantes. D'autres au contraire qui ont vu & manié ce poisson dans certaines circonstances, sans en ressentir d'engourdissement, en ont parlé comme d'un fait fabuleux ; mais il n'a plus été permis d'en revoquer en doute la réalité, après les témoignages de Lorenzini, de Rédi & de Borelli ; quelque certain néanmoins que soit le fait, la cause n'en est pas évidente. On n'est point d'accord d'où dépend la stupeur que produit cet animal dans ceux qui le touchent, en quoi consiste précisément cette stupeur, & quelles sont les circonstances qui l'accompagnent. Entre les physiciens qui en ont écrit, les uns font imaginer l'engourdissement beaucoup plus fort, les autres beaucoup plus foible ; les uns veulent que le poisson ne l'opere que lorsqu'on le touche immédiatement ; d'autres prétendent que sa vertu soit même à craindre de loin. Nous verrons à quoi l'on peut s'en tenir sur cette matiere, après une courte description du poisson même.

Description de la torpille mâle & femelle. On la nomme torpille sur les côtes de Provence, tremble sur les côtes de Poitou, d'Aunis & de Gascogne. Les Anglois l'appellent the cramp-fish, & les Italiens torpilla. On sait que torpedo est le mot latin que lui donnent tous les anciens à commencer par Ciceron. Les modernes en font de même ; Aldrovand. de pisc. 415. Rondelet de pisc. 1. 358. Charleton pisc. 9, Salvianus de aquatilibus 142, Belon de aquat. 988, Rai ichth. 81, Synops. pisc. 28, &c.

Il suffiroit pour suggérer une idée de la torpille à ceux qui ne la connoissent point, de leur dire que c'est un poisson plat tout semblable à la raie, ou plutôt une espece de raie. Elle est mise au nombre des poissons plats & cartilagineux avec le turbot, la sole & la pastenaque. Son corps est à-peu-près rond, si on ôte la queue ; sa tête est tellement enfoncée entre ses épaules, qu'elle ne paroît aucunement. Elle a deux petits yeux & deux trous en forme de croissant toujours ouvert, une petite bouche garnie de dents aiguës, & au-dessus deux pertuis qui lui servent de naseaux. Elle a cinq ouies de chaque côté, & deux aîles sur la queue. La peau de dessus est molle, déliée, blanchâtre, celle de dessous jaunâtre, tirant sur la couleur du vin. Il y en a qui ont sur le dos des taches noires, rondes, disposées en pentagone, ou sans ordre.

On connoit plusieurs especes de torpilles ; nous ne nous arrêterons point à les décrire ; c'est assez d'observer que la petite espece pese peut-être six onces, tandis que celles de la grande vont depuis 18 jusqu'à 28 livres. On en voit communément sur nos côtes, qui ont un pié & demi de long ; on en pêche aussi quelquefois de plus grandes. Ce poisson se met au rang des vivipares, quoiqu'il ait des oeufs. On trouve sa figure dans la plûpart des auteurs que j'ai cités ci-dessus, & en particulier dans l'excellent traité sur ce poisson par Lorenzini, imprimé à Florence en 1678 ; Rédi a fait de son côté une exacte description d'une torpille femelle qui pesoit 15 livres, & qu'on lui apporta vivante ; il remarque entr'autres particularités, que son coeur qui n'avoit qu'une oreillette, continua ses battemens sept heures après avoir été séparé du corps, & que cette torpille donna des signes manifestes de mouvement & de sentiment trois heures après qu'on lui eût arraché le coeur. Ses yeux étoient élevés en-dehors comme deux petites bouteilles malfaites, & sa prunelle n'étoit pas ronde ; elle avoit deux ovaires ou deux pépinieres d'oeufs attachées immédiatement aux deux lobes du foie. Il y avoit dans chacune de ces pépinieres plusieurs oeufs, dont les cinq plus gros pesoient chacun environ une once. C'en est assez pour faire connoître la torpille européenne ; venons aux effets qu'elle produit sur ceux qui la touchent, & à la cause dont ils dépendent.

De l'engourdissement que produit la torpille. Quand on touche la torpille avec le doigt, il arrive assez souvent qu'on sent une espece d'engourdissement douloureux dans la main & dans le bras jusqu'au coude, & quelquefois jusqu'à l'épaule. Sa plus grande force est dans l'instant qu'il commence ; il dure peu, diminue insensiblement, & se dissipe au bout de quelque tems. Il ressemble à cette sensation douloureuse qu'on éprouve dans le bras, lorsqu'on s'est frappé le coude un peu rudement contre quelque corps dur.

Si l'on ne touche point le tremble, quelque près qu'on en ait la main, on ne sent jamais rien ; si on le touche avec un bâton, on sent très-peu de chose ; si on le touche par l'interposition de quelque corps mince, l'engourdissement est assez considérable ; si on le presse en appuyant avec force, l'engourdissement en est moindre, mais toujours assez considérable pour obliger à lâcher prise ; si on le touche quand il est mort, il ne survient aucune stupeur. Mais comment ce poisson, quand il est en vie, opere-t-il l'engourdissement dont nous parlons ? c'est ce qu'il s'agit de rechercher.

Explication de la cause de cet engourdissement. On a entrepris jusqu'ici d'en rendre raison par deux explications différentes ; car il ne faut compter pour rien la plus ancienne explication, qui donne à la torpille une vertu torporifique ; si on peut compter cette opinion pour quelque chose, ce n'est qu'en cas qu'on veuille la faire revenir au même que la premiere des deux opinions ; je veux dire qu'en cas qu'on la confonde avec celle qui prétend que l'effet que produit la torpille, dépend d'une infinité de corpuscules qui sortent continuellement de ce poisson, & plus abondamment dans certaines circonstances que dans d'autres. C'est l'opinion qu'ont adoptée MM. Rédi, Perrault & Lorenzini. Ils croyent que, comme le feu envoie une quantité de corpuscules propres à nous échauffer, de même la torpille envoie quantité de petits corps propres à engourdir la partie dans laquelle ils s'insinuent, soit parce qu'ils y entrent en trop grande quantité, soit parce qu'ils trouvent des routes peu proportionnées à leur figure.

La seconde explication est de Borelli ; sur son simple exposé, elle sera plus du goût des méchaniciens. Il regarde l'émission des corpuscules comme imaginaire ; il dit que lorsqu'on touche ce poisson, il est agité lui-même d'un si violent tremblement, qu'il cause dans la main qui le touche, un engourdissement douloureux. M. de Réaumur a eu beau examiner la torpille dans le tems qu'elle se venge d'être touchée, il n'a pu lui voir aucun mouvement, aucune agitation sensible ; mais il est vrai qu'il se fait alors sur la surface de son corps un changement qui est la cause de l'engourdissement ; voici en quoi consiste ce changement.

La torpille, comme tous les poissons plats, n'est pas néanmoins absolument plate ; son dos ou plutôt tout le dessus de son corps, est un peu convexe ; pendant qu'elle ne produit, ou ne veut produire aucun engourdissement dans ceux qui la touchent, son dos garde la convexité qui lui est naturelle ; mais quand elle veut se disposer à agir, elle diminue insensiblement la convexité des parties de son dos, & les applatit ; quelquefois de convexes qu'elles sont, elle les rend concaves ; c'est précisément dans l'instant suivant qu'on se sent frappé de l'engourdissement.

On voit bien la surface convexe de ce poisson devenir plate ou concave par degrés, mais on ne la voit point devenir convexe ; on voit seulement qu'elle est redevenue telle quand on en est frappé ; on n'apperçoit pas le passage de l'un à l'autre état ; peut-être que le mouvement d'une balle de mousquet n'est guere plus promt que celui des chairs de cet animal, qui reprennent leur premiere situation ; l'un du moins n'est pas plus aisé à appercevoir que l'autre. C'est de ce coup si subit que naît l'engourdissement qui saisit le bras ; voilà la cause du fait ; il s'agit maintenant de considérer le merveilleux arrangement des ressorts que la nature a employés pour produire cet effet. M. de Réaumur a développé cette admirable méchanique.

Elle dépend de deux muscles fort singuliers qui ont été décrits par ceux qui ont donné l'anatomie de la torpille. Rédi & Lorenzini les nomment musculi falcati, muscles faits en maniere de faulx. Concevons la torpille partagée en longueur depuis la tête jusqu'à la queue ; deux grands muscles égaux & pareils qui ont une figure de faulx, l'un à droite, l'autre à gauche, occupent la plus grande partie de son corps, en naissant où la tête finit, & en se terminant où la queue commence. Leurs fibres sont elles-mêmes bien sensiblement des muscles ; ce sont des tuyaux cylindriques, gros comme des plumes d'oie, disposés parallelement, tous perpendiculaires au dos & au ventre, conçus comme deux surfaces paralleles, ainsi qu'ils le sont à-peu-près ; enfin divisés chacun en 25 ou 30 cellules, qui sont aussi des tuyaux cylindriques de même base & de moindre hauteur que les autres, & qui sont pleins d'une matiere molle & blanche.

Quand l'animal s'applatit, il met toutes ces fibres en contraction, c'est-à-dire qu'il diminue la hauteur de tous ces cylindres, & en augmente la base ; quand ensuite il veut frapper son coup, il les débande toutes ensemble, & en leur rendant leur premiere hauteur, les releve très-promtement. Qu'un doigt touche alors la torpille, dans un instant il reçoit un coup, ou plutôt plusieurs coups successifs de chacun des cylindres sur lesquels il est appliqué. Ces coups promts & réitérés ébranlent les nerfs ; ils suspendent ou changent le cours des esprits animaux ; ou, si l'on aime mieux encore, ces coups produisent dans les nerfs un mouvement d'ondulation, qui ne s'accommode pas avec celui que nous devons leur donner pour mouvoir le bras : de-là naît l'impuissance où l'on se trouve d'en faire usage, & le sentiment douloureux.

Il paroît résulter de cette explication, que la torpille n'est en état d'engourdir, que lorsqu'on la touche vis-à-vis des deux grands muscles composés des grosses fibres cylindriques ; aussi tous les physiciens ont-ils expérimenté que c'est vis-à-vis de ces muscles que se font les engourdissemens les plus considérables. Plus les endroits où l'on touche la torpille en sont éloignés, & moins la force du poisson est à craindre. On peut le prendre par la queue sans éprouver d'engourdissement ; & c'est ce que les pêcheurs savent bien : ils ne manquent pas de le saisir par-là. Il faut pourtant avouer qu'à quelque distance des muscles en question, on peut encore être attaqué d'un foible engourdissement. La peau du poisson doit se ressentir du coup des muscles ; elle reçoit un ébranlement qu'elle communique aux parties qui la touchent, du moins si elle est touchée près de l'endroit où elle reçoit l'impression.

L'opinion de ceux qui font dépendre l'engourdissement de l'émission des corpuscules torporifiques faite par le tremble, paroît détruite par les expériences suivantes.

1°. Pour peu que la main ou le bras soient distans de la torpille, on ne ressent aucun engourdissement, comme Lorenzini lui-même en convient. 2°. Si cet engourdissement étoit causé par des corpuscules torporifiques, que la contraction exprime des muscles dont nous avons parlé, l'engourdissement se feroit pendant que les parties du poisson sont contractées, au-lieu qu'il ne commence que quand la contraction cesse. 3°. Si l'engourdissement provenoit de l'émanation des corpuscules torporifiques, il se feroit par degré, comme la main s'échauffe par degré, ou comme les piés s'engourdissent par degré. Il croîtroit à mesure que les corpuscules s'insinueroient dans les doigts, dans la main, dans le bras. Il seroit foible au commencement, & deviendroit ensuite plus considérable. Tout le contraire arrive ; l'engourdissement n'est jamais plus fort que lorsqu'il commence, comme le sont toutes les douleurs produites par des coups subits ; & il va toujours en diminuant. 4°. Enfin ce qui démontre que l'émanation des corpuscules torporifiques ne contribue en rien à l'engourdissement, c'est que le doigt distant du poisson d'une ligne, n'en reçoit jamais d'impression, lorsque l'espace qui est entre le doigt & lui, n'est rempli que par un liquide, comme de l'eau ou de l'air. Il faut que cet espace soit occupé par un corps solide que l'on tient, pour que la torpille fasse impression sur le doigt ; ce qui n'arrive que parce que le corps solide communique au doigt l'impression qu'il a reçue de la torpille.

Quoique nous n'ayons parlé jusqu'ici que de l'engourdissement du bras, on voit bien qu'il peut de même se faire sentir à d'autres parties. Le tremble engourdira les jambes, lorsqu'on marchera dessus à piés nuds. Les pêcheurs assurent assez unanimément que cela leur arrive quelquefois en pêchant à la seine, c'est-à-dire avec une espece de filet qui se traîne sur les greves, & qu'alors la torpille leur engourdit la jambe, & même les renverse du coup.

Il semble encore qu'on ne peut guere refuser à la torpille la force d'engourdir plus ou moins lorsqu'on la touche avec un bâton ; ce qui s'explique très-bien par la loi de la communication des mouvemens ; &, suivant la longueur du bâton, la vigueur du poisson, la sensibilité dans la personne qui le touche de cette maniere, la sensation de l'engourdissement sera plus ou moins vive.

Les torpilles de l'Amérique produisent l'engourdissement comme les nôtres. L'Amérique a des torpilles ou des poissons d'un autre genre, semblables aux nôtres par leurs effets. Dans les mém. de l'acad. de M. du Hamel, année 1677, il est fait mention d'une torpille qu'on compare aux congres, c'est-à-dire qui est d'une figure approchante de celle des anguilles. M. Richer de qui est cette relation, assure que ce poisson engourdit le bras lorsqu'on le touche même avec un bâton, & que ses effets vont jusqu'à donner des vertiges ; ce qu'il dit avoir expérimenté : dès-lors qu'il n'y va que du plus au moins, nous n'avons pas de peine à donner croyance aux faits de physique.

Le tremble ne feroit pas un grand usage de la faculté qu'il a d'engourdir, si elle ne lui servoit qu'à se défendre des pêcheurs ; il est rare qu'il se sauve de leurs mains. Aristote, Pline & la plûpart des naturalistes se persuadent qu'elle lui est utile pour attraper des poissons ; une chose sûre, au rapport des pêcheurs, c'est que les torpilles en mangent, & qu'on en rencontre fréquemment dans leur estomac. Cependant pourquoi se tient-elle ordinairement sur le sable ou sur la vase ? y est-elle en quelque maniere à l'affut pour y attraper les petits poissons qui la toucheroient ? Mais les autres poissons plats qui se tiennent sur la vase, ne s'y tiennent point par le même motif. Si la torpille engourdit les petits poissons qui la touchent, & les prend ensuite, ne pouvoit-elle pas les prendre également bien sans cela ? Elle a la même vîtesse que mille autres poissons de sa taille, qui savent bien attraper les petits poissons sans les engourdir. Nous sommes trop promts à assigner les causes finales ; elles ne sont pas toujours aussi démontrées qu'on le prétend. Pour s'assurer du fait dont il est ici question, il faudroit par plusieurs expériences mettre des torpilles avec divers autres petits poissons en vie, & en examiner l'événement ; c'est ce que quelque physicien fera peut-être un jour.

On pourroit encore être curieux de savoir de quelle épaisseur doit être un corps placé entre la torpille & la main, pour mettre la main à l'abri de l'action du poisson. Il y a beaucoup d'autres expériences à tenter sur cet animal.

La torpille ne pouvoit guere avoir une vertu engourdissante si fort exaltée, sans manquer de lui attribuer la même vertu contre plusieurs maladies. Aussi Dioscoride prétend que la torpille sur la tête engourdit le mal, & qu'elle remédie à la chûte de l'anus en l'appliquant sur le fondement. D'autres en recommandent l'application à la plante des piés pour calmer l'ardeur de la fievre. Nos pêcheurs font mieux, ils en mangent le foie qui a le même goût que celui de la raie.

Description de la torpille du golfe Persique par Kaempfer. Je n'aurois rien à ajouter sur ce poisson, si Kaempfer ne me fournissoit, dans ses Amoenités, une description trop exacte de la torpille du golfe Persique, pour la passer sous silence.

Les plus grandes torpilles de cette mer, qui en produit beaucoup, ont deux pans de diamêtre au centre, qui est sans os ; elles ont deux doigts d'épaisseur, & de-là elles diminuent insensiblement jusqu'aux bords qui sont cartilagineux, & qui font l'office de nageoires. Leur peau est glissante, sans écaille & tachetée. Les taches du dos sont blanches & brunes ; celles de la queue plus foncées ; mais le ventre est tout-à-fait blanc, comme dans la plûpart des poissons plats. Des deux côtés la surface est inégale, particulierement sur le dos, dont le milieu s'enfle comme un petit bouclier. Cette élévation continue jusqu'à l'extrêmité de la queue, qui s'étend de la largeur de la main au-delà du corps. Sa tête est applatie ; ses yeux sont petits & placés dessus la tête à la distance d'un pouce l'un de l'autre. Ils ont une double paupiere dont la supérieure est assez forte, & se ferme rarement ; l'inférieure est mince, transparente, & se ferme lorsque le poisson est dans l'eau.

Au-dessous des yeux, il y a deux conduits de respiration qui se couvrent dans l'eau d'une petite pellicule, de sorte qu'on les prendroit pour d'autres yeux, comme a fait Borrichius. La gueule est audessous de la tête dans l'endroit opposé aux yeux. Elle paroît très-petite lorsqu'elle est fermée, mais elle devient fort grande en s'ouvrant. Les levres sont entourées de petites pointes qui servent à retenir ce que l'animal y fait entrer. Dans la cavité des mâchoires, on apperçoit une petite rangée de dents aiguës. Sur le long du ventre qui est doux, mince & spongieux, il y a deux rangées de petits trous oblongs, cinq de chaque côté, placés transversalement. L'anus est aussi de figure oblongue, & percé exactement à la naissance de la queue. On ne sauroit presser cette partie sans en faire sortir quelques foeces entremêlées comme de vers de terre. La queue est épaisse, & de figure pyramidale. Elle se termine par une nageoire dont les pointes sont obliques, & présentent assez bien la forme de la lettre X.

Au-dessus & à peu de distance, sont deux autres nageoires plus grandes vers le dos que du côté de la queue, & terminées en rond. A l'endroit où commence la queue, il se trouve encore de chaque côté une nageoire plate & charnue. Dans les mâles, elle se termine à un penis cartilagineux d'un pouce de long, creux & percé à l'extrêmité de deux trous, dont la moindre pression fait sortir une humeur grasse & visqueuse.

Le péritoine est ferme, les vertebres du dos cartilagineuses, & garnies de divers tendons qui en sortent. Le premier se dirige vers les yeux, & le dernier vers le foie. Les autres prennent différentes directions assez près de leur origine. Le coeur qui est situé dans le plus petit creux de la poitrine, a la forme d'une figue. L'abdomen est accompagné d'un large ventricule musculaire. Il y a plusieurs veines, dont la plus considérable s'étend jusqu'au lobe droit du foie, & s'entortille autour de la vésicule du fiel. Le foie est d'une substance rouge, pâle, composé de deux lobes, dont l'un remplit toute la cavité du côté droit. Ces deux lobes sont formés de glandes serrées les unes contre les autres, & qui partent peut-être du penis.

Après avoir vuidé les intestins & les ventricules, on découvre contre le dos, un petit sac inégal, tortu, transparent, auquel tient une substance charnue qui ressemble beaucoup aux aîles de la chauve-souris ; c'est l'utérus ou l'ovaire. Kaempfer y trouva plusieurs oeufs posés sur le lobe gauche du foie. Ils étoient renfermés dans une mince pellicule, couleur de soufre pâle, & attachée au foie ; du reste ils ressembloient exactement aux oeufs de poule, & nageoient dans une liqueur mucilagineuse.

La torpille du golfe Persique paroîtroit fort différente de celle de la Méditerranée, si l'ou jugeoit de celle-ci par les descriptions d'Aristote, de Pline & de Galien. La qualité que celle du golfe a d'engourdir, n'est point une vertu qui l'accompagne toujours. Elle ne s'exerce que dans certaines occasions ; comme lorsque ce poisson ressent l'impression de quelque chose qui le blesse, & qu'on arrête sa fuite au moment qu'il veut la prendre. Il se fait alors un mouvement convulsif dans son corps.

Enfin Kaempfer a remarqué qu'en mettant la torpille dans une même cuve avec d'autres poissons, elle ne leur a point fait sentir sa qualité torporifique, soit par crainte, soit parce qu'elle n'est pas en liberté, soit par d'autres raisons.

Telles sont les observations de Kaempfer sur la torpille étrangere. Pour m'instruire encore plus complétement de la nature de ce poisson dans toutes les mers du monde, j'ai parcouru les autres relations des voyageurs qui en ont parlé ; celles de Windus, de Jobson, d'Atkins, de Moore, de Kolben, de Ludolf, &c. mais j'ai perdu mes peines, je n'ai rien trouvé d'exact & de satisfaisant dans aucun de ces écrivains ; d'où je conclus qu'il faut s'en tenir aux lumieres que nous en ont donné les physiciens que j'ai cités dans ce mémoire. (D.J.)


TORQUES. f. (terme de Blason) se dit d'un bourrelet de figure ronde, tant dans sa circonférence, que dans son tortil, étant composé d'étoffe tortillée, comme le bandeau dont on charge la tête de more qui se pose sur les écus. La torque est toujours de deux principaux émaux, qui sont le gros des armoiries, aussi-bien que les lambrequins ; mais c'est le moins noble des enrichissemens qui se posent sur le heaume pour cimier. (D.J.)


TORQUEMADAou TORREQUEMADA, (Géogr. mod.) c'est-à-dire tour brûlée, en latin, turris cremata ; petite ville, ou bourg d'Espagne, au royaume de LÉon, sur le bord de la Pizuerga, à trois lieues à l'orient de Palencia ; ce bourg est entouré de murs, & ses environs sont très-fertiles. (D.J.)


TORQUETTES. f. (Comm.) une certaine quantité de poissons entortillés dans de la paille. Il se dit aussi d'un panier de volaille.


TORQUETUMS. m. (Astronomie) ancien instrument d'astronomie, qui représentoit le mouvement de l'équateur sur l'horison. On s'en servoit pour observer le lieu véritable du soleil & de la lune, & de chaque étoile, tant en longitude qu'en latitude ; la hauteur du soleil & des astres au-dessus de l'horison, l'angle que l'écliptique faisoit avec l'horison, &c. On trouvoit aussi avec cet instrument la longueur du jour & de la nuit, & le tems qu'une étoile s'arrête sur l'horison. Tous ces problèmes se résolvent aujourd'hui fort aisément par l'usage de la sphere armillaire & du globe céleste. Regiomontan a donné la description & l'usage de cet instrument dans ses scripta Regiomontani, publiés in 4 °. en 1544. Maurolycus en traite encore dans ses oeuvres où il décrit les instrumens de mathématique, de même que Joh. Gallacius, dans son livre de mathematicis instrumentis. (D.J.)


TORQUEURS. m. (Manufact. de tabac) celui qui torque ou file le tabac ; l'habileté d'un torqueur consiste à faire sa corde bien égale, à manier son rouet de maniere qu'elle ne se casse point, & à la bien monter & mettre en rôle. (D.J.)


TORRELA, (Géog. mod.) petite riviere d'Italie, dans le Frioul. Elle tire sa source des montagnes, passe près d'Udine, & tombe dans le Lizonzo. (D.J.)

TORRE DE MONCORVO, (Géogr. mod.) petite ville de Portugal, dans la province de Tra-los-montes, dans une vallée, sur la pente d'une montagne, aux confins du royaume de LÉon, à une lieue au levant de la riviere Sabor. Sa campagne est fertile en blé, en vin, & en fruits. Long. 10. 35. latit. 41. (D.J.)

TORRE D'OLIVETO, (Géog. mod.) petite ville du royaume de Sicile, dans le val Demona, au pié du mont Aetna, vers le midi occidental. (D.J.)


TORRÉFACTIONS. f. (Docimastiq.) La torréfaction, ustulatio, en allemand rosten, consiste à séparer à l'aide du feu & de l'air, les matieres volatiles des fixes, pour avoir celles-ci seulement. C'est ainsi que l'on dissipe le soufre & l'arsenic de la plûpart des mines.

Le succès de la torréfaction est assez difficile à obtenir, quand le corps que l'on y soumet entre en fonte presque au même degré de chaleur qui est nécessaire pour dissiper sa partie volatile. Ces sortes de circonstances obligent donc 1°. de triturer grossierement le corps qu'on veut rotir, afin d'augmenter ses surfaces & d'occasionner une action plus multipliée de la part de l'air. 2°. de modérer le feu, crainte que la fusion n'ait lieu. 3°. de donner un libre accès à l'air, comme étant le véhicule des vapeurs. 4°. de répéter la trituration, au cas que le corps soumis au rotissage vienne à se grumeler. 5°. de l'étendre en une couche mince. Les corps réfractaires sont bien plus aisés à torréfier : on peut leur donner tout d'abord un grand feu, & l'on n'est pas tenu de les broyer si souvent, & de recommencer le grillage. Lorsque l'on a à torréfier un corps qui se fond au degré de feu qui dissipe sa partie volatile, on abrege beaucoup l'opération, en lui mêlant un corps réfractaire ; mais il faut se garder d'en employer un qui soit contre-indiqué, par l'altération qui en pourroit naître. Quoi qu'il en soit, on doit avoir l'attention d'empêcher que les parties volatiles n'enlevent, en se dissipant, quelques portions des matieres fixes ; cet inconvénient naît la plûpart du tems, de ce qu'on a donné un feu trop fort dès le commencement de l'opération : on le prévient à la faveur d'un fixant, auquel on a quelquefois recours.

Ce petit nombre de remarques générales suffisent ici ; le lecteur trouvera la matiere traitée à fond, au mot GRILLAGE. (D.J.)


TORRELAGUNA(Géog. mod.) bourg d'Espagne, dans la vieille Castille, célebre pour avoir donné la naissance en 1437 au cardinal François Ximenès, archevêque de Tolede, premier ministre d'Espagne, & l'un des plus grands politiques qui aient paru dans le monde.

La fortune le tira d'un état médiocre pour l'élever au faîte des grandeurs ; sa famille n'avoit aucune illustration, & son pere n'étoit qu'un collecteur des décimes accordées par le pape aux rois d'Espagne. Lorsque son fils eut achevé ses études, il résolut d'aller à Rome pour obtenir quelque emploi, & n'être pas à charge à ses parens. Ayant été volé deux fois en chemin, il fut obligé de s'arrêter à Aix en Provence, n'ayant pas de quoi continuer son voyage ; heureusement un de ses compagnons d'étude lui donna du secours, & fit la route avec lui ; cependant il ne rapporta de Rome qu'un bref du pape pour la premiere prébende qui vaqueroit dans son pays.

En vertu de ce bref, il se mit en possession du premier bénéfice qui vint à vaquer à son arrivée, & qui étoit tout-à-fait à sa bienséance ; mais l'archevêque de Tolède qui en avoit pourvu un de ses aumoniers, le refusa à Ximenès, & le fit mettre en prison. Sa fermeté, & l'intercession de la niece de l'archevêque, engagerent ce prélat à l'élargir ; Ximenès promit en même tems de permuter ce bénéfice avec la chapellenie de l'église de Siguença.

Cette permutation fut le premier échelon de sa fortune, car l'évêque de Siguença ayant eu occasion de connoître Ximenès, le choisit pour son grand vicaire dans toute l'étendue de son diocèse. En 1492, la reine Isabelle le nomma pour son confesseur ; & quelque tems après l'archevêque de Tolède étant mort, elle le revêtit de cette éminente dignité, qu'il n'accepta qu'après une assez longue résistance, vraie ou feinte. Il stipula même pour conditions, qu'il ne quitteroit jamais l'église de Tolède, qu'on ne chargeroit d'aucune pension son archevêché (le plus riche du monde), & qu'on ne donneroit aucune atteinte aux privileges & aux immunités de son église. Il en prit possession en 1498, & fut reçu à Tolède avec une magnificence extraordinaire.

Il débuta par des actes de fermeté pour le rétablissement de la discipline, & pour reprimer les vexations des fermiers des deniers royaux. Il cassa les juges qui vendoient la justice, ou différoient de la rendre ; & donna de nouvelles loix pour terminer les procès dans le terme de vingt jours au plus tard ; il tint deux synodes, dans lesquels il statua diverses ordonnances, qu'on a depuis observées en Espagne, & que le concile de Trente a généralement adoptées. On doit mettre au nombre de ses ordonnances utiles & nécessaires, celle du registre des baptêmes dans toutes les paroisses, ce qu'on n'avoit point encore fait, & que tous les royaumes chrétiens ont pratiqué depuis.

Il travailla en même tems à la réforme des cordeliers dans les royaumes d'Aragon & de Castille, & en vint à bout, malgré toutes les oppositions qu'il y rencontra, tant de la part des moines, que de la cour de Rome. Il établit une université à Alcala, & y fonda tout de suite, en 1499, le college de S. Ildephonse, qui fut bâti par Pierre Gumiel, l'un des habiles architectes de son siecle ; il entreprit ensuite le projet de donner une bible polyglotte, & ce projet auquel on travailla long-tems, fut exécuté. Voyez POLYGLOTTE de Ximenès. (Littérat.)

La reine Isabelle voulut qu'il l'accompagnât dans son voyage d'Aragon, pour y faire régler aux états la succession du royaume, & Ximenès ne contribua pas peu à disposer l'assemblée de prêter le serment que la reine souhaitoit. Elle le nomma à sa mort, arrivée en 1504, un des exécuteurs de son testament. Alors Ximenès ne manqua pas de jouer le premier rôle, & rendit de grands services à Ferdinand, qui lui remit l'administration des affaires d'état, & obtint pour lui du pape Jules II. le chapeau de cardinal : on l'appella le cardinal d'Espagne, & avec raison, car il devint dès ce moment l'ame & le mobile de tout ce qui se géroit dans le royaume. Pour comble de confiance il fut déclaré grand inquisiteur, en la place de l'archevêque de Séville, qui donna sa démission de cette importante charge.

Il signala le commencement de son nouveau ministere, en déchargeant le peuple du subside onéreux, nommé alcavala, qu'on avoit continué à cause de la guerre de Grenade. Il étendit en 1509, la domination de Ferdinand chez les Maures, par la conquête de la ville d'Oran, dans le royaume d'Alger. Il entreprit cette conquête à ses dépens, & marcha lui-même à la tête de l'armée, revêtu de ses ornemens pontificaux, & accompagné d'un nombreux cortege d'ecclésiastiques & de religieux. A son retour Ferdinand vint à sa rencontre jusqu'à quatre lieues de Séville, & mit pié à terre pour l'embrasser. On juge aisément qu'il obtint la jurisdiction spirituelle de cette nouvelle conquête ; mais il gagna bien davantage l'affection générale, par les greniers publics qu'il fit construire à Tolède, à Alcala, & à Torrélaguna sa patrie. Il les remplit de blé à ses dépens, pour être distribué dans les tems de stérilité.

Le roi Ferdinand, en mourant en 1516, déclara le cardinal Ximenès régent du royaume, & l'archiduc Charles (qui fut depuis l'empereur Charles-Quint), confirma cette nomination. Ximenès par reconnoissance lui procura le titre de roi, & cette proclamation eut lieu, sans que personne osât la contredire.

Il fit dans sa régence une réforme des officiers du conseil suprême, ainsi que de ceux de la cour, & congédia les deux favoris du prince Ferdinand. Envain les principaux seigneurs formerent une ligue contre lui, il trouva le moyen de la dissiper par sa prudence, & sa fermeté ; il appaisa les troubles qui s'éleverent dans le royaume de Navarre, il réduisit la ville de Malaga sous l'obéissance, & calma diverses autres rebellions. Ensuite, quand tout fut tranquille dans le royaume, il rétablit l'ordre dans les finances & déchargea le roi d'une partie de la dépense des troupes ; il créa de nouveaux administrateurs des revenus, retrancha les pensions des courtisans sans service, régla les gages des officiers, & fit rentrer dans le domaine tout ce qui avoit été aliéné pendant les guerres de Grenade, de Naples, & de Navarre.

Il déploya néanmoins dans cette conduite autant d'austérité d'humeur, que d'équité, car il ôta à plusieurs particuliers des revenus dont ils jouissoient en vertu de titres légitimes, sans leur procurer aucun dédommagement des biens qu'il leur enlevoit, pour augmenter les revenus du nouveau roi, & s'accréditer auprès de lui. Il ne fut pas heureux dans son expédition contre Barberousse, devenu maître d'Alger ; l'armée qu'il y envoya ayant été entierement défaite par ce fameux pyrate. Il se brouilla par sa fierté & par sa rigueur, avec les trois premiers seigneurs du royaume, le duc de l'Infantado, le duc d'Albe, & le Comte d'Urena.

Enfin les ministres du roi Charles intriguerent si bien auprès de ce prince, qu'ils le déterminerent à congédier le cardinal, dès qu'il seroit arrivé en Espagne. Ximenès s'étoit avancé au-devant de lui, à grande hâte, mais il tomba malade sur la route, & cette maladie le mit au tombeau, soit qu'il ait été empoisonné, ou que le chagrin de sa disgrace, joint à la fatigue du voyage, ait terminé ses jours. Quoi qu'il en soit il les finit le 8 Novembre 1517, à 81 ans, après avoir gouverné l'Espagne pendant vingt-deux ans, sous les regnes de Ferdinand, d'Isabelle, de Jeanne, de Philippe, & de Charles d'Autriche.

Entre les établissemens qu'il fit pendant sa vie, on compte deux magnifiques monasteres de demoiselles de qualité, & des embellissemens à Torrélaguna, qui lui couterent près d'un million d'or. Messieurs Fléchier, Marsollier, les peres Mariana, Miniana, & Gomez, ont écrit sa vie ; elle est intimement liée à l'histoire d'Espagne.

Il a laissé à douter en quoi il a le plus excellé, ou dans la pénétration à concevoir les affaires, ou dans le courage à les entreprendre, ou dans la fermeté à les soutenir, ou dans le bonheur à les terminer. M. Fléchier loue extrêmement son zèle pour la religion, & pour le maintien de la discipline ecclésiastique, sa charité envers les pauvres, son désintéressement par rapport à sa famille, son amour pour la justice, & son inclination pour les sciences. On ne peut pas lui contester une partie des qualités que l'historien françois lui donne ; mais on doit reconnoître que ce n'est pas à tort que les peres Mariana, Miniana & Gomez, lui attribuent une ambition démesurée, une politique des plus exquises, de la hauteur, de la dureté, & de l'inflexibilité dans le caractere.

Ajoutons que les moyens qu'il employa pour opérer la conversion des Maures, ne sont pas évangéliques. Il mit en oeuvre non-seulement l'argent & la flatterie, mais la persécution & la violence. On lui représenta qu'il ne convenoit pas d'obliger par des présens, ou par contrainte, de professer la foi de J. C. qu'il falloit la persuader par la charité, que les conciles de Tolède avoient défendu sévérement qu'on fît aucune violence à personne pour croire en J. C. & qu'on ne reçût à la profession de la foi, que ceux qui l'auroient souhaité avec une volonté libre, après mûre délibération. L'archevêque de Tolède répondoit en suivant son caractere, que c'étoit faire grace à des hommes rebelles, que de les pousser dans les voies de leur salut, comme si l'on pouvoit y parvenir sans une vraie conviction de la vérité du Christianisme.

Le zèle de Ximenès le conduisit à exécuter en même tems une chose funeste au bien des sciences ; il se fit apporter tous les livres mahométans, de quelques auteurs qu'ils fussent, & de quelque matiere qu'ils traitassent ; & après en avoir amassé jusqu'à cinq mille volumes, il les brûla publiquement, sans épargner ni enluminures, ni reliures de prix, ni autres ornemens d'or & d'argent, quelques prieres qu'on lui fit de les destiner à d'autres usages. Une telle conduite étoit aussi folle qu'aveugle. Le cardinal Quirini n'auroit pas détruit si lestement des livres précieux sur la religion, les arts, & les sciences ; puisque c'est par eux seuls qu'on peut être véritablement instruit de la littérature arabique & orientale.

Leur conservation n'empêchoit point Ximenès de nous donner sa belle édition de 1500 & 1502. des bréviaires & des missels mozarabes, dont il rétablit l'office ancien. Il a, dit-on, composé quelques ouvrages qui sont dans les archives d'Alcala. Je m'étonne que Rome n'ait pas canonisé ce cardinal, dont le nom se trouve écrit avec la qualité de saint & de bien-heureux, dans sept martyrologes d'Espagne. Il ne fit point de miracles, me dira-t-on ; mais les Espagnols en citent plusieurs rapportés dans M. Fléchier. J'imagine donc que ni Charles-Quint, ni les moines, ne requirent cette canonisation, & l'on sait que les graces de Rome veulent être sollicitées & payées. (D.J.)


TORRENTS. m. eau qui coule avec une grande violence, & dont le débordement fait quelquefois de grands ravages. Voyez INONDATION, DEBORDEMENT.

TORRENT, (Critique sacrée) le mot hébreu qui signifie torrent, se prend aussi pour vallée ; l'Ecriture les met souvent l'un pour l'autre ; & attribue au premier mot, ce qui ne convient qu'au dernier ; par exemple, Genes. xxvj. 17. venit ad torrentem Gerarae : il faut traduire, il vint à la vallée de Gérare.

L'Ecriture donne encore quelquefois le nom de torrent, à de grands fleuves, comme au Nil, à l'Euphrate, &c. Enfin, comme il y avoit plusieurs torrens qui couloient dans la Palestine, & que les uns y faisoient beaucoup de bien, & d'autres beaucoup de mal, ce mot a donné lieu à ces façons de parler métaphoriques, un torrent de délices, Ps. xxxv. 9. un torrent de soufre, Is. xxx. 33. Mais torrent se prend d'ordinaire en un sens défavorable ; & c'est pour cela qu'il signifie l'affliction, la persécution, la terreur : " les détresses de la mort m'ont environné ; les torrens de Bélial m'ont épouvanté ". II. Rois, xxij. 5. (D.J.)

TORRENT, (Géog. mod.) en latin torrens, en grec cheimarros, en hébreu nachal. On distingue le torrent du fleuve, en ce que le fleuve coule toujours, & que le torrent ne coule que de tems-en-tems ; par exemple, après les grandes pluies, ou la fonte des neiges.

Comme le terme hébreu nachal, signifie une vallée, aussi-bien qu'un torrent, souvent dans l'Ecriture, on met l'un pour l'autre ; par exemple, le torrent de Gérare, pour la vallée de Gérare. L'équivoque en cela n'est pas fort dangereuse, puisque les torrens se trouvent ordinairement dans les vallées ; mais il est bon de la remarquer, parce qu'on attribue quelquefois à la vallée, ce qui ne convient qu'au torrent : par exemple, à la vallée de Cédron, ce qui doit s'entendre du torrent de même nom.

On n'observe pas toujours dans l'Ecriture la distinction qui se trouve entre le torrent & le fleuve ; & souvent on prend l'un pour l'autre, en donnant le même nom à de grandes rivieres, comme l'Euphrate, le Nil, le Jourdain ; & à des rivieres qui coulent toute l'année, comme le Jabok & l'Arnon. On donne au Nil le nom de torrent d'Egypte : dans les Nombres, xxxiv. 5. Josué, xxv. 4. & 47. Isaïe, xxvij. 12. & à l'Euphrate, Psalm. CXXIII. 5. & dans Isaïe, ce fleuve est nommé le torrent des Sauls, Isaïe, xv. 7. D. Calmet, Dictionn. (D.J.)


TORRÈSLA, (Géog. mod.) en latin Lacer, riviere de Sardaigne : elle prend sa source dans la vallée de Bunnari, s'enfle par la jonction de l'Ottara, & de plusieurs ruisseaux, & se jette dans la mer audessous du pont Saint-Gavin de Torrés. (D.J.)

TORRÉS-NOVAS, (Géog. mod.) ville de Portugal, dans l'Estramadure, à une lieue au nord du Tage, sur la petite riviere d'Almonda, à cinq lieues au nord-est de Santaren ; elle a titre de duché, un château, quatre paroisses, & deux couvens. Long. 10. 2. latit. 39. 24. (D.J.)

TORRÉS-VEDRAS, (Géog. mod.) ville de Portugal, dans l'Estramadure, au nord du Tage, proche l'Océan, à sept lieues de Lisbonne, avec titre de comté, un château, & quatre paroisses dépeuplées. Long. 9. 12. latit. 39. 8. (D.J.)


TORRHEBUS(Géog. anc.) ville de Lydie ; Etienne le géographe dit qu'elle tiroit son nom de Torrhebus fils d'Atys, & que les habitans étoient nommés Torrhebii ; Denys d'Halicarnasse les appelle néanmoins Torybi. Il y a dans la Torrhébide, ajoute Etienne le géographe, une montagne nommée mons Carius ; & sur cette montagne on voit le temple de Carius, qui étoit fils de Jupiter & de Torrhébia.


TORRICELLItube de, ou EXPERIENCE DE TORRICELLI, (Phys.) est une expression que l'on trouve souvent dans les écrits des Physiciens ; Torricelli étoit un disciple du grand Galilée, fameux par ses expériences sur la pesanteur de l'air ; & le tube de Torricelli est un tuyau de verre, comme A B, (Pl. pneum. fig. 6. n°. 2.) d'environ trois piés de long, & de quelques lignes de diamêtre.

Son orifice supérieur est fermé hermétiquement.

L'expérience de Torricelli se fait de cette maniere : on emplit de mercure le tube A B, ensuite on bouche avec le doigt l'orifice B ; on renverse le tube, & l'on enfonce le même orifice dans un vaisseau rempli d'autre mercure D C. Cela fait, on retire le doigt, & l'on soutient le tube perpendiculairement sur la surface du mercure qui est dans le vaisseau, de maniere qu'il y plonge un peu.

Alors une partie du mercure qui est dans le tube, tombe dans celui qui est dans le vaisseau, & il en reste encore assez dans le tube pour l'emplir à la hauteur de 27 à 29 pouces au-dessus de la surface du mercure qui est dans le vaisseau.

Si le tube est précisément de 27 pouces, il ne descendra pas du tout de mercure ; mais le tube restera tout plein. Enfin, si on fait la même expérience avec des tubes de différentes longueurs, figures, & capacités, & différemment inclinés ; dans tous la surface de la colonne de mercure sera toujours élevée audessus du mercure qui est dans le vaisseau, précisément de la même hauteur de 27 à 28 pouces ; pourvu cependant que le diamêtre du tuyau ne soit pas trop étroit, & qu'on ait bien pris garde en l'emplissant de chasser toutes les petites bulles d'air qui auroient pû rester entre le mercure & le tuyau.

Cette colonne de mercure se soutient dans le tube par la pression de l'athmosphère sur la surface du mercure qui est dans le vaisseau ; & selon que l'athmosphère se trouve plus ou moins pesante, ou, selon que les vents condensent ou dilatent l'air, & qu'ils en augmentent ou diminuent le poids & le ressort, le mercure hausse ou baisse plus ou moins dans le tube.

Si l'on n'emplit pas tout-à-fait le tuyau de mercure, alors quand le mercure descend, il reste de l'air dans la partie supérieure du tuyau ; & cet air faisant en partie équilibre avec l'air extérieur, le mercure descend plus bas, parce que la colonne de mercure qui doit rester suspendue dans le tuyau, n'est alors soutenue que par l'excès de pression de l'air extérieur sur la pression de l'air qui est resté dans le tuyau. Voyez AIR & ATHMOSPHERE.

Le tube de Torricelli est ce que nous appellons aujourd'hui le barometre. Voyez BAROMETRE. Chambers. (O)


TORRIDEadj. (Géog. & Physiq.) signifie brûlant.

Zone torride, est une partie de la terre ou du globe terrestre, laquelle est située sous la ligne, & s'étend de l'un & de l'autre côté vers les deux tropiques, ou jusqu'à environ 23 degrés & demi de latitude. Voyez TROPIQUE, &c.

Ce mot vient du latin torreo, je rôtis, je brûle, parce que cette zone est comme brûlée par l'ardeur du soleil, qui est toujours au-dessus.

Les anciens croyoient que la zone torride étoit inhabitable, mais nous apprenons des voyageurs, que la chaleur excessive du jour y est tempérée par la fraîcheur de la nuit. Car les nuits sont plus longues dans la zone torride, que partout ailleurs, & sous la ligne où la chaleur doit être la plus grande, elles sont égales aux jours pendant toute l'année ; on voit même par la relation curieuse que M M. Bouguer & de la Condamine ont donnée de leur voyage sous l'équateur, qu'il y a au Pérou sous le milieu de la ligne des endroits qui jouissent d'un printems perpétuel, & d'une chaleur très-modérée. (O)


TORRISDAILLE, (Géog. mod.) riviere d'Ecosse, dans la province de Strath-Navern. Elle tire sa source des hautes montagnes de cette province, coule à côté du Navern, fait d'abord un assez grand lac de dix à douze milles de longueur, où se trouve une île, qui est habitée pendant l'été. Ce lac est environné de forêts. En sortant de ce lac, le Torrisdail en forme un autre ; & au sortir de ce dernier, il va se jetter dans l'Océan, à trois milles de l'embouchure du Navern. (D.J.)


TORSEadj. (Architect.) ce mot se dit des colonnes dont le fût est contourné en vis, ou à moitié creux, & à moitié rebondi, suivant une ligne qui rampe le long de la colonne en forme d'hélice. Le baldaquin du Val-de-grace est soutenu par de belles colonnes torses. On appelle colonne torse cannelée, celle dont les cannelures suivent le contour de son fût en ligne spirale dans toute sa longueur. Colonne torse rudentée, celle dont le fût est couvert de rudentes en maniere de cables menus & gros, qui tournent en vis. Colonne torse ornée, celle qui étant cannelée par le tiers d'en-bas, a sur le reste de son fût des branchages & autres ornemens. Colonne torse évidée, celle qui est faite de deux ou trois tiges grêles, tortillées ensemble, de maniere qu'elles laissent un vuide au milieu. Daviler. (D.J.)

TORSE, (Sculpture) ou tronc d'une figure, de l'italien torso, qui signifie tronqué. C'est un corps sans tête, sans bras, sans jambes, tel qu'est ce beau torse de marbre qui est au Vatican, & que quelques-uns croyent être le reste d'une figure d'Hercule, & un des plus savans ouvrages de l'antiquité.


TORSERv. act. (Archit.) mot dérivé du latin torquere, tordre. C'est tourner le fût d'une colonne en spirale ou vis, pour la rendre torse. (D.J.)


TORSILIou TORSIL, (Géog. mod.) petite ville de Suede, dans la Sudermanie, sur le bord méridional du lac Maler, à quelques lieues de l'occident de Strégnes.


TORTINJURE, (Synonymes) le tort regarde particulierement les biens & la réputation ; il ravit ce qui est dû. L'injure regarde proprement les qualités personnelles ; elle impute des défauts. Le premier nuit, la seconde offense.

Le zèle imprudent d'un ami fait quelquefois plus de tort que la colere d'un ennemi. La plus grande injure qu'on puisse faire à un honnête homme, est de le calomnier. (D.J.)

TORT, (Droit moral) on peut définir le tort, injuria, une action libre qui ôte son bien au possesseur.

S'il n'y avoit point de liberté, il n'y auroit pas de crime réel. S'il n'y avoit point de droit légitime, il n'y auroit point de torts faits. L'injustice suppose donc un droit contre lequel on agit librement.

Or il y a en général deux especes de droits ; l'un naturel, gravé dans le coeur de tous les hommes ; l'autre civil, qui astreint tous les citoyens d'une même ville, d'une même république, tous les sujets d'un même royaume, à faire ou à ne pas faire certaines choses, pour le repos & l'intérêt commun. On ne peut violer cette loi sans être mauvais citoyen. On ne peut violer la loi naturelle, sans offenser l'humanité.

Or l'injustice qu'on fait à quelqu'un, le blesse & l'irrite ordinairement jusqu'au fond de l'ame ; c'est pourquoi Métellus fut si piqué de voir qu'on lui donnoit Marius pour successeur en Numidie ; c'est ce qu'à l'égard de Junon Virgile peint par ces mots, manet altâ mente repostum, expression qui pour l'énergie, n'a point d'équivalent dans notre langue. C'est ainsi que Salluste dit du tort qu'on fait par de simples paroles : Quod verbum in pectus Jugurthae altiùs quàm quisquam ratus erat, descendit ; & Séneque, natura comparatum est ut altiùs injuriae quàm beneficia descendant, & illa cito defluant, has tenax memoria retineat. Voyez INJURE. (D.J.)


TORTELLEvoyez VELAR.


TORTICOLISS. m. maladie qui fait pancher la tête de côté : les anciens n'en ont point parlé ; les modernes l'ont appellé caput obstipum, dénomination employée par les meilleurs auteurs latins pour signifier la tête panchée. Il ne faut pas confondre le caput obstipum permanent, avec la tension & la roideur du col, à l'occasion d'une fluxion rhumatismale sur cette partie ; ni avec le panchement de tête qui est un effet de la mauvaise disposition des vertebres, tel que l'avoit le poëte Scarron, qui dit en parlant de lui-même :

Parmi les torticolis,

Je passe pour des plus jolis.

Cette façon de porter la tête de côté peut avoir été contractée par mauvaise habitude dès l'enfance, ou dans un âge plus avancé par affectation ; car il y a des gens qui seroient bien naturellement, & qui par air, se rendent ridicules. Cette tournure de tête est un geste de tartuffe, & Horace le conseille à ceux qui veulent tromper par flatterie, stes capite obstipo.

Suétone reproche à Tibere qu'il portoit la tête roide & de côté par orgueil ; les secours de la chirurgie ne sont point utiles à ceux dont le corps n'est vicié que par des causes morales. Les progrès de cet art n'ont pas fait imaginer aux chirurgiens françois d'opération pour redresser la tête inclinée par la convulsion des muscles.

Tulpius, savant médecin d'Amsterdam, au milieu du dernier siecle, rapporte l'histoire de la guérison d'un enfant de 12 ans, qui dès son plus bas âge portoit la tête panchée sur l'épaule gauche par la contraction du muscle scalene : on avoit essayé en vain des fomentations pour relâcher les parties dont la roideur & la corrugation causoient la maladie ; les colliers de fer n'avoient pu parvenir à redresser la tête : il fut décidé dans une consultation faite par l'auteur avec deux autres médecins très-habiles, qu'on commettroit l'enfant aux soins d'Isaac Minnius, chirurgien très-renommé, qui avoit opéré avec succès dans plusieurs cas de la même espece. Il forma d'abord une grande escare par l'application d'une pierre à cautere ; il coupa ensuite avec un bistouri le muscle qui tiroit la tête ; mais Tulpius qui fait un tableau assez embrouillé de cette opération, remarque qu'elle fut pratiquée avec beaucoup de lenteur & de peine, effet de la timidité & de la circonspection avec lesquelles on agissoit dans la crainte de blesser les arteres & les veines jugulaires.

L'auteur désapprouve ce procédé, & conseille à ceux qui voudront courir les hazards d'une opération aussi dangereuse, de rejetter l'usage préliminaire du caustique, qui a causé des douleurs inutiles au malade, qui ne lui en a point épargné dans l'opération, & dont l'effet a été nuisible, en dérobant à la vue de l'opérateur les parties qu'il devoit diviser, & les rendant plus difficiles à couper. Il ajoute des conseils à ces réflexions : il faut, dit-il, prendre toutes les précautions convenables pour que l'opération ne soit point funeste, & ne pas la faire à différentes reprises, mais de couper d'un seul coup le muscle, avec toute l'attention qu'exige une opération de cette nature.

Job à Méckren, chirurgien d'Amsterdam, qui a donné un excellent recueil d'observations medico-chirurgicales, parle aussi de l'opération convenable au torticolis, qu'il a vu pratiquer sous ses yeux à un enfant de 14 ans. Le tendon du muscle sterno-mastoïdien fut coupé d'un seul coup de ciseaux très-tranchans, avec une adresse singuliere, par un chirurgien nommé Flurianus, & sur le champ la tête se redressa avec bruit. L'auteur donne l'extrait de la critique de Tulpius sur l'opération décrite plus haut, pour faire connoître qu'on avoit profité de ses remarques.

Parmi nos contemporains, M. Sharp, célebre chirurgien de Londres, propose la section du muscle mastoïdien, dans le cas où le torticolis dépend de la contraction de ce muscle, pourvu que le vice ne soit pas ancien, & ne vienne pas de l'enfance ; car, dit-il, il seroit impossible de mettre la tête dans une situation droite, si l'accroissement des vertebres s'étoit nécessairement fait de travers. Voici l'opération qu'il décrit pour les cas où elle sera praticable. Ayant placé le malade sur une table, on coupe la peau & la graisse par une incision transversale, un peu plus large que le muscle, & qui ait environ le tiers de sa longueur depuis la clavicule. Ensuite passant avec circonspection un bistouri à bouton par-dessus le muscle, on tire dehors cet instrument, & en même-tems on coupe le muscle. On n'est pas en danger de blesser les gros vaisseaux ; on remplit la plaie avec de la charpie séche, pour en tenir les levres séparées avec le secours d'un bandage propre à soutenir la tête : ce que l'on continuera durant tout le traitement, qui est pour l'ordinaire d'environ un mois.

Suivant cet exposé de M. Sharp, cette opération est commune ; si cependant on fait réflexion à la nature & aux causes de la maladie, & à ces différences qui font qu'elle est récente, habituelle ou originaire, constante ou périodique, idiopathique ou sympathique, provenant de spasme, ou simplement de la paralysie des muscles du côté opposé, & que d'autres muscles que le sternomastoïdien peuvent être attaqués, on conviendra que cette opération peut à peine avoir lieu. J'ai coupé avec succès des brides de la peau qui tenoient la tête de côté depuis beaucoup d'années, à la suite des brûlures du col ; & j'ai vu de ces brides qui auroient pu en imposer pour le muscle mastoïdien.

M. Mauchart a fait soutenir dans l'université de Tubingue une these, au mois de Décembre 1737, sur cette maladie, de capite obstipo. Elle est très-méthodiquement faite. En parlant des parties affectées, on avance que tous les muscles qui font mouvoir la tête & le col peuvent être le siege du mal ; on n'en exclut pas le muscle peaucier, dont les attaches sont à la clavicule & au bord de la mâchoire inférieure, depuis l'angle jusqu'à la symphise : quelquefois les vertebres du col sont dans une disposition vicieuse, que la section des muscles ne détruiroit point ; souvent les muscles ne font qu'obéir à la cause qui agit, le principe moteur même qui est attaqué par l'affection primitive des nerfs.

L'auteur examine les causes prochaines & éloignées du mal, parmi celles-ci il compte, le froid, les convulsions, le virus vénerien, & l'impression du mercure dans la mauvaise administration des frictions mercurielles. Les remedes doivent donc être variés suivant l'intelligence des médecins ou des chirurgiens, & relativement à toutes ces connoissances : on conseille les remedes généraux, les purgatifs doux répétés, les diaphorétiques, les apéritifs incisifs, les antispasmodiques, les cataplasmes émolliens sur les parties trop tendues ; des toniques & fortifians sur les parties foibles ; les mercuriaux, si le virus vénerien est la cause du mal ; les eaux thermales telles que celles de Plombieres, qui ont opéré une guérison bien constatée du torticolis, les frictions, les vésicatoires, les saignées du pié & de la jugulaire, les setons à la nuque, les cauteres ; les bandages qui redressent la tête ; le collier de Nuck par lequel on suspend la personne (ce qui n'est pas sans danger) ; enfin la section des parties contractées avec l'instrument tranchant, conduit avec les précautions convenables. Cette dissertation est insérée dans le second tome des disputationes chirurgicae selectae, par M. de Haller. (Y)


TORTIou TORTIS, s. m. terme de Blason ; c'est un cordon qui se tortille autour des couronnes des barons ; ce mot se dit aussi du bandeau qui ceint les têtes de more sur les écus. Ménestrier. (D.J.)


TORTILLANTen terme de Blason, se dit du serpent ou de la guivre qui entourent quelque chose. De gueules au basilic tortillant d'argent en pal, couronné d'or.

Bardel en Dauphiné, de gueules au basilic tortillant d'argent en pal, couronné d'or.


TORTILLÉadj. terme de Blason ; ce mot se dit en blasonnant, de la tête qui porte le tortil, comme est celle du more, qui est toute semblable au bourrelet, & qui sert quelquefois de timbre. (D.J.)


TORTILLERv. act. & neut. c'est plier en tordant irrégulierement, unir, serrer, mêler. On tortille une corde, des cheveux, un fil : le serpent se tortille sur lui-même.

TORTILLER UNE MORTAISE, terme de Charpentier, c'est l'ouvrir avec le laceret ou la tariere. (D.J.)

TORTILLER LES FICELLES, (Relieure) on tortille les ficelles qui sortent des nerfs du dos des livres cousus sur le genou droit avec le creux de la main droite, quand on les a mises à la colle, & on tortille celles des grands volumes, comme in-4 °. & in-fol. entre les deux mains, toujours tournant du même sens, on dit tortiller les ficelles.


TORTILLISS. m. (Archit.) espece de vermoulure faite à l'outil sur un bossage rustique, comme on en voit à quelques chaînes d'encoignure, au Louvre & à la porte saint Martin à Paris. (D.J.)


TORTILLONS. m. terme de Bahutier, c'est un assemblage de clous blancs qu'on met autour de l'écusson du bahut, & qui sont rangés en maniere de figure tortillée. (D.J.)

TORTILLON, terme de Fruitiere, espece de bourrelet fait d'une toile roulée & pliée en rond, que les laitieres & fruitieres mettent sur leur tête pour n'être point incommodées, ou du pot ou du lait, ou du noguet qu'elles posent dessus. Trévoux. (D.J.)


TORTIONNAIREadj. (Gram. & Jurisprud.) inique, violent. Cette procédure a été injurieuse, déraisonnable & tortionnaire.


TORTOLE, ou LA TUERTA, (Géogr. mod.) riviere d'Espagne, au royaume de LÉon. Elle a sa source dans les montagnes des Asturies, & se perd dans l'Orbega. (D.J.)


TORTOIou GARROT, s. m. terme de Charron, bâton gros & court, pour assurer sur les charrettes les charges qu'on y met, par le moyen d'une grosse corde. (D.J.)


TORTONE(Géog. mod.) ville d'Italie, dans le Milanez, chef-lieu du Tortonèse, dans une plaine, avec un château sur une hauteur, à dix lieues au sud-est de Casal. Son évêché est ancien & suffragant de Milan : cette ville dépend du roi de Sardaigne par le traité de Vienne de 1738, mais elle est fort dépeuplée. Long. 26. 25. lat. 44. 52. (D.J.)


TORTONÈSELE, (Géog. mod.) contrée d'Italie, au duché de Milan, entre le Pô au nord, le territoire de Bobio à l'orient, l'état de Gènes au midi, & l'Alexandrin au couchant : sa capitale est Tortone.


TORTOSE(Géog. mod.) ville d'Espagne, en Catalogne, capitale d'une viguerie de même nom, sur la gauche de l'Ebre, à 4 lieues de la mer, à 35 de Barcelone, & à 70 de Madrid. On la divise en vieille ville & en ville neuve : son évêché vaut quatorze mille ducats de revenu. Cette ville a un vieux château fortifié, & une académie qui appartient aux freres prêcheurs ; ce qui suffit pour apprécier sa célébrité.

Tortose est la Dertosa des Romains, capitale des Ilercaons, comme on le prouve par une médaille de Tibere, sur le revers de laquelle on lit : Dert. Ilergaonia : dès l'an 716 les Maures en étoient les maîtres ; Berenger, prince d'Aragon, la leur enleva en 1149. Long. 18. 10. lat. 40. 51.

Il ne faut pas confondre Tortose en Catalogne avec Tortose, petite ville dans la nouvelle Castille, sur le Hénares, au-dessus de Guadalajara. (D.J.)

TORTOSE, viguerie de, (Géog. mod.) elle est bornée au nord, partie par le royaume d'Aragon, partie par la viguerie de LÉrida, à l'orient par la même viguerie & par celle de Tarragone, au midi par la mer Méditerranée, & à l'occident, partie par le royaume d'Aragon, partie par celui de Valence : son lieu principal est Tortose. Cette viguerie est fertile en grains & en fruits ; on y trouve aussi des carrieres d'alun, de plâtre, & de jaspe. (D.J.)


TORTUES. f. (Hist. nat. Botan.) chelone, genre de plante à fleur en masque, dont la levre supérieure est voutée en dos de tortue, l'inférieure est découpée en trois parties. Le derriere de la fleur est retréci en tuyau dont l'ouverture reçoit le pistil qui devient un fruit arrondi, oblong, partagé en deux loges remplies de semences bordées d'un petit feuillet. Tournefort, Mém. de l'acad. royale des Sciences. Voyez PLANTE.

TORTUE, s. f. (Hist. nat. Zoolog.) testudo, animal quadrupede ovipare, recouvert en-dessus & en-dessous par une grosse écaille. Il y a plusieurs especes de tortues que l'on divise en deux classes, dont la premiere comprend les tortues terrestres, & la seconde les tortues aquatiques, c'est-à-dire celles qui restent dans la mer ou dans les eaux douces. Les tortues aquatiques different principalement des terrestres, en ce que leurs doigts tiennent à une membrane qui leur sert de nageoire. Les tortues de terre ne deviennent jamais aussi grandes que celles qui vivent dans la mer. Solin rapporte que deux écailles d'une certaine espece de tortue de mer suffisent pour couvrir l'habitation d'un indien. On trouve dans les Mémoires de l'académie royale des Sciences, la description d'une très-grande tortue terrestre prise sur la côte de Coromandel. Cette tortue (Pl. XIV. fig. 5.), avoit quatre piés & demi de longueur depuis le bout du museau jusqu'à l'extrêmité de la queue, & un pié deux pouces d'épaisseur ; l'écaille étoit longue de trois piés, & elle avoit deux piés de largeur ; elle étoit composée à sa partie supérieure de plusieurs pieces de différentes figures, dont la plûpart étoient pentagones ; toutes ces pieces se trouvoient placées & collées sur deux os, dont l'un couvroit le dos & l'autre le ventre ; ils étoient joints ensemble sur les côtés par des ligamens très-forts ; ils enfermoient les entrailles de cet animal, & ils avoient une ouverture en-devant pour laisser passer la tête & les jambes de devant, & une autre en-arriere pour la queue & les jambes de derriere. Ces os sur lesquels ces écailles étoient appliquées avoient un pouce & demi d'épaisseur en quelques endroits, & seulement une ligne & demie dans d'autres. Les trois plus grandes pieces d'écailles étoient situées sur la partie antérieure du dos, elles avoient chacune une bosse ronde, élevée de trois ou quatre lignes, & large d'un pouce & demi. Le dessous du ventre étoit un peu concave. Toutes les parties de l'animal qui sortoient hors de l'écaille, savoir la tête, les épaules, les bras, la queue, les fesses & les jambes étoient revêtues d'une peau lâche, ridée, & couverte de petits grains ou tubercules comme le maroquin ; cette peau étoit adhérente aux bords des deux ouvertures où elle se terminoit sans se prolonger au-dedans des écailles. La tête ressembloit en quelque sorte à celle d'un serpent, elle avoit sept pouces de longueur & cinq de largeur ; les yeux étoient très-petits, & ils n'avoient point de paupiere supérieure ; il ne se trouva point d'ouverture pour les oreilles ; les levres étoient couvertes d'une peau dure comme de la corne, & découpées en maniere de scie, & il y avoit en-dedans de la bouche deux rangées de dents. Les jambes étoient fort courtes ; celles de devant avoient cinq doigts qui n'étoient distincts que par les ongles, & les pattes de derriere n'en avoient que quatre. Les ongles étoient arrondis en-dessus & en-dessous, & leur coupe faisoit une ovale, car ils étoient émoussés & usés ; ils avoient un pouce & demi de longueur. Les tortues de terre étant renversées sur le dos, peuvent se retourner sur le ventre, en appuyant la tête & le cou fortement contre terre. Mém. de l'acad. royale des Sciences, par M. Perrault, tom. III. part. II.

Les tortues aquatiques different principalement des tortues terrestres, en ce qu'elles ont des nageoires au-lieu de pattes. Les especes les mieux connues sont la tortue franche, la kaouanne, & le caret. La chair de la tortue franche ressemble parfaitement à celle du boeuf par sa couleur, mais la graisse est d'un jaune verdâtre ; elle a fort bon goût.

La kaouanne est la plus grosse ; on en trouve qui ont jusqu'à cinq piés de longueur sur quatre de largeur ; elle a la tête beaucoup plus grosse que toutes les autres à proportion du reste du corps ; sa chair a un mauvais goût & sent la marée ; elle se défend de la gueule & des pattes contre ceux qui veulent la prendre. Les plaques d'écailles de cette espece de tortue sont beaucoup plus grandes que celles du caret, & cependant moins estimées parce qu'elles ont moins d'épaisseur.

Le caret a la chair moins bonne que celle de la tortue franche, mais beaucoup meilleure que celle de la kaouanne ; il est plus petit que les deux especes précédentes ; il a treize plaques ou feuilles d'écailles, huit plates & cinq courbes, qui sont plus estimées que celles des autres especes de tortues.

Les tortues pondent les oeufs ronds, & couverts d'une membrane molle & blanche : ces oeufs sont composés comme ceux des oiseaux, de deux substances différentes ; le jaune se durcit aisément en cuisant, mais le blanc reste toujours liquide. Une seule tortue pond deux ou trois cent oeufs, gros comme des balles de paume, & durant sa ponte rien n'est capable de la faire cesser ni de la mettre en fuite. Les tortues de mer viennent la nuit sur les anses pour y déposer leurs oeufs dans le sable ; elles y font un creux qui a environ un pié de largeur & un pié & demi de profondeur : lorsque leur ponte est finie, elles couvrent les oeufs avec du sable, & elles retournent à la mer. Les oeufs éclosent à la chaleur du soleil, & les petites tortues qui en sortent vont à la mer dès qu'elles sont nées. La pêche des tortues se fait principalement dans le tems de la ponte, on les prend très-aisément lorsqu'elles sont hors de l'eau ; on les renverse sur le dos pour les empêcher d'y retourner. Histoire naturelle des Antilles, par le pere Dutertre, tome II.

La tortue a la vie très-dure. Rédi a éprouvé que les tortues de terre peuvent vivre dix-huit mois sans manger : ce même auteur a reconnu que la tortue pouvoit vivre assez long-tems sans cerveau, & que la privation de cette partie ne lui faisoit pas perdre son mouvement progressif : il fit au crane d'une tortue de terre une large ouverture, par laquelle il tira tout le cerveau, de façon qu'il n'en resta pas la moindre particule, cependant cette tortue conserva tous ses mouvemens, excepté ceux des yeux, qui se fermerent aussi-tôt après l'opération ; au reste, elle alloit & venoit comme auparavant, & elle vécut encore six mois dans cet état : une autre tortue dont la tête avoit été coupée vécut pendant vingt-trois jours : les tortues d'eau ne survivent pas si long-tems à de pareilles opérations.

On vient de lire la description anatomique de la tortue, & beaucoup d'autres faits curieux sur ce genre d'animal testacé, dont le caractere distinctif est d'avoir une queue, & d'être couvert d'une écaille large, voûtée, dure & osseuse. Ses piés de devant sont composés chacun de cinq doigts, garnis d'ongles ; ceux de derriere n'en ont que quatre ; sa queue est grosse au commencement, & finit en pointe ; toutes les parties qui paroissent hors de l'écaille de la tortue sont couvertes d'une peau large, plissée par de grandes rides, & grenées comme du maroquin. Il y a différentes especes de tortues ; nous allons parcourir les principales.

1°. La tortue commune. Elle est marbrée de taches noires & jaunes, & sillonnée de raies sur le dos. Son écaille de dessus est extrêmement convexe ; celle du dessous du corps est applatie. Sa tête est courte, ressemblante en quelque maniere à celle d'un serpent, & est couverte d'une peau mince ; l'animal peut la tirer en dehors ou en dedans à sa volonté ; il n'a ni paupieres, ni oreilles externes ; il peut passer l'hiver sous terre sans presque aucune nourriture.

2°. La jaboti des habitans du Brésil nommée par les Portugais cagado de tierrâ ; cette espece a une écaille noire, gravée de différentes figures hexagonales ; sa tête & ses jambes sont brunes, avec des marbrures de taches d'un jaune obscur ; son foie est un manger délicat.

3°. La tortue de riviere ou d'eau dormante, se trouve fréquemment dans les fossés qui entourent les murailles des villes. Son écaille est noire, peu convexe, & composée de plusieurs pieces lisses, & délicatement articulées ensemble ; elle est d'une vie si dure, qu'elle conserve encore du mouvement dans son corps pendant quelques minutes après qu'on lui a coupé la tête.

4°. La tortue de mer ordinaire ; elle est plus grosse que la tortue terrestre ; mais son écaille est moins lisse & moins belle, ses piés sont faits comme les nageoires des poissons, & par conséquent très-propres pour nager. Elle a à chaque mâchoire un os continu qui est reçu dans le sinus de la mâchoire opposée, & qui lui sert à mâcher sa nourriture. La femelle sort de la mer pour pondre ses oeufs ; elle en fait à terre une grande quantité en une seule ponte, les couvre de sable, retourne dans l'eau, & le soleil les fait éclorre au bout d'une quarantaine de jours.

5°. La jurucua des Brésiliens nommée tartaruga par les Portugais, & par les François, tortue-franche ; elle a une sorte de nageoire au lieu de piés ; celles de devant sont longues chacune de 6 pouces, mais celles de derriere sont beaucoup plus courtes ; son écaille est agréablement ornée de différentes figures.

6°. La kaouanne ; c'est une tortue de mer de forme semblable aux autres de cet élément, d'une écaille plus forte, mais d'une chair de mauvais goût.

7°. La tortue nommée en françois le caret ; c'est une petite espece de tortue qui pond ses oeufs dans le gravier & le cailloutage ; on ne fait aucun cas de sa chair, mais on en fait un fort grand de son écaille.

8°. La jurura des Brésiliens, ou cagado d'agoa des Portugais ; elle est beaucoup plus petite que les autres ; l'écaille qui la couvre est de forme elliptique, & très-voûtée sur le dos. Marggrave dit avoir gardé chez lui une tortue de cette espece vingt-un mois, sans lui avoir donné aucune nourriture.

9°. La petite tortue terrestre des Indes orientales ; cette espece n'a que trois pouces de long ; sa coquille est composée de trois sortes d'écailles entourées d'une bordure générale ; leurs couleurs sont d'une grande beauté, blanches, pourpres, jaunes & noires ; la coquille du ventre est blanche avec une agréable empreinte d'un grand nombre de raies ; sa tête & son museau sont assez semblables à la tête & au bec du perroquet ; le dessus de la tête est diapré de rouge & de jaune ; son cou est fort mince ; ses jambes de devant sont garnies de petites écailles avec des piés applatis, qui finissent en quatre orteils ; ses jambes de derriere sont beaucoup plus longues, beaucoup plus déliées que celles de devant, & seulement couvertes d'une peau rude ; sa queue est longue de trois pouces, menue & pointue.

10°. La petite tortue échiquetée & rayonnée ; son écaille a environ sept travers de doigts de longueur, & cinq de largeur ; elle est noire, marquetée de figures rhomboïdes, & composée de trois rangs de tubercules, qu'entoure une bordure générale ; le milieu de ces tubercules est rayonnant d'étoiles ; l'écaille du ventre est formée de huit pieces dont les deux plus considérables sont marbrées, d'un jaune tirant sur le noir.

11°. La grande tortue échiquetée ; cette espece qui est la plus voûtée de toutes les tortues se trouve dans l'île de Madagascar. Elle est longue d'un pié, large de huit pouces, & haute de six ; c'est du-moins la taille de celle qui est dans le cabinet de la société royale, & dont Grew a donné la figure.

12°. Joignons ensemble la tortue de Surinam, la tortue de Virginie dont l'écaille est en mosaïque ; ce sont de belles tortues, dont les écailles sont presque autant estimées que celles du caret, comme disent nos ouvriers.

TORTUE, pêche de la, (Pêche marine) on prend ordinairement les tortues de trois manieres différentes : la premiere, en les tournant sur le sable ; la seconde, avec la varre ; & la troisieme, avec la folle. Pour la premiere maniere, on observe quand elles viennent pondre leurs oeufs sur le sable, ou quand elles viennent reconnoître le terrein où elles ont intention de pondre. Quand on trouve une trace ou un train neuf sur le sable, il est ordinaire qu'en revenant au même lieu dix-sept jours après, on y trouve la tortue qui vient pondre. On la prend par le côté & on la renverse sur le dos, d'où elle ne sauroit se relever, à la reserve du caret qui a la carapace convexe, ce qui facilite son retour sur le ventre, mais on tue celui-là sur le champ ; ou bien étant tourné sur le dos, on met de grosses pierres autour de lui.

La seconde maniere de pêcher les tortues, est de les varrer dans la mer, ou percer avec la varre. Voy. VARRE.

La troisieme est de les prendre avec un filet qui s'appelle la folle. Voyez FOLLE.

On voit souvent vers la côte du Méxique, flotter les tortues en grand nombre sur la surface de la mer, où elles sont endormies pendant la grande chaleur du jour ; on en prend par adresse sans varre & sans filet, & voici comment. Un bon plongeur se met sur l'avant d'une chaloupe, & dès qu'il ne se trouve plus qu'à quelques toises de la tortue, il plonge & fait ensorte de remonter par la surface de l'eau auprès de cet animal ; il saisit l'écaille tout contre la queue, & en s'appuyant sur le derriere de la tortue, il la fait enfoncer dans l'eau ; l'animal se réveille, se débat des pattes de derriere, & ce mouvement suffit pour la soutenir sur l'eau aussi-bien que l'homme, jusqu'à ce que la chaloupe vienne & les pêche tous deux.

Le manger de la tortue franche est non-seulement excellent, mais très-sain. Milord Anson dit que son équipage en vêcut pendant tout son séjour dans l'île de Quibo, c'est-à-dire pendant plus d'un mois. (D.J.)

TORTUE, (Mat. méd.) il ne s'agit dans cet article que de la tortue de notre pays, ou tortue de terre, & de celle d'eau-douce qui differe très-peu de la premiere, sur-tout par ses qualités médicinales, l'article suivant étant particulierement destiné à la grande tortue de l'Amérique ou tortue de mer.

On mange à peine chez nous la tortue de terre ou la tortue d'eau-douce, ainsi nous n'avons aucune observation à proposer sur son usage diétetique. Quant à ses usages médicinaux, nous observerons que les Médecins modernes l'emploient assez communément sous la forme de bouillon, & qu'on en prépare un syrop composé auquel elle donne son nom, & qui est connu dans les dispensaires sous le nom de syrupus de testudinibus resumptivus.

Pour préparer un bouillon de tortue, on prend un de ces animaux de médiocre grosseur, par exemple, pesant environ douze onces avec l'écaille. On la retire de son écaille ; on en sépare la tête, les piés & la queue ; on prend la chair, le sang, le foie & le coeur ; & on les fait cuire ordinairement avec un jeune poulet, & des plantes & racines propres à remplir l'intention du médecin, passant & exprimant selon l'art : ces bouillons sont recommandés dans tous les livres, & sont assez généralement employés par les médecins de Montpellier, comme une sorte de spécifique contre la phthisie, le marasme & les autres maladies de langueur. Tous ceux qui n'en ont pas observé l'effet par eux-mêmes, croient qu'un suc mucilagineux, incrassant, éminemment adoucissant qu'ils supposent dans la tortue, adoucit le sang, lui redonne son baume naturel, en corrige, en enveloppe les âcretés ; assouplit les solides, & dispose ainsi les petites crevasses, & même les ulceres naissans de la poitrine à se consolider ; que ce prétendu suc glutineux & balsamique est encore capable de déterger & de consolider des ulceres internes plus avancés ; mais indépendamment des raisons victorieuses contre ces vaines spéculations qui sont déduites aux articles incrassans, muqueux & nourrissans, voyez ces articles, les médecins qui ont quelqu'expérience sur l'opération des bouillons de tortue, savent que leur effet prochain & immédiat consiste à animer le mouvement progressif du sang, jusqu'au point de donner quelquefois la fievre & à pousser considérablement vers les couloirs de la peau. Il peut très-bien être que dans plusieurs de ces phthisies, de marasme, de fievre hectique, &c. ce dernier effet, savoir l'effet sudorifique, concourt très-efficacement à la guérison de ces maladies, dans lesquelles l'excrétion cutanée est considérablement diminuée ; mais il arrive aussi dans bien d'autres cas, par exemple, dans la plûpart de ceux où les maladies de poitrine ont commencé par des crachemens de sang ; il arrive, dis-je, que les bouillons de tortue renouvellent & précipitent le malade vers sa fin. Ce remede doit donc être administré avec beaucoup de circonspection : d'ailleurs les observations de ses bons effets dans les cas dont nous venons de parler, manquent presque absolument, sont du-moins très-rares ; parce qu'on a recours communément à ce remede, comme à tous ceux qui sont les plus vantés contre les maladies chroniques de la poitrine, lorsque ces maladies sont trop avancées, lorsqu'il n'y a plus rien à espérer des remedes.

Les maladies dans lesquelles les bouillons de tortue font le plus manifestement du bien, sont celles de la peau ; mais il faut persister long-tems dans l'usage de ce remede.

Le syrop de tortue se prépare ainsi, selon la pharmacopée de Paris : Prenez chair de tortue de terre, une livre : orge mondé & chair de dattes, de chacun deux onces : raisins secs de Damas, mondés de leurs pepins, & réglisse seche rapée, de chacun une once : sebestes & jujubes, de chacun demi-once : pignons & pistaches mondées, de chacun demi-once : fruits de cacao rôtis & broyés, semences de melon, de concombre & de citrouille, de chacun deux gros : semence de laitue, de pavot blanc, de mauve, de chacun un gros : feuilles de pulmonaire, demi-once : fleurs seches de violettes & de nénuphar, de chacun un gros (ou recentes, de chacun une once.) Faites la décoction de toutes ces drogues, selon l'art, dans douze livres d'eau, que vous réduirez à la moitié.

Passez & clarifiez avec quatre livres de sucre rosat ; & cuisez à consistance de syrop, auquel vous pouvez ajouter pour l'aromatiser, quatre gouttes de néroli ou huile essentielle de fleurs d'orange.

Nota. Que ce syrop ne doit pas être conservé long-tems, parce qu'il n'est pas de garde, & qu'il est sujet à se gâter.

On a voulu rassembler dans ce syrop le principe médicamenteux des principales matieres regardées comme éminemment pectorales ou béchiques incrassantes : on a réuni en effet dans ce remede une gelée animale assez tenace, lenta, savoir celle de tortue. Plusieurs substances muqueuses, végétales, éminemment douces ; savoir, celle des dattes, des raisins-secs, de la réglisse, des sebestes, des jujubes & le sucre ; un mucilage léger, fourni par les fleurs de violette & de nénuphar ; & enfin l'extrait très-nitreux des feuilles de pulmonaire ; les semences émulsives qu'on y a entassées, ne fournissent rien à ce syrop. Dans l'état où l'art est parvenu aujourd'hui, c'est une ignorance & une barbarie, que de laisser subsister dans la formule de ce syrop, les pignons, les pistaches, les semences de melon, de concombre, de citrouille, de laitue, de mauve & de pavot blanc, & très-vraisemblablement le cacao. Voyez ÉMULSION & SEMENCES EMULSIVES. Le sucre-rosat est une puérilité ; c'est du bon sucre blanc qu'il faut employer à sa place. Voyez SUCRE & SYROP.

S'il existoit de vrais pectoraux, voyez PECTORAL ; s'il existoit de vrais incrassans, voyez INCRASSANT, ce syrop seroit le pectoral incrassant, par excellence ; si une préparation toute composée de matieres purement alimenteuses pouvoit être véritablement restaurante, on ne devroit point refuser cette qualité au syrop de tortue. Mais comme les substances purement nourrissantes ne sont ni pectorales ni incrassantes, ni restaurantes à petite dose, il est évident que ces vertus sont attribuées au syrop de tortue par charlatanerie ou par préjugé. On peut assurer que cette préparation n'a restauré personne ; & que si elle a calmé quelque toux, ç'à été toujours des toux gutturales ou stomachales, & encore sur des sujets qui avoient l'estomac assez bon pour vaincre la fade & gluante inertie du syrop de tortue. (b)

TORTUE, autrement TORTILLE, (Géog. mod.) Cette île qui appartient à la couronne d'Espagne, doit le nom qu'elle porte à la quantité de tortues que l'on prend sur son rivage. Elle est située à douze lieues ou environ sous le vent de l'île de la Marguerite, sur la côte de Venezuela, dans l'Amérique équinoxiale. Il ne faut pas la confondre avec une autre île de la tortue située à la bande du nord de Saint-Domingue.

TORTUE, (Chirurg.) espece de tumeur qui se forme à la tête. Voyez TESTUDO & TALPA. (Y)

TORTUE, (Art milit.) On appelloit ainsi chez les anciens une espece de galerie couverte, dont on se servoit pour approcher à-couvert de la muraille des places qu'on vouloit ruiner, ou pour le comblement du fossé.

On appelle tortues-bélieres celles qui servoient à couvrir les hommes qui faisoient agir le bélier. Voyez BELIER.

Vitruve nous a donné la description & la structure de la tortue qui servoit à combler le fossé. On la poussoit sur le comblement, à-mesure que l'ouvrage avançoit, jusqu'au pié du rempart ou des tours qu'on sappoit à-couvert de cette machine. Elle étoit composée d'une grosse charpente très-solide & très-forte. C'étoit un assemblage de grosses poutres : les salieres, les poteaux, & tout ce qui la composoit, devoit être à l'épreuve des machines & de toutes sortes d'efforts : mais sa plus grande force devoit être portée au comble & dans les poutres qui la soutenoient, pour n'être point écrasée des corps jettés d'en-haut. On l'appelloit tortue, parce qu'elle servoit de couverture & de défense très-forte & très-puissante contre les corps énormes qu'on jettoit dessus, & ceux qui étoient dessous, s'y trouvoient en sûreté, de-même que la tortue l'est dans son écaille : elle servoit également pour le comblement du fossé & pour la sappe de la muraille. (Folard, Attaq. des places des anciens.) Cet auteur prétend que la tortue n'étoit autre chose que le musculus des anciens.

Les Romains avoient encore d'autres especes de tortues, savoir, pour les escalades & pour le combat.

La tortue pour l'escalade consistoit à faire avancer les soldats par pelotons proche des murs, en s'élevant & en y couvrant la tête de leurs boucliers ; ensorte que les premiers rangs se tenant droits & les derniers à-genoux ; leurs boucliers arrangés ensemble les uns sur les autres comme des tuiles, formoient tous ensemble une espece de toit, sur lequel tout ce qu'on jettoit du haut des murs, glissoit sans faire de mal aux troupes qui étoient dessous. C'étoit dans ces opérations que les boucliers creux dont se servoient les légionnaires, devenoient plus utiles & plus commodes que les autres. On faisoit encore monter d'autres soldats sur ce toit de boucliers, qui se couvrant de-même, tâchoient d'écarter avec des javelines ceux qui paroissoient sur les murs, & d'y monter en se soulevant les uns les autres.

Cette tortue ne pouvoit avoir lieu que lorsque les murs étoient peu élevés.

L'autre tortue pour le combat, se formoit en rase campagne avec les boucliers pour se garantir des traits & des fleches. Selon Plutarque, Marc-Antoine s'en servit contre les Parthes pour se mettre à-couvert de la prodigieuse quantité de fleches qu'ils tiroient sur ses troupes. Cette tortue se faisoit ainsi :

Les légionnaires enfermoient au milieu d'eux les troupes légerement armées ; ceux du premier rang avoient un genou en terre, tenant leur bouclier droit devant eux ; & ceux du second rang mettoient le leur dessus la tête de ceux du premier rang ; ceux du troisieme couvroient ceux du second ; & ainsi des autres, en observant que leurs boucliers anticipassent un peu les uns sur les autres, de-même qu'on arrange les tuiles, ensorte qu'ils formoient une maniere de toit avec leurs boucliers, qui étant un peu creux, se joignoient facilement les uns aux autres, & les mettoient ainsi à l'abri des fleches, principalement de celles qu'on tiroit en l'air, comme faisoient les Parthes. Des moeurs & des usages des Romains. (Q)

TORTUE DE MER, (Marine) sorte de vaisseau qui a le pont élevé en maniere de toît, afin de mettre à-couvert les personnes & les effets qui y sont.

TORTUE, île de la, (Géog. mod.) île de l'Amérique septentrionale, une des Antilles, à deux lieues au nord de S. Domingue. Elle a six lieues de long de l'est à l'ouest, & deux de large du nord au sud. Sa partie septentrionale est inaccessible à cause des rochers qui l'environnent. Les autres parties peuvent produire du tabac, du coton, du sucre & de l'indigo. Cette île chétive, aujourd'hui déserte, a couté aux Espagnols & aux François cent fois plus qu'elle ne peut produire en cent ans. Latit. 20. (D.J.)

TORTUE, île de la, (Géog. mod.) île de l'Amérique septentrionale, dans la mer du Nord, à 14 lieues au sud-ouest de celle de Sainte-Marguerite ; elle abonde en sel, ainsi que l'île de la Tortue de Saint-Domingue ; mais elle est déserte. Latit. septent. 11. d. (D.J.)

TORTUES, îles des, (Géog. mod.) îles de l'Amérique septentrionale, au nombre de sept ou huit, & que quelques-uns mettent au rang des Lucayes ; on les trouve au midi occidental du cap de la Floride, environ à 294 d. de longitude, entre les 24 & 25 d. de latitude nord. (D.J.)


TORTUGNEvoyez TORTUE.

TORTUGNE D'AIGUE, voyez TORTUE DE MER.


TORTURou QUESTION, (Jurisprud.) est un tourment que l'on fait essuyer à un criminel ou à un accusé, pour lui faire dire la vérité ou déclarer ses complices. Voyez QUESTION.

Les tortures sont différentes, suivant les différens pays ; on la donne avec l'eau, ou avec le fer, ou avec la roue, avec des coins, avec des brodequins, avec du feu, &c.

En Angleterre on a aboli l'usage de toutes les tortures, tant en matiere civile que criminelle, & même dans le cas de haute trahison ; cependant il s'y pratique encore quelque chose de semblable quand un criminel refuse opiniatrement de répondre ou de s'avouer coupable, quoiqu'il y ait des preuves. Voy. PEINE FORTE ET DURE.

En France on ne donne point la torture ou la question en matiere civile ; mais en matiere criminelle, suivant l'ordonnance de 1670, on peut appliquer à la question un homme accusé d'un crime capital, s'il y a preuve considérable, & que cependant elle ne soit pas suffisante pour le convaincre. Voyez PREUVE.

Il y a deux sortes de questions ou tortures, l'une préparatoire, que l'on ordonne avant le jugement, & l'autre définitive, que l'on ordonne par la sentence de mort.

La premiere est ordonnée manentibus indiciis, preuves tenantes ; desorte que si l'accusé n'avoue rien, il ne peut point être condamné à mort, mais seulement à toute autre peine, ad omnia citrà mortem.

La seconde se donne aux criminels condamnés, pour avoir révélation de leurs complices.

La question ordinaire se donne à Paris avec six pots d'eau & le petit treteau, & la question extraordinaire aussi avec six pots d'eau, mais avec le grand treteau.

En Ecosse la question se donne avec une botte de fer & des coins.

En certains pays on applique les piés du criminel au feu, en d'autres on se sert de coins, &c.

M. de la Bruyere dit que la question est une invention sûre pour perdre un innocent qui a la complexion foible, & pour sauver un coupable qui est né robuste. Un ancien a dit aussi fort sentencieusement, que ceux qui peuvent supporter la question, & ceux qui n'ont point assez de force pour la soutenir, mentent également.


TORYNE(Géog. anc.) Toryna, lieu de l'Epire, sur la côte. Plutarque, in Antonio, dit que pendant qu'Antoine se tenoit à l'ancre près du cap Actium à la droite, où fut depuis bâtie la ville de Nicopolis, Octave se hâta de traverser la mer d'Ionie, & s'empara le premier du poste appellé Toryne. Antoine fut consterné d'apprendre cette nouvelle, car son armée de terre n'étoit pas encore arrivée ; mais Cléopatre se moquant & jouant sur le mot : hé bien, dit-elle, qu'y a-t-il de si terrible qu'Octave soit assis à Toryne ? Il est impossible de conserver dans la langue françoise la grace de cette allusion, ce qu'Amiot a fort bien vu. Toryne qui est ici un nom de ville, signifie aussi une cuillere-à-pot ; & c'est sur cette derniere signification que porte la plaisanterie de ce bon mot, comme si Cléopatre avoit dit : hé bien, qu'y a-t-il de si terrible qu'Octave se tienne près du feu à écumer le pot ? La plaisanterie étoit d'autant plus jolie, qu'elle tomboit sur un homme qui dans les combats sur terre se mettoit avec les gens du bagage, & sur mer, alloit se cacher à fond de cale, ce qu'Antoine n'ignoroit pas. (D.J.)


TORYSS. m. (Hist. mod.) faction ou parti qui s'est formé en Angleterre, & qui est opposé à celui des Whigs. Voyez FACTION, PARTI, WHIG, &c.

Ces deux fameux partis qui ont divisé si longtems l'Angleterre, joueront dans l'histoire de ce royaume un rôle qui à plusieurs égards ne sera pas moins intéressant que celui des Guelfes & des Gibellins dans celle d'Italie.

Cette division a été poussée au point que tout homme qui n'incline pas plus d'un côté que de l'autre, est censé un homme sans principes & sans intérêt dans les affaires publiques, & ne sauroit passer pour un véritable anglois : c'est pourquoi tout ce que nous avons à dire sur cet article, nous l'empruntons de la bouche des étrangers, que l'on doit supposer plus impartiaux, & en particulier de M. de Cize, officier françois qui a été quelque tems au service d'Angleterre, & qui a fait l'histoire des Whigs & des Torys, imprimée à Leipsic en 1717, & de M. Rapin de Thoiras, dont la dissertation sur les Whigs & les Torys, imprimée la même année à la Haye, est assez connue dans le monde.

Pendant la malheureuse guerre qui conduisit le roi Charles I. sur l'échafaud, les partisans de ce roi furent appellés d'abord cavaliers, & ceux du parlement têtes rondes ; ces deux sobriquets furent changés dans la suite en ceux de torys & de whigs ; & ce fut à l'occasion d'une bande de voleurs qui se tenoient dans les montagnes d'Irlande ou dans les îles formées par les vastes marais de ce royaume, & que l'on appelloit, comme on les appelle encore, Torys ou Rapparis ; les ennemis du roi accusant ce prince de favoriser la rébellion d'Irlande, qui éclata vers ce tems-là, ils donnerent à ses partisans le nom de Torys ; & d'un autre côté, les royalistes pour rendre la pareille à leurs ennemis qui s'étoient ligués étroitement avec les Ecossois, donnerent aux parlementaires le nom de Whigs, qui en Ecosse formoit aussi une espece de bandits, ou plutôt de fanatiques. Voyez WHIG.

Dans ce tems-là le but principal des Cavaliers ou Torys étoit de soutenir les intérêts du roi, de la couronne & de l'église anglicane : & les Whigs ou têtes rondes s'attachoient principalement à maintenir les droits & les intérêts du peuple & de la cause protestante ; les deux partis ont encore aujourd'hui les mêmes vues, quoiqu'ils ne portent plus les mêmes noms de cavaliers & de têtes rondes.

C'est-là l'opinion la plus commune sur l'origine des Whigs & des Torys ; & cependant il est certain que ces deux sobriquets furent à peine connus avant le milieu du regne de Charles II. M. de Cize dit que ce fut en 1678 que toute la nation se divisa en whigs & torys, à l'occasion de la déposition fameuse de Titus Oates qui accusa les Catholiques d'avoir conspiré contre le roi & contre l'état, & que le nom de whig fut donné à ceux qui croyoient la conspiration réelle, & celui de torys à ceux qui la traitoient de fable & de calomnie.

Notre plan demanderoit que nous ne parlassions ici que des Torys ; & que pour ce qui regarde le parti opposé, nous renvoyassions à l'article particulier des Whigs ; mais comme en comparant & confrontant ces deux partis ensemble, on peut mieux caractériser l'un & l'autre que si on les dépeignoit séparément, nous aimons mieux prendre le parti de ne point les séparer, & d'insérer dans cet article ce que nous retrancherons dans celui des Whigs.

Les deux factions peuvent être considérées relativement à l'état, ou relativement à la religion ; & les torys politiques se distinguent en torys violens & en torys modérés ; les premiers voudroient que le souverain fût aussi absolu en Angleterre que les autres souverains le sont dans les autres pays, & que sa volonté y fût regardée comme une loi irréfragable. Ce parti qui n'est pas extrêmement nombreux, ne laisse pas d'être formidable, 1°. par rapport à ses chefs qui sont des seigneurs du premier rang, & pour l'ordinaire les ministres & les favoris du roi, 2°. parce que ces chefs étant ainsi dans le ministere, ils engagent les torys ecclésiastiques à maintenir vigoureusement la doctrine de l'obéissance passive, 3°. parce que pour l'ordinaire le roi se persuade qu'il est de son intérêt de s'appuyer de ce parti.

Les torys modérés ne voudroient pas souffrir que le roi perdît aucune de ses prérogatives ; mais d'un autre côté ils ne voudroient pas sacrifier non plus les intérêts du peuple. M. Rapin dit que ce sont-là les vrais anglois qui ont souvent sauvé l'état, & qui le sauveront encore toutes les fois qu'il sera menacé de sa ruine de la part des torys violens ou des whigs républicains.

Les whigs politiques sont aussi ou républicains ou modérés : les premiers, selon le même auteur, sont le reste du parti de ce long parlement qui entreprit de changer la monarchie en république : ceux-ci font une si mince figure dans l'état, qu'ils ne servent qu'à grossir le nombre des autres whigs. Les Torys voudroient persuader que tous les Whigs sont de l'espece des républicains, comme les Whigs veulent faire accroire que tous les Torys sont de l'espece des torys violens.

Les whigs politiques modérés pensent à-peu-près comme les torys modérés, & s'efforcent de maintenir le gouvernement sur le pié ancien. Toute la différence qu'il y a entr'eux, c'est que les torys modérés panchent un peu davantage du côté du roi, & les whigs modérés du côté du parlement & du peuple : ces derniers sont dans un mouvement perpétuel pour empêcher que l'on ne donne atteinte aux droits du peuple ; & pour cet effet ils prennent quelquefois des précautions qui donnent atteinte aux prérogatives de la couronne.

Avant de considérer les deux partis relativement à la religion, il faut observer que la réformation, suivant le degré de rigueur ou de modération auquel on l'a poussé, a divisé les Anglois en épiscopaux & en presbytériens ou puritains. Les premiers prétendent que la jurisdiction épiscopale doit être continuée sur le même pié, & l'église gouvernée de la même maniere qu'avant la réformation ; mais les derniers soutiennent que tous les ministres ou prêtres sont égaux en autorité, & que l'église doit être gouvernée par les presbyteres ou consistoires composés de prêtres & d'anciens laïques. Voyez PRESBYTERIENS.

Après de longues disputes, les plus modérés de chaque parti relâcherent un peu de leur premiere fermeté, & formerent ainsi deux branches de Whigs & de Torys, modérés relativement à la religion : mais le plus grand nombre continua de s'en tenir à leurs premiers principes avec une opiniâtreté inconcevable, & ceux-ci formerent deux autres branches d'épiscopaux & de presbytériens rigides qui subsistent jusqu'à ce jour, & que l'on comprend sous le nom général de Whigs & de Torys, parce que les Episcopaux se sont joints aux Torys, & les Presbytériens aux Whigs.

De tout ce qui a été dit ci-dessus, nous pouvons conclure que les noms de Torys & de Whigs sont équivoques, entant qu'ils ont rapport à deux objets différens, & que par conséquent on ne doit jamais les appliquer à l'un ni à l'autre parti, sans exprimer en même tems en quel sens on le fait : car la même personne peut être whig & tory à différens égards ; un presbytérien, par exemple, qui souhaite la ruine de l'église anglicane, est certainement à cet égard du parti des Whigs ; & cependant s'il s'oppose aux entreprises que forment quelques-uns de son parti contre l'autorité royale, on ne sauroit nier qu'un tel presbytérien ne soit effectivement à cet égard du parti des Torys.

De même les Episcopaux doivent être regardés comme des Torys par rapport à l'église, & cependant combien y en a-t-il parmi eux qui sont des Whigs véritables par rapport au gouvernement ?

Au reste, il paroît que les motifs généraux qui ont fait naître & qui fomentent encore les deux factions, ne sont que des intérêts particuliers & personnels : ces intérêts sont le premier mobile de leurs actions ; car dès l'origine de ces factions, chacun ne s'est efforcé de remporter l'avantage, qu'autant que cet avantage pouvoit leur procurer des places, des honneurs & des avancemens, que le parti dominant ne manque jamais de prodiguer à ses membres, à l'exclusion de ceux du parti contraire. A l'égard des caracteres que l'on attribue communément aux uns & aux autres, les Torys, dit M. Rapin, paroissent fiers & hautains ; ils traitent les Whigs avec le dernier mépris & même avec dureté, quand ils ont l'avantage sur eux. Ils sont extrêmement vifs & emportés, & ils procedent avec une rapidité qui n'est pas toujours l'effet de l'ardeur & du transport, mais qui se trouve fondée quelquefois sur une bonne politique : ils sont fort sujets à changer de principes, suivant que leur parti triomphe ou succombe.

Si les Presbytériens rigides pouvoient dominer dans le parti des Whigs, ils ne seroient pas moins zélés & ardens que les Torys ; mais nous avons déja observé qu'ils n'ont pas la direction de leur parti, ce qui donne lieu à conclure que ceux qui sont à la tête des Whigs, ont beaucoup plus de modération que les chefs des Torys : à quoi l'on peut ajouter que les Whigs se conduisent ordinairement selon des principes fixes & invariables, qu'ils tendent à leurs fins par degrés, & qu'il n'y a pas moins de politique dans leur lenteur que dans la vivacité des Torys.

Ainsi, continue l'auteur, on peut dire à l'avantage des Whigs modérés, qu'en général ils soutiennent une bonne cause, savoir la constitution du gouvernement, comme il est établi par les loix. Voyez WHIGS.


TOSou TOSSU, (Géog. mod.) une des six provinces de l'empire du Japon, dans la Nankaido, c'est-à-dire dans la contrée des côtes du sud. Cette province a deux journées de longueur de l'est à l'ouest, & est divisée en huit districts. Son pays produit abondamment des légumes, du bois, des fruits & autres choses nécessaires aux besoins de la vie. (D.J.)

TOSA, la, (Géog. mod.) riviere d'Italie : elle prend sa source au mont S. Gothard, coule dans le Milanez, & se jette dans le lac majeur, un peu audessus de Pallenza. (D.J.)


TOSCANETERRE BOLAIRE DE, (Hist. nat.) terra sigillata florentina, ou terra alba magni ducis ; c'est une terre bolaire blanche, assez dense, compacte & pesante, douce & savonneuse au toucher. Boccone a cru qu'elle contenoit des parties métalliques à cause de sa pesanteur, & parce que l'on trouve du fer & du mercure dans les montagnes d'où on la tire. On la trouve près de Sienne, près de Florence, & en plusieurs autres endroits de la Toscane.

TOSCANE, (Géog. anc.) la Toscane, ou plutôt l'Hétrurie, se partageoit anciennement en douze cités, dont chacune gouvernée séparément avoit un chef électif, nommé roi par les Romains, mais que presque tous les anciens supposent avoir eu le titre de Lucumon. Ces douze cités formoient néanmoins un corps, & leurs députés s'assembloient pour tenir un conseil commun sur les intérêts généraux de la nation. Quelquefois leurs troupes se réunissoient : plus souvent elles étoient désunies, & c'est cette mésintelligence qui livra la Toscane aux Romains. Les anciens ont parlé de ces douze cantons de l'Hétrurie : mais aucun n'en a fait l'énumération, & les modernes qui l'ont entreprise ne sont pas d'accord entr'eux.

Il faut bien distinguer les Toscans de l'Hétrurie d'avec ceux de la Campanie, & d'avec ceux qui habitoient au-delà du Pô ; c'étoient trois corps différens, & qui ne dépendoient point l'un de l'autre. Presque tous les Critiques les ont néanmoins confondus ensemble : ils font plus, ils confondent les Toscans de l'Hétrurie d'avec les Pélasges ; & cela, parce que plusieurs cités pélasgiques étoient enclavées dans l'Hétrurie, où, malgré leur mêlange avec les Toscans, elles avoient conservé, sans beaucoup d'altération, les moeurs & la religion des anciens habitans de la Grece. Voyez TYRRHENES, RASENAE, HETRURIA, &c. (D.J.)

TOSCANE, la, (Géog. mod.) état souverain d'Italie, avec titre de grand-duché : il est borné au nord par la Marche d'Ancone, la Romagne, le Bolognese, le Modenois & le Parmesan ; au sud, par la mer Méditerranée ; à l'orient, par le duché d'Urbin, le Pérugin, l'Orvietano, le patrimoine de S. Pierre & le duché de Castro ; à l'occident, par la mer & l'état de la république de Gènes.

On lui donne cent trente milles du nord au sud, & près de six-vingt milles de l'est à l'ouest ; elle comprend le Florentin, le Pisan & le Siennois ; mais pour que la Toscane moderne renfermât toute l'ancienne Hétrurie, elle devroit comprendre encore quelques autres domaines, qui sont entre les mains de divers princes particuliers.

On sait les diverses révolutions qu'elle a essuyées. La Toscane, ou plutôt l'Hétrurie, passa de la domination de ses Lucumons à celle des Gaulois-Sénonois qui furent soumis aux Romains. Après la décadence de l'empire romain, cette grande province devint la proie des barbares qui inonderent l'Italie ; ensuite elle fit partie des états des empereurs d'Occident ; après plusieurs changemens, elle tomba entre les mains des Médicis, & fut érigée en duché par l'empereur Charles-Quint en faveur d'Alexandre de Médicis ; le dernier duc de ce nom, Jean-Gaston de Médicis, étant mort sans enfans en 1737, la Toscane a passé au duc de Lorraine, aujourd'hui empereur.

Quand on commença en Italie vers le commencement du xiv. siecle à sortir de cette grossiereté, dont la rouille avoit couvert l'Europe depuis la chûte de l'empire romain, on fut redevable des beaux-arts aux toscans, qui firent tout renaître par leur seul génie. Brunelschi commença à faire revivre l'ancienne architecture. Le Giotto peignit, Bocau fixa la langue italienne. Gui d'Arezzo inventa la nouvelle méthode des notes de la musique. La Toscane étoit alors en Italie ce qu'Athènes avoit été dans la Grece. Voyez les monumenta Etrusca, tabulis aeneis, edita & illustrata ab Ant. Franc. Gori, Flor. 1737, trois volumes in-fol.

Enfin le commerce avoit rendu la Toscane si florissante & ses souverains si riches, que le grand-duc Cosme II. fut en état d'envoyer vingt mille hommes au secours du duc de Mantoue contre le duc de Savoie en 1613, sans mettre aucun impôt sur ses sujets : exemple rare chez des nations plus puissantes.

Il faut ajouter que le terroir de la Toscane est admirable par son aspect & sa variété. Ici se présentent de hautes montagnes, où l'on trouve des mines de cuivre, d'alun, de fer & même d'argent, & des carrieres de très-beau marbre & de porphyre ; ailleurs s'offrent à l'aspect des collines délicieuses, où l'on recueille quantité de vin, d'oranges, de citrons, d'olives, & de toutes sortes de fruits. Dans d'autres endroits sont des plaines à perte-de-vue, fertiles en pâturages, en blé, en grains, & en tout ce qu'on peut souhaiter pour le soutien de la vie. Le printems y est perpétuel.

Adisson enchanté de cette contrée, en a fait un tableau charmant. La Toscane, dit-il, est ce beau pays d'Italie, qui mérite la préférence sur tout autre.

Where ev'n rough rocks with tender myrthe bloom,

And trodden weeds send out a rich parfume ;

Where western gales eternally reside,

And all the seasons lavish all their pride ;

Blossoms and fruits, and flow'rs, together rise,

And the whole year in gay confusion lies.

(D.J.)

TOSCANE, mer de, (Géog. mod.) on appelle mer de Toscane ou mer de Tyrrhene la partie de la mer Méditerranée renfermée entre la Toscane, l'état de l'Eglise, le royaume de Naples, & les îles de Sicile, de Sardaigne & de Corse. On lui donne aussi le nom de mer inférieure par opposition au golfe de Venise, qu'on appelle mer supérieure. (D.J.)


TOSCANELLA(Géog. mod.) petite ville d'Italie, au duché de Castro, dans l'état de l'Eglise, au patrimoine de S. Pierre, sur la Marta. Elle avoit autrefois un évêché qui a été uni à celui de Viterbe. Ses anciens habitans sont nommés Tuscanienses dans Pline, l. III. c. v. Long. 29. 42. latit. 42. 24. (D.J.)


TOSSALE CAP, (Géog. mod.) anciennement Lunarium promontorium, cap d'Espagne, en Catalogne, près de la ville de Palamos. (D.J.)


TOSTAR(Géog. mod.) ville de Perse, capitale du Kursistan, entre le Farsistan & le golfe persique. Elle a été connue autrefois sous le nom de Suse. Voyez SUSE. (D.J.)


TOSTESTOSTES


TOTS. m. (Lang. franç.) ce mot a signifié la place où est un bâtiment, & ce qu'on appelle aujourd'hui en Normandie une masure. Plusieurs villages, hameaux & châteaux en ont retenu le nom ; & c'est de-là qu'ont été formés ceux de Cretot, Yvetot, Raffetot, &c. (D.J.)

TOT, ou TOTTE ou AUTANT, (Hist. mod.) terme anglois ; une bonne dette active du roi se marque sur le registre par l'examinateur, ou autre officier de l'échiquier, qui met en marge le mot tot, c'est-à-dire autant est dû au roi, d'où est venu le terme de totté ; la somme qui a été payée au roi, se marque de même sur le registre. Voyez ÉCHIQUIER.


TOTALS. m. (Commerce) assemblage de plusieurs parties qui composent un tout. Les quatre quarts ou les trois tiers d'une aune en font le total.

Total se dit aussi en fait de comptes de plusieurs nombres ou sommes qu'on a jointes ensemble par l'addition, pour connoître le montant, soit du crédit, soit du débit d'un compte, c'est-à-dire de la recette ou de la dépense. L'addition de plusieurs nombres forme un total ou somme totale. Dictionnaire de commerce.


TOTANUSS. m. (Ornithol.) oiseau aquatique de grosseur médiocre, noir & blanc ; son bec & son col sont longs d'environ trois doigts ; sa queue est grande comme la main ; ses jambes sont hautes ; ses piés sont rougeâtres, armés d'ongles noirs ; sa tête est ordinairement noire par-devant, rougeâtre parderriere ; ses aîles sont blanches & noires ; sa queue est traversée de lignes blanches & noires. Jonston. (D.J.)


TOTAPHOTS. m. (Hist. judaïq.) terme hébreu, que les Grecs ont traduit par , & par , & qui se trouve en quelques endroits de l'Ecriture.

Les critiques sont fort partagés sur la signification de ce mot ; quelques-uns croient qu'il est égyptien, & qu'il signifie une sorte d'ornement qui ne nous est pas bien connu. Les septante le traduisent par des choses immobiles, & Aquila par des pendans. Les paraphrastes chaldéens le rendent tantôt par tephilim, des préservatifs ; & tantôt par une tiare, une couronne, un brasselet, faisant apparemment attention à l'usage des juifs de leur tems, qui prenoient les totaphot pour des bandes de parchemin qu'ils portoient sur le front. Voyez FRONTAL ou FRONTEAU.

Quelques rabbins veulent que totaphot signifie un miroir ; d'autres, comme Oléaster, Neyer, Grotius, prétendent qu'en égyptien il signifie des lunettes. Scaliger & Lightfoot l'expliquent par amuleta, des phylacteres, des préservatifs ; Samuël Petit, par des figures obscenes que les payens portoient en forme de préservatifs. S. Jérôme croit que par ce terme il faut entendre les tephilim ou bandes de parchemin surchargées de passages de l'Ecriture, que les juifs des Indes, de la Babylonie & de la Perse, & sur-tout les pharisiens, affectoient de porter de son tems.

Le P. Calmet croit que totaphot signifie des pendans qu'on mettoit sur le front, & qui pendoient entre les yeux ; mais il ne décrit pas quels ils pouvoient être, ni pour quelle raison on les plaçoit ainsi. Il ajoute seulement que Moyse veut que la loi de Dieu soit toujours présente au coeur & à l'esprit des Israélites, comme les totaphos sont toujours présens aux yeux de celles qui les portent, ce qui feroit conjecturer que ces totaphos étoient des ornemens de tête des femmes israélites. Calmet, diction. de la Bible, t. III. p. 699.


TOTAQUESTALS. m. (Ornithol.) oiseau des Indes occidentales, un peu plus petit qu'un pigeon ramier. Il a les plumes vertes, & la queue longue. Les naturels du pays qui s'ornoient des plumes de cet oiseau dans les principales fêtes, le regardoient autrefois avec une très-grande vénération ; & c'étoit un crime capital de le tuer, au rapport de Nieremberg qui a tiré ce récit d'Antoine Herrera. (D.J.)


TOTNESS(Géogr. mod.) bourg à marché d'Angleterre, en Devonshire, sur la riviere de Dart, à neuf milles de Darmouth. Il envoie des députés au parlement.


TOTOCKES. f. (Hist. nat. Botan. exot.) totocifera arbor Orellanensium, Ray, Hist. plant. C'est un arbre du Pérou, gros & branchu ; ses feuilles sont faites à-peu-près comme celles de l'orme. Il ne porte point de fleurs, mais une sorte de calice d'un verd-foncé, qui devient un fruit presque rond, couvert d'une écorce ligneuse, dure, épaisse, striée. Ce fruit est divisé en six loges contenant huit à dix noix de couleur roussâtre, & longues de deux pouces. Chaque noix a un noyau oblong, semblable à une amande, renfermant une chair blanche un peu huileuse, bonne à manger. Les arbres qui portent ce fruit sont si hauts, & le fruit lui-même est si pesant quand il est mûr, que les naturels du pays n'osent pas alors entrer dans les bois, sans garantir leur tête par quelque défense contre la chûte de ce fruit. (D.J.)


TOTONS. m. terme de Tabletier, espece de dé traversé d'une petite cheville, sur laquelle on le fait tourner ; & il est marqué de différentes lettres sur ses quatre faces. Les enfans en ont fait un jeu, par lequel lorsque faisant tourner cette espece de dé il tombe sur le T, qui signifie totum, on prend tout ce qui est au jeu ; & c'est de-là que ce jeu tire son nom. (D.J.)


TOUACHou TOUAPARE, s. m. (Hist. nat. Diete) c'est une espece de vin que les habitans de Madagascar savent faire avec la liqueur qui se tire des cannes de sucre. On dit qu'il a un goût amer qui approche de celui de la biere forte. Pour cet effet, on fait bouillir les cannes de sucre dans de l'eau, jusqu'à ce que l'eau soit réduite aux deux tiers ; on met ensuite cette décoction dans des gourdes, & au bout de trois jours cette liqueur devient si forte qu'elle ronge la coquille d'un oeuf, dans laquelle on l'aura versée. Ils font encore une autre liqueur qui est semblable à du cidre, en faisant bouillir pendant 4 ou 5 heures le fruit du bananier.


TOUAGES. m. (Marine) c'est le travail des matelots, qui à force de rames, tirent un vaisseau qu'on a attaché à une chaloupe, afin de le faire entrer dans un port, ou monter dans une riviere.

TOUAGE, (Marine) Voyez TOUE.


TOUANSES. f. (Soierie) étoffe de soie qui vient de la Chine. C'est une espece de satin, plus fort mais moins lustré que celui de France. Il y en a d'unis, d'autres à fleurs ou à figures, & d'autres encore avec des oiseaux, des arbres & des nuages. (D.J.)


TOUCANS. m. (Hist. nat. Ornithol. exot.) Voyez la Pl. XII. fig. 3. C'est le nom américain d'un genre distinct d'oiseau, qu'on range parmi les pies ; c'est pourquoi quelques-uns de nos naturalistes le nomment pica brasiliensis, pie du Brésil ; & d'autres l'appellent ramphostos : voici les caracteres de ce genre d'oiseau.

Son bec est considérablement large, égal en grandeur dans la plûpart des especes, à tout le corps. Il n'a aucune narine visible. Ses piés ont chacun quatre orteils, deux devant & deux derriere, comme dans le perroquet.

On en connoît quatre especes : 1°. le toucan au croupion rouge : 2°. le toucan au croupion jaune : 3°. le toucan au croupion blanc : 4°. le toucan au croupion verd, avec un bec en partie coloré. Ces sortes d'oiseaux sont nommés par Linnaeus rostratae, à cause de la largeur de leur bec.

Cet oiseau est généralement en Amérique, de la grosseur d'un de nos pigeons. Son bec qui est extraordinaire, a rendu le toucan si célebre, qu'on l'a placé dans le ciel parmi les constellations australes. Ce bec est crochu au bout ; il est large de deux à trois pouces, & long de cinq à six. Il est d'une substance membraneuse, osseuse, transparente, reluisante, creuse en-dedans, & d'une grande légéreté. La partie supérieure arrondie au-dessus, croît en forme de faulx, émoussée à sa pointe. Les bords qui le terminent sont découpés en dents de scie, d'un tranchant très-subtil, prenant leur naissance vers la racine du bec, & continuant jusqu'à son extrêmité ; cette dentelure en forme de scie, l'empêche de se fermer exactement. Mais afin que ce bec qui est d'une si grande longueur, & d'une si grosse épaisseur fût bien soutenu, la tête de l'oiseau est à proportion du reste du corps grande & grosse.

Sa langue presque aussi longue que le bec, est composée d'une membrane blanchâtre, fort déliée, découpée profondément de chaque côté, & avec tant de délicatesse, qu'elle ressemble à une plume.

Ses jambes sont courtes, & couvertes de grandes écailles ; chacun de ses piés est composé de quatre orteils, dont les plus courts sont en-dedans, & les plus longs en-dehors ; chacun de ces orteils est terminé par un ongle noir & émoussé.

On s'apperçoit si peu des narines de cet oiseau, que l'on a cru qu'il n'en avoit point, & que l'air entroit dans son corps par les interstices de la dentelure du bec ; il est vrai cependant, que le toucan a des narines, mais qu'on ne découvre pas tout d'un coup, parce qu'elles sont cachées entre la tête & la racine du bec.

On peut dire en général que c'est un oiseau fort extraordinaire ; on en distingue les especes par leur grosseur, & la variété de leur couleur. Il ne vit point dans les pays froids de l'Amérique, mais l'on en voit beaucoup au Brésil le long de la riviere de Janéiro ; & les plus petits vivent au Pérou. Le champ du pennage de ces derniers est tout noir sur le dos, excepté au bout de la queue ; ils ont quelques pennes aussi rouges que du sang, entrelacées parmi les noires ; & sous la poitrine ils sont d'un jaune-orangé des plus vifs. Les Sauvages se servent de leurs grosses plumes pour leur parure.

Cet oiseau se familiarise facilement avec les poules ; alors il se présente quand on l'appelle, & n'est point difficile à nourrir, prenant indifféremment tout ce qu'on lui donne.

Thevet qui en parle dans ses voyages avec admiration, l'appelle l'oiseau mange-poivre. Il raconte que le dévorant avec avidité, il le rend tout aussitôt sans l'avoir digéré ; mais que les Américains font grand cas de ce poivre, parce que l'oiseau en a corrigé la chaleur âcre dans son estomac. C'est un bon conte de voyageur ; mais on peut lire des observations plus vraies sur cet oiseau dans le P. Feuillé.

TOUCAN, en Astronomie, c'est une constellation moderne de l'hémisphere méridional, composée de huit petites étoiles, que l'on appelle autrement anser americanus, l'oie d'Amérique. V. CONSTELLATION.


TOUCHANTadj. Voyez l'article PATHETIQUE.


TOUCHANTES. f. en Géométrie, on dit qu'une ligne droite est touchante d'un cercle, quand elle le rencontre ; de maniere qu'étant prolongée des deux côtés indéfiniment, elle ne coupe point le cercle, mais tombe au-dehors.

La touchante d'une ligne courbe quelconque est plus proprement appellée tangente. V. TANGENTE.


TOUCHAUS. m. (Docimast.) on nomme touchaux, des aiguilles d'essai, acus probatrices. Elles servent à connoître exactement les différens degrés d'alliage ou de pureté de l'or, de l'argent & du cuivre. On compare l'enduit de ces métaux avec celui des touchaux, qui sont de petites lames faites des mêmes métaux avec différens titres connus. Ces aiguilles sont larges d'une ligne, épaisses d'une demie, & longues de deux ou trois pouces. Chacune d'elles porte une empreinte qui indique son titre.

L'alliage des touchaux pour argent se fait avec du cuivre, & rarement avec du laiton. Pour en établir les proportions, on se sert du poids de marc en petit divisé en demi-onces & en grains. Mais comme il faut qu'il puisse contrebalancer une molécule métallique assez considérable pour une aiguille, on en prend un qui le double six fois, c'est-à-dire qui équivaut à 96 livres du quintal fictif, donc conséquemment un grain en vaut six du précédent. On pese avec ce poids un marc d'argent pur, on l'enveloppe dans un papier sur lequel on marque seize demi-onces ; ce qui signifie que ce marc est d'argent parfaitement pur. La molécule pesée fait la premiere aiguille. On pese ensuite quinze demi-onces d'argent pur, & une demi-once de cuivre. Ce dernier métal doit être d'une seule piece solide, qui ait le moins de surface qu'il soit possible, & que l'on ait ajusté avec une lime. Si l'on n'avoit cette attention, c'est-à-dire, si le cuivre étoit divisé en un grand nombre de petites molécules, ou étendu en feuilles, il arriveroit que la plus grande partie s'en scorifieroit plutôt que d'entrer en fusion. On enveloppera également les deux derniers morceaux pesés, & on y marquera quinze demi-onces pour faire connoître que la molécule métallique en question, est composée de quinze parties d'argent pur, & d'une de cuivre. C'est pour la seconde aiguille. On pese encore quatorze demi-onces d'argent pur & deux de cuivre, que l'on enveloppe & inscrit quatorze demi-onces, & dont on fait la troisieme. L'on continue enfin d'ajuster la matiere des autres aiguilles, selon la même progression arithmétique, croissante pour le cuivre, & décroissante pour l'argent, & l'on donne à chacune l'inscription qui lui convient. Tel est l'ordre qu'on suit.

Pour unir le cuivre à l'argent, prenez un creuset neuf dont le fond soit bien uni ; frottez-le intérieurement de borax ; mettez-y en particulier chaque portion de métal contenue dans l'un des papiers, & y ajoutez un peu de borax & de flux noir. Placez votre creuset dans un fourneau de fusion, & l'échauffez rapidement ; ou plutôt jettez votre mêlange dans un creuset embrasé ; remuez-le un peu, sitôt qu'il aura acquis une fusion parfaite, & le retirez du feu pour le laisser refroidir ; vous le casserez pour avoir la matiere qu'il contient.

Cette fonte se fait aussi avec le chalumeau à un feu de lampe, & peut-être plus commodément. On remet dans le même papier chacune des petites molécules métalliques pour éviter la confusion, & on les pese de nouveau à la balance d'essai. Celles qui peseront près d'un marc seront bonnes ; mais s'il s'en trouve à qui il manque un poids considérable, comme, par exemple, quatre grains ou plus ; c'est une preuve qu'il s'est perdu autant de cuivre à proportion, soit par le déchet ou autrement, parce que le feu aura été ou trop lent, ou trop long. On doit remplacer celle à qui cet inconvénient sera arrivé, en gardant les mêmes proportions qu'auparavant.

On façonnera avec le marteau chacune de ces petites masses pour en former des aiguilles, observant de les recuire de tems-en-tems, en cas qu'elles deviennent trop roides par le martelage. On gravera sur ces aiguilles le nombre des demi-onces d'argent qu'elles contiennent, celui de seize sur la premiere, de quinze sur la seconde, & ainsi de suite. Chacune sera percée à l'une de ces extrêmités, afin qu'on puisse y passer un fil pour les enfiler toutes ensemble ; ce qui se fera dans l'ordre de leurs numéros ; on donne le nom de ligature à la suite de ces aiguilles de différens titres.

Quelques essayeurs inserent une aiguille d'un titre proportionnel entre chacune de celles dont nous venons de parler ; d'autres y en inserent un plus grand nombre, comme trois, par exemple ; ce qui en augmente le nombre, & exige une plus grande quantité de combinaisons, ainsi qu'on peut le déduire du paragraphe précédent ; mais quant à la ligature de l'argent, il n'est presque pas possible de mettre de distinction entre deux aiguilles dont la différence de l'alliage est moindre que de la moitié d'une demi-once.

On peut ajouter aussi à ces aiguilles ou touchaux d'argent, une lame de cuivre pour servir de derniere aiguille ; parce qu'on se sert aussi de cette ligature pour connoître la pureté du cuivre, ou les différentes quantités d'argent qu'il peut contenir.

Les aiguilles ou touchaux se font en Flandre avec le poids de marc divisé par grains ; la premiere est une aiguille de douze deniers, c'est-à-dire d'argent pur. La seconde d'onze deniers dix-huit grains d'argent, & de six grains de cuivre, & ainsi de suite ; en sorte que la proportion de l'argent décroît toujours de la quantité de six grains, ou d'un quart de denier, & que celle du cuivre est en raison inverse. Lorsqu'on en est venu à la quantité d'un denier pour l'argent, & d'onze deniers pour le cuivre, on ne va pas plus loin ; cette proportion constitue la derniere aiguille.

Il est toutefois inutile que la différence de la quantité d'alliage de deux aiguilles proportionnelles voisines, continue d'être aussi petite jusqu'à la fin. Celle de six grains suffira jusqu'à l'aiguille de neuf deniers, & celle de la moitié d'une demi-once, jusqu'à l'aiguille de dix demi-onces en descendant ; c'est-à-dire en commençant par l'argent pur, parce qu'il n'est pas possible de discerner exactement dans les aiguilles suivantes des variétés si peu sensibles.

Les aiguilles d'essai ou les touchaux pour or, sont composées d'or & d'argent, seul ou allié de cuivre en différentes proportions. On donne le nom de carature, caratura, à ces sortes de combinaisons, que l'on regle à l'aide du poids de marc divisé en karats. Au reste, il n'y a d'autre différence entre la préparation de ces aiguilles-ci & celles d'argent, qu'en ce que leur titre est proportionné d'une autre façon. Chaque touchau est du poids d'un marc. La table suivante représente leur ordre & leur division.

La premiere est d'or pur ou à 24 karats.

Ensorte que l'on va toujours en diminuant par karats entiers, jusqu'à ce qu'on soit parvenu au vingt-troisieme karat d'argent ; par la raison, ainsi que nous l'avons déja dit, qu'il n'est pas possible de connoître exactement entre deux aiguilles au-dessous de la neuvieme, une différence qui ne consiste qu'en six grains d'or plus ou moins. L'alliage en question de l'or & de l'argent s'appelle carature blanche, caratura alba.

Si l'on mêle le cuivre à l'argent pour faire des touchaux d'or, cette combinaison prend le nom de la carature mixte, caratura mixta. Cette préparation se fait selon les mêmes loix que la précédente ; à cette seule différence près, que la molécule d'argent pur jointe à l'or dans la table précédente, est ici alliée d'une partie, ou à deux parties de cuivre ; ce qui fournit deux especes d'aiguilles, quant aux proportions de leurs combinaisons. La table suivante présente un exemple de deux parties d'argent, contre une de cuivre.

La premiere aiguille est d'or pur ou de 24 karats.

Et ainsi de suite, selon l'ordre de la précédente.

Si dans la table ci-dessus on substitue le cuivre pur à l'argent pur, & réciproquement, on a une troisieme espece de touchaux d'or ; & enfin une quatrieme, si ces deux métaux sont alliés à quantités égales.

Nous n'avons exposé que les combinaisons de l'or le plus en usage ; car elles sont susceptibles d'être variées d'une infinité de façons qu'il n'est ni possible, ni nécessaire à un essayeur d'imiter ; bien qu'il puisse jusqu'à un certain point, quand il a acquis beaucoup d'usage, distinguer leurs différens titres en les comparant avec les nôtres.

Si l'on trouvoit que les aiguilles d'or dussent revenir à un trop haut prix, on pourroit les faire plus petites que les aiguilles d'argent, & les souder à des lames de cuivre pour en rendre l'usage plus commode. Cramer, Docimastique. (D.J.)


TOUCHES. f. (terme de Luthier) ce mot est équivoque. La touche, en parlant de guittare, de luth, de théorbe, & autres pareils instrumens, est un morceau de bois d'ébene, délié, poli, proprement collé le long desdits instrumens, & autour duquel bois d'ébene sont les cordes qu'on appelle aussi touches. Ce terme, en parlant d'orgues, d'épinettes & de clavecins, est un morceau d'ébene ou d'ivoire quarré, sur lequel on pose avec adresse & avec méthode les doigts pour jouer tout ce que l'on veut.

TOUCHE, TOUCHER, (Peinture) lorsqu'un peintre a suffisamment empâté & fondu les couleurs qu'il a cru convenables pour représenter les objets qu'il s'est proposé d'imiter, il en applique encore d'un seul coup de pinceau, qui acheve de caractériser ces objets, & ces coups de pinceau s'appellent toucher. On dit touches légeres, touches faciles ; telles parties sont bien touchées, finement touchées ; pour exécuter telle chose il faut savoir toucher le pinceau, ou avoir de la touche de pinceau, &c.

TOUCHE, s. f. (jeu des Jonchets) ce mot se dit d'une petite espece de baguette d'os ou d'ivoire dont les enfans se servent aux jonchets pour lever chaque piece de jonchets, après qu'on les a fait tomber.

TOUCHE, pierre de, (Hist. nat.) lapis lydius, basaltes ; c'est une pierre noire fort dure, à qui on a donné le nom qu'elle porte, parce qu'on s'en sert pour essayer la pureté de l'or & de l'argent. Pour cet effet on commence par y frotter de l'or ou de l'argent très-purs, & ensuite on juge de la pureté des métaux que l'on veut éprouver en traçant avec eux une nouvelle raye à côté de celle qui y est déjà, & c'est suivant le plus ou le moins de conformité que l'on trouve entre la couleur du métal qu'on vient de frotter sur la pierre de touche & celui qui y étoit auparavant, que l'on est en état de décider de sa pureté.

Toute pierre noire peut absolument servir de pierre de touche, mais il faut deux conditions ; la premiere est que la pierre soit assez dure pour n'être point rayée par les métaux que l'on frotte dessus ; la seconde, que l'eau-forte n'agisse point sur cette pierre, parce que souvent après avoir frotté de l'or sur la pierre de touche, on verse de l'eau-forte sur l'endroit où ce métal a été frotté, & l'on examine si cet acide agit dessus, ce qui n'arrive que lorsque l'or est allié avec du cuivre ou de l'argent. On voit par-là que tous les marbres ne sont point propres à faire des pierres de touche.

Les anciens ont donné le nom de basaltes à la pierre de touche ; ce mot vient du mot grec , j'examine ; ou suivant d'autres, de Bisaltia, province de la Macédoine : dans cette supposition de bisaltes, on aura fait basaltes. On dit que le mot éthiopien basal, signifioit du fer ; ce qui a fait croire que le nom de basaltes avoit été donné à cette pierre parce qu'elle étoit de la couleur de fer. On l'appelloit aussi lapis lydius, pierre de Lydie ; apparemment parce qu'il s'en trouvoit en Lydie. Suivant Pline cette pierre se trouvoit en Ethiopie. On en trouve aujourd'hui en plusieurs endroits de l'Europe ; il y en a près de Lauban sur le Queiss en Silésie ; mais elle se rencontre en grande abondance à Stolpen en Misnie, où elle se montre sous la forme de grands crystaux fort élevés, qui forment des especes de tuyaux d'orgue, au haut desquels le château de Stolpen est bâti. Voyez l'article STOLPEN (pierre de.)

La pierre de touche se trouve aussi en colonnes formées par un assemblage de plusieurs articulations en Irlande, dans le comté d'Antrim, où il y en a un amas prodigieux, nommé en anglois giant's causeway, c'est-à-dire, pavé des géans. Voyez l'article PAVE DES GEANS.

La pierre de touche de cette espece dans son état naturel, est ou noire, ou d'un gris foncé & couleur de feu, les colonnes de ses crystaux sont unies & lisses comme si elles avoient été polies. Cette pierre est très-dure, elle ne fait nulle effervescence avec les acides, elle entre en fusion au feu sans aucune addition. M. Pott croit que c'est une terre argilleuse mêlée d'une portion de fer qui sert de base à cette pierre.

Au reste, comme pierre de touche est un mot générique emprunté de l'usage qu'on en fait pour essayer les métaux, il peut se donner à des pierres d'une nature toute différente du basaltes qui vient d'être décrit, & toute pierre noire, dure & lisse sera propre à faire une pierre de touche. Un caillou noir pourra, par exemple, être très-bon pour cet usage, parce que l'eau-forte n'agira point sur lui. On dit que les Italiens se servent d'une pierre de touche verte, qu'ils nomment verdello, pour essayer l'or & l'argent ; quelques auteurs ont prétendu que c'étoit un marbre ; mais comme nous l'avons déja remarqué, le marbre n'est pas propre à être employé en pareil cas, par la facilité qu'il a à être mis en dissolution par les acides.


TOUCHÉterme de Paumier, qui signifie que la balle a touché au corps ou aux habits d'un joueur. Le joueur qu'une balle touche soit de volée ou du premier bond, perd un quinze.


TOUCHERS. m. (Physiolog.) le toucher est un des sens externes, à l'aide duquel nous concevons les idées du solide, du dur, du mol, du rude, du chaud, du froid, de l'humide, du sec, & des autres qualités tangibles, de la distance, de la démangeaison, de la douleur, &c. Voyez SENS, SOLIDE, DUR, &c.

Le toucher est de tous nos sens le plus grossier, mais en même tems le plus étendu, en ce qu'il embrasse plus d'objets que tous les autres ensemble : même quelques-uns réduisent tous les autres sens au seul sens de l'attouchement. Voyez SENSATION.

Aristote dit positivement que toute sensation n'est qu'un attouchement, & que les autres sens, comme la vue, l'ouie, le goût & l'odorat, ne sont que des especes raffinées, ou des degrés d'attouchement. De anim. l. IV. c. iij. & l. III. c. xij. Voyez VUE, OUIE, &c.

Les sentimens des naturalistes sont partagés, sur l'organe du toucher. Aristote croit que ce sens réside dans la chair, entant que chair, de sorte que toute chair est, selon lui, capable de sensation. Hist. anim. l. I. c. iv. D'autres veulent que le toucher gisse dans les parties qui sont pourvues de fibres nerveuses ; suivant ce système il résideroit dans la peau, la chair, les muscles, les membranes, & les parenchymes ; d'autres le restreignent simplement à la peau, cutis, parce qu'on observe qu'il n'y a que les parties qui sont couvertes d'une peau, qui aient proprement la faculté de toucher ou d'appercevoir des qualités tangibles.

Mais on est encore partagé sur la partie de la peau à laquelle on doit attribuer cette fonction. Les uns veulent que cette sensation réside dans la partie membraneuse, d'autres dans la partie charnue, & d'autres encore soutiennent qu'elle est dans la partie moëlleuse qui dérive des nerfs.

Malpighi, & d'après lui tous nos meilleurs auteurs modernes, prétendent que les organes immédiats du sens que nous nommons toucher, sont les papilles pyramidales de la peau.

Ces papilles sont de petites éminences molles, moëlleuses, & nerveuses, qui se trouvent par tout le corps immédiatement sous l'épiderme ; elles sont formées des nerfs sous-cutanés, qui pour cet effet se dépouillent de leur membrane externe, & deviennent extrêmement délicates & sensibles ; une humeur subtile & déliée les humecte continuellement, & l'épiderme ou la cuticule est tout ce qui les couvre & qui les défend d'injure. Ces papilles sont plus grandes & paroissent davantage dans les parties que la nature a destinées pour être les organes du toucher, comme dans la langue, dans les extrêmités des doigts de la main & du pié ; elles ont la faculté de se contracter & de se dilater facilement. Voyez PAPILLES, voyez aussi LANGUE, DOIGT, &c.

Le toucher se fait donc sentir ainsi : le bout du doigt, par exemple, étant appliqué à l'objet qu'on veut examiner, les papilles s'élevent en vertu de cette intention de l'ame, & étant frottées légerement sur la surface de l'objet, il s'y fait une ondulation qui par le moyen des nerfs qui les viennent joindre, se communique de-là au sensorium commun, & y excite la sensation du chaud, du froid, du dur, &c. Voyez SENSATION.

Cela nous fait voir la raison pourquoi le toucher devient douloureux lorsque la cuticule a été emportée, brûlée, macerée, &c. & pourquoi lorsque la cuticule devient épaisse & dure, ou qu'elle est cicatrisée, &c. on perd la sensation du toucher ; d'où vient l'engourdissement qu'on sent en touchant le torpedo, & pourquoi on sent une douleur si aiguë audessous des ongles & à leur racine, &c. Voyez CUTICULE, BRULURE, CALUS.

Le toucher est par plusieurs raisons, le plus universel de nos sens : tous les animaux en sont pourvus. Pline observe que tous les animaux ont la sensation du toucher, même ceux qu'on croit dépourvus de tous les autres sens, comme les huitres & les vers de terre. Ce naturaliste dit que son opinion est que tous ont aussi un autre sens, qui est le goût : existimaverim omnibus sensum & gustatûs esse. Hist. nat. l. X. c. lxxj.

Les autres sens sont bornés par des limites étroites ; le toucher seul est aussi étendu que le corps, comme étant nécessaire au bien-être de toutes ses parties.

Le sentiment du toucher, comme dit Ciceron, est également répandu par tout le corps, afin que nous puissions appercevoir dans chaque partie tout ce qui peut la mouvoir, & sentir tous les degrés de chaleur, de froid, &c. De nat. deor. l. II. c. lvj.

Les naturalistes disent que les araignées, les mouches, & les fourmis, ont la sensation de l'attouchement beaucoup plus parfaite que les hommes : cependant nous avons des exemples de gens qui ont sçu distinguer les couleurs au toucher ; & d'autres qui par la même sensation comprenoient les paroles que l'on disoit. Voyez COULEUR, URDOURD.

La sensation du toucher est effectivement si parfaite & si généralement utile, qu'on l'a vue quelquefois faire pour ainsi dire, la fonction des yeux, & dédommager en quelque façon des aveugles de la perte de la vue. Un organiste d'Hollande, devenu aveugle, ne laissoit point de faire parfaitement son métier ; il acquit de plus l'habitude de distinguer au toucher les différentes especes de monnoie, & même les couleurs ; celles des cartes à jouer, n'avoient pas échappé à la finesse de ses doigts, & il devint par-là un joueur redoutable, car en maniant les cartes, il connoissoit celles qu'il donnoit aux autres, comme celles qu'il avoit lui-même. Observ. de physiq. tom. II. p. 214.

Le sculpteur Ganibasius de Volterre, l'emportoit encore sur l'organiste dont je viens de parler ; il suffisoit à cet aveugle d'avoir touché un objet, pour faire ensuite une statue d'argile, qui étoit parfaitement ressemblante.

TOUCHER, v. act. (Gram.) c'est exercer l'action du tact : on touche toutes les choses sur lesquelles on porte la main : on touche d'un instrument, ou un instrument : ces objets se touchent : on dit, il a touché une somme considérable ; nous touchons à la fin de notre travail ; il a touché le vrai point de la difficulté ; nous touchons au moment de l'action ; l'éloquence de cet homme touche ; sa situation est si humble, qu'il faudroit être de pierre pour n'en être pas touché ; il a touché cette corde délicate & avec succès ; il est dangereux de toucher aux choses de la religion, des moeurs & du gouvernement. Voyez encore les articles suivans.

TOUCHER, (Marine) c'est heurter contre la terre, faute d'eau ou de fond.

TOUCHER à une côte ou à un port, (Marine) c'est aborder à une côte ou à un port & y mouiller.

TOUCHER le compas, (Marine) c'est aimanter l'aiguille de la boussole. Voyez AIGUILLE AIMANTEE.

TOUCHER, en terme de commerce, se dit de l'argent qu'on a reçu, ou qu'on a du recevoir. Je touchai hier quinze cent livres, je dois encore en toucher deux mille le mois prochain.

TOUCHER, terme d'Imprimerie ; c'est après avoir pris une quantité d'encre proportionnée à la grosseur du caractere, & l'avoir bien distribuée sur les balles, c'est-à-dire, les avoir maniées ou frottées en tout sens l'une contre l'autre, pour les enduire également, appuyer ces mêmes balles deux fois & de suite, sur la superficie de la forme, de façon que l'oeil de toutes les lettres se trouvant également atteint d'une légere couche d'encre, il puisse communiquer au papier cette couleur noire qui fait le corps de l'impression. Pour avoir une belle impression, il faut toucher maigre & tirer gras, cela veut dire qu'en toutes occasions, il faut ménager l'encre, & ne pas trop ménager ses forces en tirant le barreau.

TOUCHER aux bois, il se dit du cerf, du daim, & du chevreuil, lorsqu'ils détachent la peau velue qu'ils ont sur leur bois.

TOUCY, (Géogr. mod.) petite ville, ou plutôt bourg de France, au diocèse & à cinq lieues au couchant d'Auxerre, dans un terrein aquatique. C'est une petite baronie qui releve en foi & hommage de l'évêque d'Auxerre. (D.J.)


TOUEou TOUAGE, (Marine) c'est le changement de place qu'on fait faire à un vaisseau, avec une hansiere attachée à une ancre mouillée ou amarrée à terre, quand on veut approcher ou reculer un vaisseau de quelque poste. Voyez encore CHALOUPE A LA TOUE.

TOUE, (Marine) c'est un bateau qui sert à passer une riviere, & dont on se sert principalement sur la Loire.

TOUE, la, ou la Thoue, ou la Thouay, ou la Touay, (Géog. mod.) en latin moderne Thoeda ; petite riviere de France en Poitou, où elle prend sa source, & se jette dans la Loire au-dessous de Saumur. Elle est navigable depuis Montreuil-Bellay.


TOUERv. act. (Marine) c'est tirer ou faire avancer un vaisseau avec la hansiere qui y est attachée par un bout, & dont l'autre bout est saisi par des matelots, qui tirent le cordage pour faire avancer le vaisseau. La différence qu'il y a entre ce terme touer, & celui de remorquer, c'est qu'on ne tire point un vaisseau à force de bras quand on remorque, mais à force de rames. Voyez REMORQUER.


TOUFFES. f. est un terme dont quelques auteurs se servent pour dire la partie touffue des arbres, ou cette partie qui est garnie de branches, de feuilles, &c. Voyez BRANCHE.

Parallélisme des touffes d'arbres : on observe que tous les arbres affectent d'une maniere naturelle d'avoir leurs touffes paralleles au terrein qu'elles ombragent. Voyez l'explication de ce phénomene sous l'article PARALLELISME.

TOUFFE DE FLEURS, chez les Fleuristes, signifie plusieurs fleurs qui naissent ensemble au haut de la tige, comme dans la primevere, l'auricula, &c.

TOUFFE, TOUFFU, (Jardinage) se dit d'un bois entierement garni ; & l'on appelle touffe une sépée de bois qui ne garnit que le bas des grands arbres.


TOUGS. m. terme de relation, c'est une espece d'étendart qu'on porte devant le grand-visir, les bachas, & les sangiacs. Il est composé d'une demi-pique, au bout de laquelle est attachée une queue de cheval avec un bouton d'or ou doré qui brille audessus. On porte trois tougs devant le grand visir quand il va commander l'armée. Ricaut. (D.J.)


TOUILLAUXS. m. terme de Pêche, usité dans le ressort de l'amirauté de Bordeaux. C'est ainsi qu'on appelle les rets qui servent à faire la pêche des touilles, du chien de mer de toutes especes. Voyez LANIERES.


TOUJOURS(Critique sacrée) ce mot dans l'Ecriture ne signifie quelquefois que pour la vie, Héb. vij. 3. Ainsi chez les Romains Sylla, Jules-César, furent créés dictateurs perpétuels, c'est-à-dire pour leur vie. (D.J.)

TOUJOURS AUGUSTE, (Littérat.) semper augustus : les premiers empereurs romains, & à leur exemple ceux du bas empire, se sont qualifiés toujours augustes, & on les traitoit de même dans les monumens, inscriptions, & médailles.


TOUL(Géog. mod.) en latin Tullum, ville de France, enclavée dans la Lorraine, capitale du Toulois, sur la Moselle, à 5 lieues au couchant de Nancy, à 12 au sud-ouest de Metz, & à 68 au sud-est de Paris, dans un vallon très-fertile : une chaîne de montagnes & de côteaux couverts de vignes, l'entoure à moitié.

Cette ville composée d'environ cinq mille habitans, a quatre paroisses, deux fauxbourgs, un bailliage, une sénéchaussée, & un gouverneur particulier. Son gouvernement civil est du ressort du parlement de Metz : l'évêché de Toul passe pour fort ancien ; il est suffragant de Treves, & a un diocèse des plus étendus du royaume ; car on y compte 1400 paroisses ; il se qualifie comte de Toul, & prince du saint Empire ; le revenu de son évêché est évalué à environ quarante mille livres de rente. Long. suivant Cassini, 23. 25. 30. latit. 48. 40. 27.

Il est constant que Toul est une ville ancienne : on a une médaille antique où elle est nommée Tullocivitas. Ptolémée l'appelle Tullum, & la donne aux peuples Leuci : elle a toujours conservé le même nom jusqu'à présent, sans prendre celui du peuple, comme ont fait la plûpart des autres villes. Les Leuci étoient Belges, & lorsqu'on partagea la Belgique en deux provinces, ils furent mis sous la premiere & sous la métropole de Treves ; leur territoire étoit de fort grande étendue.

La ville de Toul, comme sa métropole, Treves avec Metz & Verdun, vinrent au pouvoir des François au commencement de leur établissement dans les Gaules ; elle fut toujours sujette aux rois d'Austrasie sous les Mérovingiens & sous les Carlovingiens. Après la mort du roi Raoul, elle fut assujettie du tems de Louis d'Outremer à Othon I. & elle reconnut ses successeurs pour souverains.

Le comte Frédéric n'eut qu'une fille, qui épousa Matthias de Lorraine, dont il n'eut point d'enfans ; la race de ces comtes étant éteinte, les ducs de Lorraine furent investis de l'avouerie de la cité de Toul. Enfin, dans la suite des tems, la souveraineté de la ville & de l'évêché de Toul, a été cédée à la couronne de France par le traité de Westphalie. Louis XIV. maître de cette ville, l'a fortifiée, & en a fait une place réguliere plus grande qu'elle n'étoit auparavant.

Abraham (Nicolas) jésuite savant dans les humanités, naquit à Toul, l'an 1589. Il a publié entre autres ouvrages, 1°. des notes sur la paraphrase de l'évangile de S. Jean, composée en vers grecs par Nomius ; M. Simon cite plusieurs fois ce livre, qui n'est pas indigne d'être connu ; 2°. un commentaire sur quelques oraisons de Ciceron. C'est un ouvrage d'un grand travail ; mais les notes y sont tellement chargées de littérature, que cette profusion rebute les moins paresseux. Ce commentaire fut imprimé à Paris avec les oraisons l'an 1631, en deux tomes in-fol. 3°. un commentaire sur Virgile ; il est beaucoup plus court que celui de Ciceron, & par-là d'un plus grand service dans les écoles.

Picard (Benoît) capucin né à Toul en 1663, & mort en 1721, a beaucoup fait de recherches sur sa patrie. On a de lui, 1°. une histoire ecclésiastique & politique de la ville & du diocèse de Toul ; 2°. un pouillé ecclésiastique & civil du diocèse de Toul ; 3°. une dissertation pour prouver que la ville de Toul est le siége épiscopal des Luquois.

Raulin (Jean) naquit à Toul l'an 1443, devint grand-maître du collége de Navarre, & mourut à Paris dans le collége de Cluny, l'an 1514, âgé de 71 ans. C'étoit un des célebres prédicateurs de son siecle ; ses sermons ne le cedent point à ceux de Maillard, de Barlette, & de Menot. J'en vais rapporter quelques traits pour les mieux faire connoître, parce qu'ils sont fort rares.

Dans le sermon IV. du troisieme dimanche de l'Avent : Dicit Deus accipe consilium à me, & salva animam tuam. Medici & Advocati carè vendunt consilia sua, sed non Deus : nam dicit, accipe : non constat nisi accipere : vulgò dicitur bonum forum trahit argentum de bursa ; & sic quilibet debet accipere, & facere illud bonum forum consilii : salva animam tuam ; quia unicam habes, nec plus habere poteris, nec perdere nisi velis. Inde communiter soli doctores theologi, qui sunt consiliarii animae, dicuntur magistri nostri, quia sunt communes omnibus, & nihil constat eorum consilium : sed eorum consilio habito sufficit dicere gratias. Non sic de doctoribus Medicinae decretorum, quia non sunt nostri, sed oportet eorum consilia emere magno pretio, & implere manus eorum auro vel argento ; aliàs non oporteret reverti secundâ vice.

Dans le sermon quatorzieme de la pénitence : Leo vocavit lupum, vulpem, & asinum ad capitulum, ut confiterentur peccata sua, & eis juxtà delicta poenitentiam injungeret. Venit lupus ad capitulum, & sic confessus est : ego malè feci quia comedi ovem, quae ad me non pertinebat, sed hoc habeo ex legitimis juribus patrum meorum, qui ita ex omni aetate usi sunt, ut pater, avus, abavus, & atavus, ita ut nulla sit memoria hominum, quin lupi semper comederint oves. Ad quem leo : an verùm quod ita habet praescriptum ex omni antiquitate, sic comedere oves ? Cui dicenti, quod sic, pro tanto crimine imposuit semel dicere, pater noster.

Supervenit vulpes, & confessa est se malè egisse, quia capones & gallinas comederat non suas, licet ex omni aevo, in possessione fuerit sic comedendi illas. Quae similiter propter unum pater noster absoluta est.

Supervenit asinus, tria confessus in capitula fecisse peccata. Primùm quia comederat foenum quod in ripis & dunis ab aliorum quadrigis fortuitò derelictum erat. Cui leo : grande peccatum est, ô asine ! quia aliena comedisti, quae tui magistri non erant. Secundo confessus est asinus, quia stercoraverat claustrum fratrum. Cui leo : grande peccatum est foedare terram sanctam. Tertium peccatum vix ab eo potuit extorqueri, quod posteà cum ejulatu & gemitu dixit, quod recederat & cantaverat cum fratribus, & cum eis melodiam fecerat. Respondit leo gravissimum esse peccatum, eò quòd fratres in discordiam miserat. Et sic graviter flagellatus est asinus, propter peccata parva, & dimissa vulpes, & lupus in possessione majorum, cum absolutione.

Non-seulement on a imprimé plusieurs fois les sermons de Raulin séparément ; mais on en a donné une édition complete à Paris en 1642, en 2. vol. in-8°. Tous les ouvrages de ce prédicateur ont été publiés à Anvers l'an 1611 en 6. vol. in-4°. Ses lettres ont paru à Paris en 1620, in-4°. Elles sont mieux écrites que ses sermons, quoique pleines d'allégories & de figures ; cependant elles sont rares, recherchées, & passent pour son meilleur ouvrage.

Vincent de LÉrins, religieux du monastere de ce nom, étoit natif de Toul, selon l'opinion la plus commune ; il mourut vers 450. Il s'est fait connoître par un petit ouvrage sur les hérésies, qu'il intitula, Mémorial du pélerin, ou Commonitorium. M. Baluze en a donné la meilleure édition avec des notes. (D.J.)


TOULA(Géog. mod.) petite ville de la Russie moscovite, au duché de Rézan, à 40 milles de la ville de Rézan, & à 36 de Moscou, au confluent de la Toula & de l'Uppa. Long. 55. 45. latit. 54. (D.J.)

TOULA, LA, (Géog. mod.) riviere de la Russie moscovite, au duché de Rézan ; elle prend sa source au-dessus de Crapicina, & se jette dans l'Occa, près de la ville de Toula, à laquelle elle donne son nom. (D.J.)


TOULOISLE, (Géog. mod.) ou comté de Toul, en latin Tullensis ager, gouvernement militaire de France enclavé dans la Lorraine au septentrion, à l'orient, & au midi ; il touche un peu à la Champagne à l'occident. C'est le pays des anciens Leuci, dont César, Strabon, Ptolémée, & Pline font mention. Ce pays étoit autrefois d'une grande étendue, & le diocèse de Toul qui a les mêmes bornes, étoit le plus grand diocèse des Gaules, ou de tous les pays qui sont au-deçà du Rhin ; mais aujourd'hui le Toulois a des bornes bien plus étroites. Ce gouvernement comprend le temporel de l'évêché de Toul, dont la souveraineté a été unie à la France dès l'an 1552, par Henri II. il renferme aussi le bailliage de Toul, qui est composé de six prévôtés. (D.J.)


TOULOLAS. m. (Hist. nat. Bot. exot.) plante ainsi nommée par les Caraibes ; elle a le port du balisier, & lui ressemble à quelques égards, mais elle ne s'éleve guere plus haut de quatre piés. Sa fleur est blanche, renfermée dans un calice vert, long, pointu, & découpé en trois quartiers. Le fruit qui succede à cette fleur est triangulaire, d'un rouge pâle, & renfermant une petite graine raboteuse. La racine est une substance bulbeuse, blanche, fibreuse, de figure presque conique, couverte de pellicules attachées les unes sur les autres, comme plusieurs enveloppes d'oignons. La feuille de la plante est d'un vert pâle, trois à quatre fois plus longue que large, & terminée en pointe, à-peu-près comme le fer d'une pique. Elle est forte, coriace, & se roule d'elle-même aussi-tôt qu'elle est cueillie.

Les habitans du pays regardent leur toulola comme un excellent remede contre les plaies faites par les fleches empoisonnées : d'où vient que les François ont nommé cette plante l'herbe aux fleches, c'est-à-dire contre le poison des fleches. On pile la racine, pour en tirer le suc qu'on donne à ceux qui ont été blessés de fleches empoisonnées. On applique en même tems la même racine pilée & broyée sur la plaie ; mais malheureusement ce remede ne réussit pas mieux que le sucre, qu'on a beaucoup vanté, & dont on a fait jusqu'à ce jour sur les animaux de vaines expériences.

" Pendant mon séjour à Cayenne, dit M. de la Condamine, j'eus la curiosité d'essayer si le venin des fleches empoisonnées que je gardois depuis plus d'un an, conserveroit encore son activité ; & en même tems si le sucre étoit effectivement un contrepoison aussi efficace qu'on me l'avoit assuré. L'une & l'autre expériences furent faites en présence du commandant de la colonie, de plusieurs officiers de la garnison, & du médecin du roi. Une poule légerement blessée en lui soufflant avec une sarbacane une petite fleche dont la pointe étoit enduite du venin il y avoit environ treize mois, a vécu un demi-quart d'heure ; une autre piquée dans l'aîle avec une de ces mêmes fleches nouvellement trempée dans le venin délayé avec de l'eau, & sur le champ retiré de la plaie, parut s'assoupir une minute après : bientôt les convulsions suivirent ; & quoiqu'on lui fît avaler du sucre, elle expira. Une troisieme piquée au même endroit avec la même fleche retrempée dans le poison, ayant été secourue à l'instant avec le même remede, ne donna aucun signe d'incommodité.

J'ai refait, continue M. de la Condamine, les mêmes expériences en présence de plusieurs célebres professeurs de l'université de Leyde, le 28 Janvier 1745. Le poison dont la violence devoit être ralentie par le long tems & par le froid, ne fit son effet qu'après cinq ou six minutes ; mais le sucre fut donné sans succès. La poule qui l'avoit avalé parut seulement vivre un peu plus long-tems que l'autre ; l'expérience ne fut pas répétée ".

Ce poison est un extrait fait par le moyen du feu des sucs de diverses plantes, & particulierement de certaines liannes ; on assure qu'il entre plus de trente sortes d'herbes ou de racines dans le venin fait chez les Tiennas ; celui dont M. de la Condamine fit les épreuves, étoit le plus estimé entre les diverses especes connues le long de la riviere des Amazones. Les Indiens le composent toujours de la même maniere, & suivent à la lettre le procédé qu'ils ont reçu de leurs ancêtres aussi scrupuleusement que les pharmaciens parmi nous procedent dans la composition solemnelle de la thériaque ; quoique probablement cette grande multiplicité d'ingrédiens ne soit pas plus nécessaire dans le poison indien que dans l'antidote d'Europe.

On sera sans-doute surpris que chez des gens qui ont à leur disposition un moyen aussi sûr & aussi promt, pour satisfaire leurs haines, leurs jalousies, & leurs vengeances, un poison aussi subtil ne soit funeste qu'aux singes & aux oiseaux des bois. Il est encore plus étonnant qu'un missionnaire toujours craint & quelquefois haï de ses néophites, envers lesquels son ministère ne lui permet pas d'avoir toutes les complaisances qu'ils voudroient exiger de lui, vive parmi eux sans crainte & sans défiance. Cependant rien n'est plus vrai. Ce n'est pas tout ; ces gens si peu dangereux sont des hommes sauvages, & le plus souvent sans aucune idée de religion. Mémoires de l'académ. des Scienc. 1745. p. 489.

M. de Réaumur rapporta l'année suivante à l'académie, qu'un ours dont on vouloit se défaire avoit pris intérieurement jusqu'à une once d'arsénic, une noix vomique entiere, & une quantité de sublimé corrosif, suffisante seule pour empoisonner un plus gros animal, sans que cette sorte de poison ordinairement si actif, lui eût procuré la moindre incommodité. Ce même animal, qui avoit résisté à une si forte épreuve, a succombé facilement & très-promtement au poison duquel sont enduites les pointes des fleches dont se servent contre les animaux les habitans des bords du Marañon. L'ours de France en a été légerement piqué en deux endroits au défaut de l'épaule ; à la seconde piquûre, il est tombé, s'est débattu, & est mort en moins de cinq minutes. La même chose est arrivée & plus promtement encore à un aigle ; à la premiere piquûre qui lui fut faite sous l'aîle avec la pointe d'une de ces fleches empoisonnées, il tomba, & mourut en deux secondes. Il faut que les particules de cette pernicieuse composition, soient d'une étrange activité pour produire un effet si subit. Histoire de l'acad. 1746.

On prétend que le suc du thora des Vaudois n'est guere moins dangereux que la composition des Tiennas ; mais nous en avons déjà parlé au mot THORA. (D.J.)


TOULON(Géog. mod.) ville & port de mer de France, en Provence, sur le bord de la Méditerranée, à 12 lieues au sud est de Marseille, à 16 d'Aix, & à 160 de Paris.

Cette ville, quoiqu'assez grande & maritime, n'est pas cependant peuplée, excepté de couvens de religieux & de religieuses. Les prêtres de l'oratoire y ont le collége, & les jésuites un séminaire. Le port de cette ville est un des plus connus, des plus vastes, & des meilleurs de l'Europe. Il est destiné aux vaisseaux de guerre ; & les galeres qui étoient à Marseille, y sont à-présent. L'arsenal est à une des extrêmités du quai. Le parc de l'artillerie renferme tout ce qui est nécessaire en ce genre. Les fortifications sont du dessein du chevalier de Ville.

L'évêché n'est connu que depuis le sixieme siecle. Il est suffragant d'Arles & d'une très-petite étendue, car il n'a que vingt-cinq paroisses : cependant son revenu annuel est de quinze à vingt mille livres.

Long. de Toulon, suivant Cassini, 23. 27. latit. 43. 6. 40. Long. orient. suivant le Monnier, 23. 32. 30. latit. 43. 7.

Toulon a été, dit-on, nommée en latin Telo, Telonium, & Telo-Martius, d'un tribun de ce nom, qui y conduisit une colonie. Plusieurs savans prétendent que cette ville est le Tauraentium de Ptolémée ; mais le P. Hardouin conjecture que Toulon est le Portus citharista de Pline ; & sa conjecture est d'autant plus vraisemblable, qu'Antonin dit que ce port est éloigné de Marseille de trente milles ; ce qui est précisément la distance qu'il y a entre ces deux villes.

On lit dans la notice de l'empire, qu'il y avoit une teinturerie à Toulon dirigée par un intendant de l'empereur, qui est appellé procurator Baphiorum ; ainsi cette place étoit connue sur la fin du quatrieme siecle. Elle a éprouvé depuis les mêmes révolutions que le reste de la Provence. Les Sarrasins la pillerent une fois dans le dixieme siecle, & deux fois sur la fin du douzieme. Elle se rétablit & s'accrut sous la protection des rois de Sicile & de Naples, comtes de Provence. Elle fut réunie à la couronne avec la Provence par Charles VIII. en 1487. Son port seroit propre à l'enrichir, par sa grande rade, une des plus sûres qu'on connoisse, & dont l'entrée est défendue par plusieurs forts.

Ferrand (Louis) né à Toulon en 1645, & mort à Paris en 1699, a donné au public des ouvrages qui justifient son savoir dans les langues orientales. On fait cas de son commentaire sur les pseaumes, & d'autant plus qu'il n'étoit pas théologien de profession, mais avocat au parlement.

Bonnin de Chalucet (Louis) mort évêque de Toulon en 1712, est auteur de bonnes ordonnances synodales ; mais il s'est fait encore plus d'honneur, par les services qu'il rendit à sa ville épiscopale, lorsque les troupes des alliés l'assiégerent en 1707 : optimates exemplo firmavit, plebem frumento & pecuniâ juvit ; c'est une inscription de la reconnoissance du peuple, qui le dit ; & cette inscription est gravée dans la chambre de l'hôtel-de-ville de Toulon. (D.J.)


TOULOUBAN(Géog. mod.) ville des Indes dans la province de Multan, à trente milles de la ville de ce nom, & sur le bord de la riviere de Multan. Long. suivant le P. Gaubil, 116. 52. latit. 30. 50. (D.J.)


TOULOUSAIN LE(Géogr. mod.) contrée de France, dans le haut Languedoc ; elle renferme les diocèses de Toulouse, de Rieux, & une partie de celui de Montauban : c'est un pays rempli de plaines, où il croît beaucoup de blé ; il est traversé par la Garonne, & a Toulouse pour capitale. Le canal de Languedoc y prend sa naissance. (D.J.)


TOULOUSE(Géog. mod.) ville de France dans le haut Languedoc, dont elle est la capitale, comme de toute la province de Languedoc. Cette ville, située sur le bord oriental de la Garonne, dans le pays des Tectosages, est une des plus anciennes des Gaules, puisque Trogue Pompée & plusieurs autres auteurs assûrent qu'elle étoit la patrie des Tectosages, qui ravagerent la Grece du tems de Brennus, près de 280 ans avant J. C. Elle est nommée Tolosa par César, lib. I. bell. gall. c. x. Tolosa colonia ; par Ptolémée, l. II. c. xx. urbs Tolosatium par Sidonius Apollinaris, l. IV. epist. xvij. & civitas Tolosatium, dans la notice de la Gaule. C'étoit une ville d'une grande étendue, & divisée en cinq parties, suivant ce vers d'Ausone, epist. xxiij. v. 83.

Quincuplicem socias tibi Martio Narbo Tolosam.

On lui donna l'épithete de Palladia, soit à cause du culte que les habitans rendoient à Pallas, soit à cause des oliviers qui sont l'arbre de cette déesse, & qui croissent en quantité dans le territoire de cette ville ; soit enfin à cause du goût que ses habitans avoient pour les sciences, selon ce distique de Martial, l. IX. épigram. 101.

Marcus Palladiae non inficianda Tolosae

Gloria, quam genuit pacis alumna quies.

Le premier vers de cette épigramme fait voir que Martial entend parler de l'étude des Belles-Lettres.

Marcus amat nostras Antonius, Attice, musas.

Toulouse étoit encore considérable par sa magnificence ; car il y avoit un capitole. On y voyoit aussi un temple dans le voisinage, fameux par ses richesses, auxquelles personne n'osoit toucher. Justin & quelques autres historiens ont dit que les Tectosages pillerent le trésor du temple de Delphes ; & que pour appaiser la colere d'Apollon qui les désoloit par une cruelle peste, ils jetterent ce trésor dans le lac de Toulouse.

Cette ville fut prise sur les mêmes Tectosages par Servilius Caepion, l'an 648 de la fondation de Rome, 106 ans avant l'ere chrétienne. Ce consul y fit un grand butin, & enleva le trésor du temple d'Apollon. Les historiens assûrent que Caepion finit ses jours malheureusement, ainsi que tous ceux qui avoient eu part à son sacrilége : c'est de-là qu'est venu le proverbe aurum tolosanum, de l'or funeste.

Ce temple d'Apollon, qui étoit à Toulouse, a fait confondre, même dans l'antiquité, cet or de Toulouse avec celui du temple de Delphes ; & quelques-uns se sont imaginés que Brennus, général des Gaulois, ayant pillé le temple de Delphes, les Gaulois, & sur-tout les Tectosages, avoient remporté leur butin dans leur pays. Strabon a réfuté ce conte, d'autant mieux que le temple de Delphes avoit été pillé par les Phocéens, avant la venue des Gaulois, lesquels, bien loin de prendre la ville de Delphes, & de pouvoir piller son temple, furent repoussés avec perte, & périrent tous les uns après les autres.

Quoique Toulouse fût une des villes célebres de l'empire romain, néanmoins elle ne fut jamais métropole ou capitale de province sous les empereurs. Ce fut sous les rois Visigoths, qui y établirent leur résidence, qu'elle devint une ville royale, reconnoissant toutefois pour métropole ecclésiastique Narbonne, dont elle n'a été soustraite que l'an 1317 par Jean XXII. Ce pape divisa le grand diocèse de Toulouse en plusieurs, où il mit des évêques, leur donnant pour métropolitain le cardinal Jean Raymond de Comminges, qui fut le premier archevêque de Toulouse.

A l'égard de la jurisdiction temporelle, après avoir été entre les mains des officiers de l'empire romain, elle fut assujettie aux Visigoths, lorsque le roi Ataulphe s'établit dans les Gaules, au commencement du cinquieme siecle.

Cent ans après ou environ, Clovis ayant défait Alaric, s'empara de Toulouse, & laissa cette ville à ses successeurs, qui la gouvernerent par des officiers qu'on nommoit comtes. Dagobert la donna l'an 628 à son frere le roi Aribert, qui y établit sa résidence : mais ce prince ayant à peine régné trois ans, mourut, & son état revint sous la domination de Dagobert, qui laissa la ville de Toulouse à son fils Clovis II. roi de Neustrie.

Les princes mérovingiens en ont toujours été les maîtres jusqu'au commencement du huitieme siecle. Ce fut pour lors que le duc Eudes, qui se rendit absolu dans l'Aquitaine, s'empara de Toulouse, qu'il défendit contre les Sarrasins l'an 721. Onze ans après ils la prirent, & la saccagerent avec Bordeaux & la plûpart des villes d'Aquitaine, qu'ils ne conserverent point, parce qu'ils furent défaits près de Poitiers par Charles-Martel, maire du palais : ainsi Eudes jouit comme auparavant de l'Aquitaine, & laissa cet état à son fils Hunaud, à qui son fils Gaifre succéda. Le roi Pépin, fils de Charles Martel, fit une cruelle guerre à Gaifre, qui perdit enfin ses états & la vie.

Pépin s'empara l'an 767 de la ville de Toulouse, que lui & ses successeurs gouvernerent par des comtes qui n'étoient que de simples officiers, jusqu'au tems de Charles le Simple, qui fut déposé & mis en prison où il mourut. Ce fut sur la fin du regne de ce prince, que Régimond ou Raymond se rendit absolu à Toulouse vers l'an 920. Il eut pour héritier son fils Raymond Pons. Ces premiers comtes de Toulouse prenoient la qualité de ducs d'Aquitaine, quoiqu'ils n'eussent qu'une petite portion d'un si grand pays, n'étant maîtres au commencement que de l'ancien territoire de Toulouse, & n'ayant aucune autorité sur le reste de la Gothie ou Septimanie, appellée aujourd'hui le Languedoc.

Les comtes descendans du premier Raymond jouirent de cet état de pere en fils, jusqu'à Guillaume, qui vivoit dans l'onzieme siecle. Il ne laissa qu'une fille nommée Philippia, qui épousa le duc Guillaume, pere du dernier duc d'Aquitaine : elle ne succéda pas à son pere, parce que son oncle Raymond de Saint-Gilles comte de Querci, & frere de Guillaume comte de Toulouse, se trouvant le plus fort en cette ville, s'en empara. Il prit ensuite le premier le titre de duc de Narbonne, sans aucun droit, & désigna comte de Toulouse son fils Bertrand, qui mourut sans enfans l'an 1115.

Après la mort de Bertrand, Guillaume duc d'Aquitaine, soutenant les droits de sa femme, prit Toulouse ; mais il en fut dépossédé par Alfonse, fils de Raymond de S. Gilles. Le dernier Guillaume, duc d'Aquitaine, & sa fille Eléonor, hériterent des droits de Philippia, qu'Henri II. roi d'Angleterre, mari d'Eléonor, soutint contre Raymond, comte de Toulouse, fils d'Alfonse, & en demanda justice à Louis le jeune, roi de France.

Le roi Louis accorda les parties à cette condition, que la propriété du comté de Toulouse demeureroit à Raymond, qui seroit tenu d'en faire foi & hommage au roi d'Angleterre, duc de Guienne, ce qui fut exécuté.

Richard, fils du roi Henri & d'Eléonor, demanda l'hommage du comté de Toulouse ; mais cette affaire fut terminée l'an 1196, lorsque Raymond, dit le vieux, comte de Toulouse, fils d'Alfonse, ayant épousé Jeanne, fille d'Henri & d'Eléonor & soeur de Richard, ce roi céda tous ses droits sur le comté de Toulouse au comte Raymond.

Ce fut le même Raymond, qui s'étant déclaré protecteur des Albigeois, fut poursuivi par le pape Innocent III. qui donna le comté de Toulouse à Simon de Montfort, général des catholiques, du consentement de Philippe Auguste : Raymond, abandonné par le roi son seigneur féodal, reconnut un autre seigneur ou souverain, qui fut Pierre roi d'Aragon, à qui le comte fit foi & hommage. C'est-là l'origine du droit que les Aragonois prétendoient sur le comté de Toulouse, auquel ils renoncerent par la transaction passée entre S. Louis & Jacques roi d'Aragon, l'an 1258.

Simon de Montfort ne put se maintenir dans sa conquête, desorte que son fils Amaury céda ses droits à Louis VIII. pere de S. Louis. Raymond le jeune, fils & successeur de Raymond le vieux, fit sa paix avec le roi de France, & transigea l'an 1228 avec S. Louis. Par ce contrat, la princesse Jeanne, fille de Raymond, fut accordée avec Alfonse, comte de Poitiers, & frere du roi. On convint que Jeanne succéderoit aux états de son pere, & qu'en cas qu'elle ou son mari vinssent à mourir sans enfans mâles, le tout seroit réuni à la couronne.

Raymond mourut l'an 1249, & eut pour successeur sa fille Jeanne & son gendre Alfonse, qui finirent leurs jours l'un & l'autre, peu après la mort de S. Louis, l'an 1270, après quoi le roi Philippe le hardi prit possession du comté de Toulouse, & le réunit à la couronne.

Il y avoit dans l'ancienne Toulouse un amphithéatre, un capitole, & plusieurs autres monumens superbes ; mais les Visigoths, nation barbare, ayant choisi Toulouse pour être la capitale de leur empire, ruinerent tous ses beaux monumens de fond en comble, ensorte qu'il n'en reste d'autres vestiges, que quelques masures de l'amphithéatre.

Quoiqu'il n'y ait point de ville dans le royaume plus avantageusement située pour le commerce que Toulouse, il ne s'y en fait cependant presqu'aucun. Le génie des habitans les porte quand ils sont aisés, à acquérir des charges de robe, ou à viser au capitoulat ; de-là vient que Toulouse, une des plus grandes villes du royaume, est une des plus pauvres & des plus dépeuplées. Il y a présidial, sénéchaussée, hôtel des monnoies, généralité, parlement & université, mais tous ces beaux titres ne l'enrichissent pas ; son académie est comme du tems des troubadours ; ses prix consistent dans une amaranthe d'or, une églantine, une violette, & un souci d'argent. Son évêché fut érigé en archevêché par le pape Jean XXII. & c'est un bénéfice de 80 mille livres de rente.

Sous Raymond V. comte de Toulouse, s'éleva dans cette ville un tribunal d'inquisition, au sujet de l'hérésie des Albigeois, & bien-tôt ce tribunal fit trembler par sa rigueur les personnes mêmes les plus innocentes ; le soulevement fut si grand, qu'on fut obligé de l'abolir ; mais ce qu'il y a de singulier, c'est qu'il en reste des vestiges ; car d'un côté M. de Montchal, archevêque de Toulouse, se fit attribuer le droit d'examiner si dans l'élection des capitouls, il n'y a personne qui soit suspect d'hérésie ; & de l'autre les dominicains continuent de faire pourvoir par le roi un religieux de leur ordre de l'office d'inquisiteur de Toulouse, parce qu'il y a quelques gages attachés à cette charge, qui par bonheur n'est aujourd'hui qu'un vain titre sans fonction.

On peut lire sur Toulouse l'abbé de Longuerue, Piganiol, description de la France, Nicol Bertrand des gestes des Toulousains, & mieux encore la Faille annales de Toulouse, ainsi que l'histoire de cette ville, qu'on y a imprimée en 1759 in-4°.

Long. suivant de la Hire, 18. 11. 30. suivant Lieutaud, des Places & Cassini, 18. 56. 30. lat. suivant de la Hire, 43. 30. suivant Lieutaud, des Places & Cassini, 43. 37.

Je n'entrerai dans aucune description de Toulouse moderne, ayant à parler des hommes illustres dans les armes & dans les lettres, à qui cette capitale du Languedoc a donné la naissance, & dont on voit les bustes en marbre dans l'hôtel-de-ville. Je commence par Antonius, auquel je m'arrêterai quelque tems, à cause du grand rôle qu'il a joué dans le monde.

Antonius Primus (Marcus), étoit ami de Martial, & son Mécene ; aussi ce poëte l'éleve jusqu'aux nues. Il dit qu'Antonius pouvoit se rappeller chaque jour de sa vie sans remords, & qu'il n'en avoit passé aucun, que d'une maniere qui fût propre à lui en rendre le souvenir agréable.

Jam numerat placido felix Antonius aevo

Quindecies actas, Primus, olympiadas :

Praeteritos dies, & totos respicit annos,

Nec metuit Lethes jam propioris aquas.

Ampliat aetatis spatium sibi vir bonus, hoc est

Vivere bis, vitâ posse priore frui.

L. X. epigr. 23.

Martial ne se borne pas à cet éloge ; il nous représente Marcus Antonius au-dessus du reste des mortels, & nous assure, que s'il pouvoit dépeindre son esprit & son caractere, ce seroit le portrait le plus accompli de la nature humaine. Voici les propres termes qu'il emploie.

Haec mihi, quae colitur violis pictura rosisque,

Quos referat vultus, Caeciliane, rogas ?

Talis erat Marcus mediis Antonius annis,

Primus in hoc juvenem se videt, ore senex.

Ast utinam mores, animumque effingere posset !

Pulchrior in terris nulla tabella foret.

L. X. epigr. 32.

faut se défier des louanges des poëtes ! Horace & Virgile nous l'avoient déjà prouvé dans Combien il leurs adulations pour Auguste ; Martial nous le confirme dans celles qu'il prodigue au nouvel héros de sa fabrique ; voici donc la vérité. Marcus Antonius fut un des premiers capitaines de son tems, & qui a joué un grand rôle dans l'histoire romaine ; c'étoit un homme éloquent dont Tacite nous a conservé quelques fragmens d'harangues, mais un homme chargé de crimes, & dont la scélératesse égala la valeur. Sous le regne de Néron, il fut convaincu d'être un indigne faussaire, & d'avoir forgé un testament ; aussi fut-il condamné pour ce crime à être banni de Rome.

Comme c'étoit un homme intrigant, hardi, & entreprenant, il trouva le moyen d'y rentrer, & d'obtenir de Galba le commandement d'une légion. Sur le déclin des affaires de Vitellius, il prit le parti de Vespasien, lui rendit de grands services, & le plaça, pour ainsi dire, sur le thrône. Il s'empara de Padoue, d'Ateste (aujourd'hui Est), embrasa, détruisit & saccagea Crémone, avec la barbarie la plus incroyable. Ensuite il ravagea l'Italie comme un pays de conquête, ruina la discipline dans les troupes, & se servit de ce moyen pour s'enrichir par le pillage.

Il attaqua l'armée de Vitellius aux portes de Rome, & la poursuivit jusques dans Rome même ; là le combat se renouvella, & continua pendant quelque tems, en trois différens endroits avec beaucoup de furie & de carnage, jusqu'à ce qu'enfin les Vitelliens furent défaits, & Antonius demeura maître de Rome ; alors il dévoila pleinement son exécrable avarice, enlevant des palais sans scrupule, or, argent, meubles, esclaves, comme s'il eût encore pillé Crémone. C'est ainsi qu'il termina la guerre civile, & qu'il affermit la couronne impériale sur la tête de Vespasien.

Mais la jactance, l'orgueil, les richesses & l'avidité d'Antonius, le perdirent ; tous les chefs de l'armée, ayant Mucien à leur tête, se liguerent contre lui. Ils l'accuserent auprès de Vespasien d'être un esprit dangereux, d'avoir perdu la discipline militaire pour se faire des créatures, d'être arrivé trop tard au secours de Sabinus, & d'avoir voulu élever à l'empire Crassus Scribonianus, à quoi ils ajouterent le détail de tous ses crimes précédens. Enfin, il déchut peu-à-peu de son crédit, & se vit obligé de se retirer à Toulouse, où il mourut sans honneur, âgé de 65 ou 75 ans.

Voilà le portrait qu'en fait Tacite dans son histoire, l. II. l. III. & l. IV. où vous trouverez de grands détails.

Pour les assembler en deux mots, Antonius étoit un homme d'intrigue & d'exécution, hardi de la langue & de la main, maniant la parole avec une adresse merveilleuse, propre à décrier qui il vouloit, habile à gagner les bonnes graces des soldats, vrai boutefeu de guerres civiles, promt à piller & à prodiguer, pernicieux dans la paix, & de grand prix à la guerre. Je serai court sur les autres toulousains, dont les bustes sont en marbre dans l'hôtel-de-ville de Toulouse.

Statius Surculus, ou Urculus, rhéteur qui vivoit du tems de Néron, vers l'an 60 de J. C. parut peu de tems avant Antonius. Ne le confondez pas avec le poëte Publius Papinius Statius, qui florissoit du tems de Domitien.

Aemilius Magnus Arborichus, rhéteur, enseigna, dit-on, dans Toulouse les belles-lettres au frere de Constantin.

On voit ensuite les bustes de Théodoric I. & II. rois de Toulouse ; de Raymond de Saint-Gilles, comte de Toulouse ; de Bertrand comte de Toulouse, de Guillaume & de Jean de Nogaret. Parlons à présent des hommes de lettres nés à Toulouse, dont les bustes sont dans la galerie.

Bunel (Pierre), l'un des plus polis écrivains du seizieme siecle, se distingua par sa vertu, son desintéressement & sa science. Il mourut à Turin en 1545 à l'âge de 47 ans. On a des lettres latines de cet honnête homme, qui sont écrites avec la derniere pureté. Charles Etienne les imprima en 1551, & Henri Etienne, fort correctement, en 1581. L'édition de Toulouse 1687 est estimable par les notes de Graverol : mais le texte est rempli de fautes. On trouve à la bibliotheque du roi quelques lettres de Bunel, qui n'ont pas encore été imprimées.

Catel (Guillaume), conseiller au parlement de Toulouse, mort en 1726, s'est fait connoître par une histoire des comtes de Toulouse, & des mémoires du Languedoc.

Caseneuve (Pierre de), né en 1591, mort en 1652, a donné les origines ou étymologies françoises, qui sont à la suite du dictionnaire de Menage. Ses autres petits ouvrages sont dans l'oubli ; le P. Niceron a mis l'auteur parmi les hommes illustres ; mais le suivant Cujas étoit digne de ce titre.

Cujas (Jacques) Cujacius, le plus célebre jurisconsulte du xvj. siecle, naquit à Toulouse en 1520 de parens obscurs ; c'étoit un de ces génies rares & heureux, qui apprennent tout d'eux-mêmes, & qui l'enseignent merveilleusement aux autres. Toulouse ne connut point son mérite, elle lui préféra un indigne compétiteur pour la chaire de droit ; il se retira à Bourges, se fit adorer des étudians, & mourut dans cette ville en 1590, à l'âge de 70 ans. La meilleure édition des oeuvres de ce grand jurisconsulte est celle de Fabrot, en 10 vol. in-fol. Papyre Masson a écrit sa vie.

Duranti (Jean Etienne), premier président au parlement de Toulouse, & l'un des plus savans magistrats de son siecle, est auteur de l'excellent livre intitulé de ritibus ecclesiae. Il soutint avec zèle le parti de son roi contre la ligue, & fut tué d'un coup d'arquebuse dans une émeute populaire après la nouvelle de la mort du duc de Guise, le 10 Février 1589 à cinquante-cinq ans.

Faur, seigneur de Pibrac (Gui du), est trop connu par les charges qu'il a exercées avec gloire, pour donner ici sa vie. Il devint chancelier de la reine Marguerite de Navarre, femme d'Henri IV. & mourut à Paris le 27 Mai 1584, à 56 ans. On a de lui des plaidoyers, des harangues & des quatrains dont j'ai parlé ailleurs.

Faur (Pierre du), premier président au parlement de Toulouse, cultiva les lettres avec éclat, & mit au jour des ouvrages pleins d'érudition ; tels sont trois livres des semestres, celui des agonistiques, c'est-à-dire, des exercices & des jeux des anciens, & son traité des magistrats romains. Il mourut en 1600 d'apoplexie, en prononçant un arrêt à l'âge de soixante ans.

Ferrier (Arnould du), président au parlement de Paris, ensuite maître des requêtes, fut employé par Charles IX. à diverses ambassades, mourut en 1585 à 79 ans, & en faisant profession ouverte du protestantisme. Il harangua dans le concile de Trente, & s'exprima d'une maniere vigoureuse sur les abus de la cour de Rome. Il est très-vraisemblable que zélé pour la grandeur de la monarchie françoise, il forma le projet conjointement avec le chancelier de l'Hôpital, de couper le noeud qui attachoit le roi très-chrétien au saint siége, & d'assembler un concile national où le roi de France à l'imitation de celui d'Angleterre, fût déclaré chef de l'Eglise gallicane, & indépendant à tous égards du pontife romain.

Gouduli (Pierre), fit dans une langue provinciale qui n'eût jamais d'écrivains, en langage gascon, des vers où regne beaucoup de douceur, d'agrément, & qui ne sont dépourvus ni d'élégance, ni quelquefois de fictions heureuses ; on les a imprimés plusieurs fois à Toulouse, & même en Hollande. Il mourut en 1649 à l'âge de 70 ans.

Maignan (Emmanuel), minime très-célebre. Il apprit les mathématiques sans maître, & devint professeur à Rome, où il y a toujours eu depuis en cette science un professeur minime françois. Ses ouvrages philosophiques n'ont plus de cours, mais son traité sur les horloges & les cadrans solaires, intitulé perspectiva horaria, Romae 1648 in-fol. montre beaucoup d'habileté. Il inventa plusieurs machines qu'il avoit travaillées de ses propres mains. Il mourut dans son couvent de Toulouse en 1676, à 75 ans.

Maynard (François), poëte, disciple de Malherbe, & secrétaire de la reine Marguerite, naquit en 1582, & mourut en 1646.

" On peut le compter, dit M. de Voltaire, parmi ceux qui ont annoncé le siecle de Louis XIV. Il reste de lui un assez grand nombre de vers heureux, purement écrits. C'est un des auteurs qui s'est plaint le plus de la mauvaise fortune attachée aux talens. Il ignoroit que le succès d'un bon ouvrage, est la seule récompense digne d'un artiste ; que si les princes & les ministres veulent se faire honneur en récompensant cette espece de mérite, il y a plus d'honneur encore d'attendre ces faveurs sans les demander ; & que si un bon écrivain ambitionne la fortune, il doit la faire soi-même.

Rien n'est plus connu que son beau sonnet pour le cardinal de Richelieu ; & cette réponse dure du ministre, ce mot cruel, rien. Le président Maynard retiré enfin à Aurillac, fit ces vers qui méritent autant d'être connus que son sonnet. "

Par votre humeur le monde est gouverné,

Vos volontés font le calme & l'orage,

Vous vous riez de me voir confiné

Loin de la cour dans mon petit ménage :

Mais, n'est-ce rien que d'être tout à soi,

De n'avoir point le fardeau d'un emploi,

D'avoir dompté la crainte & l'espérance ?

Ah ! si le ciel, qui me traite si bien,

Avoit pitié de vous & de la France,

Votre bonheur seroit égal au mien.

" Depuis la mort du cardinal, il dit dans d'autres vers que le tyran est mort, & qu'il n'en est pas plus heureux. Si le cardinal lui avoit fait du bien, ce ministre eût été un dieu pour lui. Il n'est un tyran que parce qu'il ne lui donne rien. C'est trop ressembler à ces mendians qui appellent les passans, monseigneur, & qui les maudissent s'ils n'en reçoivent point d'aumône. Les vers de Maynard étoient fort beaux. Il eût été plus beau de passer sa vie sans demander & sans murmurer. L'épitaphe qu'il fit pour lui-même est dans la bouche de tout le monde. "

Las d'esperer & de me plaindre

Des muses, des grands & du sort,

C'est ici que j'attends la mort,

Sans la desirer, sans la craindre.

Les deux derniers vers sont la traduction de cet ancien vers latin,

Summum nec metuas diem, nec optes.

" La plûpart des beaux vers de morale sont des traductions. Il est bien commun de ne pas desirer la mort : il est bien rare de ne la pas craindre ; & il eût été grand de ne pas seulement songer s'il y a des grands au monde ".

Pin (Jean du), en latin Pinus, mourut vers l'an 1536. Il alla chercher en Italie la culture de l'éloquence, fut ensuite conseiller au parlement de Toulouse, & enfin évêque de Rieux. Il fit un traité de vitâ aulicâ, & un livre de claris foeminis, des femmes illustres, qui parut à Paris en 1521 ; la politesse du style latin regne dans ces deux ouvrages. Erasme dit à la gloire de l'auteur : posset inter hujus laudis (Tullianae dictionis) competitores numerari (Joannes Pinus), nisi negotiorum tumultus à studiis avulsisset. Nunc episcopum audio factum ; quid accesserit eloquentiae nescio ?

On voit aussi dans la galerie de Toulouse le buste en marbre de Nicolas Bachelier, éleve de Michel-Ange, distingué dans l'architecture & dans la sculpture ; il falloit y joindre pour pendant le buste de François de Troy un des peintres illustres de nos jours. Mais Toulouse est encore la patrie d'autres savans, dont plusieurs méritoient sans-doute d'avoir leur effigie dans la même salle du capitole ; c'est ce dont on jugera par la liste que je vais donner de leurs noms.

Campistron (Jean Galbert), né en 1656, & mort en 1723, fut éleve & imitateur de Racine. Le duc de Vendôme, dont il devint secrétaire, fit sa fortune, & le comédien Baron fit une partie de sa réputation. Il y a des choses touchantes dans ses pieces, quoiqu'elles soient foiblement écrites, mais le langage en est assez pur. Il a composé pour l'opéra Acis & Galatée, pastorale, que l'on redonne quelquefois, & qui a été mise en musique par Lully.

Coras (Jean de), Corasius, conseiller au parlement de Toulouse, chancelier de Navarre, l'un des savans jurisconsultes du xvj. siecle, & l'ami du chancelier de l'Hôpital ; il mit au jour d'excellens ouvrages en latin & en françois, qui ont été recueillis en 2 vol. in-fol. on estime sur-tout ses Miscellaneorum juris civilis libri tres. Ce savant homme n'avoit que 59 ans quand il fut enveloppé dans le massacre de la saint Barthelemi, le 4 Octobre 1572 ; sa vie a été imprimée en 1673, in-4°.

Doujat (Jean), né en 1609, & mort à Paris en 1688, comblé d'honneurs & de pensions. Il étoit tout ensemble jurisconsulte & littérateur. Il fut reçu de l'Académie françoise en 1650, & devint précepteur de M. le dauphin. On a de lui 1°. Praenotiones canonicae & civiles, qui passent pour son meilleur ouvrage ; 2°. l'histoire du Droit canon, & celle du Droit civil ; 3°. institution du Droit canonique de Lancelot, avec des notes ; 4°. un abrégé en françois de l'histoire grecque & romaine, tiré de Velleius Paterculus, & des notes sur Tite-Live, à l'usage du dauphin, &c.

Grégoire (Pierre) fleurissoit au xvj. siecle. Ses livres de droit, & entr'autres l'ouvrage intitulé, Syntagma juris universi, ainsi que celui de republicâ, libri xvj. sont remplis d'une vaste érudition, mais des plus mal digérés. Eruditione non vulgari luxurians, dit Naudé, omnia ingerit, non digerit ; caeterùm valdè utilis, quòd ibi meliorum auctorum gemmas possis invenire. Il mourut en 1597.

Laloubere (Simon de) né en 1642, & envoyé à Siam en 1687, finit ses jours en 1729 à 87 ans. On a de lui une relation de son voyage de Siam en deux vol. in-12 ; cette relation est estimée ; mais elle laisse bien des choses à desirer, qui y manquent, pour nous donner de vraies connoissances de ce pays. Son traité de la résolution des équations prouve qu'il étoit assez profond dans cette science, & Paschal ne lui a pas tout-à-fait rendu justice.

Maussac (Philippe Jacques) savant critique du xvij. siecle mourut en 1650, âgé d'environ 70 ans. On a de lui des opuscules estimés & de savantes notes sur Harpocration.

Péchantré, poëte françois & latin, mort à Paris en 1708. Sa tragédie intitulée Géta se représente encore quelquefois. On rapporte une anecdote assez singuliere sur sa tragédie, la mort de Néron, piece qui n'a point eu de succès. Péchantré la faisoit dans une auberge ; il laissa sur sa table le papier où il disposoit sa piece, & sur lequel il avoit écrit après quelques chiffres, ici le roi sera tué. L'aubergiste ayant lu ces mots, avertit aussitôt le commissaire du quartier, & lui remit le papier en main. Le poëte étant revenu le soir à l'auberge, fut bien surpris de se trouver entouré de gens armés qui vouloient le saisir. Que veulent ces gens-là, dit-il au commissaire, & vous, monsieur, avec ce papier, sur lequel il jetta les yeux ; comment, s'écria-t-il, vous l'avez volé sur ma table ? c'est précisément la scène où je dois placer la mort de Néron. Le commissaire honteux de sa bêtise, lui fit des excuses, lui rendit son papier, & congédia les archers.

Tourreil (Jacques de) mourut à Paris en 1714, à 58 ans. Il étoit de l'académie françoise & de celle des Inscriptions. Ce fut par ses intrigues que l'abbé de Chaulieu ne fut pas de l'académie françoise, & ce procédé ne lui fit pas honneur. Il doit sa réputation à la traduction de Démosthènes, laquelle l'a fait beaucoup plus connoître lui-même, qu'il n'a fait connoître l'orateur grec ; mais il a orné son ouvrage d'une très-belle préface pleine d'érudition & de recherches sur l'histoire de la Grece. La meilleure édition est celle de Paris 1721, en deux vol. in-4°. & en quatre vol. in-12.

Serre (Jean Puget de la) fut garde de la bibliotheque de Monsieur, & eut le titre d'historiographe. Il mourut en 1666, & publia quantité d'ouvrages en vers & en prose qui souffrirent plusieurs éditions, mais dont Despreaux & toutes les personnes de goût parlerent avec mépris. La Serre convenoit lui-même du peu de mérite de ses ouvrages, quoiqu'ils lui valussent beaucoup d'argent. On raconte qu'il eut un jour la curiosité d'aller entendre les conférences que Richesource faisoit sur l'éloquence dans une maison de la place Dauphine. Après que celui-ci eut débité toutes ses extravagances, la Serre en manteau long & en rabat, se leva de sa place, & en allant embrasser Richesource : ah, monsieur, lui dit-il, je vous avoue que depuis vingt ans j'ai bien débité du galimathias ; mais vous venez d'en dire plus en une heure que je n'en ai écrit en toute ma vie.

Marcel (Guillaume) mort en 1708 à 61 ans, est auteur d'une histoire de l'origine de la monarchie françoise, de tablettes chronologiques, & de quelques autres ouvrages de ce genre.

Voilà presque tous les hommes de lettres que Toulouse a produits jusqu'à ce jour ; il y en a plusieurs qui sont illustres. N'auront-ils point de successeurs ? (D.J.)


TOUPETS. m. terme de Perruquier, c'est une bordure de cheveux qui regne le long du front, depuis une tempe jusqu'à l'autre, soit dans les cheveux naturels, soit dans les perruques.

TOUPET, (Maréchal.) le toupet du cheval est le crin situé entre les deux oreilles, & qui tombe sur le front.


TOUPIES. f. (Jeux) en latin turbo ; je ne parle pas ici de la toupie, pour dire seulement que c'est une espece de sabot qui a une pointe de fer sur laquelle il tourne quand on le fouette, après avoir lâché la corde qui étoit entortillée tout-autour ; mais ce dont je prie le lecteur, c'est de voir comme Virgile, Aeneid. l. VII. v. 378. peint ce jeu d'enfant, auquel il compare les démarches de la reine Laurente, qui toute troublée court autour du palais, va, vient, s'arrête, & retourne sur ses pas.

Ceu quondam torto volitans sub verbere turbo,

Quem pueri magno in gyro, vacua atria circum

Intenti ludo exercent. Ille actus habena

Curvatis fertur spatiis : stupet inscia juxtà

Impubesque manus, mirata volubile buxum.

" La princesse parut alors semblable à ce jouet de l'enfance, qui tournant avec rapidité autour de son centre, & traçant dans un vaste lieu plusieurs cercles par son mouvement, est admiré de la jeune troupe ignorante, qui l'entoure & qui le réveille sans-cesse à coups de fouet ". (D.J.)

TOUPIE, (Marine) c'est un instrument inventé en Angleterre, pour observer sur mer l'horison, malgré le tengage & le roulis du vaisseau : c'est une toupie de métal couverte d'une glace très-haute ayant trois pouces de diamêtre. Elle a un creux en-dessous en forme de cône, qui reçoit l'extrêmité d'une pointe d'acier, sur laquelle on la fait tourner : on la rend pesante par un cercle de métal. Pour la faire tourner on enveloppe un ruban autour d'une tige placée audessus de sa surface au milieu de la glace, & on tire ce ruban avec force, en retenant la toupie ou en l'empêchant de s'incliner. C'est dans une espece d'écuelle, au fond de laquelle s'éleve une pointe qui soutient la toupie, qu'on la fait tourner. On met au-dessus de cette écuelle une regle qu'on place comme un diamêtre : cette regle retient la toupie pendant qu'on tire le ruban qui passe à-travers par un trou, & on l'ôte aussi-tôt que le mouvement est donné ; plus on tire le ruban avec force, plus la toupie tourne vîte : le ruban se dégage & on ôte la regle.

Cette toupie conserve ainsi son niveau : or, si pendant que le mouvement de la toupie est régulier on regarde un astre, on verra que son image ne changera point de place, quoiqu'on donne des secousses assez fortes à la toupie. Ainsi en observant avec l'octant (voyez OCTANT), on se penchera vers la toupie, & on fera concourir les deux images de l'astre sur la glace : la premiere image sera celle que donnera la toupie, & la seconde celle que donnera la glace de l'alidade.

Au-reste, lorsque ces deux images concourent, ou que la moitié de l'une convient parfaitement avec la moitié de l'autre, l'octant donne le double de la hauteur de l'astre, car il marque combien l'astre est réellement élevé au-dessus de son image, qu'on voit dans le miroir de la toupie. Il n'y aura donc qu'à prendre la moitié du nombre qu'on trouvera sur l'octant, pour avoir la hauteur véritable de l'astre.


TOUPILLON(Jardinage) est un amas de petites feuilles minces, qui viennent en confusion fort près les unes des autres sur quelques branches d'un oranger : on n'en doit réserver que deux ou trois des mieux placées, qui recevant toute la nourriture, en deviendront plus fortes.

Ces toupillons, qui forment des toupets fort garnis, servent de receptacles aux ordures, & sur-tout aux punaises.


TOUPINS. m. (Cordier) est un instrument dont les Cordiers se servent pour commettre ensemble plusieurs fils & en former une corde. Cet instrument est un morceau de bois tourné en forme de cône tronqué, dont la grosseur est proportionnée à celle de la corde qu'on veut faire : il doit avoir dans sa longueur, & à une égale distance, autant de rainures que la corde a de cordons ; ainsi pour le bitord qui n'a que deux cordons, on se sert d'un toupin qui n'a que deux rainures diamétralement opposées l'une à l'autre : ces rainures doivent être arrondies par le fond, & assez profondes pour que les fils y entrent de plus de la moitié de leur diamêtre. Voyez la figure.

Quand les fils ont acquis un certain degré d'élasticité par le tortillement, le toupin fait effort pour tourner dans la main du cordier, qui peut bien résister à l'effort de deux fils, mais elle seroit obligée de céder si la corde étoit plus grosse ; dans ce cas on traverse le toupin avec une barre de bois R, que deux hommes tiennent pour le conduire. Voyez les fig. & les Pl.

Comme la force de deux hommes n'est quelquefois pas encore suffisante, pour-lors on a recours au chariot. Voyez CHARIOT. Voyez l'article de la CORDERIE.


TOUQUESLA, (Géog. mod.) en latin moderne Tulca, riviere de France, en Normandie. Elle porte d'abord le nom de Lezon dans son cours, prend celui de Touques dans sa jonction avec l'Orbec, & se jette dans la mer, à six lieues du Havre-de-Grace : son cours est de seize lieues. (D.J.)


TOUQUOA(Hist. mod. Superst.) c'est une divinité reconnue par les Hottentots, qu'ils regardent comme malfaisante, comme ennemie de leur nation, & comme la source de tous les maux qui arrivent dans ce monde : on lui offre des sacrifices pour l'appaiser. Quelques-uns de ces sauvages prétendent avoir vû ce démon sous la figure d'un monstre couvert de poil, vêtu de blanc, avec la tête & les piés d'un cheval.


TOURS. f. (Archit.) corps de bâtiment fort élevé, de figure ronde, quarrée ou à pans, qui flanque les murs de l'enceinte d'une ville ou d'un château, auquel il sert de pavillon : il est quelquefois seigneurial, & marque un fief. (D.J.)

TOUR DU CHAT, (Archit.) les ouvriers appellent ainsi un demi-pié d'isolement, & un pié de plus en épaisseur, que le contre-mur des fours & des forges doit avoir, selon la coutume de Paris : ils le nomment aussi ruelle. (D.J.)

TOUR DE DOME, (Archit.) c'est le mur circulaire ou à pans, qui porte la coupe d'un dôme, & qui est percé de vitraux, & orné d'architecture par-dedans & par-dehors. (D.J.)

TOUR D'EGLISE, (Architect.) c'est un gros bâtiment, presque toujours quarré, qui fait partie du portail d'une église. Ce bâtiment est accompagné d'un autre pareil qui lui fait symmétrie, & ces deux tours sont ou couvertes, ou en terrasse, comme à Notre-Dame de Paris, ou terminées par des aiguilles ou fleches, comme à Notre-Dame de Rheims.

On appelle tour chaperonnée, celle qui a un petit comble apparent, comme à saint Jean en Grève, à Paris. (D.J.)

TOUR ISOLEE, (Archit.) tour qui est détachée de tout bâtiment, & qui sert de clocher, ainsi que la tour ronde panchée de Pise ; de fort, comme celles qui sont sur les côtes de la mer, ou sur les passages d'importance ; de fanal, telles que les tours de Cordouan & de Gènes ; de pompe, comme la tour de Marly, &c. (D.J.)

TOUR DE MOULIN A VENT, (Archit.) mur circulaire qui porte de fond, & dont le chapiteau de charpente, couvert de bardeau, tourne verticalement, pour exposer au vent les volans ou les aîles du moulin. (D.J.)

TOUR RONDE, (Coupe des pierres) ne signifie pas toujours une tour, mais tout parement convexe de mur cylindrique ou cônique. Tour creuse est le concave.

TOUR DE LA SOURIS, (Archit.) les ouvriers appellent ainsi deux à trois pouces d'isolement, qu'un contre-mur doit avoir pour les poteries d'aisance, & contre-mur d'un pié d'épaisseur contre un mur mitoyen pour la fosse, & entre deux fosses, quatre piés, &c. (D.J.)

TOUR, (Fortification) bâtiment fort élevé & de plusieurs étages, dont la figure est ordinairement ronde, & quelquefois quarrée ou polygone. Chambers.

Avant l'invention du canon, on fortifioit les places avec les tours jointes à leur enceinte ; elles étoient éloignées les unes des autres de la portée de la fleche, & beaucoup plus élevées que les courtines ou les murailles de l'enceinte, afin de dominer par-tout sur le rempart & de le défendre plus avantageusement.

Pour empêcher qu'on ne pût s'insinuer d'une courtine dans toute l'étendue du reste de l'enceinte, on observoit en bâtissant la place, de couper le rempart en-dedans vis-à-vis les tours ; on y substituoit, pour la communication, une espece de petit pont de bois qu'on pouvoit ôter très-promtement dans le besoin. Voyez FORTIFICATION.

On construisoit aussi des tours de charpente dans les sieges ; on les faisoit avancer auprès des murailles pour en chasser les assiégés : il y avoit de ces tours qui avoient des béliers, & on les nommoit tortues bélieres. Voyez HELEPOLE, BELIER & TORTUES. (Q)

TOURS BASTIONNEES, (Fortification) espece de petits bastions de l'invention de M. le maréchal de Vauban. Elles contiennent des souterrains voutés à l'épreuve de la bombe, dont l'usage est de mettre la garnison & les munitions de la place à couvert des bombes dans un tems de siege. Voyez leur construction dans le second & le troisieme système de M. de Vauban, à la suite du mot FORTIFICATION. (Q)

TOUR MARINE, (Architect. milit.) c'est une tour qu'on bâtit sur les côtes de la mer, pour y loger quelques soldats & découvrir les vaisseaux ennemis. Ces tours ordinairement n'ont point de porte, & on y entre par les fenêtres, qui sont au premier ou au second étage, avec une échelle qu'on tire en haut quand on est dedans : on fait quelquefois de semblables tours dans la fortification des places. (D.J.)

TOUR A FEU, (Marine) Voyez PHARE.

TOUR DE BITTE AU CABLE, (Marine) c'est un tour de cable par-dessus les bittes.

TOUR DE CABLE, (Marine) on appelle ainsi le croisement de deux cables près des écubiers, lorsqu'un vaisseau est affourché.

TOUR, s. m. terme de Boulangers, c'est une petite table quarrée, ferme & solide, placée auprès de leur paîtrin, sur laquelle ils dressent & tournent les morceaux de pâte qu'ils ont coupés & pesés, & leur donnent la figure qui convient à la qualité du pain qu'ils veulent faire : c'est au sortir de dessus le tour que l'on met le pain sur la couche pour le faire lever.

TOUR, en terme de Boutonnier, c'est une machine qui ne differe de celle du tourneur, que par les pieces dont sont garnies les poupées : celle à gauche l'étant d'un fer gravé en creux de la forme d'un bouton, & celle à droite vis-à-vis d'une vis qui s'approche vers le bouton & le contient dans son trou, tandis qu'on serre & qu'on rabat le bouton en faisant la piece gravée avec une bascule au pié. Ce tour a un support sur le devant pour appuyer & la main & l'outil, & au-dessous des poupées d'une peau qui reçoit les recoupes.

TOUR ou TREUIL, (Charpent.) c'est un gros cylindre ou aissieu en forme de rouleau, qui sert aux machines pour élever des fardeaux, & qui se remue avec une roue, ou des leviers sur lesquels la corde tourne. (D.J.)

TOUR mobile, (Charpent.) grand assemblage de charpente à plusieurs étages, que les anciens faisoient mouvoir avec des roues pour assiéger les villes, avant l'invention du canon. Voyez l'architecture de Vitruve, & le dictionnaire universel de Mathématique & de Physique, article architecture militaire.

On fait aujourd'hui des tours mobiles de charpente, pour servir à réparer, à peindre les voûtes, & à tondre & dresser les palissades des jardins ; les jardiniers les nomment chariots.

On fait encore des tours fixes de charpente pour élever des eaux ; telle est celle qui servoit à la machine de Marly, & qui est à présent à l'observatoire de Paris. (D.J.)

TOUR, les Chauderonniers appellent ainsi la machine dont ils se servent pour donner aux chauderons & aux poëlons leur derniere façon.

Les principales parties de ce tour sont la grande roue, l'établi, la petite roue, la noix & le coin. La grande & la petite roue sont semblables à celles des Couteliers, l'établi est un chassis de bois fait comme le pié d'une table.

La noix est en plateau de bois tourné en rond, qu'on applique fortement sur le fond de l'ouverture qu'on veut tourner ; enfin, le coin est une piece aussi de bois, avec laquelle on serre l'espece d'arbre ou de mandrin que les roues font tourner.

On tourne les ouvrages de chauderonnerie avec le grattoir à étamer, & c'est avec cet instrument que se font ces traces circulaires que l'on voit sur les poëlons & les chauderons neufs. Voyez les Planches & les figures du Chauderonnier, parmi lesquelles il y en a une qui représente le tour en particulier.

TOUR, en terme de Cirier, n'est autre chose qu'un gros cylindre tournant sur un arbre, monté sur deux piés. A une des extrêmités de cet arbre est une manivelle pour mouvoir le cylindre : le tour sert à devider la bougie filée, en sortant de la filiere. Il en faut deux pour filer la bougie ; l'un chargé de la méche non enduite, & l'autre sur lequel elle se tourne quand elle est imbibée. Voyez Pl. du Cirier.

Il y a encore un tour plus petit que ceux-ci, mais de la même forme, sur lequel on fait les pelotes de coton. Voyez DOUBLER.

TOUR, terme de Corderie. Voyez ROUET.

TOUR de l'échelle, (Terme de Couvreur) les Couvreurs appellent ainsi un espace entre deux masures, assez large pour y placer leurs échelles afin d'en réparer les toîts. (D.J.)

TOUR, en Epicerie, est une roue de bois toute d'une piece, dont l'arbre est plus ou moins épais ; on le charge de la bougie qu'on a ôtée de dessus le rouet, Voyez les Pl.

TOUR, (Outil d'Horlogerie.) Description du tour dont les Horlogers se servent, représenté dans les figures & les Planches de l'Horlogerie, G H, partie principale de cet instrument, est une longue barre d'acier trempé, épaisse d'environ trois lignes & large de six ; son extrêmité sur laquelle est adaptée une poupée G P C, est garnie de deux plaques de cuivre, afin que la taille de l'étau ne soit point endommagée, lorsqu'on serre le tour par sa partie G, & E D O est une poupée ajustée fort exactement sur la barre précédente, elle y est mobile : au moyen de la vis T, on la fixe à différentes distances de la poupée G P C ; A B sont des pointes de fer ou d'acier très-mou, leurs extrêmités ont plusieurs petits trous dans lesquels on fait entrer les pointes des pieces qu'on tourne : enfin S N L L P est le support, composé ; 1°. de la partie P ajustée sur la branche H G, en telle sorte qu'elle n'ait de jeu considérable que dans sa hauteur M K ; 2°. de la piece N L L, dont les branches L L portent un canon N, dans lequel s'ajuste la tige F Y de la piece S F Y : c'est sur cette derniere en S, qu'on appuie le burin ou l'échope avec lesquels on veut tourner, & c'est elle qu'on appelle particulierement le support.

Maniere de se servir de l'instrument précédent.

Je suppose qu'on ait un arbre, par exemple, à tourner ; par le moyen de la vis T, on fixera d'abord les poupées à la distance nécessaire ; détournant ensuite la vis R, on ne laissera déborder la pointe B de son canon, qu'autant qu'il sera nécessaire, & on la fixera par la vis. On détournera X, puis faisant entrer une pointe de l'arbre, ordinairement celle qui est la plus éloignée du cuivrot, dans un des petits trous de la pointe B ; on approchera l'autre pointe A & on la fixera de façon que l'arbre puisse tourner sans jeu dans les trous des pointes du tour ; on mettra l'archet sur le cuivrot. Cela fait, on fera glisser la piece P sous la partie à tourner, on avancera le support vers l'arbre en faisant glisser les branches L L dans leur coulisse ; on fixera ensuite les parties P L L N avec la vis V, enfin on élevera le support S, puis le faisant tourner dans son canon, on l'arrêtera dans la situation requise au moyen de la vis Q.

Si ce sont des bouts de pivots ou d'arbres, que l'on ait à tourner, on se servira d'une pointe à lunette Z laquelle porte une plaque Z, percée de divers trous à-travers lesquels on fera passer les pivots. Pour des pieces délicates & fort petites ; les Horlogers se servent quelquefois de petits tours dont les deux poupées, figures, sont fixes. Le support qu'ils emploient dans ces cas est un morceau de bois ou de cuivre qu'ils mettent dans l'étau avec le tour.

TOUR, s. m. (terme de Pâtissier) ils donnent ce nom à une forte table qui a des bords de trois côtés ; c'est sur cette table qu'ils paîtrissent leur farine & tournent leur pâte, soit pour ce qu'on appelle des pains bénits, soit pour faire des croûtes, des pâtés, tourtes & autres pieces de four. (D.J.)

TOUR de cheveux, (terme de Perruquier) c'est une tresse de cheveux qui fait tout le tour de la tête, & qui mêlée adroitement avec les cheveux naturels, les allonge & les épaissit ; ces sortes de tours sont pour les hommes. Les femmes se servent aussi de tours & faux-cheveux, ou pour cacher leur âge, ou pour suppléer à la rareté de leurs cheveux sur le devant de la tête & sur les tempes ; ils s'attachent sous leurs coëffures. La forme en est différente suivant les modes, tantôt frisés & élevés, tantôt plats & couchés modestement le long du front ; quelquefois ce ne sont que de simples crochets un peu tournés en croissant ; & quelquefois aussi lorsque les dames se coëffent en cheveux, ce qui est devenu rare depuis la fin du seizieme siecle, ce sont de longues boucles qui leur pendent plus ou moins, & souvent jusque sur les épaules. (D.J.)

TOUR DE CHAPEAU, (Plumassier) voyez PLUMET.

TOUR, s. m. (Poterie de terre) les Potiers de terre donnent ce nom à une des roues sur lesquelles ils tournent & forment les ouvrages de poterie qui doivent être de figure sphérique ; c'est sur ce tour que se font les petits ouvrages ; les grands s'exécutent sur la roue. (D.J.)

TOUR de Potier d'étain, instrument ou bien outil du métier le plus composé de tous de différentes pieces, qui sert à tourner tous les ouvrages de ce métier qui sont destinés pour être tournés.

Le tour est premierement composé d'une selle de bois forte & solide, formée de deux pieces de bois qui sont séparées l'une de l'autre environ de quatre pouces pour y introduire trois poupées ; cette selle est portée sur quatre piés d'environ un pié & demi de haut, & est longue de quatre à cinq piés ; sur cette selle sont posées les poupées, savoir deux à main gauche pour l'arbre du tour, & une à main droite pour porter un bout de la barre qui est devant le tour, pour servir d'appui à l'ouvrier ; ces poupées ont environ un pié & demi ou deux piés d'élévation au-dessus de la selle, dans laquelle elles ont un tenon qui passe pardessous, & qui a une mortaise où on passe un coin de bois qui les arrête. L'arbre du tour qui est de fer, passe horisontalement dans les deux poupées à gauche dans une échancrure au haut de chaque poupée ; cette échancrure est garnie de deux collets d'étain, un à chaque poupée, dans lesquels les deux oignons de l'arbre sont enfermés sur lesquels ils roulent ; l'arbre est garni d'une poulie entre les deux poupées ; il sort hors de la poupée en-dedans du tour environ trois ou quatre pouces ; & ce bout est ordinairement creux pour y introduire un morceau de fer quarré qui s'ôte & se remet quand on veut ; ce morceau de fer se nomme mandrin ; il sert à faire les gaines des empreintes & calibres qui se montent sur le tour pour toutes sortes de pieces ; car il faut savoir qu'il faut autant d'empreintes & calibres de bois qu'il y a de différentes pieces à tourner ; & comme les gaines sont faites avec le même mandrin, on monte toutes les empreintes sur lui ; les collets qui sont ordinairement coupés ou de deux pieces par lesquels l'arbre du tour passe, doivent être arrêtés par un boulon de fer qui les traverse chacun par-dessus, ou par deux liens de fer qui couvrent les collets par-dessus avec chacun deux vis & écrous posés sur le haut des poupées que l'on serre ou lâche à son gré. L'ouvrier seul ne peut rien faire sans avoir un homme qui tourne une roue qui fait aller le tour par le moyen d'une corde de boyau qui passe croisée dans la poulie de l'arbre ; cette roue est montée sur une chaise comme celle des Couteliers, ou entre deux poteaux bien solides.

Il y a des tours de potiers d'étain dont la forme est un peu différente, & des poupées tout d'une piece qui portent l'arbre, &c. Voyez le tour & toutes les pieces qui le composent & en dépendent, aux fig.

TOUR, machine dont les Tourneurs se servent pour faire leur ouvrage. Il y en a de différentes sortes.

La premiere & la plus simple est celle des Tourneurs en bois, représentée Planche I. fig. 1. du tour. Elle consiste en un fort établi, dans lequel est une fente ou rainure F, qui traverse de part en part. C'est dans cette rainure que l'on fait entrer les tenons T des poupées, lesquelles sont retenues sur l'établi par le moyen de la clavette V, faite en forme de coin. Les poupées ont chacune à leur tête A, B, une pointe d'acier a, b ; la pointe a de figure conique tient dans sa poupée par le moyen d'une queue, qui la traverse entierement ; elle y est retenue par un écrou. L'autre pointe est l'extrêmité d'une vis taraudée dans le bois de la poupée, l'autre extrêmité de cette vis est une tête percée d'un trou pour recevoir le barreau c, qui donne le moyen de la pouvoir tourner.

Chaque poupée est encore percée de deux trous, l'un pour recevoir les crochets E du support D, & l'autre pour recevoir la clavette H, fig. 2. qui sert à fixer le crochet où l'on veut.

Lorsque l'on veut tourner un morceau de bois G, on commence par le dégrossir ou arrondir avec la hache ou quelques autres ferremens ; puis aux deux extrêmités de la ligne qui doit servir d'axe, on donne un coup de pointeau, qui est un petit poinçon conique ; ensuite on avance ou on éloigne la poupée B dans la rainure F, ensorte que la distance a b soit seulement de quelques lignes plus grande que l'axe de la piece que l'on veut tourner. On la présente ensuite entre les pointes, ensorte que la pointe a entre dans un des coups de pointeaux, l'autre extrêmité de la piece tournée vers la vis que l'on fait tourner alors, ensorte que la pointe b vienne se placer dans le trou de pointeau destiné à la recevoir.

Lorsque tout est ainsi disposé, le tourneur prend la corde Q K, fig. 2. & l'enveloppe deux ou trois fois à-l'entour de la piece G qu'il faut tourner ; ensorte cependant que la corde commence & finisse de toucher la piece par le côté qui est tourné vers lui ; ainsi qu'il est représenté dans la figure. Le bout supérieur de la corde est attaché à une perche Q Q qui passe par un piton R, qui lui sert de point d'appui ; elle est dolée ou applatie à la partie inférieure pour en faciliter la flexion. Le bout inférieur de la corde est attaché à l'extrêmité de la pédale ou marche K L, qui est un triangle de bois, dont un côté L L est terminé par deux tourillons, autour desquels elle fait charniere. Il est sensible que si avec le pié on appuie sur la marche, ensorte que l'on fasse baisser la partie K, que la corde K Q se développera vers la partie inférieure, & s'enveloppera vers la partie supérieure ; ce qui fera tourner l'ouvrage & fléchir la perche. Si on lâche ensuite le pié, la perche en se rétablissant par son élasticité tirera la corde à elle, & fera tourner l'ouvrage en sens contraire. On continue ainsi alternativement les deux actions, jusqu'à ce que l'ouvrage soit entierement achevé. On se sert aussi au-lieu de perche d'un arc d'acier, N M N, fig. 1. qui traverse un morceau de bois M, scellé dans la muraille. Aux deux extrêmités N de cet arc sont attachés les bouts d'une corde ; au milieu de cette corde est une poulie mouflée, par laquelle passe la corde K O Y, qui s'attache à un crochet scellé dans le mur, ou cloué dans l'établi ; on entoure cette corde sur l'ouvrage, comme il vient d'être dit de la corde K Q, fig. 2. ce qui produit le même effet.

Mais comme il ne suffiroit pas d'imprimer à l'ouvrage un mouvement de rotation, mais qu'il faut opérer immédiatement dessus, on se sert à cet effet de différens outils : tels sont les biseaux, bec-d'âne, gouges, grains-d'orge, & autres ; on a de ces sortes d'outils de toutes sortes de grandeurs & formes.

Les biseaux, ainsi que tous les autres outils, sont de bon acier, trempés au même degré que les épées.

Le tranchant de ces sortes d'outils est formé par l'arête d'une des surfaces de la longueur, & celle que l'on a formée en aiguisant : l'angle que font les deux surfaces est plus ou moins grand, mais toujours moindre que le droit, ainsi qu'on le peut voir fig. 3. n°. b.

Becs-d'ane sont une espece particuliere de biseaux ; il y en a de deux sortes, de droits marqués f, & de ronds marqués g. Le bec-d'âne droit ne differe des biseaux dextre & gauche que par la disposition de l'arête du tranchant, qui est perpendiculaire à la longueur de l'outil.

Gouge, représentée fig. 5. est une espece de gouttiere, en quelque façon semblable aux tarieres des charpentiers ; c'est le premier outil dont on se sert en tournant l'ouvrage.

Grain-d'orge (fig. 6.) est un outil qui réunit en lui seul les avantages des biseaux droits & gauches, dont il paroit être composé. Tous ces outils sont emmanchés, comme les figures représentent, dans des manches de bois garnis de viroles.

Lorsque l'on veut se servir de ces outils, on les prend de la main droite par le manche, on les pose (les biseaux en-dessous) sur le support D, ensorte que le point d'appui soit le plus près qu'il est possible de l'extrêmité de l'outil ; comme, par exemple, d'environ un pouce plus ou moins, selon que les matieres sont dures ou tendres, & on l'y retient avec la main gauche en appuyant sur l'outil & contre le support. Si alors l'ouvrage vient à tourner, il est manifeste que l'outil emportera toutes les parties qui seront plus éloignées de l'axe que ne l'est le tranchant de l'outil. On observe de ne point prendre trop de matiere à-la-fois, & de diriger l'outil selon qu'il convient aux matieres.

Dans quelques-unes un bec-d'âne droit doit être dirigé vers l'axe de la piece, & avoir son tranchant parallele à C ce même axe : dans d'autres, la direction de la longueur de l'outil doit passer au-dessus, quelquefois au-dessous, observant toujours que le tranchant des outils soit parallele à l'axe : d'autres fois aussi il faut que le tranchant soit oblique à l'axe ou à l'horison, comme lorsqu'il faut tourner du fer aigre ou autres matieres dures sur lesquelles il faut opérer, comme en sciant. Lorsque l'ouvrage est achevé, on le polit, si c'est du bois, avec de la peau de chien-de-mer ou des mêmes copeaux ; si c'est d'autres matieres, avec les polis qui leur sont convenables, ainsi qu'il est expliqué au mot POLIR.

La seconde espece de tour est le tour à lunette, autrement nommé tour en l'air ; il est composé de même que le précédent d'un fort établi H à rainure, dans laquelle les poupées sont retenues par des clavettes.

La poupée A a une cavité e i k n, fig. 3. un bout de cette cavité est fermé par les collets f g, fig. 4. dont les parties saillantes ou languettes h entrent dans une rainure ; ils y sont retenus au moyen du chaperon e, qui est lui-même retenu par les vis & écrous b c. Les vis A & B qui traversent les chaperons, servent à serrer le collet supérieur contre l'inférieur : cette construction se trouve aux deux poupées. Outre les collets, la poupée A a encore plusieurs autres pieces a d, fig. 3. qu'on appelle clavettes ; elles sont assemblées à la poupée par la cheville d, qui les traverse toutes, & autour de laquelle elles peuvent se mouvoir du mouvement de charniere dans leurs coulisses. La partie a qui sort hors de la poupée sert pour les pouvoir lever ; on les fait rester levées par le moyen d'un petit coin de bois que l'on met dessous. La portion des clavettes qui répond au centre s de la lunette e i k n, est une portion concave de cercle ; la lunette de la poupée B garnie de ses collets y est attachée par le moyen des vis m m, fig. 1. & 5.

Les collets qui laissent entr'eux un vuide circulaire s S, & qui sont de cuivre ou d'étain, sont traversés par l'arbre de fer D E, fig. 1. & 2. Les parties cylindriques F f sont celles qui passent par les trous des collets, l'arbre a dans la partie du milieu une poulie cylindrique, que l'on appelle noix, qui est de cuivre & quelquefois de la même piece que l'arbre ; au bout qui passe par la poupée B est une espece de disque Q, qu'on appelle assiette, & une vis R qui sert à monter les mandrins ; à l'autre bout de l'arbre sont plusieurs vis a b c d de différentes grosseurs & largeurs, qui répondent chacune aux clavettes a b c d de la fig. 1. dont les parties concaves sont autant d'écrous qui se rapportent aux vis de l'arbre. Lorsque les clavettes sont baissées, elles ne touchent point l'arbre : mais lorsqu'on en leve une par le moyen du petit coin de bois dont on a parlé, les pas d'écrou dont elle est empreinte dans sa partie concave, reçoivent les pas de vis qui lui répondent, ce qui produit le même effet que si la vis de l'arbre passoit par un écrou entier ; il faut remarquer qu'il ne doit jamais y avoir deux clavettes levées à-la-fois, & que la derniere du côté des collets n'a point de pas d'écrou, mais seulement un tranchant qui entre dans une rainure faite à l'arbre. Cette clavette est toujours levée lorsque l'on veut tourner rond, les autres ne servent que lorsque l'on veut tourner des vis.

Le support de cette sorte de tour est plus composé que celui du précédent, la partie B C, fig. 6. Pl. II. du tour, qu'on appelle proprement support, & qui est de cuivre a, le biseau B de fer & la partie horisontale C, percée d'un trou dans lequel passe la vis de la fourchette de fer C E E, la clé A sert à serrer l'écrou C qui affermit le support sur la fourchette. Pour s'en servir, on pose la fourchette sur l'établi, ensorte que ses branches croisent la rainure M, qui est plus longue que la figure ne représente. On prend ensuite une piece de fer D H, que l'on appelle à cause de sa figure un T, que l'on fait passer entre les branches de la fourchette, & au-travers de la rainure de l'établi, les crochets du T sur les branches de la fourchette, ainsi que la figure représente, on enfile ensuite par-dessous l'établi la rondelle F, & l'écrou à oreilles G, avec laquelle on arrête fermement la fourchette & le support.

On fait tourner l'arbre de ce tour par les mêmes moyens que l'ouvrage dans le précédent, en enveloppant la corde autour de la poulie ou noix C, fig. 1. & 2. dont le bout supérieur est attaché à la perche, & l'inférieur qui passe par la grande rainure de l'établi à la pédale ou marche.

Pour appliquer l'ouvrage sur le tour, on commence par faire un mandrin. Le mandrin est une piece de bois ordinairement de hêtre ou de poirier de forme cylindrique, dans le milieu de la base duquel on perce un trou où l'on fait un écrou du même pas ; & pour recevoir la vis R, fig. 1. & 2. on visse le mandrin sur l'assiette Q, & ensuite on le tourne en creux pour recevoir les pieces convexes, & en relief pour les pieces concaves. On observe que l'ouvrage entre un peu à force, afin qu'il semble faire une seule piece avec le mandrin & l'arbre. On opere dessus par le moyen des outils, dont il a été parlé ci-devant, ou avec des burins & échopes, si les matieres que l'on travaille sont métalliques.

Outre les moyens ci-devant expliqués, d'imprimer à l'ouvrage le mouvement de rotation, on se sert d'une grande roue D, Pl. II. fig. 7. composée d'un moyeu traversé d'un aissieu de fer, dont les tourillons portent sur les collets des jumelles, & de plusieurs rayons O P, dont un bout entre dans le moyeu, & l'autre dans le cercle de la roue, sur l'épaisseur duquel il y a une rainure gravée ; ensorte que la roue ressemble à une poulie, dont en effet elle fait la fonction. Environ aux deux tiers des rayons, il y a une autre poulie E sur laquelle on passe la corde a b c d, lorsque l'ouvrage que l'on tourne demande plus de force que de vîtesse. Il y a quelquefois aussi de l'autre côté de la roue, & au premier tiers des rayons, une autre petite poulie, qui sert à tourner les ouvrages qui demandent encore plus de force. Toute cette machine qui a environ six piés de diamêtre porte par son axe, qui est horisontal, sur un support composé de deux couches C, & de deux jumelles ou poinçons A, & de quatre étais ou fiches B. Les deux côtés du support sont entretenus ensemble par les traverses G. Les jumelles ont des coussinets f pour recevoir les tourillons de l'axe, qui sont recouverts par le chaperon F mobile en charniere, à une de ses extrêmités : au bout de l'axe prolongé est un quarré fait pour recevoir la clé ou manivelle M, voyez MANIVELLE, par le moyen de laquelle un homme fait tourner la machine. Pour se servir de cette machine, il faut avoir une poulie P même figure, d'un diamêtre proportionné à celui de la roue & à celui de l'ouvrage, que l'on tourne presque toujours entre deux pointes, comme il a été expliqué ci-devant à l'article TOUR EN BOIS, sur lequel on peut tourner toute autre matiere que du bois. Lorsque la nature de l'ouvrage exige d'être tourné entre deux pointes, on attache cette poulie sur l'arbre lorsque l'ouvrage doit être tourné sur le tour à lunette, voyez P, Planche II. fig. 2. ou sur l'ouvrage même, lorsque l'ouvrage demande d'être tourné entre deux pointes, ou à une corde sans fin a b c d, dont les bouts sont soudés ensemble de la même maniere que les cordiers soudent deux cables ensemble, on passe la corde sur la poulie de l'ouvrage avant qu'elle soit montée sur le tour, & dans une des poulies de la roue qui doit être placée ; ensorte que son plan soit dans le même plan que celui de la poulie, & perpendiculaire à l'axe de l'ouvrage, ensorte que la corde se croise, ainsi que la figure 7. représente. Il est sensible, si l'on tourne la manivelle M du côté où il faudroit ajouter, si on vouloit achever la courbe dont elle n'est qu'une partie, que la roue se remue, selon la suite des lettres D c b A D, & la corde selon celle des lettres a b A D c d P a, & par conséquent la poulie & l'ouvrage selon les lettres d P a.

L'avantage de cette maniere de tourner est que l'ouvrage va toujours du même sens. Le tems des retours qui est perdu dans les autres manieres est mis ici à profit ; aussi est-elle la plus expéditive. Son désavantage est qu'elle exige deux ouvriers, l'un pour tourner la roue, & l'autre pour travailler sur l'ouvrage. Cet ouvrier-ci est placé entre la roue & la poulie, ensorte que la croisée de la corde est à son côté ; l'autre ouvrier est placé à côté du support de la roue, le devant du corps tourné vers l'ouvrage, dont il est un peu plus éloigné que les jumelles.

La troisieme espece de tour est le tour figuré ou à figurer, représenté en perspective, Pl. III. du tour, & dont les différentes parties sont détaillées dans la Planche IV. il est composé de deux fausses poupées A B, placées en-travers de la rainure de l'établi, ainsi qu'il sera expliqué : & de deux autres poupées à lunettes C D, mobiles autour d'un axe D D, auquel elles sont fermement attachées, ainsi qu'on le peut voir dans la fig. 1 & 3. Pl. IV. aux deux extrêmités de l'axe D D, sont deux trous coniques destinés à recevoir les pointes f des vis F taraudées dans les fausses poupées dont la longueur est dirigée suivant la grande rainure de l'établi, au niveau de la surface supérieure duquel elles sont placées, ensorte que lorsque l'axe D D est monté sur les pointes f f, la moitié de cet axe soit au-dessus de la surface de l'établi, & l'autre moitié au-dessous, plongée dans la rainure : au milieu de l'axe, est une branche ou barre de fer D E qui descend en en-bas, dont la longueur prise depuis le centre de l'axe, jusqu'au milieu de la mortaise E, est égale à celle des poupées prise depuis le centre de ce même axe, jusqu'au centre de leurs lunettes. La mortaise E doit être percée dans la barre D E, ensorte que sa direction soit perpendiculaire au plan qui passe par l'axe & la barre ; c'est par cette mortaise que passe la verge ou cramaillere P O, dont l'extrêmité O est attachée à l'extrêmité O de ressort serpentin V O, dont nous expliquerons l'usage. Ce ressort est attaché à la surface inférieure de l'établi T T, par la vis V. Voyez Pl. IV. fig. 3.

L'axe CC qui passe par le centre des lunettes est composé de plusieurs pieces ; la piece fondamentale CabCR (fig. 5.) qui est véritablement l'axe, a deux parties, ou tourillons cylindriques C C, qui passent par les collets des lunettes ; à une des extrêmités est une assiette Q & une vis R, qui servent pour monter les mandrins, comme dans le simple tour à lunette ; à quelques pouces de distance est une piece e, que sa forme & sa situation ont fait appeller contre assiette ; l'espace compris entre l'assiette Q & la contre-assiette e, est le tourillon C. A l'autre extrêmité de l'axe est l'autre tourillon C, & la vis d, la partie de l'axe a b comprise entre la vis d & la contre-assiette e, est un prisme poligone ordinairement à huit pans ; on enfile sur ce prisme qui est de fer, un cylindre A B D E de cuivre ; ce cylindre est percé d'un trou dans toute sa longueur, qui se rapporte exactement avec les faces du pan de l'axe, son diamêtre est d'environ un pouce moindre que celui de la contre-assiette e ; il a dans sa longueur un filet ou moulure, saillant de deux lignes de gros ou environ : sur ce cylindre, ainsi construit, on enfile une rosette ou disque de fer I, (Pl. IV. fig. 1.) qui a, ainsi que toutes les autres pieces que l'on enfile sur le cylindre, une entaille convenable, ensorte que le filet qui est sur le cylindre, puisse s'y placer ; il sert en cette occasion d'arrêt pour empêcher les rosettes & viroles de tourner sur lui : après qu'on a enfilé une rosette, on enfile une piece K, qu'on appelle virole, qui a un renfort, ou anneau, à une de ses extrêmités, ensorte que la partie de la virole qui a le renfort, soit appliquée sur la rosette ; après celle-ci on en met une autre, mais en observant de la tourner en sens contraire, pour que les deux parties des viroles qui n'ont point de renfort, se touchent, comme on le voit dans la figure. Après cette autre virole, on passe une rosette figurée, ensorte que la partie de la rosette qui a un creux ou excavation, soit tournée vers K, ou vers les viroles : après cette rosette on en met une autre, tournée en sens contraire H, puis deux viroles K, ainsi de suite alternativement, dans toute la longueur du cylindre A B D E, sur lequel on a soin de réserver une place pour l'assiette P, la grande poulie O, la petite poulie G, & la contre-assiette P, au-delà de laquelle on met l'écrou m, que l'on visse sur la vis d (fig. 5.), par le moyen de laquelle on affermit les unes contre les autres, toutes les pieces comprises entre les contre-assiettes e, p.

Il y a aussi une autre construction d'arbre, dans laquelle la partie de l'axe qui répond dans le cylindre, depuis l'assiette c jusqu'à l'assiette P, que l'on a dit être à huit pans, est exactement cylindrique ; & la partie de l'arbre qui répond aux poulies O, G, P, quarrées ou à pans ; ensorte que le cylindre avec les rosettes & viroles, peut tourner sur l'arbre, sans que les poulies ni l'arbre tournent : pour le fixer où l'on veut, il y a sur la contre-assiette P, qui est la derniere piece enfilée sur le cylindre, un rochet taillé à la circonférence, & qui s'applique contre le côté de la poulie O, où il est arrêté par un cliquet muni de son ressort. On change les rosettes de position sur l'arbre, selon que l'on veut varier le dessein.

Sur le chassis C D D C, (fig. 1. Pl. IV.) du côté de l'assiette des mandrins, est un ressort X x, dont la fonction est de repousser l'arbre ou axe de R vers C, ensorte que les tourillons glissent dans les collets des lunettes ; quelquefois, selon que l'on donne de la force au ressort X x, on le fait pousser l'arbre de C en R, ce qui sert lorsque l'on travaille avec les rosettes qui regardent vers l'assiette Q : le bout x du ressort est fourchu, & prend entre ses branches le tourillon qui a une rainure circulaire pour le recevoir.

Toute cette machine est entourée d'une autre L M M L (Pl. III. fig. 1.), que l'on appelle cage, qui est de fer & d'une forte consistance ; les barres horisontales M M ont le milieu de leur épaisseur au même niveau que le centre des lunettes. Voyez Pl. IV. fig. 3.

Les quatre montans L M de la cage, ont une queue L e, qui traverse l'épaisseur de l'établi auquel ils sont perpendiculaires ; l'extrêmité e de cette queue est faite en vis, par le moyen de laquelle, & d'un écrou, on vient à bout d'affermir la cage sur l'établi ; les deux côtés de la cage sont entretenus ensemble par le moyen de deux traverses, l'une droite qui passe au-dessous de l'axe, dans l'espace P K (fig. 1.) & une courbe dans la concavité de laquelle passe le ressort X x ; ces deux traverses sont assemblées avec tenons & mortaises dans les montans de la cage.

On a dit que la branche D E (Pl. IV. fig. 1 & 3.), passoit par la grande rainure de l'établi, & que la verge ou cramaillere PO passoit par sa mortaise, que l'extrêmité O de la verge étoit attachée à l'extrêmité O du ressort VO que l'on fait en serpentant, afin que dans l'espace VO, il soit équivalent au ressort plus long & qu'il soit plus flexible ; si donc on pousse la verge PO de P en O, d'une quantité suffisante pour donner assez de bande au ressort VO, & que l'on mette une cheville qui traverse la barre D E & la verge PO, il est sensible que lorsqu'on abandonnera la machine à elle-même, que le ressort VO, tendant à le rétablir, poussera de toute sa force la verge OEP vers P, mais le point E de la barre D E, ne sauroit le mouvoir vers P, sans que le point C qui lui est opposé, ne se meuve vers M. Tous les chassis CDEDC, faisant charniere aux points D D : si aulieu de pousser la verge PO, on l'avoit tiré à soi par la mortaise E suffisamment pour donner de la bande au ressort en sens contraire, en se rétablissant il tireroit à lui le point E, ce qui feroit aller la lunette C en sens opposé, vers l'autre côté de la cage.

On fait tourner l'arbre ou axe sur lui-même, par un moyen différent des autres, & qui réunit en lui seul tous leurs avantages ; ce moyen est l'application d'un volant H (Pl. III. fig. 1.) dont le plan est perpendiculaire à l'horison ; sur l'axe de ce volant qui traverse la boîte K, est une poulie G attachée par le moyen d'un quarré ; par-dessus cette poulie & une de celles qui sont montées sur l'arbre, passe une corde sans-fin, qui le croise, ainsi qu'il a été dit ci-devant dans la description de la roue des tourneurs. Si on fait tourner le volant, la poulie G qui est fixée sur son arbre, ne manquera pas de tourner aussi, & par conséquent de faire tourner la poulie F, qui est une de celles qui sont montées sur l'axe du tour : on observera qu'il faut toujours faire tourner le volant en sens contraire à celui auquel on veut que l'ouvrage tourne, & qu'il tourne toujours du même sens : ce qui est l'avantage d'une des méthodes de tourner, ci-devant expliquées.

L'autre avantage, c'est qu'il ne faut qu'un seul ouvrier, qui par le moyen d'une marche, où l'extrémité Y de la corde va s'attacher, entretient le mouvement du volant, de même qu'un gagne-petit entretient le mouvement de sa meule ; la seule attention à avoir, c'est de donner à propos le coup de pié ; la seule regle que l'on puisse donner là-dessus, est de n'appuyer que lorsque la cheville excentrique, ou l'extrêmité de la manivelle, commence à descendre, & de lâcher ou mollir le pié, comme les ouvriers s'expriment, aussitôt qu'elle commence à remonter ; mais c'est une chose d'habitude qui s'acquiert assez facilement.

La vis P sert à élever ou à baisser le long du pié P S, la boîte K, afin de tendre la corde sans-fin sur les poulies : la hauteur du pié S P doit être telle qu'avec celle de l'établi, un homme de taille ordinaire ne court point le risque de se casser la tête contre le volant.

Lorsque l'on veut travailler sur le tour, on met une piece N (fig. 1. Pl. III. & fig. 4. Pl. IV.), qu'on appelle porte roulette, sur une des barres horisontales M M de la cage, le long de laquelle elle peut couler, y étant retenue par le petit crochet b auquel on a ménagé un passage m au haut de chacun des montans de la cage, & on le fixe où l'on veut par le moyen de la vis C ; la fourchette a porte une roulette que l'on présente à la rosette dont on veut se servir, ensorte qu'elle porte sur la circonférence, & le ressort VO, dont on a parlé, l'y retient continuellement appliquée ; si alors on fait tourner l'arbre, chaque point de la rosette s'appliquera successivement sur la roulette a ; mais comme les rosettes sont figurées, & qu'elles ont des points, les uns plus près, les autres plus éloignés de l'axe, & tous ces points devant toucher la roulette, ils ne pourront le faire sans que l'axe s'approche & s'éloigne alternativement du porte-roulette ; ce qui fera paroître les poupées D C, D C, dans un balancement continuel, & tous les points de l'ouvrage montés sur l'assiette Q des mandrins, comme dans le simple tour à lunette, décriront une courbe semblable à celle de la circonférence de la rosette : pour guillocher sur le plat, on se sert de l'autre porte-roulette N (fig. 4. n°. 2. Pl. IV.), dont le nez en fourchette a est recourbé, ensorte que le plan de la roulette soit parallele à la longueur de la coulisse : on le met sur un côté de la cage, en sorte que la fourchette a soit dans l'espace que laissent entr'elles deux paires de rosettes, la roulette tournée vers le renfort de la rosette dont on veut se servir ; si alors on fait tourner l'arbre, les rosettes tourneront aussi, & le ressort X x poussant contre la roulette, pour faire appliquer dessus, les uns après les autres, tous les points de la rosette, l'arbre aura un petit mouvement dans les collets des poupées de R en C, & de C en R, mouvement qui se communiquera aussi à l'ouvrage.

Le support de cette sorte de tour, représenté Pl. III. fig. 2. est le plus composé de tous, il consiste ainsi que celui du précédent, en une fourchette D qui est recouverte, & en une piece BC qui est fixée de quel côté on veut, par le moyen de la vis E ; ces pieces sont de cuivre ; aux deux côtés de la partie verticale B sont des coulisses dans lesquelles la piece de fer F, qui est fendue dans sa partie horisontale & à ses extrêmités, peut se mouvoir & être arrêtée par les écrous f. Pour fixer les outils sur ce support, car dans cette sorte d'ouvrage ils demandent d'être bien affermis, on se sert d'une piece A qu'on appelle crochet, dont on fait passer les extrêmités a b par la fente de la partie horisontale du support, desorte qu'il soit accroché au-dessous ; on place ensuite un outil I, que l'on tient de la main droite sur le support, le manche H du crochet par-dessus, sur lequel on appuie fortement de la main gauche, ce qui affermit l'outil. Voyez la fig. 2. Pl. III. n°. G.

On affermit aussi l'outil sur le support, par le moyen d'une boîte ou noix semblable à celle qui retient la fourchette du tour des horlogers. Voyez dans les outils d'horlogerie.

L'ouvrage que l'on applique sur le tour à figurer, doit être dégrossi & arrondi auparavant sur le tour à lunette, où il se monte sur des mandrins ; les outils avec lesquels on travaille, sont des biseaux ou becs d'âne, figurés ainsi que le dessein que l'on veut exécuter exige. Voyez les noms & la description de tous ces outils, ci-devant & Pl. I. du tour, & à leur article.

TOUR ELLIPTIQUE, ou à tourner des ellipses, est une machine qui s'adapte sur le tour à lunette : il est composé de deux platines & d'un anneau. La grande platine qui est ronde, Planche V. fig. 1. est percée de deux tours, qu'on appelle fenêtres, marquées dans la figure S S. Elle a deux coulisses, A B, C D, qui sont retenues sur la platine par le moyen de quatre vis A B C D, qui ont leurs têtes gaudronnées afin d'avoir plus de prise. Les trous des coulisses par où passent les vis, sont de forme elliptique pour que les deux coulisses puissent se rapprocher l'une de l'autre ; ce qui se fait par le moyen des quatre pilons & des quatre vis A B C D. L'espace que laissent entr'elles les coulisses, est occupé par la petite platine, fig. 2. qui est un cercle dont on a retranché deux segmens. Les côtés A B, C D, sont en biseau incliné au plan de la platine de 45 ; cette platine coule entre les coulisses A B, C D, fig. 1. dont les biseaux recouvrent exactement ceux de la platine, comme on le peut voir par les lignes e f, du profil fig. 3. Les écrous E F, fig. 2. retiennent les petits T, fig. 6. ainsi nommés à cause de leur figure, à la platine mobile. La partie quarrée des petits T glisse dans les fenêtres S S de la grande platine ; l'assiette G, & la vis H servent pour monter les mandrins. On voit comment les petits T traversent la grande platine dans la figure 4. qui est l'envers de la premiere ; l'assiette i & l'écrou k que l'on y voit, servent pour monter toute cette machine sur l'arbre.

L'anneau que l'on voit représenté, figure 5. est une portion O de cylindre concavo-convexe ou cylindre creux. Elle est attachée sur une plaque NN, perpendiculaire à l'axe du cylindre qui est parallele à celui du tour. Les parties NN de la plaque, & qu'on appelle oreilles, sont percées par des fenêtres dont la longueur s'étend du même sens que celle de la plaque. Toute cette piece s'applique contre la poupée à lunette A, qui a deux oreilles P P, ensorte que l'assiette i & la vis k des mandrins, passent dans la concavité du cylindre, ensorte cependant que la vis k n'outrepasse point la base antérieure du cylindre. Cette piece est retenue appliquée contre la poupée par le moyen des vis à tête LM, dont la tige traverse les fenêtres NN de la plaque de l'anneau, & vont pénétrer dans les oreilles de la poupée, où ils sont retenus par des pas d'écrous.

On visse ensuite les deux platines assemblées sur l'assiette I des mandrins. Le côté de la figure 4. tourne vers l'anneau, ensorte que les T, E F, le touchent extérieurement, voyez fig. 7. Si alors on fait tourner l'arbre i k, & par conséquent les platines montées dessus, & que l'anneau soit excentrique à l'arbre, c'est-à-dire n'ait point l'arbre à son centre, on verra la petite platine sur laquelle l'ouvrage est monté, glisser alternativement dans les coulisses de l'autre qui tourne rond avec l'arbre.

Pour bien entendre comment cette construction donne des ellipses, il faut remarquer, figure 7. que si autour du point k, qui est le centre de l'arbre, on fait tourner un plan dans lui-même, c'est-à-dire comme tourne un plan perpendiculaire à l'axe, que tous les points de ce plan décriront des cercles ; que si on a la pointe d'un burin au point B, que le point A également éloigné du centre k, que la pointe B viendra la trouver en décrivant l'arc A B, ce qui reviendra au même que si la pointe B avoit parcouru le même arc A B, en allant de B en A.

Il en sera de même d'un autre point a, qui décrira un arc de cercle a g, concentrique au premier ; mais si le rayon k a se raccourcissoit en s'inclinant au rayon k g, ensorte que le point a passât par b, moins éloigné du centre k, la courbe que décriroit ce point ne seroit point un arc de cercle ; c'est ce que fait notre machine dont l'anneau est représenté par le cercle excentrique d n y e z, ces petits T qui comprennent l'anneau par u x, la direction des coulisses par u x. Il est sensible que si en tournant, on fait incliner la ligne x u à l'horisontale g f, que l'extrêmité e du T x glissera sur l'axe e z du cercle excentrique ; ce qui ne pourra se faire lorsque le point u s'approche du point k, les deux T ne quittant jamais la circonférence de l'anneau, ensorte que lorsque la ligne u x coincidera avec l'horisontale g f, les T u x auront pris la position y z, ce qui fera parcourir à un point a, monté sur la même platine que les T, un arc a b d'ellipse, au lieu d'un arc de cercle a g. Ce qui revient au même que si la pointe du burin placée en b, décrivoit ce même arc en allant de b en a. Présentement si la machine continue de tourner, le rayon u k, qui par m k, n k, est devenu y k, s'allongera en passant par les degrés o k, v k, & deviendra x k. C'est cet allongement & ce racourcissement qui font la différence des deux axes, qui est toujours double de l'excentricité de l'anneau.

TOUR, s. f. (Hist. mod.) on donne aussi quelquefois ce nom à une forteresse qui sert de prison d'état, telle que la tour de Londres.

Cette fameuse tour est non-seulement une citadelle qui défend & commande la ville, la Tamise, &c. mais c'est encore une maison royale où les rois d'Angleterre ont quelquefois tenu leur cour ; un arsenal royal qui renferme des armes & des munitions de guerre pour 60000 hommes ; un trésor où l'on garde les joyaux & les ornemens de la couronne ; une monnoie où l'on fabrique les especes d'or & d'argent. Là sont aussi les grandes archives du royaume, où l'on conserve tous les anciens registres de la cour de Westminster, & les rôles ou terriers de tout ce que les rois d'Angleterre possédoient autrefois en Normandie, en Guienne, & les fiefs de leur mouvance, &c. Enfin c'est la prison principale où l'on renferme les criminels d'état, ou comme on dit de haute trahison. Voyez ARSENAL, MONNOIE, &c.

Au milieu est la grande tour blanche & quarrée, qui fut bâtie par Guillaume le conquérant. Dans l'enceinte de la tour est une église paroissiale exempte de toute jurisdiction de l'archevêque, & une chapelle royale où l'on ne fait plus de service.

Le principal officier de la tour est le connetable, qui a sous lui un lieutenant qui lui est entierement subordonné, & n'agit que par ses ordres, même en son absence. Différens rois d'Angleterre ont attribué au connetable le droit de prendre un flacon tenant deux gallons & une pinte de vin, sur chaque tonneau, & une certaine quantité d'écrevisses, d'huitres, & d'autres poissons à coquille, sur chaque bâtiment anglois chargé de ces marchandises ; & le double sur tout vaisseau étranger qui passe devant la tour. Il jouit aussi d'un honoraire de 200 livres pour chaque duc que l'on y constitue prisonnier, 100 livres pour chaque pair qui n'est pas duc, & 50 livres pour tout autre particulier de quelque qualité ou condition qu'il soit. Voyez CONNETABLE.

Sous cet officier, & en son absence sous le lieutenant, est un gentilhomme de la porte, avec plusieurs gardes. Ce gentilhomme a la charge d'ouvrir & de fermer les portes, de remettre tous les soirs les clés au connetable ou au lieutenant, de les aller prendre le matin chez l'un ou chez l'autre. Il commande les gardes qui sont en faction le jour ; & à l'entrée de chaque prisonnier, il a pour son honoraire le vêtement de dessus, ou un équivalent : lequel pour un pair du royaume, est ordinairement de 30 livres, & de 5 pour tout autre particulier.

Autrefois le roi accordoit à un duc ou marquis prisonnier à la tour, 12 livres sterlings par semaine, ce qui est aujourd'hui réduit à 4 livres ; à tous les autres pairs, 10 livres par semaine, qui sont réduites maintenant à 2 livres 4 schelins 5 deniers ; aux chevaliers & gentilshommes, 4 livres, réduites à 13 schelins 4 deniers ; & aux personnes du commun, il ne donne maintenant que 10 schelins par semaine : pour ce qui est des gardes de la tour, Voyez GARDES.

Dans l'ancienne franchise qui joint la tour, on comprenoit aussi l'ancien parc d'artillerie, près de la place nommée spittle-field, comme aussi ce qu'on appelle les petites minories, où le gentilhomme de la porte exerce la même autorité que les shérifs dans leur ressort. Voyez ARTILLERIE, &c.

TOUR, (Jurisp.) signifie en Angleterre la cour d'un sherif, laquelle se tient deux fois par an dans chaque canton de la province ; savoir un mois après Pâques, & un mois après la S. Michel. Voyez SHERIF.

Personne n'est exempt de cette jurisdiction que les archevêques, les évêques, comtes, barons, religieux, religieuses, & tous ceux qui possedent des cantons en propre, & les font valoir par eux-mêmes.

On l'appelle tour du sherif, parce que ce magistrat fait une tournée dans la province, & tient sa cour en différens endroits.

TOUR, (Art numismatiq.) la tour sur les médailles, désigne un magasin fait pour le soulagement du peuple ; mais on ne trouve de tours sur les médailles que depuis Constantin. (D.J.)

TOUR DE COUVENT, (Charpent.) c'est dans un couvent de filles, une espece de machine en forme de boisseau, ouverte en partie, & posée verticalement à hauteur d'appui dans la baie d'un mur de refend, où elle tourne sur deux pivots pour faire passer diverses choses dans le couvent, & les en faire sortir. On appelle aussi tour la chambre où est cette machine. Il y a des religieuses préposées au tour, qui parlent au tour, & qu'on appelle dames du tour. Voyez TOURIERE. (D.J.)

TOUR DE LEANDRE, (Archit. turq.) c'est une petite forteresse, située sur un rocher dans le canal de Constantinople, entre cette ville & celle de Scutari en Natolie. On voit de cette tour toute la ville de Constantinople, Péra, Galata, & plusieurs autres édifices qui font une très-belle perspective. Les Turcs nomment cette tour Khes-calesi, c'est-à-dire tour de la pucelle ; mais les Francs ne la connoissent que sous le nom de la tour de LÉandre, & c'est sous ce nom que j'en ai parlé avec un peu plus d'étendue, quoique je sache bien que les amours d'Héro & de LÉandre se soient passés bien loin de là, sur les bords du canal des Dardanelles. (D.J.)

TOUR DE MECENE, (Littérat.) maison très-haute de Mécene, que les Poëtes ont chantée, parce que c'étoit la maison du protecteur des lettres ; molem propinquam nubibus, disoit Horace en parlant de cette maison : elle donna vraisemblablement le désir & l'envie aux autres grands seigneurs de Rome, ou aux gens riches de l'imiter. Quel devoit être le fracas d'une ville où l'on pouvoit, dit-on, compter près de 3000000 d'habitans ? une ville, qui selon la supputation de Pline, comprenoit avec ses fauxbourgs quarante-huit milles de tour, & dont les maisons pouvoient avoir jusqu'à sept étages, chacun de dix piés de hauteur ? Enfin cette passion d'élever des palais jusqu'aux nues, alla si loin en peu d'années, & les chûtes des maisons devinrent si fréquentes, qu'Auguste fut obligé de porter une loi qui défendoit aux particuliers d'élever aucun édifice qui eût plus de 70 piés romains de hauteur, ce qui revient à 65 de nos piés de roi & 3 pouces. (D.J.)

TOUR D'ORDRE, (Littérat.) nom que porte le phare de Boulogne, & que M. de Valois rend par les mots de turris ordinis ; cependant ni le mot françois ordre, ni le latin ordo, ne paroissent être l'origine d'une pareille dénomination. Ce phare est très-ancien, & ayant été construit pour diriger le cours des vaisseaux qui abordoient à Boulogne, ville autrefois célebre par son commerce ; il fut réparé par les soins de Charlemagne. Son ancien nom étoit Ordrans, comme on l'apprend de la vie de S. Folenin évêque de Terrouenne ; mais Ordrans paroît une légere corruption d'Ordans. Plusieurs croient avec assez d'apparence, que turris Ordans s'étoit fait de turris ardens, la tour ardente, ce qui convenoit parfaitement à une tour où le feu paroissoit toutes les nuits. Voyez PHARE. (D.J.)

TOUR DE PORCELAINE, (Hist. de la Chine) cette fameuse tour est de figure octogone, large d'environ quarante piés, desorte que chaque face en a quinze. Elle est entourée par-dehors d'un mur de même figure, éloigné de deux toises & demie, & portant à une médiocre hauteur un toit couvert de tuiles vernissées ; ce toit paroît naître du corps de la tour, & forme au-dessous une galerie assez propre.

La tour a neuf étages dont chacun est orné d'une corniche de trois piés à la naissance des fenêtres, & distingué par des toits semblables à celui de la galerie, à cela près qu'ils ont beaucoup moins de saillie, parce qu'ils ne sont pas soutenus d'un second mur ; ils deviennent même beaucoup plus petits, à mesure que la tour s'éleve & se rétrecit.

Le mur a du-moins sur le rez-de-chaussée douze piés d'épaisseur, & plus de huit & demi par le haut. Il est incrusté de porcelaines posées de champ ; la pluie & la poussiere en ont diminué la beauté ; cependant il en reste encore assez pour faire juger que c'est en effet de la porcelaine quoique grossiere ; car il y a apparence que la brique, depuis trois cent ans que cet ouvrage dure, n'auroit pas conservé le même éclat.

L'escalier qu'on a pratiqué en-dedans, est petit & incommode, parce que les degrés en sont extrêmement hauts ; chaque étage est formé par de grosses poutres mises en-travers, qui portent un plancher, & qui forment une chambre dont le lambris est enrichi de diverses peintures, si néanmoins les peintures de la Chine sont capables d'enrichir un appartement.

Les murailles des étages supérieurs sont percées d'une infinité de petites niches qu'on a remplis d'idoles en bas-relief, ce qui fait une espece de marquetage très-propre. Tout l'ouvrage est doré, & paroît de marbre ou de pierre ciselée ; mais je crois que ce n'est en effet qu'une brique moulée & posée de champ ; car les Chinois ont une adresse merveilleuse pour imprimer toute sorte d'ornemens dans leurs briques, dont la terre fine & bien sassée est plus propre que la nôtre à prendre les figures du moule.

Le premier étage est le plus élevé, mais les autres sont entr'eux d'une égale distance. On y compte cent quatre-vingt-dix marches presque toutes de dix bons pouces, ce qui fait cent cinquante-huit piés ; si l'on y joint la hauteur du massif, celle du neuvieme étage qui n'a point de degré, & le couronnement, on trouvera que la tour est élevée sur le rez-de-chaussée de plus de deux cent piés.

Le comble n'est pas une des moindres beautés de cette tour : c'est un gros mât qui prend au plancher du huitieme étage, & qui s'éleve plus de trente piés en-dehors. Il paroît engagé dans une large bande de fer de la même hauteur, tournée en volute, & éloignée de plusieurs piés de l'arbre, desorte qu'elle forme en l'air une espece de cône vuide & percé à jour, sur la pointe duquel on a posé un globe doré d'une grosseur extraordinaire. Voilà ce que les Chinois appellent la tour de porcelaine, & que quelques européens nommeroient peut-être la tour de brique. Quoi qu'il en soit de sa matiere, c'est assurément l'ouvrage le mieux entendu, le plus solide, & le plus magnifique qui soit dans l'orient, à ce que nous assurent les RR. PP. Jésuites. (D.J.)

TOUR, (Jurisprud.) est le rang dans lequel plusieurs personnes ont droit de nommer ou présenter successivement aux bénéfices qui viendront à vaquer.

La présentation ou collation par tour dépend des titres & de la possession.

Quelquefois l'évêque nomme par tour avec le chapitre.

Les chanoines entr'eux présentent ou conferent certains bénéfices par tour.

Entre plusieurs co-patrons ecclésiastiques, chacun d'eux nomme à son tour.

On appelle tournaires ceux qui présentent ou conferent par tour.

La maniere de compter le tour dépend aussi des titres & de la possession ; en quelques endroits chacun nomme pendant une année, en d'autres pendant six mois ou un mois, en d'autres chacun des tournaires a sa semaine.

Il n'y a que les lettres de nomination ou collation qui fassent tour.

La collation nécessaire entre collateurs qui conferent alternativement, fait tour.

Une collation nulle remplit même le tour du collateur.

Mais le roi ne perd point son tour pour avoir présenté un incapable.

Une collation faite pour cause de permutation fait tour, quoiqu'elle n'ait pas été suivie de possession, ce qui s'entend pourvu que la collation ait été faite par l'ordinaire & du consentement du patron.

Le chanoine tournaire est le vrai collateur ordinaire, & la résignation faite entre ses mains est canonique. Voyez Rebuffe sur le concordat, Jovet au mot bénéfice, la bibliotheque canonique, du Luc, & les mots BENEFICE, COLLATION, COLLATEUR, NOMINATION, PATRON, PRESENTATION. (A)

TOUR DE L'ECHELLE, (Jurisprud.) est un certain espace que celui qui fait construire un mur du côté du voisin, laisse entre ce mur & l'héritage voisin pour pouvoir poser une échelle contre ce mur en-dehors & le réparer.

Suivant un acte de notoriété du chatelet du 23 Août 1701, le tour de l'échelle est de trois piés, ce qui n'est pas un droit de servitude, mais un droit de propriété, tellement que celui qui a laissé ces trois piés, peut ensuite les enclorre, si c'est dans une ville où tous les bâtimens se joignent.

Ce droit de trois piés au-delà du mur ne s'établit pas sans titre, d'autant que celui qui bâtit, peut pousser son bâtiment jusqu'à l'extrêmité de son héritage, ou faire un mur mitoyen, auxquels cas il n'y a pas de tour de l'échelle.

Par rapport aux maisons royales & autres édifices royaux, les officiers du roi prétendent que le tour de l'échelle est de dix-huit piés, à cause de l'importance de ces bâtimens qui demandent ordinairement plus de place pour les réparer ; ces officiers prétendent aussi que les échopes ou boutiques adossées contre ces bâtimens royaux & comprises dans l'espace de dix-huit piés, font partie de l'enclos de la maison royale, & sont soumises à la même jurisdiction. Voyez le praticien de Couchot & les loix des bâtimens. (A)

TOUR QUARREE, (Jurisprud.) étoit une chambre ou commission établie par François I. pour la réformation de ses finances & la recherche des financiers ; il en est parlé dans l'édit de Château-Briant du 8 Juin 1532, art. 4, 9 & 11. Cette chambre fut ainsi nommée, parce qu'elle tenoit ses séances dans une tour quarrée qui étoit en l'île Notre-Dame ou du palais. Voyez Sauval aux preuves, pag. 124, la conférence de Guénois & CHAMBRE DE LA TOUR QUARREE. (A)

TOUR, (Critiq. sacrée) l'Ecriture fait mention de plusieurs tours destinées à divers usages. Il y en avoit pour fortifier les villes, comme celles de Phanuel, de Sichem, de Thèbes, de Tyr, de Syène & toutes celles de Jérusalem. D'autres servoient à découvrir de loin, comme celle de Jézraël, d'où la sentinelle apperçut l'armée de Jéhu qui s'avançoit, IV. Rois ix. 17. On élevoit aussi des tours dans les campagnes pour garder les fruits & les troupeaux, Is. v. 2. C'est pour veiller à la conservation du bétail que le roi Osias fit bâtir des tours dans le désert, II. Paral. xxvj. 10 ; & comme il y avoit des gardes dans ces tours pour défendre les pasteurs & les troupeaux contre les courses des voleurs, cet usage a donné lieu à une façon de parler souvent usitée dans l'Ecriture, par exemple, IV. Rois, xvij. 9, depuis la tour des gardes jusqu'à la ville fortifiée, pour marquer généralement tous les lieux du pays depuis le plus petit jusqu'au plus grand. (D.J.)

TOUR, (terme de Blason) il y a en blason différentes especes de tours ; on les appelle rondes, quarrées, crevées, carnelées ou crenelées. Les unes sont sans portes, les autres avec la porte grillée, les unes sont maçonnées, quelques autres sont couvertes ; & il y en a de sommées de girouettes, ou d'autres pieces. (D.J.)

TOUR, ou TAMBOUR, s. m. en méchanique, est une roue ou un cercle concentrique à la base d'un cylindre, avec lequel il peut se mouvoir autour d'un même axe. Telle est la roue A B, Pl. méchan. fig. 44. qui est mobile sur l'axe E F.

L'axe, la roue & les leviers qui y sont attachés pour se mouvoir en même tems, forment la puissance méchanique, appellée axis in peritrochio, axe dans le tambour, ou simplement tour. Voyez AXE DANS LE TAMBOUR.

Cette machine s'appelle proprement tour, ou treuil, lorsque l'axe ou arbre E F est parallele à l'horison ; lorsque cet arbre est perpendiculaire à l'horison, la machine s'appelle alors vindas, ou cabestan. Ces deux machines sont employées fréquemment aux puits, aux carrieres, aux bâtimens pour élever les pierres & les autres matériaux, sur les vaisseaux & dans les ports pour lever les ancres, &c. & quand on y fait attention, on les retrouve en petit dans une infinité d'autres endroits, où elles ne sont différentes que par la façon ou par la matiere dont elles sont faites. Les tambours, les fusées, les bobines sur lesquelles on enveloppe les cordes ou les chaînes pour remonter les poids ou les ressorts des horloges, des pendules, des montres mêmes, doivent être regardés comme autant de petits treuils ou de petits cabestans. (O)

TOUR, (jeu des Echecs) piece du jeu des échecs qui est posée aux extrêmités du tablier, & qui ne se remue qu'à angles droits : il y a deux tours à ce jeu. Voyez ECHECS, jeu des.

TOURS DOUBLES au Médiateur, ce sont ordinairement les derniers tours de la partie, où l'on double le jeu, les matadors, la consolation, la bête, la vole, &c. ou simplement telle de ces choses dont on sera convenu avant de commencer à jouer.

TOUR, au Trictrac, signifie la partie composée de douze trous, dont chaque vaut douze points.

TOUR IRREGULIER ELEGANT, (Gram. franç.) il y a un tour irrégulier élégant, qui consiste à mettre le cas devant le verbe. Les orateurs s'en servent souvent avec beaucoup de grace : exemple en prose. " Celui qui nous a donné la naissance, nous l'évitons comme une embuche ; cependant cette souveraine, les nouvelles constitutions la dégradent ; toute son autorité est anéantie, & pour toute marque de sa dignité, on ne lui laisse que des révérences ; la supérieure ne fait rien qu'on ne condamne, les plus innocentes actions on les noircit ".

Exemple en poésie :

Ces moissons de lauriers, ces honneurs, ces conquêtes,

Ma main en vous servant, les trouve toutes prêtes.

Il semble qu'il faudroit dire régulierement : " nous évitons, comme une embuche, celui qui nous a donné la naissance ; cependant les nouvelles constitutions dégradent cette souveraine ; on noircit les plus innocentes actions ". Et quant aux vers, la construction naturelle seroit, " ma main trouve toutes prêtes ces moissons de lauriers, &c. " On parle dans la conversation & dans un livre tout simplement ; mais dans une action publique qui est animée de la voix, & qui demande une éloquence plus vive, le tour irrégulier a bien une autre force.

Il y a un autre tour irrégulier, qui consiste à mettre le nominatif après son verbe ; ce renversement, bien-loin d'être vicieux, a de la grandeur, & est quelquefois absolument nécessaire : exemple. " Ils n'eurent pas les barbares, le plaisir de le perdre, ni la gloire de le mettre en fuite ". Cette expression est bien plus belle que de dire, " mais les barbares n'eurent pas le plaisir, &c. Déja frémissoit dans son camp l'ennemi confus & déconcerté ; déja prenoit l'essor pour s'avancer dans les montagnes, cet aigle dont le vol hardi avoit d'abord effrayé nos provinces ".

Il est quelquefois indispensable de mettre le nominatif après le verbe, si l'on ne veut pas tomber dans un style fade & languissant : exemples. " Il s'éleve du fond des vallées des vapeurs sulphureuses dont se forme la foudre qui tombe sur les montagnes ". Autre exemple. " Voilà le livre que me donna hier le grand homme qui n'a jamais rien fait que le public n'ait reçu avec admiration ". Il seroit bien moins noble de dire, dont la foudre qui tombe sur les montagnes se forme, le grand homme qui n'a jamais rien fait que le public n'ait reçu avec admiration, me donna hier ce livre, &c. "

Il y a encore un autre tour irrégulier, qui est fort élégant dans un discours oratoire : exemple. " Il l'avoit bien connu, messieurs, que cette dignité & cette gloire dont on l'honoroit, n'étoit qu'un titre pour sa sépulture. " Autre exemple. " Je l'avois prévu, que ce haut degré de grandeur seroit la cause de sa ruine ". Ces expressions sont sans doute plus pathétiques que de dire simplement, " il l'avoit bien connu messieurs, que cette dignité, &c. J'avois prévu que ce haut degré de grandeur, &c. ". (D.J.)

TOURS DE CARTES ET DE MAINS, (art d'Escamotage) Les tours de cartes sont des tours de gibeciere ou d'esprit. Il ne faut pas charger cet ouvrage d'exemples de ces bagatelles, mais on en doit citer quelques-uns pour apprendre aux hommes à chercher les causes de plusieurs choses qui leur paroissent fort surprenantes.

Les joueurs de gibeciere font changer en apparence une carte dans une autre ; par exemple un as de coeur en un as de treffle.

Pour en faire autant qu'eux, vous prendrez ces deux as, vous collerez un petit morceau de papier blanc bien mince sur vos deux as avec de la cire blanche ; sur l'as de coeur vous collerez un treffle, & sur l'as de treffle vous collerez un coeur. Vous montrerez ces deux as collés à tout le monde avec un peu de vîtesse. Vous montrerez d'abord l'as de coeur, & vous direz ; messieurs, vous voyez bien que c'est l'as de coeur. Vous ferez mettre le pié dessus ; & en mettant l'as sous le pié, vous tirerez avec le doigt le petit papier qui est attaché sur la carte. Vous montrerez ensuite l'as de treffle ; & en le faisant mettre sous le pié d'une autre personne qui soit éloignée de la premiere, vous ôterez aussi le papier de dessus la carte. Vous commanderez ensuite à l'as de coeur de changer de place, & d'aller à celle de l'as de treffle, & à l'as de treffle, d'aller à celle de l'as de coeur. Enfin vous direz à celui qui aura mis le pié sur l'as de coeur, de montrer sa carte, il trouvera l'as de treffle, & celui qui a mis le pié sur l'as de treffle, trouvera l'as de coeur.

Autre tour de carte. Après avoir fait battre un jeu de cartes, vous en ferez tirer une du jeu, puis vous disposerez les cartes en deux tas, & vous ferez poser celle que l'on a tirée sur un des deux tas. Ayant cependant mouillé le dos de votre main droite de quelque eau gommée, & mis les deux mains l'une dans l'autre, vous poserez le dos de votre main droite sur le tas où l'on a mis la carte : par ce moyen vous l'enleverez, & en tournant autour, vous la mettrez dans votre chapeau, la figure tournée de votre côté, afin de voir quelle elle est. Vous ferez poser une main sur le tas où l'on a mis la carte que vous avez tirée ; pendant ce tems-là vous prendrez l'autre tas, & le mettrez sur votre carte dans votre chapeau. Vous remettrez le second tas sur la table avec la carte dessus. Vous demanderez ensuite à la personne où il a mis sa carte ; il vous dira, sur le tas où j'ai la main : vous lui répondrez qu'elle est sous l'autre, & vous lui direz quelle est cette carte avant que la lever.

Pour deviner toutes les cartes d'un jeu les unes après les autres, il faut d'abord en remarquer une, & battre les cartes, ensorte que celle qu'on a remarquée se trouve dessus ou dessous. Je suppose qu'on ait remarqué le roi de pique ; ensuite il faut mettre les cartes derriere son dos, & annoncer qu'on va tirer le roi de pique. On tire effectivement le roi de pique qu'on a remarqué ; mais en le tirant on en tire une seconde que l'on cache dans sa main, & que l'on regarde en jettant la premiere que j'ai supposée être le roi de pique. Supposé que la seconde qu'on a regardée en jettant la premiere soit une dame de coeur, on annonce qu'on va tirer une dame de coeur ; mais en la tirant, on en tire une troisieme qu'on regarde pendant qu'on jette la seconde, & ainsi de suite jusqu'à la derniere.

Si vous voulez deviner la carte qu'on aura touchée, il faut faire tirer une carte du jeu, la faire mettre sur la table, & remarquer quelque tache particuliere sur cette carte (cela est facile, car il n'y a pas une carte qui n'ait une marque particuliere) ; vous dites ensuite qu'on la mette dans le jeu, & qu'on batte les cartes. Quand elles sont bien battues, vous les prenez & montrez la carte qu'on a touchée.

Pour trouver la carte que quelqu'un aura pensée, il faut premierement diviser ces cartes en cinq ou six tas, & faire ensorte qu'il n'y ait que cinq ou sept cartes à chaque tas. Secondement il faut demander en montrant ces tas les uns après les autres, dans quel tas est la carte qu'on a pensée, & en même tems compter combien il y a de cartes dans ce tas. Troisiemement il faut mettre ces tas les uns sur les autres, en sorte que celui où est la carte pensée soit dessous. Quatriemement, il faut encore faire autant de tas qu'il y avoit de cartes dans le tas où étoit la carte pensée, sans y employer tout le jeu, mais garder autant de cartes qu'il en faut pour en mettre une sur chaque tas. Cinquiemement, il faut montrer les tas les uns après les autres, & demander une seconde fois dans quel tas est la carte pensée. Elle sera précisément la premiere du tas qu'on vous indiquera.

Il est aisé de deviner les cartes de dessus trois tas de cartes. Pour cet effet, remarquez une carte dans le jeu que vous faites trouver dessus en battant. Après cela vous faites trois tas sur l'un desquels se trouve la carte que vous connoissez. Il faut appeller la carte que vous connoissez la premiere, & au-lieu de la prendre, vous en prenez une autre, que vous regardez, laquelle vous appellez en prenant celle du second tas ; enfin vous appellez celle-ci en prenant celle que vous connoissez d'abord. Ayant donc en votre main les trois cartes que vous avez appellées, vous les faites voir selon l'ordre que vous les avez appellées.

Pour faire trouver trois valets ensemble avec une dame, quoiqu'on ait mis un valet avec la dame sur le jeu, un valet dessous & l'autre dans le milieu du jeu, voici ce qu'on fait. On ôte trois valets & une dame du jeu que l'on met sur la table ; ensuite on dit, en montrant les trois valets : " messieurs, voilà trois drôles qui se sont bien divertis au cabaret ; après avoir bien bu & bien mangé, ils se demandent l'un à l'autre s'ils ont de l'argent ; " il se trouve que tous trois n'ont pas un sou. " Comment faire, dit l'un d'eux ? Il faut demander encore du vin à l'hôtesse, & tandis qu'elle ira à la cave, nous nous enfuirons ". Tous trois y consentent, appellent l'hôtesse, qui est la dame qu'on montre, & l'envoient à la cave. Pour cela vous renversez la dame sur la table, après quoi vous dites : " Allons, il faut faire enfuir nos trois gaillards ". Vous en mettez un sur le jeu, un dessous, & l'autre au milieu. Notez qu'avant que vous fassiez le tour, il faut faire en sorte que le quatrieme valet se trouve dessous, ou sur le jeu de cartes. L'hôtesse étant de retour, & ne trouvant pas ses trois gaillards, se met en état de courir après. " Faisons-la courir, dites-vous ; voyons si elle pourra attraper nos trois drôles ". Pour cela vous la mettez sur le jeu ; après quoi vous donnez à couper à quelqu'un de la compagnie : il est certain qu'en jettant les cartes les unes après les autres, on trouvera trois valets avec la dame.

Le dernier tour que je vais décrire est le tour des jettons. Vous faites compter par une personne dix-huit jettons ; vous en prenez 6 pendant ce tems-là dans la bourse, & vous les cachez entre le pouce & le premier doigt de votre main droite : ensuite vous dites, " monsieur, vous avez compté dix-huit jettons " ; il vous dit qu'oui : pour lors vous ramassez les jettons, & en les ramassant vous laissez tomber les six que vous avez dans votre main avec les dix-huit ; vous les mettez tous dans la main de la personne qui les a comptés ; ainsi il y en a vingt-quatre : ensuite vous lui dites : " Combien souhaitez-vous qu'il y en ait dans votre main, entre dix-huit & vingt-quatre " ? Si l'on dit : " je souhaite qu'il y en ait vingt-trois ", vous dites : " monsieur, rendez-moi un de vos jettons ", & vous lui faites observer qu'il en reste dix-sept, parce que vous lui avez fait croire que vous ne lui en avez donné que dix-huit. Enfin vous prenez des jettons dans la bourse, & vous comptez 18, 19, 20, 21, 22 & 23 ; vous ramassez ces six jettons en faisant semblant de les mettre dans votre main gauche ; mais vous les retenez dans la droite, que vous fermez, & vous faites semblant de les faire passer avec les dix-sept, en ouvrant votre main gauche : vous tenez cependant les six jettons dans votre main droite, & vous dites à la personne de compter ces jettons ; il trouve le nombre qu'il a demandé, qui est vingt-trois.

Vous mêlez vos six jettons parmi les vingt-trois en les ramassant, & vous remettez le tout ensemble dans la bourse, ou les remettant secrettement dans la main de la même personne avec six autres jettons : vous lui dites de fermer la main, & vous lui demandez combien il veut qu'il s'y en trouve de vingt-trois à vingt-neuf. S'il en demande, par exemple, vingt-six, vous lui dites de vous en donner trois ; puis de vingt-trois à vingt-six vous comptez trois, que vous faites semblant de faire passer dans la main avec les autres, comme vous avez fait ci-dessus ; alors vous lui dites de compter, il s'en trouve vingt-six : vous les ramassez, & en les ramassant vous remettez les trois que vous avez dans votre main avec les autres, & vous serrez le tout ensemble.

Comme il y a des personnes qui se trouveroient embarrassées, si au-lieu de vingt-trois jettons que j'ai supposés, l'on en demandoit dix-neuf, combien il faudroit demander des jettons ? on remarquera dans ce cas combien il faut de jettons depuis le nombre que la personne demande jusqu'à vingt-quatre ; ce qu'il y aura est le nombre qu'il faut demander, ce qu'on comprend sans peine.

Il ne sera pas fort difficile de deviner la plûpart des autres tours de cette espece, dès qu'on en cherchera vivement la clé. Mais il se présente quelquefois en public des hommes qui font des tours fort surprenans d'un autre genre, & que les physiciens eux-mêmes ont bien de la peine à expliquer. Il n'entre dans ces tours point d'esprit, de ruse ou d'escamotage ; ce sont des épreuves vraies, & qu'aucun spectateur ne peut imiter. En un mot ces tours dépendent nécessairement d'une conformation d'organes particuliers, fortifiée par une prodigieuse habitude, & accompagnée quelquefois d'une adresse merveilleuse.

Ce que le sieur Richardson, anglois, faisoit en public à Paris en 1677, étoit assurément fort étonnant : cet homme qu'on appelloit le mangeur de feu, faisoit rôtir une tranche de viande sur un charbon dans sa bouche, allumoit ce charbon avec un soufflet, & l'enflammoit par un mêlange de poix noire, de poix résine & de soufre enflammé ; ce mêlange allumé dans sa bouche produisoit le même frémissement que l'eau dans laquelle les forgerons éteignent le fer, & bien-tôt après il avaloit ce charbon enflammé, cette poix, ce soufre & cette résine. Il empoignoit un fer rouge avec sa main, qui n'étoit pas cependant plus calleuse que celle d'un autre homme, enfin il tenoit un autre fer rouge entre ses dents.

M. Dodart a fait de grands efforts dans les anciens mémoires de l'académie des Sciences pour expliquer tous ces faits dont il avoit été témoin avec ses collegues, & avec tout Paris. Il cite des choses approchantes sur le témoignage de Busbeque, d'un M. Thoisnard d'Orléans, & d'une dame de la même ville ; mais de tels témoignages particuliers n'ont pas grande force ; & d'ailleurs M. Dodart lui-même convient qu'il n'étoit pas possible de soupçonner aucune préparation secrette dans les épreuves du sieur Richardson, comme dans le charlatan de Busbeque & son moine turc. Richardson faisoit également ses épreuves dans les occasions les plus imprévues, comme dans celles qu'il pouvoit prévoir, à la cour, à la ville, en public & en particulier, en présence des gens les plus éclairés comme devant tout un peuple.

M. Dodart dit aussi qu'il y a des plombiers qui vont quelquefois chercher au fond du plomb récemment fondu des pieces de monnoie que l'on y jette, & qu'on leur donne pour les engager à faire cette épreuve, qui a été souvent répétée dans les jardins de Versailles & de Chantilly ; mais vraisemblablement ces plombiers usoient auparavant de quelque ruse pour ne se pas brûler, ou-bien avoient les doigts fort calleux, ce qui n'étoit point, selon M. Dodart lui-même, le cas du sieur Richardson, ensorte que ce dernier exécutoit apparemment son épreuve du fer chaud par de certaines mesures qu'il prenoit pour le poser entre ses dents & sur sa main, foiblement & avec une grande prestesse.

Le charbon allumé m'étonne peu ; il n'est presque plus chaud dès le moment qu'il est éteint ; l'anglois pouvoit alors l'avaler ; le soufre ne rend pas le charbon plus ardent, il ne fait que le nourrir : sa flamme brûle foiblement ; le soufflet avec lequel cet anglois industrieux allumoit ce charbon, souffloit apparemment beaucoup plus sur sa langue que sur le charbon même. Le mêlange de poix-résine, de poix noire & de soufre allumé n'est pas si chaud qu'une bouche calleuse & abreuvée de salive ne puisse bien le souffrir. Les résines ne se fondoient sans-doute, & le soufre ne brûloit qu'à la surface, ce qui ne faisoit qu'une croûte, & néanmoins la tranche de viande se grilloit à merveille. Le bruit que faisoit le mêlange allumé dans la bouche du mangeur de feu n'étoit pas l'effet d'une extrême chaleur, mais de l'incompatibilité du soufre allumé avec la salive, comme avec toutes les autres liqueurs aqueuses.

Outre que le mêlange dont nous venons de parler n'est pas extrêmement chaud, il est gras, & par conséquent il ne peut toucher immédiatement, ou dumoins il ne touche que légerement la langue qui est abreuvée de salive.

Mais pour conclure, puisque personne ne pouvoit faire les mêmes épreuves que cet anglois, il en faut toujours revenir à une conformation singuliere d'organes fortifiée par l'habitude, l'adresse & le tour de main. S'il étoit vrai qu'il y eût eu quelque secret dans les tours du sieur Richardson, comme il avoit intérêt de le laisser croire, il eût rendu quelqu'un capable de soutenir les mêmes épreuves. En ce cas son secret eût mérité une grande récompense, parce qu'on l'auroit appliqué à des usages plus importans & plus sérieux ; cependant il n'a donné ni vendu ce prétendu secret à personne, car depuis plus d'un siecle personne ne s'est présenté dans le public faisant les mêmes choses que faisoit à Londres & à Paris le sieur Richardson en 1677. (D.J.)

TOUR de Londres, (Géog. mod.) forteresse d'Angleterre, ainsi nommée à cause d'une grande tour blanche & quarrée qui est au milieu. Cette forteresse a été bâtie en 1077 par Guillaume le conquérant, & son fils Guillaume II. l'environna d'un mur en 1098. Elle est située près de la Tamise, au-dessous du pont, & à l'orient de Londres. Aussi j'en ai déja parlé en décrivant cette ville.

Mais je dois ajouter ici, que c'est dans cette prison d'état, qu'est né le premier jour de l'année 1656. Fleetwood (Guillaume), savant théologien, mort évêque d'Ely en 1723. dans la soixante-septieme année de son âge.

C'étoit un homme d'un rare mérite, profond antiquaire, & en même tems habile prédicateur. Il étoit fort touché de voir que la différence d'opinions en matiere de religion, causoit tant de troubles ; persuadé que toute erreur qui n'influe point sur la pratique, devroit être parmi les hommes un objet de tolérance. L'histoire de sa vie est à la tête du recueil de ses sermons, imprimés en 1736. in-fol.

Son inscriptionum antiquarum sylloge, parut à Londres en 1691. in-8 °. Ce recueil est en deux parties. La premiere contient des inscriptions payennes remarquables, tirées de Gruter, de Reinesius, de Spon, & d'autres auteurs, & rangées sous cinq classes : la premiere classe regarde les dieux ; la seconde les ouvrages publics ; la troisieme les empereurs ; la quatrieme les prêtres, les magistrats, les soldats, &c. & la derniere les particuliers, comme des peres & des meres, des enfans, des maris, des femmes, des freres, des soeurs, &c.

On trouve dans la seconde partie, les anciens monumens chrétiens. Les remarques sont fort concises, formées des observations des autres, & de celles de l'auteur. Dans une nouvelle édition de cet ouvrage, il seroit nécessaire d'y ajouter des tables exactes, sur-tout des noms propres, car il n'y en a qu'une seule qu'on pourroit appeller un glossaire des antiquités, contenues dans les inscriptions. Il seroit encore bon qu'on mît au titre des inscriptions, la lettre G, ou R, ou S, ou A, ou B, ou P, ou F, ou W, pour indiquer qu'elles sont tirées de Gruter, ou de Reinesius, ou de Spon, Aringhus, Baronius, Papebroch, Ferretius, Wheler, &c. parce qu'on pourroit avoir recours aux sources, lorsqu'on soupçonneroit quelque faute d'impression, ou qu'on voudroit de plus amples éclaircissemens.

Son Essai sur les miracles fut imprimé à Londres en 1701, in-8 °. Il y attaque les systèmes défectueux ou insoutenables de plusieurs théologiens modernes, lesquels attribuent au diable une puissance, qui détruit la plus forte preuve que les miracles fournissent en faveur du christianisme. C'est dommage que ce traité soit fait en forme de dialogues, qui ne conviennent guere aux matieres sérieuses.

En 1707 le docteur Fleetwood donna un petit livre d'un tout autre genre, mais dont on peut tirer de l'utilité ; c'est son chronicum pretiosum, ou histoire de la monnoie d'Angleterre, du prix du blé & d'autres denrées, pour les six derniers siecles.

En 1712, il mit au jour, sans nom d'auteur, le jugement de l'église d'Angleterre, touchant le baptême des laïques & des non-conformistes. Il soutient dans cet ouvrage, que l'église anglicane n'a jamais décidé que le baptême des laïques est invalide. (D.J.)

TOUR de Roussillon, (Géog. mod.) tour de France dans le Roussillon, près de la Tet, à 2 milles de Perpignan. Ce sont les restes infortunés de l'ancienne ville de Ruscino, qui a donné le nom à tout le pays. Tite-Live nous apprend que c'étoit une ville célebre du tems d'Annibal, où les petits rois des pays voisins s'assembloient pour délibérer sur leurs affaires. L'illustre & savant M. de Marca, croit que cette ville fut détruite vers l'an 828. lorsque Louis le Débonnaire châtia ceux auxquels la garde de la frontiere avoit été confiée, & qui l'avoient mal défendue contre les Sarrasins. (D.J.)


TOUR-TERRIÉRES. m. (Méchan.) les tour-terrieres sont de gros rouleaux de bois, qui servent dans les atteliers à transporter de gros fardeaux. (D.J.)


TOURAILLEest le lieu où on fait sécher le grain pour faire la biére. Une touraille est faite comme une trémie, ou pour mieux dire, c'est le comble tronqué ou renversé d'un pavillon quarré ; elle ne differe qu'en ce que le chassis du haut de la touraille est la même chose que les plate-formes qui posent sur les murs d'un pavillon ; elle a quatre entraits, des chevrons, des croupes & des empannons ; & au lieu de poinçon, c'est un petit chassis pour recevoir les arrêtiers & chevrons. Le petit chassis est posé sur un massif de la même grandeur : au milieu est un petit fourneau dont l'ouverture de la cheminée est au milieu du petit chassis de la touraille, par où la fumée entre dans ladite touraille. Sur le grand chassis au haut de la touraille sont des sommiers sur lesquels sont posé les tringles sur quoi l'aire de crin est étendue, & sur laquelle on étend le grain lorsqu'on le fait sécher.


TOURAINE(Géog. mod.) province de France, bornée au nord par une partie du Maine, & par le Vendômois ; au midi, par le Berri & le Poitou ; au levant, par le Blaisois ; & au couchant, par l'Anjou.

On donne à la Touraine 24 lieues de longueur du midi au nord, & 22 du levant au couchant. La Loire la divise en haute & basse ; mais outre cette riviere, elle est arrosée du Cher, de la Vienne, de l'Indre, de la Creuse, &c. qui toutes ensemble lui procurent beaucoup de variétés agréables, & beaucoup de commodités pour le commerce, & pour la communication avec les autres provinces.

Son climat est tempéré, & d'une grande bonté. Ici sont des terres sablonneuses faciles à cultiver, & toujours en labour. Elles rapportent du seigle, de l'orge, du mil, des légumes, & de la gaude pour la teinture. Là, c'est un terrein uni dont les terres sont grasses & fertiles en froment. Ailleurs, sont des terres marécageuses & pleines d'étangs poissonneux : les rivieres arrosent des prés & des pâturages pour la nourriture des bestiaux ; les forêts fournissent du bois.

On y trouve aussi quelques mines de fer & de cuivre. Il y a du salpêtre dans les côteaux de la Loire exposés au midi. Dans une plaine près de Liqueil, l'on trouve quantité de coquillages, qui réduits en poudre, servent à fertiliser les terres. Les côteaux de la Loire & du Cher sont chargés de vignes ; dans d'autres dont le terroir est plus gras, l'on y recueille d'excellens fruits, noix, noisettes, amandes, prunes & pruneaux délicieux. En un mot, c'est une province ;

Que du ciel la douce influence

Loin des hivers & des frimats,

A fait le jardin de la France.

Toute la Touraine est du ressort du parlement & de la cour des aides de Paris. Elle a un grand maître des eaux & forêts créé en 1689, parce que le roi possede trois forêts dans cette province ; savoir celle d'Amboise, qui contient seize mille arpens de bois, dont environ trois mille de haute futaie ; celle de Loches qui contient cinq mille arpens en futaie ; & celle de Chinon qui contient environ sept mille arpens, partie en futaie, partie en taillis.

Cette province s'enrichissoit autrefois par ses manufactures de draperie, de tannerie, de soierie & de rubanerie ; mais toutes ces manufactures sont tombées en décadence ; celles de draperie & de tannerie, sont anéanties ; la soierie occupoit dans le seizieme siecle plus de huit mille métiers, sept cent moulins à soierie, & plus de quarante mille personnes ; elle n'en occupe pas aujourd'hui deux mille. Des trois mille métiers de rubanerie, il en reste à peine cinquante.

Plusieurs causes ont concouru à la destruction de ces manufactures, qui attiroient dans la province plus de dix millions par an. Il faut mettre entre ces causes, la cessation du commerce avec les étrangers, la sortie des ouvriers hors du royaume, l'obligation qu'on a imposée aux marchands d'acheter à Lyon les soies dont ils ont besoin, &c.

La Touraine a été érigée en gouvernement général l'an 1545, & aujourd'hui elle a un gouverneur, un lieutenant-général, & un lieutenant de roi. Il y a deux duchés pairies dans ce gouvernement, Montbazon & Luynes. On compte dans la Touraine, huit villes royales dont le domaine est engagé, à l'exception de celui de Tours, capitale.

Les peuples de cette province, appellés Tourangeaux, ont pris leur nom des anciens Turones ou Turoni, marqués entre les Celtes dans les commentaires de César. Tacite les nomme Turoni imbelles. Le Tasse les a peints dans sa Jérusalem, chant I.

Non è gente robusta, ò faticosa,

Se ben tutta di ferro ella riluce ;

La terra molle, è lieta, è dilettosa

Simili à se gli habitator produce :

Impeto fa nelle battaglie prime ;

Mà di leggier poi langue, è si reprime.

Ce portrait a été élégamment rendu en vers latins par un poëte de Sicile :

Turba licet chalybis cataphracta horrore nitentis,

Aegra labore tamen, nec vivida robore : mollis

Blandaque terra, sibi similes educit alumnos,

Scilicet ; hi sub prima ruunt discrimina pugnae

Praecipites, sed restincto mox fulgure torpent.

Comme les muses aiment les pays délicieux, la Touraine a produit des gens qui les ont cultivées avec honneur. Dans ce nombre, je ne dois pas oublier MM. de Racan & de Marolles.

Racan, (Honorat de Beuil, marquis de,) poëte françois, né en 1589, & l'un des premiers de l'académie françoise, mourut à Paris en 1670, à quatre-vingt-un ans.

Il s'est acquis une grande réputation par ses bergeries ou églogues, & par ses odes sacrées, ou paraphrase des pseaumes. Il avoit un génie fecond, aisé, un caractere doux & simple ; par conséquent il ne lui manquoit rien pour être berger. Aussi trouve-t-on dans ses bergeries des morceaux pleins d'agrément & de délicatesse. Nous ne citerons de lui que sa chanson des bergers à la louange de la reine, mere de Louis XIII.

Paissez, cheres brebis, jouissez de la joie

Que le ciel vous envoie.

A la fin sa clémence a pitié de nos pleurs ;

Allez dans la campagne ; allez dans la prairie.

N'épargnez point les fleurs,

Il en revient assez sous les pas de Marie.

Par elle renaîtra la saison desirée

De Saturne & de Rhée,

Où le bonheur rendoit tous nos desirs contens ;

Et par elle on verra reluire en ce rivage

Un éternel printems,

Tel que nous le voyons paroître en son visage.

Nous ne reverrons plus nos campagnes désertes,

Au-lieu d'épis couvertes

De tant de bataillons l'un à l'autre opposés :

L'Innocence & la Paix regneront sur la terre ;

Et les dieux appaisés

Oublieront pour jamais l'usage du tonnerre.

La nymphe de la Seine incessamment révere

Cette grande bergere,

Qui chasse de ses bords tout sujet de souci,

Et pour jouir long-tems de l'heureuse fortune

Que l'on possede ici,

Porte plus lentement son tribut à Neptune.

Paissez donc, mes brebis, prenez part aux délices

Dont les destins propices,

Par un si beau remede ont guéri nos douleurs :

Allez dans la campagne ; allez dans la prairie ;

N'épargnez point les fleurs ;

Il en revient assez sous les pas de Marie.

Toute cette piece est d'une douceur admirable ; & comme elle est dans le ton lyrique, on sent bien qu'elle se préteroit aisément au chant.

En qualité de disciple de Malherbe, Racan a fait aussi quelques odes ; mais où les pensées ne sont point aussi serrées que dans celles de son maître. Ses paraphrases des pseaumes sont ordinairement médiocres ; cependant il s'y trouve des endroits d'une assez grande beauté. Tel est celui-ci : ps. 92.

L'empire du Seigneur est reconnu par-tout ;

Le monde est embelli de l'un à l'autre bout,

De sa magnificence.

Sa force l'a rendu le vainqueur des vainqueurs ;

Mais c'est par son amour plus que par sa puissance

Qu'il regne dans les coeurs.

Sa gloire étale aux yeux ses visibles appas :

Le soin qu'il prend pour nous, fait connoître ici-bas

Sa prudence profonde :

De la main dont il forme & la foudre & l'éclair,

L'imperceptible appui soutient la terre & l'onde

Dans le milieu des airs.

De la nuit du cahos, quand l'audace des yeux

Ne marquoit point encore dans le vague des lieux

De zénit ni de zône,

L'immensité de Dieu comprenoit tout en soi,

Et de tout ce grand tout, Dieu seul étoit le trône,

Le royaume & le roi.

On estime aussi son ode au comte de Bussy Rabutin, dans laquelle il l'invite à mépriser la vaine gloire, & à jouir de la vie. Lafontaine, Despréaux, & d'après eux, plusieurs beaux esprits, ont tous jugé très-favorablement du mérite poétique de Racan. Il ne lui manquoit que de joindre l'opiniâtreté du travail à la facilité & à la supériorité du talent. Il est doux, coulant, aisé ; mais il n'a point assez de force, ni d'exactitude dans ses vers. Les morceaux que nous avons déjà cités de lui, sont remplis de beautés, au milieu desquels regne un peu de cette négligence qu'on lui reproche avec raison. C'est ce que je puis encore justifier par d'autres stances tirées de ses ouvrages, & qui en même-tems me paroissent propres à piquer la curiosité de ceux qui aiment les graces de cet aimable poëte. Voici les stances dont je veux parler ; elles sont toutes philosophiques :

Tircis, il faut penser à faire une retraite,

La course de nos jours est plus qu'à demi faite,

L'âge insensiblement nous conduit à la mort :

Nous avons assez vu sur la mer de ce monde

Errer au gré des flots notre nef vagabonde ;

Il est tems de jouir des délices du port.

Le bien de la fortune est un bien périssable ;

Quand on bâtit sur elle, on bâtit sur le sable ;

Plus on est élevé, plus on court de dangers ;

Les grands pins sont en bute aux coups de la tempête,

Et la rage des vents brise plutôt le faîte

Des maisons de nos rois, que des toits des bergers.

O bien heureux celui qui peut de sa mémoire

Effacer pour jamais ce vain espoir de gloire,

Dont l'inutile soin traverse nos plaisirs,

Et qui loin, retiré de la foule importune,

Vivant dans sa maison, content de sa fortune,

A, selon son pouvoir, mesuré ses desirs.

Il contemple du port les insolentes rages

Des vents de la faveur auteurs de nos orages,

Allumer des mutins les desseins factieux :

Et voit en un clin-d'oeil par un contraire échange,

L'un déchiré du peuple au milieu de la fange,

Et l'autre a même-tems élevé dans les cieux.

Cette chûte me paroît d'une grande beauté ; le poëte termine par des réflexions sur lui-même.

Agréables deserts, séjour de l'innocence,

Où loin des vanités, de la magnificence,

Commence mon repos, & finit mon tourment ;

Vallons, fleuves, rochers, plaisante solitude,

Si vous fûtes témoins de mon inquiétude,

Soyez-le desormais de mon contentement.

Coutelier, libraire à Paris, a donné en 1724 une édition fort jolie des oeuvres de Racan, en 2. vol. in-12. mais il s'est glissé dans cette édition quelques fautes, & des obmissions considérables. Il y manque une longue ode au cardinal de Richelieu, qui se trouve dans un recueil de poésies, intitulé : les nouvelles Muses, Paris 1635, in-8 ° ; un sonnet à M. de Puysieux ; & une épitaphe de douze vers qui ont été insérés dans les Délices de la poésie françoise, Paris 1621. in-8°; les sept lettres qui sont dans le recueil de Faret ; les Mémoires de la vie de Malherbe, &c. manquent aussi : voilà des matériaux pour une nouvelle édition.

Le conte des trois Racans, rapporté dans le Ménagiana, tom. III. pag. 83, n'est peut-être pas vrai ; mais comme il est fort plaisant, je vais le copier encore.

Deux amis de M. de Racan surent qu'il avoit rendez-vous pour voir Mlle. de Gournay. Elle étoit de Gascogne, fort vive, & un peu emportée de son naturel ; au reste bel esprit, & comme telle, elle avoit témoigné en arrivant à Paris, grande impatience de voir M. de Racan, qu'elle ne connoissoit pas encore de vue. Un de ces Messieurs prévint d'une heure ou deux celle du rendez-vous, & fit dire que c'étoit Racan qui demandoit à voir Mlle. de Gournay. Dieu sait comme il fut reçu. Il lui parla fort des ouvrages qu'elle avoit fait imprimer, & qu'il avoit étudiés exprès. Enfin, après un quart-d'heure de conversation, il sortit, & laissa Mlle. de Gournay fort satisfaite d'avoir vu M. de Racan.

A-peine étoit-il à trois pas de chez elle, qu'on lui vint annoncer un second M. de Racan. Elle crut d'abord que c'étoit le premier qui avoit oublié quelque chose, & qui remontoit. Elle se préparoit à lui faire un compliment là-dessus, lorsque l'autre entra, & fit le sien. Mlle. de Gournay ne put s'empêcher de lui demander plusieurs fois, s'il étoit véritablement M. de Racan, & lui raconta ce qui venoit de se passer. Le prétendu Racan fit fort le fâché de la piece qu'on lui avoit jouée, & jura qu'il s'en vengeroit. Bref, Mlle. de Gournay fut encore plus contente de celui-ci qu'elle ne l'avoit été de l'autre, parce qu'il la loua davantage. Enfin, il passa chez elle pour le véritable Racan, & le premier pour un Racan de contrebande.

Il ne faisoit que de sortir, lorsque M. de Racan en original, demanda à parler à Mlle. de Gournay. Elle perdit patience. Quoi, encore des Racans, dit-elle ! Néanmoins on le fit entrer. Mlle. de Gournay le prit sur un ton fort haut, & lui demanda s'il venoit pour l'insulter ? M. de Racan, qui n'étoit pas un parleur fort ferré, & qui s'attendoit à une réception bien différente, en fut si surpris, qu'il ne put répondre qu'en balbutiant. Mlle. de Gournay qui étoit violente, se persuada tout-de-bon que c'étoit un homme envoyé pour la jouer ; & défaisant sa pantoufle, elle le chargea à grands coups de mule, & l'obligea de se sauver. " J'ai vu, ajoute Ménage, j'ai vu jouer cette scene par Boisrobert, en présence du marquis de Racan ; & quand on lui demandoit si cela étoit vrai : oui-dà, disoit-il, il en est quelque chose. "

De Marolles, (Michel) abbé de Villeloin, & l'un des plus infatigables traducteurs du xvij. siecle, étoit fils de Claude de Marolles, gentilhomme de Touraine, & capitaine des cent-suisses, connu par son combat singulier à la tête de l'armée d'Henri IV. contre Marivaux. Les services de ce pere, le mérite particulier du fils, & le crédit qu'il avoit dans la maison de Nevers, sembloient être des assurances qu'il parviendroit un jour aux premieres dignités de l'Eglise ; néanmoins, comme il étoit fort studieux, il eut le même sort qu'ont presque tous les gens de lettres sans intrigue, & uniquement dévoués aux muses ; c'est-à-dire, qu'on lui donna de belles espérances, & qu'il ne travailla point à en obtenir les effets.

L'abbé de Villeloin continua si bien au contraire de travailler pour les lettres seules, qu'il composa soixante-neuf ouvrages, dont la plûpart étoient des traductions d'auteurs classiques : traductions très-utiles dans leurs tems, & qui ont dû lui coûter beaucoup ; mais on les estime fort peu de nos jours, & même sans rendre assez de justice à un homme qui a frayé le chemin du mieux. Les mémoires de sa vie contiennent des choses intéressantes.

N'oublions pas de dire qu'il est un des premiers françois qui ait eu la curiosité des estampes. Il en fit un ample & excellent recueil, & en donna deux catalogues qui sont recherchés. Son beau recueil a passé dans le cabinet du roi, & c'est un avantage pour le public.

L'abbé de Marolles mourut à Paris en 1681, âgé de quatre-vingt-un ans. Il étoit alors le plus ancien abbé, & avoit été le plus laborieux du royaume. (D.J.)


TOURAN(Géog. mod.) ancien nom du pays de Turquestan, qui tire son origine de Tours, fils de Féridoun roi de Perse, de la dynastie des Pischdadiens. Le Touran est une vaste contrée, qui renferme tout ce qui s'appelle la grande Tartarie, depuis l'Oxus jusqu'en Moscovie, Sibérie & Chine. Timur-Bec réduisit sous sa domination tout le pays de Touran, que Genghiz-kan avoit autrefois partagé entre ses deux fils. (D.J.)


TOURANGETTESS. f. pl. (Lainage) espece de petites serges qui se fabriquent en quelques lieux de la généralité d'Orléans, particulierement au Montoir : elles sont ou blanches ou grises, & se font toutes de laines du pays. Savary. (D.J.)


TOURBES. f. (Hist. nat.) turfa ; humus palustris ; humus vegetabilis, lutosa, torvena, c'est une terre brune, inflammable, formée par la pourriture des plantes & des végétaux, & que l'action du feu réduit en une cendre jaune ou blanche.

On peut compter deux especes de tourbe ; l'une est compacte, noire & pesante. Les plantes dont cette espece est composée, sont presqu'entierement détruites & changées en terre, & l'on n'y en trouve que très-peu de vestiges ; c'est la tourbe de la meilleure qualité. La bonne tourbe de Hollande est de cette espece. Quand elle est allumée, elle conserve le feu pendant très-longtems ; elle se consume peu-à-peu, après avoir été convertie en charbon, & elle se couvre entierement d'une enveloppe de cendres blanches.

La seconde espece de tourbe est brune, légere, spongieuse ; elle ne paroît que comme un amas de plantes & de racines qui n'ont presque point été détruites, & qui n'ont souffert que très-peu d'altération ; cette tourbe s'enflamme très-promtement, mais elle ne conserve point sa chaleur pendant longtems. La tourbe de cette derniere espece se trouve communément près de la surface de la terre ; au-lieu que la premiere se trouve plus profondément, & pour l'ordinaire au-dessous de la tourbe légere décrite en dernier lieu.

On trouve de la tourbe en une infinité d'endroits de l'Europe. Il y en a en France, en Angleterre, en Suede, en Allemagne ; mais c'est sur-tout en Hollande qu'on en trouve une grande quantité de la meilleure qualité. En effet, il n'est point étonnant qu'un pays échappé aux eaux, & qui a éprouvé de leur part des révolutions continuelles, renferme dans son sein une substance à la formation de laquelle les eaux sont nécessaires. Voici la maniere dont les Hollandois travaillent à tirer la tourbe.

On commence d'abord par s'assurer si un terrein en contient ; cela se fait en enfonçant en terre des pieux ou de longs bâtons ; on juge que ce terrein contient de la tourbe, par la facilité avec laquelle ils entrent après avoir percé la premiere croûte que forme le gazon des prairies. Au-dessous de cette croûte la terre est molle & détrempée ; elle ne présente aucune résistance, jusqu'à ce qu'on soit parvenu à la couche de sable, qui ne se trouve souvent qu'à une profondeur considérable. Comme cette terre est très-délayée par la grande quantité d'eau qui est toujours dans un pays si bas, & dont le sol est presque par-tout au-dessous du niveau des rivieres, pour peu qu'on fasse de mouvement, on sent le terrein trembler sous ses piés, lorsqu'on est au-dessus des endroits qui renferment de la tourbe ; il seroit même dangereux d'y passer à cheval, parce que la croûte formée par le gazon n'est point toujours assez forte pour soutenir un grand poids ; & alors on couroit risque de se noyer dans un bourbier liquide qui est au-dessous, & qui n'est autre chose que la tourbe délayée.

Lorsqu'on s'est assuré de sa présence, on écarte le gazon qui est au-dessus, & l'on enleve avec des bêches & des pelles la tourbe qui est en-dessous ; comme le pays est fort bas, l'eau ne tarde point à remplacer la tourbe que l'on a enlevée ; alors on conduit un bateau dans l'endroit où l'on a creusé ; des hommes se servent de longs bâtons, au bout desquels sont des petits filets soutenus par des cercles de fer, & avec ces filets ils tirent le bourbier qui est dans la fosse ; ils en chargent leur bateau ; ils foulent avec les piés ce bourbier liquide ; après quoi ils vont avec leur bateau le transporter vers un côté de la prairie, où l'on a formé une aire ou un espace uni destiné à recevoir cette terre foulée & délayée. Cette aire est une enceinte entourée de planches posées sur le tranchant, de maniere à pouvoir retenir la tourbe ou le bourbier liquide qu'on y jette ; on en met de l'épaisseur d'environ un pié ou un pié & demi. Quand cet emplacement est rempli, on laisse le bourbier se sécher pendant la belle saison ; l'épaisseur du bourbier est alors fort diminuée ; & tandis que cette terre a encore une certaine mollesse, on y forme des lignes en longueur & en largeur avec un instrument tranchant, afin de pouvoir à la fin de l'été diviser plus aisément la tourbe, après qu'elle aura été entierement séchée, en parallélepipedes, qui ont communément sept à huit pouces de longueur, sur quatre ou cinq pouces d'épaisseur. C'est-là la forme que l'on donne à la tourbe en Hollande ; elle la rend plus propre à s'arranger comme des briques pour faire du feu ; lorsqu'elle a été ainsi préparée, on la charge sur des barques, & on la transporte pour la débiter.

En Hollande les endroits d'où l'on a tiré la tourbe, se remplissent d'eau, & deviennent un terrein entierement perdu ; c'est pourquoi l'état fait payer très-cher aux particuliers la permission de creuser son terrein pour en tirer cette substance ; ils sont obligés d'assigner un autre bien solide, qui alors se trouve chargé des taxes que payoit le terrein qu'on veut faire disparoître. L'on voit en plusieurs endroits de la Hollande des especes de lacs immenses qui ont été formés par la main des hommes, dans les endroits d'où l'on a tiré la tourbe.

Comme le bois est très-cher & très-rare en Hollande, la tourbe est presque l'unique chauffage qu'on y connoisse, & les habitans sont forcés de diminuer continuellement le terrein qu'ils occupent pour se la procurer. La tourbe en brûlant répand une odeur incommode pour les étrangers qui n'y sont point accoutumés ; mais cet inconvénient est compensé par la chaleur douce que donne cette substance, qui n'a point l'âpreté du feu de bois ni du charbon de terre.

La tourbe n'est point par-tout d'une si bonne qualité ; les plantes qui la composent ne sont point si parfaitement détruites & changées en terre ; alors, comme nous l'avons déjà observé, la tourbe est plus légere, elle est d'une couleur brune ou jaunâtre, & elle ne conserve point le feu si long-tems. De cette espece est sur-tout la tourbe qui se trouve dans un canton du Brabant hollandois, voisin de la Gueldre prussienne & autrichienne, que l'on nomme Peeland ; son nom lui vient d'un terrein d'une étendue très-considérable, appellé Peel, qui est entierement composé de tourbe, c'est-à-dire de débris de végétaux, de feuilles, de plantes, détruites & devenues compactes. Un phénomene singulier que présente ce grand marais, c'est qu'on trouve au-dessous de la tourbe une grande quantité d'arbres, & sur-tout de sapins, ensevelis quelquefois à une très-grande profondeur, & cependant très-bien conservés ; ces arbres sont tous couchés vers le sud-est, ce qui semble prouver que c'est un vent de nord-ouest qui les a renversés, & qui a causé la révolution & le déluge de sable dont tout ce pays a été inondé. En effet, tout ce canton, qui est couvert de bruyeres, est entierement sablonneux, sans aucun mêlange de bonne terre ou de terreau ; il y a de certains endroits où lorsqu'on creuse à deux ou trois piés, on trouve audessous du sable une couche ou une espece de plancher très-dur & très-compacte, qui n'est absolument qu'un amas de feuilles d'arbres & de plantes à moitié pourries, pressées les unes sur les autres, dont l'odeur est insupportable. Quand cette substance ou cette tourbe à demi formée a été exposée à l'air pendant quelque tems, elle se partage en feuillets, & l'on distingue très-aisément que cette couche qui formoit une espece de plancher épais sous le sable n'est qu'un amas immense de feuilles entassées & qui ont pris corps. Ce phénomene prouve d'une façon très-décisive l'origine de la tourbe, & fait voir qu'elle doit sa naissance à des végétaux pourris & changés en terre.

Le tom. VI. pag. 441. du magasin d'Hambourg, donne une description fort curieuse d'une tourbe qui se trouve à Langensaltza en Thuringe. Lorsqu'on creuse le terrein dans cet endroit, on trouve immédiatement au-dessous de la terre végétale une espece de tuf qui semble composé d'un amas de tuyaux ; quelquefois ce tuf est précédé de quelques lits d'un sable mêlé de coquilles de riviere. Ensuite on rencontre un banc d'un tuf plus compacte & qui fait une pierre propre à bâtir. Ce banc est suivi d'un tuf moins serré, quelquefois de sable, & ensuite d'un autre banc de pierre compacte ; mais dans de certains endroits il se trouve un intervalle vuide entre les deux bancs de pierre. Lorsqu'on perce ce second banc de pierre, on trouve ou un tuf poreux, ou un sable jaunâtre, après quoi on rencontre une couche de tourbe, qui est suivie de nouveau d'un sable jaunâtre, & enfin d'une argille grise dont on peut se servir pour fouler les étoffes. Les deux bancs de pierre ne sont point par-tout de la même épaisseur ; pris ensemble ils sont tantôt de 6, tantôt de 12 piés. La couche de tourbe est d'un, deux, ou tout-au-plus de trois piés d'épaisseur ; on voit distinctement qu'elle est formée d'un amas d'écorces d'arbres, de bois, de feuilles pourries, & parsemées de petites coquilles de riviere & de jardin. Il y a des endroits où l'on trouve des arbres entiers enfouis dans la tourbe ; on prétend même qu'il s'y est quelquefois trouvé des troncs d'arbres coupés, sur lesquels on voyoit encore les coups de la coignée, & l'on s'apperçoit aisément que le tuf fistuleux qui étoit au-dessus de la tourbe, n'avoit été originairement qu'un amas de joncs, de roseaux, de prêles, & de plantes semblables, qui croissent dans les endroits marécageux, dont cependant il ne se trouvoit plus aucuns vestiges. M. Schober, à qui ces observations sont dûes, remarque comme une chose singuliere, que dans ce canton, dans tout l'espace qu'occupent les couches qui ont été décrites, on ne rencontre pas le moindre vestige de corps marins ; mais dans la couche de glaise qui est au-dessous des précédentes, on trouve une grande quantité d'empreintes de coquilles de mer. Quant aux coquilles que l'on voit dans le tuf & dans la tourbe, il est aisé de s'appercevoir que ce sont des coquillages terrestres & de riviere. On a rencontré dans la pierre compacte ou dans le tuf qui couvre cette tourbe, des épis de blé, des noyaux de prunes ; & même depuis quelques années, l'auteur dit qu'on y a trouvé la tête d'un homme. On y a pareillement rencontré des dents, des mâchoires, & des ossemens d'animaux d'une grandeur prodigieuse. On a cru devoir rapporter tout ce détail, parce qu'il est très-curieux pour les naturalistes, qui pourront voir parlà la formation de la tourbe, aussi-bien que celle du tuf qui l'accompagne. Voyez TUF.

Les Mémoires de l'académie royale de Suede, de l'année 1745, parlent d'une espece de tourbe qui se trouve dans la province de Westmanie, près des mines de Bresioc, dans le territoire de Hiulsoe : on s'en sert avec grand succès dans les forges des environs où l'on forge du fer en barres, ce qui épargne beaucoup de bois. Cette tourbe a cela de particulier, qu'en brûlant elle se réduit en une cendre blanche & légere comme de la poudre à poudrer les cheveux, tandis que pour l'ordinaire la tourbe donne une cendre jaunâtre : près de la surface de la terre cette tourbe est spongieuse & légere, comme cela se trouve par-tout où l'on tire de la tourbe ; mais plus on enfonce, plus elle est pesante & compacte, & l'on peut en enlever huit, neuf, & même onze bêches les unes au-dessus des autres avant de parvenir au fond : on y rencontre quelquefois des racines de sapin, & même il est arrivé une fois de trouver dans cette tourbiere la charpente entiere d'une grange, qui paroit y avoir été enfouie par quelque inondation. Cette espece de tourbe en séchant au soleil se couvre d'un enduit ou d'une moisissure blanche comme si on l'avoit saupoudrée de sel. Toute la tourbe que l'on trouve dans cet endroit ne donne point une cendre blanche ; il y en a d'autre qui se réduit en une cendre jaunâtre, cela vient des plantes plus grossieres dont elle est composée ; aussi y remarque-t-on distinctement une grande quantité de racines, de feuilles, de joncs, de roseaux, &c. Lorsqu'elles ont été brûlées, ces substances donnent une cendre quelquefois aussi jaune que de l'ochre. M. Hesselius, auteur du mémoire dont ces détails sont tirés, dit que la même tourbe qui donne une cendre si blanche, peut aussi donner une couleur noire, qui peut s'employer comme le noir-de-fumée, & qui est propre à servir dans la peinture, parce qu'elle s'incorpore très-bien avec l'huile. Lorsque cette tourbe est bien allumée, & que l'on a lieu de croire que le feu l'a entierement pénétrée, on l'éteint subitement dans de l'eau ; après en avoir séparé la cendre blanche on peut l'écraser sur du marbre, & s'en servir ensuite pour peindre. Voyez les Mémoires de l'académie royale de Suede, tom. VII. année 1745.

On voit par ce qui précede, que la tourbe peut être d'une très-grande utilité ; & dans les pays où le bois devient de plus en plus rare, on devroit s'occuper à chercher les endroits où l'on pourroit en trouver. M. Jacob Faggot, de l'académie de Suede, a inséré, dans le volume X. année 1748, des Mémoires de cette académie, plusieurs expériences qu'il a faites pour prouver que l'on peut se servir de la tourbe pour chauffage avec le plus grand succès, & il compare ses effets à ceux du bois. Avant de faire ces expériences il a pesé la quantité de bois & celle de la tourbe, & il a observé la quantité d'eau que chacune de ces substances faisoit évaporer, & la durée du feu qu'elles ont produit. Voyez les Mémoires de l'acad. de Suede, année 1748.

Il seroit à souhaiter qu'en France, où la consommation du bois va toujours en augmentant, on s'occupât de pareilles recherches sur la tourbe ; on peut s'en servir avec succès pour quelques arts & métiers, dans les brasseries, & personne n'ignore que les cendres de cette substance sont très-bonnes pour fertiliser les prairies, & sur-tout celles qui sont humides & basses.

Il ne faut point confondre la tourbe avec des terres noires & bitumineuses qui ont aussi la propriété de s'enflammer : la tourbe distillée donne toujours une liqueur acide, de l'alkali volatil, & une huile empyreumatique.

La tourbe, comme nous l'avons déjà remarqué, n'est point par-tout la même, il y en a qui a contracté des qualités nuisibles. C'est ainsi qu'on dit qu'en Zélande il se trouve une espece de tourbe, qui fait que les personnes qui sont dans une chambre où l'on en brûle deviennent pâles & finissent par tomber en foiblesse : on pourroit soupçonner que cette tourbe contient des parties arsénicales ; celle qui se tire des endroits où il n'y a point de minéraux n'est point dangereuse.

Plus la tourbe est compacte & pesante, plus elle chauffe & conserve la chaleur ; voilà pourquoi on est en usage de la fouler & de la paîtrir en Hollande. D'après le principe que plus les corps sont denses plus ils s'échauffent, M. Lind, écossois, a proposé, dans les Essais d'Edimbourg, un moyen de rendre la tourbe encore plus dense, & il croit qu'alors elle seroit propre à être employée pour le traitement des mines de fer au fourneau de forge : pour cela il croit qu'il faudroit écraser la tourbe encore molle & humide sous des meules, & ensuite en former des masses ; mais ce moyen n'enleveroit point à la tourbe son acide, qui est ce qui la rend le plus nuisible dans le traitement des mines de fer.

Le meilleur moyen que l'on ait imaginé jusqu'à présent, est de réduire la tourbe en charbon, c'est-à-dire de la brûler jusqu'à un certain point, & de l'étouffer ensuite ; par ce moyen elle sera dégagée de son acide, & deviendra propre aux travaux de la Métallurgie.

Le même M. Lind propose encore de se servir de la tourbe pour l'engrais des terres, & il conseille pour cela de la mêler avec des feuilles & des plantes récentes, afin qu'il s'excite une fermentation dans ce mêlange, qui ne peut être qu'avantageux pour fertiliser les terres ; d'ailleurs cela se pratique déjà jusqu'à un certain point en Hollande, où l'on mêle avec du fumier la tourbe en poussiere, ou ce qui reste dans les granges où l'on a serré la tourbe, & l'on en forme des tas. Cet auteur nous apprend encore que la tourbe répandue sur les endroits où l'on a semé des pois les garantit de la gelée ; enfin la tourbe peut servir comme la glaise à retenir les eaux dans les viviers. Voyez les Essais d'Edimbourg.

Tout le monde sait que la cendre des tourbes est très-propre à servir d'engrais ; on l'employe avec succès sur-tout pour les prairies basses & marécageuses où il croît des joncs & des roseaux, que l'on aura soin d'enlever, & l'on creusera bien avant les endroits de la terre où ces mauvaises herbes ont pris racine, après quoi l'on pourra répandre de la cendre de tourbes dans ces endroits.

Par les observations qui ont été faites dans cet article on voit, 1°. que la tourbe est une substance végétale ; 2°. qu'elle varie pour la bonté & la densité, suivant que les végétaux qui la composent sont plus ou moins décomposés ; 3°. on ne peut douter que la fermentation de la tourbe ne soit quelquefois récente, c'est ce que prouvent les arbres, les fruits, les charpentes, & les ouvrages de l'art que l'on y rencontre assez souvent. En Picardie, près de Péquigny, on a trouvé une chaussée entiere ensevelie sous de la tourbe.

Quant à la prétendue régénération de la tourbe dans les endroits d'où on en a tiré, elle n'a point de réalité ; mais comme cette substance se forme dans des endroits bas & enfoncés, il peut arriver très-bien que les pluies & les inondations des rivieres entraînent vers ces sortes d'endroits des plantes qui en s'y amassant peu-à-peu, parviennent à la longue à remplir de nouvelle tourbe les tourbieres qui avoient été épuisées : on voit que cela ne peut point être appellé une régénération, ni une production nouvelle. (-)


TOURBÉLE, (Géogr. mod.) petite riviere de France, dans le Rételois. Elle prend sa source à Somme-Tourbe, & se jette ensuite dans l'Aisne.


TOURBERIE(Jurisprudence) terme de droit coutumier, particulierement usité en Angleterre, est un droit que l'on a de bêcher les tourbes dans le fonds d'autrui ; ce mot vient de l'ancien latin turba, pour dire tourbe. Voyez TOURBE.

Commune de tourberie, est la liberté que certains tenanciers ont acquise en vertu d'une prescription, pour bêcher des tourbes dans les bruyeres du seigneur. Voyez COMMUNE.

Tourberie se prend aussi quelquefois pour le fond où l'on bêche des tourbes.

Tourberie ou bruaria, signifie plus particulierement de la tourbe de bruyere, dont il est fait mention dans une charte d'Hamon de Massy.


TOURBILLONS. m. (Physique) c'est en général un mouvement de l'air, subit, rapide, impétueux, & qui se fait en tournant. Voyez OURAGAN.

Tourbillon se dit aussi quelquefois d'un gouffre ou d'une masse d'eau, qu'on observe dans quelques mers ou rivieres, qui tournoient rapidement, en formant une espece de creux dans le milieu.

La cause ordinaire de ces tourbillons vient d'une grande cavité, par où l'eau de la mer s'absorbe & se précipite dans quelqu'autre réservoir ; quelquefois même elle communique par ce moyen à quelqu'autre mer.

A l'imitation de ces phénomenes naturels, on peut faire un tourbillon artificiel avec un vase cylindrique, fixé sur un plan horisontal, & rempli d'eau jusqu'à une certaine hauteur. En plongeant un bâton dans cette eau, & le tournant en rond aussi rapidement qu'il est possible, l'eau est nécessairement forcée de prendre un mouvement circulaire assez rapide, & de s'élever jusqu'aux bords même du vase : quand elle y est arrivée, il faut cesser de l'agiter.

L'eau ainsi élevée forme une cavité dans le milieu, qui a la figure d'un cône tronqué, dont la base n'est pas différente de l'ouverture supérieure du vase, & dont le sommet est dans l'axe du cylindre.

C'est la force centrifuge de l'eau qui, causant son élévation aux côtés du vase, forme la cavité du milieu : car le mouvement de l'eau étant circulaire, il se fait autour d'un centre pris dans l'axe du vase, ou, ce qui est la même chose, dans l'axe du tourbillon que forme l'eau : ainsi la même vîtesse étant imprimée à toute la masse de l'eau, la circonférence d'un plus petit cercle d'eau, ou d'un cercle moins éloigné de l'axe, a une force centrifuge plus grande qu'une autre circonférence d'un plus grand cercle, ou, ce qui revient au même, d'une circonférence plus éloignée de l'axe : le plus petit cercle pousse donc le plus grand vers les côtés du vase ; & de cette pression ou de cette impulsion que tous les cercles reçoivent des plus petits qui les précedent, & qui se communiquent aux plus grands qui les suivent, procede cette élévation de l'eau le long des côtés du vase jusqu'au bord supérieur, où nous supposons que le mouvement cesse.

M. Daniel Bernoulli, dans son hydrodynamique, a déterminé la courbure que doit prendre la surface d'un fluide qui se meut ainsi en tourbillon. Il suppose telle loi qu'on veut dans la vîtesse des différentes couches de ce tourbillon, & il détermine d'une maniere fort simple la figure de la courbe dans ces différentes hypotheses.

M. Clairaut a aussi déterminé cette même courbure dans sa théorie de la figure de la terre ; & il observe à cette occasion que M. Herman s'est trompé dans la solution qu'il a donnée de ce même problème.

M. Saulmon, de l'académie royale des Sciences, a fait différentes expériences avec un pareil tourbillon en y mettant différens corps solides, qui pussent y recevoir le même mouvement circulaire : il se proposoit de découvrir par-là lesquels de ces corps faisant leurs révolutions autour de l'axe du tourbillon, s'approcheroient ou s'éloigneroient davantage de cet axe, & avec quel degré de vîtesse ils le feroient ; le résultat de cette expérience fut que plus un corps étoit pesant, plus il s'éloignoit de l'axe.

Le dessein de M. Saulmon étoit de faire voir, par cette expérience, la maniere dont les loix de la méchanique pouvoient produire les mouvemens des corps célestes ; & que c'est probablement à ces mouvemens qu'il faut attribuer le poids, ou la pesanteur des corps. Mais les expériences donnent un résultat précisément contraire à ce qui devroit arriver, pour confirmer la doctrine de Descartes sur la pesanteur. Voyez PESANTEUR.

Tourbillon, dans la philosophie de Descartes,... c'est un système ou une collection de particules de matieres qui se meuvent autour du même axe.

Ces tourbillons sont le grand principe, dont les successeurs de Descartes se servent pour expliquer la plûpart des mouvemens, & des autres phénomènes des corps célestes. Aussi la théorie de ces tourbillons fait-elle une grande partie de la philosophie cartésienne. Voyez CARTESIANISME.

Les Cartésiens prétendent que la matiere a été divisée d'abord en une quantité innombrable de petites particules égales, ayant chacune un égal degré de mouvement autour de leur propre centre. Voyez FLUIDE.

Ils supposent de plus que différens systèmes ou différens amas de cette matiere ont reçu un mouvement commun autour de certains points comme centres communs, & que ces matieres prenant un mouvement circulaire, ont composé autant de tourbillons.

Ces particules primitives de matiere, agitées de mouvemens circulaires, ayant perdu leurs pointes ou leurs inégalités par leurs frottemens réciproques, ont acquis des figures sphériques, & sont parvenues à composer des globules de différentes grandeurs, que les Cartésiens appellent la matiere du second élément ; & ils donnent le nom de matiere du premier élément à cette espece de poussiere ou de limaille qu'il a fallu enlever de dessus ces particules, afin de leur donner la forme sphérique. Voyez ÉLEMENT.

Et comme il y auroit de ce premier élément bien plus qu'il n'en faudroit pour remplir tous les vuides entre les globules du second, ils supposent que le surplus est chassé vers le centre du tourbillon par le mouvement circulaire des globules ; & que s'y amassant en forme de sphere, il produit un corps semblable au soleil. Voyez SOLEIL.

Ce soleil ainsi formé, tournant autour de son propre axe avec toute la matiere du tourbillon, doit nécessairement pousser au-dehors quelques-unes de ses parties, par les vuides que laissent les globules du second élément qui constitue le tourbillon : & cela doit arriver particulierement aux endroits qui sont les plus éloignés des poles, le soleil recevant en même tems par ces poles précisément autant de matiere qu'il en perd dans les parties de son équateur, moyennant quoi il fait tourner plus vîte les globules les plus proches, & plus lentement les globules plus éloignés. Ainsi les globules qui sont les plus proches du centre du soleil, doivent être les plus petits, parce que les plus grands ont, à raison de leur vîtesse, une plus grande force centrifuge qui les éloigne du centre. Voyez LUMIERE.

S'il arrive que quelqu'un de ces corps solaires qui sont au centre des différens tourbillons, soit tellement encrouté ou affoibli, qu'il soit emporté dans le tourbillon du véritable soleil, & qu'il ait moins de solidité ou moins de mouvement que les globules qui sont vers l'extrêmité du tourbillon solaire, il descendra vers le soleil jusqu'à ce qu'il se rencontre avec des globules de même solidité que la sienne, & susceptibles du même degré de mouvement dont il est doué ; & se fixant dans cette couche, il sera emporté par le mouvement du tourbillon, sans jamais s'approcher ou s'écarter davantage du soleil ; ce qui constitue une planete. Voyez PLANETE.

Cela posé, il faut se représenter ensuite que notre système solaire fut divisé d'abord en plusieurs tourbillons ; qu'au centre de chacun de ces tourbillons il y avoit un corps sphérique lumineux ; que quelques-uns d'entr'eux s'étant encroutés par degrés furent engloutis par d'autres tourbillons plus grands & plus puissans, jusqu'à ce qu'enfin ils furent tous détruits & absorbés par le plus fort des tourbillons solaires, excepté un petit nombre qui s'échapperent en lignes droites d'un tourbillon dans un autre, & qui devinrent par ce moyen ce que l'on appelle des cometes. Voyez COMETE.

Cette doctrine des tourbillons est purement hypothétique. On ne prétend point y faire voir par quelles loix & par quels moyens les mouvemens célestes s'exécutent réellement, mais seulement comment tout cela auroit pû avoir lieu, en cas qu'il eût plû au créateur de s'y prendre de cette maniere dans la construction méchanique de l'univers. Mais nous avons un autre principe qui explique les mêmes phénomènes aussi-bien, & même beaucoup mieux que celui des tourbillons, principe dont l'existence actuelle se manifeste pleinement dans la nature : nous voulons parler de la gravitation des corps. Voyez GRAVITATION.

On peut faire bien des objections contre le principe des tourbillons. Car 1°. si les corps des planetes & des cometes étoient emportés autour du soleil dans des tourbillons, les parties correspondantes du tourbillon devroient se mouvoir dans la même direction, & il faudroit de plus qu'elles eussent la même densité. Il est constant que les planetes & les cometes se meuvent dans les mêmes parties des cieux avec différens degrés de vîtesse, & dans différentes directions. Il s'ensuit donc que ces parties du tourbillon doivent faire leur révolution en même tems dans différentes directions, & avec différens degrés de vîtesse ; puisqu'il faudra une vîtesse & une direction déterminées pour le mouvement des planetes, & une autre pour celui des cometes.

Or comment cela se peut-il concevoir ? Il faudroit dire que différens tourbillons pussent s'entrelacer & se croiser ; ce qui ne sauroit se soutenir.

2°. En accordant que différens tourbillons sont contenus dans le même espace, qu'ils se pénetrent l'un l'autre, & qu'ils font leur révolution avec des mouvemens différens ; puisque ces mouvemens doivent être conformes à ceux des corps célestes qui sont parfaitement réguliers, & qui se font dans des sections coniques ; on peut demander comment ils auroient pu se conserver si long-tems sans aucune altération, sans aucun trouble par les chocs & les actions contraires de la matiere qu'ils ont perpétuellement rencontrée.

3°. Le nombre des cometes est fort grand, & leur mouvement parfaitement régulier ; elles observent les mêmes loix que les planetes, & elles se meuvent dans des orbites elliptiques qui sont excessivement excentriques : ainsi elles parcourent les cieux dans tous les sens, traversant librement les régions planétaires, & prenant fort souvent un cours opposé à l'ordre des signes ; ce qui seroit impossible, s'il y avoit des tourbillons.

4°. Si les planetes étoient mues autour du soleil dans des tourbillons, nous avons déja observé que les parties des tourbillons voisines des planetes seroient aussi denses que les planetes elles-mêmes ; par conséquent la matiere du tourbillon, contiguë à la circonférence de l'orbite de la terre, seroit aussi dense que la terre même : pareillement la matiere contenue entre les orbites de la Terre & de Saturne seroit moins dense. Car un tourbillon ne sauroit se soutenir, à-moins que les parties les moins denses ne soient au centre, & que les plus denses ne soient à la circonférence ; de plus, puisque les tems périodiques des planetes sont entr'eux comme les racines quarrées des cubes de leurs distances au soleil, les vîtesses du tourbillon doivent être dans ce même rapport ; d'où il suit que les forces centrifuges de ces parties seront réciproquement comme les quarrés des distances. Ainsi les parties qui seront à une plus grande distance du centre, tendront à s'en éloigner avec moins de force ; c'est pourquoi, si elles étoient moins denses, elles devroient céder à la plus grande force, avec laquelle les parties plus voisines du centre tendent à s'élever ; ainsi les plus denses s'éleveroient & les moins denses descendroient ; ce qui occasionneroit un changement de place dans la matiere des tourbillons.

La plus grande partie du tourbillon, hors de l'orbite de la terre, auroit donc un degré de densité aussi considérable que celui de la terre même. Il faudroit donc que les cometes y éprouvassent une fort grande résistance, ce qui est contraire aux phénomenes. Cotes. praef. ad Newt. princip. Voyez COMETE, RESISTANCE, &c.

M. Newton observe encore que la doctrine des tourbillons est sujette à un grand nombre d'autres difficultés : car afin qu'une planete décrive des aires proportionnelles aux tems, il faut que les tems périodiques du tourbillon soient en raison doublée des distances au soleil ; & pour que le tems périodique des planetes soit en raison sesquiplée de leurs distances au soleil, il est nécessaire que les tems périodiques des parties du tourbillon soient dans ce même rapport ; & enfin pour que les petits tourbillons autour de Jupiter, de Saturne & des autres planetes puissent se conserver, & nager en toute sûreté dans le tourbillon du soleil ; les tems périodiques des parties du tourbillon du soleil devroient être égaux : aucun de ces rapports n'a lieu dans les révolutions du soleil & des planetes autour de leur axe. Phil. natur. princ. matth. schol. gen. à la fin.

Outre cela les planetes dans cette hypothese étant emportées autour du soleil dans des orbites elliptiques, & ayant le soleil au foyer de chaque figure, si l'on imagine des lignes tirées de ces planetes au soleil, elles décrivent toujours des aires proportionnelles aux tems de leurs révolutions : or M. Newton fait voir que les parties d'un tourbillon ne sauroient produire cet effet. Schol. prop. ult. lib. II. princip.

Le même M. Newton a fait encore d'autres objections contre la formation des tourbillons en elle-même. Si le monde est rempli de tourbillons, ces tourbillons doivent nécessairement former des vuides entr'eux, puisque des corps ronds qui se couchent laissent toujours des vuides. Or les parties d'un fluide & de tout corps qui se meut en rond, tendent sans cesse à s'échapper, & s'échappent en effet dès que rien ne les en empêche. Donc les particules du tourbillon qui répondent à ces vuides, doivent s'échapper & le tourbillon se dissiper. On dira peut-être, & c'est en effet le réfuge de quelques Cartésiens, que ces vuides sont remplis de matiere qui s'oppose à la dissipation des particules du tourbillon : mais cette matiere qui n'a point de force par elle-même, ne peut empêcher les particules de s'échapper dans les principes de Descartes, autrement il faudroit dire que le mouvement est impossible dans le plein ; & c'est de quoi les Cartésiens sont bien éloignés. Par conséquent si on admettoit le système des tourbillons, il faudroit les réduire à un seul tourbillon infini en tout sens ; c'est ce que les partisans des tourbillons n'admettront pas.

De plus, en supposant qu'il n'y eût qu'un seul tourbillon, il faut nécessairement que ses couches observent une certaine loi dans leurs mouvemens. Car supposons trois couches voisines, dont la premiere, c'est-à-dire la plus proche du centre, se meuve plus promtement, & les deux autres plus lentement, à proportion qu'elles ont un plus grand rayon : il est certain que le frottement de la premiere couche contre la seconde tend à accélérer cette seconde couche, & que le frottement de la troisieme couche contre cette même seconde couche tend au contraire à la retarder ; ainsi pour que la seconde couche conserve sa vîtesse, & ait un mouvement permanent & invariable, il faut que les deux frottemens qui tendent à produire des effets contraires soient égaux. Or M. Newton trouve que pour cela il faut que les vîtesses des couches du tourbillon suivent une certaine loi, qui n'est point du tout celle du mouvement des planetes.

De plus, M. Newton suppose dans cette démonstration, qu'il y ait au centre du tourbillon un globe qui tourne sur son axe, & il trouve qu'il faudroit continuellement rendre à ce globe une partie de son mouvement pour empêcher que sa rotation ne cessât. Il n'y auroit qu'un seul cas où le fluide mû en tourbillon & la rotation du globe pourroient se conserver, sans l'action continuelle d'une force conservatrice : ce seroit celui où le globe & les couches du tourbillon feroient leurs révolutions en même-tems, comme si elles ne faisoient qu'un corps solide. Ainsi les planetes devroient faire toutes leurs révolutions dans le même tems ; ce qui est fort éloigné de la vérité.

La rotation des planetes autour de leurs axes est encore un phénomene inexplicable par les tourbillons : dès la naissance, pour ainsi dire, du Cartésianisme, on a fait voir que dans le système des tourbillons les planetes devroient tourner sur leurs axes d'orient en occident. Car la matiere qui frappe l'hémisphere inférieur, ayant plus de vîtesse que celle qui frappe l'hémisphere supérieur, elle doit faire avancer l'hémisphere inférieur plus que l'hémisphere supérieur, ce qui ne peut se faire sans que la planete tourne.

Représentez-vous un bâton situé verticalement, que l'on pousse d'occident en orient par en-bas avec plus de force que par en-haut ; il saute aux yeux que ce bâton tournera par sa partie inférieure d'occident en orient, & par sa partie supérieure d'orient en occident. C'est le contraire de ce qui arrive aux planetes, & c'est encore une difficulté qui est jusqu'à présent demeurée sans réponse.

De plus, M. Keill prouve, dans son examen de la théorie de Burnet, d'après le schol. qui est à la fin du second livre des principes de Newton, que si la terre étoit emportée dans un tourbillon, elle iroit plus vîte dans le rapport de 3 à 2, quand elle est au signe de la Vierge, que quand elle est à celui des poissons ; ce qui est contraire à toutes les observations. Chambers.

Enfin on pourroit encore, selon M. Formey, faire des objections très-solides contre la division & le mouvement de la matiere dans les principes de Descartes. Pour ce qui regarde la division, on ne peut la concevoir qu'en deux manieres, ou bien en imaginant entre les parties divisées des intervalles vuides, ou bien en concevant ces intervalles remplis de quelques corps ou de quelque matiere d'une nature différente de celle des parties. C'est ainsi que, quoique tout soit plein dans le monde, nous concevons quatre dés approchés les uns contre les autres comme quatre corps cubiques distingués, parce que, quoiqu'il n'y ait point de vuide entr'eux, on y apperçoit cependant un petit intervalle rempli d'air, qui empêche de les concevoir comme un seul corps. Mais, selon les principes du Cartésianisme, on ne peut concevoir la chose ni en l'une ni en l'autre maniere : car on ne peut pas supposer de vuide entre les parties divisées, puisque le vuide dans ce système est impossible. On n'y peut pas concevoir non plus de corps de différente nature, puisque la différence des corps, selon l'auteur du système, n'existe qu'après l'agitation & le mouvement de la matiere : cette division est donc une chimere. Pour ce qui est du mouvement, c'est bien pis encore ; car le moyen de concevoir que toutes ces parties cubiques, lesquelles sont toutes dures, impénétrables & incapables de compression, puissent tourner sur leur centre de maniere à se casser sans qu'il n'y ait déjà ou qu'il ne se fasse quelque vuide. Car la petitesse ne fait rien ici, puisque quelques petites qu'elles soient, elles sont dures, impénétrables, & concourent toutes ensemble à résister au mouvement de chacune en particulier. A ces difficultés générales, on en joint de particulieres, qui prouvent que tout ce que nous découvrons dans la lumiere & dans la structure de la terre, est incompatible avec l'architecture cartésienne.

Nous répondons ici en peu de mots à une objection des cartésiens. Les surfaces concentriques du tourbillon, disent-ils, sont comme les quarrés des distances ; les forces centrifuges doivent être en raison inverse de ces surfaces, afin que les surfaces soient en équilibre, ainsi les forces centrifuges doivent être en raison inverse des quarrés des distances, & les vîtesses en raison inverse des racines quarrées ; ce qui est la loi de Kepler. A cela on répond 1°. que ce prétendu équilibre des surfaces, en vertu de leurs forces centrifuges, est une chimere, parce qu'il n'y a point d'équilibre entre des forces conspirantes ; 2°. que par les loix de l'hydrostatique, les grandeurs des surfaces ne devroient entrer pour rien dans cet équilibre ; 3°. que quand on expliqueroit par-là une des loix de Kepler sur les vîtesses des différentes planetes, on n'expliqueroit pas l'autre, savoir que la vîtesse d'une même planete aphélie & périhélie est en raison inverse de la distance, & non de sa racine.

Le P. Malebranche avoit imaginé de petits tourbillons, à l'imitation de ceux de Descartes. Ces petits tourbillons, par les moyens desquels il prétendoit expliquer la lumiere, les couleurs, l'élasticité, &c. ont fait pendant quelque tems une grande fortune : mais ils sont presque oubliés aujourd'hui. En effet si les grands tourbillons sont une chimere, comme on ne peut en douter, c'est déjà un grand préjugé contre les petits. D'ailleurs on peut faire contre l'existence de tous ces tourbillons cette objection générale & bien simple, à laquelle on ne répondra jamais ; c'est que leurs parties ayant une force centrifuge, s'échapperont nécessairement par les vuides que ces tourbillons laisseront entr'eux. L'existence supposée de ces petits corps en annonce la ruine. (O)

TOURBILLON, (Artificier) c'est un artifice composé de deux fusées directement opposées & attachées sur les tenons d'un tourniquet de bois, comme ceux que les anciens appelloient bâton à feu, avec cette différence qu'on met le feu aux bouts par le côté & non suivant l'axe. Cet artifice produit l'effet d'une girandole.


TOURDS. m. (Hist. nat. Ichthyolog.) turdus, poisson de mer. Rondelet en décrit douze especes qui ne different les unes des autres que par les couleurs ; elles sont brillantes dans presque tous ces poissons. Les principales especes ont des noms particuliers. Voy. GAIAN, MENETRIER, VIELLE, PAON, TANCHE DE MER, &c. Rondelet, hist. nat. des poissons, I. part. liv. VI. ch. vj. Voyez POISSON.

TOURD, voyez LITORNE.


TOURDELLEvoyez GRIVE.


TOURDILLE(Maréchal.) espece de poil gris.


TOURELÉ(Antiq.) c'est-à-dire chargé ou garni de tours ; c'est ce qu'on appelle bastillé en terme de blason. Cybele, la déesse de la terre, & tous les génies particuliers des provinces & des villes portent des couronnes tourelées. (D.J.)


TOURELLES. f. (Archit.) petite tour ronde ou quarrée portée par encorbellement ou sur un cul-de-lampe, comme on en voit à quelques encoignures de maisons à Paris.

Tourelle de dôme, espece de lanterne ronde ou à pans qui porte sur le massif du plan d'un dôme, pour l'accompagner & pour couvrir quelque escalier à-vis. Il y a de ces tourelles aux dômes du Val-de-grace & de la Sorbonne à Paris. (D.J.)

TOURELLE, (Orgue) c'est ainsi que l'on appelle dans un buffet d'orgue les parties saillantes arrondies composées de plusieurs tuyaux, qui font comme autant de colonnes dont la tourelle est composée. Voyez la Pl. I. d'orgue.


TOURERv. act. en terme de Pâtisserie, c'est plier & replier la pâte plusieurs fois sur elle-même & l'abaisser sur un tour à chaque fois avec le rouleau pour la feuilleter. Voyez TOUR & ABAISSER.


TOURETvoyez MAUVIS.

TOURET, s. m. (terme d'ouvrier) petit tour ou roue qui se meut très-vîte par le moyen d'une grande roue qui se tourne avec une manivelle. Les Taillandiers se servent de ces tourets pour aiguiser leurs ferremens, les Cordiers pour faire du bitord, &c. (D.J.)

TOURET, (terme de Balancier) les tourets sont deux sortes de petits anneaux que les faiseurs de balances mettent aux gardes du pezon. (D.J.)

TOURET, (terme de Batelier) c'est une cheville qui est sur la nage d'un bachot, & où l'on met l'anneau de l'aviron lorsqu'on rame. (D.J.)

TOURET, (Instrument de Cordier) est un tambour de bois qui est terminé à chaque extrêmité par deux planches assemblées en croix, & qui est traversé par un aissieu de fer. Cet instrument sert à dévider le fil ; ainsi les tourets sont de grosses bobines. Voyez les Pl. de la corderie.

Pour pouvoir se servir des tourets, c'est-à-dire, pour dévider le fil, ou pour l'en tirer afin de l'employer, on les pose sur des supports que l'on place aux extrêmités de la filerie. Ces supports sont quelquefois disposés horisontalement, & quelquefois verticalement, & on en met pour l'ordinaire une grande quantité afin de pouvoir les faire tourner tous en même tems, & d'abréger l'ouvrage du cordier. Par exemple, quand un cordier veut fabriquer un gros cordage composé, je suppose, de cent fils, il perdroit beaucoup de tems s'il n'avoit qu'un touret ; car pour ourdir sa corde, il seroit obligé de parcourir cent fois la longueur de la corderie ; au-lieu qu'ayant vingt tourets, il prend les fils de tous ces tourets par le bout, & en conduit vingt à la fois, & par conséquent sa corde est ourdie en cinq voyages. Voy. l'article CORDERIE.

TOURET, petit, en terme d'Eperonnier, se dit d'une espece de crochet rivé dans un trou pratiqué dans la tête de la gargouille dans laquelle passe la premiere chaînette. Voyez GARGOUILLE & CHAINETTE. Voyez la Planche de l'Eperonnier.

TOURET, (Graveur en pierres fines) sorte de petit tour dont les Graveurs en pierres fines se servent pour travailler leurs ouvrages ; l'arbre du touret porte les bouterolles qui usent, au moyen de la poudre de diamant ou d'émeril dont elles sont enduites, la partie de l'ouvrage qu'on leur présente. Le mouvement est communiqué à l'arbre du touret par une grande roue de bois, placée sous l'établi, & d'une corde sans fin qui passe sur cette roue & la poulie de l'axe. La grande roue se meut par le moyen d'une marche ou pédale sur laquelle l'ouvrier pose le pié. Voyez les Pl. de la Gravure & l'article GRAVURE EN PIERRES FINES, où la construction & l'usage du touret sont plus amplement expliqués.

TOURET DE NEZ, s. m. (Langue franç.) vieux mot qui signifioit une espece d'ornement que les dames portoient autrefois, & qui leur cachoit le nez. On voit dans la bibliotheque du roi quelques représentations de fêtes & de carrousels où les dames sont peintes avec des tourets de nez. (D.J.)


TOURIERES. m. (terme de couvent) office claustral ; c'est une religieuse qui a la charge de parler au tour, d'y traiter les affaires de la maison, de recevoir ce qu'on y apporte de dehors, &c. On l'appelle touriere du dedans ou plutôt dame du tour.

La soeur touriere, ou la touriere du dehors est une servante qui assiste au tour en-dehors, qui rend au couvent tous les services dont il a besoin au-dehors, ainsi qu'en ville, & qui reçoit ceux qui viennent y rendre visite, en attendant qu'elle les fasse parler à la dame du tour. (D.J.)


TOURILLONS. m. (Hydr.) est une grosse cheville ou boulon de fer qui sert d'aissieu ou de pivot, sur quoi tournent les fleches des bascules d'un pont levis & autres pieces de bois dans les machines.

TOURILLONS, LES, sont dans l'Artillerie, les parties rondes & saillantes qui se voyent à côté d'une piece de canon. Ce sont deux especes de bras qui servent à le soutenir, & sur lesquels il peut se balancer & se tenir à-peu-près en équilibre. On dit à-peu-près en équilibre, parce que le côté de la culasse doit l'emporter sur l'autre d'environ la trentieme partie de la pesanteur de la piece. Comme il est plus épais à la culasse que vers l'embouchure du canon, les tourillons sont plus près de la culasse que de la bouche de la piece.

Le mortier a aussi des tourillons par lesquels il est attaché & soutenu sur son affût. Voyez CANON & MORTIER.

Les tourillons sont encastrés dans une entaille faite exprès à l'affût, & ils sont embrassés par-dessus d'une susbande de fer. Les tourillons sont cylindriques, & ils ont le même calibre ou diamêtre que la piece. (Q)

TOURILLON, (Ferrand.) grosse cheville ou boulon de fer qui sert d'aissieu, comme les deux d'un pont à bascule ; celles qui portent la grosse cloche dans un béfroi, & plusieurs autres servans à divers usages. (D.J.)

TOURILLON, terme de Meûnier, espece de gros rouleau de fer qui est au bout de l'arbre du moulin, & qui sert à faire tourner l'arbre.

TOURILLONS, (Tour) sont les parties cylindriques qui passent entre les collets. Voyez TOUR, & les Planches.


TOURLOUROUS. m. (Hist. nat.) sorte de crabe terrestre de la petite espece, dont le corps est à-peu-près de la largeur d'un écu de six francs ; le dessus de son écaille est d'un violet foncé tirant sur le noir, & bordé tout-autour d'une bande rouge assez vive, dont la couleur s'affoiblit insensiblement en s'étendant sous le ventre de l'animal.

Il a dix pattes, cinq de chaque côté ; les deux de devant sont armées de tenailles ou mordans plus forts que ceux des écrevisses ordinaires ; s'il est saisi par un de ces mordans, peu lui importe de l'abandonner pour se sauver, puisqu'au bout d'un an, il reparoît avec un nouveau membre aussi-bien formé que le premier.

Les tourlouroux se tiennent ordinairement dans les montagnes ; ils creusent des trous en terre pour se loger, & ne sortent que pour leurs besoins, ou sur la fin d'une pluie abondante, de peur d'être inondés ; c'est alors qu'on les rencontre par milliers dans certains cantons ; la terre en est quelquefois si couverte, qu'on est contraint de les écarter avec un bâton pour se frayer un passage.

Les tourlouroux par leur petitesse contiennent peu de substance charnue ; mais leur graisse qu'on nomme taumalin, est délicieuse ; c'est une espece de farce naturelle d'un goût exquis ; les femelles quelque tems avant leur ponte, renferment dans l'intérieur de leur corps deux pelotons gros comme le bout du doigt, d'une substance jaune, tirant sur le rouge, un peu ferme & de très-bon goût ; ce sont les oeufs qui ne sont pas encore formés.

Le taumalin ou graisse des tourlouroux peut se manger seul comme celui des crabes ; on en compose aussi avec la farine de magnoc un fort bon mets que les Créols appellent matoutou. Les étrangers ne sont pas long-tems à s'y accoutumer, & le trouvent délicieux ; les bisques aux tourlouroux sont parfaites, & surpassent de beaucoup par la finesse de leur goût, celles qui se font avec les crabes & les écrevisses.


TOURMALINES. f. (Hist. nat.) c'est une pierre qui se trouve dans l'île de Ceylan, qui étant échauffée, acquiert une vertu analogue à l'électricité ; alors elle attire d'abord, & repousse ensuite les corps légers qui l'environnent, tels que la poudre de charbon & la cendre ; c'est aussi pourquoi on l'appelle pierre de cendres, aimant de cendres ; en hollandois, aschen trekke. Quelques personnes l'ont appellée turpeline par corruption ; les Allemands la nomment trip.

C'est dans l'histoire de l'académie royale des Sciences de l'année 1717, qu'il a été parlé pour la premiere fois de cette pierre, que M. Lemery fit voir à l'académie ; voici ce qu'on en dit : " C'est une pierre qu'on trouve dans l'île de Ceylan, grande comme un denier, plate, orbiculaire, épaisse d'environ une ligne, brune, lisse, & luisante, sans odeur & sans goût, qui attire & ensuite repousse de petits corps légers, comme de la cendre, de la limaille de fer, des parcelles de papier ; elle n'est point commune.

Quand une aiguille de fer a été aimantée, l'aimant en attire le pôle septentrional par son pôle méridional ; & par ce même pôle méridional il repousse le méridional de l'aiguille ; ainsi il attire & repousse différentes parties d'un même corps, selon qu'elles lui sont présentées, & il attire ou repousse toujours les mêmes. Mais la pierre de Ceylan attire & ensuite repousse le même petit corps présenté de la même maniere ; & c'est en quoi elle est fort différente de l'aimant. Il semble qu'elle ait un tourbillon qui ne soit pas continuel, mais qui se forme, cesse, recommence d'instant en instant. Dans l'instant où il est formé, les petits corps sont poussés vers la pierre, il cesse, & ils demeurent où ils étoient ; il recommence, c'est-à-dire, qu'il sort de la pierre un nouvel écoulement de matiere analogue à la magnétique, & cet écoulement chasse les petits corps. Il est vrai que selon cette idée, les deux mouvemens contraires des petits corps, devroient se succéder continuellement, ce qui n'est pas ; car ce qui a été chassé n'est plus ensuite attiré ; mais ce qu'on veut qui soit attiré, on le met assez près de la pierre ; & lorsqu'ensuite elle repousse le corps, elle le repousse à une plus grande distance ; ainsi ce qu'elle a une fois chassé, elle ne peut plus le rappeller à elle ; ou ce qui est la même chose, son tourbillon a plus de force pour chasser en se formant, que pour attirer quand il est formé ". Voyez l'histoire de l'académie royale des Sciences, année 1717 page 7. & suiv.

Tels sont les premiers détails que nous ayons sur la tourmaline. Depuis il en a été question dans deux écrits publiés en 1757 ; l'un est un mémoire de M. Aepin, professeur de physique, membre de l'académie impériale de Petersbourg, qui a pour titre, de quibusdam experimentis electricis notabilioribus ; il a été lu à l'académie de Berlin ; l'autre est une dissertation de M. Wilke, sous le titre de Disputatio solemnis philosophica de electricitatibus contrariis. Rostochii, 1757. Ces deux auteurs nous disent qu'on trouve dans l'île de Ceylan une pierre transparente, presque aussi dure que le diamant, d'une couleur qui imite celle de l'hyacinthe, mais plus obscure. Cette pierre est connue en Allemagne & en Hollande, sous le nom d'aimant de cendres ; mais elle s'appelle plus communément tourmaline. La propriété singuliere de cette pierre, est d'attirer & de repousser tour-à-tour les cendres qui environnent un charbon ardent sur lequel on l'a placée.

Enfin, M. le duc de Noya-Carafa, seigneur napolitain, aussi distingué par son goût pour les Sciences, que par son rang, étant venu à Paris en 1759, apporta deux tourmalines qu'il avoit acquises dans ses voyages. L'une qui étoit la plus petite, pesoit six grains ; elle avoit quatre lignes de longueur sur trois de largeur, & à-peu-près une ligne d'épaisseur. Elle étoit entierement opaque, d'un brun noirâtre ; sa substance paroissoit homogene, quoique traversée de quelques veines ou terrasses peu sensibles ; le feu auquel cette pierre avoit été exposée avoit fait partir de sa surface de petits éclats qu'on ne découvroit bien qu'à la loupe. Cette pierre peut être rougie au feu sans aucun risque, pourvu qu'on ne la refroidisse point trop subitement dans l'eau ou autrement.

L'autre tourmaline étoit plus grande, elle pesoit dix grains ; sa longueur étoit de cinq lignes & un tiers ; sa largeur de quatre lignes & demie, & son épaisseur de près d'une ligne. Sa couleur étoit d'un jaune enfumé ou de vin d'Espagne, & tenoit un milieu entre le beau jaune de la topase orientale, & la couleur brune de la topase ou du crystal de Bohème. Cette pierre étoit sans défaut, à l'exception de deux glaces que le feu des expériences y avoit formées.

La dureté de ces deux pierres étoit la même que celle du crystal de roche, de l'émeraude, & du saphir d'eau, que les Lapidaires mettent au rang des pierres tendres. Leur poli est gras ; elles rayent le verre ; elles n'ont ni goût ni odeur ; la plus petite avoit plus de vertu que la grande. L'auteur de l'Oryctologie, donne à cette pierre le nom de turpeline, & dit sans aucun fondement que c'est une espece d'oeil de chat. M. Aepin attribue à cette pierre la dureté du diamant ; ce qui est contredit par ce qui précede.

M. le duc de Noya a fait un grand nombre d'expériences avec ces deux pierres en présence de plusieurs curieux ; voici en peu de mots les résultats de ces expériences, dont les unes prouvent la conformité de la tourmaline avec les autres corps électriques, & les autres prouvent que cette pierre a des vertus qui ne lui sont point communes avec ces corps.

La tourmaline étant frottée avec du drap, attire & repousse les corps légers ; mais ses effets sont plus forts lorsqu'on la pose sur des charbons ardens, ou sur des métaux échauffés, ou dans de l'eau bouillante, ou à la chaleur du soleil concentrée par un verre ardent ; une chaleur trop grande, ainsi qu'une chaleur trop foible, nuisent également à sa vertu électrique. Celle qui tient le milieu entre ces deux extrêmes, & qui s'étend depuis le trentieme jusqu'au soixante & dixieme degré du thermomètre de M. de Réaumur, est la plus convenable pour lui donner toute la force électrique dont elle est susceptible ; le mieux est d'étendre une couche de cendre sur des charbons ardens, ou sur une plaque de métal rougie, & de placer la tourmaline sur cette couche de cendre. Si on met la pierre dans l'eau bouillante, lorsqu'on la retire elle est trop promtement refroidie pour pouvoir produire ses effets. Quant à la chaleur du verre ardent, elle est trop subite & mettroit la pierre en risque de se casser.

La tourmaline échauffée convenablement, attire & repousse les corps légers, tels que les cendres, la feuille d'or, la limaille de fer, la pierre en poudre, le verre pilé, le sablon, la poudre de bois, le charbon pilé, la soie suspendue, &c. Les distances de l'attraction & de la répulsion, varient suivant le degré de chaleur qu'on a donné à la pierre, & suivant les corps légers qu'on lui présente ; mais la distance de la répulsion est toujours plus grande que celle de l'attraction. La répulsion dépend aussi de la figure des corps qu'on lui présente, & de la façon de les présenter.

Cette pierre trop échauffée n'a plus d'électricité.

Sa vertu agit de même que celle des cylindres électriques au travers du papier.

Elle agit au bout d'un conducteur métallique, c'est-à-dire, au bout d'un fil de fer dont un bout est placé sur la tourmaline chauffée.

Elle n'a point de pôles comme l'aimant, non plus que tous les corps électriques.

Elle rejette plus vivement les paillettes aux endroits où l'on présente les pointes.

Sa vertu n'est point altérée par l'aimant ; ces phénomenes de la tourmaline lui sont communs avec les autres corps électriques ; mais elle en differe par les points suivans.

1°. Elle s'électrise par la seule chaleur, & par ce moyen elle devient beaucoup plus électrique que par le frottement.

2°. Etant électrisée, elle ne devient point phosphorique, & ne donne point d'étincelles électriques.

3°. Elle s'électrise même dans l'eau.

4°. Elle ne perd point sa vertu électrique par les moyens qui la font perdre à la machine électrique.

5°. On ne lui communique point l'électricité comme aux autres corps électriques.

6°. La tourmaline au lieu d'être repoussée par un tube électrisé, elle en est attirée.

7°. Deux tourmalines suspendues à des fils étant échauffées, s'attirent mutuellement, au lieu de se repousser comme font les autres corps électriques.

De ces expériences, M. le duc de Noya conclut que la tourmaline est un corps électrique, qui s'électrise par des moyens différens des autres corps électriques ; que son électricité est différente de la leur ; qu'elle est sensible comme la vertu magnétique, à l'action de leur électricité, sans s'en charger, sans perdre la sienne, & sans leur faire perdre la leur ; & par conséquent que cette pierre differe en cela de tous les autres corps électriques connus.

Tous ces détails sont tirés d'une lettre de M. le duc de Noya Carafa, sur la tourmaline à M. de Buffon, que ce seigneur a fait imprimer & publier à Paris en 1759. L'on y trouvera un grand nombre d'autres détails que l'on a été obligé d'omettre, de peur d'allonger cet article, où l'on n'a rapporté que les choses essentielles contenues dans cet ouvrage. (-)


TOURMENTS. m. (Gram.) douleur longue & violente, de corps ou d'esprit. La goutte, la pierre, les fractures, sont les plus grands tourmens de corps auxquels l'homme soit exposé. Les amans parlent beaucoup de leurs tourmens, mais je crois qu'ils les exagerent quelquefois ; la jalousie est un de leurs tourmens.


TOURMENTELA, (Géog. mod.) riviere de France dans le Quercy. Elle se forme de trois ruisseaux, près de Souillac, & se perd à Floriac dans la Dordogne. (D.J.)


TOURMENTER(Peint.) tourmenter des couleurs, c'est les remanier & les frotter, après les avoir couchées sur la toile ; ce qui en ternit la fraîcheur & l'éclat. Quand on les a une fois placées, le mieux seroit de n'y point toucher du tout, si la chose étoit possible ; mais comme il n'arrive guere qu'elles fassent leur effet du premier coup, il faut du moins en les retouchant, les épargner le plus que l'on peut, & éviter de les tracasser & de les tourmenter. (D.J.)

TOURMENTER son cheval, (Maréchal.) c'est le châtier ou l'inquiéter mal-à-propos. Se tourmenter, se dit d'un cheval qui a trop d'ardeur, & qui est toujours en action ; il se tourmente, & tourmente son homme.


TOURMENTEUR-JURÉc'étoit ainsi qu'on nommoit anciennement le questionnaire. Voyez ce que l'on en a dit au mot EXECUTEUR DE LA HAUTE JUSTICE, & Sauval, Antiq. de Paris. (A)


TOURMENTINS. m. (Ornithol.) petit oiseau marin qui n'est guere plus gros qu'une hirondelle, & dont le plumage est noir : on ignore le lieu de sa retraite, son espece n'étant point connue sur terre.

Les tourmentins se tiennent en pleine mer, à des distances considérables des côtes ; ils ne paroissent ordinairement que pendant les gros tems, voltigeant sans cesse derriere la poupe des vaisseaux, autour du gouvernail, à deux ou trois piés au-dessus de la surface de l'eau ; c'est une chose singuliere de voir avec quelle agilité ces petits oiseaux suivent les ondulations de la mer, sans jamais en être surpris ni paroître se lasser ; sans doute que c'est cette agitation continuelle, qui les a fait nommer tourmentin par les matelots, dont l'opinion est que ces oiseaux proviennent de l'écume des vagues ; cette idée n'est pas moins ridicule que les fables débitées par les anciens sur l'origine & les merveilles des alcyons, dont le tourmentin est peut-être une espece.

TOURMENTIN, (Marine) quelques marins appellent ainsi le perroquet de beaupré. Voyez MAT.


TOURNAIRES. m. (Jurispr.) est celui qui est en tour de nommer à un bénéfice vacant. Voyez ci-devant TOUR.


TOURNANTS. m. (Marine) nom qu'on donne à un mouvement circulaire des eaux, qui forme un gouffre dans lequel périssent presque tous les vaisseaux qui ont le malheur d'y tomber. Il y en a entre autres un à la côte de Norwege, qui est très-dangereux.

TOURNANT, on appelle ainsi un pieu enfoncé en terre, qui porte un rouleau, avec des pivots placés dans des traverses liées à ce même pieu, & sur lequel les bateliers, passant leur corde, tirent leur bâtiment, ou le font tirer sans discontinuer ; par cette manoeuvre ils passent les contours & les angles d'un canal ou d'une riviere, sans avoir la peine de se remorquer à force de crocs, de gaffes & d'avirons.

TOURNANT, (Eaux & Forêts) ce terme des eaux & forêts, signifie les arbres qui sont aux angles rentrans, & qui doivent être marqués du marteau du roi, comme les piés corniers, & les arbres de lisiere ; c'est la disposition de l'article xj. du titre 15. de l'ordonnance des eaux & forêts. (D.J.)

TOURNANTS, terme de Perruquier, ce sont des bouts de tresse de cheveux qui vont depuis les tempes jusqu'à la nuque du col ; ce sont les premieres tresses que le perruquier attache sur la coëffe quand il monte une perruque.


TOURNAY(Géog. mod.) en latin Turnacum, ville des pays-bas autrichiens, capitale du Tournésis, sur l'Escaut, à cinq lieues au sud-est de Lille, à sept de Douay, à huit de Mons, à quinze de Gand, & à cinquante-cinq de Paris. L'escaut divise la ville en vieille & neuve. Louis XIV. y a fait bâtir une citadelle qui a couté plus de quatre millions de ce tems-là, c'est-à-dire plus de huit millions de notre monnoie actuelle ; c'est un ouvrage de M. de Mégrigni, ingénieur ; mais Louis XV. en reprenant Tournay sur la reine de Hongrie, a fait détruire cette citadelle de fond en comble.

La ville de Tournay est partagée en dix paroisses ; S. Médard, évêque de Noyon, fut un des premiers pasteurs de l'église de Tournay, & son premier évêque fut Anselme, moine bénédictin, qui obtint cet évêché en 1148, par le crédit de S. Bernard. En 1559, l'évêché de Tournay devint suffragant de la nouvelle métropole de Cambray. Son diocèse a huit doyennés, & contient 223 cures. Longitude 21. 4. latit. 50. 34.

Il n'est fait mention de Tournay que dans l'itinéraire d'Antonin, & dans la carte de Peutinger, dont les auteurs ont vêcu du tems de S. Jérôme. Dans le même siecle Tournay fut prise sur les Romains par Clodion, roi des François ; son petit fils Childeric y demeuroit, y mourut, & y fut enterré. Sous les premiers rois capétiens, les évêques de Tournay & de Noyon étoient seigneurs de la ville, mais les habitans y vivoient dans une entiere liberté. Charles VII. unit solemnellement Tournay & le Tournésis à sa couronne, par des lettres patentes données au commencement de son regne, en 1422, & confirmées par d'autres lettres, dans les années 1426, & 1436.

Louis XI. après la mort de Charles duc de Bourgogne, mit garnison dans Tournay en 1477 ; & depuis ce tems-là les habitans lui obéirent jusqu'à l'an 1513, que la ville fut prise sur Louis XII. par Henri VIII. roi d'Angleterre. Les Anglois la rendirent aux François en 1517 ; mais quatre ans après, la guerre ayant été déclarée par Charles-quint & François I. Tournay fut prise, & François I. contraint de la céder par le traité de Madrid, en 1525, confirmé par le traité de Cambray en 1529, par celui de Crépi en Laonnois, en 1544, & par celui de Cateau-Cambrésis, en 1559. En 1667, Louis XIV. prit cette ville, qui lui fut cédée en 1668, par le traité d'Aix-la-chapelle ; il fortifia Tournay, & y éleva la citadelle dont j'ai parlé ; mais la ville & la citadelle ayant été prises en 1709, par l'armée des alliés, la France céda l'une & l'autre à la maison d'Autriche, par les traités d'Utrecht, de Rastat, & de Bade. Enfin les Etats-Généraux ont la garde de cette place, par le traité de la Barriere, conclu en 1715, entre leurs Hautes-puissances, & l'empereur Charles VI.

Jean Cousin a donné l'histoire de Tournay. Elle est imprimée à Douay chez Marc Wyon, en 1620, en 4 vol. in-4 °. c'est un ouvrage fort rare.

Simon de Tournay, dont le nom est écrit fort différemment dans les bibliographes, étoit né dans la ville de Tournay, ou du moins étoit originaire de cette ville ; il en fut chanoine, & florissoit dans le xije. siecle ; il devint docteur en théologie à Paris, & y régenta pendant dix ans les écoles des arts, c'est-à-dire qu'il y enseigna les belles-lettres & la philosophie. Il a laissé plusieurs ouvrages qui ne se trouvent qu'en manuscrit. Son attachement aux opinions d'Aristote, & sa grande subtilité dans la dispute, le firent accuser d'impiété & d'irréligion.

Il est douteux si Jacques des Parts, en latin de Partibus, étoit natif de Tournay, ou de Paris ; il fut également chanoine de Paris, & chanoine de Tournay, mais il mourut dans cette derniere ville, environ l'an 1465 ; il devint médecin du duc de Bourgogne, Philippe le bon, & puis de Charles VII. roi de France ; il donna plusieurs livres qui lui procurerent une grande réputation ; le principal est son commentaire sur Avicenne ; il fut imprimé à Lyon, l'an 1498. en 4 vol. in-fol. aux dépens du roi, & par les soins de Janus Lascaris.

La Barre (Louis-François-Joseph de), littérateur, naquit à Tournay en 1688, & mourut à Paris en 1743. Il étoit membre de l'académie des Inscriptions, à laquelle il a donné plusieurs mémoires. On trouvera dans ce recueil, tom. VII. & VIII. des éclaircissemens de sa main, sur l'histoire de Lycurgue, des remarques sur la route de Sardes à Suze, décrite par Hérodote ; d'autres sur le cours de l'Halys, de l'Euphrate, de l'Araxe, & du Phase ; une dissertation sur la livre romaine, & sur d'autres mesures particulieres moins connues ; & un mémoire sur les divisions que les empereurs romains avoient faites des Gaules, en différentes provinces. On a inséré dans les tom. IX. & X. son traité du poëme épique, où il examine particulierement s'il est nécessaire que l'action de ce poëme ait rapport à une vérité morale ; il y a joint des observations singulieres sur les places destinées aux jeux publics de la Grèce, & sur les différentes especes de courses qui s'y faisoient.

En 1729, il publia en deux vol. in-4 °. ces mémoires de l'histoire de France & de Bourgogne, que l'on appelle communément le journal de Charles VI. & il mit une préface à la tête de ce recueil. En 1735, il fit paroître en cinq volumes in-12. une nouvelle histoire de la ville de Paris, extraite de celle du pere Lobineau, qui, composée de 5 vol. in-fol. & continuellement entremêlée de pieces latines, excédoit le loisir ou la portée des lecteurs ordinaires. Il avoit entrepris quinze mois avant sa mort, un dictionnaire d'antiquités grecques & romaines, mais il n'a eu le tems que de former son plan, & d'ébaucher quelques articles. (D.J.)


TOURNEterme de pratique, synonyme à soûte. Voyez SOUTE.

TOURNE, (Blason) ce mot dans le blason, ne se dit proprement que d'un croissant dont les cornes regardent le flanc dextre de l'écu, parce que ce n'est pas la situation naturelle du croissant, dont les cornes doivent regarder en haut ; & si elles regardoient le flanc sénestre, on le diroit contourné. (D.J.)

TOURNE-A-GAUCHE, (Outil d'ouvrier) outil de fer, quelquefois avec un manche de bois, qui sert comme de clé pour tourner d'autres outils. Les charpentiers, menuisiers, serruriers, & autres ouvriers, ont chacun leur tourne-à-gauche, mais peu différens les uns des autres. Les tourne-à-gauche pour les tarots sont tout de fer ; ils sont plats, d'un pouce environ de largeur, & de six à sept pouces de longueur ; ils ont au milieu une entaille quarrée, où l'on met la tête du tarot quand on veut le tourner pour faire un écrou.


TOURNE-BROCHEustensile de cuisine, qui sert à donner à une broche un mouvement modéré, & entretenu par un poids qui met en jeu plusieurs roues, à l'une desquelles est attachée une poulie qui retient une ou plusieurs chaînes qui répondent aux broches, & leurs communiquent le mouvement qu'elles ont reçu des roues. Cette machine est composée de trois roues qui ont chacune leur pignon, d'un rouleau, d'une cage & d'un volant. La premiere de ces roues se nomme grande roue ; son arbre est revêtu d'un rouleau de bois, partagé en deux parties, sur lesquelles sont deux cordes qui vont en sens contraire. La premiere qu'on peut appeller corde du poids, se devide & se déroule en descendant, pendant que la seconde que nous nommerons corde de remontoir, se roule & s'entortille autour du rouleau, garni d'un ressort qui le retient à une des croisées de la grande roue, lorsqu'on a suffisamment remonté le poids ; immédiatement au-dessus du même côté, est un second pignon qui s'engrene dans une autre qu'on nomme seconde roue, qui va répondre au pignon de la roue de champ. Celle-ci est placée environ vers le milieu de la cage, au-dessous du volant ; ses dents renversées de côté, s'accrochent aussi dans celles du pignon du volant, & le fait tourner. Toutes ces roues ont chacune leur arbre qui s'emboîte latéralement dans les montans de la cage, de façon néanmoins qu'il puisse y jouer aisément. Cette cage du chassis soutient & renferme tout l'ouvrage, excepté le volant qui est au-dessus, & la traverse par un trou qui y est pratiqué.

Toutes ces roues ont une grandeur proportionnée à la vîtesse de leur mouvement, qui est plus lent dans la grande que dans la seconde roue, & dans la roue de champ que dans le volant.

On fait des tournebroches à main, qui sont placés seulement à hauteur d'homme, & se remontent par le moyen d'une manivelle qui s'emmanche dans l'arbre du pignon d'une quatrieme roue, qu'on appelle roue de remontoir, & qui est vis-à-vis la grande roue. Dans ces tournebroches, le rouleau n'est revêtu que d'une corde qui soutient le poids, & qu'on retourne sur lui-même en sens contraire.

Il y a encore des tournebroches à fumée, qui meuvent sans poids, & par la seule action de la fumée sur le volant ; on peut voir tous ces différens tournebroches dans le Spectacle de la nature, art. de la nourriture de l'homme.


TOURNE-FEUILLETS. m. touffe de petits rubans attachés au haut de la tranche d'un livre, ou à une espece de petit peloton ; on passe les rubans entre les feuillets du livre, & ils indiquent où l'on en est resté de sa lecture.


TOURNE-FIL(terme de Peignier) instrument d'acier quarré qui sert aux Peigniers à donner le fil à leurs écouennes & autres outils ; c'est une espece de fusil propre aux mêmes usages que celui des bouchers, cuisiniers, charcutiers, avec cette différence que le fusil est rond & le tourne-fil quarré. (D.J.)


TOURNE-VIS(Outil) outil de fer, avec lequel on serre & on desserre le vis, soit en bois, soit en fer, pour les faire entrer dans leur écrou ou les en tirer. On l'appelle quelquefois tourne à gauche, quoique ces deux outils soient différens ; le tourne-vis est un instrument très-utile, on met au fer une poignée de bois pour le manier & en faire usage. (D.J.)

TOURNE-VIS, (Outil d'Arquebusier) c'est un petit morceau de fer plat, large d'un demi pouce, qui a une queue qui se pose dans un manche de bois, long de deux ou trois pouces, qui sert aux Arquebusiers pour tourner & visser les vis dans leur écrou, en mettant le côté large du tourne-vis dans la tête qui est fendue de la vis.

TOURNE-VIS, outil d'Ebéniste, est un morceau d'acier trempé dur & revenu bleu pour qu'il ne rompe pas facilement, & emmanché dans une poignée de bois un peu applatie pour qu'elle ne tourne point dans la main. Cette poignée a une frette de fer, dont l'usage est de l'empêcher de se fendre lorsqu'on y monte le tourne-vis, dont l'extrêmité inférieure est au tranchant que l'on fait entrer dans la fente qui est à la tête d'un vis à tête que l'on fait tourner au moyen du tourne-vis que l'on appuie fortement dessus, en le tournant comme on fait une clé dans une serrure. Voyez la figure Pl. de MARQUETERIE.

Le tourne-vis sert également à ôter les vis comme à les placer. La seule différence est qu'il faut le tourner en sens opposé aux pas de la vis.


TOURNECASETOURNECASE

Comme les deux joueurs jouent & marchent également dans la même table & vis-à-vis l'un de l'autre, chaque fois que le nombre du dé porte une dame sur une fleche qui se rencontre vis-à-vis de celle où il y a une dame de celui contre qui l'on joue, cette dame est battue, & il est obligé de la prendre & de rentrer dans le jeu.

En ce jeu l'on bat malgré soi, parce que l'on est toujours obligé de jouer le plus petit nombre, & outre cela on ne peut point passer une dame par-dessus l'autre comme nous l'avons déja dit, ce qui fait que l'on joue souvent beaucoup de coups inutiles, surtout quand on a amené & conduit ses dames ; savoir, l'une dans un coin, & les deux autres tout contre, de maniere qu'on ne peut les mettre sur le coin, qu'en faisant un as & puis un deux. L'on souhaite alors d'être battu pour sortir de cette gêne.

En ce jeu, le coin de repos est la douzieme case ; on le nomme coin de repos, parce que les dames qui y sont une fois entrées sont en sureté, & ne peuvent plus être battues. C'est un grand avantage pour celui qui y en met une le premier. Celui qui a mis le plus tôt ses trois dames dans son coin, a gagné la partie ; & s'il les y mettoit toutes trois avant que son homme y en eût mis une, il gagneroit double, si l'on en est convenu.


TOURNÉESGRANDES, (Pêche) especes de bas parcs ; en terme de pêche c'est une enceinte de filets montés sur des pieux, & qui ont la forme d'un fer à cheval, dont l'ouverture est à la côte, & le convexe à la mer, le tout sur un terrein en pente, afin que la marée venant à se retirer précipitamment, le poisson qui a monté à la côte, y puisse plus aisément être arrêté. Ce filet quoique posé sur un terrein incliné, a pourtant son bord supérieur de niveau, au moyen de ce que les pieux qui sont vers la mer, sont plus longs que les autres. Voyez TOURNEES & PARCS, & les Pl. de la Pêche.


TOURNEFORTIAS. f. (Hist. nat. Botan.) genre de plante ainsi nommée en l'honneur du célebre Tournefort. Le calice est divisé en cinq segmens qui finissent en pointe ; il subsiste toujours ; la fleur est d'un seul pétale qui forme un tuyau ovale plus long que le calice, légérement découpé en cinq segmens un peu ouverts & pointus ; les étamines sont cinq filets de la longueur du tuyau de la fleur, & qui se terminent en pointe ; les bossettes sont simples & placées au centre de la fleur ; le germe du pistil est globulaire & posé sous le calice ; le stile est simple, & a la longueur des étamines ; le stigma est pareillement simple ; le fruit est une baie sphérique contenant deux loges ; les graines sont au nombre de deux, ovales & séparées par la pulpe. Linnaei gen. plant. p. 62. (D.J.)


TOURNEGANTou RETOURNOIR, (terme de Gantier) ce sont deux bâtons polis, ronds, & longs de deux piés, plus gros par le milieu que par les bouts, & faits en forme de fuseaux. L'un se nomme le mâle, & l'autre la femelle ; on les appelle aussi bâtons à gant. On insinue ces bâtons dans les doigts des gants pour les pouvoir retourner aisément sans les chiffonner ni les salir. C'est aussi avec ces bâtons qu'on renforme les gants, c'est-à-dire qu'on les élargit sur le renformoir, afin de leur donner une meilleure forme. Cette opération se nomme bâtonner un gant.


TOURNELLE(Jurisprud.) est une chambre du parlement. Voy. au mot PARLEMENT l'article TOURNELLE. (A)


TOURNERv. act. & neut. c'est mouvoir circulairement. On dit les spheres tournent sur leur axe. La terre tourne autour du soleil, hérésie autrefois, fait d'astronomie démontré aujourd'hui. Il tourne très-adroitement les bois & les métaux. On apprend aux soldats à tourner à droite & à gauche. On tourne le dos ; on tourne bride ; la tête tourne ; on se tourne à l'orient, au midi ; le vin & le lait se tournent. On tourne au jeu, une carte qui reste sur le talon, ou qui passe dans la main de celui qui donne, ou dont un joueur peut s'emparer, selon le jeu qu'on joue, & cette carte s'appelle la tourne. On tourne une armée ; on tourne une affaire adroitement ; on prononce un discours bien tourné ; on sait tourner un vers ; on tourne en ridicule les choses les plus sérieuses ; on tourne un objet en tout sens ; on tourne ses forces de ce côté ou de cet autre ; il tourne à la mort, &c. Voyez les articles suivans.

TOURNER, v. act. (Archit.) c'est exposer & disposer un bâtiment avec avantage. Ainsi une église est bien tournée quand elle a, conformément aux canons, son portail vers l'occident, & son grand autel vers l'orient ; une maison est bien tournée lorsqu'elle est dans une agréable exposition, & que ses parties sont placées suivant leurs usages ; & un appartement est bien tourné, quand il y a de la proportion & de la suite entre ses pieces, avec des dégagemens nécessaires. (D.J.)

TOURNER AU TOUR, (Archit.) c'est donner sur le tour la derniere forme à un balustre de bois ébauché. On finit aussi au tour les bases des colonnes, les vases, balustres de pierre & de marbre qu'on polit ensuite avec la rape & la peau de chien de mer. (D.J.)

TOURNER LE PAIN, en terme de Boulanger, c'est joindre & lier la pâte ensorte qu'il n'y ait point d'yeux & de crevasses, & donner au pain la forme qu'on souhaite.

TOURNER, en terme de Confiseur, signifie enlever la peau ou l'écorce fort mince & fort étroite avec un petit couteau en tournant autour du citron.

TOURNER, en terme d'Epinglier, voyez GAUDRONNER.

TOURNER, TOURNE, (Jardinage) on dit que le fruit tourne, quand après avoir pris sa grosseur naturelle, il commence à mûrir.

TOURNER, en terme de manege, signifie changer de main. On dit ce cheval est bien dressé, il tourne à toutes mains. On assouplit avec le cavesson à la Newcastle un cheval entier, c'est-à-dire, qui refuse de tourner au gré du cavalier. Les écuyers font tourner la pointe du pié en-dedans.

L'action de tourner avec justesse au bout d'une passade ou de quelqu'autre manege, est de tous les mouvemens celui qui coute le plus à apprendre à la plûpart des chevaux.

TOURNER L'ETAIN, (Potier d'étain) c'est lui ôter par le moyen des outils sa couleur brute qu'il a prise en moule, pour lui donner le vif & le brun dont il a besoin pour être perfectionné, & pour lui donner une figure plus nette & plus parfaite que celle qu'il a déja reçue.

L'ouvrier qui travaille au tour, commence par dresser son empreinte qui est pour tourner la vaisselle, ou son calibre pour de la poterie ou menuiserie ; ces outils sont de bois, tournés & formés à la figure & proportion des différentes pieces, soit pour les dehors ou les dedans ; ou autrement, ils ont une gaîne ou trou quarré, revêtu d'étain, formé par le mandrin de l'arbre du tour dans lequel il entre ; puis on fait tenir sa piece sur ces empreintes ou calibres, si c'est de la vaisselle, par le moyen de trois petits crampons de fer qui tiennent la piece sur l'empreinte par l'extrêmité du bord, en commençant par les derrieres, & après les dedans sur la même empreinte qui doit être creusée de la grandeur & de la forme de la piece ; ainsi il en faut avoir autant qu'on a de moules de différentes grandeurs, ou bien on tourne à la belouze, qui est une maniere d'attacher les pieces en les soudant à trois gouttes sur le bord avec le fer sur une piece d'étain montée sur le tour, à qui on donne ce nom de belouze. Si c'est de la poterie, on la dresse sur le calibre qu'on a monté sur le mandrin, & qui est tourné proportionnément à la grosseur de la piece qu'on veut mettre dessus ; on la fait tenir en frappant d'un marteau, sur une planche appuyée contre la piece pendant qu'elle tourne, jusqu'à ce qu'elle tienne & tourne rondement : cela s'appelle tourner à la volée. Mais il y a une autre maniere plus diligente & plus sûre, surtout pour des pieces longues, qui est de tourner à la pointe ; c'est une vis qui marche dans un écrou enclavé dans la poupée de la droite du tour, à-peu-près comme la vis d'un étau de serrurier, & par le moyen d'une manivelle ou d'un boulon, on avance & retire cette vis dont le bout presque pointu joint un morceau de bois ou de plomb qui s'emboîte au bout de la piece qu'on tourne, ensorte qu'elle la met ronde, & la tient sans qu'elle se dérange ni qu'elle puisse s'échapper. Voyez les figures du métier de Potier d'étain.

Dès que la piece est bien dressée, l'ouvrier tenant son crochet sous le bras & posé sur la barre qu'il tient ensemble avec la main gauche, il le conduit de la droite par un mouvement égal & réglé en le faisant couper l'étain : ce qui forme ce qu'on nomme ratures ; on appelle cette premiere façon ébaucher. On se sert ensuite de crochets qui coupent moins, parce qu'on les passe sur un cuir où on a mis de la potée d'étain ; ces crochets se nomment planes ; & enfin on acheve avec un brunissoir. Lorsqu'on s'en sert, il faut auparavant répandre avec une patrouille de l'eau de savon sur sa piece, & ne point appuyer le brunissoir trop fort, ni s'arrêter pour ne point faire d'ondes ; il suffit d'effacer seulement les traits du crochet, & on essuie l'eau de savon après qu'on a bruni avec un linge doux qu'on appelle polissoir, pendant que la piece tourne encore.

Il faut remarquer que les bons outils dans la main d'un habile ouvrier contribuent à faire le bel ouvrage. Chacun a sa maniere pour leur donner un taillant propre à son gré ; mais généralement les crochets quarrés, quarrés demi-ronds, à deux côtés, en pointe, &c. sont préférables à toutes autres formes. Les crochets, grattoirs & brunissoirs doivent être acérés du meilleur acier d'Allemagne. Il faut une meule pour les émoudre, & une bonne pierre d'Angleterre pour les affiler.

Il y a des brunissoirs de différentes figures pour la vaisselle ou poterie, & pour réparer & achever. Voyez BRUNISSOIR.

Pour tourner des plats d'une grandeur extraordinaire ou des jattes ou grands bassins qui pesent jusqu'à 20 ou 25 liv. piece, ou enfin d'autres pieces d'un trop gros poids, au lieu de faire aller le tour avec la roue, ce qui n'est presque pas possible, on emmanche une manivelle dans le bout de derriere de l'arbre du tour, par le moyen de laquelle on tourne une piece comme on tourne une meule de taillandier, & par ce moyen on en vient plus aisément à bout : cela s'appelle tourner à la ginguette.

Il faut observer que pour tourner la vaisselle, l'ouvrier conduit ses crochets & brunissoirs presque perpendiculairement, tantôt du bas de sa piece au milieu en montant, & tantôt du milieu en descendant en-bas, appuyant sur ses outils, afin de couper l'étain également par-tout, & que la piece ne soit point fausse, c'est-à-dire, forte à un endroit & mince à un autre ; lorsqu'on veut rendre une piece mince, on repasse plusieurs fois le crochet qui ébauche, & pour la poterie, on conduit le crochet sous la piece horisontalement, tantôt de droit à gauche, & de gauche à droite, & le brunissoir de même, mais moins en-dessous que le crochet ; & la meilleure maniere est de ne le passer qu'une fois.

Autrefois on tournoit toute la vaisselle sur un outil nommé croisée, composé de trois branches de fer & de trois crampons coulans sur ces branches ; on avance & recule ces crampons suivant la grandeur des pieces, & on les arrête par le moyen d'un coin qui est derriere chaque crampon ; on ne s'en sert plus guere à présent depuis l'invention de tourner à la belouze, si ce n'est pour tourner des jattes ou grands bassins, cette maniere étant dangereuse pour l'ouvrier qui y travaille.

TOURNER, en terme de Tabletier Cornetier ; voyez TOURNER, en terme de Tabletier en écaille, c'est la même opération pour la corne comme pour l'écaille.

TOURNER, (Vénérie) il se dit de la bête que l'on chasse, lorsqu'elle tourne & fait un retour, c'est aussi faire tourner les chiens pour en trouver le retour & le bout de la ruse.


TOURNES(Jurisprud.) c'est la soute ou retour des deniers que l'on paie dans un partage ou pour un contrat d'échange. Il en est parlé dans les coutumes de Montargis, Orléans, Blois & Dunois. Voy. le gloss. de Lauriere. (A)


TOURNESISLE, (Géog. mod.) petit pays de Flandre, & qui prend son nom de Tournay sa capitale.

Le Tournesis n'est autre chose que la châtellenie de Tournay, qui est d'une assez grande étendue ; car elle renferme environ cinquante villages ou bourgs, dont la justice ressortit au conseil provincial de Flandre, d'où l'on peut appeller au parlement de Malines.

Les rois de France ayant institué le bailliage de Vermandois, y avoient joint Tournai & le Tournesis ; mais en 1383 Charles VI. érigea un bailliage à Tournay, auquel il soumit cette ville & le Tournesis, avec les terres de Mortagne & de Saint-Amand, qui relevoient auparavant du bailliage de Vermandois ; l'union de ces terres à ce bailliage a duré jusqu'au tems de la paix d'Utrecht, par laquelle toute la terre de Saint-Amand a été séparée du bailliage de Tournesis, & accordé à la France ; mais pour les neuf villages qui dépendoient de Mortagne, ils ont été laissés à la maison d'Autriche. (D.J.)


TOURNESOLS. m. (Hist. nat. Bot.) nom vulgaire donné à la premiere & principale espece de ricinoïde dans le systême de Tournefort ; c'est aussi pour la distinguer que cet habile botaniste appelle cette plante ricinoides ex quâ paratur tournesol Gallorum I. R. H. 656. dans Mathiole heliotropium minus ; dans C. Bauhin, heliotropium tricoccum ; dans Clusius heliotropium minus tricoccum ; enfin dans Lobel, heliotropium vulgare tournesol Gallorum sive Plinii tricoccon.

La racine de cette plante est blanche, ronde, ordinairement droite & longue, garnie de quelques petites fibres à son extrêmité, surtout aux piés les plus élevés, car il en est plusieurs qui n'en ont point du tout ; elle pousse une tige ronde de différente hauteur, suivant le terrein qu'elle occupe ; cette tige se divise en plusieurs branches, la plûpart desquelles sortent des aisselles des feuilles.

Clusius avoit raison lorsqu'il a dit que les feuilles du tournesol ont de la ressemblance avec celles du xanthium ; mais il s'est trompé lorsqu'il a cru qu'elles en avoient beaucoup plus avec celles du solanum somniferum ; il en est de même de Lobel lorsqu'il les a comparées à celles du calament de montagne. Elles sont d'un verd pâle & presque cendré, attachées à un fort long pédicule.

Les fleurs sont renfermées dans des petits boutons, lesquels forment une espece de grappe qui sort d'entre les aisselles de chaque branche, & de leur extrêmité. Elles sont les unes stériles, & les autres fécondes.

Les stériles qui occupent la sommité de cette grappe, sont contenues dans un calice divisé en cinq parties découpées jusqu'au centre ; elles sont composées de cinq petites feuilles jaunes, placées autour d'un petit stile rond surmonté de quelques étamines de même couleur disposées en aigrette ; comme elles sont attachées par un fort petit pédicule qui seche à mesure que la grappe croît & s'éleve, elles se fanent & tombent en fort peu de tems.

Le calice de celles qui en occupent la base, & qui sont fécondes, est divisé en dix pieces fendues pareillement jusqu'au centre ; elles sont composées de cinq petites étamines jaunes surmontées chacune d'un petit sommet de même couleur. Elles sont placées autour du pistil qui est chargé de trois filets fourchus & jaunes. Ce pistil qui est dans le fond du calice, devient dans la suite un fruit rond, raboteux, d'un verd foncé divisé en trois loges, qui renferment chacune une semence ronde & blanche. Il est attaché avec son calice à un pédicule assez long ; de-sorte que lorsque les premieres fleurs ont passé, & que le fruit est arrivé à sa juste grosseur, il pend des aisselles des branches, & semble y être né sans aucune fleur. C'est-là ce qui en a imposé à tous ceux qui ont avancé que les fleurs & les fruits de cette plante naissent sur des piés différens.

La Médecine ne tire aucun secours de cette plante pour la guérison des maladies, quoique Dioscoride nous assure qu'elle est excellente pour chasser les vers du corps, & pour la guérison de cette espece de verrue, que les Grecs appellent , en les frottant de son suc mêlé avec un peu de sel ; mais elle se vend cher, parce que son usage est réservé pour la teinture ; aussi les auteurs qui en parlent sous le nom d'heliotropium, ont eu raison de dire que le suc de son fruit donnoit un verd éclatant, qui se changeoit promtement en un fort beau bleu ; le suc des grappes de fleurs produit la même chose, mais cela n'arrive point à celui des feuilles. En effet le tournesol en pâte & en pain a pour base le fruit de cette plante.

Celui qu'on prépare à Gallargues, village du diocèse de Nîmes, à quatre ou cinq lieues de Montpellier, est en grande estime. On s'en sert en Allemagne, en Angleterre & en Hollande pour donner une agréable couleur aux confitures, gelées & autres liqueurs. Pomet & Lemery se sont trompés en avançant que le tournesol en drapeau se faisoit avec des chiffons empreints d'une teinture rouge préparée avec le suc des fruits de l'heliotropium, & un peu de liqueur acide. Mais voici en deux mots la préparation du tournesol à Gallargues.

Les paysans de ce village ramassent au commencement du mois d'Août les sommités du ricinoïdes, qu'ils appellent de la mantelle, & les font moudre dans des moulins assez semblables à nos moulins à huile : quand elles ont été bien moulues, ils les mettent dans des cabats, & mettent ces cabats à une presse, pour en exprimer le suc qu'ils exposent au soleil pendant une heure ou deux. Après cela ils y trempent des chiffons qu'on étend ensuite sur une haie, jusqu'à ce qu'ils soient bien secs ; cela fait, on prend environ dix livres de chaux vive qu'on met dans une cuve de pierre ; & l'on jette par-dessus la quantité d'urine qui peut suffire pour éteindre ladite chaux : on place des bâtons dans la même cuve, à la hauteur d'un pié de liqueur, sur lesquels on étend les chiffons qu'on avoit déjà fait sécher. Après qu'ils y ont resté quelque-tems, c'est-à-dire, jusqu'à ce qu'ils ayent été humectés par la vapeur de l'urine & de la chaux, on les tire de la cuve, on les fait sécher au soleil, & quand ils sont bien secs, on les retrempe comme auparavant dans du nouveau suc, & pour-lors on les envoie en différens pays de l'Europe.

Il y a beaucoup d'apparence que les especes de tournesol en pâte & en pain qu'on reçoit d'Hollande, se fabriquent ou avec ces mêmes chiffons qu'on leur a envoyés de Montpellier, ou se font avec d'autres drogues dont le secret nous est inconnu ; il est dumoins certain que le ricinoïdes ne croît point en Hollande, & que leur tournesol en pain est précieux.

TOURNESOL, (Chymie) on donne en général le nom de tournesol à plusieurs préparations chymiques qui donnent une teinture d'un bleu pourpre. Il sera parlé des plus connues dans la suite de cet article. Celle qu'on appelle en particulier pierre de tournesol, est la principale de ces préparations. Cette pierre de tournesol se fabrique en Hollande, selon un procédé qui est absolument ignoré en France. Nous fournissons seulement aux Hollandois les chiffons ou drapeaux qui en font la base ou matiere premiere. Ces chiffons se préparent au grand Gallargues, village du bas Languedoc du diocèse de Nîmes, où on les imbibe du suc d'une plante, qui croît naturellement dans le pays, & qu'on appelle en langue vulgaire maurelle, nom que j'adopte dans cet article. M. de Tournefort appelle cette plante ricinoïdes ex qua paratur tournesol Gallorum, inst. rei herb. app. 565. M. Linnaeus la nomme croton foliis rhombeis, repandis, caule herbaceo. Feu M. Nissolle, de la société royale des Sciences de Montpellier, a donné la description de cette plante, qu'il a accompagnée d'une figure très-exacte. Voyez les mémoires de l'académie royale des Sciences, année 1712, page 339. Pl. XVII. tout ce travail sera exposé à la fin de cet article.

M. Lemeri dit dans son traité des drogues, p. 863. qu'on prépare le tournesol en Languedoc avec le fruit de l'heliotropium tricoccum, qui est une autre plante d'un genre bien différent de la précédente. Voyez HELIOTROPE ou HERBE AUX VERRUES. On voit que M. Lemeri étoit mal instruit sur cette préparation où l'héliotrope n'entre point, & où jamais il n'a pu être employé.

M. Lemeri dit dans le même traité des drogues, que la perelle, la chaux & l'urine entrent dans la composition du tournesol. On m'a assuré que l'orseille y entroit encore.

M. Lemeri dit encore dans son traité des drogues, qu'on fabriquoit à Lyon du tournesol qui étoit inférieur à celui d'Hollande. Je crois que M. Lemeri se trompe. On m'a assuré qu'on n'a jamais fabriqué la pierre de tournesol à Lyon. Je pense que M. Lemeri a confondu avec la pierre de tournesol, la préparation de la perelle & d'un autre lichen, qui est une espece d'orseille qu'on prépare à Lyon pour la teinture.

On nous envoie le tournesol d'Amsterdam tel qu'on le voit chez les épiciers-droguistes ; savoir en petits pains secs d'une couleur bleue foncée, de forme parallélépipede d'environ un pouce de longueur. En cet état on l'appelle tournesol en pâte ou en pain.

Le tournesol étoit autrefois d'un usage plus étendu. Mais depuis que les Chymistes ont découvert le bleu de Prusse, l'indigo, le pastel, &c. & les autres bleus qui se préparent en Allemagne, & qu'on tire du cobolt, ceux-ci ont été substitués en beaucoup d'occasions au tournesol, & effectivement la couleur du tournesol est peu durable ; elle pâlit à l'air, & le moindre acide la détruit.

Le tournesol se dissout fort aisément dans l'eau froide, il donne une teinture bleue fort chargée, qui est de faux teint, & que les teinturiers n'appliquent que sur des toiles de fil ou de coton.

Les peintres s'en servent quelquefois pour colorer le papier & le crayonner. On l'emploie aussi à la détrempe & sans gomme, parce que cette couleur est fine & n'a pas de corps. On en peint quelquefois les murailles bien blanchies avec la chaux, qui ne sont pas exposées à la pluie. On n'en fait aucun usage avec l'huile, ni dans les fresques.

Les dessinateurs s'en servent pour les différens desseins qu'ils tracent sur la toile, ou sur les étoffes de soie qu'on veut faire broder ; mais l'usage le plus commun du tournesol est pour teindre le papier ; par exemple, ce gros papier d'un bleu foncé tirant sur le violet, avec lequel on enveloppe le sucre, est teint avec le tournesol.

Les chymistes se servent de la dissolution très-étendue ou délayée de tournesol dans l'eau, qu'ils appellent communément teinture de tournesol, pour reconnoître si une liqueur saline contient de l'acide ou de l'alkali, & lequel de ces deux principes y est surabondant. Si c'est l'acide, la teinture rougit ; si c'est l'alkali, elle verdit, mais ce verd tire un peu sur le pourpre ; & si elle est neutre, la couleur ne change point. Quoique cet effet soit en général assez constant, il a ses exceptions, mais en petit nombre. On se sert encore de la teinture de tournesol dans l'analyse des eaux minérales à la même intention.

Les limonadiers & les confiseurs l'emploient pour imiter ou foncer les infusions de violette, & pour donner la couleur bleue ou violette à plusieurs liqueurs : mais c'est une falsification véritablement condamnable ; car les liqueurs ou syrops où il y a du tournesol, ont toujours un mauvais goût tirant sur le pourri. On s'en sert encore, mais sans inconvénient, dans le même art pour donner une couleur bleue à certaines pâtes, conserves, & autres confitures. On peut donner une couleur violette à l'esprit-de-vin, en y versant quelques gouttes d'une forte teinture de tournesol.

On emploie encore beaucoup la pierre de tournesol dans les blancheries de toiles, en particulier pour les cambrais & les batistes que l'on passe à ce bleu, après les avoir passées au lait.

Outre ce tournesol que nous pouvons appeller le nôtre, ou le tournesol de Languedoc, LÉmeri (traité des drogues) fait encore mention d'un tournesol en drapeau, qu'il dit venir de Constantinople, & qu'il assure être fait avec de la cochenille & quelques acides. Ce qui paroît impossible, puisque les acides éclaircissent le rouge de la cochenille, & le font changer en ponceau ou orangé. Les alkalis pourroient plutôt produire cet effet, en tournant la couleur rouge en violet.

Il y a suivant le même auteur, du tournesol fait avec du coton ; c'est du coton applati de la grandeur & figure d'un écu, qu'on teint en Portugal avec la cochenille mesteque. M. LÉmeri dit que l'un & l'autre tournesol servent à colorer les liqueurs & les gelées de fruits. Mais toutes ces especes de teintures ne sont plus en usage, & on n'entend aujourd'hui par tournesol, que celui qui se fait avec le suc de la maurelle ; & c'est de celui-là que je vais parler d'après le mémoire que j'ai donné sur cette matiere, dans le volume des Mém. de l'acad. royale des Scienc. pour l'ann. 1754.

Pour l'intelligence du procédé que je vais décrire, il est nécessaire que je dise un mot de la maniere dont on ramasse la plante, & des instrumens dont on se sert pour faire cette préparation. J'ai appris de plusieurs habitans du grand Gallargues, qu'on préparoit ces drapeaux dans ce village depuis plusieurs siecles.

" Les habitans du grand Gallargues n'ont pas la liberté de cueillir la maurelle dans tous les tems de l'année. En vertu d'un ancien réglement, ils ne peuvent faire cette récolte qu'après en avoir obtenu la permission des maire & consuls du lieu. On donne ordinairement cette permission à toute la communauté vers le 25 Juillet, tems où la récolte du blé est déja faite, & où la maurelle est dans sa perfection. On ne fait dans l'année que cette seule récolte, depuis le 25 Juillet jusqu'au 5 ou 8 de Septembre. Les paysans vont alors chercher cette plante à quinze ou vingt lieues à la ronde dans le Gévaudan, & même jusqu'en Provence. Ils ont grand soin de se cacher les uns aux autres les lieux particuliers où elle croît en abondance : ils font cette récolte en diligence, la plante pour pouvoir être employée, devant être fort récente ; la fermentation nuisant toujours au succès de l'opération dont il s'agit : il faut aussi que la maurelle ne soit pas terreuse.

Les vaisseaux & instrumens dont on se sert ne sont pas tous de la même grandeur, & on croit assez inutile de les assujettir à une certaine capacité déterminée.

Les particuliers qui font l'opération que nous décrivons, placent leurs vaisseaux à un rez-de-chaussée, dans une espece de hangar ou d'écurie, où l'on voit d'abord un gros pressoir fait de bois de chêne verd, & soutenu des deux côtés sur deux murs de maçonnerie. Ce pressoir a d'ordinaire un pié d'épaisseur à chaque bras, sur huit piés & demi de longueur, & un pié & demi de hauteur : je ne puis mieux le comparer qu'à une grande presse de relieur. On pratique sous ce pressoir une cuve de pierre, qu'on appelle en langue vulgaire pile ; elle a communément la forme d'un parallélépipede, & rarement celle d'un gros cylindre ; son épaisseur ordinaire est de trois ou quatre pouces : on lui donne intérieurement un pié & demi de large, sur trois piés de long, & sur deux piés de profondeur : c'est dans cette cuve qu'on met l'urine & autres ingrédiens nécessaires. Enfin on trouve dans ce même lieu un moulin, dont la meule posée de champ, a un pié d'épaisseur ; un cheval la fait tourner : elle roule autour d'un pivot perpendiculaire, dans une orniere circulaire, assez large & assez profonde, où l'on met la maurelle qu'on veut broyer. Ce moulin est de même forme que ceux dont on se sert pour écraser les olives ou le tan. M. Astruc, de la société royale des Sciences de Montpellier, a donné la figure très-exacte de ce moulin, dans ses Mémoires pour l'histoire naturelle de la province de Languedoc. Voyez pages 336, 337. Pl. VI. fig. 1. ".

Procédé de la coloration des drapeaux ou chiffons avec lesquels les Hollandois font la pierre de tournesol. Les habitans du grand Gallargues qui ont ramassé une certaine quantité de maurelle, choisissent pour la faire broyer & en tirer le suc, un jour convenable. Ils veulent que le tems soit fort serein, l'air sec, le soleil ardent ; que le vent souffle du nord ou du nord-ouest : il n'est pas difficile d'avoir au mois d'Août, dans le bas Languedoc, des jours où toutes ces circonstances se trouvent réunies. La constitution de l'athmosphere étant telle que nous venons de le dire, on fait moudre la maurelle dans le moulin que nous avons décrit ; quand elle est bien écrasée, on la met dans un cabas de forme circulaire, fait d'une espece de jonc, & fabriqué à Lunel, parfaitement semblable à ceux dont on se sert pour mettre les olives au pressoir. On remplit le cabas de maurelle bien écrasée, on la met ensuite au pressoir & on presse fortement ; le suc découle dans la cuve de pierre, placée immédiatement sous le pressoir : dès qu'il a cessé de couler, on retire le cabas du pressoir, & on jette le marc. On commence cette opération dans la matinée, & on continue la même manoeuvre jusqu'à ce que tout le suc soit exprimé, ayant soin de changer de cabas dès qu'on s'apperçoit que celui dont on s'étoit servi jusque-là est percé. Quand on a tiré tout le suc, les uns avant que de l'employer le laissent reposer un quart d'heure ; les autres en font usage sur le champ ; quelques-uns, mais en petit nombre, mettent auparavant dans le suc une chopine ou un pot d'urine, sur environ trente pots de suc (il y a en général peu d'uniformité dans la maniere de procéder). La plûpart emploient leur suc tout de suite, comme je viens de le dire. On en sent assez la raison sans que je l'explique, & voici de quelle façon ils procedent.

Ceux qui font cette préparation achetent à Montpellier, ou dans d'autres villes voisines, de grands sacs à laine, de vieilles serpilieres, ou quelqu'autre toile écrue (je veux dire qu'on n'emploie à Gallargues que cette espece de toile, qui n'a pas été blanchie par la rosée, ni par la lessive), qui ait déja servi, & qui soit à bon compte ; si elle est sale, on la lave & on la fait sécher. Toute toile est bonne pour cette opération, pourvu qu'elle soit de chanvre ; la plus grossiere, la moins serrée dans son tissu, n'est pas à rejetter ; mais il faut qu'on l'ait bien nettoyée, car tous les corps gras & huileux sont contraires au succès de cette préparation.

On divise la toile dont on se sert en plusieurs pieces ; sur cela il n'y a aucune regle, les femmes font toute la manoeuvre de cette opération. Le suc exprimé est porté dans une espece de petite cuve de bois, que nous appellons dans ce pays semâou ou comporte. La femme a devant soi un baquet de bois, pareil à ceux dont les blanchisseuses se servent pour savonner leur linge ; elle prend une, deux ou trois pieces de toile, suivant qu'elles sont plus ou moins grandes, qu'elle met dans le baquet ; elle verse ensuite sur ces morceaux de toile, un pot du suc de maurelle qu'elle a toujours à son côté ; & tout de suite, par un procédé pareil à celui des blanchisseuses qui savonnent le linge, elle froisse bien la toile avec ses mains, afin qu'elle soit partout bien imbibée de suc. Cela fait, on ôte ces chiffons, & on en remet d'autres qui sont à portée, & toujours ainsi de suite : on ne cesse de faire cette manoeuvre que tout le suc exprimé n'ait été employé. Après cette opération, l'on va étendre ces drapeaux sur des haies exposées au soleil le plus ardent, pour les faire bien sécher : on ne les met jamais à terre, parce que l'air y pénétreroit moins facilement, & qu'il est essentiel que les chiffons sechent vîte. Je ferai observer que les femmes qui font cette manoeuvre savent bien mettre à profit tout leur suc : les drapeaux ne sortent du baquet qu'imbibés de ce suc dans une juste proportion.

Après que les drapeaux ont été bien séchés au soleil, on les ramasse & on en forme des tas. Les femmes ont soin un mois avant que de commencer cette préparation, de ramasser de l'urine dans leur cuve de pierre, qui, après qu'on y a mis tous les ingrédiens, est appellée l'aluminadou, ce qui indique qu'on y mettoit autrefois de l'alun ; quelques particuliers, en petit nombre, s'en servent encore aujourd'hui.

La quantité d'urine qu'on met dans la cuve n'est pas déterminée, on en met ordinairement une trentaine de pots, ce qui donne cinq ou six pouces d'urine dans chaque cuve. On jette ensuite dans la cuve cinq à six livres de chaux vive. Ceux qui sont dans l'usage d'employer l'alun, y en mettent alors une livre : car il faut remarquer qu'on y met toujours de la chaux, quoiqu'on emploie l'alun. On remue bien ce mêlange avec un bâton ; après cela on place à la superficie de l'urine, des sarmens ou des roseaux, assujettis à chaque extrêmité de la cuve ; on étend sur ces roseaux les drapeaux imbibés de suc & bien séchés : on en met l'un sur l'autre ordinairement sept à huit, quelquefois plus ou moins, ce qui dépend de la grandeur de la cuve ; on couvre ensuite cette même cuve d'un drap ou d'une couverture. On laisse communément les drapeaux exposés à la vapeur de l'urine pendant vingt-quatre heures ; sur cela il n'y a aucune regle certaine, la force & la quantité de l'urine doivent décider : quelques particuliers laissent leurs drapeaux exposés à la vapeur pendant plusieurs jours, les autres s'en tiennent au tems que j'ai marqué. Mais pour juger avec certitude du succès de l'opération, l'on visite de tems en tems les drapeaux ; & quand on s'apperçoit qu'ils ont pris la couleur bleue, on les ôte de dessus la cuve. Il faut se souvenir que pendant que les chiffons sont exposés à la vapeur de l'urine, il faut les retourner sens-dessus-dessous, afin qu'ils présentent à la vapeur toutes leurs surfaces. On doit prendre garde que les chiffons qui sont sur les morceaux de bois exposés à la vapeur de l'urine, ne trempent point dans cette liqueur, ce seroit autant de perdu, l'urine détruiroit entierement la partie colorante des drapeaux.

Comme il faut une grande quantité d'urine, & que d'ailleurs les cuves sont trop petites pour que l'on puisse colorer dans l'espace d'un mois & demi tous les drapeaux que demandent les marchands, les particuliers ont eu recours à une autre méthode, ils ont substitué le fumier à l'urine ; cependant la plus grande partie emploient l'urine, mais tous en font en même tems par l'une & par l'autre méthode. Les drapeaux que l'on colore par le moyen de l'urine, sont les plus aisés à préparer ; quelque tems qu'on les laisse exposés à sa vapeur, ils ne prennent jamais d'autre couleur que la bleue, & la partie colorante n'est jamais détruite par l'alkali volatil qui s'éleve de l'urine, quelque abondant qu'il soit : il n'en est pas de même quand on emploie le fumier ; cette autre méthode demande beaucoup de vigilance, comme nous l'allons voir. Dès qu'on veut exposer les drapeaux qui ont reçu la premiere préparation à la vapeur du fumier, on en étend une bonne couche à un coin de l'écurie ; sur cette couche on jette un peu de paille brisée, on met par-dessus les chiffons entassés les uns sur les autres, & tout de suite on les couvre d'un drap, comme dans l'autre méthode : on met sur le fumier à-peu-près le même nombre de drapeaux que l'on exposeroit à la vapeur de l'urine.

Si le fumier est de la premiere force, on va au bout d'une heure retourner sens-dessus-dessous les chiffons ; une heure après on va encore les visiter, & s'ils ont pris une couleur bleue, on les retire de dessus le fumier ; on les met en tas & on les expose à l'air pour les faire sécher. Je ferai remarquer que si le fumier n'est pas fort, on les y laisse plus long-tems, quelquefois douze heures, & plus même s'il est nécessaire. On sent bien que tout ceci dépend des différens degrés de force du fumier : la couleur bleue est la pierre de touche pour connoître la durée du tems dont nous parlons. On doit être attentif à visiter souvent les drapeaux ; car la vapeur du fumier, si on les y laissoit trop long-tems exposés, en détruiroit la couleur, & tout le travail seroit perdu. Le fumier qu'on emploie est celui de cheval, de mule ou de mulet. Certaines femmes exposent d'une autre maniere leurs drapeaux à la vapeur du fumier ; elles les mettent entre deux draps, & les draps entre deux couches de fumier.

Pour l'ordinaire on n'expose qu'une seule fois les chiffons à la vapeur de l'urine ou du fumier. Quelques particuliers m'ont dit que quand l'opération ne réussissoit pas par le moyen du fumier, on exposoit les drapeaux qu'on n'avoit pu colorer par cette voie, à la vapeur de l'urine ; mais ces cas sont extrêmement rares. Je ferai observer que pendant tout le tems que dure cette préparation, l'on met presque tous les jours de l'urine dans la cuve ; & à l'égard de la chaux vive, on n'en met que trois fois pendant toute la durée de l'opération : il en est de même quand on y met de l'alun. On remarquera que toutes les fois qu'on expose de nouveaux drapeaux à la vapeur de l'urine, il faut, avant de les y exposer, bien remuer l'urine avec un bâton : on change de même le fumier à chaque nouvelle opération. Après que les femmes ont achevé toutes leurs préparations, qui se font chaque année, elles jettent l'urine de leur cuve qu'elles nettoyent bien.

Nous avons dit qu'on n'exposoit qu'une seule fois les drapeaux à la vapeur de l'urine ou du fumier : cette opération étant faite, comme je viens de la décrire, on a de nouveau suc de maurelle (car il est bon de faire observer que pendant toute la durée de cette préparation, il y a des hommes en campagne pour recueillir de la maurelle) ; on imbibe une seconde fois les drapeaux de ce nouveau suc, en faisant la même manoeuvre qu'à la premiere opération, je veux dire qu'on savonne en quelque sorte les drapeaux avec ce nouveau suc, & on les fait bien sécher, comme nous avons dit. Si après cette seconde imbibition de suc les chiffons sont d'un bleu foncé tirant sur le noir, on ne leur fournit plus de nouveau suc ; alors la marchandise est dans l'état requis. Si les chiffons n'ont pas cette couleur foncée que je viens d'indiquer, on les imbibe de nouveau suc une troisieme fois, quelquefois une quatrieme, mais ces cas sont bien rares.

Les particuliers qui font cette préparation, ne commencent à imbiber leurs drapeaux de suc de maurelle que vers les dix ou onze heures du matin, comme j'en ai été témoin : la raison en est qu'alors le soleil commence à être dans sa plus grande force, & que les drapeaux étant exposés à son ardeur, sechent plus vîte. Le tems est très-favorable, comme je l'ai déja dit, quand le vent est majhistrâou ou nord-ouest, & le soleil bien ardent. On se garde bien de faire cette préparation quand le vent est sud-est, ou, comme on dit dans ce pays-ci, marin ; on risqueroit alors de perdre tout le fruit de son travail : ce vent est fort humide, & les chiffons, pour réussir, doivent secher promtement. Il est arrivé dans certaines années pluvieuses, que des particuliers ont perdu leur maurelle, recueillie avec beaucoup de peine, faute de trouver un jour favorable.

Nous avons dit que quand la toile qu'on emploie est sale, on la lave & on la fait sécher ; de même il faut prendre garde qu'elle ne soit pas imbibée de quelque corps gras ou huileux. On me raconta qu'un particulier avoit employé dans sa fabrique certaines toiles qui avoient servi sur les vaisseaux ; elles étoient un peu enduites de gaudron, cela fit une mauvaise préparation, à cause que le gaudron empêchoit le suc de faire union avec le chanvre ; aussi lui confisqua-t-on sa marchandise, comme n'étant pas de recette.

Je remarquai, étant au grand Gallargues, que dans la grande quantité de drapeaux colorés, il y en avoit quelques morceaux qui n'avoient pas pris la couleur bleue. Je ne fus pas surpris de ce phénomene, dès que j'eus vu manoeuvrer les femmes ; elles n'observent pas beaucoup de régularité en étendant leurs chiffons, tant sur la cuve que sur le fumier : la partie volatile de l'urine ou du fumier ne peut pas pénétrer par-tout également. D'ailleurs, si on a le malheur de laisser un peu trop long-tems les drapeaux à la vapeur du fumier, qui a beaucoup de force, il mange la couleur, si je puis m'exprimer ainsi ; au lieu d'être bleue, elle tire sur la couleur de chair : les femmes appellent cela en leur langue faula. Aussi la plûpart de celles qui ont leurs chiffons sur du fumier extrêmement fort, vont-elles les visiter souvent.

On m'a raconté à Gallargues & dans les lieux voisins, qu'on ne pouvoit préparer ces drapeaux de la maniere que je viens de décrire, que dans ce premier village seulement : les habitans du grand Gallargues & des environs le croient fermement ; voici les preuves qu'ils en donnent. Les filles de ce village, disent-ils, qui vont se marier ailleurs, par exemple, à Aigues-vives, autre village qui n'en est éloigné que d'une petite lieue, ne peuvent réussir à faire cette préparation, quoiqu'elles l'aient faite plusieurs fois dans leur maison. Tout ceci sent le merveilleux ; j'ai l'expérience du contraire. J'ai préparé moi-même à Montpellier dans mon laboratoire de pareils drapeaux, par le moyen de la vapeur de l'urine, & ils sont aussi beaux que ceux qu'on nous envoie de Gallargues. Il est vrai de dire, qu'au sujet des drapeaux qu'on prépare au grand Gallargues, on ne peut le faire que dans une partie de cette province & dans quelqu'autres voisines, comme la Provence & une partie du Dauphiné, où cette plante croît dans quelques cantons.

M. Nissolle dit, que la maurelle ne croît pas du côté de Lyon, ni en Auvergne : si elle croissoit en Hollande, les Hollandois ne seroient pas assez dupes pour nous acheter nos drapeaux ; ils les prépareroient chez eux, & par-là ils épargneroient beaucoup. Ce seroit au gouvernement à acheter ou à se procurer le secret des Hollandois pour faire la pierre bleue appellée tournesol ; le commerce en retireroit un grand avantage, & principalement cette province ; par ce moyen deux préparations se feroient dans le même pays. Il est impossible de faire la premiere, que dans le pays où la maurelle croît naturellement : s'il étoit nécessaire de la multiplier, on pourroit laisser mûrir la graine, & en semer des champs comme on seme le blé.

Je pense qu'un jour, il en faudra venir à ce que je propose ; cette année (1760), la maurelle a manqué, les marchands n'ont pas pû avoir la quantité des drapeaux qu'on leur demande d'Hollande ; on n'en a préparé à ce qu'on m'a assuré, que pour trois mille livres. Si le gouvernement n'y prend garde, on détruira entierement cette plante ; les paysans qui font cette recolte arrachent la plante, & alors la graine n'est pas mûre, & par-là on voit qu'elle ne peut pas se multiplier, ils assurent que ce qui a fait la rareté cette année de la maurelle, c'est la sécheresse, & qu'il n'a pas plû au commencement de l'été ; mais je crois que c'est faute de graine qu'il n'en vient point, cette plante n'étant pas vivace.

La maurelle ne peut pas être transportée fort loin, parce qu'il faut qu'elle soit verte pour être employée, & qu'on ne peut la garder trop long-tems sans qu'elle se gâte par une trop grande fermentation, comme on peut le voir dans la théorie que j'ai donnée du procédé. Voyez les mém. de l'acad. royale des Sciences, année 1754, pag. 698. & suiv.

Quand les drapeaux ou chiffons, préparés comme je viens de le dire, sont bien secs, on les emballe dans de grands sacs, on les y serre & presse bien, puis on fait un second emballage dans d'autres sacs dans de la toile avec de la paille, & on en forme des balles de trois ou quatre quintaux ; des marchands-commissionnaires de Montpellier ou des environs, les achetent pour les envoyer en Hollande, en les embarquant au port de Cette. Cette marchandise se vend 30 à 32 liv. le quintal, elle a valu certaines années jusqu'à 50 liv. On m'a assuré qu'on fabriquoit toutes les années dans ce village (qui est composé de 230 maisons, & qui a mille habitans) de ces drapeaux pour dix ou douze mille livres.

Ces drapeaux colorent le vin qui peche par la couleur, & toutes sortes de liqueurs : on m'a assuré qu'on les employoit en Hollande à cet usage, & au rapport de M. Nissolle, Simon Pauli désapprouve toutes ces pratiques. Je ne vois pas cependant que cela puisse être fort dangereux.

Les Hollandois font un grand usage des drapeaux de Gallargues pour colorer leur fromage ; ils le nomment alors fromage à croute rouge, tirant sur le violet, dont le principal commerce se fait sur les côtes de la Méditerranée, comme l'Espagne, la France & l'Italie.

Je crois avoir suffisamment détaillé toutes les parties de ce procédé chymique, qui fait le principal sujet de cet article, & je renvoie mes lecteurs pour la partie théorique, à ce que j'en ai dit dans le mémoire déja cité de l'académie royale des Sciences pour l'année 1754. Article de M. MONTET, maître Apoticaire, & membre de la société royale des Sciences de Montpellier.


TOURNETTES. f. (Outil d'ouvriers) petit instrument de bois qui sert à devider de la soie, du fil, de la laine, du coton, &c. Les tournettes sont toujours doubles, & sont composées de deux cylindres de bois léger qui ont chacun leur pivot, sur lequel elles tournent. Les pivots sont attachés sur une planche qui leur sert de pié. (D.J.)

TOURNETTE, en terme de Blondiers ; c'est une espece de lanterne, montée sur un banc à la hauteur de deux piés & demi. Devant la lanterne est planté dans le dessus du banc un bâton qui l'éleve à la même hauteur, de ce bâton en part horisontalement un autre d'un bon pié de long qui soutient la soie autour de la tournette sans qu'elle puisse tomber au pié ; & enfin un autre encore plus petit que celui-ci, qui empêche la soie de remonter quand on la dévide, & qui soutient les centaines découpées, jusqu'à ce qu'on les retire des tournettes. Voyez DECOUPER.

Il faut deux tournettes pour découper & pour dévider, l'une à un bout, & l'autre à l'autre ; souvent on dévide sur le devidoir, voyez DEVIDOIR, mais toujours on découpe aux tournettes, le devidoir étant trop petit de circonférence.

TOURNETTE, terme de Boutonnier ; c'est un ustensile dont les Boutonniers se servent pour dévider la soie ou poil de chevre sur les rochets par le moyen d'un rouet ; la tournette est composée d'une table, sur laquelle sont assujettis perpendiculairement deux broches disposées de maniere, qu'on peut les éloigner ou les approcher, selon la largeur des écheveaux que l'on veut dévider. On passe dans ces broches deux especes de lanternes qui tournent sur ces broches, comme sur leur axe. Voyez la figure, Planche du Boutonnier-passementier.

TOURNETTE, ce sont parmi les Cardeurs, deux roues de bois auxquelles l'arbre du devidoir communique le mouvement qu'il reçoit d'une manivelle que l'on tourne.

TOURNETTE, terme de Chandelier ; les Chandeliers appellent aussi des tournettes, les devidoirs sur lesquels ils devident la méche de leur chandelle pour la mettre en pelotes. (D.J.)


TOURNEURS. m. (Tabletterie) on appelle tourneur, les maîtres peigniers & tabletiers de Paris, à cause des petits ouvrages de tour, soit d'ivoire, soit de bois qu'il leur est permis de faire. (D.J.)

TOURNEUR, on appelle de ce nom ceux qui travaillent & façonnent leurs ouvrages ordinaires entre deux pointes attachées au haut des poupées. Les lapidaires ont des points ou des pointes de fer, à l'extrêmité desquels tiennent des pieces de diamant avec lesquelles ils percent les pierres précieuses. Voyez l'article TOURNEUR, Lapidaire, &c.

TOURNEUR, (Rubanier) c'est un enfant occupé à faire tourner le rouet à retordre, ou à aller & venir suivant le besoin, tantôt pour tenir les longueurs, tantôt pour tenir ou arrêter l'émerillon ; toutes ces actions sont expliquées à l'article TORDRE.


TOURNEVIRES. f. (Méch.) est un cordage médiocre que l'on devide sur l'aissieu du cabestan, & qui est garni de noeuds assez proches auxquels est saisie successivement avec des garcettes, une certaine longueur du cordage amarré à l'autre, lequel est beaucoup plus gros que la tournevire. Voyez CABESTAN. (O)


TOURNICESS. f. pl. (Charpente) ce sont des poteaux qui servent de remplissage dans les jouées des lucarnes, dans les cloisons où il y a des croix de S. André, des guettes & des décharges. Voyez Pl. du CHARPENTIER.


TOURNILLES. f. (bas au métier) petit instrument à l'usage de ceux qui font des bas au métier. Voyez cet article.


TOURNIQUETS. m. (Artifice) artifice composé de deux fusées directement opposées & attachées sur les tenons d'un tourniquet de bois, comme ceux que les anciens appelloient bâton à feu, avec cette différence que le feu se met au bout par le côté & non suivant l'axe. Cet artifice produit l'effet d'une girandole. (D.J.)

TOURNIQUET, s. m. (Charpent.) espece de moulinet à quatre bras qui tourne verticalement, à hauteur d'appui, dans une ruelle, ou à côté d'une barriere, pour empêcher les chevaux d'y passer. Il y en a de fer & de bronze dans les cours & jardins de Versailles. (D.J.)

TOURNIQUET, en terme d'Epinglier, c'est une espece de devidoir à plusieurs branches environnantes de bas en haut, sans celle qui est au centre, sur laquelle la machine pose en haut, & tourne en bas sur un noeud qui l'empêche de tomber. Le tourniquet sert à dresser le fil de laiton. Il est assez semblable à une cloche de jardinier. Il est monté sur une planche à côté de l'engin. Voyez les Pl. de l 'EPINGLIER.

TOURNIQUET, (Luth.) sorte de petit foret pointu monté sur un arbre a b qui traverse deux poupées A B, comme l'arbre du tour à lunette ; au milieu de cet arbre est une poulie E autour de laquelle la corde de l'archet c d est entortillé ; par le moyen de cet archet, on fait tourner l'arbre a b qui fait tourner la meche ou foret d, contre la pointe duquel on appuie les sautereaux garnis de leurs languettes que l'on perce tout ensemble : on met ensuite une petite épingle dans le trou du foret qui doit être très-menu pour que l'épingle le remplisse exactement ; il n'y a que le trou de la languette qui doit être plus grand, afin qu'elle puisse tourner librement, c'est pourquoi on l'accroît avec l'outil appellé voie de sautereaux. Voyez la fig. Pl. XVII. de Lutherie, fig. 10.

TOURNIQUET, dans les orgues, on appelle ainsi un morceau de bois de forme quarrée A, fig. 52. Pl. d'orgue, fixée par une cheville par un de ses angles à un des angles de couverture supérieur de tuyau, représentée par le rectangle B C D E, qui fait voir en même tems comment les quatre planches du tuyau de bois sont assemblées à rainures & languettes. Le tourniquet sert à accorder les tuyaux, où on en met en les avançant pour les faire baisser de ton, ou en le retirant pour le faire hausser, s'il se trouve trop bas. Voyez la fig. 51 qui représente un tuyau sur lequel est placé un tourniquet a.

TOURNIQUET, s. m. (terme de Menuisier) petit morceau de bois grand comme le pouce, un peu creusé par les deux bouts, attaché au bord d'un chassis, & servant à soutenir le chassis quand il est levé. (D.J.)

TOURNIQUETS, (à la Monnoie) ce sont des barrils dans lesquels, & par le moyen du mercure, on assemble toutes les parties du métal restées dans les terres.

TOURNIQUET, (terme de Serrurier) petit morceau de fer plat, dont l'un des bouts a un piton rivé où l'on met le crochet de la tringle de fer, & l'autre a un trou où entre le bout de la fiche de la colonne du lit.

TOURNIQUET, (terme de Tabletier) machine de bois ronde ou quarrée, autour de laquelle sont marquées symmétriquement divers nombres en chiffres, il y a au milieu de cette machine un piton de fer avec une aiguille de même métal, qu'on fait tourner, & qui selon l'endroit du tourniquet où elle s'arrête, fait le bon & le mauvais destin du jeu du tourniquet. (D.J.)

TOURNIQUET, instrument de l'art militaire, est une poutre garnie de pointes de fer qu'on place dans une ouverture, dans une breche ou à l'entrée du camp pour disputer le passage à l'ennemi. Voyez CHEVAL DE FRIZE. (Q)

TOURNIQUET, torcular, instrument de Chirurgie, machine avec laquelle on suspend la circulation du sang dans un membre, jusqu'à ce qu'on y ait fait les opérations qui conviennent.

Les anciens se servoient d'un lac tissu de soie ou de fil, dont ils entouroient le membre, & le serroient jusqu'à la suspension parfaite du cours du sang ; cette ligature avoit encore, selon eux, l'avantage d'engourdir le membre & de modérer les douleurs des opérations.

La douleur, la meurtrissure & la contusion que ce tourniquet occasionnoit, produisant fréquemment la gangrene, ou des abscès consécutifs, on chercha de nouveaux moyens d'éviter les hémorrhagies : on perfectionna d'abord l'application du lien circulaire, pour faire moins de douleur & de meurtrissure à la peau, on entoura le membre avec une compresse assez épaisse, sur laquelle on mettoit le lac : on posoit ensuite deux petits bâtons sous le lac, l'un en-dedans l'autre en-dehors du membre ; & on les tournoit jusqu'à ce qu'il fût suffisamment serré. C'est de cette maniere, dit M. Dionis, dans son traité d'opération, que les voituriers serrent avec un bâton, les cordes qui tiennent les ballots sur leur charrettes. Cet auteur donne l'époque de l'invention de ce tourniquet : il en fait honneur à un chirurgien de l'armée françoise, pendant le siege de Besançon en Franche-Comté. Je crois avoir lu quelque part que ce chirurgien étoit aide-major de l'armée, & qu'il se nommoit Morel. Il a paru depuis peu une dissertation dans les journaux, pour prouver que ce Morel étoit chirurgien de la ville de Besançon.

Le tourniquet a encore bien des inconvéniens ; les modernes y ont fait des corrections notables. Pour arrêter le sang dans le tronc de l'artere, il faut comprimer le moins qu'il est possible les parties voisines ; c'est pourquoi l'on met longitudinalement sur le cordon des vaisseaux, une compresse étroite & épaisse de deux pouces ; avant l'application de la compresse circulaire par dessus cette derniere compresse, & à la partie opposée au trajet des vaisseaux, on met une compresse quarrée en six ou huit doubles, recouverte d'une lame de corne ou de carton, on fait sur cet appareil deux tours, avec le cordon de soie ou de fil, que l'on noue sur la lame d'écaille ou de corne, &c. mais on le doit nouer assez lâche, pour pouvoir faire une anse des deux circulaires, sous laquelle on fera passer un petit bâton pour serrer ensemble les deux tours du lien : la compresse épaisse qui est appliquée sur les vaisseaux, les comprime alors, & empêche que le lac ne fasse des contusions aux parties latérales en les serrant trop. La plaque d'écaille un peu courbe, ou le morceau de carton, de cuir, &c. placés sur la partie opposée à celle où l'on doit faire la compression, empêchent que le garrot, ou petit bâton, ne pince la peau. Voyez l'application de ce tourniquet à la cuisse & au bras droit de la fig. 1. Pl. XXX.

M. Petit a présenté à l'académie royale des Sciences, en 1718, un tourniquet de son invention, beaucoup plus parfait que l'ancien, tout rectifié qu'il paroisse. Voyez Pl. XVIII. fig. 1. il est composé de deux pieces de bois, l'une supérieure, & l'autre inférieure : l'inférieure est longue d'environ quatre pouces & demi, large de près de deux pouces, un peu ceintrée en-dessous, légerement convexe en-dessus, & échancrée par ses extrêmités : de son milieu s'éleve une éminence ronde, haute de sept lignes, sur huit lignes & demie de diametre. La supérieure est à-peu-près semblable, mais un peu plus courte ; l'éminence qui s'éleve de son milieu, a six lignes de hauteur, & son diamêtre un pouce & demi : cette éminence est percée verticalement par un trou dont la cavité est un écrou qui sert à loger une vis de bois dont le sommet est un bouton applati des deux côtés pour le tourner. Les pas de cette vis sont au nombre de quatre ou cinq, chacun doit avoir quatre lignes de diamêtre, afin qu'elle fasse son effet par le moyen d'un demi tour : enfin toute la machine est assujettie par une cheville de fer qui traverse les deux pieces par le milieu, & la vis dans toute sa longueur, & qui est rivée sous la piece inférieure, & sur le sommet du bouton, de maniere pourtant que la vis peut tourner sur cette cheville comme sur un pivot.

Pour se servir du tourniquet, on entoure la partie avec une bande de chamois double, large de quatre travers de doigts ; c'est la compresse la plus douce dont on puisse se servir : à une des extrêmités de cette bande est attachée un double coussinet, de la longueur & de la largeur de la piece inférieure du tourniquet. Voyez Pl. XVIII. fig. 3. il faut de plus une compresse étroite, ou pelote cylindrique, pour comprimer la route des vaisseaux. Cette pelote est construite d'une bande de linge roulée assez ferme, & couverte de chamois (fig. 4.) ; sur la partie externe de cette pelote, est cousu par ses extrêmités un ruban de fil, appellé tire-botte, ce qui forme une passe pour la bande de chamois ; par ce moyen la pelote est mobile, afin qu'elle puisse se mettre au point convenable, suivant la grosseur du membre ; il faut de plus un ruban pour fixer la compresse & la pelote autour du membre ; ce ruban doit être attaché par son milieu, sur la partie externe de la bande de chamois ; la pelote cylindrique se place sur le trajet des vaisseaux ; le double coussinet doit répondre à la partie opposée, & la bande de chamois entoure le membre circulairement : tout cet appareil est retenu par le ruban qu'on noue à côté du double coussinet.

Alors on pose le tourniquet au-dessus du double coussinet, à la partie du membre opposée au cours des gros vaisseaux : on assujettit le tourniquet par un lac double (fig. 2.), qui a une boutonniere pour permettre le passage de l'écrou de la plaque supérieure : on voit à côté une anse formée par la duplicature du lac, pour recevoir un des chefs de ce lac, qui après avoir passé par cette anse, sert à former une rosette avec l'autre chef, ce qui contient le tourniquet en place.

Pour faire la compression on donne à la vis un demi-tour, ou un tour de droit à gauche : pour lors la piece supérieure s'éloignant de l'inférieure, le lac tire le cylindre & le serre contre les vaisseaux, ce qui les comprime parfaitement bien.

Ce tourniquet a l'avantage 1°. de comprimer moins les parties latérales, que le tourniquet ordinaire ; 2°. de n'avoir pas besoin d'aide pour le tenir, ni pour le serrer, ou pour le lâcher ; 3°. l'opérateur peut lui-même, par le moyen de la vis, arrêter plus ou moins le cours du sang dans l'artere ; 4°. quand on craint l'hémorrhagie après l'opération, on peut laisser ce tourniquet en place, & en cas que l'hémorrhagie survienne, le malade, au défaut d'autres personnes, peut se serrer lui-même autant qu'il est nécessaire ; 5°. on ne risque pas que le membre tombe en mortification, par la constriction de ce tourniquet, parce qu'il ne suspend point le cours du sang dans les branches collatérales.

On peut observer ici que l'étendue des deux plaques contribue autant que l'épaisseur de la pelote, à diminuer la compression du lac sur les parties latérales du membre, ce qui fait qu'on doit avoir des tourniquets de différentes grandeurs, selon le volume des membres.

M. Petit a imaginé en 1731, une autre espece de moyen, pour se rendre maître du sang, nous en avons donné la description à la fin de l'article hémorrhagie. Voyez HEMORRHAGIE.

M. Heister décrit un instrument propre à comprimer l'ouverture d'un artere, qui est une espece de tourniquet. Voyez la fig. 3. Pl. XXXI. il est composé d'une plaque de cuivre légerement cambrée, large d'un pouce & demi, & longue de trois ; à une des extrêmités de cette lame, il y a deux rangs de petits trous, pour y pouvoir coudre une courroie ; à l'autre extrêmité il y a deux petits crochets ; le milieu de cette lame est percé en écrou, au-travers duquel passe une vis assez forte ; la partie supérieure de cette vis est applatie, & forme une piece de pouce, & la partie inférieure porte une petite plaque ronde, qui a environ un pouce de diamêtre ; la courroie qui est cousue par un de ses bouts à une des extrêmités de la grande lame, est percée à l'autre bout de plusieurs trous en deux rangs, pour que cette machine puisse servir à différentes parties ; ces trous servent à accrocher la courroie aux deux crochets qui sont à l'autre extrêmité de la grande lame.

Pour se servir de cet instrument pour arrêter une hémorrhagie par la compression, il faut mettre des tampons de charpie sur le vaisseau ouvert ; les couvrir de quelques compresses graduées, & appliquer sur la derniere de ces compresses la petite plaque orbiculaire : alors on entourera fortement le membre avec la courroie, que l'on accrochera par son extrêmité libre aux crochets, & en tournant la vis, on comprimera l'appareil, & on se rendra maître du sang.

Il faut observer (ce dont M. Heister n'a fait aucune mention), que l'extrêmité de la vis doit être rivée de façon que la plaque orbiculaire ne tourne point avec elle ; ce seroit un inconvénient pour la compression, car en tournant la vis, on pourroit déranger les compresses ; elles se plisseroient au moins, ce qui en rendant la compression inégale & douloureuse, peut former des sinus dans l'appareil, par lesquels le sang pourroit s'échapper : on évitera tout cela, si la vis est de façon qu'elle tourne sur la plaque orbiculaire.

Il faut pour cet effet que la vis soit percée dans toute sa longueur, & traversée par une cheville dont la plaque orbiculaire soit la base, & sur laquelle cheville la vis tournera sans fin. (Y)


TOURNOIRS. m. terme de Potier d'étain ; c'est un bâton rond de trois ou quatre piés de long, avec lequel l'ouvrier qui travaille des ouvrages de poterie à la grande roue, donne les mouvemens à cette machine, ce qu'il fait en l'appuyant successivement sur chacune des quatre raies de la roue, le quittant & le reprenant autant de fois qu'il le croit nécessaire pour hâter ce mouvement. (D.J.)


TOURNOISS. m. pl. (Hist. de la Cheval.) exercice de guerre & de galanterie que faisoient les anciens chevaliers pour montrer leur adresse & leur bravoure. C'est l'usage des tournois qui unissant ensemble les droits de la valeur & de l'amour, vint à donner une grande importance à la galanterie, ce perpétuel mensonge de l'amour.

On appelloit tournoi, dans le tems que régnoit l'ancienne chevalerie, toutes sortes de courses & combats militaires, qui se faisoient conformément à certaines regles, entre plusieurs chevaliers & leurs écuyers par divertissement & par galanterie. On nommoit joutes, des combats singuliers qui se faisoient dans les tournois d'homme à homme avec la lance ou la dague ; ces joutes étoient ordinairement une partie des tournois. Voyez JOUTE.

Il est difficile de fixer l'époque de l'institution des tournois, dont les Allemands, les Anglois & les François se disputent la gloire, en faisant remonter l'origine de ces jeux au milieu du jx. siecle.

L'historien Nithard parle ainsi des jeux militaires, dont les deux freres Louis le Germanique & Charles le Chauve se donnerent plusieurs fois le spectacle vers l'année 842, après avoir juré cette alliance qui est devenue si célebre par la formule de leur serment. Ludos etiam hoc ordine saepe causâ exercitii frequentabant.... Subsistente hinc indè omni multitudine, primum pari numero Saxonorum, Vasconorum, Austrasiorum, Britannorum, ex utraque parte veluti invicem adversari sibi vellent, alter in alterum veloci cursu ruebat... & plus bas, eratque res digna... spectaculo.

Il paroît assez clairement par la suite du texte de Nithard, que l'Allemagne fut le théatre de ces jeux qui avoient quelque ressemblance aux tournois qui succéderent. La plûpart des auteurs allemands prétendent que l'empereur Henri I. surnommé l'oiseleur, qui mourut en 936, fut l'instituteur des tournois ; mais quelques-uns avec plus de fondement en font l'honneur à un autre Henri, qui est postérieur d'un siecle au premier. En ce cas les Allemands auroient peu d'avantage sur les François, chez qui l'on voit les tournois établis vers le milieu du xj. siecle, par Geoffroi, seigneur de Preuilli en Anjou. Anno 1066, dit la chronique de Tours, Gaufridus de Pruliaco, qui torneamenta invenit, apud Andegavum occiditur.

Il y a même un historien étranger, qui parlant des tournois, les appelle des combats françois, conflictus gallici, soit parce qu'il croyoit qu'ils étoient nés en France, soit parce que de son tems les François y brilloient le plus. Henricus rex Anglorum junior, dit Matthieu Paris, sous l'an 1179, mare transiens in conflictibus gallicis, & profusioribus expensis, triennium peregit, regiâque majestate depositâ, totus est de rege translatus in militem. Selon les auteurs de l'histoire bysantine, les peuples d'orient ont appris des François l'art & la pratique des tournois ; & en effet notre nation s'y est toujours distinguée jusqu'au tems de Brantome.

La veille des tournois étoit annoncée dès le jour qui la précédoit, par les proclamations des officiers d'armes. Des chevaliers qui devoient combattre, venoient aussi visiter la place destinée pour les joutes. " Si venoient devant eux un hérault qui crioit tout en hault, seigneurs chevaliers, demain aurez la veille du tournoy, où prouesse sera vendue, & achetée au fer & à l'acier ".

On solemnisoit cette veille des tournois par des especes de joutes appellées, tantôt essais ou éprouves, épreuves, tantôt les vêpres du tournoi, & quelquefois escrémie, c'est-à-dire escrimes, où les écuyers s'essayoient les uns contre les autres avec des armes plus légeres à porter, & plus aisées à manier que celles des chevaliers, plus faciles à rompre, & moins dangereuses pour ceux qu'elles blessoient. C'étoit le prélude du spectacle nommé le grand tournoi, le maître tournoi, la maître éprouve, que les plus braves & les plus adroits chevaliers, devoient donner le lendemain.

Les dames s'abstinrent dans les premiers tems d'assister aux grands tournois ; mais enfin l'horreur de voir répandre le sang céda dans le coeur de ce sexe né sensible, à l'inclination encore plus puissante qui le porte vers tout ce qui appartient aux sentimens de la gloire, ou qui peut causer de l'émotion. Les dames donc accoururent bientôt en foule aux tournois, & cette époque dut être celle de la plus grande célébrité de ces exercices.

Il est aisé d'imaginer quel mouvement devoit produire dans les esprits la proclamation de ces tournois solemnels, annoncés long-tems d'avance, & toujours dans les termes les plus fastueux ; ils animoient dans chaque province & dans chaque cour tous les chevaliers & les écuyers à faire d'autres tournois, ou par toutes sortes d'exercices, ils se disposoient à paroître sur un plus grand théatre.

Tandis qu'on préparoit les lieux destinés aux tournois, on étaloit le long des cloîtres de quelques monasteres voisins, les écus armoriés de ceux qui prétendoient entrer dans les lices, & ils y restoient plusieurs jours exposés à la curiosité & à l'examen des seigneurs, des dames & demoiselles. Un héraut ou poursuivant d'armes, nommoit aux dames ceux à qui ils appartenoient ; & si parmi les prétendans, il s'en trouvoit quelqu'un dont une dame eût sujet de se plaindre, soit parce qu'il avoit mal parlé d'elle, soit pour quelqu'autre offense, elle touchoit l'écu de ses armes pour le recommander aux juges du tournoi, c'est-à-dire pour leur en demander justice.

Ceux-ci, après avoir fait les informations nécessaires, devoient prononcer ; & si le crime avoit été prouvé juridiquement, la punition suivoit de près. Le chevalier se présentoit-il au tournoi, malgré les ordonnances qui l'en excluoient, une grele de coups que tous les autres chevaliers faisoient tomber sur lui, le punissoit de sa témérité, & lui apprenoit à respecter l'honneur des dames & les loix de la chevalerie. La merci des dames qu'il devoit réclamer à haute voix, étoit seule capable de mettre des bornes au châtiment du coupable.

Je ne ferai point la description des lices pour le tournoi, ni des tentes & des pavillons dont la campagne étoit couverte aux environs, ni des hours, c'est-à-dire des échafauds dressés autour de la carriere où tant de nobles personnages devoient se signaler. Je ne distinguerai point les différentes especes de combats qui s'y donnoient, joutes, castilles, pas d'armes & combats à la foule ; il me suffit de faire remarquer que ces échafauds souvent construits en forme de tours, étoient partagés en loges & en gradins, décorés de riches tapis, de pavillons, de bannieres, de banderoles & d'écussons. Aussi les destinoit-on à placer les rois, les reines, les princes & princesses, & tout ce qui composoit leur cour, les dames & les demoiselles, enfin les anciens chevaliers qu'une longue expérience au maniment des armes avoit rendu les juges les plus compétens. Ces vieillards, à qui leur grand âge ne permettoit plus de s'y distinguer encore, touchés d'une tendresse pleine d'estime pour cette jeunesse valeureuse, qui leur rappelloit le souvenir de leurs propres exploits, voyoient avec plaisir leur ancienne valeur renaître dans ces essaims de jeunes guerriers.

La richesse des étoffes & des pierreries relevoit encore l'éclat du spectacle. Des juges nommés exprès, des maréchaux du camp, des conseillers ou assistans, avoient en divers lieux des places marquées pour maintenir dans le champ de bataille les loix des tournois, & pour donner leur avis à ceux qui pourroient en avoir besoin. Une multitude de héraults & poursuivans d'armes, répandus de toutes parts, avoient les yeux fixés sur les combattans, pour faire un rapport fidele des coups qui seroient portés & reçus. Une foule de menestriers avec toute sorte d'instrumens d'une musique guerriere, étoient prêts à célébrer les prouesses qui devoient éclater dans cette journée. Des sergens actifs avoient ordre de se porter de tous les côtés où le service des lices les appelleroit, soit pour donner des armes aux combattans, soit pour contenir la populace dans le silence & le respect.

Le bruit des fanfares annonçoit l'arrivée des chevaliers superbement armés & équipés, suivis de leurs écuyers tous à cheval. Des dames & des demoiselles amenoient quelquefois sur les rangs ces fiers esclaves attachés avec des chaînes qu'elles leur ôtoient seulement, lorsqu'entrés dans l'enceinte des lices, ils étoient prêts à s'élancer. Le titre d'esclave ou de serviteur de la dame que chacun nommoit hautement en entrant au tournoi, étoit un titre d'honneur qui devoit être acheté par des exploits ; il étoit regardé par celui qui le portoit, comme un gage de la victoire, comme un engagement à ne rien faire qui ne fût digne de lui. Servans d'amour, leur dit un de nos poëtes dans une ballade qu'il composa pour le tournoi fait à Saint-Denis sous Charles VI. au commencement de Mai 1389.

Servans d'amour, regardez doucement

Aux échafauds, anges de paradis,

Lors jouterez fort, & joyeusement,

Et vous serez honorés & chéris.

A ce titre, les dames daignoient joindre ordinairement ce qu'on appelloit faveur, joyau, noblesse, nobloy, ou enseigne ; c'étoit une écharpe, un voile, une coëffe, une manche, une mantille, un brasselet, un noeud, en un mot quelque piece détachée de leur habillement ou de leur parure ; quelquefois un ouvrage tissu de leurs mains, dont le chevalier favorisé ornoit le haut de son heaume ou de sa lance, son écu, sa cotte d'armes, ou quelqu'autre partie de son armure.

Souvent dans la chaleur de l'action, le sort des armes faisoit passer ces gages précieux au pouvoir d'un ennemi vainqueur, ou divers accidens en occasionnoient la perte. En ce cas la dame en renvoyoit d'autres à son chevalier pour le consoler, & pour relever son courage : ainsi elle l'animoit à se vanger, & à conquérir à son tour les faveurs dont ses adversaires étoient parés, & dont il devoit ensuite lui faire une offrande.

Ce n'étoit pas les seules offrandes que les chevaliers vainqueurs faisoient aux dames ; ils leur présentoient aussi quelquefois les champions qu'ils avoient renversés, & les chevaux dont ils leur avoient fait vuider les arçons.

Lorsque toutes ces marques, sans lesquelles on ne pouvoit démêler ceux qui se signaloient, avoient été rompues & déchirées, ce qui arrivoit souvent par les coups qu'ils se portoient en se heurtant les uns les autres, & s'arrachant à-l'envi leurs armes ; les nouvelles faveurs qu'on leur donnoit sur le champ, servoient d'enseignes aux dames, pour reconnoître celui qu'elles ne devoient point perdre de vue, & dont la gloire devoit réjaillir sur elles. Quelques-unes de ces circonstances ne sont prises à-la-vérité que des récits de nos romanciers ; mais l'accord de ces auteurs avec les relations historiques des tournois justifie la sincérité de leurs dépositions.

Enfin on ne peut pas douter que les dames attentives à ces tournois ne prissent un intérêt sensible aux succès de leurs champions. L'attention des autres spectateurs n'étoit guere moins capable d'encourager les combattans : tout avantage remarquable que remportoit quelqu'un des tournoyans, étoit célébré par les sons des ménétriers, & par les voix des hérauts. Dans la victoire on crioit, honneur au fils des preux ; car, dit Monstrelet, nul chevalier ne peut être jugé preux lui-même, si ce n'est après le trépassement. D'autrefois on crioit, louange & prix aux chevaliers qui soutiennent les griefs, faits & armes, par qui valeur, hardement & prouesse est guaigné en sang mêlé de sueur.

A-proportion des criées & huées qu'avoient excitées les hérauts & les ménétriers, ils étoient payés par les champions. Leurs présens étoient reçus avec d'autres cris ; les mots de largesse ou noblesse, c'est-à-dire libéralité, se répétoient à chaque distribution nouvelle. Une des vertus les plus recommandées aux chevaliers, étoit la générosité ; c'est aussi la vertu que les jongleurs, les poëtes & les romanciers ont le plus exaltée dans leurs chansons & dans leurs écrits : elle se signaloit encore par la richesse des armes & des habillemens. Les débris qui tomboient dans la carriere, les éclats des armes, les paillettes d'or & d'argent dont étoit jonché le champ de bataille, tout se partageoit entre les hérauts & les ménétriers. On vit une noble imitation de cette antique magnificence chevaleresque à la cour de Louis XIII. lorsque le duc de Buckingham, allant à l'audience de la reine, parut avec un habit chargé de perles, que l'on avoit exprès mal attachées ; il s'étoit ménagé par ce moyen un prétexte honnête de les faire accepter à ceux qui les ramassoient pour les lui remettre.

Les principaux réglemens des tournois, appellés écoles de prouesse dans le roman de Perceforest, consistoient à ne point frapper de la pointe, mais du tranchant de l'épée, ni combattre hors de son rang ; à ne point blesser le cheval de son adversaire ; à ne porter des coups de lance qu'au visage, & entre les quatre membres ; c'est-à-dire au plastron ; à ne plus frapper un chevalier dès qu'il avoit ôté la visiere de son casque, ou qu'il s'étoit déheaumé, à ne point se réunir plusieurs contre un seul dans certains combats, comme dans celui qui étoit proprement appellé joute.

Le juge de paix choisi par les dames, avec un appareil curieux, étoit toujours prêt d'interposer son ministere pacifique, lorsqu'un chevalier ayant violé par inadvertance les loix du combat, avoit attiré contre lui seul les armes de plusieurs combattans. Le champion des dames, armé d'une longue pique, ou d'une lame surmontée d'une coëffe, n'avoit pas plutôt abaissé sur le heaume de ce chevalier le signe de la clémence & de la sauve-garde des dames, que l'on ne pouvoit plus toucher au coupable. Il étoit absous de sa faute lorsqu'on la croyoit en quelque façon involontaire ; mais si l'on s'appercevoit qu'il eût eu dessein de la commettre, on devoit la lui faire expier par une rigoureuse punition.

Celles qui avoient été l'ame de ces combats, y étoient célébrées d'une façon particuliere. Les chevaliers ne terminoient aucun exercice sans faire à leur honneur une derniere joute, qu'ils nommoient le coup des dames ; & cet hommage se répétoit en combattant pour elles à l'épée, à la hache d'armes & à la dague. C'étoit de toutes les joutes celles où l'on se piquoit de faire des plus nobles efforts.

Le tournoi fini, on s'occupoit du soin de distribuer le prix que l'on avoit proposé, suivant les divers genres de force ou d'adresse par lesquels on s'étoit distingué ; soit pour avoir brisé le plus grand nombre de lances ; soit pour avoir fait le plus beau coup d'épée ; soit pour être resté plus long-tems à cheval sans être démonté, ni désarçonné ; soit enfin pour avoir tenu plus long tems de pié ferme dans la foule du tournoi, sans se déheaumer, ou sans lever la visiere pour reprendre haleine.

Les officiers d'armes faisoient leur rapport du combat devant les juges, qui prononçoient le nom du vainqueur. Souvent on demandoit l'avis des dames, qui adjugeoient le prix comme souveraines du tournoi ; & quand il arrivoit qu'il n'étoit point adjugé au chevalier qu'elles en avoient estimé le plus digne, elles lui accordoient elles-mêmes un second prix. Enfin lorsque le prix avoit été décerné, les officiers d'armes alloient prendre parmi les dames ou les demoiselles celles qui devoient présenter ce prix au vainqueur. Le baiser qu'il avoit droit de leur donner en recevant le gage de sa gloire, lui paroissoit le plus haut point de son triomphe.

Ce prix que les dames lui portoient étoit adjugé tantôt sur les lices, & tantôt dans le palais au milieu des divertissemens qui venoient à la suite du tournoi, comme on le vit dans les fêtes du duc de Bourgogne à Lille en 1453. " Tandis qu'on dansoit, dit Olivier de la Marche, mém. liv. I. pag. 437. les roys d'armes & héraux, aveques les nobles hommes qui furent ordonnés pour l'enqueste, allerent aux dames & aux demoiselles, savoir à qui l'on devoit présenter le prix, pour avoir le mieux jousté & rompu bois pour ce jour, & fut trouvé que M. de Charolois l'avoit gagné, & desservy. Si prirent les officiers d'armes deux damoyselles, princesses (mademoiselle de Bourbon & mademoiselle d'Estampes), pour le prix présenter, & elles le baillerent à mon dict seigneur de Charolois, lequel les baisa, comme il avoit accoutumé, & qu'il étoit de coutume, & fut crié mont joye, moult hautement ".

Non-seulement le vainqueur recevoit le baiser, gage de son triomphe, mais il étoit désarmé par les mêmes dames qui lui présentoient des habits, & le menoient à la salle où il étoit reçu par le prince, qui le faisoit asseoir au festin dans la place la plus honorable. Son nom étoit inscrit dans les registres des officiers d'armes, & ses actions faisoient souvent la matiere des chansons & des lays que chantoient les dames & les demoiselles au son des instrumens des ménétriers.

Voilà le beau des tournois, il n'est pas difficile d'en voir le ridicule & les abus. Comme il n'y avoit qu'un pas des dévots chevaliers à l'irreligion, ils n'eurent aussi qu'un pas à faire de leur fanatisme en amour, aux plus grands excès de libertinage ; les tournois, presque toujours défendus par l'Eglise à cause du sang que l'on y répandoit, & souvent interdits par nos rois, à cause des dépenses énormes qui s'y faisoient ; les tournois, dis-je, ruinerent une grande partie des nobles, qu'avoient épargnés les croisades & les autres guerres.

Il est vrai néanmoins que si nos rois réprimerent souvent par leurs ordonnances la fureur des tournois, ils les ranimerent encore plus souvent par leur exemple ; de-là vient qu'il est fait mention dans nos anciens fabliaux, d'une de ces défenses passageres, qui fut suivie de la publication d'un tournoi fait à la Haye en Touraine. Ainsi ne soyons pas surpris que ces sortes de combats fussent toujours en honneur, malgré les canons des conciles, les excommunications des papes, les remontrances des gens d'église, & le sang qui s'y répandoit. Il en coûta la vie en 1240 à soixante chevaliers & écuyers, dans un seul tournoi fait à Nuys, près de Cologne. Charles VI. les soutint, & sa passion pour cet exercice lui attira souvent des reproches très-sérieux ; car contre l'usage ordinaire des rois, il s'y mesuroit avec les plus adroits jouteurs, compromettoit ainsi sa dignité, & exposoit témérairement sa vie en se mêlant avec eux.

Enfin, le funeste accident d'Henri II. tué dans un tournoi en 1559, sous les yeux de toute une nation, modéra dans le coeur des François, l'ardeur qu'ils avoient témoignée jusque-là pour ces sortes d'exercices ; cependant la vie désoeuvrée des grands, l'habitude & la passion, renouvellerent ces jeux funestes à Orléans, un an après la fin tragique d'Henri II. Henri de Bourbon-Montpensier, prince du sang, en fut encore la victime ; une chûte de cheval le fit périr. Les tournois cesserent alors absolument en France ; ainsi leur abolition est de l'année 1560. Avec eux périt l'ancien esprit de chevalerie qui ne parut plus guere que dans les romans. Les jeux qu'on continua depuis d'appeller tournois, ne furent que des carrousels, & ces mêmes carrousels ont entierement passé de mode dans toutes les cours de l'Europe.

Les lettres reprenant le dessus sur tous ces amusemens frivoles, ont porté dans le coeur des hommes le goût plein de charmes de la culture des arts & des sciences. " Notre siecle plus éclairé (dit un auteur roi, moins célebre encore par la gloire de ses armes que par son vaste génie), notre siecle plus éclairé n'accorde son estime & son goût qu'aux talens de l'esprit, & à ces vertus qui relevent l'homme audessus de sa condition, le rendent bienfaisant, généreux & secourable ".

De plus curieux que je ne suis pourront consulter sur les tournois Ducange au mot torneamentum, & sa Dissertation à la suite de Joinville ; le pere Menestrier, divers traités sur la chevalerie ; le pere Honoré de Ste. Marie, Dissertation historique sur la chevalerie ancienne & moderne ; Lacolombiere, Théatre d'honneur & de chevalerie, où il donne, tome I. pag. 519. la liste de plusieurs relations de tournois faits depuis l'an 1500 ; les Mémoires de littérature.

Mais le charmant ouvrage sur l'ancienne chevalerie, considérée comme un établissement politique & militaire par M. de la Curne de Sainte-Palaye, & dont j'ai tiré ce court mémoire, doit tenir lieu de tous ces livres. (D.J.)

TOURNOIS, (Monnoie de France) ancienne monnoie de France : il y avoit des petits tournois d'argent & des petits tournois de billon ; on nommoit autrement les petits tournois d'argent tournois blancs ou mailles blanches, & les tournois de billon, des tournois noirs. Dans une ordonnance de Philippe-le-Long, il est fait mention des turones albi & des turones nigri.

Tout le monde convient, dit M. Leblanc, que saint Louis fit faire le gros tournois d'argent. Il n'est rien de si célebre que cette monnoie dans les titres & dans les auteurs anciens ; tantôt elle est nommée argenteus turonensis, souvent grossus turonensis, & quelquefois denarius grossus. Le nom de gros fut donné à cette espece, parce que c'étoit la plus grosse monnoie d'argent qu'il y eût alors en France, & on l'appella tournois, à cause qu'elle étoit fabriquée à Tours, comme le marque la legende, turonus civis, pour turonus civitas ; cette monnoie pesoit 3 deniers 7 grains, 26/58 trébuchans ; il y en avoit par conséquent 58 dans un marc. Cela se justifie par un fragment d'ordonnance que saint Louis fit l'an 1266, pour regler la maniere dont on devoit peser la monnoie, avant que de la délivrer au public ; enfin Philippe-le-Hardi fit faire des tournois de la même valeur que ceux de saint Louis.

Au-reste, il est certain que le parisis qui avoit cours dans le même tems, étoit plus fort d'un quart que le tournois qui a été aboli sous le regne de Louis XIV. & on ne connoit plus que le parisis qui est en usage dans le palais, où l'on ajoute le parisis, à l'estimation que l'huissier fait des effets mobiliers, en procédant à l'inventaire d'un décédé ; & quand l'estimation est faite par un expert, on n'y ajoute point de parisis. La livre tournois désigne une monnoie de compte valant vingt sols. Voyez LIVRE TOURNOIS. (D.J.)


TOURNON(Géog. mod.) en latin Tauredunum, par Grégoire de Tours, petite ville de France, dans le haut Vivarais, au penchant d'une montagne, sur la rive droite du Rhône, vis-à-vis de Thain, à trois lieues de Valence, & à quatre d'Annonay ; les jésuites y avoient un college : la terre de Tournon est dans la maison de Rohan-Soubise. Long. 22. 24. lat. 45. 7.

Daviti (Pierre) né à Tournon en 1592, mort à Paris en 1655, est auteur d'une grande Description du monde, en 6 vol. in-fol. c'est un ouvrage où l'on trouve çà & là des choses amusantes. (D.J.)


TOURNUS(Géog. mod.) petite ville de France, en Bourgogne, sur la droite de la Saône, entre Mâcon & Châlons, à 82 lieues de Paris, dans une situation agréable & fertile.

Tournus a toujours été du diocèse de Châlons, & dépendoit autrefois du comté de la même ville ; aujourd'hui elle est du comté de Mâcon, où ses causes ressortissent. Elle est divisée en deux paroisses ; mais ce qui la distingue est son abbaye d'hommes de l'ordre de saint Benoît, qui a été érigée en collégiale, & qui a un abbé titulaire. La justice, soit dans la ville de Tournus, soit dans ses dépendances, appartient à cet abbé ; il a seul le droit d'en nommer tous les officiers, qui prennent de lui leurs provisions ; il a aussi seul le droit de créer des notaires & des procureurs postulans ; aussi plusieurs auteurs ont écrit à l'envi l'histoire de l'abbaye de Tournus, savoir Falcon, moine de cette abbaye dans le xj. siecle ; Pierre de Saint-Julien, surnommé de Baleurre ; le P. Chifflet, jésuite, & Pierre Juenin. Long. 34. 46. lat. 46. 34.

La ville de Tournus est d'une origine inconnue ; il n'en est parlé que dans le troisieme siecle, sous le nom de castrum Timertium ou Trenorcium ; elle devint ville de la Gaule celtique dans le pays des Eduens, qui avoient Autun pour leur capitale ; ainsi elle étoit comprise dans l'ancienne province Lyonnoise. Pierre Juenin a mis au jour à Dijon, en 1733, en 2 vol. in-4 °. l'histoire de cette ville.

Maignon (Jean), poëte françois, étoit de Tournus : il fit ses études chez les jésuites de Lyon, & fut quelque tems avocat au présidial de cette ville : il vint ensuite à Paris & s'y établit. Il y mourut assassiné, dit-on, sur le Pont-neuf en 1661, étant encore assez jeune. Il a composé beaucoup de mauvaises tragédies, entr'autres Artaxerce, qui fut représentée par l'illustre théatre ; c'étoit le nom que prenoit une société de jeunes gens, du nombre desquels étoient Moliere & Maignon, & qui s'exerçant à la déclamation, représentoient des pieces, tantôt dans le fauxbourg saint Germain, & tantôt dans le quartier S. Paul. Artaxerce fut imprimé à Paris en 1645. Les autres pieces de Maignon sont ; les Amants discrets, 1645 ; le grand Tamerlan & Bajazet, 1648 ; le Mariage d'Orondate & de Statira, 1648 ; Zénobie, reine de Palmire, 1660 ; son Encyclopédie parut à Paris in-4 °. sous le titre de la science universelle, 1663. l'auteur mourut pendant qu'on l'imprimoit. Lorsqu'il travailloit à cet ouvrage, quelqu'un lui demandant s'il seroit bien-tôt achevé : bien-tôt, dit-il, je n'ai plus que quelques mille vers. Le singulier, c'est de faire une Encyclopédie en vers ; on n'a peut-être jamais rien imaginé de si ridicule. Despréaux n'a pas eu tort de mettre Maignon au rang des froids écrivains.

On ne lit guere plus Rampale & Mesnardiere

Que Maignon, du Souhait, Corbin, & la Morliere.

Scarron a dépeint admirablement le poëte Maignon dans certaine epître chagrine, où il lui fait dire qu'il a aussi dessein de mettre en vers les conciles. (D.J.)


TOUROBIou plutôt TUROBIN, (Géog. mod.) petite ville de Pologne, dans le palatinat de Russie, à trois lieues de Chebrechin, & de la dépendance de Zamoski, principauté du palatinat de Belz. (D.J.)


TOURONS. m. terme de Cordier, ce sont plusieurs fils de caret tournés ensemble, qui font partie d'une corde. (D.J.)

TOURONS, en Confiserie, ce sont des ouvrages travaillés avec des amandes, des avelines, de l'écorce de citron verd coupée par tranches & desséchées à la poële, ou dans l'étuve avec du sucre en poudre, & des blancs d'oeufs bien fouettés.


TOURS(Géog. mod.) ville de France, capitale de la Touraine, dans une agréable & fertile plaine, entre la Loire & le Cher. Elle a cinq fauxbourgs, contient environ vingt-mille habitans, & est assez bien bâtie. Il y a présidial, bailliage, élection, hôtel des monnoies très-ancien, intendance & archevêché, Long. suivant Cassini, 18. 12'. 30''. latit. 47. 23'. 40 ''.

Quelques auteurs prétendent que Tours est le Caesarodunum de Ptolémée & de la table théodosienne ou de Peutinger ; mais cette opinion est peu vraisemblable, parce que tous les noms qui se terminent en dunum, indiquent des lieux situés sur une hauteur, & que Tours est située dans une plaine.

Quoi qu'il en soit, lorsque l'empire romain fut détruit en Occident, les Visigoths s'étant rendus les maîtres de toute la partie des Gaules qui est au midi de la Loire, la ville de Tours vint à leur pouvoir sous le regne d'Euric ; Tours étoit encore sous leur domination l'an 506, lorsque Verus, évêque de Tours, comparut par procureur au concile d'Agde, composé des évêques & des députés des églises sujettes aux rois des Goths ; mais l'année suivante 507, Clovis ayant vaincu & tué Alaric près de Poitiers, il se rendit maître de tout ce qui est entre la Loire & les Pyrenées, & il assujettit aisément la ville de Tours, où il alla en dévotion au tombeau de S. Martin, qu'on regardoit comme le saint tutélaire des Gaules.

Après la mort de Clovis, les villes de Neustrie & d'Aquitaine ayant été partagées entre ses quatre fils, Tours échut à Thierri, roi d'Austrasie ; & on voit par Grégoire de Tours, que les rois qui regnerent à Metz dans la France orientale, posséderent toujours cette ville jusqu'au tems de Clotaire II. qui réunit la monarchie françoise. Depuis ce tems-là, Tours fut sujette aux rois de Neustrie, tant sous la race des Mérovingiens, que sous celle des Carlovingiens. Ceux de cette seconde race perdirent leur pouvoir & leur autorité sous Charles le simple, qui fut dégradé de la dignité royale & confiné dans une prison perpétuelle.

Ce fut dans ce tems que Thibaud surnommé le tricheur, comte de Blois & de Chartres, qui s'étoit rendu absolu dans ces pays-là, au mépris de l'autorité royale, s'empara de la ville de Tours que ses successeurs posséderent long-tems. L'an 1037 Geoffroi Martel vainquit en bataille le comte de Blois, qui fut contraint de donner Tours pour sa rançon. Geoffroi Martel laissa en mourant tous ses états à ses neveux nommés Plantegenets, à cause de Geoffroi d'Anjou qui avoit porté ce nom, & dont le petit-fils Jean sans-terre, roi d'Angleterre, fut privé par Philippe Auguste des états qu'il avoit deçà la mer. Enfin Henri III. fils de Jean, céda, entr'autres pays, Tours & la Touraine à S. Louis par le traité de l'an 1259.

Le séjour que le parlement de Paris fit à Tours, la situation de cette ville dans un pays fertile, & la commodité de la riviere de Loire donnerent lieu au dessein d'y établir une université, qui fut créée par lettres patentes d'Henri IV. données au mois de Janvier de l'an 1594 ; mais comme le parlement fut rétabli à Paris un mois après, cela fut cause que ces lettres n'ont point eu d'exécution.

Nos rois ont convoqué plusieurs fois les états à Tours. Louis XI. les y assembla l'an 1470, Charles VIII. en 1484, & Louis XII. en 1506, pour le mariage de madame Claude de France sa fille, avec François de Valois, duc d'Angoulême.

S. Gatien fut le premier évêque de Tours, & mourut vers la fin du iij. siecle. S. Martin eut cet évêché l'an 371, & décéda l'an 397 ; on le regardoit de son tems comme le maître des évêques. Aujourd'hui l'archevêque de Tours a pour suffragans les évêques du Mans, d'Angers & les neuf de Bretagne, conformément à la décision du pape Innocent III. Le revenu de cet archevêque est d'environ quarante-cinq mille liv. Son diocèse est composé de 300 paroisses, de 12 chapitres, de 17 abbayes, &c. Le chapitre de la cathédrale de Tours est un des plus illustres du royaume. Celui de S. Martin est aussi nombreux que riche. Son abbé est le roi même, comme successeur de Hugues Capet.

Mais ceux qui aiment les historiens d'église de provinces, peuvent lire l'histoire latine de l'église de Tours par Jean Maau ; elle est imprimée à Paris en 1667 in-fol. & s'étend depuis l'an de J. C. 251, jusqu'à l'année 1655. Au reste cette ville est la patrie de S. Odon, d'un illustre prélat de l'église gallicane & de quelques hommes de lettres. S. Odon naquit en 879 ; après avoir été élevé par Foulques, comte d'Anjou, il fut nommé chanoine de S. Martin de Tours en 898, & second abbé de Clugny en 927. Il mourut en 942, & laissa plusieurs ouvrages qui ont été imprimés avec sa vie dans la bibliotheque de Clugny.

L'illustre prélat de l'église gallicane dont je veux parler, est Renaud de Beaune, archevêque de Bourges, né en 1527, l'un des plus éloquens & des plus savans prélats de son tems ; mais ce qui le distingue davantage, est qu'il n'abandonna point, comme firent tant d'autres ecclésiastiques, les loix du royaume à l'égard de la succession à la couronne. Il soutint toujours qu'encore que le roi de Navarre fût hérétique, c'étoit à lui que le royaume de France appartenoit légitimement après la mort de Henri III. Il déploya aux conférences de Surène tout ce que le droit & l'écriture pouvoient fournir de plus fort à l'appui de son sentiment. Il donna à ce prince l'absolution dans l'église de S. Denis, & proposa au clergé dans l'assemblée de Mantes, de créer un patriarche en France, ou, ce qui revient au même, de défleur-déliser la couronne pontificale. Ces deux choses le rendirent si odieux à la cour de Rome qu'elle lui refusa longtems ses bulles pour l'archevêché de Sens, auquel il avoit été nommé en 1596. Enfin le cardinal d'Ossat y travailla si puissamment, qu'il les obtint en 1602. Rénaud de Beaune devint bientôt après grand-aumonier de France & commandeur des ordres du roi. Il mourut à Paris en 1606 à 79 ans.

M. de Thou dit une chose singuliere de ce prélat, c'est qu'il étoit pour ainsi dire attaqué d'une faim canine, sans que cet état ait nui à sa santé. A peine avoit-il dormi quatre heures que la faim le contraignoit de se lever pour déjeûner : c'est ce qu'il faisoit réglément à une heure après minuit ; il se reposoit cinq heures, & puis il se mettoit à table ; il faisoit la même chose à huit heures ; il dinoit & collationnoit quatre heures après ; il soupoit amplement à l'heure ordinaire. Il étoit volontiers une heure à table ; c'est pour cela qu'il n'aimoit point à manger hors de chez lui ; & lorsqu'un grand prince qui l'avoit invité souvent, sans l'avoir jamais trouvé désarmé d'excuses, lui demanda la raison de ce refus, il eut pour réponse : vos repas sont trop courts, & vos services se suivent de trop près.

Le plus étrange, c'est que malgré cette prodigieuse quantité d'alimens qu'il prenoit, il n'en étoit pas moins disposé au travail d'esprit ; car pour celui du corps, il s'en gardoit bien, n'osant en user de peur d'irriter son appétit : nunquam, dit l'historien, somnolentior visus, nullâ gravedine, aut dolore capitis tenebatur, semper aeque sui compos & ad omnia paratus ; extrà negotia quietem & confabulationem sectabatur.

Je passe aux simples hommes de lettres natifs de Tours, & je trouve d'abord MM. (Jean & Julien) Brodeau issus d'une famille illustre & féconde en gens de mérite. Jean Brodeau, célébre écrivain du xvj. siecle, mourut dans sa patrie où il étoit chanoine de S. Martin, l'an 1563 âgé de 63 ans. Il publia divers ouvrages de littérature qui sont estimés des savans. On fait surtout cas de ses dix livres de Miscellanées, de ses commentaires sur les épigrammes grecques, de ses notes sur Euripide, sur Martial, sur Oppian & sur Appien.

" Jean Brodeau, dit M. de Thou, né à Tours des premieres maisons de la ville, avoit étudié avec Pierre Danès, & ayant été en Italie grand ami de Pierre Sadolet, de Pierre Bembo, tous deux cardinaux, de Baptiste Egnace, de Paul Manuce & d'un grand nombre de savans ; il avoit ajouté à la philosophie, en quoi il étoit habile, une grande connoissance des mathématiques & de la langue-sainte. Ensuite étant revenu en son pays, il s'abandonna à une vie tranquille, non pas toutefois oisive, comme le témoignent quantité d'ouvrages d'érudition, que cet excellent homme entierement éloigné d'ambition & de vanité, laissa publier plutôt sous le nom d'autrui que sous le sien, par un exemple de modestie d'autant plus rare, que dans le siecle où nous sommes, chacun veut tirer de la gloire, nonseulement des richesses, des magistratures & des autres honneurs, mais aussi de la science & des lettres ". On a conservé dans notre pays toutes les glorioles dont parle M. de Thou, excepté la derniere à laquelle on a substitué celle qu'on tire des vices.

Brodeau (Julien) avocat au parlement de Paris, s'est distingué par des commentaires sur la coutume de cette ville, & des notes sur les arrêts de Louet. On lui doit aussi la vie de Charles Dumoulin. Il est mort en 1635.

Grécourt (Jean-Baptiste Joseph Villart de), chanoine de S. Martin de Tours, & poëte françois, mourut dans sa patrie à 59 ans. Ses oeuvres ont été imprimées en 1748, & plusieurs autres fois depuis. Elles contiennent des fables, des madrigaux, des chansons, des contes, des épigrammes, &c. où l'on remarque un esprit aisé, naturel & quelquefois agréable ; mais l'obscénité, la licence & le libertinage qui regnent dans la plus grande partie des poésies de ce chanoine, en interdisent la lecture à toute personne honnête.

Son poëme de Philotanus eut dans le tems un grand succès. " Le mérite de ces sortes d'ouvrages, dit M. de Voltaire, n'est d'ordinaire que dans le choix du sujet & dans la malignité humaine. Ce n'est pas qu'il n'y ait quelques vers bien faits dans ce poëme. Le commencement en est très-heureux, mais la suite n'y répond point. Le diable n'y parle pas aussi plaisamment qu'il est amené. Le style est bas, uniforme, sans dialogue, sans graces, sans finesse, sans pureté, sans imagination dans l'expression ; & ce n'est enfin qu'une histoire satyrique de la bulle Unigenitus en vers burlesques, parmi lesquels il s'en trouve de très-plaisans ".

Guyet (Charles), jésuite, né l'an 1601, & mort en 1664 ; il s'attacha à la connoissance des cérémonies de l'église, & fit sur les fêtes un gros livre intitulé : heortologia, sive de festis propriis locorum, à Paris, chez Sebastien Cramoisy, 1657, in-folio. C'est une entreprise plus difficile qu'utile que celle d'expliquer les fêtes de chaque lieu.

Houdry (Vincent) jésuite, connu par un grand & médiocre répertoire intitulé, la bibliotheque des prédicateurs. Il naquit en 1631, & mourut en 1729, âgé de 99 ans & trois mois.

Martin (dom Claude) bénédictin, a fait des méditations chrétiennes en deux volumes in-4 °. & d'autres ouvrages de piété. Il est mort en 1696 à 78 ans.

Mornac (Antoine), un des célebres jurisconsultes de son tems, & dont les oeuvres ont été imprimées à Paris en 1724, en quatre volumes in-folio. Il est mort en 1619 âgé d'environ 60 ans.

Rapin (René) jésuite, né en 1621, s'attacha à Paris en qualité de préfet, à de jeunes gens du premier rang, ce qui le mit à portée d'acquérir l'usage du monde. Les graces de son esprit se font remarquer dans ses poésies latines, & principalement dans son poëme des jardins. Sa connoissance des belles-lettres l'engagea de mettre au jour les comparaisons de Virgile & d'Homere, de Démosthène & de Cicéron, de Platon & d'Aristote, de Thucydide & de Tite-Live. On leur fit un grand accueil dans le tems ; mais on ne les lit plus guere, peut-être à cause du style, qui est recherché, froid & diffus. Tous ses autres ouvrages sont peu de chose, & en particulier ses réflexions sur la philosophie, fruit du préjugé, ne font pas honneur à son jugement. Il mourut en 1687 à 66 ans. Une bonne édition de ses poésies latines est celle de Paris en 1723, trois volumes in-12. (D.J.)

TOURS, gros-de-tours riche, broché & nué. Tous les gros-de-tours ordinaires qui se travaillent à Lyon, sont montés avec quatre lisses pour faire lever la moitié de la chaîne & quatre lisses pour faire baisser ou rabattre l'autre moitié, ce qui se fait en faisant lever à chaque coup de navette que l'on passe, deux lisses, & faisant baisser les deux lisses dessous lesquelles sont passés les fils de la chaîne qui ne levent point, afin de les séparer, & que l'ouvrage soit plus net. Il faut faire attention que pour armer le métier, il est d'une nécessité absolue que si on commence à lever par la premiere lisse du côté du corps, il ne faut pas prendre la seconde, mais la troisieme pour le premier coup, & faire rabattre la seconde & la quatrieme ; de même pour le second coup, il faut faire lever la seconde & la quatrieme, & faire rabattre la premiere & la troisieme.

Or comme tous les gros-de-tours qui se fabriquent aujourd'hui à Lyon, ont un coup, deux & même trois de lizeré, les navettes une, deux & trois qui forment ce lizeré, doivent être passées sur la même marche, je veux dire, sur une seconde marche qui fait lever les mêmes lisses de la premiere, on observant de ne point faire baisser de lisse de rabat, attendu que si ces lisses baissoient, elles feroient baisser la moitié du lac tiré, & ne produiroient pas plus d'effet que si on ne tiroit point de lac, ou que l'on passât ce lizeré sur la premiere marche sans tirer. On a déja dit que le lizeré est une figure qui se fait par la trame de la seconde navette, lorsqu'il n'y en a qu'un, ce qui fait qu'outre la navette du coup de fond, il en faut d'autres autant qu'il y a de lizerés. Par exemple, on passe un lizeré, cerise, rose vif & rose pâle dans des étoffes disposées pour de semblables couleurs, de même que des gros bleus, bleu vif & bleu pâle dans d'autres, des violets foncés, des lilas & des gris-de-lin dans d'autres, &c. & toujours deux ou trois couleurs en dégradation ; c'est la façon de tous les gros-de-tours lizerés en général. Tous les gros-de-tours sont montés ordinairement avec quatre lisses de fond, quatre de rabat & quatre de liage, ce qui fait douze lisses. Ils travaillent ou sont travaillés avec deux marches de fond & deux de lizerés, les deux, un ou trois lizerés se passant sur la même marche, ce qui compose quatre marches & quatre de liage qui font huit.

Le gros-de-tours dont est question, est monté avec six lisses seulement, au lieu de douze, & quatre marches au lieu de huit. Les quatre lisses de rabat sont supprimées, ce qui ne pourroit se faire suivant la méthode ordinaire, attendu que les quatre lisses de rabat ne sont disposées uniquement que pour séparer les fils qui se lient avec ceux qui levent ou qui s'y trouvent attachées par quelques tenues, terme usité, lorsque deux fils ou trois se trouvent liés par quelque petite bourre de soie ou autre du remisse ou du corps ; les fils qui ne levent pas, sont si aisés à suivre ceux qui levent, lorsqu'il n'y a point de rabat au premier coup, que lorsque l'ouvrier foule la marche pour passer le coup de fond, il est sensible que la moitié des fils qui levent, supportant toute l'extension de la chaîne, ceux qui ne levent pas, sont toujours moins tendus, ou tirant, ce qui est le terme, & par conséquent sont plus aisés ou faciles à suivre ceux qui levent, pour peu qu'une légere bourre les unisse : ce qui n'arrive pas lorsqu'ils sont rabattus par les deux lisses qui baissent, parce qu'elles détachent la tenue, laquelle cessant d'unir les fils, donne lieu de passer ensuite le lizeré sans aucune difficulté ni tenue, sur la seconde marche qui leve les mêmes lisses.

Il faut bien faire attention que dans toutes les étoffes de gros-de-tours & taffetas, on ne doit faire lever qu'un fil, & baisser l'autre successivement, ce qui fait qu'ordinairement on fait lever la premiere & la troisieme lisse pour un coup, & la seconde & la quatrieme pour l'autre, attendu que si on faisoit lever la premiere & la deuxieme, il arriveroit que les deux fils qui leveroient, & les deux qui baisseroient, se trouvant ensemble, chaque fil surtout étant double, ils feroient une ouverture qui ne cacheroit pas la trame, & rendroient l'étoffe défectueuse.

Pour éviter les quatre lisses de rabat, on a monté le métier avec des maillons à six trous, quatre desquels sont disposés pour passer les quatre fils doubles qui sont passés dans les maillons ordinaires, ce qui tient chaque fil séparé, & empêche les tenues qui pourroient se faire entre le corps & le remisse qui en est près ; les deux autres trous sont disposés l'un enhaut, pour y attacher la maille du corps qui tient à l'arcade, & celui d'en-bas pour y passer le fil ou la maille à laquelle est attachée l'aiguille qui fait baisser le maillon, & tient tout le cordage en regle ; chaque fil étant séparé devant & derriere le corps, il n'est pas possible qu'il puisse passer une tenue ni entorsure dans le maillon, comme il arrive en tous les autres métiers.

Outre la suppression des quatre lisses de rabat, on évite encore les deux marches destinées à passer le lizeré, parce que tout se passe sur la même marche, ce qui est une facilité pour le travail ou pour l'ouvrier. Voilà donc quatre lisses & deux marches de moins d'un côté.

A l'égard du liage, au lieu de quatre lisses il n'y en a que deux ; on ne sauroit en mettre moins.

Toutes les étoffes riches qui se fabriquent aujourd'hui à Lyon sont composées de laine, or, argent, lié, du frisé lié de même, & d'un glacé sans liage, qui est un or ou un argent lis broché à deux bouts ; toutes les nuances sont sans liage, pour qu'elles imitent la broderie.

Pour que la lame sorte mieux dans l'étoffe, on la lie par un liage droit, c'est-à-dire, que l'on fait baisser la même lisse, ce qui augmente encore de deux marches de plus, outre les quatre qui servent à lier le frisé ; dans le métier on a supprimé les quatre marches de liage, & on n'a mis que deux lisses pour lier ; ces deux lisses prennent le quinzieme & le seizieme fil, & comme les deux fils se joignent, ils paroissent n'en composer qu'un. Quant au frisé, comme le grain de cette espece de dorure enterre le liage, il paroît tout aussi beau, même plus, que s'il étoit lié avec les quatre lisses ordinaires.

Suivant cette disposition on supprime deux lisses de liage, même quatre, lorsqu'on veut lier la lame avec un liage droit ; à observer encore qu'on ne sauroit mettre un liage droit dans une étoffe de cette espece qu'en ajoutant un poil, parce que la même lisse dans un gros-de-tours sans poil ne sauroit lier la lame qu'elle ne coupât tous les deux coups, attendu qu'il s'en trouveroit nécessairement un où le fil destiné à lier, auroit levé au coup de fond, ce qui causeroit une contrariété qui couperoit ou sépareroit le broché, comme on l'a déjà dit ; on peut voir là-dessus l'article des gros-de-tours broché, & examiner pourquoi le liage doit être de quatre le cinq, & dans les taffetas de trois le quatre.

Le gros-de-tours est le seul qu'il y ait à Lyon monté de même ; il est évident par la façon dont il est disposé, que l'étoffe doit se faire mieux & plus vîte, attendu que plus il y a d'embarras, soit par la quantité de lisses, soit par la quantité de marches, plus il se casse de cordages ou d'estrivieres, même plus de fils.

Damas à l'imitation de ceux de Gènes. Dans l'article concernant la façon dont les Génois fabriquent les damas pour meubles, l'on y a inséré qu'ils en faisoient de cent vingt portées, dont la lisiere, qu'ils appellent cimossa, formoit un parfait gros-de-tours, & que de dix mille fabriquans qui se trouvoient à Lyon, peut-être pourroit-on en trouver dix qui fussent en état de rendre compte de quelle façon cette lisiere étoit montée pour former le gros-de-tours dont est question, c'est ce que l'on va démontrer.

C'est un fait certain que tous les damas qui se fabriquent à Lyon sont montés sur cinq lisses de levée & cinq de rabat. La chaîne de ces damas est fixée par les réglemens anciens & nouveaux à 90 portées pour les damas meubles, il s'en fait quelques-uns de 100 portées ; il y en a aussi de 75 portées toujours dans la même largeur. Or comme il est physiquement impossible de faire une lisiere gros-de-tours ou taffetas avec cinq lisses, les Génois pour parvenir à ce point, qui paroît si difficile, ont imaginé de faire des damas de 120 portées avec 8 lisses, & de passer les cordons & les cordelines de façon qu'il s'en trouve toujours la moitié levée, & l'autre baissée à chaque coup de navette que l'on passe, de façon qu'il se trouve continuellement deux coups sous le même pas, attendu qu'il faut dans tous les damas passer deux coups régulierement de la même navette, c'est-à-dire, aller & venir sous le même lac tiré.

La façon de passer le cordon & la cordeline dans les lisses pour faire cette lisiere mystérieuse, est la même qui a été démontrée dans l'article des satins à 8 lisses, c'est-à-dire, que du côté droit par lequel on commence à passer la navette, il faut passer un fil le premier sur la premiere lisse, sur la quatrieme, la cinquieme, & sur la huitieme ; le second est passé sur la seconde, la troisieme, sur la sixieme & la septieme, en recommençant par le troisieme, comme par le premier & le quatrieme, comme le second, ainsi des autres jusqu'à la fin. Il n'en est pas de même pour le côté à gauche, là il faut commencer à passer le premier sur la troisieme, la quatrieme, la septieme & la huitieme, le second sur la premiere, la seconde, la cinquieme & la sixieme, & continuer comme dans la partie du côté droit.

Ce qui rend la façon de faire cette lisiere impossible à nos Lyonnois, est qu'ils ne sauroient penser que l'on montât des damas à 8 lisses, attendu que chacune des huit ne contiendroit que 11 portées & un quart pour une chaîne de 90 portées, de même que sur une chaîne de 100 portées, il ne se trouveroit que 12 portées & demie sur chaque lisse, ce qui rendroit le damas trop maigre, puisque sur 100 portées à 5 lisses, elles portent chacune 20 portées. Les Génois pour parer à cet inconvenient mettent 120 portées pour les damas de cette espece, ce qui leur donne 15 portées sur chaque lisse, & fournit autant qu'il le faut la lisse ; & comme la chaîne est infiniment mieux garnie, la diminution qu'on est obligé de faire sur la trame fait que le tout revient au même ; au contraire, le satin dans ce genre d'étoffe est infiniment plus beau, vu la quantité supérieure d'organsin dont la chaîne est composée.

Si la façon de faire cette lisiere vient à la connoissance de nos Lyonnois par le moyen de l'Encyclopédie, ils seront surpris que la lecture de ce livre leur enseigne ce qu'ils ne devroient pas ignorer, ce qui ne sauroit flatter leur amour propre, quoiqu'ils ne doutent point ou ne doivent pas douter que les Génois fabriquent mieux le velours & le damas que nous.


TOURTEvoyez TOURTERELLE.

TOURTE, s. f. terme de Pâtissier ; c'est une piece de pâtisserie qu'on fait cuire dans une tourtiere, & qui est faite de pigeonneaux, de béatille, de moëlle ou de fruits. (D.J.)

TOURTE, terme de Verrerie ; c'est une plate-forme de figure ronde, sur laquelle posent les pots ou creusets, dans lesquels on met la matiere de verre.


TOURTEAUXS. m. (Droguerie) masse que l'on compose du résidu de certains grains, fruits ou matieres dont on a exprimé de l'huile.

TOURTEAU, terme de Blason ; ce mot ne se dit maintenant en blason que de ces représentations de gâteaux qui sont de couleur, à la différence des besans qui sont de métal.

Le tourteau est plein comme le besan, sans aucune ouverture, autrement ce seroit un cercle ou un anneau. Il est ainsi nommé, à cause de sa rondeur. Quelques-uns lui donnent différens noms, selon sa différente couleur, & appellent ogaeses ceux de sable ; gulpes, ceux de pourpre ; guses, ceux de gueules ; heurtes, ceux d'azur ; & pommes ou volets, ceux de sinople.

Tourteau-besan, est une piece ronde d'armoiries, qui est moitié de couleur, & moitié de métal, soit qu'elle soit partie, tranchée ou coupée de l'un en l'autre. On commence à nommer la couleur la premiere. Ce mot vient du latin torta, qui se disoit d'une espece de pains tortillés, qui sont représentés par des tourteaux. Ménetrier. (D.J.)

TOURTEAU, (Artificier) les artificiers appellent ainsi de la vieille corde ou de la vieille mêche détortillée, que l'on trempe dans la poix ou le goudron, & qu'on laisse sécher, pour s'en servir ensuite à éclairer dans les fossés & autres lieux d'une place assiégée : on le fait de la maniere suivante.

Prenez de la poix noire douze livres, suif ou graisse six livres, le tout fondu ensemble à petit feu, puis ajoutez-y trois parties d'huile de lin, faites bouillir le tout ; prenez ensuite de vieilles meches ou de vieilles cordes, faites-en des cordons de la grandeur que vous voudrez, mettez-les bouillir dans ces matieres ; & si vous voulez qu'ils ne brûlent pas si fort, mettez-y deux livres de colophone, & deux livres de térébenthine.


TOURTELETSS. m. terme de Pâtisserie ; ce sont des morceaux de pâte larges comme la main, & déliés presque comme une feuille de papier, qu'on fait cuire dans de l'eau avec du sel & du beurre, & qu'on mange d'ordinaire les jours maigres. (D.J.)


TOURTERELLETURTERELLE, TORTORELLE, TURTRELLE, TOURTE, s. f. (Hist. nat. Ornitholog.) turtur ; oiseau que M. Brisson a mis dans le genre des pigeons ; il a 11 pouces de longueur depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrêmité de la queue, & seulement 9 pouces jusqu'au bout des ongles ; l'envergure est d'un pié huit pouces ; les aîles étant pliées s'étendent jusqu'aux trois quarts de la longueur de la queue. Le dessus de la tête & de la face supérieure du cou est cendré ; le bas de cette même face du cou, le dos, le croupion & les plumes qui recouvrent l'origine de la queue ont une couleur brune. Les petites & les moyennes plumes des aîles sont en partie brunes & en partie rousses ; le milieu de chaque plume est noir, & les bords sont roux ; les grandes plumes ont une couleur brune, à l'exception des bords extérieurs, qui sont blanchâtres. La face inférieure du cou & le dessus de la poitrine ont une couleur rouge vineuse ; le bas de la poitrine & les côtés du corps sont d'un gris-brun ; le ventre, les jambes & les plumes du dessous de la queue, ont une couleur blanche. Les plumes de la queue sont d'un gris brun en-dessus, & noirâtres en-dessous ; elles ont toutes l'extrêmité blanche, excepté les deux du milieu ; la plume extérieure de chaque côté a les barbes externes blanches. Il y a de chaque côté du cou une grande tache noire, & traversée par trois ou quatre lignes blanches, qui descendent obliquement vers le dos, & qui forment une espece de collier : les yeux sont entourés d'un petit cercle rouge. Ornit. de M. Brisson, t. I. Voyez OISEAU.

TOURTERELLE, (Diete & Mat. médic.) Voyez PIGEON.

TOURTERELLE D'AMERIQUE, turtur Americanus : cet oiseau est de la grosseur de notre tourterelle ; il a environ 11 pouces de longueur depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrêmité de la queue : les aîles étant pliées, ne s'étendent guere qu'au quart de la longueur de la queue. La partie antérieure de la tête & la gorge sont d'un brun roussâtre, & le derriere de la tête a une couleur cendrée bleuâtre ; il y a de chaque côté à l'endroit où le cendré & le brun se réunissent, une petite tache noire & ronde, qui a environ deux lignes de diamêtre. La face supérieure du cou, la partie antérieure du dos, les grandes plumes des épaules, les petites & les moyennes plumes des aîles sont d'un brun obscur, & il y a de plus sur les moyennes plumes des aîles & sur les grandes des épaules des taches noirâtres & ovales de différentes grandeurs. La partie postérieure du dos & le croupion, ont une couleur qui tire sur le cendré ; la face inférieure du cou & la poitrine sont d'une couleur de rose, qui s'affoiblit par degré en descendant vers la poitrine : les plumes du ventre, des jambes & du dessous de la queue ont une couleur brune mêlée d'un peu de cendré. Il y a de chaque côté de la tête une petite ligne blanche, qui s'étend depuis les coins de la bouche jusqu'aux yeux. Les grandes plumes des aîles sont d'un brun foncé, & ont les bords extérieurs des barbes roussâtres. Les deux plumes du milieu de la queue sont noirâtres & les plus longues, les autres diminuent successivement de longueur jusqu'à l'extérieure, qui est la plus courte ; elles sont presqu'entierement cendrées, & elles ont seulement une large bande transversale & noire près de leur extrêmité, qui est blanchâtre. Les piés sont rouges, & la couleur des ongles est noire. Ornit. de M. Brisson, t. I. Voyez OISEAU.

TOURTERELLE D'AMERIQUE, turtur barbadensis minimus Wil. oiseau de la grosseur d'une alouette hupée ; il a un peu plus de six pouces de longueur depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrêmité de la queue ; la longueur du bec est de sept lignes, depuis sa pointe jusqu'aux coins de la bouche ; les aîles etant pliées ne s'étendent qu'au quart de la longueur de la queue. Le dessus de la tête & du cou est un cendré clair ; le dos & le croupion sont d'un cendré plus foncé. Le devant de la tête, la gorge, la face inférieure du cou, la poitrine, le ventre, les côtés du corps & les plumes du dessous de la queue sont d'un rouge clair, avec quelques taches brunes qui occupent le milieu de certaines plumes du cou & de la poitrine. Les petites plumes des aîles ont une couleur mêlée de cendré-foncé & de rougeâtre, avec quelques taches d'un verd foncé ; les grandes plumes, & celles de la face inférieure, sont rousses ; les grandes plumes ont l'extrêmité & le bord extérieur bruns. Les deux plumes du milieu de la queue sont d'un cendré plus foncé que celui du dos ; les autres ont une couleur brune presque noire. Le bec est d'un rouge pâle à son origine, & noirâtre à l'extrêmité ; les piés sont rouges & les ongles sont noires. La femelle differe du mâle en ce qu'elle a la face inférieure du corps d'une couleur blanchâtre, au-lieu de l'avoir rougeâtre. Ornit. de M. Brisson, tom. I. Voyez OISEAU.

TOURTERELLE BRUNE D'AMERIQUE, petite, cocolzin aliûs gen. Wil. oiseau qui a cinq pouces & demi de longueur depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrêmité de la queue ; la longueur du bec est de six lignes depuis sa pointe jusqu'aux coins de la bouche ; les aîles étant pliées s'étendent environ jusqu'au tiers de la longueur de la queue. Toute la face supérieure de cet oiseau est brune & luisante comme de la soie ; les petites & les moyennes plumes des aîles sont de la même couleur brune, mais un peu rougeâtre ; elles ont sept petites taches de couleur d'acier poli, dont trois sont sur les petites plumes, & les quatre autres sur les moyennes. La gorge est d'un blanc roussâtre ; la face inférieure du cou & la poitrine sont d'un brun roussâtre ; les plumes des côtés du corps, du ventre, des jambes, & celles du dessous de la queue sont d'un blanc sale mêlé d'une teinte de roux ; les grandes plumes des aîles, & celles du second rang, ont le côté extérieur & l'extrêmité d'un roux noirâtre ; le bord inférieur est roux. Les deux plumes du milieu de la queue sont brunes ; les autres ont la face supérieure noire, & l'inférieure est cendrée à son origine, ensuite noire & brune à l'extrêmité ; le bout des barbes extérieures des deux premieres plumes de chaque côté est blanc. Ses piés sont rouges, & les ongles ont une couleur brune. On trouve cette espece de tourterelle à Saint-Domingue. Ornithol. de M. Brisson, tome I. Voyez OISEAU.

TOURTERELLE VERTE D'AMBOINE, turtur viridis amboinensis ; oiseau qui est un peu plus petit que la tourterelle ordinaire ; il a environ sept pouces neuf lignes depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrêmité de la queue, & sept pouces trois lignes jusqu'au bout des ongles ; la longueur du bec est de huit lignes depuis sa pointe jusqu'au coin de la bouche ; les aîles étant pliées s'étendent jusqu'à la moitié de la longueur de la queue. Le devant de la tête & de la gorge sont cendrées ; le derriere de la tête, la face supérieure du cou, le dos & le croupion, les plumes du dessus de la queue, les petites des aîles, la poitrine, le ventre, les côtés du corps & les jambes ont une belle couleur verte dorée & luisante, qui change en une couleur de cuivre bronzé à certains aspects ; la face inférieure du cou est d'un très-beau violet pourpré : les plumes de la face inférieure des aîles ont une couleur cendrée ; les grandes plumes des aîles & celles du second rang sont de même couleur que celles du dos, à l'exception du côté inférieur qui est noirâtre ; le dessous de ces plumes a une couleur en-dessus mêlée de brun. Les plumes de la queue sont cendrées d'un beau verd doré qui paroît à certains aspects de couleur de cuivre de rosette ; elles ont toutes l'extrêmité d'un jaune clair, & un peu de noirâtre sur le côté intérieur ; le dessous de ces plumes a une couleur noirâtre, à l'exception de l'extrêmité, qui est d'un blanc sale. Le bec & les piés sont rouges, & les ongles ont une couleur grise brune. Ornit. de M. Brisson, t. I. Voyez OISEAU.

TOURTERELLE D'AMBOINE, turtur amboinensis, oiseau qui est à-peu-près de la grosseur de la tourterelle ordinaire ; il a un pié deux pouces de longueur depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrêmité de la queue, & seulement huit pouces jusqu'au bout des ongles ; la longueur du bec est de dix lignes, depuis sa pointe jusqu'aux coins de la bouche : les aîles étant pliées, s'étendent à trois pouces au-delà de l'origine de la queue. Les plumes de la tête, du cou, de la poitrine, des côtés, du corps, du ventre, des jambes & celles du dessous de la queue sont rousses ; celles du dessus de la tête, du cou & de la poitrine ont chacune une bande transversale noirâtre. Les plumes de la partie antérieure du dos & les petites des aîles sont d'un brun foncé, à l'exception de l'extrêmité qui est rousse ; celles de la partie postérieure du dos, celles du croupion & du dessous de la queue ont une couleur rousse : la couleur des grandes plumes des aîles est d'un brun foncé. Les deux plumes du milieu de la queue sont les plus longues ; les autres diminuent successivement de longueur jusqu'à l'extérieure, qui est la plus courte ; elles ont toutes une couleur brune, tirant sur le roux. Le bec & les piés sont rouges, & les ongles ont une couleur brune. La femelle ne differe du mâle qu'en ce qu'elle a des couleurs plus claires. Ornit. de M. Brisson, tome I. Voyez OISEAU.

TOURTERELLE DU CANADA, turtur canadensis, oiseau qui est un peu plus gros que la tourterelle ordinaire ; il a un pié un pouce de longueur, depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrêmité de la queue ; la longueur du bec est d'un pouce, depuis sa pointe jusqu'aux coins de la bouche. Les aîles étant pliées, s'étendent un peu au-delà du milieu de la longueur de la queue. Le dessus de la tête, la face supérieure du cou & la partie antérieure du dos sont d'un gris brun ; la partie postérieure du dos & le croupion ont une couleur cendrée ; la gorge, la face inférieure du cou & la poitrine sont d'un gris brun mêlé de jaunâtre. La couleur des plumes des côtés du corps est blanche, & celle des plumes des jambes & du ventre est d'un blanc sale. Les grandes & les moyennes plumes des aîles sont brunes, à l'exception du bord extérieur des grandes plumes qui est jaunâtre ; il y a sur les petites des grandes taches d'un brun noirâtre. Les plumes de la queue sont cendrées, à l'exception de l'extérieure de chaque côté qui est blanche ; elles ont toutes, excepté les deux du milieu près de leur origine sur les barbes intérieures, une grande tache rousse, au-dessus de laquelle il y en a une autre aussi grande d'un brun noirâtre. Le bec est noirâtre ; les piés sont rouges & les ongles noirs. La femelle differe du mâle en ce qu'elle a l'extrêmité des plumes de la tête, du cou, de la poitrine, de la partie antérieure du dos, & des petites plumes des aîles, d'un blanc sale & jaunâtre. Ornit. de M. Brisson, tome I. Voyez OISEAU.

TOURTERELLE DU CAP DE BONNE-ESPERANCE, turtur capitis Bonae-Spei, oiseau qui n'est guere plus gros que l'alouette hupée ; il a neuf pouces six lignes de longueur, depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrêmité de la queue ; la longueur du bec est de sept lignes, depuis sa pointe jusqu'aux coins de la bouche ; les aîles étant pliées, s'étendent jusqu'au tiers de la longueur de la queue. Les plumes de la tête, du cou, de la poitrine, du dos, du croupion, du dessous de la queue, & les petites des aîles sont d'un gris brun ; celles du ventre, des côtés du corps, des jambes & du dessous de la queue ont une couleur blanche sale. Il y a sur chaque aîle une tache d'une couleur semblable à celle de l'acier poli ; les barbes extérieures & l'extrêmité des grandes plumes des aîles sont brunes, & les barbes intérieures ont une couleur rousse ; les plumes du second rang sont grises à l'extérieur du tuyau, & brunes à l'intérieur ; les deux plumes du milieu de la queue ont en-dessus une couleur brune noirâtre, mêlée d'une légere teinte de roux ; la face supérieure de toutes les autres est d'un gris brun à l'origine, & noirâtre vers l'extrêmité ; elles ont toute la face supérieure noire, excepté la premiere plume de chaque côté qui a le côté extérieur & l'extrêmité blancs : les deux du milieu sont les plus longues ; les autres diminuent successivement de longueur jusqu'à la premiere, qui est la plus courte. Le bec & les piés ont une couleur rouge, & les ongles sont bruns. On trouve cet oiseau au cap de Bonne-Espérance & au Sénégal. Le mâle differe de la femelle en ce qu'il a la gorge & la face inférieure du cou d'un noir brillant. Ornit. de M. Brisson, tome I. Voyez OISEAU.

TOURTERELLE DE LA CAROLINE, columba turtur Caroliniensis, Klein ; oiseau qui est un peu plus petit que la tourterelle ordinaire ; il a dix pouces & demi de longueur, depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrêmité de la queue ; la longueur du bec est de huit lignes, depuis sa pointe jusqu'aux coins de la bouche ; les aîles étant pliées, s'étendent un peu au-delà du tiers de la longueur de la queue. Le devant de la tête, la face inférieure du cou & la poitrine sont d'une couleur rougeâtre ; le dessus de la tête & la face supérieure du cou ont une couleur cendrée obscure. Les plumes du dos, du croupion, du dessus de la queue & les petites des aîles qui se trouvent près du corps sont de la même couleur que la face supérieure du cou, mais elle est mêlée d'un peu de roussâtre ; les plumes du ventre, des côtés du corps, des jambes & du dessous de la queue sont roussâtres ; celles de la face inférieure des aîles ont une couleur cendrée. Il y a sur chaque aîle quelques taches noires, placées près de l'extrêmité des moyennes plumes ; les grandes sont d'un cendré noirâtre, & les plus longues ont le bord extérieur blanchâtre. Les deux plumes du milieu de la queue sont les plus longues, & d'un cendré brun ; les autres diminuent successivement de longueur jusqu'aux extérieures qui sont les plus courtes : les trois extérieures de chaque côté ont la face supérieure de couleur cendrée à leur origine & blanche à l'extrêmité ; & elles sont en-dessous noires à l'origine, & blanches à l'extrêmité : les deux qui suivent de chaque côté sont cendrées en-dessus, & marquées d'un peu de noir vers le milieu de leur longueur ; elles ont la face inférieure noire, depuis l'origine jusqu'à la moitié de leur longueur, & le reste est d'un cendré clair. Les yeux sont entourés d'une peau bleue ; le bec est noirâtre, & les piés ont une couleur rouge. Le mâle differe de la femelle en ce qu'il a la poitrine d'un beau violet doré qui change à différens aspects. On trouve cet oiseau à la Caroline, au Brésil & à S. Domingue. Ornit. de M. Brisson, tome I. Voyez OISEAU.

TOURTERELLE RAYEE DE LA CHINE, columba sinensis, elegans, Klein ; cet oiseau est à-peu-près de la grosseur de la tourterelle à collier. Le sommet de la tête a une couleur cendrée ; les plumes des joues & des côtés du cou sont jaunes, & celles des côtés du cou ont l'extrêmité rouge : cette couleur jaune est séparée de la couleur du dessus du cou par une bande longitudinale de couleur bleue. Le derriere de la tête, la partie supérieure du cou, le dos & le croupion sont d'un brun rayé transversalement de petites bandes noires, qui forment chacune un arc de cercle. La poitrine, le ventre, les côtés du corps & les jambes sont d'une couleur de rose pâle : les petites plumes des aîles ont une couleur brune, plus claire que celle du dos ; elles ont aussi à l'extrêmité une bande transversale blanche, au-dessous de laquelle il y en a une noire. Les premieres & les dernieres des moyennes de l'aîle sont noires, & ont le bord extérieur blanc ; celles du milieu sont entierement blanches : la couleur des grandes plumes est noire, & elles ont le bord extérieur blanc. Les plumes de la queue sont d'un brun clair. Le bec est d'un cendré bleuâtre. Les piés ont une couleur rouge, & les ongles sont blancs. Ornit. de M. Brisson, tome I. Voyez OISEAU.

TOURTERELLE A COLLIER, turtur torquatus, elle est un peu plus grosse que la précédente, elle a un pié de longueur, depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrêmité de la queue, & un pié huit pouces d'envergure ; les aîles étant pliées, s'étendent un peu audelà du milieu de la longueur de la queue. Le dessus de la tête & du cou, le dos & les petites plumes des aîles sont roussâtres ; la partie inférieure du cou & la poitrine ont une couleur blanche, mêlée d'une légere teinte rougeâtre ; le ventre, les côtés du corps, les jambes & les plumes du dessous de la queue sont blanches ; la couleur des plumes du croupion tire un peu sur le gris-brun. Les grandes plumes des aîles sont de la même couleur que celles du croupion, & elles ont le bord extérieur blanchâtre. Les plumes de la queue sont cendrées en-dessus, & elles ont toutes l'extrêmité blanchâtre, excepté les deux du milieu, dont la face inférieure est noirâtre à l'origine des plumes, & ensuite d'un cendré clair ; la plume extérieure de chaque côté a les barbes externes blanches. La partie supérieure du cou est entourée d'un collier noir, & large d'environ deux lignes. La femelle ne differe du mâle qu'en ce qu'elle est plus blanche. Ornit. de M. Brisson, tome I. Voyez OISEAU.

TOURTERELLE A COLLIER DU SENEGAL, turtur torquatus senegalensis, oiseau qui est à-peu-près de la grosseur du merle ; il a environ neuf pouces six lignes de longueur, depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrêmité de la queue ; la longueur du bec est de neuf lignes, depuis sa pointe jusqu'aux coins de la bouche, les aîles étant pliées, s'étendent environ à la moitié de la longueur de la queue. La tête, le cou, & la poitrine approchent d'une couleur vineuse, un peu rembrunie sur le dessus de la tête & du cou. Les plumes du dos, du croupion, du dessus de la queue & les petites plumes des aîles sont d'un gris-brun ; le ventre, les côtés du corps, les jambes & les plumes du dessous de la queue ont une couleur blanche sale ; les plumes de la face inférieure de l'aîle sont cendrées ; les grandes plumes des aîles & celles du second rang ont une couleur brune-noirâtre, à l'exception du bord extérieur qui est d'un blanc sale. Les deux plumes du milieu de la queue sont d'un gris-brun ; les autres ont une couleur noire, depuis leur origine jusqu'à environ les deux tiers de leur longueur, le reste est gris ; le côté extérieur de la premiere plume a cette même couleur. La partie supérieure du cou est entourée d'une espece de collier noir, large d'environ trois lignes : ce collier remonte un peu vers la tête sur les côtés du cou. Le bec est noirâtre ; les piés sont rouges, & les ongles ont une couleur brune. Ornit. de M. Brisson, tome I. Voyez OISEAU.

TOURTERELLE DE LA JAMAÏQUE, turtur jamaicensis, oiseau qui est à-peu-près de la grosseur du biset. Il a onze pouces de longueur depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrêmité de la queue, & près de dix pouces jusqu'au bout des ongles ; la longueur du bec est de onze lignes depuis sa pointe jusqu'aux coins de la bouche ; les aîles étant pliées s'étendent un peu audelà du tiers de la longueur de la queue ; le dessus de la tête & la gorge sont bleus ; cette couleur s'étend un peu sur le milieu de la face inférieure du cou, & il y a plus bas des plumes noires, dont quelques-unes ont une bande transversale blanche ; la face supérieure du cou, le dos, le croupion, les petites plumes des aîles, & celles du dessus de la queue, sont d'un brun tirant sur le rougeâtre ; il y a une bande blanche qui s'étend de chaque côté, depuis le dessous de la mâchoire inférieure, jusqu'au derriere de la tête, en passant au-dessous de l'oeil ; les grandes plumes des aîles sont brunes, à l'exception du bord extérieur qui est roussâtre ; celles de la queue ont la face supérieure d'un cendré noirâtre, & l'inférieure est noirâtre sans mêlange d'autres couleurs ; le bec a une couleur rouge à sa base, l'extrêmité est cendrée ; les piés & les ongles sont rouges. Ornit. de M. Brisson, tom. I. Voyez OISEAU.

TOURTERELLE RAYEE DES INDES, columba turtur indiae orientalis, Klein. Oiseau qui est un peu moins gros que la tourterelle ordinaire ; il a environ neuf pouces & demi de longueur depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrêmité de la queue ; la longueur du bec est de neuf lignes depuis sa pointe jusqu'aux coins de la bouche ; les aîles étant pliées, s'étendent environ à la moitié de la longueur de la queue ; le devant de la tête, les joues & la gorge sont d'un brun clair ; le derriere & le dessus de la tête ont une couleur roussâtre ; la face supérieure du cou, le dos, & les petites plumes des aîles, sont d'un cendré brun, & ont de petites bandes noires transversales, qui forment chacune un arc de cercle ; les plumes du croupion, & celles du dessus de la queue, sont de même couleur que le dos, mais elles n'ont point de bandes transversales ; les plumes des côtés du cou & du corps, sont bleuâtres, & ont de petites bandes transversales d'un bleu foncé, tirant sur le noir ; la face inférieure du cou, la poitrine, le ventre & les jambes, sont de couleur de rose ; les plumes du dessous de la queue ont une couleur blanche ; il y a une petite ligne blanche qui s'étend depuis les narines jusqu'aux yeux ; les grandes plumes des aîles & celles de la queue, sont d'un cendré brun, un peu plus foncé que la couleur du dos, & les deux plumes du milieu de la queue, ont l'extrêmité blanche ; la membrane du dessus des narines est d'un bleu clair, & les piés sont d'un rouge pâle. Ornit. de M. Brisson, tome I. Voyez OISEAU.

TOURTERELLE MULET, turtur hybridus ; c'est une variété qui provient d'une tourterelle ordinaire, & d'une tourterelle à collier ; elle est de la grandeur de cette derniere ; elle a le sommet de la tête, le cou & la poitrine d'une couleur vineuse ; le dos est en entier d'une couleur cendrée, mêlée d'une très-légere teinte de rougeâtre foncé ; les plumes des aîles sont brunes ; le bec est d'un brun bleuâtre, & les piés sont d'un beau rouge couleur de sang : au reste cet oiseau ressemble à la tourterelle à collier. Ornit. de M. Brisson, t. I. Voyez OISEAU.

TOURTERELLE DU SENEGAL, turtur senegalensis ; oiseau qui est un peu moins gros qu'un merle, & qui a huit pouces de longueur depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrêmité de la queue ; la longueur du bec est de huit lignes depuis sa pointe jusqu'aux coins de la bouche ; les aîles étant pliées s'étendent jusqu'à la moitié de la longueur de la queue ; le dessus de la tête est cendré ; la face supérieure du cou, le dos, le croupion & les petites plumes des aîles, sont d'un gris brun ; la gorge est blanchâtre ; la face inférieure du cou, & la poitrine, ont une couleur rougeâtre très-claire, les plumes du ventre, des côtés du corps, des jambes, & celles du dessous de la queue, sont d'un blanc sale ; celles du dessous de la queue ont une couleur grise brune, à l'exception de la pointe qui est d'un brun noirâtre ; les plumes de la face inférieure des aîles, sont rousses ; les grandes plumes des aîles & celles du second rang, ont l'extrêmité & le côté extérieur brun ; le côté intérieur est roux ; il y a sur les aîles quelques taches d'un verd foncé & luisant qui paroît violet à certains aspects ; les plumes de la queue sont toutes noires en-dessous, à l'exception de la premiere de chaque côté, qui a le côté extérieur blanc, depuis son origine jusqu'aux deux tiers de sa longueur, & une petite tache blanche à son extrêmité ; les deux plumes du milieu sont d'un brun noirâtre en dessus ; les autres ont une couleur mêlée de gris & de brun ; leur origine & leur extrêmité est noirâtre ; le bec & les piés sont rouges, & les ongles ont une couleur brune. Ornit. de M. Brisson, tome I. Voyez OISEAU.

TOURTERELLE A GORGE TACHETEE DU SENEGAL, turtur gutture maculato senegalensis ; oiseau qui est à-peu-près de la grosseur d'un merle ; il a environ neuf pouces neuf lignes de longueur, depuis la pointe du bec jusqu'à l'extrêmité de la queue ; la longueur du bec est de huit lignes, depuis sa pointe jusqu'aux coins de la bouche ; les aîles étant pliées, s'étendent environ jusqu'à la moitié de la longueur de la queue ; la tête, le cou, & la poitrine sont d'une assez belle couleur vineuse, & il y a sur la partie inférieure du cou, de petites taches noires ; la partie supérieure du dos est d'un brun mêlé de roux ; chaque plume n'a que l'extrêmité rousse, le reste est brun ; les petites plumes des aîles, qui se trouvent près du corps, ont les mêmes couleurs que le dos ; les autres petites plumes des aîles, les plumes de la partie inférieure du dos, & celles du croupion, sont cendrées ; les plumes du ventre, des côtés du corps, des jambes, & du dessous de la queue, sont blanches ; celles de la face inférieure des aîles ont une couleur cendrée ; les grandes plumes des aîles, & celles du second rang, sont brunes en-dessus, & elles ont en-dessous les barbes extérieures cendrées, & les intérieures brunes ; les plumes de la queue sont noires en-dessous, depuis leur origine jusqu'à environ la moitié de leur longueur, & le reste est cendré dans les six du milieu, & blanc dans les trois autres de chaque côté ; la face supérieure des six plumes du milieu, a une couleur brune mêlée de cendré ; les autres sont d'un cendré noirâtre sur la même face, depuis leur origine jusqu'à environ le milieu de leur longueur, & le reste est blanc ; les piés sont rouges, & les ongles ont une couleur noirâtre. Ornit. de M. Brisson, tom. I. Voyez OISEAU.

TOURTERELLE, (Monum. Antiq. & Médail.) la tourterelle est dans les monumens, le symbole de la fidélité entre ami, entre époux, & même des soldats pour leurs généraux. On trouve sur le revers d'une médaille d'Heliogabale, une femme assise, tenant dans sa main une tourterelle, avec cette inscription, fides exercitûs. Ce symbole est fondé sur ce que le mâle & la femelle de cet oiseau volent ordinairement ensemble, & poussent des gémissemens quand ils sont séparés. (D.J.)


TOURTIERES. f. terme de Pâtissier ; c'est une piece de batterie de cuisine d'argent, ou de cuivre étamé, ronde, creuse d'environ trois doigts, avec des rebords hauts d'autant, & qui vont en talus, quelquefois avec trois piés, quelquefois sans piés, & quelquefois aussi avec un couvercle, servant aux bourgeois & aux pâtissiers, pour faire des tourtes. (D.J.)


TOURTOIRES. f. terme de Chasse ; houssine avec laquelle on fait les batteries dans les buissons.


TOURTOURELLEvoyez PASTENAGUE.


TOUStutti, en musique ; ce mot s'écrit souvent dans des parties de symphonie, pour détruire cet autre mot solo, qui marque un récit : le mot tous, indique le lieu où finit ce récit, & où tout l'orchestre reprend.

TOUS, autrement MESCHED, (Géog. mod.) ville d'Asie dans la Chorassane, dont elle est la capitale, à une lieue au midi de Nichabour. Longit. 76. 30. latit. 37. (D.J.)


TOUSSAINTSS. m. pl. (Hist. ecclés.) fête de tous les saints, dont l'institution dans l'église n'est pas au-dessus du tems de Grégoire III. décédé en 813. Cette fête fut fixée au premier de Novembre ; l'idée de sa célébration seroit aussi sage qu'utile, si on y eût joint dans le même jour, toutes les autres fêtes du calendrier, à l'exception de celle de Pâques. Cette derniere eût rappellé tout ce qui regarde notre Sauveur, sa naissance, ses miracles, sa mort, sa résurrection, son ascension ; l'autre eût réuni sous un même point de vue, la contemplation de la sainte Vierge, des apôtres, des saints, des martyrs, & tout ce qu'il y a de plus édifiant dans le christianisme. C'est un beau parti à prendre dans un siecle éclairé ! (D.J.)


TOUTadv. (Gram. franç.) quand tout signifie tout-à-fait, il doit être indéclinable ; exemples : ils furent tout étonnés ; ils sont tout autres que vous ne les avez vus, &c. & non pas tous étonnés, tous autres, &c.

Mais cela n'a lieu qu'au genre masculin, car au féminin il faut dire toutes ; elles sont toutes étonnées, toutes autres ; l'adverbe tout se convertissant en nom, pour signifier néanmoins ce que signifie l'adverbe, & non pas ce que signifie le nom ; car quand on dit : elles sont toutes étonnées, toutes veut dire là tout-à-fait. La bisarrerie de l'usage a fait cette différence sans raison, entre le masculin & le féminin.

Il y a pourtant une exception à cette regle du genre féminin ; c'est qu'avec autres au féminin, il faut dire tout, & non pas toutes ; comme : les dernieres figues que vous m'envoyates, étoient tout autres que les premieres ; & non pas, étoient toutes autres ; mais ce n'est qu'au pluriel, car au singulier il faut dire toute ; comme : l'étoffe que vous avez, est toute autre que la mienne.

Tout est toujours indéclinable, quand il est suivi d'aussi ; exemples : elles furent tout aussi étonnées, que si elles eussent vû un horrible phantôme : ces fleurs sont encore tout aussi fraîches qu'elles l'étoient hier. (D.J.)

TOUT, (Blason) en terme de blason, on dit sur le tout, quand on met un écusson en coeur ou en abîme, & lorsqu'il pose sur les quartiers dont un écu peut être formé, qu'on appelle alors surchargé ; & en ce cas il tient ordinairement le tiers de l'écu : on dit sur le tout du tout, quand un moindre écusson se met encore sur celui qui étoit sur le tout de l'autre : on dit aussi sur le tout, lorsqu'en la pointe d'un écu, & tout au bas des arênes principales, & au-dessous de tous les autres cantons ou quartiers, on met un dernier écusson, qui n'a pour hauteur, sinon l'espace dans lequel l'écu commence à se courber pour se terminer en pointe ; ce qui forme une espece de rebattement, appellé en plaine sous le tout. P. Ménestrier. (D.J.)


TOUT-BECS. m. (Hist. nat. Ornith.) c'est le nom qu'on donne à un oiseau d'Amérique dont le bec est aussi gros que le reste de son corps, qui n'est que comme celui d'un pivert, à qui il ressemble par la figure ; ceux qui sont plus petits sont rares : dans quelques endroits cet oiseau se nomme gros-bec.


TOUT-BOISen terme de Jardinage, n'est autre chose que plusieurs plants différens dont on garnit les bosquets.


TOUT-ENSEMBLE(Peinture) le tout-ensemble d'un tableau, est la correspondance convenable, & l'union générale de toutes les parties d'un tableau. M. Watelet vous en instruira au mot ENSEMBLE.


TOUT-OU-RIENS. m. (Horlogerie) nom que les Horlogers donnent à une piece de la cadrature d'une répétition, au moyen de laquelle elle ne sonne qu'autant qu'on a poussé le poussoir, ou tiré le cordon suffisamment, c'est-à-dire, que la répétition sonne tout, savoir un nombre de coups égal à l'heure marquée, si l'on a poussé le poussoir suffisamment, sinon qu'elle ne sonne rien.

P V I, fig. & Planches de l'Horlogerie, est un tout-ou-rien ; il est mobile en P sur une cheville, & peut décrire un petit arc dans le sens M R ; V est la tête d'une vis qui, après avoir passé au-travers de cette piece, forme une cheville pour porter le limaçon des heures ; M est une espece de bec qui retient la queue de la piece des quarts, & empêche cette piece de se mouvoir ; R est un ressort qui pousse continuellement le tout-ou-rien vers la cheville L, qui passe par le trou oval du tout-ou-rien. La forme des tout-ou-rien varie ; mais en général ils sont disposés toujours de la même maniere.

Comme la cadrature d'une répétition à tout-ou-rien est toujours construite de façon que lorsqu'on veut la faire répéter, elle ne le fait qu'autant que la piece des quarts peut le mouvoir ; il s'ensuit qu'elle ne peut répéter qu'autant que la queue q de la crémaillere, en appuyant sur le limaçon des heures, a fait reculer un peu le tout-ou-rien, & par-là donne à la piece des quarts la facilité de se mouvoir. Voyez là-dessus l'article REPETITION, où tout cela est plus détaillé.


TOUTE-BONNES. f. (Hist. nat. Botan.) sclarea, genre de plante à fleur monopétale, labiée, dont la levre supérieure ressemble à une faucille, & l'inférieure est divisée en trois parties, dont celle du milieu a la forme d'une cuillere. Le pistil sort du calice ; il est attaché comme un clou à la partie postérieure de la fleur, & entouré de quatre embryons, qui deviennent dans la suite autant de semences arrondies, renfermées dans une capsule qui a servi de calice à la fleur. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.

TOUTE BONNE, (Mat. médic.) Voyez ORVALE.


TOUTE-SAINES. f. (Hist. nat. Botan.) en anglois tut-san, la fleur de ce genre de plante est en rose. De son calice qui est composé de plusieurs feuilles s'éleve un pistil, lequel devient une baie ovale, unicapsulaire, renfermant plusieurs petites graines attachées au placenta : on ne connoit qu'une seule espece de ce genre de plante, nommée androsoenum maximum frutescens, C. B. P. 280. Boerh. Ind. alt. 242. Tournef. I. R. H. 251. siciliana par Gesn. Tabernamont. & I. B. 3. 384.

Cette plante pousse plusieurs tiges à la hauteur de deux ou trois piés : elle est douce au toucher & de couleur rouge ; ses feuilles sont rangées deux-à-deux, vertes au commencement, rouges lorsque la plante est mûre ; elles paroissent criblées de petits trous, qui, examinés de près, sont des vésicules remplies d'une eau claire & balsamique ; aux sommités des branches poussent des fleurs en grand nombre, surtout les basses tiges, composées ordinairement de cinq feuilles jaunes, soutenues par un calice d'autant de feuilles verdâtres ; l'étamine qui est au milieu est jaune, & rend un suc de même couleur lorsqu'on la frotte dans les doigts. Quand la fleur est passée, il paroit un fruit ou une espece de baie, verte d'abord, qui ensuite devient d'un cramoisi foncé, & à la fin tout-à-fait noire, & contient une graine dont on tire une liqueur purpurine. Sa racine ne laisse pas d'être épaisse, & est rouge & fibreuse : elle vient dans les haies & parmi les buissons, & fleurit au mois de Juillet.

Cette plante est estimée resolutive & apéritive : on appelle cette plante androsaemon, de , homme, & , sang, parce que quand on la cueille, il semble que les doigts soient ensanglantés. (D.J.)


TOUTE-TABLES. m. (Jeu) ce jeu est moins embarrassant que celui du trictrac, puisqu'on n'a pas toujours l'esprit appliqué à marquer des points ou des trous ; on le nomme le jeu de toute-table, parce que pour le jouer chacun dispose ses dames en quatre parties ou quatre tas, qu'il place différemment dans les quatre tables du trictrac ; on ne joue que deux à ce jeu ainsi qu'au trictrac & au reversier, & l'on peut prendre un conseil. Pour bien disposer votre jeu il faut prendre garde de placer vos dames dans le trictrac de la maniere suivante ; savoir deux dans la fleche qui est dans le coin à la droite de votre homme, cinq dans l'autre coin à sa gauche ; trois sur la cinquieme fleche de la table qui est de votre côté & à votre droite ; & les cinq derniers sur la premiere fleche qui joint la bande de séparation dans la seconde table de votre côté & à votre gauche. L'autre joueur doit faire de même ; il mettra deux dames sur la premiere lame du coin qui est de votre côté à gauche ; cinq sur la derniere lame qui est au coin de votre droite ; & les cinq dernieres sur la premiere lame qui joint la premiere bande de séparation dans la seconde table de son côté à droite.

Les doublets se jouent à ce jeu comme au reversier doublement. Au commencement de la partie on peut jouer les deux dames qui sont dans le coin à la droite de son homme, ou celles du coin à sa gauche, ou même celles qui sont dans les coins de la table où l'on est ; & afin qu'on ne fasse pas marcher ses dames d'un côté pour l'autre, il faut que vos deux dames qui sont à la droite de votre homme viennent jusqu'au coin qui est à sa gauche, ensuite vous les pouvez faire passer de votre côté à votre droite, & vous les ferez aller avec tout le reste de vos dames dans la table qui est à votre gauche, par la raison que c'est dans cette table-là qu'il faut que vous passiez votre jeu, & qu'il est nécessaire que vous y passiez toutes vos dames avant que d'en pouvoir lever aucunes : on bat les dames à ce jeu comme au reversier, c'est-à-dire en plaçant sa dame sur la même lame où étoit celle de son homme, ou bien en passant toutes les dames qui ont été battues qui sont hors de jeu, & celui à qui elles appartiennent ne sauroit jouer quoi que ce soit qu'il ne les ait toutes rentrées. Il est bien plus facile de rentrer à ce jeu qu'au reversier, puisque l'on peut rentrer sur son homme, en le battant lorsqu'il a quelques dames découvertes, mais aussi vous pouvez rentrer sur vous-même, & mettre sur une fleche autant de dames que vous souhaiterez. Quand on a passé toutes les dames dans la table de la quatrieme pile, on leve à chaque coup de dez qui donne sur la bande du trictrac, ainsi qu'au jan de retour. Lorsqu'on joue au trictrac, pour chaque doublet on leve quatre dames quand on en a qui donnent juste sur le bord. Si la case que l'on devroit lever se trouve vuide, & qu'il y ait des dames derriere pour jouer le doublet que l'on a fait sans rien lever, il faut le jouer. S'il n'y a rien derriere, on leve celles qui suivent la fleche d'où le doublet qu'on a amené devoit partir : celui qui a le plus tôt levé toutes ses dames, gagne la partie simple.

Il arrive très-souvent que l'on joue en deux ou trois parties, & même en davantage, parce que ce jeu va assez vîte. Quelquefois aussi l'on joue à la premiere partie, & l'on convient que celui qui aura la partie double gagnera le double de ce que l'on a joué ; on gagne la partie double quand on a levé toutes ses dames avant que son homme ait passé toutes les siennes dans la table de sa quatrieme pile, & qu'il en ait levé aucune ; s'il en avoit levé une il ne gagneroit que la partie simple. Lorsque l'on joue en plusieurs parties & que l'on gagne double on marque deux parties, & celui qui a gagné recommence & a le dez.


TOUTENAGUou TUTANEGO, (Hist. nat.) on avoit cru jusqu'à présent, que la toutenague étoit une composition métallique, on prétendoit même que c'étoit un alliage d'étain & de bismuth ; enfin M. Charles Gustave Ekeberg, premier subrécargue de la compagnie des Indes de Suede, a détrompé le public de cette idée ; dans un avis qu'il a donné à l'académie royale des Sciences de Suede, il dit que cette substance métallique se trouve en Chine, dans la province de Whonam ; les Chinois l'appellent packyyn ; la mine qui la fournit est d'un gris de cendre tirant un peu sur le bleuâtre ; elle est brillante comme de la mine de fer ; elle est fort pesante, suivant qu'elle est plus ou moins chargée de métal ; elle est tendre sous terre, mais se durcit à l'air. On la rencontre à différentes profondeurs, & quelquefois à plus de quatre-vingt toises de la surface de la terre. La couche de terre qui couvre cette substance est ou jaune ou verdâtre, ou même noire. Il y a des filons qui vont quelquefois aboutir à la surface du terrein ; on est obligé d'en chercher d'autres d'après des indices connus. Ce métal ou cette substance se trouve en certains endroits toute formée & toute pure. A l'égard de la mine elle se fond aisément ; lorsqu'on la grille & qu'on la fait fondre, il en part une fumée épaisse, d'une odeur désagréable, & qui est nuisible & malsaine. Voyez les Mémoires de l'acad. royale des Sciences de Suede, année 1756. (-) Voyez TINTENAC.


TOUVRELA, (Géogr. mod.) riviere de France, en Angoumois ; elle tire sa source d'un rocher escarpé, & se jette dans la Charente après une lieue & demie de cours ; mais sa source est remarquable par sa beauté, car elle a plus de douze brasses d'eau de profondeur. (D.J.)


TOUXS. f. (Physiolog.) mouvement sourd ou sonore plus ou moins violent, qui s'exécute par le moyen des organes de la respiration, lorsqu'il arrive que quelque chose incommode les poumons, dont la nature tâche de se défaire. Voici le méchanisme de ce mouvement.

1°. L'air étant entré par l'inspiration est retenu quelque tems ; c'est l'irritation qu'on sent dans les poumons, qui est cause qu'on retarde un moment l'expiration pour tâcher de faire sortir ce qui incommode ce viscere ; alors le muscle triangulaire par son mouvement, resserre subitement le thorax ; les fibres antérieures du diaphragme produisent le même resserrement qui presse le tissu pulmonaire ; les poumons pressés violemment par diverses secousses, se vuident de l'air qu'ils contiennent dans leurs cellules ; l'air poussé à diverses reprises contre le larynx, y forme un son chaque fois qu'il va y heurter avec force : quand j'ai dit qu'on retarde un moment l'expiration pour faire sortir ce qui incommode les poumons, je n'ai pas prétendu que cela fût toujours volontaire ; je n'ai voulu expliquer que la toux qui est libre ; car lorsqu'il y a quelque violente irritation dans les poumons, il survient dans le diaphragme des convulsions qui forment une toux qu'on n'est pas maître d'arrêter.

2°. Quand l'air sort avec violence, les matieres qui incommodent les poumons sont enlevées, pourvu qu'elles se trouvent à son passage, & qu'elles puissent suivre ses mouvemens ; il arrive aussi que les diverses secousses que reçoivent alors les poumons, font sortir les liqueurs arrêtées dans quelques couloirs où elles causoient de l'irritation : il se peut faire encore que le sang ou la lymphe arrêtée qui peuvent irriter les nerfs, viennent à reprendre leur mouvement par l'agitation du tissu des poumons. Cependant si la toux continue long-tems, bien loin qu'elle fasse couler ces liqueurs, elle contribue à les arrêter ; car dans ces violens mouvemens dont elle agite les poumons, les vaisseaux & les couloirs s'engorgent beaucoup ; le sang qui ne peut pas sortir librement non plus que quand on rit, forme enfin ces tubercules qu'on trouve dans les poumons des phthisiques.

3°. On remarque que quand on rit beaucoup, on tousse ; c'est une suite méchanique des mouvemens qui s'excitent alors dans les poumons ; dans le tems qu'on rit, le sang ne coule pas librement, comme nous l'avons remarqué ; il est extrêmement pressé dans ses vaisseaux par les diverses secousses dont nous avons parlé ; or cela ne sauroit se faire que les nerfs qui sont dans la substance des poumons, ne soient irrités ; on ne doit donc pas être surpris s'il survient une toux.

D'ailleurs, il n'y a pas grande différence entre l'action par laquelle nous rions, & celle par laquelle nous toussons ; l'une & l'autre ne dépendent que de l'air qui sort par diverses secousses réitérées ; elles different 1°. par le changement du visage, & par l'affection qui ne caractérise que le ris ; 2°. dans la toux, l'air sort par la glotte ouverte, sans avoir eu le tems d'être changé, & dans le ris la voix sort par la glotte resserrée ; 3°. elles different encore en ce que les mouvemens sont plus violens dans la toux ; 4°. en ce qu'ils ne sont presque pas interrompus dans le ris, au lieu qu'ils le sont beaucoup dans la toux ; 5°. en ce qu'on ouvre plus le larynx quand on tousse, le cartilage thiroïde se baisse, & par-là l'épiglotte par sa pointe s'éloigne des cartilages arythénoïdes. Enfin, on met le larynx dans la situation où il est quand on fait une grande expiration.

On voit par-là que le bruit de la toux doit être sourd quelquefois ; mais si la toux est violente, l'air qui passera par la glotte, y excitera un son qui sera fort ; & alors le cartilage thyroïde ne descendra point : le bruit sourd dont nous venons de parler, est celui que font les asthmatiques qui ne respirent qu'avec peine, & qui quelquefois retirent un peu en-arriere les angles de la bouche, comme quand on veut rire... Par la même raison qu'on tousse après avoir ri, on peut tousser après avoir chanté, crié, parlé long-tems ; le sang qui ne coule pas bien, irrite les poumons.

4°. Les mouvemens déréglés qui arrivent au ventricule, produisent souvent la toux ; cela doit être ainsi, parce que la paire-vague donne des rameaux au poumon & à l'oesophage ; quand il arrivera donc une irritation dans l'un, elle se fera sentir dans l'autre ; aussi a-t-on remarqué qu'une toux opiniâtre a produit souvent des vomissemens. Quelquefois même il se fait de si grandes secousses en toussant, qu'on voit la dure-mere se mouvoir dans ceux qui ont perdu une partie du crâne. Joignons ici une observation de pratique ; l'opium si salutaire dans les toux convulsives, est funeste dans les toux dépuratoires, qui exigent une abondante expectoration. (D.J.)

TOUX, tussis, la toux est un symptome de plusieurs maladies, de la gorge, de la poitrine, & de l'estomac ; mais c'est le symptome ordinaire de quelque embarras dans le poumon. Elle consiste dans un effort violent que l'on fait pour expulser une matiere étrangere des bronches & du poumon, par le moyen de l'augmentation de leur contraction ou de leur force convulsive ; ainsi la toux est précédée d'une violente inspiration, & accompagnée d'une expiration aussi fatigante.

Les causes de la toux sont tout ce qui peut empêcher l'air d'entrer librement dans le poumon, & d'en sortir avec aisance ; ce qui provient de plusieurs causes qui sont propres ou étrangeres au poumon. Les causes de la toux propre à ce viscere sont, 1°. l'engorgement des arteres & des veines, soit bronchiques, soit pulmonaires, par un sang épais, visqueux, ou gluant ; 2°. l'arrêt de la lymphe bronchiale dans les canaux qui lui sont destinés, produit par un défaut de transpiration, par une chaleur ou un froid excessif ; 3°. l'acrimonie du sang ou de la lymphe bronchiale ; 4°. la constriction spasmodique du poumon ou des parties voisines ; ce sont-là les causes ordinaires de la toux pulmonaire, ou qui a sa premiere source dans le poumon.

La toux a aussi des causes étrangeres au poumon ; ainsi une salure acide, visqueuse, nidoreuse, qui enduit l'estomac, des rapports aigres, le vomissement habituel & accidentel, la crudité des alimens & du chyle qui se mêlent au sang dans le poumon, l'acrimonie de la mucosité des amygdales, du nez & des glandes du fond de la bouche, la sécheresse de l'air, sa chaleur, son humidité excessive, sont autant de causes de la toux, qui peuvent en agissant médiatement sur le poumon, produire ce symptome.

De-là vient que la toux est si ordinaire dans toutes les especes de dyspnées, dans la pleurésie, la péripneumonie, & l'esquinancie ; mais quoi qu'elle soit un symptome essentiel de ces maladies, elle se rencontre dans beaucoup de maladies, dont le siége est hors de la poitrine. Ainsi on voit souvent des toux causées par une affection spasmodique du larynx & de la gorge, dont la cause éloignée a son siége dans l'estomac, le foie, ou la matrice. De-là est venue la distinction de toux pectorale, de toux stomachale, & de toux gutturale.

Le diagnostic de la toux consiste à connoître ses especes & ses causes ; la gutturale & la symptomatique, de même que la sympathique, se connoissent par leurs signes ; la pectorale a les siens propres qui sont plus marqués, plus fâcheux. La toux séche est sans crachat, & accompagnée de douleur & de chaleur ; la toux humide est moins douloureuse & moins pénible.

Le prognostic de la toux varie selon le siége & ses causes ; la pectorale est la plus grave, & ne doit point être négligée ; elle désigne un rhume ou une fluxion, soit de sang, soit de pituite sur le poumon ; ce qui peut avoir des suites fâcheuses.

Traitement de la toux. Rien n'est si commun que d'ordonner des huiles, des juleps adoucissans & béchiques dans la toux ; les praticiens ordinaires & communs s'en tiennent-là & pour lors ils font empirer des maladies qui n'auroient été rien, si on eût coupé la racine. Avant de penser à guérir la toux, on doit en examiner la cause ; sans cela on risque de tout perdre. Les remedes adoucissans, tels que les huiles, les mucilages, les loochs, les émulsions, les syrops béchiques, les tablettes de guimauve, & autres pareilles, deviennent dangereuses, lorsque le rhume est symphatique. Si au contraire il est produit par une acrimonie du sang, une irritation des bronches, la sécheresse & la chaleur du poumon ; c'est le cas d'ordonner les béchiques simples & doux ; mais dans l'épaississement & la glutinosité soit de la lymphe, soit du sang, dans l'obstruction des canaux bronchiques, par une matiere froide, lente, & humide, on doit employer les béchiques incisifs & expectorans, les atténuans & apéritifs, les purgatifs & les émétiques.

D'où l'on doit conclure que les rhumes & la toux sont des maladies très-difficiles à guérir, & que les maladies chroniques de la poitrine & du poumon, qui dégénerent si souvent en consomption, sont pour la plûpart une suite de ces maladies légeres que l'on nomme toux & rhume, & que les ignorans traitent à la légere, sans en approfondir les causes, & sans en examiner les dangers. Les pilules de Morton, les baumes naturels & factices, les baumes de soufre, & autres préparations de cette nature, sont meilleurs que les remedes les plus vantés, dans la toux ; il n'est question que de modérer leur activité dans l'acrimonie & la grande ardeur de la poitrine. L'usage de ces remedes tempéré par le lait est un des grands spécifiques pour la toux. Voyez RHUME, voyez BECHIQUE. (m)


TOWCESTER(Géog. mod.) Torcester, ville ou bourg à marché d'Angleterre dans Northamptonshire. Cambden veut que ce soit le Tripontium des anciens, & qu'on l'appelloit ainsi à cause de ses trois ponts. Cette place devint une ville forte, dont les Danois ne purent s'emparer, après plusieurs assauts consécutifs, & également inutiles.

C'est dans le voisinage de Towcester que naquit en 1638, Bernard (Edouard) savant critique, ainsi qu'astronome ; & pour dire quelque chose de plus, vir omni eruditione & humanitate excellens, comme l'appelle Thomas Gale. Smith a donné sa vie. Son génie n'étoit pas d'un caractere à se renfermer dans les limites de la Grece & de Rome : il entreprit d'acquérir la connoissance des sciences de la Palestine, de la Syrie, de l'Arabie & de l'Egypte ; & dans ce dessein, il apprit les langues de ces divers pays. De-là vint qu'en 1668, il se rendit à Leyde pour consulter les manuscrits orientaux, que Joseph Scaliger & Levinus Warner avoient legués à la bibliotheque de cette académie.

Il fut nommé à la chaire d'Astronomie de Savile en 1673. L'université d'Oxford ayant formé le dessein de publier une édition des anciens mathématiciens, M. Bernard rassembla tous les livres de ce genre qui avoient paru depuis l'invention de l'Imprimerie, & tous les manuscrits qu'il put déterrer dans les bibliotheques bodleïenne & savilienne. Il rangea le tout sous diverses classes, & en dressa le plan qui devoit contenir quatorze volumes in-folio ; c'est grand dommage qu'un si beau projet n'ait point eu d'exécution.

En 1676, Charles II. l'envoya à Paris, en qualité de gouverneur des ducs de Graston & de Northumberland, fils de ce prince & de la duchesse de Cléveland ; mais la simplicité des moeurs de notre savant ne s'accommodant point du genre de vie qu'on menoit chez la duchesse, il revint au bout de l'année dans sa retraite chérie d'Oxford. élevé dans l'obscurité du cabinet, peu fait à la flaterie qu'on demande chez les grands, n'ayant point cette légéreté de conversation, cette galanterie oisive, & ces propos mensongers si nécessaires auprès des dames, il s'apperçut qu'il étoit peu fêté dans une maison où l'on ne savoit pas respecter les vertus réelles. Il s'en consola bientôt, & prit le parti de voir les savans de Paris, de visiter les manuscrits, & de ramasser quantité de livres rares.

De retour en Angleterre, il publia divers morceaux dans les Transactions philosophiques, sur la plus grande déclinaison du soleil, & sur la longitude & la latitude des principales étoiles fixes. En 1684 il prit le degré de docteur en Théologie, & obtint un bénéfice à neuf milles d'Oxford. En 1695, il fit le voyage de Hollande, & y acheta quantité de manuscrits orientaux de la bibliotheque de Golius, pour le docteur Narcisse Marsh, archevêque de Dublin. Il mourut à Oxford en 1696, âgé d'environ cinquante-neuf ans.

Son ouvrage sur les poids & mesures des anciens, parut en 1685, & fut réimprimé en 1688, in-8 °. C'est un traité pour l'usage, & non pour la parade, l'auteur l'ayant rendu aussi concis qu'il étoit possible. Il a rassemblé judicieusement ce qui étoit dispersé çà & là dans les autres écrivains ; & il a ajouté, de son propre & riche fonds, quantité de choses qu'on chercheroit inutilement ailleurs, sur les mesures des Talmudistes, des Arabes, des Chinois, &c. On a joint dans la seconde édition de ce traité deux lettres écrites à l'auteur : l'une, du docteur Thomas Hyde, dans laquelle il explique plus particulierement ce qui regarde les poids & les mesures des Chinois : & l'autre d'un savant qui se signe N. F. D. c'est-à-dire, Nicolas Fatio de Duillier, qui fait une description de la mer d'airain de Salomon, selon une nouvelle méthode, & qui en donne un plan.

M. Bernard a fait imprimer à Oxford sur une grande feuille gravée en cuivre : Orbis eruditi litteratura à caractere samaritico deducta. On y voit d'un coup-d'oeil, sans confusion, les différentes figures des lettres, dans les différens âges du monde ; celles qui ont été d'abord en usage parmi les Phéniciens, ensuite parmi les Samaritains, les Juifs, les Syriens, les Arabes, les Perses, les philosophes Indiens, les Brachmanes, les Malabares, les Grecs, les Coptes, les Russiens, les Esclavons, les Arméniens, qui ont emprunté leur alphabet des Grecs, comme les Ethiopiens le leur des Coptes. Enfin on y voit les caracteres des anciens latins, desquels les Francs, les Saxons, les Goths, & les autres nations septentrionales, ont emprunté les leurs. Il y a joint une seconde table qui contient les principales abréviations des Grecs, celles des Médecins, des Mathématiciens & des Chymistes ; table qui est d'un grand usage dans la lecture des anciens. On y trouve aussi d'excellens essais des abréviations des autres peuples. Il a dressé le tout avec un travail prodigieux, sur les monumens, les monnoies, & les manuscrits. Les tables dont nous venons de parler, sont aussi rares que curieuses ; & nous les avons cherchées sans succès, pour en embellir l'Encyclopédie.

En 1689 parut son Etymologicon britannicum à la fin des Institutiones anglo-saxonicae du docteur George Hickes, à Oxford, in-4 °. Cet étymologique contient l'étymologie d'un grand nombre de mots anglois & bretons, tirés du russien, de l'esclavon, du persan & de l'arménien.

M. Bernard a mis au jour diverses autres pieces, & il a laissé plusieurs ouvrages ébauchés dont le docteur Smith a donné le catalogue dans la vie de ce savant homme. Entre ces ouvrages se trouve, 1°. un chronicon omnis aevi, plein d'érudition, & qui étoit le fruit de plusieurs années de travail, d'après d'anciens manuscrits, des médailles, & d'autres monumens. 2°. Calendarium ecclesiasticum & civile plerarumque gentium ; c'est un ouvrage considérable, & qui mérite de paroître. 3°. On peut ici rapporter les vastes recueils qu'il avoit faits sur la Géométrie & l'Astronomie, & divers plans tirés des auteurs arabes, qui sont encore manuscrits dans la bibliotheque bodléïenne & dans celle de Golius. 4°. Des recueils sur la maniere de trouver le méridien, sur les solstices & les équinoxes, sur l'année tropique, & sur la méthode d'observer le mouvement des astres. Enfin les curateurs de la bibliotheque bodléïenne ont acheté les manuscrits en question, & quelques autres de l'auteur, pour le prix de deux à trois cent livres sterlings. (D.J.)


TOWRIDGE(Géog. mod.) riviere d'Angleterre. Elle prend sa source dans le comté de Devon, dont elle traverse une partie, passe à Bedfort ; & après s'être jointe au Taw, à trois milles de la mer d'Irlande, elles s'y jettent ensemble dans un même lit. (D.J.)


TOWYLA, (Géog. mod.) riviere d'Angleterre, au pays de Galles, dans le Caermarthen-shire. Elle arrose Caermarthen, & se perd dans la mer à environ dix milles de cette ville. Cambden prétend que c'est le Tobius des anciens. (D.J.)


TOXANDRI(Géog. anc.) peuples de la Gaule belgique, dont le pays pourroit bien répondre en partie au Brabant & au pays de Liége. Leur nom est fort connu des anciens ; mais ils n'ont pas déterminé la situation précise de leur pays. Cluvier les recule jusque dans la Zélande. M. de Valois & plusieurs autres les mettent en-deçà de la Zélande & vers la Meuse dans les terres : c'est aussi à peu de choses près, le sentiment de Cellarius. On lit dans la vie de S. Lambert, apôtre des peuples toxandri, que la Toxandrie étoit à-peine éloignée dans le tems qu'il vivoit, de trois milles de la ville de Matrichi du côté du nord. (D.J.)


TOXCOALTS. f. (Hist. mod. superstition) c'est une fête ou une espece de jubilé, que les Méxicains célébroient tous les ans au printems, & qui duroit pendant neuf jours. Un prêtre, jouant de la flûte, sortoit du temple, & se tournoit successivement vers les quatre parties du monde ; ensuite il s'inclinoit devant l'idole, & prenant de la terre, il la mangeoit ; le peuple suivoit son exemple, & demandoit au dieu la rémission de ses péchés, les guerriers demandoient la victoire ; mais le principal objet de la fête étoit d'obtenir de l'eau. Le neuvieme jour on promenoit l'idole par les rues ; le peuple la suivoit en gémissant amérement, & en se donnant des coups de fouet sur les épaules. La cérémonie se terminoit par le sacrifice d'un captif qu'on immoloit pour se rendre le ciel propice.


TOXICODENDRONS. m. (Hist. nat. Botan. exot.) le toxicodendron, c'est-à-dire, l'arbre vénéneux, mérite sans doute d'être distingué de tout autre arbre. Remarquez donc que les feuilles viennent trois ensemble, comme celles du treffle. Le calice est fort petit, dentelé, fendu en cinq, & d'une seule piece ; la fleur est en rose & pentapétale. L'ovaire au fond du calice se transforme en un fruit à-peu-près rond, sec, strié & rempli de semences plates. Tournefort en compte deux especes. 1°. Toxicodendron triphyllum, folio glabro ; 2°. toxicodendron triphyllum, folio sinuato, pubescente. I. R. H. 611. Cette seconde espece differe de la vitis virginiana par ses feuilles velues, leurs pédicules, leurs côtes & leurs fibres rouges. Aux deux especes précédentes, Miller ajoute cette troisieme, toxicodendron carolinianum, foliis pinnatis, floribus minimis, herbaceis.

Cet arbre est fort commun en Amérique, trace beaucoup, s'éleve assez vîte jusqu'à la hauteur de 20 piés, mais il ne subsiste pas long-tems. Son bois est jaune intérieurement, a une odeur forte & très-désagréable, il contient une séve encore plus puante, & aussi visqueuse que la térébenthine. Son fruit est une baie séche, blanche & arrondie, & qui vient en grappe.

Le toxicodendron empoisonne de deux manieres, ou par son odeur, ou quand on le manie. Il est arrivé que ceux qui l'ont coupé dans les bois, & ceux qui l'ont brûlé dans leur feu, ont été violemment affectés de l'odeur qu'il répandoit ; mais il est remarquable que son poison n'attaque que quelques personnes, tandis que d'autres peuvent manier très-long-tems le bois de cet arbre, le brûler sous leur né, & même en mâcher sans aucun accident.

Au reste son poison n'est jamais mortel, & s'évanouit de lui-même en peu de jours, sans aucun remede ; mais ceux qui en sont attaqués, en détruisent les effets promtement, en étuvant les parties attaquées d'huile de salade ou de crême.

Les premiers symptomes de ce poison sont une violente démangeaison, qui enflamme la partie & la tumefie, parce qu'on ne peut s'empêcher de se gratter fortement. Quelquefois tout le corps devient enflé, mais ordinairement ce n'est qu'une seule partie du corps, comme les mains ou les jambes ; & cette enflure cesse par des vésicules qui s'élevent sur la peau, & qui jettent une grande quantité de sérosités, d'où procede la guérison.

Ceux qui ont été empoisonnés pour avoir manié de ce bois, disent qu'il est très-froid au toucher, & qu'on peut même par ce moyen le distinguer des autres bois dans l'obscurité. Quoi qu'il en soit, voyez les Philos. Transact. n°. 367. (D.J.)

TOXICODENDRON. Voyez HERBE A LA PUCE.


TOXICUM(Littérat.) poison dont les Scythes & quelques autres peuples barbares frottoient la pointe de leurs fleches ; le toulola des Indiens modernes est peut-être le même poison ; ce qui est certain d'après le témoignage des historiens, c'est que la plaie touchée par le toxicum des Scythes étoit mortelle ; d'où vient qu'on a employé le même mot dans la langue latine, pour marquer un poison dont rien ne peut empêcher l'effet. (D.J.)


TOXILITAXILI ou TAXILAE, (Géog. anc.) peuples de l'Inde, selon Denis Périégete, vers 1141, qui les met au nombre des peuples qui habitoient entre les fleuves Cophés, Indus, Hydaspe & Acésine. Leur ville se nommoit Taxila, & leur roi est appellé Taxilus par Quinte Curce, l. VIII. qui dit que ce nom étoit affecté à tous ceux qui succédoient au royaume. Quant à la ville de Taxila, Strabon, Ptolémée & Quinte-Curce nous apprennent qu'elle n'étoit pas éloignée de la rive orientale de l'Indus. (D.J.)


TOXOTESS. m. pl. (Antiq. d'Athènes) ; nom de bas officier, ou plutôt d'especes de licteurs qui accompagnoient, & étoient aux ordres des LÉxiarques. Il y en avoit un millier dans la ville d'Athénes, qui demeuroient dans des tentes qu'on avoit premierement tendues dans le forum, & qu'on tendit ensuite dans la place de l'aréopage. Voyez Potter, Archaeol. graec. t. I. p. 179. (D.J.)


TOYERES. f. (terme de Ferrandinier) pointe d'une hache, hachereau, &c. qu'on engage dans le manche. Dict. des arts. (D.J.)


TOZZIAS. f. (Hist. nat. Botan.) nom donné par Micheli & continué par Linnaeus, à un genre de plante dont voici les caracteres. Le calice de la fleur est très-court, subsistant après la fleur, & composé d'une seule feuille tubulaire, divisée en cinq segmens dans ses bords ; la fleur est monopétale & ouverte ; son tuyau est cylindrique, & plus long que le calice, son extrêmité est découpée en deux lévres ; la supérieure est fendue en deux, l'inférieure en trois parties, & tous les segmens sont à-peu-près égaux & arrondis ; les étamines sont quatre filets cachés sous la lévre supérieure de la fleur ; les bossettes des étamines sont rondelettes ; le germe du pistil est oval ; le style a la longueur des étamines, & est fort délié ; le stigma est assez gros ; le fruit est une capsule sphérique, monocapsulaire, dans lequel est contenue une seule semence ovale. Micheli, p. 16. Linnaei gen. plant. p. 302. (D.J.)


TRA-LOS-MONTES(Géog. mod.) province de Portugal, bornée au nord par le royaume de LÉon, la Galice, la province de Béira & celle de Entre Duero-e-Minho. Elle a environ 30 lieues de long sur 20 de large ; on y recueille du vin & beaucoup d'huile. Miranda en est la capitale. (D.J.)


TRABANSS. m. (Art milit.) ce mot en langue allemande signifie gardes. On appelle ainsi, dans les régimens suisses, des soldats armés d'une grande halebarde ou pertuisane différente de celle des sergens, & dont la fonction est d'accompagner le capitaine dans toutes les actions de la guerre, & de veiller à sa défense. Les trabans sont exempts de factions, & ils ont une paye plus forte que celle des autres soldats de la compagnie. Ils ont la livrée du roi dans le régiment des gardes-suisses ; & dans les autres régimens ils portent celle du colonel, de même que les tambours & les fifres. (Q)


TRABES. f. (terme de Blason) ce mot se dit du bâton qui supporte l'enseigne & la banniere ; on dit par exemple, il porte une banniere semée de France, à la trabe d'argent. (D.J.)


TRABÉES. f. (Antiq. rom.) trabea ; robe des rois de Rome, ensuite des consuls & des augures. Il y avoit trois sortes de robes qu'on nommoit trabées. La premiere étoit toute de pourpre, & n'étoit employée que dans les sacrifices qu'on offroit aux dieux. La seconde étoit mêlée de pourpre & de blanc. Elle fut d'un grand usage chez les Romains, car non-seulement les rois de Rome la porterent les premiers, mais les consuls en étoient revêtus lorsqu'ils alloient à la guerre ; elle devint même un habit militaire, avec lequel paroissoient les cavaliers aux jours de fêtes & de cérémonies, tels que les représentent Denys d'Halicarnasse dans les honneurs qu'on rendoit à Castor & à Pollux, en mémoire du secours que les Romains en avoient reçu dans le combat qu'ils eurent à soutenir contre les Latins. La troisieme espece de robe trabée étoit composée de pourpre & d'écarlate ; & c'étoit le vêtement propre des augures. (D.J.)


TRACANNERen terme de Fileur d'or, c'est dévider le fil ou la soie qui ne sont pas encore couverts pour les mettre sur les roquetins ; ou le fil d'or, d'argent, qui est façonné.


TRACANOIRc'est, en terme de Boutonnier, un chassis de deux montans percés de distance en distance de trous vis-à-vis l'un de l'autre, dans lesquels entrent des broches garnies d'une ou plusieurs bobines qui se mettent en-dedans quand la broche a passé dans un des montans. Ces montans sont arrêtés par en-bas sur une espece de ban à rebords un peu élevés, & par en haut d'une traverse qui leur est solidement attachée. Autour de cette machine, environ à 2 piés d'elle, tant sur les côtés qu'en-haut, sont deux autres montans mis à plat contre le mur, garnis de plusieurs chevilles qui se répondent les unes aux autres, & une autre en-travers, dont les chevilles sont placées de deux en deux à plus grandes distances. Cette machine sert à donner les longueurs & le poids pour les différens fils d'or. Ceux qui des deux premieres chevilles des montans se replient triangulairement sur celle du milieu de la traverse, sont de telle longueur & de tel poids ; ceux qui des secondes chevilles des montans se replient triangulairement sur la cheville de devant, celle du milieu, sont d'une autre longueur & d'un autre poids, ainsi du reste, en montant sur les rateliers latéraux, & en diminuant ou en augmentant sur le transversal ; c'est à l'ouvrier, à fixer ces différences dans les longueurs & dans le poids, en essayant ce que telles ou telles combinaisons peuvent lui rendre dans tel emplacement. Ces expériences une fois exactement faites, il n'a plus qu'à monter sa machine & l'étudier pour se ressouvenir de ses produits : on appelle monter son ouvrage en tournant ces fils sur deux de ces chevilles latérales, & qui se répondent en les y séparant en trois, quatre ou cinq fils, selon qu'on veut en mettre, plus ou moins, sur les fuseaux ; quant aux chevilles transversales, on y conduit les mêmes fils, mais sans les en séparer ; on commence à les relever sur une des chevilles latérales à droite, qui forme le pli de ces fils ; après les avoir attachés par ce fil au fuseau avec une petite ficelle qui y tient toujours ; on les y devide en débarrassant la cheville latérale à gauche, & allant jusqu'à la transversale ; alors on noue au fuseau les brins un peu au-dessous de cette cheville, & quand ils sont tous dévidés de cette sorte sur les fuseaux, on coupe les brins à-peu-près à la même hauteur, & ce qui reste entortillé sur cette cheville transversale, est précisément ce qu'il a fallu mettre de trop dans la longueur & dans le poids, & est jetté aux déchets.

TRACANOIR, en terme de Fileur d'or, est un banc sur lequel sont emboîtés deux montans, affermis par en-haut avec une traverse. Il y a quelquefois vers le milieu de leur hauteur, une broche de fer passée de l'un à l'autre, où l'on met le bois ; mais l'on se sert plus communément d'une ficelle, qui paroît d'autant plus commode qu'on peut tracanner avec elle sans faire aucun bruit.


TRACASsont en terme de Raffineur, des espaces vuides & quarrés, qui regnent depuis le premier jusqu'au dernier étage, en perçant tous les greniers directement au-dessus l'un de l'autre. Les tracas forment du haut en bas, une espece de cloison de planches, qui sont percées sur les deux côtés de hauteur d'homme en hauteur d'homme, pour recevoir d'autres planches d'où les ouvriers se donnent les pains de l'un à l'autre, jusqu'au grenier que l'on leur a destiné. On voit tout au haut du tracas une poulie d'où tombe un cable, au bout duquel est un gros crochet où l'on met le bourlet quand il est question de descendre de grosses pieces. Voyez VERGEOISES & BATARDES.

TRACE, s. f. (Gramm.) empreinte qui reste sur un endroit, ou sur un corps, du passage d'un autre. On dit la trace d'un carrosse ; les traces affligeantes d'une armée ; les Euménides suivent dans Eschile, le parricide Oreste à la trace. Le sage Salomon dit qu'on ne peut remarquer la trace de la fleche ou de l'oiseau dans l'air, du serpent sur la pierre, de l'homme sur la femme. Au figuré, on dit les traces des héros, les traces que les passions laissent dans l'ame.

TRACE, (Papeterie) nom que les Papetiers donnent à une sorte de papier gris, qui s'appelle autrement mainbrune ; il sert à faire le corps des cartes à jouer. Il y a une autre sorte de papier que l'on appelle aussi trace ou maculature, qui approche de la qualité du premier ; il s'emploie à envelopper les rames de papier. (D.J.)

TRACE, terme de Chasse, c'est la forme du pié d'une bête noire sur l'herbe, ou sur les feuilles, &c. par où elle a passé. (D.J.)


TRACÉterme de Blason, Voyez OMBRE.

Scribani à Gènes, d'or à une croix anchrée & fleurée simplement, tracée à filets de sable, à deux chicots de sinople, l'un au canton dextre du chef, l'autre au canton senestre de la pointe.


TRACE-SAUTEREAUXS. m. (Luthier) outil dont les Facteurs de clavecins se servent pour tracer sur les pieces de bois, dont les sautereaux l'ont faites, les endroits où il faut faire les entailles pour placer les languettes ; cet outil est un morceau de bois, auquel on a formé plusieurs épaulemens ou encoignures. A. B. C. fig. xiv. pl. 17. de Lutherie, dans chacune de ces encoignures sont plusieurs pointes distantes les unes des autres & de l'épaulement, ainsi qu'il convient pour les lignes que l'on veut tracer. On se sert de cet outil comme d'un petit trusquin. Voyez TRUSQUIN.


TRACERv. act. on dit en Géométrie pratique, tracer une ligne, c'est la marquer avec de l'encre, du crayon, ou toute matiere semblable. Dans la géométrie spéculative, que les lignes soient bien ou mal tracées, cela n'y fait rien : on y suppose toujours que les lignes données soient exactement telles qu'on les demande. (E)

TRACER, (Botan.) ce mot en Botanique & en Agriculture, veut dire courir & couler entre deux terres ; le chiendent trace extraordinairement, cela signifie que ses racines entrent peu dans la terre, & qu'elles s'étendent sur les côtés. On dit aussi que les fraisiers tracent, mais c'est par des jets qui courent sur la terre. (D.J.)

TRACER, (Archit.) tirer les premieres lignes d'un dessein, d'un plan, sur le papier, sur la toile, ou sur le terrein. Il y a dans l'art de bâtir plusieurs manieres de tracer, que nous allons expliquer dans des articles séparés.

Tracer au simbleau. C'est tracer d'après plusieurs centres, les ellipses, arcs surbaissés, rampans, corrompus, &c. avec le simbleau, qui est un cordeau de chanvre, ou mieux de tille, parce qu'elle ne se relâche point. On se sert ordinairement du simbleau pour tracer les figures plus grandes que les portées du compas.

Tracer en cherche. C'est décrire par plusieurs points déterminés, une section conique, c'est-à-dire une ellipse, une parabole, ou une hyperbole, & d'après cette cherche levée sur l'épure, tracer sur la pierre : ce qui se fait aussi à la main, pour donner de la grace aux arcs rampans de diverses especes.

Tracer en grand. C'est en maçonnerie tracer sur un mur ou une aire, une épure, pour quelque piece de trait ou distribution d'ornemens. Et en charpenterie, c'est marquer sur un étalon, une enrayure, une ferme, &c. le tout aussi grand que l'ouvrage.

Tracer par équarrissement ou dérobement. C'est dans la construction des pieces de trait, ou coupe de pierre, une maniere de tracer les pierres par des figures prises sur l'épure, & cotées pour trouver les raccordemens des panneaux de tête, de douelle, de joint, &c.

Tracer sur le terrein. C'est dans l'art de bâtir faire de petits sillons, suivant des lignes ou cordeaux, pour l'ouverture des tranchées des fondations. (D.J.)

TRACER A LA MAIN, (Coupe des pierres) c'est déterminer à vue d'oeil le contour d'une ligne courbe, en suivant plusieurs points donnés par intervalle, ou en corrigeant seulement par le goût du dessein une ligne courbe, qui ne satisfait pas la vûe. Ainsi une doucine composée d'arcs, de cercles mal assemblés, doit être encore tracée à la main.

TRACER, en terme de Boutonnier, c'est ébaucher les moules & les dégrossir avec un outil moins fin que le paroir. Voyez MOULE & PAROIR.

TRACER, terme d'ouvriers en bois, ce mot signifie parmi les ouvriers en bois, comme les Charpentiers, Menuisiers, Charrons, &c. se servir du traceret pour marquer la besogne. (D.J.)

TRACER, TRACEUR, (Jardinage) c'est dessiner avec le traçoir sur le terrein quelques figures suivant le plan qu'on a devant soi. Le traçoir est comme une longue plume avec laquelle le traceur écrit sur le terrein.

La maniere de tracer est ce qu'il y a de plus considérable dans les jardins, principalement dans ceux que l'on appelle de plaisance ou de propreté. On suppose qu'avant de tracer, on s'est instruit des principes de la Géométrie pratique, tels qu'ils sont enseignés dans le livre de la théorie & pratique du jardinage, partie deuxiéme, ou bien dans ce Dictionnaire même aux articles de la trigonométrie rectiligne, pour tracer des triangles, à celui de la longimétrie pour tracer des lignes, & des surfaces à l'article PLANIMETRIE.

On suppose donc ici un homme instruit de ces principes dont il aura fait usage sur le terrein, en traçant les principaux alignemens d'un plan général avec l'équerre d'arpenteur ou avec le demi-cercle, en le retournant d'équerre pour les alignemens de traverse, en prolongeant par des jalons, les longueurs & les largeurs de ces alignemens, & les arrêtant suivant qu'elles sont marquées sur le dessein, en prenant avec le rapporteur les ouvertures d'angles sur le papier, & les rapportant sur le terrein, en ouvrant le demi-cercle sur le même degré que l'on a trouvé sur le rapporteur. Quant aux figures triangulaires, circulaires, ovales, quadrilateres & irrégulieres qui se trouvent dans un dessein, elles se rapporteront toujours aux premiers principes établis, & ne formeront plus de difficultés dans la maniere de tracer les desseins les plus composés.

Il s'agit ici de donner la maniere de remplir les places destinées aux parterres, bosquets, ou boulingrins, & aux potagers dont on n'a tracé dans le plan général que les pourtours.

Le pourtour d'un parterre étant tracé, il offre un quarré ou une place qu'on appelle un tableau, & qu'il faut tracer en la maniere suivante.

Maillez sur le papier le dessein du parterre en le séparant par des lignes tirées au crayon, qui en se croisant formeront des carreaux de trois piés sur tous sens, selon l'échelle qui se trouve toujours au bas du dessein.

Faites la même opération sur le terrein en partageant votre place par le moyen du cordeau en autant de lignes & de carreaux qu'il s'en trouve sur votre papier. Prenez le traçoir, & tracez dans chaque maille les mêmes traits, les mêmes fleurons qui sont marqués dans votre dessein, qu'il faut toujours avoir près de vous. On ne trace d'abord les fleurons qu'à un trait pour les mettre en place, ensuite on les double & on leur donne de la grace, & le contour qu'ils demandent suivant le dessein. Ces petites mesures se prennent à la fois & au pié, & l'on arrête par des trous faits avec la pointe du traçoir le bout & la naissance des feuilles & des rinceaux du parterre, pour les mieux faire remarquer à celui qui plante.

Les bosquets n'ont d'autre difficulté à être tracés, que par rapport aux salles & aux cabinets qu'on y pratique. S'ils ne présentent que de simples étoiles, des pattes d'oyes, des cordons, des ovales, & autres figures, elles reviennent toujours aux principes établis dans les articles ci-dessus énoncés. Ces salles sont ou circulaires ou présentent des parallélogrammes, ornés de pieces d'eau cintrées, ou de tapis de gazon.

Mesurez sur le plan combien il y a de toises depuis le point du milieu de la piece, jusqu'au centre des portions circulaires. Vous porterez les mêmes longueurs sur l'alignement du milieu par où il faut commencer, & vous poserez au centre de ces portions le demi-cercle sur l'alignement du milieu, & son alidade sur 90 degrés pour vous retourner d'équerre, & pour tracer une ligne de traverse qui donnera les oreillons de la piece du milieu. Au-dessus de cette ligne vous porterez de chaque côté la largeur des allées du pourtour de la piece d'eau ou de gazon, vous ôterez le demi-cercle, & dans le même centre vous mettrez un piquet & vous y passerez la boucle du cordeau pour tracer les portions circulaires, tant de la piece d'eau que de l'allée du pourtour, jusqu'à ce que vous trouviez la trace des oreillons : vous mettrez à toutes ces mesures des piquets, vous en ferez autant à l'autre extrêmité de la salle : cela fait vous porterez depuis la ligne du milieu la largeur de la piece d'eau & celle des allées du pourtour, dans chaque bout de la salle & des deux côtés, & par des alignemens prolongés & tracés au cordeau, vous aurez dessiné sur le terrein toute votre salle conformément au dessein. Si vous avez des niches & des renfoncemens pour des bancs & des figures, vous vous servirez de l'équerre de bois pour en tracer les retours, suivant les mesures marquées sur le plan.

Les boulingrins auront de même que les parterres & les bosquets leurs contours marqués dans la trace du plan général ; il ne s'agira plus que de tracer leur renfoncement & ce qui orne leur milieu. On suppose un parallélogramme échancré dans les 4 angles. Si vous avez la ligne du pourtour d'en-haut dressée bien de niveau, en reportant la largeur du talus trouvé sur le plan, au-de-là de la trace d'enhaut, avec encore un pié au-delà pour couper le talus en terre ferme, vous pourrez faire creuser & enlever vos terres de la profondeur que vous voudrez y donner, supposé de deux piés. Pour dresser le fond du boulingrin, enfoncez aux encoignures de la trace du pourtour d'en - haut, & le long de la trace, des piquets qui excedent la terre d'un pié environ, & enfoncez-en vis-à-vis dans le fond qui ayent la même hauteur, & qui s'alignent sur ceux d'en-haut d'un bout-à-l'autre : ensuite vous mesurerez sur ces jalons en contre-bas le pié qu'ont de hauteur hors de terre, les piquets des encoignures & ceux du pourtour d'en-haut, & vous y ferez une marque au charbon. Joignez les deux piés que vous voulez donner de renfoncement au boulingrin ; alors vous ferez buter ou décharger du pié ces jalons du fond suivant le besoin, de maniere qu'ils ayent en tout trois piés de haut, ensuite vous attacherez un cordeau au pié des piquets d'en-haut, & sur la marque noire faite sur le jalon vis-à-vis, vous y attacherez l'autre bout du cordeau, vous mesurerez dessus ce cordeau bien tendu 6 piés qu'a la largeur du talus de piquet en piquet, au bout desquels 6 piés vous ferez tomber un aplomb jusque dans le fond, en faisant araser & dresser les terres pour y planter un piquet à tête perdue ; faites la même opération aux extrêmités du parallélogramme, ainsi ayant arrêté par des piquets les repaires nécessaires, faites tendre le cordeau de l'un à l'autre, & tracez le parallélogramme d'en-bas ; vous alignerez par-tout des jalons dont les têtes s'ajustent à la hauteur des jalons & des piquets des encoignures, & vous les mettrez tous à la hauteur de trois piés, vous tendrez un cordeau de l'un à l'autre jusqu'aux jalons d'en-bas, & par des repaires ou hêmes, vous unirez tout le fond du boulingrin. Pour le talus du pourtour vous poserez des piquets de deux toises en deux toises, & en mettrez en pareil nombre & à même distance sur la ligne qui termine le pié du talus, tendez un cordeau de haut-en-bas d'un jalon à son opposé, & faites une rigole ou repaire d'un pié de large suivant le cordeau, coupez la terre ainsi par rigoles en tendant le cordeau de piquet en piquet : pour dresser entierement ce talus, promenez le cordeau de tous sens & d'une rigole à l'autre en faisant suivre un homme qui coupera & arasera à la bêche les endroits où il y aura trop de terre en suivant exactement le cordeau sans le forcer, c'est la meilleure maniere d'applanir un terrein que le rateau achevera de bien unir & dresser. A l'égard de la piece longue ceintrée qui occupe le fond du boulingrin, il n'est pas plus difficile de la tracer qu'une autre qui seroit sur le terrein d'en-haut, ce que l'on exécutera par les principes indiqués ci-dessus.

Les potagers, légumiers, vergers, pepinieres ne demandent aucune recherche pour la trace ; leur pourtour tracé dans le plan général suffit ; il n'y a plus qu'à tracer au cordeau des rigoles ou des planches en tendant le cordeau de piquet en piquet à la distance de deux piés l'un de l'autre sans y comprendre la largeur des sentiers, ce qui separera tout le terrein en rigoles ou en planches.

TRACER, (Peinture) marquer avec un crayon, une pointe de fer, &c. le dessein de quelque chose. On dit tracer un plan, tracer une perspective, un profil. Je n'ai que tracé telle chose. Voyez TRAIT.

Tracer ne se dit guere en peinture qu'en parlant de l'architecture qui est dans un tableau ; je viens de tracer mon architecture. A l'égard des autres objets, on dit dessiner.

TRACER la natte, (Nattier) les nattiers en paille, disent tracer la natte, pour signifier passer alternativement les unes sur les autres, les trois branches de paille dont chaque cordon est composé. (D.J.)


TRACERETS. m. (Charpent. Menuiserie) outil de fer pointu dont on se sert en méchanique, pour tracer, marquer & piquer le bois. Le traceret des charpentiers est long de sept ou huit pouces, avec une espece de tête par le haut. Les menuisiers se servent le plus souvent d'une des pointes de leur petit compas de fer au lieu de traceret. (D.J.)


TRACHEALELE, adj. en Anatomie ; l'artere tracheale ou gutturale inférieure vient de la partie postérieure de la souclaviere, & va en serpentant le long de la trachée-artere, se distribuer aux glandes thyroïdiennes & au larynx.

TRACHEE ARTERE, aspera arteria, en terme d'Anatomie ; c'est le canal du vent ou de l'air, appellé vulgairement le sifflet ; Galien lui a donné le nom de trachée, , parce que ce canal est inégal : c'est pourquoi les Latins l'ont appellé aussi aspera.

La trachée artere est un canal, situé dans la partie moyenne & antérieure du cou, devant l'oesophage. On appelle larynx son extrêmité supérieure, d'où elle descend jusqu'à la quatrieme vertebre du dos, où en se divisant, elle entre dans les poumons, voy. nos Planches d'Anat. leur explication, & les articles OESOPHAGE, LARYNX, VERTEBRE, &c.

Elle est formée de cerceaux cartilagineux rangés à distances égales & fort proches les uns des autres, qui deviennent plus petits à mesure qu'ils s'approchent des poumons. Ceux des bronches se serrent de si près l'un l'autre, que dans l'expiration, le second cartilage annulaire entre dans le premier, le troisieme dans le second, & les suivans entrent toujours dans ceux qui les précedent. Voyez RESPIRATION, &c.

Depuis le larynx jusqu'aux poumons, ces cartilages ne forment point des anneaux parfaits ; ils sont plats d'un côté, & ne finissent point le cercle entier ; mais ils ressemblent à l'ancien sigma grec, d'où ils ont pris le nom de sigmoïdes. Leur partie postérieure qui est contiguë à l'oesophage est membraneuse, afin qu'ils puissent mieux se contracter & se dilater, & par-là donner un passage commode aux alimens, lorsqu'ils descendent par le gosier. Voyez DEGLUTITION.

Les cartilages des ramifications de la trachée artere qu'on appelle bronches, forment des anneaux complets ; cependant leurs bronches capillaires n'ont point de cartilages ; mais en leur place ils ont de petits ligamens circulaires, qui sont un peu éloignés les uns des autres. L'usage de ces cartilages est de tenir le passage ouvert à l'air ; mais dans les bronches capillaires, ils gêneroient l'action des vaisseaux. Voyez BRONCHES.

Ces cartilages sont attachés ensemble par deux membranes, une extérieure, l'autre intérieure ; l'extérieure est composée de fibres circulaires, & recouvre extérieurement toute la trachée ; l'intérieure est d'un sentiment très-exquis, & tapisse ou couvre les cartilages en-dedans : elle est composée de trois membranes distinctes : la premiere est tissue de deux rangs de fibres ; celles du premier rang sont longitudinales ; pour raccourcir ou contracter la trachée, elles font approcher & entrer les cartilages les uns dans les autres ; l'autre rang de fibres circulaires sert à contracter les cartilages.

Quand ces deux rangs ou ces deux ordres de fibres agissent, elles aident conjointement avec la membrane extérieure à tousser & à changer le ton de la voix, dans le tems de l'expiration. Voyez EXPIRATION, VOIX, &c.

La seconde membrane est entierement glanduleuse, & les vaisseaux excrétoires de ces glandes s'ouvrant dans la cavité ou l'intérieur de la trachée, y distillent une liqueur qui l'humecte & qui la défend contre l'acrimonie de l'air. La derniere est un réseau de veines, de nerfs & d'arteres ; les veines sont des branches de la veine-cave, les nerfs sont des ramifications de la paire recurrente, & les arteres sont des branches des carotides externes.

On regardoit communément comme mortelles les sections transversales de la trachée artere, néanmoins on trouve plusieurs exemples du contraire dans les pratiques modernes. Dans certains cas dangereux d'esquinancie, &c. on est même obligé d'ouvrir la trachée par la section ; on appelle cette opération la bronchotomie ou laryngotomie. Voyez BRONCHOTOMIE.

Dans les Transactions philosophiques, il y a une lettre de M. Jean Keen, qui recommande le plus fréquent usage de la bronchotomie, c'est - à - dire d'ouvrir le canal de l'air ou la trachée-artere dans les occasions pressantes ; ce dont il fait sentir l'importance à l'occasion d'un cas remarquable d'une personne qui eut le canal de l'air ou la trachée - artere coupée totalement de part à autre au-dessous de la pomme d'Adam, & qui fut guérie par le moyen de la suture, & y appliquant les médicamens convenables.

TRACHEE-ARTERE des oiseaux, (Anat. comparée) la trachée-artere des oiseaux est remarquable par sa bifurcation, & par la diversité de la structure des muscles de cette partie, qui est toute différente tant dans les volatiles, que dans les quadrupedes ; mais comme ce détail seroit trop long, je renvoie le lecteur aux remarques de Sténon sur Blasius ; mais je vais citer pour exemple la structure admirable de la trachée-artere du cygne.

Elle s'étend en bas avec l'oesophage, traversant la longueur du col, jusqu'à ce qu'étant parvenu au sternum, elle se courbe & s'insinue dans la gaîne du sternum, où elle est comme retirée dans un lieu sûr, & renfermée dans une espece de boîte ; elle se recourbe en-haut, & sort du sternum par l'endroit le plus étroit ; ensuite après avoir monté jusqu'au milieu des clavicules qui lui servent comme d'appui, elle se détourne vers la poitrine. Cette construction sert également à la respiration & à la voix : car comme le cygne cherche sa nourriture au fond des eaux dormantes, il lui falloit un col très-long, de peur que demeurant long-tems la tête sous l'eau, il ne courût risque de se suffoquer. En effet, lorsqu'il a pendant un quart-d'heure la tête & le col submergés, & les piés élevés vers le ciel, cette partie de la trachée-artere qui est renfermée dans la gaîne du sternum lui sert de reservoir, d'où il tire son haleine.

Dans chaque oiseau, on trouve une disposition différente de la trachée-artere proportionnée à la diversité de leur voix. Dans le pigeon qui a la voix basse & douce, elle est en partie cartilagineuse, en partie membraneuse ; dans la chouette dont la voix est haute & claire, elle est plus cartilagineuse : mais dans le geai, elle est composée d'os durs, au lieu de cartilages : il en est de même dans la linote, & c'est à cause de cela que ces deux oiseaux ont la voix plus haute & plus forte, &c.

On découvre une vûe & un dessein encore particulier dans l'arrangement des anneaux cartilagineux, qui composent la trachée-artere ; en ce que ces anneaux sont membraneux tout le long de l'endroit où ils sont couchés sur l'oesophage, pour ne pas presser & retrécir le passage des alimens : au lieu que plus loin dans les bronches, ils forment des anneaux complets, quelques-uns ronds, d'autres triangulaires, &c. Une autre particularité qu'on doit remarquer, c'est que dans les bronches, le bord supérieur de chaque anneau de dessous entre dans la partie inférieure de l'anneau de dessus ; il n'en est pas de même dans la trachée artere, où les anneaux cartilagineux demeurent toujours également distans les uns des autres ; cette différence dans la méchanique d'une seule & même partie, fournit un usage admirable aux poumons & aux bronches, pour se contracter & se raccourcir dans l'expiration, & pour se dilater & s'étendre dans l'inspiration. (D.J.)

TRACHÉE-ARTERE, plaies de la, (Chirurg.) il importe de savoir que les plaies de la trachée-artere ne sont pas toujours mortelles, & que ses parties cartilagineuses se peuvent reprendre comme les charnues. J'en ai vu à la Haye l'exemple dans un homme de mérite, qui par excès de mélancholie, s'étoit coupé la gorge sans ménagement avec un rasoir. Le chirurgien le rétablit en peu de tems. Fabricius rapporte un cas semblable ; Dionis déclare avoir guéri un homme qui reçut un coup de pistolet étant à une chasse de sanglier ; la balle entroit par le côté droit du cou, & sortoit par le gauche, en lui perçant la trachée-artere. Garengeot en cite aussi des exemples.

On trouve encore plus anciennement dans un petit traité intitulé, question chirurgicale, sur l'opération de la bronchotomie, composé par Habicot, chirurgien de Paris, d'autres exemples de personnes qui ont été complétement guéries de blessures faites à la trachée-artere. Deux de ces personnes y avoient été blessées par un instrument tranchant, & un autre l'avoit été par un coup d'arquebuse. Il étoit survenu à la gorge de ces trois blessés un gonflement & une inflammation si considérable, qu'on avoit lieu de craindre la suffocation. Habicot mit une petite cannule de plomb dans la plaie de la trachée-artere de deux de ces blessés, afin que l'air pût sortir en entier librement de leur poumon ; il fit une ouverture à la trachée-artere du troisieme pour le même sujet. Quand les accidens cesserent, il ôta la cannule, & les plaies guérirent parfaitement.

Un jeune homme de quatorze ans qui avoit voulu avaler plusieurs pieces d'argent enveloppées dans un linge pour les dérober à la recherche des voleurs, avoit pensé étouffer, parce que le paquet s'étoit engagé dans le pharynx, de maniere qu'on n'avoit pu le retirer ni le faire descendre dans l'estomac ; son cou & sa face étoient tellement enflés, qu'il en étoit méconnoissable. Habicot lui fit l'opération de la bronchotomie, après laquelle le gonflement se dissipa ; il fit descendre avec une sonde de plomb le paquet d'argent dans l'estomac. Le jeune homme guérit de l'opération, & rendit par l'anus son argent à diverses reprises.

Lorsque la plaie des tégumens n'est point vis-à-vis de celle de la trachée-artere, l'air trouvant un obstacle à la sortie, peut s'insinuer dans le tissu cellulaire de la peau, ce qui produit un emphyseme. M. Arnaud, chirurgien de Paris, vit un jeune homme blessé depuis trois ou quatre jours à la trachée-artere d'un coup de pistolet, blessure qui avoit produit un emphyseme universel. Cet habile praticien dilata sur-le-champ la plaie des tégumens, & découvrit celle de la trachée-artere, pour mettre ces deux plaies vis-à-vis l'une de l'autre. Il appliqua sur l'ouverture de la trachée-artere un morceau de papier mouillé, & pansa la plaie à l'ordinaire. Le malade désenfla peu-à-peu, & guérit.

Il est cependant bon de remarquer qu'une blessure à la gorge est mortelle, lorsque les carotides & les jugulaires internes sont ouvertes. Ainsi une personne qui auroit reçu, ou qui se seroit fait avec un instrument tranchant porté en-travers, une blessure qui pénétreroit jusque à l'oesophage mourroit infailliblement en peu de tems, car l'oesophage ne pourroit être ouvert de cette maniere, sans que les carotides & les jugulaires internes ne le fussent aussi.

Mais quoiqu'il y ait quelquefois des plaies à la gorge, par lesquelles les alimens sortent, il ne faut pas toujours croire pour cela que la trachée-artere & l'oesophage soient ouverts. Les alimens qui sortent par les plaies ne sont point entrés dans l'oesophage, car s'ils en venoient, il faudroit qu'ils passassent par l'ouverture de la trachée-artere, ce qui ne pourroit se faire sans qu'il en tombât dans ce canal qui est toujours ouvert ; & par conséquent sans que le blessé n'en fût suffoqué. Ces sortes de plaies par où les alimens s'échappent, pénetrent jusqu'au fond du gosier entre l'épiglotte & la racine de la langue ; quelques points de suture entrecoupés, la situation de la tête, & un régime de vie convenable paroissent les seuls moyens qu'on puisse employer pour guérir ces sortes de plaies. (D.J.)

TRACHEE, (Botan.) vaisseau aérien des plantes. La découverte des trachées est une des plus belles qu'on ait fait en botanique dans le siecle dernier. Nous en sommes redevables aux recherches de Malpighi. Ce savant homme qui a si bien étudié la nature, appelle trachées ou poumons des plantes, certains vaisseaux formés par les différens contours d'une lame fort mince, plate, un peu large, qui se roule sur elle-même en ligne spirale, compose un tuyau assez long, droit dans certaines plantes, bossu dans quelques autres, étranglé & comme divisé en sa longueur en plusieurs cellules.

Quand on déchire ces vaisseaux, on s'apperçoit qu'ils ont une espece de mouvement péristaltique. Ce mouvement est peut-être un effet de leur ressort ; car ces lames qui ont été allongées, & qui ressemblent à des tire-bourres, revenant à leur premiere situation, secouent l'air qui se trouvent entre les pas de leurs contours ; cet air par son ressort les secoue pareillement à son tour, desorte qu'elles vont & viennent pendant quelque tems jusqu'à ce qu'elles ayent repris leur premiere situation, ou qu'elles ayent cédé à l'air ; dès qu'on les allonge un peu trop, elles perdent leur ressort, & se flétrissent : ces lames sont composées de plusieurs pieces posées par écailles.

Pour découvrir facilement les trachées, on n'a qu'à choisir dans le printems & dans l'été des jets de rosiers, de viburnum, de tilleul, de tendrons de vignes, d'arbustes, ou de telles autres plantes qu'on voudra ; on les trouvera tous remplis de trachées, pourvu qu'ils soient assez tendres pour être cassés net ; car s'ils se tordent, on ne pourra pas découvrir les trachées. On les apperçoit très-bien en coupant transversalement la racine d'un melon. Voyez à ce sujet les remarques de M. Bedfinger dans les commentaires de Pétersbourg, tome IV. p. 184. & suiv. Ces vaisseaux aériens serviroient-ils à faciliter le mouvement de la seve & à la rendre plus fluide ? (D.J.)


TRACHELAGRAS. f. espece d'affection arthritique ou rhumatisante qui attaque le cou. Ambroise Paré paroît s'être servi le premier de ce terme, à l'imitation de ceux de podagre, chiragre, &c. qui signifient la goutte aux piés, aux mains. Voyez GOUTTE, RHUMATISME & TORTICOLIS. (Y)


TRACHELIES. f. (Hist. nat. Botan.) trachelium ; genre de plante à fleur monopétale en forme d'entonnoir, & profondément découpée. Le calice devient dans la suite un fruit membraneux, qui a souvent trois pointes ; ce fruit est divisé en trois loges, & il renferme des semences ordinairement petites. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.

Tournefort distingue six especes de ce genre de plante, dont on a déja décrit la principale, connue en françois sous le nom de gantelée. Voyez -en l'article. Nous ajouterons seulement que cette plante, quand elle est blessée, donne un suc laiteux en abondance, lequel étant reçu dans un vaisseau, se caille promtement, & fournit une espece de petit lait de couleur brune ; la partie caillée étant desséchée, brûle comme de la résine à la flamme d'une bougie. Philosop. transact. n°. 224. (D.J.)


TRACHENBERG(Géogr. mod.) petite ville d'Allemagne, dans la Silésie, sur la riviere de Bartsch, & vers les confins de la Pologne ; elle appartient au baron de Trachenberg. (D.J.)


TRACHINIA(Géog. anc.) canton de la Macédoine, dans la Pththiotide, autour de la ville d'Héraclée, qui en prenoit le nom d'Heraclea trachiniae, selon Thucydide, l. III. Ce canton s'étendoit apparemment entre le fleuve Sperchius au nord, le golfe Maliacus à l'orient, le fleuve Asopus au midi, & la Parasopiade au couchant. Sophocle Philoctetes, cité par Ortélius, place dans ce canton un lieu nommé Trachinium, & des montagnes qu'il appelle Trachiniae ou Trechiniae petrae. (D.J.)


TRACHINUS LAPIS(Hist. nat.) pierre à laquelle quelques auteurs ont attribué beaucoup de vertus médicinales ; on nous dit qu'elle étoit brillante, mais opaque ; il y en avoit de noirâtres & de vertes. On croit que c'étoit la pierre néphrétique.


TRACHIS(Géog. anc.) ville de Thessalie, au pié du mont Oeta, selon Etienne le géographe, qui dit qu'elle fut bâtie par Hercule, & qu'on lui donna le nom de Tracis à cause de l'inégalité de son terrein qui est tout montueux. Thucydide, l. III. p. 235. la met aux confins des peuples Oetae. L'étymologie du nom de cette ville est confirmée par ces vers de Séneque, in Hercule Oetaeo, act. I. v. 135.

Ad Trachina vocor, saxa rigentia,

Et dumeta jugis horrida torridis,

Vix gratum pecori montivago nemus.

Cette ville est la même qu'Homere appelle Trechis, & Pline Trachin, & c'est la même qu'Héraclée de Trachinie. (D.J.)


TRACHOMAS. m. en Chirurgie, est une aspérité de la partie interne des paupieres, accompagnée de démangeaison, de rougeur, & souvent de pustules semblables à des grains de millet. Les degrés de cette maladie sont le sycosis & le tylosis, ou plutôt ce sont les plus fâcheux accidens aux quels puisse aboutir le trachoma.

Cette maladie est une espece de dartre des paupieres : elle vient ordinairement de l'âcreté des larmes. Pour les guérir, on prescrit au malade un régime de vie doux & humectant pour tempérer la chaleur & l'âcreté du sang & des humeurs : on le saigne s'il y a plénitude ; on le purge par en-bas ; on emploie ensuite les bouillons amers ; on fait usage des bains d'eau tiede, & généralement de tous les remedes propres à humecter, à fondre & à évacuer les humeurs impures ; on passe quelquefois du cautere au seton pour détourner les humeurs de dessus les paupieres.

Quant aux topiques, on se sert d'abord de ceux qui humectent & amollissent les solides, & qui sont capables de tempérer la chaleur de la partie ; tels sont les fomentations avec la décoction des racines de guimauve, de feuilles de violier, de fleurs de camomille & de mélilot, des semences de lin & de fougere, &c. on passe ensuite aux remedes qui détergent & dessechent les ulceres. Voyez ARGEMON. (Y)


TRACHONITIDE(Géog. anc.) Trachonitis, contrée de l'Arabie, entre la Palestine & la Caele-Syrie, au midi de la ville de Damas. Le nom de Trachonitide venoit sans doute des deux collines Trachones, que Strabon met au voisinage de Damas. Il ajoute qu'en tirant de-là vers l'Arabie & l'Iturée, on trouvoit des montagnes peu pratiquables, mais remplies de profondes cavernes. Ces cavernes étoient entre Adraa & Bozra, selon Guillaume de Tyr, qui dit que la Trachonitide faisoit une partie considérable du desert de Bostra, & que c'étoit une contrée aride, sans fontaines & sans ruisseaux. Les habitans ramassoient soigneusement l'eau de pluie dans des cîternes, & conservoient leurs grains dans des cavernes faites exprès. (D.J.)


TRAÇOIRS. m. sorte de petit poinçon d'acier trempé, très-aigu par le bout, dont les graveurs en relief & en creux sur métaux se servent pour tracer ou dessiner sur métal les figures qu'ils veulent graver. Voyez les Pl. de la Gravure.

TRAÇOIR, (terme de Jardinier) c'est un grand bâton droit, ferré par le bout d'en-bas, dont la pointe est triangulaire & applatie en langue de chat ; on y met un manche de quatre à cinq piés de long, & on s'en sert pour tracer, former & dessiner toutes les figures des jardins ; en un mot, c'est le porte-crayon du traceur sur le terrein. (D.J.)


TRACTIONS. f. (Méchan.) est l'action d'une puissance mouvante, par laquelle un corps mobile est attiré vers celui qui le tire. Ainsi le mouvement d'un chariot tiré par un cheval, est un mouvement de traction. La traction n'est proprement qu'une sorte d'impulsion dans laquelle le corps poussant paroît préceder le corps poussé ; ainsi dans la traction d'un chariot, le cheval pousse le harnois attaché à son poitrail, & cette impulsion fait avancer le chariot.

Traction se dit donc principalement des puissances qui tirent un corps par le moyen d'un fil, d'une corde, d'une verge ou autre corps semblable ; au-lieu qu'attraction se dit de l'action qu'un corps exerce, ou paroît exercer sur un autre pour l'attirer à lui, sans qu'il paroisse un corps visible intermédiaire, par le moyen duquel cette action s'exerce. Voyez ATTRACTION, voyez aussi TIRAGE. (O)


TRACTOIREou TRACTRICE, s. f. (Géom.) est une courbe dont la tangente est égale à une ligne constante.

On la nomme tractoire, parce qu'on peut l'imaginer comme formée par l'extrêmité d'un fil que l'on tire par son autre extrêmité le long d'une ligne droite. Mais il faut supposer pour cela que le frottement détruise à chaque instant la force d'inertie du petit corps ou point qui décrit la courbe ; car autrement la direction de ce point ne sauroit être celle de la tangente de la courbe. Voyez les mém. acad. 1736.

La traction a beaucoup d'analogie avec la logarithmique, dont la soutangente est construite ; ce que la soutangente est dans celle-ci, la tangente l'est dans celle-la ; les arcs de la traction répondent aux abscisses de la logarithmique & sont les logarithmes des ordonnées, &c. On trouvera le détail des propriétés de cette courbe dans les mém. de l'acad. 1711. (O)


TRACTORIAES. f. pl. (Littér.) nom que donnoient les Romains aux billets ou diplomes que l'empereur accordoit à ceux qu'il envoyoit dans les provinces, ou qu'il en rappelloit, pour que ces personnes eussent le droit de prendre des chevaux de la poste impériale, & d'être défrayés sur toute la route. (D.J.)


TRACTRICES. f. voyez TRACTOIRE.


TRADITEURS(Théologie) est le nom que l'on donna dans les premiers siecles de l'Eglise aux chrétiens qui, dans le tems de la persécution, livrerent aux païens les Ecritures-saintes, pour éviter la mort & le martyre. Ce nom est formé du latin traditor, celui qui livre ou abandonne à un autre la chose dont il est dépositaire ; & nos meilleurs auteurs ecclésiastiques françois l'ont rendu par traditeurs, qui n'a que la signification qu'on vient de lui donner, laquelle est fort différente de l'idée que nous attachons au mot traître.

Les ennemis de la religion firent les derniers efforts, même sous la loi ancienne, pour priver les hommes des saintes Ecritures. Dans la cruelle persécution excitée contre les Juifs par Antiochus, les livres de la loi furent recherchés, déchirés & brûlés avec des soins extrêmes ; & ceux qui manquerent à les livrer, furent mis à mort, comme nous lisons dans le premier livre des Macchabées, chap. j. vers. 56. 57.

Dioclétien renouvella la même impiété par un édit publié la dix-neuvieme année de son empire, & portant que tous les livres sacrés fussent apportés aux magistrats pour être consumés par le feu.

Un grand nombre de chrétiens foibles, & même quelques évêques succombant à la frayeur des tourmens, livrerent les saintes Ecritures aux persécuteurs ; & l'Eglise détestant cette lâcheté, porta contr'eux des loix très-séveres, & les flétrit du nom infame de traditeurs.

Comme le prétexte principal du schisme des Donatistes étoit que les Catholiques toléroient les traditeurs, il fut arrêté au concile d'Arles tenu en 314, que tous ceux qui se trouveroient coupables d'avoir livré aux persécuteurs quelque livre ou vase sacré, seroient déposés & dégradés de leurs ordres & caracteres, pourvu qu'ils en fussent convaincus par des actes publics, & non par de simples paroles.


TRADITION(Théologie) est l'action de remettre quelque chose entre les mains d'une personne, du verbe tradere, livrer. La vente d'une chose mobiliaire se consomme par une simple tradition. Voyez DELIVRANCE.

TRADITION, en matiere de religion, signifie en général un témoignage qui répond de la vérité & de la réalité de tels ou tels points.

On en distingue de deux sortes ; l'une orale, & l'autre écrite. La tradition orale est un témoignage rendu de vive voix sur quelque chose : témoignage qui se communique aussi de vive voix des peres aux enfans, & des enfans à leurs descendans.

La tradition écrite est un témoignage, que les histoires & les autres livres rendent sur quelque point. Cette derniere, généralement parlant, est plus sûre que la premiere.

La tradition, soit orale, soit écrite, peut être considérée ou quant à son origine, ou quant à son objet, ou quant à son étendue.

1°. La tradition quelle qu'elle soit, envisagée quant à son origine, est ou divine lorsqu'elle a Dieu pour auteur, ou humaine lorsqu'elle vient des hommes ; & cette derniere se soudivise en apostolique, qui vient des apôtres ; en ecclésiastique, qui vient de ceux qui ont succédé aux apôtres dans le ministere de l'Evangile ; & en civile ou purement humaine, qui vient des hommes précisément considérés comme hommes.

2°. La tradition considérée quant à son objet est ou doctrinale, ou de discipline, ou historique. Par tradition doctrinale, on entend celle qui dépose en faveur d'une vérité qui fait partie des dogmes que Jesus-Christ a annoncés aux hommes. On entend par tradition de discipline celle qui fait voir que telle ou telle chose a été pratiquée dans tels ou tels tems ; & par tradition historique, on entend celle qui nous apprend que tel ou tel fait est arrivé.

3°. La tradition considérée quant à son étude, est ou particuliere ou générale par rapport aux tems, aux personnes & aux lieux. La tradition particuliere par rapport aux tems, aux personnes & aux lieux, est celle qui apprend qu'une chose a été observée par quelque personne pendant quelque tems, & dans certains lieux. La tradition universelle par rapport aux tems, aux personnes, aux lieux, est celle qui apprend qu'une chose a été observée par tout le monde, dans tous les lieux & dans tous les tems.

Les Protestans conviennent avec les Catholiques, qu'il y a des traditions divines & quant à l'origine, & quant à l'objet, comme celles, par exemple, qui nous enseignent que Jesus-Christ est le Messie, qu'il est Dieu, qu'il s'est incarné, qu'il est mort pour le salut du genre humain. 2°. Ils avouent qu'il y a des traditions humaines & quant à l'origine, & quant à l'objet ; d'apostoliques, comme celle qui nous apprend qu'on a toujours jeûné à Pâques ; d'ecclésiastiques, comme celles qui nous disent qu'on a observé telles ou telles cérémonies dans l'administration du Baptême & de la Pénitence ; d'humaines, comme celles qui nous instruisent de la vie des grands capitaines & des fameux conquérans. 3°. Ils reconnoissent des traditions particulieres & universelles ; de particulieres, comme celle qui nous apprend qu'on jeûnoit à Rome le samedi ; d'universelle, comme celle qui nous instruit de la célébration de la fête de Pâques.

Toute la question entr'eux & les Catholiques se réduit à savoir s'il y a une tradition divine, qui ne soit pas contenue dans l'Ecriture, & qui soit regle de foi ; c'est ce que nient les Protestans contre les Catholiques qui définissent la tradition, la parole de Dieu non-écrite par des écrivains inspirés, que les apôtres ont reçue de la propre bouche de Jesus-Christ, qu'ils ont transmise de vive voix à leurs successeurs, & qui a passé de main-en-main jusqu'à nous sans aucune interruption, par l'enseignement des ministres & des pasteurs, dont les premiers ont été instruits par les apôtres.

On en prouve l'existence contre les Protestans, 1°. par l'Ecriture qui fait une mention expresse des traditions, II. Thessalon. c. ij. vers. 14. I. ad Timoth. c. vj. vers. 20. II. ad Timoth. c. j. vers. 13. &c. ij. vers. 1. & 2. 2°. par les auteurs ecclésiastiques, & en particulier par S. Ignace, disciple des apôtres, cité par Eusebe, hist. eccles. lib. III. c. xxxvj. 3°. par l'exemple même des Protestans qui croient que Marie a conservé sa virginité après l'enfantement ; qu'on peut baptiser les enfans nouveaux-nés ; que le baptême des hérétiques est bon, & divers autres points qui ne sont pas contenus dans l'Ecriture, & qui ne sont fondés que sur la tradition.

Comme c'est principalement par le canal des auteurs ecclésiastiques qui ont écrit sur les matieres de religion dans les différens siecles de l'Eglise, qu'on peut parvenir à la connoissance des traditions divines, les Protestans n'ont rien oublié pour infirmer l'autorité des peres. Rivet & Daillé, deux de leurs plus célebres ministres ont objecté 1°. qu'il est impossible de trouver au juste le sentiment des peres sur quelque matiere que ce soit, leurs ouvrages ayant été ou supposés ou corrompus & altérés, n'étant pas sûr de leur sens, ni qu'ils ayent proposé tel ou tel point comme une tradition universelle ; 2°. que la notoriété du sentiment des peres n'impose aucune nécessité de le suivre ; 3°. que les peres se contredisent & donnent eux-mêmes la liberté de les abandonner ; 4°. que l'autorité des peres est toute humaine, & par conséquent qu'elle ne peut servir de fondement à la foi qui est toute divine ; 5°. que les peres ne sont recevables dans leur témoignage qu'autant qu'ils prouvent bien ce qu'ils avancent ; 6°. que l'autorité de la tradition est injurieuse à la plénitude de l'Ecriture. On peut voir ces difficultés exposées avec beaucoup d'art, & poussées avec assez de force dans le livre de Daillé, intitulé, du vrai usage des peres, liv. I. depuis le chap. j. jusqu'au xj.

Les controversistes catholiques ont répondu pleinement à ces objections, & en particulier M. l'abbé de la Chambre, docteur de Sorbonne, dans son traité de la véritable religion, d'où nous avons tiré tout cet article. On peut voir dans cet ouvrage, tome IV. p. 352 jusqu'à la p. 422, l'exposition fidele des objections de Daillé, & les réponses solides qu'y donne l'auteur moderne.

Nous observerons seulement que la tradition, selon les Catholiques, est regle de foi, & que c'est à l'Eglise seule qu'il appartient d'en juger & de discerner les fausses traditions d'avec les véritables, ce qu'elle connoît ou par le témoignage unanime des peres, ou par l'usage constant & universel des églises pour les choses qu'on ne trouve instituées ni par les conciles, ni par les souverains pontifes, selon les regles citées par S. Augustin, lib. IV. de baptism. cap. xxiv. & par Vincent de LÉrins dans son opuscule intitulé, commonitorium primum.

Les Juifs ont aussi leurs traditions, dont ils font remonter l'origine jusqu'à Moïse qui les confia, disent-ils, de bouche aux anciens du peuple pour les faire passer de la même maniere à leurs successeurs. Ils ne les avoient point écrites avant les guerres que leur firent les Romains sous Vespasien, ensuite sous Adrien & sous Sévere. Alors le rabbin Judas, surnommé le saint, composa la misna, comme qui diroit seconde loi, qui est le plus ancien recueil des traditions qu'ayent les Juifs. On y ajouta la gemare de Jérusalem & celle de Babylone, qui, jointes à la misna, forment le talmud de Jérusalem & celui de Babylone, lesquels sont comme l'explication ou le supplément de la misna, ou du code principal de leurs traditions, qui sont fort respectées des rabbins, & rejettées par les caraïtes. Voyez CARAÏTES.

TRADITION des juifs, (Critique sacrée) dogmes, préceptes, rites, observances ou cérémonies religieuses, qui ne sont point prescrites aux Juifs par Moïse, ni par les prophetes, mais qui s'établirent chez eux par la coutume, se multiplierent par succession de tems, & s'accrurent tellement qu'enfin elles étoufferent la loi écrite ; je ne répéterai point ici ce que j'en ai dit dans plusieurs endroits de cet ouvrage, comme aux articles MISNA, TALMUD & PHARISIENS, qui en furent les principaux promoteurs ; les curieux peuvent y recourir : c'est assez d'observer qu'aucune tradition judaïque n'a de fondement solide, qu'elles sont toutes inutiles, incommodes ou onéreuses, & que la plûpart sont ridicules & méprisables. Cependant elles ont triomphé, parce qu'une religion chargée de beaucoup de pratiques, quelles qu'elles soient, attache plus à elle, que si elle l'étoit moins ; on tient beaucoup aux choses dont on est continuellement occupé. (D.J.)

TRADITION des chrétiens, (Critique sacrée) Clément d'Alexandrie la définit l'explication de la loi ou des prophetes, donnée de vive voix aux apôtres par notre Seigneur, qui s'en servoient dans leurs discours, mais qui n'en publierent rien par écrit. Ce n'est donc ni une doctrine secrette & profonde qu'on devoit cacher, ni le vrai sens des livres du nouveau Testament ; c'étoient des explications mystiques du vieux Testament, qui n'ont été connues que des apôtres.

Quand saint Paul dit dans sa premiere épître aux Thessaloniciens, chap. ij. vers. xv. gardez nos traditions ; c'est la doctrine que nous vous avons enseignée, ou que vous avez apprise de nous (pour me servir de la version de M. Simon), l'apôtre n'entend par traditions que des instructions. Il convient même de remarquer que c'est le seul endroit du nouveau Testament où le mot tradition, , soit employé favorablement pour une bonne doctrine, une instruction utile & solide. Par-tout ailleurs il désigne des doctrines humaines & condamnables ; voyez-en des exemples dans Matth. xv. Marc vij. Coloss. ij. vers. 9. &c.

Je n'ignore pas que l'ancienne Eglise a approuvé des traditions ; mais ce n'étoient que des traditions concernant des usages, des pratiques, qui, au défaut de l'autorité de l'Ecriture, avoient été introduites par les premiers peres, & non pour établir des dogmes de foi. A ce dernier égard, l'Eglise ne recevoit que ce qui se trouvoit enseigné dans les livres sacrés, adorando plenitudinem scripturae, comme s'exprime un des peres.

Il n'en est pas de même des rites & des cérémonies. Les successeurs recevoient celles qui avoient été instituées par leurs prédécesseurs, pourvu qu'elles leur parussent édifiantes & raisonnables. Tertullien, cap. iv. lib. de coronâ, traite de ces traditions reçues dans l'Eglise sans être fondées par l'Ecriture sainte, mais néanmoins appuyées d'une ancienne coutume, qui faisoit présumer qu'elles tiroient leur origine de quelque tradition apostolique. Cependant on lui contestoit ce principe ; il y avoit même de son tems des docteurs qui vouloient que toute tradition fût fondée sur l'autorité de l'Ecriture. Là-dessus il tâche de prouver par des faits qu'une tradition, quoique non-écrite, doit être reçue. Il rapporte divers exemples de ces usages ecclésiastiques qui se pratiquoient, sans qu'on en trouvât rien dans l'Ecriture ; & entre ces usages, il y a celui-ci. Nous souffrons, dit-il, avec peine qu'il tombe à terre quelque chose du calice, du pain de l'Eucharistie, ou même de notre pain ordinaire. Si vous demandez, poursuit Tertullien, quelque passage de l'Ecriture qui ordonne ces observations, vous n'en trouverez point. La tradition les a introduites, la coutume les a confirmées, & la foi les garde ; si d'un autre côté vous les considérez, vous verrez que la raison autorise, à cet égard, la tradition, la coutume & la foi. Là-dessus M. Rigault ajoute cette remarque. " La tradition sans raison seroit vaine ; c'est pourquoi l'apôtre n'exige point d'obéissance qui ne soit raisonnable ".

En effet, comme tout s'altere avec le tems, & que rien n'est plus fautif que les témoignages de vive voix en matiere de doctrine, il en résulte que si la doctrine de Jesus-Christ n'eût pas été écrite par les apôtres, il eût été impossible de la conserver pure, & même elle ne fut que trop-tôt altérée par de fausses opinions. Entre des preuves sans nombre, ce que Clément d'Alexandrie dit de lui-même, peut suffire pour démontrer combien la tradition rendroit la religion incertaine sans l'Ecriture. Ce pere de l'Eglise, après avoir parlé des maîtres qu'il avoit eu, & qu'il nous donne pour des hommes du plus grand mérite & de la plus haute vertu, il ajoute : " Ceux qui ont conservé la véritable tradition de cette précieuse doctrine, transmise d'abord par les apôtres Pierre, Jacques, Jean & Paul, ensorte que le fils la recevoit de son pere (mais entre ces fils peu ressemblent à leurs peres) ; ceux-là nous ont fait parvenir par la volonté de Dieu ces semences apostoliques confiées à nos ancêtres ". Stromat. lib. I. p. 274 & 275. Cependant si l'on compare la doctrine de ce pere qu'il tenoit, comme il assûre, de grands hommes qui l'avoient reçue des apôtres ou de leurs disciples, & de disciples qui ressembloient à leurs maîtres ; si, dis-je, l'on compare cette doctrine en plusieurs articles avec celle que nous avons aujourd'hui, on y verra bien des différences. De-là vient que cet habile auteur n'est point honoré du titre de saint, comme quantité d'autres qui ne le valent pas, & que l'on croit trouver beaucoup d'hérésies dans ses livres ; c'est aussi la raison pourquoi les Grecs en ont laissé périr plusieurs. (D.J.)

TRADITION MYTHOLOGIQUE, (Mythol.) on nomme traditions mythologiques, les fables transmises à la postérité, & qui lui sont parvenues après s'être chargées d'âge en âge de nouvelles fictions, par lesquelles les poëtes ont cherché comme à-l'envi, à en augmenter le merveilleux.

Afin qu'une tradition historique, selon la judicieuse remarque de M. Freret, puisse avoir quelque autorité, il faut qu'elle remonte d'âge en âge jusqu'au tems dont elle dépose, que l'on puisse en suivre la trace sans interruption, ou que du-moins dans tout cet intervalle, on ne puisse en assigner le commencement, ni montrer un tems dans lequel elle ait été inconnue. C'est-là une des premieres regles de la critique, & l'on ne doit pas en dispenser les traditions mythologiques, & leur donner un privilege dont les traditions historiques n'ont jamais joui.

Tout ce que l'on a droit de conclure des traditions fabuleuses, les plus constamment & les plus universellement reçues, c'est que ces fables avoient probablement leur fondement dans quelque fait historique, défiguré par l'ignorance des peuples, & altéré par la hardiesse des Poëtes. Mais si l'on veut aller plus loin, & entreprendre de déterminer la nature & les circonstances de ce fait historique, quelque probable & quelque ingénieuse que soit cette explication, elle ne s'élévera jamais au-dessus de l'ordre conjectural, & elle sera toujours insuffisante pour établir une vérité historique, & pour en conclure l'existence d'une coutume ou d'un usage dans les tems fabuleux. Voyez MYTHOLOGIE, FABLE, &c. (D.J.)

TRADITION, (Jurisp.) est l'action de livrer une chose.

La tradition est une des manieres d'acquérir, ou droit des gens, par laquelle en transférant à quelqu'un la possession d'une chose corporelle, on lui en transmet la propriété ; pourvû que la tradition ait été faite par le véritable propriétaire, pour une juste cause, & avec intention de transférer la propriété.

Suivant le droit civil, & parmi nous, la tradition est regardée comme l'accomplissement de la convention.

Il y a néanmoins des contrats qui sont parfaits sans tradition réelle, & pour lesquels une tradition feinte suffit ; comme la vente d'un immeuble, à la différence de la vente des choses qui se livrent au nombre, poids & mesure, laquelle n'est parfaite que par la tradition réelle : il en est de même des donations. Voyez les instit. tit. de acquir. rer. domin. & Donat, tit. des convent. & du contrat de vente.

Tradition par l'anneau, per annulum, étoit celle qui se faisoit en mettant un anneau au doigt de celui auquel on remettoit la possession d'une église, ou d'une dignité, d'un héritage, &c. Voyez l'article suivant.

Tradition par le bâton, per baculum, étoit une tradition feinte, qui se pratiquoit anciennement en remettant entre les mains de l'acheteur ou nouveau possesseur, un bâton en signe de la possession qu'on lui remettoit. Voyez BATON, INSTITUT, & le glossaire de du Cange au mot investitura, où il explique toutes les différentes manieres d'investiture ou de tradition feinte qui se pratiquoient anciennement.

Tradition brevis manus, est une tradition feinte qui se fait pour éviter un circuit inutile de traditions, en compensant la tradition qu'il faudroit faire de part & d'autre ; comme dans la vente d'une chose que l'acheteur tient déja à titre de prêt. Pour que le vendeur remît la chose à l'acheteur, il faudroit que celui-ci commençât par la lui remettre ; & pour abréger, on suppose que cette tradition réciproque a été faite, c'est pourquoi on l'appelle brevis manus, parce que c'est l'acheteur qui se remet à lui-même. Instit. de acquir. rer. domin.

Tradition civile, est une tradition feinte, qui consiste dans la forme établie par la loi : elle est opposée à la tradition réelle. Voyez tradition feinte & tradition réelle.

Tradition par le couteau, per cultellum, c'étoit une mise en possession qui se faisoit en donnant un couteau plié. Voyez le glossaire de du Cange au mot investitura.

Tradition feinte ou fictive, est celle qui est faite pour opérer le même effet que la tradition réelle : on la divise en symbolique & non-symbolique.

Tradition par un festu, per festucam, c'est-à-dire un brin de paille, étoit une tradition fictive qui se pratiquoit autrefois assez communément en présentant un festu. Voyez du Cange au mot investitura.

Tradition fictive, Voyez ci-devant tradition feinte.

Tradition par un gazon de terre, c'étoit une façon de livrer un héritage, en donnant un gazon pour symbole de cet héritage. Voyez du Cange au mot investitura.

Tradition de longue main, longa manus, est une tradition fictive qui se fait montrant la chose, & donnant la faculté d'en prendre possession : elle se pratique ordinairement pour la délivrance des immeubles réels, & pour celle des choses mobiliaires d'un poids considérable. Voyez aux instit. le tit. de acquir. rer. dom.

Tradition de la main à la main, c'est lorsqu'une chose passe à l'instant de la main d'une personne en celle d'une autre, à laquelle la premiere la remet.

Tradition réelle, est celle qui consiste dans une remise effective de la chose.

Tradition symbolique, est celle qui se fait en donnant quelque symbole de la chose que l'on doit livrer ; comme quand on livre les clés du grenier où est le froment que l'on a vendu. Voyez aux instit. de acquir. rer. dom.

Tradition non symbolique, est celle où on ne donne ni la chose réellement, ni aucun symbole ou signe de la chose ; mais où la tradition s'opere par d'autres fictions, comme dans la tradition appellée longa manus, & dans celle appellée brevis manus. Voyez ci-dessus tradition de longue main & tradition brevis manus. Voyez aussi sur la tradition en général, les mots DELIVRANCE, MAIN ASSISE, MISE DE FAIT, NANTISSEMENT, POSSESSION, REMISE, SAISINE. (A)


TRADITIONAIRES. m. (Hist. jud.) est un nom que les Juifs donnent à ceux qui reconnoissent la tradition, qui la suivent, & qui s'en servent pour exposer les écritures saintes : ils sont opposés aux Caraïtes, qui refusent de reconnoître d'autre autorité que celle des écritures mêmes.

Les traditionaires sont ceux que l'on appelle plus communément les rabbins & les talmudistes. Voyez RABBINS, RABBINISTES, TALMUD, &c.

Hillel s'est autant distingué parmi les traditionaires, que Schammaï parmi les textuaires.


TRADUCIENSS. m. pl. (Hist. ecclés.) nom que les Pélagiens donnoient aux Catholiques, parce qu'ils enseignoient que le péché originel passoit du pere aux enfans, & que ces hérétiques croyoient qu'il se communiquoit par la voie de la génération. Voyez PECHE ORIGINEL.

Ce mot est formé du latin tradux, dont on se servoit pour exprimer la communication, & qui vient de traduco, je transmets de l'un à l'autre.

Aujourd'hui quelques-uns donnent le nom de traduciens à ceux qui croient que les ames des enfans émanent de celles de leurs peres. Voyez AME.


TRADUCTEURS. m. (Belles-lettres) c'est celui qui traduit un livre, qui le tourne d'une langue dans une autre. Voyez le mot TRADUCTION.

Je me contenterai d'observer ici, que les matieres de sciences & de dogmes, exigent d'un traducteur une grande précision dans les termes. Celles que décrit la Poésie, rejettent les périphrases, qui affoiblissent les idées ; & un attachement servile, qui éteint le sentiment. La représentation scrupuleuse de tous les membres d'un poëte, n'offre qu'un corps maigre & décharné ; mais la représentation libre ne doit pas être infidele. On dit que M. de Sévigné comparoit les traducteurs à des domestiques qui vont faire un message de la part de leur maître, & qui disent souvent le contraire de ce qu'on leur a ordonné. Ils ont encore un autre défaut de domestiques, c'est de se croire aussi grands seigneurs que leurs maîtres, surtout quand ce maître est fort ancien & du premier rang. On a vu des traducteurs d'une seule piece de Sophocle ou d'Euripide, qu'on ne pouvoit pas jouer sur notre théâtre, mépriser Cinna, Polieucte & Caton. (D.J.)


TRADUCTIONS. f. VERSION, s. f. (Synonymes.) On entend également par ces deux mots la copie qui se fait dans une langue d'un discours premierement énoncé dans une autre, comme d'hébreu en grec, de grec en latin, de latin en françois, &c. Mais l'usage ordinaire nous indique que ces deux mots different entr'eux par quelques idées accessoires, puisque l'on employe l'un en bien des cas où l'on ne pourroit pas se servir de l'autre : on dit, en parlant des saintes écritures, la VERSION des septante, la VERSION vulgate ; & l'on ne diroit pas de même, la TRADUCTION des septante, la TRADUCTION vulgate : on dit au contraire que Vaugelas a fait une excellente traduction de Quinte-Curce, & l'on ne pourroit pas dire qu'il en a fait une excellente version.

Il me semble que la version est plus littérale, plus attachée aux procédés propres de la langue originale, & plus asservie dans ses moyens aux vûes de la construction analytique ; & que la traduction est plus occupée du fond des pensées, plus attentive à les présenter sous la forme qui peut leur convenir dans la langue nouvelle, & plus assujettie dans ses expressions aux tours & aux idiotismes de cette langue.

Delà vient que nous disons la version vulgate, & non la traduction vulgate ; parce que l'auteur a tâché, par respect pour le texte sacré, de le suivre littéralement, & de mettre, en quelque sorte, l'hébreu même à la portée du vulgaire, sous les simples apparences du latin dont il emprunte les mots. Miserunt Judaei ab Jerosolimis sacerdotes & levitas ad eum, ut interrogarent eum : tu quis es ? (Joan. j. 19.) Voilà des mots latins, mais point de latinité, parce que ce n'étoit point l'intention de l'auteur ; c'est l'hébraïsme tout pur qui perce d'une maniere évidente dans cette interrogation directe, tu quis es : les latins auroient préféré le tour oblique quis ou quisnam esset ; mais l'intégrité du texte original seroit compromise. Rendons cela en notre langue, en disant, les juifs lui envoyerent de Jérusalem des prêtres & des lévites, afin qu'ils l'interrogeassent, qui es tu ? Nous aurons une version françoise du même texte : adaptons le tour de notre langue à la même pensée, & disons, les juifs lui envoyerent de Jérusalem des prêtres & des lévites, pour savoir de lui qui il étoit ; & nous aurons une traduction.

L'art de la traduction suppose nécessairement celui de la version ; & delà vient que les translations que l'on fait faire aux jeunes gens dans nos colléges du grec ou du latin en françois, sont très-bien nommées des versions : les premiers essais de traduction ne peuvent & ne doivent être rien autre chose.

La version littérale trouve ses lumieres dans la marche invariable de la construction analytique, qui lui sert à lui faire remarquer les idiotismes de la langue originale, & à lui en donner l'intelligence, en remplissant les vuides de l'ellipse, en supprimant les redondances du pléonasme, en ramenant à la rectitude de l'ordre naturel les écarts de la construction usuelle. Voyez INVERSION, METHODE, SUPPLEMENT, &c.

La traduction ajoûte aux découvertes de la version littérale, le tour propre du génie de la langue dans laquelle elle prétend s'expliquer : elle n'employe les secours analytiques que comme des moyens qui font entendre la pensée ; mais elle doit la rendre cette pensée, comme on la rendroit dans le second idiome, si on l'avoit conçue, sans la puiser dans une langue étrangere. Il n'en faut rien retrancher, il n'y faut rien ajoûter, il n'y faut rien changer ; ce ne seroit plus ni version, ni traduction ; ce seroit un commentaire.

Ne pouvant pas mettre ici un traité développé des principes de la traduction, qu'il me soit permis d'en donner seulement une idée générale, & de commencer par un exemple de traduction, qui, quoique sorti de la main d'un grand maître, me paroît encore repréhensible.

Ciceron, dans son livre intitulé Brutus, ou des orateurs illustres, s'exprime ainsi : (ch. xxxj.) Quis uberior in dicendo Platone ? Quis Aristotele nervosior ? Theophrasto dulcior ? Voici comment ce passage est rendu en françois par M. de la Bruyere, dans son discours sur Théophraste : " Qui est plus fécond & plus abondant que Platon ? plus solide & plus ferme qu'Aristote ? plus agréable & plus doux que Théophraste ? ".

C'est encore ici un commentaire plutôt qu'une traduction, & un commentaire au-moins inutile. Uberior ne signifie pas tout à la fois plus abondant & plus fécond ; la fécondité produit l'abondance, & il y a entre l'un & l'autre la même différence qu'entre la cause & l'effet ; la fécondité étoit dans le génie de Platon, & elle a produit l'abondance qui est encore dans ses écrits.

Nervosus, au sens propre, signifie nerveux ; & l'effet immédiat de cette heureuse constitution est la force, dont les nerfs sont l'instrument & la source : le sens figuré ne peut prendre la place du sens propre que par analogie, & nervosus doit pareillement exprimer ou la force, ou la cause de la force. Nervosior ne veut donc pas dire plus solide & plus ferme ; la force dont il s'agit in dicendo, c'est l'énergie.

Dulcior (plus agréable & plus doux) ; dulcior n'exprime encore que la douceur, & c'est ajouter à l'original que d'y joindre l'agrément : l'agrément peut être un effet de la douceur, mais il peut l'être aussi de toute autre cause. D'ailleurs pourquoi charger l'original ? Ce n'est plus le traduire, c'est le commenter ; ce n'est plus le copier, c'est le défigurer.

Ajoûtez que, dans sa prétendue traduction, M. de la Bruyere ne tient aucun compte de ces mots in dicendo, qui sont pourtant essentiels dans l'original, & qui y déterminent le sens des trois adjectifs uberior, nervosior, dulcior : car la construction analytique, qui est le fondement de la version, & conséquemment de la traduction, suppose la phrase rendue ainsi ; quis fuit uberior in dicendo, prae Platone ? quis fuit nervosior in dicendo, prae Aristotele ? quis fuit dulcior in dicendo prae Theophrasto ? Or dès qu'il s'agit d'expression, il est évident que ces adjectifs doivent énoncer les effets qui y ont produit les causes qui existoient dans le génie des grands hommes dont on parle.

Ces réflexions me porteroient donc à traduire ainsi le passage dont il s'agit : Qui a dans son élocution plus d'abondance que Platon ? plus de nerf qu'Aristote ? plus de douceur que Théophraste ? si cette traduction n'a pas encore toute l'exactitude dont elle est peut-être susceptible, je crois du moins avoir indiqué ce qu'il faut tâcher d'y conserver ; l'ordre des idées de l'original, la précision de sa phrase, la propriété de ses termes. (Voyez SYNECDOQUE, §. 11. la critique d'une traduction de M. du Marsais, & au mot METHODE, la version & la traduction d'un passage de Cic.) J'avoue que ce n'est pas toujours une tâche fort aisée ; mais qui ne la remplit pas n'atteint pas le but.

" Quand il s'agit, dit M. Batteux, (Cours de belles-lettres, III. part. jv. sect.) de représenter dans une autre langue les choses, les pensées, les expressions, les tours, les tons d'un ouvrage ; les choses telles qu'elles sont, sans rien ajoûter, ni retrancher, ni déplacer ; les pensées dans leurs couleurs, leurs degrés, leurs nuances ; les tours qui donnent le feu, l'esprit, la vie au discours ; les expressions naturelles, figurées, fortes, riches, gracieuses, délicates, &c. & le tout d'après un modele qui commande durement, & qui veut qu'on lui obéisse d'un air aisé : il faut, sinon autant de génie, du-moins autant de goût, pour bien traduire que pour composer. Peut-être même en faut-il davantage. L'auteur qui compose, conduit seulement par une sorte d'instinct toujours libre, & par sa matiere qui lui présente des idées qu'il peut accepter ou rejetter à son gré, est maître absolu de ses pensées & de ses expressions : si la pensée ne lui convient pas, ou si l'expression ne convient pas à la pensée, il peut rejetter l'une & l'autre : quae desperat tractata nitescere posse, relinquit. Le traducteur n'est maître de rien ; il est obligé de suivre par-tout son auteur, & de se plier à toutes ses variations avec une souplesse infinie. Qu'on en juge par la variété des tons qui se trouvent nécessairement dans un même sujet, & à plus forte raison dans un même genre.... Pour rendre tous ces degrés, il faut d'abord les avoir bien sentis, ensuite maîtriser à un point peu commun la langue que l'on veut enrichir de dépouilles étrangères. Quelle idée donc ne doit-on pas avoir d'une traduction faite avec succès ? "

Rien de plus difficile en effet, & rien de plus rare qu'une excellente traduction, parce que rien n'est ni plus difficile ni plus rare, que de garder un juste milieu entre la licence du commentaire & la servitude de la lettre. Un attachement trop scrupuleux à la lettre, détruit l'esprit, & c'est l'esprit qui donne la vie : trop de liberté détruit les traits caractéristiques de l'original, on en fait une copie infidele.

Qu'il est fâcheux que les révolutions des siecles nous aient dérobé les traductions que Ciceron avoit faites de grec en latin, des fameuses harangues de Démosthène & d'Eschine : elles seroient apparemment pour nous des modeles sûrs ; & il ne s'agiroit que de les consulter avec intelligence, pour traduire ensuite avec succès. Jugeons-en par la méthode qu'il s'étoit prescrite dans ce genre d'ouvrage, & dont il rend compte lui-même dans son traité de optimo genere oratorum. C'est l'abrégé le plus précis, mais le plus lumineux & le plus vrai, des regles qu'il convient de suivre dans la traduction ; & il peut tenir lieu des principes les plus développés, pourvû qu'on sache en saisir l'esprit. Converti ex atticis, dit-il, duorum eloquentissimorum nobilissimas orationes inter se contrarias, Eschinis Demosthenisque ; nec converti ut interpres, sed ut orator, sententiis iisdem, & earum formis tanquam figuris ; verbis ad nostram consuetudinem aptis, in quibus non verbum pro verbo necesse habui reddere, sed genus omnium verborum vimque servavi. Non enim ea me annumerare lectori putavi oportere, sed tanquam appendere. (B. E. R. M.)


TRAERBACH(Géog. mod.) petite ville d'Allemagne, dans le palatinat du Rhin sur la Moselle, à 12 lieues au nord-est de Treves, & au-dessus de Coblentz. Elle a une forteresse pour défendre le passage de la Moselle dans le palatinat. Elle a été prise & reprise plusieurs fois dans le dernier siecle ; & dans celui-ci le comte de Bellisle la prit en 1734. Long. 24. 45. lat. 49. 53. (D.J.)


TRAFALGALE CAP DE, (Géog. mod.) cap d'Espagne, sur la côte occidentale de l'Andalousie, vis-à-vis de cette pointe, droit au sud-ouest quart d'ouest de Connil, & environ à cinq milles ; il y a sous l'eau une roche fort dangereuse, qu'on appelle la Scitere de Trafalgar, sur laquelle il n'y a que 5 piés d'eau. (D.J.)


TRAFICS. m. (Comm.) commerce, négoce, vente ou échange de marchandises, billets ou argent. Le principal trafic des Hollandois aux Indes, consiste en épiceries.

Ce terme, selon M. Savary, vient de l'italien trafus, qui est tiré de l'arabe, & qui signifie la même chose.

Le mot trafic se prend en bien des sens. Ainsi l'on dit un trafic permis, un trafic prohibé, un trafic inconnu, un bon trafic, un mauvais trafic ; ce marchand entend bien, ou fait bien son trafic. Dict. de Commerce.


TRAFIQUANTTRAFIQUANTE, qui trafique, qui fait commerce.


TRAFIQUÉqui a passé par la main des marchands ou négocians. On fait peu de cas des billets trafiqués, qui ont passé par différentes mains.


TRAFIQUERnégocier, commercer, échanger, troquer.


TRAFIQUEURmarchand qui trafique, qui fait commerce ou négoce. Ce terme est suranné, & de peu d'usage aujourd'hui. Id. Ibid.


TRAFUSOIRS. m. (Soierie) piece de bois tournée en rond, au haut de laquelle, & à environ cinq piés, est posée d'équerre une cheville très-polie, sur laquelle on sépare les écheveaux de soie pour les dévider. On donne le même nom à une autre piece de bois, large dans sa hauteur qui n'est que de trois piés & demi, ou environ ; celle-ci est garnie de trois ou quatre longues chevilles de bois, bien polies, pour mettre la soie en main.


TRAGACANTHAS. m. (Hist. nat. Bot.) genre de plante dont Tournefort compte trois especes, la plus commune est nommée tragacantha altera, Poterium fortè, I. R. H. on l'appelle vulgairement en françois barbe-renard. C'est un sous-arbrisseau qui ressemble à la plante d'où sort la gomme adragant, & qui en est une espece. Il pousse beaucoup de rameaux longs environ d'un pié, flexibles, grêles, se répandant au large, blanchâtres pendant qu'ils sont encore tendres, lanugineux, garnis de plusieurs épines longues, qui sont les côtés des anciennes feuilles. Ses feuilles sont fort petites, rondes, blanches & velues ; elles naissent par paires, sur une côte terminée par un piquant. Ses fleurs sont légumineuses, blanches, soutenues chacune par son calice fait en cornet dentelé. Quand cette fleur est passée, il lui succede une gousse, divisée selon sa longueur en deux loges remplies de quelques semences, qui ont ordinairement la figure d'un petit rein. Sa racine est longue, branchue, pliante, couverte d'une écorce noire ; blanche en-dedans, fongueuse, gommeuse, douçâtre au goût. Cette plante naît en Candie & en Espagne, aux lieux montagneux, arides & incultes. (D.J.)

TRAGACANTHA, (Hist. nat. Botaniq. exot.) le tragacantha d'où la gomme adragant découle, s'appelle tragacantha Cretica, incana, flore parvo, lineis purpureis sticato, corol. I. R. H. 29.

Ses racines sont brunes, plongées profondément dans la terre, & partagées en plusieurs branches ; elles donnent naissance à des tiges épaisses d'un pouce, longues de deux ou trois piés, couchées en rond sur la terre : elles sont fermes, d'une substance spongieuse, remplies d'un suc gommeux, & entrelacées de différentes fibres, les unes circulaires, les autres longitudinales, & d'autres qui s'étendent en forme de rayons du centre à la circonférence.

Ces tiges sont couvertes d'une écorce ridée, brune, épaisse d'une ligne, & se partagent en un nombre infini de rameaux hérissés d'épines, & dénués de feuilles à leur partie inférieure qui paroît seche & comme morte, mais la partie supérieure est chargée de beaucoup de feuilles composées de 7 ou 8 paires de petites feuilles, attachées sur une côte d'un pouce de longueur ; ces petites feuilles sont longues de deux ou trois lignes, larges d'une demi-ligne, arrondies, terminées en pointe mousse, blanches & molles : la côte qui les porte, se termine en une épine longue, roide, aiguë & jaunâtre, sa base est large, membraneuse, garnie de deux aîlerons, par le moyen desquels elle embrasse les tiges.

Les fleurs sortent à l'extrémité des rameaux, de l'aisselle des côtes feuillées : elles sont légumineuses, longues de quatre lignes, légerement purpurines, avec un étendart arrondi plus long que les autres parties, un peu échancrée, & panachée de lignes blanches.

Les étamines sont au nombre de dix filets, dont neuf sont réunis ensemble dans presque toute leur longueur : ils sont égaux, droits, chargés de sommets arrondis, & forment une gaine membraneuse qui enveloppe l'embryon. Le pistil est un embryon dont la base creusée en-dessus, répand une liqueur miellée ; cet embryon se termine en un stile grêle un peu redressé, chargé d'un petit stigma obtus. Le calice a la forme d'un coqueluchon ; il est long de trois lignes, découpé en cinq parties & couvert d'un duvet blanchâtre. Quand les fleurs sont tombées, il leur succede des gousses velues, renflées, & partagées en deux loges, remplies de petites graines, de la figure d'un rein.

Cet arbrisseau croît dans l'île de Crete, & dans plusieurs endroits de l'Asie. M. de Tournefort a eu le plaisir d'observer à son aise la gomme adragant découler naturellement de cet arbrisseau sur le mont Jon, sur la fin de Juin, & dans les mois suivans ; le suc nourricier de cette plante épaissi par la chaleur, fait crever la plûpart des vaisseaux où il est renfermé, non-seulement il s'amasse du coeur des tiges & des branches, mais dans l'intérieur des fibres, lesquelles sont disposées en rayons. Ce suc se coagule en filets, de même que dans les porosités de l'écorce ; & ces filets passant au-travers de cette partie, sortent peu-à-peu, à mesure qu'ils sont poussés par le nouveau suc que les rameaux fournissent.

Cette matiere exposée à l'air, s'endurcit, & forme ou des grumeaux, ou des lames tortues, semblables à des vermisseaux, plus ou moins longs, suivant la matiere qui se présente : il semble même que la contraction des fibres de cette plante, contribue à l'expression de la gomme adragant : ces fibres déliées comme de la filasse, découvertes & foulées par les piés des bergers & des chevaux, se raccourcissent par la chaleur, & facilitent la sortie du suc extravasé.

Il faut maintenant parler du genre de plante ordinaire nommé tragacantha par plusieurs botanistes, & en françois barbe-renard, mais nous en ferons, pour éviter la confusion, un article à-part. (D.J.)


TRAGAEA(Géog. anc.) 1°. ville de l'île de Naxos. Etienne le géographe qui en parle, dit qu'on y rendoit un culte particulier à Apollon Tragien ; 2°. Tragaea, îles voisines des Cyclades. C'étoit la patrie de Théogiton le péripatéticien, ami d'Aristote.


TRAGAEDIA(Géog. anc.) Pline le jeune, qui étoit de Côme, avoit plusieurs maisons de campagne auprès du lac de Côme : il donne entr'autres la description de deux de ces maisons : l'une, dit-il, l. IX. ep. 7. ad Rom. bâtie à la façon de celles qu'on voit du côté de Baies, s'éleve sur des rochers, & domine le lac ; l'autre bâtie de la même maniere, le touche. Il appelloit la premiere tragédie, & la seconde comédie : celle-là, parce qu'elle avoit comme chaussé le cothurne, celle-ci parce qu'elle n'avoit que de simples brodequins. Elles ont, ajoute-t-il, chacune leurs agrémens, & leur diversité même en augmente la beauté pour celui qui les possede toutes deux. L'une jouit du lac de plus près ; l'autre en a la vue plus étendue : celle-là bâtie comme en demi-cercle, embrasse le port ; celle-ci forme comme deux ports différens, par sa hauteur qui s'avance dans le lac. Là vous avez une promenade unie, qui, par une longue allée, s'étend le long du rivage ; ici un parterre très-spacieux, mais qui descend par une pente douce. Les flots n'approchent point de la premiere de ces maisons ; ils viennent se briser contre la seconde. De celle-là vous voyez pêcher ; de celle-ci vous pouvez pêcher vous-même sans sortir de votre chambre, & presque sans sortir de votre lit, d'où vous jettez vos hameçons comme d'un bateau. (D.J.)


TRAGASAE-SALINAE(Géog. anc.) salines de la Troade, près d'Hamaxitum, selon Strabon, l. XIII. p. 605. Le sel tragaséen, dit Pline, l. XXXI. c. vij. ne fait point de bruit, & ne saute point quand on le jette dans le feu.

Les habitans de la Troade pouvoient user librement de ce sel ; mais lorsque Lysimachus eut mis dessus un impôt, le sel cessa de se congeler ; ce changement ayant étonné Lysimachus, il abolit l'impôt, & aussi-tôt le sel recommença à se former comme de coutume. (D.J.)


TRAGÉDIE(Poésie dramatique) représentation d'une action héroïque dont l'objet est d'exciter la terreur & la compassion.

Nous avons dans cette matiere deux guides célebres, Aristote & le grand Corneille, qui nous éclairent & nous montrent la route.

Le premier ayant pour principal objet dans sa poétique, d'expliquer la nature & les regles de la tragédie, suit son génie philosophique ; il ne considere que l'essence des êtres, & les propriétés qui en découlent. Tout est plein chez lui de définitions & de divisions.

De son côté Pierre Corneille ayant pratiqué l'art pendant quarante ans, & examiné en philosophe ce qui pouvoit y plaire ou y déplaire ; ayant percé par l'essor de son génie les obstacles de plusieurs matieres rebelles, & observé en métaphysicien la route qu'il s'étoit frayée, & les moyens par où il avoit réussi : enfin ayant mis au creuset de la pratique toutes ses réflexions, & les observations de ceux qui étoient venus avant lui, il mérite bien qu'on respecte ses idées & ses décisions, ne fussent-elles pas toujours d'accord avec celles d'Aristote. Celui-ci après tout, n'a connu que le théâtre d'Athènes ; & s'il est vrai que les génies les plus hardis dans leurs spéculations sur les arts ne vont guere au-delà des modeles même que les artistes inventeurs leur ont fournis, le philosophe grec n'a dû donner que le beau idéal du théâtre athénien.

D'un autre côté cependant, s'il est de fait que lorsqu'un nouveau genre, comme une sorte de phénomene, paroît dans la littérature, & qu'il a frappé vivement les esprits, il est bientôt porté à sa perfection, par l'ardeur des rivaux que la gloire aiguillonne : on pourroit croire que la tragédie étoit déjà parfaite chez les poëtes grecs, qui ont servi de modeles aux regles d'Aristote, & que les autres qui sont venus après, n'ont pu y ajouter que des raffinemens capables d'abâtardir ce genre, en voulant lui donner un air de nouveauté.

Enfin une derniere raison qui peut diminuer l'autorité du poëte françois, c'est que lui-même étoit auteur ; & on a observé que tous ceux qui ont donné des regles après avoir fait des ouvrages, quelque courage qu'ils ayent eu, n'ont été, quoiqu'on en puisse dire, que des législateurs timides. Semblables au pere dont parle Horace, ou à l'amant d'Agna, ils prennent quelquefois les défauts mêmes pour des agrémens ; ou s'ils les reconnoissent pour des défauts, ils n'en parlent qu'en les désignant par des noms qui approchent fort de ceux de la vertu.

Quoi qu'il en soit, je me borne à dire que la tragédie est la représentation d'une action héroïque. Elle est héroïque, si elle est l'effet de l'ame portée à un degré extraordinaire jusqu'à un certain point. L'héroïsme est un courage, une valeur, une générosité qui est au-dessus des ames vulgaires. C'est Héraclius qui veut mourir pour Martian, c'est Pulchérie qui dit à l'usurpateur Phocas, avec une fierté digne de sa naissance :

Tyran, descens du trône, & fais place à ton maître.

Les vices entrent dans l'idée de cet héroïsme dont nous parlons. Un statuaire peut figurer un Néron de huit piés ; de même un poëte peut le peindre, sinon comme un héros, du-moins comme un homme d'une cruauté extraordinaire, & si l'on me permet ce terme, en quelque sorte héroïque ; parce qu'en général les vices sont héroïques, quand ils ont pour principe quelque qualité qui suppose une hardiesse & une fermeté peu commune ; telle est la hardiesse de Catilina, la force de Médée, l'intrépidité de Cléopatre dans Rodogune.

L'action est héroïque ou par elle-même, ou par le caractere de ceux qui la font. Elle est héroïque par elle-même, quand elle a un grand objet ; comme l'acquisition d'un trône, la punition d'un tyran. Elle est héroïque par le caractere de ceux qui la font, quand ce sont des rois, des princes qui agissent, ou contre qui on agit. Quand l'entreprise est d'un roi, elle s'éleve, s'annoblit par la grandeur de la personne qui agit. Quand elle est contre un roi, elle s'annoblit par la grandeur de celui qu'on attaque.

La premiere qualité de l'action tragique est donc qu'elle soit héroïque. Mais ce n'est point assez : elle doit être encore de nature à exciter la terreur & la pitié ; c'est ce qui fait sa différence, & qui la rend proprement tragique.

L'épopée traite une action héroïque aussi bien que la tragédie ; mais son principal but étant d'exciter la terreur & l'admiration, elle ne remue l'ame que pour l'élever peu-à-peu. Elle ne connoît point ces secousses violentes, & ces frémissemens du théâtre qui forment le vrai tragique. Voyez TRAGIQUE, le.

La Grèce fut le berceau de tous les arts ; c'est par conséquent chez elle qu'il faut aller chercher l'origine de la poésie dramatique. Les Grecs nés la plûpart avec un génie heureux, ayant le goût naturel à tous les hommes, de voir des choses extraordinaires, étant dans cette espece d'inquiétude qui accompagne ceux qui ont des besoins, & qui cherchent à les remplir, dûrent faire beaucoup de tentatives pour trouver le dramatique. Ce ne fut cependant pas à leur génie ni à leurs recherches qu'ils en furent redevables.

Tout le monde convient que les fêtes de Bacchus en occasionnerent la naissance. Le dieu de la vendange & de la joie avoit des fêtes, que tous ses adorateurs célebroient à-l'envi, les habitans de la campagne, & ceux qui demeuroient dans les villes. On lui sacrifioit un bouc, & pendant le sacrifice, le peuple & les prêtres chantoient en choeur à la gloire de ce dieu, des hymnes, que la qualité de la victime fit nommer tragédie ou chant du bouc, . Ces chants ne se renfermoient pas seulement dans les temples ; on les promenoit dans les bourgades. On traînoit un homme travesti en Silene, monté sur un âne ; & on suivoit en chantant & en dansant. D'autres barbouillés de lie se perchoient sur des charrettes, & fredonnoient le verre à la main, les louanges du dieu des buveurs. Dans cette esquisse grossiere, on voit une joie licencieuse, mêlée de culte & de religion : on y voit du sérieux & du folâtre, des chants religieux & des airs bacchiques, des danses & des spectacles. C'est de ce cahos que sortit la poésie dramatique.

Ces hymnes n'étoient qu'un chant lyrique, tel qu'on le voit décrit dans l'Enéïde ; où Virgile a, selon toute apparence, peint les sacrifices du roi Evandre, d'après l'idée qu'on avoit de son tems des choeurs des anciens. Une portion du peuple (les vieillards, les jeunes gens, les femmes, les filles, selon la divinité dont on faisoit la fête), se partageoit en deux rangs, pour chanter alternativement les différens couplets, jusqu'à ce que l'hymne fût fini. Il y en avoit où les deux rangs réunis, & même tout le peuple chantoit ensemble, ce qui faisoit quelque variété. Mais comme c'étoit toujours du chant, il y regnoit une sorte de monotonie, qui à la fin endormoit les assistans.

Pour jetter plus de variété, on crut qu'il ne seroit pas hors de propos d'introduire un acteur qui fît quelque récit. Ce fut Thespis qui essaya cette nouveauté. Son acteur qui apparemment raconta d'abord les actions qu'on attribuoit à Bacchus, plut à tous les spectateurs ; mais bientôt le poëte prit des sujets étrangers à ce dieu, lesquels furent approuvés du plus grand nombre. Enfin ce récit fut divisé en plusieurs parties, pour couper plusieurs fois le chant, & augmenter le plaisir de la variété.

Mais comme il n'y avoit qu'un seul acteur, cela ne suffisoit pas ; il en falloit un second pour constituer le drame, & faire ce qu'on appelle dialogue : cependant le premier pas étoit fait, & c'étoit beaucoup.

Eschyle profita de l'ouverture qu'avoit donnée Thespis, & forma tout-d'un-coup le drame héroïque, ou la tragédie. Il y mit deux acteurs au-lieu d'un ; il leur fit entreprendre une action dans laquelle il transporta tout ce qui pouvoit lui convenir de l'action épique ; il y mit exposition, noeuds, efforts, dénouement, passions, & intérêt : dès qu'il avoit saisi l'idée de mettre l'épique en spectacle, le reste devoit venir aisément ; il donna à ses acteurs des caracteres, des moeurs, une élocution convenable ; & le choeur qui dans l'origine avoit été la base du spectacle, n'en fut plus que l'accessoire, & ne servit que d'intermede à l'action, de même qu'autrefois l'action lui en avoit servi.

L'admiration étoit la passion produite par l'épopée. Pour sentir que la terreur & la pitié étoient celles qui convenoient à la tragédie, ce fut assez de comparer une piece où ces passions se trouvassent, avec quelqu'autre piece qui produisît l'horreur, la frayeur, la haine, ou l'admiration seulement ; la moindre réflexion fut le sentiment éprouvé, & même sans cela, les larmes & les applaudissemens des spectateurs, suffirent aux premiers poëtes tragiques, pour leur faire connoître quels étoient les sujets vraiment faits pour leur art, & auxquels ils devoient donner la préférence ; & probablement Eschyle en fit l'observation dès la premiere fois que le cas se présenta.

Voilà quelle fut l'origine & la naissance de la tragédie ; voyons ses progrès, & les différens états par où elle a passé, en suivant le goût & le génie des auteurs & des peuples.

Eschyle donne à la tragédie un air gigantesque, des traits durs, une démarche fougueuse ; c'étoit la tragédie naissante bien conformée dans toutes ses parties, mais encore destituée de cette politesse que l'art & le tems ajoutent aux inventions nouvelles : il falloit la ramener à un certain vrai, que les poëtes sont obligés de suivre jusque dans leurs fictions. Ce fut le partage de Sophocle.

Sophocle né heureusement pour ce genre de poésie, avec un grand fond de génie, un goût délicat, une facilité merveilleuse pour l'expression, réduisit la muse tragique aux regles de la décence & du vrai ; elle apprit à se contenter d'une marche noble & assurée, sans orgueil, sans faste, sans cette fierté gigantesque qui est au-delà de ce qu'on appelle héroïque ; il sut intéresser le coeur dans toute l'action, travailla les vers avec soin ; en un mot il s'éleva par son génie & par son travail, au point que ses ouvrages sont devenus l'exemple du beau & le modèle des regles. C'est aussi le modele de l'ancienne Grèce, que la philosophie moderne approuve davantage. Il finit ses jours à l'âge de 90 ans, dans le cours desquels il avoit remporté dix-huit fois le prix sur tous ses concurrens. On dit que le dernier qui lui fut adjugé pour sa derniere tragédie, le fit mourir de joie. Son Oedipe est une des plus belles pieces qui ait jamais paru, & sur laquelle on peut juger du vrai tragique. Voyez TRAGIQUE.

Euripide s'attacha d'abord aux philosophes : il eut pour maître Anaxagore ; aussi toutes ses pieces sont-elles remplies de maximes excellentes pour la conduite des moeurs ; Socrate ne manquoit jamais d'y assister, quand il en donnoit de nouvelles ; il est tendre, touchant, vraiment tragique, quoique moins élevé & moins vigoureux que Sophocle ; il ne fut cependant couronné que cinq fois ; mais l'exemple du poëte Ménandre, à qui on préféra sans cesse un certain Philémon, prouve que ce n'étoit pas toujours la justice qui distribuoit les couronnes. Il mourut avant Sophocle : des chiens furieux le déchirerent à l'âge de soixante & quinze ans ; il composa soixante & quinze tragédies.

En général, la tragédie des Grecs est simple, naturelle, aisée à suivre, peu compliquée ; l'action se prépare, se noue, se développe sans effort ; il semble que l'art n'y ait que la moindre part ; & par-là même, c'est le chef-d'oeuvre de l'art & du génie.

Oedipe, dans Sophocle, paroît un homme ordinaire ; ses vertus & ses vices n'ont rien qui soit d'un ordre supérieur. Il en est de même de Créon & de Jocaste. Tirésie parle avec fierté, mais simplement & sans enflure. Bien loin d'en faire un reproche aux Grecs, c'est un mérite réel que nous devons leur envier.

Souvent nous étalons des morceaux pompeux, des caracteres d'une grandeur plus qu'humaine, pour cacher les défauts d'une piece qui, sans cela, auroit peu de beauté. Nous habillons richement Hélene, les Grecs savoient la peindre belle ; ils avoient assez de génie pour conduire une action, & l'étendre dans l'espace de cinq actes, sans y jetter rien d'étranger, ni sans y laisser aucun vuide ; la nature leur fournissoit abondamment tout ce dont ils avoient besoin : & nous, nous sommes obligés d'employer l'art, de chercher, de faire venir une matiere qui souvent résiste : & quand les choses, quoique forcées, sont à-peu-près assorties, nous osons dire quelquefois : " il y a plus d'art chez nous que chez les Grecs, nous avons plus de génie qu'eux, & plus de force ".

Chaque acte est terminé par un chant lyrique, qui exprime les sentimens qu'a produits l'acte qu'on a vu, & qui dispose à ce qui suit. Racine a imité cet usage dans Esther & dans Athalie.

Ce qui nous reste des tragiques latins, n'est point digne d'entrer en comparaison avec les Grecs.

Séneque a traité le sujet d'Oedipe, après Sophocle : la fable de celui-ci est un corps proportionné & régulier : celle du poëte latin est un colosse monstrueux, plein de superfétations : on pourroit y retrancher plus de huit cent vers, dont l'action n'a pas besoin ; sa piece est presque le contrepié de celle de Sophocle d'un bout à l'autre. Le poëte grec ouvre la scène par le plus grand de tous les tableaux. Un roi à la porte de son palais, tout un peuple gémissant, des autels dressés par-tout dans la place publique, des cris de douleurs. Séneque présente le roi qui se plaint à sa femme, comme un rhéteur l'auroit fait du tems de Séneque même. Sophocle ne dit rien qui ne soit nécessaire, tout est nerf chez lui, tout contribue au mouvement. Séneque est par-tout surchargé, accablé d'ornemens ; c'est une masse d'embonpoint qui a des couleurs vives, & nulle action. Sophocle est varié naturellement ; Séneque ne parle que d'oracles, que de sacrifices symboliques, que d'ombres évoquées. Sophocle agit plus qu'il ne parle, il ne parle même que pour l'action ; & Séneque n'agit que pour parler & haranguer ; Tirésie, Jocaste, Créon, n'ont point de caractere chez lui ; Oedipe même n'y est point touchant. Quand on lit Sophocle, on est affligé ; quand on lit Séneque, on a horreur de ses descriptions, on est dégoûté & rebuté de ses longueurs.

Passons quatorze siecles, & venons tout-d'un-coup au grand Corneille, après avoir dit un mot de trois autres tragiques qui le précéderent dans cette carriere.

Jodelle (Etienne), né à Paris en 1532, mort en 1573, porta le premier sur le théâtre françois, la forme de la tragédie grecque, & fit reparoître le choeur antique, dans ses deux pieces de Cléopatre & de Didon ; mais combien ce poëte resta-t-il au-dessous des grands maîtres qu'il tâcha d'imiter ? il n'y a chez lui que beaucoup de déclamation, sans action, sans jeu, & sans regles.

Garnier (Robert), né à la Ferté - Bernard, au Maine, en 1534, mort vers l'an 1595, marcha sur les traces de Jodelle, mais avec plus d'élévation dans ses pensées, & d'énergie dans son style. Ses tragédies firent les délices des gens de lettres de son tems, quoiqu'elles soient languissantes & sans action.

Hardy (Alexandre) qui vivoit sous Henri IV. & qui passoit pour le plus grand poëte tragique de la France, ne mérita ce titre que par sa fécondité étonnante. Outre qu'il connoissoit mal les regles de la scène, & qu'il violoit d'ordinaire l'unité de lieu, ses vers sont durs, & ses compositions grossieres : enfin voici la grande époque du théâtre françois, qui prit naissance sous Pierre Corneille.

Ce génie sublime, qu'on eût appellé tel dans les plus beaux jours d'Athènes & de Rome, franchit presque tout-à-coup les nuances immenses qu'il y avoit entre les essais informes de son siecle, & les productions les plus accomplies de l'art ; les stances tenoient à-peu-près la place des choeurs, mais Corneille à chaque pas faisoit des découvertes. Bientôt il n'y eut plus de stances ; la scène fut occupée par le combat des passions nobles, les intrigues, les caracteres, tout eut de la vraisemblance ; les unités reparurent, & le poëme dramatique eut de l'action, des mouvemens, des situations, des coups de théâtre. Les événemens furent fondés, les intérêts ménagés, & les scènes dialoguées.

Cet homme rare étoit né pour créer la poésie théâtrale, si elle ne l'eût pas été avant lui. Il réunit toutes les parties ; le tendre, le touchant, le terrible, le grand, le sublime ; mais ce qui domine sur toutes ces qualités, & qui les embrasse chez lui, c'est la grandeur & la hardiesse. C'est le génie qui fait tout en lui, qui a créé les choses & les expressions ; il a par-tout une majesté, une force, une magnificence, qu'aucun de nos poëtes n'a surpassé.

Avec ces grands avantages, il ne devoit pas s'attendre à des concurrens ; il n'en a peut-être pas encore eu sur notre théâtre, pour l'héroïsme ; mais il n'en a pas été de même du côté des succès. Une étude réfléchie des sentimens des hommes, qu'il falloit émouvoir, vint inspirer un nouveau genre à Racine, lorsque Corneille commençoit à vieillir. Ce premier avoit pour ainsi dire rapproché les passions des anciens, des usages de sa nation ; Racine, plus naturel, mit au jour des pieces toutes françoises ; guidé par cet instinct national qui avoit fait applaudir les romances, la cour d'amour, les carrousels, les tournois en l'honneur des dames, les galanteries respectueuses de nos peres ; il donna des tableaux délicats de la vérité de la passion qu'il crut la plus puissante sur l'ame des spectateurs pour lesquels il écrivoit.

Corneille avoit cependant connu ce genre, & sembla ne vouloir pas y donner son attache ; mais M. Racine, né avec la délicatesse des passions, un goût exquis, nourri de la lecture des beaux modeles de la Grèce, accommoda la tragédie aux moeurs de son siecle & de son pays. L'élévation de Corneille étoit un monde où beaucoup de gens ne pouvoient arriver. D'ailleurs ce poëte avoit des défauts ; il y avoit chez lui de vieux mots, des discours quelquefois embarrassés, des endroits qui sentoient le déclamateur. Racine eut le talent d'éviter ces petites fautes : toujours élégant, toujours exact, il joignoit le plus grand art au génie, & se servoit quelquefois de l'un pour remplacer l'autre : cherchant moins à élever l'ame qu'à la remuer, il parut plus aimable, plus commode, & plus à la portée de tout spectateur. Corneille est, comme quelqu'un l'a dit, un aigle qui s'éleve au-dessus des nues, qui regarde fixément le soleil, qui se plaît au milieu des éclairs & de la foudre. Racine est une colombe qui gémit dans des bosquets de mirthe, au milieu des roses. Il n'y a personne qui n'aime Racine ; mais il n'est pas accordé à tout le monde d'admirer Corneille autant qu'il le mérite.

L'histoire de la tragédie françoise ne finit point ici ; mais c'est à la postérité qu'il appartiendra de la continuer.

Les Anglois avoient déjà un théâtre, aussi-bien que les Espagnols, quand les François n'avoient encore que des tréteaux : Shakespear (Guillaume) fleurissoit à-peu-près dans le tems de Lopez de Véga, & mérite bien que nous nous arrêtions sur son caractere, puisqu'il n'a jamais eu de maître, ni d'égal.

Il naquit en 1564, à Stratford dans le comté de Warwick, & mourut en 1616. Il créa le théâtre anglois par un génie plein de naturel, de force, & de fécondité, sans aucune connoissance des regles : on trouve dans ce grand génie, le fonds inépuisable d'une imagination pathétique & sublime, fantasque & pittoresque, sombre & gaie, une variété prodigieuse de caracteres, tous si-bien contrastés, qu'ils ne tiennent pas un seul discours que l'on pût transporter de l'un à l'autre ; talens personnels à Shakespear, & dans lesquels il surpasse tous les poëtes du monde : il y a de si belles scènes, des morceaux si grands & si terribles, répandus dans ses pieces tragiques, d'ailleurs monstrueuses, qu'elles ont toujours été jouées avec le plus grand succès. Il étoit si bien né avec toutes les semences de la poésie, qu'on peut le comparer à la pierre enchassée dans l'anneau de Pyrrhus, qui, à ce que nous dit Pline, représentoit la figure d'Apollon, avec les neuf muses, dans ces veines que la nature y avoit tracées elle - même, sans aucun secours de l'art.

Non-seulement il est le chef des poëtes dramatiques anglois, mais il passe toujours pour le plus excellent ; il n'eut ni modeles ni rivaux, les deux sources de l'émulation, les deux principaux aiguillons du génie. La magnificence ou l'équipage d'un héros ne peut donner à Brutus la majesté qu'il reçoit de quelques lignes de Shakespear ; doué d'une imagination également forte & riche, il peint tout ce qu'il voit, & embellit presque tout ce qu'il peint. Dans les tableaux de l'Albane, les amours de la suite de Vénus ne sont pas représentés avec plus de graces, que Shakespear en donne à ceux qui font le cortege de Cléopatre, dans la description de la pompe avec laquelle cette reine se présente à Antoine sur les bords du Cydnus.

Ce qui lui manque, c'est le choix. Quelquefois en lisant ses pieces on est surpris de la sublimité de ce vaste génie, mais il ne laisse pas subsister l'admiration. A des portraits où regnent toute l'élévation & toute la noblesse de Raphaël, succedent de misérables tableaux dignes des peintres de taverne.

Il ne se peut rien de plus intéressant que le monologue de Hamlet, prince de Danemarck, dans le troisieme acte de la tragédie de ce nom : on connoit la belle traduction libre que M. de Voltaire a fait de ce morceau.

To be, or not to be ! that is a question, &c.

Demeure, il faut choisir, & passer à l'instant,

De la vie à la mort, ou de l'être au néant.

Dieux cruels, s'il en est, éclairez mon courage ;

Faut il vieillir courbé sous la main qui m'outrage,

Supporter ou finir mon malheur & mon sort ?

Qui suis-je ? qui m'arrête ? & qu'est-ce que la mort ?

C'est la fin de nos maux, c'est mon unique asyle ;

Après de longs transports c'est un sommeil tranquille ;

On s'endort, & tout meurt, mais un affreux réveil

Doit succéder peut-être aux douceurs du sommeil.

On nous menace ; on dit que cette courte vie,

De tourmens éternels est aussi-tôt suivie.

O mort ! moment fatal ! affreuse éternité,

Tout coeur à ton seul nom se glace épouvanté !

Eh ! qui pourroit sans toi supporter cette vie :

De nos prêtres menteurs bénir l'hypocrisie :

D'une indigne maîtresse encenser les erreurs :

Ramper sous un ministre, adorer ses hauteurs :

Et montrer les langueurs de son ame abattue

A des amis ingrats qui détournent la vue ?

La mort seroit trop douce en ces extrêmités,

Mais le scrupule parle & nous crie arrêtez ;

Il défend à nos mains cet heureux homicide,

Et d'un héros guerrier fait un chrétien timide.

L'ombre d'Hamlet paroît, & porte la terreur sur la scène, tant Shakespear possédoit le talent de peindre : c'est par-là qu'il sut toucher le foible superstitieux de l'imagination des hommes de son tems, & réussir en de certains endroits où il n'étoit soutenu que par la seule force de son propre génie. Il y a quelque chose de si bizarre, & avec cela de si grave dans les discours de ses phantômes, de ses fées, de ses sorciers, & de ses autres personnages chimériques, qu'on ne sauroit s'empêcher de les croire naturels, quoique nous n'ayons aucune regle fixe pour en bien juger, & qu'on est contraint d'avouer, que s'il y avoit de tels êtres au monde, il est fort probable qu'ils parleroient & agiroient de la maniere dont il les a représentés. Quant à ses défauts, on les excusera sans doute, si l'on considere que l'esprit humain ne peut de tous côtés franchir les bornes que le ton du siecle, les moeurs & les préjugés opposent à ses efforts.

Les ouvrages dramatiques de ce poëte parurent pour la premiere fois tous ensemble en 1623 in folio & depuis Mrs. Rowe, Pope, Théobald, & Warburthon, en ont donné à-l'envi de nouvelles éditions. On doit lire la préface que M. Pope a mise au-devant de la sienne sur le caractere de l'auteur. Elle prouve que ce grand génie, nonobstant tous ses défauts, mérite d'être mis au-dessus de tous les écrivains dramatiques de l'Europe. On peut considérer ses ouvrages, comparés avec d'autres plus polis & plus réguliers, comme un ancien bâtiment majestueux d'architecture gothique, comparé avec un édifice moderne d'une architecture réguliere ; ce dernier est plus élégant, mais le premier a quelque chose de plus grand. Il s'y trouve assez de matériaux pour fournir à plusieurs autres édifices. Il y regne plus de variété, & les appartemens sont bien plus vastes, quoiqu'on y arrive souvent par des passages obscurs, bisarrement ménagés, & désagréables. Enfin tout le corps inspire du respect, quoique plusieurs des parties soient de mauvais goût, mal disposées, & ne répondent pas à sa grandeur.

Il est bon de remarquer qu'en général c'est dans les morceaux détachés que les tragiques anglois ont le plus excellé. Leurs anciennes pieces dépourvues d'ordre, de décence, & de vraisemblance, ont des lueurs étonnantes au milieu de cette nuit. Leur style est trop ampoulé, trop rempli de l'enflure asiatique, mais aussi il faut avouer que les échasses du style figuré sur lesquelles la langue angloise est guindée dans le tragique, élevent l'esprit bien haut, quoique par une marche irréguliere.

Johnson (Benjamin), suivit de près Shakespear, & se montra un des plus illustres dramatiques anglois du dix-septieme siecle. Il naquit à Westminster vers l'an 1575, & eut Cambden pour maître ; mais sa mere qui s'étoit remariée à un maçon, l'obligea de prendre le métier de son beau-pere ; il travailla par indigence aux bâtimens de Lincoln'Inn, avec la truelle à la main & un livre en poche. Le goût de la poésie l'emporta bien-tôt sur l'équerre ; il donna des ouvrages dramatiques, se livra tout-entier au théâtre, & Shakespear le protégea.

Il fit représenter, en 1601, une tragédie intitulée la Chûte de Séjan. Si l'on m'objecte, dit-il dans sa préface, que ma piece n'est pas un poëme selon les regles du tems, je l'avoue ; il y manque même un choeur convenable, qui est la chose la plus difficile à mettre en oeuvre. De plus, il n'est ni nécessaire, ni possible d'observer aujourd'hui la pompe ancienne des poëmes dramatiques, vû le caractere des spectateurs. Si néanmoins, continue-t-il, j'ai rempli les devoirs d'un acteur tragique, tant pour la vérité de l'histoire & la dignité des personnages, que pour la gravité du style, & la force des sentimens, ne m'imputez pas l'omission de ces accessoires, par rapport auxquels (sans vouloir me vanter), je suis mieux en état de donner des regles, que de les négliger faute de les connoître.

En 1608 il mit au jour la Conjuration de Catilina ; je ne parle pas de ses comédies qui lui acquirent beaucoup de gloire. De l'aveu des connoisseurs, Shakespear & Johnson, sont les deux plus grands dramatiques dont l'Angleterre puisse se vanter. Le dernier a donné d'aussi bonnes regles pour perfectionner le théâtre que celles de Corneille. Le premier devoit tout au prodigieux génie naturel qu'il avoit ; Johnson devoit beaucoup à son art & à son savoir, il est vrai que l'un & l'autre sont auteurs d'ouvrages indignes d'eux, avec cette différence néanmoins, que dans les mauvaises pieces de Johnson, on ne trouve aucuns vestiges de l'auteur du Renard & du Chymiste, au-lieu que dans les morceaux les plus bisarres de Shakespear, vous trouverez çà & là des traces qui vous font reconnoître leur admirable auteur. Johnson avoit au-dessus de Shakespear une profonde connoissance des anciens ; & il y puisoit hardiment. Il n'y a guere de poëte ou d'historiens romains des tems de Séjan & de Catilina qu'il n'ait traduit dans les deux tragédies, dont ces deux hommes lui ont fourni le sujet ; mais il s'empare des auteurs en conquérant, & ce qui seroit larcin dans d'autres poëtes, est chez lui victoire & conquête. Il mourut le 16 Août 1637, & fut enterré dans l'abbaye de Westminster ; on mit sur son tombeau cette épitaphe courte, & qui dit tant de choses. O rare Ben Johnson.

Otway (Thomas), né dans la province de Sussex en 1651, mourut en 1685, à l'âge de 34 ans. Il réussit admirablement dans la partie tendre & touchante ; mais il y a quelque chose de trop familier dans les endroits qui auroient dû être soutenus par la dignité de l'expression. Venise sauvée & l'Orpheline, sont ses deux meilleures tragédies. C'est dommage qu'il ait fondé la premiere sur une intrigue si vicieuse, que les plus grands caracteres qu'on y trouve, sont ceux de rébelles & de traîtres. Si le héros de sa piece avoit fait paroître autant de belles qualités pour la défense de son pays qu'il en montre pour sa ruine, on n'auroit trop pû l'admirer. On peut dire de lui ce qu'un historien romain dit de Catilina, que sa mort auroit été glorieuse, si pro patriâ sic concidisset. Otway possédoit parfaitement l'art d'exprimer les passions dans le tragique, & de les peindre avec une simplicité naturelle ; il avoit aussi le talent d'exciter quelquefois les plus vives émotions. Mademoiselle Barry, fameuse actrice, qui faisoit le rôle de Monime dans l'Orpheline, ne prononçoit jamais sans verser des larmes ces trois mots : ah, pauvre Castalio ! Enfin Beviledere me trouble, & Monime m'attendrit toujours : ainsi la terreur s'empare de l'ame, & l'art fait couler des pleurs honnêtes.

Congreve (Guillaume), né en Irlande en 1672, & mort à Londres en 1729, fit voir le premier sur le théâtre anglois, avec beaucoup d'esprit, toute la correction & la régularité qu'on peut desirer dans le dramatique ; on en trouvera la preuve dans toutes ses pieces, & en particulier dans sa belle tragédie, l'Epouse affligée, the Mourning bride.

Rowe (Nicolas), naquit en Dévonshire en 1673, & mourut à Londres en 1718, à 45 ans, & fut enterré à Westminster, vis-à-vis de Chaucer. Il se fit voir aussi régulier que Congrève dans ses tragédies. Sa premiere piece, l'Ambitieuse belle-mere, mérite toutes sortes de louanges par la pureté de la diction, la justesse des caracteres, & la noblesse des sentimens : mais celle de ses tragédies, dont il faisoit le plus de cas, & qui fut aussi la plus estimée, étoit son Tamerlan. Il regne dans toutes ses pieces un esprit de vertu & d'amour pour la patrie qui font honneur à son coeur ; il saisit en particulier toutes les occasions qui se présentent de faire servir le théâtre à inspirer les grands principes de la liberté civile.

Il est tems de parler de l'illustre Addison ; son Caton d'Utique est le plus grand personnage, & sa piece est la plus belle qui soit sur aucun théâtre. C'est un chef-d'oeuvre pour la régularité, l'élégance, la poésie & l'élévation des sentimens. Il parut à Londres en 1713, & tous les partis quoique divisés & opposés s'accorderent à l'admirer. La reine Anne désira que cette piece lui fût dédiée ; mais l'auteur pour ne manquer ni à son devoir ni à son honneur, l'a mis au jour sans dédicace. M. Dubos en traduisit quelques scènes en françois. L'abbé Salvinien en a donné une traduction complete italienne ; les jésuites anglois de Saint-Omer mirent cette piece en latin, & la firent représenter publiquement par leurs écoliers. M. Sewell, docteur en médecine, & le chevalier Steele l'ont embellie de remarques savantes & pleines de goût.

Tout le caractere de Caton est conforme à l'histoire. Il excite notre admiration pour un romain aussi vertueux qu'intrépide. Il nous attendrit à la vue du mauvais succès de ses nobles efforts pour le soutien de la cause publique. Il accroît notre indignation contre César en ce que la plus éminente vertu se trouve opprimée par un tyran heureux.

Les caracteres particuliers sont distingués les uns des autres par des nuances de couleur différente. Porcius & Marcus ont leurs moeurs & leurs tempéramens ; & cette peinture se remarque dans tout le cours de la piece, par l'opposition qui regne dans leurs sentimens, quoiqu'ils soient amis. L'un est calme & de sang froid, l'autre est plein de feu & de vivacité. Ils se proposent tous deux de suivre l'exemple de leur pere ; l'aîné le considere comme le défenseur de la liberté ; le cadet le regarde comme l'ennemi de César ; l'un imite sa sagesse, & l'autre son zele pour Rome.

Le caractere de Juba est neuf ; il prend Caton pour modele, & il s'y trouve encore engagé par son amour pour Marcia ; sa honte lorsque sa passion est découverte, son respect pour l'autorité de Caton, son entretien avec Syphax touchant la supériorité des exercices de l'esprit sur ceux du corps, embellissent encore les traits qui le regardent.

La différence n'est pas moins sensiblement exposée entre les caracteres vicieux. Sempronius & Syphax sont tous deux lâches, traîtres & hypocrites ; mais chacun à leur maniere ; la perfidie du romain & celle de l'africain sont aussi différentes que leur humeur.

Lucius, l'opposé de Sempronius & ami de Caton, est d'un caractere doux, porté à la compassion, sensible aux maux de tous ceux qui souffrent, non par foiblesse, mais parce qu'il est touché des malheurs auxquels il voit sa patrie en proie.

Les deux filles sont animées du même esprit que leur pere ; celle de Caton s'intéresse vivement pour la cause de la vertu ; elle met un frein à une violente passion en réfléchissant à sa naissance ; & par un artifice admirable du poëte, elle montre combien elle estimoit son amant, à l'occasion de sa mort supposée. Cet incident est aussi naturel qu'il étoit nécessaire ; & il fait disparoître ce qu'il y auroit eu dans cette passion de peu convenable à la fille de Caton. D'un autre côté, Lucie d'un caractere doux & tendre, ne peut déguiser ses sentimens, mais après les avoir déclarés, la crainte des conséquences la fait résoudre à attendre le tour que prendront les affaires, avant que de rendre son amant heureux. Voilà le caractere timide & sensible de son pere Lucius ; & en même tems son attachement pour Marcia l'engage aussi avant que l'amitié de Lucius pour Caton.

Dans le dénouement qui est d'un ordre mixte, la vertu malheureuse est abandonnée au hazard & aux dieux ; mais tous les autres personnages vertueux sont récompensés.

Cette tragédie est trop connue pour entrer dans le détail de ses beautés particulieres. Le seul soliloque de Caton, acte V. scène 1, fera toujours l'admiration des philosophes ; il finit ainsi.

Let guilt or fear

Disturb man's rest : Cato knows neither of'em ;

Indifferent in his choice to sleep, or die.

" Que le crime ou la crainte troublent le repos de l'homme, Caton ne connoit ni l'une ni l'autre, indifférent dans son choix de dormir ou de mourir. "

Addison nous plait par son bon goût & par ses peintures simples. Lorsque Sempronius dit à Porcius qu'il seroit au comble du bonheur, si Caton son pere vouloit lui accorder sa soeur Marcia, Porcius répond, acte I. scène 2 :

Alas ! Sempronius, wouldst thou talk of love

To Marcia whilst her fathers life's in danger ?

Thou migh'st as well court the pale trembling vestal,

When she beholds the holy flamme expiring.

" Quoi Sempronius, voudriez-vous parler d'amour à Marcia, dans le tems que la vie de son pere est menacée ? Vous pourriez aussi-tôt entretenir de votre passion une vestale tremblante & effrayée à la vue du feu sacré prêt à s'éteindre sur l'autel ". Que cette image est belle & bien placée dans la bouche d'un romain ! C'est encore la majesté de la religion qui augmente la noblesse de la pensée. L'idée est neuve, & cependant si simple, qu'il paroît que tout le monde l'auroit trouvée.

Quant à l'intrigue d'amour de cette piece, un de nos beaux génies, grand juge en ces matieres, la condamne en plus d'un endroit. Addison, dit M. de Voltaire, eut la molle complaisance de plier la sévérité de son caractere aux moeurs de son tems, & gâta un chef-d'oeuvre pour avoir voulu lui plaire. J'ai cependant bien de la peine à souscrire à cette décision. Il est vrai que M. Addison reproduit sur la scène l'amour, sujet trop ordinaire & usé ; mais il peint un amour digne d'une vierge romaine, un amour chaste & vertueux, fruit de la nature & non d'une imagination déréglée. Toute belle qu'est Porcia, c'est le grand Caton que le jeune prince de Massinisse adore en sa fille.

Les amans sont ici plus tendres & en même tems plus sages que tous ceux qu'on avoit encore introduits sur le théâtre. Dans notre siecle corrompu il faut qu'un poëte ait bien du talent pour exciter l'admiration des libertins, & les rendre attentifs à une passion qu'ils n'ont jamais ressentie, ou dont ils n'ont emprunté que le masque.

" Ce chef - d'oeuvre dramatique qui a fait tant d'honneur à notre pays & à notre langue (dit Steele), excelle peut-être autant par les passions des amans que par la vertu du héros. Du-moins leur amour qui ne fait que les caracteres du second ordre, est plus héroïque que la grandeur des principaux caracteres de la plûpart des tragédies ". Je n'en veux pour preuve que la réponse de Juba à Marcie, acte I. scène 5, lorsqu'elle lui reproche avec dignité de l'entretenir de sa passion dans un tems où le bien de la cause commune demandoit qu'il fût occupé d'autres pensées. Replique-t-il comme Pyrrhus à Andromaque ?

Vaincu, chargé de fers, de regrets consumé,

Brûlé de plus de feux que je n'en allumai,

Tant de soins, tant de pleurs, tant d'ardeurs inquietes...

Non ; mais en adorant la fille de Caton, il sait que pour être digne d'elle, il doit remplir son devoir. Vos reproches, répond-il à l'instant, sont justes, vertueuse Marcie, je me hâte d'aller joindre nos troupes, &c. Et en effet il la quitte.

Thy reproofs are just

Thou virtuous maid ; I'll hasten to my troops, &c.

Le Caton françois de M. des Champs est au Caton anglois ce qu'est la Phedre de Pradon à la Phedre de Racine. Addison mourut en 1719, âgé de 47 ans, & fut enterré à Westminster. Outre qu'il est un des plus purs écrivains de la Grande-Bretagne, c'est le poëte des sages.

Depuis Congreve & lui, les piece du théâtre anglois sont devenues plus régulieres, les auteurs plus corrects & moins hardis ; cependant les monstres brillans de Shakespear plaisent mille fois plus que la sagesse moderne. Le génie poétique des Anglois, dit M. de Voltaire, ressemble à un arbre touffu planté par la nature, jettant au hazard mille rameaux, & croissant inégalement avec force ; il meurt, si vous voulez le tailler en arbre des jardins de Marly.

C'en est assez sur les illustres poëtes tragiques des deux nations rivales du théâtre ; mais comme il importe à ceux qui voudront les imiter, de bien connoître le but de la tragédie, & de ne pas se méprendre sur le choix des sujets & des personnages qui lui conviennent, ils ne seront pas fâchés de trouver ici là-dessus quelques conseils de M. l'abbé Dubos, parce qu'ils sont propres à éclairer dans cette route épineuse. Nous finirons par discuter avec lui si l'amour est l'essence de la tragédie.

Ce qui nous engage à nous arrêter avec complaisance sur ce genre de poëme auquel préside Melpomène, c'est qu'il affecte bien plus que la comédie. Il est certain que les hommes en général ne sont pas autant émus par l'action théâtrale, qu'ils ne sont pas aussi livrés au spectacle durant la représentation des comédies, que durant celles des tragédies. Ceux qui font leur amusement de la poésie dramatique, parlent plus souvent & avec plus d'affection des tragédies que des comédies qu'ils ont vues ; ils savent un plus grand nombre de vers des pieces de Corneille & de Racine, que de celles de Moliere. Enfin le public préfere le rendez-vous qu'on lui donne pour le divertir en le faisant pleurer, à celui qu'on lui présente pour le divertir en le faisant rire.

La tragédie, suivant la signification qu'on donnoit à ce mot, est l'imitation de la vie & des discours des héros sujets par leur élévation aux passions & aux catastrophes, comme à revêtir les vertus les plus sublimes. Le poëte tragique nous fait voir les hommes en proie aux plus grandes agitations. Ce sont des dieux injustes, mais tous puissans, qui demandent qu'on égorge aux piés de leurs autels une jeune princesse innocente. C'est le grand Pompée, le vainqueur de tant de nations & la terreur des rois d'Orient, massacré par de vils esclaves.

Nous ne reconnoissons pas nos amis dans les personnages du poëte tragique ; mais leurs passions sont plus impétueuses ; & comme les loix ne sont pour ces passions qu'un frein très-foible, elles ont bien d'autres suites que les passions des personnages du poëte comique. Ainsi la terreur & la pitié que la peinture des événemens tragiques excite dans notre ame, nous occupent plus que le rire & le mépris que les incidens des comédies produisent en nous.

Le but de la tragédie étant d'exciter la terreur & la compassion, il faut d'abord que le poëte tragique nous fasse voir des personnages également aimables & estimables, & qu'ensuite il nous les représente dans un état malheureux. Commencez par faire estimer ceux pour lesquels vous voulez m'intéresser. Inspirez de la vénération pour les personnages destinés à faire couler mes larmes.

Il est donc nécessaire que les personnages de la tragédie ne méritent point d'être malheureux, ou dumoins d'être aussi malheureux qu'ils le sont. Si leurs fautes sont de véritables crimes, il ne faut pas que ces crimes ayent été commis volontairement. Oedipe ne seroit plus un principal personnage de tragédie, s'il avoit su dans le tems de son combat, qu'il tiroit l'épée contre son propre pere.

Les malheurs des scélérats sont peu propres à nous toucher ; ils sont un juste supplice dont l'imitation ne sauroit exciter en nous ni terreur, ni compassion véritable. Leur supplice, si nous le voyions réellement, exciteroit bien en nous une compassion machinale ; mais comme l'émotion que les imitations produisent, n'est pas aussi tyrannique que celle que l'objet même exciteroit, l'idée des crimes qu'un personnage de tragédie a commis, nous empêche de sentir pour lui une pareille compassion. Il ne lui arrive rien dans la catastrophe que nous ne lui ayons souhaité plusieurs fois durant le cours de la piece, & nous applaudissons alors au ciel qui justifie enfin sa lenteur à punir.

Il ne faut pas néanmoins défendre d'introduire des personnages scélérats dans la tragédie, pourvu que le principal intérêt de la piece ne tombe point sur eux. Le dessein de ce poëme est bien d'exciter en nous la terreur & la compassion pour quelques-uns de ses personnages, mais non pas pour tous ses personnages. Ainsi le poëte, pour arriver plus certainement à son but, peut bien allumer en nous d'autres passions qui nous préparent à sentir plus vivement encore les deux qui doivent dominer sur la scène tragique, je veux dire la compassion & la terreur. L'indignation que nous concevons contre Narcisse, augmente la compassion & la terreur où nous jettent les malheurs de Britannicus. L'horreur qu'inspire le discours d'Oenone, nous rend plus sensible à la malheureuse destinée de Phèdre.

On peut donc mettre des personnages scélérats sur la scène tragique, ainsi qu'on met des bourreaux dans le tableau qui représente le martyre d'un saint. Mais comme on blâmeroit le peintre qui peindroit aimables des hommes auxquels il fait faire une action odieuse ; de même on blâmeroit le poëte qui donneroit à des personnages scélérats des qualités capables de leur concilier la bienveillance du spectateur. Ce seroit aller contre le grand but de la tragédie, que de peindre le vice en beau, qui doit être de purger les passions en mettant sous nos yeux les égaremens où elles nous conduisent, & les périls dans lesquels elles nous précipitent.

Les poëtes dramatiques dignes d'écrire pour le théâtre, ont toujours regardé l'obligation d'inspirer la haine du vice, & l'amour de la vertu, comme la premiere obligation de leur art. Quand je dis que la tragédie doit purger les passions, j'entends parler seulement des passions vicieuses & préjudiciables à la société, & l'on le comprend bien ainsi. Une tragédie qui donneroit du dégoût des passions utiles à la société, telles que sont l'amour de la patrie, l'amour de la gloire, la crainte du deshonneur, &c. seroit aussi vicieuse qu'une tragédie qui rendroit le vice aimable.

Ne faites jamais chausser le cothurne à des hommes inférieurs à plusieurs de ceux avec qui nous vivons, autrement vous seriez aussi blâmable que si vous aviez fait ce que Quintilien appelle, donner le rôle d'Hercule à jouer à un enfant, personam Herculis, & cothurnos aptare infantibus.

Non-seulement il faut que le caractere des principaux personnages soit intéressant, mais il est nécessaire que les accidens qui leur arrivent soient tels qu'ils puissent affliger tragiquement des personnes raisonnables, & jetter dans la crainte un homme courageux. Un prince de quarante ans qu'on nous représente au désespoir, & dans la disposition d'attenter sur lui-même, parce que sa gloire & ses intérêts l'obligent à se séparer d'une femme dont il est amoureux & aimé depuis douze ans, ne nous rend guere compatissans à son malheur ; nous ne saurions le plaindre durant cinq actes.

Les excès des passions où le poëte fait tomber son héros, tout ce qu'il lui fait dire afin de bien persuader les spectateurs que l'intérêt de ce personnage est dans l'agitation la plus affreuse, ne sert qu'à le dégrader davantage. On nous rend le héros indifférent, en voulant rendre l'action intéressante. L'usage de ce qui se passe dans le monde, & l'expérience de nos amis, au défaut de la nôtre, nous apprennent qu'une passion contente s'use tellement en douze années, qu'elle devient une simple habitude. Un héros obligé par sa gloire & par l'intérêt de son autorité, à rompre cette habitude, n'en doit pas être assez affligé pour devenir un personnage tragique ; il cesse d'avoir la dignité requise aux personnages de la tragédie, si son affliction va jusqu'au désespoir. Un tel malheur ne sauroit l'abattre, s'il a un peu de cette fermeté sans laquelle on ne sauroit être, je ne dis pas un héros, mais même un homme vertueux. La gloire, dira-t-on, l'emporte à la fin, & Titus, de qui l'on voit bien que vous voulez parler, renvoie Bérénice chez elle.

Mais ce n'est pas là justifier Titus, c'est faire tort à la réputation qu'il a laissée ; c'est aller contre les loix de la vraisemblance & du pathétique véritable, que de lui donner, même contre le témoignage de l'histoire, un caractere si mou & si efféminé. Aussi quoique Bérénice soit une piece très-méthodique, & parfaitement bien écrite, le public ne la revoit pas avec le même goût qu'il lit Phedre & Andromaque. Racine avoit mal choisi son sujet ; & pour dire plus exactement la vérité, il avoit eu la foiblesse de s'engager à le traiter sur les instances d'une grande princesse.

De ces réflexions sur le rôle peu convenable que Racine fait jouer à Titus, il ne s'ensuit pas que nous proscrivions l'amour de la tragédie. On ne sauroit blâmer les poëtes de choisir pour sujet de leurs imitations les effets des passions qui sont les plus générales, & que tous les hommes ressentent ordinairement. Or de toutes les passions, celle de l'amour est la plus générale ; il n'est presque personne qui n'ait eu le malheur de la sentir du-moins une fois en sa vie. C'en est assez pour s'intéresser avec affection aux pieces de ceux qu'elle tyrannise.

Nos poëtes ne pourroient donc être blâmés de donner part à l'amour dans les intrigues de la piece, s'ils le faisoient avec plus de retenue. Mais ils ont poussé trop loin la complaisance pour le goût de leur siecle, ou, pour mieux dire, ils ont eux-mêmes fomenté ce goût avec trop de lâcheté. En renchérissant les uns sur les autres, ils ont fait une ruelle de la scène tragique ; qu'on nous passe le terme !

Racine a mis plus d'amour dans ses pieces que Corneille. Boileau travaillant à réconcilier son ami avec le célebre Arnaud, il lui porta la tragédie de Phedre de la part de l'auteur, & lui en demanda son avis. M. Arnaud, après avoir lu la piece, lui dit : il n'y a rien à reprendre au caractere de Phedre, mais pourquoi a-t-il fait Hippolite amoureux ? Cette critique est la seule peut-être qu'on puisse faire contre la tragédie de Phedre ; & l'auteur qui se l'étoit faite à lui même, se justifioit en disant, qu'auroient pensé les petits-maîtres d'un Hippolite ennemi de toutes les femmes ? Quelles mauvaises plaisanteries n'auroient-ils point jettées sur le fils de Thésée ?

Du-moins Racine connoissoit sa faute ; mais la plûpart de ceux qui sont venus depuis cet aimable poëte, trouvant qu'il étoit plus facile de l'imiter par ses endroits foibles que par les autres, ont encore été plus loin que lui dans la mauvaise route.

Comme le goût de faire mouvoir par l'amour les ressorts de la tragédie, n'a pas été le goût des anciens, il ne sera point peut-être le goût de nos neveux. La postérité pourra donc blâmer l'abus que nos poëtes tragiques ont fait de leur esprit, & les censurer un jour d'avoir donné le caractere de Tircis & de Philene ; d'avoir fait faire toutes choses pour l'amour à des personnages illustres, & qui vivoient dans des siecles où l'idée qu'on avoit du caractere d'un grand homme, n'admettoit pas le mêlange de pareilles foiblesses. Elle reprendra nos poëtes d'avoir fait d'une intrigue amoureuse la cause de tous les mouvemens qui arriverent à Rome, quand il s'y forma une conjuration pour le rappel des Tarquins ; comme d'avoir représenté les jeunes gens de ce tems-là si polis, & même si timides devant leurs maîtresses, eux dont les moeurs sont connues suffisamment par le récit que fait Tite-Live des aventures de Lucrece.

Tous ceux qui nous ont peint Brutus, Arminius & d'autres personnages illustres par un courage infléxible, si tendres & si galans, n'ont pas copié la nature dans leurs imitations, & ont oublié la sage leçon qu'a donnée M. Despréaux dans le troisieme chant de l'Art poétique, où il décide si judicieusement qu'il faut conserver à ses personnages leur caractere national :

Gardez donc de donner, ainsi que dans Clélie,

L'air & l'esprit françois à l'antique Italie ;

Et sous le nom romain faisant notre portrait,

Peindre Caton galant & Brutus dameret.

La même raison qui doit engager les poëtes à ne pas introduire l'amour dans toutes leurs tragédies, doit peut-être les engager aussi à choisir leur héros dans des tems éloignés d'une certaine distance du nôtre. Il est plus facile de nous inspirer de la vénération pour des hommes qui ne nous sont connus que par l'histoire, que pour ceux qui ont vécu dans des tems si peu éloignés du nôtre, qu'une tradition encore récente nous instruit exactement des particularités de leur vie. Le poëte tragique, dira-t-on, saura bien supprimer les petitesses capables d'avilir ses héros. Sans doute il n'y manquera pas ; mais l'auditeur s'en souvient ; il les redit lorsque le héros a vécu dans un tems si voisin du sien, que la tradition l'a instruit de ces petitesses.

Il est vrai que les poëtes grecs ont mis sur leur scène des souverains qui venoient de mourir, & quelquefois même des princes vivans ; mais ce n'étoit pas pour en faire des héros. Ils se proposoient de plaire à leur patrie, en rendant odieux le gouvernement d'un seul ; & c'étoit un moyen d'y réussir, que de peindre les rois avec un caractere vicieux. C'est par un motif semblable qu'on a long-tems représenté avec succès sur un théâtre voisin du nôtre le fameux siege de Leyde, que les Espagnols firent par les ordres de Philippe II. & qu'ils furent obligés de lever en 1578. Comme Melpomène se plaît à parer ses personnages de couronnes & de sceptres, il arriva dans ces tems d'horreurs & de persécutions, qu'elle choisit dans cette piece dramatique pour sa victime, un prince contre lequel tous les spectateurs étoient révoltés. (D.J.)

TRAGEDIE ROMAINE, (Art dram. des Rom.) les romains avoient des tragédies de deux especes. Ils en avoient dont les moeurs & les personnages étoient grecs ; ils les appelloient palliatae, parce qu'on se servoit des habits des Grecs pour les représenter. Les tragédies dont les moeurs & les personnages étoient romains, s'appelloient praetextatae, du nom de l'habit que les jeunes personnes de qualité portoient à Rome. Quoiqu'il ne nous soit demeuré qu'une tragédie de cette espece, l'Octavie qui passe sous le nom de Séneque, nous savons néanmoins que les Romains en avoient un grand nombre : telles étoient le Brutus qui chassa les Tarquins, & le Décius du poëte Attius ; & telle étoit encore le Caton d'Utique de Curiatius Maternus ; mais nous ne savons pas si cette derniere a jamais été jouée. C'est dommage qu'aucune de toutes ces tragédies ne nous soit parvenue. (D.J.)

TRAGEDIE DE PIETE, (Poésie dram. franç.) on apperçoit dans le xij. siecle les premieres traces des représentations du théâtre. Un moine nommé Geoffroi, qui fut depuis abbé de saint-Alban en Angleterre, chargé de l'éducation de la jeunesse, leur faisoit représenter avec appareil des especes de tragédies de piété. Les sujets de la premiere piece dramatique furent les miracles de sainte Catherine, ce qui est bien antérieur à nos représentations des mysteres, qui n'ont commencé qu'en 1398, sur un théâtre que l'on dressa à Paris à l'hôtel de la Trinité. P. Henault. (D.J.)


TRAGÉES. f. en Pharmacie, est une poudre aromatique grossiere, mêlée avec du sucre, & qui se prend en façon de carminatif.

TRAGEE se dit aussi d'une espece de trochisques faits avec les bayes de sureau, selon Quercetan.


TRAGI-COMÉDIES. f. (Littér.) espece de piece dramatique représentant une action qui se passe entre des personnes illustres, & dont l'événement n'est ni triste, ni sanglant, & où il entre quelquefois un mêlange de caracteres moins sérieux.

M. Dacier prétend que l'antiquité n'a point connu ces sortes de compositions, où l'on confond le sérieux avec le comique, & l'épithete que Corneille leur donne de comédie héroïque ne justifie point leur irrégularité.

Le plan en est foncierement mauvais, parce qu'en voulant nous faire rire & pleurer tour-à-tour, on excite des mouvemens contraires qui révoltent le coeur, & tout ce qui nous dispose à participer à la joye nous empêche de passer subitement à l'affliction & à la pitié.

Autrefois la tragi-comédie régnoit sur les théâtres anglois, & dans le xvij. siecle on ne savoit point encore ce que c'étoit qu'une tragédie, qui ne fût point assaisonnée de quelque comédie ou farce pour faire rire.

Aujourd'hui que le théâtre & le goût se sont rapprochés de la nature & du génie des anciens, la tragi-comédie est absolument tombée.

Ce n'est que dans la tragi-comédie où l'on tourne en ridicule un sujet tragique, qu'il soit permis d'introduire & de traiter comiquement les rois & les héros. Voyez COMEDIE. (D.J.)


TRAGIES. f. traja, (Hist. nat. Botan.) genre de plante à fleur monopétale, en forme d'entonnoir, divisée le plus souvent en trois parties : cette fleur est stérile. Les embryons naissent séparément des fleurs sur les mêmes individus, & deviennent dans la suite un fruit à trois coques, c'est-à-dire, composé de trois capsules qui renferment une semence sphérique. Plumier, Nova plantar. americ. genera, voyez PLANTE.

Voici ses caracteres, selon le P. Plumier. Sa fleur est faite en forme d'entonnoir, & composée d'une seule feuille divisée pour l'ordinaire en trois segmens, & stérile. Les embryons sont placés à quelque distance les uns des autres sur la même plante, qui deviennent ensuite un fruit à trois loges, dans chacune desquelles est une semence sphérique. Miller en compte deux especes : la premiere, tragia alia scandens, urticae folio : la seconde, tragia scandens, longo betonicae folio. Plum. nov. gen.

La premiere espece est fort commune dans les fondrieres de la Jamaïque & dans les autres contrées de l'Amérique. Elle s'attache à toutes les plantes & à tous les arbres qu'elle rencontre : elle croît à la hauteur de sept ou huit piés, & pousse des tiges fortes & ligneuses. Ses feuilles ressemblent à celles de l'ortie ordinaire, & toute la plante est couverte de piquans qui la rendent très-difficile à manier.

La seconde a été découverte à Campêche par le docteur Houston qui a apporté ses semences. Miller.

J'ajoute ici les caracteres de ce genre de plante par Linnaeus. Il produit des fleurs mâles & femelles sur la même plante. Dans les fleurs mâles, le calice est divisé en trois segmens ovoïdes & pointus ; les étamines sont trois filets chevelus, de la longueur du calice. Dans les fleurs femelles, le calice est découpé en cinq segmens ovoïdes & creux. Le germe du pistil est arrondi & sillonné de trois raies. Le stile est simple, droit & plus long que le calice. Le stigma est fendu en trois, & est déployé. Le fruit est une grosse capsule rondelette & à trois coques ; les semences sont simples & arrondies. Linnaei Gen. plant. p. 448. (D.J.)


TRAGIQUELE (Poésie dram.) Le tragique est ce qui forme l'essence de la tragédie. Il contient le terrible & le pitoyable, ou si l'on veut, la terreur & la pitié. La terreur est un sentiment vif de sa propre foiblesse à la vue d'un grand danger : elle est entre la crainte & le désespoir. La crainte nous laisse encore entrevoir, au moins confusément, des moyens d'échapper au danger. Le désespoir se précipite dans le danger même. La terreur au contraire affaisse l'ame, l'abat, l'anéantit en quelque sorte, & lui ôte l'usage de toutes ses facultés : elle ne peut ni fuir le danger ni s'y précipiter. Or c'est ce sentiment que produit dans Sophocle le malheur d'Oedipe. On y voit un homme né sous une étoile malheureuse, poursuivi constamment par son destin, & conduit au plus grand des malheurs par des succès apparens. Ce n'est point là, quoi qu'en ait dit un de nos beaux esprits, un coup de foudre qui fait horreur, ce sont des malheurs de l'humanité qui nous effraient. Quel est l'homme malheureux qui n'attribue au-moins une partie de son malheur à une étoile funeste ? Nous sentons tous que nous ne sommes pas les maîtres de notre sort ; que c'est un être supérieur qui nous guide, qui nous emporte quelquefois ; & le tableau d'Oedipe n'est qu'un assemblage de malheurs dont la plûpart des hommes ont éprouvé au-moins quelque partie ou quelque degré. Ainsi, en voyant ce prince, l'homme foible, l'homme ignorant l'avenir, l'homme sentant l'empire de la divinité sur lui, craint, tremble pour lui-même, & pleure pour Oedipe : c'est l'autre partie du tragique, la pitié qui accompagne nécessairement la terreur, quand celle-ci est causée en nous par le malheur d'autrui.

Nous ne sommes effrayés des malheurs d'autrui, que parce que nous voyons une certaine parité entre le malheureux & nous ; c'est la même nature qui souffre, & dans l'acteur & dans le spectateur. Ainsi, l'action d'Oedipe étant terrible, elle est en même-tems pitoyable ; par conséquent elle est tragique. Et à quel degré l'est-elle ! Cet homme a commis les plus noirs forfaits, tué son pere, épousé sa mere ; ses enfans sont ses freres ; il l'apprend, il en est convaincu dans le tems de sa plus grande sécurité ; sa femme, qui est en même-tems sa mere, s'étrangle ; il se creve les yeux dans son désespoir : il n'y a pas d'action possible qui renferme plus de douleur & de pitié.

Le premier acte expose le sujet ; le second fait naître l'inquiétude ; dans le troisieme, l'inquiétude augmente ; le quatrieme est terrible : " Me voilà prêt à dire ce qu'il y a de plus affreux,.... & moi à l'entendre " ; le cinquieme est tout rempli de larmes.

Par-tout où le tragique ne domine pas, il n'y a point de tragédie. Le vrai tragique regne, lorsqu'un homme vertueux, ou du-moins plus vertueux que vicieux, est victime de son devoir, comme le sont les Curiaces ; ou de sa propre foiblesse, comme Ariane & Phedre ; ou de la foiblesse d'un autre homme, comme Polieucte ; ou de la prévention d'un pere, comme Hippolyte ; ou de l'emportement passager d'un frere, comme Camille ; qu'il soit précipité par un malheur qu'il n'a pu éviter, comme Andromaque ; ou par une sorte de fatalité à laquelle tous les hommes sont sujets, comme Oedipe ; voilà le vrai tragique ; voilà ce qui nous trouble jusqu'au fond de l'ame, & qui nous fait pleurer. Qu'on y joigne l'atrocité de l'action avec l'éclat de la grandeur, ou l'élévation des personnages ; l'action est héroïque en même tems & tragique, & produit en nous une compassion mêlée de terreur ; parce que nous voyons des hommes, & des hommes plus grands, plus puissans, plus parfaits que nous, écrasés par les malheurs de l'humanité. Nous avons le plaisir de l'émotion, & d'une émotion qui ne va point jusqu'à la douleur ; parce que la douleur est le sentiment de la personne qui souffre, mais qui reste au point où elle doit être, pour être un plaisir.

Il n'est pas nécessaire qu'il y ait du sang répandu, pour exciter le sentiment tragique. Ariane abandonnée par Thésée dans l'île de Naxe ; Philoctete dans celle de Lemnos, y sont dans des situations tragiques, parce qu'elles sont aussi cruelles que la mort même : elles en présentent même une idée funeste, où l'on voit la douleur, le désespoir, l'abattement, enfin tous les maux du coeur humain.

Mais la punition d'un oppresseur n'opere point le tragique. Mithridate tué ne me cause pas de pitié, non plus qu'Athalie & Aman, ni Pyrrhus. De-même les situations de Monime, de Joad, d'Esther, d'Andromaque, ne me causent point de terreur. Ces situations sont très-touchantes ; elles serrent le coeur, troublent l'ame à un certain point, mais elles ne vont pas jusqu'au but. Si nous les prenons pour du tragique, c'est parce qu'on l'a donné pour tel, que nous sommes accoutumés à nous en tenir à quelque ressemblance ; & qu'enfin, quand il s'agit de plaisir, nous ne croyons pas toujours nécessaire de calculer exactement ce qu'on pourroit nous donner. Où sont donc les dénouemens vraiment tragiques ? Phedre & Hippolyte, les freres ennemis, Britannicus, Oedipe, Polieucte, les Horaces, en voilà des exemples. Le héros pour qui le spectateur s'intéresse, tombe dans un malheur atroce, effrayant : on sent avec lui les malheurs de l'humanité ; on en est pénétré ; on souffre autant que lui.

Aristote se plaignoit de la mollesse des spectateurs athéniens, qui craignoient la douleur tragique. Pour leur épargner des larmes, les poëtes prirent le parti de tirer du danger le héros aimé, nous ne sommes pas moins timides sur cet article que les Athéniens. Nous avons si peur de la douleur, que nous en craignons même l'ombre & l'image, quand elle a un peu de corps. C'est ce qui amollit, abatardit le tragique parmi nous. On sent l'effet de cette altération, quand on compare l'impression que fait Polieucte avec celle d'Athalie. Elles sont touchantes toutes deux : mais dans l'une l'ame est plongée, noyée dans une tristesse délicieuse : dans l'autre, après quelques inquiétudes, quelques momens d'allarmes, l'ame est soulevée par une joie qui s'évapore, & se perd dans l'instant. (D.J.)

TRAGIQUE BOURGEOIS. (Poëme dramat. trag.) Le tragique - bourgeois est une piece dramatique, dont l'action n'est pas héroïque, soit par elle-même, soit par le caractere de ceux qui la font ; elle n'est pas héroïque par elle-même ; c'est-à-dire, qu'elle n'a pas un grand objet, comme l'acquisition d'un trône, la punition d'un tyran. Elle n'est pas non plus héroïque par le caractere de ceux qui la font ; parce que ce ne sont pas des rois, des conquérans, des princes qui agissent, ou contre lesquels on agit.

Quoique la tragédie définisse la représentation d'une action héroïque, il n'est pas douteux qu'on ne puisse mettre sur le théatre un tragique-bourgeois. Il arrive tous les jours dans les conditions médiocres des événemens touchans qui peuvent être l'objet de l'imitation poétique. Il semble même que le grand nombre des spectateurs étant dans cet état mitoyen, la proximité du malheureux & de ceux qui le voient souffrir, seroit un motif de plus pour s'attendrir. Cependant, s'il est vrai qu'on ne peut donner le brodequin aux rois, il n'est pas moins vrai qu'on ne peut ajuster le cothurne au marchand. La tragédie ne peut consentir à cette dégradation :

Indignatur enim privatis, ac propè socco

Dignis carminibus narrari coena Thyestae.

D'ailleurs, l'objet des arts, qui sont tous faits pour embellir la nature, étant de viser toujours au plus grand & au plus noble, où peut-on trouver le tragique parfait, que dans les rois ? sans compter qu'étant hommes comme nous, ils nous touchent par le lien de l'humanité ; le degré d'élévation où ils sont, donne plus d'éclat à leur chûte. L'espace qu'ils remplissoient par leur grandeur, semble laisser un plus grand vuide dans le monde. Enfin l'idée de force & de bonheur qu'on attache à leur nom, augmente infiniment la terreur & la compassion. Concluons qu'il n'est pas d'un habile artiste de mettre sur la scene le tragique - bourgeois, ou ce qui revient au même, des sujets non héroïques. (D.J.)

TRAGIQUE UN, (Poésie dramat.) ou un poëte tragique, veut dire poëte qui a fait des tragédies, &c. Voyez TRAGEDIE. (D.J.)


TRAGIUMS. m. (Hist. nat. Botan. anc.) Dioscoride décrit cette plante avec les feuilles du scolopendrium, & la racine du raifort sauvage. Ses feuilles ont une odeur de bouc en automne, c'est ce qui lui a fait donner le nom de tragium. Il croît sur les montagnes & les précipices, & Rauwolf l'a trouvé aux environs d'Alep, sur-tout dans les lieux humides. (D.J.)


TRAGOPOGONS. m. (Hist. nat. Bot.) Tournefort compte douze especes de ce genre de plante, dont les unes sont domestiques, & les autres sauvages ; la principale qu'on cultive dans nos jardins, sous le nom vulgaire de salsifi, ou sersifi, s'appelle en Botanique, Tragopogon hortense, purpureo caeruleum.

Sa racine est grosse comme le petit doigt, longue, droite, tendre, laiteuse, douce au goût. Elle pousse une tige à la hauteur d'environ deux piés, ronde, creuse en dedans, rameuse, garnie de plusieurs feuilles, qui ressemblent à celles du porreau, plus larges, ou plus étroites, longues, pointues.

Ses fleurs naissent aux sommités de la tige & des rameaux ; chacune d'elles est un bouquet à demi fleurons de couleur purpurine tirant sur le bleu, ou sur le noir, soutenue par un calice assez long, mais simple & fendu en plusieurs parties jusque vers la base, avec cinq petites étamines dans le milieu. Lorsque cette fleur est passée, il lui succéde plusieurs semences oblongues, rondes, cannelées, rudes, cendrées, noirâtres dans leur maturité, & garnies d'aigrettes.

Toute la plante rend un suc laiteux, visqueux, & doux, qui d'abord coule blanc, & puis jaune ; elle fleurit en été ; on la cultive dans les jardins comme la scorzonere ou le salsifi d'Espagne, à cause de sa racine agréable au goût, & qui est d'un grand usage dans les cuisines.


TRAGORIGANUMS. m. (Hist. nat. Botan.) espece d'origan qui croît dans l'isle de Crete, ou de Candie. Il possede une qualité chaude, acrimonieuse, & sert aux mêmes usages que le thim, la sarriette, l'hyssope, & autres plantes semblables. Le tragoriganum d'Espagne à feuilles étroites & à fleurs blanches, de J. Bauhin, 3. 261. a les mêmes propriétés. (D.J.)


TRAGUMS. m. (Hist. nat. Botan.) nom donné par Mathiole, Lobel, Gerard, Jean Bauhin, Parkinson, & autres anciens botanistes, à l'espece de kali, que Tournefort appelle kali spinosum, foliis longioribus & angustioribus, en françois, soude épineuse.

Cette espece de kali croît dans les pays chauds, jette plusieurs tiges à sa hauteur d'environ deux piés couchées à terre, succulentes, chargées de feuilles longues, étroites, pointues, & empreintes d'un suc salé. Ses fleurs naissent dans les aisselles des feuilles, petites, à plusieurs pétales, de couleur herbeuse. Quand elles sont tombées, il leur succede des fruits membraneux presque ronds, contenant chacun une semence longuette, roulée en spirale, de couleur noire. (D.J.)


TRAGURIUM(Géog. anc.) ville de la Dalmatie. Pline, l. III. c. xxij. dit qu'elle étoit connue par son marbre, & Ptolémée, l. II. c. xvij. donne le nom de Tragurium, non - seulement à la ville, mais encore à l'île sur laquelle elle étoit située. Tout le monde convient que c'est aujourd'hui la ville de Traw. Quant à l'île, il y en a qui la nomment Buia.


TRAGUSS. m. en Anatomie, est une des éminences de l'oreille extérieure, appellée aussi hircus, parce qu'elle est ordinairement garnie de poils.

Cette éminence est la plus antérieure. Celle qui est la plus postérieure & à laquelle est joint le lobe de l'oreille, se nomme Antitragus.

TRAGUS, (Géog. anc.) fleuve du Péloponnèse, dans l'Arcadie. Ce fleuve selon Pausanias, l. VIII. c. xxxij. prenoit naissance d'un gros ruisseau, qui après avoir coulé près de la ville de Caphyes, & fait un certain chemin, se déroboit sous terre, puis reparoissoit à Nase, près d'un village nommé le Reunus, & commençoit là à s'appeller Tragus. (D.J.)


TRAHISONS. f. TRAHIR, v. act. (Morale) perfidie ; défaut plus ou moins grand de fidélité envers sa patrie, son prince, son ami, celui qui avoit mis sa confiance en nous.

Quand on n'auroit pas assez de vertu pour détester la trahison, quelqu'avantage qu'elle puisse procurer, le seul intérêt des hommes suffiroit pour la rejetter. Dès-lors que des princes l'auroient autorisée par leur exemple, ils méritent qu'elle se tourne contr'eux ; & dès-lors personne ne seroit en sûreté. Ceux-là même qui employent la trahison pour le succès de leurs projets, ne peuvent pas aimer les traîtres. On sçait la réponse de Philippe roi de Macédoine à deux misérables, qui lui ayant vendu leur patrie, se plaignoient à lui, de ce que ses propres soldats les traitoient de traîtres. " Ne prenez pas garde, leur dit-il, à ce que disent ces gens grossiers qui appellent chaque chose par son nom. " (D.J.)

La trahison commise envers quelque particulier est punie selon les circonstances par des peines pécuniaires, ou même corporelles s'il s'en est ensuivi quelque crime.

Mais la trahison envers le roi & l'état est encore plus grave ; tel est le crime de ceux qui entrent dans quelque association, intelligence, ligue offensive ou défensive, contre la personne, autorité & majesté du roi, soit entr'eux ou avec autres potentats, républiques & communautés étrangeres ou leurs ambassadeurs, soit dedans ou dehors le Royaume, directement ou indirectement par eux ou par personnes interposées, verbalement ou par écrit.

On peut voir sur cette matiere les édits de Charles IX. de 1562, 1568, 1570, l'ordonnance de Blois, art. 94. celles de 1580, 1588, & l'édit de Nantes, en 1598.

La peine ordinaire de ce crime est d'être décapité pour les nobles, la potence pour les roturiers, & même quelquefois la roue pour des gens de basse condition.

Si le criminel a osé attenter à la personne du roi, la peine est encore plus sévere. Voyez LÈZE-MAJESTé & PARRICIDE.

En Angleterre on appelle crime de haute-trahison, non-seulement tout attentat contre la personne du roi, mais encore toute conspiration contre le roi ou l'état, tout commerce criminel avec la reine ou les filles du roi, l'homicide commis en la personne du chancelier ou du grand-trésorier, ou si l'on a altéré la monnoie, falsifié le sceau du roi, tout cela est réputé crime de haute-trahison.

Dans ce même pays celui qui tue sa femme, son pere, ses enfans ou son maître, se rend coupable du crime qu'on appelle petite trahison. Voyez les institutions au droit criminel de M. de Vouglans. Voyez aussi les mots COMPLOT, CONSPIRATION, DOL, FRAUDE, FOI (mauvaise), FIDELITé, SERMENT, PARJURE. (A)


TRAHONA(Géog. mod.) gouvernement dans la Valteline, de la dépendance des Grisons ; il est partagé en dix communautés, & a pour chef-lieu Trahona, bourg situé près de l'Adda.


TRAIGUERA(Géog. mod.) petite ville d'Espagne, aux confins de la Cerdagne, du côté de Tortose ; elle est entourée d'une muraille, & ses environs sont fertiles en blé, en vin, & en huile. (D.J.)


TRAILLES. f. (Archit.) nom qu'on donne sur les grandes rivieres à ces bateaux qui servent à passer d'un bord à l'autre qu'on appelle autrement ponts-volans. On voit des trailles sur le Rhin, sur le Rhône, sur la Meuse, &c. Les trailles font le même effet sur les grandes rivieres, que font les bacs sur les petites. On les attache à un point fixe construit exprès au milieu du fleuve par une corde assez longue, pour atteindre du-moins de ce centre aux deux rivages. Cette corde attachée par un bout à ce point fixe, centre du mouvement, l'est par l'autre au flanc de la traille, & se soutient sur la surface de l'eau par le moyen de quelques morceaux de liége qu'on y attache à des distances raisonnables. En lâchant cette traille d'une des rives du fleuve, & la laissant aller au fil de l'eau, elle va gagner l'autre rivage en décrivant une portion de cercle, dont ce point fixe du milieu du fleuve est le centre, & la corde le rayon. (D.J.)


TRAINS. m. (Gram.) se dit de la suite ou de ce qui accompagne un grand seigneur, ou d'une queue de robe, ou d'une robe d'état.

TRAIN D'ARTILLERIE, (Fortification) se dit du canon, des mortiers, & de toutes les especes de munitions concernant le détail de l'artillerie, qui sont à la suite des armées ; c'est aussi ce que l'on nomme équipage d'artillerie.

Il est difficile d'établir sur des principes sûrs & constans, quel doit être l'équipage ou le train d'artillerie d'une armée, parce que cet équipage doit être relatif à la force de l'armée, aux entreprises qu'elle doit exécuter, & à la nature du pays où elle doit agir.

La principale partie d'un train d'artillerie est le canon. Si l'on ne considere que les avantages qui en résultent dans les actions militaires, il paroîtra qu'on ne peut en avoir un trop grand nombre ; mais outre qu'une artillerie fort nombreuse est d'une très-grande dépense, elle cause du retardement & de l'embarras dans les marches, & elle donne lieu à une très-grande consommation de fourrage par la quantité de chevaux nécessaires pour la transporter & pour voiturer toutes les différentes especes de munitions dont elle a besoin.

Les anciens ingénieurs estimoient qu'il suffisoit dans les armées d'une piece de canon par mille hommes ; mais aucun auteur au-moins que nous connoissions, ne donne les raisons de cette fixation.

Comme l'artillerie doit couvrir & protéger le front des armées, on peut présumer qu'ils croyoient qu'une piece de canon défendoit suffisamment le terrein occupé par mille hommes. L'infanterie étant alors à huit de hauteur, & les files étant moins serrées qu'elles ne le sont aujourd'hui, chaque homme pouvoit occuper à-peu-près deux piés & demi ; dans cette disposition, mille hommes occupoient environ un espace de 50 toises.

Les troupes étant actuellement en bataille sur moins de hauteur, ce qui en augmente le front, il est clair qu'il faut une artillerie plus nombreuse pour garnir le front d'une armée de la même maniere qu'il l'étoit lorsque les troupes étoient en bataille sur plus de profondeur. Aussi paroît-il qu'on ne suit plus, au-moins dans les pays où l'artillerie peut se transporter aisément, l'ancienne proportion d'une piece pour mille hommes. Dans l'armée de Flandres en 1748, il y avoit 156 pieces de canon.

Cette armée étoit d'environ 114 mille hommes, sans le corps détaché aux ordres de M. le comte de Clermont, qui avoit son artillerie particuliere, ce qui fait une piece de canon pour environ 740 hommes, mais cette armée étoit à portée d'augmenter son artillerie par les entrepôts des places voisines, si elle en avoit eu besoin.

Le choix des différentes pieces dont on compose le train ou l'équipage d'artillerie d'une armée, dépend des opérations qu'elle doit exécuter, & des pays qu'elle doit traverser. Dans un pays de montagnes, on ne peut se charger que de pieces légeres ; on y emploie même souvent une ou deux brigades de petites pieces à dos de mulet. Le goût du général influe aussi quelquefois dans le choix des pieces dont le train d'artillerie est composé ; mais en général il faut autant qu'il est possible, en avoir de toutes les especes pour en faire usage, suivant les différentes occasions. Il est à-propos d'y joindre aussi plusieurs obus ou obusiers, qui servent également dans les siéges & dans les batailles. Comme les bataillons ont actuellement chacun en campagne une piece de canon à la suédoise, ces pieces doivent diminuer le nombre de celles de 4 qu'on employoit auparavant dans la formation de l'équipage d'artillerie, & augmenter celui des pieces de 16 & de 12 qui sont suffisantes, lorsqu'il ne s'agit point de faire des siéges.

Dans les guerres du tems de Louis XIV, on se contentoit dans les équipages d'artillerie les plus considérables, d'avoir des munitions pour tirer cent coups de chaque piece, ce qui paroissoit suffisant pour une bataille quelque longue qu'elle pût être, mais dans les dernieres guerres, on a doublé ces munitions ; on a voulu qu'il y en eût pour tirer deux cent coups de chaque piece.

Dans la distribution de poudre que l'on fait aux troupes, on ne leur en donne qu'une demi-livre pour une livre de plomb. A l'égard de la poudre pour la consommation des boulets, on la regle au tiers de leur poids, & c'est en quoi les tables rapportées dans les mémoires d'artillerie de Saint-Remy se trouvent fautives. Nous renvoyons pour le détail de tout ce qui compose un équipage d'artillerie aux tables insérées dans les mémoires de Saint-Remy, ou à celles qu'on a jointes à la suite de l'article siége, qui sont suffisantes pour en donner une idée. On peut voir aussi sur ce même sujet, la seconde édition de notre Traité d'artillerie.

L'équipage de l'artillerie de l'armée est divisé en brigades, dont chacune contient ordinairement huit ou dix pieces de canon, avec toutes les munitions & les autres choses nécessaires pour leur service. Voici l'ordre de sa marche, suivant M. de Quincy.

" Le bataillon de royal artillerie qu'il y a dans l'armée marche à la tête de tout l'équipage. On en tire autant de détachemens de quinze hommes, commandé par un lieutenant, qu'il y a de brigades, lesquels détachemens doivent les accompagner. Lorsque l'artillerie marche avec l'armée, le trésor de l'armée marche à la tête de l'artillerie. "

On fait marcher un nombre de travailleurs plus ou moins considérable, suivant le besoin qu'on croit en avoir pour la réparation des chemins. Ils marchent après le premier bataillon de royal artillerie, & ils sont sous la conduite d'un officier entendu, & en état de leur commander ce qui peut être convenable pour la commodité de la marche.

Suit immédiatement après un chariot chargé de toutes sortes d'outils, une brigade légere, c'est-à dire composée de pieces de moindre calibre ; ensuite l'équipage du commandant, celui du commandant en second, s'il y en a, celui du major du bataillon.

Suit après cela une autre brigade légere, avec les équipages des officiers du bataillon ; les équipages des autres officiers marchent à la tête des brigades où ils se trouvent.

Les autres brigades marchent ensuite, mais de maniere que la plus pesante qui a le plus gros canon, & qu'on nomme ordinairement la brigade du parc, marche toujours au centre ; ensorte que s'il y a six brigades, il s'en trouve trois devant cette brigade & autant derriere.

Toutes les brigades, excepté celle du parc, roulent entr'elles, c'est-à-dire qu'elles ont alternativement la tête & la queue, afin de partager successivement la fatigue de chaque poste.

L'arriere-garde de l'équipage se fait par 50 hommes, tirés des bataillons de royal artillerie ; ils sont commandés par un capitaine.

Il y a à chaque brigade un capitaine de charroi, & deux conducteurs, avec quelques ouvriers pour remédier aux accidens qui peuvent arriver pendant la marche.

Les commissaires provinciaux marchent à la tête de leur brigade, & ils tiennent la main à ce que les officiers qui sont chargés de sa conduite, la fassent marcher avec ordre, & qu'ils ne la quittent point qu'elle ne soit arrivée au lieu qui lui est indiqué. (Q)

TRAIN DE BATEAUX, (Marine) assemblage de plusieurs bateaux attachés l'un derriere l'autre pour les remonter tous à-la-fois.

TRAIN, terme de Charron ; c'est toutes les pieces qui composent la machine mobile d'une berline & qui supportent la berline. Voyez les Planches du Sellier.

TRAIN, terme d'Horlogerie ; c'est le nombre des vibrations que produit un mouvement en une heure, ou autre tems déterminé. (D.J.)

TRAIN de presse d'Imprimerie ; on distingue celui de devant d'avec celui de derriere ; celui de devant comprend tout ce qui roule sur les bandes, comme la table, le coffre, le marbre, le grand & le petit tympan : le train de derriere reçoit celui de devant avec toutes ces pieces, quand ce dernier fait son passage sous la platine : les pieces d'assemblage dont est construit celui de derriere, outre qu'elles sont faites pour recevoir dans leur centre, & maintenir celles dont nous venons de parler ; elles sont encore destinées à soutenir le corps entier de la presse : on pose de plus sur ce même train, qui est couvert de quelques planches, l'encrier. Voyez les Planches d'Imprimerie & leur explication.

TRAIN, (Maréchal.) se dit des chevaux & autres bêtes de somme. C'est l'allure ou la démarche du cheval.

Le train ou la partie de devant du cheval sont les épaules & les jambes de devant ; le train de derriere sont les hanches & les jambes de derriere.

Train se dit aussi de ce qui sert à traîner, à porter & à voiturer. Le train d'un carrosse consiste en quatre roues, la flêche ou le brancard, le timon & les moutons.

Train se dit encore de la piste ou de la trace marquée par les piés des chevaux, ou des ornieres faites par les roues des carrosses ou des charrettes.

TRAIN, (Marchand de bois) est une masse de bois à brûler, dont les buches sont tellement liées ensemble, qu'on la fait flotter sur l'eau pour l'amener à Paris. Les trains ont 36 toises de longueur sur 14 ou 15 piés de large. D'abord le flotteur commence à poser trois buches distantes l'une de l'autre de 9 à 10 pouces, sur lesquelles il dispose neuf collieres, dont le gros bout est environné d'une coche tout-autour. Dans cette coche il met une coupliere qui tient dans son anneau un morceau de bois d'un pié de long, planté dans terre pour contenir les trois buches & les neuf collieres. Voyez COLLIERES, COCHE & COUPLIERE.

Il prend ensuite deux chantiers, qui sont cochés par le gros bout qu'il met de travers sur les collieres, & arrange du bois dessus de 15 à 16 pouces de hauteur, & d'un pié & demi de largeur. Après avoir fait mettre des couplieres dans chaque coche des chantiers de dessous ; le flotteur prend deux autres chantiers cochés comme les premiers, les met dans les couplieres à un demi-pié de chaque bout de buches, & lie les chantiers de dessous & de dessus avec une rouette à flotter : & ce qui résulte de cette premiere opération s'appelle la tête du train, ou premiere mise. Voyez CHANTIER & ROUETTE A FLOTTER.

Comme le flotteur ne peut continuer sa seconde mise sans relever les deux chantiers de dessus, il a deux petites buches fourchues appellées chambrieres, qu'il plante en terre pour élever ces chantiers, & se donner la facilité de mettre le bois au milieu. Quand il a fait 7 mises de cette maniere, il pose à leurs extrêmités trois ou quatre buches en rondains l'une sur l'autre, qu'il assure avec deux rouettes à flotter, les tournant à deux fois sur le chantier de dessous. Cette opération s'appelle acolure.

Il n'est guere possible de si bien lier & assembler le bois de ces mises, qu'il n'y ait toujours quelques vuides. Pour les remplir un ouvrier appellé pour cet effet garnisseur, choisit des buches droites, & de grosseur convenable. Il prépare la place d'abord avec une buche applatie par un bout, nommée desserroir, & y enfonce ensuite ses buches à force de bras avec une pidance ou gros maillet.

Cette premiere branche ainsi construite de sept mises, une ouvriere nommée tordeuse, parce qu'elle tord les rouettes, prend un chantier, qu'elle attache avec deux rouettes passées dans les anneaux des deux couplieres de la tête de cette branche, & accole lesdites rouettes autour du chantier où elle les lie. Ensuite elle met deux couplieres, l'une à la tête, & l'autre à la queue, au chantier de dessus du côté de la riviere, & le flotteur ayant piqué deux pieux à ces mêmes extrêmités à environ deux piés de son attelier sur le côté, il attache à ces pieux deux prues par un bout, & par l'autre aux deux couplieres des chantiers de dessus, lesquelles prues il arrête avec un morceau de bois éguisé, & nommé fuseau. Ensuite le flotteur, le garnisseur, la tordeuse & l'approcheur qui amene le bois dans une brouette à l'endroit où on fait le train, prennent chacun une buche, qu'ils fourrent dessous ladite branche, & à l'épaule ; ils la font couler jusqu'à une distance de trois piés & demi pour former la seconde branche, & ainsi de toutes les autres branches. Voyez PRUES.

Quand les quatre branches sont faites & traversinées à la tête & à la queue, c'est-à-dire, accouplées par des rouettes qui passent des chantiers de dessus aux chantiers de dessous, le coupon est fait & fini. Deux autres ouvriers, compagnons de riviere, viennent prendre ce coupon, le traversinant de nouveau avec trois chantiers, qu'ils attachent en trois endroits différens aux huit chantiers de dessus. On fait quatorze de ces coupons, qu'on appelle coupons simples.

Ensuite les flotteurs font quatre autres coupons, appellés labourages, pour les construire à mesure du flottage, & qu'on abat les piles de bois ; les compagnons choisissent le bois le plus leger, comme le bois blanc, & les font comme les autres coupons, excepté ce qui suit.

Le flotteur prend huit buches plates ou deux fais de bois, de chacun quatre rondins, qu'il pose sur les deux chantiers de dessous, puis il prend deux autres chantiers. Après que le compagnon a mis des couplieres dans les coches des chantiers de dessous, le flotteur met les deux derniers chantiers qu'il a pris dans les bouches de ces couplieres, & attache avec des rouettes à flotter ces deux fais de bois entre les chantiers ; c'est ce qui forme la premiere mise.

Ensuite on construit de la même maniere, mais de buches plates seulement, les secondes mises, dites boutage, c'est-à-dire, l'endroit où le compagnon se tient pour conduire le train.

A la tête de chacune des branches de ces coupons les compagnons mettent deux grosses couplieres. Quand cette tête est faite, & qu'on a mis deux cordeaux faits avec deux grosses rouettes dans chacun des chantiers de dessus ; on prend un morceau de bois d'un pié & demi, qu'on appelle habillot, après avoir posé deux chantiers traversins, cochés à l'envers, les avoir lié aux chantiers du dessus, & avoir passé les rouettes dans les deux premieres couplieres qu'il a mises, il rabat la grosse coupliere avec son habillot sur le traversin, dont on lie & arrête le bout au chantier de dessus.

Dans les branches des rives & à la tête, les compagnons mettent deux grosses couplieres aux chantiers de dessous ; savoir une à la premiere mise, où ils posent un gros & fort chantier éguisé par le bout, appellé nage, & par corruption nege ; & l'autre à la troisieme, où ils posent la fausse nage, qui n'est autre chose qu'une buche de neuf à dix pouces de rotondité, & applatie par le bout : ainsi, les quatre branches de chaque labourage étant faites, les compagnons plantent dans la riviere deux perches appellées darivottes, qu'ils attachent avec de bonnes rouettes sur la nage, & ensuite tous les ouvriers poussent avec force ce labourage, jusqu'à ce que les deux contrefiches ou darivottes fassent suffisamment lever ledit labourage, & lorsque la branche du dedans de la riviere est assez levée, ils reviennent à la branche qui est sur l'attelier, font des pesées pour la mettre à une hauteur proportionnée à celle qui est vers la riviere, & la tiennent ainsi suspendue avec de grosses buches qu'ils ont mises dessous. Les compagnons posent dessus quatre gros chantiers, & après avoir abattu sur le traversin de la tête les huit autres grosses couplieres, qu'ils ont mises aux huit chantiers de dessous, ils les arrêtent par-dessus le traversin de la tête avec des habillots attachés aux chantiers de dessus. Ils prennent les quatre gros chantiers traversins, & les ayant posés vers la nage & fausse nage, ils serrent & abattent les habillots, & les cordeaux qui ont été mis dans chacun des chantiers de dessus sur les traversins, & lient les habillots à ces chantiers.

Après avoir bien assuré les nages par des couplieres serrées & arrêtées par des habillots, ils les plient en demi-cercle jusqu'à la hauteur de la fausse nage, & les attachent par leur extrêmité au chantier de dessus par des rouettes contiguës à la fausse nage.

Les quatorze coupons & quatre labourages ainsi faits, les compagnons assemblent sept simples coupons qu'ils mettent au milieu de deux labourages pour former une part ou demi-train. Pour faire cet assemblage, ils mettent au bout de chaque coupon simple, & à un bout seulement des labourages, neuf couplieres vis-à-vis les unes des autres ; ils passent des habillots dans les boucles des couplieres ; & par ce moyen, & à l'aide d'un morceau de bois de deux piés & demi, qui est éguisé & courbé par un bout, & qu'ils appellent troussebarbe, ils font joindre les coupons les uns aux autres avec de bonnes couplieres & des habillots arrêtés aux chantiers de dessus.

Devant le premier labourage de la premiere part, les compagnons font une chambre avec deux chantiers qu'ils passent sous le traversin de devant, & attachent un morceau de chantier, qu'ils appellent courge ; dans cette chambre ils mettent un muid ou un demi-muid futaille pour soulager le train.

La construction d'un train a été inventée par Jean Rouvet, en 1549, mais bien différente de ce qu'elle est aujourd'hui. Il n'y a pas plus de 80 ans qu'à Clamecy on inventa les neges pour conduire & guider les trains. Avant ce tems-là, ceux qui les conduisoient avoient des plastrons de peaux rembourrés, & ils guidoient les trains par la seule force de leurs corps ; cela m'a été assuré, il y a une trentaine d'années, par de vieux compagnons.

Ce qui prouve qu'on ne flottoit point en trains, avant 1549, c'est que par ordonnance rendue au parlement de Paris le dernier Juillet 1521, c. lxj. art. 1. la cour ordonna à tous marchands de faire charroyer en diligence aux ports de Paris tous les bois qu'ils avoient découpés, à peine de 500 liv. d'amende.

Mais quoiqu'on ne flottât point en 1527 en trains, on amenoit dès ce tems du bas de la riviere d'Yonne sur les ports de Clamecy, Collange, & Château-Censoy des bois, dont on les chargeoit sur des bateaux. Coquille, en son histoire du Nivernois, fait mention en parlant de Clamecy, que la riviere d'Yonne portoit bateau jusqu'en cette ville, & elle n'a cessé de porter bateau que lorsque le flottage en trains a été inventé. On ne peut pas dire précisément l'année : dèslors on amena à bois perdu des bois du haut de la riviere d'Yonne, de celle de Beuvron & de Fozay ; depuis on a même remonté plus haut, & l'on a pratiqué à la faveur des étangs, des petits ruisseaux qui portent bois & affluent dans les rivieres ci-dessus.

TRAIN de l'oiseau, (terme de Fauconnerie) le train de l'oiseau est son derriere ou son vol ; on dit aussi faire le train à un oiseau, lorsqu'on lui donne un oiseau dressé qui lui montre ce qu'il doit faire, & à quoi on le veut employer. Fouilloux. (D.J.)


TRAIN-BANDou TRAINES-BANDS, s. m. (Hist. d'Angl.) c'est le nom des milices du royaume d'Angleterre, & qu'on leur donne à cause des marches qu'on leur fait faire en les envoyant d'un lieu à un autre selon le besoin. La milice d'Angleterre monte à plus de vingt-mille hommes, infanterie & cavalerie ; mais elle peut être augmentée, suivant la volonté du roi. Il établit pour commander cette milice, des lords-lieutenans de chaque province, avec pouvoir d'armer & de former ses troupes en compagnies & régimens, les conduire où besoin est, en cas de rébellion & d'invasion : donner des commissions aux colonels & aux autres officiers ; mais personne ne peut obtenir d'emploi dans la cavalerie, à moins d'avoir cinq cent liv. sterlings de revenu, & dans l'infanterie, s'il ne possede cinquante livres sterlings de rente. (D.J.)


TRAINA(Géog. mod.) petite ville de Sicile, dans le val-Démona, sur une hauteur, au nord oriental de Nicosia, près la riviere Traina. (D.J.)

TRAINA, (Géog. mod.) riviere de Sicile dans le val-Démona. Elle tire son origine de deux sources, & se perd dans la Dittaino. (D.J.)


TRAINASSES. f. (Hist. nat. Botan.) nom que le peuple donne au polygonum à larges feuilles. Voyez en la description au mot POLYGONUM, Botan. (D.J.)


TRAINES. f. (Marine) menue corde où les soldats du vaisseau attachent leur linge pour le laisser traîner à la mer, afin qu'il s'y lave. On dit à la traîne, lorsqu'on destine quelque chose à traîner dans la mer, en l'attachant à une corde.

TRAINE, s. f. (terme de Pêche) c'est la même chose que le coleret ou la dreige ; & la dreige est un filet dont on se sert pour la pêche de mer. Ce filet est triple, c'est-à-dire, qu'il est composé de trois filets appliqués l'un sur l'autre, ce qui lui fait donner le nom de tramail ou filet tramaillé ; celui du milieu que l'on nomme nappe-dreige ou flue, filure ou feuillure, est le plus étroit ; ses mailles doivent être de 21 lignes en quarré ; mais l'ordonnance permet de faire cette pêche avec des nappes dont les mailles n'ont que treize lignes, seulement pendant le tems du carême.

Les hamaux ou tramaux, filets à larges mailles qui sont des deux côtés de la nappe, doivent avoir neuf pouces en quarré, & le bas du filet ne doit être chargé que 1 1/2 livre de plomb au plus par brasse, afin que le filet n'entre que peu avant dans le sable.

La nappe est mise entre les tramaux fort libre & flottante, afin que dans la manoeuvre de la pêche les petites mailles puissent plus aisément former des sacs ou bourses dans les grandes mailles des tramaux, & ainsi retenir tout le poisson qui s'est trouvé sur le passage de la dreige.

Le haut du filet est garni de flottes de liege, afin qu'il tienne droit dans l'eau, sans cependant quitter le fond de la mer où il s'applique au moyen des lames de plomb dont la corde du pié est garnie.

Pour faire cette pêche qui est la plus ingénieuse de toutes celles qui se pratiquent à la mer, les pêcheurs étant arrivés sur des fonds de sable ou de graviers, amenent toutes leurs voiles & leurs mâts ; ils jettent leur dreige à la mer ; les deux bouts de la dreige sont frappés sur deux petits cablots ou orins que les Picards nomment hallins, dont l'un est amarré par les travers du bateau, & l'autre à la vergue du borset ; & pour mieux faire couler la dreige sur le fond de sable ou de gravier seuls convenables, ils amarrent encore à chaque bout de la dreige une grosse pierre qu'ils nomment cabliere, afin de la mieux faire couler bas.

Le borset est une grande voile D que les pêcheurs appareillent sur une vergue qu'ils jettent à l'eau ; la marée qui s'y entonne, gonfle le borset, comme s'il étoit appareillé au vent. Pour le faire mieux couler bas, les pêcheurs amarrent aux couets une cabliere ; la vergue est soutenue à fleur d'eau par un gros barril de bouée ; la marée faisant dériver le borset D d'une part, & le bateau E d'autre part en même tems, ils entraînent la dreige A B C qui racle le fond & enleve si exactement tout ce qu'elle trouve en son chemin, que les pêcheurs rapportent même du fond de la mer leur pipe, quand elle est tombée dans un lieu où la dreige doit passer.

Quand le bateau E ne dérive pas de sa part autant que le borset, les pêcheurs mettent à l'avant leur grande voile à l'eau ; elle y est appareillée comme lorsqu'elle est au vent sur son mât, & par ce moyen ils rétablissent l'égalité de vîtesse.

On peut concevoir à présent le tort que fait la dreige sur les fonds où elle passe, lorsqu'elle se fait pendant l'été près de terre où tout le fray du poisson est pour lors. Cette perte est inconcevable. Voyez la représentation de cette pêche dans la fig. 4, Pl. VI. de pêche.

La pêche des huitres se fait avec de petits bateaux du port depuis quatre jusqu'à huit tonneaux, & de sept ou huit hommes d'équipage. On fait cette pêche à la voile & à deux dreiges pour chaque bateau, pour pêcher à bas-bord & à tribord ; ils reviennent tous les soirs à terre, & débarquent les huitres de leur pêche qu'ils mettent en parcs sur la greve où les femmes qui font ordinairement ce travail, les rangent en gros sillons pour les faire dégorger. Elles n'y restent que peu de marées sans se nettoyer des ordures dont elles sont couvertes en sortant de dessus la roche, après quoi elles deviennent marchandes & aussi nettes qu'on les voit à Paris.

Le tems de cette pêche que l'on faisoit autrefois durant toute l'année, a été borné d'office par les officiers d'amirauté du premier Septembre au dernier Avril, avec défense de la faire pendant le mois de Mai jusque & compris le mois d'Août. Cette police étoit d'autant plus nécessaire que les huitres frayent durant les chaleurs, & qu'ainsi on empêcheroit la multiplication d'un coquillage qui est la vraie manne des riverains ; joint aussi que les huitres durant cette saison sont de très-mauvaise qualité, & ne peuvent faire une bonne nourriture.

Les dreiges dont les pêcheurs d'huitres se servent, sont une espece de chausse tenue droite par un chassis de fer dont les côtés qui raclent le fond de la mer, sont faits en couteaux qui grattent & enlevent tout ce qui se rencontre sur leur passage ; les huitres détachées du fond entrent dans la chausse de la dreige que les pêcheurs halent à bord pour les retirer. Voyez les Planches de pêche & les articles CHAUSSE, DRAGUE, HUITRE, &c.

La dreige des pêcheurs du port des barques n'est pas le même filet que l'on appelle tramail de dreige dans l'ordonnance de 1680, & celui dont on se servit sous ce nom le long des côtes de la Manche avant la déclaration du roi du 23 Avril 1726. C'est la grande chausse ou cauche, mais bien moins nuisible que celle des pêcheurs de Cancale ; cette pêche ne differe en rien de celle que les pêcheurs de Nantes nomment chalut, ni de celle qui se pratique le long des côtes de la Méditerranée sous le nom de pêche de la tartane & du grand gauguy. Quant au sac ou à la chausse qui est faite en forme d'un quarré long émoussé ayant ordinairement huit brasses de gueule ou d'ouverture, autant de profondeur, & cinq à six brasses de large ; dans le fond, les mailles du sac sont de trois différentes sortes de grandeurs ; les plus larges sont à l'entrée, les médiocres au milieu, & les plus étroites dans le fond ; l'ouverture ou l'entrée du sac est garnie par-bas d'un cordage d'environ deux pouces de grosseur sur lequel le bas du sac est amarré, & qui est garni de deux ou trois plommées par brasse de la pesanteur d'environ demi-livre chaque ; le haut du sac est garni d'une double ligne d'un quart de pouce au plus de grosseur avec des flottes de liege rondes & enfilées.

Les deux coins du sac sont garnis d'un petit échallon de bois dans lequel sont passés & amarrés la corde de la tente & le cablot du pié qui forment l'ouverture du sac ; on passe entre ces deux cordages une pierre qui est arrêtée entre l'échallon & les cordages. On amarre ensuite sur les échallons une grande perche formée de plusieurs autres, pour en faire une de trente à trente-cinq piés de long pour mieux contenir l'ouverture du sac ouverte, & prendre ainsi les poissons qui se trouvent dans le passage de cette dreige que l'on traîne comme le chalut. Voyez CHALUT.

La dreige, breige, ou grande traîne tramaillée, est une sorte de filet qui differe des dreiges en ce qu'elle est tramaillée ; elle sert à la pêche des saumons & des aloses, qui se fait depuis la saint Martin jusqu'à Pâques. Quant à la manoeuvre de cette pêche, on la tend de même que la seine, avec un seul bateau, le bout forain garni d'une bouée de sapin, & l'autre va à la dérive avec le bateau où il reste amarré, & dérivant soit de flot, soit de jussant à fleur d'eau, parce que les plombs dont le bas est garni ne le peuvent faire caler sur le fond à-cause du liege dont la tête est garnie, n'ayant au-plus que trois quarterons de plomb par brasses.

Ce ret est du genre des rets volans ou courans ; deux hommes dans la filadiere suffisent pour faire cette pêche ; le filet dérive au courant, & les pêcheurs, par l'augmentation ou diminution des flottes de liege, font aller au fond entre deux eaux, ou à fleur d'eau leur filet, selon qu'ils s'apperçoivent que le poisson monte ou descend. Cette même manoeuvre se pratique pour les pêches des aloses dans la riviere de Seine, & pour celle des harengs à la mer : après que le filet a dérivé deux ou trois cent toises, on le releve de la même maniere qu'on fait les rets verquants au milieu de la riviere sans le haler à bord, comme on fait les seines qui servent à faire la même pêche.

Les mailles des breiges ou dreiges de brane ont la maille de l'armail ou des hameaux qui sont des deux côtés, de dix pouces deux lignes en quarré, & celle de la carte-nappe ou ret du milieu jusqu'à vingt-six lignes aussi en quarré.

TRAINE ou PICOT, terme de Pêche usité dans le ressort de l'amirauté de Caen ; cette pêche est aussi nommée traîne en pleine mer ou folles traînantes & dérivantes. En voici la description telle qu'elle se pratique par les pêcheurs de ce ressort.

Les pêcheurs qui font cette pêche ne sont qu'au nombre de deux seulement dans les bateaux picoteux ; quand ils font la pêche du picot en grande traîne à la mer, ils fournissent chacun une piece de filet qu'ils joignent ensemble ; ils soutiennent qu'ils font leur pêche à cinq & six lieues au large sur dix brasses d'eau ; on peut juger du risque qu'ils courent éloignés de la côte dans de si petits bateaux ; ils assurent encore que le filet va quelquefois entre deux eaux, & quelquefois qu'il se soutient à fleur d'eau, au moyen des flottes de liege dont la tête est chargée, & qu'il dérive au gré de la marée sans être traîné sur le fond.

Il est constant que ce filet est moins une traîne qu'une folle traînante en dérive ; qu'avec des mailles aussi larges ils ne peuvent jamais pêcher que des rayes & des turbots, sans pouvoir arrêter aucun poisson rond ; il y auroit peu d'abus à craindre de son usage si les pêcheurs qui la font se servoient pour la pratiquer de grandes plates ou de bateaux à quille du port au-moins de deux à trois tonneaux.

Les pêcheurs se servent de plusieurs calibres ; ceux dont ils se pourroient servir dans les plates de deux tonneaux, ont les mailles de dix-neuf & vingt & une lignes en quarré, & les abusifs n'ont que seize, quinze & quatorze lignes.


TRAINEAUS. m. (Méchanique) espece de machine dont les voituriers se servent pour traîner & transporter des balles, caisses, & tonneaux de marchandises. Le traîneau n'a point de roue, & est seulement composé de quelques fortes pieces de bois jointes ensemble, & emmortaisées avec des chevilles ; aux quatre coins de ce bâtis, qui forme une figure quarrée longue, sont de forts crochets de fer pour y atteler les traits des chevaux qui les traînent, cette sorte de traîneau ne sert point à la campagne, & est seulement d'usage dans les villes. (D.J.)

Les Hollandois ont des especes de traîneaux sur lesquels on peut transporter par terre des vaisseaux de tout port. Ils sont composés d'une piece de bois d'un pié & demi de large, & de la longueur de la quille d'un vaisseau ordinaire, un peu courbée parderriere, & creuse dans le milieu, desorte que les côtés vont un peu en biais, & sont garnis de trous pour passer des chevilles, &c. le reste est tout-à-fait uni.

Le traîneau est de toutes les voitures la plus ancienne. Le premier changement qu'on y fit fut de le poser sur des rouleaux, qui devinrent roues, lorsqu'on les eut attachés à cette machine ; mais s'élevant de plus-en-plus de terre, il forma le char des anciens, à deux & à quatre roues. Il est vrai cependant que ces chars n'étoient guere au-dessus de nos charrettes, à en juger par la lecture des auteurs, & par les vieux monumens.

TRAINEAU, (Charronnage) c'est une espece de petit chariot sans roue, dont on se sert dans les pays septentrionaux, pour transporter sur la neige pendant l'hiver les voyageurs, les marchands, leurs hardes, & leurs marchandises. Ils sont couverts & garnis de bonnes fourrures contre la rigueur du froid. Ce sont ordinairement des chevaux qui les traînent, mais quelquefois on y emploie des animaux très-légers, & assez semblables à de petits cerfs que l'on nomme des rennes, qui outre qu'ils vont d'une très-grande vîtesse, ont cela de commode qu'ils n'ont besoin d'aucun conducteur, & que pour toute nourriture ils se contentent de quelque mousse qu'ils cherchent sous la neige. La Laponie, la Sibérie, & le Boranday font tout leur commerce avec des traîneaux attelés d'une de ces rennes. Outre les traîneaux tirés par des chevaux ou par des rennes dont on se sert si communément dans la Moscovie, il y en a d'autres, particulierement du côté de Surgut, ville située sur l'Oby, qui ne sont attelés que d'une sorte de chiens, qui sont propres à cette partie de la Sibérie.

Enfin toutes les cours du nord offrent en traîneaux une rare pompe sur la neige. La jeunesse vigoureuse les conduit, & dispute de vîtesse dans des courses hardies, longues & bruyantes. Les dames de Scandinavie y assistent pour animer la rivalité de leurs amans ; & les filles de Russie s'y montrent avec leur parure d'or & de pelisses. (D.J.)

TRAINEAU, (Chasse) est un filet qui a deux aîles fort longues, avec un bâton à chaque côté, & que deux hommes traînent la nuit à-travers champs, dans les endroits où ils ont remarqué qu'il y a du gibier, & dès qu'ils voient, sentent, ou entendent quelque oiseau sous le filet ils le lâchent à terre pour prendre le gibier qui est dessous ; ce filet a depuis 6 jusqu'à 12 ou 15 toises de long, & 15 à 18 piés de hauteur ; on les fait à grandes mailles pour qu'ils ne soient pas si lourds. On prend au traîneau les perdrix, les cailles, vanneaux, bécasses, pluviers, ramiers, grives, oies sauvages, canards & autres oiseaux.


TRAINÉES. f. (Artif. & Art milit.) se dit, dans l'Artillerie, d'une certaine longueur que l'on remplit de poudre de deux ou trois lignes de largeur, & autant de hauteur, qui sert à communiquer le feu à d'autre poudre où la traînée aboutit.

Pour mettre le feu au canon, on met une traînée de poudre sur le premier renfort lequel aboutit à la lumiere ; on en use ainsi afin d'éviter les accidens qui pourroient arriver si on mettoit le feu à la poudre renfermée dans la lumiere ; parce que son action pourroit faire sauter le boute-feu des mains du canonnier & le blesser.

Pour mettre le feu aux mines, on se sert aussi d'une traînée de poudre : on découvre l'extrêmité de l'auge ou de l'auget qui renferme le saucisson d'environ six pouces ; on fait cette ouverture à deux piés en-dedans de la galerie de la mine, afin que la pluie & que l'eau qu'on pourroit jetter dessus du haut du parapet n'empêche point la poudre du saucisson de prendre feu : on fait ensuite une traînée de poudre pour avancer vers l'air, où le feu est naturellement plus agité ; on prend ensuite un morceau de papier, sur les extrêmités duquel on met de petites pierres ou quelque chose de pesant, sans presser ou étouffer la poudre ; au milieu de ce papier on fait un trou pour passer le boulon, qui est un morceau d'amadou le plus épais & le plus moëlleux que l'on peut trouver. On lui donne un pouce ou environ de longueur, selon le tems dont on a besoin pour se retirer : on a attention que ce morceau d'amadou passe bien au milieu de la traînée de poudre que l'on écrase en poulverin ; s'il touchoit à terre il ne mettroit point le feu à la poudre, attendu qu'il ne l'allume que lorsqu'il est consommé. Le papier sert à empêcher que quelque étincelle ne mette trop promtement le feu à la poudre. Les pierres que l'on met dessus sont pour le tenir dans une situation fixe. On a un autre morceau d'amadou de même dimension que le premier que l'on tient à la main, & auquel on met le feu en même tems qu'à celui qui doit le mettre à la mine ; il sert à faire connoître le moment où la mine doit faire son effet. Voyez TEMOIN. (Q)

TRAINEE, en terme de Vénerie, espece de chasse du loup, du renard, &c. qu'on fait en l'attirant dans un piege ou trape, par le moyen de l'odeur d'une charogne qu'on traîne dans une campagne, ou le long d'un chemin, jusqu'au lieu de la trape. (D.J.)


TRAINEMENTS. m. (Hist. nat.) c'est ainsi qu'on nomme la progression des limaçons, des vers de terre, des sangsues, & autres animaux semblables, dont le mouvement n'est guere plus composé que celui des huitres dans son principe, quoiqu'il ait un effet plus diversifié. Ce mouvement consiste dans une contraction, par laquelle le corps long & étroit de l'animal s'accourcit, rentre en lui-même, & se ralonge ensuite. Dans cette maniere d'aller, une moitié du corps demeure appuyée sur la terre, s'y affermit par sa pesanteur, pendant que l'autre s'allonge & s'avance en glissant, puis s'affermit à son tour, & retire à elle la partie de derriere, à-peu-près de la même maniere que nous appuyant sur un pié, nous avançons l'autre, sur lequel nous nous appuyons ensuite. (D.J.)


TRAINERv. act. (Gram.) c'est tirer après soi quelque chose qui porte à terre, ou immédiatement ou sur une machine interposée. On dit il faut tant de chevaux pour traîner ce fardeau ; il a traîné trois ans de suite la robe au palais ; traîner sur la claie ; traîner un filet ; se traîner ; traîner une troupe de femmes après soi ; il traînera long - tems de cette maladie ; cette affaire traînera en longueur ; son style traîne ; &c. Voyez les articles suivans.

TRAINER, (coupe des Pierres) c'est faire méchaniquement une ligne parallele à une autre ligne donnée droite ou courbe, en traînant le compas ouvert de l'intervalle requis d'une ligne à l'autre, de maniere qu'une de ses pointes parcoure la ligne donnée, & que l'autre pointe, ou plutôt la ligne qu'on peut imaginer passer par les deux pointes, soit toujours perpendiculaire, ou également inclinée à la ligne donnée, ou à sa tangente si elle est courbe. Les menuisiers, aulieu de compas, se servent pour cette opération d'un instrument qu'ils appellent trusquin. Voyez ce mot.

TRAINER en plâtre, v. act. (Archit.) c'est faire une corniche, ou un cadre, avec le calibre qu'on traîne sur deux regles arrêtées, en garnissant de plâtre clair ce cadre ou cette corniche, & les repassant à plusieurs fois, jusqu'à ce que les moulures ayent leur contour parfait. (D.J.)

TRAINER, v. n. terme de jeu de Billard ; c'est conduire quelque tems sa bille sur le tapis, sans qu'elle quitte le bout de l'instrument, & c'est une chose permise en général ; mais il est défendu de traîner, quand la bille tient du fer ; pour lors il faut jouer de bricole, ou donner un coup sec. (D.J.)


TRAINEUR(Art milit.) soldat qui quitte son rang par paresse, maladie, foiblesse, ou quelqu'autre raison, & reste en arriere dans les marches. Les paysans ont tué les traîneurs.

TRAINEURS, (Commerce) ceux qui conduisent des traîneaux. Ce terme est principalement en usage en Hollande. Ils sont établis par les magistrats lorsque les eaux sont fermées, c'est-à-dire, lorsque les canaux étant glacés, les barques publiques ne peuvent plus y être conduites ; ils ont les mêmes privileges & franchises que les maîtres routiers & les maîtres ordinaires de vaisseaux. Voyez ROUTIER, Dict. de Com.


TRAIONS. m. (Maréchal.) bout du pis d'une jument, qu'on presse pour en faire sortir le lait.


TRAIREv. act. (Gram. oecon. rust.) c'est tirer le lait aux vaches, aux brebis, aux chevres.


TRAITS. m. (Archit.) ligne qui marque un repaire ou un coup de niveau. On donne aussi ce nom, dans la coupe des pierres, à toute ligne qui forme quelque figure.

Trait biais. Ligne inclinée sur une autre, ou en diagonale, dans une figure.

Trait corrompu. Trait qui est fait à la main, c'est-à-dire sans compas & sans regle, & qui ne forme aucune courbe déterminée ou réguliere.

Trait quarré. C'est une ligne qui, en en coupant une autre à angle droit, rend les angles d'équerre. C'est donc la maniere de faire une perpendiculaire à une ligne donnée ; si cette ligne est courbe comme un cercle ou une ellipse, la perpendiculaire à sa tangente, s'appelle trait quarré sur la ligne courbe, & au bout de la ligne courbe, lorsqu'elle l'est à une de ses extrêmités.

Le trait se prend encore en architecture pour le dessein & la coupe artiste des pierres qui sont taillées hors de leurs angles, pour faire des ouvrages biaisés. Philibert de Lorme a écrit le premier dans notre langue du trait, ou de la coupe des pierres ; ensuite le pere Derran, jésuite ; & enfin M. Frezier ; Voyez TRAIT, stéréotom.

Le trait est aussi la figure d'un bâtiment projetté, tracé sur le papier, dans laquelle avec l'échelle & le compas on décrit les différentes pieces d'un appartement, avec les proportions que toutes les parties doivent avoir. Il est nécessaire avant de commencer les élévations d'un édifice, de tracer le plan de chaque étage, après quoi il faut faire la coupe ou profil de tout le bâtiment ; ensuite l'on peut, pour se rendre compte de la totalité, rassembler sur un même dessein ce que l'on appelle scenographie ou perspective. (D.J.)

TRAITS, ce sont dans l'Artillerie les cordages qui servent au charroi & transport des pieces & des munitions ; ils se comptent par paires de traits communs ou bâtards ; ils font partie du harnachement des chevaux. (Q)

TRAIT DE COMPAS, ou TRAIT DE VENT, (Marine.) Voyez RUMB.

TRAIT QUARRE, (Marine) on sous-entend voile à : c'est une voile qui a la forme d'un rectangle.

TRAIT, s. m. terme de Balancier ; c'est ce qui fait pancher un des bassins de la balance, plus que l'autre. Les bonnes balances ne doivent point avoir de trait, & leurs bassins doivent rester en équilibre. (D.J.)

TRAIT, s. m. terme de Boucherie ; fort cordage avec un noeud coulant au bout, qu'on attache aux cornes d'un boeuf que l'on veut assommer : c'est avec ce trait que l'on passe à-travers d'un anneau de fer scellé à terre, dans le milieu de la tuerie, qu'on le force de baisser la tête pour recevoir le coup de massue entre les deux cornes. Savary. (D.J.)

TRAIT, terme de Bourrelier, c'est la partie du harnois des chevaux de tirage, par laquelle ils sont attachés à la voiture qu'ils tirent. Les traits des chevaux de carrosse sont de cuir, & s'attachent aux paloniers du train ; ceux des chevaux de charrette sont de corde, & attachés aux limons : ce sont les bourreliers qui font les premiers, & fournissent les uns & les autres. Voyez les fig. & les Pl. du Bourrelier.

TRAIT de scie, (Charpent.) c'est le passage que fait la scie en coupant une piece de bois, soit pour la raccourcir ou pour la refendre : les scieurs de long appellent rencontre, l'endroit où, à deux ou trois pouces près, les deux traits de scie se rencontrent, & où la piece se sépare. On doit ôter ces rencontres & traits de scie, avec la besaiguë, aux bois apparens des planchers, & aux autres ouvrages propres de charpenterie. (D.J.)

TRAIT de buis, (Jardin.) filet de buis nain, continué & étroit, qui forme communément la broderie d'un parterre, & qui renferme les plates-bandes & les carreaux. On le tond ordinairement deux fois l'année, pour le faire profiter, ou l'empêcher de monter plus vîte. (D.J.)

TRAIT, s. m. (Lainage) le trait est cette quantité de laine attachée à chaque peigne, laquelle se trouve suffisamment démêlée & couchée de long, après un nombre de voies, ou d'allées & venues d'un peigne sur l'autre. Il y a toujours deux traits, comme deux peignes. (D.J.)

TRAIT en Peinture est la ligne que décrit la plume, le crayon, ou le pinceau : on dit cependant coup de pinceau, & non trait de pinceau ; à moins qu'on ne dise : j'en ai fait le trait au pinceau ; alors c'est dessiner avec le pinceau ; ou, qu'en parlant d'un objet peint, on ne dise : la chose est exprimée d'un seul trait : on dit le trait d'une perspective ; j'ai mis cette figure au trait d'une figure dessinée à l'académie ; ma figure n'est pas avancée, elle n'est qu'au trait ; la vie est dans ce dessein, quoi qu'il ne soit qu'au trait.

Trait se dit encore d'un dessein d'après un tableau pris sur le tableau même : lorsqu'on veut avoir exactement le trait d'un tableau, on passe avec un pinceau pointu, & de la laque, ou autres couleurs très-liquides, & qui aient peu de corps, sur toutes les lignes ou contours des objets de ce tableau ; après quoi on applique dessus un papier, qu'on fait tenir par quelqu'un vers ses extrêmités, pour qu'il ne varie point ; puis on frotte sur ce papier avec un corps poli, tel qu'un morceau de crystal, d'ivoire, une dent de sanglier, &c. au moyen de quoi, ce que le pinceau a tracé s'imprime sur le côté du papier qui touche au tableau. Il faut avoir attention à ne pas laisser sécher ce qui peut rester de couleur sur le tableau, & le frotter sur le champ avec de la mie de pain : on dit, voulant copier ce tableau fidelement, j'en ai pris un trait. Lorsqu'un tableau est nouvellement peint, & qu'on craint qu'il ne soit pas assez sec pour qu'on en puisse prendre ainsi le trait, on applique dessus une glace, sur laquelle on passe un blanc d'oeuf battu, & lorsqu'il est bien sec, on trace sur la glace, avec un crayon de sanguine, tous les contours des objets qui s'apperçoivent facilement au - travers de la glace, puis on applique assez fortement sur cette glace, un papier bien humecté d'eau ; on le releve promtement, crainte qu'il ne s'attache au blanc d'oeuf, & tous les traits de crayon s'y trouvant imprimés, on a le trait du tableau : on prend quelquefois de ces traits, seulement par curiosité, & pour avoir des monumens fideles des belles choses, qu'on regarde comme des études, & quelquefois on en fait usage en les copiant ; alors on pique les contours de près à près, avec une aiguille emmanchée dans un petit morceau de bois rond, de la grosseur d'un tuyau de grosse plume, qu'on appelle fiche, après quoi on l'applique sur la toile ou autre fond sur lequel on veut faire la copie ; & avec un petit sachet rempli de chaux éteinte, de charbons, ou autre matiere pulvérisée qui se distingue de la couleur du fond, on passe sur tous les traits, & la matiere pulvérisée qui en sort, passant par les trous d'aiguille, imprime le dessein sur le fond où on l'a appliquée. C'est ce qu'on appelle poncer, & ce trait ainsi piqué, s'appelle alors poncé.

TRAIT, s. m. terme de Tireur d'or, ce qui est tiré & passé par une filiere. Il se dit de tous les métaux réduits en fil, comme l'or, l'argent, le cuivre, le fer, &c. (D.J.)

TRAIT, s. m. terme de Voiturier par eau, ce mot se dit de plusieurs bateaux vuides, attachés & accouplés ensemble qui remontent les rivieres, pour aller charger de nouvelles marchandises aux lieux d'où ils sont partis ; quelques-uns disent train de bateaux, mais improprement. (D.J.)

TRAIT, c'est la corde de crin qui est attachée à la botte du limier, qui sert à le tenir lorsque le veneur va aux bois.

Trait, on dit en Fauconnerie, voler comme un trait.

TRAIT, s. m. terme de rubrique, espece de verset que chantent les choristes après l'épître en plusieurs fêtes de l'année, & notamment le Samedi-saint. Ce trait est différent des répons en ce qu'il se chante tout seul, & que personne n'y répond. C'est au reste un chant lent & lugubre, qui représente les larmes des fideles & les soupirs qu'ils poussent en signe de pénitence ; & il est ainsi nommé quia tractim canitur. Du Cange. (D.J.)

TRAIT, en termes de Blason, signifie une ligne qui partage l'écu. Elle prend depuis le haut jusqu'au bas, & sert à faire différens quartiers. Ecu parti d'un, & coupé de deux traits.

TRAIT, s. m. terme de jeu d'échecs, c'est l'avantage qu'on donne à une partie de jouer le premier un pion, & de l'avancer d'une ou de deux cases à sa volonté. (D.J.)


TRAITANT(Finances) on appelle traitans des gens d'affaires qui se chargent du recouvrement des impôts, qui traitent avec le souverain de toutes sortes de taxes, revenus, projets de finances, &c. moyennant des avances en deniers qu'ils fournissent sur le champ. Ils reçoivent dix à quinze pour cent de leurs avances, & ensuite gagnent un quart, un tiers sur leurs traités. Ces hommes avides & en petit nombre ne sont distingués du peuple que par leurs richesses. C'est chez eux que la France vit pour la premiere fois en argent ces sortes d'ustensiles domestiques, que les princes du sang royal n'avoient qu'en fer, en cuivre & en étain ; spectacle insultant à la nation. Les richesses qu'ils possedent, dit l'édit de 1716, sont les dépouilles de nos provinces, la subsistance de nos peuples & le patrimoine de l'état.

Je répete ces choses d'après plusieurs citoyens sans aucune passion, sans aucun intérêt particulier, & sur-tout sans l'esprit d'humeur & de satyre, qui fait perdre à la vérité même le crédit qu'elle mérite.

M. Colbert, dit l'auteur françois de l'histoire générale, craignoit tellement de livrer l'état aux traitans, que quelque tems après la dissolution de la chambre de justice qu'il avoit fait ériger contre eux, il fit rendre un arrêt du conseil, qui établissoit la peine de mort contre ceux qui avanceroient de l'argent sur de nouveaux impôts. Il vouloit par cet arrêt comminatoire qui ne fut jamais imprimé, effrayer la cupidité des gens d'affaires ; mais bientôt après il crut être obligé de se servir d'eux sans même révoquer l'arrêt ; le roi le pressoit pour des fonds, il lui en falloit en grande hâte, & M. Colbert recourut encore aux mêmes personnes qui s'étoient enrichies dans les désastres précédens. (D.J.)


TRAITES. f. (Marine) c'est le commerce qui se fait entre des vaisseaux & les habitans de quelque côte.

TRAITE, s. f. (Commerce du Canada) on appelle ainsi en Canada le négoce que les François font avec les sauvages, de leurs castors & autres pelleteries. (D.J.)

TRAITE D'ARSAC, terme de Finances, droit de sortie qui se leve sur les marchandises qui sortent de la province du Languedoc & sénéchaussée de Bordeaux, pour être transportées en Chalosse, dans les Landes, à Dax, Bayonne, &c. (D.J.)

TRAITE DE CHARENTE, terme de Finance, droit qui se leve par les fermiers sur les vins, eaux de-vie, & sur les marchandises qui entrent & sortent de la Saintonge, Aunis, &c. Le bureau principal de la traite de Charente est établi à Tournay, qui est un gros bourg situé sur le bord de la Charente, à une lieue au-dessus & du même côté de Rochefort ; c'est pour cette raison qu'on a donné à ce droit le nom de traite de Charente. (D.J.)

TRAITE FORAINE, (Finances) il est bon de mettre sous les yeux du lecteur le précis d'une ancienne requête sur la traite foraine, que la nation forma & présenta au roi.

" SIRE, quoique les droits de la traite foraine ne doivent être levés que sur les marchandises qui sortent du royaume pour être portées à l'étranger, ce qui est clairement établi par la signification du mot foraine, néanmoins ces droits sont levés sur ce qui va de certaines provinces de votre royaume à d'autres d'icelui, tout ainsi que si c'étoit en pays étranger, au grand préjudice de vos sujets, entre lesquels cela conserve des marques de division qu'il est nécessaire d'ôter, puisque toutes les provinces de votre royaume sont conjointement & inséparablement unies à la couronne pour ne faire qu'un même corps sous la domination d'un même roi, & que vos sujets sont unis à une même obéissance.

Pour ces causes, qu'il plaise à VOTRE MAJESTE, ordonner qu'ils jouiront d'une même liberté & franchise ; en ce faisant qu'ils pourront librement négocier, & porter les marchandises de France en quelqu'endroit que ce soit, comme concitoyens d'un même état sans payer aucun droit de foraine, & que pour empêcher les abus qui se commettent, la connoissance de leurs différens pour raison de ladite traite appartienne à vos Juges, nonobstant tous baux & évocations à ce contraires.

Encore que ce droit domanial ne se doive prendre par lesdits établissemens d'icelle que sur les blés, vins, toiles & pastels, qui seront transportés de votre royaume à l'étranger ; vos fermiers desdits droits, sous prétexte que leurs commis & bureaux ne sont établis en aucunes provinces & villes, ou qu'elles sont exemptes dudit droit, font payer pour marchandises qui y sont transportées, comme si directement elles étoient portées à l'étranger ; pour à quoi remédier, défenses soient faites par VOTRE MAJESTE, d'exiger lesdits droits sur ces blés, vins, toiles & pastels, qui seront actuellement transportés dans votre royaume pour la provision d'aucunes provinces, sous quelque prétexte que ce soit, à peine de concussion.

Semblablement afin de remettre la liberté du commerce & faire cesser toutes sortes d'oppressions desdits fermiers, que ces droits, tant de ladite traite foraine & domaniale que d'entrée, soient levés aux extrêmités du royaume, & que, à cet effet, les bureaux desdites traites & droits d'entrée soient établis aux villes frontieres & limites dudit royaume ; & qu'auxdits bureaux, les fermiers soient tenus d'afficher exactement les tableaux imprimés concernant les droits taxés par vos ordonnances, à peine de concussion ". Considération sur les finances. (D.J.)

TRAITE DES NEGRES, (Commerce d'Afrique) c'est l'achat des negres que font les Européens sur les côtes d'Afrique, pour employer ces malheureux dans leurs colonies en qualité d'esclaves. Cet achat de negres, pour les réduire en esclavage, est un négoce qui viole la religion, la morale, les loix naturelles, & tous les droits de la nature humaine.

Les negres, dit un anglois moderne plein de lumieres & d'humanité, ne sont point devenus esclaves par le droit de la guerre ; ils ne se devouent pas non plus volontairement eux-mêmes à la servitude, & par conséquent leurs enfans ne naissent point esclaves. Personne n'ignore qu'on les achete de leurs princes, qui prétendent avoir droit de disposer de leur liberté, & que les négocians les font transporter de la même maniere que leurs autres marchandises, soit dans leurs colonies, soit en Amérique où ils les exposent en vente.

Si un commerce de ce genre peut être justifié par un principe de morale, il n'y a point de crime, quelque atroce qu'il soit, qu'on ne puisse légitimer. Les rois, les princes, les magistrats ne sont point les propriétaires de leurs sujets, ils ne sont donc pas en droit de disposer de leur liberté, & de les vendre pour esclaves.

D'un autre côté, aucun homme n'a droit de les acheter ou de s'en rendre le maître ; les hommes & leur liberté ne sont point un objet de commerce ; ils ne peuvent être ni vendus, ni achetés, ni payés à aucun prix. Il faut conclure de-là qu'un homme dont l'esclave prend la fuite, ne doit s'en prendre qu'à lui-même, puisqu'il avoit acquis à prix d'argent une marchandise illicite, & dont l'acquisition lui étoit interdite par toutes les loix de l'humanité & de l'équité.

Il n'y a donc pas un seul de ces infortunés que l'on prétend n'être que des esclaves, qui n'ait droit d'être déclaré libre, puisqu'il n'a jamais perdu la liberté ; qu'il ne pouvoit pas la perdre ; & que son prince, son pere, & qui que ce soit dans le monde n'avoit le pouvoir d'en disposer ; par conséquent la vente qui en a été faite est nulle en elle-même : ce negre ne se dépouille, & ne peut pas même se dépouiller jamais de son droit naturel ; il le porte partout avec lui, & il peut exiger par-tout qu'on l'en laisse jouir. C'est donc une inhumanité manifeste de la part des juges de pays libres où il est transporté, de ne pas l'affranchir à l'instant en le déclarant libre, puisque c'est leur semblable, ayant une ame comme eux.

Il y a des auteurs qui s'érigeant en jurisconsultes politiques viennent nous dire hardiment, que les questions relatives à l'état des personnes doivent se décider par les loix des pays auxquels elles appartiennent, & qu'ainsi un homme qui est déclaré esclave en Amérique & qui est transporté de-là en Europe, doit y être regardé comme un esclave ; mais c'est là décider des droits de l'humanité par les loix civiles d'une gouttiere, comme dit Cicéron. Est-ce que les magistrats d'une nation, par ménagement pour une autre nation, ne doivent avoir aucun égard pour leur propre espece ? Est-ce que leur déférence à une loi qui ne les oblige en rien, doit leur faire fouler aux piés la loi de la nature, qui oblige tous les hommes dans tous les tems & dans tous les lieux ? Y a-t-il aucune loi qui soit aussi obligatoire que les loix éternelles de l'équité ? Peut-on mettre en problème si un juge est plus obligé de les observer, que de respecter les usages arbitraires & inhumains des colonies ?

On dira peut-être qu'elles seroient bientôt ruinées ces colonies, si l'on y abolissoit l'esclavage des negres. Mais quand cela seroit, faut-il conclure de-là que le genre humain doit être horriblement lésé, pour nous enrichir ou fournir à notre luxe ? Il est vrai que les bourses des voleurs de grand chemin seroient vuides, si le vol étoit absolument supprimé : mais les hommes ont-ils le droit de s'enrichir par des voies cruelles & criminelles ? Quel droit a un brigand de dévaliser les passans ? A qui est-il permis de devenir opulent, en rendant malheureux ses semblables ? Peut-il être légitime de dépouiller l'espece humaine de ses droits les plus sacrés, uniquement pour satisfaire son avarice, sa vanité, ou ses passions particulieres ? Non.... Que les colonies européennes soient donc plutôt détruites, que de faire tant de malheureux !

Mais je crois qu'il est faux que la suppression de l'esclavage entraîneroit leur ruine. Le commerce en souffriroit pendant quelque tems : je le veux, c'est-là l'effet de tous les nouveaux arrangemens, parce qu'en ce cas on ne pourroit trouver sur le champ les moyens de suivre un autre système ; mais il résulteroit de cette suppression beaucoup d'autres avantages.

C'est cette traite de negres, c'est l'usage de la servitude qui a empêché l'Amérique de se peupler aussi promtement qu'elle l'auroit fait sans cela. Que l'on mette les negres en liberté, & dans peu de générations ce pays vaste & fertile comptera des habitans sans nombre. Les arts, les talens y fleuriront ; & aulieu qu'il n'est presque peuplé que de sauvages & de bêtes féroces, il ne le sera bientôt que par des hommes industrieux. C'est la liberté, c'est l'industrie qui sont les sources réelles de l'abondance. Tant qu'un peuple conservera cette industrie & cette liberté, il ne doit rien redouter. L'industrie, ainsi que le besoin, est ingénieuse & inventive ; elle trouve mille moyens différens de se procurer des richesses ; & si l'un des canaux de l'opulence se bouche, cent autres s'ouvrent à l'instant.

Les ames sensibles & généreuses applaudiront sans-doute à ces raisons en faveur de l'humanité ; mais l'avarice & la cupidité qui dominent la terre, ne voudront jamais les entendre. (D.J.)

TRAITE PAR TERRE, (Finances de France) la traite par terre, autrement l'imposition foraine d'Anjou, fut établie par Philippe-Auguste en 1204, après la conquête de cette province, sur toutes les denrées sortant de la province d'Anjou, vicomté de Thouars & de Beaumont, pour entrer en Bretagne. Cette loi n'étoit pas encore commune à toutes les provinces ; mais en 1599 Henri IV. y ajouta un supplément sous le nom d'imposition nouvelle d'Anjou.

L'imposition nouvelle d'Anjou est funeste dans ses effets, & les usurpations des engagistes ont été très-violentes ; ils prétendirent d'abord assujettir les toiles de Laval à leur tarif, parce que la vicomté de Beaumont est sur les frontieres du Maine, & que les fermiers, dans l'impression de leur tarif en 1653, avoient ajouté cette province comme comprise dans leur ferme. Les plaintes furent portées au conseil, & l'entreprise reprimée en 1686 ; mais un fermier ne court jamais aucun risque de troubler le commerce, toujours obligé de payer par provision, ou de perdre son cours ; ajoutez que les droits de la traite par terre anéantissent le commerce & ruinent la province. Ils sont de soixante-deux livres deux sous du cent pesant, c'est une somme excessive. Considérations sur les finances, tome I. (D.J.)

TRAITE, s. f. (terme de Banquier) ce mot signifie les lettres de change qu'ils tirent sur leurs correspondans.

TRAITE, chez les Tanneurs, Mégissiers & Chamoiseurs, se dit du bord du plain où ils mettent les peaux pour les préparer avec de la chaux. Ainsi relever les peaux sur la traite, c'est les ôter du plain & les mettre sur le bord pour les y faire égoutter. Voyez PLAIN.

TRAITE, s. f. (terme de monnoie) c'est tout ce qui s'ajoute au prix naturel des métaux qu'on emploie à la fabrication des especes, soit pour les remedes de poids & de loi, soit pour les droits de seigneuriage & de brassage. Il signifie plus que rendage, qui ne comprend que le seigneuriage & brassage. (D.J.)


TRAITÉS. m. (Gram.) discours étendu écrit sur quelque sujet. Le traité est plus positif, plus formel & plus méthodique que l'essai ; mais il est moins profond qu'un système. Voyez ESSAI & SYSTEME. La Théologie se divise en plusieurs traités. Il y a plusieurs ouvrages de Lamothe le Vayer qu'on peut regarder comme autant de traités sceptiques.

TRAITE PUBLIC, (Droit politiq.) Nous entendons ici par traités publics les conventions qui ne peuvent être faites qu'en vertu d'une autorité publique, ou que les souverains, considérés comme tels, font les uns avec les autres, sur des choses qui intéressent directement le bien de l'état : c'est ce qui distingue ces conventions, non - seulement de celles que les particuliers font entr'eux, mais encore des contrats que les rois font au sujet de leurs affaires particulieres. Il est vrai que ce ne sont pas les traités, mais la nécessité qui lie les rois. L'histoire nous apprend que tous les autres droits, ceux de la naissance, de la religion, de la reconnoissance, de l'honneur même, sont de foibles barrieres, que l'ambition, la vaine gloire, la jalousie, & tant d'autres passions brisent toujours. Cependant, puisque les traités publics font une partie considérable du droit des gens, nous en considérerons les principes & les regles, comme si c'étoient des choses permanentes.

La nécessité qu'il y a eu d'introduire l'usage des conventions entre les hommes, & les avantages qui leur en reviennent, trouve son application à l'égard des nations & des différens états : les nations peuvent, au moyen des traités, s'unir ensemble par une société plus particuliere, qui leur assûre réciproquement des secours utiles, soit pour les besoins & les commodités de la vie, soit pour pourvoir d'une maniere efficace à leur sûreté, en cas de guerre.

Cela étant, les souverains ne sont pas moins obligés que les particuliers de tenir leur parole & d'être fideles à leurs engagemens. Le droit des gens fait de cette maxime un devoir indispensable. L'obligation où sont les souverains à cet égard est d'autant plus forte, que la violation de ce devoir a des suites plus dangereuses, & qui intéressent le bonheur d'une infinité de particuliers. La sainteté du serment qui accompagne pour l'ordinaire les traités publics, est encore une nouvelle raison pour engager les princes à les observer avec la derniere fidélité ; & certainement rien n'est plus honteux pour les souverains, qui punissent si rigoureusement ceux de leurs sujets qui manquent à leurs engagemens, que de se jouer eux-mêmes des traités, & de ne les regarder que comme un moyen de se tromper les uns les autres.

Tous les principes sur la validité ou l'invalidité des conventions en général, s'appliquent aux traités publics, aussi-bien qu'aux contrats des particuliers ; il faut, dans les uns comme dans les autres, un consentement sérieux déclaré convenablement, exemt d'erreur, de dol, de violence.

Si ces sortes de traités sont obligatoires entre les états ou les souverains qui les ont faits, ils le sont aussi par rapport aux sujets de chaque prince en particulier ; ils sont obligatoires comme conventions entre les puissances contractantes ; mais ils ont force de loi à l'égard des sujets considérés comme tels ; & il est bien manifeste que deux souverains qui font ensemble un traité, imposent par-là à leurs sujets l'obligation d'agir d'une maniere conforme à ce traité.

L'on distingue entre les traités publics ceux qui roulent simplement sur des choses auxquelles on étoit déjà obligé par le droit naturel, & ceux par lesquels on s'engage à quelque chose de plus.

Il faut mettre au premier rang tous les traités par lesquels on s'engage purement & simplement à ne point se faire du mal les uns aux autres, & à se rendre au contraire les devoirs de l'humanité. Parmi les peuples civilisés, de tels traités sont superflus ; le seul devoir suffit sans un engagement formel. Mais chez les anciens, ces sortes de traités étoient regardés comme nécessaires ; l'opinion commune étant que l'on n'étoit tenu d'observer les loix de l'humanité qu'envers ses concitoyens, & que l'on pouvoit regarder les étrangers sur le pié d'ennemis ; à-moins que l'on n'eût pris avec eux quelque engagement contraire : c'est de quoi l'on trouve plusieurs preuves dans les historiens ; & le mot hostis, dont on se servoit en latin pour dire un ennemi, ne signifioit au commencement qu'un étranger.

L'on rapporte à la seconde classe tous les traités par lesquels deux peuples entrent l'un à l'égard de l'autre dans quelque obligation nouvelle ou plus particuliere, comme lorsqu'ils s'engagent formellement à des choses auxquelles ils n'étoient point obligés auparavant.

Les traités par lesquels on s'engage à quelque chose de plus qu'à ce qui étoit dû en vertu du droit naturel commun à tous les hommes, sont de deux sortes ; sçavoir, ou égaux ou inégaux ; & les uns & les autres se font pendant la guerre ou en pleine paix.

Les traités égaux sont ceux que l'on contracte avec égalité de part & d'autre ; c'est-à-dire, dans lesquels non-seulement on promet de part & d'autre des choses égales purement & simplement, ou à proportion des forces de chacun des contractans : mais on s'y engage encore sur le même pié : ensorte que l'une des parties ne se reconnoît inférieure à l'autre en quoi que ce soit.

Ces sortes de traités se font en vûe du commerce, de la guerre, ou par d'autres considérations. A l'égard du commerce, on convient, par exemple, que les sujets de part & d'autre seront francs de tous impôts & de tous droits d'entrée & de sortie ; ou qu'on n'exigera rien d'eux plus que des gens mêmes du pays, &c. Dans les alliances égales qui concernent la guerre, on stipule, par exemple, que chacun fournira à l'autre une égale quantité de troupes, de vaisseaux, &c. & cela ou dans toute guerre, soit offensive soit défensive, ou dans les défensives seulement, &c. Les traités d'alliance peuvent encore rouler sur d'autres choses, comme lorsqu'on s'engage à n'avoir point de place forte sur les frontieres l'un de l'autre, à ne point accorder de protection ou donner retraite aux sujets l'un de l'autre, en cas de crime ou de desobéissance, ou même à les faire saisir & à les renvoyer, à ne point donner passage aux ennemis l'un de l'autre, &c.

Ce que l'on vient de dire fait assez comprendre que les traités inégaux sont ceux dans lesquels ce que l'on promet de part & d'autre n'est pas égal. L'inégalité des choses stipulées est tantôt du côté de la puissance la plus considérable, comme si elle promet du secours à l'autre, sans en fixer aucun de lui ; tantôt du côté de la puissance inférieure, comme lorsqu'elle s'engage à faire en faveur de la puissance supérieure, plus que celle-ci ne promet de son côté.

Toutes les conditions des traités inégaux ne sont pas de même nature. Les unes sont telles que quoiqu'onéreuses à l'allié inférieur, elles laissent pourtant la souveraineté dans son entier : d'autres, au contraire, donnent quelque atteinte à l'indépendance de l'allié inférieur. Ainsi dans le traité des Romains avec les Carthaginois, après la seconde guerre punique, il étoit porté que les Carthaginois ne pourroient faire la guerre à personne, ni au - dedans ni au-dehors de l'Afrique, sans le consentement du peuple romain ; ce qui donnoit évidemment atteinte à la souveraineté de Carthage, & la mettoit sous la dépendance de Rome.

Mais la souveraineté de l'allié inférieur demeure en son entier, quoiqu'il s'engage, par exemple, à payer l'armée de l'autre, à lui rembourser les frais de la guerre, à raser les fortifications de quelque place, à donner des otages, à tenir pour amis ou pour ennemis tous les amis ou ennemis de l'autre, à n'avoir point de places fortes en certains endroits, à ne point faire voile en certaines mers, &c.

Cependant, quoique ces conditions & d'autres semblables ne donnent point atteinte à la souveraineté, il faut convenir que ces sortes de traités d'inégalité ont souvent beaucoup de délicatesse ; & que si le prince qui contracte ainsi surpasse l'autre en grande supériorité de forces, il est à craindre qu'il n'acquiere peu-à-peu une autorité & une domination proprement ainsi nommée.

L'on fait une autre division des traités publics ; on les distingue en réels & personnels. Les traités personnels sont ceux que l'on fait avec un roi considéré personnellement ; ensorte que le traité expire avec lui. Les traités réels sont au contraire ceux où l'on ne traite pas tant avec le roi qu'avec tout le corps de l'état : ces derniers traités par conséquent subsistent après la mort de ceux qui les ont faits, & obligent leurs successeurs.

Pour savoir à laquelle de ces deux classes il faut rapporter tel ou tel traité, voici les principales regles que l'on peut établir.

1°. Il faut d'abord faire attention à la teneur même du traité, à ses clauses, & aux vûes que se sont proposées les parties contractantes. Ainsi s'il y a une clause expresse que le traité est fait à perpétuité, ou pour un certain nombre d'années, pour le roi régnant & ses successeurs, on voit assez par-là que le traité est réel.

2°. Tout traité fait avec une république est réel de sa nature, parce que le sujet avec lequel on contracte, est une chose permanente.

3°. Quand même le gouvernement viendroit à être changé de républicain en monarchique, le traité ne laisse pas de subsister, parce que le corps est toujours le même : il y a seulement un autre chef.

4°. Il faut pourtant faire ici une exception, c'est lorsqu'il paroît que la constitution du gouvernement républicain a été la véritable cause & le fondement du traité ; comme si deux républiques avoient contracté une alliance pour la conservation de leur gouvernement & de leur liberté.

5°. Dans un doute, tout traité public fait avec un roi doit être tenu pour réel, parce que dans le doute un roi est censé agir comme chef de l'état & pour le bien de l'état.

6°. Il s'ensuit de-là que comme après le changement du gouvernement démocratique en monarchique, un traité ne laisse pas de subsister avec le nouveau roi ; de même si le gouvernement devient républicain de monarchique qu'il étoit, le traité fait avec le roi n'expire pas pour cela, à-moins qu'il ne fût manifestement personnel.

7°. Tout traité de paix est réel de sa nature, & doit être gardé par les successeurs : car aussi-tôt que l'on a exécuté ponctuellement les conditions du traité, la paix efface toutes les injures qui avoient allumé la guerre, & rétablit les nations dans l'état où elles doivent être naturellement.

8°. Si l'une des parties ayant déjà exécuté quelque chose à quoi elle étoit tenue par le traité, l'autre partie vient à mourir avant que d'avoir exécuté de son côté ses engagemens, le successeur du roi défunt est obligé, ou de dédommager l'autre partie de ce qu'elle a fait ou donné, ou d'exécuter lui-même ce à quoi son prédécesseur s'étoit engagé.

9°. Quand il n'y a encore rien d'exécuté de part ni d'autre, ou quand ce qui a été fait de part & d'autre est égal, alors si le traité tend directement à l'avantage personnel du roi ou de sa famille, il est clair qu'aussi-tôt qu'il vient à mourir, ou que la famille est éteinte, le traité finit de lui-même.

10°. Enfin il est d'usage que les successeurs renouvellent les traités manifestement reconnus pour réels, afin de montrer qu'ils ne se croient pas dispensés de les observer, sous prétexte qu'ils ont d'autres idées touchant les intérêts de l'état, que celles qu'avoient leurs prédécesseurs.

L'on demande encore quelquefois s'il est permis de faire des traités & des alliances avec ceux qui ne professent pas la véritable religion. Je réponds qu'il n'y a point de difficulté là-dessus. Le droit de faire des traités est commun à tous les hommes, & n'a rien d'opposé aux principes de la vraie religion, qui loin de condamner la prudence & l'humanité, recommande fortement l'une & l'autre.

Pour bien juger des causes qui mettent fin aux traités publics, il ne faut que faire attention aux regles des conventions en général.

1°. Ainsi un traité conclu pour un certain tems expire au bout du terme dont on est convenu.

2°. Un traité expiré n'est point censé tacitement renouvellé ; car une nouvelle obligation ne se présume pas aisément.

3°. Lors donc qu'après le terme expiré on exerce encore quelques actes qui paroissent conformes aux engagemens du traité précédent, ils doivent passer plutôt pour de simples marques d'amitié & de bienveillance, que pour un renouvellement du traité.

4°. Il faut pourtant y mettre cette exception, à-moins que les choses que l'on a faites depuis l'expiration du traité, ne puissent souffrir d'autre interprétation que celle d'un renouvellement tacite de la convention précédente. Par exemple, si un allié s'est engagé à donner à l'autre une certaine somme par an, & qu'après le terme de l'alliance expiré, il en fasse le payement de la même somme pour l'année suivante, l'alliance se renouvelle par-là bien nettement pour cette année.

5°. C'est une suite de la nature de toutes les conventions en général, que si l'une des parties viole les engagemens dans lesquels elle étoit entrée par le traité, l'autre est dispensée de tenir les siens, & peut les regarder comme rompus ; car pour l'ordinaire tous les articles d'un traité ont force de condition, dont le défaut le rend nul.

6°. Cela est ainsi pour l'ordinaire, c'est-à-dire au cas que l'on ne soit pas convenu autrement ; car on met quelquefois cette clause, que la violation de quelqu'un des articles du traité ne le rompra pas entierement ; mais en même tems celui qui par le fait de l'autre souffre quelque dommage, doit en être indemnisé.

Il n'y a que le souverain qui puisse faire des traités publics ou par lui-même ou par ses ministres. Les traités faits par les ministres n'obligent le souverain & l'état, que lorsque les ministres ont été duement autorisés, & qu'ils n'ont rien fait que conformément à leurs ordres & à leur pouvoir. Chez les Romains on appelloit foedus, pacte public, convention solemnelle, un traité fait par ordre de la puissance souveraine, ou qui avoit été ratifié ; mais lorsque des personnes publiques avoient promis sans ordre de la puissance souveraine quelque chose qui intéressoit le souverain, c'est ce qu'on appelloit sponsio, une simple promesse.

En général il est certain que lorsque des ministres font sans ordre de leur souverain quelque traité concernant les affaires publiques, le souverain n'est pas obligé de le tenir, & même le ministre qui a traité sans ordre peut être puni suivant l'exigence du cas ; cependant il peut y avoir des circonstances dans lesquelles un souverain est tenu ou par les regles de la prudence, ou même par celle de la justice & de l'équité, à ratifier un traité quoique fait & conclu sans son ordre.

Lorsqu'un souverain vient à être informé d'un traité conclu par un de ses ministres sans son ordre, son silence seul n'emporte pas une ratification, à-moins qu'il ne soit d'ailleurs accompagné de quelque acte, ou de quelqu'autre circonstance qui ne puisse vraisemblablement souffrir d'autre explication ; & à plus forte raison, si l'accord n'a été fait que sous cette condition que le souverain le ratifiât, il n'est obligatoire que lorsque le souverain l'a ratifié d'une maniere formelle. (D.J.)

TRAITE PUBLIC, (Littérat.) si les anciens rompoient leurs traités publics aussi aisément que les puissances modernes, ils les contractoient du-moins avec de grandes & de graves solemnités. Vous trouverez dans Potter, Archaeol. graec. l. II. c. vj. les cérémonies que les Grecs observoient dans cette occasion ; nous en détaillerons aussi quelques - unes en particulier, d'après Pausanias, au mot TRAITE d'alliance. Tite-Live, liv. I. ch. xxjv. indique les usages des Romains dans la conclusion de leurs traités publics. On pourroit recueillir des anciens auteurs beaucoup de choses curieuses sur cette matiere, mais je ne sache pas que personne ait encore pris cette peine. (D.J.)

TRAITE d'alliance, (Antiq. grecq. & rom.) Pausanias a décrit tout au long & plus d'une fois les cérémonies qui s'observoient en pareille rencontre. On immoloit une victime dont par respect on ne mangeoit point la chair consacrée. Chaque contractant, après le sacrifice, répandoit une coupe de vin, ce qui s'appelloit libation, d'où les alliances se nommerent , & les infractions : pateramque tenentes, stabant, & caesâ jungebant foedera porca ; on se touchoit ensuite de part & d'autre dans la main droite, caedent in foedera dextrà ; & pour assurer les engagemens réciproques, on en prenoit à témoin les divinités vengeresses, principalement Jupiter , le dieu du serment. Pausanias dit que Philippe à force de se parjurer dans ses traités d'alliance, irrita le ciel & mérita qu'une mort violente & prématurée lui apprît qu'on ne se joue pas impunément des dieux. (D.J.)

TRAITE EXTRAORDINAIRE, (Finances) on nomme ainsi un accord qu'un souverain fait avec des gens d'affaires pour différens objets, moyennant des sommes d'argent qu'ils lui donnent pour ses projets, ou ses besoins pressans.

Dans ces conjonctures on traite quelquefois avec eux pour des produits de ferme de taxes qu'on leur abandonne, moyennant des sommes d'argent qu'ils avancent, ou dont ils font les fonds ; comme aussi pour la recherche de certains abus qui peuvent s'être commis par laps de tems au sujet de terres, de charges, d'offices, &c. car il est impossible de dire sur combien de choses ont été portés en divers tems & en divers lieux des traités particuliers & extraordinaires.

Mais on ne peut s'empêcher d'observer que leur effet est toujours de nuire au bien de l'état, parce que par cette voie le traitant enleve de force & par autorité à des milliers de familles leurs revenus & leurs capitaux, au-lieu qu'une imposition générale n'entameroit qu'une portion du revenu. On connoît trop bien pour en douter d'un côté l'art & la rapacité des traitans, & de l'autre les vices des traités extraordinaires. Il suffit pour le justifier de dire que ces sortes de traités tirérent depuis 1689 jusqu'à 1715, c'est-à-dire en 26 ans, des peuples de ce royaume, plus de huit cent quatre-vingt onze millions, sur laquelle somme on peut juger quel fut le bénéfice des gens d'affaires.

Ces mêmes traitans furent taxés au conseil à vingtquatre millions, & l'état de leur gain étoit de soixante & quatorze millions ; cependant quoique cette taxe fût modérée, il semble qu'on leur avoit accordé volontairement le droit de retirer d'aussi gros bénéfices, puisqu'ils les avoient acquis sous l'autorité publique ; mais la constitution politique étoit contraire à l'intérêt général. Le gouvernement crut manquer de crédit, tandis qu'il ne lui manquoit que de chercher des moyens plus naturels d'impositions générales & sur tout le corps de l'état. D'ailleurs comme le nombre de ceux qui font ces profits immenses est borné, il est évident que c'est un petit nombre de sujets qui engloutissent les richesses du royaume.

On ne peut guere supposer qu'il y ait eu plus de cinq cent personnes qui ayent été successivement intéressées dans ces diverses affaires pendant les vingt-six années dont nous avons parlé ; & si l'on suppose que leurs dépenses ont monté pendant cet intervalle de tems à deux cent millions, il doit leur être resté entre les mains un capital de six cent millions. L'argent cherche l'argent, & chacun conçoit que ceux qui indépendamment d'affaires lucratives par elles-mêmes se trouvent des capitaux immenses en argent, sont en état de faire l'acquisition de tous les papiers avantageux, de spéculer sur toutes les variations de la place, d'y influer même, enfin d'ajouter chaque jour quelques nouveaux degrés à leur fortune & à leur dépense. (D.J.)

TRAITE, dans le commerce, convention, contrat dont on tombe d'accord, & dont on regle les clauses & conditions avec une ou plusieurs personnes. Il se dit de tout ce qui peut entrer dans le commerce par achat, vente, échange, &c. On fait des traités pour des sociétés, pour des achats de fonds, de magasins ou de boutiques ; pour fretter des vaisseaux, pour les assurer & les marchandises qui sont dessus ; ces derniers se nomment polices d'assurance. Voyez POLICE & ASSURANCE. On fait aussi des traités pour des compagnies de commerce, pour des colonies, pour la fourniture des vivres & fourrages des armées, &c. Dict. de Comm.


TRAITEMENTS. m. (Gramm.) terme relatif à un bon ou mauvais procédé qu'on a avec quelqu'un, au bon ou mauvais accueil qu'on lui fait. Le vaincu a reçu toutes sortes de bons traitemens du vainqueur. On est aimé ou haï des peuples, selon le bon ou mauvais traitement qu'on leur fait.

Traitement se prend dans un autre sens pour les soins que le chirurgien a donnés à un malade. Tant pour le traitement de cette maladie.


TRAITERv. act. & n. (Gramm.) c'est être en négociation, en commerce, prendre des arrangemens, &c. On dit il traite de cette charge. On traite de la paix. C'est qualifier ; on dit il traita le pape de sa sainteté ; il veut qu'on le traite d'excellence. On vous traitera d'impertinent, si vous n'y prenez garde. C'est en user bien ou mal dans la société, ou dans le domestique ; comme elle m'a traité ! je la reverrois ! moi ! non, non, cela ne sera pas ; quand elle me rappelleroit, m'en prieroit. C'est tenir une bonne table ; il nous reçut chez lui & nous traita magnifiquement. C'est soigner un malade dans une maladie chirurgicale ; si vous croyez avoir cette maladie, personne ne vous traitera mieux que Keiser. Il est aussi relatif à l'objet d'une science, d'un ouvrage ; cet ouvrage traite de l'agriculture ; l'Astronomie traite du mouvement des astres ; à la maniere dont un auteur s'est acquité de sa tâche, il a bien traité son sujet. Les chairs y sont très-bien traitées ; les draperies y sont mal traitées. Voyez les articles suivans.

TRAITER, (Commerce) convenir de certaines conditions. On dit dans le commerce, traiter du fonds d'un marchand, traiter de ses dettes, traiter d'une action, c'est-à-dire convenir des sommes d'argent ou des conditions au moyen desquelles on veut acheter toutes ces choses.

Ce terme s'applique à la vente aussi-bien qu'à l'achat ; on dit en ce dernier sens, je veux traiter des actions que j'ai dans cette compagnie, c'est-à-dire les vendre & m'en défaire. Dict. de Comm.

TRAITER, signifie aussi faire un commerce.

Traiter des negres, traiter des castors, c'est faire en Guinée le commerce des negres, & en Canada celui des castors. On dit plus ordinairement pour l'un & pour l'autre faire la traite. Voyez TRAITE. Dict. de Commerce.

TRAITER, en termes de Boyaudier, c'est ôter avec des joncs entrelacés dans les deux cordes, le plus gros des matieres qui y sont restées, & qui pourroient être préjudiciables aux cordes en les pourrissant.

TRAITER, on dit en peinture, traiter un sujet ; voilà un sujet bien traité, admirablement traité ; lorsque la composition est belle, & que l'instant qui caractérise la scène ou sujet traité est bien saisi. Il est avantageux de traiter des sujets connus. Tel a traité le même sujet que tel, &c.


TRAITEURS. m. (art de Cuisine) cuisinier public qui donne à manger chez lui, & qui tient salles & maisons propres à faire noces & festins. Il y a à Paris une communauté de maîtres queux-cuisiniers, portes-chapes & traiteurs, érigée en corps de jurande par Henri IV. Savary. (D.J.)

TRAITEUR, (Comm.) on appelle ainsi à la Louisiane, les habitans françois qui vont faire la traite avec les Sauvages, & leur porter jusque dans leurs habitations, des marchandises qu'ils échangent contre des pelleteries. On les nomme en Canada coureurs de bois. Voyez TRAITE. Diction. de Com.


TRAITOIRES. f. terme de Tonnelier, instrument de tonnelier, qui sert à tirer & à allonger les cerceaux, en liant des tonneaux. Il est composé d'un crochet de fer, & d'un manche. (D.J.)


TRAITRES. m. (Gramm.) celui qui se sert de la confiance qu'on avoit en lui, pour nous faire du mal. Celui qui en use ainsi avec son roi, sa patrie, sa femme, ses enfans, les indifférens, sa maîtresse, son ami, mérite également ce nom.


TRAJANA LEGIO(Géog. anc.) ville de la Gaule belgique ; Ptolémée, l. II. c. ix. la marque entre Bonn & Mayence ; il y en a qui veulent que ce soit aujourd'hui Coblentz, & d'autres Drechthausen, places sur le Rhin. Cette ville pourroit bien être la même que Leg. XXX. Ulpia. (D.J.)


TRAJANECOLONNE, (Sculpt. anc.) on trouvera l'histoire de ce monument au mot COLONNE trajane ; nous ajouterons seulement ici que quoiqu'il soit vrai que toutes les regles de la perspective y sont violées ; que son ordonnance & même son exécution, sont en général contre l'art & le goût ; néanmoins ce monument est recommandable pour quelques usages qu'il nous a conservés, & pour quelque partie de l'art ; ainsi l'artiste & l'homme de lettres, doivent également l'étudier par le profit qu'ils en peuvent retirer. (D.J.)


TRAJANOPOLI(Géog. mod.) petite ville dépeuplée de la Turquie européenne, dans la Romanie, sur la riviere de Mariza, entre Enos & Andrinople, avec un archevêque grec. Cette ville est la Trajanopolis que Ptolémée, l. III. c. xj. marque en Thrace, sur le fleuve Hebrus. Long. 14. 6. latit. 41. 14. (D.J.)


TRAJANOPOLIS(Géog. anc.) les Géographes nomment quatre villes de ce nom.

1°. Une ville de Thrace, sur le fleuve Hebrus ; Ptolémée, l. III. c. xj. la marque dans les terres. C'est une ville de la Romanie sur la rive gauche de la Mariza, entre Andrinople & Enos, à-peu-près à égale distance de ces deux lieux. Cette ville, quoique petite & mal peuplée, est encore le siége d'un archevêque.

2°. Ville de la Mysée, entre Antandrus & Adramyte, à une petite distance de la mer.

3°. Trajanopolis ou Tranopolis, ville de l'Asie mineure, dans la grande Phrigie : elle a eu un évêque.

4°. Trajanopolis, ville de la Cilicie-trachée, ou âpre ; c'est la même que Selinunte où mourut l'empereur Trajan, comme nous l'avons remarqué au mot SELINUNTE. Dion Cassius dit en parlant de ce prince : Selinuntem Ciliciae veniens, quam nos Trajanopolim appellamus, illicò expiravit. (D.J.)


TRAJANUS PORTUS(Géog. anc.) 1°. port d'Italie, sur la côte de Toscane, entre le port de Livourne, & le promontoire Telamoné, selon Ptolémée, l. III. c. j.

2°. Port d'Italie, sur la côte de l'Etrurie, entre Algae & Castrum novum. Ce port qui se trouvoit le plus considérable de toute la côte, depuis Livourne jusqu'à Naples, s'appella d'abord Centum-Cellae, & prit ensuite le nom de Trajan, lorsque cet empereur y eut fait de grandes réparations. Pline le jeune est le seul qui parle de ce port ; s'il est vrai qu'il soit différent de celui que Ptolémée place entre le port de Livourne, & le promontoire Telamoné. Quoi qu'il en soit, le nom du fondateur ne subsista pas longtems, peut-être parce que le nom de la ville Centum-Cellae, fit éclipser par sa célébrité le nom du port. Centum-Cellae est aujourd'hui connu sous le nom de Cincelle, & plus généralement encore, sous celui de Civita-Vecchia.

3°. Port d'Italie, à l'embouchure du Tibre ; ce port fait par l'empereur Claude, est appellé par les auteurs anciens, le port de Rome, le port d'Auguste, non pour avoir été bâti par Auguste, mais parce que le nom d'Auguste, étoit devenu commun aux empereurs. Dans la suite, Trajan répara ce port, & en bâtit un autre beaucoup plus commode & plus sûr, auquel il donna son nom ; de sorte qu'il y eut alors deux ports à l'embouchure droite du Tibre ; l'un extérieur, appellé le port d'Auguste ; l'autre intérieur, nommé le port de Trajan. Tout cela, dit Cluvier, est appuyé sur les témoignages de Juvenal & de son scholiaste, sur une vieille inscription, & sur une ancienne médaille. Le port extérieur ou le port d'Auguste, est aujourd'hui comblé par les sables ; mais le port intérieur ou le port de Trajan, conserve encore en partie son ancienne forme. On y voit les ruines des églises & des édifices publics ; & on le nomme à présent il Porto. Voyez PORTO. (D.J.)


TRAJECTOIRES. f. en Géométrie, est le nom qu'on a donné aux courbes qui coupent perpendiculairement, ou sous un angle donné, une suite de courbes du même genre, qui ont une origine commune, ou qui sont situées parallelement.

Ainsi la courbe M N O, (fig. 101. Géom.) qui coupe perpendiculairement une infinité d'ellipses A C B, A c b, &c. décrites d'un même sommet A, est nommée trajectoire. Il en est de même de la courbe M N O, (fig. 102. Géom.) qui coupe perpendiculairement une infinité d'ellipses A C B, a c b, &c. égales entr'elles, & situées sur le même axe.

M. Leibnitz proposa en 1715, aux géometres anglois de déterminer en général la trajectoire d'une suite de courbes qui avoient le même point pour sommet, & dans lesquelles le rayon de la développée étoit coupé par l'axe en raison donnée. Ce problème fut résolu d'une maniere très-générale par plusieurs d'entr'eux, entr'autres, par M. Taylor. Voyez les actes de Leipsic, de 1717. On trouve dans ces mêmes actes différentes solutions fort générales de ce même problème, dont la plûpart ont été recueillies dans le tome II. des oeuvres de M. Bernoulli, imprimées à Lausanne en 1743. M. Nicole en a aussi donné une solution dans les Mém. de l'académie des sciences de Paris, pour l'année 1725.

Trajectoire réciproque, est le nom que M. Jean Bernoulli a donné à une courbe A C B, (fig. 103. Géom.) dont la propriété est telle, que si on fait mouvoir cette courbe parallelement à elle-même le long de son axe A A, & qu'on fasse en même tems mouvoir le long de a a, parallele à A A, une courbe a c b, égale & semblable à A C B, ces courbes A C B, a c b, se coupent toujours perpendiculairement l'une l'autre. Voyez dans les oeuvres de M. Bernoulli, que nous avons citées, différentes solutions de ce problème, données par plusieurs savans géometres.

On n'attend pas sans-doute que nous entrions ici dans le détail de ces solutions qui renferment la géométrie la plus relevée ; tout ce que nous pouvons dire, c'est que ce problème est indéterminé ; qu'il y a une infinité de courbes qui y satisfont ; & que M. Bernoulli & d'autres, en ont déterminé plusieurs, tant géométriques que méchaniques, & donné la méthode générale pour les trouver toutes. Voyez PANTOGONIE. (O)

TRAJECTOIRE, s. f. en Méchanique, se dit de la courbe que décrit un corps animé par une pesanteur quelconque, & jetté suivant une direction donnée & avec une vîtesse donnée, soit dans le vuide, soit dans un milieu résistant.

Galilée a le premier démontré que dans le vuide, & dans la supposition d'une pesanteur uniforme, toujours dirigée suivant les lignes paralleles, la trajectoire des corps pesans étoit une parabole. Voyez PROJECTILE, BALISTIQUE, &c.

M. Newton a fait voir dans ses principes que les trajectoires des planetes, ou ce qui revient au même, leurs orbites, sont des ellipses. Voyez PLANETE & PHILOSOPHIE NEWTONIENNE ; & ce philosophe a enseigné dans le même ouvrage, prop. xli. du liv. I. une méthode générale pour déterminer la trajection d'un corps qui est attiré vers un point donné dans le vuide par une force centripete réglée suivant une loi quelconque. M. Jean Bernoulli, dans les mém. de l'acad. des Sciences de 1710, a résolu ce même problême par une méthode qui ne differe presque point de celle de M. Newton ; & différens auteurs en ont donné ensuite des solutions plus ou moins simples.

A l'égard des trajectoires dans le vuide, M. Newton a déterminé dans le II. livre de ses principes, celles que doivent décrire les corps pesans dans un milieu résistant en raison de la vîtesse ; M. Keill proposa en 1719 à M. Jean Bernoulli de trouver les trajectoires dans un milieu résistant comme une puissance quelconque de la vîtesse, & M. Bernoulli résolut assez promtement ce problème, comme on le peut voir dans le second volume in -4°. du recueil de ses oeuvres imprimées à Lausanne en 1743. Ce qu'il y a de singulier, c'est qu'il ne paroît pas que M. Keill eût trouvé de son côté la solution qu'il proposoit à d'autres : du moins il n'en a donné aucune. M. Euler dans le tom. II. de sa méchanique imprimée à Petersbourg en 1736, a aussi déterminé en général les trajectoires dans un milieu résistant comme une puissance quelconque de la vîtesse. On trouve dans le traité de l'équilibre & du mouvement des fluides imprimé à Paris chez David 1744, une solution fort simple de ce problème, d'où l'on déduit la construction des trajectoires dans quelques hypothèses de résistance où on ne les avoit point encore déterminées. Voyez les articles 356 & 357 de ce traité. (O)

TRAJECTOIRE d'une planete ou d'une comete (Astronomie) est la route, l'orbite ou la ligne qu'elle décrit dans son mouvement. Voyez ORBITE.

Quoique les cometes paroissent décrire assez exactement un grand cercle de la sphere, il ne faut pas s'imaginer pour cela que leur véritable cours se fasse dans la circonférence d'un cercle ; car les mêmes apparences s'observeront constamment, soit qu'une comete se meuve dans une ligne droite, soit dans une courbe quelconque, pourvu qu'elle ne sorte pas du même plan. En effet dès que l'on suppose qu'un corps se meut à une distance fort grande, dans un plan qui passe par l'oeil, tout corps en mouvement quel qu'il soit, & quelque route qu'on lui attribue, paroîtra constamment dans la circonférence d'un grand cercle ; aussi le plus grand nombre des philosophes & des astronomes du dernier siecle ont-ils supposé que les trajectoires des cometes étoient rectilignes. Hevelius est le premier qui se soit apperçu que ces trajectoires se courboient en s'approchant du soleil. Enfin M. Newton est venu qui a démontré que les cometes se mouvoient dans des orbites fort approchantes d'une parabole dont le soleil occupoit le foyer, ou plutôt dans des ellipses si excentriques que dans la partie qui nous est visible, elles ne different point sensiblement d'une parabole.

Newton, dans la xli. proposition de son III. liv. enseigne la maniere de déterminer la trajectoire d'une comete par le moyen de trois observations, & dans sa derniere proposition, celle de corriger la trajectoire pour la connoître le plus exactement qu'il est possible. Voyez COMETE.

M. Halley, dans sa cométographie traduite en françois par M. Lemonnier, nous a donné le calcul des trajectoires des vingt-quatre cometes depuis le tems de Nicéphore Gregoras & de Regiomontanus jusqu'au commencement de ce siecle ; toutes ces trajectoires ont été calculées dans la supposition qu'elles soient des paraboles. On trouve dans la derniere édition des principes mathématiques de la philosophie naturelle, le calcul de la trajectoire de la comete de 1680, dans l'hypothese que cette comete se meuve dans une ellipse fort excentrique ; ce calcul a été fait par M. Halley, qui pour déterminer l'excentricité de cette comete, a supposé sa période de 575 ans. La meilleure maniere de calculer les trajectoires en les supposant elliptiques, seroit de se servir pour cela de quelques observations du lieu & du mouvement apparent de la comete ; mais il faudroit qu'elles fussent fort exactes ; car une petite erreur dans ces observations en produiroit une fort grande dans le calcul de l'excentricité, & par conséquent du tems périodique.

Depuis les 24 cometes calculées par M. Halley, différens astronomes en ont calculé plusieurs autres, dont on peut voir la liste dans les élémens d'Astronomie de M. l'abbé de la Caille qui a eu la principale part à ces calculs.

M. Newton & plusieurs autres géometres après lui, nous ont donné le moyen de faire passer une trajectoire par cinq points donnés, en supposant que cette trajectoire soit une section conique ; pour cela il faut joindre deux des points donnés par une ligne droite, deux autres par une autre, & par le cinquieme point tirer une parallele à cette seconde ligne ; ensuite on prendra pour l'équation générale de la trajectoire yy + xy + b xx + cx + cy = 0 (Voyez COURBE), en omettant le terme constant, parce que y & x sont ici = 0 à la fois ; ensuite on nommera A, B, les deux abscisses connues, & C, D, E, les ordonnées correspondantes ; & au moyen de ces cinq données & de la seconde valeur de x qui répond à l'ordonnée = 0, on déterminera les quatre inconnues a, b, c, e. N. B. qu'il n'y a point ici plus d'inconnues qu'il ne faut, parce que les constantes a, b, qui sont des nombres & non des lignes, se détermineront en fractions C/A, D/A, E/B, &c. (O)


TRAJECTUou TRAJECTUS, (Géog. anc.) mot latin qui signifie le passage d'un bras de mer ou d'une riviere, & dont on a fait en françois le mot trajet qui y répond. L'itinéraire d'Antonin donne ce nom entr'autres au passage du bosphore de Constantinople, à celui qui est entre l'Italie & la Sicile, & au passage du Rhin dans l'endroit où est aujourd'hui la ville d'Utrecht. Il le donne aussi au passage de l'Italie dans la Dalmatie. Détaillons les exemples.

1°. Trajectum ou Trajectus, lieu de la Germanie inférieure, que l'itinéraire d'Antonin marque entre Albiana & Mannaritium, à dix-sept milles au-dessus du premier de ces lieux, & à quinze milles au-dessous du second. Ce n'étoit d'abord qu'un château ; il s'y forma dans la suite une ville qui devint considérable. Du tems de Charlemagne on appelloit ce lieu vetus Trajectus, d'où on fit dans la langue du pays Olt-Trecht, qui signifie la même chose, & qui a depuis été corrompu en Utrecht. Quelques-uns qui ont voulu latiniser ce nom, ont dit Ultrajectum ; mais le vrai mot latin est Trajectus Rheni ou Trajectus ad Rhenum.

2°. Trajectum superius ad Mosam, c'est-à-dire le passage de la Meuse, aujourd'hui Maestricht. Attila, roi des Huns, ayant ruiné en 451 la ville de Tongres, les évêques de cette ville transporterent leur siege à Trajectum ad Mosam, & en prirent le nom de Trajectenses episcopi, comme nous l'apprenons de leurs vies. Grégoire de Tours, hist. l. II. c. v. qui est le plus ancien auteur qui parle de cette ville, l'appelle trajectensis urbs. Ce nom fut dans la suite corrompu en différentes façons. On écrivit Trijectum, oppidum trijectense, municipium Trejectum, districtum Trectis. Enfin on trouve cette ville nommée Triectum sur cinq médailles des anciens rois de France recueillies par Botarotius. Elles ont toutes cinq cette inscription, Triecto Fit.

3°. Trajectus, lieu de la grande Bretagne. L'itinéraire d'Antonin le marque sur la route d'Isca à Calleva, entre Abon & Aquae-solis, à neuf mille pas du premier de ces lieux, & à six mille du second. Je demande le nom moderne à M. Gale. (D.J.)


TRAJETS. m. (Gram.) espace qui sépare un lieu d'un autre, & qu'il faut traverser pour arriver du premier au second. On dit le trajet de Calais à Douvre, & le trajet de Paris à Vienne ; ainsi il est indifférent que les lieux soyent séparés par des terres ou des eaux.


TRAJETTO(Géog. mod.) petite ville d'Italie, au royaume de Naples, dans la terre de Labour, vers l'embouchure du Garigliano, sur une côte près des ruines de l'ancienne Minturnae. Longit. 31. 56. latit. 41. 5. (D.J.)


TRALou TRASLE, Voyez MAUVIS.


TRALLES(Géog. anc.) ou TRALLIS, car les auteurs emploient ce mot indifféremment au pluriel & au singulier. Tralles étoit une ville de l'Asie mineure dans la Lydie, ayant à la gauche la montagne Mésogis, & à la droite la campagne du Méandre. Strabon dit qu'elle étoit riche, peuplée, & fortifiée de tous côtés par la nature.

M. Wheler dans son voyage de l'Anatolie, tome I. page 337. rapporte avoir vu deux médailles de la ville de Tralles, l'une de l'empereur.... sous le consulat de Modestus : le revers est une riviere avec ces lettres : , c'est-à-dire des Tralliens. Cette gravure fait voir que Tralles étoit située sur une riviere, ou proche d'une riviere ; & cette riviere étoit le Méandre. Trallis, continue Wheler, étoit une grande ville où s'assembloient ceux qui étoient employés au gouvernement de l'Asie. M. Smith assure qu'elle est aujourd'hui absolument détruite ; il en reste pourtant les ruines, que les Turcs appellent Sultan-Hesser, ou la forteresse du sultan. On les voit sur une montagne, à demi-lieue du Méandre, sur le chemin de Laodicée à Ephese, à vingt heures de chemin de la premiere, près d'un village appellé Teke - qui.

L'autre médaille est de l'empereur Galien : elle a sur le revers une Diane qui chasse, & on lit ces lettres autour, , c'est-à-dire des Tralliens.

Cette description s'accorde assez bien avec celle de Strabon, qui met Tralles sur une éminence ; & comme cette ville n'étoit qu'à une demi-lieue du Méandre, la distance n'étoit pas assez grande pour empêcher qu'elle ne pût être mise au nombre des villes bâties sur ce fleuve.

La ville de Trallis eut divers autres noms ou surnoms. Pline, l. V. c. xxix. lui donne ceux d'Evantia, de Seleucia & d'Antiochia. Etienne le géographe dit qu'on la nomma auparavant Antheia, à cause de la quantité de fleurs qui croissoient aux environs.

La notice d'Hiéroclès marque la ville de Trallis dans la province proconsulaire d'Asie, sous la métropole d'Ephese.

Phlegon, affranchi de l'empereur Adrien, étoit de Tralles, & vivoit au commencement du second siecle. Il composa plusieurs ouvrages, entr'autres une Histoire des olympiades, divisée en seize livres ; mais dont il ne nous reste qu'un fragment. La meilleure édition des débris de cet auteur, est celle que Meursius a pris soin de publier à Leyde en 1622, en grec & en latin, avec des remarques.

Comme dans ces débris Phlegon parle d'une éclipse de soleil mémorable, arrivée en la deux cent deuxieme olympiade, c'est une grande question de savoir si cette éclipse est la même que celle des ténebres qui parurent à la mort de J. C. & cette question fut vivement agitée il y a 30 ans en Angleterre, dans plusieurs écrits pour & contre.

Le docteur Sykès (Arthur Ashley) mit au jour à Londres, en 1732, une dissertation dans laquelle il soutint qu'il est très-probable que l'éclipse dont Phlegon a parlé, étoit une éclipse naturelle arrivée le 24 Novembre de la premiere année de la deux cent deuxieme olympiade, & non dans la quatrieme année qui est celle de la mort de J. C. M. Whiston opposa à cette dissertation une piece intitulée : Le témoignage de Phlegon défendu ; ou, Relation des ténebres & du tremblement de terre arrivé à la mort de J. C. donné par Phlegon, avec tous les témoignages des auteurs payens & chrétiens qui confirment cette relation. Le docteur Sykès répondit par une replique intitulée : Défense de la dissertation sur l'éclipse dont Phlegon fait mention, où l'on prouve plus particulierement que cette éclipse n'a aucun rapport avec les ténebres arrivées à la mort de notre Sauveur, & où l'on examine en détail les observations de M. Whiston. Londres 1733, in-8 °.

Cette défense du docteur Sykès, lui attira de nouveaux adversaires, entr'autres Jean Chapman & Thomas Dawson, qui lui repliquerent ainsi que M. Whiston. Tous ces écrits polémiques sont contre l'ordinaire extrêmement précieux à recueillir, car outre qu'ils ne renferment aucune personnalité, on n'a point encore traité de question critique avec plus de recherches curieuses, & avec plus de profondeur d'érudition. Voyez l'article Phlegon du diction. de Jacques Georges de Chaufepié.

Anthémius qui fleurissoit au sixieme siecle, sous le regne de Justinien, étoit aussi de Tralles. Il passa pour très-habile dans l'Architecture, la Sculpture & les méchaniques. (D.J.)


TRALLEY(Géog. mod.) ou TRALLY, petite ville d'Irlande, dans la province de Mounster, au comté de Kerri, à quatre milles de la mer. Elle envoye deux députés au parlement de Dublin. (D.J.)


TRAMAILS. m. (Chasse) c'est un grand filet pour prendre des oiseaux la nuit en pleine campagne. Il ressemble beaucoup à un autre filet que les Anglois appellent cloche, avec lequel ils chassent aux oiseaux avec du feu.

Ce mot vient du latin tremaculum, ou de macula, parce que ce filet est composé de trois rangs de mailles.

On l'étend sur la plaine, desorte qu'une de ses extrêmités garnie de petites boules de plomb, pose librement sur la terre, & que l'autre extrêmité soutenue par des hommes, se traîne le long du champ, pendant que d'autres hommes portent des deux côtés des lumieres qui jettent beaucoup de flamme ; ce qui obligeant les oiseaux de s'envoler, ils se prennent dans le filet à mesure qu'ils se levent. Voy. CLOCHE.

TRAMAIL, terme de Pêcheur, filet propre à pêcher dans les petites rivieres ; il est composé de trois rangs de mailles en lozange, mises les unes devant les autres, dont celles de devant & de derriere sont fort larges, & faites d'une petite ficelle. La toile du milieu qui s'appelle la nappe, est faite d'un fil délié ; elle s'engage dans les grandes mailles qui en bouchent l'issue au poisson qui v est entré. (D.J.)


TRAMAUXTRAMATS, TRAMAILLONS, s. m. pl. terme de Pêche ; ce sont des filets de la même espece que ceux de la dreige, Voyez DREIGE, c'est-à-dire composés de trois filets appliqués l'un sur l'autre ; ce que signifie visiblement tramail, ou composé de trois mailles. La pêche des tramaux differe de la dreige, en ce que le filet est sédentaire sur le fond de la mer. Pour cet effet, il est pierré par le bas, & garni de flottes par le haut. A chacune de ses extrêmités est frappée une cabliere : il peut avoir 4 à 5 piés de haut. A ses extrêmités sont des cordages sur lesquels sont frappées des bouées, par le moyen desquelles on retrouve le filet que l'on établit, en sorte qu'il croise la marée. Ce filet prend toutes sortes de poissons plats & ronds indifféremment.

Les Pêcheurs relevent plusieurs fois leurs filets, c'est-à-dire qu'ils font plusieurs marées avant de le retirer tout à-fait, & le rapporter à terre. La tissure d'un bateau peut avoir 6 à 700 brasses en tout, & les Pêcheurs ne s'éloignent guere plus que d'une lieue & demie ou environ de la côte.

Les flamaux de ces tramails ont huit pouces en quarré, & la toile, nappe ou flue est d'un fil très-fin, & a deux pouces en quarré, en quoi elle differe beaucoup de la dreige ou traine en pleine mer.

Il y a une autre sorte de tramaux qui ne sont ni sédentaires, ni en dreige ; ils sont dérivans à la marée, & tout autrement établis que les autres.

La tissure est composée d'autant de deux pieces de tramaux, qu'il y a d'hommes d'équipage dans le bateau qui fait cette pêche. Le filet n'a au plus que 4 piés de haut. La tête est garnie de flottes de liege, & le bas d'environ une livre de plomb par brasses. Les pieces de tramail ne sont point jointes l'une à l'autre côte à côte, comme celle de la dreige usitée aux côtes de Normandie & de Picardie ; mais elles sont séparées les unes des autres par un bout de funin de 8 brasses environ de longueur, lequel est frappé sur la tête de la deuxieme piece de tramail ; ainsi successivement jusqu'au bout. On frappe au commencement & à la fin de la tessure, un cordage plus foible que le funin qui unit les pieces de tramail. On frappe sur cette corde une bouée de liege, & on met un semblable cordage garni d'une bouée entre chaque piece de tramaux, pour soutenir de distance en distance la tessure que l'on descend, ou que l'on releve selon qu'on le juge convenable, & que la profondeur de l'eau l'exige.

On pêche de cette maniere toutes sortes de poissons plats. Les Pêcheurs ne restent pas sur leurs filets, qu'ils viennent retrouver aisément suivant leur estime, & ils nomment ce filet des tramaux cachants à la dérive.

Quand les Pêcheurs se servent de ces tramaux à la mer, ils les tendent en rets traversant entre les roches, & font la même manoeuvre que les Pêcheurs aux filets nommés picots. Les Pêcheurs dans leurs barques se mettent entre la terre & le tramail, & battent l'eau avec leurs avirons, pour faire lever & faire fuir les poissons plats & ronds dans le filet qu'ils relevent d'abord qu'ils ont cessé leur batture ; & souvent ils font en une heure trois battures. Ils font cette sorte de pêche à la mer, le long des côtes, en tout tems, & sur-tout lorsqu'ils ne peuvent pêcher dans l'embouchure de la riviere, soit à cause des glaces, de la vase ou débordement ; mais quand ils peuvent pêcher dans la riviere, ils font la pêche en dérive. Voyez les figures 3. Pl. V. & la figure 1. Pl. VIII. de Pêche. La premiere représente les tramaux sédentaires, sur le fond de la mer ; & la seconde, les tramaux dérivans à la marée.

Il y a aussi des tramaux ou folles tramaillées, dont les pêcheurs du ressort du comté de Calais se servent pour faire la pêche. Les filets sont les grands tramaux ou folles tramaillées, les cibaudieres, mailles royales, ou demi - folles, les bas parcs, des cordes de pié, mais peu de ruchers ou grenadieres ; ils ont commencé à abandonner l'usage de ces derniers.

Les folles flottées tramaillées sont d'un calibre neuf fois plus grand que l'ordonnance de 1681 ne l'a déterminé pour les folles dont la maille est fixée à cinq pouces en quarré ; celles de sangatte ont jusques à douze & treize pouces en quarré. Il en est de même de la nappe ou flue de ces filets, qui ont entre cinq & six pouces en quarré ; la maille de la toile, nappe ou flue des tramaux a été fixée par l'ordonnance à 21 lignes seulement en quarré ; ainsi celle de ces pêcheurs sont trois fois trop larges.

Ces filets se tendent flottés, arrêtés par le pié avec des torques ou bouchons de paille, placés de demi-brasse en demi-brasse, enfoncés d'un pié dans le sable, le long des écores ou de la chûte des bannes. Pour contenir la tête des folles tramaillées & chargées de flottes de liége, le pêcheur place de distance en distance de petites lignes frappées sur celle des flottes dont le bout pareillement garni de torques de paille, est enfoncé aussi dans le sable, de maniere que la marée ne puisse élever le filet qu'à la hauteur seulement de trois piés au plus, & comme ce ret en a plus de quatre, il forme une espece de ventre, poche ou follée, où s'arrêtent les poissons qui tombent dans les filets au retour de la marée, & qui y restent pris ; le ret est placé en demi-cercle, suivant la disposition du banc de sable au pié duquel les pêcheurs le tendent ; chaque piece de ces folles a 9 à 10 brasses de longueur.

Le carra, sorte de pêche qui se pratique aux passages aux échenaux du bassin d'Arcasson, dans le ressort de l'amirauté de Bordeaux, se fait avec un filet tramaillé ; mais la manoeuvre est différente de celle des autres tramaux qui servent à la pêche à la grande mer ou dans la baye. Les mailles de la carte de cette espece de filet que les pêcheurs nomment aumaillade du tramail, sont très-serrées, n'ayant au plus que neuf lignes en quarré ; les pieces d'aumaillades ont environ vingt-cinq à trente brasses de long. On en joint deux ensemble pour en faire une petite tissure, qui n'a au plus que demi-brasse de hauteur ; cette pêche & celle des tramaux ou tramaillons dérivans, se fait en tout tems sur les échenaux ; il faut deux hommes dans une pinasse pour la faire ; on jette le ret par le travers de l'échenal ; sur le bout forain est frappé une bouée de gourde ou de liége ; l'autre bout est amarré à la pinasse qui va à la dérive & entraîne avec elle le tramail qui roule sur les fonds au gré de la marée ; les pêcheurs tâchent de faire toujours croiser l'échenal par le filet qui est peu chargé de plomb par le pié ; les pêcheurs le relevent de tems-en-tems pour en ôter le poisson qui s'y trouve pris, & ils remettent leurs aumaillades à l'eau plusieurs fois à chaque marée ; on prend de cette maniere des mêmes especes de poissons qu'avec les tramaux sédentaires, mais en bien moindre quantité, à ce qu'assurent les pêcheurs.


TRAMBLOWA(Géog. mod.) petite ville, ou plutôt bourg de la petite Pologne, dans le palatinat de Podolie, sur la riviere de Kerizen. (D.J.)


TRAMES. m. (Manufact.) ou TREME, ce terme signifie les fils que les Tisseurs, Tisserans & Tissutiers, font passer transversalement avec une espece d'outil appellé navette, entre les fils de la chaîne, pour former sur le métier des étoffes, des toiles, des bazins, des futaines, des rubans, &c. Les trames sont de différentes matieres, suivant les marchandises que l'on veut fabriquer. Dans les taffetas, la trame & la chaîne sont toutes de soie ; dans les moires, la trame est quelquefois de laine, & la chaîne de soie ; dans les serges, la trame est de laine aussi-bien que la chaîne ; les tiretaines ont la chaîne de fil, & la trame de laine. Le mot trame semble venir de transmeare, parce que la trame est poussée au-travers des fils de la corde, étendus en longueur sur le métier. (D.J.)


TRAMERv. act. c'est préparer la trame.

TRAMER FIN, (Rubanier) se dit lorsqu'au lieu de faire sa trame d'une grosseur raisonnable, on la fait excessivement fine, ce qui épargne à la vérité beaucoup de matiere, mais rend l'ouvrage plus long dans la fabrique, parce qu'il faut frapper plus fort ; la trame par sa finesse emplissant moins la duite, les coups de battans étant multipliés ; c'est donc l'ouvrier seul qui souffre de ce ménage, contre lequel il a souvent lieu de réclamer ; il est vrai qu'il y a des ouvrages qui demandent cette précaution pour leur perfection ; en ce cas, il seroit de la justice des maîtres de compenser cette nécessité par quelque petite reconnoissance de leur part.


TRAMEURS. m. terme de Manufacture ouvrier dont l'occupation est de disposer les fils des trames, pour être employées à la fabrique des étoffes. (D.J.)


TRAMILLONSS. m. terme de Pêche, filet tramaillé, c'est-à-dire, composé de trois filets appliqués l'un sur l'autre ; la manoeuvre est la même que celle des alosteres ; la tête est garnie de flottes de liége, & le bas est plombé.

Les pêcheurs s'en servent pour prendre des éperlans : on fait cette pêche seulement d'ebbe & de jour ; car de nuit & de flot on ne prendroit rien ; le bout forain du filet est soutenu d'une bouée, & l'autre dérive à la marée. Voyez TRAMAUX.


TRAMONTANES. f. (Navig.) est proprement le nom de l'étoile polaire, en tant qu'elle sert à conduire les vaisseaux sur mer ; d'où est venu le proverbe, il a perdu la tramontane, c'est-à-dire, il est déconcerté.

Tramontane, signifie aussi en Italie & sur la mer Méditerranée un vent qui souffle du côté qui est audelà des monts, par rapport à l'Italie. Chambers.


TRANCHANTS. m. (Gram.) c'est dans un outil destiné à couper, la partie qui est opposée au dos & qui coupe. On dit le tranchant d'un rasoir, d'un couteau ; mettre à tranchant. Tranchant est aussi le participe du verbe trancher, & se prend adjectivement, comme lorsqu'on dit un instrument tranchant.


TRANCHES. f. (Géom.) quand on conçoit qu'un prisme, un cylindre, une pyramide, un cône, &c. sont coupés par des plans paralleles à la base, les sections qui en naissent s'appellent des tranches : on donne même quelquefois ce nom aux portions solides comprises entre deux coupes. (E)

TRANCHE de marbre, (Architect.) morceau de marbre mince, qu'on incruste dans un compartiment, ou qui sert de table pour recevoir une inscription. (D.J.)

TRANCHE, en terme d'Eperonnier, est un outil en forme de ciseau, logé dans un morceau de bois rond & fendu, dans lequel la tranche est retenue par deux liens de fer ; ce bâton se nomme bois de la tranche. Voyez les fig. Pl. de l 'ÉPERONNIER.

TRANCHE, en terme de Doreur sur cuir, est une petite bande d'or pour faire les bords des livres qu'on relie en veau & qu'on dore.

TRANCHE, terme de Ferranderie, outil dont les Serruriers & les autres ouvriers en fer se servent pour couper & fendre les barres de fer à chaud. Cet outil est d'acier ou de fer bien acéré en forme d'un coin ou gros ciseau, de cinq ou six pouces de long, avec un long manche de bois. (D.J.)

TRANCHE, sorte de couteau dont les Fondeurs en sable se servent pour réparer & tailler les moules qu'ils construisent ; c'est une lame de fer roulée par un bout & aiguisée en langue de carpe tranchante des deux côtés par l'autre. Voyez les fig. Pl. du Fondeur en sable.

TRANCHE, terme de Laboureur ; c'est un outil de fer qui coupe la terre, lequel a divers noms, selon la diversité des contrées ; les uns l'appellent pioche, les autres ouille, quelques-uns ouillant. Dict. économiq.

TRANCHE, (Monnoie) ce terme de monnoie signifie la circonférence des especes, autour de laquelle on imprime une légende ou un cordonnet, pour empêcher que les faux-monnoyeurs ne les puissent rogner ; on ne peut marquer que les écus de la légende, Domine salvum fac regem, parce que le volume peut porter des lettres sur la tranche ; mais le volume des autres especes, tant d'or que d'argent, ne sauroit porter sur la tranche qu'un cordonnet avec un grenetis des deux côtés, ou seulement une hachure. L'usage de mettre une légende sur la tranche des monnoies, a commencé en Angleterre. François le Blanc dans son traité des monnoies de France, dit qu'il faut espérer qu'un jour on protégera la nouvelle invention qui marque les monnoies sur la tranche, en même tems que la tête & la pile. Ce souhait qu'il faisoit en 1690, ne fut pas long-tems à être accompli dans ce royaume. (D.J.)

TRANCHE, terme de Relieur ; ce mot s'entend de l'endroit du livre par où il a été rogné sur la presse, c'est-à-dire, de l'extrêmité des feuillets que l'on dore, ou que l'on met en couleur. On dit dorer, noircir, rougir & marger sur tranche, selon que c'est de l'or, ou de quelqu'une de ces couleurs que l'on met sur la tranche. (D.J.)

TRANCHE, (Coutelier, Tailland. Serrur.) & autres ouvriers en fer. Ils en ont de deux sortes ; l'une en forme de coin, prise dans un gros morceau de bois, fendu par le bout, & retenu dans cette fente par deux cercles de fer. Elle sert à ouvrir les grosses barres de fer. L'autre à queue, qu'on place dans un trou pratiqué vers la base de la bigorne de l'enclume. Elle sert à couper de petits morceaux de fer, à séparer des petits ouvrages, de la barre dont on les a faits. La premiere de ces tranches se pose sur le morceau de fer à trancher ou à ouvrir ; un ouvrier tient le morceau de fer, pose dessus la tranche, dont il tient le manche, & un autre ouvrier avec un gros marteau frappe sur la tête de la tranche. Pour se servir de la seconde au contraire un seul ouvrier suffit. Il pose le fer sur cette tranche fixée dans le trou de la bigorne ; & il frappe sur la piece à séparer de la barre.


TRANCHÉadj. m. terme de Blason ; on dit qu'un écu est tranché, lorsqu'il est divisé en deux diagonalement, & que la division vient de l'angle dextre du chef, à l'angle sénestre de la pointe ; quand il est divisé, au contraire, ou l'appelle taillé. On dit tranchécrénélé, quand la division du tranché est faite par créneaux ; tranché-endenté est quand les deux parties de l'écu entrent l'une dans l'autre par dentelure. Tranché-retranché, se dit de ce qui est tranché, puis taillé & retranché ; & tranché-taillé, quand sur le tranché il y a une petite taille ou entaille au coeur de l'écu. Ménétrier. (D.J.)


TRANCHE-FILS. m. terme de Bourrelier, cuir tortillé pour soutenir le surnez & la soubarbe de la bride des chevaux de carrosses. (D.J.)

TRANCHE-FIL, s. m. terme de Cordonniers, ils appellent ainsi un gros fil qu'ils cousent en forme de bordure en dedans, & le long des quartiers & oreilles des souliers, lorsque le cuir n'est pas fort, & qu'on craint qu'il ne se déchire, ou ne s'étende trop. (D.J.)

TRANCHE-FIL, s. m. terme d'Eperonnier, c'est une espece de petite chaîne fort déliée qui est autour du mords. (D.J.)

TRANCHE-FIL, s. m. terme de Relieur, petit ornement de fil ou de soie, que les Relieurs mettent au dos des livres qu'ils relient sur le haut & le bas de la tranche. Il sert aussi à tenir les feuilles en état. (D.J.)


TRANCHE-LARDS. m. (Cuisine) grand couteau fort mince, à l'usage des cuisiniers, & dont le nom indique l'usage.


TRANCHÉES. f. (Archit.) ouverture en terre creusée en long & quarrément, pour fonder un édifice, ou pour poser & reparer des conduites de plomb, de fer ou de terre.

Tranchée de mur. Ouverture en longueur hachée dans un mur pour y recevoir & sceller une solive, ou un poteau de cloison, ou une tringle qui sert à porter de la tapisserie.

On appelle encore tranchée de mur, une entaille dans une chaîne de pierre au-dehors d'un mur, pour y encastrer l'ancre du tiran d'une poutre, & la recouvrir de plâtre. On fait aussi de ces tranchées pour retenir les tuyaux de cheminées, qu'on adosse contre un mur. Daviler. (D.J.)

TRANCHEE, fosse que l'on a creusée dans la terre pour faire écouler les eaux d'un marais, d'un pré, d'un étang, &c. ou pour détourner le cours d'une riviere. Voyez FOSSE. Chambers.

TRANCHEES, (Fortification) dans l'attaque des places, sont des especes de chemins creusés dans la terre pour arriver à la place sans être vu de ses défenses.

Lorsque la tranchée est parallele à la place ; on la nomme parallele ou place d'armes. Voyez LIGNES PARALLELES ou PLACE D'ARMES.

Lorsqu'elle sert de chemin pour arriver à la place, elle se nomme boyau. Voyez BOYAU.

Il y a plusieurs especes de tranchées ; savoir :

La tranchée à crochet, la tranchée double, la directe & la tranchée tournante.

La tranchée à crochet est la tranchée ordinaire qui va en zig-zags vers la place.

La tranchée double est celle qui étant vue des deux côtés a un paravant de chaque côté.

La tranchée directe est celle qui va directement aux ouvrages où elle se dirige, parce que le terrein ou la situation ne permet pas de la conduire autrement. On la défile par de fréquentes traverses, & en la faisant plus profonde que la tranchée ordinaire. Voyez ces différentes tranchées, Pl. XVI. de fortification, fig. 1. n°. 2, 3 & 4.

La tranchée tournante est celle qui entoure ou qui forme une espece d'enveloppe autour des ouvrages attaqués ; telle est celle qu'on fait pour le logement du glacis ou du chemin-couvert, Pl. XVI. fig. 1. n°. 1. Cette tranchée F est défilée des ouvrages qui les découvrent par des traverses intérieures G, & des extérieures T.

La tranchée s'ouvre ordinairement lorsque les lignes de circonvallation & de contrevallation sont à-peu-près aux deux tiers de leur façon. Dès que ces lignes sont tracées, l'ingénieur qui a la principale direction du siege, examine le côté le plus favorable pour les approches & le moins susceptible de défense. Il regle sur le plan de la place & de ses environs la disposition & le nombre des attaques ; après quoi le terrein qu'elles doivent occuper étant bien reconnu, il se met en état de faire travailler à la tranchée, c'est-à-dire, d'en faire commencer l'ouvrage. C'est ce commencement de travail qui se nomme l'ouverture de la tranchée.

Pour se diriger dans ce travail, on prolonge dans la campagne les capitales des bastions du front de l'attaque. Pour cet effet on plante hors de la portée du fusil des piquets dans le prolongement de l'angle flanqué des bastions, & de l'angle saillant du chemin-couvert opposé. Ces deux points pouvant être remarqués aisément de loin ; ils donnent le moyen de planter facilement plusieurs piquets dans leur alignement. On peut avoir de même le prolongement des capitales de tous les autres ouvrages qu'on peut avoir à attaquer, ou qui couvrent ou forment le front de l'attaque. On attache des bouchons de paille aux piquets qui donnent ces alignemens, afin de les distinguer ou remarquer plus facilement dans la nuit.

Le général regle aussi l'état des gardes d'infanterie & de cavalerie qui doivent être de service chaque jour, & de maniere qu'elles ayent au-moins trois ou quatre jours de repos, & qu'elles soient aussi suffisantes pour repousser les sorties que peuvent faire les troupes de la garnison.

On détermine aussi en même tems la cavalerie qui doit porter la fascine, & les travailleurs de jour & de nuit, qui doivent être en fort grand nombre les premieres & secondes gardes, ce qui se fait un jour ou deux avant l'ouverture de la tranchée, à la diligence du major général & du maréchal général des logis de la cavalerie. Ces deux officiers ont soin de faire avertir les troupes de bien reconnoître la situation des gardes. Ils doivent aussi s'entendre & se concerter avec le directeur général de la tranchée, recevoir de lui les demandes journalieres qu'il est obligé de leur faire sur les besoins de la tranchée, & avoir soin qu'il ne lui manque rien.

Tout cela préparé, le directeur regle son détail avec les ingénieurs. Il les instruit du lieu où il veut ouvrir la tranchée, & il a besoin de leur faire prendre de la méche ou des cordeaux, des piquets & des maillets pour la tracer. On fait porter tout cela en paquets par des soldats, qui ont soin de tenir toutes ces choses en état de s'en servir lorsqu'il en est besoin.

Lorsque tout est reglé, on pose une petite garde près des lieux où le travail doit commencer, afin d'empêcher qu'on n'y dérange rien, & qu'on ne les fréquente pas trop, car il est important de cacher son dessein autant qu'on le peut.

Le jour de l'ouverture étant venu, les gardes s'assemblent sur les deux ou trois heures après midi, elles se mettent en bataille, après quoi on leur fait la priere. Le général les voit défiler si bon lui semble. Les travailleurs s'assemblent aussi près de-là, étant tous munis de fascines, de piquets, & outre cela d'une pelle & d'une pioche.

Quand la nuit approche, & que le jour commence à tomber, les gardes se mettent en marche, chaque soldat portant une fascine avec ses armes, ce qui doit se pratiquer à toutes les gardes. A l'égard des outils, il suffit d'en faire prendre aux travailleurs les deux premieres gardes, & de les faire laisser à la tranchée où on les retrouve.

La garde de cavalerie va prendre en même tems les postes qui doivent lui avoir été marqués sur la droite & la gauche des attaques, ou sur l'une des deux, selon qu'il a été jugé convenable : tout cela se fait le premier jour en silence & sans tambour ni trompette. Les grenadiers & les autres détachemens marchent à la tête de tout, suivis des bataillons de la tranchée, & ceux-ci des travailleurs, lesquels sont tous disposés par divisions de 50 en 50 ; chaque division est commandée par un capitaine, un lieutenant & deux sergens. On les fait marcher par quatre ou six de front jusqu'à l'endroit où l'on veut commencer le travail. Lorsque la tête de ces travailleurs est arrivée, le brigadier ingénieur du jour, qui a le dessein des attaques projettées, va poser les brigades en avant par les lieux où la tranchée doit passer, pendant que les bataillons s'arrangent à droite & à gauche de l'ouverture de la premiere tranchée derriere les couverts qui s'y trouvent, sinon aux endroits qui auront été marqués à leur major, où ils déchargent leurs fascines.

Ils se reposent ensuite sur leurs armes en silence, toujours prêts à exécuter les ordres qui leur sont donnés.

Pendant cet arrangement, le brigadier ou l'ingénieur qui a posé ces détachemens, donne le premier coup de cordeau, & il montre aux sous-brigadiers ce qu'il y a à faire pour continuer à tracer la tranchée. Il fait ensuite défiler les travailleurs un à un portant la fascine sous le bras droit, si la place est à droite, & sous la gauche, quand on la laisse à gauche. Il commence lui-même par poser le premier des travailleurs, puis le deuxieme, troisieme, quatrieme, cinquieme, &c. l'un après l'autre, leur recommandant :

1°. Le silence.

2°. De se coucher sur leur fascine.

3°. De ne point travailler qu'on ne le leur commande.

Quand le brigadier en a posé ainsi plusieurs, il cede sa place au premier ingénieur qui le suit & qui continue à poser & faire poser, pendant que lui brigadier va prendre garde au tracé. Tout cela se continue de la sorte, jusqu'à ce qu'on ait tout posé, observant bien :

1°. Tous les replis & retours de la tranchée.

2°. De faire avancer les gens détachés, à-mesure qu'on avance le tracé.

3°. De couvrir les brisures des retours par un prolongement de deux ou trois toises en arriere, ce qui se fait au dépens de la ligne en retour, & ainsi de toutes les autres.

4°. De faire jetter la terre de la tranchée du côté de la place, pour s'en former un parapet qui mette à couvert du feu de ses ouvrages.

5°. De prendre bien garde de ne pas s'enfiler ; c'est-à-dire, de diriger les boyaux de la tranchée, de maniere que leur prolongement ne donne sur aucun des ouvrages de la place. Car il est évident qu'alors le feu de ces ouvrages découvriroit les boyaux dans toute leur longueur. Il faut prendre garde aussi de trop s'écarter dans la campagne, pour ne pas faire plus de retours ou d'ouvrages qu'il n'est nécessaire. On doit s'attacher à faire ensorte que les prolongemens des différentes parties de la tranchée rasent les parties les plus avancées des dehors de la place, ou qu'ils ne donnent qu'environ à dix ou douze toises près ; ce qui ne peut guere se faire que par estime, à-moins qu'on n'ait commencé à tracer avant que le jour soit tout-à-fait tombé, ce qui est toujours mieux, lorsqu'on le peut sans grand risque.

6°. De ne pas s'éloigner des capitales prolongées, dont il faut renouveller les piquets de tems-en-tems, & les coëffer d'un bouchon de paille afin de les reconnoître, même de quelque bout de meche allumée pendant la nuit ; parce qu'il faut se faire une loi de ne pas s'en éloigner, & de les croiser fréquemment. Il faut être en état de les reconnoître pour se diriger selon leur direction, afin d'éviter les écarts & les retours inutiles, parce que ce sont les vrais guides qui doivent mener à la place.

Pour bien faire, il faut poser les retours à fascines comptées, afin d'en savoir toujours les mesures.

Si la situation des ouvertures est favorable, il ne sera pas impossible qu'on puisse parvenir jusqu'à la premiere parallele ou place d'armes dès la premiere nuit ; mais si on est obligé d'ouvrir la tranchée de fort loin, cela sera moins aisé, & il faudra employer beaucoup plus de travail.

Il est à présumer que le directeur général aura fait son projet sur le pié d'avancer jusque-là la premiere nuit ; & s'il est possible, il faudroit en commencer le retour, ne fût-ce que par une cinquantaine de travailleurs.

Ce qui est dit ici pour les attaques de la droite, se doit aussi entendre pour celles de la gauche, chacune d'elles devant aller le même train, & toujours marcher de concert ; desorte que quand l'une trouve quelque difficulté qui la retarde, l'autre la doit attendre pour éviter les inconvéniens, auxquels sont sujets ceux qui allant trop vîte, ne se précautionnent pas assez.

Quand le travail est disposé, on fait : haut les bras, & tout le monde travaille, avertissant toujours les travailleurs de jetter la terre du côté de la place. On se diligente tant qu'on peut jusqu'au grand jour : pour lors on fait mettre les détachemens à-couvert sur le revers de ce qu'il y a de fait de la place d'armes & derriere les plus proches replis de la tête des tranchées, où on les fait coucher sur le ventre, car elles sont encore bien foibles le matin. Après cela, on congédie les travailleurs de la nuit ; & on les releve par un pareil nombre de jour, commençant par la tête, au contraire de ceux de la nuit qu'on a commencé par la queue.

Il est rare que cette premiere journée puisse bien achever les ouvrages qu'on a commencés, quelque soin qu'on se donne pour cela, parce que d'ordinaire on entreprend beaucoup.

On ne doit pas cependant congédier les travailleurs de jour qu'ils n'aient à-peu-près achevé l'ouvrage de la largeur & profondeur qu'on veut lui donner, ce qui est bien difficile à obtenir des ouvriers qui ont toujours grande envie de s'en retourner, & très-peu d'achever. C'est pourquoi il est àpropos de faire parcourir, le second jour, le travail de la premiere nuit par un détachement de cent ou deux cent hommes qui ne feront autre chose que d'achever & parer ce qui a été commencé la premiere nuit.

La mesure ordinaire des tranchées est ordinairement de douze piés de largeur & de trois de profondeur. La terre de la tranchée étant jettée du même côté, forme un parapet de trois piés ou trois piés & demi d'élévation au-dessus du terrain de la campagne, ce qui donne pour toute la hauteur du parapet depuis le fond de la tranchée six piés ou six piés & demi.

La seconde garde, le masque étant levé, on monte la tranchée, tambour battant, & on pose encore à découvert ; mais il s'en faut bien qu'on entreprenne autant de travail que la premiere nuit.

La seconde garde doit s'employer par préférence à la continuation de la premiere place d'armes, à laquelle il faut donner toute l'étendue nécessaire, & pousser cependant en avant ce qu'on pourra en croisant toujours les capitales, dont il faut avoir soin de marquer les prolongemens à-mesure qu'on s'avance vers la ville, & les piquer chaque fois qu'on les croise afin de les rendre toujours plus remarquables.

La place-d'armes entreprise sur toute sa longueur, doit être achevée dans toute la perfection qu'on pourra lui donner à la fin de la troisieme garde, parce qu'elle doit être la demeure fixe des bataillons jusqu'à ce que la seconde soit faite.

Outre la premiere ligne parallele ou place-d'armes, qu'on doit considérer comme l'ouvrage de la deuxieme & troisieme nuit, quoique commencée dès la premiere, on doit avoir fait marcher en avant les deux tranchées de la droite & de la gauche, mais non pas jusqu'à la seconde parallele. Il ne seroit pas prudent de s'avancer aussi promtement.

Les travailleurs de jour de cette garde doivent être fournis en nombre égal à ceux de la nuit. Le travail de jour commence par celui de la tête, comme celui de la nuit par la queue.

Tout le monde doit contribuer à presser & perfectionner le travail de jour tant que l'on peut ; après quoi, quand il est en état, il faut faire avancer les premiers bataillons dans la place-d'armes, & ne mettre que des détachemens dans les ouvrages de la tête, avec ordre de ne point tenir ferme, si l'ennemi vient à eux.

Le troisieme jour il faudra encore faire monter force travailleurs, afin d'en pouvoir employer trois ou quatre cent à perfectionner ce qui manquera des jours précédens, & arriver à la deuxieme ligne parallele ou place-d'armes, à laquelle il faudra travailler aussi avec la même vivacité.

Comme le feu de la place commence alors à devenir dangereux, il faut employer les sappes, non qu'il faille renoncer tout-à-fait à poser encore à-découvert quelque partie de la troisieme nuit ; mais il faut le faire directement, & pour cela trouver quelque terrain favorable qui fournisse un demi-couvert, ou bien prendre le tems que le feu est fort ralenti, comme il arrive souvent après les deux ou trois premieres heures que les soldats sont las de tirer. Pour lors on peut dérober un tems pour poser cent ou cent vingt travailleurs, & plus si le feu continue à diminuer ; mais c'est de quoi il ne faut pas abuser, parce qu'il faut tenir pour maxime de ne jamais exposer son monde mal-à-propos, & sans grande raison ; ce qui se fait bien moins souvent qu'il n'est à desirer, & sans qu'on en retire aucun avantage : au contraire rien n'est plus capable de retarder le travail : c'est pourquoi après la seconde nuit il ne faut plus poser à découvert sans grande circonspection. Ainsi il faut nécessairement après cette nuit employer les sappes. Voyez SAPPE.

Il est très-important que le général visite la tranchée, mais de tems-en-tems seulement, & non tous les jours. Il doit y venir peu accompagné, se faire rendre compte sur les lieux de chaque chose en particulier, & donner les ordres sur tout autant qu'il le jugera nécessaire.

Si les attaques sont séparées, le lieutenant-général de jour choisit celle qui lui plaît ; si elles sont liées, comme il a le commandement général, il commande aux deux ; & par conséquent il doit occuper le milieu entre les deux, mais non pas à la tête des attaques ; parce que les allées & venues des gens qui ont affaire à lui embarrasseroient le travail ; outre qu'il seroit trop éloigné du gros des troupes, le milieu de la tête des bataillons est le lieu qui lui convient le mieux. Il peut, & doit visiter de tems-en-tems la tête des ouvrages.

Le plus ancien maréchal-de-camp doit se mettre à la droite, l'autre à la gauche ; les brigadiers à la queue des détachemens les plus avancés.

Le lieutenant-général du jour commande à la cavalerie, infanterie, artillerie, ingénieurs, mineurs & généralement à tout ce qui regarde la sûreté & l'avancement des attaques ; mais il se doit concerter avec le directeur de la tranchée, & ne rien entreprendre ni résoudre sans sa participation ; car ce dernier est l'ame & le véritable mobile des attaques.

L'application particuliere d'un lieutenant-général doit être de bien poster les troupes, régler les détachemens, faire servir les têtes de la tranchée, & fournir des travailleurs extraordinaires, quand on lui en demande.

Les maréchaux-de-camp font la même chose que le lieutenant-général, par subordination ; & ils doivent recevoir ses ordres, & les rendre aux brigadiers, & ceux-ci aux colonels qui les distribuent à leurs régimens, à qui ils ont soin de les faire exécuter.

Quand il y a quelques entreprises à faire, c'est le lieutenant-général qui en doit ordonner l'exécution, par l'avis & sur l'exposé du directeur général.

Lorsqu'il y a peu de ces premiers officiers dans une armée, ce n'est pas une nécessité que le lieutenant-général de jour couche à la tranchée, il suffit qu'il la visite pendant le jour, & qu'il y donne ses ordres.

Quatre lieutenans-généraux suffisent pour une armée commandée par un maréchal de France, le double des maréchaux de camp, & le double de ceux-ci en brigadiers ; c'est-à-dire que s'il y a quatre lieutenans-généraux, il doit y avoir huit maréchaux de camp, & seize brigadiers ; un plus grand nombre est inutile, & bien plus à charge que nécessaire dans les armées.

Des rois & des princes. Si des rois ou des princes dont la vie est précieuse aux peuples, étoient en personnes à l'armée, & qu'ils voulussent voir la tranchée, ce qu'on ne peut désapprouver, il faudroit prendre les précautions suivantes :

1°. Que cela n'arrive pas souvent ; mais seulement deux, trois, ou quatre fois tout au plus pendant un siege.

2°. Que ce ne soit qu'à des places considérables, & non à des bicoques.

3°. Que la tranchée soit bonne, & autant assurée qu'on le peut faire.

4°. Qu'ils voyent l'ouverture de la tranchée si bon leur semble ; mais qu'ils ne la visitent plus que lorsque le canon se sera rendu maître de celui de la place.

5°. Que la nuit qui précédera les visites qu'ils voudront faire, on envoie partie de leur garde à la tranchée, distribuée par petits pelotons en différens endroits, pour plus grandes sûretés de leurs personnes.

6°. Qu'ils y aillent fort peu accompagnés, & seulement d'un capitaine des gardes, de trois ou quatre de leurs officiers, & de cinq ou six seigneurs de leur cour, ou des officiers généraux, & du directeur de la tranchée, qui doit marcher immédiatement devant eux pour leur servir de guide, & leur rendre compte, en chemin faisant, de toutes choses.

7°. Qu'il ne se fasse aucun mouvement de troupes pendant qu'ils seront à la tranchée ; mais qu'elles se rangent toutes sur le revers, laissant le côté du parapet à sa marche.

8°. Qu'on fasse asseoir tous les soldats, leurs armes à la main ; les officiers se tenir de bout du même côté, le chapeau à la main, sans laisser paroître leur esponton par-dessus la tranchée.

9°. Qu'ils visitent tout, jusqu'à la troisieme place d'armes, même jusqu'à la queue des sappes, afin qu'ils en soient mieux instruits.

10°. Qu'ils montent de petits chevaux, bas de taille, doux, qui ne soient pas ombrageux, pour faire leur tournée, au-moins jusqu'à la seconde parallele ou place d'armes, n'étant pas possible qu'ils y puissent fournir à pié, quand les tranchées sont un peu avancées.

11°. Qu'on leur fasse un ou deux reposoirs dans les endroits de la tranchée les plus convenables ; ces mêmes lieux pourront servir après de couverts aux officiers généraux de garde.

Après tout ce que nous avons dit sur la tranchée, il faut encore ajouter une vérité constante, c'est qu'il n'y a aucun lieu sûr dans la tranchée, quelque soin qu'on se puisse donner pour la bien faire, comme il n'y a rien qui puisse mettre à couvert des bombes & des pierres, quand on est sous leur portée, & que la place en tire ; il n'y a point non plus de parapet de tranchée qui ne puisse être percé par le canon, à huit piés au-dessous du sommet, & dans l'infinité de coups de mousquets qui se tirent, il y en a toujours quantité dont les balles rasant le haut des parapets, s'amortissent & plongent, la plûpart avec encore assez de force pour blesser & tuer ceux qui en sont atteints.

Il y a de plus des coups de biais ou d'écharpe, qui rasant ainsi le parapet de la tranchée, s'amortissent, & ne sont pas moins dangereux, & qu'on ne peut guere éviter.

Quand on est sous la portée des grenades, c'est encore pis ; les coups de feu sont là dans leur force, & bien plus certains, outre que les éclats des grenades & des bombes volent par-tout, & vont le plus souvent tomber où l'on ne les attend pas ; c'est pourquoi je crois qu'il est de la prudence que les grands princes, de la vie desquels dépend le sort des états, dans les visites qu'ils feront dans la tranchée, ne passent point au-delà de la troisieme place d'armes ; ils ne doivent pas même aller jusques là. Attaq. des places de Vauban.

La tranchée se monte de jour ou de nuit ; l'avantage qu'on trouve à la monter de jour, consiste en ce que les officiers & les soldats qui voient le terrein, s'instruisent mieux de ce qu'ils auront à faire, que quand l'obscurité sera venue ; mais il y a divers avantages à la monter de nuit.

1°. On perd moins de monde par le canon & les mortiers des assiégés, qui ne cessent de tirer depuis que les nouvelles troupes entrent à la queue de la tranchée, jusqu'à ce que celles qui sont relevées, soient entierement sorties ; sur-tout lorsqu'il se trouve quelque morceau de tranchée qui sera enfilé ou commandé ; ce que rarement on peut éviter dans toute cette longue étendue qu'a la tranchée ; comme les artilleurs de la place ne manquent jamais de l'observer, c'est principalement vers cet endroit qu'ils dirigent les batteries ; & les troupes qui entrent, s'embarrassant avec celles qui sortent, n'ont pas assez de terrein pour éviter les bombes, les pierres, & les bonds des boulets de canon.

2°. Si pour donner l'assaut, ou pour vous précautionner contre une sortie à laquelle vous sçavez que les ennemis se préparent, vous voulez conserver les troupes qui devoient être relevées, pour les joindre avec les nouvelles qui entrent ; ou si vous montez la tranchée avec plus de bataillons qu'à l'ordinaire, les ennemis l'observeront, lorsque cela se passera de jour, & ils prendront leurs mesures pour attendre l'assaut, ou pour ne point faire de sortie : au-contraire si après avoir monté la tranchée de jour, vous faites marcher de nuit de nouvelles troupes pour en renforcer la garde, il ne sera pas possible que ce mouvement ne s'entende de la place, sur-tout quand la tranchée est déja proche.

3°. Comme c'est la nuit qu'il y a plus à craindre des sorties, les troupes de la tranchée seront bien moins vigilantes & moins en état de combattre, lorsqu'ayant déja passé tout le jour, elles se trouveront harassées par le soleil & la poussiere. Il est vrai qu'on y peut remédier, en ne montant pas la tranchée le matin, mais seulement le soir un peu auparavant la nuit.

Lors même qu'on monte la tranchée de nuit, les généraux, les commandans, & les majors des régimens, y entrent de jour, afin de reconnoître le terrein & voir en quel état toutes les choses se trouvent. Le major de tranchée ou ses aides, devroient les attendre au poste du lieutenant général de tranchée, pour leur faire observer tout ce qui est digne de quelque considération.

Le major général, dès le jour précédent, nomme aux majors de brigade quelles troupes doivent relever chacune de celles de sa tranchée ; & une fois pour toute il assigne l'heure & le lieu de l'assemblée où ce même major général fait ranger les bataillons & les détachemens selon l'ordre dans lequel ils doivent marcher & garnir la tranchée.

Deux caporaux de chaque bataillon se trouvent à la queue de la tranchée, l'un pour guider à couvert par le chemin le plus court, le bataillon qui entre ; & l'autre pour conduire les détachemens qui vont quelquefois par un chemin différent de celui que prennent les régimens.

Les troupes qui entrent & celles qui sortent, s'approcheront du parapet le plus qu'elles pourront : si c'est de jour, la tranchée se monte tambour battant, & l'on plante les drapeaux au haut de la tranchée, dans quelqu'endroit du parapet qui soit bien renforcé, parce que les cannoniers de la place se divertissent à tirer contre les drapeaux.

Chacun sait que les officiers qui descendent, transmettent à ceux qui les relevent, les ordres qu'il y a à la tranchée. Le lieutenant général de tranchée les reçoit du général de l'armée, & il les distribue ensuite aux régimens. Pour moi, je voudrois que le général de la tranchée donnât tous les ordres au major, & que celui-ci les distribuât tous les jours aux troupes de la tranchée. De cette maniere, on trouveroit dans le livre du major de tranchée, une suite exacte de tout ce qui s'est passé pendant tout le cours du siege.

Je voudrois aussi que le lieutenant général & le major de tranchée, les ingénieurs qui entrent & qui sortent, les commandans des batteries, les directeurs des mines, le major général de l'armée, le chef des ingénieurs, & les commandans d'artillerie, conférassent ensemble sur ce qu'il est important de faire ou de représenter au général de l'armée, pour bien exécuter les ordres qu'il a précédemment donnés. Réflexions militaires, par M. le marquis de Santacrux.

Après le détail précédent sur les tranchées, il nous reste à faire observer, en finissant cet article, que l'usage n'en remonte guere, selon le pere Daniel, qu'au regne de Charles VII. ou un peu auparavant. Il croit qu'on leur donnoit alors le nom de mines, & quelquefois de tranchées ; mais ce dernier nom prévalut bien-tôt sur le premier ; apparemment lorsque les travaux exprimés par ces deux noms, devinrent différens. Le maréchal de Monluc les perfectionna au siege de Thionville, en 1558 ; mais ce n'est que sous M. le maréchal de Vauban, qu'elles devinrent infiniment plus parfaites qu'elles ne l'avoient été jusqu'à ce grand homme. Ce fut au siege de Maëstricht, en 1673, qu'il inventa les fameuses paralleles ou places d'armes, qui donnent tant de supériorité à l'attaque sur la défense. Il imagina ensuite les cavaliers de tranchée, un nouvel usage des sappes & des demi-sappes, les batteries à ricochet, &c. & par-là, comme le dit l'historien de l'académie, " il avoit porté les arts à une telle perfection, que le plus souvent, ce qu'on n'auroit jamais osé espérer devant les places les mieux défendues, il ne perdoit pas plus de monde que les assiégés ".

Nous devons remarquer ici que M. le chevalier de Folard ne pensoit pas que les tranchées aient été inconnues aux anciens ; il prétend même démontrer dans son traité de l'attaque & de la défense des places, qu'ils employoient des paralleles, ou places d'armes, dans leurs approches, & qu'ils avoient pratiqué tout ce qu'on a inventé dans les sieges, depuis la découverte de la poudre à canon. Mais suivant M. Guischardt, le sentiment de M. de Folard, sur ce sujet, ne se trouve fondé que sur l'infidélité des traductions, & sur l'envie de cet habile officier, de faire de nouvelles découvertes. " J'ai examiné, dit-il, dans la langue originale, les passages dont il appuie son système, & je me sens aisément convaincu que les auteurs n'y représentent rien de tout ce qu'il a vu, & qu'ils s'expriment en termes très-clairs sur tout ce qu'ils veulent faire entendre. Il est certain qu'on n'y trouve rien de ressemblant aux tranchées & aux paralleles ". Dissertation sur l'attaque & la défense des places des anciens. Voyez cette dissertation dans le second volume des mémoires militaires de M. Guischardt, & le traité sur le même sujet, de M. le chevalier de Folard, l. II. & III. de son commentaire sur Polybe. (Q)

TRANCHEE, queue de la, (Génie) c'est le premier travail que l'assiégeant a fait en ouvrant la tranchée, & qui demeure derriere à mesure qu'on pousse la tête de l'attaque vers la place. Il y a toujours du danger à la queue de la tranchée, parce qu'elle est exposée aux batteries de la place, & que le canon logé sur des cavaliers, donne facilement sur les troupes qui montent la garde, ou qui la relevent. On laisse toujours une garde de cavalerie à la queue de la tranchée, pour être en état de courir au secours des travailleurs de la tête, en cas d'une sortie de la garnison, & cette garde se releve autant de fois qu'on releve la garde de la tranchée. (D.J.)

TRANCHEE, relever la, (Art milit.) c'est monter la garde à la tranchée, & prendre le poste d'un autre corps de troupes qui descend la garde. (D.J.)

TRANCHEE, retour de la, (Génie) ce sont les coudes & les obliquités qui forment les lignes de la tranchée, qui sont en quelque façon paralleles aux côtés de la place qu'on attaque, pour en éviter l'enfilade. Ces différens retours mettent un grand intervalle entre la tête & la queue de la tranchée, qui par le chemin le plus court, ne sont séparées que par une petite distance. Aussi quand la tête est attaquée par quelque sortie de la garnison, les plus hardis des assiégeans, pour abréger le chemin des retours, sortent de la ligne, & vont à découvert repousser la sortie, & couper l'ennemi en le prenant à dos. Dict. milit. (D.J.)

TRANCHEE, (Jardinage) se dit d'une longue ouverture de terre, pour planter des arbres, de la charmille, ou pour faire un fossé, une rigole : on fait encore des tranchées de recherches, pour amasser des sources.

TRANCHEE, s. f. (Hydr.) on appelle tranchée de recherche, celle qui reçoit l'eau de plusieurs prairies de communication, ainsi que des rameaux d'eau que des écharpes ramassent de tous côtés, en forme de pattes d'oie. (K)

TRANCHEES, (Médec.) nom vulgaire employé par les femmes, les accoucheurs, les sages-femmes & les nouvelles accouchées, pour désigner les douleurs qu'elles éprouvent souvent après leur accouchement, à l'uterus, au ventre, au nombril, aux reins, aux lombes, aux aînes, soit continuellement, soit par intervalles, tantôt d'un côté, tantôt de l'autre. On a indiqué les causes & les remedes des tranchées au mot DOULEURS & FEMME EN COUCHE, Médec.

TRANCHEES, s. f. pl. terme de Maréchal, c'est une maladie des chevaux qui consiste en douleur dans les boyaux excitée par l'acrimonie des humeurs, ou par des vents, & qu'on doit traiter par les remedes opposés aux causes du mal. Soleysel. (D.J.)


TRANCHERv. act. (Gram.) c'est séparer en deux parties avec un instrument tranchant. Trancher ce fer en deux. On tranche la tête aux gentilshommes coupables de crime. Il se dit aussi des douleurs d'entrailles, qu'on appelle tranchées ; unissez ce médicament à celui-ci pour empêcher de trancher. On dit au figuré, il est d'un caractere tranché ; trancher une difficulté. La mort tranche nos espérances ; il tranche de l'important : c'est un traître, il tranche de deux côtés : ces couleurs tranchent trop. Tranchez ces chiffres pour les distinguer de ceux sur lesquels vous n'avez pas encore opéré.


TRANCHETS. m. (Outil de Cordonnier) espece de long couteau de fer fort plat & fort acéré, avec un manche de bois léger. Il sert à couper le gros cuir pour en faire les semelles de dessous, & à les redresser ou rogner quand elles sont cousues au soulier. On en fait aussi les chevilles des talons ; les marchands de crespin les vendent. (D.J.)

TRANCHET, s. m. (Serrurerie) c'est un outil de serrurier, qui sert à couper de petites pieces de fer à chaud. Voyez l'article TRANCHE. La seconde s'appelle aussi tranchet. (D.J.)


TRANCHISS. m. terme de Tuilier, rang d'ardoises ou de tuiles échancrées, qui sont en recouvrement sur d'autres entieres, dans l'angle rentrant d'une noue ou d'une fourchette. (D.J.)


TRANCHOIRTRANCHOIR

TRANCHOIR, s. m. terme de Vitrier, c'est une sorte de piece de verre que l'on met dans les panneaux de vitres, qui sont façon de Lorraine ou de croix de Lorraine. (D.J.)


TRANCOSO(Géog. mod.) ville de Portugal, dans la province de Tra-los-Montes, à trois lieues de Pinhel. Elle a titre de duché, & est située dans une vaste & délicieuse campagne. Cette ville est entourée de murs, & a droit de suffrage dans les assemblées des états. Ferdinand I. roi de Castille, la prit sur les Maures l'an 1033. Long. 11. 3. latit. 40. 37. (D.J.)


TRANCZIN(Géog. mod.) petite ville de la haute Hongrie, chef-lieu du comté de même nom, sur la rive gauche du Vag, qu'on passe sur un pont de bois. Elle a pour défense un château fortifié, & dans son voisinage des eaux minérales, & deux bains d'eaux chaudes. (D.J.)


TRANGLESS. f. terme de Blason, ce mot se dit des fasces rétrécies qui n'ont que la moitié de leur largeur, & qui sont en nombre impair. Trévoux. (D.J.)


TRANGUEBAou TRANQUEBAR, (Géogr. mod.) ville de la presqu'île de l'Inde, au royaume de Tanjaour, sur la côte de Coromandel, à l'embouchure de la riviere Caveri, & à 25 lieues de Pondicheri. Les Danois en sont les maîtres depuis l'an 1621, par un accord fait la même année avec le naïque ou roi de Tanjaour, sur les terres duquel est situé ce port de mer ; les Danois ont bâti depuis une forteresse pour sa défense. Le climat en est fort chaud, & très-difficile à supporter. Les jésuites ont dans cette ville une église, & y jouissent d'une grande liberté. Le roi de Danemarck y a établi une mission en 1705 pour la propagation du Christianisme ; on peut consulter sur cette mission M. de la Crose dans son Christianisme des Indes. Long. 97. 50. latit. septent. 11. 18. (D.J.)


TRANI(Géog. mod.) ville d'Italie, au royaume de Naples, dans la terre de Bari, sur le golfe de Venise, entre Barlette & Biseglia. Il y a un château bâti par l'empereur Fréderic II. Son port a été bouché par les sables. Son évêché est du x. siecle. Long. 34. 50. latit. 41. 10. (D.J.)


TRANQUILLITÉPAIX, CALME, (Synon.) ces mots, soit qu'on les applique à l'ame, à la république, ou à quelque société particuliere, expriment également une situation exemte de trouble & d'agitation : mais celui de tranquillité ne regarde précisément que la situation en elle-même, & dans le tems présent indépendamment de toute relation : celui de paix regarde cette situation par rapport au-dehors, & aux ennemis qui pourroient y causer de l'altération : celui de calme la regarde par rapport à l'événement, soit passé, soit futur, ensorte qu'il la désigne comme succédant à une situation agitée, ou comme la précédant.

On a la tranquillité en soi-même, la paix avec les autres, & le calme après l'agitation.

Les gens inquiets n'ont point de tranquillité dans leur domestique. Les querelleurs ne sont guere en paix avec leurs voisins. Plus la passion a été orageuse, plus on goûte le calme.

Pour conserver la tranquillité de l'état, il faut faire valoir l'autorité sans abuser du pouvoir. Pour maintenir la paix, il faut être en état de faire la guerre. C'est encore plus par la douceur que par la rigueur qu'on rétablit le calme chez un peuple révolté. Girard, Synon. (D.J.)

TRANQUILLITE, (Mythologie) la Tranquillité, appellée par les Grecs , a été déifiée. On a trouvé à Nettuno, dans la campagne de Rome, sur le bord de la mer, un autel avec cette inscription, Autel de la Tranquillité, ara Tranquillitatis ; sur cet autel est représentée une barque avec une voile tendue, & un homme assis au gouvernail : cette divinité étoit distinguée de la Paix & de la Concorde. (D.J.)


TRANSACTIONS. f. (Gram. & Jurispr.) est un accord ou convention faite entre deux ou plusieurs personnes, pour prévenir ou terminer un procès.

L'incertitude de l'événement & le bien de la paix sont ordinairement les motifs des transactions.

Ces mêmes considérations font aussi qu'ordinairement on se relâche de part & d'autre de quelque prétention, autrement ce ne seroit plus une transaction, mais une renonciation gratuite que l'on feroit à son droit.

Les transactions, toutes favorables qu'elles sont, ne s'étendent point aux choses qui n'y sont pas exprimées.

On ne peut pas non plus opposer à une partie la transaction qui a été faite avec une autre, chacun étant le maître de son droit.

On stipule quelquefois une peine en cas d'inexécution de la transaction, & le cas arrivant, la peine doit être exécutée ; il dépend néanmoins de la prudence du juge de la surseoir ou modérer s'il lui paroit juste de le faire.

Les transactions ont la force des choses jugées, tellement que suivant l'ordonnance de Charles IX. de l'an 1560, elles ne peuvent être rescindées pour cause de lésion, mais seulement pour dol & force.

En matiere criminelle elles ne valent qu'entre les parties privées, & ne peuvent imposer silence à la partie publique. Ordonnance de 1670, tit. xxv. art. 19.

Anciennement on ne pouvoit transiger sur un appel au parlement sans lettres-patentes & arrêt, ou du-moins sans un arrêt qui homologuoit la transaction.

Quand l'appel venoit du pays de droit écrit, comme il n'y avoit pas d'amende pour le roi, on pouvoit transiger sans lettres-patentes ; mais il falloit toujours un arrêt, & quelquefois la transaction se faisoit au parlement même, comme on voit au second registre olim, fol. 25. v °. où il est dit : Haec est concordatio facta anno 1298, inter Petrum episcopum Altisiodorensem & procuratorem comitis Altisiodorensis.

Lorsque l'appel venoit du pays coutumier où il y avoit amende pour le roi, il falloit lettres-patentes & arrêt sur icelles pour homologuer la transaction.

C'est de-là qu'il y a tant d'anciennes transactions dans le dépôt du parlement ; ces anciennes transactions sont la plûpart écrites en rouleaux, dont par les soins & sous les yeux de M. Joly de Fleury, procureur général, une bonne partie a été extraite par M. Meslé, avocat ; on y a découvert beaucoup de choses curieuses, & qui servent à éclairer notre ancienne jurisprudence.

Jusqu'à l'ordonnance de Charles IX. en 1560, on pensoit toujours qu'il n'étoit pas permis de transiger sur un appel pendant en la cour, sans lettres-patentes ou arrêt ; mais cette ordonnance ayant confirmé toutes transactions faites sans dol & sans force, on a pensé que cette confirmation générale dispensoit d'obtenir ni lettres ni arrêt ; & en effet, depuis ce tems on s'est dispensé de cette formalité.

On fait cependant encore homologuer au parlement certaines transactions pour y donner plus d'autorité, comme quand elles sont passées avec des bénéficiers, ou qu'elles contiennent des abonnemens de dixmes & autres arrangemens semblables qui intéressent l'ordre public. Voyez au digeste & au code le titre de transactionibus, Domat, & l'ordonnance des transactions. (A)

TRANSACTIONS PHILOSOPHIQUES, sont une espece de journal contenant les principaux mémoires qui se lisent à la société royale de Londres, sur les sciences ou les belles-lettres.

Ces Transactions contiennent différentes découvertes & observations faites par les membres de la société, ou qui leur ont été communiquées par leurs correspondans.

Cet ouvrage fut commencé en 1665 par M. Oldembourg, secrétaire de la société royale, qui le continua jusqu'à l'année 1679. Après sa mort le docteur Hook son successeur le continua aussi sous le titre de Collections philosophiques ; mais le docteur Grew l'ayant remplacé en 1689, reprit l'ancien titre qui fut conservé par le docteur Plott son successeur, & qui a subsisté jusqu'à présent.

Cet ouvrage fut d'abord publié tous les mois avec beaucoup de soin par M. Oldembourg & les premiers secrétaires ; mais il fut interrompu souvent depuis la mort du docteur Plott. En 1700 le docteur Sloane le fit publier de nouveau régulierement tous les mois ; dans la suite on ne le mit au jour que tous les deux, trois, quatre, & six mois. Quelque tems après on le donna plus fréquemment & périodiquement sous la direction du docteur Jurin, & ce journal continue encore aujourd'hui sous celle de milord Macclesfield, président de la société royale. Chambers.

On a fait un abrégé en anglois des Transactions philosophiques, qui contient les mémoires les plus intéressans de ce recueil.

Feu M. Bremont avoit entrepris une traduction des Transactions philosophiques, traduction enrichie de notes, de réflexions savantes, & d'avertissemens, où il indique sur chaque sujet tout ce qu'on trouve de pareil, ou qui s'y rapporte, dans les mémoires de l'académie des Sciences, dans les journaux littéraires qui en ont donné des extraits, & dans tous les autres ouvrages tant anciens que modernes, où les mêmes matieres sont traitées. Il nous en a donné quatre volumes in -4°. qui comprennent les années 1731, 1732, &c. jusqu'en 1736 inclusivement, & un volume de tables générales par ordre des matieres, & par ordre chronologique des titres des ouvrages & des noms des auteurs, accompagnés de semblables indices plus succints, depuis l'année 1665, qui est celle de l'établissement de cette célebre compagnie, jusqu'en 1735.

Il avoit entrepris ce grand ouvrage dès l'année 1737 ; il se bornoit d'abord à de simples extraits, semblables à ceux que nous ont donné Mrs. Lowtorp & Motte, sous le titre d'Abrégé des Transactions philosophiques ; mais l'importance du sujet ayant réveillé l'attention des savans, M. le chancelier d'Aguesseau assembla chez lui plusieurs membres des deux académies, des Sciences & Belles-lettres, pour délibérer sur la maniere de rendre cette traduction plus utile. La pluralité des voix fut pour la traduction entiere & fidele du texte, sans préjudice aux notes instructives que le traducteur jugeroit à propos d'y ajouter séparément. Depuis la mort de M. de Bremont, son travail a été continué & se continue par une société de gens de lettres, sous la direction de M. de Mours. (O)


TRANSALPINadj. (Géog.) se dit des pays qui sont au-delà des Alpes : ce terme est relatif. Ainsi l'Italie est transalpine par rapport à la France, & la France par rapport à l'Italie.


TRANSAQUAE(Géog. anc.) lieu d'Italie, au pays des Marses, près du lac Fucinus ; son nom moderne est Transacco, bourg du royaume de Naples, dans l'Abruzze ultérieure, environ deux milles au midi du lac Celano. (D.J.)


TRANSCENDANTadj. (Philos.) se dit en général de ce qui est élevé au-dessus des choses ou des êtres ordinaires.

On le dit particulierement de l'objet de la métaphysique, qui considere l'être en général, les êtres transcendans, comme Dieu, les Anges, &c. Voyez METAPHYSIQUE.

Les Logiciens & les Métaphysiciens donnent le nom de termes transcendans à ceux qui sont si généraux, d'une signification si étendue & si universelle qu'ils passent toutes les catégories, & conviennent à toutes sortes de choses ; tels sont les termes ens, unum, verum, bonum, res. Voyez êTRE, &c.

Géométrie transcendante, est le nom que l'on donne à la partie de la géométrie qui considere les propriétés des courbes de tous les ordres, & qui se sert pour découvrir ces propriétés de l'analyse la plus difficile, c'est-à-dire de calculs différentiel & intégral. Voyez GÉOMÉTRIE, DIFFÉRENTIEL, TÉGRALGRAL.

Equations transcendantes, sont celles qui ne renferment point, comme les équations algébriques, des quantités finies, mais des différentielles ou fluxions de quantités finies, bien entendu que ces équations entre les différentielles doivent être telles qu'elles ne puissent se réduire à une équation algébrique. Par exemple l'équation dy = qui paroît être une équation transcendante, est réellement une équation algébrique, parce qu'en intégrant séparément les deux membres, on a . Mais l'équation dy = est une équation transcendante, parce qu'on ne peut exprimer en termes finis les intégrales de chaque membre de cette équation : l'équation qui exprime le rapport entre un arc de cercle & son sinus est une équation transcendante ; car M. Newton a démontré (voyez QUADRATURE,) que le rapport ne pourroit être représenté par aucune équation algébrique finie, d'où il s'ensuit qu'il ne peut l'être que par une équation algébrique d'une infinité de termes, ou par une équation transcendante.

On met ordinairement au rang des équations transcendantes les équations exponentielles, quoique ces équations puissent ne renfermer que des quantités finies (v. EXPONENTIEL ;) mais ces équations different des algébriques en ce qu'elles renferment des exposans variables, & on ne peut faire disparoître ces exposans variables qu'en réduisant l'équation à une équation différentielle. Par exemple, soit y = ax qui est une équation exponentielle, il faut pour faire disparoître l'exposant x différencier l'équation, ce qui donnera d x = ; équation différentielle & transcendante.

Courbe transcendante, dans la sublime géométrie, est celle que l'on ne sauroit déterminer par aucune équation algébrique, mais seulement par une équation transcendante.

Ces courbes sont celles que M. Descartes, & plusieurs autres à son exemple, appellent courbes méchaniques, & qu'ils voudroient exclure de la géométrie ; mais Mrs. Newton & Leibnitz sont d'un autre sentiment. En effet, dans la construction des problèmes géométriques, une courbe ne doit point être préférée à une autre, entant qu'elle est déterminée par une équation plus simple, mais entant qu'elle est plus aisée à décrire. Voyez GEOMETRIE. (O)


TRANSCOLATIONS. f. en Pharmacie, c'est la même chose que filtration, ou percolation. Voyez FILTRATION, &c.


TRANSCRIPTIONS. f. en terme de marchand, c'est l'action de mettre, de transcrire ou de rapporter un compte d'un livre dans un autre livre particulier, d'un journal dans un grand livre de compte. Voyez TENIR LES LIVRES DE COMPTE.


TRANSCRIREv. act. (Gram.) c'est écrire une seconde fois, faire une copie d'une chose écrite, la porter d'un papier sur un autre. Transcrivez cela & le mettez au net : transcrivez cet acte sur ce registre. Ce morceau n'est pas de lui, il n'a fait que le transcrire.


TRANSCRITparticipe, (Jurisp.) signifie ce qui est copié d'après un autre exemplaire ; faire transcrire un mémoire ou autre écrit, c'est le faire mettre au net, ou en général le faire copier. V. COPIE, ÉCRIRE. (A)


TRANSES. f. (Gram.) peur violente qui glace. On dit les transes de la mort. Un bon chrétien doit toujours vivre en transe.


TRANSEATterme de l'Ecole purement latin qui veut dire passe, & suppose qu'une proposition est vraie, sans que l'on en convienne absolument. Voyez HYPOTHESE, LEMME.

C'est de-là qu'est venu le proverbe latin, transeat, graecum est, non legitur : passe, c'est du grec, on ne peut pas le lire. On attribue cette phrase à quelques anciens commentateurs ou glossographes du droit civil, qui n'entendant point le grec, passoient tous les mots de cette langue à mesure qu'ils les trouvoient dans leur chemin, sans en pouvoir donner l'explication.

Dans la chancellerie de Rome un nil transeat, c'est-à-dire, que rien ne passe, est une espece d'opposition que l'on fait aux sceaux d'une bulle, ou à la délivrance de quelque autre expédition, jusqu'à ce que les parties intéressées aient été entendues.


TRANSFÉRERv. act. (Gram.) c'est conduire d'un lieu dans un autre. On transfere un prisonnier d'une prison dans une autre ; un évêque d'un siege à un autre, un religieux d'une bonne maison dans une mauvaise, une relique, le siege d'un empire, &c. une donation, la propriété d'un héritage, une fête d'un jour à l'autre.


TRANSFIGURATION(Critiq. sacrée) c'est ainsi qu'on nomme l'état glorieux dans lequel Jesus-Christ parut sur une montagne où il avoit conduit Pierre, Jacques & Jean son frere. Le visage du sauveur devint brillant comme le soleil, & ses vêtemens blancs comme la neige, Matt. xvij. 4 & 5. La plûpart des interpretes pensent d'après S. Jérôme, que la montagne où se passa cet évenement miraculeux, étoit celle du Thabor, quoique l'Ecriture ne la nomme pas ; du-moins devoit-on s'en tenir là ; mais les malheureux Grecs pressés de tous côtés, & par les Turcs & par les Latins, disputoient encore dans le xiij. siecle sur cette matiere. La moitié de l'empire prétendoit que la lumiere du Thabor étoit éternelle, & l'autre que Dieu l'avoit produite seulement pour la transfiguration. (D.J.)


TRANSFORMATIONS. f. en Géométrie, c'est le changement ou la réduction d'une figure ou d'un corps en un autre de même aire ou de même solidité, mais d'une forme différente. Par exemple l'on transforme un triangle en quarré, une pyramide en parallélepipede, &c. Chambers.

TRANSFORMATION des équations. (Algebre) se dit de la méthode par laquelle on change une équation en une autre qui la représente.

Par exemple, si on veut faire disparoître le second terme d'une équation x m + p x m - 1 + q x m - 2 +, &c. = 0, on fera x = z + a ; & substituant, on aura une transformée dont les deux premiers termes seront z m + m a z m - 1 ; donc + p z m - 1.

m a + p = 0, donc a = - -.

Il en est de même des autres termes qu'on peut vouloir faire disparoître ; & il est à remarquer que la valeur de a sera toujours réelle si le terme est pair, parce que l'équation en a sera d'un degré impair. Voyez EQUATION.

Si on veut donner l'unité pour coefficient au premier terme d'une équation a x 3 + b x 2 + c x + e = 0, on la multipliera par a a, ensorte que a 3 x 3 soit le premier terme, & on fera ensuite a x = z ; & l'on aura z 3 + b z 2 + c a z + e a 2 = 0. Voyez un plus grand détail dans l'analyse démontrée du P. Reyneau, liv. III. (O)

TRANSFORMATION DES AXES, (Géom.) c'est l'opération par laquelle on change la position des axes d'une courbe. Par exemple si on a x & y pour les coordonnées d'une courbe ; en faisant y = z ± a, on changera l'axe des x de position en le reculant de la quantité a. Ce sera le contraire, si on fait y = u ± a ; alors l'axe des x reste en place, & c'est l'axe des y qui change. Si on fait en général x = m n + n z + a, & y = k n + g z + c ; m, n, k, g étant des nombres à volonté, & a, c, des constantes quelconques, alors les deux axes changeront tous deux de position & d'origine tout-à-la-fois. Si a & c sont = 0, les axes ne changeront que de position ; si k = 0, l'axe des y changera d'origine & non de position, & ainsi du reste. Voyez COURBE & la fig. 17 d'Algebre. (O)

TRANSFORMATION, s. f. (terme de Mysticisme) changement de l'ame contemplative qui, disent les mystiques, est alors comme abimée en Dieu, ensorte qu'elle ne connoit pas elle-même sa distinction d'avec Dieu ; il n'y a plus d'autre moi que Dieu, disoit Catherine de Gènes, en parlant de cette union d'essence.

Dans de tels momens, disoit madame Guyon, j'étouffe en Dieu. Voilà des idées bien folles. (D.J.)


TRANSFUGES. m. (Art milit.) La plus grande partie de l'Europe s'étonne, avec raison, de la sévérité de quelques-unes de nos loix, en particulier de celles qui sont portées contre les déserteurs : il n'y a aucune nation qui les traite avec autant de rigueur que nous.

Chez quelques-unes, on a changé la loi qui condamnoit ces malheureux à la mort ; on les punit par d'autres châtimens, à moins que leur désertion ne soit accompagnée de quelques crimes.

Dans d'autres pays, comme en Autriche, en Angleterre, &c. on n'a point abrogé la loi qui portoit la peine de mort ; mais par des rescrits & des ordres particuliers envoyés aux chefs des corps, on les laisse maître de choisir la peine qu'ils veulent infliger aux déserteurs, & ils ne font ordinairement pendre ou passer par les armes, que ceux dont la désertion est le métier, & ceux qui sont coupables d'autres crimes.

L'usage chez ces nations, empêche l'effet de la loi qu'on n'a point abrogée, ou pour mieux dire, cet usage étant autorisé par le gouvernement, est devenu une loi nouvelle qu'on a substituée à l'ancienne.

Est-il possible que sous le regne d'un prince humain & juste, chez un peuple éclairé & dont les moeurs sont si douces, on laisse subsister une loi barbare, qu'on élude à la vérité par abus, mais qui est toujours exécutée lorsque le procès est instruit, & que le déserteur est jugé.

Plus on réfléchit sur la constitution de notre militaire, sur les hommes qui la composent, sur le caractere de la nation, sur la disette d'hommes qui se fait sentir en France, sur le peu d'effet de la loi qui condamne les déserteurs à la mort, plus on est convaincu de l'injustice & de l'atrocité de cette loi.

Lorsque l'Europe prit de l'ombrage de la puissance de Louis XIV. elle se ligua pour affoiblir ce prince ; elle soudoya contre lui des armées immenses, auxquelles il en voulut opposer d'aussi nombreuses ; de ce moment l'état militaire de toutes les nations a changé ; il n'y a point eu de puissance qui n'ait entretenu, même en tems de paix, plus de troupes que la population, ses moeurs & ses richesses ne lui permettoient d'en entretenir, cela est d'une vérité incontestable.

Depuis la découverte du nouveau monde, l'augmentation des richesses, la perfection & la multitude des arts, le luxe enfin, ont multiplié dans toute l'Europe une espece de citoyens livrés à des travaux sédentaires qui n'exercent pas le corps, ne le fortifient pas ; de citoyens qui accoutumés à une vie douce & paisible, sont moins propres à supporter les fatigues, la privation des commodités, & même les dangers, que les robustes & laborieux cultivateurs.

Mais depuis que le nombre des soldats est augmenté, il a fallu pour ne pas dépeupler les campagnes, faire des levées dans les villes & dans la classe des citoyens dont je viens de parler ; on peut en conclure que dans les armées, il y a un grand nombre d'hommes que leurs habitudes, leurs métiers, enfin leurs forces machinales, ne rendent point propres à la guerre, & qui par conséquent n'en ont point le goût ; la plupart même ne s'y seroient jamais enrôlés, si on n'avoit pas fait de l'enrôlement, un art auquel il est difficile qu'échappe la jeunesse étourdie.

Le soldat malgré lui est donc un état fort commun en France, & même dans le reste de l'Europe ; cet état est donc plus commun qu'il n'étoit dans des tems où des armées moins nombreuses n'étoient composées que d'hommes choisis, & qui venoient d'eux-mêmes demander à servir. C'est le caprice ou dépit, le libertinage, un moment d'ivresse, & sur-tout les supercheries des enrôleurs, qui nous donnent aujourd'hui une partie de ces soldats qu'on appelle de bonne volonté ; plusieurs ont embrassé sans réflexions un genre de vie, auquel ils ne sont pas propres, & auquel ils sont fréquemment tentés de renoncer.

Mais à quelque degré qu'on ait porté l'art des enrôlemens, cet art n'a pu fournir les recrues dont on avoit besoin, on y a suppléé par des milices. Parmi les hommes tirés au sort, pris sans choix, arrachés à leurs faucilles, au métier auquel ils s'étoient consacrés, si un grand nombre prend l'esprit & le goût de son état nouveau, on ne peut nier qu'un grand nombre aussi ne périsse de chagrin & de maladie.

Les hommes dont un ordre du prince a fait des soldats, & ceux qui n'entrent au service que parce qu'on les a séduits & trompés, prennent d'autant moins les inclinations & les qualités nécessaires à leur métier, que leur état n'est plus ce qu'il a été autrefois. La paye des soldats n'a pas été augmentée en proportion de la masse des richesses, & de la valeur des monnoies : le soldat est payé en France à-peu-près comme il l'étoit sous le regne d'Henri IV. quoi qu'il y ait au-moins dix-huit fois plus d'argent dans le royaume qu'il n'y en avoit alors, & que la valeur des monnoies y soit augmentée du double.

Il est donc certain que les soldats, pour le plus grand nombre, ont embrassé un métier pénible, où ils ont moins d'aisance, où ils gagnent moins que dans ceux qu'ils ont quitté, où leurs peines sont trop peu payées, & leurs services trop peu récompensés ; ils sont donc & doivent être moins attachés à leur état, & souvent plus tentés de l'abandonner que ne l'étoient les soldats d'Henri IV.

Ce sont des hommes plutôt enchaînés qu'engagés, qu'on punit de mort lorsqu'ils veulent rompre des chaînes qui leur pesent.

Seroient-ils traités avec tant de rigueur, si l'on avoit réfléchi sur la multitude des causes qui peuvent porter les soldats à la désertion ? ces hommes si soumis à leurs officiers par les loix de la discipline, sont quelquefois les victimes de la partialité & de l'humeur. N'éprouvent-ils jamais de mauvais traitemens sans les avoir mérités ? ne peuvent-ils pas se trouver associés à des camarades ou dépendans de bas-officiers avec lesquels ils sont incompatibles ? eux-mêmes seront-ils toujours sans humeur & sans caprices ? doivent-ils être insensibles au poids du désoeuvrement qui les conduit à l'ennui & au dégoût ? l'ivresse, qui les a portés, à s'enrôler ne leur inspire-t-elle jamais le projet de déserter qu'ils exécutent sur le champ ? Je sais que la plupart ne tarderoient pas à revenir s'ils pouvoient, & c'est ce qui arrive chez les peuples où on n'inflige qu'une peine légere au soldat qui revient de lui-même à ses drapeaux, plusieurs y retourneroient dès le lendemain.

Il n'y a plus guere qu'en France où la loi soit assez cruelle pour fermer le chemin au repentir, où elle prive pour jamais la patrie d'un citoyen qui n'est coupable que de l'erreur d'un moment, où le citoyen pour avoir manqué une fois à des engagemens qu'il a rarement contractés librement, est poursuivi comme ennemi de la patrie, & où l'envie sincere qu'il a de réparer sa faute ne peut jamais lui mériter sa grace.

Cela est d'autant plus inhumain, que le soldat françois a bien d'autres raisons que la modicité de sa paye & la maniere dont il est habillé pour être tenté de déserter, & ce sont des raisons que les soldats n'ont guere chez les étrangers ; on y a mieux connu les moyens d'établir la subordination & la discipline. Chez eux les égards entre les égaux, le respect outré pour le nom & pour le rang ne sont pas la source de mille abus ; la loi militaire y commande également à tout militaire ; le général s'y soumet, il la fait suivre exactement à la lettre par les généraux qui sont sous ses ordres ; ceux-ci par les chefs des corps, & les chefs des corps par les officiers subalternes. Comme la loi est extrêmement respectée de tous, c'est toujours elle qui commande, & le général par rapport aux officiers, & ceux-ci par rapport aux soldats, n'osent lui substituer leurs préférences, leurs fantaisies, leurs petits intérêts. Le soldat prussien, anglois, &c. est plus asservi que celui de France & sent moins la servitude, parce qu'il n'est asservi que par la loi. C'est toujours en vertu de l'ordre émané du prince, c'est pour le bien du service qu'il est commandé, employé, conservé, congédié, récompensé, puni ; ce n'est pas par la fantaisie de son colonel ou de son capitaine. On prétend, & je le crois, que les soldats françois ne supporteroient pas la bastonnade, à laquelle souvent sont condamnés les soldats allemands, mais je suis persuadé qu'ils la supporteroient plus aisément que les coups de pié, les coups de canne, les coups d'esponton que leur donnent quelquefois des officiers étourdis. La bastonnade n'est qu'un châtiment, & les coups sont des insultes, elles restent sur le coeur des soldats les plus estimables, elles leur donnent un dégoût invincible pour leur état, & les forcent souvent à déserter ; ce qui leur en donne encore l'envie, ce sont les fautes dans lesquelles ils tombent, & dans lesquelles ils ne tomberoient pas, si la discipline étoit plus exactement & plus uniformement observée. Souvent les troupes qui étoient sous un homme relâché, passent sous les ordres d'un homme sévere, quelquefois d'un homme d'humeur ; elles font des fautes, elles en sont punies, & prennent du mécontentement, & l'esprit de désertion.

Les jeunes soldats, avant l'augmentation de la viande & du pain, étoient obligés de marauder pour vivre ; on en a vu en Westphalie que la faim avoit fait tomber en démence ; elle en a fait mourir d'autres ; n'en a-t-elle pas fait déserter ? Combien de fois n'est-il pas arrivé qu'à l'armée, en garnison même, le peu d'alimens qu'on donnoit au soldat, & qui suffisoit à-peine pour sa nourriture, étoit d'une mauvaise qualité ? Combien de fois cette mauvaise nourriture ne lui a-t-elle pas ôté la force & le courage de supporter les fatigues de la campagne ? est-il fort extraordinaire qu'un soldat veuille se dérober à ces situations violentes ?

Je parlerai encore d'autres causes de désertion lorsque je proposerai les moyens de la prévenir : & comptez-vous pour rien la légereté & l'inconstance qui entrent pour beaucoup dans le caractere du françois ? Comptez-vous pour rien cette inquiétude machinale, ce besoin de changer de lieu, d'occupation, d'état même ; ce passage fréquent de l'enjouement au dégoût, qualités plus communes chez eux que chez tous les peuples de l'Europe. Quoi ! ce sont ces hommes que la nature, leurs opinions, & notre gouvernement ont fait inconstans & légers, pour l'inconstance & la légéreté desquels vous êtes sans indulgence. Ce sont ces hommes que nos négligences, notre discipline informe, notre patrimoine mal placé rendent si souvent malheureux, à qui vous ne pardonnez pas de sentir leurs peines & de céder quelquefois à l'envie de s'en délivrer ?

On va me dire qu'on a senti les inconvéniens du caractere françois sans avouer toutes les raisons de déserter qu'on donne en France au soldat ; on me dira, que le françois est naturellement déserteur, qu'on le sait ; que c'est pour prévenir la désertion qu'on la punit toujours de peine capitale ; je répondrai à ce discours par une question.... Quelles ont été jusqu'à présent les suites de vos arrêts sanguinaires & de tant d'exécutions ? Depuis que les déserteurs sont punis de mort en France, y en a-t-il moins qu'il y en avoit autrefois ? Consultez les longues listes de ces malheureux que vous faites imprimer tous les ans, comparez-les à celles qui restent de ces tems où vos loix étoient moins barbares, & jugez des effets merveilleux de votre sévérité. Elle n'en a aucuns de bons, non, elle n'en a aucuns. Depuis que vous condamnez les déserteurs à mort, la désertion est aussi commune dans vos troupes qu'elle l'étoit auparavant. J'ai même des raisons de croire qu'elle y est plus commune encore ; & si l'on veut fouiller dans le dépôt de la guerre & dans les bureaux, on n'en doutera pas plus que moi. L'on sera forcé d'avouer qu'on verse le sang dans l'intention de prévenir un crime qu'on ne prévient pas ; que ne pourroit-on pas dire d'une telle loi, sur-tout si comme on a lieu de le penser, elle a même augmenté la désertion ? Quelque sévere que soit la loi, peut-elle empêcher le soldat d'éprouver dans son état l'inconstance, le mécontentement, le dégoût ? & la crainte de la mort est-elle le frein le plus puissant pour retenir des hommes qui sont & doivent être familiarisés avec l'image de la mort ?

Comment sont le plus généralement composées vos armées ? D'hommes libertins, paresseux & braves, craignant les peines, le travail & la honte, mais assez indifférens pour la vie. Il est connu que ce ne sont point les mauvais soldats qui désertent ; ce sont au-contraire les plus braves ; ce n'est presque jamais au moment d'un siége, à la veille d'une bataille qu'il y a de la désertion ; c'est lorsqu'on ne trouve pas des vivres en abondance ; c'est lorsque les vivres ne sont pas bons ; c'est lorsqu'on fatigue les troupes sans de bonnes raisons apparentes ; c'est lorsque la discipline s'est relâchée, ou lorsqu'il s'introduit quelques nouveautés utiles peut-être, mais qui déplaisent aux soldats, parce qu'on ne prend pas assez de soin de leur en faire sentir l'utilité. Dans ces momens la loi de mort est si peu un frein, qu'on se fait un mérite de la braver, & l'on n'auroit pas bravé de même le mal ou l'ignominie. Tel qui n'auroit pas risqué les galeres, risquera de passer par les armes. Il y a même des momens où les soldats désertent par point d'honneur. Souvent un mécontent propose à ses camarades de déserter avec lui, & ceux-ci n'osent pas le refuser, parce qu'ils paroîtroient effrayés par la loi, & que la craindre c'est craindre la mort. La rigueur de la loi peut donc inviter les hommes courageux à l'enfreindre, mais elle invite bien plus encore à l'éluder. Chez un peuple dont les moeurs sont douces, quand les loix sont atroces, elles sont nécessairement éludées. Le corps estimable des officiers françois sauve le plus de déserteurs qu'il lui est possible, il suffit que la désertion n'ait pas éclaté pour que le déserteur ne soit point dénoncé. Souvent on fait d'abord expédier pour lui un congé limité, & ensuite un congé absolu ; lorsqu'on n'a pu éviter qu'il soit dénoncé & condamné par le conseil de guerre, personne ne s'intéresse à le faire arrêter ; il ne le seroit pas par les officiers même, il l'est encore moins par le peuple des lieux qu'il traverse ; il compte plutôt sur la pitié que sur la haine de ses concitoyens ; il sait qu'ils auront plus de respect pour l'humanité que pour la loi qui la blesse ; souvent même il ne prend pas la peine de cacher son crime, & ce n'est pas une chose rare en France que de trouver sur les grands chemins & le long des villages des hommes qui vous demandent l'aumône pour de pauvres déserteurs. La maréchaussée à qui l'habitude d'arrêter des criminels, & de conduire des hommes au supplice, doit avoir ôté une partie de sa commisération, semble la retrouver pour les déserteurs, elle les laisse presque toujours échapper quand elle le peut sans risquer que son indulgence soit connue : que vos loix soient conformes à vos moeurs, si vous voulez qu'elles soient exécutées, & si elles ne le sont pas, si elles sont méprisées ou éludées, vous introduisez celui de tous les abus qui est le plus contraire à la police générale, au bon ordre & aux moeurs.

L'indulgence des officiers, celle de la maréchaussée, & de toute la nation pour les déserteurs, est sans doute connue du soldat ; ne doit-elle pas entretenir dans ceux qui sont tourmentés de l'envie de déserter, une espérance d'échapper à la loi ? Cette espérance doit augmenter de jour en jour dans ces malheureux, & doit enfin emporter la balance sur la crainte de la loi : au reste, le plus grand nombre d'hommes qui lui échappent n'en sont pas moins perdus pour l'état ; la plûpart passent dans les pays étrangers ; & plusieurs qui restent dans le royaume y traînent une vie inquiete & malheureuse, qui les rend incapables des autres emplois de la société. On compte depuis le commencement de ce siecle près de cent mille déserteurs ou exécutés, ou condamnés par contumace, & presque tous également perdus pour le royaume ; & c'est ce royaume dans l'intérieur duquel vous trouvez des terres en friche qui manquent de cultivateurs ; c'est ce royaume dont les colonies ne sont point peuplées, & n'ont pu se défendre contre l'ennemi ; c'est, dis-je, ce royaume que vous privez dans l'espace d'un demi-siecle de cent mille hommes robustes, jeunes, & en état de le peupler & de le servir. En supposant que les deux tiers de ces hommes condamnés à mort, eussent vécu dans le célibat, qu'ils eussent continué à servir, & qu'ils fussent morts au service, ils y auroient tenu la place d'autres qui se seroient mariés, & le tiers seul de ces malheureux proscrits, qui rendus à leur patrie, y seroient devenus citoyens, époux, & peres, auroient mis trente mille familles de plus dans le royaume ; les enfans de ces familles augmenteroient aujourd'hui le nombre de vos artisans, de vos matelots, de vos paysans, enfin, de votre derniere classe de citoyens, dans laquelle la disette d'hommes se fait sentir autant que le trop grand nombre d'hommes se fait sentir dans les autres classes. Mais n'aviez-vous pas d'autres raisons politiques que celle de la population, pour conserver la vie à vos déserteurs ; ne pouviez-vous les employer utilement ? N'aviez-vous pas d'autres moyens, & des moyens plus efficaces pour prévenir le crime de désertion, que de vous priver du travail & des forces d'un si grand nombre de citoyens ? Il faut punir les déserteurs sans doute ; mais il faut que dans les châtimens même, ils soient encore utiles à l'état, & sur-tout il ne faut les punir qu'après leur avoir ôté les motifs qui les sollicitent au crime. Voilà ce qu'on doit d'abord au soldat ; à cette espece d'hommes à laquelle on impose des loix si séveres, & de qui on exige tant de sacrifices. Membres de la société qu'ils protégent, ils doivent en partager les avantages, & ses défenseurs ne doivent pas être ses victimes. Le premier devoir de tous les citoyens, sans doute, est la défense de la patrie ; tous devroient être soldats, & s'armer contre l'ennemi commun ; mais dans les grandes sociétés, telles que sont aujourd'hui celles de l'Europe, les princes ou les magistrats qui les gouvernent, choisissent parmi les citoyens ceux qui veulent se dévouer plus particulierement à la guerre. C'est à l'abri de ce corps respectable, que le reste cultive les campagnes, & qu'il jouit de la vie ; mais le blé de vos campagnes croît pour celui qui les défend, comme pour celui qui les cultive, & les laines employées dans vos manufactures, doivent habiller ces hommes sans lesquels vous n'auriez pas de manufactures. Il est injuste & barbare d'enchaîner le soldat à son métier, sans le lui rendre agréable ; il a fait à la société des sacrifices ; la société lui doit des dédommagemens : je crois indispensable d'augmenter la paye du soldat ; elle ne suffit pas à ses besoins réels ; il lui faudroit au-moins deux sols par jour de plus, pour qu'il fût en France aussi-bien qu'il devroit l'être ; il faudroit qu'il eût un habit tous les ans. Cette augmentation dans le traitement de l'infanterie, ne feroit pas une somme de cinq à six millions ; & sans doute elle pourroit se prendre sur des réformes utiles. C'est dans la réforme des abus que vous trouverez des fonds ; mais s'il falloit absolument que l'état fournît à cette augmentation de paye par de nouveaux fonds, & qu'il ne pût les donner, il vaudroit mieux alors diminuer les troupes ; parce que cinquante mille hommes bien payés, bien contens, & par conséquent pleins de zele & de bonne volonté, défendent mieux l'état, que cent cinquante mille hommes, dont la plûpart sont retenus par force, & dont aucun n'est attaché à l'état.

Avec la légere augmentation dont je viens de parler, le soldat doit jouir à-peu-près de la même sorte d'aisance que le bon laboureur, & l'artisan des villes ; pour vous conserver de vieux soldats, & prévenir même l'envie de désertion, ce seroit sur-tout aux caporaux, anspesades, & premiers fusiliers, qu'il seroit important de faire un bon traitement. Un moyen encore d'attacher le soldat à son état, c'est d'y attacher l'officier. Il fait passer son esprit dans celui qu'il commande ; le soldat se plaint dès que l'officier murmure ; quand l'un se retire, l'autre est tenté de déserter. Je sais que le traitement des officiers françois est meilleur qu'il ne l'étoit avant la guerre ; mais il n'est pas encore tel qu'il devroit être : j'entends se plaindre que l'esprit militaire est tombé en France, qu'on ne voit plus dans l'officier le même zèle & le même esprit qu'on y a vu autrefois. Ce changement a plusieurs causes, j'en vais parler.

Dans le siecle passé il y avoit en France moins d'argent qu'il y en a aujourd'hui ; il n'y avoit pas eu d'augmentation dans les monnoies, le louis étoit à 14 liv. il est à 24 liv. il y a peut-être neuf cent millions dans le royaume, il n'y en avoit pas cinq cent ; avec la même paye qu'il a aujourd'hui, l'officier avoit une aisance honnête, & il est pauvre ; il y avoit peu de luxe, il pouvoit soutenir sa pauvreté sans en rougir ; il y a beaucoup de luxe, & sa pauvreté l'humilie ; il trouvoit encore dans son état des avantages dont il a cessé de jouir ; on avoit pour la noblesse une considération qu'on n'a plus ; elle l'a perdue par plusieurs causes ; je vais les dire. On étoit moins éloigné des tems où la distinction entre la noblesse & le tiers-état étoit plus grande, où la noblesse pouvoit davantage, où sa source étoit plus pure ; elle ne s'acquerroit pas encore par une multitude de charges inutiles, on l'obtenoit par des charges honorées & par des services ; elle étoit donc plus respectable & plus respectée ; ces corps étoient composés de l'ancienne noblesse des provinces, qui ne connoissoit que l'histoire de ses ancêtres ; sa chaise, ses droits & ses titres ; aujourd'hui les premiers corps d'infanterie sont composés d'officiers de noblesse nouvelle ; les familles annoblies par des charges de secrétaire du roi, ou autres de cette espece, passent dans une partie considérable des fiefs grands & petits, & achetent à la cour des charges qui sembloient faites pour la noblesse du second ordre ; voilà encore des raisons pour que la noblesse soit moins considérée qu'autrefois ; or, comme elle compose toujours, du-moins pour le plus grand nombre, votre militaire ; ce militaire a donc perdu de la considération par cette seule raison, que la noblesse en a perdu : les victoires de Turenne, du grand Condé, du maréchal de Luxembourg, le ministre de Louvois, l'accueil de Louis XIV. pour ceux qui le servoient bien à la guerre, avoient répandu sur le militaire de France, alors le premier de l'Europe, un éclat qui rejaillissoit sur le moindre officier ; la guerre malheureuse de 1701 dut changer à cet égard l'esprit de la nation ; le militaire ne put être honoré après les journées d'Hochstet & de Ramelies, Steinkerque, & de Nervindes ; à cette guerre succéda la longue paix qui dura jusqu'en 1733 ; pendant cette paix, il s'est formé dans le nord de l'Allemagne un systême militaire, qui a ravi à celui de France l'honneur d'être le modele des autres ; & pendant la même paix, la nation françoise s'est entierement livrée au commerce, à la finance, aux colonies, à la société, portés à l'excès : tous les gens d'affaires & les négocians se sont enrichis ; la nation a été occupée de la compagnie des Indes, comme elle l'avoit été des conquêtes ; les financiers par leur prodigalité & leur luxe, ont attiré aux richesses une considération excessive ; mais qui sera partout où il y aura des fortunes énormes. Il faut être persuadé que dans toute nation riche, industrieuse, commerçante, la considération sera du plus au moins attachée aux richesses ; quand nous sortirons d'une guerre heureuse, il ne faut pas croire que soit à Paris, soit dans les provinces, votre militaire, s'il reste pauvre, & si vous ne lui donnez pas de distinctions honorables, soit honoré, comme il a été ; & s'il n'a ni aisance, ni considération, il ne faut pas croire qu'il puisse avoir le même zèle qu'il a eu autrefois ; on s'étoit apperçu chez nous de ce changement dans notre militaire au commencement de la guerre de 1741, le dégoût étoit extrême dans l'officier comme dans le soldat ; les officiers même désertoient ; ils revenoient en foule de Bohème & de Baviere ; il y avoit sur la frontiere un ordre de les arrêter ; la présence du roi dans les armées, & les victoires du maréchal de Saxe ranimerent le zèle des officiers ; & ce qui les ranima bien autant, ce fut la prodigalité des graces honorables & pécuniaires ; on multiplia les grades au point que tout officier se flatta de devenir général ; cela fit alors un très-bon effet, mais les suites en ont été fâcheuses ; la multiplicité des grades supérieurs les a tous avilis, & le subalterne a supporté son état avec plus d'impatience.

Il ne peut y avoir pour les gens de guerre que deux mobiles, deux principes de zèle & d'activité, les honneurs & l'argent : si les honneurs n'ont pas le même éclat qu'ils avoient autrefois, il faut augmenter l'argent ; voyez les Anglois, la principale considération de leurs pays est attachée aux talens de l'esprit, à l'éloquence, au caractere propre, à l'administration ; Pitt a été plus honoré que Boscaven ; Bolinbroke a enlevé à Marlboroug le crédit qu'il avoit dans la nation ; ce sont ses représentans que le peuple aime & respecte ; il a quelque sorte de dédain pour l'état militaire, mais on la paye très-bien, & il sert de même.

Il faut imiter les Anglois, mais il faut qu'il nous en coute moins d'argent qu'à eux, parce que notre constitution est plus militaire que la leur, & qu'il est plus aisé en France que chez eux de donner de la considération aux officiers.

Il y a encore d'autres moyens d'ôter au soldat le dégoût de son métier ; de tous les soutiens de l'homme, il n'y en a pas en lui de plus puissant que celui de l'indépendance, parce que ce n'est que par elle qu'il peut employer ses autres instincts à son bonheur ; à quelque prix qu'il ait vendu sa liberté, il trouve toujours qu'il l'a trop peu vendue en occupant les premieres places de la société, il se plaint de n'être pas libre, & il se plaint avec plus de bonne foi qu'on ne pense : que doit donc penser le soldat enchaîné ? presque plus d'espérance dans le dernier ordre des citoyens : sa dépendance doit être extrême, la discipline le veut, mais elle n'empêche pas qu'on ne lui rende sa dépendance moins sensible ; il vaut mieux qu'il se croie attaché à un métier, que dans l'esclavage, & qu'il sente ses devoirs que ses fers.

Ne peut-on lui donner un peu plus de liberté ? N'y auroit-il pas des circonstances où le soldat pourroit obtenir un congé absolu, en rendant le prix de l'habillement qu'il emporte, & en mettant en sa place un homme dont l'âge, la taille & la force conviendroient au métier de la guerre ? Des parens infirmes qu'il faut soulager, un bien à gérer, & d'autres causes semblables, ne pourroient-elle faire obtenir ce congé aux conditions que je viens de dire ? Ne pourroit-on pas même le donner ou le faire espérer, du-moins au soldat qui auroit un dégoût durable & invincible pour son état ?

Peut-on penser que les dégoûts seroient aussi fréquents, si les soldats se croyoient moins irrévocablement engagés ? S'ils espéroient pouvoir retrouver leur liberté, chercheroient-ils à se la procurer par la désertion ? N'y a-t-il pas encore un moyen de rendre le soldat moins esclave, & par conséquent empêcher qu'il ne desire une entiere liberté ? Est-il nécessaire qu'il passe dans la garnison tous les momens de l'année, & faut-il l'exercer six mois pour qu'il n'oublie ni le maniment des armes, ni ses devoirs ?

Le roi de Prusse, dont l'état est entierement militaire, & qui pour conserver sa puissance, doit avoir un grand nombre de troupes disciplinées, & toujours sur le meilleur pié possible, donne constamment des congés au tiers de ses soldats ; ceux même qui sont ses sujets, ne restent guere que trois ou quatre mois de l'année à leur régiment, & l'on ne s'apperçoit pas que cet usage ait rien ôté à la précision avec laquelle tous ses soldats font leurs évolutions, ni à leur exactitude dans le service ; absens de leurs régimens ils n'oublient rien de ce qu'ils ont appris, parce qu'ils ont été formés sur de bons principes, & presque tous servent encore la patrie dans un autre métier que celui de la guerre.

On vient d'adopter à peu de choses près, ces principes. Nos soldats aussi bien instruits que les Prussiens, ne pourroient-ils pas s'absenter de même, & ne pas revenir plus ignorans qu'eux ? Ne pourroit-on pas même retenir aux absens le tiers de leurs payes, & donner ce tiers à ceux qui serviroient pour eux ? Ce seroit même un moyen d'ajouter au bien-être du soldat ; car en vérité il faut s'occuper de son bien-être, non-seulement par humanité, par esprit de justice, mais selon les vues d'une politique éclairée.

Je crois qu'il seroit à-propos de défendre beaucoup moins qu'on ne le fait, aux soldats en garnison de se promener hors des villes où ils sont enfermés ; qu'il ne leur soit pas permis de sortir avec les armes, la police l'exige ; mais à quoi bon les emprisonner dans des murs ? c'est leur donner la tentation de les franchir, c'est redoubler leur ennui ; & peut-être faudroit-il penser à leur procurer de l'amusement ? M. de Louvois s'en occupoit ; il envoyoit des marionnettes & des joueurs de gobelets dans les villes où il y avoit des garnisons nombreuses, & il avoit remarqué que ces amusemens arrêtoient la désertion.

Mais voici un point plus important ; je veux parler de l'esprit national. Rien n'empêchera plus vos soldats de passer chez l'étranger, que d'augmenter en eux cet esprit, & de s'en servir pour les conduire ; s'ils désertoient malgré cette attention de votre part, ils ne tarderoient pas à revenir ; il est pourtant vrai que notre esprit national nous distingue des autres nations plus qu'il ne nous sépare ; nous n'avons rien qui nous rende incompatibles avec elles ; le françois peut vivre par-tout où il y a des hommes ; les Anglois & les Espagnols au contraire pleins de mépris pour les autres peuples, désertent rarement chez les étrangers, & ne s'attachent point à leur service. Il y a dans le peuple en France, comme dans la bonne compagnie, un excès de sociabilité ; un remede à cet inconvénient, quant au militaire, ce seroit d'établir des usages, un certain faste, de certaines manieres, des moeurs même qui les sépareroient davantage des autres nations ; c'est bien fait assurément de prendre la pratique des Prussiens & leur discipline ; mais pour les égaler, faut-il employer les mêmes moyens qu'eux ? la bastonnade en usage chez les Allemands, & que les François ont en horreur ? c'est une des choses qui empêchoit le plus vos soldats de s'attacher au service d'Allemagne ; si vous l'établissiez chez vous, vous ôtez encore ce frein à l'esprit de désertion.

Pourquoi mener avec rudesse une nation qu'on récompense par éloge, ou qu'on punit par un ridicule ? une nation si sensible à l'honneur, à la honte & à son bien-être, ne doit être conduite que par ses mobiles ; vous détruiriez toute sa gaieté ; & s'il la perdoit, il s'accommoderoit aisément des nations chez lesquelles ne brille pas cette qualité si aimable.

Nous avons vu le régiment de M. de Rochambeaut * le mieux discipliné, & le mieux tenu & le plus sage de l'armée ; le châtiment terrible qu'il avoit imposé aux soldats négligens, peu exacts, paresseux, &c. étoit de les obliger à porter leurs bonnets toute la journée : c'est avec ce châtiment qu'il avoit fait de son régiment un des meilleurs de France. La prison, quelque retranchement à la paye, l'habitude de punir exactement plutôt que séverement, celle de corriger sans humilier, sans injures, sans mauvais traitemens, peuvent suffire encore pour discipliner vos armées & cette conduite doit inspirer à vos soldats un esprit qui leur donnera de l'éloignement pour le service étranger ; il faut qu'elles n'aient de commun

* Le régiment de la Marche à la conquête de l'île de Minorque.

avec les autres nations que ce qui doit être commun à toutes les bonnes troupes, le zele & l'obéissance ; pourquoi leur a-t-on fait prendre en ce moment les couleurs en usage chez les Allemands, & affecte-t-on de leur en donner en tout l'habillement jusqu'à des talons qui les font marcher de si mauvaise grace ? Il y a en Allemagne des usages bons à imiter ; mais je crois que ceux-là ne sont pas de ce nombre, & je dirois avec Moliere : non ce n'est point du tout la prendre pour modele, ma soeur, que de tousser & de cracher comme elle.

Nous prenons trop de ces allemands ; le ton des officiers généraux & des chefs des corps n'est plus avec des subalternes ce qu'il doit être ; la subordination peut s'établir sans employer la hauteur & la dureté ; on peut être sévere avec politesse, & sérieux sans dédain ; de plus on peut attacher de la honte au manquement de subordination ; on peut suspendre les fonctions de l'officier peu soumis & peu exact, le mettre aux arrêts, &c. Corrigeons notre ignorance & notre indocilité présomptueuses, mais restons françois. Nous sommes vains, qu'on nous conduise par notre vanité ; vos ordonnances militaires sont remplies de ce que le soldat doit à l'officier ; pourquoi ne pas parler un peu plus de ce que l'officier doit au soldat ; si celui-ci est obligé au respect, pourquoi l'autre ne l'est-il pas à quelque politesse ? ce soldat qui s'arrête pour saluer l'officier, est blessé qu'il ne lui rende pas son salut ; craint-on que le soldat traité plus poliment ne devienne insolent ? voit-on que les Espagnols le soient devenus depuis que leurs officiers les ont appellés sennorés soldados ? pourquoi ne pas punir l'officier qui se permet de dire des injures à un soldat, & quelquefois de le frapper ? L'exemption des corvées, quelques honneurs dans leurs villages, dans leurs paroisses, accordés aux soldats qui se seront retirés dans leurs paroisses avec l'approbation de leurs corps, releveroient leur état, & contribueroient à vous donner des recrues d'une meilleure espece.

Il regnoit, il n'y a pas long-tems, une sorte de familiarité & d'égalité entre les officiers de tous les grades, qui s'étendoit quelquefois jusqu'au soldat ; elle regnoit du-moins entre le soldat & les bas-officiers ; elle avoit sans doute de très-grands inconvéniens pour la discipline, & c'est bien fait de placer des barrieres, & de marquer les distances entre des hommes dont les uns doivent dépendre des autres. Mais cette sorte d'égalité, de familiarité répandue dans tous les corps militaires étoit très-agréable au subalterne & au soldat ; elle le dédommageoit en quelque sorte de sa mauvaise paye & de son méchant habit ; aujourd'hui qu'il est traité avec la sévérité sérieuse des Allemands & autres, & que les exercices, l'exactitude, &c. sont les mêmes ; il n'y a plus de différence que celle de la paye & de l'habit ; il n'a donc qu'à gagner en passant à ce service étranger, & c'est ce qu'ont fait nos meilleurs soldats ; le roi de Sardaigne a levé quatre mille hommes sur les seuls régimens qui étoient en Dauphiné & en Provence ; on peut assurer que la désertion continuera encore jusqu'à ce qu'il se fasse deux changemens, l'un dans les troupes qui finiront par n'être plus composées que de nouveaux soldats, la lie de la nation ; l'autre dans la nation même, qui doit perdre peu-à-peu son caractere ; il a sans doute des défauts & des inconvéniens ce caractere ; mais ces défauts tiennent à des qualités si éminentes, si brillantes, qu'il ne faut pas l'altérer ; je sais qu'il faut de l'esprit & de l'argent pour conduire les François tels qu'ils sont, & qu'il ne faut être que despote pour les changer ; aussi suis-je persuadé qu'un ministre aussi éclairé que celui-ci n'en formera pas le projet ; il verra sans doute la nécessité d'augmenter la paye de l'infanterie, & d'en relever l'état par mille moyens qu'il imaginera, & qui vaudront mieux que ceux que j'ai proposés ; il me reste à parler de la maniere de punir la désertion.

Je voudrois qu'on distinguât les déserteurs en plusieurs classes différemment coupables, ils ne doivent pas être également punis ; je voudrois qu'ils fussent presque tous condamnés à réparer ou bâtir des fortifications ; je voudrois qu'ils fussent enchaînés comme des galériens, avec des chaînes plus ou moins pesantes, seuls ou deux à deux, selon le genre de leur désertion. Ils auroient un uniforme à-peu-près semblable à celui des galériens ; en les traitant avec humanité, ils ne couteroient pas six sols par jour ; on les distribueroit dans les principales places, telles que Lille, Douai, Metz, Strasbourg, Briançon, Perpignan, &c. Ils seroient logés d'abord dans des casernes, & peu-à-peu on leur construiroit des logemens auxquels ils travailleroient eux-mêmes. Le soin de leur subsistance, de leur entretien & de leur discipline, seroit confié aux intendans ou à des commissaires des guerres, aux états majors des places, si l'on veut, & ils en rendroient compte aux officiers généraux commandans dans la province. Ils seroient veillés & commandés par quelques sergens, tirés de l'hôtel des invalides & payés par l'hôtel ; leur garde pourroit être confiée à des soldats invalides, payés aussi par l'hôtel. Quand le besoin des travaux l'exigeroit, ils seroient conduits d'une place à l'autre par la maréchaussée. Leur dépense seroit payée sur les fonds destinés aux fortifications, & cette maniere de réparer les places seroit un épargne pour le roi, qui paye vingt & trente sols aux ouvriers ordinaires ; il est bien difficile de dire précisément quel seroit le nombre des déserteurs assemblés ainsi dans les premiers années de cet établissement. Pendant l'autre paix, il désertoit à-peu-près deux ou trois cent hommes par an ; depuis cette derniere paix, il en est déserté plus de deux mille dans le même espace de tems, mais il est à croire que cette fureur de désertion ne durera pas ; d'ailleurs on arrête fort peu de déserteurs, on ne peut guere compter que de long-tems il y en ait plus de mille assemblés ; ils ne couteroient guere que 100000 liv. par an, ils travailleroient mieux que mille ouvriers ordinaires qui couteroient plus de 4 à 500000 liv.

J'ai dit que les déserteurs travailleroient mieux que ces ouvriers, & on en sera convaincu, lorsque j'aurai parlé de la police & des loix de cet établissement.

Il faut à-présent les distribuer par classes, & dire comment & combien de tems ils seront punis dans chacune des classes.

Ceux qui désertent dans le royaume sans voler, ni leurs armes, ni leurs camarades, & sans être en faction, condamnés pour deux ans à la chaîne & aux travaux, réhabillés ensuite & obligés de servir dix ans.

Ceux de cette espece qui reviendroient à leurs corps dans l'espace de trois mois ; condamnés à trois mois de prison, & à servir trois ans de plus que leurs engagemens, perdant leur rang.

Ceux qui désertent en faction, ou volant leurs camarades, ou emportant leurs armes ; condamnés pour leur vie aux travaux publics, & enchaînés deux à deux, ou quatre à quatre.

Ceux, qui en tems de guerre, désertent à l'ennemi sans voler, sans, &c. condamnés aux travaux publics, ensuite réhabillés, obligés de servir vingt ans, sans pouvoir prétendre aux récompenses accordées à ces longs services, à moins qu'ils ne le méritent par des actions ou une excellente conduite.

Ceux qui désertent à l'ennemi & ont volé ; passés par les armes, mais on ne réputeroit pas pour vol quelque argent dû au roi ou à leurs camarades.

Ceux des déserteurs, qui en tems de guerre, reviennent à leurs corps ; six semaines de prison, servent dix ans & reprennent leur rang ; s'ils ont volé, perdent leur rang, & servent jusqu'à ce qu'ils aient payé ce qu'ils ont pris.

Ceux qui ramenent un déserteur, ou seulement reviennent plusieurs ensemble ; engagés pour trois ans de plus, deux mois de prison, & reprennent leur rang, s'ils sont revenus dans l'année de leur désertion.

Ceux qui déserteroient pour la seconde fois sans vol ; condamnés aux travaux trois ans, & servent vingt ans.

Avec vol une des deux fois ; aux travaux pour leur vie.

Qui désertent pour la troisieme fois ; pendus.

Dans la classe de ceux qui seroient condamnés pour leur vie, je voudrois que dans quelques occasions, comme la naissance d'un prince, le mariage de l'héritier présomptif, une grande victoire, &c. le roi fît grace à un certain nombre qui seroit choisi sur ceux, qui depuis leur désertion, auroient marqué du zele dans le travail, & des moeurs, c'est-là ce qui les engageroit à travailler, & les rendroit plus facile à conduire ; de plus, par cet usage si humain, il n'y auroit que les plus mauvais sujets privés d'espérance.

Je suis persuadé que cette maniere de punir la désertion, seroit plus efficace que la loi qui punit de mort ; le soldat espéreroit moins échapper à ce châtiment, auquel les officiers, la maréchaussée, le peuple même ne chercheroient plus à le dérober, parce que la pitié qui parle en faveur même du coupable, lorsqu'il est condamné au dernier supplice, ne se fait point entendre pour un coupable, qui ne doit subir qu'un châtiment modéré : j'ajouterai que le supplice d'un homme qu'on pend ou à qui l'on casse la tête, ne frappe qu'un moment ceux qui en sont les témoins ; les impressions que ce spectacle fait sur des hommes peu attachés à la vie, ne tardent pas à s'effacer ; mais le soldat qui verroit tous les jours ces déserteurs enchaînés, mal vêtus, mal nourris, avilis & condamnés à des travaux, en seroit vivement & profondement affecté ; quel effet ne produiroit pas ce spectacle sur des hommes sensibles à la honte ; ennemis du travail, & amoureux de la liberté ? je suis persuadé qu'il leur donneroit de l'horreur pour le crime dont ils verroient le châtiment, sur-tout si on relevoit l'ame du soldat par les moyens que j'ai proposés, si on l'attachoit à son état par un meilleur sort ; & enfin, si on lui ôtoit des motifs de désertion qu'il est possible de lui ôter. Je crois du-moins, après ce que je viens dire, qu'on peut être convaincu que la justice exige que la désertion soit punie chez nous avec moins de sévérité, & que l'intérêt de l'état veut qu'on ne casse point la tête à des hommes qui peuvent encore servir l'état : je crois avoir plaidé ici la cause de l'humanité, mais ce n'est point en lui sacrifiant la discipline qui a sans doute des rigueurs nécessaires.

J'ai passé plus d'une fois dans ma vie autour des corps de malheureux auxquels on venoit de casser la tête, parce qu'ils avoient quitté un état qu'on leur avoit fait prendre par force ou par supercherie, & dans lequel on les avoit maltraités ; j'ai été blessé de la loi de sang, d'après laquelle il avoit fallu les condamner, j'en ai senti l'injustice & l'atrocité ; je me suis proposé de les démontrer.

Quant aux réflexions de toutes les especes dont j'ai rempli ce mémoire, je n'aurois point eu la témérité de les écrire, si je n'avois pas vu qu'elles étoient conformes aux idées de quelques officiers généraux, dont les lumieres & le zele pour la discipline ne sont point contestés ; s'il y a dans cet écrit quelques vérités utiles, elles leur appartiennent plus qu'à moi.


TRANSFUSIONS. f. (Méd. Thérapeut. Chirurg.) opération célébre qui consiste à faire passer du sang des vaisseaux d'un animal, immédiatement dans ceux d'un autre. Cette opération fit beaucoup de bruit dans le monde médecin, vers le milieu du siecle passé, environ les années 1664 & les suivantes, jusqu'en 1668 ; sa célébrité commença en Angleterre, & fut, suivant l'opinion la plus reçue, l'ouvrage du docteur Wren, fameux médecin anglois ; elle se répandit delà en Allemagne par les écrits de Major, professeur en médecine à Kiell ; la transfusion ne fut connue & essayée en France qu'en 1666 ; MM. Denys & Emmerets furent les premiers qui la pratiquerent à Paris ; elle excita d'abord dans cette ville des rumeurs considérables, devint un sujet de discorde parmi les médecins, & la principale matiere de leurs entretiens & de leurs écrits ; il se forma à l'instant deux partis opposés, dont l'un étoit contraire & l'autre favorable à cette opération ; ceux-ci, avant même qu'on l'eût essayée, prouvoient par des argumens de l'école que c'étoit un remede universel ; ils en célebroient d'avance les succès, & en vantoient l'efficacité ; ceux-là opposoient les mêmes armes, trouvoient des passages dans les différens auteurs, qui démontroient qu'on ne pouvoit pas guérir par cette méthode, & ils en concluoient que la transfusion étoit toujours ou du-moins devoit être inutile, quelquefois dangereuse, & même mortelle ; on se battit quelque tems avec des raisons aussi frivoles de part & d'autre ; & si l'on s'en fût tenu là, cette dispute ne fût point sortie de l'enceinte obscure des écoles ; mais bientôt on ensanglanta la scène ; le sang coula, non pas celui des combattans, mais celui des animaux & des hommes qui furent soumis à cette opération ; les expériences devoient naturellement décider cette question devenue importante, mais l'on ne fut pas plus avancé après les avoir faites ; chacun déguisa, suivant son opinion, le succès des expériences ; en même tems que les uns disoient qu'un malade qui avoit subi l'opération étoit guéri de sa folie, & paroissoit en différens endroits ; les autres assuroient que ce même malade étoit mort entre les mains des opérateurs, & avoit été enterré secrétement. Enfin, les esprits aigris par la dispute, finirent par s'injurier réciproquement ; le verbeux la Martiniere, l'athlete des anti-transfuseurs, écrivoit aux ministres, aux magistrats, à des prêtres, à des dames, à des médecins, à tout l'univers, que la transfusion étoit une opération barbare sortie de la boutique de satan, que ceux qui l'exerçoient étoient des bourreaux, qui méritoient d'être renvoyés parmi les Chichimeques, les Cannibales, les Topinambous, les Parabons, &c. que Denis entr'autres surpassoit en extravagance tous ceux qu'il avoit connus, & lui reprochoit d'avoir fait jouer les marionettes à la foire ; d'un autre côté Denis à la tête des transfuseurs, appelloit jaloux, envieux, faquins, ceux qui pensoient autrement que lui, & traitoit la Martiniere de misérable arracheur de dents, & d'opérateur du pont-neuf.

La cour & la ville prirent bientôt parti dans cette querelle, & cette question devenue la nouvelle du jour fut agitée dans les cercles avec autant de feu, aussi peu de bon sens, & moins de connoissance que dans les écoles de l'art & les cabinets des savans ; la dispute commença à tomber vers la fin de l'année 1668 par les mauvais effets mieux connus de la transfusion, & à la suite d'une sentence rendue au Châtelet, le 17 Avril 1668, qui défend, sous peine de prison, de faire la transfusion sur aucun corps humain que la proposition n'ait été reçue & approuvée par les médecins de la faculté de Paris ; & cette illustre compagnie, qu'on a vu souvent opposée avec tant de zèle contre des innovations quelquefois utiles, ayant gardé le silence sur cette question, elle est tombée, faute d'être agitée, dans l'oubli où elle est encore aujourd'hui ; à peine saurions-nous qu'elle a occupés les médecins, si quelques curieux n'avoit pris soin de nous conserver les ouvrages qu'elle excita dans le tems où elle étoit en vogue, & qui, comme tous les écrits polémiques, cessent d'être lus & recherchés dès que la dispute est finie. M. Falconet, possesseur d'une immense bibliotheque qu'il ouvre avec plaisir à tous ceux que le desir de s'instruire y amene, m'a communiqué une collection de seize ou dix-sept pieces sur la transfusion, où l'on trouve tout ce qui s'est passé de remarquable à ce sujet ; j'en ai tiré quelques éclaircissemens sur l'origine & la découverte de cette opération, les raisons qui servent à l'établir ou la détruire, les cas où on la croit principalement utile, & la maniere dont on la pratique.

L'on est peu d'accord sur l'origine de cette opération ; plusieurs auteurs en fixent l'époque au siecle passé, d'autres la font remonter jusqu'aux tems les plus reculés, & prétendent en trouver des descriptions dans des ouvrages très-anciens ; la Martiniere aussi jaloux d'en prouver l'ancienneté que l'inhumanité cite pour appuyer son sentiment, 1°. l'histoire des anciens Egyptiens, où l'on voit que ces peuples la pratiquoient pour la guerison de leurs princes ; & que l'un d'eux ayant conçu de l'horreur de voir mourir entre ses bras une créature humaine, & jugeant que le sang d'un homme agonisant se corrompt, fit cesser cette opération, & voulut qu'on y substituât le bain de sang humain, comme le plus analogue à la nature de l'homme & le plus propre à dissiper ses maladies. 2°. Le livre de la sagesse de Tanaquila, femme de Tarquin l'ancien, par lequel il paroît qu'elle a mis en usage la transfusion. 3°. Le traité d'anatomie d'Hérophile, où il en est parlé assez clairement. 4°. Un recueil d'un ancien écrivain juif, qui lui fut montré par Ben Israël Manassé, rabbin des juifs d'Amsterdam, où étoient les paroles suivantes : " Naam, prince de l'armée de Ben-Adad, roi de Syrie, atteint de lépre, eut recours aux médecins, qui pour le guerir ôtoient du sang de ses veines, & en remettoient d'autre, &c. " 5°. Le livre sacré des prêtres d'Apollon, où il est fait mention de cette opération. 6°. Les recherches des Eubages. 7°. Les ouvrages de Pline, de Celse & de plusieurs autres, qui la condamnent. 8°. Les métamorphoses d'Ovide, où l'on la trouve décrite parmi les moyens dont se servit Médée pour rajeunir Aeson, & qu'elle promit d'employer pour Pélias ; elle commença par leur ôter tout le vieux sang, ensuite elle remplit les vaisseaux d'Aeson des sucs qu'elle avoit préparés, Voyez RAJEUNISSEMENT, & dit aux filles de Pélias, pour les encourager à faire couler le sang de leur pere, qu'elle lui substitueroit celui d'un agneau. 9°. Les principes de physique de Maximus, où cet auteur l'enseigne. 10°. Le traité sur les sacrifices de l'empereur Julien, de Libanius, où l'auteur parle de la transfusion comme en ayant été témoin oculaire ; 11°. enfin il assure que Marsil Ficin, l'abbé Tritheme, Aquapendente, Harvée & Fra Paolo l'ont expérimentée. (La Martiniere, opuscules, lettr. à M. de Colbert.) Il auroit pu ajouter pour ôter à ses contemporains & à ses confreres la gloire prétendue de cette découverte, que Libavius avant Harvée l'avoit déja proposée & décrite très-exactement, que Handshan l'avoit pratiquée en 1658, & qu'elle avoit été perfectionnée en 1665 par Lower, &c.

La question sur l'ancienneté de cette opération paroît assez décidée par ce grand nombre de témoignages, dont on ne sauroit contester l'authenticité, du-moins quant à la plus grande partie ; le défaut de quelques ouvrages que la Martiniere cite, m'a empêché de vérifier plusieurs de ses citations, il doit être garant de leur justesse. Cependant je remarquerai que Marsil Ficin, qu'il donne comme transfuseur, ne parle que des bains ou de la succion de sang humain, & non de la transfusion ; que dans le livre de la sibylle Amalthée sur les souffrances des gladiateurs, qu'il cite aussi, il n'y est dit autre chose, sinon que leur sang pourra servir de remede, ce qui certainement ne sauroit s'appliquer à la transfusion, parce que le sang d'un homme mort n'est point propre à cette opération.

Cette découverte étant enlevée avec raison aux médecins du siecle passé, il reste à savoir à qui on en doit le renouvellement, plusieurs personnes se l'attribuent ; les Anglois & les François s'en disputent ce qu'ils appellent l'honneur ; & chacun de son côté apporte des preuves, sur lesquelles il est difficile & très-superflu de décider. On convient assez généralement que les premieres expériences en furent faites en Angleterre, & la premiere transfusion bien avérée y fut tentée par Handshan en 1658. Quelques allemands, Sturmius fameux mathématicien d'Altorf, Vehrius professeur à Francfort, ont prétendu que Maurice Hoffman en étoit le premier auteur, c'est-à-dire le renovateur ; mais leur prétention n'est point adoptée : c'est aussi le sentiment de M. Manfredi, que la transfusion a été imaginée en Allemagne, publiée en Angleterre & perfectionnée en France. Quoique les François avouent que les Anglois & les Allemands ont sur eux l'avantage d'avoir essayé les premiers la transfusion, ils ne cedent pas pour cela les droits qu'ils croient avoir à la découverte, ou au renouvellement de cette opération ; ils prétendent être les premiers qui l'ont proposée, & ils fondent leurs prétentions sur un discours qui fut prononcé à Paris au mois de Juillet 1658, dans une assemblée des savans qui se tenoit chez M. de Montmor, par dom Robert de Galats, religieux bénédictin : le sujet du discours est la transfusion du sang, & le but de l'auteur est d'y prouver la possibilité, la sécurité & les avantages de cette opération. Comme ces assemblées étoient fréquentées par des savans étrangers, & qu'il y avoit entr'autres quelques gentilshommes anglois qui y étoient très-assidus, il n'est pas fort difficile à concevoir, disent les François, comment l'idée de la transfusion aura passé par leur moyen dans les pays les plus éloignés. Tardy, médecin de Paris, prétend en avoir eu la premiere idée, & d'autres assûrent que M. l'abbé Bourdelot, médecin, en avoit parlé long-tems auparavant dans des conférences qui se faisoient chez lui. Il est d'ailleurs certain, par le témoignage unanime des auteurs de différentes nations, que les François ont les premiers osé en faire des expériences sur les hommes ; mais en cela méritent-ils plus d'éloges que de blâme ? Les succès ne déposent pas en leur faveur ; mais il faut présumer que l'intérêt public & l'espérance de guérir plus promtement des maladies opiniâtres, furent les motifs qui les engagerent à ces tentatives ; & dans ce cas, ils seroient certainement excusables : on ne devroit au contraire avoir pour eux que de l'horreur, s'ils n'ont eu d'autre but que de se distinguer, & s'ils ont cruellement fait servir les hommes de victimes à leur ambition. Quoiqu'il en soit, l'exemple de Denis, le premier transfuseur françois, fut bientôt après suivi par Lower & King. Les Italiens ne furent pas moins téméraires ; en 1668, ils répéterent la transfusion sur plusieurs hommes. MM. Riva & Manfredi firent cette opération. Un médecin, nommé Sinibaldus, voulut bien s'y soumettre lui-même ; les mêmes expériences furent faites en Flandres, & eurent, s'il en faut croire Denis, un heureux succès.

Les auteurs qui pratiquoient dans les commencemens la transfusion sur les animaux, ne cherchoient par cette opération qu'à confirmer la fameuse découverte pour-lors récente de la circulation du sang, mais les preuves qui en résulterent étoient assez inutiles, & d'ailleurs peu concluantes, quoi qu'en dise Boerhaave. Si on les avoit opposées aux anciens, ils n'auroient pas manqué d'y répondre que le sang étoit reçu dans les veines sans circuler, ou qu'il y étoit agité par le mouvement de flux & reflux qu'ils admettoient, que les modernes ont nié, & qui paroît cependant confirmé par quelques expériences ; mais, comme le remarque judicieusement l'immortel auteur du traité du coeur, " lorsqu'on connoît le cours du sang, on trouve dans la transfusion une suite, plutôt qu'une preuve évidente de la circulation ", vol. II. liv. III. chap. iij. On ne fut pas long-tems à se persuader qu'on pourroit tirer de la transfusion des avantages bien plus grands, si on osoit l'appliquer aux hommes ; M. Denis assure qu'il donna d'autant plus volontiers dans cette idée, que de tous les animaux qu'il avoit soumis à la transfusion, aucun n'étoit mort, & qu'au contraire il avoit toujours remarqué quelque chose de surprenant dans ceux qui avoient reçu un nouveau sang ; mais comme il n'avoit jamais pratiqué telle opération que sur des sujets de même espece, il voulut, avant de la tenter sur des hommes, essayer si les phénomenes en seroient les mêmes, & les suites aussi peu funestes, en faisant passer le sang d'un animal dans un autre d'une espece différente : il choisit pour cet effet le chien & le veau, dont il crut le sang moins analogue ; mais cette expérience réïterée plusieurs fois, ayant eu constamment le même succès, les chiens recevant sans aucune indisposition le sang étranger, il se confirma de plus en plus dans l'espérance de la voir reussir dans l'homme. Cependant ne voulant rien précipiter dans une matiere aussi intéressante, où les fautes sont si graves & irréparables, ce médecin prudent publia ses expériences, annonça celles qu'il vouloit faire sur les hommes, bien-aise de savoir l'avis des savans à ce sujet, & d'examiner les objections qu'on pourroit lui faire pour le dissuader de pousser si loin ses expériences, mais il n'eut pas lieu d'être retenu par les raisons qu'on lui opposa. Fondées uniquement sur la doctrine assez peu satisfaisante de l'école, elles ne pouvoient pas avoir beaucoup de force : les principales étoient 1°. que la diversité des complexions fondée sur le sang, suppose qu'il y a tant de diversité dans les sangs des différens animaux, qu'il est impossible que l'un ne soit un poison à l'égard de l'autre ; 2°. que le sang extravasé, ou qui sort de son lieu naturel, doit nécessairement se corrompre, suivant le sentiment d'Hippocrate ; 3°. qu'il doit se coaguler en passant par des vaisseaux inanimés, & causer ensuite en passant par le coeur des palpitations mortelles. Il ne fut pas mal-aisé à Denis de détruire ces objections frivoles, il y opposa de mauvais raisonnemens qui passerent alors pour bons ; il répondit encore moins solidement & plus prolixement à ceux qui lui objectoient que le sang pur transmis dans les veines d'un animal qui en contenoient d'impur, devoit se mêler avec lui & contracter ses mauvaises qualités ; & que d'ailleurs quand même il arriveroit que le mauvais sang changeât par le mêlange du bon, la cause qui l'avoit altéré subsistant toujours, il ne tarderoit pas à dégénérer de nouveau & à corrompre le sang pur. Cet argument est un des plus forts contre la transfusion, & auquel ses partisans ne pouvoient jamais faire de réponse satisfaisante.

Denis croyant avoir repoussé les traits de ses adversaires, emprunta à son tour le raisonnement pour soutenir la thèse qu'il avoit avancée. En premier lieu, il étaya son opinion par l'exemple de la nature, qui ne pouvant nourrir le foetus dans la matrice par la bouche, fait, suivant lui, une transfusion continuelle du sang de la mere dans la veine umbilicale de l'enfant. 2°. Il prétendit que la transfusion n'étoit qu'un chemin plus abrégé pour faire parvenir dans le sang la matiere de la nutrition, & que par ce moyen on évitoit à la machine tout le travail de la digestion, de la chylification & de la sanguification, & qu'on suppléoit très-bien aux vices qui pouvoient se trouver dans quelqu'une des parties destinées à ces fonctions. 3°. Il fit valoir l'idée de la plûpart des médecins de son tems, qui déduisoient presque toutes les maladies de l'intempérie & de la corruption du sang, & qui n'y apportoient d'autres remedes que la saignée ou les boissons rafraîchissantes ; il proposa la transfusion comme remplissant les indications qui se présentoient, mieux que ces secours, & comme une voie d'accommodement entre les médecins partisans des saignées & ceux qui en étoient les ennemis, disant aux premiers que la transfusion exigeoit qu'on évacuât auparavant le sang vieux & corrompu avant d'y en substituer un nouveau ; & rassûrant les autres que la foiblesse & les autres accidens qui suivent les saignées éloignoient de ce secours, en leur faisant voir que la transfusion remédie à ces inconvéniens, parce que le nouveau sang répare bien au-delà les forces abattues par l'évacuation du mauvais. 4°. Enfin il fit observer que plusieurs personnes meurent d'hémorrhagie qu'on ne peut arrêter, qu'il y en a beaucoup qui sont épuisés, & dont la vieillesse s'avance plus tôt qu'elle ne devroit par une disette de sang & de chaleur vitale ; il ne balance point à décider que la transfusion d'un sang doux & louable ne pût prévenir la mort des uns & prolonger les jours des autres.

Tous ces raisonnemens qui bien appréciés ne sont que des sophismes plus ou moins enveloppés, furent réfutés avec beaucoup de soin, & même assez solidement pour ce tems-là, dans une dissertation particuliere par M. Pierre Petit, sous le nom d'Eutyphron ; nous passons sous silence les argumens dont il se sert, dont la plûpart fort éloignés des idées plus saines qu'on s'est formé de l'homme paroîtroient absurdes. En partant des principes d'anatomie & d'économie animale les plus universellement reçus aujourd'hui ou les mieux constatés, on répondroit à Denis, 1°. que sa comparaison de l'enfant nourri par une espece de transfusion du sang maternel dans ses vaisseaux, avec ce qui arriveroit à un homme dans qui l'on injecteroit du sang étranger, est fausse & inappliquable ; il est démontré que le sang ne passe point de la mere au foetus, & que les vaisseaux de la matrice, qui s'abouchent avec les mamelons du placenta, ne filtrent qu'une liqueur blanchâtre fort analogue au lait, que la sanguification se fait dans les vaisseaux propres du foetus. 2°. Que le travail de la digestion n'est pas moins avantageux à la machine que les sucs qui en résultent ; que le passage des alimens & leur poids même dans l'estomac la remontent dans l'instant ; & que prétendre abréger ce chemin, c'est, comme l'a déja observé M. Petit, de même que si on jettoit quelqu'un par la fenêtre pour le faire plus tôt arriver dans la rue ; il est inutile de rappeller toutes les raisons tirées de l'action des différens organes chylopoiétiques, de la nature chymique des alimens & du sang, &c. 3°. Qu'il est faux que la plûpart des maladies viennent du sang ; elles ont presque toutes leur source dans le dérangement des parties solides, dans l'augmentation, ou la diminution du jeu, & de l'activité des différens visceres ; & quand les humeurs péchent, le vice est rarement dans le sang proprement dit, il consiste plutôt dans l'altération des humeurs qui doivent fournir la matiere des secrétions ; le sang d'un galeux, d'un vérolé, &c. sont tout aussi purs que celui d'un homme sain ; d'ailleurs lorsque la partie rouge du sang est viciée, n'arrive-t-il pas fréquemment que c'est par excès, que le sang est trop abondant, qu'il y a pléthore ? or la transfusion seroit dans ce cas manifestement nuisible. 4°. Que dans les hémorrhagies qui paroissent au premier coup-d'oeil indiquer la transfusion, cette opération y est ou inutile ou dangereuse ; inutile, s'il y a quelque vaisseau considérable de coupé, parce que remettre du sang dans les vaisseaux, c'est puiser de l'eau dans le seau des danaïdes ; dangereuse, si l'hémorrhagie est dûe à la foiblesse de quelque partie, à un dérangement dans l'action de quelque viscere, &c. parce qu'alors les vaisseaux extrêmement affoiblis par l'évacuation du sang qui a eu lieu, seroient incapables de contenir du nouveau sang, & d'agir efficacement sur lui. Il seroit plutôt à craindre que ce sang n'augmentât ou ne renouvellât l'hémorrhagie par l'irritation qu'il feroit, par l'espece de gêne qu'il occasionneroit dans toute la machine, & sur-tout dans le système sanguin. La transfusion paroît par les mêmes raisons devoir être plus inutile, & plus déplacée chez les personnes épuisées, chez les gens vieux, &c. car le vice est alors plus évidemment dans les parties solides ; & se flatter de tirer des avantages de cette opération dans les pleurésies, véroles, lepres, cancers, érésipeles, rage, folie, &c. c'est confondre des maladies absolument différentes, & afficher une ignorance grossiere sur leur nature, leur marche, leurs causes & leur guérison.

Il ne fut bientôt plus question de raisonnemens ; les chocs préliminaires faits avec ces armes foibles & à deux tranchans qui pouvoient se tourner également contre les deux partis, n'avoient servi qu'à échauffer & préparer les esprits sans éclaircir la question ; Denis osa enfin employer pour combattre, des armes d'une trempe plus forte, plus meurtriere, & dont les coups devoient être plus certains & plus décisifs ; il en vint à ces fameuses expériences, dont le succès heureux ou malheureux sembloit devoir terminer irrévocablement la dispute, confirmer, ou détruire ses prétentions ; la prudence auroit ce semble, exigé qu'il fît les premieres tentatives d'une opération si douteuse sur un criminel condamné à la mort ; quelles qu'en eussent été les suites, personne n'auroit eu lieu de se plaindre ; le criminel voyant une espérance d'échapper à la mort, s'y seroit soumis volontiers ; c'est ainsi qu'on devroit souvent tirer parti de ces hommes que la justice immole à la sureté publique, on pourroit les soumettre à des épreuves de remedes inconnus, à des opérations nouvelles, ou essayer sur eux différentes façons d'opérer, l'on obtiendroit par-là deux avantages, la punition du crime, & la perfection de la médecine ; Denis ne voulut pas prendre un parti si prudent, dans la crainte qu'un criminel déja altéré par l'appréhension de la mort, & qui pourroit s'intimider davantage par l'appareil de l'opération, ne la considérant que comme un nouveau genre de mort, ne tombât dans des foiblesses ou dans d'autres accidens que l'on ne manqueroit pas d'attribuer à la transfusion ; il aima mieux attendre qu'une occasion favorable lui fournît un malade qui souhaitât cette opération, & qui l'éprouvât avec confiance, parce que un sujet ainsi disposé aideroit par lui-même aux bons effets de la transfusion : mais pour pratiquer la transfusion sur les hommes, il avoit à choisir, ou du sang d'un autre homme ou du sang des animaux ; vivement frappé de la barbarie qu'il y auroit de risquer d'incommoder un homme, d'abréger ses jours pour en guérir, ou faire vivre plus long-tems un autre, barbarie cependant trop usitée dans bien d'autres occasions ; il se détermina pour le sang des animaux, & il crut d'ailleurs trouver dans ce choix d'autres avantages. 1°. Il imagina que les brutes dépourvûes de raison, guidées par les seuls appétits naturels ou l'instinct, & par conséquent exemptes de toutes les débauches & les excès auxquels les hommes se livrent, sans doute par un effet de la raison, devoient avoir le sang beaucoup plus pur qu'eux. 2°. Il pensa que les mêmes sujets dont la chair servoit journellement à la nourriture de l'homme, devoient fournir un sang plus analogue & plus propre à se convertir en sa propre substance. 3°. Il compta encore sur l'utilité des préparations qu'il feroit aux animaux avant d'en employer le sang, persuadé qu'il seroit plus doux & plus balsamique lorsqu'on auroit eu soin de nourrir pendant quelques jours les animaux plus délicatement ; il auroit dû ajouter, qu'on auroit pû par des remedes convenables, donner à leur sang des qualités plus appropriées aux maladies de ceux qui devoient le recevoir. Il auroit pû s'appuyer sur l'histoire vraie ou fausse de Mélampe, à l'égard des filles du roi Prétus, & sur une pratique assez suivie de nourrir les chevres, dont on fait prendre le lait à des malades, avec des plantes salutaires : 4°. il sentit que l'extraction du sang se feroit plus hardiment & avec plus de liberté sur les animaux, qu'on pourroit couper, tailler avec moins de ménagement, & prendre, s'il étoit nécessaire, du sang artériel & en tirer une grande quantité, & enfin les incommoder ou même les faire mourir sans s'en mettre beaucoup en peine ; toutes ces raisons moitié bonnes, moitié mauvaises, & toutes fort spécieuses, l'engagerent à se servir du sang des animaux pour en faire la transfusion dans les veines des malades qui voudroient s'y soumettre.

La premiere expérience se fit le 15 du mois de Juin 1667 sur un jeune homme, âgé de quinze ou seize ans, qui avoit essuyé depuis peu une fievre ardente, dans le cours de laquelle les Médecins peu avares de son sang, l'avoient fait couler abondamment à vingt différentes reprises, ce qui n'avoit sans doute pas peu aidé à la rendre plus opiniâtre ; cette fievre dissipée, le malade resta pendant long-tems valétudinaire & languissant, son esprit sembloit émoussé, sa mémoire auparavant heureuse, étoit presque entierement perdue, & son corps étoit pesant, engourdi, & dans un assoupissement presque continuel ; Denis imagina que ces symptomes devoient être attribués à un sang épaissi & dont la quantité étoit trop petite ; il crut sa conjecture vérifiée, parce que le sang qu'on lui tira avant de lui faire la transfusion, étoit si noir & si épais, qu'il ne pouvoit pas former un filet en tombant dans le plat ; on lui en tira environ cinq onces, & on introduisit par la même ouverture faite au bras, trois fois autant de sang artériel d'un agneau dont on avoit préparé la carotide ; après cette opération, le malade se couche & se releve, suivant le rapport de Denis, parfaitement guéri, ayant l'esprit gai, le corps léger & la mémoire bonne, & se sentant de plus très-soulagé d'une douleur qu'il avoit aux reins à la suite d'une chûte faite le jour précédent ; il rendit le lendemain trois ou quatre gouttes de sang par le nez, & se rétablit ensuite de jour en jour, il dit n'avoir senti autre chose pendant l'opération qu'une chaleur très-considérable le long du bras.

Ce succès, dit M. Denis, l'engagea à tenter une seconde fois cette opération ; on choisit un homme robuste & bien portant, qui s'y soumit pour de l'argent ; on lui tira dix onces de sang, & on lui en remit le double pris de l'artere crurale d'un agneau, le patient n'éprouva comme l'autre, qu'une chaleur très-vive jusqu'à l'aisselle, conserva pendant l'opération sa tranquillité & sa bonne humeur, & après qu'elle fut finie, il écorcha lui-même l'agneau qui y avoit servi, alla le reste du jour employer au cabaret l'argent qu'on lui avoit donné & ne ressentit aucune incommodité. Lett. de Denis à M. de Montmor, &c. Paris, 25 Juin 1667.

Il se présenta bien-tôt une autre occasion de pratiquer cette opération, mais où son efficacité ne fut pas aussi démontrée, de l'aveu même des transfuseurs, que dans les cas précédens ; le baron Bond, fils du premier ministre du roi de Suéde, se trouvant à Paris, fut attaqué d'un flux hépatique, diurétique & bilieux, accompagné de fievre ; les Médecins après avoir inutilement employé toutes sortes de remedes que la prudence leur suggéra, c'est-à-dire nombre de saignées du pié & du bras, des purgations & des lavemens, le malade fut, comme on l'imagine aisément, si affoibli qu'il ne pouvoit plus se remuer, perdit la parole & la connoissance, & un vomissement continuel se joignit à ces symptomes : les Médecins en désespérerent, on eut recours à la transfusion, comme à une derniere ressource. MM. Denis & Emmerets, ayant été mandés, après quelques légers refus, lui transfuserent environ deux palettes de sang de veau ; le succès de cette opération ne fut point, selon eux, équivoque. Le malade revint à l'instant de son assoupissement, les convulsions dont il étoit tourmenté cesserent, & son pouls enfoncé & fourmillant parut se ranimer ; le vomissement & le flux lientérique furent arrêtés, &c. mais après avoir demeuré environ 24 heures dans cet état, tous ces accidens reparurent avec plus de violence. La foiblesse fut plus considérable, le pouls se renfonça, & le dévoiement revenu jetta le malade dans des syncopes fréquentes. On crut qu'il étoit alors à-propos de réiterer la transfusion ; après qu'on l'eut faite, le malade parut reprendre un peu de vigueur, mais le flux lientérique persista toujours, & sur le soir la mort termina tous ces accidens ; les transfuseurs firent ouvrir le cadavre, & rejetterent le succès incomplet de leur opération sur la gangrene des intestins, & sur quelques autres dérangemens qu'on trouva dans les différens visceres. Lett. de Gadrogs (ou Denis) à M. l'abbé Bourdelot, médecin, &c. Paris, 8 Août 1667.

L'observation la plus remarquable, qui a fait le plus de bruit, soit dans Paris, soit dans les pays étrangers, qui a été si diversement racontée par les parties intéressées, & qui a enfin été cause que les magistrats ont défendu la transfusion, est celle d'un fou qu'on a soumis plusieurs fois à cette opération, qui en a été parfaitement guéri, suivant les uns, & que les autres assurent en être mort : voici le détail abrégé que Denis donne de sa maladie & des succès de la transfusion.

La folie de ce malade étoit périodique, revenant surtout vers la pleine lune : différens remedes qu'il avoit essayés depuis huit ans, & entr'autres dix huit saignées & quarante bains, n'avoient eu aucun succès ; l'on avoit même remarqué que les accès se dissipoient plus promtement lorsqu'on ne lui faisoit rien que lorsqu'on le tourmentoit par des remedes ; on se proposa de lui faire la transfusion ; MM. Denis & Emmerets consultés à ce sujet, jugerent l'opération très-utile & très-praticable. Ils répondirent de la vie du malade, mais n'assurerent pas sa guérison ; ils firent cependant espérer quelque soulagement de l'intromission du sang d'un veau dont la fraîcheur, disoient-ils, & la douceur pourroient tempérer les ardeurs & les bouillons du sang avec lequel on le mêleroit ; cette operation fut faite le lundi 19 Décembre, en présence d'un grand nombre de personnes de l'art & de distinction ; on tira au patient dix onces de sang du bras, & l'opérateur gêné ne put lui en faire entrer qu'environ cinq ou six de celui du veau ; on fut obligé de suspendre l'opération, parce que le malade avertit qu'il étoit prêt à tomber en foiblesse ; on n'apperçut les jours suivans presque aucun changement ; on en attribua la cause à la petite quantité du sang transfusé ; on trouva cependant le malade un peu moins emporté dans ses paroles & ses actions, & l'on en conclut qu'il falloit réitérer encore une ou deux fois la transfusion. On en fit la seconde épreuve le mercredi suivant 21 Décembre ; l'on ne tira au malade que deux ou trois onces de sang, & on lui en fit passer près d'une livre de celui du veau. La dose du remede ayant été cette fois plus considérable, les effets en furent plus promts & plus sensibles ; aussitôt que le sang commença d'entrer dans ses veines, il sentit la chaleur ordinaire le long du bras & sous l'aisselle ; son pouls s'éleva, & peu de tems après une grande sueur lui coula du visage ; son pouls varia fort dans cet instant : il s'écria qu'il n'en pouvoit plus des reins, que l'estomac lui faisoit mal, & qu'il étoit prêt à suffoquer ; on retira aussitôt la cannule qui portoit le sang dans ses veines, & pendant qu'on lui fermoit la plaie, il vomit quantité d'alimens qu'il avoit pris demi-heure auparavant, passa une partie de la nuit dans les efforts du vomissement, & s'endormit ensuite : après un sommeil d'environ dix heures, il fit paroître beaucoup de tranquillité & de présence d'esprit ; il se plaignit de douleurs & de lassitude dans tous ses membres ; il pissa un grand verre d'urine noirâtre, & resta pendant toute la journée dans un assoupissement continuel, & dormit très-bien la nuit suivante ; le vendredi il rendit encore un verre d'urine aussi noire que la veille ; il saigna du nez abondamment, d'où l'on tira une indication pour lui faire une saignée copieuse.

Cependant le malade ne donna aucune preuve de folie, se confessa & communia pour gagner le jubilé, reçut avec beaucoup de joie & de démonstrations d'amitié sa femme contre laquelle il étoit particulierement déchaîné dans ses accès de folie ; un changement si considérable fit croire à tout le monde que la guérison étoit complete. Denis n'étoit pas aussi content que les autres ; il appercevoit de tems en tems encore quelques légéretés qui lui firent penser que pour perfectionner ce qu'il avoit si bien commencé, il falloit encore une troisieme dose de transfusion ; il différa cependant l'exécution de ce dessein, parce qu'il vit ce malade se remettre de jour en jour, & continuer à faire des actions qui prouvoient le bon état de sa tête. Lettre de Denis à M.**** Paris, 12 Janvier 1668.

Peu de tems après (le 10 Février 1668,) M. Denis fit faire la transfusion à une femme paralytique sur laquelle un médecin avoit inutilement épuisé tout son savoir ; il l'avoit fait saigner cinq fois du pié & des bras, & lui avoit fait prendre l'émétique & une infinité de médecines & de lavemens. La transfusion étant décidée & la malade préparée, on choisit un sang qui eût assez de chaleur & de subtilité, ce fut le sang artériel d'un agneau ; on en fit passer en deux fois douze onces dans les veines de la paralytique ; l'opération fut suivie du succès le plus complet ; le sentiment & le mouvement revinrent dans toutes les parties qui en étoient privées. Denis, lettre à M. Sorbiere, médecin, 2 Mars 1668.

Vers la fin du mois de Janvier le fou qui avoit donné de si grandes espérances, & qui avoit prodigieusement enflé le courage des transfuseurs, tomba malade (M. Denis ne marque pas le caractere de la maladie) ; sa femme lui ayant fait prendre quelques remedes qui n'eurent aucun effet, s'adressa à M. Denis, suivant ce qu'il écrit (lettre à M. Oldembourg, secrétaire de l'acad. royale d'Angl. Paris, 15 Mai 1668,) & le pria instamment de réitérer sur lui la transfusion. Ce ne fut qu'à force de prieres que ce médecin si impatient quelques jours auparavant de faire cette opération au même malade, s'y résolut alors ; à peine avoit-on ouvert la veine du pié pour lui tirer du sang pendant qu'une cannule placée entre l'artere du veau & une veine du bras lui apportoit du nouveau sang, que le malade fut saisi d'un tremblement de tous les membres ; les autres accidens redoublerent ; l'on fut obligé de cesser l'opération à peine commencée ; & le malade mourut dans la nuit. Denis soupçonnant que cette mort étoit l'effet du poison que la femme avoit donné à ce fou pour s'en délivrer, & alléguant quelques poudres qu'elle lui avoit fait prendre, demanda l'ouverture du cadavre, & dit ne l'avoir pas pu obtenir ; il ajoute que la femme lui raconta qu'on lui offroit de l'argent pour soutenir que son mari étoit mort de la transfusion, & qu'elle lui proposa de lui en donner pour assurer le contraire ; à son refus la femme se plaignit, cria au meurtre ; Denis eut recours aux magistrats pour se justifier ; & de ces contestations résulta une sentence du Châtelet qui, comme nous l'avons déja remarqué, " fait défenses à toutes personnes de faire la transfusion sur aucun corps humain, que la proposition n'ait été reçue & approuvée par les médecins de la faculté de Paris, à peine de prison. "

Telle fut la fin des expériences de la transfusion sur les hommes, qu'on fit à Paris, qui, quoique présentées par les transfuseurs, & par conséquent sous le jour le plus avantageux & avec les circonstances les plus favorables, ne paroissent pas bien décisives pour cette opération. On voit que, suivant eux, de cinq personnes qui l'ont éprouvée, deux malades ont été guéris, un homme sain n'en a pas été incommodé, & deux autres n'ont pu éviter la mort, & de ces deux le fou a eu à la suite divers accidens, comme foiblesse, défaillance, vomissement, excrétion d'urines noires, assoupissement, saignement de nez, &c. & l'on ne sauroit douter que les avantages de cette opération n'ayent été sûrement exagérés par ceux qui la pratiquoient & s'en disoient les inventeurs ; leur honneur & leur fortune même étoient intéressés au succès de la transfusion ; & c'est une regle assez sure dans la pratique, qu'on doit être d'autant plus réservé à croire des faits dont on n'a pas été témoin, qu'ils sont plus merveilleux, & que ceux qui les racontent ont plus d'intérêt à les soutenir. Les bons effets de la transfusion paroîtront encore plus douteux, si l'on consulte les relations que les antitransfuseurs, surtout la Martiniere & Lami, donnent des cures opérées par son moyen ; & si l'on examine certaines circonstances sur lesquelles on étoit généralement d'accord, mais que les transfuseurs supprimerent comme leur étant inutiles ou peu favorables.

On remarque en premier lieu, que le jeune homme qui a été le sujet de la premiere expérience, étoit domestique de Denis, & qu'on ne cite aucun témoin de cette opération ; la Martiniere ajoute que le témoignage d'un domestique est si peu concluant, qu'il se charge " de faire dire à sa servante que son chat ayant la jambe rompue, il l'a parfaitement guéri en deux heures ; le croira qui voudra ". 2°. On assure que la femme paralytique demeurant au faubourg S. Germain est morte quelque tems après l'opération. 3°. On prétend que l'observation de ce crocheteur qui se portant bien n'a point été incommodé de la transfusion, ne prouveroit rien en sa faveur, quand elle seroit bien vraie, parce que la quantité de sang étranger qu'on lui a transfusé, étoit très-petite, & qu'il aura pu se faire que ce sang ait été suffisamment altéré par l'action continuelle de ses vaisseaux robustes & par les exercices violens. 4°. L'histoire du seigneur suédois prouve au-moins que la transfusion a été inutile ; l'espece de soulagement momentané qui l'a suivi, peut être l'effet de la révolution générale excitée dans la machine & de l'irritation faite dans tout le système sanguin par le sang étranger ; dès que ce trouble a été appaisé, les accidens sont revenus avec plus de force, & le malade est mort malgré une transfusion faite le même jour. 5°. C'est sur l'article du fou que les sentimens sont encore plus différens ; la Martiniere remarque sept à huit contradictions dans la relation que Denis donna au public, & celle qu'il fit dans des conférences particulieres de la maladie & du traitement de cet homme, il assure savoir exactement ce qui s'est passé, & dit le tenir de la veuve même de ce malade ; le détail qu'il en donne assez conforme à celui de Lamy, differe principalement de celui de Denis au sujet de la derniere transfusion ; suivant les lettres de ces deux médecins, ce fou après avoir subi deux fois la transfusion dont il fut considérablement incommodé, resta pendant quinze jours hors de l'accès de sa folie, & après ce tems précisément au fort de la lune de Janvier, la maladie recommença, ayant changé de nature ; le delire auparavant léger & bouffon étoit devenu violent & furieux, en un mot, maniaque ; sa femme lui fit prendre alors les poudres d'un M. Claquenelle, qui passoient pour excellentes dans pareils cas ; ce sont ces poudres que Denis a voulu faire regarder comme un poison. Ces remedes n'ayant produit aucun effet, & la fievre étant survenue, MM. Denis & Emmerets résolurent de faire de nouveau la transfusion ; ils vainquirent par leur importunité les refus du malade & de sa femme ; mais à peine avoient-ils commencé à faire entrer du sang d'un veau dans ses veines, que le malade s'écria : arrêtez, je me meurs, je suffoque ; les transfuseurs ne discontinuerent pas pour cela leur opération ; ils lui disoient : vous n'en avez pas encore assez, monsieur ; & cependant il expira entre leurs mains. Surpris & fâchés de cette mort, ils n'oublierent rien pour la dissiper ; ils employerent inutilement les odeurs les plus fortes, les frictions, & après s'être convaincus qu'elle étoit irrévocablement décidée, ils offrirent à la femme, suivant ce qu'elle a déclaré, de l'argent pour se mettre dans un couvent, à condition qu'elle cacheroit la mort de son mari, & qu'elle publieroit qu'il étoit allé en campagne ; elle n'ayant pas voulu accepter leur proposition, donna par ses cris & ses plaintes lieu à la sentence du châtelet.

Il est impossible de décider aujourd'hui laquelle des deux relations si différentes, de celle de Denis ou de celle de la Martiniere & Lamy, est conforme à la vérité. Il y a lieu de penser que dans l'une & l'autre l'esprit de parti y aura fait glisser des faussetés, parce que dans toutes les disputes il y a du tort des deux côtés ; mais il me paroît naturel de croire que M. Denis a le plus altéré la vérité, 1°. parce qu'il étoit le plus intéressé à soutenir son opinion, 2°. parce que la transfusion a cessé d'être pratiquée non-seulement en France, mais dans les pays étrangers, preuve évidente qu'on en a reconnu les mauvais effets. L'antimoine quoique proscrit par une requête des médecins de la faculté de Paris, n'en a pas moins été employé par les médecins de Montpellier, & ensuite son usage est devenu universel, & son utilité a enfin été généralement reconnue, parce qu'il est effectivement un remede très-avantageux. Les brigues, les clameurs, la nouveauté, l'esprit de parti peuvent bien accréditer pour un tems un mauvais remede & en avilir de bons, mais tôt ou tard ces avantages étrangers se dissipent ; on apprécie ces remedes à leur juste valeur, on fait revivre l'usage des uns, & on rebute absolument l'autre ; l'oubli ou le discrédit général où est la transfusion depuis près d'un siecle, démontre manifestement que cette opération est dangereuse, nuisible, ou tout-au-moins inutile. Il ne manque pas d'exemple d'animaux morts après la transfusion ; on cite entr'autres un cheval qu'on vouloit rajeunir, un perroquet dans qui on transfusa le sang de deux sansonnets ; M. Gurge de Montpellier, auteur impartial sur cette matiere, raconte que M. Gayen ayant fait avec beaucoup d'exactitude la transfusion sur un chien, il mourut dans l'espace de cinq jours, quoi qu'il fût bien pansé & bien nourri, le chien qui avoit fourni le sang, vécut long-tems après (lettre à M. Bourdelot, médecin, Paris, 16 Septembre 1667). Les expériences de Lower, de M. King & de M. Coke, en Angleterre n'eurent pas sur ces animaux des suites fâcheuses, si l'on en croit leurs auteurs. Celles qu'on y fit sur un homme, ne produisirent aucun accident ; on ne dit pas s'il en résulta de bons effets ; en Italie un pulmonique se remplit en vain le poumon d'un sang étranger, il mourut ; quelques autres malades y furent guéris de la fievre, mais ces légers succès ne parurent point décisifs ni bien constatés aux médecins éclairés.

On peut conclure de tous ces faits que la transfusion est une opération indifférente pour les animaux sains, lorsqu'elle est faite avec circonspection, & qu'on introduit dans leurs veines une très-petite quantité de sang étranger ; elle devient mauvaise, pernicieuse lorsqu'on la fait à fortes doses ; & elle est toujours accompagnée d'un danger plus ou moins pressant lorsqu'on y soumet des malades, sur - tout ceux qui sont affoiblis par l'effet de leur maladie, ou par quelqu'autre cause précédente, ou qui ont quelque viscere mal disposé : si elle produit quelquefois du soulagement, il n'est pour l'ordinaire que passager, & plutôt l'effet de la révolution générale dans la machine, de l'irritation particuliere dans le système sanguin, de l'augmentation du mouvement intestin de sang qu'occasionne le nouveau sang, comme feroit tout autre corps étranger ; il seroit toujours très-imprudent de pratiquer cette opération dans l'espérance de cet avantage incertain & léger ; & d'ailleurs il peut arriver que ce trouble excité tourne désavantageusement, & tende à affaisser les ressorts de la machine au-lieu de les remonter : nous pourrions ajouter bien des raisonnemens tirés des principes mieux connus de l'économie animale, & des analyses récentes du sang, qui concouroient à inspirer de l'éloignement pour cette opération ; mais outre que les faits rapportés sont suffisans, on n'est pas heureusement dans le cas d'avoir besoin d'en être détourné. Je ne dois cependant pas oublier de faire observer que cette opération est très-douloureuse. Quoiqu'on ait paru négliger cet article, il est assez important, & mérite qu'on y fasse attention. On est obligé d'abord de faire à la veine une ouverture considérable pour pouvoir y faire entrer une cannule ; l'introduction de ce tuyau ne peut se faire sans une nouvelle douleur, qui doit encore augmenter au moindre mouvement que fait l'animal, & qu'on renouvelle enfin en retirant la cannule. Voyez plus bas la maniere de faire cette opération. Je ne parle pas de la chaleur excessive au bras, du mal-aise général, des suffocations, des pissemens de sang, qui en sont la suite ordinaire.

On peut juger par tout ce que nous avons dit, combien sont fondées les prétentions de ceux qui avant que la transfusion fût pratiquée, avoient imaginé dans leur cabinet qu'elle devoit être un remede assuré contre toutes les maladies, quelque différentes qu'en fussent la nature & les causes, qu'elle avoit la vertu de rallumer les flammes languissantes qui sont prêtes à s'éteindre dans une vieillesse caduque, & qui voyoient dans cette opération une assurance infaillible de l'immortalité. Quelques médecins partisans de la transfusion, mais plus circonspects, avoient restreint son usage dans des maladies particulieres, comme dans les intempéries froides, dans les rhumatismes, la goutte, le cancer, les épuisemens à la suite des hémorrhagies, la mélancolie, & dans tous les cas où quelqu'un des organes qui servent à la digestion étoit dérangé ; ils veulent aussi qu'on change le sang qui doit être transfusé, suivant la nature de la maladie qu'on se propose de guérir ; & ainsi lorsque la maladie dépend d'un sang grossier, épais, ils conseillent le sang d'un veau, ou d'un agneau qui est fluide & subtil ; ils croyent que le sang froid & engourdi des apoplectiques doit être réchauffé & mis en mouvement par le sang bouillant & actif d'un jeune homme vigoureux, &c. Tous ces dogmes produits des théories formées des débris du galénisme & des fables du cartésianisme qui infestoient alors les écoles, sont aujourd'hui si généralement proscrites de la médecine, qu'il est inutile de s'arrêter à les refuter, d'autant mieux qu'il ne nous seroit pas possible de le faire sans tomber dans des répétitions superflues.

La maniere de faire la transfusion a varié dans les différens tems & les différens pays : dans les commencemens, les chirurgiens inhabiles à cette opération, la firent avec moins de précaution & d'adresse, & par conséquent avec plus de douleur & de danger que dans la suite, où l'habitude de la pratiquer fit imaginer successivement des nouveaux moyens de la faciliter & de la rendre moins douloureuse. Les étrangers rendent aux françois le témoignage non équivoque que c'est par eux qu'elle a été perfectionnée. La méthode des Italiens étoit extrêmement cruelle. M. Manfredi rapporte que pour faire la transfusion sur les hommes, les chirurgiens de Rome marquent sur la peau avec de l'encre le chemin de la veine par laquelle ils veulent faire entrer le sang ; ensuite ils enlevent cette peau, & font avec le rasoir une incision suivant la marque, d'environ deux pouces de long, afin de découvrir la veine & la séparer des chairs environnantes ; ils passent après une aiguille enfilée par-dessous la veine pour la lier par le moyen d'un fil ciré avec la cannule que l'on doit introduire dedans pour y communiquer le sang. En suivant cette méthode, outre les douleurs longues & vives qu'on cause au malade, on est sûr d'exciter une inflammation qui peut être funeste, & on risque d'offenser l'artere, ou tendon, ou d'exciter quelqu'autre accident.

La méthode suivie à Paris par M. Emmerets est beaucoup plus simple, & est à l'abri de tous ces inconvéniens. Les instrumens nécessaires sont deux petits tuyaux d'argent, d'ivoire, ou de toute autre chose, recourbés par l'extrêmité qui doit être dans les veines ou arteres des animaux qui servent à la transfusion, & sur qui on la fait ; par l'autre bout ces tuyaux sont faits de façon à pouvoir s'adapter avec justesse & facilité ; peu en peine de faire souffrir les animaux qui doivent fournir le sang qu'on veut transfuser aux hommes, le chirurgien prépare commodément leur artere, il la découvre par une incision longitudinale de deux ou trois pouces, la sépare des tégumens, & la lie en deux endroits distans d'un pouce, ayant attention que la ligature qui est du côté du coeur puisse facilement se défaire ; ensuite il ouvre l'artere entre les deux ligatures, y introduit un des tuyaux, & l'y tient fermement attaché : l'animal ainsi préparé, le chirurgien ouvre la veine du malade (il choisit ordinairement une de celles du bras), laisse couler son sang autant que le médecin le juge à propos, ensuite ôte la ligature qu'on met ordinairement pour saigner, au-dessus de l'ouverture, & la met audessous ; il fait entrer son second tuyau dans cette veine, l'adapte ensuite à celui qui est placé dans l'artere de l'animal, & emporte la ligature qui arrêtoit le mouvement du sang ; aussi-tôt il coule, trouvant dans l'artere un obstacle par la seconde ligature, il enfile le tuyau, & pénetre ainsi dans les veines du malade. On jugeoit par son état, par celui de l'animal qui fournissoit le sang, & par la quantité qu'on croyoit transfusée du tems où il falloit cesser l'opération : on ferme la plaie du malade avec la compresse & le bandage, comme dans la saignée du bras. On peut savoir à-peu-près quelle est la quantité du sang qu'on lui a communiqué, 1°. en pesant l'animal dont on a employé le sang avant & après l'opération, 2°. en lui tirant le reste de son sang, parce qu'on sait la quantité totale que contient un animal de telle espece & de telle grosseur, 3°. en connoissant combien les tuyaux dont on se sert peuvent fournir de sang dans un tems déterminé, & comptant les minutes & les secondes qui s'écoulent pendant l'opération. M. Tardy proposa une transfusion réciproque dans les hommes qui fût faite de façon que le même homme donnât du sang à un autre homme, & en reçût du sien en même tems ; mais cette opération très-cruelle & très-compliquée, n'a jamais eu lieu que dans son imagination ; & il est à souhaiter que les médecins plus avares du sang humain, dont la perte est souvent irréparable, s'abstiennent avec soin de toutes ces especes d'opérations, souvent dangereuses, & jamais utiles. (m)


TRANSGRESSERv. act. (Gram.) enfreindre, outrepasser. Il se dit des commandemens de Dieu & de l'Eglise. Si vous enlevez à un homme son boeuf, sa servante, ou sa femme, vous transgressez les commandemens de la loi. On dit aussi, transgresser les ordres d'un souverain. On appelle transgresseur celui qui commet la faute, & transgression la faute commise.


TRANSIGERv. n. (Gramm.) c'est souscrire à une transaction. Voyez TRANSACTION.


TRANSILVANIE(Géog. mod.) principauté d'Europe, & l'une des annexes de la Hongrie. Elle est bornée au nord, partie par la Pologne, partie par la Moldavie, au midi par la Valachie, au levant par la Moldavie, & au couchant par la haute & la basse Hongrie. L'air de ce pays est très-chaud en été, & le froid très-violent pendant l'hiver. Le terroir produit le meilleur froment de l'Europe, & les vins que l'on y recueille ne cedent guére en bonté à ceux de Hongrie. Les montagnes renferment des mines de fer & de sel. Les bois sont remplis de cerfs, de daims, d'ours, &c. Les principales rivieres sont la Chrisio, l'Alt ou l'Olt, le grand & le petit Samos ; mais leurs eaux sont mauvaises à boire, parce qu'elles passent par des mines d'alun & de mercure qui leur communiquent une qualité pernicieuse.

Quelques-uns divisent ce pays par ses comtés au nombre de vingt-huit, & les autres par les trois sortes de peuples qui l'habitent ; savoir les Hongrois, les Valaques & les Saxons. Les Hongrois sont particulierement fixés sur les bords de la Marosch ; les Valaques habitent la partie qui est contiguë à la Moldavie & à la Russie, & les Saxons occupent le reste ; mais la Transylvanie dépend toute entiere de la maison d'Autriche depuis 1699, & a pour capitale Hermanstat.

Ce pays est la portion de l'ancienne Dace, que le fleuve Chrysius séparoit de la Hongrie, & que l'on nommoit communément la Dace méditerranée. C'étoit un royaume avant que les Romains s'en fussent rendus les maîtres. Les lettres & les loix des Grecs s'y étoient introduites depuis long-tems. Elles s'y conserverent jusqu'à l'arrivée de Trajan qui pénétra dans ce pays, malgré la situation & les défilés des montagnes qui l'entourent. Lorsque les Romains l'eurent conquise, ils y fonderent plusieurs colonies, & en firent une province consulaire. On a une ancienne inscription conçue en ces termes : Colonia Ulpia Trajana Augusta Dacia Zarmis.

Quoique la Dace alpense & ripense eussent leurs chefs, elles dépendoient néanmoins de la consulaire, & toutes les trois ensemble étoient sous le préfet de Macédoine, qui résidoit à Thessalonique. C'est à lui qu'on envoyoit les deniers publics, ainsi que l'or & l'argent qui se tiroit des mines. La Dace appartenoit à l'Illyrie orientale. Elle commença sous Galien à secouer le joug. L'empereur Aurelien désespérant de pouvoir la contenir dans l'obéissance, en retira les troupes romaines, & le pays redevint libre. Plusieurs inscriptions, les chemins publics, les restes du pont de Trajan, & d'autres anciens monumens sont des preuves des colonies que les anciens Romains avoient établies dans cette province.

Les empereurs de Constantinople, après le partage de l'empire, furent maîtres de la Dace ; mais les affaires de l'empire allant en décadence, les Huns y firent des irruptions de toutes parts. S. Etienne, premier roi de Hongrie, conquit le pays vers l'an 1001, & y répandit le christianisme. Alors la Transylvanie fut jointe au royaume de Hongrie, & à quelques soulevemens près, qui n'ont pas été de longue durée, elle a toujours été sous le commandement d'un vaivode ou vice-roi ; mais la religion y a éprouvé des vicissitudes. Etienne & Sigismond Battori ont fait de grands efforts pour y établir la religion catholique ; cependant la plûpart des habitans sont demeurés dans la religion protestante, & ils font encore aujourd'hui le plus grand nombre. (D.J.)


TRANSIRv. act. & n. (Gram.) c'est saisir d'un grand froid. Ce vent me transit. La vue de cet homme me transit, tant il est légerement vétu. On transit d'effroi, de douleur, de chagrin. Le recit de cette action m'a transi. C'est un amant transi.


TRANSITacquit de, (terme de douanne) acte que les commis des douannes délivrent aux marchands, voituriers ou autres, pour certaines marchandises qui doivent passer par les bureaux des fermes du roi, sans être visitées, ou sans y payer les droits ; à la charge néanmoins par les propriétaires ou voituriers desdites marchandises, de donner caution de rapporter dans un tems marqué dans l'acquit, un certificat en bonne forme, qu'au dernier bureau elles auront été trouvées en nombre, poids, quantité & qualité, & les balles & les cordes avec les plombs sains & entiers, conformément à l'acquit. Diction. du Comm. (D.J.)


TRANSITIFadj. (Gram.) terme de grammaire hébraïque. Il se dit des verbes qui marquent une action qui passe d'un sujet qu'il a fait, dans un autre qui la reçoit.


TRANSITIONS. f. (Art orat.) liaison d'un sujet à un autre dans le même discours. Tous les préceptes qu'on donne pour former les transitions, pour les placer à propos, pour les varier avec goût, sont autant de préceptes frivoles. Il faut que toutes les parties d'un discours soient unies comme le sont celles d'un tout naturel ; c'est la vraie liaison, & presque la seule qui doit y être. Tout ce qui n'y tient que par insertion artificielle, y est étranger. Ce qui rend si difficile la pratique des transitions à la plûpart des auteurs, c'est qu'ils n'ont pas assez médité leurs sujets pour en connoître tout l'enchaînement ; & faute d'avoir saisi une partie médiante qui servoit de liaison, ils font aboutir les unes aux autres, des parties qui ne sont point taillées pour joindre. De-là les transitions artificielles & les tours gauches employés pour couvrir un vuide, & tromper ceux qui jugent de la solidité de l'édifice par le plâtre dont il est revêtu.

Qu'on parcoure les ouvrages des célebres écrivains, on n'y verra point de ces tours de souplesse, si j'ose m'exprimer ainsi ; le sujet se développe de lui-même, & s'explique franchement. Tout se suit ; & quand ils ont dit sur un chef tout ce qu'il y avoit à dire, ils passent à un autre simplement, & avec un air de bonne foi, beaucoup plus agréable pour le lecteur que ces subtilités qui marquent la petitesse de l'esprit, ou au-moins un auteur trop oisif. Voilà les réflexions sensées de l'auteur des principes de Littérature sur cet article. (D.J.)

TRANSITION, (Musique) se dit de la maniere d'adoucir le saut d'un intervalle disjoint, en insérant des sons diatoniques sur les degrés qui séparent ses deux termes. La transition est proprement une sorte de tirade non notée ; quelquefois elle n'est qu'un port de voix, quand il s'agit seulement de rendre plus doux le passage d'un degré diatonique à l'autre. C'est ainsi que, pour passer du si à l'ut avec plus de douceur, on commence l'ut sur le même ton du si.

Transition harmonique est une marche de basse fondamentale propre à changer de genre ou de ton ; ainsi dans le genre diatonique, quand la basse marche de maniere à exiger dans les parties quelque mouvement par semi-tons mineurs, c'est une transition chromatique ; que si l'on passe d'un ton dans un autre à la faveur d'un accord de septieme diminuée, c'est une transition enharmonique. Voyez ENHARMONIQUE. (S)


TRANSITOIREadj. en droit commun est une épithete opposée à local, voyez LOCAL. Ainsi l'on peut appeller action transitoire celle qu'on peut intenter successivement en plusieurs tribunaux.


TRANSLATIONTRANSPORT, (Synon.) ces deux mots qui semblent dire la même chose au propre, ont cependant un usage différent ; on dit le transport des marchandises, de l'artillerie, &c. on dit la translation d'un concile, d'une fête, d'un parlement, d'un empire. Ce mot se dit aussi d'une personne qui change de lieu : l'une des religieuses voulut quitter l'Hôtel-Dieu pour aller à Port-Royal, on remua ciel & terre pour cette translation.

Translation ne se dit jamais en matiere de commerce, ou de morale, mais transport s'y dit élégamment ; je lui ai fait un transport de ma dette. Translation ne s'emploie point au figuré. Transport se dit figurément en prose & en vers, du trouble & de l'agitation de l'ame ; par exemple un transport de joie a causé quelquefois la mort ; on n'aime que foiblement, quand les précautions sont les maîtresses des transports ; votre haine a des transports qui tiennent plus de l'amour que de l'indifférence.

Puisqu'après tant d'efforts, ma résistance est vaine,

Je me livre en aveugle, au transport qui m'entraîne.

Racine.

J'abandonnai mon ame à des ravissemens

Qui passent les transports des plus heureux amans.

Corneille.

On dit aussi transports, de l'enthousiasme poétique.

Sentez-vous, dites-moi, ces violens transports,

Qui d'un esprit divin font mouvoir les ressorts ?

Despréaux. (D.J.)

TRANSLATION, (Belles-lettres) signifioit autrefois version d'un livre, ou d'un écrit, d'une langue dans une autre. Aujourd'hui on dit traduction. Voyez LIVRE, VERSION, &c.

Souvent les traducteurs tâchent de s'excuser aux dépens de la langue dans laquelle ils traduisent, & demandent grace pour cette langue, comme si elle n'étoit pas assez riche & copieuse pour exprimer toute la force & toutes les beautés de l'original.

Ainsi un traducteur accuse la langue angloise de la pauvreté & de la sécheresse, qui ne se trouve que dans son propre génie, & il met sur le compte de la langue, toutes les fautes qu'il ne devroit imputer qu'à lui-même. Voyez ANGLOIS.

Les Italiens disent proverbialement traduttore, traditore, pour faire entendre que les traducteurs trahissent ou défigurent ordinairement leur original.

TRANSLATION, (Jurisp.) est l'action de transférer une personne ou une chose, d'un lieu dans un autre. Ce terme s'applique à différens objets, ainsi qu'on le va voir ci-après.

Translation d'un chanoine régulier d'une congrégation dans un ordre, on y observe les mêmes regles que pour celle des religieux, cap. licet extra de regul. Voyez translation d'un religieux.

TRANSLATION DE DOMICILE, en fait de taille, est lorsqu'un taillable va demeurer d'un lieu dans un autre ; ce changement doit être notifié aux habitans & syndics des paroisses avant le premier Octobre : & si la translation de domicile est faite dans une paroisse abonnée, le taillable doit suivant les réglemens, être imposé pendant dix ans à son ancien domicile, & cela pour empêcher les fraudes.

Un fermier qui transfere son domicile en changeant de ferme, est encore imposé pendant un an dans son ancienne demeure, & ne l'est pour sa nouvelle ferme, qu'un an après. Voyez DOMICILE & TAILLE.

TRANSLATION ad effectum beneficii, est la translation d'un religieux dans un autre ordre, à l'effet de posséder un bénéfice qui en dépend. Les provisions du bénéfice sont capables d'opérer seules cette translation ; mais on ne reconnoit plus aujourd'hui de translation ad effectum seulement, celui qui est transferé pour posséder un bénéfice est censé transferé à tous égards. V. Fevret, Louet, Vaillant, Lacombe.

TRANSLATION d'un évêque d'un siege à un autre, est reprouvée par les anciens canons & par tous les peres, lorsqu'elle est faite sans nécessité ou utilité pour l'Eglise, parce qu'il se contracte un mariage spirituel entre l'évêque & son église, tellement que celui qui la quitte facilement pour en prendre une autre, commet un adultere spirituel, suivant le langage des peres.

Le concile de Nicée défend aux évêques, prêtres, & diacres, de passer d'une église à une autre ; c'est pourquoi Constantin le grand loue Eusebe évêque de Césarée, d'avoir refusé l'évêché d'Antioche.

Le concile de Sardique alla même plus loin, car voyant que les Ariens méprisoient la défense du concile de Nicée, & qu'ils passoient d'une moindre église à une plus riche, Osius le grand qui y présidoit, y proposa que dans ce cas les évêques seroient privés de la communion laïque, même à la mort.

Il y a un grand nombre d'autres canons conformes à ces deux conciles.

L'église romaine étoit tellement attachée à cette discipline, que Formose fut le premier qui y contrevint, ayant passé de l'église de Porto à celle de Rome, vers la fin du ix. siecle, dont Etienne VII. lui fit un crime après sa mort.

Jean IX. fit néanmoins un canon pour autoriser les translations en cas de nécessité, ce qui étoit conforme aux anciens canons qui les permettoient en cas de nécessité, ou utilité pour l'Eglise.

C'étoit au concile provincial à déterminer la nécessité ou utilité de la translation.

Tel fut l'usage en France jusque vers le x. siecle, que ces translations furent mises au nombre des causes majeures reservées au S. Siege.

Suivant le droit des décrétales, & la discipline présente de l'Eglise, les translations des évêques sont toujours reservées au pape, & ne peuvent même appartenir aux légats à latere, sans un indult spécial du pape.

On observe aussi toujours que la translation ne peut être faite sans nécessité, ou utilité pour l'Eglise.

Il faut de plus en France, que ces translations se soient faites du consentement du roi, & sur sa nomination, & qu'il en soit fait mention dans les bulles de provision, autrement il y auroit abus. Voyez cap. iv. extra de translat. episcop. le P. Thomassin, Tournet, Fleury, Lacombe, & le mot EVEQUE.

TRANSLATION DE LEGS, est une déclaration par laquelle un testateur transfere un legs, soit d'une personne à une autre, soit de l'héritier qui en étoit chargé à un autre qu'il en charge, soit en changeant la chose léguée en une autre. Voyez au digeste, au code & aux institut. les tit. de legatis.

TRANSLATION D'ORDRE, ou d'un ordre dans un autre. Voyez ci-après TRANSLATION de religieux.

Translation d'un prisonnier, est lorsqu'on le fait passer d'une prison à une autre, soit pour l'approcher du juge de l'appel, soit pour le renvoyer à son premier jugement. Voyez ACCUSE, PRISON, PRISONNIER.

TRANSLATION d'une religieuse d'un monastere dans un autre, on y observe les mêmes regles que pour la translation des religieux, c'est-à-dire qu'elles ne peuvent passer d'un monastere à un autre plus austere, sans avoir demandé la permission de leur supérieure ; & si celle-ci la refuse, la religieuse ne peut sortir du premier monastere, sans une permission par écrit de l'évêque. Cap. licet extra de regularib.

TRANSLATION d'un religieux, est lorsqu'il passe d'un ordre dans un autre.

Dans l'origine de l'état monastique les religieux pouvoient passer d'un monastere dans un autre, même d'un ordre différent, & se mettre successivement sous la direction de différens supérieurs.

S. Benoît joignit au voeu d'obéissance perpétuelle, celui de stabilité, c'est-à-dire de résidence perpétuelle dans le monastere où les religieux avoient fait profession.

La regle de S. Benoît étant devenue la seule qui fût observée dans l'occident, le précepte de stabilité devint un droit commun pour tous les réguliers.

Cependant comme le voeu de stabilité n'avoit pour objet que de prévenir la légéreté & l'inconstance, & non pas d'empêcher les religieux de tendre à une plus grande perfection, on leur permit de passer de leur monastere, dans un autre plus austere ; & pour cela, ils n'avoient besoin que du consentement de l'abbé qu'ils quittoient.

Depuis l'établissement des ordres mendians, plusieurs religieux de ces ordres se retirant chez les Bénédictins, ou dans d'autres congrégations, pour y obtenir des bénéfices, on régla d'abord que les mendians ainsi transférés, ne pourroient tenir aucun bénéfice sans une permission particuliere du pape.

Ces sortes de permissions s'accordant trop facilement, on régla dans la suite que les translations des mendians dans un autre ordre (excepté celui des Chartreux, où l'on ne possede point de bénéfice), ne seroient valables que quand elles seroient autorisées par un bref exprès du pape.

Un religieux peut aussi être transféré dans un ordre plus mitigé, lorsque sa santé ne lui permet pas de suivre la regle qu'il a embrassée ; mais l'usage de ces sortes de translations est beaucoup plus moderne.

Pour passer dans un ordre plus austere, un religieux doit demander la permission de son supérieur ; mais si le supérieur la refuse, le religieux peut néanmoins se retirer.

A l'égard des mendians, il leur est défendu, sous peine d'excommunication, de passer dans un autre ordre, même plus austere, sans un bref du pape ; & il est défendu aux supérieurs, sous la même peine, de les recevoir sans un bref de translation : on excepte seulement l'ordre des Chartreux.

Le pape est aussi le seul qui puisse transférer un religieux dans un ordre moins austere, lorsque sa santé l'exige.

Le bref de translation doit être fulminé par l'official, après avoir entendu les deux supérieurs ; & si la translation est accordée à cause de quelque infirmité du religieux, il faut qu'elle soit constatée par un rapport des médecins.

Les brefs de translation, pour être exécutés en France, doivent être expédiés en la daterie de Rome, & non par la congrégation des cardinaux, ni par la pénitencerie.

L'usage de la daterie qui est suivi parmi nous, oblige le religieux transféré, de faire un noviciat & une nouvelle profession, lorsqu'il passe dans un ordre plus austere, ou qu'il passe d'un ordre où l'on ne posséde pas de bénéfice, dans un ordre où l'on en peut tenir. Cap. licet extra de regularibus : cap. viam extravag. comm. de regular. Concil. Trid. sessio 25. de regul. cap. xxix. D'Héricourt, tit. de la translation d'ordre. (A)

TRANSLATION, s. f. dans nos anciennes musiques, c'est le transport de la signification d'un point à une note séparée par d'autres notes, de ce même point. Voyez POINT. (S)


TRANSMARISCA(Géog. anc.) ville de la basse Moesie. L'itinéraire d'Antonin la marque sur la route de Viminacium à Nicomédie. Ptolémée, l. VIII. c. x. nomme cette ville Tromarisca, & le nom moderne est Marice, selon Lazius. (D.J.)


TRANSMETTREv. act. (Gram.) c'est faire passer. Il se dit des choses, des tems, & des lieux : on transmet un fait à la postérité ; on transmet un privilege qui est à quelqu'un ; on transmet une chose d'un lieu dans un autre ; on transmet ses sentimens à son ami, ses vices & quelquefois ses infirmités à ses enfans ; l'action de la lumiere se transmet à-travers le verre.


TRANSMIGRATIONS. f. (Gram.) transport d'une nation entiere dans un autre pays, par la violence d'un conquérant. Voyez COLONIE.

Quelques-uns, en traduisant l'endroit de l'Ecriture où il est parlé du transport des enfans d'Israël à Babylone, se servent du terme de transmigration. Voyez TRANSPORT.

TRANSMIGRATIONS des Juifs, (Hist. des Hébr.) on compte quatre transmigrations des Juifs à Babylone, toutes par Nabuchodonosor ; la premiere se fit au commencement du regne de Joakim, lorsque Daniel & autres furent transférés en Chaldée ; la deuxieme sous le regne de Sédécias ; la troisieme & la quatrieme en divers tems ; & dans cette derniere, tout ce qui restoit en Judée fut emmené à Babylone. Les dix tribus furent aussi transférées hors de leur patrie : d'abord par Tiglath-Pileser, & ensuite par Salmanasar, qui, après avoir pris Samarie, emmena le reste du royaume d'Israël en Médie & en Assyrie, sur le fleuve de Gozan. De ces captifs Israélites, les uns revinrent dans leur pays, pendant la domination des Perses & des Grecs ; le reste se multiplia, & se dispersa dans toutes les provinces de l'Orient. (D.J.)

TRANSMIGRATION DES AMES, (Théol. & Philos.) on peut voir d'abord dans ce Dictionnaire l'article METEMPSYCOSE.

Mais qu'il nous soit permis de recueillir en abrégé, d'après M. de Chaufepié, ce que l'histoire nous apprend de plus curieux sur cette matiere, & de quelle cause la doctrine de la transmigration des ames, a pu tirer sa naissance. Ce détail ne déplaira peut-être pas à quantité de lecteurs, qui n'ont ni le tems, ni l'occasion de recourir aux sources & aux ouvrages des savans qui y ont puisé.

Il est certain, dit Burnet, que jamais doctrine ne fut plus générale que celle-ci ; elle régna non-seulement par-tout l'Orient, mais en Occident chez les Druides & les Pythagoriciens ; elle est si ancienne qu'on n'en sauroit marquer l'origine, & qu'on diroit qu'elle est descendue du ciel, tant elle paroît être sans pere, sans mere, & sans généalogie.

Les cabalistes gardent encore cette ancienne erreur ; ils prétendent que les ames humaines passent d'un corps dans un autre, au moins trois fois, afin qu'elles n'aient point à alléguer devant le souverain juge de notre vie, qu'elles n'ont point eu de corps propre à la vertu. C'est sur ce principe qu'ils disent que la même ame qui a animé successivement Adam & David, animera le Messie.

Il y a eu chez les chrétiens des docteurs célebres par leur savoir & par leur piété, qui ont adopté cette erreur. M. Huet prétend qu'Origène lui-même a cru que les ames animoient divers corps successivement, & que leurs transmigrations étoient réglées à proportion de leurs mérites, ou de leurs démérites. Un savant moderne doute que l'évêque d'Avranches ait bien interprété les passages d'Origène qu'il cite. Quoi qu'il en soit, il est certain que l'erreur de la transmigration des ames a été adoptée par Synésius. On la trouve en divers endroits de ses ouvrages, & peut-être dans cette priere qu'il adresse à Dieu, Hymn. III. vers. 725. " O Pere, accordez-moi que mon ame réunie à la lumiere, ne soit plus replongée dans les ordures de la terre ".


TRANSMISSIONS. f. en Optique, signifie la propriété par laquelle un corps transparent laisse passer les rayons de lumiere à-travers sa substance ; dans ce sens transmission est opposée à réflexion, qui est l'action par laquelle un corps renvoie les rayons de lumiere qui tombent sur sa surface. Voyez REFLEXION.

Transmission se dit aussi dans le même sens que réfraction, parce que la plûpart des corps, en transmettant les rayons de lumiere, leur font subir aussi des réfractions, c'est-à-dire, les brisent au point d'incidence, & les empêchent de se mouvoir au-dedans de la substance du corps suivant la même direction suivant laquelle ils y sont entrés. Voyez REFRACTION.

Pour ce qui est de la cause de la transmission, ou pourquoi certains corps transmettent, & pourquoi d'autres réfléchissent les rayons, voyez les articles DIAPHANEÏTé, TRANSPARENCE, & OPACITE.

Newton prétend que les rayons de lumiere sont susceptibles de transmission & de réflexion. Il appelle cette vicissitude à laquelle les rayons de lumiere sont sujets, des accès de facile réflexion & de facile transmission ; & il se sert de cette propriété pour expliquer dans son optique, des phénomenes curieux & singuliers, que ce philosophe expose dans un assez grand détail. Voy. RAYON & LUMIERE. Chambers. (O)

TRANSMISSION, (Jurisprud.) est la translation qui se fait de plein droit de la personne du défunt en la personne de son héritier, de quelque droit qui étoit acquis au défunt au tems de son décès.

La transmission a lieu pour un legs ou fidei-commis, quand même le légataire ne l'auroit pas encore reçue, pourvu néanmoins que le droit lui fût acquis.

Pour venir par transmission, il faut être héritier de celui dont on exerce le droit, au lieu que celui qui vient par représentation, peut faire valoir son droit, quoi qu'il ne soit pas héritier de celui qu'il représente.

En fait de fidei-commis ou substitution, la transmission avoit lieu aux parlemens de Toulouse, Bordeaux & Provence, de maniere que les enfans du premier substitué recueilloient le fidei-commis, encore que leur pere fût décédé avant le grevé ; mais l'ordonnance des substitutions, tit. j. art. 29. porte que ceux qui sont appellés à une substitution, & dont le droit n'aura pas été ouvert avant leur décès, ne pourront en aucun cas être censés en avoir transmis l'espérance à leurs enfans ou descendans, encore que la substitution soit faite en ligne directe par des ascendans, & qu'il y ait d'autres substitués appellés à la même substitution, après ceux qui seront décédés & leurs enfans ou descendans. Voyez Ricard, des donations ; Brillon, au mot TRANSMISSION. (A)


TRANSMUTATIONS. f. en Géométrie, se dit de la réduction ou du changement d'une figure, ou d'un corps en un autre de même aire ou de même solidité, mais d'une forme différente ; comme d'un triangle en un quarré, d'une pyramide en un parallélipipede, &c. Voyez FIGURE, &c.

TRANSMUTATION, dans la sublime Géométrie, est le changement d'une courbe en une autre de même genre ou de même ordre.

M. Newton dans le premier livre de ses principes, sect. ij. a donné la méthode pour la transmutation d'une courbe en une autre, & se sert avec beaucoup d'élégance de cette transmutation pour résoudre différens problèmes qui ont rapport aux sections coniques.

On peut remarquer que le problème de M. Newton sur la transmutation des courbes, est le même que celui que M. l'abbé de Gua a résolu dans les usages de l'analyse de Descartes, sur la courbe ou l'ombre que forme la projection d'une courbe quelconque exposée à un point lumineux. (O)

TRANSMUTATION, (Alchymie) voyez HERMETIQUE, Philosophie, & PIERRE PHILOSOPHALE.


TRANSPARENCEou DIAPHANÉITé, s. f. en Physique, signifie la propriété en vertu de laquelle un corps donne passage aux rayons de lumiere.

La transparence des corps a été attribuée par quelques auteurs au grand nombre de pores ou interstices qui se trouvent entre les particules de ces corps ; mais cette explication, selon d'autres, est extrêmement fautive ; parce que la plûpart des corps opaques & solides, que nous connoissons dans la nature, renferment beaucoup plus de pores que de matiere, ou du-moins beaucoup plus de pores qu'il n'en faut pour donner passage à un corps aussi délié & aussi subtil que celui de la lumiere. Voyez PORE.

Aristote, Descartes, &c. attribuent la transparence à la rectitude des pores ; ce qui, selon eux, donne aux rayons de lumiere le moyen de passer à-travers les corps, sans heurter contre les parties solides, & sans y subir aucune réflexion : mais Newton prétend que cette explication est imparfaite, puisque tous les corps renferment une quantité de pores, qui est plus que suffisante pour transmettre ou faire passer tous les rayons qui se présentent, quelque situation que ces pores puissent avoir les uns par rapport aux autres.

Ainsi la raison pour laquelle les corps ne sont pas tous transparens, ne doit point être attribuée selon lui, au défaut de rectitude des pores, mais à la densité inégale de leurs parties, ou à ce que les pores sont remplis de matieres hétérogenes, ou enfin, à ce que ces pores sont absolument vuides : car dans tous ces cas, les rayons qui y entrent subissant une grande variété de réflexions & de réfractions, ils se trouvent continuellement détournés de côté & d'autre, jusqu'à ce que venant à tomber sur quelques parties solides du corps, ils se trouvent enfin totalement éteints & absorbés. Voyez RAYON & REFLEXION.

C'est pour ces raisons, selon Newton, que le liége, le papier, le bois, &c. sont des corps opaques, & qu'au contraire le diamant, le verre, le talc, sont des corps transparens : la raison, selon lui, est que les parties voisines dans le verre & le diamant, sont de la même densité ; desorte que l'attraction étant égale de tous les côtés, les rayons de lumiere n'y subissent ni réflexion, ni réfraction ; mais ceux qui entrent dans la premiere surface de ces corps, continuent leur chemin jusqu'au bout sans interruption, excepté le petit nombre de ceux qui heurtent les parties solides : au contraire les parties voisines dans le bois, le papier, &c. different beaucoup en densité ; desorte que l'attraction y étant fort inégale, les rayons y doivent subir un grand nombre de réflexions & de réfractions ; par conséquent les rayons ne peuvent passer à-travers ces corps, & étant détournés à chaque pas qu'ils font, il faut qu'ils s'amortissent à la fin, & qu'ils se perdent totalement. Voyez OPACITE. Chambers.


TRANSPARENTc'est la même chose que diaphane. Voyez DIAPHANE, &c. Ce mot est formé du latin pelluceo, je brille à-travers.

Transparent, est opposé au mot opaque. Voyez OPAQUE.


TRANSPIRATIONS. f. en Médecine, action par laquelle les humeurs superflues du corps sont poussées dehors par les pores de la peau. Voy. ÉVACUATION, PORE & PEAU.

Il y a dans la peau une infinité de ces pores de la transpiration, dont les plus considérables sont les orifices des conduits qui viennent des glandes miliaires. Voyez GLANDE & MILIAIRE.

Quand la transpiration est assez abondante pour être apperçue par les sens, comme dans la sueur, on l'appelle la sensible transpiration ; quand elle échappe aux sens, comme dans l'état ordinaire du corps, elle prend le nom d'insensible transpiration. Voyez SUEUR.

Lorsqu'on se sert simplement, & sans aucune addition ou adjectif, du mot transpiration, il s'entend toujours de l'insensible transpiration.

Transpiration s'emploie aussi par quelques auteurs pour signifier l'entrée de l'air, des vapeurs, &c. dans le corps par les pores de la peau. Voyez AIR.

Cardan explique par le moyen de cette transpiration le phénomene prodigieux d'une femme, dont les urines de chaque jour pesoient 27 livres ; quoique tous les alimens qu'elle prenoit, tant secs que liquides, n'allassent pas au-delà de quatre livres. Le docteur Baynard croit qu'il y a dans les hydropiques quelque transpiration semblable. Voyez HYDROPISIE.

Les anciens, Hippocrate, Galien, &c. connoissoient cette espece d'évacuation ; mais Sanctorius fut le premier qui la réduisit à quelques regles déterminées. On lui est redevable de l'invention & de la perfection de la doctrine de l'insensible transpiration.

Les vaisseaux par lesquels se fait la transpiration, s'ouvrent obliquement sous les écailles de l'épiderme ou de la surpeau, ils sont d'une petitesse inconcevable. Suivant un calcul de Leuwenhoeck, il paroît que l'on peut couvrir avec un grain commun de sable, cent vingt-cinq mille embouchures ou orifices extérieurs de ces vaisseaux. Voyez CUTICULE ou ÉPIDERME, GLANDE MILIAIRE, &c.

De chaque point du corps, & par toute l'étendue de la cuticule, il transsude continuellement une humeur subtile qui sort de ces vaisseaux.

Des expériences bien confirmées ont appris que la quantité de matiere poussée au-dehors par cette voie, étoit plus considérable que celle qui se rendoit par toutes les autres. Voyez SELLE, URINE, &c.

En supposant une diete modérée, un âge moyen, & une vie commode, Sanctorius a trouvé en Italie que la matiere de l'insensible transpiration étoit les 5/8 de celle que l'on prenoit pour aliment ; desorte qu'il n'en restoit que les 3/8 pour la nutrition, & les excrémens du nez, des oreilles, des intestins, de la vessie. Voyez EXCREMENT.

Le même auteur démontre, que l'on perd en un jour par l'insensible transpiration autant qu'en quatorze jours par les selles ; & en particulier, que pendant la durée de la nuit, on perd ordinairement seize onces par les urines, quatre par les selles, & plus de quarante par l'insensible transpiration.

Il observe aussi qu'un homme qui prend dans un jour huit livres d'alimens, en mangeant & en buvant, en consume cinq par l'insensible transpiration : quant au tems, il ajoute que cinq heures après avoir mangé, cet homme a transpiré environ une livre ; depuis la cinquieme heure jusqu'à la douzieme, environ trois livres ; & depuis la douzieme jusqu'à la seizieme, presque la moitié d'une livre.

La transpiration insensible surpasse donc de beaucoup toutes les évacuations sensibles prises ensemble. Et il suit des expériences de Sanctorius, qu'on perd davantage en un jour par la transpiration, qu'en quinze jours par tous les autres émonctoires. Voyez ÉMONCTOIRE.

Borelli dit que les avantages de l'insensible transpiration sont si considérables, que sans elle les animaux ne pourroient pas conserver leur vie.

La transpiration est absolument nécessaire dans l'économie animale, pour purifier la masse du sang, & le débarrasser de quantité de particules inutiles & hétérogenes, qui pourroient le corrompre. De-là vient que quand la transpiration ordinaire est arrêtée, il survient tant de maladies, particulierement de fievres, de gratelles, &c.

La transpiration est nécessaire à l'organe du toucher, parce qu'elle empêche les mamelons de la peau d'être desséchés, soit par l'air, soit par l'attouchement continuel des corps extérieurs.

Le froid empêche la transpiration en resserrant les pores de la peau, & épaississant les liqueurs qui circulent dans les glandes cutanées. La chaleur au-contraire augmente la transpiration, en ouvrant les conduits excrétoires des glandes, & en augmentant la fluidité & la vélocité des humeurs. Voyez FROID, &c.

Les grands symptomes d'un état parfait de santé & les principaux moyens de la conserver, sont d'entretenir beaucoup de subtilité, d'uniformité & d'abondance dans la matiere de l'insensible transpiration, & aussi, quand elle augmente après le sommeil, &c. au-contraire, le défaut de ces qualités est le premier symptome assuré, & peut-être la cause des maladies. Voyez SANTE & MALADIE.

La transpiration se fait, s'entretient, s'accroît par les visceres, les vaisseaux, les fibres ; par le mouvement ou un exercice qui aille jusqu'aux premieres apparences de la sueur, par un usage modéré des plaisirs, en dormant sept ou huit heures, se couvrant bien le corps, & néanmoins ne le chargeant pas de couverture : la gaieté, une nourriture légere fermentée & néanmoins solide, & qui n'est pas grasse, un air pur, froid, pesant, &c. contribuent beaucoup à la transpiration. Le contraire de toutes ces choses, de même que l'augmentation des autres excrétions, la diminuent, l'empêchent, l'alterent.

On voit donc la cause, les effets, &c. de cette matiere de la transpiration, de son usage pour conserver la souplesse & la flexibilité des parties, en leur rendant ce qu'elles ont perdu ; mais principalement en conservant l'humidité des mamelons nerveux, en les entretenant frais, vigoureux, propres à être affectés par les objets, & à transmettre à l'ame leurs impressions. Voyez NERF, SENSATION, &c.

Une trop grande transpiration occasionne des foiblesses, des défaillances, des morts subites ; une trop petite, ou même une suppression totale de cette action fait que les vaisseaux capillaires se desséchent, se flétrissent & périssent : il arrive aussi que les plus grands émonctoires en sont obstrués, ce qui trouble la circulation, & rend les humeurs caustiques : de-là viennent la putridité, la crudité, les fievres, les inflammations, les apostemes ou les abscès. Voyez MALADIE.

Pour déterminer l'état & les qualités de la transpiration nécessaires à juger de la disposition du corps, Sanctorius inventa une chaise à peser, avec laquelle il examinoit la quantité, les degrés de transpiration, dans différentes circonstances du corps, sous différentes températures de l'air, dans différens intervalles qu'il mettoit à boire, à manger, à dormir, &c. Voyez CHAISE de Sanctorius.

Quelques-uns des phénomenes les plus extraordinaires, qu'il a observés par ce moyen, sont que quelque tems après avoir mangé, la transpiration est moindre qu'en tout autre tems : que la transpiration est la plus grande entre la cinquieme & la douzieme heure après les repas ; que l'exercice soit en allant à cheval, en carrosse, en bateau, &c. soit en jouant à la paume, en patinant, & surtout les frictions vives sur la peau, sont des moyens merveilleux pour provoquer la transpiration ; que lorsqu'on sue elle est moindre qu'en tout autre tems ; & que les femmes transpirent toujours beaucoup moins que les hommes.


TRANSPLANTATION(Médecine) méthode de guérir les maladies imaginée & soigneusement recommandée par Paracelse ; elle consiste à faire passer une maladie d'un homme dans un autre, ou dans un animal, ou même dans une plante, de façon que le sujet qui l'a communiquée en est totalement délivré. On a tâché de constater par des faits cette prétention chimérique de Paracelse, indigne de ce grand homme ; les Allemands sur-tout extrêmement attachés aux remedes singuliers, se sont appliqués à faire valoir cette méthode ; & pendant que les médecins des autres pays la laissoient ensevelie dans un oubli bien légitime, ils faisoient des expériences & des longs raisonnemens, les uns pour la détruire, & les autres pour la confirmer. Georgius Francus rapporte plusieurs exemples de maladies qu'il assure guéries par la transplantation (ephemer. nat. curios. ann. iv. & v. observ. 102.) Maxuel, médecin écossois, a fait un traité particulier où il s'en déclare le partisan ; Thomas Bartholin en parle dans une dissertation épistolaire, & prétend avoir une mumie essentielle tirée des astres dans qui les maladies se transplantent promtement. Herman Grube n'a rien oublié pour faire proscrire la transplantation comme inutile ou superstitieuse ; Reiselius assure que cette méthode est principalement appropriée dans les hydropisies, & raconte avoir guéri par son moyen deux enfans d'hydrocele, qui avoient résisté à toutes sortes de remedes, il se servit dans le premier cas d'un limaçon rouge, qu'on frotta à diverses reprises sur la partie affectée ; on l'attacha ensuite au haut de la tumeur pendant 24 heures, après quoi on le suspendit exposé à la fumée. Cette opération réitérée trois fois de même façon, l'hydrocele disparut ; dans le second cas, il fit avec le même succès la transplantation dans l'urine même du malade, qu'il mit ensuite, chargée de la maladie, dans une coquille d'oeuf, aussi exposée à la fumée. Credat judaeus apella, non ego.

Le même auteur assure avoir vu guérir une hernie inguinale par le téléphium récemment arraché, appliqué sur la tumeur, & ensuite planté & cultivé avec beaucoup de soin ; les transplantateurs recommandent de veiller avec une extrême attention aux plantes & aux animaux dans qui on a fait passer les maladies, parce que lorsqu'ils souffrent, sont incommodés, ou meurent, la personne de qui ils ont reçu la maladie se sent aussi-tôt de leur altération : on raconte qu'un homme ayant transplanté sa maladie dans un chêne, fut considérablement incommodé d'une blessure qu'on fit à cet arbre ; les Allemands regardent le téléphium, comme la plante la plus favorable à la transplantation, ils la reservent principalement à cet usage, & l'appellent en conséquence raben-trauf.

Parmi les secrets de bonnes femmes, on trouve quelque idée de la transplantation ; ces especes de médicastres subalternes conseillent beaucoup dans les fievres malignes, pestilentielles, de mettre dans le lit du malade, d'attacher même à leur pié un crapaud, un serpent, un chien ou tout autre animal ; elles prétendent qu'ils attirent le venin qui est la cause de la maladie, & elles assurent avoir vu ces animaux devenir après cela prodigieusement enflés, & mourir promtement en exhalant une puanteur insoutenable ; on peut voir un effet analogue à la transplantation dans ce qui arrive aux vieillards, suivant quelques auteurs, lorsqu'ils couchent avec des jeunes gens ils se conservent plus long-tems en bonne santé, frais & dispos, & les jeunes gens se ressentent beaucoup plutôt des incommodités de la vieillesse ; ce fait mérite encore d'être soigneusement examiné ; nous pouvons conclure des autres que le désir de vivre & de se bien porter est si fortement gravé dans le coeur de tous les hommes, qu'il n'y a rien qu'on n'ait imaginé dans la vue de le réaliser, & qu'on n'a rien proposé de si absurde qui n'ait trouvé des partisans. (m)

TRANSPLANTATION D'ARBRES, (Agricult.) on a imaginé l'art de transplanter les grands arbres fruitiers des vergers : un particulier en fit l'essai en Angleterre dans le dernier siecle ; il avoit eu pendant vingt ans un verger rempli de pommiers & de poiriers. Ces arbres étoient en bon état & produisoient du fruit en abondance. Il se trouva obligé d'aller demeurer dans une autre maison de campagne à environ un mille de ce verger ; il essaya d'emporter avec lui ses arbres fruitiers dont il étoit amoureux. Pour cet effet il fit faire, au mois de Novembre, des tranchées autour de leurs racines, & des trous assez grands pour recevoir chaque arbre qu'il vouloit transplanter dans son nouveau jardin avec la motte de terre. Aussi-tôt que les gelées commencerent à être assez fortes pour son dessein, & qu'elles eurent endurci la terre autour des racines, il fit lever les arbres avec des leviers sans rompre la motte, & les fit conduire sur des traîneaux à l'endroit de son nouveau jardin qui leur étoit destiné ; il les laissa dans l'état qu'ils avoient été apportés, & au dégel il mit de nouvelles terres autour des racines, termina son ouvrage, & fit remplir les tranchées de nouvelle terre qu'il y affaissa.

Un mois après avoir ainsi transplanté ses arbres, il fit ôter un bon tiers des branches, pour les décharger à proportion de la quantité de racines qu'ils avoient perdues ; & l'été suivant il en recueillit passablement de fruits : voilà jusqu'où de nos jours les Anglois ont poussé l'industrie du jardinage ; ils sont parvenus non-seulement à faire, quand il leur plaît, de leurs arbres fruitiers, des arbres pour ainsi-dire ambulans, mais encore à les transplanter à rebours.

M. Bradley a lui-même imaginé de transplanter les jeunes arbres au milieu de l'été, & il assure l'avoir vû exécuter avec succès par un curieux de Kensington. Comme la séve de plusieurs arbres est dans l'inaction vers le milieu de l'été, si on les transporte dans ces momens favorables, ils ont plus de tems pour se fortifier avant l'hiver, que ceux que l'on remue dans l'automne, & sont incontestablement mieux préparés à pousser de fortes tiges que ceux que l'on transplanteroit au printems ; mais les arbres qui perdent leurs feuilles réussiroient-ils aussi-bien par cette méthode que les arbres toujours verds ? Il reste encore un grand nombre d'expériences à tenter sur la transplantation, & les mauvais succès ne doivent pas décourager. (D.J.)


TRANSPORTS. m. (Gram. & Jurisprud.) est un acte qui fait passer la propriété de quelque droit ou action d'une personne à une autre, par le moyen de la cession qui lui en est faite ; ainsi transport & cession en ce sens ne sont qu'une même chose.

Celui qui fait le transport est appellé cédant, & celui au profit duquel il est fait est appellé cessionnaire.

Le transport se fait avec garantie ou sans garantie, ce qui dépend de la convention.

Le cédant est cependant toujours garant de ses faits & promesses.

Le transport ne saisit que du jour qu'il a été signifié, c'est-à-dire qu'il n'a d'effet contre le débiteur & les autres tierces personnes que du jour qu'il a été signifié & copie donnée au débiteur.

Le défaut de signification au débiteur opere,

1°. Que le payement fait au cédant est valable sauf le recours du cessionnaire contre le cédant.

2°. Qu'un créancier du cédant, même postérieur au transport non-signifié, peut saisir & arrêter la dette cédée.

3°. Qu'un second cessionnaire du même effet ayant fait signifier le premier son transport, est préféré au premier cessionnaire.

L'acceptation du transport de la part du débiteur, équivaut à une signification.

Il y a certaines choses dont on ne peut faire valablement un transport à certaines personnes, comme des droits litigieux aux juges, avocats, procureurs. Voyez DROIT LITIGIEUX.

Les cessions & transports sur les biens des marchands en faillite sont nuls, s'ils ne sont faits au-moins dix jours avant la faillite. Ordonn. du commerce, tit. xj. art. 4.

La délégation est différente du transport, en ce qu'elle saisit sans être signifiée, mais il faut qu'elle soit faite du consentement du débiteur, ou par lui acceptée. Voyez DELEGATION. (A)

TRANSPORT, (Commerce) action par laquelle on fait passer une chose d'un lieu ou d'un pays en un autre. Le transport des marchandises par eau étant plus commode, plus aisé, & infiniment moins coûteux que par terre, demande tous les soins du gouvernement pour le procurer au commerce. (D.J.)

TRANSPORT, terme de Teneur de livres, ce mot se dit du montant des additions des pages qui sont remplies, que l'on porte au commencement des autres pages nouvelles ; il faut bien prendre garde de se tromper dans le transport qui se fait dans les livres, du montant des pages. Ricard. (D.J.)

TRANSPORT, TRANSPORTER, (Jardinage) se dit des terres que l'on enleve d'un bassin, d'un canal, d'un boulingrin, ou bien des terres qu'on apporte pour construire une terrasse, une plateforme, un belvedere.

Il y a quatre manieres de transporter les terres, dans des tombereaux tirés par des chevaux, des camions traînés par deux hommes, des paniers mis sur des ânes, & dans des brouettes ou des hottes servies par des hommes.

Les deux premieres manieres sont à préférer, quand le lieu où on transporte les terres est fort éloigné ; un tombereau à un cheval contient environ 6 piés cubes de terre, & vaut trois ou quatre voyages d'un âne qui porte 2 piés cubes dans ses deux paniers ; les camions contiennent ordinairement 8 piés cubes ; ensorte qu'il faut vingt-quatre tombereaux tirés par deux chevaux, contenant 9 piés cubes de terre, pour contenir une toise cube de terre ; quand ils ne sont tirés que par un cheval il faut trente-six tombereaux.

Lorsque la distance est peu considérable, on peut se servir des ânes ainsi que des brouettes ou des hottes qui ne contiennent qu'un pié cube de terre ; ainsi un âne en porte le double à la fois, & on estime que trois cent hottes ou brouettes médiocrement chargées contiennent une toise cube de terre.

La situation des lieux assujettit à l'une de ces quatre manieres, telle que seroit une descente un peu roide sur un coteau, où il faut absolument des hotteurs.

S'il se trouvoit des rochers dans les terres, on y fera ranger des fagots autour de chaque roche ; on y mettra le feu, & quand la braise sera bien échauffée on jettera de l'eau dessus, ce qui la fera fendre & éclater avec bruit. C'est ainsi que le grand Annibal en passant les Alpes, fit dissoudre les rochers au rapport de Tite-Live ; il se servit de vinaigre au-lieu d'eau. Eamque (quum & vis venti apta faciendo igni coorta esset) succendunt, ardentiaque saxa infuso aceto putrefaciunt. Titi-Livii, lib. XXI. n°. 37.

On transporte des arbres en motte enmanequinée, soit sur de petits chariots appellés diables, ou sur de plus grands avec des chaînes de fer qui les attachent.

Les orangers & les arbres encaissés d'une moyenne force, se transportent sur des civieres ou sur des traîneaux, deux hommes les portent encore avec de grosses cordes attachées à des crochets qui embrassent les quatre piliers de la caisse ; des chariots tirés par des chevaux servent à transporter les grands arbres.


TRANSPOSITIFVE, adj. (Gram.) M. l'abbé Girard (Princip. disc. I. tom. I. pag. 23.) divise les langues en deux especes générales, qu'il nomme analogues & transpositives.

Il appelle langues analogues, celles dont la syntaxe & la construction usuelle sont tellement analogues à l'ordre analytique, que la succession des mots dans le discours y suit la gradation des idées.

Il appelle langues transpositives, celles qui dans l'élocution donnent aux noms & aux adjectifs des terminaisons relatives à l'ordre analytique, & qui acquierent ainsi le droit de leur faire suivre dans le discours une marche entierement indépendante de la succession naturelle des idées. Voyez LANGUE, art. iij. §. 1. (B. E. R. M.)


TRANSPOSITIONs. f. en Algebre, se dit de l'opération qu'on fait en transposant dans une équation un terme d'un côté à l'autre ; par exemple, si a + c = b, on aura en retranchant de part & d'autre c, a + c - c = b - c, ou a = b - c, où l'on voit que le terme c est transposé du premier membre au second avec un signe contraire à celui qu'il avoit. On ne fait aucun changement dans une équation en transposant ainsi les termes d'un membre dans l'autre, pourvu qu'on observe de leur donner des signes contraires. Par exemple, si on avoit a - c = b, on auroit en ajoutant de part & d'autre c, a - c + c = b + c, ou a = b + c ; les regles des transpositions sont fondées sur cet axiome, que si à des quantités égales on en ajoute d'égales, ou qu'on en retranche d'égales, les tous dans le premier cas seront égaux, & les restes dans le second. (O)


TRANSPOSITIONen Musique, est le changement par lequel on transporte une piece de Musique d'un ton à un autre.

Je suppose qu'on sait déjà qu'il n'y a proprement que deux modes dans la musique ; de telle sorte que composer en tel ton, n'est autre chose que fixer sur telle ou telle tonique le mode qu'on a choisi. Mais comme l'ordre des sons ne se trouve pas naturellement disposé sur toutes ces toniques, comme il devroit être pour y établir le mode, on corrige cette irrégularité par le moyen des dièzes ou des bémols dont on arme la clé, voyez CLE TRANSPOSEE. Quand on a donc composé un air dans quelque ton, & qu'on le veut transposer dans un autre, il ne s'agit que d'en élever ou abaisser la tonique & toutes les notes d'un ou plusieurs degrés, selon le ton qu'on a choisi ; puis de changer l'armure de la clé, conformément à ce nouveau ton : tout cela est égal pour les voix ; car en appellant toujours ut la tonique du mode majeur, & la celle du mode mineur, tous les tons leur sont indifférens, & c'est l'affaire des instrumens, voyez GAMME, MODE. Mais ce n'est pas pour ceux-ci une petite attention de transposer dans un ton ce qui est noté dans un autre : car quoiqu'ils se guident par les notes qu'ils ont sous les yeux, il faut que leurs doigts en touchent de toutes différentes, & qu'ils les alterent différemment, selon la différence de l'armure de la clé pour le ton noté & pour le ton transposé : desorte que souvent ils doivent faire des dièses où ils voient des bémols, & vice versâ, &c.

C'est un des grands avantages du système dont nous avons parlé au mot notes, de rendre la musique notée par cette méthode également propre à tous les tons en changeant une seule lettre, ce qui, ce me semble, met pour les instrumens ces nouvelles notes au-dessus de celles qui sont établies actuellement. Voyez NOTES. (S)


TRANSUBSTANTIATION(Théol.) transsubstantiatio, pris dans un sens général, signifie le changement d'une substance en une autre. Ainsi le changement de la verge de Moïse en serpent, des eaux du Nil en sang, de la femme de Loth en statue de sel, furent des transsubstantiations surnaturelles : mais le changement des alimens que nous prenons, en la substance de nos corps, n'est qu'une transubstantiation naturelle. Voyez SUBSTANCE.

TRANSUBSTANTIATION, dans un sens plus particulier, est la conversion ou le changement miraculeux qui se fait de toute la substance du pain en la substance du corps de Jesus-Christ, & de toute la substance du vin en celle de son sang, en vertu des paroles de la consécration dans le sacrement de l'eucharistie ; ensorte qu'il ne reste plus que les especes ou apparences du pain & du vin, selon la doctrine de l'église romaine.

Ce mot fut introduit dans l'église au concile de Latran en 1215, pour obvier aux équivoques des Manichéens de ce tems-là. Mais si l'expression étoit nouvelle, la chose qu'elle énonçoit ne l'étoit pas, comme le remarque M. Bossuet.

Les Protestans rejettent unanimement le mot de transubstantiation, même les Luthériens, quoiqu'ils ne nient pas la présence réelle. Ils y ont substitué ceux d'impanation & de consubstantiation. Voyez IMPANATION & CONSUBSTANTIATION.

Les Calvinistes, les Zuingliens, les Anglicans & tous les autres prétendus réformés qui expliquent ces paroles de Jesus-Christ : Hoc est corpus meum, dans le sens figuré, abhorrent aussi le nom de transubstantiation. L'église romaine l'a conservé comme très-propre à exprimer le miracle qui s'opere dans l'eucharistie. Et pour prémunir ses enfans contre les fausses interprétations que les Sacramentaires donnent aux paroles de la consécration, elle a déclaré, dans le premier chapitre de la treizieme session du concile de Trente, que dans la transubstantiation le corps & le sang de notre seigneur Jesus-Christ se trouvent réellement, véritablement & substantiellement sous les especes du pain & du vin. Le concile ajoute que par le mot véritablement, il entend proprement, & non pas par signification, comme si l'eucharistie n'étoit autre chose que le signe du corps & du sang de Jesus-Christ ; que par le terme réellement, il entend de fait, & non pas seulement en figure ou une présence par la foi, comme si l'eucharistie n'étoit qu'une figure ou une représentation du corps & du sang de Jesus-Christ, & qu'on ne l'y reçût que par la foi ; & enfin, que par substantiellement, il entend en substance, & non en vertu ou par énergie. Ainsi le sens de vérité est opposé à celui de signe ; le sens de réalité à celui de figure ou de perception par la foi ; & celui de substance exclut le sens de vertu ou d'énergie.

Voilà ce qu'a décidé l'église sur ce point ; mais elle n'a pas interdit aux Théologiens & aux Philosophes la liberté d'imaginer des systèmes pour expliquer la maniere dont le pain & le vin sont changés réellement au corps & au sang de Jesus-Christ, & comment les accidens du pain & du vin subsistent après la consécration, quoiqu'il n'y ait plus réellement ni pain ni vin. Nous allons donner l'analyse des différens systèmes qui ont paru sur ces deux questions, & nous indiquerons ce qu'il en faut penser.

Il y a trois systèmes différens sur la maniere dont s'opere la transubstantiation : celui des Péripatéticiens, celui de M. Cally, & celui de M. Varignon.

1°. Les Péripatéticiens, en reconnoissant que toute la substance du pain & du vin est réellement changée en la substance du corps & du sang de Jesus-Christ, soutiennent que l'étendue actuelle du pain & du vin subsiste dans tout son entier. Le corps de Jesus-Christ selon eux, quoique réellement animé & organisé dans l'eucharistie, ne s'y trouve pas actuellement étendu. L'étendue du pain & du vin, suivant leurs principes, demeure après la consécration, & existe sans sujet d'inhésion. Ce système suppose qu'un corps en demeurant vrai corps, peut être dépouillé de son extension actuelle ; & que l'extension actuelle d'un corps peut subsister, quoique ce corps lui-même ne subsiste plus. Mais outre que ce principe est faux, cette hypothèse est contraire aux sentimens des peres qui reconnoissent dans l'eucharistie le même corps de Jesus-Christ, qui est né de la vierge Marie, qui a été crucifié, &c. Or qui peut concevoir un pareil corps sans étendue actuelle ? Enfin, l'étendue interne qu'ils supposent, par laquelle un corps est étendu, par rapport à lui-même, sans l'être par rapport aux corps qui l'environnent, est aussi insoutenable, que leur subsistance d'accidens sans sujet d'inhésion est imaginaire.

2°. M. Cally, professeur de Philosophie dans l'université de Caen, & disciple de Descartes, a prétendu que l'union réelle de l'ame & de la divinité de Jesus-Christ avec le pain & le vin eucharistiques, forment le corps de l'homme-Dieu présent sur nos autels. Suivant le principe de ce philosophe, toute matiere, de quelqu'espece qu'elle soit, est également suffisante pour constituer le corps de l'homme. Dès que l'ame humaine se trouve unie à une portion de matiere quelle qu'elle puisse être ; il en résulte selon lui un homme proprement dit.

M. Nicole a réfuté solidement ce système dans sa LXXXIIIme. lettre. Mais il semble contraire à la foi de l'église, qui par le corps de Jesus-Christ présent sur nos autels, n'entend pas une nouvelle matiere séparée & distinguée de celle qui compose le corps de Jesus-Christ dans le ciel, mais le même corps qu'il a pris dans le sein d'une vierge, qui a souffert pour nous, &c. ce que M. Cally n'explique point, en supposant que l'ame & la divinité de Jesus-Christ s'unissent au pain & au vin pour former son corps.

3°. M. Varignon, professeur de Mathématiques au college Mazarin, & de l'académie royale des Sciences, admit en partie le système de M. Cally, & y ajouta du sien. Il admet une organisation réelle dans chacune des parties intérieures du pain & du vin, & se fonde ensuite sur ces principes. Il établit, 1° que la matiere est divisible à l'infini ; qu'il n'est point de portion de matiere, quelque petite qu'elle soit, qui ne puisse, par les divers arrangemens de ses parties, devenir tel ou tel corps : fer, froment, pain, vin, os, chair, sang ; & qu'en conséquence il n'y a aucune espece de corps qui par les différentes dispositions des parties qui le composent, ne puisse être converti en une autre espece de corps. 2°. Il établit que la grandeur & la structure du corps sont absolument indifférentes à la nature de l'homme ; parce que les enfans, les pigmées & les géans sont également des hommes. 3°. Qu'un enfant qui est grand d'un pié, en venant au monde, & qui parvient ensuite à la grandeur de six piés, est toujours le même homme ; & il conclut de cette maxime qu'un homme de six piés peut être réduit à un pié, & même diminuer par degrés jusqu'à l'infini, sans cesser d'être le même homme & d'avoir le même corps. 4°. Il soutient que l'identité de la matiere n'est pas nécessaire pour l'identité du corps : la raison qu'il en donne, est qu'il n'y a aucun homme, de quelque âge qu'il puisse être, qui ne soit censé avoir le même corps qu'il avoit en naissant, quoiqu'il ne lui reste peut-être plus aucune portion de la matiere qui composoit son premier corps. Quelque diversité, ajoute-t-il, qu'il y ait dans le corps d'un homme, par rapport à la matiere qui composoit son corps dans l'enfance, & ce qui le compose dans la vieillesse, cette diversité n'empêche pas que ce ne soit toujours le même corps. L'unité & l'identité du corps ne se tirent pas de l'unité & de l'identité des parties qui le forment : elles puisent leur source, leur fondement, leur origine dans l'unité & l'identité d'ame. 5°. Il établit que l'homme n'est pas esprit seulement, mais un esprit joint à un corps. Ainsi pour constituer deux hommes, conclut-il, il faut deux corps & deux ames. Si plusieurs corps, ajoute-t-il, étoient animés par la même ame, ils ne formeroient pas plusieurs hommes ; ils n'en composeroient qu'un : & dès-lors il est clair que cet homme pourroit dans le même tems, sans être reproduit, se trouver en plusieurs lieux ; puisque les différens corps qu'il avoit en différens pays & en différens lieux, seroient unis à une même ame.

Ces principes posés, voici de quelle maniere M. Varignon entreprend de prouver la possibilité de la présence réelle, & d'éclaircir la nature de la transubstantiation. Dieu, dit-il, à la prononciation des paroles de la consécration, imprime sur chaque partie sensible de l'hostie le mouvement qu'il faut pour leur donner une nouvelle configuration propre au corps humain ; & dans le moment même de la formation de ces petits corps organisés, il joint à chacun d'eux l'ame de Jesus-Christ : chaque particule sensible du pain fait un tout, dont Dieu change l'arrangement & l'ordre intérieur. De ce changement qui se fait dans chacune des parties sensibles du pain résultent des os, de la chair, des arteres, des veines & du sang qui forment un corps organisé semblable au nôtre, & que l'ame de Jesus-Christ vient animer. Dans ce système, chaque partie sensible du pain fait un seul corps individuel, qui se trouve le même dans chaque étendue sensible des particules de matiere qui étoient pain avant la consécration : ces différentes particules de matiere devenues le corps de Jesus-Christ peuvent être divisées les unes des autres, sans que l'ame qui leur est unie souffre pour cela aucune division. Il faut dire la même chose du corps humain, qui résulte de l'union de ces petites particules de matiere à une même ame. Ce corps n'est sujet à aucune séparation des parties. Les différentes particules de pain qui deviennent intérieurement le corps de Jesus-Christ par la prononciation des paroles de la consécration, conservent toujours entr'elles le même ordre sensible, & le même arrangement qu'elles avoient lorsqu'elles étoient pain ; il n'est donc pas étonnant qu'ayant la même superficie, elles continuent à exciter en nous les mêmes sensations.

Ce système est sans doute ingénieux & soutenu dans toutes ses parties. Mais il ne s'en écarte pas moins de la foi catholique. Car 1°. celle-ci appelle l'eucharistie un mystere impénétrable à la raison humaine, & M. Varignon ne laisse dans l'eucharistie qu'un pur miracle, il en exclut le mystere. 2°. Elle enseigne que le corps de Jesus-Christ qui se trouve dans l'eucharistie, est le même qui est né d'une Vierge, qui a souffert, qui est ressuscité, &, selon M. Varignon, le corps de Jesus-Christ qui est sur l'autel, est formé dans l'instant de la matiere du pain & du vin. 3°. La foi nous enseigne que Jesus-Christ n'a qu'un corps, & M. Varignon donne à Jesus-Christ autant de corps organisés qu'il y a de parties sensibles dans le pain. 4°. M. Varignon prétend qu'il n'y a que les parties intérieures du pain qui soient changées, & que les parties sensibles demeurent toujours les mêmes, puisqu'elles gardent toujours entr'elles la même situation & le même arrangement. Or cette partie seule de son système est directement opposée à la transubstantiation, qui, dans le sens défini par le concile de Trente, est la conversion de toute la substance du pain au corps de Jesus-Christ, & de toute la substance du vin en son sang, c'est à-dire de toutes les parties, tant sensibles qu'intérieures.

Il y a divers systèmes pour expliquer quelle est la nature des especes eucharistiques qui frappent nos sens après la transubstantiation, & pour fixer en quoi elles consistent. L'école en fournit trois, celui des Péripatéticiens, celui du P. Maignan, religieux minime, & celui de Rohault le cartésien.

1°. Les Péripatéticiens soutiennent que les apparences du pain & du vin sont quelque chose de réel qui subsiste hors de nous. Ils croient que ce sont des accidens absolus, qui existent sans aucun sujet d'inhésion ; quelques-uns même d'entr'eux vont jusqu'à dire qu'on ne peut nier l'existence de ces accidens sans blesser la foi.

On sent assez que ce système choque les notions les plus simples reçues parmi les philosophes, sur l'essence de la matiere & des accidens, personne n'ayant jamais entendu par ce dernier terme que ce qui n'existe point de soi-même, & ce qui ne peut subsister sans être inhérent à un autre objet. L'autorité de saint Thomas & de quelques théologiens n'est pas suffisante pour ériger cette opinion en dogme. Il est également libre ou de la soutenir ou de la rejetter.

2°. Le pere Maignan prétend que les apparences du pain & du vin ont pour sujet d'inhésion le corps même de Jesus-Christ, ou qu'elles existent dans notre ame : & voici comme il développe son système. On doit, dit-il, distinguer dans les corps deux sortes d'apparences. Il y en a qui appartiennent à la substance corporelle, comme le mouvement, la figure, la dureté, l'impénétrabilité ; & il y en a d'autres qui ne lui appartiennent pas, comme la couleur, la saveur, l'odeur. La premiere espece d'apparence qui appartenoit à la substance du pain, & qui l'affectoit avant la consécration, demeure sans le pain après la consécration. Elles ont pour sujet d'inhésion le corps de Jesus-Christ, elles résident en lui, & elles y sont attachées. Le corps de l'Homme-Dieu prend la place du pain, & il est revêtu de toutes les apparences qui appartenoient à la substance du pain. Il est sujet au mouvement dont le pain étoit susceptible, il a la même figure, il peut être touché, il empêche le passage d'autres corps, & il résiste à l'effort des impressions corporelles. La seconde espece d'apparence qui n'affectoit pas la substance du pain avant la consécration, demeure sans le pain après la consécration. Elles n'existent pas dans le corps de Jesus-Christ, elles n'existent que dans notre ame, & n'ont pas d'autre sujet d'inhésion. Dieu, dit cet auteur, peut par lui-même & sans le secours d'aucune cause occasionnelle rendre présente à notre esprit la couleur & la saveur du pain, & c'est ce qu'il opere dans le sacrement de l'Eucharistie. Quoi qu'il n'y ait plus ni pain, ni vin après la consécration, Dieu remue par lui-même nos organes de la même maniere que le pain & le vin les remuoient avant qu'ils fussent consacrés : l'ébranlement du nerf optique produit en nous la perception de la même couleur, & l'ébranlement de l'organe du goût produit également en nous la sensation de la même saveur. Dans le cours ordinaire de la nature, on ne peut avoir présentes aux yeux les apparences du pain & du vin, sans qu'il y ait réellement devant nos yeux du pain & du vin ; mais dans l'ordre surnaturel, Dieu peut exciter en nous la perception des apparences du pain & du vin, quoiqu'il n'y ait hors de nous ni pain ni vin ; & c'est précisément en ce point que consiste le miracle du sacrement de l'Eucharistie.

3°. M. Rohault établit les mêmes principes que le P. Maignan, pour expliquer quelle est la nature des accidens ou especes eucharistiques après la consécration. Il distingue, comme lui, deux sortes d'apparences dans les corps : celles qui appartiennent à la substance même du corps, comme la figure, le mouvement ; & celles qui ne lui appartiennent pas, & qui ne l'affectent pas, comme la couleur, la saveur, l'odeur. Les apparences de la premiere espece, dit M. Rohault, subsistent dans l'eucharistie après la consécration, & elles ont pour sujet d'inhésion le corps même de Jesus-Christ, parce que le corps de Jesus-Christ a pris la place du pain. Il faut raisonner tout autrement, ajoute-t-il, des apparences de la seconde espece. Elles existent dans notre ame, quoiqu'il n'y ait plus ni pain ni vin, parce que Dieu excite en nous, indépendamment de la substance du pain & du vin, les mêmes impressions que le pain & le vin y excitoient avant qu'ils fussent consacrés. La différence qu'il y a entre le système du P. Maignan & celui de Rohault sur ce point est bien légere. Le premier soutient qu'il y a un vrai miracle dans la perception que l'on a des apparences du pain & du vin, même après la consécration, quoiqu'il n'y ait plus alors ni pain ni vin ; & M. Rohault au contraire prétend que cette perception est une suite naturelle des loix du mouvement que Dieu a établie. Voici en abrégé la méthode qu'il suit pour expliquer sa pensée. Toutes les sensations que nous avons à l'occasion des corps, viennent de l'impression qu'ils font sur nos sens par leur superficie. C'est de la différence de leur superficie que naissent les différentes impressions auxquelles nous sommes sujets, & c'est de ces différentes impressions que proviennent nos différentes sensations. Tous les corps qui ont la même superficie excitent en nous les mêmes impressions, & dès lors les mêmes sensations. Si le vin excite en nous une sensation que l'eau n'excite pas, c'est qu'il y a dans le vin un arrangement de parties de matiere qui ne se trouve pas dans l'eau, & qui agit différemment sur nos organes. Tous les objets extérieurs n'agissent sur nos sens que par impulsion & par frappement, soit que cette impulsion & ce frappement viennent des corps mêmes, comme dans le toucher & dans le goût, soit qu'ils viennent par l'écoulement de quelques corpuscules, comme dans l'odorat, soit qu'ils viennent par le mouvement de l'air, comme l'ouïe, soit qu'ils viennent par l'agitation de la matiere subtile, comme dans la vue. Il ne faut donc pas s'étonner, conclut M. Rohault, si le pain & le vin consacrés excitent en nous les mêmes impressions. Quoique substantiellement & réellement changés au corps & au sang de Jesus-Christ, leur superficie reste la même. Le corps de Jesus-Christ en est revêtu, & tout corps qui a la même superficie qu'un autre, doit exciter naturellement les mêmes sensations.

Ces deux sentimens qui sont à-peu-près les mêmes pour le fonds, ont cet avantage sur l'opinion des Péripatéticiens, qu'ils sont appuyés sur des principes solides & sur des notions communément reçues. On peut donc les soutenir d'autant plus que l'Eglise s'est contentée de décider, qu'après la transubstantiation les especes ou accidens du pain & du vin subsistent sans rien définir sur la maniere dont ils subsistent.


TRANSVERSAIREen Anatomie, nom de quelques muscles qui ont leurs attaches aux apophyses transverses.

Le grand transversaire du col monte du dos vers le col, s'insere fort souvent par six tendons aux six apophyses transverses des six vertebres supérieures du dos, & se termine aux extrêmités des apophyses transverses de la troisieme, la quatrieme, la cinquieme & la sixieme vertebre du col.

Le transversaire grêle ou transversaire collatéral du col, ou le cortical descendant de Diemerbroek, s'insere ordinairement à l'angle de la troisieme, quatrieme, cinquieme ou sixieme côte, & se termine aux apophyses transverses de la quatrieme, cinquieme & sixieme vertebre du col.

Les petits transversaires du col, voyez INTERTRANSVERSAIRES.

Le grand transversaire du dos, les petits transversaires du dos, voyez INTERTRANSVERSAIRE.

Le premier transversaire antérieur de la tête, ou le rengorgeur droit, est un muscle qui s'attache à la partie antérieure & supérieure de l'apophyse transverse de la premiere vertebre, & va obliquement se terminer entre le condyle de l'os occipital & l'apophyse mastoïde.

Le second transversaire postérieur de la tête est situé entre les apophyses transverses de la premiere & de la seconde vertebre du col, & s'attache à la partie moyenne & supérieure de l'apophyse transverse de la seconde vertebre du col, & se termine à la partie inférieure de l'apophyse transverse de la premiere.

TRANSVERSAIRE EPINEUX, en Anatomie, nom de différens muscles qui s'attachent aux apophyses épineuses & transverses des vertebres. Voyez VERTEBRE, &c.

Le transversaire épineux du col, ou le demi-épineux du col.


TRANSVERSAou TRANSVERSE, adj. (Géom.) se dit en général de quelque chose qui passe dessus une autre, c'est-à-dire qui la croise & la coupe. Ce mot est principalement d'usage dans la Géométrie : on dit l'axe transverse d'une hyperbole, pour désigner le premier axe de cette courbe. Voyez AXE. (O)

TRANSVERSAL, (Géom.) les lignes qui tombent obliquement ou perpendiculairement sur d'autres se nomment transversales par rapport à celles-ci. Voyez OBLIQUE ou PERPENDICULAIRE.

TRANSVERSAL, le, adj. en Anatomie, se dit des parties situées transversalement par rapport au plan de division du corps ou à son plan vertical. Voyez CORPS.

Le muscle transversal du pié s'attache aux trois derniers os du métacarpe à la partie inférieure de leurs têtes, & se termine à la premiere phalange du pouce au côté externe de sa base.

TRANSVERSAL, LIGAMENT, voyez LIGAMENT.


TRANSVERSALEPROTUBERANCE, voyez PROTUBERANCE ANNULAIRE.

Le sinus transversal inférieur, le sinus transversal supérieur de la dure-mere, voyez DURE-MERE.


TRANSVERSEadj. en Anatomie, se dit de différentes parties, dont la situation est telle relativement au plan que l'on imagine diviser le corps en deux parties égales & symmétriques.

TRANSVERSE de l'abdomen, est un muscle qui est placé sous les muscles obliques ; il vient du cartilage xiphoïde, des cartilages des fausses côtes, des apophyses transverses des vertebres des lombes ; & il s'insere à la levre interne de la crête de l'os ilion, à l'os publis & à la ligne blanche.

Ce muscle unit ses tendons avec les obliques, à mesure qu'il approche de la ligne blanche. C'est le seul muscle que l'on coupe dans l'opération du bubonocele. Il a une membrane mince & fine, qui ferme exactement l'anneau ou trou par où passent les vaisseaux spermatiques. Voyez OBLIQUE.

Le muscle transverse de l'uréthre ou le triangulaire vient de la tubérosité de l'os ischium, tout proche des érecteurs ; & s'avançant obliquement, va se terminer à la partie postérieure du bulbe de l'uréthre.

Les apophyses transverses des vertebres sont des éminences situées aux parties latérales, & postérieures du corps de chaque vertebre. Voyez APOPHYSE & VERTEBRE.


TRANSYLVANIEVoyez TRANSILVANIE.


TRANTANAW(Géog. mod.) bourgade de Bohème, dans le cercle de Konigingratz ; elle est connue par la victoire que le roi de Prusse y remporta sur les Autrichiens en 1745, & plus anciennement pour avoir donné la naissance à Ziska, chef & vengeur des Hussites. Il perdit fort jeune un oeil d'un coup d'épée, & son autre oeil fut percé d'une fleche au siége de Rubi ; mais tout aveugle qu'il étoit, il fit trembler l'empereur Sigismond, gagna batailles sur batailles ; & se sentant près de mourir, il prescrivit, dit-on, à ses troupes de faire de sa peau un tambour, & de s'en servir dans tous les combats. (D.J.)


TRANTERIES. f. (Jurisprud.) dans certaines coutumes d'Angleterre, signifie l'argent qui provient des amendes auxquelles on condamne les marchands de biere & les avitailleurs qui vendent le pain & la biere à faux poids & fausse mesure. Ce terme est usité principalement à Luston & dans les autres manoirs du comté d'Hereford.


TRAOUou TRAW, (Géog. mod.) ville des états de la république de Venise, dans la Dalmatie, sur la côte, & si voisine de l'île Bua, qu'un de ses fauxbourgs est dans cette île, à laquelle elle communique par des ponts. Elle a un évêché suffragant de Spalatro ; cependant elle ne renferme qu'environ quatre milles ames, & pas une seule hôtellerie ; en sorte que les voyageurs y sont obligés de se pourvoir comme ils l'entendent pour leur logement, & pour leur nourriture. Long. 34. 10. latit. 43. 54.

Traou a été connu des anciens sous le nom de Tragurium ; mais quoique Ptolémée & Strabon en parlent comme d'une île, ce n'est qu'une péninsule ; & le canal qui la sépare du continent, est un ouvrage de l'art.

Cette ville est devenue fameuse dans la république des Lettres par un manuscrit contenant un fragment de Pétrone, qui manquoit à ses ouvrages imprimés, & que M. Petit déterra en 1663, dans la bibliotheque de Nicolas Lippius.

C'est un manuscrit in-folio épais de deux doigts, lequel contient plusieurs traités écrits sur du papier qui a beaucoup de corps. Les oeuvres de Catulle, de Tibulle, & de Properce, sont écrites au commencement. Ensuite on voit une piece intitulée, Fragmentum Petronii arbitri, ex libro decimo quinto, & sexto decimo, où est contenu le souper de Trimalcion, tel qu'il a été imprimé depuis sur cet original. Le manuscrit est bien lisible, & les commencemens des chapitres & des poëmes sont en caracteres bleus & rouges. L'année dans laquelle il a été écrit, est marquée page 179 de cette maniere 1423, 20 Novembre.

La découverte de ce manuscrit fit grand bruit ; & l'Europe savante se divisa en trois parties, comme s'il eût été question de reconnoître un prince. L'Italie adopta l'authenticité du fragment ; la France & la Hollande le rejetterent ; l'Allemagne resta neutre ; car Reinesius même commenta le manuscrit sans oser se déclarer ; l'Angleterre occupée des projets de Charles II. & de la réédification de Londres incendiée, ne parut point dans cette contestation savante ; mais les préjugés se dissiperent bien-tôt par l'impression, & personne aujourd'hui ne doute que le fragment ne soit de Pétrone. Il est certain que le siecle de l'écriture de ce manuscrit (qui est à présent dans la bibliotheque du roi de France) n'avoit pas des esprits assez raffinés, assez délicats, & assez versés dans la langue latine, pour oser emprunter le style de Pétrone, sans qu'une ruse si grossiere n'eût sauté aux yeux de tout le monde dans des siecles éclairés.

François Nodot a donné à Paris en 1693, une édition prétendue complete de Pétrone, sous ce titre : Titi Petronii arbitri equitis romani satyricon, cum fragmentis, Albae Graecae, (à Belgrade) recuperatis, anno 1688. Cet ouvrage contient le texte & la traduction de différens morceaux de Pétrone, avec des remarques latines & françoises, & la vie de Pétrone. La derniere édition est celle de 1713, en 2 vol. in12. mais elle n'est ni belle ni exacte, & cependant le livre méritoit plus de soin. (D.J.)


TRAPAS. f. (Hist. nat. Botan.) genre de plante dont voici les caracteres distinctifs ; le calice est composé d'une seule feuille, découpée en quatre parties dans les bords, & il subsiste. La fleur est à quatre pétales, plus larges que les segmens du calice, & placés verticalement. Les étamines sont quatre filets de la longueur du calice ; les bossettes sont simples ; le germe du pistil est ovale ; le style est simple, & a la longueur du calice ; le stigma est gros & sillonné tout-autour ; le fruit est une capsule ovale, allongée, pierreuse, ayant une seule loge, & étant armée de quatre épines posées à l'opposite sur les côtés ; ces épines sont ce qu'étoient originairement les segmens du calice ; la graine est une noix ovale. Linnaei, gen. plant. p. 50. (D.J.)


TRAPANS. m. terme de Charpentier, le haut de l'escalier où finit la charpente ; ce mot vient peut-être de trabes, poutre, solive, chevron, parce que le trapan se termine par quelque piece de bois qui l'entretient. (D.J.)


TRAPANIou TRAPANO, (Géog. mod.) en latin Drepanium, ville de Sicile, sur la côte occidentale de cette île, dans la vallée de Mazara, sur une langue de terre qui avance dans la mer, à 20 lieues à l'ouest de Palerme ; son port est grand, & défendu par un château ; cette ville est connue par ses salines & par ses pêches de thon & de corail. Long. 30. 12. latit. 38. 18.

Fardella (Michel-Ange) religieux de l'ordre de S. François, né à Trapani en 1650, se distingua dans la Géométrie, & publia en ce genre d'assez bons ouvrages pour le tems. Il mourut à Naples en 1718, dans la soixante-huitieme année de son âge. Le P. Nicéron a fait son article dans ses Mémoires des hommes illustres, tome XII. (D.J.)


TRAPEou ATTRAPE, (Marine) voyez CORDE DE RETENUE.


TRAPETTES. f. (Soierie) baguette de roseau, chargée aux extrêmités de deux aiguilles de plomb, qui l'environnent en formant une espece de spirale, posée entre les lisses de fond & celles de rabat. Son usage est de faire retomber les fils qui pourroient demeurer en l'air, après que les navettes sont passées ; le passage des espolins en est facilité.


TRAPEZA(Géog. anc.) 1°. ville de l'Arcadie : Etienne le géographe dit qu'elle étoit près de Tricolonum. Cette ville est nommée Trapezus par Pausanias, l. VIII. c. iij. qui nous apprend qu'elle devoit son nom à Trapezus fils de Lycaon.

2°. Trapeza, promontoire de la Troade, à dixhuit milles de la petite ville de Dardanium ; selon Pline, l. V. c. xxx. il étoit à l'entrée de l'Hellespont, & on le nomme présentement capo de Janisséri. (D.J.)


TRAPÈZES. m. en Géométrie, c'est une figure plane terminée par quatre lignes droites inégales.

1°. Trois côtés quelconques d'un trapèze pris ensemble sont plus grands que le quatrieme.

2°. Les deux diagonales d'un trapèze quelconque inscriptible dans un cercle divisent cette figure en quatre triangles semblables deux-à-deux.

3°. Si deux côtés d'un trapèze sont paralleles, le rectangle fait de la somme des côtés paralleles & de la moitié de leur distance, est égale à ce trapèze.

4°. Si l'on circonscrit un parallélogramme à un trapèze, de maniere qu'un des côtés du parallélogramme soit parallele à une diagonale du trapèze, ce parallélogramme sera double du trapèze.

5°. Si deux angles opposés d'un trapèze quelconque sont droits, que l'on tire une diagonale qui joigne ces angles, & qu'ensuite des deux autres angles on tire des perpendiculaires sur cette diagonale, les distances du pié de ces perpendiculaires au sommet des angles droits respectifs, seront égales.

6°. Si les côtés d'un trapèze sont coupés chacun en deux parties égales, & que l'on joigne les points de bissection par quatre lignes droites, ces quatre lignes droites formeront un parallélogramme égal à la moitié du trapèze.

7°. Si l'on coupe les diagonales d'un trapèze chacune en deux parties égales, & que l'on joigne ces points par une ligne droite, la somme des quarrés des côtés sera égale à la somme des quarrés des diagonales, plus à quatre fois le quarré de la ligne qui joint les points de bissection.

8°. Dans un trapèze quelconque la somme des diagonales est plus petite que la somme de quatre lignes droites tirées d'un point quelconque, au-dedans de la figure, different du point d'intersection des diagonales. Chambers. (E)

TRAPEZE, nom qu'on donne en Anatomie à un muscle de l'omoplate ; on l'appelle trapèze à cause de sa ressemblance avec la figure géometrique de ce nom. Voyez nos Planches d'Anatomie & leur explication. Voyez OMOPLATE.

Les fibres de ce muscle ont différentes insertions & différentes actions. Il vient de la partie inférieure de l'occipital, du ligament cervical, des apophyses épineuses de la derniere vertebre du col, des huit, quelquefois dix & même douze des vertebres du dos, & s'insere à la levre supérieure de l'épine de l'omoplate tout-autour du rebord postérieur de l'acromion & de la portion humérale de la clavicule. Voyez OCCIPITAL, VERTEBRE, &c.

Trapèze est aussi le nom que l'on a donné au premier des os du second rang du carpe. Voyez CARPE.

Cet os a une éminence & un sinus à sa face interne ; il a quatre faces articulaires par lesquelles il est articulé avec l'os scaphoïde, avec la premiere phalange du pouce, avec l'os du métacarpe qui soutient l'index, & avec la trapézoïde. Voyez TRAPÉZOIDE, &c.


TRAPÉZOIDES. m. (Géométrie) est une figure irréguliere ayant quatre côtés qui ne sont pas paralleles entr'eux. Le trapezoïde differe du trapèze en ce que ce dernier peut avoir deux côtés paralleles, au lieu que le trapezoïde n'en a point.

TRAPEZOÏDE, en Anatomie, nom du second os du second rang du carpe, lequel est articulé avec l'os scaphoïde, avec le second os du métacarpe, avec le trapèze & avec le grang ; sa pointe est tournée en-dedans de la main. On le nomme aussi pyramidal.


TRAPEZOPOLIS(Géog. anc.) ville de l'Asie mineure, dans la Carie, selon Ptolémée, l. V. c. ij. qui la marque dans les terres. Pline, liv. V. c. xxix. nomme ses habitans Trapezopolitae. La notice épiscopale range la ville de Trapezopolis parmi les évêchés de la Phrygie capatiane. (D.J.)


TRAPEZUS(Géog. anc.) 1°. montagne de la Chersonese taurique ; c'est Strabon, liv. VII. pag. 309, qui en parle ; il fait aussi mention d'une ville du même nom, qui, dit-il, est voisine de la Tibarénie & de la Colchide.

2°. Trapezus, ville de la Cappadoce. Ptolémée, l. V. c. vj. la marque sur la côte du Pont Cappadocien, près de Pharnacia. C'étoit, selon Etienne le géographe, une colonie des habitans de Sinope. Voyez TREBISONDE. (D.J.)


TRAPICHES. m. (terme de mines) moulin pour casser le minérai en Amérique.

Les moulins, dit M. Frezier, que les Espagnols appellent trapiches, sont faits à-peu-près de la même maniere que ceux dont on se sert en France pour écraser des pommes ; ils sont composés d'une auge ou grande pierre ronde de cinq à six piés de diamêtre, creusée d'un canal circulaire profond de dixhuit pouces.

Cette pierre est percée dans le milieu pour y passer l'axe prolongé d'une roue horisontale posée audessous & bordée de demi-godets, contre lesquels l'eau vient frapper pour la faire tourner ; par ce moyen on fait rouler dans le canal circulaire une meule posée de champ qui répond à l'axe de la grande roue.

Cette meule s'appelle la valteadora, c'est-à-dire, la tournante ; son diamêtre ordinaire est de trois piés quatre pouces ; elle est traversée dans son centre par un axe assemblé dans le grand arbre, qui la faisant tourner verticalement, écrase la pierre qu'on a tirée de la mine, que les gens du pays appellent le métal, & nous autres en terme françois de forges, le minérai. Voyage à la mer du Sud. (D.J.)


TRAPOou TRAPOUR ou TARAPOR, (Géog. mod.) ville des Indes, sur la côte de Malabar, au royaume de Concan, entre Daman & Baçaïm, sur une riviere qui ne porte que des bateaux. M. Dellon fait une plaisante description d'une espece de comédie sainte qu'il y vit jouer dans l'église des dominicains le dimanche de la passion. (D.J.)


TRAPPS. m. (Hist. nat. Minéralogie) les Suédois désignent sous ce nom une pierre composée d'un jaspe ferrugineux, tendre, & d'une argille durcie. Cette pierre forme quelquefois des montagnes entieres ; mais le plus communément elle forme des veines enveloppées de roche d'une autre espece. Le grain de cette pierre est plus ou moins fin ; quelquefois on y remarque des particules semblables à du spath calcaire, mais qui ne font point effervescence avec les acides.

Le trapp exposé au feu se convertit en un verre noir compacte ; par la calcination il devient rouge, & contient environ dix livres de fer par quintal. Dans la partie qui est la plus enfoncée en terre, cette pierre est communément pleine de gersures ou de fentes, & elle affecte une figure rhomboïdale. On en mêle en Suede dans la fritte dont on fait le verre de bouteilles. Il y en a de grise, de rougeâtre, de brune, de noire, de bleuâtre ; son grain est plus ou moins sensible ; il y en a de striée & de granulée ; celle qui est noire, prend le poli comme une agate, & est compacte comme elle. M. Cronstedt lui donne le nom de pierre de touche, lapis lydius. Voyez l'essai d'une nouvelle minéralogie publiée en suédois en 1758. (-)


TRAPPES. f. (Archit.) fermeture de bois composée d'un fort chassis & d'un ou deux venteaux, qui étant au niveau de l'aire de l'étage au rez-de-chaussée, couvre une descente de cave. (D.J.)

TRAPPE, s. f. (terme de Chasse) sorte de piege qu'on met dans une fosse ou autre lieu pour prendre les loups, les renards & autres bêtes carnacieres. (D.J.)

TRAPPE, moines de la, (Géog. mod.) cette abbaye est de l'ordre de Cîteaux, située dans un grand vallon de la province du Perche, diocèse de Seez, entre les villes de Seez, de Mortagne, de Verneuil & de l'Aigle. Les collines & les forêts qui environnent cette abbaye, sont disposées de telle sorte, qu'elles semblent vouloir la cacher au reste de la terre. Elles enferment des terres labourables, des plans d'arbres fruitiers, des pâturages, & neuf étangs qui sont autour du monastere, & qui en rendent les approches si difficiles, que l'on a besoin d'un guide pour y arriver.

Cette abbaye fut fondée en 1140 par Rotrou, comte de Perche, & consacrée sous le nom de la sainte Vierge en 1214, par Robert, archevêque de Rouen. Rien n'est plus solitaire que ce désert ; car quoiqu'il y ait plusieurs bourgades à trois lieues à l'entour, il semble pourtant qu'on soit dans une terre étrangere & dans un autre pays. Le silence regne partout ; si l'on entend du bruit, ce n'est que le bruit des arbres lorsqu'ils sont agités des vents, & celui de quelques ruisseaux qui coulent parmi des cailloux.

Les religieux de la Trappe se couchent en été à huit heures, & en hiver à sept. Ils se levent la nuit à deux heures pour aller à matines, ce qui dure jusqu'à quatre heures & demie. Une heure après ils disent prime, & se rendent ensuite au chapitre. Sur les sept heures ils vont à leurs divers travaux jusqu'à huit heures & demi, qu'on dit tierce, la messe & sexte ; après cela ils reviennent dans leur chambre, vont ensuite chanter none, & se rendent au réfectoire à midi.

Les tables sont propres, nues & sans nappe. Ils ont devant eux du pain, un pot d'eau & chopine de Paris de cidre. Leur potage est sans beurre & sans huile ; leurs sausses sont d'eau épaissie avec un peu de gruau & de sel. Une heure après le repas, ils retournent au travail du matin. A six heures on dit complies, à sept on sonne la retraite ; chacun se couche sur des ais où il y a une paillasse piquée, un oreiller rempli de paille & une couverture. Tout cela se fait en silence, & sans aucun entretien des uns avec les autres.

L'abbaye de la Trappe étoit tombée dans un grand relâchement, lorsque M. l'abbé de Rancé l'a reformée. Sa vie a été donnée ou plutôt déguisée au public sous les couleurs de la pure adulation, par M. de Maupeou, M. Marsolier, & dom le Nain, frere de M. de Tillemont.

Dom Armand Jean le Bouthillier de Rancé, dit M. de Voltaire, commença par traduire Anacréon, & institua la réforme effrayante de la Trappe en 1664. Il se dispensa, comme législateur, de la loi qui force ceux qui vivent dans ce tombeau, à ignorer ce qui se passe sur la terre. Quelle inconstance dans l'homme ! Aprés avoir fondé & gouverné son institut, il se démit de sa place, & voulut la reprendre. Il mourut en 1700, à 74 ans.

Au reste les lecteurs curieux de plus grands détails peuvent lire la description de l'abbaye de la Trappe par Félibien, Paris 1671 & 1692, in -8°. (D.J.)

TRAPPE, abbaye de la, (Hist. ecclés. elle est de l'ordre de Cîteaux, située dans le Perche, aux confins de la Normandie, à quatre lieues de Mortagne, vers le nord ; elle fut fondée par Rotrou comte de Perche en 1140, sous le pontificat d'Innocent II. & le regne de Louis VII. elle fut dans son origine de l'ordre de Savigny ; en 1148. Seslon quatrieme abbé de Savigny, réunit son ordre à celui de Cîteaux, à la sollicitation & par l'entremise de S. Bernard. En 1214 l'église de l'abbaye de la Trappe fut consacrée sous le nom de la sainte Vierge ; en 1200, la comtesse Mathilde avoit fondé l'abbaye des Clairistes ; l'abbé de la Trappe fut le premier abbé de cette abbaye de femmes, & ses successeurs ont encore le droit d'en élire les peres & supérieurs. La Trappe d'abord fut célebre par la sainteté de ses premiers religieux ; mais ils dégénererent, sort de toutes les choses humaines, de la vertu de leurs fondateurs. L'abbaye de la Trappe fut plusieurs fois saccagée par les Anglois, pendant les guerres que nous avions alors avec eux. Les religieux de la Trappe eurent le courage de demeurer quelque tems dans leur maison ; la continuité du péril auquel ils étoient exposés, les en chassa ; la guerre venant à cesser, ils rentrerent tous dans leur monastere ; mais ils avoient eu le tems de se corrompre dans le monde. En 1526, la Trappe eut des abbés commendataires ; en 1662, l'abbé Jean le Boutilier de Rancé, converti non par la mort subite, je crois, de la belle madame de Montbazon, dont il étoit amant favorisé, mais par une circonstance extraordinaire qui l'a suivie, porta la réforme la plus austere à la Trappe. C'est-là que se retirent ceux qui ont commis quelques crimes secrets dont les remords les poursuivent ; ceux qui sont tourmentés de vapeurs mélancoliques & religieuses ; ceux qui ont oublié que Dieu est le plus miséricordieux des peres, & qui ne voient en lui que le plus cruel des tyrans ; ceux qui réduisent à rien les souffrances, la mort, & la passion de Jesus-Christ, & qui ne voient la religion que du côté effrayant & terrible. C'est de-là que partent des cris, & là que sont pratiquées des austérités qui abregent la vie, & qui font injure à la divinité.


TRAPPÉ(Jardinage) signifie bien ramassé, bien venu. Il se dit ordinairement des melons ; voilà un melon qui trappe.


TRAQUENARDS. m. (terme de Manege) entrepas qui est un train ou amble rompu, qui ne tient ni du pas ni du trot, mais qui approche de l'amble. Le cheval qui a cette sorte d'allure, se nomme traquenard, ex eo quod intricat pedes, dit Saumaise.

TRAQUENARD, s. m. (terme de Chasse) sorte de piege composé d'ais rangés en forme de cercueil, & dont on fait usage pour prendre des chats sauvages, des belettes, des fouines, &c. On fait des traquenards simples & doubles ; mais ces derniers sont les meilleurs. (D.J.)


TRAQUERv. act. (terme de Chasse) entourer un bois, y envelopper les bêtes fauves de telle maniere qu'elles ne puissent se sauver, sans être apperçues de quelque chasseur. (D.J.)


TRAQUETTARIER, GROULARD, subst. m. (Hist. nat. Ornithol.) oenanthe tertia Rai, musicapa tertia Ald. rubetra bellonii, oiseau qui est de la grosseur de la linote ; la tête & le cou sont noirs ; il y a de chaque côté une tache blanche, disposée de façon qu'il semble que cet oiseau ait un collier ; les plumes du milieu du dos sont noires & ont les bords roux ; il y a au-dessus du croupion une tache blanche. La poitrine est rousse ou d'un jaune rougeâtre, le ventre a une couleur blanche, mêlée d'une teinte de rouge. Le mâle & la femelle ont sur les aîles près du dos une tache blanche. Ils different principalement des autres oiseaux de leur genre par ce caractere qui leur est particulier. Le bec, les piés & les ongles sont noirs. Rai, synop. meth. avium. Voyez OISEAU.

TRAQUET, s. m. (terme de Meunier) cliquet de moulin ; c'est une petite soupape qui ouvre & ferme l'ouverture de la trémie, pour laisser tomber le grain peu-à-peu sur la meule. (D.J.)


TRASIS. m. (Hist. nat. Botan.) nom vulgaire qu'on donne au souchet rond & bon à manger ; il croît dans les pays chauds, & sur-tout en Italie ; delà vient que Gerard le nomme cyperus esculentus, trasi Italorum. Il est appellé par Tournefort, & par tous les autres botanistes, cyperus rotundus, esculentus, angusti folius. Ses tiges hautes d'environ deux piés, portent en leurs sommités des fleurs à plusieurs étamines ramassées en tête, de couleur jaunâtre ; ces têtes sont composées de diverses feuilles en écaille, sous chacune desquelles il vient, lorsque la fleur est passée, une graine relevée de trois coins. Les racines du trasi sont chargées de tubercules charnus, gros comme de petites noisettes, couverts d'une écorce ridée jaunâtre, ayant la chair blanche, ferme, d'un goût doux, approchant de celui de la chataigne, & sans odeur. (D.J.)


TRASIMENELAC DE, (Géogr. anc.) lac d'Italie dans la Toscane, fatal aux Romains du tems de la guerre punique ; car c'est où Annibal vainquit le consul Flaminius. Polybe, liv. III. ch. lxxxij. dit ; Strabon, liv. V. comme la plûpart des auteurs latins écrit , par un simple ; mais ces deux anciens se trompent dans la pénultieme, que les poëtes latins font longue ; Ovide, l. VI. Fast. v. 765.

... Trasimenaque littora testis.

Silius Italicus, l. IV. v. 740. en use de même :

... Stagnis Trasimenus opacis.

Et Stace, l. I. Silvar. car. jv. v. 86.

... Gaudet Trasimenus & Alpes

Cannensesque animae.

Le nom moderne de ce lac est Lago di Perugia. (D.J.)


TRASMAUR(Géogr. mod.) petite ville d'Allemagne, dans la basse Autriche, sur la droite du Drasain, près de son confluent avec le Danube.


TRASSELLES. m. (Poids étrangers) poids en usage dans quelques villes de l'Arabie, particulierement à Mocha, célebre par son grand négoce ; le trasselle pese 28 liv. il en faut 15 pour le bahar ; dix manns font un trasselle. Savary. (D.J.)


TRASSERou TRACER, (Comm.) terme qui est de quelque usage parmi les négocians & banquiers. Il signifie tirer une lettre de change sur quelqu'un, ou prendre de l'argent à change. Voyez CHANGE. Dict. de Comm.


TRASTRAVATCHEVAL, (Manege) on appelle en termes de manege, un cheval trastravat, celui qui a des balzanes à deux piés qui se regardent diagonalement & en croix de S. André, comme au pié montoir de devant, & au pié hors-montoir du derriere, ou-bien au pié hors-montoir du devant, & au pié montoir du derriere. On appelle travat, celui qui a des balzanes aux deux piés du même côté. Le cheval travat, ainsi que le trastravat ne sont pas estimés. (D.J.)


TRATRATRATRAS. m. (Hist. nat.) animal quadrupede de l'île de Madagascar. Les voyageurs ne nous en apprennent rien, sinon qu'il est de la grandeur d'une génisse de deux ans, qu'il a une tête ronde qui a du rapport avec celle d'un homme. Il ressemble par-devant & par-derriere à un gros singe, & se tient dans les deserts.


TRATTESS. f. pl. (Charpent.) ce sont des pieces de bois, longues de trois piés, & grosses de seize pouces, que l'on pose au-dessus de la chaise d'un moulin à vent, & qui en porte la cage. (D.J.)


TRAUMATIQUESadj. (Médecine) vulnéraires, ou remedes bons pour guérir les plaies. Voyez VULNERAIRE, AGGLUTINANT, GUERISON, CONSOLIDATION, &c.


TRAUNQUARTIER DE, (Géogr. mod.) contrée d'Allemagne, dans la haute Autriche ; ce quartier est traversé par la riviere de Traun, & renferme deux grands lacs ; savoir, Artersée & Traunsée. (D.J.)

TRAUN, (Géog. mod.) il y a deux rivieres de ce nom en Allemagne ; l'une dans la haute-Autriche, sort du lac nommé Traun-Sée, & se jette dans le Danube, entre Lints & l'embouchure de l'Ens : l'autre riviere court dans la haute Baviere, vers les confins du Tirol, & elle tombe dans l'Ackza.


TRAUN-SÉE(Géog. mod.) grand lac d'Allemagne, dans la haute-Autriche, au quartier de Traun. Il reçoit plusieurs petites rivieres, & donne naissance à une seule, qui en prend le nom de Traun. (D.J.)


TRAUNSTEIN(Géog. mod.) ville d'Allemagne, dans la haute Bavière, sur la riviere de Traun, entre le lac Chiemsée & l'archevêché de Saltzbourg. Elle a dans son voisinage des sources d'eau salée. Long. 30. 18. lat. 47. & 48.


TRAUSou THRAUSI, dans Tite - Live, liv. XXXVIII. c. xlj. (Géog. anc.) peuples de Thrace, au voisinage du mont Hémus. Hérodote, liv. V. dit que ces peuples ne différoient point des Thraces, si ce n'est dans un usage qu'ils observoient à la naissance & à la mort de leurs proches. Quand un enfant venoit au monde, les parens s'assembloient, se rangeoient autour de lui, se mettoient à pleurer, & faisoient un détail de toutes les miseres auxquelles il alloit être exposé. Au contraire lorsque quelqu'un d'entr'eux étoit mort, ils se réjouissoient, & en le mettant en terre, ils racontoient le bonheur qu'il avoit d'être délivré des maux de ce monde. (D.J.)


TRAUSIUS CAMPUS(Géog. anc.) campagne où, selon Diodore de Sicile, lib. XIV. cap. cxviij. les Gaulois qui s'étoient avancés jusqu'au promontoire Japygium, furent massacrés par les Cerii, dans le tems qu'ils cherchoient à repasser sur les terres des Romains. Ainsi Trausius campus devoit être dans la Toscane. (D.J.)


TRAVADESS. f. (Marine) ce sont certains vents inconstans qui parcourent quelquefois les trente-deux rumbs en une heure. Ils sont ordinairement accompagnés d'éclairs, de tonnerres, & d'une pluie abondante.


TRAVAILS. m. (Gramm.) occupation journaliere à laquelle l'homme est condamné par son besoin, & à laquelle il doit en même tems sa santé, sa subsistance, sa sérénité, son bon sens & sa vertu peut-être. La Mythologie qui le considéroit comme un mal, l'a fait naître de l'Erebe & de la Nuit.

TRAVAIL, (Critiq. sacrée) ce mot dans l'Ecriture se prend pour la fatigue du corps, Job. v. 7. pour celle de l'esprit, Ps. xxjv. 18. pour les fruits du travail, Deut. xxviij. 33. & finalement par une figure de Rhétorique, pour l'injustice, sous la langue du méchant, est le travail de l'iniquité, Ps. x. 7. (D.J.)

TRAVAIL, s. m. (Art milit.) est le remuement des terres, le transport & l'arrangement des gabions, des sacs à terre, des briques, des fascines, & de tout ce que l'on fait pour se loger & se couvrir. Ainsi les travailleurs sont des pionniers, & le plus souvent des soldats commandés pour remuer les terres, ou s'occuper à quelqu'autres travaux. Dict. militaire.

TRAVAIL, (Maréchal.) cheval de travail ou de fatigue, opposé au simple cheval de parade ou de cérémonie.

Les maréchaux donnent aussi ce nom de travail à un bâtis, ou assemblage de charpente composé de quatre piliers quarrés A, A, A, A, de sept à huit piés de haut hors de terre, de quatre piés ou environ de fondation, & de neuf pouces d'équarrissage B, B, B, B. Les deux bouts sont formés par la distance de ces quatre piliers, où ils sont deux à chaque bout qui ne doivent être éloignés l'un de l'autre que de deux piés, ayant une traverse en-haut, une autre à rase terre, & la troisieme au bout de leurs extrêmités qui est en terre. Chaque couple de piliers ainsi assemblés, & éloignés l'un de l'autre de quatre piés quatre pouces, & assemblés de chaque côté par trois traverses C C, D D, E E, qui prennent aux mêmes hauteurs que les six premieres, ce qui compose un bâtiment de bois à jour, formant un quarré long ; à chacun de ces piliers quarrés on fait plusieurs mortaises pour y ajouter les pieces nécessaires.

Premierement à cinq piés & demi de terre, on ajoute par ce côté une traverse quarrée F F, ayant demi-pié d'équarrissage, à laquelle on cloue & attache en-dedans cinq crochets de fer à égale distance, & ayant la tête en-bas ; vis-à-vis & de l'autre côté, on met à égale hauteur un rouleau, ou une traverse ronde G, garnie de cinq autres crochets ou crampons ; ses deux bouts plus épais H H, sont équarris & ferrés au-delà, près des piliers des deux crics à dents L, dans lesquels s'engrene à chacun un morceau de fer qui les arrête ; on perce chaque bout de deux trous de tariere, un à chaque face du quarré qui perce tout au-travers.

A quatre piés de terre, on fait une mortaise dans le pilier à moitié d'épaisseur, & à un pié de terre, une autre pareille pour y faire entrer deux traverses, ou barres mobiles M M, qui forment le travail des deux côtés, dont un bout entre dans la mortaise d'en-bas d'un pilier, & l'autre dans la mortaise d'enhaut de l'autre pilier, où elle est retenue par un morceau de fer attaché au-dessus N N, qu'on range pour la faire entrer, & qu'on laisse retomber pour l'empêcher d'en sortir.

Quatre autres barres mobiles O O, deux à chaque bout, forment les deux bouts du travail ; celles-la se coulent dans des mortaises qui percent les piliers d'outre-en-outre ; la plus haute se fait à trois piés ou trois piés deux pouces de terre, & celle d'au-dessous à deux piés deux pouces de terre.

On cloue à chaque pilier deux gros anneaux de fer P P, à rase-terre, dont l'un regarde le côté du travail, & l'autre le bout en-dedans.

A deux piés de terre on fait une petite mortaise destinée à recevoir le bout d'une double potence de fer Q Q, qui a environ quinze pouces de long hors du pilier ; elle fait un petit coude à deux pouces près du pilier, qui la rejette en-dehors ; & sa tête qui a six pouces de longueur, finit par deux boulons.

A deux piés & demi de terre sont percées deux autres mortaises tranchantes, faites pour y fourrer deux barres de fer rondes R R, d'un pié de long, & terminées par un quarré de fer, dans lequel sont deux trous de même figure, destinés à recevoir une barre de fer ronde S S, qu'on fait entrer de l'une à l'autre. Chaque traverse du haut des bouts du travail, est garnie d'un anneau T, qui pend, ou d'un rouleau V, soutenu par deux branches, qui tourne sur lui-même : du côté de la traverse ronde G, à chaque pilier, est une barre de fer ronde X X, qui pend à une chaîne, & qu'on arrête en la passant dans un anneau qui l'empêche de vaciller : on met aussi de petits anneaux de fer pour passer les longes du licou du cheval ou de la cavessine de main, ou-bien on les arrête avec des crochets Y Y, qui pendent entre les deux barres des bouts. On garnit le dedans des quatre piliers des bouts du travail de cuir rembourré & cloué Z Z Z Z : on couvre tout le travail d'un toit qui y tient, ou d'un appenti attaché à la muraille voisine, s'il est auprès d'une muraille, ou qu'il ne soit pas isolé.

Comme tous les quatre piliers sont percés des mêmes mortaises, il n'y a moyennant cela ni devant ni derriere ; c'est-à-dire que la tête du cheval peut être à un bout ou à l'autre indifféremment, parce que toutes les traverses mobiles, les barres, &c. s'ajustent d'un côté comme de l'autre.

On fait les fondemens de quatre piés de profondeur pour rendre le travail capable de résister aux efforts du cheval ; on doit murer tout le dedans avec chaux & ciment, le paver à rase-terre, & à un pié & demi tout-autour.

Les traverses d'en-haut servent à l'assemblage.

Les anneaux ou rouleaux qui sont aux bouts, servent à lever la tête du cheval lorsqu'on veut lui donner des breuvages ou des pilules.

Les crochets de fer qui sont aux traverses immobiles des côtés, servent à soutenir & à élever la souspente, & les barres rondes attachées à des chaînes de fer, sont faites pour tourner la traverse ronde, en les mettant successivement dans les trous de tariere qui sont aux bouts.

Les traverses ou barres de bois qui vont en biais des deux côtés, sont faites pour empêcher le cheval de se jetter de côté.

Les traverses ou barres de bois mobiles qui sont deux devant & deux derriere, empêchent le cheval de sortir du travail en avançant ou en reculant.

La double potence de fer est destinée à tenir, lever & attacher le pié de devant pour y travailler.

Les barres & la traverse de fer sont faites pour tenir & arrêter le pié de derriere.

Les anneaux du bas des piliers doivent servir à tenir en respect (par le moyen des cordes qui entourent le pâturon & qui passent au-travers desdits anneaux), les piés aux quels on ne travaille pas.

Les rembourrures des piliers empêchent que le cheval ne se blesse la tête contre les piliers. L'inspection de la figure mettra le lecteur au fait de ce qu'on vient de dire.

TRAVAIL A MOUILLER, terme de Mégissier, qui se dit des peaux de mouton qu'on façonne sur la herse en les mouillant avec de l'eau quand on veut en faire du parchemin. Voyez PARCHEMIN.

TRAVAIL, en Peinture, on dit voila un beau travail, pour exprimer une belle exécution ; en ce cas ce terme est synonyme avec celui de manoeuvre. Voyez MANOEUVRE.

TRAVAIL, on dit en Fauconnerie, oiseau de grand travail, c'est celui qui est fort dans son vol, & ne se rebute point.

TRAVAIL, gens de, (Commerce) qu'on nomme aussi hommes de peine, & manouvriers ; ce sont ceux qui par leur profession sont destinés à des ouvrages laborieux, à porter de pesans fardeaux, ou à quelqu'autre exercice violent. Voyez CROCHETEUR, FORT, GAGNE DENIER. Diction. de Commerce.


TRAVAILLERv. n. (Gram.) s'occuper à quelque ouvrage, faire ou exécuter quelque chose qui demande de la peine & du travail. Voyez TRAVAIL.

Travailler à la tâche. C'est faire marché & être payé à tant par piece d'un certain ouvrage. Voyez TACHE.

Travailler à la journée. C'est faire prix à tant par jour, sans être fixé à une certaine quantité d'ouvrage.

Travailler se dit aussi dans le commerce des marchands qui font un négoce considérable, & qui sont fort achalandés : on dit en ce sens qu'un négociant travaille beaucoup ; l'argent travaille lorsqu'on ne le laisse point oisif dans un coffre fort, & qu'on en fait un emploi continu qui le multiplie.

TRAVAILLER, v. act. (Archit.) ce terme a plusieurs significations dans l'art de bâtir. On dit qu'un bâtiment travaille, lorsque n'étant pas bien fondé ou construit, les murs bouclent & sortent de leur à-plomb, que les voutes s'écartent, que les planchers s'affaissent, &c. on dit aussi que le bois travaille, lorsqu'étant employé verd, ou mis en oeuvre dans quelque lieu trop humide, il se tourmente, ensorte que les panneaux s'ouvrent & se cambrent, les languettes quittent leurs rainures, & les tenons leurs mortaises. Voici les autres significations de ce terme.

Travailler à la piece. C'est faire des pieces pareilles pour un prix égal, comme bases, chapiteaux, balustres, &c. qui ont chacun leur prix.

Travailler à la tâche. C'est pour un prix convenu, faire une partie d'ouvrage, comme la taille d'une pierre où il y a de l'architecture, de la sculpture, &c.

Travailler à la toise. C'est marchander de l'entrepreneur ou du bourgeois, la toise courante, ou superficielle de différens ouvrages, comme taille de pierre, gros & legers ouvrages de maçonnerie, &c.

Travailler par épaulées. C'est reprendre peu-à-peu & non de suite, quelque ouvrage par sous-oeuvre, ou fonder dans l'eau. C'est aussi employer beaucoup de tems à construire quelque bâtiment, parce que les matieres ou les moyens ne sont pas en état pour l'exécuter diligemment. Daviler. (D.J.)

TRAVAILLER, (Marine) on dit que la mer travaille, lorsqu'elle est fort agitée ; qu'un vaisseau travaille, lorsqu'il tangue & roule si fort, qu'il ne peut faire route.

TRAVAILLER, en Musique, on dit qu'une partie travaille quand elle fait beaucoup de notes & de diminutions, tandis que d'autres parties font des tenues, ou marchent plus posément. Voyez PARTIES, TENUE. (S)

TRAVAILLER A LA MAIN, en terme de Cirier, c'est former le corps d'un cierge, &c. avec de la cire qui n'a point été fondue, mais qui est assez molle pour être appliquée & pressée le long de la meche. On roule ces sortes d'ouvrages, & on les finit comme les autres.


TRAVAILLEURSS. m. (Commerce) on nomme ainsi à Amsterdam ce qu'on appelle à la douanne de Paris des gagne-deniers, c'est-à-dire des hommes de peine & de travail destinés au service des marchands, pour la conduite de leurs marchandises au poids public, ou pour les charger ou décharger des vaisseaux.

Ces travailleurs qui sont nommés par les bourguemestres & en grand nombre, sont distribués en dix ou douze compagnies, distinguées par différens noms. Les principales sont les chapeaux rouges, les chapeaux noirs, les chapeaux bleus, les scotze-veen, les zeeuwsches, & les veens.

Chaque marchand a ordinairement ses travailleurs affectés, qui livrent ou reçoivent les marchandises qu'il vend ou qu'il achete au poids public. Les travailleurs du vendeur reglent la tare des marchandises & les font peser, après quoi les travailleurs de l'acheteur en restent chargés ; ils sont fideles & connoisseurs en fait de marchandises ; ce sont eux qui avancent les frais du transport, dont ils portent tous les mois un compte à celui qui les emploie, aussi-bien que des droits du poids & de leur salaire. Dict. de com.


TRAVAISONS. m. (Architect.) terme dont M. Blondel s'est servi dans son cours d'architecture, pour trabéation, ou entablement : on donnoit autrefois ce nom à toutes les travées d'un plancher. (D.J.)


TRAVANÇOR(Géogr. mod.) royaume de la presqu'île de l'Inde, sur la côte de Malabar. Il est borné au nord par les états du Samorin, au levant par le royaume de Maduré, au midi & au couchant par la mer. Le souverain de ce pays est un des plus petits princes des Indes, & paye tribut au roi de Maduré. Les Hollandois ont deux forts dans cette contrée, celui de Coilan, & celui de Tangapatam. (D.J.)


TRAVATadj. m. terme de manege, c'est un vieux terme de manege, qui se dit d'un cheval qui a des balsanes, ou marques blanches aux deux piés du même côté, à la jambe de devant & à celle de derriere : on l'appelle aussi cheval travé ; & le cheval qui a ses balsanes aux deux piés, en croix de S. André, se nomme trastravat. Voyez ce mot. (D.J.)


TRAVATES(Hist. nat.) ce sont des ouragans terribles qui se font sentir sur la côte de Guinée. Ils s'annoncent par un nuage noir, qui d'abord erre dans les airs, semblable à un point d'une petitesse extrême ; il s'étend tout-à-coup avec une rapidité surprenante, couvre tout l'horison, forme une tempête horrible, & lance le tonnerre & les éclairs avec tant de violence & de célérité, qu'en rase campagne on n'a que le tems de se jetter par terre, & ceux qui navigent sur mer sont forcés de couper leurs voiles & leurs cordages, de peur d'être emportés ou engloutis sous les eaux. Ces ouragans ne durent communément qu'une heure.


TRAVELA, (Géogr. mod.) en latin Chalusus ; riviere d'Allemagne, dans la basse Saxe, au duché de Holstein. Elle sort d'un lac de la préfecture de Ségeberg, arrose la ville de Lubeck, & va se perdre dans la mer Baltique, à Travemunde. (D.J.)


TRAVÉES. f. (Archit.) rang de solives posées entre deux poutres dans un plancher. Ce mot est dérivé ou du latin trabs, une poutre, ou de transversus, qui est en travers, comme sont les solives entre deux poutres.

Travée de balustre. Rang de balustre de bois, de fer, ou de pierre, entre deux piédestaux.

Travée de comble. C'est sur deux ou plusieurs pannes, la distance d'une ferme à une autre, peuplée de chevrons des quatre à la latte. Cette distance est de neuf en neuf, & de douze en douze piés, & à chaque travée il y a des fermes posées sur un tirant.

Travée de grille de fer. Rang de barreaux de fer, entretenu par ses traverses entre deux pilastres, ou montans à jour, ou entre deux piliers de pierre.

Travée d'impression. C'est la quantité de deux cent seize piés, ou six toises superficielles d'impression, de couleur à l'huile ou à détrempe, à laquelle on reduit les planchers plafonnés, les lambris, les placards, & autres ouvrages de différentes grandeurs, imprimés dans les bâtimens pour en faire le toisé. Les travées des planchers apparens se comptent doubles, à cause des enfonçures de leurs entrevoux. Daviler. (D.J.)

TRAVEE de pont, (Architect. hydraul.) partie du plancher d'un pont de bois, contenue entre deux files de pieux, & faites de travons soulagés par des liens ou contrefiches, dont les entrevoux sont couverts de grosses dosses, ou madriers, pour en porter le couchis. Il n'y a peut-être dans aucun pont des travées d'une si prodigieuse grosseur, que celles du pont de bois de Lyon : elles sont soutenues en décharge avec des étriers de fer. (D.J.)

TRAVEE, s. f. (Toiserie de Peinture) ce mot, dans les toisés qui se font des gros ouvrages de peinture, désigne un certain espace ou mesure, sur laquelle on estime le prix de ces ouvrages. La travée, suivant les us & coutumes de Paris, est de six toises en quarré, ou 216 piés de superficie ; il est vrai que M. Félibien, dans ses principes d'architecture, la met seulement à quatre toises & demi ; mais dans tous les mémoires, la travée des gros ouvrages de peinture, à constamment été mise à six toises quarrées. (D.J.)


TRAVEMUNDE(Géog. mod.) ville d'Allemagne en basse-Saxe, dans le duché de Holstein, à l'embouchure de la Trave, qui lui donne son nom. Elle appartient aux habitans de Lubeck, qui y tiennent garnison. Il y a un fanal où on allume de la lumiere pour éclairer les vaisseaux qui sont en mer pendant la nuit. Long. 28. 42. latit. 54. 6. (D.J.)


TRAVERSS. m. (Gram.) terme relatif qui marque la position d'une chose comparée à une autre position de la même chose ; si travers s'oppose à droit, droit signifie vertical, & travers signifie horisontal ; si travers s'oppose à long, il marque le large.

TRAVERS, ou TRAVERSE, s. m. (Archit.) voyez ce mot. C'est une piece de bois ou de fer, qu'on met au milieu d'un assemblage de pieces de menuiserie, de charpenterie, & de serrurerie. (D.J.)

TRAVERS, s. m. terme d'Artillerie, cordage qui sert à lier des canons & autres pieces d'artillerie, sur leurs chariots.

TRAVERS, s. m. terme de Cordeur de bois, ce mot se dit d'une buche qu'on jette sur la voie de bois, lorsqu'elle est cordée.

TRAVERS, s. m. terme de Doreur sur cuir, ce mot, parmi les doreurs sur cuir, & les relieurs, se dit d'un filet d'or qui va le long du côté du dos d'un livre relié en maroquin, en veau, en basanne, ou autrement.

TRAVERS, (Jurisprud.) est un droit de péage qui est du à certains seigneurs, pour le passage des marchandises qui traversent leur seigneurie ; ces droits ont été établis pour l'entretien des chemins, ponts, & chaussées nécessaires pour le chemin de traverse ; il en est parlé dans plusieurs coutumes, comme Amiens, Péronne, Saint-Paul, Senlis, Valois, Clermont, grand Perche. Voyez SERGENS TRAVERSIERS, & le gloss. de M. de Lauriere, au mot TRAVERS, & les mots PASSAGE, PEAGE, PONTONAGE. (A)


TRAVERSAGES. m. (Tonderie de drap) ce mot signifie la façon que l'on donne à un drap ou autre étoffe de laine, quand on les tond par l'endroit ; mais on dit plus ordinairement coupe d'envers.


TRAVERSES. f. (Archit.) mot générique, qui se dit d'une piece de bois ou de fer, qui sert à en affermir d'autres. Il y a des traverses de portes, de fenêtres, de chassis ; il y en a qui se posent obliquement sur une porte de menuiserie ; les traverses sont appellées par Vitruve, impages. (D.J.)

TRAVERSE, c'est dans la Fortification, une élévation de terre ou de maçonnerie, qui occupe la largeur d'un ouvrage quelconque pour le couvrir de l'enfilade.

Traverses du chemin-couvert, sont des solides de terre de même épaisseur que le parapet du rempart, qui en occupent la largeur de distance en distance, & qui la mettent à l'abri de l'enfilade. Elles sont marquées b, b, Pl. I. des fortifications, fig. 1. & 2.

Traverse dans le fossé sec, est une espece de chemin-couvert qui en traverse la largeur ; on les nomme quelquefois places d'armes. Voyez PLACES D'ARMES. Ces traverses ne consistent qu'en un parapet perpendiculaire aux faces des ouvrages qui traverse toute la largeur du fossé, à l'exception d'un petit espace auprès de la contrescarpe, fermé par une barriere. Ce parapet est élevé de 3 piés sur le niveau du fossé, qui est creusé du même nombre de piés en cet endroit : il a une banquette, & il est palissadé comme celui du chemin-couvert. La pente des terres du parapet de la traverse se perd en pente dans le fossé, de la même maniere que celui du chemin - couvert le fait dans la campagne. On fait de ces sortes de traverses dans les fossés secs des dehors. (Q)

TRAVERSE, (Fortification) dans un fossé plein d'eau, est une espece de galerie que l'on fait en jettant dans le fossé des solides, des fascines, des pierres, de la terre ou autres choses, vis-à-vis l'endroit où on doit attacher le mineur au pié de la muraille, afin de remplir le fossé & de se pratiquer un passage par-dessus. Voyez GALERIE, Chambers.

Cette espece de galerie ou de traverse n'est plus guere en usage. Voyez PASSAGE DU FOSSE. (Q)

TRAVERSE, (Fortification) signifie aussi tout retranchement ou ligne fortifiée avec des fascines, des tonneaux, ou sacs à terre ou gabions. Chambers.

TRAVERSES TOURNANTES, (Fortificat.) ce sont dans l'attaque des places, des traverses qu'on construit dans les logemens pour se garantir de l'enfilade, & autour desquelles le logement tourne, à l'exception néanmoins du côté où elles joignent le parapet du logement. Elles se construisent principalement dans le logement du chemin-couvert, dans ceux des demi-lunes, &c. voyez de ces traverses dans le logement du chemin-couvert ou du haut du glacis, Pl. XVI. de Fortificat. fig. I. n°. 1. (Q)

TRAVERSE, (Marine) voyez TRAVERSIN.

TRAVERSE MISAINE, (Marine) commandement à l'équipage du vaisseau, de haler l'écoute de misaine pour la traverser.

TRAVERSE DE DEVANT, terme de Charron ; c'est un morceau de bois sculpté qui s'attache des deux bouts sur les deux brancarts, entre le siége du cocher & la planche des pages, cette traverse sert pour attacher par devant les suspentes. Voyez les Planches du Sellier.

TRAVERSE DE SUPPORT, terme de Charron ; c'est une bande de bois plate de la longueur environ de trois piés qui se pose avec des chevilles sur le derriere des fourchettes. Voyez les fig. Pl. du Charron.

TRAVERSE, (Jardinage) se dit d'une allée qui ne peut être ainsi appellée que relativement à une autre, qui est sur un autre alignement & qui la coupe.

TRAVERSE, s. f. (Menuis.) piece de bois qui s'assemble avec les battans d'une porte, ou qui se croise quarrément sur le meneau montant d'une croisée.

On appelle aussi traverses des barres de bois, posées obliquement & clouées sur une porte de menuiserie. (D.J.)

TRAVERSE DE CHASSIS, s. f. terme de Menuisier ; c'est le morceau de bois qui est au-dessus & au bas du chassis, & qui se joint avec le battant de ce chassis. (D.J.)

TRAVERSE DE FER, (Serrur.) grosse barre de fer qui avec une pareille, retient par le haut & par le bas, les montans de costiere & de battement, & les barreaux du ventail d'une porte de fer. Il y a de ces traverses qui se mettent à hauteur de serrure pour entretenir les barreaux trop longs, & qui servent à renfermer les ornemens de frise, & bordures de serrurerie. Les grilles de fer ont aussi des traverses qui en fortifient les barreaux. (D.J.)

TRAVERSE, s. f. terme de Blason, ce mot se dit d'une espece de filet qui se pose dans les armes des bâtards, traversant l'écu de l'angle sénestre du chef, à l'angle dextre de la pointe, & qui ne contient en sa largeur que la moitié du bâton. P. Menestrier. (D.J.)


TRAVERSÉ(Gram.) participe du verbe traverser. Voyez TRAVERSER.

TRAVERSE, (Maréchal.) on appelle ainsi un cheval qui est étoffé & qui a les côtes larges.


TRAVERSÉES. f. (Marine) c'est le trajet ou voyage par mer, qu'on fait d'un port à un autre.


TRAVERSERv. act. (Gram.) passer au milieu, ou aller au-delà de quelque chose. On traverse la riviere à la nage, on traverse une contrée en poste. Ce trou traverse toute cette épaisseur ; la pluie a traversé ses habits. Voyez d'autres acceptions du même mot aux articles suivans.

TRAVERSER, (Marine) c'est présenter le côté.

TRAVERSER L'ANCRE, (Marine) c'est mettre l'ancre le long du côté du vaisseau, pour la remettre en sa place.

TRAVERSER LA LAME, (Marine) c'est aller de bout à la lame.

TRAVERSER LA MISAINE, (Marine) c'est haler sur l'écoute de misaine, pour faire entrer le point de la voile dans le vaisseau, afin de le faire abattre lorsqu'il est trop près du vent.

TRAVERSER, terme de Manege ; ce mot se dit d'un cheval qui coupe la piste de travers, qui jette sa croupe d'un autre côté que sa tête. On dit aussi qu'un cheval se traverse en reculant, quand il ne recule pas aussi droit qu'il a avancé. (D.J.)

TRAVERSER du bois, v. act. terme de Menuisier ; c'est le raboter ou rifler sur la largeur, avant que de le dresser de fil. (D.J.)


TRAVERSIERS. m. (Marine) petit bâtiment qui n'a qu'un mât, qui porte ordinairement trois voiles, l'une à son mât, l'autre à son étai, & la troisieme à un boute-hors, qui regne sur son gouvernail, & dont on se sert pour la pêche, & pour faire de petites traversées.

On appelle aussi traversier un ponton, parce qu'il est propre à de petites traversées.

TRAVERSIER DE CHALOUPE, (Marine) c'est une piece de bois qui lie les deux côtés d'une chaloupe par l'avant. On donne encore ce nom à deux pieces de bois qui traversent une chaloupe de l'avant & de l'arriere, & où sont passées les herses qui servent à l'embarquer.

TRAVERSIER DE PORT, (Marine) nom qu'on donne au vent qui vient en droiture dans un port, & qui en empêche la sortie.

On dit mettre la misaine au traversier, quand on met le point de la voile vis-à-vis du traversier ; ce qui a lieu dans un vent largue.

TRAVERSIERS ou DRAGUE, une sorte de filet usité dans l'île de Ré dans le ressort de l'amirauté de la Rochelle.

Les bateaux traversiers de la flotte pêchent à la voile comme tous les autres semblables pêcheurs ; leur sac est de la même forme, quarré ; il a environ quatre brasses d'ouverture, & six de profondeur ; les pêcheurs chargent les coins de leur sac de drague à son ouverture, d'une pierre du poids d'environ vingt à vingt-cinq livres pesant ; les rouleaux ou plaques de plomb qui sont sur la traverse de grosse corde d'en-bas pesent en tout environ trente livres, en quoi ce filet est plus chargé que celui des autres traversiers, qui sont aussi différemment établis.

Le haut de l'ouverture du sac est garni d'un plus leger cordage, qui est encore soutenu de huit ou dix grosses flottes de liege, pesant ensemble au plus deux ou trois livres.

Pour tenir ce sac de drague ouvert dans sa manoeuvre, les pêcheurs de Ré n'amarrent point de perche sur l'ouverture du filet, comme font les pêcheurs du port de Bareque & de Lupin ; ils en ont une qu'ils nomment espars, de cinq à six brasses de long, dont chaque bout est amarré sur une des funes ou petits halins de 130 à 150 brasses de long chacune : la perche est placée à un pié & demi ou deux piés de l'ouverture du sac, qu'elle tient de cette maniere ouvert de toute la longueur de l'espars, au milieu de laquelle pour la rendre encore plus flottante, on frappe deux grosses bouées de liege, qui pesent chacune 5 à 6 livres ; ce qui fait que dans l'opération de la pêche le sac des traversieres roule encore plus facilement sur la surface des fonds que toutes les autres especes de dragues en sac.

Les tems les plus favorables pour faire cette pêche sont les vents d'Amont, ceux du Rumb de l'Aval lui sont les plus contraires.

Les mailles des sacs des traversiers sont plus serrées que celles qui forment les dreiges des autres traversiers ; les plus larges sont à l'ouverture du sac, & ont environ 14 lignes en quarré, les autres en ont 13 ; celles qui suivent ont 11 lignes, & les plus serrées qui sont au fond n'ont que 9 lignes en quarré.

TRAVERSIERS, terme de Tisserand ; ce sont des bâtons qui soutiennent plusieurs cordes, & qui opérent la communication des marches avec les lames.


TRAVERSIEREFLUTE, (Musique instrumentale) voyez FLUTE traversiere. Les curieux peuvent aussi consulter la méthode pour jouer de la flûte traversiere, imprimée à Paris en 1735, in -4°. (D.J.)

TRAVERSIERE A BEC, (Lutherie) instrument de musique, à vent, dont la tablature est en tout semblable à celle de la flûte à bec. V. FLUTE A BEC. Elle se divise en quatre parties, comme la flûte traversiere. La partie D E, fig. 39, Pl. IX. de Lutherie, qui est la quatrieme, a une clé que l'on ouvre en appuyant dessus la patte avec le petit doigt de la main droite, comme à la flûte traversiere ; les trous 5, 6 & 7 sont bouchés avec les doigts index, medius, & annulaire de la main droite ; les mêmes doigts de la main gauche bouchent les trous 2, 3, 4, & le pouce de cette main sert à toucher la clé du premier trou qui est placé sur le côté. La piece A B a deux ouvertures a, b ; l'ouverture a, qui est un trou rond, sert d'embouchure ; on souffle par ce trou, sur les bords duquel on applique exactement les levres, au lieu qu'à la flûte traversiere, il n'y a que la levre inférieure qui touche à l'instrument. L'autre ouverture b est la lumiere biseau de la flûte à bec. Voyez FLUTE A BEC : l'air que l'on chasse par l'ouverture a entre dans une petite chambre, qui est la portion du tuyau comprise entre le tampon & le couvercle A d'où il passe par la lumiere dans le corps de l'instrument. La lumiere est le vuide que laisse l'échancrure du tampon, qui est tourné parallélement au biseau. Voyez l'explication de la formation du son dans les tuyaux, à l'article BOURDON de 16 piés, jeu d'orgue auquel se rapportent les flûtes & autres instrumens de mutation.


TRAVERSINS. m. (Gram.) grand oreiller, ou long sac de coutil, qui est rempli de plume, & qui occupe toute la largeur du lit. Le traversin est recouvert par l'extrêmité du drap, vers le chevet où il se place.

TRAVERSIN DE BALANCE, terme de Balancier ; verge de fer poli avec une aiguille au milieu & deux trous à chaque extrêmité. C'est à ces trous que les bassins de la balance sont attachés & suspendus. Le traversin s'appelle autrement fléau. (D.J.)

TRAVERSIN, terme de Boucher ; grande broche de bois, de neuf à dix pouces de long, appointée par les deux bouts, dont les bouchers se servent pour traverser le ventre des moutons, c'est-à-dire, le tenir entr'ouvert après qu'ils les ont habillés, & jusqu'à-ce qu'ils les dépecent. Savary. (D.J.)

TRAVERSIN, en terme de Marchand de bois, sont trois buches en rondins arrangées l'une sur l'autre aux extrêmités de chaque mise.

TRAVERSIN, (Marine) c'est une piece de bois, qui traverse la sainte-Barbe dans le sens de sa largeur, & qui soutient le timon qui se meut sur elle.

TRAVERSIN DES BITTES, (Marine) piece de bois mise en travers pour entretenir un pilier de bittes avec l'autre. Voyez MARINE, Planche IV. fig. 1. cotte 87.

TRAVERSIN D'ECOUTILLE, piece de bois qui traverse l'écoutille par le milieu pour les soutenir.

TRAVERSIN D'ELINGUET, (Marine) piece de bois endentée sur les baux du vaisseau derriere le cabestan, dans laquelle on entaille les élinguets.

TRAVERSIN DE HERPES, (Marine) piece de bois qui est à l'avant d'une herpe à l'autre, & qui sert à caponner l'ancre.

TRAVERSINS DE TAQUETS, (Marine) ce sont des pieces de bois de 5 à 6 piés de long, dans lesquelles les taquets d'écoute sont emboîtés.


TRAVERSINESS. f. pl. (Archit. Hydraul.) espece de solives qu'on entaille dans les pilots, pour faire un radier d'écluse.

On appelle maîtresses traversines, celles qui portent sur les seuils. (D.J.)

TRAVERSINES, on appelle ainsi des planches que les officiers plancheyeurs sont obligés de fournir pour passer d'un bateau dans un autre.


TRAVERTIN(Lithologie) ou pierre travertine, qu'on devroit appeller pierre tiburtine, parce qu'elle se trouve par tout le territoire de Tivoli, dans la plaine, comme dans les montagnes, de telle grosseur & de telle longueur qu'on en a besoin. Il n'est pas nécessaire de creuser des carrieres, il suffit presque de découvrir la terre, on la rencontre à six ou sept piés, en suivant les veines. L'église de S. Pierre en est bâtie, & la plûpart des édifices de pierre de taille à Rome. Cette pierre est dure, on ne la peut travailler qu'à la pointe du ciseau, & à la masse de fer ; elle a le grain fin : elle est compacte, pesante, & point sujette à se délier ; elle est propre à soutenir toutes sortes de poids ; l'air la ronge peu quand elle est bien choisie ; car il s'en trouve beaucoup qui est sujette à des trous. Elle est grise pour l'ordinaire, presque aussi dure que le marbre, & presqu'aussi belle à la couleur près : quand on veut rendre l'ouvrage poli, on le travaille comme le marbre avec un morceau de la même pierre, du grès & de l'eau. (D.J.)


TRAVESTI(Belles-lettres) participe du verbe réciproque se travestir, qui signifie se déguiser & se mettre en habit de masque. Quelques-uns des derniers auteurs anglois ont introduit ce terme dans la poésie à l'imitation des François.

Travesti se dit aussi d'un auteur que l'on a défiguré en le traduisant dans un style burlesque, & différent du sien, de-sorte que l'on a de la peine à le reconnoître. Voyez PARODIE.

Jean-Baptiste Lulli a travesti Virgile, c'est-à-dire, qu'il l'a traduit en vers italiens burlesques ; Scarron a fait la même chose en françois ; & Cotton & Philips, en anglois. Voyez BURLESQUE.

Castalion & le P. Berruyer ont été accusés d'avoir travesti la bible, pour avoir donné à leur version un air & un style différent de son original.


TRAVONSS. m. pl. (Architect. hydraul.) ce sont dans un pont de bois, les maîtresses pieces qui en traversent la largeur, autant pour porter les travées des poutrelles, que pour servir de chapeau aux files de pieux. On les appelle aussi sommiers. Voyez l'architecture de Palladio. Daviler. (D.J.)


TRAVOUILS. m. (Filerie) dévidoir à mettre le fil en écheveaux en pieces.


TRAVOUILLETTES. f. (Filerie) petit bois pour soutenir les fusées en travouillant, ou dévidant, (D.J.)


TRAVURES. f. terme de riviere, est un espace qui se construit près la quille d'un bateau foncet, sous le biton, & où les compagnons de riviere font leur ménage.


TRAYONS. m. terme de Laitiere, c'est cet appendice mamelonné, de la longueur d'environ un doigt, qui est pendant au pis des bêtes donnant du lait, & qui sert de canal qu'on tire pour les traire.


TRAZÉNESPIERRES DE, (Hist. nat.) nom donné par Théophraste & les anciens à une espece d'escarboucles qui étoit la même chose, suivant M. Hill, que la pierre amandine. Cependant Théophraste dit que ces pierres étoient veinées de pourpre & de blanc : il paroît que cette pierre est inconnue des modernes.


TREA(Géog. anc.) ville d'Italie dans le Picenum. L'itinéraire d'Antonin la marque sur la route de Rome à Ancone, en prenant par le Picenum. Elle étoit entre Septempeda & Auximum, à 9 milles de la premiere de ces places, & à 18 milles de la seconde. Ortelius dit que selon Franc. Pamphyli, qui écrit Treia, cette ville fut ruinée par les Goths. Les habitans sont nommés Tréyens par Pline, liv. III. ch. xiij. aussi-bien que dans une ancienne inscription qui se trouve dans le trésor de Gruter, page 446. Col. Auxim. Et Municip. Numanat. Ordo, & plebs Treienses. Holsten, page 739. remarque qu'on voit les ruines de cette ville sur le bord de la riviere Potentia, au-dessous de San-Severino. (D.J.)


TREBELLIANES. f. (Gramm. & Jurisp.) on donnoit aussi anciennement ce nom à certains transports simulés que quelques praticiens de ce tems avoient introduit pour frustrer les droits du petit scel de Montpellier, & pour se passer des commissions que l'on étoit obligé d'obtenir des gardes de ce scel. L'ordonnance du mois de Mars 1498, artic. 159. abroge l'usage de ces trebellianes. (A)


TREBELLIANIQUEadj. (Jurisp.) ou quarte trebellianique, est le quart que l'héritier grevé de fideicommis, est en droit de retenir en remettant l'hoirie.

Cette quarte a été ainsi nommée du sénatus-consulte trébellien, qui accorda ce droit à l'héritier grevé.

Pour entendre de quelle maniere ce droit fut établi, il faut distinguer différentes époques.

Avant l'empereur Auguste les fidei-commis étoient sans force, il dépendoit de l'héritier de les remettre ou non.

Mais cela fut changé par l'empereur Auguste, qui ordonna que l'héritier seroit contraint à la restitution du fidei-commis.

Il arrivoit de-là, quand le fidei-commis étoit universel, que l'héritier grevé renonçoit à la succession pour ne pas demeurer en bute aux charges héréditaires, après qu'il avoit remis tous les biens ; ainsi les testamens demeuroient sans effet.

Ce fut pour prévenir cet inconvénient que fut fait le senatus-consulte trébellien sous l'empire de Néron, & sous le consulat de Trébellius Maximus & d'Annaeus Seneca, dont le premier donna son nom au senatus-consulte & à la quarte trébellianique.

Il fut ordonné par ce senatus-consulte qu'après la restitution d'hoirie à l'héritier fidei-commissaire, celui-ci seroit au-lieu de l'héritier grevé, & que les actions héréditaires actives & passives, seroient transferées en sa personne, à proportion de la part qu'il auroit de l'hoirie ; au - lieu qu'auparavant l'héritier fidei - commissaire ne pouvoit les exercer à-moins qu'elles ne lui eussent été cédées par l'héritier grevé : mais depuis ce senatus-consulte le préteur donna au fidei-commissaire, & contre lui, les actions appellées utiles.

Ce n'étoit pas assez d'avoir mis l'héritier grevé à couvert des charges, il falloit quelque appas pour l'engager à accepter la succession.

Pour cet effet, du tems de Vespasien, on fit un autre senatus-consulte appellé pégasien, parce que cela arriva sous le consulat de Pegasus & de Pusio.

Il fut ordonné par le senatus-consulte que l'héritier grevé qui accepteroit, pourroit retenir la falcidie, au moyen de quoi l'héritier fidei-commissaire étoit comme un légataire portionnaire ; ou si l'héritier grevé vouloit tout remettre, le fidei - commissaire étoit considéré comme acheteur de l'hérédité ; & dans l'un & l'autre cas, on pratiquoit des stipulations relatives.

Le même senatus-consulte ordonna que si l'héritier grevé refusoit d'accepter l'hérédité, on pouvoit l'y contraindre par ordonnance du préteur, aux risques du fidei-commissaire ; & dans ce cas, toutes les actions héréditaires passoient en la personne du fideicommissaire, comme en vertu du senatus-consulte trébellien.

Enfin le dernier état par rapport à la trébellianique, fut depuis Justinien, lequel ayant trouvé que les stipulations qui se faisoient en conséquence du senatus-consulte pégasien étoient captieuses, il les supprima, & refondit le senatus-consulte pégasien dans le trébellien, dont il conserva le nom, en lui attribuant cependant la force qu'avoit le pégasien.

Ce fut par cette constitution de Justinien, que l'héritier grevé fut autorisé à retenir sur le fidei-commis une quarte, que l'on appelle depuis ce tems quarte trébellianique.

Justinien ordonna aussi que l'on pourroit contraindre l'héritier grevé d'accepter, & que les actions héréditaires passeroient en la personne du fidei-commissaire, à proportion de la part qu'on lui auroit remis de l'hoirie.

Ceux qui ont droit de légitime, & qui sont institués héritiers, peuvent faire détraction de la quarte falcidie sur les legs de la trébellianique, sur les fideicommis, & retenir en outre leur légitime.

On tient communément que la trébellianique n'a pas lieu en pays coutumier. Il faut cependant excepter les coutumes qui requierent l'institution d'héritier, comme celle de Berri, & celles des deux Bourgognes, & les coutumes dans lesquelles il est dit, que les cas obmis seront suppléés par le droit écrit. Voyez aux instit. le tit. de fidei-comm. haeredit. & au code ad senat. consult. trebell. l'ordonnance des testamens, celle des substitut. le recueil de quest. de Bretonnier au mot substitution, & les mots FIDEI-COMMIS, SUBSTITUTION. (A)


TREBELLICA VINA(Géog. anc.) vins ainsi nommés du territoire où ils croissoient. Athenée, l. I. fait l'éloge de ces vins. Pline, l. XIV. c. vj. en parle aussi, & dit que l'endroit où on les recueilloit étoit en Italie, dans la Campanie, à 4 milles de Naples. (D.J.)


TRÉBELLIENSENATUS-CONSULTE, (Jurisp.) étoit un décret du sénat de Rome, ainsi appellé parce qu'il fut fait sous le consulat de Trebellius Maximus & d'Annaeus Seneca : il concernoit la restitution des fidei-commis universels. Voyez ci-devant TREBELLIANIQUE. (A)


TREBIA(Géog. anc.) fleuve de la Gaule cispadane. Pline, l. III. c. xvj. le surnomme Placentinus, parce qu'il coule dans le territoire de Placentia : c'est aujourd'hui le Trebbia. Les romains que commandoit le consul Sempronius, ayant été mis par Annibal dans une entiere déroute, se noyerent la plûpart dans cette riviere, & leur malheur la rendit célébre. (D.J.)


TREBIANIS. m. pl. (Mythol.) épithete que les Romains donnerent à quelques dieux qu'ils avoient transportés de Trébie à Rome, après la conquête de cette ville d'Italie.


TREBIGNO(Géog. mod.) ou TREBIGNA, en latin Tribulium ; petite ville de la Turquie européenne, dans la Dalmatie, sur la riviere de Trebinska, à 5 lieues est de Raguse, dont son évêché est suffragant. Long. 36. 4. lat. 40. 48. (D.J.)


TRÉBISONDE(Géog. mod. & Hist.) anciennement Trapezus, ville des états du turc, dans l'Anatolie, sur le bord de la mer Noire, & la capitale de la province de Jénich, au pié d'une montagne qui regarde le septentrion. Long. 53. 37. lat. 40. 34.

Cette ville, que les Turcs appellent Tarabosan, étoit regardée anciennement pour être une colonie de Sinope, à laquelle même elle payoit tribut ; c'est ce que nous apprenons de Xénophon, qui passa par Trébisonde, en reconduisant le reste des dix mille, & qui rapporte la triste avanture qui leur arriva pour avoir mangé trop de miel.

Comme il y avoit plusieurs ruches d'abeilles, dit cet auteur, les soldats n'en épargnerent pas le miel : il leur prit un dévoiement par haut & par bas, suivi de rêveries, ensorte que les moins malades ressembloient à des ivrognes, & les autres à des personnes furieuses ou moribondes. On voyoit la terre jonchée de corps : personne néanmoins n'en mourut, & le mal cessa le lendemain ; de-sorte que les soldats se leverent le troisieme jour, mais en l'état qu'on est après avoir pris une forte médecine. Voyez les remarques de M. Tournefort, dans son voyage du Levant, sur cette sorte de miel, & sur les fleurs dont il devoit être composé.

Les dix mille furent reçus à Trébisonde avec toutes les marques d'amitié que l'on donne à des gens de son pays, lorsqu'ils reviennent de loin ; car Diodore de Sicile remarque que Trébisonde étoit une ville grecque fondée par ceux de Sinope qui descendoient des Milésiens. Le même auteur assure que les dix mille séjournerent un mois dans Trébisonde ; qu'ils y sacrifierent à Jupiter & à Hercule, & qu'ils y célébrerent des jeux.

Trébisonde apparemment, tomba sous la puissance des Romains, dès que Mithridate se trouva dans l'impuissance de leur résister. Il seroit inutile de rapporter de quelle maniere elle fut prise sous Valérien par les Scythes, que nous connoissons sous le nom de Tartares, si l'histoire qui en parle n'avoit décrit l'état de la place. Zozime donc remarque, que c'étoit une grande ville, bien peuplée, fortifiée d'une double muraille : les peuples voisins s'y étoient refugiés avec leurs richesses comme dans un lieu où il n'y avoit rien à craindre. Outre la garnison ordinaire on y avoit fait entrer dix mille hommes de troupes ; mais ces soldats dormant sur leur bonne foi, & se croyant à couvert de tout, se laisserent surprendre la nuit par les Barbares, qui, ayant entassé des fascines contre la muraille, entrerent par ce moyen dans la place, tuerent une partie des troupes, renverserent les temples & les plus beaux édifices ; après quoi, chargés de richesses immenses, ils emmenerent un grand nombre de captifs.

Les empereurs grecs ont possédé Trébisonde à leur tour. Du tems de Jean Comnène, empereur de Constantinople, Constantin Gabras s'y étoit érigé en petit tyran. L'empereur vouloit l'en chasser ; mais l'envie qu'il avoit d'ôter Antioche aux Chrétiens, l'en détourna. Enfin Trébisonde fut la capitale d'une principauté dont les empereurs de Constantinople disposoient ; car Alexis Comnène, surnommé le Grand, en prit possession en 1204, avec le titre de duc, lorsque les François & les Vénitiens se rendirent maîtres de Constantinople, sous Baudouin, comte de Flandre.

L'éloignement de Constantinople, & les nouvelles affaires qui survinrent aux Latins, favoriserent l'établissement de Comnène ; mais Nicétas observe qu'on ne lui donna que le nom de duc, & que ce fut Jean Comnène qui souffrit que les Grecs l'appellassent empereur de Trébisonde, comme s'ils eussent voulu faire connoître que c'étoit Comnène qui étoit leur véritable empereur ; puisque Michel Paléologue qui faisoit sa résidence à Constantinople, avoit quitté le rit grec pour suivre celui de Rome : il est certain que Vincent de Beauvais appelle simplement Alexis Comnène seigneur de Trébisonde.

Quoi qu'il en soit, la souveraineté de cette ville, si l'on ne veut pas se servir du nom d'empire, commença en 1204, sous Alexis Comnène, & finit en 1461, lorsque Mahomet II. dépouilla David Comnène. Ce malheureux prince avoit épousé Irène, fille de l'empereur Jean Cantacuzène ; mais il implora fort inutilement le secours des Chrétiens pour sauver les débris de son empire ; il fallut céder au conquérant, qui le fit passer à Constantinople avec toute sa famille, qui fut massacrée quelque tems après : ainsi finit l'empire de Trébisonde, après avoir duré plus de deux siecles & demi.

Les murailles de Trébisonde sont presque quarrées, hautes, crenelées ; & quoiqu'elles ne soient pas des premiers tems, il y a beaucoup d'apparence qu'elles sont élevées sur les fondemens de l'ancienne enceinte, laquelle avoit fait donner le nom de Trapèse à cette ville. Tout le monde sait que trapèse en grec signifie une table, & que le plan de cette ville est un quarré long, assez semblable à une table. Les murailles ne sont pas les mêmes que celles qui sont décrites par Zozime : celles d'aujourd'hui ont été bâties des débris des anciens édifices, comme il paroît par les vieux marbres qu'on y a enclavés en plusieurs endroits, & dont les inscriptions ne sont pas lisibles parce qu'elles sont trop hautes.

La ville est grande & mal peuplée ; on y voit plus de bois & de jardins que de maisons ; & ces maisons n'ont qu'un simple étage. Le château, qui est fort négligé, est situé sur un rocher plat & dominé ; mais les fossés en sont taillés la plûpart dans le roc. L'inscription que l'on lit sur la porte de ce château, dont le centre est un demi-cercle, marque que l'empereur Justinien renouvella les édifices de la ville. Il est surprenant que Procope n'en ait pas fait mention, lui qui a employé trois livres entiers à décrire jusqu'aux moindres bâtimens que ce prince avoit fait élever dans tous les coins de son empire : cet historien nous apprend seulement que Justinien fit bâtir un aqueduc à Trébisonde, sous le nom de l'aqueduc de saint Eugene le martyr.

Le port de Trébisonde appellé Platane, est à l'est de la ville : l'empereur Adrien le fit réparer, comme nous l'apprenons par Arrien. Il paroît par les médailles de la ville, que le port y avoit attiré un grand commerce. Goltzius en rapporte deux à la tête d'Apollon. On sait que ce dieu étoit adoré en Cappadoce, dont Trébisonde n'étoit pas la moindre ville. Sur le revers d'une de ces médailles est une ancre, & sur le revers de l'autre la proue d'un navire. Ce port n'est bon présentement que pour des saïques ; le mole que les Génois y avoient fait bâtir, est presque détruit, & les Turcs ne s'embarrassent guere de réparer ces sortes d'ouvrages ; peut-être que ce qui en reste est le débris du port d'Adrien, car de la maniere qu'Arrien s'explique, cet empereur y avoit fait faire une jettée considérable pour y mettre à couvert les navires, qui auparavant n'y pouvoient mouiller que dans certains tems de l'année, & encore étoit-ce sur le sable.

Trébisonde jouit aujourd'hui du vain titre d'archevêché. Long. suivant le pere de Beze, 62d. 49'. 15''. latit. 41 d. 4 '.

George de Trébisonde & le cardinal Bessarion, sont sortis de cette ville de l'Anatolie ; on convient pourtant que George n'étoit qu'originaire de Trébisonde, & qu'il étoit né en Candie. Quoi qu'il en soit, il vivoit dans le quinzieme siecle, & mourut en 1480, sous le pontificat de Nicolas V. de qui il fut secrétaire. Il avoit auparavant enseigné la rhétorique & la philosophie dans Rome du tems du pape Eugene IV. mais son entêtement pour Aristote lui attira de grosses querelles avec Bessarion, qui ne juroit que par Platon.

Il est vrai que Bessarion quitta bien-tôt les disputes de l'école pour se tourner aux légations. Il devint patriarche de Constantinople, archevêque de Nicée, cardinal, & presque pape. Il aima les savans, & forma une très-belle bibliotheque qu'il laissa par son testament au sénat de Venise. Puisqu'on la conserve avec tant de soin qu'on n'en veut communiquer les manuscrits à personne, il faut regarder ce beau recueil comme un trésor enfoui & inutile à la république des lettres. Bessarion mourut à Ravenne en 1462, après une fort mauvaise réception que lui fit Louis XI. parce qu'il avoit rendu visite au duc de Bourgogne avant lui.

Amyrutzes, philosophe péripatéticien, vit aussi le jour à Trébisonde : il s'acquit une grande considération à la cour de l'empereur David son maître, & signala sa plume en faveur des Grecs contre les décisions du concile de Florence ; mais il ternit sa gloire par l'apostasie où il tomba. Il fut un de ceux qui accompagnerent l'empereur David à Constantinople, lorsque Mahomet II. l'y fit transporter après la prise de Trébisonde, en l'année 1461. Ce philosophe, se laissant gagner aux promesses du sultan, abjura le christianisme, & se fit turc avec ses enfans, l'un desquels, sous le nom de Mehemet-Beg, traduisit en arabe plusieurs livres des Chrétiens par ordre de Mahomet II. Ce prince donna des emplois considérables dans le serrail à Amyrutzes, & s'entretenoit quelquefois sur les sciences, & sur des matieres de religion avec lui, ou avec Mehemet-Beg. Amyrutzes a publié la relation du concile de Florence ; il assure dans un ouvrage que le patriarche de Constantinople fut étranglé pendant la tenue de ce concile, & que les médecins attesterent ce fait sur l'examen du cadavre. Tantùm religio.... (D.J.)


TREBITou TREBICZ, (Géog. mod.) petite ville dans la Moravie, près la riviere Igla, du côté de la Bohème. (D.J.)


TREBNITZ(Géog. mod.) nom commun à deux villes d'Allemagne, ou plutôt à deux bourgs, l'un en Bohème, près de Leutmeritz ; l'autre en Silesie, dans le duché d'Oels. (D.J.)


TRÉBUCHANTS. m. à la Monnoie, c'est un droit accordé sur le poids des métaux aux officiers de monnoie dans le droit du change : voici quel est ce droit. En pesant des pieces d'or ou d'argent il faut qu'il y ait équilibre ; si cependant l'un des deux plateaux quitte foiblement cet équilibre, ce doit être le plateau où est le métal, & c'est cet avantage qui est le droit du trébuchant : le trébuchant est accordé aux receveurs aux changes.

TREBUCHANT, terme de Monnoie, ce mot se dit des pieces d'or qu'on pese ; c'est environ un demi-grain, que dans la fabrication on a départi à chaque espece pour la faire trébucher, & pour l'empêcher par le frai de trop diminuer dans la suite du tems. Les écus d'or & les louis d'or, par exemple, sont à la taille de soixante & douze pieces & demie au marc ; chaque piece est de soixante & trois grains avec le trébuchant. (D.J.)


TRÉBUCHER(Maréchal.) Voyez BRONCHER.


TRÉBUCHETS. m. (Hist. mod.) cage ou selle dans laquelle on baignoit autrefois les femmes méchantes & querelleuses par un ordre de la police d'Angleterre. Voyez QUERELLEUR.

TREBUCHET, s. m. (terme de Balancier) petite balance très-fine & très-juste, que le plus petit poids fait trébucher ou pencher plus d'un côté que d'autre. Les trébuchets servent particulierement à peser les monnoies d'or & d'argent, les diamans & choses précieuses. L'on prétend que les Affineurs en ont de si justes, que la quatre mille quatre-vingt-seizieme partie d'un grain est capable de le faire trébucher. (D.J.)

TREBUCHET, s. m. (Chasse) petite cage qui sert à attraper des oiseaux, dont la partie supérieure est couverte & arrêtée si délicatement, que pour peu qu'on y touche, le ressort se lâche & la ferme, ensorte que l'oiseau qui le fait lâcher en entrant dans cette cage pour y prendre du grain que l'on y a mis pour amorce, se trouve pris & ne peut plus en sortir.

On prend des compagnies entieres de perdreaux sous une espece de trébuchet qui est une cage sans fond, de simple osier, que l'on tend à-peu-près comme une souriciere, avec une marchette dont un bout est attaché de long par une ficelle au bas d'un des côtés de la cage, & à l'autre bout de la marchette qui est plus longue que la cage n'est large. On fait une coche qui arrête délicatement la fourchette sur laquelle la cage est tendue ; on met du grain par terre au milieu par tas, afin que les perdrix montant dessus les unes les autres pour prendre le grain avec avidité, touchent la marchette & détendent la cage ; on couvre cette cage de feuilles, pour qu'elle ne soit point apperçue ; il faut quelques jours avant que de tendre la cage, laisser les perdrix s'accoutumer à venir prendre du grain dans cet endroit.


TREBULA(Géog. anc.) 1°. ville d'Italie, que Denys d'Halicarnasse donne aux Aborigènes ; 2°. ville d'Italie, dans la Campanie, selon Tite-Live, l. XXIII. c. xxxix. 3°. nom d'une autre ville d'Italie, qui étoit dans la Sabine, selon Ortelius. (D.J.)


TREBUR(Géog. mod.) en latin du moyen âge Triburia, Triburium, bourg d'Allemagne, dans le pays de Hesse, au comté de Catzenelenbogen, pas loin de la rive du Rhin. Ce bourg qui est même aujourd'hui ruiné, étoit autrefois une grande ville, où l'on tint un concile l'an 895 ; & cette ville devint ensuite le rendez-vous des congrès publics, des dietes de l'empire, & des noces des souverains d'Allemagne. (D.J.)


TRECHEDIPNAS. f. (Littérat.) , espece d'habit particulier que portoient les parasites pour pouvoir venir souper chez leurs protecteurs sans invitation ; cette espece d'habit étoit, pour ainsi dire, la livrée du maître de la maison ; mais ce nom n'est pas honorable pour celui qui le porte ; car c'est un mot composé de , je cours, & un souper. (D.J.)


TRêCHEURS. m. (terme de Blason) c'est une tresse ou une espece d'orle, qui n'a néanmoins que la moitié de sa largeur. Le trêcheur est conduit dans le sens de l'écu. Il y en a de simples & de doubles, quelquefois de fleuronnés, & quelquefois de fleurdelisés, comme celui du royaume d'Ecosse ; on l'appelle autrement essonnier. (D.J.)


TRECHIA(Géog. anc.) Athénée paroît donner ce nom à une partie de la ville d'Ephèse, ou même à la ville entiere. Son interprete écrit Trachia, & Pline Trachea : ce dernier en fait un des surnoms de la ville d'Ephèse. Etienne le géographe dit , Trichia ; mais la véritable orthographe est , Trachea. (D.J.)


TRECK-SCHUYTS. m. (Hist. mod. Commerce) c'est ainsi que l'on nomme en Hollande & dans les autres provinces des Pays-Bas, des barques couvertes tirées par des chevaux, qui servent à conduire les voyageurs sur les canaux d'une ville à l'autre. Ces barques partent toujours à des heures marquées, chargées ou non ; elles sont composées d'une grande chambre destinée à recevoir indistinctement tous les passagers, & d'un cabinet appellé roef qui se loue aux personnes qui veulent voyager à part ; ces sortes de barques sont d'une grande propreté. Le mot hollandois treck-schuyt signifie barque à tirer.


TREF(Lang. gauloise) ancien mot qui signifie une tente, un pavillon. Villehardouin dit : " lors veisiez maint chevalier, & maint serjans issir des nez, & maint bon d'estrier traire des vissiers, & maint riche tref, & maint paveillon ". (D.J.)


TREFFLES. m. (Hist. nat. Botan.) trifolium, genre de plante dont la fleur est papilionacée, ou ressemble beaucoup aux fleurs papilionacées. La fleur papilionacée est composée de quatre pieces qui représentent un pavillon, deux aîles & une carene ; ces pieces sortent toutes du calice avec le pistil qui est enveloppé d'une gaine frangée. Le pistil devient dans la suite une semence qui a le plus souvent la forme d'un rein, & qui adhere très-fort aux parois de la capsule quand elle est parvenue à son degré de maturité.

La fleur qui ressemble aux fleurs papilionacées, est monopétale ; le pistil sort du calice de cette fleur, & devient dans la suite une capsule membraneuse renfermée dans le calice de la fleur ; cette capsule contient une semence qui est le plus souvent oblongue, ou qui a la forme d'un rein. Ajoutez aux caracteres de ce genre qu'un seul pédicule porte trois feuilles, & rarement quatre ou cinq. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.

Tournefort distingue quarante-quatre especes de treffles, outre ceux que l'on range parmi les lotiers ; mais il suffira de décrire le treffle des prés, trifolium pratense, flore monopetalo, I. R. H. 404, en anglois, the common purple-meadow-trefoil, or clover. Sa racine est presque grosse comme le petit doigt, longue, ronde & fibreuse. Elle pousse des tiges à la hauteur d'environ un pié & demi, grêles, cannelées, quelquefois un peu velues, en partie droites, en partie serpentant par terre. Ses feuilles sont les unes rondes, les autres oblongues, attachées presque toujours trois ensemble à une même queue, marquées au milieu d'une tache blanche ou noire, qui a presque la figure d'une lune. Ses fleurs naissent aux sommités des tiges, d'une seule piece, ressemblantes aux fleurs légumineuses ; elles sont disposées en tête ou en épi court & gros, de couleur purpurine, empreintes au fond d'un suc mielleux, doux & agréable, d'une odeur qui n'est pas disgracieuse, & d'une saveur légérement astringente. Lorsque ces fleurs sont passées, il leur succede de petites capsules rondes enveloppées chacune d'un calice, & terminées par une longue queue ; chaque capsule contient une semence qui a la figure d'un petit rein. Cette plante croît partout dans les prés, dans les pâturages, aux lieux humides & marécageux ; elle fleurit en Avril, Mai & Juin. Sa fleur est recherchée des abeilles, & toute l'herbe est une des plus excellentes nourritures pour engraisser les bestiaux.

Le petit treffle des champs est la plante que l'on nomme vulgairement pié de lievre, trifolium arvense, humile, spicatum sive lagopus. I. R. H. 405. Voyez PIE DE LIEVRE, Botan.

Le treffle bitumineux, trifolium bitumen redolens, I. R. H. 404, est ainsi nommé parce que ses feuilles sont douces au toucher & d'une odeur de bitume. Cette plante croît abondamment dans les pays chauds, en Candie, en Sicile, en Languedoc, aux environs de Montpellier, de Narbonne, sur les côteaux pierreux voisins de la mer ; on la cultive quelquefois dans les jardins des curieux, où elle fleurit en été, & résiste à l'hiver quand il est doux. Elle s'éleve en arbrisseau à la hauteur d'une à deux coudées ; ses tiges sont roides, velues, noirâtres & cannelées. Ses feuilles sont grisâtres, velues, oblongues, pointues, glutineuses au toucher, & ayant l'odeur désagréable du bitume. Ses fleurs forment une tête longuette, d'un violet purpurin, & sont placées dans des calices veloutés, oblongs & cannelés ; sa semence est noire, inégale, velue, & se termine en une pointe feuillue. Cette semence a, comme le reste de la plante, un goût médicamenteux ; mais elle le perd dans nos pays. Celle qu'on apporte d'Italie, produit d'abord une plante bitumineuse, mais la semence du même treffle ne donne plus à la troisieme année qu'une plante sans odeur & sans goût. (D.J.)

TREFFLE DE MARAIS, (Botan.) ce treffle est distingué de tout autre, & fait un genre à part nommé par Tournefort menyanthes palustre, latifolium & triphyllum. I. R. H. 117, en anglois buckbéan.

Sa racine est genouillée, longue, blanche, traçante, garnie de fibres qui plongent par intervalles. Ses feuilles attachées au nombre de trois, sur une large & longue queue, ressemblent à celles des feves en figure & en grandeur, sont lisses & douces au toucher. Il s'éleve d'entr'elles une tige à la hauteur d'un pié & demi, grêle, verte, portant un bouquet de fleurs en entonnoir, d'une blancheur purpurine, lesquelles avant que de s'ouvrir, sont rouges en-dehors, & qui étant ouvertes, se découpent en cinq segmens pointus. Ces fleurs sont soutenues par des calices formés en godet & dentelés. De chaque fleur sortent cinq étamines blanches dont les sommets sont jaunes ; le pistil qui occupe le milieu, est plus court. Lorsque les fleurs sont passées, il leur succede des fruits arrondis & oblongs qui renferment des semences ovales semblables à celles de l'hélianthème, d'un brun jaunâtre & d'un goût amer.

Cette plante croît naturellement dans les marais & autres lieux aquatiques, en terre maigre, hors de l'eau. Elle ne dure pas long-tems, fleurit en Mai & Juin, & varie pour la grandeur, suivant les lieux. Elle n'est pas moins utile que le cresson, nasturtium, dans les maladies scorbutiques ; & c'est Simon Pauli qui en a le premier fait l'observation ; son goût est d'abord un peu désagréable ; cependant on vient bien-tôt à bout de vaincre cette répugnance.

Mais on emploie cette plante en Angleterre dans le Hampshire à un usage bien remarquable ; les brasseurs s'en servent dans leur biere à la place du houblon. Elle conserve cette boisson, & lui donne une amertume qui n'est désagréable ni à l'odeur, ni au goût ; d'ailleurs elle est bien faisante, & a cet avantage qu'il n'en faut que la huitieme partie de la quantité de houblon. Enfin l'expérience mériteroit d'être répétée ailleurs, parce qu'on peut très-aisément cultiver le treffle de marais, d'autant mieux qu'il vient à merveille dans des terres de fondriere, qui ne peuvent guere produire d'autres plantes. (D.J.)

TREFFLE MUSQUE, (Botan.) voyez LOTIER ODORANT, Botan. (D.J.)

TREFFLE D'EAU ou DE MARAIS, voyez MENIANTHE, Mat. méd.

TREFFLE SAUVAGE JAUNE, (Botan.) c'est le lotus, sive melilotus, pentaphyllos, minor glabra de Tournefort, nommée en françois lotier. Voyez LOTIER. (D.J.)

TREFFLE, (Agriculture) le treffle en anglois clover, est une plante fort estimée pour l'amélioration qu'elle donne au terrein sur lequel elle croît, pour la bonté de son foin, & pour le mérite de sa graine. Le grand bien qu'elle procure au terrein, c'est de nourrir beaucoup de bétail à la fois, dont le fumier bonifie tellement le sol, qu'au bout de deux ou trois ans quelqu'épuisé qu'il ait été, il se fertilise de nouveau, & devient propre à donner du froment.

On estime surtout l'espece de treffle dont la graine est semblable à celle de la moutarde, & seulement plus oblongue ; on préfere sa couleur verdâtre avec une teinte de rouge, & surtout celle d'Angleterre. Un arpent de terre demande dix à douze livres de cette graine, & le mieux est d'en semer plus que moins.

Le treffle aime une bonne terre chaude, & réussit à merveille dans celles qui ont été fumées & labourées ; il prospere surtout dans les terres glaises, où les mauvaises herbes ne viennent point le détruire ; il est vrai que dans les bonnes terres il produit des récoltes abondantes pendant trois ou quatre ans, mais pas au-delà. Il est aisé de distinguer la bonne graine de treffle de la mauvaise ; il suffit pour cela de la jetter dans un verre d'eau, la bonne graine va au fond, & la mauvaise qui ne végéteroit jamais, surnage.

On peut semer le treffle avec de l'orge ou de l'avoine, sur la fin de Mars, ou au commencement d'Avril, dans un jour calme & serein ; quelques-uns le sement avec du froment ou du segle, à Noël, ce qui donne un moyen de répandre sa semence sur le terrein, & d'avoir par conséquent l'année suivante une récolte plus abondante ; mais alors il faut choisir des terres seches ; quelques laboureurs aiment encore mieux le semer seul à Noël, que dans le printems, pour lui donner la force de se maintenir contre la gelée, & cette méthode paroît la meilleure.

La fin de Mai est le tems propre de couper le premier treffle & d'en faire du foin ; s'il ne se trouve pas assez fort, il est excellent pour engraisser le bétail. Après cette premiere récolte, on peut encore en faire deux autres avant l'hiver. Consultez Mortimer sur ce sujet. (D.J.)

TREFFLE, (Jardinage) est un ornement dans la broderie des parterres qui imite le treffle des prés. On le place ordinairement dans le milieu d'un tableau pour lier les autres parties de la broderie qui en sortent. On lui donne différentes figures, & souvent on le compose de quatre parties régulieres comme des rosettes. Voyez ROSETTES.

TREFFLES, s. f. pl. (Sculpt.) c'est un ornement qui se taille sur les moulures. Il y en a à palmettes & à fleurons. Le mot treffle est dérivé du latin trifolium, herbe à trois feuilles.

Treffles de moderne, ce sont, dans les compartimens des vitraux, pignons & frontons gothiques, de petites roses à jour, faites de pierre dure avec nervures, & formées par trois portions de cercles, ou par trois petits arcs en tiers-point. Daviler. (D.J.)

TREFFLE, est un gros bouton, ainsi nommé par les Metteurs en oeuvre, parce qu'il représente la plante de l'herbe de ce nom. Il sert à arrêter le ruban d'un bracelet sur la barriere.

TREFFLE, s. m. (terme de Mineur) fourneau de mine fait en forme de treffle, & qui n'a que deux logemens, au-lieu que le double en a quatre, & le triple six. (D.J.)

TREFFLE, (terme de Blason) c'est la figure du treffle posé sur un écu aux extrêmités d'une croix. On dit une croix trefflée, & cantonnée de treffles. On représente le treffle dans les armoiries avec une queue, sans toutesfois l'exprimer.


TREFFLÉS. f. (Art milit.) se dit d'une mine qui a trois fourneaux, dont la disposition forme à-peu-près la figure d'un treffle. On la nomme aussi mine triple, voyez MINE. Elle est composée de deux fourneaux placés à droite & à gauche, & d'un troisieme en avant. Elle embrasse ordinairement trois contreforts. Cette mine, dit M. le maréchal de Vauban, produit un grand éboullement de terre, & une profonde excavation quand elle réussit bien. (Q)


TREFFLERv. n. (Monnoie) c'est faire un mauvais rengrenement des especes ou des médailles, & en doubler les empreintes, faute d'avoir rengrené juste la piece dans la matrice, ou quarré ; c'est ce qui rend la monnoie ou la médaille défigurée, parce que les mêmes points ne se sont pas rencontrés ensemble. (D.J.)


TREFFLIERS. m. (Métiers) c'est une des qualités que prennent les maîtres chaînetiers de la ville & fauxbourgs de Paris. Ce nom, dont aucun d'eux ne sait présentement l'étymologie, vient apparemment de ces grandes agraphes d'argent, d'étain ou de laiton argentées qu'ils faisoient, & qui se terminoient en une espece de feuille de treffle à jour, pour y passer diverses chaînes ou cordons, auxquels les femmes d'artisans & les paysannes laissoient pendre leurs clés, leurs ciseaux & autres semblables petits ustensiles de ménage. La mode de ces agraffes à treffle pour mettre à la ceinture, n'a fini que vers le milieu du xvij. siecle. (D.J.)


TREFFORT(Géog. mod.) petite ville, ou plutôt bourg de France, dans la basse Bresse, au diocèse de Lyon. Il y a une mairie, & elle députe aux assemblées de la Bresse.


TREFONDREterme de Potier d'étain, se dit lorsque la soudure des pots, ou une goutte reverchée, ou une anse jettée sur la piece, sont aussi-bien soudés dedans comme dessus. Voyez SOUDER les pots d'étain, REVERCHER & JETTER SUR LA PIECE.


TREFURT(Géog. mod.) en latin moderne Drivordia ; petite ville d'Allemagne, dans le pays de Hesse, proche de la riviere de Werra. Elle appartient aux électeurs de Mayence, de Saxe, & au landgrave de Hesse.


TRÉGUIER(Géog. mod.) en latin du moyen âge, Trecorium ; ville de France, en Bretagne, dans une presqu'île, à 10 lieues au nord-ouest de Saint-Brieux, à 23 au nord-est de Brest, & à 100 au couchant de Paris. Il y a un petit port, & un évêché suffragant de Tours. On y commerce en chevaux, en blé, en lin & en papier. L'évêché de Tréguier paroît avoir été érigé dans le x. siecle. Il occupe toute l'étendue de la côte depuis la riviere de Morlaix, jusques auprès de la ville de Saint-Brieux. Son revenu est d'environ vingt-deux mille livres. Long. 14. 25. lat. 48. 47. (D.J.)


TREIDEN(Géog. mod.) riviere de l'empire russien, dans la Livonie, au pays de Letten. Elle se forme de plusieurs sources, & se jette dans le golfe de Livonie, près de Sernikon.


TREIGNAC(Géog. mod.) bourg que nos géographes nomment petite ville de France, dans le bas Limousin, entre Limoges & Tulles, au bord de la Vezere. (D.J.)


TREILLAGES. m. (Décoration de jardins & d'architecture) ouvrage fait d'échalas posés perpendiculairement, & traversés quarrément par d'autres échalas ou perches qu'on lie avec du fil de fer, & qui forment des mailles de cinq à sept pouces dans la construction des berceaux & des palissades contre les murs du jardin.

On employe les treillages à soutenir les espaliers, à former des clôtures de quelques quarrés de jardins, des palissades, ou des berceaux ; c'est une invention très-jolie & très-agréable à la vue. On se sert beaucoup de treillages en Angleterre & en Hollande. On les peint toutes les années en verd & à l'huile, autant pour les décorer, que pour les conserver. Pour les rendre plus solides, on y met des barres de fer de distance en distance, qui en font le bâti.

On fait des treillages à différentes mailles, c'est-à-dire à mailles de huit sur neuf pouces de large, de six sur cinq, de quatre sur cinq, & de quatre pouces de longueur en tout sens ; c'est selon les ouvrages qu'on veut avoir, & l'argent qu'on y veut dépenser. Les treillages à petites mailles regardent les beaux berceaux ; on en fait quelquefois des palissades en divers endroits où ils servent d'ornement. Les treillages de galeries, de portiques, de salles, en un mot les beaux ouvrages en ce genre sont ornés de colonnes, de pilastres, de corniches, de frontons, montans, panneaux, vases, consoles, couronnemens, domes & lanternes.

On appelle colonne de treillage, une colonne à jour, dont le fût est de fer & d'échalas ; la base aussi-bien que le chapiteau est de bois de boisseau, contourné selon les profils. Cette colonne sert à décorer les portiques de treillage. (D.J.)


TREILLES. f. (Jardin.) berceau fait de perches de charpente, ou de barres de fer, & couvert de ceps de vignes ; on les construit avec des perches de saules ou d'osier ; elles servent dans un jardin pour y prendre le frais en plein jour dans l'été.


TREILLISS. m. (terme de Peintre) c'est un chassis divisé en plusieurs carreaux, qui sert aux peintres à copier des tableaux, & à les réduire de petit en grand ou de grand en petit.

TREILLIS, s. m. (terme de Potier d'étain) les potiers d'étain nomment treillis, de grands ronds, ou pieces d'étain à claires voies, qu'ils pendent à leurs boutiques pour servir de montre ou d'étalage ; mais cet étalage n'est point perdu, les chauderonniers s'en servent pour en étamer les casseroles & autres vaisseaux de cuivre. (D.J.)

TREILLIS, s. m. (Serrur.) nom général qu'on donne à toute fermeture dormante de fer ou de bronze, comme le dormant de la porte du Panthéon à Rome, ou les grilles dans les prisons de Venise. Le treillis est différent de la grille, en ce que ses barres sont maillées en losange.

Treillis de fil de fer, chassis de verges de fer maillé de petits losanges de gros fil de fer, qu'on met au-devant des vitraux. Tels sont les chassis ou treillis du bas d'un édifice, pour empêcher que les vitres ne soient cassées par des coups de pierre ; & ceux du haut, comme aux domes, pour résister à l'impétuosité des vents qui en pourroient enfoncer les panneaux. On place ces derniers à quelque distance de la vitre.

TREILLIS, s. m. (Toilerie) nom que l'on donne à certaines especes de toiles de chanvre écrues, très-grosses & très-fortes qui se vendent par pieces roulées de différentes longueurs, suivant les pays où elles ont été fabriquées. Les treillis servent à faire des sacs, des sousguenilles, des guêtres, des culottes, & autres semblables hardes pour les valets, paysans & manouvriers. Le treillis est encore une toile teinte ordinairement en noir, gommée, calendrée, satinée ou lustrée, qui se vend par petites pieces d'environ six aunes. (D.J.)

TREILLIS, s. m. (terme de Blason) c'est une espece de frettes. Les treillis en different seulement, en ce que les frettes ne sont point clouées, mais les listes, ou bâtons qui (se traversant en sautoir), les composent, sont posés nuement les uns sur les autres, là où les treillis sont garnis de clous dans le solide, & aux endroits où les listes & bâtons se rencontrent.

Le mot treillis, se dit aussi des grilles qui sont en la visiere des casques & heaumes qui servent de timbres aux armoiries, & cela jusqu'au nombre proportionné aux qualités de ceux qui les portent. P. Menestrier. (D.J.)


TREILLISSÉadj. (terme de Blason) ce mot nonseulement se dit du fretté le plus serré, mais il faut remarquer de plus qu'au fretté les bandes sont entrelacées avec les barres, & qu'au treillissé elles sont seulement appliquées les unes sur les autres, & souvent clouées.


TREIZE(Arithmétique) nombre impair composé de dix & de trois. En chiffre arabe on l'écrit de cette maniere 13 ; en chiffre romain XIII, & en chiffre françois de finances ou de compte, de la sorte xiij. Savary.


TREIZIEME(Arithmét.) en fait de fractions, un nombre rompu de quelque tout que ce soit, faisant un treizieme, se marque de cette maniere, 1/13 ; on dit aussi deux treiziemes, trois treiziemes, quatre treiziemes, &c. que l'on écrit ainsi, 2/13, 4/13, &c.

TREIZIEME, s. f. en Musique, est l'octave de la sixte, ou la sixte de l'octave. Elle s'appelle treizieme, parce que son intervalle est formé de douze degrés diatoniques, c'est-à-dire de treize sons. Voyez INTERVALLE, SIXTE. (S)


TRÉLINGAGEterme de Marine, voyez MARTICLES & les articles suivans.

TRELINGAGE DES ETAIS SOUS LES HUNES, terme de Marine ; c'est un cordage de plusieurs branches, qui tient aux hunes & aux étais, pour les affermir & pour empêcher que les voiles supérieures ne se gâtent, ne battent contre les hunes, & ne passent dessous.

TRELINGAGE DES HAUBANS, terme de Marine ; on appelle ainsi plusieurs tours de corde qui sont aux grands haubans sous les hunes, afin de les mieux unir & de leur donner plus de force.


TRÉLINGUERneut. terme de Marine ; c'est faire usage d'un cordage à plusieurs branches.


TRÉMAadj. (Gram.) les Imprimeurs qualifient ainsi une voyelle, chargée de deux points disposés horisontalement ; ï est un i tréma dans leur langage, & cette phrase même est la preuve qu'il est employé comme adjectif.

Le signe.. qui se met sur la voyelle, servant communément à marquer que cette voyelle doit être séparée de la précédente dans la prononciation, il me semble plus raisonnable de laisser à ce signe le nom de diérèse division, que les anciens donnoient autrefois à son équivalent.

J'en ai exposé l'usage en parlant de la lettre I ; & j'ai fait, art. POINT, une correction à ce que j'en avois dit en cet endroit. (B. E. R. M.)


TRÉMATES. m. (Hist. nat. Botan. exot.) c'est un arbrisseau du Brésil, dont la figure ressemble à celle du grenadier, son écorce est semblable à celle du sureau, son bois est blanc & plein de moëlle. Ses feuilles sont d'un verd foncé, & ont l'odeur du storax quand on les écrase. Les Brésiliens les employent pour dissiper la douleur & les rougeurs des yeux. Ray. (D.J.)


TRÉMATERterme de riviere, expression dont on se sert en riviere, pour exprimer l'action d'un batelier qui devance un autre ; anciennes ordonnances.


TREMBLAIES. f. terme de Jardinier, terre où l'on a planté des trembles pour divers usages. (D.J.)


TREMBLANT, DOUX(Luth.) c'est dans l'orgue une soupape A B, fig. 58. Pl. d'Orgue, cette soupape est posée obliquement en travers du porte-vent qui s'élargit en cet endroit ; ensorte que son plan décline du plan vertical d'environ 22 deg. 30', le dessous de la soupape doit regarder le côté d'où vient le vent ; cette soupape qui est doublée de peau dont le duvet est tourné en-dehors, est attachée par la partie de la peau qui excede à la partie supérieure du chassis H I, par le moyen du morceau de bois F entre lequel est la barre supérieure du chassis ; la peau qui sert de queue se trouve prise & serrée par le moyen de trois vis en bois qui traversent le petit morceau F, & dont les pas entrent dans la barre supérieure du chassis.

On met ce chassis dans la boîte K k, qui est plus grosse que le porte-vent qui doit y entrer par les deux bouts, & on voit dans la figure où il pose obliquement, ensorte qu'il soit incliné vers la partie G d'où vient le vent, & on le fait tenir dans cette position, par le moyen de deux tasseaux ou avec des vis qui traversent les planches latérales de la boîte & entrent dans les côtés du chassis H I.

Sur la soupape on met un ressort A C qui est une lame de laiton bien écrouie, à l'extrêmité C de cette lame élastique, on met un poids de plomb pesant environ une demi livre, plus ou moins, selon que le tremblant exige pour mieux articuler ou marquer. Pour attacher le lingot de plomb qu'on a fondu dans un moule au bout du ressort ; on l'ouvre en deux avec un fermoir, sorte de ciseau, & on introduit l'extrêmité du ressort à laquelle on a fait des griffes dans la fente que le fermoir a faite ; on rabat ensuite le plomb sur le ressort à coups de marteau, ensorte que les griffes & l'extrêmité du ressort s'y trouvent renfermés.

Il y a des facteurs qui attachent le plomb au bout du ressort d'une autre maniere ; ils font entrer la partie du ressort où le plomb doit être attaché, & qui est de même armée de griffes, dans le moule où ils fondent le plomb qui enveloppe par ce moyen le bout du ressort & s'y unit fermement ; mais cette pratique a cet inconvénient, que la chaleur du plomb fondu est capable de recuire la bande & de lui ôter son élasticité, d'où dépend en partie l'effet qu'on attend du tremblant. Ce ressort ainsi armé d'un poids de l'une ou de l'autre maniere, s'attache par son autre extrêmité à la partie supérieure du dessus de la soupape avec deux clous à tête ; on courbe ensuite la lame de laiton, ensorte que le poids de plomb ne porte pas sur la soupape comme on peut voir dans la figure.

A environ trois pouces de l'ouverture ou lunette quarrée l n, on perce un trou, par ce trou on fait passer la bascule de fer a b c e qui gouverne le tremblant ; cette bascule courbée à la partie c b a qui entre dans le porte-vent pour atteindre la soupape A B, en-dessous par son extrêmité a, est fixée au point c par une goupille qui la traverse & autour de laquelle elle peut se mouvoir. L'extrêmité e de la bascule qui sort du porte-vent d'environ quatre pouces, est percée d'un trou dans lequel passe une cheville qui assemble la bascule avec le bâton quarré f e ; ce bâton communique par un rouleau de mouvement à un bâton quarré qui sort comme ceux des registres auprès du clavier. Voyez MOUVEMENS.

Pour empêcher le vent contenu dans le porte-vent de sortir, on met sur le trou par où la bascule e c b a entre, une boursette d qui est nouée autour de la bascule & collée sur le porte-vent. L'ouverture ou lunette l n par où on regarde au tremblant est fermée comme la laie, avec une planche entaillée en drageoir & doublée de peau de mouton, collée par le côté glabre ; cette planche est tenue appliquée sur l'ouverture de la boîte par des vis qui la traversent & dont les pas pénetrent dans les planches latérales, ou par un étrier qui entoure le porte-vent, & sous le sommet duquel on passe un coin qui appuie d'un côté sur la planche l n, & de l'autre contre l'étrier qui lui sert de point fixe.

On se sert d'un morceau de bois bien dressé que l'on fait chauffer pour réchauffer la colle avec laquelle on colle la peau de mouton, dont les devants de laie & la piece l n sont doublées ; au lieu d'un linge trempé dans l'eau chaude & ensuite exprimé, dont on ne doit se servir, que lorsque la peau est collée par le côté du duvet, ensorte que le côté glabre est en-dehors.

Il suit de cette construction, que si on pousse le bâton quarré f e, que l'extrêmité a de la bascule a b c d e s'approchera du dessous de la soupape A B, la poussera & la tiendra élevée, ce qui laissera un libre passage par l'ouverture du chassis n m ou H I au vent qui vient des soufflets par G, en cet état le tremblant restera immobile & ne fera aucune fonction ; mais si on retire l'extrêmité a de la bascule en retirant le bâton f e, ensorte qu'elle ne touche plus la soupape, la soupape s'appliquera sur le chassis n m, comme elle est dans la figure en cet état ; si le vent vient des soufflets, il se condensera dans l'espace a G jusqu'à ce que son ressort soit augmenté au point de vaincre la résistance que la soupape A B & son pas d c lui opposent, & de s'ouvrir le passage en soulevant la soupape ; mais le vent n'aura pas sitôt forcé la résistance de la soupape, & passé en se dilatant dans l'espace C M, que son ressort s'affoiblira d'autant plus qu'il se sera dilaté davantage ; ensorte que la soupape qui ne pourra plus être soutenue par un effort égal à son poids, retombera & fermera de nouveau le passage au vent par l'ouverture du chassis n m ; ce qui donnera lieu à une nouvelle condensation de l'air qui vient des soufflets par G vers a : cette condensation sera suivie de même que la premiere de l'ouverture de la soupape, & de l'explosion ou dilatation subite de l'air comprimé, contenu dans la partie G a du porte-vent, dans la partie C M, ce qui fera retomber la soupape & recommencer ainsi alternativement le même effet.

Il est essentiel de remarquer, que lorsque la soupape A B commence à se lever, le poids C reste immobile, ce qui se fait par la contraction du ressort A C qui ne transmet point l'action de la soupape au lingot de plomb C, dès le premier instant qu'elle commence à se mouvoir, comme feroit une lame infléxible ; ainsi le lingot de plomb C par son inertie, sert de point fixe au ressort C A qui se contracte par la pression de la soupape autant que la résistance du lingot le permet, ce ressort ainsi contracté fait effort pour se rétablir ; cet effort se partage entre le lingot & la soupape, qui en est renvoyée avec plus de vîtesse & plus de force, ce qui donne le moyen à l'air qui occupe la partie a G de se condenser davantage, & d'acquerir plus de ressort que la seule résistance du poids de la soupape & du lingot de plomb, n'est capable de lui en faire prendre.

Les dilatations & condensations alternatives & réitérées de l'air dans l'espace M qui communique à la laie du sommier, & par les soupapes ouvertes aux gravures & aux tuyaux, se font sentir à ces derniers auxquels le vent vient par ce moyen alternativement plus fort & plus foible, ce qui produit un tremblement fort agréable.

Un tremblant est bien fait lorsqu'il bat quatre fois par seconde d'heure, on le fait battre plus vîte en augmentant le poids de la soupape & du lingot de plomb.

TREMBLANT FORT, ou A VENT PERDU, (Luth.) représenté fig. 55. Pl. d'Orgue, est composé de deux soupapes a b & A B ; la soupape a b qui ne porte qu'un quart de pouce d'épaisseur, est attachée par la partie de la peau dont elle est doublée au haut de la fenêtre e c, qui est une ouverture quarrée faite dans une des faces du porte-vent vertical N O, & en-dedans du porte-vent ; à l'ouverture e c, que la soupape a b doit fermer exactement, est ajustée une boîte e c d, dont les deux côtés e c d sont des triangles rectangles en c, & le côté c d un parallélogramme ; ensorte que les arêtes e d forment un talus qui décline du plan vertical d'environ 30d. Sur ce talus on ajuste la soupape extérieure A B aussi longue que les côtés e d, & l'épaisseur des planches, & aussi large que le porte-vent mesuré extérieurement. Cette soupape qui est faite avec un morceau de bois de chêne de quatre pouces d'épaisseur, est amincie dans les trois quarts C A de sa longueur B A, ensorte que du côté A, elle n'a pas plus de trois quarts de pouce d'épaisseur. Cette soupape, comme l'autre, est doublée de peau collée par le côté glabre, ensorte que le duvet qui est en-dehors puisse servir à fermer exactement l'ouverture e d ; lorsque la soupape est appliquée contre la boîte, on attache un morceau de peau sur le rebord de la partie de la soupape qui est plus épaisse ; cette peau qui fait la poche reçoit les morceaux de plomb dont on charge la soupape pour la faire battre à propos.

La soupape intérieure a b est tenue appliquée contre l'ouverture e c par le moyen du ressort f g, F G B de laiton élastique ; l'extrêmité b de ce ressort qui est ployée en U, entre dans un trou qui est à la soupape, & est rivée par l'autre côté ; la même branche du ressort traverse l'anneau d'une piece de fil de fer I i qui sert de guide au ressort F G B ; les deux extrêmités de cette piece de fil de fer qui sont appointées, entrent dans la soupape, & sont rivées derriere ; l'autre extrêmité F du ressort entre dans un trou fait à la partie intérieure du porte-vent, directement opposée au point de la soupape où l'autre extrêmité entre : au-dessous de l'extrêmité b du ressort T G B, est un anneau de fil de fer qui reçoit l'extrêmité du ressort en boudin n b ; ce ressort est un fil de fer ou de laiton qu'on a roulé sur une cheville du même métal, & dont on a ensuite écarté les circonvolutions en le tirant par les deux bouts. L'autre extrêmité de ce ressort est attachée à un morceau de laiton recuit qui traverse la planche du porte-vent opposée à la soupape : on fait une boursette ou poche en cet endroit, pour empêcher le vent de sortir. Ce morceau de laiton est emmanché dans le bâton quarré P H qui communique, par le moyen d'un rouleau, des mouvemens au bâton quarré du clavier, par le moyen duquel on gouverne le tremblant.

Selon cette construction, si le ressort f g i, & le ressort hélicoïde ou en boudin n b poussent tous deux la soupape a b contre la fenêtre e c, ils s'y tiendront appliqués, & le vent qui vient, selon la suite des lettres G M N O, passera sans souffrir aucune altération ; mais si le ressort en boudin n b cesse de comprimer la soupape, ce qui arrive quand on retire le bâton quarré H P qui lui sert de point d'appui, & que l'autre ressort soit tellement ployé, qu'il ne comprime pas alors la soupape contre la fenêtre e c, mais laisse un petit passage b c à l'air condensé, dont le porte vent est rempli ; cet air passera dans la boîte e d c, où il se condensera, jusqu'à ce que son ressort soit assez puissant pour vaincre la résistance que la soupape A B & les poids C dont elle est chargée, lui opposent ; laquelle résistance doit toujours être moindre que celle qui feroit équilibre avec le ressort de l'air contenu dans le porte-vent, car si elle étoit égale ou plus grande, jamais le vent ne pourroit lever la soupape A B.

Lorsque l'air qui s'est introduit dans la boîte ou chambre e d c, a acquis un degré de condensation, dont le ressort est tant soit peu plus grand que la résistance que la soupape A B oppose, il force cet obstacle, & se raréfie dans la chambre e d c au moyen de l'ouverture de la soupape A B. Cet air ainsi raréfié n'est plus en état de faire équilibre avec l'air contenu dans l'espace f g a O, qui est aussi condensé que celui qui est contenu dans le reste du porte-vent, & de soutenir la soupape a b par le côté i ; l'air condensé qui presse de l'autre côté, se dilatera donc, & repoussera la soupape a b contre l'ouverture e c de la boîte e d c, ce qui donnera le tems à la soupape A B qui n'est plus soutenue (l'air dont la chambre e d c étoit remplie étant raréfié par l'émission qui s'en est faite d'une partie) de retomber sur la boîte e d c, & de la fermer de nouveau, aussi-tôt la soupape a b s'ouvre déterminée à cela par les ressorts f g i & n b, qui dans leur état neutre ou de repos, ne compriment pas la soupape contre l'ouverture e c, mais laissent une petite ouverture b c de 3 ou 4 lignes par où l'air contenu dans le porte-vent s'introduit de nouveau dans la chambre e d c où il se condense pour recommencer le même effet.

Ce qu'on appelle l'état neutre ou de repos d'un ressort, est l'état où un ressort, par exemple, courbé en U ou en helice, se met de lui-même. Si on veut approcher les deux extrêmités du ressort l'une de l'autre, on éprouve une résistance d'autant plus grande qu'on le comprime plus fortement ; si au contraire on veut les écarter, on sent de même croître la résistance, à proportion de l'effort que l'on fait pour les séparer ; desorte qu'un ressort résiste également à la compression & à la dilatation qui dans ce cas est une compression particuliere.

Les alternatives de densité & de dilatation de l'air qui échappe par les soupapes du tremblant, se communiquent à l'air condensé contenu dans la laie & par les gravures dont les soupapes sont ouvertes aux tuyaux que l'on entend alternativement parler fort & parler foiblement, ou même parler & se taire avec une célérité telle que la soupape A B bat quatre ou cinq fois par seconde de tems, ce qui convient à certaines pieces de musique, & singulierement à celles qu'on exécute avec les jeux d'anches. Voyez JEUX.


TREMBLES. m. (Botan.) arbre qui tient plus du peuplier noir que du peuplier blanc ; il est nommé populus libyca par Ger. & Parkins. Populus tremula par C. B. Tournef. &c. Ses feuilles sont arrondies, découpées aux bords, dures, noirâtres, attachées par des queues longues, tremblantes presque toujours, même en tems calme : ses racines descendent assez profondément en terre, ses chatons sont plus longs & plus noirs que ceux des autres especes de peupliers.

Si cet arbre est en effet une espece du genre des peupliers, c'est la plus commune, la plus ignoble & la moins utile de toutes ; & c'est le bois de la plus mauvaise espece qu'il y ait dans les forêts : mais comme le tremble vient dans toutes sortes de terreins, même dans ceux qui sont froids, humides & stériles, où les autres arbres se refusent ; on peut l'employer dans ces cas-là. Voyez le mot PEUPLIER.

TREMBLE. Voyez TORPILLE.


TREMBLÉadj. (Ecrit.) se dit dans l'écriture d'un caractere sorti d'une main timide, qui n'a les mouvemens ni libres ni sûrs, & qui ne peut former en effet que des traits maigres, égratignés, tremblés.


TREMBLEMENSDe tous les phénomenes de la nature il n'en est point dont les effets soient plus terribles & plus étendus que ceux des tremblemens de terre ; c'est de leur part que la face de notre globe éprouve les changemens les plus marqués & les révolutions les plus funestes ; c'est par eux qu'en une infinité d'endroits il ne présente aux yeux du physicien qu'un effrayant amas de ruines & de débris : la mer soulevée du fond de son lit immense ; des villes renversées, des montagnes fendues, transportées, écroulées ; des provinces entieres englouties ; des contrées immenses arrachées du continent ; de vastes pays abîmés sous les eaux, d'autres découverts & mis à sec ; des îles sorties tout-à-coup du fond des mers, des rivieres qui changent de cours, &c. tels sont les spectacles affreux que nous présentent les tremblemens de terre. Des événemens si funestes auxquels la terre a été de tout tems exposée, & dont elle se ressent dans toutes ses parties, après avoir effrayé les hommes, ont aussi excité leur curiosité, & leur ont fait chercher quelles pouvoient en être les causes. On ne tarda point à reconnoître le feu pour l'auteur de ces terribles phénomenes ; & comme la terre parut ébranlée jusque dans son centre même, on supposa que notre globe renfermoit dans son sein un amas immense de feu toujours en action : c'est-là ce que quelques physiciens ont désigné sous le nom de feu central. Ce sentiment fut regardé comme le plus propre à rendre raison des effets incroyables des tremblemens de terre. Il n'est point douteux que le feu n'ait la plus grande part à ces phénomenes ; mais il n'est point nécessaire, pour en trouver la cause, de recourir à des hypothèses chimériques, ni de supposer un amas de feu dans le centre de la terre, où jamais l'oeil humain ne pourra pénétrer. Pour peu qu'on ait observé la nature & la structure de notre globe, on s'appercevra que sans descendre à des profondeurs impénétrables aux hommes, on rencontre en plusieurs endroits des amas de matieres assez agissantes pour produire tous les effets que nous avons indiqués. Ces matieres sont le feu, l'air & l'eau, c'est-à-dire les agens les plus puissans de la nature, & dont personne ne peut nier l'existence.

La terre en une infinité d'endroits est remplie de matieres combustibles ; on sera convaincu de cette vérité, pour peu que l'on fasse attention aux couches immenses de charbons de terre, aux amas de bitumes, de tourbes, de soufre, d'alun, de pyrites, &c. qui se trouvent enfouis dans l'intérieur de notre globe. Toutes ces matieres sont propres à exciter des embrasemens, & à leur servir d'aliment, lorsqu'ils ont été une fois excités. En effet, l'expérience nous apprend que les substances bitumineuses & alumineuses, telles que sont certaines pierres feuilletées qui accompagnent les mines d'alun & de charbon de terre, après avoir été entassées & exposées pendant quelque tems au soleil & à la pluie, prennent feu d'elles-mêmes, & répandent une véritable flamme. Ces phénomenes sont les mêmes que ceux que la chymie nous présente dans les inflammations des huiles par les acides, & dans les pyrophores. D'ailleurs nous savons que les souterrains des mines, & sur-tout de celles de charbons de terre, sont souvent remplis de vapeurs qui prennent très-aisément feu, & qui produisent alors des effets aussi violens que ceux du tonnerre. Voyez

Plusieurs physiciens ont voulu expliquer la formation des embrasemens souterrains, par une expérience fameuse qui est dûe à M. Lemery ; elle consiste à mêler ensemble du soufre & de la limaille de fer ; on humecte ce mêlange, & en l'enterrant il produit en petit au bout d'un certain tems les phénomenes des tremblemens de terre & des volcans. Quelque ingénieuse que soit cette explication, M. Rouelle lui oppose une difficulté très-forte. Ce savant chymiste observe que dans son expérience M. Lemery a employé du fer véritable & non du fer dépouillé de son phlogistique, ou du fer minéralisé. D'où l'on voit que pour expliquer de cette maniere les embrasemens souterrains, il faudroit qu'il y eût dans le sein de la terre une grande quantité de fer pur ; ce qui est contraire aux observations, puisque le fer se trouve presque toujours ou minéralisé, ou sous la forme d'ochre, c'est-à-dire privé de son phlogistique dans le sein de la terre. Quant au fer pur ou fer natif qui se trouve par grandes masses, comme au Sénégal, on a lieu de soupçonner qu'il a été lui-même purifié & fondu par les feux de la terre.

De quelque façon que les embrasemens se produisent dans le sein de la terre, ils ont un besoin indispensable de l'air ; le feu ne peut point s'exciter sans le contact de l'air : or on ne peut point nier que la terre ne renferme une quantité d'air très-considérable ; ce fluide y pénetre par les fentes dont elle est traversée ; il est contenu dans les grottes & les cavités dont elle est remplie ; les ouvriers des mines, en frappant & en perçant les roches avec leurs outils, l'entendent quelquefois sortir avec un violent sifflement, & il éteint souvent les lampes qui les éclairent. On ne peut donc douter que la terre ne contienne une quantité d'air assez grande pour que les matieres susceptibles de s'enflammer puissent prendre feu ; ce même air qui est entré peu-à-peu, est mis en expansion ; les écroulemens de terre qui se sont faits au commencement de l'inflammation qui a du miner & excaver peu-à-peu les rochers, empêchent que l'air ne trouve d'issue ; alors aidé de l'action du feu qu'il a allumé, il fait effort en tout sens pour s'ouvrir un passage ; & ses efforts sont proportionnés à la quantité des matieres embrasées, au volume de l'air qui a été mis en expansion, & à la résistance que lui opposent les roches qui l'environnent. Personne n'ignore les effets prodigieux que l'air peut produire lorsqu'il est dans cet état ; il n'est pas besoin d'un grand effort pour concevoir que ces effets doivent s'opérer nécessairement dans l'intérieur de la terre.

A l'égard de l'eau, toutes les observations prouvent que la terre en contient une quantité prodigieuse ; plus on s'enfonce dans les souterrains des mines, plus on en rencontre ; & souvent on est forcé pour cette raison, d'abandonner des travaux qui promettoient les plus grands avantages ; les ouvriers des mines en perçant des rochers, en sont quelquefois noyés ou accablés. Voyez l'article

On voit par tout ce qui précede, que les tremblemens de terre & les volcans, ou montagnes qui jettent du feu, sont dus aux mêmes causes ; en effet les volcans ne peuvent être regardés que comme les soupiraux ou les cheminées des foyers qui produisent les tremblemens de terre. Voyez l'article

Un des phénomenes les plus étranges des tremblemens de terre, c'est leur propagation, c'est-à-dire la maniere dont ils se communiquent à des distances souvent prodigieuses, en une espace de tems très-court ; la façon la plus naturelle d'expliquer cette propagation, c'est de dire que les embrasemens souterrains se communiquent par les cavités immenses dont l'intérieur de la terre est rempli ; ces cavités étant pleines des mêmes matieres reçoivent le feu qui leur est apporté de celles qui ont été les premieres allumées ; de cette maniere l'embrasement se transmet quelquefois d'un des côtés du globe à l'autre. L'on peut encore supposer que la terre renferme plusieurs foyers qui s'allument, soit successivement, soit en même tems, & qui produisent une suite d'explosions & d'ébranlemens dans les différentes parties de la terre qu'ils occupent : on a remarqué que c'est communément en suivant la direction des grandes chaînes de montagnes, que la propagation des tremblemens de terre se fait sentir ; ce qui donne lieu de présumer que ces montagnes ont à leur base des cavités par lesquelles elles communiquent les unes aux autres.

L'on a souvent confondu avec des tremblemens de terre, certains mouvemens extraordinaires qui se font sentir quelquefois dans l'air, & qui souvent sont assez forts pour renverser des maisons, & faire des ravages considérables, sans qu'on s'apperçût que la terre fût aucunement ébranlée ; ces phénomènes ont été observés sur-tout en Sicile & dans le royaume de Naples ; ils paroissent dus à un dégagement subit de l'air renfermé dans le sein de la terre, qui est mis en liberté par les feux souterrains, & qui excite dans l'air extérieur une commotion semblable à celle d'un coup de canon, qui casse souvent les vitres des maisons.

Telles sont les circonstances principales qui accompagnent les tremblemens de terre ; il n'est guere de parties sur notre globe qui n'aient éprouvé plus ou moins vivement, & en différens tems, leurs effets funestes ; & les histoires sont remplies de descriptions effrayantes, & des révolutions tragiques qu'ils ont produits. Pline nous apprend que sous le consulat de L. Marcius, & de Sextus Julius, un tremblement de terre fit que deux montagnes du territoire de Modène se heurterent vivement l'une l'autre, & écraserent dans leur conflit les édifices & les fermes qui se trouverent entr'elles ; spectacle dont un grand nombre de chevaliers romains & de voyageurs furent témoins. Voici ses propres paroles : factum est semel, dit-il, quod equidem in Hetruscae disciplinae voluminibus inveni, ingens terrarum portentum, L. Marcio Sexto Julio coss. in agro Mutinensi : namque montes duo inter se concurrerunt, crepitu maximo assultantes, recedentesque, inter eos flamma fumoque in coelum exeunte interdiu, spectante e viâ Emiliâ magnâ equitum romanorum familiarumque & viatorum multitudine : eo concursu villae omnes Elisae, animalia permulta, quae intra fuerant, exanimata sunt, &c.

Sous l'empire de Tibere, treize villes considérables de l'Asie furent totalement renversées, & un peuple innombrable fut enseveli sous leurs ruines. La célebre ville d'Antioche éprouva le même sort en l'an 115, le consul Pedon y périt, & l'empereur Trajan qui s'y trouvoit alors, ne se sauva qu'à peine du désastre de cette ville fameuse.

En 742, il y eut un tremblement de terre universel en Egypte & dans tout l'Orient ; en une même nuit près de six cent villes furent renversées, & une quantité prodigieuse d'hommes périt dans cette occasion.

Mais qu'est-il besoin de parler des tremblemens de terre anciens ? une expérience récente ne nous prouve que trop que les matieres qui produisent ces événemens terribles, ne sont point encore épuisées : l'Europe est à peine revenue de la frayeur que lui a causée l'affreuse catastrophe de la capitale du Portugal. Le premier de Novembre de l'année 1755, la ville de Lisbonne fut presque totalement renversée par un tremblement de terre, qui se fit sentir le même jour jusqu'aux extrêmités de l'Europe. Ce désastre affreux fut accompagné d'un soulevement prodigieux des eaux de la mer, qui furent portées avec violence sur toutes les côtes occidentales de notre continent. Les eaux du Tage s'éleverent à plusieurs reprises pour inonder les édifices que les secousses avoient renversés. Au même instant auquel cette scène effroyable se passoit dans le Portugal, l'Afrique étoit pareillement ébranlée, les villes de Fez & de Mequinez, au royaume de Maroc, éprouverent un renversement presque total. Plusieurs vaisseaux, en revenant des Indes occidentales, ressentirent en pleine mer des secousses violentes & extraordinaires. Les îles Açores furent en même tems vivement agitées. Au mois de Décembre de la même année, presque toute l'Europe fut encore ébranlée de nouveau par un tremblement de terre, qui s'est fait sentir très-vivement dans quelques-unes de ses parties. L'Amérique ne fut point exempte de ces tristes ravages, ce fut vers ce même tems que la ville de Quito fut entierement renversée.

Tous les tremblemens de terre ne se font point sentir avec la même violence ; il y en a qui ne produisent que des secousses légeres, & quelquefois insensibles ; d'autres portent la destruction dans les endroits où ils exercent leur fureur. On a remarqué que quelques pays sont plus sujets à ces convulsions de la terre que d'autres ; les pays chauds y paroissent surtout les plus exposés, ce qui vient, soit de ce que la chaleur du climat est en état de faire sortir du sein de la terre un plus grand nombre de vapeurs propres à s'enflammer & à faire des explosions, soit de ce que ces pays contiennent un plus grand nombre de matieres combustibles, & propres à alimenter & à propager les feux souterreins. L'Amérique & sur-tout le Pérou paroissent être sujets à des agitations très-fréquentes. Suivant le chevalier Hansloane, on s'attend à essuyer tous les ans un tremblement de terre à la Jamaïque. L'Asie & l'Afrique ne sont point exemptes de ces terribles accidens. En Europe, la Sicile, le royaume de Naples, & presque toute la Méditerranée sont très-fréquemment les théâtres de ces fatals événemens. Nous voyons aussi que les pays du nord, quoique moins souvent que les pays chauds, ont éprouvé en différens tems des secousses de la part des tremblemens de terre ; l'Angleterre, l'Islande, la Norwege nous en fournissent des preuves convaincantes ; M. Gmelin nous apprend en avoir ressenti dans la Sibérie, on lui a même assûré qu'une partie de cette contrée si septentrionale éprouvoit un tremblement de terre annuel & périodique. Les provinces méridionales de la France, qui sont bornées par les monts Pyrénées, ont aussi ressenti quelquefois des secousses très-violentes : en 1660, tout le pays compris entre Bordeaux & Narbonne fut désolé par un tremblement de terre ; entr'autres ravages, il fit disparoître une montagne du Bigorre, & mit un lac en sa place ; par cet événement, un grand nombre de sources d'eau chaudes furent refroidies, & perdirent leurs qualités salutaires. Dans les derniers tremblemens de l'année 1755, c'est aussi cette partie de la France qui a éprouvé le plus fortement des secousses qui ne se sont fait sentir que très-foiblement à Paris, & dans les provinces plus septentrionales.

A la vue des effets prodigieux des tremblemens de terre, on sent qu'il est naturel de les regarder comme la principale cause des changemens continuels qui arrivent à notre globe. L'histoire nous a transmis quelques-unes des révolutions que la terre a éprouvées de la part des feux souterreins, mais le plus grand nombre & les plus considérables d'entre elles sont ensevelies dans la nuit de l'antiquité la plus reculée ; nous ne pouvons donc en parler que par des conjectures qui paroissent pour tant assez bien fondées. C'est ainsi qu'il y a tout lieu de présumer que la grande Bretagne a été arrachée du continent de l'Europe, la Sicile a été pareillement séparée du reste de l'Italie. Seroit-ce un sentiment si hasardé que de regarder la mer Méditerranée comme un vaste bassin creusé par les feux souterreins, qui y exercent encore si souvent leurs ravages ? Platon & quelques autres anciens nous ont transmis le nom d'une île immense, qu'ils appelloient Atlantide, que la tradition de leur tems plaçoit entre l'Afrique & l'Amérique ; cette vaste contrée a entierement disparu : ne peut-on pas conjecturer qu'elle a été abîmée sous les eaux de l'Océan, à qui elle a donné son nom ; & que les îles du Cap-verd, les Canaries, les Açores ne sont que des vestiges infortunés de la terrible révolution qui a fait disparoître cette contrée de dessus la face de la terre ? Peut-être la mer Noire, la mer Caspienne, la mer Baltique, &c. ne sont-elles dûes qu'à des révolutions pareilles, arrivées dans des tems dont aucun monument historique ne nous a pu conserver le souvenir.

Depuis le Pérou jusqu'au Japon, depuis l'Islande jusqu'aux Moluques, nous voyons que les entrailles de la terre sont perpétuellement déchirées par des embrasemens qui agissent sans cesse avec plus ou moins de violence ; des causes si puissantes ne peuvent manquer de produire des effets qui influent sur la masse totale de notre globe ; ils doivent à la longue changer son centre de gravité, mettre à sec quelques-unes de ses parties pour en submerger d'autres, enfin contribuer à faire parcourir à la nature le cercle de ses révolutions. Est-il surprenant après cela que le voyageur étonné ne retrouve plus des mers, des lacs, des rivieres, des villes fameuses décrites dans les anciens géographes, & dont aujourd'hui il ne reste plus aucune trace ? Comment la fureur des élémens eût-elle respecté les ouvrages toujours foibles de la main des hommes, tandis qu'elle ébranle & détruit la base solide qui leur sert d'appui ? (-)

TREMBLEMENT, (Médecine) un mouvement alternatif, involontaire, lâche, & désordonné dans un de nos organes particuliers, ou dans plusieurs ensemble s'appelle tremblement.

Cette maladie qui consiste dans une violente agitation des membres en directions contraires, est due au manque de ton, & aux efforts des parties attaquées pour reprendre ce ton.

Les Médecins distinguent deux especes de tremblemens, qu'ils nomment tremblement actif & tremblement passif. Le tremblement actif est celui qui arrive dans les violentes passions, telles que la terreur, la colere, la joie subite, &c. l'on doit rapporter cet état à des mouvemens demi-convulsifs. Le tremblement passif est dû à une cause particuliere, & approche des affections demi-paralytiques ; mais les tremblemens passifs considérés comme maladie, doivent être distingués de ceux qui sont produits par des causes accidentelles, telles qu'est le tremblement qui succede au bain dans une eau très-froide.

Causes. Les causes internes des tremblemens passifs considérés comme maladie, sont la flaccidité des nerfs, le relâchement du ton des parties, le manque ou le cours déréglé des esprits animaux ; les causes externes & accidentelles sont en grand nombre, comme l'omission des évacuations accoutumées, les trop grandes évacuations, les longues maladies qui ont précédé, l'abus des liqueurs spiritueuses, les humeurs cacochimiques & mélancoliques, les trop grandes veilles, la débauche du vin & des femmes, les exhalaisons minérales dans ceux qui travaillent aux mines, &c.

Prognostics. Le tremblement de naissance ou de vieillesse est inguérissable ; en général, plus le tremblement est confirmé par le tems, & moins aisément peut-on y remédier. Le tremblement qui vient du travail des mines de mercure admet rarement des remedes, & fait craindre qu'il ne dégénere en paralysie. Le tremblement qui vient de lui-même dans les femmes grosses, annonce d'ordinaire l'avortement ou l'accouchement prochain ; celui qui succede à l'accouchement & qui est causé par la suppression des vuidanges est très-dangereux, & occasionne quelquefois l'épilepsie.

Méthode curative. L'abus des veilles, celui des plaisirs de l'amour, les trop grandes évacuations du sang & des humeurs, & la diete poussée trop loin, sont autant de choses qui épuisent les esprits & qui produisent en conséquence des tremblemens ; on les guérira en évitant toutes ces causes, en employant des alimens faciles à digérer & propres à réparer les forces, en procurant le repos & le sommeil, enfin en usant des remedes fortifians.

Le mouvement désordonné des esprits, qui procede d'un long abus des liqueurs spiritueuses, d'opiats, & d'usage d'antimoine, de mercure, de dissolutions de plomb, nous présente autant de sources de tremblemens presque sans remedes, même en évitant les causes d'où ils naissent ; mais le tremblement qui procede des boissons d'eaux chaudes, comme des infusions de thé, de caffé, &c. se guérit en en quittant l'usage, & en usant des remedes qui fortifient le ton des visceres. Le tremblement des mains demande en particulier des frictions du bras, des poignets, qu'on lavera fréquemment d'eau ferrée, chargée de décoctions de feuilles d'armoise, de sauge, de marjolaine ; les esprits tirés de ces herbes, & autres semblables nervins sont utiles.

Les passions de l'ame qui, par leur violence, ont causé un grand tremblement dans des personnes pléthoriques, demandent la saignée, s'il y a des signes d'inflammation ; autrement les tremblemens de cette nature cessent d'eux-mêmes par le secours des rafraîchissans.

Les tremblemens qu'éprouvent fréquemment les personnes mobiles & dont les nerfs sont délicats, veulent être traités par les nervins anti-spasmodiques. Les éléosacchara de l'esprit de lavande ou de fleur d'orange, conviennent aux tremblemens des tempéramens pituiteux & phlegmatiques.

On employera les frictions & onctions d'onguent martiatum, ou d'huiles nervines, au dos, aux lombes, & aux cuisses des personnes dont les jambes & les piés souffrent de légers tremblemens.

On rétablira par les remedes accoutumés tout tremblement né de la suppression de quelque humeur habituelle ; celle de la transpiration & de la sueur, par les diaphorétiques ; celle des hémorrhoïdes, par les sangsues ; celle des regles, par la saignée, les emménagogues ; la retention d'urine, par la sonde, les bains, les diurétiques, &c.

Les tremblemens qui doivent leur naissance à des humeurs atrabilaires portées au cerveau, demandent une promte révulsion, & leur expulsion du corps par des purgatifs.

Les humeurs cacochimiques, scorbutiques, qui produisent le tremblement, doivent être évacuées, corrigées ; ensuite on rétablira le ton des visceres par des corroborans internes & externes, par les antiputrides, par les frictions d'huile de castor & d'esprits de plantes aromatiques.

Il résulte de ce détail que tout tremblement est causé par le déréglement de l'action des solides ou des fluides qu'il faut rétablir pour en opérer la guérison ; mais comme le tremblement fébrile est un épiphénomene de la fievre, nous lui devons un article à part.

TREMBLEMENT FEBRILE, (Médec.) le tremblement de la fievre est mieux connu qu'on ne peut le définir. Il suppose une alternative de tension & de relaxation dans les muscles ; il suppose aussi des causes qui se succédant les unes aux autres, tendent & relâchent les muscles promtement & involontairement ; la circulation du liquide artériel & du suc nerveux, tantôt continuée, & tantôt interrompue, & par conséquent le cours de ces deux fluides suspendu, tantôt au commencement, & tantôt sur la fin de la maladie ; enfin leur longue absence à la suite d'une grande déperdition.

Si le tremblement dure long-tems, il forme des obstacles à la circulation des humeurs, & produit les vices qui en sont des suites. De-là on peut tirer son diagnostic & son pronostic.

Les accès des fievres intermittentes & remittentes, & surtout de la fievre quarte, commencent par le tremblement qui cesse de lui-même, & est succédé par la chaleur ; celui qui subsiste encore après la guérison de la maladie, doit être regardé comme l'effet de la débilité du corps.

Les tremblemens offrent des pronostics différens dans les fievres continues, ardentes, aiguës, inflammatoires ; ainsi, par exemple 1°. les tremblemens qui paroissent au commencement de ces sortes de fievres n'annoncent aucun danger, dès qu'ils ne sont pas durables. 2°. Mais les tremblemens qui augmentent avec le mal, présagent ordinairement le délire, les convulsions, & autres maux de la tête, si on n'y remédie par la saignée, les purgatifs, l'écoulement du ventre. 3°. Ceux qui viennent dans un jour critique avec d'autres bons signes, annoncent une crise ; autrement ils désignent une triste métastase & la mort, si d'autres signes fâcheux les accompagnent. 4°. Dans le déclin du mal & la destruction des forces ils sont toujours mauvais, car alors ils proviennent de la corruption des humeurs, de quelqu'autre fâcheuse métamorphose, de l'engorgement spasmodique du cerveau, &c.

La méthode curative des tremblemens fébriles consiste à rétablir l'égalité de la circulation & de la pression du sang artériel & des esprits, de l'un contre les parois des arteres, & des autres sur les fibres motrices : c'est ce qu'on peut faire au commencement de la maladie par l'usage des remedes qui dissipent la lenteur, qui rétablissent les forces ; & à la fin par ceux qui peuvent réparer en peu de tems les liquides qu'on a perdus, & fortifier les fibres & les visceres. V. les beaux commentaires du docteur Van-Swieten. (
D.J.)

TREMBLEMENT, en Musique, est le nom qu'on a donné quelquefois à cet agrément du chant que les Italiens appellent trillo, & que nous ne connoissons aujourd'hui que sous le nom de cadence. Il y en a de plusieurs sortes distinguées sous divers noms par les maîtres de goût du chant. Voyez GOUT DU CHANT. (S)


TREMBOWLA(Géog. mod.) les géographes françois qui devroient consulter les naturels du pays, écrivent Tremblowa. C'est une forteresse célebre dans l'histoire de Pologne à l'entrée de la Podolie. Cette forteresse est suspendue sur un rocher, dont l'accès n'est pratiquable que par un endroit, qui conduit à une petite plaine ornée de bois épais. Ce côté accessible est défendu par deux ravelins avec de bons fossés & un chemin couvert. La riviere d'Ianow, profonde & bourbeuse, fait presque le tour du rocher.

En 1675, Kara-Mustapha, neveu de Cuprogli, nommé grand-visir par Mahomet IV. employa la souplesse & la force pour s'en emparer ; mais le commandant rendit ses efforts inutiles. C'étoit Samuel Chrasonowski, juif renégat qui avoit quitté la loi de Moïse pour celle de Jésus : plus zélé contre les circoncis que s'il ne l'eût pas été lui-même. La noblesse réfugiée dans cette place, voyant une breche ouverte qui s'élargissoit d'heure en heure, perdit courage. La place avoit déja soutenu quatre assauts. Chrasonowski lui-même trembloit pour le cinquieme. Sa femme prit cette juste inquiétude pour une foiblesse de mauvais augure. Cette héroïne juive, armée de deux poignards, court à son mari, & lui dit en les lui faisant voir : en voilà un que je te destine si tu te rends, & l'autre est pour moi. Dans ce moment de détresse, l'armée polonoise conduite par Sobieski, arrive. Les deux armées se joignent ; le combat fut long, & les Turcs montrerent qu'avec un chef digne d'eux ils auroient pu prétendre à la victoire. Ils perdirent sept à huit mille hommes, & se retirerent sous le canon de Kaminiek.

Trembowla délivrée, rendit graces à la fermeté de Chrasonowski. Il fut élevé aux honneurs militaires ; sa femme se contenta des applaudissemens de la nation, & le soldat reçut de l'argent d'une république pauvre. L'abbé Coyer. (D.J.)


TRêMEterme de Manufacture, qui signifie les fils que les tisserands, gaziers, &c. & autres ouvriers qui se servent de la navette, font passer entre les fils de la chaîne pour former sur le métier les toiles, gazes, &c. Voyez TRAME.


TRÉMEAUS. m. terme de Fortification ; c'est la partie du parapet terminé par les deux autres parties dont la largeur est de neuf piés en-dedans, & de six piés en-dehors. On l'appelle autrement merlon. Richelet. (D.J.)


TREMECEN(Géog. mod.) province d'Afrique, dans la Barbarie, au royaume d'Alger ; elle est bornée au nord par la Méditerranée, au midi par les déserts, au levant par la province particuliere d'Afrique, & au couchant par le royaume de Fez. Marmol donne à cette province 150 lieues de long, & 20 de large.

Elle occupe la place de la Mauritanie Césariense. Presque toutes les terres qu'elle renferme sont arides, excepté celles du côté du nord, qui produisent du blé & des pâturages. Sa capitale a pris son nom.

La province de Tremecen depuis la décadence de l'empire romain, a été possédée par divers peuples, par les Abdulaates, par les califes d'Arabie, par les Almoravides, par les Zénetes, & par les chérifs d'Hescein. Barberousse s'en empara, & fut ensuite massacré par les troupes de Charles-Quint. Enfin les Algériens en sont devenus les maîtres. Les Arabes des déserts habitent une grande partie de cette province. Les Zénetes, les Hoares, les Cinhagiens, & les Aznages demeurent sur les montagnes. (D.J.)

TREMECEN ou TELEMICEN, (Géogr. mod.) ville d'Afrique, dans la Barbarie, capitale de la province de même nom, à 7 lieues de la Méditerranée, dans une plaine, qui confine avec le mont Atlas. Cette ville est habitée par des maures, de pauvres arabes, & des juifs. Longit. 16. 30. lat. 34. 25. (D.J.)


TREMELLAS. f. (Hist. nat. Bot.) genre de plante que les Anglois appellent laver, & qui paroît tenir une nature mitoyenne entre l'algue & la conserve. Il ne produit ni fleurs, ni graines qu'on ait pu découvrir jusqu'à ce jour ; mais c'est un genre de plante d'une texture uniforme, tendre, pellucide, membraneuse, & souvent gélatineuse. Dillenius, hist. musc. compte dix-sept especes de ce genre de plante, qui pour la plûpart vivent dans l'eau, & sont composées de feuilles lisses, ordinairement larges, applaties, & quelquefois tubulaires. Le nostoch, en anglois the telly rain-laver, est une des dix-sept especes. Voyez NOSTOCH. (D.J.)


TREMERv. act. (Gram.) faire de la toile en passant la treme avec la navette entre les fils de la chaîne.


TREMETIILES DE, (Géog. mod.) ou les îles du royaume de Naples, dans le golfe de Venise, à quelque distance de la côte de la Capitanate. Les trois principales de ces îles sont Caprara, San-Nicolo & San-Domino.

Les anciens nommoient ces îles Diomedeae insulae. M. Delisle les place vers les 42. 30. de latit. & par les 34°. de longit. (D.J.)


TREMEURS. m. ouvrier dont l'occupation est de disposer les fils des trêmes pour être employés à la fabrique des toiles, &c.


TRÉMIES. f. ustensile de marchand de blé & d'avoine ; vaisseau pyramidal qui a un long carré, dont le dessous est de cuir, & le dessus d'un treillis de fil de laiton ; ensorte que les grains se criblent en quelque sorte, à mesure qu'ils tombent dans un cuvier qui est au bas. La trémie sert aussi pour l'étalonnage des mines & minots, qui servent à mesurer les grains & les légumes secs. (D.J.)

TREMIE, terme de Layetier ; petite machine composée d'un fond avec des rebords, & d'un corps en dos d'âne, au haut duquel il y a un couvercle, qu'on ouvre & qu'on ferme, par où on met du grain pour les pigeons, & d'où il tombe peu-à-peu dans le fond de la trémie, à mesure qu'ils le mangent.

TREMIE, terme de Meunier ; c'est une sorte de grande cage de bois quarrée, fort large par le haut, & fort étroite par le bas, faite en forme de pyramide renversée, qui sert au moulin pour faire écouler peu-à-peu par un auget le blé sur les meules, afin d'en faire de la farine. Cette trémie est portée par deux pieces de bois, qu'on appelle trémions, qui s'entretiennent par des chevalets. Elle sert aussi dans les greniers à sel, pour faire couler le sel dans les mesures. (D.J.)

TREMIE, bandes de, terme de Maçonnerie ; ce sont des bandes de fer qui servent à soutenir les âtres & les languettes de cheminées.


TRÉMIONS. m. (Archit.) barre de fer qui sert à soutenir la hotte ou la trémie d'une cheminée. (D.J.)


TREMITHUS(Géog. anc.) village de l'île de Chypre, selon Etrenne le géographe. Ptolémée, l. V. c. xiv. en fait une ville qu'il place dans les terres. Elle devint épiscopale. Cette ville est nommée Tremithopolis, sur une médaille qui se trouve dans le recueil de Goltzius. Lusignan dit que c'est aujourd'hui un village appellé Tremithunge. (D.J.)


TREMON(Géog. anc.) Eustathe, in Dionysium, dit qu'on nommoit ainsi un lieu voisin de l'île de Délos, & que l'origine de ce nom venoit des fréquens tremblemens de terre, auxquels cette île est sujette. Lycophron fait aussi mention de ce lieu ; & Isacius qui remarque que c'étoit l'endroit où Ajax avoit été enterré, ajoute qu'il étoit situé prés de Thénos & de Mycone. (D.J.)


TREMORIZEvoyez TORPILLE.


TREMOUILLELA, (Géog. mod.) petite ville, ou plutôt bourg de France, dans le Poitou, au diocèse & à 12 lieues de Poitiers, sur la riviere de Benaise, avec titre de duché.


TREMP(Géog. mod.) petite ville, ou pour mieux dire bourg d'Espagne, dans la Catalogne, sur le Noguera-Pallareza, espece de torrent : ce bourg est en partie habité par de la noblesse du pays. (D.J.)


TREMPES. f. terme d'Artificier, c'est une composition de poix fondue, de colophone & d'huile de lin, où l'on mêle de la poudre écrasée, jusqu'à ce qu'elle prenne une consistance. On y trempe les balles à feu, jusqu'à ce qu'elles aient acquis leur vrai calibre.

TREMPE, (Cirier) premier jet de cire que l'on donne aux meches des bougies de table, avant d'en mettre la tête dans les forêts. (D.J.)

TREMPE DE L'ACIER, (Chymie, Métallurgie & Arts) faire de l'acier, c'est charger le fer d'autant de phlogistique, ou de parties inflammables qu'il en peut contenir. Pour produire cet effet, on joint au fer que l'on veut convertir en acier, toutes sortes de matieres grasses, qui contiennent une grande quantité du principe inflammable qu'elles communiquent au fer ; & par-là elles lui donnent une dureté beaucoup plus grande qu'il n'avoit auparavant. C'est sur ce principe que l'on emploie des substances du regne animal, telles que des os, de la corne, des pattes d'oiseaux, du cuir, des poils, &c. On se sert aussi de charbons de bois, & l'on donne la préférence à ceux du bois de hêtre ; on emploie aussi de la cendre, de la suie, &c. En un mot, toutes les substances qui peuvent fournir au fer de la matiere inflammable, sont propres à convertir ce métal en acier.

On a vu dans l'article ACIER, plusieurs manieres de convertir le fer en acier ; on ne répétera point ici ce qui a été dit dans cet article ; mais on croit nécessaire d'ajouter ici des observations utiles & raisonnées sur ce travail. Elles sont tirées, pour la plûpart, d'un mémoire très-curieux de M. de Justi, que ce savant chymiste a inséré dans le premier volume de ses oeuvres publiées en allemand, en 1760.

Pour faire de bon acier, il est d'abord important d'avoir un fer de la meilleure qualité, c'est-à-dire qui soit ductile & malléable ; c'est celui de Styrie qui passe pour le meilleur de l'Europe. La bonne qualité du fer vient de la nature des mines d'où on le tire, lorsque ces mines sont ou sulfureuses, ou arsénicales, on aura bien de la peine à en tirer un fer propre à faire de bon acier, il sera toujours plus ou moins aigre & cassant. Voyez l'article FER.

1°. Lorsque l'on veut convertir le fer en acier il faut, comme on a dit, le combiner avec des matieres qui lui fournissent du phlogistique, & qui par-là le rendent plus dur & plus compacte. La preuve de cette vérité, c'est que les barres de fer lorsqu'elles ont été converties en acier, sont beaucoup plus pesantes qu'elles n'étoient dans l'état de fer. D'ailleurs le feu, qui détruit le fer très-promtement, agit beaucoup moins sur l'acier.

2°. Lorsque le fer a été chargé de phlogistique, c'est-à-dire a été converti en acier, il perd les parties inflammables dont il avoit été pénétré si on le fait rougir, si on le fait entrer en fusion, ou si on le laisse refroidir peu-à-peu. C'est sur ce principe qu'est fondée l'opération qu'on appelle trempe de l'acier, qui consiste à plonger l'acier au sortir du feu, dans de l'eau froide, ou dans une liqueur composée de la maniere que nous décrirons dans la suite de cet article. En plongeant ainsi les barres d'acier, le froid les saisit subitement à l'extérieur, & empêche les parties du phlogistique qui s'y étoient insinuées d'en sortir & de se dissiper.

On voit par-là qu'il faut ici distinguer deux opérations ; l'une par laquelle on fait entrer des parties inflammables dans le fer, ce qui produit l'acier ; l'autre par laquelle on fait que les parties qui se sont introduites dans l'acier sont forcées d'y rester, c'est ce qu'on appelle la trempe. Ceci suffit pour faire sentir l'erreur de quelques ouvriers qui croient faire de l'acier en trempant simplement du fer dans l'eau après l'avoir rougi ; il est vrai que par-là ils durcissent la surface du fer, mais cette trempe seule ne peut point en faire de l'acier.

Il y a deux manieres de faire l'acier. La premiere, est un travail en grand, dans lequel on fait fondre du fer avec toutes sortes de matieres inflammables ; on coule ensuite ce fer ; on le forge à plusieurs reprises, & on en fait l'extinction dans l'eau pour le tremper.

La seconde maniere, est celle de la cémentation. Cette derniere est beaucoup meilleure que la premiere, parce qu'on peut empêcher plus sûrement que le fer converti en acier, ne perde les parties inflammables dont on l'a rempli. Voici comment elle se pratique. On prend de la corne, des os, des pattes d'oiseaux, ou telle autre partie des animaux, on les fait calciner à feu doux dans un vaisseau fermé, pour les réduire en une espece de charbon, on pulvérise ces matieres ainsi brûlées, & l'on en prend deux parties ; on les mêle avec une partie de charbon en poudre, & une demi-partie de suie, on incorpore bien exactement ce mêlange, que l'on conserve pour l'usage que l'on va dire.

On aura des tuyaux de tôle, en forme de cylindres, qui seront de cinq ou six pouces de diamêtre, & qui auront environ trois pouces de longueur de plus que les barres de fer que l'on voudra y mettre, ces tuyaux seront fermés par un fond qui sera pareillement de tôle par un côté, & de l'autre on les fermera avec un couvercle semblable à celui d'une boîte. On mettra dans le fond de cette boîte du mêlange qui vient d'être décrit, de l'épaisseur d'un pouce & demi, que l'on pressera avec un bâton. Ensuite on y placera, suivant la longueur de la boîte, trois ou quatre barres de fer bien doux. Il ne faut point que ces barres soient trop épaisses, sans quoi la matiere inflammable ne pourroit les pénétrer jusque dans leur intérieur. Il est à-propos qu'il y ait au-moins un pouce d'intervalle entre chacune des barres entre elles, & entre les parois intérieurs de la boîte. Pour cet effet, on n'aura qu'à y faire entrer une espece de grille de fil de fer, qui aura trois ou quatre divisions dans lesquelles on fourrera les barres, qui par-là seront tenues écartées les unes des autres & des parois de la boîte. On remplira les intervalles vuides que les barres laisseront entre elles avec le mêlange en poudre que l'on pressera doucement, & on recouvrira le tout d'environ un pouce & demi du mêlange, afin d'en remplir la boîte jusqu'au bord en le pressant, après quoi on fermera la boîte avec son couvercle. Pour que l'action du feu n'endommage point la boîte, on la couvrira extérieurement d'un enduit de terre grasse, humectée avec du sang de boeuf, ce qui la fera tenir plus fortement ; on laissera cet enduit se sécher à l'air.

Quand on aura ainsi préparé une ou plusieurs boîtes, on les arrangera dans un fourneau de reverbere ; on les laissera exposées pendant huit à neuf heures à un feu de charbons qui ne doit que les faire rougir obscurément : il est important d'entretenir toujours un feu égal. Les ouvriers en prenant leurs mesures, pourront aussi faire ce travail dans leurs forges en formant une enceinte de pierres qui résistent au feu, ou de briques autour des boîtes.

Au bout de ce tems, on retirera les barres encore rouges des boîtes, & on les éteindra dans de l'eau froide : plus elles seront rouges, plus la trempe les durcira. Pour cet effet, il sera bon de rendre le feu très-violent vers la fin de la cémentation. En suivant ce procédé, on aura de l'acier incomparablement meilleur que celui qui a été fait en grand.

Mais avant que d'en faire des ouvrages, il sera àpropos de faire passer cet acier par une nouvelle opération. Elle consiste à souder ensemble quelques-unes de ces barres d'acier, en les faisant bien rougir, à les forger pendant long-tems pour ne faire qu'une même masse. Ce travail est recommandé par M. Lauraeus, dans les Mémoires de l'académie des Sciences de Stockholm, où il dit qu'il est dans l'usage de prendre quatre barres d'acier de même longueur, de les souder ensemble par l'action du feu, sans y joindre du fer pour cela ; de les faire forger pour n'en faire qu'une seule barre d'un pouce d'épaisseur, après quoi il les fait rougir parfaitement ; il les prend avec des tenailles par les deux bouts, afin de les tordre autant qu'il est possible, après quoi on les frappe de nouveau à coups de marteaux, afin de les rendre aussi minces qu'elles étoient d'abord ; alors on les plie de nouveau en quatre. On les soude encore de nouveau, on les forge & on les tord de la même maniere ; on réitere la même chose une troisieme sois, alors l'opération est finie, & l'on a de l'acier qui peut servir à faire toutes sortes d'instrumens tranchans & autres. M. Lauraeus dit qu'il faut tordre ces barres, parce que les fils ou les veines de l'acier ne sont point toutes dans la même direction, ce qui est cause que lorsqu'on vient à le tremper, les lames se tordent & se contournent de maniere qu'il est très-difficile, ou même impossible de les redresser ; au-lieu qu'en tordant les barres d'acier leurs fils ou leurs veines s'entrelacent, ce qui fait que les barres ne se contournent point à la trempe, ou du-moins peuvent être redressées. Voyez les Mémoires de l'académie Royale de Stockholm, année 1752. M. de Justi approuve beaucoup cette méthode, & il conjecture que ce peut être de cette maniere que l'on travaille l'acier de Damas, en joignant ensemble deux aciers de qualité différente, ou du fer & de l'acier. C'étoit aussi le sentiment de l'illustre M. Stahl, vu qu'en joignant ensemble de bon fer avec de l'acier, & en forgeant avec soin la masse qui résulte, on obtient un mêlange de veines de différentes couleurs, semblables à celles de l'acier de Damas, qui est si renommé pour sa bonté.

Il n'est point douteux qu'en travaillant ainsi l'acier, & en le faisant passer à plusieurs reprises par le feu, il ne perde une portion du phlogistique dont il s'étoit chargé dans la cémentation ; il en perd encore bien davantage lorsqu'on en fait différens outils, comme des lames, des ciseaux, &c. & sur-tout quand on fait des ouvrages minces & délicats, parce qu'alors on est obligé de faire passer les pieces un grand nombre de fois par le feu. Pour prévenir cet inconvénient, il sera bon lorsqu'on fera rougir ces pieces, de les couvrir d'un enduit fait avec du charbon en poudre & du sang de boeuf ; cet enduit rendra du phlogistique à l'acier, & empêchera celui qu'il contient de se dissiper.

Lorsque l'acier a été ainsi préparé, & que l'on en a fait divers outils, il faut finir par le tremper. Toute eau n'est pas bonne pour cet usage, les eaux sulfureuses & vitrioliques pourroient nuire à la bonté de l'acier, suivant M. de Justi, qui conseille de faire la trempe dans de l'eau dans laquelle on aura fait dissoudre une livre de soude ou de potasse sur un seau d'eau. Cette seconde trempe ne doit point être confondue avec la premiere dont on a parlé, qui consiste à jetter dans de l'eau froide les barres toutes rouges, au sortir de la boîte dans laquelle elles ont été mises en cémentation. La trempe dont il s'agit ici, se fait dans des liqueurs composées, dans lesquelles on plonge les pieces d'acier après qu'elles ont été travaillées : chaque ouvrier a communément pour cela une liqueur particuliere, dont quelquefois il fait mystere à tout le monde. On a trouvé que l'urine étoit très-propre à servir à cette seconde trempe ; on la coupe ordinairement avec de l'eau, dont on met une partie contre deux parties d'urine ; & quelquefois on met sur trois pintes d'urine une demi once de nitre, & autant de sel marin décrépité. Les pieces trempées dans cette liqueur deviennent d'une dureté prodigieuse. Quelques-uns y ajoutent encore une demi-once de sel ammoniac.

Mais suivant M. de Justi, voici la meilleure maniere de tremper l'acier ; on prendra une partie de corne, de cuir ou de pattes d'oiseaux, brûlés dans un vaisseau fermé, de la maniere qui a été indiquée ci-dessus pour la cémentation, on y joindra une demi-partie de suie, & une demi-partie de sel marin décrépité ; on triturera ce mêlange afin de le réduire en une poudre fine, puis on l'humectera avec du sang de boeuf, au point de lui donner la consistance d'une bouillie liquide. On commencera par chauffer les pieces que l'on voudra tremper ; on les couvrira de ce mêlange liquide, que l'on fera sécher sur un réchaud, après quoi on mettra les pieces d'acier ainsi préparées dans la forge, de maniere qu'elles soient toutes entourées de charbons, où on ne les laissera devenir que d'un rouge foncé ; après que les pieces auront ainsi rougi pendant une demi-heure, on fera aller le soufflet afin d'augmenter la force du feu ; & quand les pieces auront bien rougi on les trempera dans la liqueur susdite. On assure que cette maniere de tremper est propre à faire des limes excellentes.

M. Lauraeus dit que l'on peut avec succès tremper les outils d'acier délicats dans du jus d'ail : voici la maniere dont cela se fait. On coupe de l'ail en petits morceaux ; on verse de l'eau-de-vie par-dessus ; on les laisse en digestion pendant vingt-quatre heures dans un lieu chaud ; au bout de ce tems on presse le tout au-travers d'un linge, & on conserve cette liqueur dans une bouteille bien bouchée, afin de s'en servir au besoin pour tremper les outils les plus délicats.

Si l'on veut que les ouvrages d'acier conservent de la flexibilité, & se plient sans se casser, il sera bon de les tremper encore outre cela, dans de l'huile ou dans de la graisse. Cette méthode se pratique encore avec succès pour les aiguilles.

Quelques gens sont dans l'usage de tremper les ressorts de montres & de pendules, & d'autres ouvrages d'acier, dans du plomb fondu ; mais M. de Justi remarque avec raison, que suivant les principes de la chymie, il est difficile de deviner le fruit que l'on peut retirer de cette méthode. (-)

TREMPE, (mettre en) en terme de Raffineur ; c'est l'action de laisser tremper les formes qui ont déja servi pendant douze heures au-moins dans le bac à formes, avant de les laver & de les emplir de nouveau. Voyez FORMES & EMPLIR.


TREMPÉTREMPURE, (Jardinage) se dit des terres trop imbibées d'eau, ou qui auroient besoin de pluies abondantes.


TREMPÉESS. f. pl. (Pêcherie) ce sont deux cordes de crin qui sont attachées aux deux bouts de la seine, & qui servent aux pêcheurs à la tirer à terre, après qu'ils l'ont jettée à l'eau. (D.J.)


TREMPERv. act. (Gram.) c'est plonger dans un fluide un corps pour qu'il s'en mouille ou s'en imbibe ; on trempe la soupe ; on trempe le linge ; au figuré, on a trempé dans cette malice ; on trempe ses mains dans le sang ; tremper a d'autres acceptions. Voyez l'article TREMPE.

TREMPER les aiguilles, terme d'Aiguillier ; c'est une préparation qu'on donne aux aiguilles pour leur faire acquérir la dureté nécessaire. Pour cet effet on les fait rougir au feu sur un fer plat & recourbé par un bout ; & après les avoir retirées, on les jette dans un bassin d'eau froide. Il faut observer de ne les point trop faire chauffer, ce qui les brûleroit. D'ailleurs, si on les chauffe trop peu, elles ne sont pas assez fermes. Après qu'elles sont revenues ou recuites, le degré mitoyen de chaleur ne peut s'acquérir que par la pratique. Les fig. Pl. de l'Aiguillier, représentent un de ces ouvriers qui jette dans un seau plein d'eau froide les aiguilles qu'il a fait rougir sur une plaque de fer, qu'il tient avec des pinces pour ne pas se brûler.

TREMPER le papier, fonction dans l'Imprimerie, de l'ouvrier de la presse : on passe légerement dans l'eau, une main entiere de papier, dont l'on pose le tiers, ou la moitié au sortir de l'eau, & dans toute son étendue, sur un ais ; on reprend de cette même main de papier, les deux tiers restans ou l'autre moitié, que l'on passe de même dans l'eau, & que l'on remet sur la premiere moitié ; on continue ainsi à passer tout le papier main à main, & deux ou trois fois chaque main, suivant que l'on juge convenable, eu égard à la qualité du papier & au caractere de la forme ; après quoi pour l'imbiber également & lui faire prendre son eau, on le couvre d'un second ais, que l'on charge d'une pierre très-pesante ; on le laisse dans cet état, un jour ou deux, ayant soin néanmoins de le remanier une fois ou deux avant que de l'employer. Voyez REMANIER le papier, AIS.

TREMPER A LA COLLE, (Relieur) c'est mettre de la colle sur le dos des livres quand ils sont endossés & prêts à couvrir ; on trempe les paquets, puis quand ils sont secs on colle les parchemins, & quand cette façon est seche on trempe de nouveau à la colle. Voyez COUVRIR.

Tremper les couvertures à la colle, c'est mettre de la colle sur le dedans des couvertures des livres après qu'elles ont été parées. Quand on y a mis de la colle on les plie en deux, & on laisse ainsi imbiber la colle dans la couverture un peu de tems. Voyez PARER, COUVERTURES, COUVRIR.


TREMPLINS. m. terme de Danseur de corde, espece d'ais fort large, qui a un pié à un bout, & qui n'en a point à l'autre ; on s'en sert à faire des sauts périlleux ; il vient de l'italien trempellino, tréteau.


TREMPOIRES. f. terme de Teinturier, c'est la premiere des trois cuves qui servent dans la préparation de l'indigo. Elle s'appelle trempoire, parce qu'on y met tremper la plante pour s'y macérer, & fermenter. (D.J.)


TREMUES. f. (Marine) petit couvert ou défense de planches élevées, pratiqué aux écoutilles des buches & des flibots qui vont à la pêche du hareng, pour empêcher que l'eau, que les coups de mer envoient, n'entre dans le bâtiment par les écoutilles.

TREMUE, (Marine) c'est un passage fait avec des planches dans quelques vaisseaux, depuis les écubiers, jusqu'au plus haut pont, & qui sert à faire passer les cables, qui sont ralingués aux ancres.


TRENIERE ROSE(Botan.) la rose tréniere est autrement nommée la rose d'outre-mer ; c'est une espece de mauve fort usitée en Médecine ; elle est appellée par les Botanistes, malva hortensis, malva arborea, malva rosea, folio subrotundo.

Sa racine est longue, blanche, contenant un mucilage de même saveur que la mauve sauvage. Sa tige s'éleve à la hauteur d'un arbrisseau ; elle est épaisse, solide, velue, garnie de quelques branches ; ses feuilles naissent alternativement, portées sur des queues médiocrement longues ; celles qui sortent des premieres, sont arrondies, & les autres anguleuses, ayant cinq ou six découpures. Elles sont crénelées à leurs bords, d'un verd foncé en-dessus, blanchâtres en-dessous, velues des deux côtés ; cependant leur duvet est si court en-dessus, qu'on a bien de la peine à l'appercevoir.

Ses fleurs sortent des aisselles des feuilles, tantôt seules à seules, tantôt deux à deux, ou trois à trois, portées sur des pédicules courts. Elles deviennent successivement plus nombreuses, sont de la grosseur d'une rose ordinaire, mais sans odeur, d'une seule piece en cloche, évasées, & presque divisées en cinq parties jusqu'au fond, de couleur rouge purpurine, blanche ou jaune.

Ces fleurs sont tantôt simples, ayant leur centre occupé par un cône garni de sommets jaunâtres & purpurins ; tantôt elles sont doubles, portées sur un double calice, couvert d'un duvet blanchâtre ; elles laissent après elles un fruit applati comme une pastille, semblable à celui de la mauve, mais plus grand : on cultive avec raison cette plante dans les jardins. (D.J.)

TRENIERE ROSE, (Agriculture) les fleurs de cette plante sont ordinairement doubles, ne pouvant sans-doute être fécondées facilement par une autre farine que la leur. Elles ne pechent ni par défaut de beauté, ni par défaut de taille ; leurs tiges à fleurs, ont rarement moins de six piés, & sont chargées communément de leurs fleurs, semblables à des roses, à plus de moitié de cette hauteur. Leur graine se seme au mois de Mars dans une terre naturelle, & quoiqu'elle n'y reste pas bien long-tems sans lever, néanmoins les plantes ne fleurissent que l'année suivante. On doit les transplanter dans le mois de Septembre ou de Mars, & elles fleuriront en Juillet, ou Août. Elles se plaisent dans une bonne terre, & il faut les arroser fréquemment en été, pour les rendre plus fortes. Elles se conservent plusieurs années, & peuvent, tant à cause de leur durée, que pour leur grandeur, être placées parmi les arbrisseaux à fleurs dans les bosquets, ou rangées en ligne dans les avenues d'arbres, où les bestiaux ne puissent pas les venir détruire ; quelquefois il convient de les mettre dans les cantons les plus écartés & les plus couverts des grands jardins, où leurs fleurs rouges, blanches, pourpres, noires, font un très-beau coup d'oeil. Elles meurent tous les hivers, jusqu'a ras-de terre, & repoussent le printems suivant. Il y en a quelques-unes qui se multiplient en divisant leurs racines au mois de Mars ou de Septembre. (D.J.)


TRENTLA, ou LA TRENTE, (Géog. mod.) riviere d'Angleterre ; elle a sa source en Staffordshire, passe par les provinces de Derby, Nottingham, & Lincoln, où elle se décharge dans l'Humber. Elle arrose en passant Nottingham, Newark, & Ganesborough ; c'est cette riviere qui divise l'Angleterre en deux parties, l'une septentrionale, & l'autre méridionale. (D.J.)


TRENTAINS. m. (Hist. ecclés.) terme usité dans l'église romaine pour signifier trente messes de requiem, qu'on fait célébrer pour le repos de l'ame d'une personne défunte. Ainsi l'on dit que tel prêtre ou telle sacristie est chargé d'acquiter un trentain pour N.

M. Chambers observe que ce terme étoit encore en usage en Angleterre au commencement du regne d'Edouard VI. & cite un testament fait la premiere année du regne de ce prince, qui porte : Je veux & ordonne que mes exécuteurs testamentaires fassent célébrer un trentain pour le salut de mon ame.


TRENTAINSS. m. pl. (Draperie) on nomme ainsi les draps de laine dont la chaîne est composée de trente fois cent fils, qui font en tout trois mille fils. (D.J.)


TRENTANEL(Mat. méd.) voyez GAROU.


TRENTEadj. numér. (Arithmétique) nombre qui renferme en soi trois fois dix, ou dix fois trois ; en chiffre arabe il s'exprime en posant un 3 devant un zéro, comme il se voit par ces figures 30 ; en chiffre romain il se marque de cette maniere XXX ; & en chiffre françois de finance, ou de compte, de la sorte xxx. Savary. (D.J.)

TRENTE-ET-UN, (Jeu) la belle est le flux ; ce jeu est fort divertissant ; on peut y jouer plusieurs personnes ; le jeu de cartes doit être de cinquante-deux. Il faut encore avoir trois corbillons que l'on met de rang sur la table ; l'on met dans l'un pour la belle, dans le second pour le flux, & dans l'autre pour le trente-un. Voyez ces termes à leur article. On peut fixer la partie à tant de coups, trente, quarante, plus ou moins ; après quoi l'on voit à qui fera ; il n'y a point d'avantage à faire, puisque lorsque la belle, ou le flux, ou le trente-un, sont égaux entre deux joueurs, il reste pour le coup suivant qui est double. Celui qui doit mêler donne à couper à la gauche, & donne à chacun deux cartes d'abord, & ensuite une troisieme à chacun qu'il retourne ; c'est la plus haute de ces dernieres qui est la plus belle ; quoique l'as vaille onze au trente-un ; il est au-dessous du roi, de la dame, & du valet pour la belle. Après avoir tiré la belle, chacun regarde dans son jeu s'il a le flux ; & si personne ne l'a on le remet au coup suivant. Enfin, après avoir tiré la belle & le flux, on en vient au trente-un, & chacun examinant son jeu le compte en lui-même ; & s'il approche de trente, & que selon la disposition des cartes il craigne de passer trente-un, il s'y tient, sinon il en demande, & celui qui a mêlé en donne du dessus à chacun qui lui en demande, selon son rang, en commençant par sa droite. On ne donne qu'une carte à chacun des joueurs qui en demandent, & on ne recommence à en donner que lorsque le tour est fait ; celui qui mêle peut en prendre à son tour lorsqu'il trouve bon pour son jeu d'aller à fond. Voyez ALLER A FOND.

Les joueurs qui ont été à fond, ou qui sans y avoir été ont plus de trente-un, ne peuvent gagner ; mais celui qui a trente-un, ou si personne n'a ce point justement, c'est celui qui en approche de plus près qui gagne. Ce qui fait qu'on s'y tient lorsqu'on a vingt-huit, vingt-neuf, ou trente, on s'y tient plutôt que de risquer à prendre une carte qui fera passer le trente-un. Lorsqu'il y a plusieurs trente-un, c'est celui qui l'a plus tôt eu qui gagne ; c'est pourquoi celui qui a trente-un le premier doit avertir qu'il l'a ; & si deux ou plusieurs l'avoient dans le même tour, personne ne gagneroit, & on renvoyeroit le coup au jeu suivant ; on feroit de même d'un point plus bas s'il étoit égal, & le gagnant ; telle est la maniere de jouer ce jeu, qui n'a rien que de fort aisé.

TRENTE-MAILLE, s. m. (Pêche) sorte de filet tramaillé ; le ret de trente-mailles ou ret à poisson plat, est une espece de trameau ou de picot dérivant ; les pêcheurs s'en servent de même que des brions ; mais quand le tems leur permet de descendre à la mer & de passer la barre de Bayonne, ils tendent alors leur ret en demi-cercle, & après qu'il est tendu de la même maniere que les picots sédentaires, ils battent l'eau pour faire donner le poisson dans le filet. Cette pêche tient ainsi des rets verquans aux aloses dans la riviere & des picots sédentaires à la mer ; on s'en sert en tout tems ; mais la meilleure saison pour faire la pêche du poisson plat à cette côte, est durant le mois de Septembre ; le ret a une brasse de haut sur soixante de long ; la maille du hameau ou de l'émail est de deux sortes ; la plus large a six pouces deux lignes ; la charte, nappe, ou flue, n'a que quinze lignes en quarré.

TRENTE, (Géog. mod.) ville d'Italie, capitale du Trentin, dans la Marche trévisane ; elle est située sur la riviere d'Etsch ou Adige, qu'on y passe sur un pont, dans une plaine environnée de montagnes, qui sont presque toute l'année couvertes de neige, à 4 milles du lac de Garde, à 6 de Bolzano, à 8 de Vérone, & à 24 d'Inspruck.

La ville est séparée en deux quartiers, dont le plus grand est habité par les Italiens, & l'autre par les Allemands. Il y regne de grandes chaleurs en été, & pendant l'hiver un froid violent. La riviere & des torrens qui tombent des montagnes désolent souvent cette ville par des débordemens. On y compte huit églises, dont trois paroissiales. Le chapitre de la cathédrale est composé de nobles & de lettrés qui ont droit d'élire leur évêque. Long. 28. 36. lat. 46.

La ville de Trente est fort ancienne. Strabon, Pline & Ptolémée en font mention. Elle dérive son nom de trois ruisseaux qui des montagnes voisines entrent dans la ville, & sa fondation est attribuée aux anciens Toscans. Après ceux-ci les Cénomans la doivent avoir réparée & élargie. Elle a obéi successivement aux Goths, aux Lombards & aux empereurs romains. Ensuite elle a fait partie du domaine des ducs de Baviere. Aujourd'hui l'évêque de Trente en est le seigneur pour le temporel & le spirituel. Il est prince de l'empire, & possede toute la comté de Trente avec plusieurs bourgs & seigneuries, en vertu de la donation qui lui en fut faite l'an 1027, par l'empereur Conrad II. & confirmée par les empereurs Frédéric I. & II. Il reconnoît pourtant pour son protecteur le comte de Tirol, qui pendant la vacance du siege envoie à Trente un gouverneur qui commande jusqu'à ce que l'évêque soit élu.

Trente n'a guere qu'un mille d'Italie de circuit, & n'a rien dans son enceinte qui mérite d'être vu. Elle n'est fameuse que par le concile qui s'y est tenu dans le seizieme siecle. Il commença l'an 1545, & ne finit que l'an 1563. Fra-Paolo, Vargas, Ranchin & MM. Dupuy en ont dévoilé l'histoire. L'église où ce concile a tenu ses assemblées, s'appelle Sainte Marie-Majeure ; elle est petite, & bâtie d'un vilain marbre qui n'est que dégrossi. On y voit dans un grand tableau le concile représenté ; mais ce tableau n'est pas le pendant de la Messe Jules de Raphaël. Aucun des grands acteurs du concile n'y est caractérisé, pas même le cardinal de Lorraine, qui y joua le plus grand rôle, & qui s'y rendit avec un train magnifique composé d'une quarantaine d'évêques, & d'un grand nombre de docteurs. Le pape en conçut de l'ombrage, & saisi de crainte, pria Philippe de le soutenir ; mais la fortune le servit encore mieux, la mort du duc de Guise rabaissa le courage du cardinal. Il trouva convenable pour les intérêts de sa maison, de s'humaniser avec sa sainteté ; & relâchant de ses grands desseins, il ne soutint dans le concile ni les trente-quatre articles de réformation qu'il s'étoit proposé d'appuyer, ni les droits de la couronne, ni les libertés de l'église gallicane.

Aconce (Jacques), philosophe & théologien, naquit à Trente au xvj. siecle. Il embrassa la réformation, vint à Londres, & reçut mille marques de bonté de la reine Elisabeth, comme il le témoigne à la tête du livre qu'il lui dédia. C'est le fameux recueil des stratagemes du Diable, qui a été si souvent traduit & si souvent imprimé. L'auteur mourut peu de tems après la publication de cet ouvrage, dont la premiere édition est de Bâle en 1565.

Il n'adoptoit point les principes de Calvin, ce qui fit qu'on l'accusa de tolérantisme comme d'un crime ; mais il répondit aux Protestans, comme Jesus-Christ à ses disciples : Vous ne savez de quel esprit vous êtes. C'étoit alors une gloire rare qu'une ame éprise de la tolérance ; le contraire seroit de nos jours une chose odieuse.

Aconce n'étoit pas seulement théologien, mais un esprit exact, plein de discernement & de pénétration, qui prévoyoit déja qu'on alloit passer dans un siecle plus éclairé que le sien, & sa conjecture étoit bien fondée. Il est vrai que le seizieme siecle a produit un plus grand nombre de savans hommes que le dix-septieme ; cependant il s'en faut beaucoup que le premier de ces deux siecles ait eu autant de lumieres que l'autre. Pendant que le regne de la critique & de la philosophie a duré, on a vu par toute l'Europe plusieurs prodiges d'érudition. L'étude de la nouvelle philosophie, & celle des langues vivantes ayant introduit un autre goût, on a cessé de voir cette vaste & cette profonde littérature ; mais en récompense il s'est répandu dans la république des lettres un certain esprit plus fin, & accompagné d'un discernement plus exquis. Les gens sont aujourd'hui moins savans & plus habiles.

Le jésuite Martini (Martin) étoit aussi natif de Trente. Il fut envoyé par ses supérieurs à la Chine ; ses ouvrages sur ce royaume contiennent une description géographique de la Chine en latin. Ils ont été imprimés à Amsterdam en 1659, in-fol. avec quantité de cartes. (D.J.)

TRENTE, concile de, (Hist. ecclés.) la clôture de ce fameux concile qui avoit commencé en 1545, se fit en 1563. Du Ferrier, ambassadeur fit ses protestations contre ce qui s'étoit passé à ce concile. Nous voyons dans une lettre datée de Fontainebleau du 3 Mars, de Jean Morvilliers à son neveu l'évêque de Rennes, ambassadeur auprès de l'empereur : " Que sitôt que le cardinal de Lorraine fut de retour du concile, on envoya quérir les présidens de la cour & gens du roi pour voir les decrets du concile, ce qu'ils ont fait ; & la matiere mise en délibération, le procureur général proposa au conseil que quant à la doctrine ils n'y vouloient toucher, & tenoient toutes choses quant à ce point pour saines & bonnes, puisqu'elles étoient déterminées en concile général & légitime ; quant aux decrets de la police & réformation, y avoient trouvé plusieurs choses dérogeantes aux droits & prérogatives du roi & privileges de l'église gallicane, qui empêchoient qu'elles ne fussent reçues ni exécutées ". On fit écrire Dumoulin contre le concile de Trente.

Le comte de Luna, ambassadeur d'Espagne, voulant disputer au concile de Trente la préséance aux ambassadeurs du roi, ceux-ci conserverent leur place, & l'ambassadeur d'Espagne se vit réduit à se déplacer, & à se mettre entre le dernier cardinal prêtre & le premier cardinal diacre, pour ne pas être assis au-dessous de l'ambassadeur de France. Hénaut. (D.J.)

TRENTE-SIX MOIS, s. m. (Com.) nom que l'on donne quelquefois à ceux qui s'engagent pour aller servir aux Indes occidentales, & particulierement aux îles Antilles ; on les appelle ainsi parce que leur engagement se fait le plus ordinairement pour trois ans de douze mois chacun. On les nomme autrement engagés. On en peut distinguer de deux sortes parmi les François, les uns qui servent les habitans des îles, & les autres qui s'engagent avec les boucaniers. Ceux-ci menent une vie errante & laborieuse comme leurs maîtres ; à la fin de leur tems on leur donne pour récompense un fusil, deux livres de poudre, deux chemises, deux caleçons & un bonnet ; après quoi ils deviennent associés de leurs maîtres dans la chasse des boeufs & le commerce des cuirs. Les autres travaillent avec les negres, & sont traités comme eux ; mal vêtus, mal nourris, souvent chargés de coups : leur récompense est quelques milliers de sucre ou de tabac, qu'ils achetent bien chérement par les fatigues continuelles & les mauvais traitemens qu'ils essuient. Voyez ENGAGES. Dictionnaire de Commerce.


TRENTIEMEadj. (Arithmétique) lorsqu'il s'agit de fractions, ou nombres rompus de quelque tout ou entier qu'il puisse être, un trentieme s'écrit ainsi, 1/30 ; on dit aussi deux trentiemes, trois trentiemes, quatre trentiemes, & un trente-unieme, un trente-deuxieme, un trente-troisieme, &c. & toutes ces différentes fractions se marquent de cette maniere, 2/30, 3/30, 4/30, & 1/31, 1/32, 1/33, &c. (D.J.)


TRENTINLE, (Géog. mod.) pays d'Italie. Il est borné au nord par le Tirol ; au midi par le Vicentin, le Véronese, le Bressan & le lac de Garde ; au levant par le Feltrin, & le Bellunese ; au couchant encore par le Bressan & le lac de Garde. Il est fertile en vin & en huile. Trente est la capitale. Les anciens habitans de ce pays sont les Tridentini de Pline, que les François nomment Trentains, les Italiens Trentini, & les Allemands Trienter. (D.J.)


TREOUS. m. (Marine) voile quarrée que les galeres, les tartanes & quelques autres bâtimens de bas-bord portent dans des gros tems.


TRÉPANS. m. terebra, terebella, ae, trepanum, ni ; instrument de chirurgie. C'est une espece de vilebrequin de fer & d'acier, propre pour percer & scier en rond les os, principalement ceux du crâne. Il est composé de deux pieces, l'une est le vilebrequin ou le trépan proprement dit, l'autre est l'arbre sur lequel on le monte, & qui le soutient.

Il y a trois sortes de trépan ; l'exfoliatif, voyez EXFOLIATIF, le perforatif & le couronné.

Le trépan perforatif est ainsi appellé parce qu'il n'a d'autre action que de percer. Il faut considérer à cet instrument son milieu & ses extrêmités. Le milieu du perforatif est une tige d'acier exactement polie, perpendiculaire, & de différente structure pour la beau té & la propreté de l'instrument. Voyez la figure 5. Pl. XVI.

La partie supérieure de cette tige est une plaque taillée à pans à sa circonférence, mais exactement plane du côté de la scie, & limée de maniere qu'elle ne soit pas polie, afin de l'appliquer plus intimement sur la partie inférieure de l'arbre du trépan. Les couteliers nomment cette petite plaque la mitte.

Du sommet de cette mitte s'éleve une tige ou scie, de la hauteur d'un pouce, qui porte deux lignes & demie en quarré. A une des surfaces de cette scie, & environ deux lignes & demie de la mitte, on pratique une hoche ou entaille située transversalement, & dont les deux bords sont distans d'une ligne & demie l'une de l'autre. Cette entaille peut avoir une ligne de profondeur dans sa partie supérieure, d'où elle vient obliquement trouver le bord inférieur.

La même surface dans laquelle l'entaille est pratiquée, ne se continue pas quarrément jusqu'à son sommet, mais elle forme un biseau en doucine, de trois lignes & demie de longueur, & dont nous dirons l'usage.

La partie inférieure, ou la lame du perforatif ressemble à une lame qui se termine par une pointe tranchante sur les côtés. La trempe de cet instrument doit être douce, afin qu'il ne s'égrene point.

L'usage le plus commun du perforatif est de faire d'abord un trou sur le crâne pour y placer la pyramide du trépan couronné. Voyez TREPANER. On s'en sert aussi pour faire plusieurs trous sur d'autres os ; pour percer, par exemple, des exostoses, afin de les enlever ensuite plus facilement par le moyen du ciseau & du maillet de plomb. Voyez EXOSTOSE.

Le trépan couronné a trois parties. La moyenne & la supérieure ne différent en rien des mêmes parties du perforatif, dont nous venons de parler. Le trépan couronné est ainsi appellé parce que sa partie inférieure représente une couronne. C'est une tige d'acier qui soutient une espece de boisseau de figure conique en-dehors & en-dedans, & qui est hérissé par le bas de dents tranchantes qui forment une scie circulaire. Chaque dent est à l'extrêmité d'un biseau : tous les biseaux sont tournés de droite à gauche pour couper dans le même sens. Ils ne tombent pas perpendiculairement de la partie supérieure de la couronne à l'inférieure, mais ils descendent obliquement & en spirale, non-seulement pour mieux couper, mais pour chasser par leur obliquité la sciure qui le sépare au fond de l'ouverture. La couronne est plus étroite par son extrêmité que par sa culasse, afin que la piece d'os qu'on scie puisse y monter facilement à mesure qu'elle avance, & qu'on ait la facilité de pancher le trépan de côté & d'autre pour scier également. Sa profondeur est d'environ dix lignes ; sa largeur varie ; car il y a de grandes, de moyennes & de petites couronnes. Le diametre de la plus grande est de neuf à dix lignes dans son fond, & de six à sept à son entrée, les autres diminuent à proportion. Fig. 6. Pl. XVI.

Dans le fond de la couronne, se monte de gauche à droite une pyramide, fig. 7 & 8. faite comme un poinçon, ovale ou quarrée, terminée par son extrêmité inférieure en façon de langue de serpent, tranchante sur les côtes, pointue comme le perforatif, & un peu plus longue que la couronne. Son extrêmité supérieure est une vis de trois lignes de hauteur. Cette pyramide se monte & se démonte par le moyen d'une clé d'acier, fig. 9. qui est un tuyau ovale ou quarré, long au-moins de deux pouces & demi, pour recevoir & embrasser juste la pyramide, & terminé par un anneau ou un treffle qui sert de manche. On fait entrer la pyramide dans la cavité de cette clé ; on tourne de gauche à droite pour la monter, & de droite à gauche pour l'ôter.

L'usage du trépan couronné est de faire une ouverture au crâne, pour donner issue au sang ou au pus épanché sur la dure-mere, ou sur le cerveau ; pour ouvrir des abscès dans le canal des os longs ; pour trépaner le sternum dans le cas d'abscès ou d'épanchement quelconque entre les deux lames du médiastin ; pour retirer des corps étrangers engagés dans les os ; pour enlever des esquilles, ou pieces d'os enfoncées. Voyez TREPANER.

L'arbre qui sert à porter les différentes pieces dont nous venons de détailler la construction, a beaucoup de ressemblance au vilebrequin dont les serruriers se servent. Voyez fig. 11. Pl. XVI.

Pour le bien examiner, nous le considérerons sous trois parties ; deux sont perpendiculaires l'une à l'autre, & la troisieme est une branche coudée qui représente un demi-cercle fort allongé & irrégulierement arrondi, mais très-symmétriquement construit.

La partie ou l'extrêmité supérieure de l'arbre du trépan est comme la base de toute la machine. C'est une piece d'acier très-polie, qui a environ un pouce deux lignes de longueur sur quatre à cinq lignes de diamêtre ; elle est taillée à huit pans. La partie supérieure de cette piece octogone, est une mitte sur laquelle le manche est appuyé. Du milieu de la mitte s'éleve une scie, ou petite tige d'acier fort ronde & polie, d'un pouce & demi de hauteur sur près de deux lignes d'épaisseur ; cette scie est cachée & contenue dans le manche, par la méchanique que nous allons expliquer.

Le manche de l'arbre du trépan doit être construit de deux pieces, qui sont ordinairement d'ébene ou d'ivoire ; la partie inférieure de ce manche est plus longue que large ; elle ressemble assez à une petite pomme de canne bien tournée ; il y a une vis à son sommet, & elle est percée dans toute son étendue. Ce canal contient & renferme une petite cannule de cuivre, qui entre avec beaucoup de justesse, & qui est très-polie en-dedans, afin de permettre à la scie qu'elle entoure, d'y tourner & d'y faire ses mouvemens ; c'est pourquoi cette scie est comme rivée sur la cannule par un petit écrou qui s'engage sur la vis qui est à son sommet, ce qui est beaucoup plus commode que la rivure que les couteliers ont coutume d'y mettre. Voilà quelle est la méchanique qui cache & contient la scie de l'arbre du trépan ; ce que l'on appelle la noix. Cette partie supérieure de l'arbre est couronnée par une pomme d'ébene ou d'ivoire, applatie, convexe en-dehors, & cave en-dessous ; elle se joint avec l'autre partie du manche par un écrou, gravé dans la partie cave de la pomme, & qui se monte sur la vis qui est à la partie supérieure de l'autre piece de manche.

La partie inférieure de l'arbre du trépan est perpendiculaire à celle dont on vient de parler : on la nomme la boîte, parce qu'elle sert à emboîter la scie des couronnes & des autres trépans. Pour que cette partie soit bien construite elle ne doit point être ronde & tournée en écrou, comme on le voit dans plusieurs auteurs, parce qu'alors les scies des couronnes sont en vis ; structure qui a beaucoup d'inconvéniens : un des principaux est que cette vis se monte à contre sens du jeu de la couronne ; lorsqu'on trépane, elle se serre quelquefois à un tel point, qu'il faut un étau pour la démonter. D'ailleurs il est plus long & plus embarrassant de monter une vis dans un écrou, que de faire entrer une scie quarrée dans une boîte de même figure. La boîte est à pans, elle a environ un pouce & demi de longueur. La surface de la boîte qui est diamétralement opposée à celle qui touche à la manivelle ou branche courbe qui joint la partie supérieure & l'inférieure, est fendue de la longueur de dix lignes par une ouverture qui pénetre jusque dans la cavité de la boîte, & qui sert à y placer un petit ressort à bascule, dont l'extrêmité inférieure faisant éminence en-dedans de la boîte, est taillée en talus, & très-polie afin de glisser facilement sur la surface ou biseau de la scie des trépans, pour s'engager dans leur hoche ou entailleure. V. fig. 12. la coupe de cette boîte.

La troisieme piece de l'arbre est la branche ou manivelle. C'est un arc irrégulierement arrondi, dont les extrêmités tiennent aux parties supérieure & inférieure de l'instrument. Cet arc est plus ou moins orné suivant le goût & l'adresse de l'ouvrier. Il doit y avoir dans son milieu une petite boule tournante d'acier, ovale, ayant environ un pouce de diamêtre sur quinze lignes de longueur. Cette petite boule doit être garnie de petits sillons, moins pour l'ornement, qu'afin de présenter des surfaces inégales aux doigts, & d'être tenue avec plus de fermeté. Cette boule doit tourner autour d'un aissieu, ce qui facilite beaucoup l'action de la machine, & en rend le mouvement bien plus doux.

Nous expliquerons la maniere de se servir de tous ces instrumens en parlant de l'opération à laquelle ils conviennent. Voyez TREPANER. (Y)


TRÉPANERterme de Chirurgie, pratiquer l'opération du trépan ; c'est faire une ouverture au crâne pour relever des pieces d'os qui piquent ou qui compriment la dure-mere ou le cerveau, ou pour donner issue aux matieres épanchées sous le crâne, ou pour enlever des pieces d'os cariés.

Cette opération se pratique ordinairement à la suite des plaies ou des coups à la tête. Il faut voir ce que nous avons dit à l'article des plaies de tête, au mot PLAIE. Nous parlerons simplement ici de la maniere de faire l'opération : nous traiterons ensuite des cas douteux pour l'opération du trépan ; & nous exposerons les raisons qui peuvent en pareils cas déterminer à pratiquer ou à éviter cette opération.

Lorsque l'opération du trépan est indiquée, & qu'on a découvert le lieu où il la faut faire, par les incisions convenables, de la façon dont nous l'avons dit à l'article des plaies de tête ; il faut mettre le malade dans une situation commode ; sa tête doit être stable, & pour ainsi dire inébranlable pendant l'opération ; & l'endroit du crâne que l'on doit ouvrir, doit, autant que cela est possible, être le lieu le plus élevé, afin que la couronne y pose perpendiculairement. Pour satisfaire à toutes ces vues, on éloigne le lit du mur, pour que les aides puissent se placer commodément & contenir fermement la tête du malade, sous l'oreiller duquel on place un plat d'étain ou une planche.

Les instrumens seront rangés sur un plat, & l'appareil qu'on doit appliquer après l'opération, doit être rangé sur un autre, de façon que les pieces se présentent dans l'ordre qu'elles doivent être employées.

Tout étant ainsi bien disposé, le chirurgien prend la couronne montée de sa pyramide, voyez TREPAN COURONNE ; & il la pose perpendiculairement sur l'endroit du crâne qu'il veut percer. Les dents de la couronne doivent anticiper un peu sur la fracture, pourvu que les pieces d'os soient solides ; il tourne ensuite deux ou trois fois, en appuyant suffisamment, la pyramide sur le crâne pour y faire une impression qui serve de guide au perforatif. Voyez TREPAN PERFORATIF.

Le chirurgien prend alors l'arbre du trépan monté du perforatif : on tient ces deux instrumens joints ensemble, comme une plume à écrire ; on pose ensuite la pointe du perforatif dans la marque que la pyramide de la couronne a gravée sur le crâne ; on fait avec le pouce & le doigt indicateur de la main gauche un cerceau qu'on pose horisontalement sur la pomme de l'arbre du trépan ; on met le menton dans ce cerceau ; on prend avec les trois premiers doigts de la main droite le milieu de l'arbre pour tourner de droite à gauche & faire un trou au crâne, capable de loger la pyramide de la couronne. Voyez cette attitude, fig. 1. Pl. XVII.

Avant de relever le perforatif, il faut avoir l'attention de donner un demi-tour de gauche à droite sans appuyer avec le menton ; & de porter les doigts qui étoient appuyés sur la paumette de l'arbre, auprès du crâne, pour prendre l'instrument & l'ôter perpendiculairement du trou où il est engagé.

L'aide qui est chargé des instrumens, démonte le perforatif ; & met à sa place une couronne, pendant que l'opérateur ôte avec un petit linge ou une fausse tente, la sciûre que le perforatif a produite. Le chirurgien reçoit l'arbre sur lequel on a monté la couronne ; il porte la pyramide dans le trou fait par le perforatif ; il se met dans la même situation où il étoit en se servant de ce premier instrument ; & tournant de droite à gauche, il scie l'os circulairement. Si la couronne ne pose pas perpendiculairement, la circonférence de l'os n'est pas coupée également de tous les côtés : le chirurgien doit s'en appercevoir, parce qu'il s'éleve plus de sciûre d'un côté que de l'autre ; dans ce cas, il panche son instrument du côté où il y en a le moins, & il passe un peu plus légerement sur le côté opposé.

Quand le chemin de la couronne est bien frayé, on ôte le trépan, en donnant le demi-tour, & en portant la main droite à la base de la couronne, comme nous l'avons dit en parlant du perforatif. Pendant qu'un aide démonte la pyramide & nettoie les dents de la couronne avec une petite brosse de crin, le chirurgien opérateur porte un petit stilet plat & mousse dans l'impression faite par la couronne, & il ôte la sciûre avec une fausse tente : il reprend ensuite la couronne ; il continue de scier jusqu'à ce que la piece d'os soit vacillante, & qu'elle puisse être enlevée avec la feuille de myrthe. On a la précaution de relever plusieurs fois la couronne pour la nettoyer, & on examine à chaque fois si l'on scie l'os également : mais il faut avoir beaucoup d'égards à l'épaisseur des os ; & quand on a passé le diploé, on doit aller avec prudence pour ne pas enfoncer l'os sur la dure mere. On s'apperçoit qu'on a scié le diploé, à la résistance qui augmente & à la sciûre blanche que la table interne fournit après celle du diploé qui est rouge.

Toutes les fois que l'on sent de la difficulté & de la résistance à la couronne en tournant l'arbre du trépan, c'est une marque que les petites dents de la couronne s'enfoncent trop ; pour lors on donne un demi-tour de gauche à droite ; & on recommence de nouveau, mais un peu plus légerement.

Quand la piece d'os est enlevée, il faut emporter les inégalités de la circonférence interne du trou, par lesquelles la dure-mere pourroit être blessée dans ses battemens : on se sert à cet effet du couteau lenticulaire. Voyez COUTEAU LENTICULAIRE.

Quand il y a du sang épanché sur la dure-mere, on recommande, pour en procurer la sortie, de faire faire une grande inspiration au malade, & de lui pincer le nez. Cette méthode n'est pas toujours praticable ; un malade, dans un assoupissement léthargique, n'est pas dans le cas de se prêter à ce qu'on se propose ; d'ailleurs les trépans doivent, autant que faire se peut, être pratiqués aux parties déclives, desorte que les fluides épanchés sortent facilement ; & lorsque cela n'est pas possible, l'expérience a fait voir qu'on étoit obligé d'avoir recours aux injections & aux contre-ouvertures. Voyez CONTRE-OUVERTURE & INJECTION.

Lorsque le trépan a été appliqué à l'occasion des pieces d'os qui comprimoient la dure-mere ou qui perçoient les membranes & pénétroient dans le cerveau, il faut relever ces parties avec l'élévatoire. Voyez ÉLEVATOIRE.

Le pansement de l'opération consiste dans l'application d'une petite piece de linge de la grandeur du trou. (Voyez SINDON) ; de la charpie, des compresses & un bandage convenable. Voyez COUVRE-CHEF.

La matiere dont nous traitons, pourroit donner lieu à des dissertations aussi étendues qu'importantes : on peut consulter à ce sujet les différens traités de Chirurgie, & particulierement le premier volume de l'académie royale de Chirurgie, où l'on trouve plusieurs mémoires, dans lesquels M. Quesnay détermine par des observations très-intéressantes les cas où il faut multiplier les trépans ; les remedes qui conviennent le mieux pour la cure des plaies du cerveau ; les moyens dont on se sert pour hâter l'exfoliation des os du crâne ou pour l'éviter, &c. Nous allons rapporter, d'après le mémoire du trépan dans les cas douteux, les raisons qui peuvent en pareils cas déterminer à recourir au trépan, ou à éviter cette opération.

De tous les signes qui peuvent déterminer à trépaner, il n'y en a point de plus décisifs que les fractures & les enfoncemens du crâne. Cependant il y a des exemples de blessés qui ont guéri dans quelques-uns de ces cas, sans avoir été trépanés. Mais ces observations ne doivent point en imposer ; on doit se défier de toute observation où l'on ne rapporte que le succès, sans parler des indications qui peuvent y conduire : ces observations nous instruisent peu par la pratique, sur-tout quand elles sont contredites par d'autres qui l'emportent infiniment sur elles. Les observateurs éclairés ont remarqué qu'on ne pouvoit se dispenser de l'opération du trépan dans le cas de fracture, que lorsque les pieces des os fracturés étoient assez écartées l'une de l'autre, pour permettre la sortie du sang qui auroit pu s'épancher sur la dure-mere. Il y a des cas où l'écartement d'une suture voisine de la fracture, a dispensé de l'opération du trépan ; mais ces cas méritent une attention singuliere ; car l'épanchement peut se faire des deux côtés de la suture ; & alors l'évacuation ne peut ordinairement se faire que d'un côté, à cause que la dure-mere peut encore rester adhérente vers le bord d'un des os écartés, & retenir le sang qui seroit épanché sous la portion de l'os à laquelle la dure-mere seroit restée attachée. Il faudra donc appliquer le trépan de ce côté malgré l'écartement de la suture. Toute cette doctrine est appuyée sur des observations dont on sent toute la conséquence, & dont il résulte qu'on peut dans certains cas, s'écarter des regles les plus invariables de l'art, mais qu'on ne doit le faire qu'avec beaucoup de connoissance & de circonspection.

Il est un autre cas bien plus embarrassant, même pour les plus grands maîtres ; ce sont les coups à la tête sans lésion apparente aux os, souvent même sans plaie ni contusion aux chairs ni à la peau, lesquels sont suivis d'épanchement sous le crâne, & qui d'autres fois n'en causent point, quoiqu'ils soient accompagnés de circonstances ou d'accidens qui donnent lieu d'en soupçonner. Les accidens qui arrivent dans les blessures de la tête où il n'y a point de fractures, déterminent, lorsqu'ils sont graves, plusieurs praticiens à trépaner. D'autres se contentent de combattre ces accidens par les saignées & les autres remedes qui peuvent servir à les dissiper. Les uns & les autres réussissent souvent ; mais ils se trompent souvent aussi. M. Quesnay, par l'usage qu'il a sçu faire des différentes observations communiquées à l'académie, découvre, dans les succès même, les circonstances ou les particularités qui peuvent aider à distinguer les cas où l'on peut se déterminer le plus surement qu'il est possible sur le parti qu'on doit prendre. La distinction des accidens en primitifs & en consécutifs, fait le principal fondement des dogmes que l'on pose sur cette matiere. Voyez COMMOTION. Les accidens consécutifs prescrivent l'opération du trépan ; & ceux qui arrivent beaucoup de tems après le coup, sont les plus pressans pour l'opération. Il faut surtout faire attention que les accidens consécutifs ne dépendent pas de l'inflammation du péricrâne, comme nous l'avons dit en parlant des plaies de tête.

Il y a un troisieme cas où l'application du trépan est douteuse. Il arrive quelquefois qu'après des coups à la tête, il reste à l'endroit de la blessure, quoiqu'elle soit guérie, une douleur fixe, qui au-lieu de diminuer avec le tems, augmente de-plus-en-plus malgré tous les topiques auxquels on peut avoir recours ; ce qui a plusieurs fois obligé d'y faire des incisions pour découvrir l'os. Les uns ont pris le parti de le ruginer ; les autres d'en attendre l'exfoliation ; d'autres enfin ont jugé d'en venir à l'opération du trépan.

M. Quesnay rapporte des observations où l'on voit que ces moyens ont diversement réussi, selon les différens cas. Quoiqu'on soit arrivé à la même fin par différens procédés, on ne doit pas y avoir recours indifféremment : ces observations laissent entrevoir que l'opération du trépan ne doit avoir lieu, que quand on soupçonne que l'os est altéré presque dans toute son épaisseur, ou lorsque quelques accidens font croire que la cause du mal est sous le crâne, comme seroit une carie à la face interne des os dont il y a des exemples ; ou enfin, lorsqu'ayant jugé à propos d'attendre l'exfoliation, elle n'a pas fait cesser les accidens. Mais quand la douleur paroît extérieure, qu'elle augmente lorsqu'on presse sur l'endroit où elle se fait sentir, on doit tout espérer de l'exfoliation, sur-tout si après avoir découvert l'os, on n'y apperçoit qu'une légere altération ou une carie superficielle. Il faut, pour s'en assurer, avoir recours à la rugine : son usage peut d'ailleurs avoir ici d'autres avantages, comme d'accélérer beaucoup l'exfoliation, de faire cesser la douleur avant que l'exfoliation soit arrivée ; mais ce dernier effet dépend surtout de bien découvrir toute la surface de l'os, qui est altérée, afin que cette altération ne communique plus à aucun endroit avec le péricrâne. (Y)

TREPAN, (Fortification) instrument dont les mineurs se servent pour donner de l'air à une galerie de mine, lorsque l'air n'y circule pas assez pour qu'on puisse y tenir une chandelle allumée. Ils ont pour cet effet une espece de foret avec lequel ils percent le ciel de la galerie, & à mesure que cet instrument avance dans les terres, ils l'allongent par le moyen de plusieurs entes, dont les extrêmités sont faites en vis & en écrou pour s'ajuster bout à bout. Par cette opération les mineurs disent avoir trépané la mine, ou donné un coup de trépan. (Q)

TREPAN, s. m. (Outil de Sculpteur & de Marbrier) outil qui sert à forer & percer les marbres & les pierres dures. On s'en sert aussi quelquefois pour le bois. Il est du nombre des principaux outils de l'art des sculpteurs, & du métier des marbriers.

Il y a trois sortes de trépans, l'un qui est le plus simple, c'est un vrai vilebrequin, mais avec une meche plus longue & plus acérée ; le second trépan se nomme trépan à archet ; il est semblable au foret à archet des serruriers, & a comme lui sa boîte, son archet & sa palette, il est seulement plus fort, & ses meches de plusieurs figures : enfin le troisieme trépan, sans rien ajouter pour le spécifier, est celui que l'on appelle simplement trépan. Il est le plus composé des trois, & le plus en usage en sculpture. Les parties de ce trépan sont la tige que l'on appelle aussi le fust, la traverse, la corde de cette traverse, un plomb, une virole & une meche. La tige est de bois, & a à l'une de ses extrêmités une virole qui sert à y attacher & y affermir la meche qu'on peut changer, suivant qu'on en a besoin, y en mettre de plus ou de moins fortes, de rondes, de quarrées, de pointues, &c. à l'autre extrêmité du fust, est un trou par où passe la corde que la traverse a attachée à ses deux bouts. Cette traverse est elle-même enfilée du fust par un trou qu'elle a au-milieu ; au-dessous de la traverse, & un peu au-dessus de la virole, est le plomb qui est de figure sphérique, & qui est joint, & posé horisontalement au pié du fust. C'est la corde en s'entortillant autour du fust, qui donne le mouvement au trépan plus promt, ou plus long, suivant qu'on leve ou qu'on abaisse la traverse où elle est attachée avec plus ou moins de vîtesse. (D.J.)


TRÉPASMORT, DÉCÈS, (Synonym.) trépas est poétique, & emporte dans son idée le passage d'une vie à l'autre. Mort est du style ordinaire, & signifie précisément la cessation de vivre. Décès est d'un style plus recherché, tenant un peu de l'usage du palais, & marque proprement le retranchement du nombre des mortels. Le second de ces mots se dit à l'égard de toutes sortes d'animaux ; & les deux autres ne se disent qu'à l'égard de l'homme. Un trépas glorieux est préférable à une vie honteuse. La mort est le terme commun de tout ce qui est animé sur la terre. Toute succession n'est ouverte qu'au moment du décès.

Le trépas ne présente rien de laid à l'imagination, il peut même faire envisager quelque chose de gracieux dans l'éternité. Le décès ne fait naître que l'idée d'une peine causée par la séparation des personnes auxquelles on étoit attaché ; mais la mort douloureuse de ces personnes présente quelque chose d'affreux. Girard. (D.J.)

TREPAS DE LOIRE, (Finances de France) bureau de France où l'on fait payer le droit de la traite-foraine, à l'embouchure de la Sare dans la Loire. Apparemment que ce mot trépas est dit par corruption de outrepasser, parce que ce droit se paie sur les marchandises qui passent outre la Loire, & qui vont en Bretagne, qui étoit autrefois province étrangere.

En 1339, Christomwal capitaine anglois, s'empara de l'abbaye de Saint-Maur-sur-Loire, où il se fortifia. Le connétable du Guesclin, après des tentatives inutiles pour l'en chasser, traita avec lui de la rançon de cette abbaye, à 16 mille francs d'or, dont il consentit avec le sieur Dubeuil une obligation au capitaine anglois. Pour la payer, on établit un péage de douze deniers par livre, de la valeur de toutes les marchandises montant, descendant & traversant la Loire depuis Candé jusqu'à Chantoceaux. Il devoit être éteint dès que la somme seroit remboursée ; mais cette promesse fut oubliée : la seule grace qu'on accorda, fut de réduire ce péage en 1654 à deux deniers obole.

En 1665, ce droit fut continué, sans aucune justice, par un arrêt du conseil, avec une nouvelle imposition sur l'Anjou ; le tout fut uni aux fermes générales, & depuis aliéné, comme il l'est encore aujourd'hui ; l'extension arbitraire que les engagistes ont donnée à ce droit, les procès & les formalités qui en résultent, ont prodigieusement affoibli le commerce de ces cantons. Les receveurs du trépas de Loire, par exemple, se sont avancés jusque dans la Bretagne, où le droit n'est point dû : enfin leurs tarifs sont falsifiés & contraires aux premiers principes du commerce. (D.J.)


TRÉPASSÉSS. m. pl. (Hist. eccl.) nom d'une fête, ou plutôt un jour de prieres solemnelles pour les ames du purgatoire. Amalarius Fortunatus dans son ouvrage des offices ecclésiastiques de Louis-le-Débonnaire, au commencement du ix. siecle, nous a laissé un office entier des morts, d'où quelques-uns ont voulu conclure que la mémoire annuelle des défunts, étoit établie dès ce tems-là ; mais cette preuve paroît foible. Il y a plus d'apparence que cet office ne se disoit encore alors que pour chaque particulier qui quittoit cette vie. C'est saint Odilon, abbé de Cluni, qui est le premier auteur de cette institution, laquelle a passé de son ordre dans toute l'Eglise. Ce saint abbé, au commencement du ix. siecle, ordonna à tous les religieux qui dépendoient de son abbaye, de faire tous les ans une commémoration solemnelle de tous les fideles défunts, le 2 Novembre, qui est le lendemain de la fête de tous les saints. Les souverains pontifes approuverent cette dévotion, & voulurent l'étendre dans toute l'Eglise : c'est delà qu'est venue la solemnité lugubre, que l'on appelle la fête des trépassés. Bollandus, vie de saint Odilon.


TRÉPIDATIONS. f. ou TITUBATION, en terme d'Astronomie, est une espece de balancement que les anciens astronomes attribuoient aux cieux de crystal qu'ils avoient imaginé pour expliquer le mouvement des planetes. Par cette titubation ils expliquoient quelques mouvemens observés dans l'axe du monde ; savoir celui qui produit la précession des équinoxes : cette précession, comme on le sait aujourd'hui, vient d'un mouvement conique de l'axe de la terre autour des poles de l'écliptique contre l'ordre des signes, & la cause physique en a été découverte dans ces derniers tems. Voyez PRECESSION. (O)

TREPIDATION, s. f. en Médecine, est un tremblement des nerfs & des membres du corps. Voyez TREMBLEMENT.

Le premier symptome de la rage dans les chiens, est une trépidation des membres, &c. Voyez HYDROPHOBIE.


TRÉPIÉ(Antiq. grecq. & rom.) c'êtoit un instrument à trois piés qui, dans le paganisme, entroit dans les actes de religion, & étoit lié avec elle.

Il seroit impossible de remonter à l'origine des trépiés, elle se perd dans les tems les plus reculés. Homere en parle comme d'un usage établi, lorsqu'il écrivoit. On connoît l'emploi qu'on faisoit des trépiés pour les oracles & pour les prédictions. Les trépiés étoient dans la Grece, ce que les couronnes & les boucliers votifs furent dans la suite des tems chez les Romains, c'est-à-dire des offrandes plus ou moins cheres, qu'on faisoit à tous les dieux. Les inscriptions dont il étoit facile de les orner, perpétuoient la mémoire de celui qui les avoit offerts. La grandeur & la matiere en étoient indifférentes.

Presque tous les enfans qui avoient exercé le sacerdoce d'Apollon chez les Thébains, laissoient un trépié dans le temple. Les trépiés étoient aussi donnés par recompense aux talens. Hésiode en remporta un pour prix de poésie à Chalcys sur l'Euripe. Echembrote en offrit un de bronze à Hercule avec cette inscription : " Echembrote Arcadien a dédié ce trépié à Hercule, après avoir remporté le prix aux jeux des Amphictyons ". Horace dit, l. IV. ode 8.

Donarem tripodas praemia fortium

Graïorum.

Si j'étois riche, mon cher Censorinus, je donnerois volontiers à mes amis, de ces beaux trépiés dont la Grece recompensa autrefois la valeur de ses héros.

Pausanias cite le sujet d'un grouppe de marbre assez indécent pour les dieux, mais qui fait honneur aux trépiés. Hercule & Apollon y étoient représentés se disputant un trépié ; ils étoient prêts à se battre, mais Latone & Diane retenoient Apollon tandis que Minerve appaisoit Hercule. On en voit peu de bien conservés, & la plûpart sont romains.

On en a trouvé un dans la maison de campagne d'Hadrien, de la hauteur d'environ cinq piés ; ce qui prouve qu'il n'a été destiné que pour une offrande. Il est de pierre de touche, du plus beau travail grec.

Les trépiés sacrés, car c'est ainsi qu'on les nommoit, se trouvent souvent de différentes formes ; les uns ont des piés solides, les autres sont soutenus sur des verges de fer ; il y en avoit en maniere de sieges, de tables, de cuvettes ; il y en avoit qui servoient d'autels, & sur lesquels on immoloit les victimes.

Enfin quelle que fût leur figure, les trois piés des trépiés souffroient en particulier différentes formes, & pouvoient être décorés de différens ornemens. Le noyau ou le pilier montant qui portoit la cuvette, pouvoit être formé par une ou plusieurs figures. On varioit ces figures dans l'espece & dans les proportions. La cuvette, toujours soutenue par les trois piés, pouvoit être ornée par des têtes de caracteres, mais il étoit possible de la décorer à volonté, en-dedans comme en-dehors, par des bas-reliefs & des gravures. Aussi est-il constant que les Grecs allioient dans les trépiés la sculpture & la gravure. Pour les Romains, ils n'ont guere été dans le goût d'embellir leurs trépiés. Ils les ont conservés dans leur premiere forme, c'est-à-dire simple, car en fait d'ornemens, on augmente plutôt qu'on ne diminue, comme le remarque M. de Caylus, Antiq. Grecq. Rom. Etrusq. t. 2. (D.J.)

TRÉPIé, (Médailles) les médailles prouvent que les trépiés avoient un grand usage dans les sacrifices ; car les trois piés étoient couverts d'un bassin, sous lequel on faisoit du feu pour brûler l'encens & les parfums que l'on offroit aux dieux ; on a une médaille de l'empereur Vérus, dont la tête est gravée d'un côté, & sur l'autre on voit un trépié entouré d'un serpent : ce trépié marque un sacrifice que faisoit l'empereur, & le serpent indique qu'il sacrifioit à Esculape, au sujet de sa santé. Pour rendre ce symbole intelligible, on dit que, comme le serpent quitte sa vieille peau, les malades, par le secours de la médecine, quittent la langueur qui suit les maladies.

On connoît encore une médaille de Vitellius, sur le revers de laquelle on voit un trépié, la figure d'un dauphin au-dessus, & un oiseau que l'on croit être un corbeau au-dessous. La légende porte ces mots XV. VIR. SACR. FAC. qui nous apprennent que Vitellius étoit un des quindécemvirs préposés pour la solemnité des sacrifices : en effet, le dauphin étoit consacré à Apollon, selon la remarque de Servius sur le troisieme livre de l'Enéide : & à l'égard du corbeau, on prétend qu'il étoit sous la protection du même dieu. (D.J.)

TRÉPIé DE LA PYTHIE, (Mytholog.) machine à trois piés sur laquelle la Pythie assise rendoit les oracles d'Apollon ; c'étoit là le sacré trépié, appellé en latin cortina ; il étoit couvert de la peau du serpent Python ; la prétresse ou le prêtre d'Apollon ne rendoit les oracles du dieu, & n'annonçoit l'avenir, qu'après s'être assise sur le sacré trépié.

Dans les premiers siecles de la découverte de l'oracle de Delphes, devint prophete qui voulut, dit M. Hardion. Les habitans du Parnasse n'avoient besoin, pour acquérir le don de prophétie, que de respirer la vapeur qui sortoit de l'antre de Delphes. Le dieu de l'oracle pour se mettre en crédit, inspiroit alors toutes sortes de personnes indifféremment. Enfin plusieurs de ces phrénétiques dans l'accès de leur fureur, s'étant précipités dans l'abyme, on chercha les moyens de remédier à cet accident. On dressa sur le trou une machine qui fut appellée trépié, parce qu'elle avoit trois barres, & l'on commit une femme pour monter sur ce trépié, d'où elle pouvoit, sans aucun risque, recevoir l'exhalaison prophétique. Cette exhalaison étoit une ivresse produite par quelques vapeurs qui sortoient de l'antre de Delphes, ou bien une ivresse réelle procurée par des aromates qu'on brûloit, & qui attaquoient le cerveau délicat de la Pythie, ou plutôt encore, c'étoit une ivresse feinte, des emportemens & des contorsions étudiées.

Il ne faut pas confondre le trépié sur lequel la prêtresse étoit assise pour rendre les oracles d'Apollon, avec le trépié d'or qui étoit placé auprès de l'autel dans le temple de Delphes, voyez donc TREPIE D'OR. Littérat.

On donnoit aussi par excellence le nom de trépiés aux divers autels du fils de Jupiter & de Latone. Claudien nous représente ce dieu qui vient de les visiter dans son char tiré par des griffons.

Phoebus adest & froenis grypha jugalem

Riphaeo tripodus repetens detorsit ab axe.

TRÉPIé D'OR, (Littérat.) ce trépié, dit Hérodote, liv. IX. étoit porté sur un serpent de bronze à trois têtes : il fut consacré à Apollon, & placé auprès de l'autel dans son temple de Delphes.

Pausanias, général des Lacédémoniens à la bataille de Platée, fut d'avis qu'on donnât cette marque de reconnoissance au dieu des oracles. Pausanias le grammairien, qui étoit de Césarée en Cappadoce, & qui dans le second siecle nous a donné une belle description de la Grece, fait mention de ce trépié. Après la bataille de Platée, dit-il, les Grecs firent présent à Apollon d'un trépié d'or, soutenu par un serpent de bronze ; c'étoit un serpent d'airain à trois têtes, dont les différens contours faisoient une grande base qui s'élargissoit insensiblement.

Il se pourroit bien que la colonne de bronze qui étoit à Constantinople, fût ce fameux serpent à trois piés ; car outre Zozime & Sozomène, qui assurent que l'empereur Constantin fit transporter dans l'hyppodrome les trépiés du temple de Delphes, Eusebe rapporte que ce trépié transporté par ordre de l'empereur, étoit soutenu par un serpent roulé en spire.

Quoi qu'il en soit, la colonne de bronze aux trois serpens avoit environ quinze piés de haut ; elle étoit formée par trois serpens tournés en spirale comme un rouleau de tabac ; leurs contours diminuoient insensiblement depuis la base jusque vers les cous des serpens, & leurs têtes écartées sur les côtés en maniere de trépiés, composoient une espece de chapiteau : Mourat avoit cassé la tête à un de ces serpens ; la colonne fut traversée, & les têtes des deux autres furent cassées en 1700, après la paix de Carlovitz. (D.J.)

TRÉPIÉS DE DODONE, (Littérat.) l'airain qui resonnoit dans ce temple étoit peut-être une suite de trépiés posés de maniere que le resonnement du premier qu'on touchoit se communiquoit aux autres, & produisoit un son continué pendant quelque tems. Voyez l'article ORACLE DE DODONE. (D.J.)

TRÉPIé, (Littérat.) tripus, gen. odis, les trépiés des anciens étoient de grandes marmites ou de grands chauderons à trois piés, de divers métaux. Il y en avoit de deux sortes, les uns étoient pour mettre sur le feu, & on les appelloit , & les autres servoient à mêler le vin avec l'eau, & ils étoient appellés , parce qu'on ne les mettoit jamais au feu. On voit par-tout dans Homere que l'on faisoit présent aux héros de bassins & de trépiés ; ainsi dans le liv. XIX. de l'Iliade, Achille reçoit d'Agamemnon vingt cuvettes & sept trépiés. (D.J.)

TRÉPIé, (Art numismat.) le trépié sur les médailles romaines, marque quelque sacerdoce ou dignité sacerdotale. Le trépié couvert ou non, avec une corneille ou un dauphin, est le symbole des duumvirs députés pour garder les oracles des sibylles, & pour les consulter dans l'occasion ; ils étoient consacrés aux piés de la statue d'Apollon palatin, à qui la corneille est consacrée, & à qui le dauphin sert d'enseigne dans les cérémonies des duumvirs. P. Jobert.

TRÉPIé, (Cirier) les blanchisseurs de cire nomment trépié, une petite table quarrée faite de menus morceaux de fer, sur laquelle pose l'instrument en forme d'auge, qu'ils appellent la grelouoire. (D.J.)

TRÉPIé, terme de Marchand de fer, ustensile de cuisine, fait d'un cercle de fer soutenu de trois piés, sur lequel on pose les chauderons, fourneaux, poëles, &c. qu'on veut tenir solidement sur le feu. (D.J.)


TRÉPIGNER(Maréchal.) un cheval qui trépigne, est celui qui bat la poudre avec les piés de devant, en maniant sans embrasser la volte, & qui fait ses mouvemens courts, près de terre, sans être assis sur les hanches. Les chevaux qui n'ont pas les épaules souples & libres, & qui avec cela n'ont guere de mouvement, ne font que trépigner : un cheval peut trépigner, même en allant droit.


TRÉPOINTES. f. terme de Coffretier, c'est chez les maîtres Coffretiers-malletiers, maîtres Bourreliers, Selliers, & autres ouvriers, un cuir mince, qu'ils mettent entre deux autres cuirs plus épais qu'ils veulent coudre. Les statuts des Coffretiers leur ordonnent de faire les trépointes des malles, de bon cuir de veau ou de mouton, & de les coudre à deux chefs de bonne ficelle neuve, bien poissée.

TREPOINTE DE DEVANT, (Cordonnerie) est une bande de cuir que l'on coud avec la premiere semelle de l'empeigne.

Trépointe de derriere, est une bande de cuir plus mince que celle de devant, qui se coud avec le quartier du soulier & le talon de la seconde semelle.


TRÉPOSou TRÉPORT, s. m. (Charpent. & Marine) longue piece de bois, qui est assemblée avec le bout supérieur de l'étambord, & qui forme la hauteur de la poupe. Voyez ALLONGES DE POUPE.


TREPTOW(Géog. mod.) petite ville d'Allemagne, dans la Poméranie, sur la riviere de Rega. Il y a une autre petite ville de même nom dans la même province, sur le lac de Toll. (D.J.)


TRÉROLE, (Géog. mod.) en latin Trerus, riviere d'Italie, dans la campagne de Rome. Elle naît proche d'Agnani, & se rend dans le Garigliano, aux confins de la Terre de Labour. (D.J.)


TRERONES(Géog. anc.) peuples qui faisoient souvent des courses à la droite du Pont-Euxin, dans les pays voisins jusque dans la Paphlagonie & dans la Phrygie : ces peuples, dit Strabon, liv. I. pag. 161. étoient les mêmes que les Cimmériens, ou du-moins quelques peuples d'entr'eux.


TRERUS(Géog. anc.) 1°. petite contrée de la Thrace, selon Etienne le géographe, qui nomme ses habitans Treres. Ces peuples, selon Pline, l. IV. c. 10. habitoient aux environs de la Dardanie, de la Macédoine, & de la Piérie. Thucydide, l. II. p. 166. les met sur le mont Scomius, appellé Scopius par Pline, liv. IV. ch. x. & qui tient au mont Rodope. Strabon, l. I. p. 61. & l. XIV. p. 647. dit qu'ils étoient Cimmériens d'origine ; que comme ceux-ci, ils firent des courses dans divers pays, & que la fortune les favorisa pendant long-tems.

2°. Trerus, fleuve d'Italie, dans le Latium. Strabon, l. V. p. 237. dit que ce fleuve mouilloit la ville de Fabrateria, qui étoit sur la voie Latine : son nom moderne est le Tréro. (D.J.)


TRÈS-CHRÉTIEN(Hist. de France) titre des rois de France. Le concile de Savonniere, tenu en 859, qualifie Charles-le-Chauve de roi très-chrétien. Le pape Etienne II. avoit déjà donné ce nom à Pepin l'an 755. Malgré ces faits tirés de l'histoire, on a dit assez communément jusqu'à ces derniers tems, que le titre de très-chrétien fut accordé pour la premiere fois par Paul II. à Louis XI.

Le pere Mabillon qui a fait imprimer un extrait de l'ambassade de Guillaume de Monsterceet en 1469, où l'on voit que ce souverain pontife déclare qu'il donnera dans la suite ce titre à nos rois, remarque qu'en cela le pape ne faisoit que continuer un usage déjà établi. Pour le prouver il rapporte plusieurs exemples anciens, qui à la vérité ont été quelquefois interrompus ; mais il démontre que du tems de Charles VII. cette dénomination étoit déjà constamment & héréditairement attachée à nos rois. Pie II. le dit expressément dans sa 385e. lettre adressée à Charles VII. du 3 des ides d'Octobre 1457. Nec immerito ob christianum nomen à progenitoribus tuis defensum, nomen christianissimi ab illis haereditarium habes. Si ce savant religieux eût vu le prologue de Raoul de Presles à son livre de la cité de Dieu, il n'eût pas manqué de faire remonter l'usage de ce titre de très-chrétien jusqu'au tems de Charles V. ayeul de Charles VII. les termes de Raoul de Presles sont assez précis : " Et à vous singulierement en l'institution des lettres au très-chrétien des princes ". Ce passage a échappé aux auteurs des dissertations insérées dans les Mercures de Janvier, Avril & Juin 1720, &c. où cette matiere est discutée avec beaucoup de vivacité.

On trouve cependant, malgré ces autorités, que le concile de Bâle, tenu en 1432, ne donne au roi de France que le titre de sérénissime ; enfin celui de très-chrétien que Louis XI. obtint du pape en 1469, est devenu un titre permanent dans ses successeurs. Au reste, on a remarqué que ce prince prit la qualité de très-chrétien, à-peu-près dans le tems que Ferdinand d'Aragon, illustre par des perfidies autant que par des conquêtes, prenoit le titre de catholique. (D.J.)


TRÈS-FONCIERadj. (Jurisprud.) se dit de celui qui a la propriété du fonds, on l'appelle seigneur très-foncier, parce que le droit de pleine propriété est regardé comme une espece de seigneurie, utile en ce qu'il donne le droit de disposer de la chose, d'en jouir, & même d'en user & abuser selon que la raison & la loi le permettent. Voyez DOMAINE, HERITAGE, PROPRIETE, SEIGNEUR, SEIGNEURIE. (A)


TRÈS-FONDSS. m. (Gram. & Jurisprud.) signifie la partie de l'héritage qui est opposée à la superficie ; on dit de celui qui a la pleine propriété d'un héritage qu'il a le fonds & les très-fonds, parce qu'il a nonseulement la superficie, mais aussi le fond, c'est-à-dire tout ce qui est au-dessous de la superficie à quelque profondeur que ce soit, de maniere qu'il fait faire des fouilles & excavations aussi avant qu'il le juge à propos. Voyez DOMAINE, FONDS, PROPRIETE, TRÈS-FONCIER, USUFRUIT. (A)


TRES-TABERNAE(Géog. anc.) lieu d'Italie dans la campagne de Rome, & où l'histoire Miscellanée & Zozime, l. II. disent que l'empereur Sévere fut tué par Maxence. Cicéron, l. II. attic. epist. x. qui parle de ce lieu, fait entendre qu'il n'étoit pas éloigné de la voie appienne, & un peu plus loin que le marché d'Appius. Les Chrétiens qui étoient à Rome allerent au-devant de saint Paul jusqu'au lieu nommé les Trois-loges, Tres-Tabernae, comme nous le lisons dans les Actes xxviij. 15. L'itinéraire d'Antonin marque ce lieu sur la route de Rome à la colonne, en suivant la voie Appienne, entre Aricia & Appii-Forum, à 17 milles du premier de ces lieux, & à 18 milles du second. Le nom moderne est Cisterna.

Tres-Tabernae est encore un lieu de la Macédoine, suivant l'itinéraire d'Antonin, qui le marque sur la route de Dyrrachium à Byzance. (D.J.)


TRÉSAILLES. f. terme de Charron, c'est une piece de bois longue de quatre piés & demi, plate, quarrée, de l'épaisseur de deux pouces & de la largeur de quatre, qui est assujettie sur les deux ridelles ou brancart du tombereau, au milieu de cette trésaille est un anneau de fer fait en piton, où est attachée la chaîne qui attache le tombereau, & le maintient en état.


TRÉSEAUS. m. (Commerce) petit poids qui pese le demi-quart, ou la huitieme partie de l'once ; c'est ce qu'on nomme plus communément un gros. On pese au tréseau les drogues des apoticaires, & la menue marchandise que les merciers débitent en détail, comme le fil & la soie en écheveaux. Voyez GROS. Dictionnaire de commerce.


TRÉSILLONS. m. (Charpent.) morceau de bois qu'on met entre des ais nouvellement sciés, pour les tenir en état & les faire sécher plus aisément & sans gauchir. On dit trésillonner une pile de bois, de crainte qu'il ne se tourmente. (D.J.)


TRÉSORS. m. (Droit naturel & civil) thesaurus est vetus quaedam depositio pecuniae, cujus non extat memoria, ut jam dominum non habeat : sic enim fit ejus qui invenerit quod non alterius sit, alioquin si quis aliquid vel lucri causâ, vel metûs, vel custodiae, condiderit sub terra, non est thesaurus cujus etiam furtum sit. Digest. lib. XLI. tit. I.

Selon cette définition, un trésor est un argent trouvé, & dont on ignore le maître. Je dis, dont on ignore le maître ; car si quelqu'un cache en terre son argent crainte d'être dépouillé, ou simplement faute d'endroits plus commodes pour le serrer, ce n'est pas un trésor ; & quiconque le prend, se rend coupable de larcin, comme ce valet dont il est parlé dans la comédie de Plaute, intitulée Aulularia. On demande donc à qui appartient un trésor trouvé, c'est-à-dire un argent dont on ignore le maître.

Selon le droit naturel tout seul, un trésor, de même que toutes les autres choses qui n'ont point de maître, appartiennent au corps de l'état, ou à ceux qui le représentent, en un mot, au souverain. Mais d'un autre côté, le souverain est censé laisser ces sortes de choses au premier occupant, tant qu'il ne se les réserve pas bien clairement à lui-même. Et lorsqu'il permet aux particuliers ou expressément, ou tacitement, de se les approprier ; celui qui trouve un trésor & qui s'en saisit, en devient par-là maître, quand même il l'auroit trouvé dans un fonds appartenant à autrui, si les loix civiles n'en disposent autrement ; parce que le trésor n'est pas accessoire du fonds, comme les métaux, les minéraux, & autres choses semblables qui y sont attachées naturellement, & dont à cause de cela le propriétaire du fonds en peut être regardé comme en possession.

Les loix romaines qui donnent la moitié du trésor au maître du fonds, & l'autre moitié à celui qui y trouve un trésor, étendent cela à un ouvrier qui est payé par le maître du champ ou de la maison pour y travailler ; car, dit-on, il n'agit au nom de celui qui l'a loué qu'en ce qui regarde l'ouvrage qu'il a à faire. Nemo enim servorum opera thesaurum quaeret : nec ea propter tum terram fodiebat, sed alii rei operam insumebat & fortuna aliud dedit. Digest. lib. XLI. tit. I. De acquir. rer. domin. leg. 43.

Platon décide qu'un trésor, & en général toutes les choses perdues, ne demeurent pas à celui qui les trouve, quoiqu'on ne sache point à qui elles appartiennent ; mais il prétend qu'il faut consulter là-dessus l'oracle de Delphes, pour disposer de ces choses comme il en ordonnera. C'est pousser le scrupule aussi loin que faisoit un philosophe chinois, nommé Chiungai, qui s'imaginant qu'il n'étoit pas permis de rien toucher que l'on soupçonnât le moins du monde être le fruit de quelque injustice, ne vouloit pas loger dans la maison de son pere, crainte qu'elle n'eût été bâtie par des fripons, ni manger chez ses parens ou ses freres, de peur que ce qu'ils lui donneroient ne fût mal acquis. On a lieu de croire que parmi les Juifs, les Romains du tems de Plaute & les Syriens, le trésor appartenoit au maître du champ où il avoit été trouvé ; mais ce qu'on sait plus certainement, c'est que les loix romaines ont fort varié sur cette matiere. Voyez le droit public de M. Domat, liv. I. tit. VI. sect. 3. & le jus privatum romano-german. de Titius, lib. VIII. cap. xiij.

Au reste il convient de savoir qu'il y a sur ce sujet parmi nous divers réglemens, des loix civiles selon les différens pays, comme aussi diverses opinions parmi les auteurs ; mais il seroit inutile d'entrer dans ce détail. (D.J.)

TRESOR PUBLIC, (Antiq. d'Athènes) le trésor public d'Athènes étoit consacré à Jupiter sauveur, & à Plutus dieu des richesses. Dans la masse des revenus publics qui formoient ce trésor, on y gardoit toujours en réserve mille talens, 187 mille 500 livres sterlings, auxquels il étoit défendu de toucher sous des peines capitales, excepté dans les besoins les plus urgens de l'état.

Les fonds de subside qui fournissoient le trésor public d'Athènes provenoient de l'imposition, nommée tête, ; des phori, ; des eisphorae, ; & des timemata, , c'est-à-dire des amendes ; les autres mots ont été expliqués à leur article.

Leur trésor public étoit employé à trois sortes de dépenses, qui tiroient leurs noms de leur emploi. On appelloit 1°. , les fonds destinés aux dépenses civiles ; 2°. , les fonds destinés pour la guerre ; 3°. , les fonds destinés pour la religion. Dans cette derniere classe étoient comprises les dépenses des théatres & des fêtes publiques.

Il y avoit un trésorier assigné à chaque branche des revenus publics, & l'on appelloit cette magistrature, . Potter, archoeol. graec. t. I. p. 82. (D.J.)

TRESOR PUBLIC, (Antiq. rom.) trésor de l'épargne formé des deniers publics.

Il y avoit dans le temple de Saturne, situé sur la pente du mont Capitole, trois trésors publics. Dans le trésor ordinaire, l'on mettoit l'argent des revenus annuels de la république, & l'on en tiroit de quoi subvenir aux dépenses ordinaires.

Le second trésor provenoit du vingtieme qu'on prenoit sur le bien des affranchis, sur les legs & successions qui étoient recueillis par d'autres héritiers que les enfans des morts, ce qui montoit à des sommes excessives. Ce second trésor étoit appellé par cette raison aurum vicesimarium.

Dans le troisieme étoit en réserve tout l'or que l'on avoit amassé depuis l'invasion des gaulois, & que l'on conservoit pour des extrêmités pareilles, sur-tout en cas d'une nouvelle irruption de ces mêmes gaulois. Ce fut ce qui donna lieu à ce noble trait d'esprit de César au tribun qui gardoit ce trésor, quand ce grand capitaine le fit ouvrir par force, sous prétexte de la guerre civile : " Il est inutile, dit-il, de le réserver davantage, puisque j'ai mis Rome hors de danger d'être jamais attaquée par les Gaulois ".

C'étoit dans le troisieme trésor qu'étoient encore les sommes immenses que les triomphateurs apporterent des pays conquis. César s'empara de tout, & en fit des largesses incroyables. Cependant ce troisieme trésor public, ainsi que le second, s'appelloit sanctius aerarium, mais rien n'étoit sacré pour servir à l'ambition de ce nouveau maître de Rome.

Tout le monde sait que le mot général aerarium, qu'on donnoit à tous ces trésors, venoit de ce que la premiere monnoie des Romains étoit du cuivre. Quand la république fut soumise à l'autorité d'Auguste, il eut son trésor particulier sous le nom de fiscus. Le même empereur établit un trésor militaire, aerarium militare.

Les pontifes avoient aussi leur trésor, aerarium, que l'on appelloit plus communément arca ; & ceux qui en avoient la garde se nommoient arcarii, dont il est fait mention dans le code Théodosien, & dans le code Justinien, liv. II. tit. VII. (D.J.)

TRESOR, (Critique sacrée) en grec , ce mot signifie 1°. un amas de richesses mises en réserve, Matth. vj. 19. ne cherchez point à amasser des trésors sur la terre : 2°. des coffres, des cassettes ; les mages après avoir déployé leurs trésors, , Matth. ij. 11. c'est-à-dire après avoir ouvert les cassettes, les coffres où étoient renfermées les choses précieuses qu'ils vouloient présenter au Sauveur : 3°. magasin où l'on garde les provisions, Matth. xiij. 52. le pere de famille tire de sa dépense, , toutes sortes de provisions.

Le trésor de l'épargne étoit la tour où les rois de Juda faisoient porter leurs finances, IV. Rois, xx. 15. le trésor du temple étoit le lieu où l'on mettoit en réserve tout ce qui étoit consacré au Seigneur, Josué vj. 19. le trésor de Dieu est une expression métaphorique, pour marquer ses bienfaits, sa puissance, &c. Il tire de ses trésors, comme d'un arsenal, les traits dont il punit les méchans, Jérémie, l. 25. Les trésors d'iniquité désignent les richesses acquises par des voies injustes, Prov. x. 2. (D.J.)

TRESOR DES CHARTES DU ROI, est le dépôt des titres de la couronne, que l'on comprenoit tous anciennement sous le terme de chartes du roi.

On entend aussi par-là le lieu où ce dépôt est conservé.

Anciennement & jusqu'au tems de Philippe-Auguste, il n'y avoit point de lieu fixe pour y garder les chartes du roi ; ces actes étant alors en petit nombre, nos rois les faisoient porter à leur suite par-tout où ils alloient, soit pour leurs expéditions militaires, soit pour quelqu'autre voyage.

Guillaume le Breton & autres historiens rapportent, qu'en 1194 Philippe-Auguste ayant été surpris pendant son dîner, entre Blois & Fretteval, dans un lieu appellé Bellesoye, par Richard IV. dit Coeur de lion, roi d'Angleterre & duc de Normandie, avec lequel il étoit en guerre, il y perdit tout son équipage, notamment son scel & ses chartes, titres & papiers.

M. Brussel prétend néanmoins que cet enlevement n'eut pour objet que certaines pieces, & que les Anglois n'emporterent point de registres ni de titres considérables.

Il y a du moins lieu de croire que dans cette occasion les plus anciens titres furent perdus, parce qu'il ne se trouve rien au trésor des chartes que depuis Louis le Jeune, lequel, comme on sait, ne commença à regner qu'en 1137.

Philippe-Auguste, pour réparer la perte qui venoit de lui arriver, donna ordre que l'on fît des soigneuses recherches, pour remplacer les pieces qui avoient été enlevées.

Il chargea de ce soin Gaultier le jeune, Galterius junior, auquel du Tillet donne le titre de Chambrier.

Ce Gaultier, autrement appellé frere Guerin, étoit religieux de l'ordre de S. Jean de Jérusalem. Il fut évêque de Senlis, garde des sceaux de France sous Philippe-Auguste, puis chancelier sous Louis VIII. & S. Louis.

Il recueillit ce qu'il put trouver de copies de chartes qui avoient été enlevées, & rétablit le surplus de mémoire le mieux qu'il lui fut possible.

Il fut arrêté que l'on mettroit ce qui avoit été ainsi rétabli, & ce qui seroit recueilli à l'avenir, en un lieu où ils ne fussent point exposés aux mêmes hasards ; & Paris fut choisi, comme la capitale du royaume, pour y conserver ce dépôt précieux.

Il est présentement placé dans un petit bâtiment en forme de tour quarrée, attenant la Ste Chapelle, du côté septentrional : au premier étage de ce bâtiment est le trésor de la Ste Chapelle ; & dans deux chambres l'une sur l'autre, au-dessus du trésor de la Ste Chapelle, est le trésor des chartes.

Mais ce dépôt n'a pu être placé dans cet endroit que sous le regne de S. Louis ; & seulement depuis 1246, la Ste Chapelle n'ayant été fondée par ce roi que le 12 Janvier de cette année.

Les chartes ou titres recueillis dans ce dépôt sont les contrats de mariages des rois & reines, princes & princesses de leur sang, les quittances de dot, assignations de douaire, lettres d'apanages, donations, testamens, contrats d'acquisition, échanges, & autres actes semblables, les déclarations de guerre, les traités de paix, d'alliance, &c.

On y trouve aussi quelques ordonnances de nos rois, mais elles n'y sont pas recueillies de suite, ni exactement ; car le registre de Philippe-Auguste & autres des regnes suivans jusqu'en 1381, ne sont pas des recueils d'ordonnances de ces princes, mais des registres de toutes les chartes qui s'expédioient en chancellerie, parmi lesquelles il se trouve quelques ordonnances.

Le roi enjoignoit pourtant quelquefois par ses ordonnances mêmes de les déposer en original au trésor des chartes, témoin celle de Philippe VI. touchant la régale du mois d'Octobre 1344, à la fin de laquelle il est dit qu'elle sera gardée par original au trésor des chartes & lettres du roi ; Ordonnances de la troisieme race, tome V.

Lorsque le trésor des chartes fut établi dans le lieu où il est présentement, on créa aussi-tôt un gardien de ce dépôt, que l'on appella trésorier des chartes de France, & que l'on a depuis appellé trésorier-garde des chartes & papiers de la couronne, ou, comme on dit vulgairement, garde du trésor des chartes.

Suivant des lettres de Louis XI. de l'an 1481, il doit prêter serment de cette charge en la chambre des comptes.

En instituant le trésorier des chartes, on lui donna non-seulement la garde de ce dépôt, mais on le chargea aussi de recueillir les chartes & titres de la couronne, de les déposer dans le trésor, & d'en faire de bons & fideles inventaires.

Il nous reste encore quelques notions de ceux qui ont exercé la charge de trésorier des chartes.

Le plus ancien qui soit connu, est Me. Jean de Calais.

Depuis Etienne de Mornay qui l'étoit en 1305, on connoit assez exactement ceux qui ont rempli cette charge.

On trouve qu'en 1318, Pierre d'Estampes ou de Stampis étoit garde du trésor ; mais M. Dupuy dit qu'il y a lieu de douter si ce Pierre d'Estampes & ceux qui lui succéderent en cet emploi jusqu'en 1370, étoient véritablement gardes du trésor des chartes ; il prétend qu'ils étoient seulement gardes des chartes de la chambre des comptes, que l'on appelle aujourd'hui gardes des livres.

Cependant ils ne sont pas qualifiés simplement gardes des livres ou lettres du roi, mais gardes du trésor de lettres du roi ; par exemple, à la marge des lettres de Charles, régent du royaume, pour le rétablissement du bailliage royal de Saint-Jangon en Mâconnois, du mois de Décembre 1359, qui sont au mémorial D de la chambre des comptes de Paris ; fol. 1, est écrit : ego Adam Boucherii clericus domini regis & custos thesauri litterarum regiarum, recepi in camerâ compotorum originale hujus transcripti per manum magistri Johannis Aquil. die penult. Januarii, anno 1359. Voyez les ordonnances de la troisieme race, tom. III. p. 380, aux notes.

Dans la confirmation des privileges que le roi Jean accorda en Janvier 1350, aux habitans de la ville de Florence, il est dit qu'il fit tirer des registres de son pere (Philippe VI.) lesdites lettres de privileges qui sont du mois de Mai 1344, & ces registres s'entendent du trésor des chartes. Voyez les Ordonnances de la troisieme race, tom. IV. pag. 37, & la note de M. Secousses, à la table des matieres, au mot trésor des chartes.

En 1364, Pierre Gonesse étoit garde des chartes & des privileges royaux dont on lui remettoit les originaux ; il donnoit des expéditions signées de lui des lettres qui y étoient contenues ; il est qualifié custos cartarum & privilegiorum regiorum, ce qui ne paroît pas équivoque. Voyez les Ordonnances de la troisieme race, tom. IV. p. 474, 475 & 476.

Il est encore parlé du trésor des chartes dans des lettres de Charles V. du 14 Mars 1367 ; Ordonnances de la troisieme race, tom. V. p. 100 & 103.

Les premiers gardes du trésor des chartes ne firent que des inventaires si succints, qu'on n'en peut presque point tirer d'instruction. Au mois de Janvier 1371, Charles V. ayant visité en personne son trésor des chartes, & voyant la confusion qui y étoit, en donna la garde à Gérard de Montaigu qu'il fit son notaire & secrétaire trésorier & garde de son trésor des chartes, & par ses lettres patentes il ordonna qu'à l'avenir ceux qui auroient la garde dudit trésor, seroient appellés trésoriers & ses secrétaires perpétuels.

Il est parlé de ce Gerard de Montaigu en ladite qualité à la marge des lettres de Charles V. du mois de Septembre 1371, qui sont au cinquieme volume des ordonnances de la troisieme race, p. 425 & 426. Il fut garde du trésor jusqu'en 1375. Dreux Budé lui succéda en cette fonction le 7 Février 1375. Le 22 Septembre 1376 le même Gerard de Montaigu étoit garde du trésor de la chapelle. Voyez le recueil des ordonnances de la troisieme race, p. 30, 56 & 218. Chopin, de dom. lib. III. p. 459, dit que Dreux (Draco) & Jean Budé, aïeul & pere de Guillaume Budé, furent successivement gardes du trésor des chartes, ainsi que Guillaume Budé le remarque en sa note sur la loi nec quicquam ff. de offic. proconsul.

Pour revenir aux inventaires du trésor des chartes, Gerard de Montaigu en fit un, mais qui fut encore très-succint, suivant lequel il y avoit alors 310 layettes ou boëtes, 109 registres, & quelques livres de juifs, desquels il n'est resté que quatre hébreux qui y sont encore. Montaigu mit à part les papiers inutiles & plusieurs coins de monnoie, qui sont à présent rongés de la rouille, & que l'on a mis en la chambre haute.

Les registres sont seulement cotés audit inventaire selon les tems, depuis Philippe-Auguste jusqu'en 1381, tellement que pour trouver une charte dans ces registres, il faut savoir le tems qu'elle a été enregistrée en l'audience de la chancellerie, ou plutôt levée, parce qu'on n'en faisoit registre qu'après qu'elle avoit été délivrée.

Le 12 Septembre 1481, Jacques Louvet commença un inventaire qui n'étoit que de 75 layettes, selon l'ancienne quote, dont il s'en trouva deslors plusieurs de manque.

Suivant la commission qui avoit été donnée pour faire cet inventaire dès l'an 1474, on voit que le trésor fermoit à trois clés, dont l'une demeura à Jean Budé, ancien trésorier des chartes, une audit Louvet, trésorier actuel, & la troisieme à MM. de la chambre des comptes auxquels tout ce qui se faisoit se rapportoit par cahiers.

Sous le roi François I. on porta au trésor quinze coffres appellés les coffres des chanceliers, parce qu'ils contenoient les papiers trouvés chez les chanceliers du Prat, du Bourg & Poyet. Ceux de ce dernier furent saisis quand on lui fit son procès au mois de Juin 1542, & ensuite mis au trésor des chartes.

Il faut remarquer à cette occasion qu'anciennement après la mort ou démission des chanceliers ou gardes des sceaux, l'on retiroit d'eux ou de leurs héritiers les papiers du roi, ainsi qu'on l'a vu pratiquer par la décharge qui fut donnée aux héritiers du chancelier des Ursins.

Du tems que M. de Thou, fils du premier président, fut trésorier des chartes, M. du Tillet, greffier en chef du parlement, auteur du recueil des rois de France & autres oeuvres qu'il composa tant sur les registres du parlement & sur ceux de la chambre des comptes, que sur le trésor des chartes, eut pour cet effet permission d'entrer au trésor même, de transporter ce dont il auroit besoin : ce qui fut fait avec si peu d'ordre, que les titres dont il s'étoit servi ne furent point remis à leur place, plusieurs ne furent point rapportés, & demeurerent chez lui ou se trouverent perdus.

Le désordre s'accrut encore par l'entrée qu'eut au trésor M. Brisson la premiere année qu'il fut avocat du roi, lequel emporta de ce dépôt beaucoup de bons mémoires, même les remontrances faites à l'occasion du concordat.

M. Jean de la Guesle, procureur général, voyant le circuit qu'il étoit obligé de faire pour avoir quelque titre du trésor, qu'il falloit présenter requête au roi, puis obtenir une lettre de cachet, fit démettre celui qui étoit alors trésorier des chartes, & unir cette charge à perpétuité à celle de procureur général, ce qui fut fait au mois de Janvier 1582 ; & le procureur général prend depuis ce tems la qualité de trésorier-garde des chartes & papiers de la couronne, & tel est le dernier état au moyen de quoi MM. Dupuy & Godefroi, commis sous M. Molé, procureur général, trésorier des chartes, firent en 1615 un inventaire lors duquel ils trouverent beaucoup de titres pourris, partie des layettes brisées & pourries faute d'avoir entretenu la couverture. Ils remirent l'ordre qui y est aujourd'hui, ayant rangé les layettes par les douze gouvernemens, puis les affaires étrangeres, les personnes & les mêlanges, tellement qu'ils mirent en état 350 layettes, 15 coffres & 52 sacs. Pour les registres ils furent rangés selon l'ordre chronologique du regne des rois.

L'inventaire des layettes, coffres & sacs contient huit volumes de minutes. MM. Dupuy & Godefroy n'acheverent pas celui des registres, ayant été occupés à d'autres affaires.

M. Molé fit apporter au trésor les papiers de M. de la Guesle, procureur général ; on les mit dans des sacs étiquetés, ce qui remplit une partie d'une grande armoire distribuée en quarante-deux guichets.

Le roi ayant fait raser le château de Mercurol en Auvergne, où étoient ses titres pour ledit pays, on les a mis au trésor aes chartes dans la chambre haute ; mais on en a tiré peu d'utilité.

On y a aussi mis quelques papiers de M. Pithou, des papiers concernant Metz, Toul & Verdun, la Lorraine ; on apporta de Nancy six grands coffres qui sont au trésor.

M. Dupuy dit que les ministres ont négligé de faire porter les titres au trésor des chartes : que pour ce qui est des registres des chartes qui s'expédioient en la chancellerie, & pour lesquels on exige encore un droit, l'on n'en a point apporté au trésor des chartes depuis Charles IX. qu'à l'égard des originaux, on n'y en a point mis non plus depuis long-tems, si ce n'est quelques pieces singulieres, comme le procès de la dissolution du mariage d'Henri IV. avec la reine Marguerite.

M. de Lomenie, secrétaire d'état, fit remettre à M. Molé, procureur général, les originaux des actes passés pour le mariage d'Henriette de France avec Charles I. roi d'Angleterre, pour être déposés au trésor des chartes.

Le cardinal de Richelieu y fit aussi mettre grand nombre de petits traités & actes faits par le roi avec les princes & états voisins.

On y chercha le contrat de mariage de Louis XIII. qui se trouva enfin dans un lieu où il ne devoit pas être.

Le garde des sceaux de Marillac fit rendre un arrêt du conseil d'état le 23 Septembre 1628, portant que les traités, actes de paix, mariages, alliances & négociations, de quelque nature qu'elles soient, passées avec les princes, seigneuries & communautés, tant dedans que dehors le royaume, seroient portés au trésor des chartes & ajoutés à l'inventaire d'icelui, & il fut enjoint aux chanceliers gardes des sceaux d'y tenir la main.

M. Dupuy dit que tout cela a encore été mal exécuté, & que les choses sont restées comme auparavant.

Mais par les soins de MM. Joly de Fleury pere & fils, plusieurs pieces anciennes très-importantes ont été récouvrées & mises au trésor des chartes.

Par exemple, le registre 84, qui depuis très-longtems étoit en deficit dans ce dépôt, s'étant trouvé dans la bibliotheque de M. Rouillé du Coudray, conseiller d'état, & lors de sa mort arrivée en 1729, ayant passé entre les mains de M. de Fourqueux, procureur général de la chambre des comptes de Paris, son neveu, ce magistrat l'a remis au trésor des chartes, & ce registre a été réuni aux autres qui sont conservés dans ce dépôt. Voyez l'avertissement de M. Secousse qui est au troisieme volume des ordonnances de la troisieme race, p. 673.

Pour ce qui est des pieces modernes, il y a plus de cent ans que l'on n'en n'a mis aucune au trésor des chartes ; on en a d'abord mis quelques-unes aux archives du louvre, ensuite on a mis toutes celles qui sont survenues dans le dépôt des manuscrits de la bibliotheque du roi, où il y a déja plus de piéces qu'au trésor des chartes.

Il y a présentement plusieurs commissaires au trésor des chartes qui sont nommés par le roi, & qui sous l'inspection de M. le procureur général, travaillent aux inventaires & dépouillemens des pieces qui sont dans ce dépôt, dont on fait différentes tables & extraits, non-seulement par ordre des matieres, mais aussi des tables particulieres des noms de lieu, des noms des personnes, & singulierement de ceux des grands officiers de la couronne, des titres qui étoient alors usités, des noms des monnoies, & autres objets semblables qui méritent d'être remarqués.

On travaille aussi à une table générale des registres & à une autre de toutes les pieces originales qui sont au trésor ; on se propose même de faire une table générale de toutes les chartes du royaume qui se trouvent dispersées dans différens dépôts, depuis le commencement de la monarchie jusqu'en 1560, tems depuis lequel les actes qui ont suivi, ont été recueillis avec plus de soin dans différentes collections.

Il seroit à souhaiter que le public pût profiter bientôt de ce travail immense, dans lequel on puiseroit sans doute une infinité de connoissances curieuses & utiles. (A)


TRÉSORIERS. m. (Gram.) est en général celui à qui l'on a confié la garde d'un trésor.

TRESORIER en sous-ordre, (Hist. rom.) les trésoriers en sous-ordre, ou les sous-trésoriers, selon Asconius & Varron, étoient certains particuliers d'entre le peuple qui levoient & portoient chez le questeur du proconsul, l'argent nécessaire pour la paie des troupes ; c'étoient des especes de collecteurs de l'argent imposé sur chaque tribu pour les besoins de l'état. Leur établissement est de la plus haute antiquité, au rapport d'Aulu-gelle. La loi aurelia nous apprend combien cet ordre peu digne de considération devint accrédité, puisque cette loi rendit commun aux trésoriers & aux chevaliers le droit de juger de certaines matieres qui n'appartenoient auparavant qu'aux sénateurs ; il falloit au contraire les dépouiller de ce privilege, si quelque autre loi le leur avoit accordé. (D.J.)

TRESORIER, (terme d'église) c'est celui qui possede une dignité ou bénéfice ecclésiastique, qui le rend gardien de l'argenterie, des joyaux, des reliques, du trésor des chartes, & autres objets appartenans à l'église particuliere dont il est membre. Le trésorier a succédé en quelque façon aux anciens diacres à qui les trésors de l'église étoient confiés. Dans le tems de la réformation cette dignité fut abolie comme inutile dans la plûpart des églises cathédrales de la grande Bretagne ; cependant elle subsiste toujours dans celles de Londres, de Salisbury, &c. (D.J.)

TRESORIERS DE FRANCE, (Jurisprud.) sont des magistrats établis pour connoître du domaine du roi.

Ils ont été appellés trésoriers, parce qu'au commencement de la monarchie toute la richesse de nos rois ne consistoit que dans leur domaine, qu'on appelloit trésor du roi ; & que les revenus du domaine étoient déposés dans un lieu appellé le trésor du roi, dont ces officiers avoient la garde & la direction.

Du tems de Clovis I. le trésor étoit gardé dans l'ancien palais bâti de son tems, où est aujourd'hui le parlement.

Le trésorier qui ordonnoit du paiement des gages ou pensions assignées par les rois sur leur domaine, même des fiefs & aumônes, avoit une chambre près du trésor, en laquelle il connoissoit du domaine, comme cela s'est toujours pratiqué depuis, soit lorsqu'il n'y avoit qu'un seul trésorier, ou lorsqu'ils ont été plusieurs.

Sous Philippe-Auguste le trésor étoit au temple : ce prince avant de partir pour la Terre-sainte, l'an 1196, ordonna qu'à la recette de son avoir, Adam son clerc, seroit présent & écriroit la recette ; que chacun auroit une clé des coffres où l'argent seroit remis, & que le temple en auroit une. C'étoit un chevalier du temple qui étoit le gardien particulier du trésor du roi, & qui en expédioit les quittances aux prevôts & aux comptables.

Du tems de S. Louis la chambre des comptes, qui étoit ambulatoire, ayant été fixée à Paris, les trésoriers de France & officiers des monnoies, à raison de la communication qu'ils avoient avec les finances, dont les gens des comptes étoient juges, furent unis & incorporés en la chambre des comptes, où ils continuerent chacun l'exercice de leurs charges.

On voyoit en effet encore dans l'ancien bâtiment de la chambre des comptes, qui fut brûlé le 28 Octobre 1737, une chambre du trésor, appellée camera vetus thesauri, où les trésoriers de France exerçoient anciennement leur charge & jurisdiction en la connoissance du domaine : il y avoit aussi une chambre des monnoies, & Miraulmont dit avoir vu des commissions, une entr'autres de l'an 1351, intitulée les gens des comptes & trésoriers & les généraux maîtres des monnoies du roi notre sire, qui prouvent qu'autrefois ces trois chambres n'ont fait qu'un corps & une compagnie ; c'est de-là que les trésoriers de France sont encore reçus & installés en la chambre des comptes, & qu'entre les six chambres ou divisions dans lesquelles les auditeurs des comptes sont distribués pour le rapport des comptes ; la premiere s'appelle encore la chambre du trésor.

Le dépôt du trésor du roi fut pourtant remis au temple en 1302 ; depuis il fut mis au louvre, & ensuite on le remit au palais.

Il étoit dans une tour près la chambre appellée du trésor, laquelle se voit encore aujourd'hui treillissée, au plancher de laquelle sont attachées les balances où les finances du royaume, qui étoient apportées & mises ès mains du changeur du trésor, se pesoient.

Du tems de Miraulmont, le trésor du roi étoit gardé à la bastille de S. Antoine.

Présentement le trésor du roi, appellé trésor royal, reste chez les gardes du trésor royal.

Pour ce qui est de la recette & de l'administration du trésor ou domaine, au commencement c'étoient les baillifs & sénéchaux qui en étoient chargés, chacun dans leur ressort.

Depuis, pour ne les pas détourner de l'exercice de la justice, on établit des receveurs particuliers, lesquels reportoient tous l'argent de leur recette au changeur du trésor, qui étoit le receveur général.

Le changeur du roi distribuoit les deniers suivant les mandemens & ordonnances des trésoriers de France, lesquels avoient la direction du domaine & revenus du roi.

Le nombre de ces officiers fut peu considérable sous les deux premieres races de nos rois, & même encore assez avant sous la troisieme.

Grégoire de Tours & Aimoin, deux de nos plus anciens historiens françois, parlent du trésorier de Clovis I. thesaurarius Clodovici.

On trouve peu de chose au sujet des trésoriers de France, jusqu'au tems de Philippe le Bel.

Sous le regne de ce prince il n'y avoit qu'un seul trésorier de France, qui étoit établi en cette charge par forme de commission seulement, pour un an, plus ou moins, selon la volonté du roi ou de son conseil.

Guillaume de Hangest étoit seul trésorier de France en 1300, depuis ce tems il y en eut tantôt deux, tantôt trois ou quatre ; leur nombre a beaucoup varié, y ayant eu en divers tems plusieurs créations & suppressions de trésoriers de France.

Entre ces trésoriers, les uns étoient pour la direction du domaine & finances ; les autres étoient trésoriers sur le fait de la justice, c'est-à-dire, préposés pour rendre la justice sur le fait du domaine & trésor, c'est pourquoi on les appelloit aussi conseillers du trésor ; il y en avoit dès 1390 ; ils furent supprimés par une ordonnance du 7 Janvier 1400, à la charge que s'il se présentoit quelques différens au trésor, les autres trésoriers, pour les décider, appelleroient des conseillers au parlement ou de la chambre des comptes ; cependant deux conseillers au parlement & le baillif de Senlis furent encore pourvus de ces offices, lesquels de nouveau furent supprimés en 1407, avec la même clause qu'en 1400, ce qui n'empêcha pas encore qu'en 1408 les trésoriers de France ne reçussent un conseiller sur le fait de la justice.

Ces trésoriers sur le fait de la justice, ou conseillers du trésor, subsisterent au nombre de dix jusqu'en 1683, que la chambre du trésor fut unie au bureau des finances. Le roi attribuant aux trésoriers de France toute cour & jurisdiction, chacune dans leur généralité. Voyez ce qui a été dit ci-devant à ce sujet au mot DOMAINE.

Quoique les trésoriers de France ne s'occupassent autrefois principalement que de la direction des finances, ils avoient cependant toujours conservé le droit de venir prendre place en la chambre du trésor & d'y présider.

Dès le tems de Philippe le Bel il y avoit un président des trésoriers de France, qu'on appelloit le souverain des trésoriers. Henri III. en créa un second dans chaque bureau ; il en a été encore créé d'autres dans la suite, lesquels à Paris ont été réunis au corps des trésoriers de France, & sont exercés par les plus anciens d'entr'eux.

En 1551, Henri II. voulant unir les charges de trésoriers de France avec celle de généraux des finances, ordonna que dans chaque bureau des dix-sept recettes générales du royaume il y auroit un trésorier de France général des finances ; depuis, il sépara ces charges en deux.

En 1577, Henri III. créa les trésoriers de France en corps de compagnie, au moyen de l'établissement qu'il fit des bureaux des finances dans les généralités & principales villes du royaume.

L'édit du mois de Mars 1627, en ôtant aux baillifs & sénéchaux la connoissance des causes du domaine que l'édit de Crémieu leur avoit attribué, la donna aux trésoriers de France, chacun dans l'étendue de leurs généralités, avec faculté de juger en dernier ressort jusqu'à 250 liv. de principal, & de 10 liv. de rente, & de juger par provision jusqu'au double de ces sommes.

Les bureaux des finances sont présentement composés de présidens en titre d'office, de présidens dont les offices ont été réunis au corps, & sont remplis & exercés par les plus anciens trésoriers de France.

Il y a aussi dans plusieurs bureaux des finances un chevalier d'honneur ; à Paris il n'y en a point.

Les présidens & trésoriers de France de Paris servent alternativement en la chambre du domaine, & au bureau des finances ; il y a un avocat & un procureur du roi pour la chambre du domaine, & un autre avocat & un autre procureur du roi pour le bureau des finances.

Les trésoriers de France réunissent présentement quatre sortes de fonctions ; savoir, 1°. celle qui leur appartenoit anciennement pour la direction des finances, du tems que la connoissance des causes du domaine appartenoit à la chambre du trésor. 2°. La jurisdiction qui appartenoit à la chambre du trésor sur le fait du domaine, & qui pendant un tems avoit été attribuée en partie aux baillifs & sénéchaux. 3°. Ils ont aussi la voirie, en conséquence de l'édit du mois de Février 1627, qui leur a attribué la jurisdiction contentieuse en cette matiere.

Leur direction, par rapport aux finances, comprend les finances ordinaires, qui sont le domaine, & les finances extraordinaires, qui sont les aides, tailles & autres impositions.

Il est de leur charge de veiller à la conservation du domaine du roi & de ses revenus, d'en faire payer les charges locales, & pour cet effet, d'en donner un état des recette & dépense à faire aux receveurs pour se conduire dans leur recette.

Ce sont eux qui reçoivent les fois & hommages, aveux & dénombremens des terres non titrées relevantes du roi ; mais ils en envoyent annuellement les actes à la chambre des comptes, conformément à un réglement du mois de Février 1668.

Dans leurs chevauchées ils font des procès-verbaux des réparations à faire aux maisons & hôtels du roi, aux prisons & autres édifices dépendans du domaine, & aussi aux grands chemins, pour être pourvu de fonds à cet effet.

Les commissions des tailles & impositions leur sont envoyées, & ensuite envoyées par eux avec leur attache aux élus des élections pour en faire l'assiette & département sur les paroisses contribuables.

Ils donnent aux comptables de leur généralité chacun un état par estimation des recette & dépense qu'ils ont à faire, & vérifient à la fin de leur exercice l'état au vrai des recette & dépense faites sur les comptables qui rendent leur compte à la chambre des comptes.

Jusqu'à ce que les comptes soient rendus à la chambre, ils ont toute jurisdiction sur les comptables & sur ceux qui ont des assignations sur leurs recettes, en exécution de l'état du roi qu'ils ont ; mais du moment que les comptes sont rendus, ce pouvoir cesse, les particuliers prennent droit par les comptes, & se pourvoient en conséquence d'iceux à la chambre.

Ils reçoivent les cautions des comptables de leur généralité, & les font fortifier en cas d'insolvabilité, mais ils en envoyent les actes au greffe de la chambre des comptes, suivant le réglement de 1668 & l'édit du mois d'Août 1669.

Lorsque les comptables meurent sans avoir rendu leurs comptes, les trésoriers de France apposent chez eux le scellé, & veillent à la sureté de ce qu'ils doivent au roi, dont ils se font compter par état.

Si les comptables deviennent insolvables, ils les dépossedent, & commettent à leur exercice, en attendant que le roi y ait pourvu.

Ils prêtent serment à la chambre des comptes, & reçoivent celui de tous les comptables de leur généralité, mais ils ne font point l'information de leurs vie & moeurs, après que la chambre l'a faite à la réception des comptables, cela appartenant uniquement à la chambre, ainsi qu'il est expliqué par l'adresse des provisions.

Les trésoriers de France jouissent de plusieurs privileges, dont les preuves ont été recueillies par Fournival.

Ils sont commensaux de la maison du roi, comme officiers qualifiés de France, & jouissent en conséquence de tous les privileges attribués aux commensaux, tels que les droits de committimus & de franc-salé, le droit de deuil à la mort des rois.

En cette même qualité de commensaux ils sont encore exempts de guet, de garde, de réparations des villes & de subventions.

Ils sont du corps des compagnies souveraines, & ont les mêmes privileges, & notamment la noblesse transmissible.

Ceux de Paris l'ont au premier degré en vertu d'un édit du mois d'Avril 1705 ; ceux des autres bureaux des finances ne transmettent que patre & avo.

Par le réglement de la réforme des habits, ils sont traités comme les compagnies souveraines.

Et en effet dans certain cas ils jugent souverainement.

Il y a des édits & déclarations qui leur sont adressés.

Ils ont l'honneur de parler debout au roi, comme les cours souveraines.

Ils doivent jouir du droit d'indult.

Dans les villes où il n'y a pas d'autres cours, ils ont près d'eux une chancellerie établie à l'instar de celles des compagnies souveraines.

Leurs huissiers ont été créés à l'instar de ceux des autres compagnies souveraines.

Ils ont rang & séance aux entrées & pompes funebres des rois, reines, & autres princes.

Ils ont aussi entrée & séance au parlement entre les conseillers ; lorsqu'ils viennent ou sont mandés pour quelqu'affaire, & lorsqu'ils viennent seulement pour assister aux grandes audiences, ils ont droit de sieger les premiers sur le banc des baillifs & sénéchaux.

Ils ont aussi droit de séance en la cour des aides lorsqu'ils y sont mandés pour affaires.

Ils sont exempts des droits d'aides, emprunts, subsistances, logemens de gens de guerre, & ont été maintenus par provision dans l'exemption du droit de gros.

Ils sont aussi exempts du ban & arriere-ban, de payer le prêt au renouvellement du droit annuel, de toute tutele & curatelle.

Fournival dit que leur procès ne peut leur être fait que par le chancelier de France ; il est au-moins certain qu'ils jouissent du privilege des autres cours, de ne pouvoir être jugés que par leurs confreres.

Sur ce qui concerne les trésoriers de France, on peut voir Miraumont, Pasquier, Joly, Baquet, Fournival, le recueil des ordonnances de la troisieme race, & ci-devant le mot DOMAINE. (A)

TRESORIERS DE L'EXTRAORDINAIRE DES GUERRES, (Finances) sont en France des officiers créés par le roi, pour faire le payement de toutes les troupes, tant de cavalerie que d'infanterie, pour payer les garnisons de toutes les places, comme aussi les vivres, étapes, fourrages, appointemens des gouverneurs, lieutenans, majors & états majors de toutes les provinces, &c. Ces trésoriers choisissent entre leurs principaux commis ceux qui sont les plus entendus, & ils en envoient un dans chaque armée. Il doit avoir un logement dans le quartier général ; l'infanterie lui fournit une garde de trente hommes. Quand le régiment des Gardes-françoises est à l'armée cette garde lui est affectée de droit ; elle est composée de quinze ou vingt hommes commandés par un sergent. (O)

TRESORIER DE PROVINCE, (Hist. d'Angleterre) treasurer of the county ; c'est celui qui est le gardien des fonds de la comté, of the county-stock. Il y a deux trésoriers dans chaque comté, nommés aux sessions de pâques, à la pluralité des suffrages des juges de paix ; ils sont annuels, doivent avoir dix livres sterlings de revenus en terres, & rendre compte chaque année de leur régie, à leurs successeurs, aux sessions de pâques, ou au plus tard dix jours après.

Les fonds du comté dont cet officier est le gardien, se levent annuellement par une taxe de contribution sur chaque paroisse ; ce fond doit être employé à des usages charitables, à soulager des soldats ou des matelots estropiés, comme aussi des prisonniers qui sont pour dettes dans les prisons du comté ; il sert encore à entretenir de pauvres maisons de charité, & à payer les salaires des gouverneurs des maisons de correction. Quelle est la charge de ces trésoriers, la maniere de lever les fonds, & quel en doit être l'emploi, c'est ce qu'on trouvera détaillé dans les statuts XLIII. d'Elisabeth, c. vij. Jacques I. c. iv, xj, & xij. de Guillaume III. c. xviij. de la reine Anne, c. xxxij. de George I. c. xxiij. (D.J.)


TRESQUILLESS. f. pl. (Lainage) espece de laine qui vient du levant ; c'est la même qualité de laine que les laines surges & en suint.


TRESSAILLIRv. n. (Gram.) éprouver une émotion subite & légere : on tressaillit de peur & de joie ; l'homme le plus intrépide qui regarde sa fin d'un air tranquille, ne peut fixer long-tems son attention sur cet objet, sans tressaillir ; combien notre éducation est mauvaise de ce côté ! pourquoi nous effrayer sans cesse sur un événement qui doit un jour avoir lieu ? pourquoi nous surfaire à tout moment le prix d'une vie qu'il faut perdre ? ne vaudroit-il pas mieux nous en entretenir avec mépris dès nos plus jeunes ans ? nous tressaillons de frayeur quand on nous montre la mort de près ; on pourroit nous apprendre à tressaillir de joie en la recevant ; quels hommes que ceux qu'on auroit instruits à mourir avec joie !


TRESSANTà la Monnoie, lorsque l'essayeur général & l'essayeur particulier ne se rapportent point en faisant leur essai d'une même espece, & qu'il y a quelque trente - deuxieme pour l'or, ou quelque vingt-quatrieme pour l'argent de différence entre eux, on appelle cela faire un tressant.


TRESSAUXterme de Pêche, liens de bois tord, pour arrêter les nasses ou nausses. Voyez DUITS.


TRESSEen terme de Boutonnier, est un tissu de soie ou de fil, d'or ou d'argent, de différente largeur, & fait au boisseau. Voyez BOISSEAU.

Voici la maniere dont ce tissu se travaille. On sait le nombre de pieces de même longueur & de même largeur qu'on a à faire ; alors on devide ses soies sur la chignolle, voyez CHIGNOLLE, en les séparant par tas égaux de plusieurs brins ; on charge chacun de ces tas sur pareil nombre de fuseaux, où on se propose de faire une douzaine, deux douzaines, &c. de jartieres, par exemple ; où on ne veut faire qu'une tresse, ceinture de manchon, guide de chevaux, &c. dans le premier cas, le nombre des fuseaux chargés comme on vient de le voir, n'est que la moitié de celui dont on se servira, l'autre moitié se chargeant à mesure d'autant de matiere en longueur qu'il en faut pour achever une jartiere ; cette moitié se coupe de dessus les autres fuseaux ; les deux bouts se nouent, ensuite on arrange tous les fuseaux dans un S de fil-d'archal, ensorte que les brins soient l'un sur l'autre sans confusion, & partagés en deux parties égales ; on passe pour commencer la tête, une moitié de ces fuseaux sous le carton du boisseau, on fait jouer l'autre en faisant des levées d'un en un, en allant de droit à gauche, ou de gauche à droit, en jettant le dernier de chaque côté au milieu des fuseaux, levant celui d'après, ainsi du reste, jusqu'à ce que la tête soit formée : alors on prend les autres fuseaux, on les leve d'un en un pendant le premier tour seulement, & de deux en deux, ou de trois en trois pendant le second & les autres. Ces levées faites d'un côté, à chaque tour on jette le dernier fuseau entre ceux qui sont levés, & ceux qui posent sur le boisseau, jusqu'au milieu des deux parties de fuseaux ; on met les levées à leur place, on en fait autant de l'autre côté, jusqu'à ce que l'ouvrage soit fini. Dans le second cas où on fait une tresse sans tête, on charge tous les fuseaux de la même quantité de matiere, on les noue l'un avec l'autre, on les arrange sur l's, ensorte que tous les noeuds entrent dedans, & on travaille comme dans les jartieres, au premier tour & aux autres, en laissant un peu d'intervalle entre l's & l'endroit d'où on commence le tissu, pour former ce qu'on appelle un paine. Voyez PAINE. Si l'on fait des boutonnieres à ces sortes de tresses, on met sous le carton du boisseau la moitié des fuseaux, & on fait avec l'autre un côté de la boutonniere : on reprend les fuseaux du carton avec lesquels on fait l'autre côté, puis on les rassemble tous au bas de la boutonniere, pour achever la tresse pleine.

Les fuseaux sont en nombre impair, à cause de celui qui court toujours entre les levées : on ne fait guere de tresse au-dessous de treize fuseaux, & on va en augmentant de trois, de quatre, ou de cinq, jusqu'à soixante & onze, qui est la tresse la plus forte ; plus de fuseaux seroient trop embarrassans.

Les levées se font de deux en deux, ou de trois en trois, relativement au nombre des fuseaux, & à la qualité qu'on veut donner à l'ouvrage.

TRESSE de cheveux, terme de Perruquier, tissu qui se fait des cheveux attachés par un bout sur un long fil de soie ; cette tresse se fait sur un petit métier qui consiste en trois pieces ; savoir une table longue environ d'un pié & demi, & large de trois ou quatre pouces, & deux petits cylindres, ou colonnes d'un pouce de diametre, & d'un pié de hauteur, postés aux deux bouts de la table. Ces cylindres sont mobiles, afin de pouvoir devider la tresse sur l'un, à mesure qu'elle s'avance, & allonger la soie qui est roulée sur l'autre, lorsque l'espace qui est entre deux est tissu, c'est-à-dire lorsque les cheveux y sont attachés avec une aiguille. Les tresses de cheveux servent à faire des perruques, & des coins de cheveux pour hommes, des tours & des boucles pour femmes. (D.J.)

TRESSER les cheveux, (terme de Perruquier) c'est les attacher par un bout sur des fils ou soies, pour les mettre en état de servir à faire des perruques & autres ouvrages de cheveux.


TRESSOIRS. m. outil de Gainier, c'est un petit fer plat, de la largeur d'un pouce, quarré par en-haut & un peu arrondi par en-bas ; au milieu de cet arrondissement, est une petite queue aussi de fer, qui se met dans un petit manche de la longueur d'un pouce & gros à proportion ; le bout quarré de cet outil est garni de petites pointes faites en dents creusées dans le fer, à la distance chacune d'environ une ligne : cet outil sert aux gainiers pour marquer les distances où il faut placer les clous d'ornement. Voyez la figure Pl. du Gainier.


TRESSURESou TRESTONS montés sur piquets, sorte de pêcherie en usage dans le ressort de l'amirauté de S. Malo.

Ceux qui font la pêche ou les pêcheurs bouchoteurs se servent de lignes garnies de gros hameçons, pour prendre des chiens de mer, des morues, & autres especes de gros poissons qui entrent dans la baie de S. Malo ; ils sont montés sur des piles ou des avançons séparés, comme font les pêcheurs de Dunkerque & autres ; le bout de la pile est garni d'une pierre ou d'une torque de paille, enfouée dans le sable ou la vase, & tient l'air au-dessus du fond ; quelques-uns les montent aussi chacune sur un petit piquet de tressons ou tressures, qui sont proprement des rets de bas parc montés sur petits piquets ; mais les rets dont ces piquets sont garnis, n'ont au plus que douze brasses de longueur, parce que la mer, que les pêcheurs disent être trop coursiere, ou qui monte avec précipitation dans cette baie, emporteroit bientôt les rets avec les piquets, si une plus grande étendue lui faisoit quelque résistance ; les mailles de ces filets commencent d'approcher du calibre prescrit par les ordonnances ; le défaut de soin des officiers qui les doivent surveiller, & des syndics ou gardes jurés qui n'y sont point établis, sont la cause que les filets de ces pêcheurs ne sont pas présentement dans la regle qui est ordonnée par les ordres de sa majesté.


TRETA(Géogr. anc.) ville de l'île de Cypre. Strabon, l. XIV. p. 683. la place entre Boosura & le promontoire d'où l'on précipitoit ceux qui avoient profané l'autel d'Apollon. (D.J.)


TRÉTEAUS. m. (instrument d'Ouvrier) espece de chevalet de bois avec quatre piés, deux à chaque bout, qui sert à différens usages dans les arts & métiers. Les tréteaux des charpentiers, scieurs de long, sont fort élevés, afin que le scieur de dessous ait de l'échappée pour retirer la scie lorsque le scieur de dessus la pousse ; il faut deux tréteaux quand ce sont de longues pieces qu'on débite, & seulement un quand les pieces sont courtes ; mais alors il faut l'étançonner, & bander fortement la piece dessus avec des cordes. (D.J.)

TRETEAUX, s. m. pl. (Charpent.) sortes de piés de bois assez hauts, sur lesquels on pose les pieces pour les scier. (D.J.)

TRETEAUX, s. m. pl. terme de scieur de bois, sorte de piés de bois d'une certaine hauteur, sur lesquels les scieurs de bois posent la piece qu'ils ont à scier.


TRÉTHIMIROW(Géog. mod.) petite ville de Pologne, dans l'Ukraine, au palatinat de Kiovie, sur le Borysthène, à douze lieues de Kiovie ; elle appartient aux Cosaques. (D.J.)


TRÉTOIRES. f. (Vannerie) espece de tenaille de bois.


TRETUM(Géog. anc.) 1°. promontoire de l'Afrique propre. Ptolémée, l. IV. c. iij. le marque sur la côte du golfe de Numidie, entre Russicada & Uzicath. Strabon, l. XVII. p. 830. qui nomme ce promontoire Tritum, dit qu'il étoit à six mille stades de celui de Métagonium. Le nom moderne est Capo-Ferrato, selon Castald, & Bucramel, selon Mercator.

2°. Tretum, lieu du Peloponnèse, dans l'Argolide. Pausanias, l. II. c. xv. dit que l'un des chemins qui conduit de Cléone à Argos, passe à Tretum, & que quoique étroit & serré dans les montagnes, il étoit néanmoins le plus facile pour les voitures. C'est dans ces montagnes que l'on montroit la caverne du lion Néméen ; & de-là à la ville de Némée, il n'y avoit pas plus de quinze stades. (D.J.)


TREUou TRUAGE, (Jurisprud.) ancien terme qui paroît être un diminutif de treuver, que l'on disoit alors pour trouver : on payoit le droit de treu accoutumé au seigneur dans la justice duquel on avoit trouvé & abattu une bête que le chasseur avoit fait lever dans une autre seigneurie ; d'autres prétendent que treu & truage venoient de tribu, en latin tributum, & par corruption tributagium, & en effet le mot treu ou truage signifioit aussi le péage ou impôt que le seigneur levoit sur les marchandises qui passoient dans sa seigneurie. Le treu du sel étoit l'impôt qui se percevoit sur le sel. Voyez Bouteillier, Galland, Lamiere, du Cange, au mot Trutanizare. (A)


TREUILS. m. (Méch.) n'est autre chose que la machine autrement appellée axis in peritrochio (fig. 44. Méch.), dont l'axe E F est situé parallélement à l'horison. Dans cette machine la puissance appliquée à l'extrêmité du rayon A, est au poids comme le rayon de l'axe E F est au rayon de la roue. Voyez AXE DANS LE TAMBOUR.

M. Ludot dans une piece sur le cabestan, qui a partagé le prix de l'académie en 1741, remarque que la théorie de M. Varignon, pour determiner la charge des appuis dans le treuil, est insuffisante, & qu'elle peut même induire en erreur. Il s'est appliqué à réparer cette négligence, & donne le théorème général pour déterminer la charge des appuis dans le treuil, suivant quelques directions, & dans quelques plans que la puissance & le poids agissent.

Le treuil s'appelle aussi tour ; cependant le nom de tour est plus souvent un mot générique, pour exprimer la machine appellée axis in peritrochio, soit que l'axe soit parallele à l'horison, ou qu'il lui soit perpendiculaire.

Au-lieu de la roue A B, on se contente souvent de passer dans l'axe E F des leviers A B, plus ou moins longs, & en plus ou moins grand nombre, selon les poids qu'on veut élever, & la quantité de puissance qu'on veut y employer. (O)


TREVA(Géog. anc.) ville que Ptolémée, l. II. c. xj. marque dans le climat le plus septentrional de la Germanie. Cluvier pense que c'est Lubec. Treva est aussi le nom d'une ville d'Italie, dans la Flaminie, sur les bords du fleuve Clitumnus. (D.J.)


TREVES. f. (Droit polit.) la treve est une convention, par laquelle on s'engage à suspendre pour quelque tems les actes d'hostilité, sans que pour cela la guerre finisse, car alors l'état de guerre subsiste toujours.

La treve n'est donc point une paix, puisque la guerre subsiste ; mais si l'on est convenu, par exemple, de certaines contributions pendant la guerre, comme on n'accorde ces contributions que pour se racheter des actes d'hostilité, elles doivent cesser pendant la treve, puisqu'alors ces actes ne sont pas permis ; & au contraire, si l'on a parlé de quelque chose, comme devant avoir lieu en tems de paix, l'intervalle de la treve ne sera point compris là-dedans.

Toute treve laissant subsister l'état de guerre, c'est encore une conséquence, qu'après le terme expiré, il n'est pas besoin d'une nouvelle déclaration de guerre ; la raison en est, que ce n'est pas une nouvelle guerre que l'on commence, c'est la même que l'on continue.

Ce principe, que la guerre que l'on recommence après une treve, n'est pas une nouvelle guerre, peut s'appliquer à divers autres cas. Dans un traité de paix conclu entre l'évêque & prince de Trente, & les Vénitiens, il avoit été convenu que chacun seroit remis en possession de ce qu'il possédoit avant la précédente & derniere guerre.

Au commencement de cette guerre, l'évêque avoit pris un château des Vénitiens, que ceux-ci reprirent depuis ; l'évêque refusoit de le céder, sous prétexte qu'il avoit été repris après plusieurs treves, qui s'étoient faites pendant le cours de cette guerre ; la question devoit se décider évidemment en faveur des Vénitiens.

On peut faire des treves de plusieurs sortes.

1°. Quelquefois pendant la treve, les armées ne laissent pas de demeurer sur pié avec tout l'appareil de la guerre, & ces sortes de treves sont ordinairement de courte durée.

2°. Il y a une treve générale pour tous les pays de l'un & de l'autre peuple, & une treve particuliere restreinte à certains lieux, comme par exemple, sur mer, & non pas sur terre, &c.

3°. Enfin, il y a une treve absolue, indéterminée & générale, & une treve limitée & déterminée à certaines choses ; par exemple, pour enterrer les morts, ou bien si une ville a obtenu une treve seulement pour être à l'abri de certaines attaques, ou par rapport à certains actes d'hostilité, comme pour le ravage de la campagne.

Il faut remarquer encore qu'à proprement parler, une treve ne se fait que par une convention expresse, & qu'il est très-difficile d'établir une treve sur le fondement d'une convention tacite, à-moins que les faits ne soient tels en eux-mêmes & dans leurs circonstances, qu'ils ne puissent être rapportés à un autre principe, qu'à un dessein bien sincere de suspendre pour un tems les actes d'hostilité.

Ainsi, de cela seul qu'on s'est abstenu pour quelque tems d'exercer des actes d'hostilité, l'ennemi auroit tort d'en conclure que l'on consent à une treve.

La nature de la treve fait assez connoître quels en sont les effets.

1°. En général, si la treve est générale & absolue, tout acte d'hostilité doit cesser, tant à l'égard des personnes, qu'à l'égard des choses ; mais cela n'empêche pas que l'on ne puisse pendant la treve, lever de nouvelles troupes, faire des magasins, réparer des fortifications, &c. à-moins qu'il n'y ait quelque convention formelle au contraire ; car ces sortes d'actes ne sont pas en eux-mêmes des actes d'hostilité, mais des précautions défensives, & que l'on peut prendre même en pleine paix.

Ce seroit aussi une chose contraire à la treve, que de s'emparer d'une place occupée par l'ennemi, en corrompant la garnison ; il est bien évident que l'on ne peut pas non plus innocemment s'emparer pendant la treve, des lieux que l'ennemi a abandonnés, mais qui lui appartiennent, soit qu'il ait cessé de les garder avant la treve, soit après.

3°. Par conséquent, il faut rendre les choses appartenantes à l'ennemi, qui pendant la treve sont par quelque hasard tombées entre nos mains, encore même qu'elles nous eussent appartenu auparavant.

4°. Pendant la treve, il est permis d'aller & de venir de part & d'autre, mais sans aucun train, ni aucun appareil, d'où il puisse y avoir quelque chose à craindre.

A cette occasion, on demande si ceux qui par quelque accident imprévû & insurmontable, se trouvent malheureusement sur les terres de l'ennemi après la treve expirée, peuvent être retenus prisonniers, ou si l'on doit leur accorder la liberté de se retirer : Grotius & Puffendorf après lui, décident que l'on peut à la rigueur du droit, les retenir prisonniers de guerre ; mais, ajoute Grotius, il est sans doute plus humain & plus généreux de se relâcher d'un tel droit ; pour moi, il me semble que c'est une suite du traité de treve, que l'on laisse aller ces gens là en liberté ; car puisqu'en vertu de la treve, on étoit obligé de laisser aller & venir en liberté pendant tout le tems de la treve, on doit aussi leur accorder la même permission après la treve même, s'il paroît manifestement qu'une force majeure, ou un cas imprévû les a empêché d'en profiter durant l'espace reglé ; autrement, comme ces sortes d'accidens peuvent arriver tous les jours, une telle permission deviendroit souvent un piege pour faire tomber bien des gens entre les mains de l'ennemi : tels sont les principaux effets d'une treve absolue & générale.

Pour ce qui est d'une treve particuliere ou déterminée à certaines choses, ses effets sont proportionnés à la convention, & limités par la nature de l'accord.

1°. Ainsi, si l'on a accordé une treve seulement pour enterrer les morts, on n'est pas pour cela en droit d'entreprendre tranquillement quelque chose de nouveau, qui apporte quelque changement à l'état des choses : on ne peut, par exemple, pendant ce tems-là, se retirer dans un port plus sûr, ni se retrancher, &c. car premierement, celui qui a accordé une courte treve pour enterrer les morts, ne l'a accordée que pour cela, & il n'y a nulle raison de l'étendre au-delà du cas dont on est convenu ; d'où il s'ensuit, que si celui à qui on l'a accordée, vouloit en profiter pour se retrancher, par exemple, ou pour quelqu'autre chose, l'autre seroit en droit de l'empêcher par la voie des armes : le premier ne sauroit s'en plaindre, car on ne sauroit prétendre raisonnablement qu'une treve conclue pour enterrer les morts & restrainte à ce seul acte, donne droit d'entreprendre & de faire tranquillement quelqu'autre chose ; tout ce à quoi elle oblige celui qui l'a accordée, c'est à ne point s'opposer par la force à l'enterrement des morts, il n'est tenu à rien de plus ; cependant Puffendorf est dans un sentiment contraire.

C'est en conséquence des mêmes principes, que l'on suppose que par la treve, on ait seulement mis les personnes à couvert des actes d'hostilité, & non pas les choses ; en ce cas-là, si pour défendre ses biens on fait du mal aux personnes, on n'agit point contre l'engagement de la treve ; car par cela même qu'on a accordé de part & d'autre une sûreté pour les personnes, on s'est aussi réservé le droit de défendre ses biens du dégât ou du pillage ; ainsi la sûreté des personnes n'est point générale, mais seulement pour ceux qui vont & viennent sans dessein de rien prendre à l'ennemi, avec qui on a fait cette treve limitée.

Toute treve oblige les parties contractantes, du moment que l'accord est fait & conclu ; mais à l'égard des sujets de part & d'autre, ils ne sont dans quelque obligation à cet égard, que quand la treve leur a été solemnellement notifiée. Il suit de-là, que si avant cette notification, les sujets commettent quelque acte d'hostilité, ou font quelque chose contre la treve, ils ne seront sujets à aucune punition ; cependant les puissances qui auront conclu la treve doivent dédommager ceux qui auront souffert, & rétablir les choses dans le premier état, autant que faire se pourra.

Enfin, si la treve vient à être violée d'un côté, il est certainement libre à l'autre des parties de reprendre les armes, & de recommencer la guerre sans aucune déclaration préalable ; que si l'on est convenu d'une peine payable par celui qui violeroit la treve, si celui-ci offre la peine, ou s'il l'avoit subie, l'autre n'est point en droit de recommencer les actes d'hostilité avant le terme expiré ; bien entendu qu'outre la peine stipulée, la partie lésée est en droit de demander un dédommagement de ce qu'elle a souffert par l'infraction de la treve ; mais il faut bien remarquer que les actions des particuliers ne rompent point la treve, à-moins que le souverain n'y ait quelque part, ou par un ordre donné, ou par une approbation ; & le souverain est censé approuver ce qui a été fait, s'il ne veut ni punir, ni livrer le coupable, ou s'il refuse de rendre les choses prises pendant la suspension d'armes. Principes du Droit politique, tom. II. (D.J.)

TREVE, (Jurisprud.) ce terme a dans cette matiere différentes significations.

Treve, du latin trivium, signifie dans les anciens titres un carrefour où aboutissent trois chemins.

Treve, en quelques pays, comme en Bretagne, signifie une église qui est succursale d'une paroisse.

Treve est pris quelquefois pour sauvegarde, liberté, franchise ; il en est parlé en ce sens pour ceux qui alloient à certaines foires, les débiteurs avoient huit jours de treve avant la fête & huit jours après. Voyez le Gloss. de Ducange au mot treviae immunitas.

Treve brisée ou enfreinte, c'étoit lorsque l'une des parties faisoit quelque hostilité au préjudice de la treve. Voyez le Gloss. de Ducange au mot treuga, treugarum infractio. (A)

TREVE DE DIEU ou TREVE DU SEIGNEUR, treva, treuca seu treuga Domini, étoit une suspension d'armes qui avoit lieu autrefois pendant un certain tems par rapport aux guerres privées.

C'étoit anciennement un abus invétéré chez les peuples du Nord, de venger les homicides & les injures par la voie des armes.

La famille de l'homicidé en demandoit raison aux parens de celui qui avoit commis le crime ; & si l'on ne pouvoit parvenir à un accommodement, les deux familles entroient en guerre l'une contre l'autre.

Cette coutume barbare fut apportée dans les Gaules par les Francs lorsqu'ils en firent la conquête ; nos rois ne purent pendant long-tems arrêter les désordres de ces guerres privées qui se faisoient sans leur permission.

Cette licence dura pendant tout le cours de la premiere & de la seconde race, & même encore sous les premiers rois de la troisieme ; on peut voir sur ces premiers tems Grégoire de Tours, Frédégaire, Warnefrid, de Thou.

Cependant en attendant que l'on pût entierement remédier au mal, on chercha quelques moyens pour l'adoucir.

Le premier fut que l'homicide ou sa famille payeroit au roi une somme pour acheter la paix, ce qui s'appelloit fredur ; ils payoient aussi aux parens du mort une somme qui, selon quelques-uns, s'appelloit faidum ou faidam ; d'autres prétendent que faida signifioit une inimitié capitale.

Le second moyen étoit que les parens du meurtrier pouvoient affirmer & jurer solemnellement qu'ils n'étoient directement ni indirectement complices de son crime.

Le troisieme moyen étoit de renoncer à la parenté & de l'abjurer.

Charlemagne fut le premier qui fit une loi générale contre les guerres privées ; il ordonna que le coupable payeroit promtement l'amende ou composition, & que les parens du défunt ne pourroient refuser la paix à celui qui la demanderoit.

Cette loi n'étant pas assez rigoureuse, ne fit point cesser l'abus, d'autant même que l'autorité royale fut comme éclipsée sous les derniers rois de la seconde race & sous les premiers rois de la troisieme, les seigneurs, tant ecclésiastiques que temporels, s'étant arrogé le droit de faire la guerre ; de sorte que ce qui n'étoit jusque-là que des crimes de quelques particuliers qui étoient tolérés, devint en quelque maniere un droit public.

Les évêques défendirent, sous des peines canoniques, que l'on usât d'aucune violence pendant un certain tems, afin que l'on pût vaquer au service divin ; cette suspension d'hostilité fut ce que l'on appella la treve de Dieu, nom commun dans les conciles depuis le onzieme siecle.

Le premier reglement fut fait dans un synode tenu au diocèse d'Elne en Roussillon le 16 Mai 1027, rapporté dans les conciles du Pere Labbe. Ce reglement portoit que dans tout le comté de Roussillon personne n'attaqueroit son ennemi depuis l'heure de none du samedi, jusqu'au lundi à l'heure de prime, pour rendre au dimanche l'honneur convenable ; que personne n'attaqueroit, en quelque maniere que ce fût, un moine ou un clerc marchant sans armes, ni un homme allant à l'église ou qui en revenoit, ou qui marchoit avec des femmes ; que personne n'attaqueroit une église ni les maisons d'alentour, à trente pas, le tout sous peine d'excommunication, laquelle au bout de trois mois seroit convertie en anathème.

Au concile de Bourges tenu en 1031, Jourdain de Limoge prêcha contre les pillages & les violences ; il invita tous les seigneurs à se trouver au concile le lendemain & le troisieme jour, pour y traiter de la paix, il les exhorta de la garder en venant au concile, pendant le séjour, & après le retour sept jours durant, ce qui n'étoit encore autre chose que ce qu'on appelloit la treve de Dieu, & non paix proprement dite, la paix étant faite pour avoir lieu à perpétuité, quoique souvent elle dure peu de tems.

Cette treve étoit regardée comme une chose si essentielle, que pour y engager tout le monde, le diacre qui avoit lû l'évangile lut une excommunication contre les chevaliers du diocèse de Limoges qui refusoient de promettre à leur évêque par serment la paix & la justice comme il l'exigeoit ; cette excommunication étoit accompagnée de malédictions terribles, & même les évêques jetterent à terre les cierges qu'ils tenoient allumés & les éteignirent ; le peuple en frémit d'horreur, & tous s'écrierent ainsi : " Dieu éteigne la joie de ceux qui ne veulent pas recevoir la paix & la justice ".

Sigebert rapporte sous l'an 1032, qu'un évêque d'Aquitaine, dont on ignore le nom, publia qu'il avoit reçu du ciel un écrit apporté par un ange, dans lequel il étoit ordonné à chacun de faire la paix en terre pour appaiser la colere de Dieu qui avoit affligé la France de maladies extraordinaires & d'une stérilité générale, ce qui donna lieu à plusieurs conciles nationaux & provinciaux de défendre à toutes personnes de s'armer en guerre privée pour venger la mort de leurs parens, ce que les évêques de France prescrivirent chacun aux fideles de leur diocèse.

Mais cette paix générale ne dura qu'environ sept ans, & les guerres privées ayant recommencé, on tint en 1041 divers conciles en France au sujet de la paix qui y étoit desirée depuis si long-tems, & la crainte & l'amour de Dieu firent conclure entre tous les seigneurs une treve générale, qui fut acceptée d'abord par ceux d'Aquitaine, & ensuite peu-à-peu par toute la France.

Cette treve duroit depuis les vêpres de la quatrieme férie, jusqu'au matin de la seconde, c'est-à-dire depuis le mercredi au soir d'une semaine jusqu'au lundi matin, ce qui faisoit un intervalle de tems dans chaque semaine d'environ quatre jours entiers, pendant lequel toutes vengeances & toutes hostilités cessoient.

On crut alors que Dieu s'étoit déclaré pour l'observation de cette treve, & qu'il avoit fait un grand nombre de punitions exemplaires sur ceux qui l'avoient violée.

C'est ainsi que les Neustriens ayant été frappés de la maladie des ardens, qui étoit un feu qui leur dévoroit les entrailles, ce fléau fut attribué à ce qu'ils n'avoient pas d'abord voulu recevoir la treve de Dieu ; mais bien-tôt après ils la reçurent, ce qui arriva principalement du tems de Guillaume le Conquérant, roi d'Angleterre & duc de Normandie.

En effet, Edouard le Confesseur, roi d'Angleterre, qui désigna Guillaume le Conquérant pour son successeur, reçut dans ses états en l'année 1042, la treve de Dieu, avec cette addition, que cette paix ou treve auroit lieu pendant l'avent & jusqu'à l'octave de l'Epiphanie, depuis la Septuagésime jusqu'à Pâques ; depuis l'Ascension jusqu'à l'octave de la Pentecôte, pendant les quatre-tems, tous les samedis depuis neuf heures jusqu'au lundi suivant, la veille des fêtes de la Vierge, de saint Michel, de saint Jean-Baptiste, de tous les apôtres & de tous les saints dont la solemnité étoit annoncée à l'église, de la Toussaint, le jour de la dédicace des églises, & le jour de la fête du patron des paroisses, &c.

Le réglement des rois Edouard & Guillaume II. sur la paix ou treve de Dieu, fut depuis confirmé dans un concile tenu à Lillebonne l'an 1080.

Plusieurs grands seigneurs adopterent aussi la treve de Dieu, tels que Raimond Berenger, comte de Barcelone en 1066, & Henri, évêque de Liege en 1071.

Ce que les évêques avoient ordonné à ce sujet à leurs diocésains, fut confirmé par Urbain II. au concile de Clermont en 1095.

Il y eut nombre d'autres conciles qui confirmerent la treve de Dieu ; outre le synode d'Elne en 1027, & le concile de Bourges en 1031, dont on a dejà parlé, on en fit aussi mention dans les conciles de Narbonne en 1054, d'Elne en 1065, de Troye en 1093, de Rouen en 1096, de Northausen en 1105, Rheims en 1119 & 1136, de Rome dans la même année, de Latran en 1139, au troisieme concile de Latran en 1179, de Montpellier en 1195, & plusieurs autres.

On voit aussi par le chapitre premier du titre de treuga & pace aux décrétales, qui est tiré du concile de Latran de l'an 1179, sous Alexandre III. que la treve de Dieu, avec une partie des augmentations qu'Edouard-le-Confesseur y avoit faites, devint une regle générale & un droit commun dans tous les états chrétiens.

Cependant Yves de Chartres dit que cette treve étoit moins fondée sur une loi du souverain que sur un accord des peuples confirmé par l'autorité des évêques & des églises.

On faisoit jurer l'observation de cette treve aux gens de guerre, aux bourgeois, & aux gens de la campagne, depuis l'âge de quatorze ans & au-dessus ; le concile de Clermont marque même que c'étoit dès douze ans.

Ce serment fut la cause pour laquelle Gérard, évêque de Cambray, s'opposa si fortement à l'établissement de la treve de Dieu, il craignoit que chacun ne tombât dans le cas du parjure, comme l'événement ne le justifia que trop.

La peine de ceux qui enfreignoient la treve de Dieu étoit l'excommunication, & en outre une amende, & même quelquefois une plus grande peine.

Cependant les treves étoient mal observées, & les guerres privées recommençoient toujours.

Pour en arrêter le cours, Philippe-Auguste fit une ordonnance, par laquelle il établit une autre espece de treve appellée la quarantaine le roi ; il ordonna que depuis le meurtre ou l'injure, jusqu'à quarante jours accomplis, il y auroit de plein droit une treve de par le roi, dans laquelle les parens des deux parties seroient compris ; que cependant le meurtrier ou l'agresseur seroit arrêté & puni ; que si dans les quarante jours marqués quelqu'un des parens étoit tué, l'auteur de ce crime seroit réputé traître & puni de mort.

Cette treve eut plus de succès que les précédentes, elle fut confirmée par saint Louis en 1245, par Philippe III. en 1257, par Philippe-le-Bel en 1296, 1303, & 1314, par Philippe-le-Long en 1319, & par le roi Jean en 1353, lequel en prescrivant l'observation ponctuelle de la quarantaine le roi, sous peine d'être poursuivi extraordinairement, mit presque fin à cet abus invétéré des guerres privées. Voyez le Glossaire de Ducange & celui de Lauriere, le Recueil des ordonnances de la troisieme race, & les mots ASSUREMENT, GUERRE PRIVÉE, PAIX, QUARANTAINE LE ROI, SAUVEGARDE. (A)

TREVE ENFREINTE ou BRISEE, c'étoit la même chose. Voyez ci-devant TREVE BRISEE. (A)

TREVE PêCHERESSE, est la faculté qu'une puissance souveraine accorde aux pêcheurs de quelque autre nation, de pêcher en toute liberté dans les mers de sa domination, nonobstant la guerre qui subsiste entre les deux nations.

Les puissances voisines qui ont pour limites des mers qui leur sont communes, ayant un égal intérêt de favoriser la pêche de leurs sujets respectifs en quelque tems que ce soit, rien ne seroit plus naturel que de convenir entr'elles de cette liberté de la pêche, au moins pour le poisson qui se mange frais, laquelle ne peut être faite que jour par jour. On devroit déroger en cette partie au droit de la guerre, suivant lequel les pêcheurs sont de bonne prise comme les autres navigateurs.

Aussi ces sortes de traités étoient-ils anciennement d'une pratique assez commune : c'est ce qu'on appelloit treve pêcheresse.

De la part de la France, l'amiral étoit autorisé à les conclure : c'étoit une des prérogatives de sa charge ; il en est fait mention dans les ordonnances du mois de Février 1543 & Mars 1584. L'amiral avoit le droit d'accorder en tems de guerre de telles treves pour la pêche du hareng & autres poissons aux ennemis & à leurs sujets, pourvu que les ennemis la voulussent accorder de même aux sujets du roi ; & si la treve ne se pouvoit accorder de part & d'autre, l'amiral pouvoit donner aux sujets des ennemis des saufs-conduits pour la pêche, sous telles & semblables cautions, charges & précis que les ennemis les accordoient aux sujets du roi. L'amiral pouvoit en tems de guerre armer des navires pour conduire en sûreté les sujets du roi & autres marchands alliés & amis de la France.

Cet ordre a subsisté jusqu'en 1669, que la charge d'amiral qui avoit été supprimée en 1626, fut rétablie. Depuis ce tems il n'a plus été fait aucun traité, soit pour la liberté de la pêche ou autre cause, qu'au nom du roi ; de même aussi les escortes pour la liberté de la pêche n'ont été données que par ordre du roi. Le droit dont jouissoit l'amiral par rapport à ces deux objets n'ayant point été rappellé lors du rétablissement de cette charge, & ayant même été révoqué implicitement, tant par le dernier article du réglement du 12 Novembre 1669, que par l'ordonnance de la marine tit. de la liberté de la pêche, art. 14.

Au reste ces treves pêcheresses n'ont presque plus été pratiquées, même pour la pêche journaliere du poisson frais, depuis la fin du dernier siecle, par l'infidélité de nos ennemis qui enlevoient continuellement nos pêcheurs, tandis que les leurs faisoient leurs pêches en toute sûreté. Voyez l'ordonnance de la marine, livre V. tit. 7, & le commentaire de M. Valin. (A)

TREVE DU SEIGNEUR, Voyez ci-devant TREVE DE DIEU.

TREVE ET PAIX, (Hist. mod.) nom que l'on donna vers l'an 1020, à un decret porté contre les violences qui se commettoient alors publiquement de particulier à particulier. Les loix étoient alors si peu respectées, & les magistrats si foibles, que chaque citoyen prétendoit avoir droit de se faire justice à soi-même par la voie des armes, sans épargner le fer ni le feu contre les maisons, les terres & les personnes mêmes de ses ennemis. Pour remédier à ces désordres, les évêques & les barons, premierement en France, puis dans les autres royaumes, firent un decret par lequel on mettoit absolument à couvert de ces violences les églises, les clercs ou ecclésiastiques séculiers, les religieux & leurs monasteres, les femmes, les marchands, les laboureurs & les moulins : ce qu'on comprit sous le nom de paix. A l'égard de toutes autres personnes, on défendit d'agir offensivement depuis le mercredi au soir jusqu'au lundi matin, par le respect particulier, disoit-on, qu'on devoit à ces jours que Jesus-Christ à consacrés par les derniers mysteres de sa vie, & c'est ce qu'on appella treve. On déclara excommuniés les violateurs de l'un ou l'autre de ces decrets, & l'on arrêta ensuite qu'ils seroient bannis ou punis de mort, selon la qualité des violences qu'ils auroient commises. Divers conciles approuverent ces résolutions, & entr'autres celui de Clermont en Auvergne tenu en 1095, qui aux quatre jours de la semaine affectés à la treve, ajouta tout le tems de l'avent jusqu'après l'octave de l'épiphanie, celui qui est compris entre la septuagesime & l'octave de pâques, & celui qui commence aux rogations & finit à l'octave de la pentecôte ; ce qui joint aux autres jours prescrits pour la treve dans les autres saisons, faisoit plus de la moitié de l'année. Il est étonnant que les évêques qui avoient intimidé les peuples par le motif de la religion, pour les engager à suspendre leur vengeance pendant la moitié de chaque semaine & des intervalles assez considérables de l'année, ne pussent en obtenir la même chose ni pour la semaine ni pour l'année entiere, & il ne l'est pas moins que les peuples crussent tolérée & même permise à certains jours une vengeance qu'ils n'osoient prendre dans d'autres. Ce qu'il y a de certain, c'est que l'usage de ces petites guerres qui désoloient toutes les provinces du royaume, dura jusqu'au tems de Philippe-le-bel. Voyez TREVE DE DIEU.


TREVENTINATES(Géog. anc.) peuples d'Italie, que Pline, l. III. c. xij. place dans la quatrieme région. Leur ville est nommée Tereventum par Frontin, p. 89, qui lui donne le titre de colonie. C'est aujourd'hui Trivento, sur le Trigno, dans le comté de Molise. (D.J.)


TREVES(Géogr. mod.) ville d'Allemagne en deçà du Rhin, capitale de l'archevêché & électorat de même nom, au bord de la Moselle, qu'on y passe sur un pont, à dix lieues d'Allemagne au nord-est de Luxembourg, à treize au nord-est de Metz, & à dix-sept au sud de Mayence.

Quoiqu'elle ne soit plus si fameuse que lorsque cinq des principales villes situées sur le Rhin lui étoient soumises, elle tient pourtant encore son rang parmi les villes peuplées, à quoi la fertilité de son terroir, son vignoble & la Meuse qui y passe, contribuent beaucoup. Sa situation est au bord de la Moselle entre deux montagnes, & la petite riviere Olebia, en allemand Weberbach, passe au milieu de la ville. On y compte un grand nombre d'églises & plusieurs maisons religieuses. Long. 24. 15. latit. 49. 47.

Treves fut connue anciennement sous le nom de Trevirorum civitas, ou Treviri, du nom des peuples qui l'habitent. Après qu'Auguste l'eut érigée en métropole de la seconde Belgique, elle prit en son honneur le nom d'Augusta Trevirorum. Tacite fait beaucoup mention de cette ville. Ammien Marcellin l'appelle une seconde Rome, à cause de son autorité, de son pouvoir, de la magnificence de ses bâtimens à la romaine, & pour avoir été la plus grande ville en-deçà des Alpes. Quelques empereurs romains & ensuite quelques rois de France, y ont fait plusieurs fois leur séjour. On y voit encore des restes d'antiquité, entr'autres des piliers & des colonnes de son pont sur la Moselle, des vestiges d'anciennes tours & d'un amphithéatre ; mais les Huns, les Francs & les Normands ont détruit par leurs ravages ses autres monumens antiques.

On prétend que Salvien, prêtre de Marseille au cinquieme siecle, étoit originaire de Treves ; ce qu'il y a de sûr, c'est qu'il mourut à Marseille dans un âge fort avancé. Il nous reste de lui deux traités qui sont écrits d'un style assez orné, l'un sur la providence de Dieu, & l'autre contre l'avarice. Les meilleures éditions des ouvrages de Salvien ont été données par M. Baluze à Paris, & par Conrad Ritterhusius à Nuremberg, en deux volumes in-8 °.

Drusille (Julie), fille de Germanicus & d'Agrippine, naquit à Treves, & dégénera de l'exemple de ses pere & mere ; car sa vie fut très-scandaleuse. Elle épousa Lucius Cassius ; mais Caligula son frere l'enleva à ce mari, & vécut incestueusement avec elle comme avec sa femme légitime. Il l'aimoit déjà follement n'ayant pas encore la robe virile ; & quand elle fut morte l'an 791 de Rome, il fit des extravagances impies pour honorer sa mémoire. Il donna à ce sujet des decrets semblables à ceux que l'on avoit faits pour Livie femme d'Auguste, indépendamment de son decret public qui déclaroit Drusille au nombre des immortels.

On la mit en statue d'or dans le sénat : on lui éleva une autre statue dans le forum pareille à celle de Vénus, & sous les mêmes honneurs que l'on rendoit à cette déesse. On lui dédia un temple particulier : on ordonna que les hommes & les femmes lui consacreroient des images, que les femmes jureroient par son nom quand elles attesteroient quelque fait, & que son jour natal seroit destiné à des jeux tels que ceux de Cybele. Elle fut appellée la Panthéa, c'est-à-dire, la toute-divine, & on lui rendit les honneurs divins dans tout l'empire. Caligula, dans les choses même de la derniere importance, ne juroit jamais ni au sénat ni à l'armée, que par la divinité de Drusille. Livius Geminus non content de déclarer qu'il l'avoit vu monter au ciel & converser avec les dieux, fit des imprécations contre lui-même & contre ses propres enfans, si ce qu'il disoit n'étoit pas véritable. Cette basse flatterie lui valut une grosse fortune ; les Romains se trouverent alors fort embarrassés ; car s'ils paroissoient tristes, on les accusoit de méconnoitre la divinité de Drusille ; s'ils paroissoient gais, on les accusoit de ne pas regretter sa mort. Enfin c'étoit un crime de pleurer Drusille, parce qu'elle étoit déesse, & de ne la pas pleurer, parce qu'elle étoit la soeur de Caligula. Voyez à ce sujet Dion, Suétone & Séneque. (D.J.)

TREVES, archevéché de, (Géog. mod.) l'archevêché de Treves est un des électorats de l'empire. Il est borné par celui de Cologne au septentrion, par la Weteravie à l'orient, par le palatinat du Rhin & par la Lorraine au midi, par le Luxembourg à l'occident.

Pepin, Charlemagne & Louis le débonnaire ayant enrichi considérablement l'église de Treves, ses archevêques commencerent sous le regne d'Othon II. vers l'an 976, à se gouverner en princes souverains ; & vers ce tems-là les chanoines las de vivre régulierement & en commun, partagerent les biens du chapitre en prébendes, & vécurent dans des maisons séparées. Ludolphe de Saxe fut le premier électeur de Treves, suivant l'opinion de ceux qui attribuent l'institution du college électoral à Othon III. Les successeurs de Ludolphe aggrandirent insensiblement leur domaine par des acquisitions, des échanges, des donations, & des cessions que d'autres princes leur firent.

Le pays de l'archevêché de Treves est fertile, surtout en vins ; la Moselle le coupe en partie septentrionale & en partie méridionale ; la premiere est beaucoup plus agréable & mieux peuplée que la seconde, qui ne contient presque que des bois. Cet état est composé de vingt-cinq bailliages, dont celui de Treves capitale, fait le principal.

Les empereurs de la maison de Saxe soumirent la ville de Treves aux archevêques, & les empereurs de la maison de Franconie l'affranchirent de la domination de ces prélats qui s'y opposerent, & ne laisserent pas de reprendre quelquefois leur autorité, selon que les diverses factions de la ville leur étoient favorables. Enfin l'empereur Rodolphe dévoué à l'électeur Jaques d'Elz, déclara en 1580 la ville de Treves déchue de ses prétentions ; & depuis ce tems-là les électeurs en ont toujours été les maîtres.

L'électeur de Treves, comme archevêque, a pour suffragans les évêques de Metz, de Toul & de Verdun, & comme électeur, il prend la qualité d'archichancelier de l'empire pour les Gaules, mais cette dignité n'est qu'un titre imaginaire inventé par les Allemands pour marquer la prétendue dépendance du royaume d'Arles à l'égard de l'empire.

L'électeur de Treves donne le premier son suffrage à l'élection de l'empereur. Il a séance vis-à-vis de lui dans les assemblées, & il alterne pour la seconde place avec l'électeur de Cologne dans le college électoral. Il jouit de plusieurs privileges ; il peut réunir à son domaine les fiefs impériaux situés dans ses états, faute d'hommage rendu dans le tems porté par les constitutions impériales. Il peut user du même droit que l'empereur & l'empire à l'égard des fiefs qui relevent de lui, & qui se trouvent vacans faute d'hoirs mâles, à moins que les héritiers ne produisent un privilege qui déroge à ce droit ; il met au ban ceux qu'il a excommuniés, s'ils ne se réconcilient dans l'année ; & cette proscription a autant de force que si elle étoit faite par les électeurs de l'empire ; il a dans la ville de Treves la gardenoble de tous les mineurs ; on peut cependant appeller de sa justice à la chambre impériale, parce que l'électeur Charles Gaspar de la Leyen ne fit pas confirmer par l'empereur le droit qu'ont les électeurs d'empêcher qu'on ne puisse appeller de leur justice.

On peut lire sur tout ce qui concerne l'archevêché de Treves, un ouvrage imprimé à Augsbourg, & intitulé, historia trevirensis diplomatica & pragmatica. August. 1745, in-fol. trois vol. (D.J.)

TREVES, (Géog. mod.) petite ville ou plutôt bourg de France, dans l'Anjou. Il s'y tient quatre foires par an. (D.J.)


TREVI(Géog. mod.) nom commun à deux anciennes villes d'Italie. La premiere appellée en latin Treba est dans la campagne de Rome, près de la source du Teveronne. C'étoit autrefois une ville, mais ce n'est plus aujourd'hui qu'un village, & son évêché a été uni à celui d'Agnani.

La seconde Trevi est un bourg dans l'état de l'église, au duché de Spolete, près de Clytumno, environ à cinq milles de Fuligno. Elle étoit épiscopale dans le v. siecle. On croit que c'est la Trebia des anciens. (D.J.)


TREVICO(Géog. mod.) petite ville au royaume de Naples, dans la principauté ultérieure, avec un évêché établi dès le dixieme siecle, & qui est suffragant de Benevent. (D.J.)


TREVIERS. m. (Marine) c'est le nom qu'on donne à celui qui travaille aux voiles, qui a soin de leur envergure, & qui les visite à chaque quart pour voir si elles sont en bon état.


TREVIGNO(Géog. mod.) ou TREVINO, comme écrit Rodrigo Mendez Silva, ville d'Espagne en Biscaye, dans la province d'Alava, sur une colline, proche la riviere d'Ayuda, avec une citadelle, à six lieues au sud ouest de Vittoria. Son territoire abonde en blé, fruits & pâturages. Long. 14. 35. lat. 42. 50. (D.J.)


TREVIRI(Géog. anc.) ou TREVERI ; l'itinéraire d'Antonin porte Triveri, & la notice de l'empire, Triberi ; peuples de la Germanie, en-deçà du Rhin. On ne peut douter que ces peuples n'aient d'abord habité au-delà du Rhin, puisqu'ils étoient originaires de la Germanie ; mais on ne sait dans quel quartier de la Germanie ils avoient leur demeure, & en quel tems ils passerent le Rhin pour s'établir dans la Gaule. Voici quelque chose de plus sûr.

Quand ces peuples habiterent dans la Gaule, ils furent toujours mis au nombre des Belges, entre lesquels Pomponius Méla, l. II. c. ij. leur donne la gloire d'être le peuple le plus célebre. César, de bell. Gall. l. V. c. iij. dit que leur cavalerie l'emportoit infiniment sur celle de la Gaule, & qu'ils avoient une infanterie nombreuse ; & selon Hirtius, l. VIII. c. xxv. le voisinage de la Germanie leur donnant occasion d'avoir continuellement les armes à la main ; ils ne différoient guere des Germains, ni pour les moeurs, ni pour la férocité. Ces moeurs les distinguerent des Gaulois, & les maintinrent libres depuis le tems de Jules César jusqu'à celui de Vespasien, qu'ils furent seulement alliés & amis des Romains. Au commencement du regne de ce prince, ils se joignirent avec Civilis ; mais Cerealis les ayant vaincus, Vespasien les punit de leur révolte par la perte de leur liberté. Ils demeurerent depuis soumis aux Romains jusqu'à la chûte de cet empire qu'ils entrerent dans l'alliance des François.

Les demeures & les bornes du pays des Treviri ont souvent changé. Il paroît cependant qu'en général ils demeurerent toujours sur le Rhin ; mais il y a quelque apparence qu'après l'établissement des Ubiens sur la rive gauche de ce fleuve, le pays des Treviri s'étendit depuis le confluent de l'Abrinca, jusqu'à celui de la Nave. Du-moins est-il certain qu'on ne connoît point d'autre peuple à qui on puisse attribuer cette étendue de pays. La ville de Treves étoit leur principale demeure. On la nommoit Trevirorum civitas ; & après qu'Auguste l'eût érigée en métropole, elle prit en son honneur le nom d'Augusta Trevirorum. (D.J.)


TREVIRIENS(Hist. anc.) peuple de l'ancienne Gaule, qui du tems des Romains habitoit le pays où est maintenant la ville de Treves.


TRÉVIRSCAPITAUX, (Hist. rom.) trium viri ou treviri capitales ; étoient trois magistrats romains d'un bien moindre rang que les trévirs ou triumvirs monétaires. Ils étoient chargés de veiller à la garde des prisonniers, & de présider aux supplices capitaux. Ils jugeoient aussi des délits & crimes des esclaves fugitifs, & des gens sans aveu. Ils furent établis sous le consulat de Curius Dentatus, peu de tems après qu'il eut triomphé des Gaulois. Ils avoient sous leurs ordres huit licteurs qui faisoient les exécutions prescrites, comme il paroît par ce discours de Sosie dans l'Amphitrion. " Que deviendrai-je à présent ? les trévirs pourroient bien m'envoyer en prison, d'où je ne serois tiré demain que pour être fustigé, sans avoir même ni la liberté de plaider ma cause, ni de réclamer la protection de mon maître. Il n'y auroit personne qui doutât que j'ai bien mérité cette punition ; & que je serois assez malheureux pour essuyer les coups de leurs estafiers, qui battroient sur mon pauvre corps comme sur une enclume ". Ciceron fait allusion à ces sortes de lieutenans criminels de Rome, en badinant plaisamment sur le jeu de mots, dans une de ses lettres à Trébatius, qui suivoit alors César dans ses guerres contre les Trévirs, une des plus fieres & des plus vaillantes nations de la Gaule " Je vous avertis, lui dit-il, de ne vous pas trouver sur le chemin de ces Trévirs, car j'entens dire qu'ils sont capitaux ; & je désirerois fort qu'ils fussent plutôt fabricateurs d'or & d'argent ". (D.J.)

TREVIRS, monétaires, (Hist. rom.) les surintendans de la monnoie de la république & empire romain, étoient appellés trévirs, treviri ou triumviri monetales, parce qu'ils furent au nombre de trois jusqu'à Jules-César, qui en créa quatre. Ciceron fut un des quatre directeurs de la monnoie, car nous avons encore une médaille existante de ce grand homme, où il est nommé iiij vir ; mais nous parlerons plus au long de ces magistrats préposés à la fabrication des monnoies, au mot TRIUMVIRS monétaires. (D.J.)


TREVISANLE (Géog. mod.) ou marche Trévisane ; pays d'Italie dans la seigneurie de Venise, renfermé entre le Feltrin & le Bellunèse vers le nord ; le Padouan vers le sud ; le Frioul & le Dogado à l'est, & le Vicentin à l'ouest. Sa principale richesse consiste en mâts de vaisseaux, & en bois de chauffage. Ses principaux lieux sont Tréviso, Castel-Franco, Céneda & Sarra-Vallé. (D.J.)


TRÉVISO(Géog. mod.) Trevisi ou Trevisio, en latin Tarvisium ou Tervisium ; ville d'Italie dans les états de Venise, capitale du Trévisan, sur la riviere Silis ou Silé, & à 18 milles au nord-ouest de Venise, à 20 au nord-est de Padoue, & à 25 à l'est de Bassano. Elle est décorée de plusieurs édifices publics. Son évêché suffragant d'Aquilée, est des premiers siecles. Long. 29. 48. lat. 45. 44.

Tréviso subsistoit du tems de l'empire romain, car on y a découvert une inscription où on lit ces mots, Mun-Tar, & une autre où l'on voit celui-ci, Decurion. C'en est assez pour regarder cette ville comme un ancien municipe. Elle fut sous la puissance des Goths, puisqu'après la réduction de Ravenne par Bélisaire, & la détention de Vitigis, cette ville fut une de celles qu'ils remirent au vainqueur. Peut-être retomba-t-elle encore sous leur domination, lorsqu'Idibade eut vaincu Vitalius. Tréviso tomba dans la suite au pouvoir des Hongrois, puis elle appartint aux Carares & aux Scaligers ; enfin elle se donna aux Vénitiens en 1388, & depuis ce tems-là, elle est demeurée toujours attachée à cette république. Jean Bonifacio & Barthélemi Burchelati, ont donné l'histoire de Trévise, on peut les consulter.

Non-seulement Tréviso fut sous la puissance des Goths, mais elle eut la gloire de donner la naissance à Totila roi de ce peuple. Il fut mis sur le trône après la mort d'Evaric, & rétablit par sa valeur & par sa conduite les désastres de la nation. Il reprit plusieurs provinces sur les Romains, toute la basse Italie, les îles de Corse, de Sardaigne & de Sicile. Il s'empara de Rome, en donna le pillage à ses troupes, & fit démolir une partie des murailles. Il continua de remporter quelques autres avantages contre les Romains ; mais il périt en 552, dans une bataille contre Narsès. (D.J.)


TRÉVOUX(Géogr. mod.) ancienne petite ville de France, capitale de la principauté de Dombes, sur le bord oriental de la Saône. Le pape Clément VII. y érigea un chapitre en 1523, & Anne-Marie-Louise d'Orléans, souveraine de Dombes, y fonda un hôpital. M. le duc du Maine y a bâti un palais pour le siege du parlement. Louis XIV. a accordé aux officiers de ce parlement, les mêmes privileges dont jouissent les officiers des autres parlemens de France. Ce même prince y a fait établir une imprimerie. Les uns croient que le Tivurtium de l'itinéraire d'Antonin est Trévoux, & d'autres Tournus. Long. 22. 24. lat. 45. 56. (D.J.)


TREWIAS. f. (Hist. nat. Botan.) genre de plante que Linnaeus caractérise de cette maniere. Le calice est permanent, & composé de trois feuilles ovales, colorées & recourbées ; il n'y a point de pétales. Les étamines sont de nombreux filets capillaires de la longueur du calice. Les bossettes sont simples. Le germe du pistil est placé sous le calice. Le stile est de la longueur des étamines & simple ainsi que le stigma. Le fruit est une capsule couronnée, turbinée, formée de trois coques & contenant trois loges. Les semences sont simples, convexes d'un côté, & angulaires de l'autre. Linnaei gen. plant. p. 236. Hort. malab. vol. II. p. 42. (D.J.)


TREYSA(Géog. mod.) ou plutôt Treysen, ville d'Allemagne, dans le pays de Hesse, chef-lieu du comté de Ziegenheim, sur une colline proche la riviere de Schwalm. Elle fut brûlée par les impériaux en 1640. Long. 26. 48. lat. 50. 54.


TREZAINS. m. ou TREIZAIN, (Monnoie) petite monnoie de France, qui avoit cours sous Louis XI. & Charles VIII. On en ignore la valeur. Nous savons seulement qu'il y avoit alors des sous valant 13 deniers, & qui par cette raison étoient appellés trezains. C'étoit alors la coutume de donner un trezain à la messe des épousailles, comme on voit dans Franchet. Cette coutume étoit fort ancienne, car Frédegaire rapporte que les ambassadeurs de Clovis allant fiancer Clotilde, lui offrirent un sou & un denier ; c'est une des formules de Marculphe ; cela servoit pour représenter une espece d'achat de femme, suivant l'ancienne coutume non - seulement des Francs, mais aussi des Saxons, des Allemands & des Bourguignons. Trévoux. (D.J.)


TRÉZALÉTABLEAU, (Peinture) on appelle ainsi un tableau où il se trouve de petites fentes ou des raies imperceptibles sur sa superficie ; ce qui arrive souvent aux tableaux qui sont peints à l'huile par-dessus un fond de détrempe, ou lorsqu'on a trop employé d'huile grasse ; enfin lorsque le tableau a été trop exposé aux rayons du soleil, il devient ordinairement trézalé. Dict des beaux arts. (D.J.)

TREZALE, (Porcelaine & Poterie) se prend dans le même sens qu'en peinture. Une porcelaine & morceau de poterie est trézalé, lorsque la couverte s'est fendue & gercée. Il n'y a guere d'ustensiles de cuisine en terre vernissée, qui ne se trézale à la longue, ce qui prouve que la longueur & la violence du feu peuvent être comptées parmi les causes de cet effet.


TREZZO(Géog. mod.) petite ville d'Italie dans le Milanez, sur l'Adda, aux confins du Bergamasque près de Castello, & au midi de Lecce.


TRIADETRIADE

Triade, parce qu'elle est composée de trois termes.

Harmonique, par excellence, parce qu'elle est la source de toute harmonie. Voyez HARMONIE. (S)


TRIADIQUES. & adj. (terme d'Eglise) ce mot se disoit dans l'église grecque de certaines hymnes dont chaque strophe finissoit par la louange de la Trinité & de la Sainte-Vierge. Après alleluya, on chantoit les triadiques.


TRIAGES. m. (Commerce) choix que l'on fait entre plusieurs marchandises de même espece de ce qu'il y a de meilleur.

Quoique ce terme soit en usage dans le commerce pour signifier ce partage du bon avec le moindre, & du moindre d'avec le mauvais, que les marchands ont coutume de faire des denrées, drogues ou marchandises, qui font l'objet de leur commerce ; il se dit principalement du triage qu'on fait des morues seches & des laines. Voyez LAINES & MORUE. Dictionnaire de Commerce.

TRIAGE, (Jurisprudence) en terme d'eaux & forêts, signifie une portion ou canton de bois séparée & divisée du reste par quelque marque ou trace.

Quelques-uns croyent que ce terme vient de celui de tiers, triens ; parce qu'ordinairement dans les bois communaux les seigneurs ont pour leur part un tiers, & les habitans les deux autres tiers.

Mais il paroît que triage vient de trier, qui signifie choisir, mettre à part ; ainsi triage signifie choix, portion séparée.

En effet, l'ordonnance des eaux & forêts, tit. 25. des bois appartenans aux communautés, veut que le quart des bois communs soit réservé pour croître en futaie dans le meilleur fonds & lieux plus commodes, par triage & désignation du grand-maître ou des officiers de la maîtrise par son ordre.

L'art. 4. du même titre veut que si les bois étoient de la concession gratuite des seigneurs, sans charge d'aucuns cens, redevance, prestation ou servitude, le tiers en pourra être distrait & séparé à leur profit, en cas qu'ils le demandent, sinon le partage n'aura lieu ; & il est dit qu'en ce cas les seigneurs n'y auront autre droit que l'usage comme premiers habitans, sans part ni triage.

Ainsi le tiers du seigneur est aussi appellé son triage ; & l'on appelle aussi triage la part des habitans, quoiqu'ils aient les deux tiers, comme il se voit en l'article 6. & suiv. du même titre. (A)

TRIAGE, (Métallurgie & Minéralogie) c'est ainsi qu'on nomme, dans les travaux des mines, l'opération par laquelle on sépare à coups de marteau la partie métallique du minérai d'avec la roche ou la matrice dont cette partie est enveloppée. Ce travail qui est un des plus légers de la minéralogie, se fait ordinairement par de jeunes garçons qui sont rassemblés dans une salle ou angard, & qui ont devant eux une grande table sur laquelle on place le minérai dont il faut faire le triage. Cependant cette opération n'est point exempte de danger, sur-tout quand il s'agit de travailler sur du minérai qui est chargé d'arsenic. Le but qu'on se propose par le triage c'est de diminuer le volume du minérai, & de le séparer des substances inutiles, ou de celles qui pourroient nuire à son traitement dans le fourneau de fusion.

TRIAGE DU PAPIER, terme de Papeterie, c'est une opération par laquelle on retient toutes les feuilles du papier les unes après les autres pour en ôter toutes les petites taches noires avec un petit couteau fait exprès, pour en séparer les feuilles déchirées & les mettre au rebut, & enfin pour ployer le papier pour le mettre en main & en rame. Voyez les Pl. de Papeterie.


TRIAIRES. m. (Art militaire des Romains) les triaires, triarii, étoient de vieilles troupes romaines mises sur les dernieres lignes, & qui ne combattoient que lorsque les premieres lignes étoient rompues. Denys d'Halicarnasse en décrivant l'attaque d'un camp romain par les Volsques, & la défense vigoureuse d'un reste infortuné de l'armée romaine, dit qu'après les cavaliers qui combattoient alors à pié, parce que le terrein ne leur permettoit pas de se servir de leurs chevaux, on vit marcher ceux que l'on appelloit triarii, c'est-à-dire les plus vieux soldats à qui l'on confie ordinairement la garde du camp, pendant que l'autre partie de l'armée est aux prises avec l'ennemi. Pour eux, ajoute l'auteur, ils ne combattent qu'à la derniere extrêmité, & lorsqu'il n'y a plus d'autre ressource.

Tite-Live, dans la guerre des Latins, après avoir dit que ce peuple avoit comme les Romains tout hormis le coeur & l'inclination, même langue, mêmes armes, même discipline, même ordre de bataille, ajoute : " Leur premiere ligne étoit composée de jeunes gens en qui l'on voyoit briller également & le feu de l'âge, & l'ardeur de la gloire ; la seconde d'hommes faits, qu'on appelloit principes, & la troisieme de soldats vétérans appellés triarii ". (D.J.)


TRIANGLES. m. en terme de Géométrie, c'est une figure comprise entre trois lignes ou côtés, & qui par conséquent a trois angles. Voyez FIGURE & ANGLE.

Si les trois lignes ou côtés d'un triangle sont des lignes droites, on l'appelle triangle rectiligne. Voyez RECTILIGNE.

Si les trois côtés du triangle A B C, Planche de Géométrie, fig. 68. sont égaux, on l'appelle triangle équilatéral. Voyez ÉQUILATERAL.

S'il n'y a que deux de ses côtés égaux, comme D E F, fig. 69. on l'appelle triangle isoscele ou équicrural. Voyez ISOSCELE.

Si tous les côtés sont inégaux entr'eux, comme A C B, fig. 70. on l'appelle triangle scalene. Voyez SCALENE.

Si un des angles K d'un triangle K M L, fig. 71. est droit, on dit que le triangle est rectangle. Voyez RECTANGLE.

Si un des angles N, fig. 72. est obtus, on dit que le triangle est obtusangle, ou amblygone. Voyez AMBLYGONE.

Si les trois angles sont aigus, comme ACB, fig. 68. le triangle s'appelle acutangle ou oxygone. Voy. ACUTANGLE, &c.

Si les trois lignes du triangle sont courbes, on l'appelle curviligne. Voyez CURVILIGNE.

Si quelque côté du triangle est droit & les autres courbes, on l'appelle triangle mixtiligne.

Si tous les côtés sont des arcs de grands cercles ou de sphere, le triangle s'appelle sphérique. Voyez SPHERIQUE.

Constructions de triangles. 1°. Deux côtés A B, A C, fig. 73. ayant été donnés en nombres ou autrement, aussi-bien que la quantité de l'angle A compris entre ces côtés. Pour en construire un triangle, prenez A B pour la base ; & en A, formez l'angle donné pour l'autre jambe, tracez l'autre ligne donnée A C, enfin tirez la ligne B C, & pour-lors A B C sera le triangle que l'on cherche.

D'où il suit qu'ayant déterminé deux côtés avec l'angle compris entr'eux, vous avez déterminé tout le triangle ; par conséquent si en deux angles A C B & a c b, a = A, & que l'on ait a b : a c : : A B : A C, alors les triangles sont déterminés de la même maniere, & par conséquent ils sont semblables ; ainsi c. = C ; b = B, & a b : b c : : A B : B C. &c.

2°. Trois côtés A B, B C & C A, fig. 68. étant donnés, dont deux, comme A C & A B pris ensemble, sont plus grands que le troisieme ; si vous voulez en construire un triangle, prenez A B pour la base, & du point A avec l'intervalle A C, décrivez un arc y ; & du point B avec l'intervalle B C, décrivez un autre arc x : tirez les lignes droites A C & B C, vous aurez le triangle.

Il ne faut pas s'imaginer que ce problème soit toujours possible ; dès-là que la somme des deux côtés est plus grande que le côté pris pour base, ainsi que tous les auteurs qui ont écrit sur la Géométrie paroissent en être persuadés ; car, prenant toujours A B pour base, si le côté A C, par exemple, surpassoit cette base d'une quantité égale ou plus grande que l'autre côté B C, l'intersection ne pourroit pas se faire, & par conséquent la construction ne seroit pas possible. Il est donc nécessaire, quand on propose ce problème, d'y mettre plus de condition qu'on n'a de coutume, de peur que l'on ne tombe dans une construction absurde, comme je l'ai vu arriver.

C'est pourquoi, comme on ne peut construire qu'un triangle avec trois lignes droites données, il s'ensuit qu'en déterminant les trois côtés, tout le triangle est déterminé.

Ainsi si en deux triangles A C B & a c b, fig. 73. l'on a A C ; A B : : a c : a b ; A C : C B : : a c : b c ; alors les triangles sont déterminés de la même maniere, par conséquent ils sont semblables & équiangles.

3°. Une ligne droite comme A B, & les deux angles A & B adjacens, lesquels pris ensemble sont moindres que deux angles droits, étant donnés ; pour décrire le triangle A B C aux extrêmités de la ligne donnée A B, formez les deux angles donnés A & B : continuez les côtés A C & B C, jusqu'à ce qu'ils se rencontrent en C. alors vous aurez le triangle A B C que vous cherchiez.

Desorte qu'un côté & deux angles étant donnés, on a tout le triangle ; par conséquent, si deux triangles A = a & B = b ; alors ces triangles seront déterminés de la même maniere, & par conséquent semblables.

Maniere de mesurer les triangles. Pour trouver la superficie d'un triangle, multipliez la base A B, fig. 74. par la hauteur C d, la moitié du produit est la superficie du triangle A B C.

Ou de cette autre maniere : multipliez la moitié de la base A B par la hauteur C d, ou toute la base par la moitié de la hauteur, le produit vous donnera la superficie du triangle.

Ou bien on trouve la superficie d'un triangle en joignant ensemble les trois côtés, & prenant la moitié de la somme, & de cette moitié on soustrait chaque côté séparément ; après quoi on multiplie la moitié de cette somme par le produit des trois restes, & l'on tire la racine quarrée de ce dernier produit ; d'où il suit, 1°. que si entre la base & la moitié de la hauteur, ou entre la hauteur & la moitié de la base, on trouve une moyenne proportionnelle, ce sera le côté d'un quarré égal au triangle. 2°. Si la superficie d'un triangle est divisée par la moitié de la base, le quotient est la hauteur.

Propriétés des triangles plans. 1°. Si en deux triangles A B C, a b c, fig. 73. l'angle A = a les côtés A B = a b & A C + a c, alors le côté B C = b c & les angles C = c & B = b, & par conséquent ces triangles seront égaux & semblables.

2°. Si un côté du triangle A B C, fig. 75. est continué jusqu'à D, l'angle extérieur D A B sera plus grand qu'aucun des deux angles intérieurs opposés B ou C.

3°. Dans chaque triangle, le plus grand côté est opposé au plus grand angle, & le plus petit côté au plus petit angle.

4°. Dans tous les triangles, deux côtés tels qu'ils soient, sont plus grands que le troisieme.

5°. Si en deux triangles les différens côtés de l'un sont respectivement égaux aux côtés de l'autre, les angles seront aussi respectivement égaux, & par conséquent les triangles seront entierement égaux & semblables.

6°. Si quelque côté, comme B C, fig. 76. d'un triangle A C B, est continué jusqu'à D, l'angle extérieur D O A sera égal aux deux angles intérieurs opposés, y & z pris ensemble.

7°. En tout triangle, comme A B C, les trois angles A, B, C, pris ensemble, sont égaux à deux angles droits, ou à 180d. d'où il s'ensuit, 1°. que si le triangle est rectangle, comme M K L, fig. 71. les deux angles obliques M & L pris ensemble, font un angle droit ou 90d. & par conséquent ce sont des demi-angles droits, si le triangle est isoscele. 2°. Si un angle d'un triangle est oblique, les deux autres pris ensemble sont pareillement obliques. 3°. Dans un triangle équilatéral, chaque angle est de 60 degrés. 4°. Si un angle d'un triangle est soustrait de 180d. le restant est la somme des deux autres ; & si la somme de deux angles est soustraite de 180d. le restant est le troisieme angle. 5°. Si deux angles d'un triangle sont égaux à deux angles d'un autre triangle, soit conjointement, soit séparément, le troisieme angle de l'un est égal au troisieme angle de l'autre. 6°. Comme dans un triangle isoscele D F E, fig. 69. les angles de la base y & u sont égaux ; si l'angle d'en-haut est soustrait de 180d. & que le restant soit divisé par 2, le quotient est la quantité de chacun des angles égaux ; de même si le double d'un des angles de la base y est soustrait de 180d. le restant est la quantité de l'angle d'en-haut.

8°. Si en deux triangles A B C & a b c, fig. 73. A B. = a b., A = a, & B = b, alors A C. = a c. B C. = b c. C = c & le triangle A C B = a c b. d'où il s'ensuit que si en deux triangles A C B. & a c b, A = a, B = b, & B C = b c ; alors C = c, par conséquent A C = a c, A B = a b & le triangle A C B = a c b.

9°. Si dans un triangle D F E les angles de la base y & u, fig. 69. sont égaux, le triangle est isoscele : par conséquent si les trois angles sont égaux, le triangle est équilatéral.

10°. Si dans un triangle A B C une ligne droite est tirée parallelement à la base, elle coupe les côtés proportionnellement, & forme un petit triangle semblable au grand.

11°. Tout triangle peut être inscrit dans un cercle. Voyez CERCLE.

12°. Le côté d'un triangle équilatéral inscrit dans un cercle, est en puissance triple du rayon. Voyez RAYON.

13°. Les triangles de même base & même hauteur, c'est-à-dire, qui se trouvent entre les mêmes lignes paralleles, sont égaux. Voyez PARALLELE.

14°. Tout triangle, comme C F D, (fig. 41.) est la moitié d'un parallélogramme A C D B, de même ou d'égale base C D, & de même hauteur, ou entre les mêmes paralleles : ou bien un triangle est égal à un parallélogramme qui est sur la même base, mais qui n'a que la moitié de la hauteur, ou qui n'ayant que la moitié de la base, a la même hauteur que le triangle. Voyez PARALLELOGRAMME.

15°. Dans tous les triangles tant plans que sphériques, les côtés sont proportionnels aux sinus des angles opposés.

16°. Dans tous les triangles plans, la somme des deux côtés est à leur différence, comme la tangente de la moitié de la somme des angles opposés est à la tangente de la moitié de leur différence.

17°. Si l'on fait tomber une perpendiculaire sur la base d'un triangle obliquangle, la différence des quarrés des côtés est égale au double du rectangle sous la base & la distance qu'il y a de la perpendiculaire au milieu de la base.

18°. Les côtés d'un triangle sont coupés proportionnellement, par une ligne qu'on tire parallélement à la base.

19°. Un triangle entier est à un triangle coupé par une ligne droite, comme le rectangle sous les côtés coupés est au rectangle des deux autres côtés.

20°. Dans un triangle rectiligne une ligne de l'angle droit perpendiculairement sur l'hypothenuse, divise le triangle en deux autres triangles rectilignes, lesquels sont semblables au premier triangle, & l'un à l'autre.

21°. En tout triangle rectangle le quarré de l'hypothenuse est égal à la somme des quarrés des deux autres côtés. Voyez HYPOTHENUSE.

22°. Si quelqu'angle d'un triangle est coupé en deux parties égales, la ligne qui le coupe divisera le côté opposé proportionnellement aux côtés qui forment cet angle. Voyez BISSECTION.

23°. Si l'angle du sommet de quelque triangle est coupé en deux parties égales, la différence des rectangles faits par les côtés & par les segmens de la base, est égale au quarré de la ligne qui coupe l'angle en deux.

24°. Si une ligne droite B E (fig. 78.) coupe en deux un angle A B C d'un triangle, le quarré de ladite ligne B E = A B + B C - A E + E C. Newton, arith. univers.

Pour diviser un triangle dans un certain nombre donné de parties égales, divisez la base C D (fig. 77.) en autant de parties égales qu'il s'agit de diviser la figure, & tirez les lignes A 1, A 2, &c.

Sur les propriétés des triangles sphériques. Voyez SPHERIQUE.

TRIANGLE, en terme de Trigonométrie. La solution ou analyse des triangles est du ressort de la trigonométrie. Voyez les figures de TRIGONOMETRIE.

Les différens cas peuvent être réduits aux problèmes suivans.

Solution des triangles plans. 1°. Deux angles A & C (tabl. trigon. fig. 26.) étant donnés conjointement avec le côté A B, opposé à l'un de ces deux angles C ; pour trouver le côté B C, opposé à l'autre angle A, en voici la regle : le sinus de l'angle C est au côté donné A B, qui lui est opposé, comme le sinus de l'autre angle A est au côté que l'on cherche.

C'est pourquoi le côté B C se trouve aisément par les logarithmes ou par la regle de trois ou de proportion. Voyez LOGARITHME.

Car par exemple, supposez C = 48d. 35'. A = 57d. 28'. A B = 74'. l'opération se fait de cette maniere.

Le nombre qui répond à cela dans la table des logarithmes est 83, qui est la quantité du côté que l'on cherchoit.

2°. Deux côtés A B & B C, ayant été donnés conjointement avec l'angle C, opposé à l'un des deux, pour trouver les autres angles A & B, voici la regle : un côté A B est au sinus de l'angle donné C, & opposé à ce côté, comme l'autre côté B C est au sinus de l'angle opposé que l'on cherche.

Le nombre qui répond à cela dans la table des logarithmes est 61d. 37'. & comme l'angle donné C est de 72°. 15'. la somme des deux autres 133°. 52'. étant soustraite de 180, total des trois, vous aurez 46°. 8'pour l'autre angle B que vous cherchiez.

De même supposez que dans un triangle rectangle (fig. 28.) outre l'angle droit A on ait donné l'hypothenuse B C = 49, & la cathete A C = 36 pour trouver l'angle B, voici comme on opere.

Le nombre qui répond à cela dans la table des logarithmes est 47°. 16'. par conséquent C = 42°. 44'.

3°. Deux côtés B A & A C, & l'angle A compris entre ces côtés étant donnés, pour trouver les deux autres angles.

I. Si le triangle A B C est rectangle, prenez un des côtés, qui forment l'angle droit, comme A B, pour rayon, pour lors C A sera la tangente de l'angle opposé B, en ce cas la regle est qu'un côté A B est à l'autre A C, comme le sinus total est à la tangente de l'angle B.

Le nombre qui répond à cela, dans la table des logarithmes, est 34°. 21'. par conséquent l'angle C est de 55°. 39'.

II. Si l'angle A est oblique (fig. 26.), il faut faire cette proportion, la somme des côtés donnés A B & A C est à leur différence, comme la tangente de la moitié de la somme des angles cherchés C & B est à la tangente de la moitié de leur différence : c'est pourquoi en ajoutant la moitié de la différence à la moitié de la somme, ce total donnera le plus grand angle C, & en ôtant la moitié de la différence de la moitié de la somme, le restant sera le plus petit angle B.

Log. de la tang. 1/2 (C - B) 8. 6946667 le nombre qui répond à cela est 5°. 16'.

4°. Les 3 côtés A B, C D, & C A, fig. 28. étant donnés, pour trouver les angles A, B, & C, du sommet de l'angle A avec l'étendue du plus petit côté A B, décrivez un cercle : alors C D sera A C & A B ; & C F sera leur différence. La regle est donc que la base B C, est la somme des côtés C D, comme la différence des côtés C F est au segment de la base C G.

Ce segment ainsi trouvé étant soustrait de la base C B, le restant est la corde G B. Ensuite du point A abaissez la perpendiculaire A E sur la corde B G, pour lors B E = E G = 1/2 G B.

Ainsi dans un triangle rectangle A E B, les côtés A B & B E étant donnés ; ou dans un triangle obliquangle A C E, les côtés A C & C E étant donnés : les angles B & A sont trouvés.

Solution des triangles rectangles sphériques par les regles communes. I. Dans un triangle rectangle sphérique deux parties quelconques étant données, outre l'angle droit, pour trouver le reste,

1°. Il faut considérer si les parties dont il est question sont conjointes ou disjointes. Si les parties disjointes sont opposées l'une à l'autre, comme si l'hypothenuse B C & l'angle C, fig. 29. sont donnés ; pour trouver le côté opposé A B, voici quelle est la regle ; le sinus total est au sinus de l'hypothénuse B C, comme le sinus de l'angle C est au sinus du côté opposé A B.

2°. Si les parties disjointes ne sont point opposées l'une à l'autre, comme si A B & l'angle adjacent B sont donnés ; pour avoir l'angle opposé C, les côtés du triangle doivent être continués du même côté, jusqu'à ce qu'ils fassent des quarts de cercle, afin que par ce moyen vous ayez un nouveau triangle, dans lequel les parties dont il est question soient opposées mutuellement les unes aux autres ; comme dans le cas présent le triangle E B F, où nous avons le côté B F donné, qui est le complément du côté A B, & l'angle B pour E F, complément de l'angle C : voici donc les regles qu'il faut suivre. Le sinus total est au sinus de B F, comme le sinus de l'angle B est au sinus E F, ou co-sinus de C.

3°. Si l'hypothénuse ne se trouve point parmi les parties conjointes, comme lorsque les côtés A B & A C sont donnés, pour avoir un angle opposé à l'un des deux ; il faut dire le sinus de A C est au sinus total, comme la tangente de A B est à la tangente de C.

4°. Mais si l'hypothénuse se trouve parmi les parties conjointes, comme si l'hypothénuse B C & l'angle C sont donnés, pour trouver le côté adjacent A C ; les côtés du triangle doivent être continués du même côté, jusqu'à ce qu'ils fassent des quarts de cercle, afin que l'on ait un nouveau triangle, dans lequel l'hypothénuse ne se trouve point parmi les parties dont il est question ; par exemple, dans le cas présent E B F dans lequel sont donnés le complément E B de l'hypothénuse B C, le complément de l'angle C, & l'angle F complément du côté A C. Puis donc que dans le triangle E F B, l'hypothénuse n'entre pas dans la question, la regle est la même que ci-dessus : c'est-à-dire, que le sinus de E F ou cosinus de C, est au sinus total, comme la tangente de E B, ou co-tangente de B C est à la tangente de F ou co-tangente de A C.

5°. Quand les côtés d'un triangle doivent être continués, il n'importe de quel côté que ce soit, pourvu qu'il ne soit pas question d'un angle aigu, autrement les côtés doivent être continués par l'autre angle oblique : si les deux côtés sont dans la connexion, ils doivent être continués par l'angle adjacent au côté en question.

C'est ainsi qu'on peut toujours former un triangle, où l'on trouve par la regle des sinus ou des tangentes les parties que l'on cherche.

Solution des triangles rectangles sphériques par une regle universelle. Considérez, comme ci-dessus, si les parties dont il est question sont conjointes ou disjointes.

Si l'un des deux côtés, qui forment l'angle droit, ou même si ces deux côtés entrent dans la question, en leur place, il faut mettre parmi les données leur complément à un quart de cercle : alors, puisque, suivant la regle universelle, si connue dans cette TRIGONOMETRIE, le sinus total avec le sinus du complément de la partie moyenne, est égal aux sinus des parties disjointes, & aux co-tangentes des parties conjointes ; ôtez du total de ces choses données, la troisieme partie donnée, le reste sera quelque sinus ou tangente, & le côté ou l'angle qui y répond dans la table des logarithmes, est le côté ou l'angle que vous cherchez.

Comme la regle universelle ou générale est d'un grand secours dans la Trigonométrie, nous en ferons l'application à différens cas, & nous en apporterons des exemples qui dans les cas des parties conjointes & disjointes répandront aussi de la lumiere sur la méthode commune : mais dans les cas des parties contiguës, il faudra avoir recours à d'autres solutions.

1°. L'hypothénuse B C = 60d, & l'angle C = 23d. 30'. étant donnés ; trouver le côté opposé A B, fig. 22. puisque A B est la partie moyenne, C & B C sont parties disjointes, voyez PARTIES, le sinus total, avec le co-sinus du complément A B, c'est-à-dire, avec le sinus même de A B, est égal aux sinus de C, & B C.

Le nombre qui y répond dans la table est 20d. 12'. 6'.

2°. L'hypothénuse B C = 60d. & la jambe A = 20d. 12'. 6'. étant données, trouver l'angle opposé C.

Il paroît par le problème précédent que de la somme du sinus total, & du sinus du côté A B, il faut ôter le sinus de l'hypothénuse B C. le reste est le sinus de l'angle C. desorte qu'il est aisé de transformer le cas précédent en celui-ci.

3°. Le côté A B = 20d. 12'6''& l'angle opposé C = 23d. 30'étant donnés, trouver l'hypothénuse B C.

Il paroît par le premier exemple, que de la somme du sinus total, & du sinus de A B, il faut ôter le sinus de l'angle C. le reste est le sinus de l'hypothénuse B C.

4°. L'hypothénuse B C = 60d. & un côté A B = 20d. 12'16''étant donnés ; trouver l'autre côté.

Puisque B C est une partie moyenne, & que A B & A C sont des parties disjointes, le sinus total avec le co-sinus de l'hypothénuse B, sont égaux aux sinus des complémens, c'est-à-dire, aux co-sinus des côtés A B & A C.

Le nombre qui y répond dans la table, est 32d. 11'. 34''par conséquent A C est de 57d. 48'26''.

5°. Les côtés A C = 57d. 48'26''& A B = 20d. 12'6''étant donnés, trouver l'hypothénuse B C.

Il paroît, par l'exemple précédent, que le sinus total doit être ôté de la somme des co-sinus des côtés A B & A C ; le reste est le co-sinus de l'hypothénuse B C. par conséquent l'exemple ci-dessus s'applique aisément à celui-ci.

6°. Le côté A C = 57d. 48'. 26''& l'angle adjacent C = 23d. 30'étant donnés, trouver l'angle opposé B.

Puisque B est une partie moyenne, & que A & C sont des parties disjointes, le sinus total avec le co-sinus de B, est égal au sinus de C, & au sinus du complément, c'est-à-dire au co-sinus de A C.

Le nombre qui y répond, dans la table est 12d. 15'. 56''. par conséquent B est de 77d. 44'. 4''.

7°. Le côté A C = 57d. 48'26''& l'angle opposé B = 77d. 44'. 4''. étant donnés, trouver l'angle adjacent C. Il paroît par l'exemple précédent que le co-sinus de A C, doit être soustrait de la somme du sinus total, & du co-sinus de B, le reste est le sinus de C, desorte que l'exemple précédent s'applique aisément à celui-ci.

8°. Les angles obliques B = 77d. 44'4''& C = 23d. 30'. étant donnés, trouver le côté A C adjacent à l'autre angle.

Il paroît par le sixiéme problème que le sinus de C, doit être ôté de la somme du sinus total, & du co-sinus de B, le reste est le co-sinus de A C. Le cas du sixieme problème s'applique aisément à celui-ci.

9°. Le côté A C = 57d. 48'. 26''. & l'angle adjacent C = 23d. 30'étant donnés, trouver le côté opposé A B.

Puisque A C est une partie moyenne, & que C & A B sont des parties conjointes, le sinus total, avec le sinus de A C, est égal à la co-tangente de C, & à la tangente de A B.

Le nombre qui y répond dans la table est 20d. 12'. 6''.

10°. Le côté A B = 20d. 12'6''& l'angle opposé C = 23d. 30'étant donnés, trouver le côté adjacent A C.

De la somme de la co-tangente de C & de la tangente de A B, ôtez le sinus total, le reste est le sinus de A C.

11°. Les côtés A B = 20d. 12'6''& A C = 57d. 48'26''étant donnés, trouver l'angle C, opposé à l'un des deux.

De la somme du sinus total & du sinus de A C, ôtez la tangente de B A, le reste est la co-tangente de C.

12°. L'hypothénuse B C = 60d. & l'angle oblique C = 23d. 30'. étant donnés, trouver le côté adjacent A C.

Puisque C est une partie moyenne, & que A B & A C sont des parties conjointes, le sinus total avec le co-sinus de C, sera égal à la co-tangente de A C.

Le nombre qui y répond dans les tables est 57d. 48'26''.

13°. Le côté A C = 57d. 48'26''& l'angle adjacent C = 23d. 30'étant donnés, trouver l'hypothénuse B C.

De la somme du sinus total & du co-sinus de C, ôtez la tangente de A C, le reste est la co-tangente de B C.

14°. L'hypothénuse B C = 60d. & le côté A C = 57d. 48'26''étant donnés ; trouver l'angle adjacent C.

De la somme de la co-tangente de B C, & de la tangente de A C, ôtez le sinus total, le reste est le co-sinus de C.

15°. L'hypothénuse B C = 60d. & un angle C = 23d. 30'. étant donnés, trouver l'autre angle B.

Puisque B C est la partie moyenne, & que B & e sont des parties disjointes, le sinus total avec le cosinus de B C sera égal aux co-tangentes de B & de C.

Le nombre qui y répond dans les tables est 12d. 15'56'', par conséquent B est de 77°. 44'4''.

16°. Les angles obliques B = 77d. 44'4'', & C = 23d. 30'étant donnés, trouver l'hypothénuse B C.

De la somme des co - tangentes de C & de B, soustrayez le sinus total ; le reste est le co-sinus de B C.

Solution des triangles obliquangles sphériques. 1°. Dans un triangle obliquangle sphérique A B C (Pl. Trigonom. fig. 30.) deux côtés A B & B C étant donnés conjointement avec un angle A opposé à l'un des deux ; trouver l'autre angle C. Voici la regle, le sinus du côté B C est au sinus de l'angle opposé A, comme le sinus du côté B A est au sinus de l'angle opposé C.

Le nombre qui y répond dans les tables est 82d. 34'7''.

2°. Deux angles C = 82d. 34'7''& A = 43d. 20'avec le côté A B = 60d. 45'opposé à l'un d'eux C étant donnés, trouver le côté B C opposé à l'autre angle A.

Il faut dire : le sinus de l'angle C est au sinus du côté opposé B, comme le sinus de l'angle A est au sinus du côté opposé B C. L'exemple précédent suffit pour l'intelligence de celui-ci.

3°. Deux côtés A B = 66d. 45 m. & B C = 39d. 29'avec un angle opposé à l'un des deux A = 45d. 20'étant donnés ; trouver l'angle B compris entre ces côtés ; supposez que l'angle C est aigu ; puisque l'autre angle A est pareillement aigu, la perpendiculaire B E tombe dans le triangle ; c'est pourquoi dans le triangle rectangle A B E, par le moyen de l'angle A, & du côté A B donnés, on trouve l'angle A B E. Puisque B E sert comme de partie latérale dans le triangle A E B, l'angle E B C est une partie moyenne, & le côté B C est une partie conjointe.

Ce co-sinus de l'angle E B C se trouvera en ôtant la co-tangente de A B de la somme du co - sinus de l'angle A B E, & de la co-tangente de B C. Ainsi, en joignant ensemble les angles A B E & E B C, ou si la perpendiculaire tombe hors du triangle, en ôtant l'un de l'autre, vous trouverez l'angle en question.

Le nombre qui y répond dans les tables est 20d. 25'35''par conséquent A B est de 69d. 34'25''.

Le nombre qui y répond dans les tables est 80d. 24'26''par conséquent A B C est de 79d. 9'57''.

4°. Deux angles A = 43d. 20'& B = 79d. 9'59''avec le côté adjacent A B = 66d. 45'étant donnés, trouver le côté B opposé à l'un des deux angles.

De l'un des angles donnés B, abaissez une perpendiculaire E B sur le côté inconnu A C ; &, dans le triangle rectangle A B E, par le moyen de l'angle donné A & de l'hypothénuse A B, cherchez l'angle A B E ; lequel étant ôté de l'angle A B C, il reste l'angle E B C. Mais si la perpendiculaire tomboit au-dehors du triangle, en ce cas, il faudroit soustraire l'angle A B C de l'angle A B E ; parce que la perpendiculaire B E étant prise pour une des parties latérales, la partie moyenne dans le triangle A B E est l'angle B, & la partie conjointe est A B ; dans le triangle E B C, la partie moyenne est l'angle B, & la partie conjointe B C ; la co-tangente du côté B C se trouve en ôtant le cosinus de E B A de la somme de co-tangente de A B & du co-sinus de E B C. L'exemple du cas précédent s'applique aisément à celui-ci.

5°. Deux côtés A B = 66d. 45'& B C = 39d. 29'avec l'angle A opposé à l'un ou à l'autre = 43d. 20'étant donnés, trouver le troisieme côté A C, abaissant, comme ci-dessus, la perpendiculaire B E, dans le triangle rectangle A B E, par le moyen de l'angle donné, & de l'hypothénuse A B, vous trouverez le côté A E ; puisqu'en prenant B E pour une partie latérale dans le triangle A E B, A B est la partie moyenne, & A E la partie disjointe, & que dans le triangle B E C, B C est la partie moyenne, & E C la partie disjointe ; le cosinus de E C se trouve en ôtant le co-sinus de A B de la somme du co-sinus de A E & C B, desorte qu'en joignant ensemble les segmens A E & E C, ou en cas que la perpendiculaire tombe hors le triangle en les ôtant l'un de l'autre, on trouvera le côté A C.

6°. Deux côtés A C = 65d. 30'46''& A B = 66d. 45'avec l'angle A = 43d. 20'compris entre ces côtés, étant donnés, trouver le troisieme côté B C opposé à cet angle.

Abaissez la perpendiculaire B E, cherchez dans le triangle rectangle le segment A E, lequel étant ôté de A C, il vous reste E C. Si la perpendiculaire tombe au-dehors du triangle, il faut ôter A C de A E.

Puisqu'en prenant la perpendiculaire B E pour une partie latérale dans le triangle A E B, A B devient la partie moyenne, & A E la partie disjointe : & que dans le triangle E B C, C B est la partie moyenne, & E C la partie disjointe ; le co-sinus de B C se trouve en ôtant le co-sinus de A E, de la somme des co-sinus de A B & E C.

7°. Deux angles A = 43d. 20'& B = 79d. 9'59''avec le côté C B = 39d. 29'opposé à l'un ou l'autre de ces angles, étant donnés, trouver le côté A B adjacent à l'un & l'autre.

Abaissez la perpendiculaire C D de l'angle inconnu C sur le côté opposé A B, & si cette perpendiculaire tombe dans le triangle, par le moyen de l'angle donné B, & de l'hypothénuse B C, cherchez dans le triangle rectangle B C D, le segment B D. Puisqu'en prenant la perpendiculaire C D pour une partie latérale dans le triangle C D B, D B est la partie moyenne, & l'angle B une partie conjointe ; & que dans le triangle C D A, A D est la partie moyenne, & l'angle A une partie conjointe ; le sinus du segment A D se trouve en ôtant la co-tangente de l'angle B de la somme du sinus de D B & de la co-tangente de l'angle A ; desorte qu'en joignant ensemble les segmens A D & D B, ou, si la perpendiculaire tombe hors du triangle, en ôtant l'un de l'autre, le résultat sera du côté A B que vous cherchiez.

8°. Deux côtés A B = 66d. 45'. & B C = 39d. 29'. avec l'angle compris entre ces côtés = 79d. 9'. 59''. étant donnés, trouver l'angle A opposé à l'un ou à l'autre de ces côtés.

En abaissant la perpendiculaire C D, vous trouverez le segment B D, comme dans le problème précédent : ôtez ce segment de A B, reste A D. Si la perpendiculaire tombe hors le triangle, A B doit être joint à D B : & comme en prenant la perpendiculaire C D pour une partie latérale dans le triangle C D B, B D est la partie moyenne, & l'angle B la partie conjointe ; & que dans le triangle C D A, A D est la partie moyenne, & l'angle A la partie conjointe ; la co-tangente de l'angle A se trouve en ôtant le sinus de D B de la somme de la co-tangente de l'angle B & du sinus A D.

9°. Deux angles A = 43d. 20'. & B = 79d. 9'. 59''. avec le côté adjacent A B = 76d. 45'. étant donnés, trouver l'angle C opposé à ce côté.

De l'un des angles donnés B abaisser la perpendiculaire B E, sur le côté opposé A C : dans le triangle rectangle A B E, par le moyen de l'angle A donné, & de l'hypothénuse A B, vous trouverez l'angle A B E, lequel étant ôté de A B C, reste l'angle E B C.

Si la perpendiculaire tombe hors le triangle, il faut ôter A B C de A B E. Puisqu'en prenant B E pour une partie latérale dans le triangle C E B, l'angle C est la partie moyenne, & l'angle C B E, la partie disjointe ; & que dans le triangle A B E, l'angle A est la partie moyenne & l'angle A B E la partie disjointe : le co-sinus de l'angle C se trouve en soustrayant le sinus de l'angle A B E de la somme du cosinus de l'angle A & du sinus de E B C.

10°. Deux angles A = 42d. 20'& C = 82d. 34'. avec le côté B A = 66d. 45'opposé à l'un de ces deux, étant donnés, trouver l'autre angle.

De l'angle cherché B, abaissez une perpendiculaire B E, & dans le triangle rectangle A E B, par le moyen de l'angle donné A, & de l'hypothénuse B A, vous trouverez l'angle A B E, puisqu'en prenant la perpendiculaire E B pour une partie latérale dans le triangle E B C, l'angle C est la partie moyenne, & l'angle C E B la partie disjointe ; & que dans le triangle A B E, l'angle A est la partie moyenne, & l'angle A B E la partie disjointe : le sinus de l'angle E B C se trouve en soustrayant le co-sinus de A de la somme du co-sinus de C & du sinus de A B E, de-sorte qu'en joignant ensemble A B E & E B C ; ou si la perpendiculaire hors le triangle, en ôtant l'un de l'autre vous aurez pour résultat l'angle cherché A B C.

11°. Les trois côtés étant donnés, trouver un angle opposé à l'un de ces côtés.

I. Si un côté A C, fig. 16. est un quart de cercle, & que le côté A B soit plus petit qu'un quart de cercle, vous trouverez l'angle A ; prolongez A B jusqu'en F, & jusqu'à ce que A F soit égal à un demi-cercle ; du pole A tirez l'arc C F, qui coupe l'arc B F à angles droits en F. Puisque dans le triangle rectangle C B F, l'hypothénuse B C est donnée, & le côté F B, ou son complément A B, à un demi-cercle, vous trouverez la perpendiculaire C F, laquelle étant la mesure de l'angle C A B, donne par conséquent l'angle que vous cherchez.

II. Si l'un des côtés A C est un quart de cercle, & que l'autre côté A B soit plus grand qu'un quart de cercle, cherchez l'angle A : de A B ôtez le quart de cercle A D ; & du pole A décrivez l'arc C D, coupant l'arc A B à angles droits en D. Comme dans le triangle rectangle C D B, l'hypothénuse B C, & le côté D B, ou l'excès du côté A B sur le quart de cercle sont donnés, la perpendiculaire C D sera trouvée, comme ci-dessus, & cette perpendiculaire est la mesure de l'angle cherché A.

III. Si le triangle est isoscele, que B C = C F & l'angle A C F celui qu'on cherche ; coupez A F en deux parties égales au point D ; & par D & C faites passer l'arc de cercle D C. Puisque D C est perpendiculaire à A F, les angles A & F, A C D & D C F sont égaux ; par le moyen de l'hypothénuse A C & du côté A D donnés dans le triangle rectangle A C D, vous trouverez l'angle A C D, dont le double est l'angle cherché A C F ; & par les mêmes parties données on peut trouver l'angle A ou l'angle F.

IV. Si le triangle est scalène, & que vous cherchiez l'angle A, fig. 30. de C, abaissez la perpendiculaire C D, & cherchez la demi-différence des segmens A D & D B, en disant, la tangente de la moitié de la base A B est à la tangente de la moitié de la somme des côtés A C & C B, comme la tangente de leur demi-différence est à la tangente de la demi-différence des segmens A D & D B : ajoutez ensuite la demi-différence des segmens à la moitié de la base pour trouver le grand segment, & ôtez cette même demi-différence de la même moitié de la base pour trouver le petit segment, pour lors ayant trouvé dans le triangle rectangle C A D, l'hypothénuse A C & le côté A D, vous avez aussi l'angle cherché A. De la même maniere, dans l'autre triangle C D B, vous trouverez B par les parties données C B & D B.

12°. Les trois angles A, B & C étant donnés, trouver un des côtés quelconque.

Comme, au-lieu du triangle donné on peut en prendre un autre, dont les côtés soient égaux aux angles donnés, & les angles égaux aux côtés donnés, ce problème se résout de la même maniere que le précédent. Chambers & Wolf. (E)

TRIANGLE, s. m. en Astronomie, c'est un nom commun à deux constellations, l'une dans l'hémisphere septentrional, appellé simplement triangle ou triangle céleste, & l'autre dans l'hémisphere méridional, que l'on appelle triangle austral. Voyez CONSTELLATION.

Les étoiles qui composent le triangle septentrional, sont au nombre de quatre, suivant le catalogue de Ptolémée, autant dans celui de Tycho ; 24 dans le catalogue britannique.

TRIANGLE différentiel d'une courbe, dans la haute Géométrie, c'est un triangle rectiligne rectangle, dont l'hypothénuse est une partie de la courbe, qui ne differe qu'infiniment peu d'une ligne droite. Voyez COURBE.

Supposons, par exemple, la demi-ordonnée p m, Pl. d'analyse, fig. 18. & une autre demi-ordonnée P M, qui en soit infiniment proche ; alors P p sera la différentielle de l'abscisse, & abaissant une perpendiculaire M R = P p, R m sera la différentielle de la demi-ordonnée. Tirez donc une tangente T M, & l'arc infiniment petit M m ne sera pas différent d'une ligne droite ; par conséquent M m R est un triangle rectiligne rectangle, & constitue le triangle différentiel de cette courbe. Voyez TANGENTE & SOUTANGENTE. Chambers. (O)

TRIANGLE, (Arithmétique) on appelle ainsi un triangle formé de la maniere suivante.

La premiere colonne verticale renferme l'unité ; la seconde la suite des nombres naturels 2, 3, 4, 5, &c. la troisieme la suite des nombres triangulaires, 1, 3, 6, 10, &c. la quatrieme la suite des nombres pyramidaux, &c. Sur quoi voyez l'article FIGURE ; voyez aussi TRIANGULAIRE, PYRAMIDAL, &c. M. Pascal a fait un traité de ce triangle arithmétique. Les bandes horisontales sont les coefficiens des différentes puissances du binome. Sur quoi voyez BINOME. (O)

TRIANGLE, (Littérat.) cette figure géométrique a depuis long-tems servi de signe, de marque, ou de symbole à bien des choses différentes. Plutarque nous apprend que le philosophe Xénocrates comparoit la divinité à un triangle équilatéral, les génies au triangle isoscele, & les hommes au scalene. Les Chrétiens à leur tour employerent le triangle pour représenter la Trinité ; d'abord ils se servirent du simple triangle, mais dans la suite ils ajouterent au triangle quelques lignes, qui formoient une croix : c'est ainsi qu'on trouve des triangles diversement combinés sur les médailles des papes publiées par Bonanni. Au commencement de la découverte de l'Imprimerie, rien n'étoit plus commun que de graver ces sortes de figures au frontispice des livres ; ensuite elles devinrent de simples marques de correcteur d'Imprimerie, ou des symboles distinctifs dans le commerce. Enfin, elles ont passé aux emballeurs, qui marquent ainsi avec leur pinceau, toutes les balles de marchandises qui sont envoyées dans les provinces, ou qui doivent passer à l'étranger. (D.J.)

TRIANGLE, (Fortification) ouvrage dont les trois angles sont formés par des bastions coupés, ou des demi - bastions. (D.J.)

TRIANGLE, (Marine) sorte d'échafaud, qui sert à travailler sur les côtés du vaisseau. Il est composé de trois pieces ; d'un traversin ; d'une accore, qui pend de travers sur le traversin, & qui va s'appuyer sur le côté du vaisseau ; & d'un arcboutant, qui est attaché par une extrêmité au bout du traversin, & qui, s'élevant par l'autre en-haut du vaisseau, est cloué à son côté.

TRIANGLE, (Marine) c'est le nom qu'on donne à trois barres de cabestan, qu'on suspend autour des grands mâts, quand on veut le racler.

TRIANGLE, (Instrument d'ouvriers) les Menuisiers, les Charpentiers, & quelques autres ouvriers, ont des instrumens à qui ils donnent le nom de triangle, & les spécifient néanmoins par quelque terme qui dénote leur usage. Le triangle onglé ou à onglet, n'est qu'une regle de bois de deux lignes d'épais, d'un pié de long, & de trois piés de large, dont l'une des extrêmités, qui est coupée en angle de quarante-cinq degrés, est emboîtée dans un autre morceau de bois plus épais, qu'on nomme la joue. Il sert à tracer des angles réguliers, en appuyant la piece de bois contre la joue de l'instrument, & en tirant une ligne le long de la regle. Le triangle quarré est une vraie équerre, dont une des branches qu'on appelle la joue, qui est du triple plus épaisse que l'autre, a dans le milieu & tout le long de son épaisseur, une espece de languette. Il sert à tracer les pieces quarrées, en les appuyant sur la languette le long de la joue, & en tirant les lignes paralleles à l'autre branche. Pour éviter la multiplicité des instrumens, le sieur Hulin en a inventé un qui contient non-seulement ces deux triangles, mais encore une équerre, & ce qu'on appelle la piece quarrée ; mais les Anglois ont imaginé un autre instrument encore plus simple & plus parfait.


TRIANGULAIREadj. (Géom.) se dit en général de tout ce qui a rapport au triangle.

Les compas triangulaires ont trois branches ; on en fait un grand usage dans la construction des mappemondes, des globes, &c. lorsqu'il s'agit de prendre un triangle tout d'un coup. Voyez COMPAS.

Les nombres triangulaires sont une espece de nombres polygones ; ce sont les sommes des progressions arithmétiques, dont la différence des termes est 1. Voyez NOMBRE, POLYGONE, GUREGURE.

Ainsi, de la progression arithmétique 1. 2. 3. 4. 5. 6. on forme les nombres triangulaires 1. 3. 6. 10. 15. 21. Chambers.

TRIANGULAIRE, en Anatomie, est un nom qu'on donne à deux muscles à cause de leur figure. Voyez MUSCLE.

TRIANGULAIRE, de la poitrine ou du sternum, est un muscle qui ressemble quelquefois à trois ou quatre muscles distincts. Il vient de la face interne du sternum, & se termine aux cartilages qui joignent les quatre dernieres vraies côtes au sternum.

TRIANGULAIRE de la levre inférieure, est un muscle attaché à la levre externe du bord inférieur de la mâchoire inférieure, vers la partie moyenne, entre le menton & le masseter ; de-là, les fibres se réunissant, viennent s'unir à la commissure des levres, avec celles du canin, de façon qu'ils ne paroissent former ensemble qu'un même muscle digastrique. Voyez DIGASTRIQUE.

Le triangulaire des lombes. Voyez QUARRE.

TRIANGULAIRES OS, (Anat.) on doit mettre au nombre des variations utiles qui se rencontrent souvent dans la structure générale des parties osseuses, les os triangulaires qu'on trouve quelquefois dans les sutures du crâne, & plus fréquemment dans la suture lambdoïde que dans aucune autre, parce que, faute de les connoître, quelqu'un pourroit se tromper à l'égard de ceux qui ont des pareils os, & prendre une légere plaie pour une fracture considérable.


TRIANGULO, ILES(Géog. mod.) îles de l'Amérique méridionale, dans la mer du Nord, à l'entrée du détroit d'Euxuma. On met ces îles au nombre des Lucayes, & l'on en compte trois, qui par leur situation forment comme un triangle d'où vient leur nom.


TRIANONS. m. (Archit. mod.) c'est en France un terme générique qui signifie tout pavillon isolé, construit dans un parc, & détaché d'un château. Le césino des Italiens est un bâtiment de cette espece, en usage pour servir de retraite, & se procurer de la fraîcheur à la campagne ; il y en a dans presque toutes les vignes d'Italie. Le nom de trianon, que les François ont donné à ces sortes de pavillons, vient de celui que Louis XIV. a fait construire dans le parc de Versailles. C'est un petit palais du roi, galant, bien bâti, incrusté de marbre de diverses couleurs, & décoré de précieux ameublemens.

La face extérieure de cette maison est d'environ 64 toises. La cour offre un péristyle soutenu par des colonnes & des pilastres de marbre. Les deux aîles de la maison sont terminées par deux pavillons ; & sur tout l'édifice regne une balustrade, le long de laquelle sont des statues, des corbeilles, des urnes & des cassolettes. Les jardins en sont très-agréables ; les bassins y sont ornés de grouppes choisis. On y trouve entr'autres le grouppe de Laocoon, sculpté par Baptiste Tuby d'après l'antique. La cascade mérite aussi d'être remarquée, outre d'autres embellissemens qui y sont employés avec goût. (D.J.)


TRIAS(Théol.) terme dont on se sert quelquefois pour exprimer la sainte Trinité. Voyez TRINITE.


TRIAVERDENou TRIVERDENS, s. m. (Hist. ecclés.) brigands qui dans le xij. siecle exercerent contre les chrétiens toutes sortes de cruautés. Le troisieme concile de Latran décerne les peines ecclésiastiques contre ceux qui leur donneront retraite, qui les recevront, les secourront, auront la moindre communication avec eux. Il veut qu'ils soient anathématisés comme les Albigeois.


TRIBADES. f. (Gram.) femme qui a de la passion pour une autre femme ; espece de dépravation particuliere aussi inexplicable que celle qui enflamme un homme pour un autre homme.


TRIBALLESLES, Triballi, (Géog. anc.) peuples de la basse Moesie. Strabon, l. VII. p. 301. les met sur le bord du Danube, & dit qu'ils s'étendoient jusques dans l'île de Peucé. Il ajoute qu'Alexandre le grand ne put s'emparer de cette île, saute d'un nombre suffisant de vaisseaux, & que Syrmus, roi des Triballes, qui s'y étoit retiré, en défendit courageusement l'entrée. Ptolémée, liv. III. ch. x. & Pline, liv. III. ch. xxvj. font aussi mention de ces peuples. Ce dernier dit, liv. VII. ch. ij. qu'on racontoit que parmi eux il y avoit des gens qui ensorceloient par leur regard, & qu'ils tuoient ceux sur qui ils tenoient long-tems les yeux attachés, surtout lorsqu'ils étoient en colere. (D.J.)


TRIBARou TRIBARD, s. m. terme de Jardinier, on nomme ainsi une machine composée de trois bâtons, qu'on met au cou des chiens & des pourceaux, pour les empêcher de passer au-travers des haies, & d'entrer dans les jardins ; de ces trois bâtons est venu le nom de tribar ; ce mot écrit avec un t à la fin tribart, est dans Cotgrave, qui l'explique par bâton court. (D.J.)


TRIBESÉES(Géog. mod.) ville d'Allemagne dans la Poméranie, sur les confins du Mecklenbourg, proche la riviere Trébel, entre Rostock & Gripswalde, avec un château. Elle appartient au roi de Suede. Long. 32. 52. latit. 54. 12.


TRIBOCCIENS(Hist. anc.) peuples de l'ancienne Gaule, qui habitoient le pays nommé Alsace par les modernes. Argentina, ou Strasbourg, étoit leur capitale.


TRIBOCI(Géog. anc.) nous disons en françois les Tribocs ; nation germanique qui s'établit en-deçà du Rhin, dans une partie de l'Alsace.

La maniere d'exprimer le nom des Tribocs, n'est pas uniforme dans les anciens auteurs. Strabon écrit , Ptolémée , Jule-César Triboci, Pline Tribochi, Tacite Triboci ; l'orthographe de ce dernier est celle que nous suivons, parce que c'est la même qui se lit dans une inscription trouvée à Brumt, à trois lieues de Strasbourg, par M. Schoepflin vers l'an 1737. Ce monument porte Imp. Caes. Publio Licinio Valeriano Pio Felici. Invicto Augusto civ. Tribocorum : c'est-à-dire que la communauté des Tribocs a érigé ce monument en l'honneur de l'empereur Valérien, dont on a ajouté les éloges ordinaires de pieux, d'heureux, & d'invincible.

L'étymologie du mot Tribocs, a embarrassé plusieurs savans modernes, qui l'ont cherché avec plus de curiosité que de succès. Les historiens du moyen âge ont publié sans fondement que les Trévériens & les Tribocs tiroient leur origine commune de Trebeta, fils de Ninus & de Sémiramis, & qu'ils tenoient leur nom de ce fondateur. Un siecle éclairé comme le nôtre, ne défere point du tout à l'autorité des écrivains peu clairvoyans, fabuleux dans les matieres de leur tems, & à plus forte raison dans celles qui sont beaucoup antérieures.

Mais le sentiment le plus reçu dérive ce nom des mots germaniques drey buchen, trois hêtres, à cause du culte qu'on prétend que cette nation rendoit à ces arbres, & à l'ombre desquels elle avoit coutume de tenir ses assemblées de religion & d'état. Cluvier avance cette conjecture après Conrad Celte, Rhenanus, Glareanus, Willichius, Schadaeus, Coccius, suivis par plusieurs savans plus modernes.

Pour la fortifier on prétend qu'il y a encore aujourd'hui en Alsace un endroit de ce nom ; mais ce qu'il y a de certain, c'est que cet endroit n'y existe point. Supposé son existence, on n'en sauroit induire que les anciens habitans en eussent tiré leur nom ; il faut même observer que le hêtre n'a pas été un objet de religion des peuples Celtiques, comme le chêne.

Les Tribocs se sont trouvés enveloppés dans la conquête des Gaules faite par les Francs ; & depuis ce tems-là ce nom s'est perdu pour faire place à celui d'Alsaciones, dont nous trouvons la premiere mention dans Frédégaire, & qui dénote les habitans sur la riviere d'Ill. Elsass marque sedes elli, le siege ou le cours de l'Ill.

M. Schoepflin, dans les mémoires de l'académie des inscriptions, tom. XV. a tâché de fixer le tems où les Tribocs passerent le Rhin, & de déterminer l'étendue du terrain qu'ils ont occupé entre les Séquanois au midi, les Németes au nord, le Rhin à l'orient, & les Vosges à l'occident ; il y fait l'énumération des villes & des bourgs considérables, situés dans leur territoire, qui dans l'espace de vingt-six lieues, le long du Rhin, depuis Marckelsheim, jusqu'à Germersheim, comprenoit à-peu-près, selon lui, toute la basse Alsace. Schelestat, El, Strasbourg, Drusenheim, Seltz, Rheinzabern, Bruent, Saverne, Bergrabern, faisoient partie de ces places enclavées dans le pays des Tribocs.

Il ne faut pas croire que les Tribocs aient fondé aucune des places dont nous venons de parler. Le goût des peuples Teutoniques n'étoit pas porté à bâtir des villes, soit par aversion pour tout ce qui relâche le courage, soit par un penchant naturel pour la liberté, & parce qu'ils savoient que les mêmes remparts qu'ils défendent contre les ennemis, asservissent quelquefois sous des maîtres ; d'ailleurs ils se plaisoient à changer de lieu ; ils évitoient les villes, à ce que dit Ammien, de même que si c'eût été des filets & des prisons ; c'est pourquoi les Allemands, lors de leur irruption dans les Gaules, y en avoient abattu ou ruiné plus de quarante-cinq, sans compter les forts & les petits châteaux. C'est de-là que toute l'ancienne Germanie ne nous fournit pas une seule ville du tems de Tacite ; les noms même de celles que nous venons de marquer, les uns Gaulois, les autres pour la plûpart latins, font connoître que toutes avoient pour fondateurs les Gaulois ou les Romains.

D'un autre côté, à peine les Tribocs eurent-ils chassé les Médiomatriciens ripuaires de leur pays, qu'eux-mêmes furent subjugués à leur tour par les Romains ; & ceux-ci qui en demeurerent les maîtres pendant plus de cinq siecles, regardoient toujours ce pays comme un boulevard contre les nations barbares, qui ont tant de fois entrepris de pénétrer parlà dans l'intérieur des Gaules, & qui y ont même réussi par la suite.

C'est de-là que nous trouvons dans l'ancienne Alsace, le long de la grande route du Rhin, ces fréquentes garnisons de la huitieme, dix-neuvieme, & vingt-deuxieme légion ; & dans le bas empire, ces Audéréciens & Ménapiens ; c'est de-là que viennent ces forts & ces villes fortifiées, ces camps, ces murs épais bâtis dans les gorges & sur les hauteurs des montagnes des Vosges, dont il reste encore aujourd'hui de grands & magnifiques vestiges dans les comtés de Dabo, & d'Ochsenstein, à S. Odile, à Niderbroun, à Framont, & ailleurs.

Les Tribocs étoient un des sept peuples qui fournirent des troupes au célebre Arioviste, lorsqu'il entra dans les Gaules ; & M. Schoepflin croit que ce peuple germain ne s'établit en Alsace qu'après l'invasion d'Arioviste ; mais M. Freret a prouvé dans les mémoires de l'académie des Inscriptions, tom. XVIII. p. 236. que l'établissement des Tribocs en Alsace, étoit antérieur à l'invasion d'Arioviste, qui passa le Rhin au plus tard l'an 71 avant Jesus-Christ.

En effet, César ne dit pas que les sept nations qui composoient l'armée de ce prince, eussent passé le fleuve avec lui, il le remarque seulement des Harudes, & l'on doit aussi le supposer des Marcomans, des Sédusiens, & des Sueves, qu'on ne trouve qu'en Germanie ; mais à l'égard des Tribocs, des Vangions, & des Németes, qui du vivant de César, ou du moins peu après sa mort, étoient fixés dans la Gaule, rien ne prouve qu'ils n'y fussent pas déja dès le tems d'Arioviste.

La politique des Romains nous oblige même à penser le contraire ; jamais ils n'eussent permis à ces nations de franchir la barriere du Rhin. César traite de dangereux pour l'empire, ces sortes d'établissemens des colonies germaniques dans la Gaule. Enfin, dans le doute où l'on seroit du tems où les Tribocs ont passé le Rhin, il faudroit supposer le fait antérieur à l'expédition d'Arioviste, par la seule raison du silence des auteurs, qui ne font aucune mention de ce passage des Tribocs, & qui n'en parlent jamais que comme d'une nation germanique établie en-deçà du Rhin par rapport à nous.

Ptolémée regardoit Brocomagus comme le chef-lieu de la nation des Tribocs, & il n'est pas vraisemblable que ce soit Argentoratum, comme le croit M. Schoepflin. Argentoratum étoit selon toute apparence, une ancienne ville gauloise des Médiomatriques, où les Tribocs n'eurent garde de s'enfermer. Si cette place avoit été la capitale des Tribocs, il y seroit resté quelques vestiges du nom de ce peuple ; mais il n'en reste aucun.

Nous apprenons d'une inscription rapportée par Gruter, p. M X. n°. 12. qu'une partie de la nation des Tribocs resta dans son ancienne demeure au-delà du Nekre, & vers Murhart, lieu situé sur le confluent du Murh & du Nekre. Il paroît par le même Gruter, que les Boïens, Boü, s'unirent avec les Tribocs pour la consécration d'un temple dédié à une divinité romaine, sur les bords du Nekre. (D.J.)


TRIBOMETRES. m. (Physiq.) c'est le nom que donne M. Musschenbroeck à une machine dont il se sert pour mesurer les frottemens : on voit cette machine dans les Pl. de mech. fig. 39. n°. 3. & il est facile d'en comprendre le jeu & l'usage en jettant les yeux sur la figure. Ceux qui désireront un plus grand détail peuvent avoir recours à l'essai physique de M. Musschenbroeck, p. 177. & suiv. Voyez FROTTEMENT. (O)


TRIBONIANISME(Jurispr.) on appelle ainsi certaines interpolations de loix, que l'on prétend avoir été supposées par Tribonien, chancelier de l'empereur Justinien, ou qu'on le soupçonne d'avoir accommodées aux intérêts de ses amis. Voyez le mercure d'Octobre 1753. p. 60. (A)


TRIBORD(Marine) voyez STRIBORD.

TRIBORD TOUT, (Marine) commandement au timonnier de pousser la barre du gouvernail à droite, tout proche du bord.


TRIBORDAIS(Marine) c'est la partie de l'équipage qui doit suivre le quart de stribord.


TRIBOULETen terme d'Orfevre en grosserie, est un morceau de bois assez gros, d'environ deux piés de haut, taillé en forme d'entonnoir renversé, sur lequel on forme les cercles & les gorges. Voyez GORGES, &c. voyez les Pl. & les fig. Il y en a de buis & de fer, & de toutes grosseurs.


TRIBRAQUESTRIBRACHIS, terme de l'ancienne Prosodie ; c'étoit le pié d'un vers, & il consistoit en trois syllabes breves, comme mls, lgr.

Ce mot est formé du grec treis & brachys, trois breves. Voyez PIE.


TRIBUS. f. (Gram. & Hist. anc.) certaine quantité de peuple distribuée sous différens districts ou divisions.

TRIBUS DES HEBREUX, (Hist. sacrée) les Hébreux formerent douze tribus ou districts, selon le nombre des enfans de Jacob, qui donnerent chacun leur nom à leur tribu ; mais ce patriarche ayant encore adopté en mourant les deux fils de Joseph, Manassé & Ephraïm, il se trouva treize tribus, parce que celle de Joseph fut partagée en deux après la mort de Jacob. La famille de Joseph s'étant multipliée prodigieusement en Egypte, devint si suspecte aux rois du pays, qu'elle se vit obligée de passer dans la terre de Chanaan, sous la conduite de Josué, qui la divisa entre onze tribus de cette famille. On en sait les noms, Ruben, Siméon, Juda, Issachar, Zabulon, Dan, Nephtali, Gad, Azer, Benjamin, Manassé, & Ephraïm. La tribu de LÉvi n'eut point de part au partage, parce qu'elle fut consacrée au service religieux ; on pourvut à sa subsistance, en lui assignant des demeures dans quelques villes, les prémices, les dixmes, & les oblations du peuple.

Cet état des douze tribus demeura fixe jusqu'après la mort de Salomon. Roboam qui lui succéda, fit naître une révolte par sa dureté. Dix tribus se séparerent de la maison de David, reconnurent pour roi Jéroboam, & formerent le royaume d'Israël. Il ne resta au fils de Salomon que Juda & Benjamin, qui constituerent l'autre royaume, dans lequel se conserva le culte de Dieu ; mais le royaume d'Israël lui substitua l'idolâtrie des veaux d'or.

Dans la suite des tems, Tiglath-Piléser rendit Samarie tributaire, Salmanazar ruina la capitale, & le royaume d'Israël s'éteignit. Enfin arriva la captivité de Juda, sous Nabuchodonosor qui prit Jérusalem, la détruisit avec le temple, & transporta tous les habitans dans les provinces de son empire, 588 ans avant Jésus-Christ ; cependant après une captivité de 70 ans, Cyrus renvoya les Juifs dans leur pays, leur permit de rebâtir le temple, & de vivre selon leur loi ; alors la Palestine se repeupla, les villes furent rebâties, les terres cultivées, & les Juifs ne firent plus qu'un seul état gouverné par un même chef, un seul corps, rendant au vrai Dieu leurs adorations dans son temple. Voilà l'époque la plus brillante de l'histoire de ce peuple, la suite ne regarde pas cet article. (D.J.)

TRIBUS D'ATHENES, (Hist. d'Athènes) Athènes dans sa splendeur étoit divisée en dix tribus, qui avoient emprunté leurs noms de dix héros du pays ; elles occupoient chacune une partie d'Athènes, & contenoient en-dehors quelques autres villes, bourgs, & villages. Les noms de ces dix tribus reviennent souvent dans les harangues de Démosthène, mais je n'en puis rappeller à ma mémoire que les huit suivans, la tribu Acamantide, ainsi nommée d'Acamas, fils de Télamon ; l'Antiochide, d'Antiochus fils d'Hercule ; la Cécropide, de Cécrops, fondateur & premier roi d'Athènes ; l'Egéïde, d'Egée, neuvieme roi d'Athènes ; l'Hippothoontide, d'Hippothoon, fils de Neptune ; la LÉontide, de LÉon, qui voua ses filles pour le salut de sa patrie ; & l'Oenéïde, d'Oeneus, fils de Pandion, cinquieme roi d'Athènes.

Mais il faut observer que le nombre des tribus ne fut pas le même dans tous les tems, & qu'il varia selon les accroissemens d'Athènes. Il n'y en avoit eu d'abord que quatre, il y en eut six peu après, puis dix, & enfin treize ; car aux dix nommées par Démosthène, la flatterie des Athéniens en ajouta trois autres dans la suite ; savoir la tribu ptolémaïde, en l'honneur de Ptolomée, fils de Lagus ; l'attalide, en faveur d'Attalus, roi de Pergame ; & l'adrianide, en faveur de l'empereur Adrien. Pour établir ces nouvelles tribus, on démembra quelques portions des anciennes. Au reste les peuples ou bourgades qui composoient toutes ces tribus, étoient au nombre de cent soixante & quatorze. Voyez Suidas, Eustathe, & Meursius, & notre article REPUBLIQUE D'ATHENES. (D.J.)

TRIBU ROMAINE, (Hist. rom.) nom collectif du partage de différens ordres de citoyens romains, divisés en plusieurs classes & quartiers. Le mot tribu est un terme de partage & de division, qui avoit deux acceptions chez les Romains, & qui se prenoit également pour une certaine partie du peuple, & pour une partie des terres qui lui appartenoient. C'est le plus ancien établissement dont il soit fait mention dans l'histoire romaine, & un de ceux sur lesquels les auteurs sont moins d'accord.

L'attention la plus nécessaire dans ces sortes de recherches, est de bien distinguer les tems ; car c'est le noeud des plus grandes difficultés. Ainsi il faut bien prendre garde de confondre l'état des tribus sous les rois, sous les consuls & sous les empereurs ; car elles changerent entierement de formes & d'usages sous ces trois sortes de gouvernemens. On peut les considérer sous les rois comme dans leur origine, sous les consuls comme dans leur état de perfection, & sous les empereurs comme dans leur décadence, du-moins par rapport à leur crédit & à la part qu'elles avoient au gouvernement : car tout le monde sait que les empereurs réunirent en leur personne toute l'autorité de la république, & n'en laisserent plus que l'ombre au peuple & au sénat.

L'état où se trouverent alors les tribus nous est assez connu, parce que les meilleurs historiens que nous ayons sont de ce tems-là : nous savons aussi à-peu-près qu'elle en étoit la forme sous les consuls, parce qu'une partie des mêmes historiens en ont été témoins : mais nous n'avons presque aucune connoissance de l'état où elles étoient sous les rois, parce que personne n'en avoit écrit dans le tems, & que les monumens publics & particuliers qui auroient pu en conserver la mémoire, avoient été ruinés par les incendies.

Les anciens qui ont varié sur l'époque, sur le nombre des tribus, & même sur l'étymologie de leur nom, ne sont pas au fond si contraires qu'ils le paroissent, les uns n'ayant fait attention qu'à l'origine des tribus qui subsistoient de leur tems, les autres qu'à celle des tribus instituées par Romulus & supprimées par Servius Tullius. Il y a eu deux sortes de tribus instituées par Romulus, les unes avant l'enlevement des Sabines, les autres après qu'il eut reçu dans Rome les Sabins & les Toscans. Les trois nations ne firent alors qu'un même peuple sous le nom de Quirites, mais elles ne laisserent pas de faire trois différentes tribus ; les Romains sous Romulus, d'où leur vint le nom de Ramnes ; les Sabins sous Tatius, dont ils porterent le nom ; & les Toscans appellés Luceres sous ces deux princes.

Pour se mettre au fait de leur situation, il faut considérer Rome dans le tems de sa premiere enceinte, & dans le tems que cette enceinte eut été aggrandie après l'union des Romains, des Sabins, & des Toscans. Dans le premier état, Rome ne comprenoit que le mont Palatin dont chaque tribu occupoit le tiers ; dans le second, elle renfermoit la roche tarpéienne ; & la vallée qui séparoit ces deux monticules fut le partage des Toscans, & l'on y joignit le mont Aventin & le Janicule : la montagne qu'on nomma depuis le capitole, fut celui des Sabins, qui s'étendirent aussi dans la suite sur le mont Coelius.

Voilà quelle étoit la situation des anciennes tribus, & quelle en fut l'étendue, tant qu'elles subsisterent ; car il ne leur arriva de ce côté-là aucun changement jusqu'au regne de Servius Tullius, c'est-à-dire jusqu'à leur entiere suppression. Il est vrai que Tarquinius Priscus entreprit d'en augmenter le nombre, & qu'il se proposoit même de donner son nom à celles qu'il vouloit établir ; mais la fermeté avec laquelle l'augure Naevius s'opposa à son dessein, & l'usage qu'il fit alors du pouvoir de son art, ou de la superstition des Romains, en empêcherent l'exécution. Les auteurs remarquent qu'une action si hardie & si extraordinaire lui fit élever une statue dans l'endroit même où la chose se passa. Et Tite-Live ajoute que le prétendu miracle qu'il fit en cette occasion, donna tant de crédit aux auspices en général & aux augures en particulier, que les Romains n'oserent plus rien entreprendre depuis sans leur aveu.

Tarquin ne laissa pas néanmoins de rendre la cavalerie des tribus plus nombreuse ; & l'on ne sauroit nier que de ce côté-là il ne leur soit arrivé divers changemens : car à mesure que la ville se peuploit, comme ses nouveaux habitans étoient distribués dans les tribus, il falloit nécessairement qu'elles devinssent de jour en jour plus nombreuses, & par conséquent que leurs forces augmentassent à-proportion. Aussi voyons-nous que dans les commencemens chaque tribu n'étoit composée que de mille hommes d'infanterie, d'où vint le nom de miles, & d'une centaine de chevaux que les Latins nommoient centuria equitum. Encore faut-il remarquer qu'il n'y avoit point alors de citoyen qui fût exemt de porter les armes. Mais lorsque les Romains eurent fait leur paix avec les Sabins, & qu'ils les eurent reçus dans leur ville avec les Toscans qui étoient venus à leur secours ; comme ces trois nations ne firent plus qu'un peuple, & que les Romains ne firent plus qu'une tribu, les forces de chaque tribu durent être au-moins de trois mille hommes d'infanterie & de trois cent chevaux, c'est-à-dire trois fois plus considérables qu'auparavant.

Enfin quand le peuple romain fut devenu beaucoup plus nombreux, & qu'on eut ajouté à la ville les trois nouvelles montagnes dont on a parlé, savoir le mont Coelius pour les Albains, que Tullus Hostilius fit transférer à Rome après la destruction d'Albe, & le mont Aventin avec le Janicule pour les Latins qui vinrent s'y établir, lorsqu'Ancus Martius se fut rendu maître de leur pays, les tribus se trouvant alors considérablement augmentées & en état de former une puissante armée, se contenterent néanmoins de doubler leur infanterie, qui étoit, comme nous venons de voir, de 9000 hommes. Ce fut alors que Tarquinius Priscus entreprit de doubler aussi leur cavalerie, & qu'il la fit monter à 1800 chevaux, pour répondre aux dix huit mille hommes dont leur infanterie étoit composée.

Ce sont-là tous les changemens qui arriverent aux tribus du côté des armes, & il ne reste plus qu'à les considérer du côté du gouvernement.

Quoique les trois nations dont elles étoient composées ne formassent qu'un peuple, elles ne laisserent pas de vivre chacune sous les loix de leur prince naturel, jusqu'à la mort de T. Tatius : car nous voyons que ce roi ne perdit rien de son pouvoir, quand il vint s'établir à Rome, & qu'il y régna conjointement, & même en assez bonne intelligence avec Romulus tant qu'il vécut. Mais après sa mort les Sabins ne firent point de difficulté d'obéir à Romulus, & suivirent en cela l'exemple des Toscans qui l'avoient déjà reconnu pour leur souverain. Il est vrai que lorsqu'il fut question de lui choisir un successeur, les Sabins prétendirent que c'étoit à leur tour à régner, & surent si bien soutenir leurs droits contre les Romains, qui ne vouloient point de prince étranger, qu'après un an d'interregne on fut enfin obligé de prendre un roi de leur nation. Mais comme il n'arriva par-là aucun changement au gouvernement, les tribus demeurerent toujours dans l'état où Romulus les avoit mises, & conserverent leur ancienne forme tant qu'elles subsisterent.

La premiere chose que fit Romulus, lorsqu'il les eut réunies sous sa loi, fut de leur donner à chacune un chef de leur nation, capable de commander leurs troupes & d'être ses lieutenans dans la guerre. Ces chefs que les auteurs nomment indifféremment tribuni & praefecti tribuum, étoient aussi chargés du gouvernement civil des tribus ; & c'étoit sur eux que Romulus s'en reposoit pendant la paix. Mais comme ils étoient obligés de le suivre lorsqu'il se mettoit en campagne, & que la ville seroit demeurée par-là sans commandant, il avoit soin d'y laisser en sa place un gouverneur qui avoit tout pouvoir en son absence, & dont les fonctions duroient jusqu'à son retour. Ce magistrat se nommoit praefectus urbis, nom que l'on donna depuis à celui que l'on crétoit tous les ans pour tenir la place des consuls pendant les féries latines : mais comme les fonctions du premier étoient beaucoup plus longues, les féries latines n'étant que de deux ou trois jours, son pouvoir étoit aussi beaucoup plus étendu ; car c'étoit pour lors une espece de viceroi qui décidoit de tout au nom du prince, & qui avoit seul le droit d'assembler le peuple & le sénat en son absence.

Quoique l'état fût alors monarchique, le pouvoir des rois n'étoit pas si arbitraire, que le peuple n'eût beaucoup de part au gouvernement. Ses assemblées se nommoient en général comices, & se tenoient dans la grande place ou au champ de Mars. Elles furent partagées en différentes classes, les curies, les centuries, & les nouvelles tribus.

Il faut bien prendre garde au reste de confondre les premieres assemblées du peuple sous les rois & du tems des anciennes tribus, avec ces comices des centuries, & encore plus avec ceux des nouvelles tribus ; car ces derniers n'eurent lieu que sous les consuls, & plus de soixante ans après ceux des centuries, & ceux-ci ne commencerent même à être en usage, que depuis que Servius Tullius eut établi le cens, c'est-à-dire plus de deux cent ans après la fondation de Rome.

Les curies étoient en possession des auspices, dont le sceau étoit nécessaire dans toutes les affaires publiques ; & malgré les différentes révolutions arrivées dans la forme de leurs comices, elles se soutinrent jusqu'à la fin de la république. Il y avoit deux sortes de curies à Rome du tems des anciennes tribus : les unes où se traitoient les affaires civiles, & où le sénat avoit coutume de s'assembler, & les autres où se faisoient des sacrifices publics & où se régloient toutes les affaires de la religion. Ces dernieres étoient au nombre de trente, chaque tribu en ayant dix qui formoient dans son enceinte particuliere autant de quartiers & d'especes de paroisses, car ces curies étoient des lieux destinés aux cérémonies de la religion, où les habitans de chaque quartier étoient obligés d'assister les jours solemnels, & qui étant consacrés à différentes divinités, avoient chacune leurs sêtes particulieres, outre celles qui étoient communes à tout le peuple.

D'ailleurs, il y avoit dans ces quartiers d'autres temples communs à tous les Romains, où chacun pouvoit à sa dévotion aller faire des voeux & des sacrifices, mais sans être pour cela dispensé d'assister à ceux de sa curie, & sur-tout aux repas solemnels que Romulus y avoit institués pour entretenir la paix & l'union, & qu'on appelloit charistia, ainsi que ceux qui se faisoient pour le même sujet dans toutes les familles.

Enfin, ces temples communs étoient desservis par différens colleges de prêtres, tels que pourroient être aujourd'hui les chapitres de nos églises collégiales, & chaque curie au contraire, par un seul ministre qui avoit l'inspection sur tous ceux de son quartier, & qui ne relevoit que du grand curion, qui faisoit alors toutes les fonctions de souverain pontife : ces curions étoient originairement les arbitres de la religion, & même depuis qu'ils furent subordonnés aux pontifes, le peuple continua de les regarder comme les premiers de tous les prêtres après les augures, dont le sacerdoce étoit encore plus ancien, & qui furent d'abord créés au nombre de trois, afin que chaque tribu eût le sien. Voilà quel étoit l'état de la religion du tems des anciennes tribus, & quels en furent les principaux ministres tant qu'elles subsisterent.

Le peuple étoit en droit de se choisir tous ceux qui devoient avoir sur lui quelque autorité dans les armes, dans le gouvernement civil & dans la religion. Servius Tullius fut le premier qui s'empara du trône sans son consentement, & qui changea la forme du gouvernement, pour faire passer toute l'autorité aux riches & aux patriciens, à qui il étoit redevable de son élévation. Il se garda bien néanmoins de toucher à la religion, se contentant de changer l'ordre civil & militaire. Il divisa la ville en quatre parties principales, & prit de-là occasion de supprimer les trois anciennes tribus, que Romulus avoit instituées, & en établit quatre nouvelles, auxquelles il donna le nom de ces quatre principaux quartiers, & qu'on appella depuis les tribus de la ville pour les distinguer de celles qu'il établit de même à la campagne.

Servius ayant ainsi changé la face de la ville, & confondu les trois principales nations, dont les anciennes tribus étoient composées, fit un dénombrement des citoyens & de leurs facultés. Il divisa tout le peuple en six classes subordonnées les unes aux autres, suivant leur fortune. Il les subdivisa ensuite en cent quatre-vingt-treize centuries, par le moyen desquelles il fit passer toute l'autorité aux riches, sans paroître leur donner plus de pouvoir qu'aux autres.

Cet établissement des classes & des centuries, en introduisant un nouvel ordre dans les assemblées du peuple, en introduisit un nouveau dans la répartition des impôts ; les Romains commencerent à en supporter le poids à proportion de leurs facultés, & de la part qu'ils avoient au gouvernement. Chacun étoit obligé de servir à ses dépens pendant un nombre déterminé de campagnes, fixé à dix pour les chevaliers, & à vingt pour les plébéïens ; la classe de ceux qui n'en avoient pas le moyen fut exempte de service, jusqu'à ce qu'on eut assigné une paye aux troupes ; les centuries gardoient en campagne le même rang & les mêmes marques de distinction qu'elles avoient dans la ville, & se rendoient en ordre militaire dans le champ de Mars pour y tenir leurs comices.

Ces comices ne commencerent néanmoins à avoir lieu, qu'après l'établissement des nouvelles tribus, tant de la ville, que de la campagne : mais comme ces tribus n'eurent aucune part au gouvernement sous les rois, qu'on fut même dans la suite obligé d'en augmenter le nombre à plusieurs reprises, & qu'enfin les comices de leur nom ne commencerent à être en usage que sous la république ; nous allons voir comment elles parvinrent à leur perfection sous les consuls.

Pour se former une idée plus exacte des diverses tribus, il est bon de considérer l'état où se trouverent les Romains à mesure qu'ils les établirent, afin d'en examiner en même-tems la situation, & de pouvoir même juger de leur étendue par la date de leur établissement. Pour cela, il faut bien distinguer les tems, & considérer les progrès des Romains en Italie sous trois points de vûe différens ; sur la fin de l'état monarchique, lorsque Servius Tullius établit les premieres de ces tribus ; vers le milieu de la république, lorsque les consuls en augmenterent le nombre jusqu'à trente-cinq ; & un peu avant les empereurs, lorsqu'on supprima les tribus surnuméraires qu'on avoit été obligé de créer pour les différens peuples d'Italie.

Au premier état leurs frontieres ne s'étendoient pas au-delà de six milles, & c'est dans cette petite étendue qu'étoient renfermées les tribus que Servius Tullius établit, entre lesquelles celles de la ville tenoient le premier rang, non-seulement parce qu'elles avoient été établies les premieres ; mais encore parce qu'elles furent d'abord les plus honorables, quoiqu'elles soient depuis tombées dans le mépris.

Ces tribus étoient au nombre de quatre, & tiroient leur dénomination des quatre principaux quartiers de Rome. Varron, sans avoir égard à l'ancienneté des quartiers dont elles portoient le nom, nomme la suburane la premiere ; l'esquiline la seconde ; la colline la troisieme ; & la palatine la derniere : mais leur ordre est différemment rapporté par les historiens.

A l'égard des tribus que Servius Tullius établit à la campagne & qu'on nommoit rustiques, on ne sait pas au juste quel en fut d'abord le nombre, car les auteurs sont partagés sur ce sujet. Comme il est certain que des trente-une tribus rustiques dont le peuple romain étoit composé du tems de Denys d'Halicarnasse, il n'y en a que dix-sept dont on puisse rapporter l'établissement à Servius Tullius, on peut supposer que ce prince divisa d'abord le territoire de Rome en dix-sept parties, dont il fit autant de tribus, & que l'on appella dans la suite les tribus rustiques, pour les distinguer de celles de la ville. Toutes ces tribus porterent d'abord le nom des lieux où elles étoient situées ; mais la plûpart ayant pris depuis le nom des familles romaines, il n'y en a que cinq qui aient conservé leurs anciens noms, & dont on puisse par conséquent marquer au juste la situation : voici leurs noms.

La romulie, ainsi nommée, selon Varron, parce qu'elle étoit sous les murs de Rome, ou parce qu'elle étoit composée des premieres terres que Romulus conquit dans la Toscane le long du Tibre & du côté de la mer.

La veïentine, qui étoit aussi dans la Toscane, mais plus à l'occident, & qui s'étendoit du côté de Veïes ; car cette ville si fameuse depuis le long siege qu'elle soutint contre les Romains, n'étoit pas encore en leur pouvoir.

La lémonienne qui étoit diamétralement opposée à celle-ci, c'est-à-dire du côté de l'orient, & qui tiroit son nom d'un bourg qui étoit proche de la porte Capene, & sur le grand chemin qui alloit au Latium.

La pupinienne, ainsi nommée du champ pupinien qui étoit aussi dans le Latium, mais plus au nord & du côté de Tusculum.

Enfin la Crustumine qui étoit entierement au nord, & qui tiroit son nom d'une ville des Sabins, qui étoit au-delà de l'Anio, à quatre ou cinq milles de Rome.

Des douze autres qui ne sont plus connues aujourd'hui que par le nom des familles Claudia, Aemilia, Cornelia, Fabia, Menenia, Pollia, Voltinia, Galeria, Horatia, Sergia, Veturia & Papiria, il n'y a que la premiere & la derniere dont on sache la situation ; encore n'est-ce que par deux passages, l'un de Tite-Live, qui nous apprend en général que lorsqu'Atta Clausus, qu'on appella depuis Appius Claudius, vint se réfugier à Rome avec sa famille & ses cliens, on lui donna des terres au-delà du Tévéron dans une des anciennes tribus à laquelle il donna son nom, & dans laquelle entrerent depuis tous ceux qui vinrent de son pays ; l'autre passage est de Festus, par lequel il paroît que la tribu papirienne étoit du côté de Tusculum, & tellement jointe à la pupinienne, qu'elles en vinrent quelquefois aux mains pour leurs limites.

Pour les dix autres tribus, tout ce qu'on en sait, c'est qu'elles étoient dans le champ romain, in agro romano ; mais on ne sait d'aucune en particulier, si elle étoit du côté du Latium dans la Toscane ou chez les Sabins. Il y a cependant bien de l'apparence qu'il y en avoit cinq dans la Toscane outre la romulie & la veïentine, & cinq de l'autre côté du Tibre ; c'est-à-dire, dans le Latium & chez les Sabins, outre la papirienne, la claudienne, la lémonienne, la pupinienne & la crustumine ; par conséquent que de ces dix-sept premieres tribus rustiques, il y en avoit dix du côté du Tibre & sept de l'autre ; car Varron nous apprend que Servius Tullius divisa le champ romain en dix-sept cantons, dont il fit autant de tribus ; & tous les auteurs conviennent que la partie de la Toscane qui étoit la plus proche de Rome, s'appelloit Septempagium. On pourroit même conjecturer que toutes ces tribus étoient situées entre les grands chemins qui conduisoient aux principales villes des peuples voisins de maniere que chacun de ces chemins conduisoit à deux tribus, & que chaque tribu communiquoit à deux de ces chemins.

Il faut remarquer que ces dix-sept tribus rustiques devinrent dans la suite les moins considérables de toutes les rustiques, par l'impossibilité où elles étoient de s'étendre, & par le grand nombre de nouveaux citoyens & d'étrangers dont on les surchargeoit. Les Romains avoient coutume d'envoyer des colonies dans les principales villes du pays conquis & d'en transférer à Rome les anciens habitans. Leur politique les empêcha de rien précipiter ; d'abord ils ne refusoient l'alliance d'aucun peuple, & à l'égard de ceux qui leur déclaroient la guerre ou qui favorisoient secrettement leurs ennemis, ils se contentoient de leur retrancher quelque partie de leurs terres, permettoient au reste de se gouverner suivant ses loix, lui accordoient même dans la suite tous les droits des citoyens romains, s'il étoit fidele ; mais ils le traitoient après cela à toute rigueur, s'il lui arrivoit de se révolter. On comptoit alors dans l'Italie dix-huit sortes de villes différentes ; celles des alliés des Romains, celles des confédérés, qui ne jouissoient que conditionnellement de leurs privileges, les colonies composées de seuls romains & les colonies latines, les municipes dont les habitans perdoient leurs droits de citoyens romains, & les autres qui n'en étoient point privés, & les préfectures.

Ce ne fut qu'insensiblement, & à mesure que les Romains étendirent leurs conquêtes, que furent établies les tribus stellatine, sabatine, tromentine, & celle que quelques-uns ont nommée arniensis ou narniensis.

La stellatine étoit ainsi nommée non de la ville de Stellate qui étoit dans la Campanie, mais d'une autre ville de même nom qui étoit dans la Toscane entre Capene, Falerie & Veïes, c'est-à-dire, à cinq ou six milles de Rome.

La sabatine étoit aussi dans la Toscane, mais d'un côté de la mer, proche le lac appellé aujourd'hui Brachiano, & que les Latins nommoient Sabatinus, de la ville de Sabate qui étoit sur ses bords.

La tromentine tiroit son nom du champ tromentin dont on ne sait pas au juste la situation, mais qui étoit aussi dans la Toscane, & selon toutes les apparences entre les deux tribus dont nous venons de parler.

Enfin celle qui étoit nommée arniensis dans quelques auteurs, comme nous l'avons dit, étoit la derniere & la plus éloignée de toutes les rustiques.

Ces quatre tribus furent établies ensemble l'an 337 de Rome, & neuf ans après la prise de Veïes ; quand Camille eut défait les Volsques, on en établit deux nouvelles dans la partie du Latium qu'ils occupoient, & le sénat voyant toute l'Italie prête à se soulever, consentit enfin en 397 de former du champ Pomptin deux tribus, la pomptine & la publilienne, auxquelles on ajouta successivement la moecienne, la scaptienne, l'ufentine & la falerine.

La pomptine étoit ainsi nommée, selon Festus, du champ Pomptin qui tiroit lui-même son nom, ainsi que les marais dont il est environné, de la ville de Pométie, que les Latins appelloient Suessa Pometia, Pometia, & Pontia.

La publilienne étoit aussi chez les Volsques, mais on n'en sait pas au juste la situation.

La maecienne étoit située chez les Latins, & tiroit son nom d'un château qui étoit entre Lanuvium, Ardée & Pométie, & auprès duquel les Volsques avoient été défaits par Camille.

L'autre étoit chez les Herniques, & portoit le nom d'une ville qui étoit située entre Tivoli, Préneste & Tusculum, à quinze milles de Rome.

L'ufentine étoit ainsi nommée du fleuve Ufeus qui passoit à Terracine à l'extrêmité du Latium.

La falérine étoit dans la Campanie, & tiroit son nom du territoire de Falerne si renommé chez les anciens par ses excellens vins.

C'est en suivant le même ordre des tems, & après que la révolte des Toscans eut contraint les Romains occupés dans le Latium à tourner leurs armes victorieuses contre la Toscane, qu'ils formerent de leurs nouvelles conquêtes la tarentine & celle qui est nommée arniensis.

La tarentine étoit située dans la Toscane, mais on n'en sait au juste ni la situation ni l'étymologie.

L'arniensis tiroit son nom de l'Arne jusqu'où les Romains avoient pour lors étendu leurs conquêtes.

Ce fut au reste l'an 453, que ces deux tribus furent établies.

Enfin c'est chez les Sabins qu'étoient situées les deux dernieres tribus que les consuls instituerent, savoir la véline & la quirine, dont l'une tiroit son nom du lac Velin, qui est à cinquante milles de Rome, & l'autre de la ville de Cures, d'où les Romains tiroient aussi leur nom de Quirites, & ces tribus ne furent même établies que longtems après que les Romains se furent rendus maîtres du pays où elles étoient situées.

Ces tribus au reste furent les deux dernieres des quatorze que les consuls instituerent, & qui jointes aux quatre tribus de la ville & aux dix-sept rustiques que Servius Tullius avoit établies, acheverent le nombre de trente-cinq dont le peuple romain fut toujours depuis composé.

Voilà en quel tems & à quelle occasion chacune de ces tribus fut établie, & même quelle en étoit la situation. Ainsi il ne nous reste plus qu'à parler de leur étendue, ce qui est difficile à constater ; car il n'en est pas de ces dernieres tribus, comme de celles que Servius avoit formées.

En effet malgré les changemens qui arriverent aux tribus de la ville à mesure qu'on l'aggrandit, comme elles la partagerent toujours à-peu-près également, il est assez facile de s'imaginer quelle en fut l'étendue selon les tems. Pour les dix-sept tribus rustiques de Servius Tullius, comme elles étoient toutes renfermées dans le champ romain qui ne s'étendoit pas à plus de dix ou douze milles, il s'ensuit que ces tribus ne pouvoient guere avoir que cinq ou six milles, c'est-à-dire, environ deux lieues d'étendue chacune. Mais à l'égard des quatorze qui furent depuis établies par les consuls, comme elles étoient d'abord fort éloignées les unes des autres, & situées non-seulement en différentes provinces, mais encore séparées entr'elles par un grand nombre de colonies, de municipes & de préfectures qui n'étoient point de leur dépendance, il est impossible de savoir au juste quelle en fut d'abord l'étendue ; tout ce qu'on en peut dire, c'est qu'elles étoient séparées en général par le Tibre, le Nar & l'Anio, & terminées par le Vulturne à l'orient, au midi par la mer, par l'Arne à l'occident, & au septentrion par l'Apennin ; car elles ne passerent jamais ces limites.

Ainsi lorsqu'on voulut dans la suite leur donner plus d'étendue, on ne put les augmenter que du territoire des colonies & des municipes qui n'y étoient point comprises, & elles ne parvinrent même à remplir toute l'étendue du pays qui étoit entr'elles, que lorsqu'on eut accordé le droit de bourgeoisie à tous les peuples des provinces où elles étoient situées, ce qui n'arriva qu'au commencement de la guerre marsique, c'est-à-dire, dans les derniers tems de la république, encore ces peuples ne furent-ils pas d'abord reçus immédiatement dans ces trente-cinq tribus ; car les Romains craignant qu'ils ne se rendissent les maîtres dans les comices, en créerent exprès pour eux dix nouvelles, auxquelles ils ne donnerent point le droit de prérogative, & dont on ne prenoit par conséquent les suffrages, que lorsque les autres étoient partagées. Mais comme ces peuples se virent par-là privés de la part qu'ils espéroient avoir au gouvernement, ils en firent éclater leur ressentiment, & surent si bien se prévaloir du besoin que les Romains avoient alors de leur secours, qu'on fut peu de tems après obligé de supprimer ces nouvelles tribus, & d'en distribuer tous les citoyens dans les anciennes, où ils donnerent toujours depuis leurs suffrages.

Appian nous apprend que ce fut dans le consulat de L. Julius César & de P. Rutilius Lupus, que ces nouvelles tribus furent instituées, c'est-à-dire, l'an 660, & que ce fut l'an 665, sous le quatrieme consulat de L. Cinna, & pendant la censure de L. Marcus Philippus & de Marcus Perpenna, qu'elles furent supprimées.

Il y a bien de l'apparence au reste que les noms des dix ou douze tribus qu'on appelle ordinairement les surnuméraires, & dont il nous reste plusieurs inscriptions antiques, savoir Oericulana, Sapinia, Cluvia, Papia, Cluentia, Camilla, Dumia, Minucia, Julia, Flavia, & Ulpia, étoient les noms mêmes de ces dix nouvelles tribus ou de quelques-unes des anciennes qui changerent de dénomination dans les premiers tems de la république, si l'on en excepte les trois dernieres, Julia, Flavia, & Ulpia, qui ne commencerent à être en usage que sous les empereurs, & qui furent données par honneur aux tribus d'Auguste, de Vespasien & de Trajan.

Pour les autres, ce qui fait croire que ce pourroient être les noms des dix nouvelles tribus dont nous avons parlé, c'est qu'il y en a qui sont des noms de familles qui n'étoient point encore romaines lorsque les autres tribus furent établies, comme la papienne & la cluentienne, qui tiroient leur origine de deux chefs de la guerre marsique, dont Appien parle au premier livre de la guerre civile, savoir Papius Mutilus & L. Cluentius, auxquels on accorda pour lors le droit de bourgeoisie, & qui parvinrent depuis à tous les honneurs de la république. D'autres sont des noms de lieux qui ne conviennent ni aux dernieres tribus établies par les consuls dont nous savons la situation, ni aux premieres établies par Servius Tullius, qui étoient toutes renfermées dans le champ romain, comme l'oericulane, la sapinienne & la cluentienne, qui étoient situées dans l'Ombrie, sur le Nac, & chez les Samnites.

Quoi qu'il en soit, il est certain que comme les tribus de la ville étoient en général moins honorables que les rustiques à cause des affranchis dont elles étoient remplies ; les premieres rustiques établies par Servius Tullius l'étoient aussi beaucoup moins que les consulaires, non-seulement parce qu'elles avoient beaucoup moins d'étendue, mais encore parce que c'étoit dans ces tribus qu'étoient distribués tous les nouveaux citoyens & les différens peuples auxquels on accordoit le droit de suffrage, ainsi qu'on peut le faire voir en exposant la forme politique de ces tribus, leurs différens usages selon les tems & les mutations qui leur arriverent depuis leur institution jusqu'à leur décadence.

Mais auparavant il est bon de rappeller l'état des anciennes, afin d'en examiner de suite les changemens, & montrer que tout ce que les nouvelles entreprirent sous les consuls, ne tendoit qu'à recouvrer l'autorité que les anciennes avoient eue sous les cinq premiers rois, & à se tirer de la sujétion où Servius Tullius les avoit asservies, en établissant les comices des centuries.

Les anciennes tribus sous les rois étoient distinguées en général par leur situation & par les différentes nations dont elles étoient composées ; mais elles ne laissoient pas d'avoir les mêmes usages, & leur forme politique étoit précisément la même. Toutes les curies avoient également par aux honneurs civils & militaires. Servius Tullius supprima les anciennes tribus, & leur en substitua de nouvelles qu'il dépouilla de toute autorité ; elles ne servirent jusqu'au jugement de Coriolan, qu'à partager le territoire de Rome, & à marquer le lieu de la ville & de la campagne où chaque citoyen demeuroit.

La condition du peuple romain ne devint pas meilleure par l'établissement des consuls, dont l'autorité ne fut pas suffisamment modérée par l'appel au peuple, ni par le pouvoir de les élire accordé aux centuries. L'abolition des dettes fut le premier coup d'éclat que le peuple frappa contre les patriciens. Il obtint ensuite ses tribuns par sa retraite sur le mont Sacré. Les tribuns n'eurent d'abord d'autre fonction que celle de défendre le peuple contre l'oppression des grands ; mais ils se servirent du droit d'assembler le peuple sans la permission du sénat, pour établir les comices des tribus, pour faire accorder aux mêmes tribus le droit d'élire les magistrats du second ordre, pour arrêter les délibérations du sénat, pour renverser la forme du gouvernement, pour faire parvenir le peuple au consulat, pour s'emparer du sacerdoce, & pour opprimer les patriciens.

Comme les tribus ne commencerent à avoir part au gouvernement que depuis l'établissement de leurs comices ; & que c'est même du pouvoir qu'elles avoient dans ces assemblées, qu'elles tirerent depuis tout leur crédit, il est certain que c'est à ces comices qu'il en faut rapporter le principal usage ; mais comme il en est fait quelquefois mention dans les comices des centuries, tant pour l'élection des magistrats qu'au sujet de la guerre, on ne sauroit douter qu'elles ne fussent aussi de quelque usage dans cette autre sorte d'assemblée, & il ne s'agit plus que de savoir de quel usage elles y pouvoient être, & quand elles commencerent d'y avoir part.

A l'égard de la premiere question, elle ne souffre point de difficulté ; & quoiqu'un passage de Loelius Félix cité par Aulu-Gelle, nous marque expressément que les comices des centuries ne pouvoient se tenir dans la ville, à cause que la forme en étoit militaire : il est certain néanmoins qu'on passoit quelquefois sur la regle en faveur de la commodité ; & qu'alors, pour sauver les apparences, le peuple s'assembloit d'abord par tribus, & se partageoit ensuite par classes & par centuries pour donner ses suffrages.

A l'égard du tems où les tribus commencerent à être en usage dans les comices des centuries ; c'est ce qu'il n'est pas aisé de déterminer, car on n'en trouve rien dans les anciens ; & les modernes qui en ont parlé, sont d'avis entierement contraires. Les uns prétendent que ce ne fut que depuis que le nombre des trente-cinq tribus fut rempli ; les autres au contraire soutiennent que cet usage eut lieu dès l'établissement des centuries, & que leurs comices ne se tinrent jamais autrement ; mais leur conjecture n'est pas mieux fondée : car Denys-d'Halicarnasse qui nous en a laissé un détail fort exact & fort circonstancié, ne dit pas un mot des tribus, & il n'en est pas fait une seule fois mention dans tous les comices dont Tite-Live parle avant le jugement de Coriolan.

Ainsi quoiqu'on ne puisse pas marquer précisément en quel tems les tribus commencerent à avoir part aux comices des centuries, nous croyons néanmoins pouvoir assurer que ce ne fut que depuis l'établissement de leurs comices, & nous ne doutons pas même que ce ne soit des tribus que le droit de prérogatives passa aux centuries, car il est certain qu'originairement il n'étoit point en usage dans leurs comices.

Il y a bien de l'apparence au reste, que ce fut en faveur du peuple, pour rétablir en quelque maniere l'égalité des suffrages dans les comices des centuries, & sur-tout afin de pouvoir les tenir dans la ville sans violer les loix, que cet usage s'établit, & qu'on leur donna cette nouvelle forme.

Il seroit inutile de citer tous les passages qui ont rapport à ce sujet ; nous en choisirons seulement deux ou trois qui puissent nous en apprendre des particularités différentes.

Le premier fait mention en général de toutes les tribus dans une occasion où il étoit question de décider de la guerre, & qui étoit par conséquent du ressort des centuries. Tit. Liv. lib. VI. cap. xxj. Tunc ut bellum juberent latum ad populum est, & nequicquam dissuadentibus tribunis plebis omnes tribus bellum jusserunt.

Dans le second, il s'agit de l'élection des tribuns militaires qui étoit encore du ressort des centuries, & cependant il y est parlé non-seulement de la tribu prérogative, c'est-à-dire, de celle qui donnoit sa voix la premiere, mais encore de toutes les autres qui étoient ensuite appellées dans leur ordre naturel, & qui se nommoient à cause de cela jure vocatae : Tit. Liv. lib. V. cap. xviij. Haud invitis patribus, P. Licinium Calvum praerogativa tribunum militum.... creant.... omnesque deinceps ex collegio ejusdem anni refici apparebat.... qui priusquam renuntiarentur jure vocatis tribubus, permissu interregis, P. Licinius Calvus ita verba fecit.

Enfin, le dernier passage regarde l'élection des consuls, & nous donnera lieu de faire encore quelques remarques sur ce sujet : Tit. Liv. lib. XXVI. cap. xxij. Fulvius Romam comitiorum causâ arcessitus, cùm comitia consulibus rogandis haberet, praerogativa Veturia juniorum declaravit T. Manlium Torquatum & T. Otacilum, Manlius qui praesens erat, gratulandi causâ cùm turba coiret nec dubius esset consensus populi, magnâ circumfusus turbâ ad tribunal consulis venit, petiitque ut pauca sua verba audiret, centuriamque quae tulisset suffragium revocari juberet.... Tum centuria & autoritate motâ viri & admirantium circa fremitu, petit à consule ut Veturiam seniorum citaret, velle sese cum majoribus-natu colloqui, & ex auctoritate eorum consules dicere. Citatis Veturiae senioribus, datum secretò in ovili cum his colloquendi tempus.... ita de tribus consultatione data, senioribus dimissis, juniores suffragium ineunt, M. Claudium Marcellum.... & M. Valerium absentes coss. dixerunt, auctoritatem praerogativae omnes centuriae secutae sunt.

On voit par ce passage, premierement, que le suffrage de la prérogative ne demeuroit point secret, & qu'on avoit coutume de le publier avant que de prendre celui des autres tribus. Secondement, que son suffrage étoit d'un si grand poids, qu'il ne manquoit presque jamais d'être suivi, & qu'on en recevoit sur le champ les complimens, comme si l'élection eut déja été faite ; c'est ce qui a donné lieu à Cicéron de dire, que le présage en étoit infaillible : Tanta est illis comitiis religio, ut adhuc semper omen valuerit praerogativum ; & que celui qui l'avoit eu le premier, n'avoit jamais manqué d'être élu : Praerogativa tantum habet auctoritatis, ut nemo unquam prior eam tulerit, quin renuntiatus sit. Enfin ce passage nous apprend encore que celui qui tenoit ces comices, pouvoit reprendre le suffrage des tribus, & leur permettre même de consulter ensemble pour faire un nouveau choix. Mais en voilà assez sur les comices des centuries, passons à la milice.

Quoique les levées se fussent faites d'abord par les centuries, ainsi que Servius Tullius l'avoit établi, il est sûr qu'elles se firent aussi dans la suite par les tribus : & la preuve s'en tire du lieu même où elles se faisoient ; car c'étoit ordinairement dans la grande place : mais le choix des soldats ne s'y faisoit pas toujours de la même maniere ; c'étoit quelquefois uniquement le sort qui en décidoit, & sur-tout lorsque le peuple refusoit de prendre les armes.

Quelquefois au contraire, c'étoit en partie par le sort, & en partie par le choix des tribuns qu'ils se levoient ; par le sort pour l'ordre des tribus ; & par le choix des tribuns pour les soldats qu'on en tiroit. Enfin Tite-Live nous apprend que lorsqu'on n'avoit pas besoin d'un si grand nombre de soldats, ce n'étoit pas de tout le peuple qu'ils se levoient, mais seulement d'une partie des tribus que l'on tiroit au sort.

A l'égard du cens, c'étoit une des occasions où les tribus étoient le plus d'usage, & cependant le principal sujet pour lequel les classes & les centuries avoient été instituées. Aussi ne cessoient-elles pas entierement d'y avoir part, & elles y servoient dumoins à distinguer l'âge & la fortune des citoyens d'une même tribu jusqu'en l'année 571 que les censeurs en changerent entierement l'ordre, & commencerent à faire la description des tribus selon l'état & la condition des particuliers.

Pour le tems où l'on commença de faire le cens par tribus, comme les anciens ne nous en ont rien appris, c'est ce qu'on ne sauroit déterminer au juste : il y a bien de l'apparence cependant, que ce ne fut que depuis l'établissement des censeurs ; c'est-à-dire, depuis l'an 310, car il n'en est fait aucune mention auparavant, & l'on en trouve depuis une infinité d'exemples.

Quand les nouveaux citoyens étoient reçus dans les tribus, les censeurs ne les distribuoient pas indifféremment dans toutes, mais seulement dans celles de la ville, & dans quelques-unes des rustiques. Ce fut sans-doute ce qui rendit les autres tribus plus honorables ; & ce qui fit même qu'entre celles où ils étoient reçus, il y en avoit de plus ou moins méprisées selon les citoyens dont elles étoient remplies ; car il faut remarquer qu'il y avoit de trois sortes de nouveaux citoyens, les étrangers qui venoient s'établir à Rome ou qu'on y transferoit des pays conquis, les différens peuples d'Italie auxquels on accordoit le droit de suffrage, & les affranchis qui avoient le bien nécessaire pour être compris dans le cens.

A l'égard des peuples que l'on transféroit des pays conquis, comme les Romains ne manquoient pas d'y envoyer aussi-tôt des colonies, ils avoient coutume de distribuer ces nouveaux citoyens dans les tribus les plus proches de la ville, tant pour tenir la place des anciens citoyens qu'ils en avoient tirés, qu'afin de les avoir sous leurs yeux, & d'être par-là plus sûrs de leur fidélité.

C'étoit aussi dans ces premieres tribus établies par Servius Tullius qu'étoient reçus les différens peuples d'Italie, auxquels on accordoit le droit de suffrage ; car l'usage n'étoit pas de les distribuer dans les tribus qui étoient sur leurs terres, comme on pourroit se l'imaginer, mais dans celles du champ romain qui portoient des noms de famille, comme on le peut voir par une infinité d'exemples, & entr'autres par celui des Sabins, des Marses, des Péllyniens, & par celui des peuples de Fondi, de Formies & d'Arpinum, desquels Cicéron & Tite-Live font mention.

Pour les affranchis, ce fut presque toujours dans les tribus de la ville qu'ils furent distribués ; mais ils ne laisserent pas d'être quelquefois reçus dans les rustiques, & l'usage changea même plusieurs fois sur ce sujet. Il est bon d'en connoître les variations suivant l'ordre des tems.

Pour cela il faut premierement remarquer qu'ils demeurerent dans les tribus de la ville jusqu'en l'année 441, qu'Appius Claudius les reçut dans les rustiques. Tite-Live nous apprend même que cette action fut agréable à tous les citoyens, & que Fabius en reçut le surnom de Maximus, que toutes ses victoires n'avoient encore pu lui acquérir.

On ne voit point à quelle occasion, ni par quel moyen ils en étoient sortis peu de tems après ; mais il falloit bien qu'ils s'en fussent tirés du consentement ou par la négligence des censeurs. Ils en sortirent plusieurs fois en divers tems, & furent obligés d'y rentrer ; mais cela n'empêche pas que ce ne fût ordinairement dans les tribus de la ville qu'ils étoient distribués, & ces tribus leur étoient tellement affectées, que c'étoit une espece d'affront que d'y être transféré.

C'étoit même la différence qu'il y avoit non-seulement entre les tribus de la ville & celles de la campagne, mais encore entre les premieres rustiques établies par Servius Tullius, & celles que les consuls avoient établis depuis, qui donna lieu à l'usage de mettre entre les différens noms qu'on portoit celui de sa tribu.

La raison, au reste, pour laquelle les Romains mettoient le nom de leurs tribus immédiatement après leurs noms de famille & avant leurs surnoms, c'est que ces sortes de noms se rapportoient à leurs familles, & non pas à leur personne ; & cela est si vrai, que lorsqu'ils passoient d'une famille dans une autre qui n'étoit pas de la même tribu, ils avoient coutume d'ajouter au nom de leur premiere tribu le nom de celle où ils entroient par adoption, comme on le peut voir par une infinité d'exemples.

Il reste à parler de l'usage des tribus par rapport à la religion ; car quoiqu'elles n'eussent aucune part aux auspices, c'étoit d'elles cependant que dépendoit le choix des pontifes & des augures, & il y avoit même des cérémonies où leur présence étoit absolument nécessaire. Immédiatement après la dédicace du temple de Junon Monéta, c'est-à-dire l'an 411, sous le troisieme consulat de C. Martius Rutilus, un esprit de trouble & de terreur s'étant répandu dans toute la ville sur le rapport de quelques prodiges, & la superstition n'ayant point trouvé d'autre ressource que de créer un dictateur pour établir des fêtes & des prieres publiques, il se fit à Rome pendant plusieurs jours des processions solemnelles, non-seulement de toutes les tribus, mais encore de tous les peuples circonvoisins.

A l'égard de l'élection des pontifes, il faut remarquer premierement que jusqu'en l'année 850 il n'y avoit que le grand-pontife qui fut élu par les tribus, & que tous les autres prêtres étoient cooptés par les colléges : secondement que ce fut Cn. Domitius, le trisayeul de Néron, qui leur ôta ce droit, & l'attribua au peuple pour se venger de ce qu'ils n'avoient pas voulu le recevoir à la place de son pere : & troisiemement, que l'assemblée où se faisoit l'élection des pontifes & des augures n'étoit composée que de dix-sept tribus, c'est-à-dire de la moindre partie du peuple, parce qu'il ne lui étoit pas permis en général de disposer du sacerdoce, comme on le peut voir par le passage de Cicéron contre Rullus.

Encore faut-il observer premierement que le peuple ne les pouvoit choisir qu'entre ceux qui lui étoient présentés par les colléges ; secondement, que chaque prétendant ne pouvoit avoir plus de deux nominateurs, afin que les colléges fussent obligés de présenter plusieurs sujets, entre lesquels le peuple pût choisir ; troisiemement, que les nominateurs devoient répondre par serment de la dignité du sujet qu'ils présentoient ; & quatriemement enfin, que tous les compétiteurs devoient être approuvés par les augures avant la présentation, afin que le choix du peuple ne pût être éludé.

Mais quoique l'assemblée où se faisoient ces élections ne fût composée que de dix-sept tribus, & portât même en particulier le nom de comitia calata ; comme ces dix-sept tribus néanmoins se tiroient au sort, & qu'il falloit pour cela que toutes les autres se fussent auparavant assemblées, il est certain que c'étoit une dépendance de leurs comices, & même une des quatre principales raisons pour lesquelles ils s'assembloient, car ces comices se tenoient encore pour trois autres sujets.

Premierement, pour l'élection des magistrats du second ordre, minores magistratus, les comices des tribus se tenoient en second lieu pour l'établissement des loix tribuniciennes, c'est-à-dire des plébiscites, qui n'obligerent d'abord que les plébéiens, & auxquels les patriciens ne commencerent d'être tenus que l'an 462 par la loi Hortensia, quoiqu'on eût entrepris de les y soumettre dès l'an 304 par la loi Horatia, & que cette loi eût été renouvellée l'an 417 par le dictateur Publilius. Enfin les tribus s'assembloient encore pour les jugemens qui avoient donné lieu à l'établissement de leurs comices & qui procédoient, ou des ajournemens que les tribus décernoient contre les particuliers, ou de la liberté que les particuliers avoient d'appeller au peuple de tous les magistrats ordinaires : le peuple jouissoit de ce droit dès le tems des rois, & il lui fut depuis sous les consuls confirmé par trois différentes fois, & toujours par la même famille, c'est-à-dire par les trois loix Valeria ; la premiere, de l'an 246 ; la seconde, de l'an 304 ; & la derniere, de l'an 422.

Il faut néanmoins remarquer qu'il n'y avoit que les centuries qui eussent droit de juger à mort, & que les tribus ne pouvoient condamner au plus qu'à l'exil ; mais cela n'empêchoit pas que leurs comices ne fussent redoutables au sénat ; premierement, parce qu'ils se tenoient sans son autorité ; secondement, parce que les patriciens n'y avoient point de part ; & troisiemement, parce qu'ils n'étoient point sujets aux auspices ; car c'étoit-là d'où ils tiroient tout leur pouvoir, & ce qui servoit en même tems à les distinguer des autres.

Ces comices, au reste, continuerent de se tenir toujours régulierement depuis leur institution, si on en excepte les deux années que le gouvernement fut entre les mains des décemvirs ; & quoique Sylla eût entrepris dans les derniers tems d'en diminuer l'autorité, en ôtant aux tribuns du peuple le pouvoir de publier des loix, pour les punir d'avoir favorisé le parti de Marius ; comme cette suspension de la puissance tribunicienne n'empêcha pas les tribus de s'assembler à l'ordinaire, & ne dura même que jusqu'au consulat de Pompée, les comices des tribus conserverent toute leur liberté jusqu'au tems des empereurs ; mais César ne fut pas plutôt dictateur qu'il s'empara d'une partie de leurs droits, afin de pouvoir disposer des charges, & d'être plus en état de changer la forme du gouvernement. L'histoire nous apprend à la vérité qu'Auguste les rétablit dans tous leurs droits dès qu'il fut parvenu à l'empire, mais il est certain qu'ils ne s'en servirent plus que pour prévenir ses ordres ou pour les exécuter, & qu'enfin Tibere les supprima entierement, & en attribua toute l'autorité au sénat, c'est-à-dire à lui-même.

Depuis ce tems, les tribus n'eurent plus de part au gouvernement, & le dessein qu'eut Caligula de rétablir leurs comices n'eut point d'exécution ; mais elles ne laisserent pas néanmoins de subsister jusqu'aux derniers tems de l'empire, & nous voyons même que leur territoire fut encore augmenté sous Trajan de quelques terres publiques par une suscription qu'elles firent élever en son honneur, & qu'on nous a conservée comme un monument de leur reconnoissance envers ce prince.

Telle est l'idée générale qu'on peut se former sur l'origine des tribus romaines, l'ordre de leurs établissemens, leur situation, leur étendue, leur forme politique, & leurs différens usages selon les tems ; M. Boindin, dont j'ai tiré ce détail, a épuisé la matiere par trois belles & grandes dissertations insérées dans le recueil de l'académie des Belles-Lettres. (D.J.)


TRIBULES. m. tribulus, (Hist. nat. Botan.) genre de plante à fleur en rose, composée de plusieurs pétales disposés en rond ; le pistil sort du calice, & devient dans la suite un fruit en forme de croix ou turbiné, & composé le plus souvent de plusieurs parties faites en forme de chausse-trape, & réunies en maniere de tête qui contiennent des semences ordinairement oblongues, & placées dans de petites loges comme dans une niche. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.

Tournefort en établit quatre especes, & nomme la premiere tribulus terrestris, ciceris folio, fructu aculeato, I. R. H. 265. Sa racine est simple, blanche, fibreuse. Elle pousse plusieurs petites tiges, couchées par terre, rondes, noueuses, velues, rougeâtres, divisées en plusieurs rameaux. Ses feuilles sont aîlées ou rangées par paires le long d'une côte, semblables à celles du pois chiche, velues. Ses fleurs sortent des aisselles des feuilles portées sur des pédicules assez longs, composées chacune de cinq pétales ou feuilles jaunes, disposées en rose, avec dix petites étamines dans le milieu. A ces fleurs succedent des fruits durs, armés d'épines longues & aiguës ; ce fruit est composé de quatre ou cinq cellules, dans lesquelles se trouvent renfermées des semences oblongues.

Cette plante croît abondamment dans les pays chauds, en Espagne, en Provence & en Languedoc aux environs de Montpellier ; elle sort de terre sur la fin de Mai, fleurit en Juillet, & graine en Août ; elle est fort incommode aux jardiniers, parce que ses fruits qui tombent dès qu'ils sont mûrs, leur blessent rudement les piés nuds par leurs piquans aiguillons ; cependant sa graine est d'usage : elle passe pour être astringente & bienfaisante dans la diarrhée. (D.J.)

TRIBULE AQUATIQUE, (Botan.) tribulus aquaticus, C. B. J. B. Parkinson, Tournef. &c. C'est la seule espece du genre de plante que Tournefort a caractérisé sous le nom de tribuloïdes, & Ray sous celui de potamogiton.

Cette plante aquatique pousse des tiges longues, grêles, succulentes, garnies par espace de beaucoup de fibres, qui lui servent de racines pour s'attacher ; ces tiges grossissent vers la superficie de l'eau ; elles jettent des feuilles larges presque semblables à celle du peuplier, mais plus courtes, & ayant en quelque maniere la forme rhomboïde, relevées de plusieurs nervures crenelées en leur circonférence, attachées à des queues longues & grosses. Ses fleurs sont petites, blanches, soutenues par un pédicule arrondi, solide, couvert d'un petit duvet ; il leur succede des fruits semblables à des petites châtaignes, mais armés chacun de quatre grosses pointes ou épines dures, de couleur grise, revêtu d'une membrane qui se sépare ; ensuite ce fruit devient noir, presque comme du jais, lisse, poli ; on appelle ce fruit vulgairement châtaigne-d'eau : sa substance est une sorte d'amande formée en coeur, dure, blanche, couverte d'une peau très-fine, & bonne à manger. On en peut faire de la farine qui ressemble à celle de feves, & en pêtrir du pain. Cette plante croît dans les ruisseaux, sur le bord des lacs & des rivieres en Italie & en Allemagne. (D.J.)


TRIBUN(Hist. rom.) tribunus ; mot général qui signifioit chef, & le mot qu'on ajoutoit à celui-ci, désignoit la chose commise à la garde, aux soins, à l'inspection ou à l'administration de ce chef. Ainsi le tribun du peuple étoit le chef, le défenseur du peuple. Tribun militaire, étoit un magistrat qui commandoit les armées. Tribuns des légions étoient des officiers qui commandoient tour-à-tour pendant deux mois à toute la légion. Tribun des céleres étoit le commandant de ce corps de cavalerie.

Le nom de tribun se donnoit encore à d'autres sortes d'officiers. Les tribuns de la marine, par exemple, tribuni marinorum, étoient des intendans des côtes & de la navigation des rivieres. Les tribuns du trésor public, tribuni aerarii, étoient des trésoriers établis pour payer les milices ; comme sont aujourd'hui nos trésoriers des guerres. Les tribuns des fabriques, tribuni fabricarum, présidoient à la fabrique des armes. Les tribuns des notaires, tribuni notariorum, étoient les premiers secrétaires des empereurs. Les tribuns des plaisirs, tribuni voluptatum, dans le code Théodosien, l. XIII. de scenic. avoient soin des jeux, des spectacles & autres divertissemens semblables du peuple. Enfin tribun désignoit chez les Romains, le chef d'une tribu. (D.J.)

TRIBUN DU PEUPLE, (Hist. & gouvern. rom.) magistrat romain, pris du peuple pour le garantir de l'oppression des grands, de la barbarie des usuriers, & pour défendre ses droits & sa liberté contre les entreprises des consuls & du sénat. En deux mots, les tribuns du peuple étoient censés ses chefs & ses protecteurs. Entrons dans les détails historiques qui concernent cette magistrature.

Le peuple ne pouvant cultiver ses terres à cause des querelles fréquentes que la république avoit à soutenir, il se trouva bientôt accablé de dettes, & se vit conduire impitoyablement en esclavage par ses créanciers, quand il ne pouvoit pas payer. Il s'adressa souvent au sénat pour trouver quelque soulagement, mais il ne put rien obtenir. Lassé des vaines promesses dont on l'amusoit depuis long-tems, il se retira un jour sur le mont Sacré, l'an de Rome 259, à l'instigation de Sicinius, homme de courage & de résolution ; ensuite il ne voulut point rentrer dans la ville qu'on ne lui eût remis toutes ses dettes, & promis de délivrer ceux qui étoient esclaves pour ce sujet. Il fallut outre cela, lui permettre de créer des magistrats pour soutenir ses intérêts. On les nomma tribuns, parce que les premiers furent pris d'entre les tribuns militaires. Ainsi on en créa deux dans les comices par curies ; & depuis la publication de la loi Publicola, l'an 283, on en nomma cinq dans les comices par tribus. Enfin l'an 297, on en élut dix, c'est-à-dire deux de chaque classe. Cicéron dit cependant qu'on en créa deux la premiere année, & dix la seconde, dans les comices par centuries.

Les tribuns du peuple tiroient au sort pour présider à ces assemblées par tribus, & s'il arrivoit que l'assemblée fût finie avant que tous les dix fussent nommés, le reste l'étoit par le college des tribuns ; mais cela fut abrogé par la loi Trébonia, l'an 305. On prétend qu'il y en avoit une ancienne qui ordonnoit que les tribuns qui n'auroient pas créé leurs successeurs pour l'année suivante, seroient brûlés vifs. C'est Valere Maxime qui le dit ; mais ce n'est pas un auteur de grande autorité.

Comme les premiers tribuns furent créés le quatrieme des ides de Décembre, dans la suite le même jour fut destiné pour l'élection de ces magistrats. Ces tribuns étoient toujours choisis d'entre le peuple. Aucun patricien ne pouvoit être revêtu de cette charge, à-moins que l'adoption ne l'eût fait passer dans l'ordre plébéien. Un plébéien qui étoit sénateur, ne pouvoit pas même être tribun.

Ils n'avoient point entrée au sénat ; ils demeuroient seulement assis sur les bancs vis-à-vis la porte du lieu où il étoit assemblé, d'où ils entendoient les résolutions qui s'y prenoient. Ils pouvoient cependant assembler le sénat quand il leur plaisoit. Dans la suite par la loi Atinia (Atinius étoit tribun l'an 633, selon Pighius), il fut ordonné qu'aucun romain ne pourroit être élu tribun du peuple, s'il n'étoit sénateur plébéien.

Au commencement l'unique devoir des tribuns étoit de protéger le peuple contre les patriciens ; en sorte que leur pouvoir consistoit plutôt à empêcher qu'à agir. Ils ne passerent pas d'abord pour magistrats ; aussi ne portoient-ils point la robe prétexte : on les regardoit plutôt comme le frein de la magistrature. Cependant dans la suite on leur donna communément le nom de magistrats. Ils avoient le droit de délivrer un prisonnier, & de le soustraire à un jugement prêt à être rendu contre lui. Aussi pour signifier qu'ils faisoient profession de secourir tout le monde, leurs maisons devoient être ouvertes jour & nuit, & il ne leur étoit pas permis de coucher hors de la ville, ni même d'en sortir, si nous en croyons Appien. (Civil. l. II. pag. 736. Edit. Tollii.) D'ailleurs hors de Rome, ils n'avoient aucune autorité, si ce n'est dans les fêtes latines, ou lorsqu'ils sortoient pour les affaires de la république.

Leur principal pouvoir consistoit à s'opposer aux arrêts du sénat, & à tous les actes des autres magistrats, par cette formule si célebre : veto, intercedo, je m'oppose, j'interviens. La force de cette opposition étoit si grande, que quiconque n'y obéissoit pas, soit qu'il fût magistrat, soit qu'il fût particulier, on le faisoit aussi-tôt conduire en prison par celui qu'on nommoit viator ; ou bien on le citoit devant le peuple comme rebelle à la puissance sacrée qu'ils représentoient. De-là vient que quiconque les offensoit de parole ou d'action, étoit regardé comme un sacrilege, & ses biens étoient confisqués.

Lorsque les tribuns du peuple ne s'opposoient point aux decrets du sénat, on mettoit au bas de l'acte la lettre T, pour marquer l'approbation. S'ils s'opposoient, le decret n'étoit point appellé senatûs-consultum, mais seulement senatûs auctoritas. Dans l'enregistrement, ce mot signifioit que tel avoit été l'avis du sénat. Un seul tribun pouvoit s'opposer à ce que faisoient ses collegues, & il l'annuloit par cette opposition. Le sénat pour subjuguer le peuple, se servoit souvent de ce moyen, & tâchoit toujours de mettre de son côté quelqu'un des tribuns, pour rompre les mesures des autres.

Quoiqu'ils eussent déja une très-grande autorité, elle devint dans la suite bien plus considérable. En vertu de la puissance sacrée dont ils étoient revêtus, non seulement ils s'opposoient à tout ce qui leur déplaisoit, comme aux assemblées par tribus, & à la levée des soldats ; mais encore ils assembloient le sénat & le peuple quand ils vouloient, & ils rompoient les assemblées de même. Tous les plébiscites ou decrets du peuple qu'ils publioient, n'obligeoient au commencement que le peuple seul : dans la suite ils obligerent tous les trois ordres, & cela après la publication des loix Horatia & Hortensia, en 464 & 466. Enfin ils portoient si loin leur autorité, qu'ils donnoient ou ôtoient à qui bon leur sembloit, le maniement des deniers publics, la recette des impositions, les départemens, les magistratures, les commandemens d'armées, & toutes sortes de charges, &c. Par l'abus qu'ils firent de ce pouvoir immense, ils furent cause des plus grands troubles de la république, dont Cicéron se plaint amèrement, de legib. lib. III. c. ix.

Cette puissance illimitée ne subsista pas toujours. L. Sylla attaché au parti des grands, s'étant rendu maître de la république à main armée, diminua beaucoup l'autorité des tribuns, & l'anéantit presque entierement par une loi portée l'an 672, qui défendoit que celui qui avoit été tribun pût jamais parvenir à aucune autre charge. Il leur ôta par la même loi, le droit de haranguer le peuple, de faire des loix ; & les appellations à leur tribunal furent abolies. Il leur laissa seulement le droit de s'opposer.

Cependant le consul Cotta, l'an 679, leur rendit le droit de parvenir aux charges de la république ; & l'an 683, le grand Pompée les rétablit dans tous leurs anciens privileges. Leur puissance subsista jusqu'à Jules-César. La 731 année de Rome, le sénat rendit un decret par lequel il transféroit à Auguste & à ses successeurs, toute l'autorité des tribuns du peuple, qu'on continua de créer pour la forme. Auguste s'étant ainsi rendu maître de la puissance tribunitienne, n'accorda aux tribuns que le seul privilege de ne pouvoir être cités en jugement avant que d'avoir quitté leur charge ; & sous Tibere, ils eurent encore le droit fictif d'opposition. Enfin du tems des empereurs Nerva & Trajan, la dignité de tribun du peuple n'étoit plus qu'un fantôme, un vain titre sans fonction & sans honneur. Ils resterent dans cet état jusqu'à Constantin le grand ; depuis son regne il n'est plus sait mention de cette magistrature.

Il ne me reste pour en compléter l'histoire, qu'à en reprendre les principaux faits, déja indiqués ou obmis.

Après de grandes divisions entre les patriciens & les plébéiens, le sénat consentit pour l'amour de la paix, à la création de nouveaux magistrats, qui furent nommés tribuns du peuple, l'an de Rome 260.

Il en fut fait un sénatus-consulte, & on élut dans le camp même pour les premiers tribuns du peuple, selon Denys d'Halicarnasse, L. Junius Brutus, & C. Sicinius Bellutus, les chefs du parti, qui associerent en même tems à leur dignité C. & P. Licinius, & Sp. Icilius Ruga. Tite-Live prétend que C. Licinius & Lucius Albinus, furent les premiers tribuns qui se donnerent trois collegues, parmi lesquels on compte Sicinius Bellutus ; cet historien ajoute, qu'il y avoit des auteurs qui prétendoient qu'il n'y eût d'abord que deux tribuns élus dans cette assemblée, & c'est l'opinion la plus commune.

Quoi qu'il en soit, on déclara avant que de quitter le camp, la personne des tribuns sacrée. Il en fut fait une loi, par laquelle il étoit défendu sous peine de la vie de faire aucune violence à un tribun, & tous les Romains furent obligés de jurer par les sermens les plus solemnels l'observation de cette loi. Le peuple sacrifia ensuite aux dieux sur la montagne même, & qu'on appella depuis le mont sacré, d'où il rentra dans Rome à la suite de ses tribuns & des députés du sénat.

Rome par l'établissement du tribunal, changea une seconde fois la forme de son gouvernement. Il étoit passé de l'état monarchique à une espece d'aristocratie, où toute l'autorité étoit entre les mains du sénat & des grands. Mais par la création des tribuns, on vit s'élever insensiblement une nouvelle démocratie, dans laquelle le peuple, sous différens prétextes, s'empara par degré de la meilleure partie du gouvernement.

Ces nouveaux magistrats n'avoient dans leur origine, ni la qualité de senateur, ni tribunal particulier, ni jurisdiction sur leurs citoyens, ni le pouvoir de convoquer les assemblées du peuple. Habillés comme de simples particuliers, & escortés d'un seul domestique appellé viateur, & qui étoit comme un valet de ville, ils demeuroient assis sur un banc au dehors du sénat ; ils n'y étoient admis que lorsque les consuls les faisoient appeller, pour avoir leur avis sur quelque affaire qui concernoit les intérêts du peuple ; toute leur fonction se réduisoit à pouvoir s'opposer aux ordonnances du sénat par le mot veto, qui veut dire je l'empêche, qu'ils mettoient au bas de ses decrets, quand ils les croyoient contraires à la liberté du peuple ; cette autorité étoit même renfermée dans les murailles de Rome, & tout au plus à un mille aux environs : & afin que le peuple eut toujours dans la ville des protecteurs prêts à prendre sa défense, il n'étoit point permis aux tribuns de s'en éloigner un jour entier, excepté dans les féries latines. C'étoit par la même raison qu'ils étoient obligés de tenir la porte de leurs maisons ouvertes jour & nuit, pour recevoir les plaintes des citoyens, qui auroient recours à leur protection.

De semblables magistrats sembloient n'avoir été institués que pour empêcher seulement l'oppression des malheureux ; mais ils ne se continrent pas dans un état si plein de modération. Il n'y eut rien dans la suite de si grand & de si élevé, où ils ne portassent leurs vûes ambitieuses. Ils entrerent bientôt en concurrence avec les premiers magistrats de la république ; & sous prétexte d'assurer la liberté du peuple, ils eurent pour objet de ruiner insensiblement l'autorité du sénat.

L'an de Rome 262, le peuple augmenta la puissance de ses tribuns, par une loi qui défendoit à personne d'interrompre un tribun qui parle dans l'assemblée du peuple romain.

L'an 283, on publia une loi qui ordonnoit que l'élection des tribuns se fît seulement dans une assemblée par tribus, & en conséquence on élut pour la premiere fois des tribuns de cette maniere.

La paix ayant succédé aux guerres contre les Volsques l'an 380 on vit renaître de nouvelles dissentions. Quelques plébéiens qui s'étoient distingués dans ces guerres, aspirerent au consulat, & au commandement des armées. Le petit peuple uniquement touché des incommodités de la vie, parut peu sensible à des prétentions si magnifiques. Les patriciens d'un autre côté s'y opposerent long-tems, & avec beaucoup de courage & de fermeté. Ce fut pendant plusieurs années un sujet continuel de disputes entre le sénat & les tribuns du peuple. Enfin les larmes d'une femme emporterent ce que l'éloquence, les brigues, & les cabales des tribuns, n'avoient pû obtenir : tant il est vrai que ce sexe aimable & rusé n'est jamais plus fort que quand il fait servir sa propre foiblesse aux succès de ses desseins. Voici le fait en peu de mots.

M. Fabius Ambustus avoit trois fils qui se distinguerent dans la guerre des Gaulois, & deux filles, dont l'aînée étoit mariée à S. Sulpicius, patricien de naissance, & qui étoit alors tribun militaire, & la cadette avoit épousé un riche plébéien, appellé C. Licinius Stolon. Un jour que la femme de ce plébéien se trouva chez sa soeur, le licteur qui précédoit Sulpicius à son retour du sénat, frappa à sa porte avec le bâton des faisceaux, pour annoncer que c'étoit le magistrat qui alloit rentrer. Ce bruit extraordinaire fit peur à la femme de Licinius ; sa soeur ne la rassura que par un souris fin, & qui lui fit sentir l'inégalité de leurs conditions. Sa vanité blessée par une différence si humiliante, la jetta dans une sombre mélancolie. Son pere & son mari lui en demanderent plusieurs fois le sujet, sans pouvoir l'apprendre. Elle affectoit d'en couvrir la cause par un silence opiniâtre. Ces deux romains à qui elle étoit chere, redoublerent leurs empressemens, & n'oublierent rien pour lui arracher son secret. Enfin après avoir résisté autant qu'elle crut le devoir faire pour exciter leur tendresse, elle feignit de se rendre, elle leur avoua les larmes aux yeux, & avec une espece de confusion, que le chagrin la feroit mourir, si étant sortie du même sang que sa soeur, son mari ne pouvoit pas parvenir aux mêmes dignités que son beau-frere.

Fabius & Licinius pour l'appaiser, lui firent des promesses solemnelles de n'épargner rien pour mettre dans sa maison les mêmes honneurs qu'elle avoit vus dans celle de sa soeur : & sans s'arrêter à briguer le tribunal militaire, ils porterent tout d'un coup leurs vûes jusque au consulat.

Le beau-pere quoique patricien, se joignit à son gendre : & par complaisance pour sa fille, ou par ressentiment de la mort de son fils, que le sénat avoit abandonné, il prit des intérêts opposés à ceux de son ordre. Licinius & lui associerent dans leur dessein L. Sextius d'une famille plébéïenne, également estimé par sa valeur & par son éloquence, intrépide défenseur des droits du peuple, & auquel de l'aveu même des patriciens, il ne manquoit qu'une naissance plus illustre, pour pouvoir remplir toutes les charges de la république.

C. Licinius & L. Sextius convinrent d'abord de briguer le tribunal plébéien, afin de s'en faire comme un degré pour parvenir à la souveraine magistrature : ils l'obtinrent aisément. A peine eurent-ils fait ce premier pas, qu'ils résolurent de rendre le consulat commun aux deux ordres de la république, & ils y travaillerent avec tant de chaleur, que les citoyens étoient à la veille de prendre les armes les uns contre les autres, quand les patriciens pour éviter ce malheur, prirent le parti de céder au peuple une des places du consulat. Sextius fut le premier des plébéiens qui en fut pourvû l'an de Rome 380, & Licinius lui succéda peu de tems après.

Quoique les tribuns de Rome ayent souvent causé de grands troubles dans la ville par leur ambition, & par l'abus qu'ils firent de leur pouvoir, Cicéron n'a pû s'empêcher de reconnoître, que leur établissement fut le salut de la république ; car, dit-il, la force du peuple qui n'a point de chef, est plus terrible, & commet toujours des désordres extrêmes. Un chef sent que l'affaire roule sur lui, il y pense : mais le peuple dans son impétuosité, ne connoit point le péril où il se jette. D'ailleurs dans une république le peuple a besoin d'un magistrat pour le défendre contre les vexations des grands ; cependant la puissance des tribuns de Rome étoit vicieuse en ce point particulier, qu'elle arrêtoit non-seulement la législation, mais même l'exécution ; or il ne faut pas dans un état modéré, que la puissance législative ait la faculté d'arrêter la puissance exécutrice, & réciproquement. (D.J.)

TRIBUN MILITAIRE, (Hist. milit. des Rom.) officier qui commandoit en chef à un grand corps de troupes ; c'étoit une magistrature romaine, qu'il ne faut pas confondre avec ce qu'on nommoit tribun des soldats.

Varron dit qu'on leur donna le nom de tribuns, parce qu'au commencement ils étoient trois, lorsque la légion étoit composée de trois mille hommes, des trois tribus qu'il y avoit alors ; à mesure que la légion crut, on augmenta le nombre des tribuns qui furent quatre, & ensuite six. D'abord c'étoit les généraux d'armée qui les choisissoient ; mais l'an de Rome 391, il fut réglé que le peuple en nommeroit une partie, & le général une autre ; ce fut Rutilius Rufus, qui porta cette loi ; ceux que le peuple choisissoit dans les comices, s'appelloient comitiati. Ils étoient également patriciens ou plébéiens, & avoient les mêmes marques d'honneur que les consuls ; voici leur histoire en peu de mots.

Les tribuns du peuple ayant fait tous les efforts imaginables, pour obtenir que les familles plébéiennes pourroient avoir part au consulat, & les patriciens, qui se voyoient hors d'état de résister plus long-tems, ne voulant pas que le peuple pût être admis au consulat, on fit l'an de Rome 309, un réglement ratifié par un decret du sénat, par une loi du peuple, qu'à la place des consuls, on choisiroit parmi les patriciens trois tribuns militaires, & autant parmi les plébéiens, & que ces nouveaux magistrats auroient toute l'autorité des consuls pour gouverner la république, & qu'au bout de l'année, il seroit fait un sénatus-consulte pour demander au peuple s'il aimoit mieux avoir des consuls que des tribuns militaires, & qu'on se conformeroit à ses intentions. Au reste on appella ces nouveaux magistrats tribuns militaires, parce que parmi les plébéiens, ceux qui avoient exercé l'emploi de tribun, étoient les plus distingués du peuple.

Cette premiere année, il n'y eut que trois personnes nommées pour remplir cette magistrature, & ce furent trois patriciens : mais bientôt après ils abdiquerent, sous prétexte que leur élection étoit vicieuse, & on leur substitua des consuls. Dans les années suivantes on créa, tantôt des consuls, tantôt des tribuns militaires, suivant que le sénat ou le peuple avoit le dessus. Cet usage dura jusqu'à l'an de Rome 387, qu'on choisit un plébéien pour consul, & ce fut Sextius. On créa d'abord trois tribuns militaires, ensuite quatre, puis six. Tite-Live prétend que l'an de Rome 347, on en élut huit, ce qui n'étoit pas encore arrivé, mais les autres historiens n'en marquent que six ; du reste le titre que ces magistrats portoient, tribuni militum consulari potestate, fait connoître qu'ils avoient les mêmes fonctions & les mêmes marques de dignité que les consuls. (D.J.)

TRIBUN DES CELERES, (Hist. milit. des Romains) tribunus celerum ; c'étoit l'officier qui commandoit la troupe des chevaux légers des Romains. Il fut ainsi nommé de Fabius Celer, qui eut le premier cette charge. Le tribun des celeres étoit proprement le commandant de la cavalerie, & après le roi il avoit la principale autorité dans les armées. Dans la suite, le maître de la cavalerie eut le même rang sous les dictateurs, car après l'expulsion des rois la charge de tribun des celeres fut abolie, & Plutarque même prétend que du tems de Numa, la troupe nommée des celeres n'existoit plus. (D.J.)

TRIBUN DE SOLDATS, (Art milit. des Rom.) officier dans l'armée ; mais il ne faut pas confondre les tribuns de soldats avec les tribuns militaires, qui furent substitués aux consuls, & revêtus de toute leur autorité. Cependant les tribuns de soldats avoient un grande honorable dans le service ; il y en avoit de deux sortes, les uns choisis par le général, & on les nommoit rufuli, & les autres élus dans les comices, par les suffrages du peuple, & ils s'appelloient comitiati. Ceux-ci furent introduits par une loi que proposerent Lucius Attilius & Caïus Martius, tribuns du peuple, sous le consulat de Marcus Valerius & Publius Decius. La fonction des tribuns de soldats étoit de contenir les troupes dans le camp, de veiller à leurs exercices, de connoître leurs démêlés, d'entendre leurs plaintes, d'avoir inspection sur leurs habits, sur leurs armes & sur les hôpitaux ; d'avoir soin des vivres, de faire des rondes, de recevoir les ordres du consul, & de les donner ensuite aux autres officiers subalternes. (D.J.)

TRIBUN DU TRESOR, (Antiq. rom.) tribunus aerarii ; espece de trésorier des fonds militaires. Les tribuns du trésor étoient des officiers tirés du peuple, qui gardoient les fonds d'argent destinés à la guerre, pour les distribuer dans le besoin aux questeurs des armées. On observoit de choisir ces tribuns les plus riches qu'on pouvoit, parce que c'étoit un emploi où il y avoit beaucoup d'argent à manier ; mais Clodius, du tems de Cicéron, trouva le moyen d'en corrompre plusieurs, qu'on lui avoit nommés pour juges. (D.J.)


TRIBUNALS. m. (Gramm. & Jurisprud.) est le siege d'un juge, le lieu où il rend la justice. Quelquefois aussi ce terme se prend pour le corps entier des juges qui composent une jurisdiction. Quelquefois il se prend pour la jurisdiction même qu'ils exercent.

Ce terme qui est aussi latin tire son origine du nom que l'on donnoit à un siege élevé où les tribuns rendoient la justice. Voyez TRIBUN.

TRIBUNAL ECCLESIASTIQUE, est celui qui connoît des matieres ecclésiastiques, comme les officialités. Voyez TRIBUNAL SECULIER.

TRIBUNAL INCOMPETENT, est une jurisdiction qui n'a pas le pouvoir de connoître d'une affaire soit par rapport à la qualité des personnes, ou à la qualité de la matiere. Voyez COMPETENCE & INCOMPETENCE.

TRIBUNAL INFERIEUR est une jurisdiction qui ressortit à une autre.

TRIBUNAL DU RECTEUR, c'est le titre consacré à la jurisdiction du recteur de l'université. Voyez RECTEUR & UNIVERSITE.

TRIBUNAL SECULIER, est une jurisdiction établie pour connoître des affaires temporelles. Voyez TRIBUNAL ECCLESIASTIQUE.

TRIBUNAL SOUVERAIN, est une jurisdiction où l'on juge souverainement & sans appel.

TRIBUNAL SUPERIEUR, se prend quelquefois pour tribunal souverain ; quelquefois il signifie seulement une jurisdiction qui est au-dessus d'une autre, dont les jugemens y ressortissent par appel. (A)

On a comparé les tribunaux au buisson épineux, où la brebis cherche un refuge contre les loups, & d'où elle ne sort point sans y laisser une partie de sa toison. C'est aux sangsues du palais à comprendre ceci : ces mains avides ne feront-elles que tendre des lacets, tracer des lignes obliques, & fabriquer des labyrinthes ? Le souverain ne sévira-t-il point contre ces sangsues altérées, qui épuisent le bien de leurs clients par des faux conseils, par des menées indirectes, & par des voies tortueuses ? (D.J.)

TRIBUNAL SECRET DE WESTPHALIE, (Hist. mod.) c'est le nom d'un tribunal assez semblable à celui de l'inquisition, qui fut, dit-on, établi en Westphalie par l'empereur Charlemagne, & par le pape LÉon III. pour forcer les Saxons payens à se convertir au christianisme. On a une description de ce tribunal faite par plusieurs auteurs & historiens, ainsi que l'ordre & les statuts des assesseurs de ce tribunal, appellés vry graves, frey graves, comtes libres, ou échevins du saint & secret tribunal de Westphalie.

Une superstition cruelle, aidée d'une politique barbare, autorisa pendant long-tems les jugemens clandestins de ces redoutables tribunaux, qui remplissoient l'Allemagne de délateurs, d'espions, d'assesseurs & d'exécuteurs de leurs arrêts ténébreux ; les juges de Westphalie usurperent une autorité semblable à celle que s'est arrogée depuis le tribunal odieux que l'Espagne, l'Italie & le Portugal réverent encore sous le titre de saint office. Il paroît en effet que c'est sur le modele du tribunal secret de Westphalie que la cour de Rome a formé celui de l'inquisition, si favorable à ses prétentions & à l'abrutissement des peuples, & si contraire aux maximes de la vraie religion & de l'humanité.

Quoi qu'il en soit, ces deux tribunaux furent toujours également propres à anéantir la liberté des citoyens, en les mettant à la merci d'une autorité secrette qui punissoit des crimes qu'il fut toujours facile d'imputer à tous ceux qu'on voulut perdre. En effet, le tribunal secret connoissoit également de tous les crimes & même de tous les péchés, puisqu'à la liste des cas qui étoient spécialement de sa compétence on joignoit toutes les transgressions du décalogue & des loix de l'Eglise, la violation du carême, &c. Son autorité s'étendoit sur tous les ordres de l'état ; les électeurs, les princes, les évêques mêmes y furent soumis, & ne pouvoient en être exemptés que par le pape & l'empereur. Par la suite néanmoins les ecclésiastiques & les femmes furent soustraits de sa jurisdiction ; cet établissement fut protégé par les empereurs, à qui il fut, sans-doute, utile pour perdre ceux qui avoient le malheur de leur déplaire. L'empereur Sigismond y présida une fois, il fut alors garni de mille assesseurs ou échevins ; Charles IV. en sut tirer un très-grand parti, & les bourreaux du tribunal secret eussent empêché la déposition de l'affreux Wenceslas, s'il ne les eût indisposés en divulguant leur secret. La superstition ne sert les tyrans que lorsqu'ils consentent à lui être fideles.

Pour se faire une idée de ce tribunal, il suffit de voir ce qu'en a dit Aeneas Sylvius en parlant de ceux qui le composoient de son tems, il dit qu'ils ont (secretos ritus) & arcana quaedam instituta, quibus malefactores judicent, & nondum repertus est qui vel pretio vel metu revelaverit ; ipsorum quoque scabinorum major pars occulta est, qui per provincias discurrentes, criminosos notant, & inferentes judicio accusant, probantque, ut eis mos est. Damnati libro inscribuntur, & junioribus scabinis committitur executio. " Ils ont des usages secrets & des formalités cachées pour juger les malfaiteurs, & il ne s'est encore trouvé personne à qui la crainte ou l'argent aient fait réveler le secret ; la plûpart des échevins de ce tribunal sont inconnus ; en parcourant les provinces, ils prennent note des criminels, ils les déferent & les accusent devant le tribunal, & prouvent leur accusation à leur maniere ; ceux qui sont condamnés sont inscrits sur un livre, & les plus jeunes d'entre les échevins sont chargés de l'exécution ". Voyez Aeneas Sylv. Europ. cap. xljx.

Au mépris de toutes les formes judiciaires, on condamnoit souvent l'accusé sans le citer, sans l'entendre, sans le convaincre ; un homme absent étoit légalement pendu ou assassiné sans qu'on sût le motif de sa mort, ni ceux qui en étoient les auteurs. Un tribunal si détestable, sujet à des abus si crians, & si contraires à toute raison & à toute justice, subsista pourtant pendant plusieurs siecles en Allemagne. Cependant il fut réformé à plusieurs reprises par quelques empereurs qui rougirent des horreurs qu'on commettoit en leur nom ; & enfin il fut entierement aboli par l'empereur Maximilien I. en 1512 ; & on l'appella depuis le tribunal défendu de Westphalie, & il n'en fut plus question dans l'empire. Il faut espérer que les progrès de la raison, qui tend toujours à rendre les hommes plus humains, feront abolir de même ces institutions odieuses & tyranniques, qui sous le faux prétexte des intérêts de la divinité, permettent à quelques hommes d'exercer la tyrannie la plus cruelle sur les êtres qu'elle a créés à son image ; quelles que soient leurs opinions, un chrétien doit de l'indulgence à ses semblables ; s'ils sont vraiment criminels, ils doivent être punis suivant les loix de la justice & de la raison. Ce tribunal se trouve désigné dans les historiens & dans les écrivains sur le droit public germanique, sous le nom de Judicium occultum Westphalicum, de Vemium, Wemium ou Wehem Gericht en allemand. Ce que quelques-uns dérivent du latin vaemihi ; & d'autres du mot saxon vehmen, qui signifie proscrire, bannir, condamner, ou de verfaymer, diffamer, noter d'infamie, &c. Voyez VRIGRAVES, INQUISITION, &c.

Ce tribunal Westphalien, comme on a dit, fut établi par Charlemagne de concert avec le pape LÉon III. Quelques auteurs ont rapporté les circonstances suivantes de sa fondation ; cependant il y a des auteurs qui les regardent comme fabuleuses. Quoi qu'il en soit, voici ce qui en est dit à la page 624 du tome III. scriptorum Brunswic. publié par M. de Leibnitz. Ut fertur, misit rex (Carolus M.) legatum Romam ad Leonem papam, pro concilio habendo de rebellibus istis (Saxonibus), quos nullâ poterat diligentiâ ex toto compescere aut exterminare. Ast sanctus vir, auditâ legatione, nihil prorsus respondit ; sed surgens ad hortulum ivit, & zizania cum tribulis colligens, supra patibulum quod de virgulis fecerat, suspendit. Rediens autem legatus haec Carolo nunciavit, qui mox jus vetitum instituit, quod usque in praesens veniae vel vemiae vocatur. " On dit que le roi Charlemagne envoya un ambassadeur à Rome vers le pape LÉon, afin de prendre ses conseils sur ce qu'il devoit faire de ces rebelles Saxons, qu'il ne pouvoit ni dompter ni exterminer. Mais le saint homme, ayant entendu le sujet de l'ambassade, ne répondit rien ; il se leva seulement & alla dans son jardin, où ayant ramassé des ronces & des mauvaises herbes, il les suspendit à un gibet qu'il avoit formé avec de petits bâtons. L'ambassadeur, a son retour, rapporte à Charles ce qu'il avoit vu, & celui-ci institua le tribunal qui s'appelle jusqu'à ce jour venia ou vemia ". Voyez Pfeffinger, in Vitriarium, tome IV. p. 470. & suiv.

TRIBUNAL DE L'INQUISITION, (Hist. ecclés.) voyez INQUISITION & OFFICE, saint.

Je me contenterai d'ajouter ici une foible description de la torture qu'on fait subir dans cet horrible tribunal, l'opprobre de la religion chrétienne & de l'humanité.

" Un bourreau deshabille le patient, lui lie les piés & les mains avec une corde, & le fait monter sur un petit siege pour pouvoir passer la corde à des boucles de fer qui sont attachées à la muraille. Après cela, on ôte le siege de dessous les piés du patient, desorte qu'il demeure suspendu par la corde, que le bourreau serre toujours plus violemment, jusqu'à ce que le criminel ait confessé, ou qu'un chirurgien qui est présent, avertisse les juges qu'il est en danger de mourir. Ces cordes causent, comme on le peut aisément penser, une douleur infinie, lorsqu'elles viennent à entrer dans la chair, & qu'elles font enfler les mains & les piés, jusqu'à tirer du sang par les ongles. Comme le patient se trouve violemment serré contre la muraille, & qu'en serrant les cordes avec tant de force, on couroit risque de déchirer tous ses membres, on a soin auparavant de le ceindre avec quelques bandes par la poitrine, qu'on serre extrêmement. Dans le moment qu'il souffre le plus, on lui dit, pour l'épouvanter, que ce n'est que le commencement des souffrances, & qu'il doit tout avouer avant qu'on en vienne à l'extrêmité. Outre les tourmens dont on vient de parler, le bourreau lâche sur les jambes du patient une petite échelle où il est monté, & dont les échelons aigus causent une douleur incroyable en tombant sur les os des jambes... "

On frémit sans-doute à cette seule description de la torture qu'on emploie dans ce tribunal, quoique cette description en françois soit fort imparfaite & fort adoucie ; le lecteur peut s'en convaincre en la lisant dans le latin de l'historien de l'inquisition, dans Limborch, hist. inquisit. lib. IV. cap. xxjx. pag. 323. (D.J.)

TRIBUNAUX DE JUIFS, (Critiq. sacrée) il y avoit chez les Juifs trois sortes de tribunaux, un de trois juges, un de vingt-trois, & un troisieme de soixante ; on voit leur institution au Deutér. xvj. 18. & xvij. 8. Le premier tribunal étoit établi dans toutes les bourgades, & on y plaidoit devant trois arbitres les procès où il s'agissoit d'argent & de choses mobiliaires ; le second se tenoit dans les villes, & jugeoit en premier ressort de quelques affaires criminelles ; enfin le troisieme supérieur aux deux autres, étoit le grand sanhédrin, qui ne se tenoit que dans Jérusalem. Voyez les détails concernant ces trois tribunaux au mot SANHEDRIN. (D.J.)

TRIBUNAUX DE ROME, (Antiq. rom.) il y avoit à Rome trois sortes de tribunaux ; le premier étoit le tribunal des sénateurs ; le second celui des chevaliers ; & le troisieme étoit celui des tribuns de l'épargne : mais César supprima le dernier. (D.J.)


TRIBUNES. f. (Architect.) on appelle ainsi les galeries élevées dans les églises, pour chanter la musique ou entendre l'office : on donne aussi ce nom au balcon qui est autour de la lanterne d'un dôme, comme à saint Pierre de Rome : chez les Italiens le mot tribune signifie le chevet d'une église.

Tribune en saillie, tribune qui avance, & qui est soutenue par des colonnes ou des figures, comme celle de la salle des Suisses à Paris, ou portée en encorbellement par des consoles & des trompes : il y a une tribune de cette derniere façon dans la grande salle de l'hôtel-de-ville de Lyon. Daviler. (D.J.)

TRIBUNE AUX HARANGUES, (Antiq. rom.) la tribune aux harangues étoit une espece de tribune élevée dans le forum romanum, où se tenoient les comices, tout devant la salle des assemblées du sénat, dite curia ; cette tribune fut décorée de becs de navires pris sur les Antiates, & fut nommée rostra ; c'étoit de dessus cette tribune que les rois & les consuls haranguoient le peuple. (D.J.)


TRIBUNITIENNEPUISSANCE, (Antiq. rom. & Médailles) magistrature perpétuelle dont les empereurs se revêtirent.

La puissance tribunitienne accordée à tous les empereurs, depuis Auguste, étoit différente du tribunat du peuple, en ce que le tribunat auquel on continua d'élever des particuliers étoit annuel, comme toutes les autres magistratures ordinaires, au-lieu que la puissance tribunitienne étoit perpétuelle. L'autorité des tribuns du peuple étoit renfermée dans l'enceinte de Rome ; la puissance tribunitienne des empereurs s'étendoit par-tout, & l'autorité qu'elle leur donnoit ne cessoit point lorsqu'ils étoient éloignés de la capitale de l'empire.

Le sénat ne prétendit jamais marquer sur les monnoies, que la puissance tribunitienne étoit une grace qu'il accordoit au prince, & que dans ce dessein il statuoit, que le nombre des tribunats seroit reglé d'année en année : si la chose étoit ainsi, ce nombre se trouveroit exprimé plus souvent & plus correctement sur les médailles qui portent la marque de l'autorité du sénat, c'est-à-dire sur les médailles de bronze, & sur celles d'or & d'argent. Il est cependant très-certain que les différentes puissances tribunitiennes se rencontrent également sur les trois métaux, tant avec S. C. que sans cette marque. Les bons princes n'ont pas été plus attentifs que les méchans, à donner au sénat cette prétendue démonstration de déférence ; car le nombre des puissances tribunitiennes n'est pas moins grand dans Tibere, dans Caligula, dans Néron, dans Domitien, dans Commode, & dans Elagabale, que dans Auguste, dans Vespasien, dans Nerva, dans Trajan, dans Antonin-Pie, & dans Marc-Aurele. (D.J.)


TRIBUTS. m. (Gram. Jurisprud.) du latin tributum, signifie une imposition qu'un état paye au souverain d'un autre état, ou que les sujets payent à leur prince.

Chez les Romains on distinguoit plusieurs sortes de tributs, savoir jugatio, redevance fonciere qui se payoit pour des terres, selon la quantité ; pro numero jugerum annona quasi ab anno, quand elle se payoit en fruits de l'année ; census, redevance qui se payoit au fisc de l'empereur pour marque de la seigneurie universelle, on l'appelloit aussi tributum ; mais lorsqu'elle se payoit aux provinces qui étoient dans le partage du peuple, on l'appelloit stipendium. Dans la suite on confondit ces termes stipendium & tributum ; on appelloit canon, la redevance qui se payoit pour les terres du domaine ; vectigal, le droit que l'on payoit pour l'entrée ou sortie des marchandises.

Parmi nous on appelle tributs ce qui se leve sur les personnes, comme la capitation ; impôt ou imposition, ce qui se leve sur les denrées & marchandises : cependant on confond souvent les termes de tribut & d'impôt, & le terme d'imposition comprend toutes sortes de tributs & de droits.

Il n'appartient qu'au souverain de mettre des tributs & impôts sur ses sujets. Voyez le Bret, Traité de la souver. (A)

TRIBUT, (Gouvernement politique.) Voyez TAXE, IMPOSITION, IMPOT, SUBSIDE, &c.

C'est assez d'ajouter avec l'auteur de l'Esprit des loix, qu'il n'y a point d'état où l'on ait plus besoin de tributs que dans ceux qui dégénerent & qui s'affoiblissent, desorte qu'on y augmente les charges à proportion que le peuple peut moins les supporter. Dans les beaux jours de la république romaine on n'augmenta jamais les tributs ; dans la décadence de l'empire romain, ils devinrent intolérables. Il faut lire dans Salvien les horribles exactions que l'on faisoit dans les provinces. Les citoyens poursuivis par les traitans, cette cruelle peste des états, n'avoient d'autre ressource que de se réfugier chez les Barbares, ou de donner leur liberté à ceux qui la vouloient prendre. (D.J.)

TRIBUT, (Critiq. sacrée) , tributum ; ce mot se trouve dans l'Ecriture, & signifie en général tout impôt mis par le prince sur ses sujets ; mais il faut remarquer que le terme grec , Rom. xiij. 6. désigne l'impôt pour les terres ; & , l'impôt pour les marchandises. Hégésippe parlant du bien des descendans de Judas, frere de Notre-Seigneur, dit qu'ils possédoient entre eux 239 arpens de terre ; qu'ils les travailloient de leurs mains, & qu'ils en payoient le tribut, . Avant Salomon les Juifs n'étoient point adstreints à des corvées, & autres contributions pour les ouvrages publics ; ce prince, par cette nouveauté, aliéna les esprits de tout le peuple, & jetta les semences de la terrible sédition qui éclata sous son fils. (D.J.)

TRIBUTS, levée des, un mot suffira. " Dans la perception des tributs, la faveur ne doit pas accorder à des hommes nouveaux de partager avec le prince, & inégalement pour lui, les revenus de l'état, les denrées du peuple. " Esprit des loix. (D.J.)


TRIBUTAIRES. m. (Hist. mod.) celui qui paie tribut à un autre, soit pour vivre en paix avec lui, soit pour jouir de sa protection. Voyez TRIBUT.

La république de Raguse est tributaire du turc, aussi bien que le cham de la petite Tartarie, &c.


TRIBUTOS VACOS(Hist. mod.) c'est ainsi qu'on nomme en Espagne un droit régalien, en vertu duquel le roi jouit de tous les revenus des charges ou offices qui dépendent de la cour, pendant tout le tems de leur vacance.


TRICS. m. (terme d'ergot d'Imprimeur) mot inventé par les compagnons imprimeurs, quand ils quittent leur ouvrage pour aller faire la débauche ensemble. Il est fait mention de ce terme dans une ordonnance de François 1er. en l'an 1541, & de Charles IX en 1571. Un réglement de 1618, cité dans le code de la librairie de Paris, page 176, défend à tous compagnons imprimeurs & libraires de faire aucun tric dans les imprimeries, c'est-à-dire, de donner le signal de quitter conjointement le travail, pour aller boire, ou pour autre raison. (D.J.)


TRICADIBA(Géog. anc.) île de l'Inde en-deçà du Gange. Elle est marquée par Ptolémée, sur la côte, en allant du golphe Canticolpe au golphe Colchique, au midi de l'île d'Heptanesia. (D.J.)


TRICALA(Géog. mod.) ville de la Turquie européenne, dans la province de la Janna, sur le bord de la Sélampria, avec un évêché suffragant de Larisse. Tricala est l'ancienne tricca. Voyez TRICCA, (Géog. anc.) (D.J.)


TRICALUM(Géog. anc.) ou Tricala, ville de Sicile, selon Etienne le géographe. C'est la même ville que Ptolémée, l. II. c. ix. appelle Tricola, & qu'il place dans les terres. Diodore de Sicile, in Eglog. pag. 913. & Silius Italicus, l. XIV. vers. 271. écrivent Triocala.

.... Servili vastata Triocala bello.

Et c'est, conformément à cette derniere orthographe, que Pline, l. III. c. viij. appelle les habitans de cette ville Triocalini. Cicéron, 7. Verr. 10. dit Tricalinum. Le nom moderne est Troccoli, selon le P. Hardouin. (D.J.)


TRICAMARUM(Géog. anc.) lieu d'Afrique, à cent quarante stades de Carthage, selon Procope, Hist. des Vandal. l. II. c. ij. C'est le lieu où les Romains rencontrerent les Vandales campés, & près duquel les deux armées en vinrent à une bataille, dont le succès fut désavantageux aux barbares. (D.J.)


TRICARICO(Géog. mod.) bourg, & autrefois dans le xj siecle, ville épiscopale d'Italie, au royaume de Naples, dans la Basilicate, sur le Casuente.


TRICASSINI(Géog. anc.) peuples de la Gaule Celtique ou Lyonnoise, & dont le pays étoit presque renfermé entre la Seine & la Marne. Ce sont les Trecasses de Pline, l. IV. c. xviij. & les Tricarii de Ptolémée, l. II. c. viij. Le nom de ces peuples se trouve encore sous différentes orthographes, comme Tricasses, Tricases, & Trécases. Une ancienne inscription rapportée par Gruter, pag. 371. n °. 8. fait mention de ces peuples :

Aetae. Memoriae Aureli

Demetri Adjutori

Proce. Civitatis Senonum,

Tricassinorum, Meidorum,

Parisiorum & Civitatis

Aeduorum.

Dans la suite on a dit Trecae ou Treci, d'où l'on a fait le nom moderne de leur capitale, Troyes. (D.J.)


TRICASTIN LE(Géog. mod.) ou le Tricastinois, pays de France, dans le Bas-Dauphiné. Il est borné au septentrion par le Valentinois & le Diois ; à l'orient & au midi par le comtat Venaissin, & à l'occident par le Rhône. C'est le pays qu'occupoient autrefois les Tricastini, ancien peuple de la Gaule narbonnoise. Il n'y a point d'autres villes que S. Paul-Trois-Châteaux. (D.J.)


TRICASTINI(Géog. anc.) peuples de la Gaule Narbonnoise. Ils habitoient sur le Rhône, & leur capitale est nommée Augusta Tricastinorum par Pline, l. III. c. jv. Ptolémée, l. II. c. x. nomme ces peuples Tricasteni. Tite-Live, l. XXI. c. xxxj. & Silius Italicus, l. III. v. 466. écrivent Tricasteni. Le pays qu'ils habitoient se nomme aujourd'hui S. Paul Tricastin, ou S. Paul-Trois-Châteaux. (D.J.)


TRICCA(Géog. anc.) ville de Macédoine, dans l'Estiotide, selon Ptolémée, l. III. c. xiij. Homere, Iliad. B. v. 236, a connu cette ville. Strabon, liv. VIII. p. 360, la met dans la Thessalie, ce qui revient au même, puisque l'Estiotide étoit une contrée de la Thessalie. Elle étoit sur le fleuve Lethaeus, l. XIV. p. 647, sur le bord duquel on disoit qu'Esculape étoit né. Le nom moderne de cette ville est Tricasa. (D.J.)


TRICCIANA(Géog. anc.) ville de la Pannonie. L'itinéraire d'Antonin la marque sur la route de Sirmium à Carnuntum, entre Pons Mansuetianus & Cimbriane, à trente milles du premier de ces lieux, & à vingt-cinq milles du second. (D.J.)


TRICÉNAIRES. m. (terme d'Eglise) prieres continuées pendant 30 jours, comme la neuvaine désigne des prieres continuées pendant neuf jours. S. Grégoire établit l'usage d'un tricénaire, qui consistoit à dire trente messes pour les morts pendant trente jours de suite ; mais cet usage n'a pas eu lieu.


TRICENNALESS. m. & pl. (Antiq. rom.) l'espace de trente ans ; comme les Décennales & les Vicennales sont l'espace de dix & de vingt ans : il se disoit des années du gouvernement des empereurs. Il se dit aussi des voeux, des actions de graces, & autres cérémonies qui se faisoient au bout de ce nombre d'années, pour remercier les dieux de l'heureuse administration de l'empereur, & leur en demander la continuation. On trouve sur les médailles decennales, decennalia & vicennalia tout au long, mais jamais tricennalia, ni tricennales. Il est toujours en chiffre, & il s'y trouve de différentes manieres. 1°. VOT. xxx. vota tricennalia, dans Constantin, dans Valerius Maximianus. 2°. VOT. xx. Mult. xxx. dans Licinius, dans Constantin ; dans Constans, dans Constantius, &c. 3°. VOT. xxx. Mult. xxxx. C'est-à-dire qu'on remercioit les dieux pour les vingt ou les trente premieres années de l'empire du prince, & qu'on prioit les dieux pour les dix suivantes, ce qui feroit ou trente ou quarante ans d'heureux gouvernement. C'étoit le langage de la flatterie. (D.J.)


TRICEPSen Anatomie, est un muscle de la cuisse, qui a trois portions ; c'est pourquoi on peut fort bien le distinguer en trois muscles, qui viennent tous trois de l'os pubis, & se terminent à la ligne osseuse du fémur, dont ils occupent la plus grande partie.

Le triceps supérieur vient de l'angle de l'os pubis, & se portant à la partie interne de la cuisse, va se terminer à la partie moyenne de la ligne osseuse du fémur.

Le triceps moyen vient de la branche de l'os pubis au-dessous du supérieur, & se termine à la ligne osseuse du fémur au-dessus de ce même muscle.

Le triceps inférieur, qui est le plus grand des trois, vient de la branche & de la tubérosité de l'ischion, & va se terminer tout le long de la ligne osseuse du fémur jusqu'à l'endroit où cette ligne se divise en deux pour aller à chaque condile, de là ce muscle fournit un tendon qui va s'attacher à la partie latérale interne du condile interne du fémur.

Le triceps de l'avant-bras, voyez ANCONé.

TRICEPS, (Mythol.) on donnoit à Mercure le surnom de Triceps, ou à trois têtes, parce qu'il se trouvoit également en fonctions, dans le ciel, sur la terre, & dans les enfers, & qu'il avoit trois différentes formes, suivant les trois différens endroits où il étoit employé. (D.J.)


TRICHIASEvoyez ci-après TRICHIASIS.


TRICHIASIS(Lexicog. Médic.) de , cheveux ou poil, est une maladie des yeux, consistant dans l'irritation des poils rentrans en-dedans, ou qui se forment en-dedans contre nature ; nous appellons en françois cette maladie trichiase.

Mais le mot grec désigne encore dans Galien une maladie, où l'on voit dans l'urine des malades des especes de poils accompagnés de mucosité, qui les couvre, & les font paroître ordinairement blancs. Quelques-uns appellent cette affection pilimiction, pissement de poils ; voici ce qu'en dit Tulpius, Observ. med. l. II. c. lij.

Peu de médecins ont eu l'occasion d'observer le trichiasis, ou l'évacuation de poils avec l'urine, & bien moins encore le retour périodique de ce desordre : pour moi j'en ai vu cependant un exemple mémorable dans le fils d'un homme de distinction, qui fut affligé pendant plus de quatre ans d'un trichiasis, lequel revenoit tous les quinze jours, avec difficulté d'uriner, & d'un si grand mal-aise par-tout le corps, qu'il avoit de la peine à demeurer dans le lit.

Chaque poil étoit quelquefois de la longueur d'un demi-doigt, & quelquefois aussi de la longueur d'un doigt entier : mais ils étoient si couverts & si enveloppés de mucosité, que rarement les voyoit-on à nud. Chaque paroxysme lui duroit environ quatre jours ; & quoique dans ce tems il rendît toujours son urine avec peine, il passoit les jours intermédiaires sans douleur, & sans rendre de poils avec les urines, jusqu'à-ce qu'il revînt un nouveau paroxysme. (D.J.)

TRICHIASIS, terme de Chirurgie ; maladie des paupieres, causée par des poils qui rentrent en-dedans. Ce mot vient de , piles, poil.

Ce dérangement des cils excite une douleur vive qui est suivie d'inflammation, d'un écoulement continuel des larmes, & souvent d'ulceres de l'oeil. Tous ces symptomes augmentent considérablement la cause dont ils dépendent ; & sont souvent cause de la perte de la vue.

La cure de cette maladie doit commencer par l'administration des remedes généraux, si l'on juge qu'il en soit besoin. On se sert d'une fomentation émolliente pour tâcher d'humecter & de ramollir les bords des paupieres, ce qui peut faire changer la disposition défectueuse des cils.

Si ces remedes sont inutiles, il faut, avec une petite pincette, arracher les uns après les autres les cils qui piquent l'oeil. Cet organe n'étant plus piqué, la fluxion s'appaisera plus tôt, & on aura le tems de rétablir le bord des paupieres avant que les cils aient repoussé. Voyez le traité des maladies des yeux, de Me Antoine Maître-Jan, chirurgien.

On a aussi donné le nom de trichiasis à une maladie de la vessie, dans laquelle on rend les urines épaisses & chargées de filamens semblables à des poils. Voyez le comment. de Gal. sur l'aph. 76. sect. iv. d'Hippoc. (Y)


TRICHIRAPALI(Géogr. anc.) ville des Indes, sur la rive droite du Caveri, entre Tanjaour au levant, & Mayssour au couchant. Elle est devenue capitale du royaume de Maduré, depuis que les rois des Mayssouriens y ont transporté leur cour. Elle contient plus de cent mille ames, & doit être regardée pour la plus grande forteresse qu'il y ait depuis le cap de Comorin jusqu'à Golconde. Ses murailles forment une double enceinte fortifiée chacune de tours quarrées, éloignées les unes des autres d'environ cent pas.

La garnison de cette forteresse est d'environ six mille hommes, & l'on fait toutes les nuits trois rondes dans la place. Longitude 94. 52. latitude 12. 16. (D.J.)


TRICHISMOSS. m. terme de Chirurgie ; épithete qu'on donne à une fracture des os plats, si fine qu'elle est presque imperceptible. On l'appelle aussi fente capillaire, rima capillaris.

Ce mot est grec, il vient de , capillaires, poil, cheveu.

Pour n'être point trompé sur cette espece de fracture, il faut passer de l'encre sur la dépression capillaire ; on rugine ensuite l'endroit ; si l'os est réellement fracturé, on voit une ligne noire produite par l'encre qui a pénétré la fracture. Cela est important dans les félures du crâne pour se déterminer à l'opération du trépan, ou pour s'en abstenir. Voyez TREPAN. (Y)


TRICHITESS. m. (Hist. nat. Litholog.) nom employé par quelques naturalistes, pour désigner le vitriol qui s'attache sous la forme de poils, de cheveux, autour de quelques terres ou pierres, qui contenoient des pyrites qui se sont détruites & vitriolisées.


TRICHOMANÉSS. m. (Hist. nat. Bot.) Tournefort distingue quatorze especes de ce genre de plante. Ses fleurs n'ont pas encore été découvertes ; mais ses graines naissent comme celles de la fougere sur le dos des feuilles, qui sont composées de lobes rondelets, & sont en quelque façon conjuguées. Dans le système de Linnaeus, le trichomanés ne forme point un genre distinct de plante, & n'est autre chose qu'une espece d'asplénium ; c'est-à-dire, que sur le bord de ses feuilles se trouve le calice simple, droit, turbiné, & le stile se termine à la capsule.

Quoiqu'il en soit, l'espece de trichomanés la plus commune, & que les botanistes nomment généralement de ce nom, est le polytric des boutiques, autrement dit le capillaire rouge, adiantum rubrum, dont on a parlé au mot POLYTRIC. (D.J.)


TRICHONIUM(Géogr. anc.) ville de l'Etolie. Pausanias, l. II. c. xxxvij. & Etienne le géographe en font mention ; le premier dit qu'Arriphon étoit originaire de cette ville ; sur quoi il remarque que cet Arriphon étoit un savant homme, fort estimé des Lyciens, parmi lesquels il vivoit ; critique judicieux qui découvroit bien des choses à quoi les autres n'avoient pas pensé. C'est lui, ajoute Pausanias, qui a remarqué le premier que tout ce qui concerne les mysteres de Lerna, vers, prose, ou mêlange de l'un & de l'autre, étoit écrit en langue dorique. Or avant l'arrivée des Héraclides dans le Péloponnèse, les Argiens parloient la même langue que les Athéniens, & du tems de Philammon, le nom de Dorien étoit encore inconnu à la plûpart des Grecs. Telle est la découverte dont on étoit redevable à Arriphon, & dont nous sommes peu touchés aujourd'hui.

Ortélius croit que le Trichonium de Pausanias & d'Etienne le géographe, est le Trichone de Pline, l. IV. c. iij. mais le P. Hardouin lit Thithrone pour Trichone, & soutient que ce peut être le Trichonium en question qui étoit dans l'Etolie, au lieu que le Trichone de Pline étoit dans la Locride. Il fonde sa correction sur Pausanias même, qui met dans la Locride une ville nommée Tithronium, & sur Hérodote, liv. VIII. n°. 33. qui nomme cette derniere ville Thetronium. (D.J.)


TRICHOSANTHESS. f. (Hist. nat. Bot.) nom donné par Linnaeus au genre de plante que le P. Plumier, Micheli, & autres botanistes appellent anguina ; en voici les caracteres. Il produit des fleurs mâles & femelles sur des parties distinctes de la même plante. Dans les fleurs mâles, le calice est formé d'une seule feuille très-longue, lisse sur la surface, avec une petite levre repliée en-arriere, & découpée en cinq parties. La fleur est aussi divisée en cinq segmens, du reste attachée au calice & déployée ; les segmens sont de forme ovale, terminés en pointe & frangés dans les bords en un grand nombre de fils chevelus. Les étamines sont trois filamens qui s'étendent au sommet du calice ; chaque bossette est un corps cylindrique, droit, contenant une grande quantité de farine ; on distingue dans cette fleur trois stiles fort petits, & qui naissent aux côtés du calice, mais ils ne produisent jamais rien. Le calice de la fleur femelle est le même que dans la fleur mâle, excepté que dans la fleur femelle il est placé sur le germe du pistil, & qu'il meurt promtement ; cette fleur est toute semblable à la mâle ; le pistil a un germe délié, & un stile capillaire, naissant du pistil, & ayant la longueur du calice ; les stigma sont au nombre de trois, longs, pointus, & entr'ouverts au milieu. Le fruit est une très-longue pomme, contenant trois loges fort éloignées les unes des autres. Les graines sont nombreuses, applaties, de figure ovale obtuse, & couvertes d'une pellicule. Linnaei, gen. plant. p. 466. Micheli, nov. gen. p. 9. Plumier, nar. p. 100. hort. malab. vol. 8. p. 157. (D.J.)


TRICHOSTEMAS. m. (Hist. nat. Bot.) genre de plante qu'on caractérise ainsi. Le calice est d'une seule feuille bilabiée ; la levre supérieure se divise en trois segmens, & est deux fois aussi large que la levre inférieure, laquelle est seulement découpée en deux parties. La fleur est monopétale, & du genre des labiées ; son tuyau est fort court ; sa levre supérieure est applatie, & faite en faulx ; la levre inférieure est découpée en trois segmens, dont l'intermédiaire est le plus petit. Les étamines sont quatre filets capillaires, longs & crochus ; les bossettes sont simples ; le genre du pistil est divisé en quatre parties ; le stile est fort délié, & a la longueur des étamines ; le stigma est fendu en deux. Le calice subsiste après que la fleur est tombée, & devient alors beaucoup plus gros ; sa levre supérieure tombe sous l'inférieure, il s'étend dans le milieu, se referme à l'extrêmité, & contient quatre semences. Linnaei, gen. plant. p. 265. (D.J.)


TRICHRUSS. m. (Hist. nat. Lithol.) pierre que Pline dit s'être trouvée en Afrique, qui rendoit des sucs de trois couleurs différentes. Il étoit noir à la base, de couleur de sang au milieu, & blanc par le haut.


TRICLARIA(Mythol.) surnom de Diane, pris de ce que la déesse étoit honorée par trois villes de l'Achaïe ; savoir, Aroé, Anthie & Messatis, lesquelles possédoient en commun un certain canton avec un temple consacré à Diane. Là les habitans de ces trois villes célébroient tous les ans une fête en l'honneur de cette déesse, & la nuit qui précédoit cette fête se passoit en dévotion.

La prêtresse de Diane étoit toujours une vierge obligée de garder la chasteté jusqu'à-ce qu'elle se mariât, & pour lors le sacerdoce passoit à une autre. Ce mot Triclaria est formé de , trois, & , héritage. (D.J.)


TRICLINIUMS. m. (Antiq. rom.) lieu où mangeoient les Romains ; on lui donnoit ce nom à cause des trois lits qui y étoient dressés : l'architriclinarche de S. Jean, ch. ij. & le triclinarche de Pétrone, sont dérivés de ce mot. On les traduit assez mal en françois par maîtres-d'hôtel, quoiqu'en partie la fonction de ces officiers fût de préparer le couvert dans le triclinium, d'accommoder les lits autour de la table, & de dresser le buffet. On donnoit aussi le nom de triclinium aux lits sur lesquels mangeoient les Romains, parce que chaque lit étoit pour trois personnes. Lorsqu'on mettoit plus de trois lits autour de chaque table, ou que ces lits contenoient plus de trois personnes, c'étoit un extraordinaire. Tel fut le cas du festin de Lucius Verus, où il y avoit onze convives sur trois lits ; telle étoit encore la cène que Jesus-Christ fit avec ses apôtres : dans le repas que Perpenna donna à Sertorius, & où ce grand capitaine fut assassiné, les trois triclinium étoient, selon Séneque, disposés de maniere que le nord-est répondoit au triclinium d'Antoine, & le nord-ouest à celui de Perpenna. (D.J.)


TRICOISESS. f. pl. (Maréchal.) les tricoises sont des tenailles à l'usage des Maréchaux ; elles ont le mors tranchant, pour couper les clous qu'il a brochés avant que de les river, & pour déferrer un cheval. (D.J.)


TRICOLLORI(Géog. anc.) peuple de la Gaule narbonnoise. Pline, l. III. ch. iv. éloigne ce peuple de la côte de la mer ; leur pays est aujourd'hui, selon le pere Hardouin, le diocèse de Sistéron, & la capitale étoit Alarante, dont la table de Peutinger fait mention, & qu'on nomme présentement Talard, lieu du Dauphiné, sur la route de Sistéron à Gap ; c'est du-moins le sentiment de Bouche dans son histoire de Provence, liv. III. ch. xvij. (D.J.)


TRICOLONI(Géog. anc.) ville de l'Arcadie. Pausanias, l. VIII. c. xxxv. dit qu'elle étoit à dix stades des ruines de Charisium ; mais il ajoute que cette ville ne subsistoit plus de son tems, & qu'il ne s'étoit conservé qu'un temple de Neptune sur une colline, avec un bois sacré qui environnoit ce temple. (D.J.)


TRICOLORS. m. (Hist. nat. Bot.) nom abrégé, donné par les Fleuristes à une espece d'amaranthe, dont les feuilles sont comme enluminées de trois couleurs, amaranthus folio variegato, de Tournefort. Elle pousse une seule tige rougeâtre, à la hauteur d'environ deux piés ; ses feuilles sont faites comme celles de la blete, mais elles sont colorées & comme enluminées naturellement de verd, de jaune, & d'incarnat ; ses fleurs sont petites, verdâtres, & par paquets ; du milieu de ces fleurs s'éleve un pistil, qui devient ensuite un fruit membraneux, s'ouvrant en-travers comme une boîte à savonnette, & renfermant une ou deux semences presque rondes : on cultive cette plante dans les jardins à cause de sa grande beauté.

Le mot tricolor se donne aussi par les Fleuristes à quelques oeillets. (D.J.)


TRICOMIA(Géog. mod.) ville de l'Arabie heureuse : il en est parlé dans la notice des dignités de l'empire, sect. 22. où on lit : equites promoti Illyricani Tricomiae : un manuscrit consulté par Ortelius portoit Trigonia pour Triconia. (D.J.)


TRICONS. m. (Jeux) au brelan, à l'ambigu, au hoc, & autres jeux de cartes, ce sont trois cartes de même figure, comme trois rois, trois dix, &c. Le tricon en main l'emporte sur le tricon de retourne, qui consiste à avoir en main deux cartes de même figure, lorsqu'il y en a une semblable retournée sur le talon.


TRICONESII(Géog. anc.) peuples de la haute Moësie. Ptolémée, liv. III. ch. 9. les place aux confins de la Dalmatie ; le nom moderne de leur pays est Topliza, selon Castald. (D.J.)


TRICORNIUM(Géog. anc.) ville de la haute Moësie ; Ptolémée la marque près du Danube : c'est aujourd'hui Glumbatz, selon Niger ; & Coruscène, selon Lazius. Cette ville Tricornium est, à ce que croit Simler, la ville Turium ou Dorium d'Antonin. (D.J.)


TRICORYPHOS(Géog. anc.) montagne de l'Arabie heureuse, selon Pline, liv. VI. ch. xxviij. Le nom de cette montagne lui avoit été donné à cause de ses trois sommets, sur chacun desquels il y avoit un temple d'une hauteur prodigieuse, à ce que nous apprend Diodore de Sicile, liv. III. p. 178. (D.J.)


TRICORYTUS(Géogr. anc.) bourg de l'Attique, sous la tribu Aeantide ; il étoit proche de Marathon, sur le bord du marais des champs marathoniens, où périt une partie de l'armée des Perses, dans cette bataille qui préserva les Grecs de l'esclavage des Barbares. Il n'y a plus dans cet endroit qu'un méchant hameau, appellé Calyvi-siosoully : cependant il a été un tems qu'on comptoit ce lieu pour une des quatre villes de l'Attique, qui donnoit le nom de Tétrapole à ce quartier, & ces quatre villes étoient Oenoé, Tricorythus, Probalinthus, & Marathon.

On voit à Athènes, au rapport de Spon, proche l'église d'Agria-Kyra, cette inscription :

" A l'honneur de la déesse Vesta & des dieux Augustes, du conseil de l'Aréopage, & du conseil des six-cens, & du peuple ; Philoxenus, fils d'Agathoclès de Phlya, a consacré ce monument à ses propres dépens. Agathoclès, fils de Philoxenus, ayant eu le soin de le faire, dans le tems que Tiberius Claudius Poeanien étoit gouverneur de la milice, & pourvoyeur de la ville.... Tricorythus "... (D.J.)


TRICOTS. m. (Bonneterie) on appelle ouvrages au tricot, bonneterie au tricot, toutes les especes de marchandises qui se fabriquent ou se brochent avec des aiguilles, comme bas, bonnets, camisoles, gants, chaussons, &c. (D.J.)


TRICOTAGES. m. (Bonneterie) travail de celui qui tricote ou qui broche à l'aiguille des bas, des bonnets, & autres marchandises de cette nature, dépendantes du négoce des Bonnetiers ; le tricotage est plus ou moins bon dans un lieu que dans un autre, suivant que les ouvriers sont bien ou mal stilés & conduits, ou que les matieres sont bonnes ou mauvaises, ou qu'elles sont plus ou moins bien filées. (D.J.)


TRICOTERv. act. (Bonneterie) action par laquelle on travaille à former avec de longues & menues aiguilles, ou broches de fer ou de laiton poli, certains tissus de soie, de laine, de coton, de chanvre, de lin, ou de poil, en maniere de petits noeuds, boucles ou mailles, tels qu'on les voit aux bas, bonnets, camisoles, & autres pareilles marchandises de bonneterie. On dit aussi dans le même sens, brocher des bas, des camisoles, des bonnets, &c. pour dire les tricoter, ou les travailler à l'aiguille ; ce mot se dit aussi des dentelles de soie ou de fil, qui se manufacturent avec des épingles & des fuseaux sur un oreiller, suivant le dessein en papier ou en vélin qui y est appliqué ; ainsi l'on dit tricoter une dentelle, pour dire la travailler avec des épingles & des fuseaux sur l'oreiller. Savary. (D.J.)

TRICOTER, en terme de Manege, se dit d'un cheval qui remue vîte les jambes en marchant, & qui n'avance pas.


TRICRANA(Géog. anc.) île de l'Argie. Pausanias, l. II. c. xxxiv. dit : " Quand on a passé le cap Bucéphale, les îles Haliouse, Pithyouse & Aristère, on trouve un autre promontoire qui joint le continent, & que l'on n'appelle point autrement qu'Acra ; bien-tôt après vous voyez l'île de Tricrane, & ensuite une montagne du Péloponnèse, qui donne sur la mer, & qui a nom Buporthmos ". (D.J.)


TRICRENE(Géog. anc.) Tricrena, lieu de l'Arcadie. A la gauche du mont Géronte, dit Pausanias, liv. VIII. ch. xvj. les Phénéates sont bornés par un lieu qu'on nomme Tricrene, à cause des trois fontaines qui y sont, & où l'on dit que les nymphes laverent Mercure lorsqu'il vint au monde ; c'est pour cela que ce lieu étoit consacré à Mercure. (D.J.)


TRICTRACS. m. (Jeu) jeu qui se joue avec deux dés, suivant le jet desquels chaque joueur ayant quinze dames, les dispose artistement sur des points marqués dans le tablier, & selon les rencontres gagne ou perd plusieurs points, dont douze font gagner une partie ou un trou, & les douze parties ou trous le tout ou le jeu.

Il faut pour jouer au trictrac avoir quinze dames de chaque côté noires ou blanches, deux dés, trois jettons & deux fiches qui sont, comme nous l'avons dit à leur article, les marques qu'on met dans chaque trou pour compter les parties qu'on gagne.

On ne joue ordinairement que deux au trictrac, & avec deux dés ; ce sont les joueurs eux-mêmes qui les mettent chacun dans leur cornet.

On commence ce jeu en faisant deux ou trois piles de dames qu'on pose sur la premiere fleche du trictrac. Il ne faut jamais que ce soit à contre-jour pour la plus grande commodité des joueurs, à moins qu'on ne joue à la chandelle ; alors il n'y a point de regles à garder là-dessus, & il est indifférent de quel côté l'on place les piles des dames. A l'égard des dames, les blanches sont les dames d'honneur ; c'est pourquoi par honnêteté on les présente toujours aux personnes qu'on considere ; l'honnêteté exige aussi qu'on donne le choix des cornets, & qu'on présente les dés pour voir à qui l'aura, ou bien qu'on lui donne les deux dés pour tirer coup & dés, auquel cas celui qui a de son côté le dé qui marque le plus haut point, gagne la primauté. On peut s'associer, si l'on veut, au trictrac pour jouer tour-à-tour, ou si l'on se sent foible, il est permis de prendre un conseil du consentement de celui avec lequel on joue, sans cela personne ne peut conseiller en aucune façon.

Pour jouer avec ordre, on observera que si l'on amene d'abord ambezas, de jouer deux dames de la pile, & de les accoupler sur l'as, qui est la fleche qui joint celle sur laquelle sont ces dames empilées. On peut jouer tout d'une en mettant une dame seule sur la seconde fleche. C'est la même chose à l'égard de tous les autres nombres qu'on peut abattre, ou jouer tout d'une si l'on veut, excepté cependant six & cinq qu'on doit absolument abattre quand on l'amene le premier coup, parce que les regles ne permettent point de mettre une dame seule dans le coin de repos. Il est de la prudence du joueur d'accoupler deux dames ensemble, & on commence ainsi à caser dans la table où les dames sont en pile, qui est pour l'ordinaire la premiere. On passe ensuite dans celle du coin de repos, quelquefois même dans celle de sa partie quand le progrès du jeu y conduit. Un joueur ne doit jamais compter pour jouer les nombres qu'il ramene la fleche d'où il part, soit qu'il abatte du bois, ou qu'il joue en commençant ou dans le cours du jeu. On n'a pas plutôt jetté le dé, qu'on doit voir le gain ou la perte qu'on fait, avant que de toucher son bois ; car en fait du jeu, bois touché suppose être joué, si ce n'est néanmoins quand les dames touchées ne peuvent absolument point être jouées : ce qui arrive lorsque quelqu'une donne dans un coin qui n'est point encore pris, ou qu'une autre ne sauroit entrer ni sortir seule, ou bien qu'elle donne dans le grand jan de celui contre qui vous jouez, avant qu'il soit rompu.

Ces coups arrivent quelquefois imprudemment lorsque ne devant pas jouer ses dames, mais seulement regarder la couleur de la fleche pour compter plus aisément ce qu'on gagne, on vient à les toucher ; mais on évite cet inconvénient, lorsque l'on dit, avant d'y porter la main, j'adoube, & cela suffit pour marquer que vous n'avez pas dessein de toucher votre bois. Il faut toujours marquer les points qu'on gagne, avant que de toucher son bois, autrement votre adversaire sera en droit de vous envoyer à l'école. Selon les regles du trictrac, quand on a gagné deux points, on doit les marquer au bout & devant la fleche de l'as ; quatre points devant la fleche du trois, ou plutôt entre celle du trois & celle du quatre ; six points devant celle du cinq, ou contre la bande de séparation devant la fleche du six, on marquera dix points devant la fleche du neuf ou du dix. Pour ce qui est des douze points qui sont le trou ou partie double ou simple, ils se marquent avec une fiche sur les bords du trictrac du côté où les dames sont entas. Celui qui d'un coup gagne plusieurs points, est en droit de marquer quatre, puis huit ou dix points, & enfin la partie, pourvu qu'il les marque avant que de porter la main sur son bois, ou qu'en l'y portant, il dise, j'adoube. Celui qui jette les dés, est toujours en droit de marquer les points qu'il gagne avant que son adversaire puisse marquer ce qu'il perd. Le joueur qui marque le trou ou la partie, efface tous les points de son adversaire.

Il faut remarquer au trictrac que lorsqu'on s'est emparé de son coin, & que l'adversaire n'a pas le sien, chaque coup de dé vaut quatre ou six points, si on bat son coin de deux dames, c'est-à-dire six par doublet, & quatre par simple ; supposé donc que le jeu soit disposé comme dans l'exemple suivant, & qu'on ait les dames noires, si on amenoit six & cinq, on battroit le coin de son homme par un moyen simple qui vaudroit quatre points, on le battroit du six en comptant depuis la sixieme fleche, & du cinq, en comptant depuis la septieme. On doit remarquer qu'outre cela on gagneroit encore quatre points sur la dame qu'on a découverte dans la huitieme case, parce qu'on battroit cet adversaire par deux moyens, & que dans la seconde table qui est celle du grand jan, chaque moyen simple vaut deux points. Le premier moyen par lequel on le battroit, seroit du cinq, en comptant depuis la dixieme case, & le second en assemblant les six & cinq qui font onze, & comptant depuis la quatrieme case, ce qui produit quatre points sur la dame que celui contre qui vous jouez, a découverte en sa cinquieme case, en comptant depuis votre septieme, parce que vous la battriez par un moyen simple valant quatre points dans la premiere table, de maniere que six & cinq vous vaudroient douze points qui feroient partie bredouille qu'on marqueroit d'abord ; cela fait, il vous couvriroit aisément vos deux demi-cases, prenant le cinq sur la cinquieme pour couvrir la sixieme, & le six sur la premiere pour couvrir la septieme, ce qui produiroit beau jeu pour faire votre grand jan, vous restant sonnet, six & cinq, & six & quatre qui vous resteroient à remplir.

Ce cinq & six vous donneroient deux trous qu'il faudroit marquer avant que de caser, & votre adversaire marqueroit quatre points pour sa dame découverte en sa premiere case que vous battez par passages fermés, parce que ces cases six & sept sont remplies ; si un joueur au contraire amenoit quine, on ne pourroit pas battre son coin, parce que pour battre d'un quine, la regle veut qu'on compte depuis la septieme case couverte d'une seule dame, & comme le coin est différent des autres dames, & qu'on ne peut battre du cinq & du quine qui font dix, ce joueur ne gagneroit rien pour le coin.

Au contraire son adversaire profiteroit de huit points sur la dame découverte que le premier auroit en sa huitieme case, parce que l'autre le battroit par doublet & par deux moyens, & que chaque moyen est compté pour quatre points dans la seconde table quand c'est par doublet. Le premier moyen par lequel il faudroit battre cette dame, seroit du cinq, à commencer depuis la sixieme case, & le second du quine les deux nombres ajoutés, à compter depuis la cinquieme case.

Quant à la dame de celui contre qui on joue, qui est découverte dans sa cinquieme case, on pourroit de-là la battre en comptant depuis votre huitieme ; mais cette dame vous seroit nuisible, d'autant plus que le passage de quine qui est sur la dixieme case, étant fermé par deux dames qui y sont accouplées, cela vaudroit six points à l'adverse partie, à cause que cette dame est dans sa premiere table, où l'on compte six points pour chaque moyen doublet.

S'il arrivoit que sur ce même jeu on amenât sonnet, il faudroit battre d'abord le coin ayant deux dames en votre sixieme case, parce qu'on a le passage ouvert dans son second coin ; battez encore la dame qu'on voit découverte en sa huitieme case, à compter de votre troisieme, & ce coup doit vous valoir six du coin, six de la dame placée en la cinquieme case, & quatre sur celle de la huitieme, qui font seize points & partie, & quatre sus, parce que vous battez par doublet. Celui contre qui l'on joue, gagneroit six points de ce coup, parce que l'on battroit contre soi la dame qu'il a découverte en sa cinquieme case, à compter de votre dixieme, le passage de la septieme étant fermé. La différence qu'il y a des coups simples aux doublets, c'est qu'aux derniers il n'y a jamais qu'un passage, qui se trouvant fermé par une case, produit un jan qui ne peut ; au lieu qu'aux autres, comme les deux nombres sont différens, il y a aussi deux passages, de maniere que lorsque l'un se trouve fermé, c'est assez pour gagner, que l'autre soit ouvert. Supposé, par exemple, que vous ayez les deux dames noires, & que vous ameniez six & as, ce seroit pour vous quatre points que vous prendriez sur la dame découverte de votre homme en sa cinquieme case, parce que vous la battriez, à compter depuis votre coin. Vous remarquerez cependant que le passage du six est fermé, puisque la sixieme case est remplie ; mais cela ne fait rien contre vous, parce que vous comptez par as dont le passage est ouvert dans le coin de celui contre qui vous jouez, & qu'en même tems vous battez sa dame. Il faut alors avec votre cornet ou avec la main montrer le passage qui vous est ouvert, & dire, as & six me valent quatre points.

Il faut savoir que les nombres pairs tombent toujours sur la même couleur d'où ils partent ; il arrive tout le contraire aux nombres impairs. Cette regle est générale.

TRICTRAC, se dit encore du tablier sur lequel on joue le jeu. Ce tablier est de bois ou d'ébene, & a d'assez grands rebords pour arrêter les dés qu'on jette, & retenir les dames qu'on y arrange.

TRICTRAC A ECRIRE, ce qu'on appelle trictrac à écrire, ne change rien à la maniere de jouer le trictrac, non plus que le piquet à écrire au jeu de piquet.

Pour jouer ce jeu, il faut avoir deux cartes & un crayon ; au haut de chaque carte on met le nom d'un joueur, & chacun marque sur sa carte les points qu'il gagne, avec le crayon, au lieu de les marquer avec des fiches ou des jettons.

Il faut seulement remarquer qu'au trictrac à écrire, on ne sauroit gagner ni perdre de points, que l'un des joueurs n'ait six cases ; au reste ce jeu est entierement conforme à l'autre trictrac.

TRICTRAC des anciens, (Littérat.) espece de jeu appellé par les Grecs, & duodena scripta par les Latins. La table sur laquelle on jouoit, étoit quarrée. Elle étoit partagée par douze lignes sur lesquelles on arrangeoit les jettons comme on le jugeoit à-propos, en se réglant néanmoins sur les points des dés qu'on avoit amenés. Ces jettons ou dames nommés calculs étoient chez les Romains au nombre de quinze de chaque côté, de deux couleurs différentes.

Discolor ancipiti sub jactu calculus astat,

Decertantque simul candidus atque niger :

Ut quamvis parili scriptorum tramite currant ;

Is capiet palmam quem sua fata vocant.

Ainsi la fortune & le savoir dominoient également dans ce jeu ; & un joueur habile pouvoit réparer par sa capacité les mauvais coups qu'il avoit amenés, suivant ce passage de Terence : ita vita est hominum quasi cùm ludas tesseris, si illud quod maximè opus est jactu, non cadit ; illud quod accidit, id arte ut corrigas. On pouvoit par cette même raison se laisser gagner par complaisance, en jouant mal les jettons. C'est le conseil qu'Ovide donne à un amant qui joue avec sa maîtresse.

Seu ludet numerosque manu jactabit eburnos ;

Tu malè jactato, tu malè jacta dato.

Lorsqu'on avoit avancé quelque jetton, ce qu'on appelloit dare calculum, & qu'on s'appercevoit avoir mal joué, on pouvoit avec la permission de son adversaire, recommencer le coup, ce qu'on appelloit reducere calculum.

Les douze lignes étoient coupées par une ligne transversale appellée linea sacra, qu'on ne passoit point sans y être forcé ; d'où étoit venu le proverbe , je passerai la ligne sacrée ; c'est-à-dire, je passerai par-dessus tout. Lorsque les jettons étoient parvenus à la derniere ligne, on disoit qu'ils étoient ad incitas. On se servoit de cette métaphore, pour dire que des personnes étoient poussées à bout ; témoin ce passage de Plaute,

Sy. Profecto ad incitas lenonem rediget, si eas abduxerit ;

Mi. Quin priùs disperibit saxa, quàm unam calcem civerit.

Le des Grecs n'avoit que dix lignes & douze jettons.

On ignore les autres regles de ce jeu que l'on ne doit point confondre, comme ont fait la plûpart des commentateurs, avec les jeux des dames, des merelles ou des échecs qui ne dépendent point du sort des dés. Celui-ci n'a proprement rapport qu'à notre trictrac, auquel il est aisé d'en faire l'application. (D.J.)

TRICTRAC, s. m. (Tableterie) c'est une sorte de tiroir brisé qui se ferme à la clé ; le dessus ferme un damier, & le dedans ce qu'on appelle trictrac, dans lequel le tabletier a peint diverses fiches, pour servir au jeu nommé trictrac. (D.J.)

TRICTRAC, terme de Vénérie, espece de chasse qui se fait par plusieurs personnes assemblées, avec grand bruit pour effaroucher le gibier, & le faire passer devant des chasseurs qui le tirent. (D.J.)


TRICTYESS. m. pl. (Antiq. grecq.) fêtes consacrées à Mars surnommé Enyalius, dans lesquelles on lui immoloit trois animaux, comme dans les suovetaurilia des Romains. (D.J.)


TRICUSPIDEou TRIGLOCHINES, en Anatomie, est le nom que l'on donne aux trois valvules, situées à l'orifice auriculaire du ventricule du coeur & s'avancent dans la cavité de ce même ventricule. Voyez VALVULE & VENTRICULE.

Elles s'ouvrent de dehors en-dedans ; de sorte qu'elles laissent passer le sang des oreillettes dans les ventricules du coeur, mais l'empêchent de refluer dans ces mêmes oreillettes. Voyez COEUR, OREILLETTES, &c.

Elles sont ainsi appellées, à cause de leur figure triangulaire ; & c'est pour cela que les Grecs les nomment .


TRIDEadj. terme de Manége, ce mot se dit d'un pas, d'un galop, & autres mouvemens d'un cheval, qui est un mouvement court & promt. On dit d'un cheval qu'il a la carriere tride, pour dire fort promte ; c'est en ce point qu'excellent les chevaux anglois. (D.J.)


TRIDENTS. m. (Géom.) est une courbe qu'on appelle autrement parabole de Descartes ; son équation est x y = a x 3 + b x 2 + c x + e. On la nomme trident, parce qu'elle en a à-peu-près la figure, elle forme une des quatre divisions générales des lignes du troisieme ordre, suivant M. de Newton. Voyez COURBE ; voyez aussi l'enumeratio linearum tertii ordinis de Newton, & l'analyse des lignes courbes de M. Cramer. (O)

TRIDENT, (Belles Lett.) symbole ou attribut de Neptune. C'est une espece de sceptre, que les Peintres & les Poëtes ont mis entre les mains de ce dieu, & qui a la forme d'une lance ou d'une fourche à trois pointes ou dents, ce qui lui a donné nom : c'étoit peut-être une espece de sceptre que portoient les rois dans les tems héroïques, ou un harpon dont on faisoit usage en mer pour piquer les gros poissons. Les mythologues racontent, que les cyclopes avoient forgé le trident, & qu'ils en firent présent à Neptune dans la guerre contre les Titans ; que Mercure le déroba un jour à Neptune ; c'est-à-dire qu'il devint habile dans la navigation ; & enfin que Neptune ouvroit la terre chaque fois qu'il la frappoit de son trident ; ce qui fait dire à Homere dans la description du combat des dieux. Iliade, liv. XX.

L'enfer s'émeut au bruit de Neptune en furie.

Pluton sort de son trône, il pâlit & s'écrie ;

Il a peur que ce dieu dans cet affreux séjour

D'un coup de son trident ne fasse entrer le jour,

Et par le centre ouvert de la terre ébranlée,

Ne fasse voir du Styx la rive désolée ;

Ne découvre aux vivans cet empire odieux

Abhorré des mortels & craint même des dieux.

Despr. traité du sublime.

TRIDENT, terme de Pêche, voyez FOUANNE ; on appelle ainsi des especes de fourchettes dont les dents sont ébarbelées, & avec lesquelles les pêcheurs prennent des poissons en piquant dans l'eau au hasard. Quoique ces instrumens ayent quelquefois jusqu'à quatorze dents, on ne laisse pas de les appeller improprement trident. Voyez FOUANNE & la fig. 2. Pl. IV. de Pêche.


TRIDENTULE(Hist. nat.) nom donné par quelques naturalistes à des glossopêtres ou dents de poissons pétrifiées, à cause de leur forme triangulaire.


TRIEL(Géog. mod.) lieu de l'île de France, au Vexin françois, diocèse de Rouen, élection de Paris. Ce lieu qui contient environ mille habitans dans son étendue, est situé sur la Seine, à une lieue de Poissy, à 2 de Meulan, à 3 de Pontoise. C'est le siége d'une prevôté royale ; la taille y est personnelle ; la cure vaut 4000 liv. & il y a une communauté de filles Ursulines. Son église paroissiale est décorée d'un tableau du Poussin, qui est fort estimé ; il représente l'adoration des mages à Bethléem. Sa hauteur est de 18 piés, sa largeur de 12, & les figures y sont de grandeur naturelle. Ce beau tableau avoit été donné par le pape à Christine, reine de Suede, pendant son séjour à Rome. Il fut envoyé à l'église de Triel, par le sieur Poiltenet, natif du lieu, & valet-de-chambre de la reine Christine. (D.J.)


TRIENNALadj. (Hist. mod.) épithete que l'on applique le plus ordinairement aux officiers alternatifs de trois en trois ans, ou aux charges & emplois que l'on quitte tous les trois ans.

C'est ainsi que l'on dit un gouvernement triennal, & il a lieu dans certaines charges politiques, & dans la plûpart des monasteres où les religieux élisent leurs supérieurs. Ceux-ci sont ordinairement triennaux, c'est-à-dire, que leur autorité leur est confiée pendant trois ans, après lesquels on la leur continue, ou on la leur ôte en procédant à une nouvelle élection.

En 1695, on fit en Angleterre un acte pour tenir des parlemens triennaux, c'est-à-dire, des parlemens qui devoient être dissous, & dont les membres devoient être élus de nouveau tous les trois ans.

Jusque-là le roi d'Angleterre avoit eu le pouvoir de proroger, ou de continuer son parlement tant qu'il le jugeoit à propos. Mais comme cet usage étoit une porte ouverte à la corruption & à mille autres abus qui tendoient à faire prédominer les intérêts de la cour sur ceux de la nation & de la liberté publique ; l'esprit du bill triennal fut d'y apporter remede.

Cependant d'autres vues ont fait abolir depuis ce bill triennal ; les brigues qui se font ordinairement aux élections, la fermentation considérable qui dans ces occasions a coutume de régner parmi le peuple, la dépense excessive, & d'autres considérations, déterminerent en 1717 la puissance législative à changer ces parlemens triennaux en d'autres qui doivent durer sept ans ; terme suffisant à la cour pour s'acquérir les membres qui pourroient être opposés. Voyez PARLEMENT.


TRIENSS. m. terme d'Antiquaire ; ce mot signifie, 1°. une monnoie de bronze qui étoit la troisieme partie de l'as ; il étoit marqué d'un côté d'une tête de Janus, & de l'autre d'un radeau. Voyez sur cette monnoie Gronovius, de pecun. veter. lib. IV. c. ij. Pline, lib. XXXIII. c. iij. & l. XXXIV. c. xiij. rapporte que la famille Servilia avoit un triens qu'elle conservoit comme quelque chose de sacré ; mais je ne pense pas que tous ceux de cette famille en fissent le même cas. 2°. Le triens étoit une tasse à boire, dont on se servoit ordinairement, & qui contenoit la quatrieme partie du septier ; presque tous les poëtes en parlent, témoin Properce, Eleg. III. viij. Perse, Sat. III. c. Martial, Epig. CVII. v. viij. (D.J.)


TRIENTALISS. f. (Hist. nat. Botan.) genre de plante ainsi caractérisée par Linnaeus : le calice subsiste, & est composé de six feuilles étroites, pointues, & déployées. La fleur est du genre des radiées, & est formée de sept pétales, applatis, joints légerement ensemble au sommet, & un peu plus longs que les feuilles du calice. Les étamines sont sept filets chevelus de la longueur du calice, mais plantés dans la fleur ; les bossettes sont simples ; le germe du pistil est rond ; le stile est capillaire, & a la même longueur que les étamines ; le stigma est gros sur le haut ; le fruit est une baie seche, globulaire, couverte d'une peau fort mince, & contenant une seule loge ; les graines sont peu nombreuses, & de forme angulaire ; cependant leur receptacle seroit assez grand pour en contenir beaucoup ; enfin, le nombre des feuilles du calice, qui est communément de six, varie quelquefois. Linnaei, gen. plant. p. 187. (D.J.)


TRIENTIUS-AGER(Géog. anc.) terre d'Italie, à cinquante milles de Rome. Tite-Live, liv. XXXI. c. xiij. dit qu'on lui donna ce nom, à cause qu'elle fut partagée à divers particuliers en payement de la troisieme partie de l'argent qu'ils avoient avancé à la république pour les frais de la guerre de Carthage. (D.J.)


TRIERv. act. (Gram. & Commerce) mettre à part, faire choix de ce qu'il y a de meilleur dans plusieurs choses d'une même espece.

M. Savari pense que dans le Commerce en général, on a fait ce mot trier, du terme trayer, qui est propre aux monnoies, où l'on dit trayer le fort du foible, c'est-à-dire, choisir les especes qui ont plus de trait, qui sont plus trébuchantes. Voyez TREBUCHANT & TRAYER. Dictionnaire de Commerce.

TRIER ou DELISSER LE CHIFFON, terme de Papeterie, qui signifie l'action par laquelle on sépare le chiffon en différentes classes, selon la beauté & la finesse de la toile. Ce sont ordinairement des femmes qu'on emploie à cet ouvrage, & que l'on appelle pour cette raison trieuses. Pour cet effet, elles ont devant elles des tas de chiffons & une grande caisse de bois, divisée en plusieurs cases, dans lesquelles elles jettent le chiffon suivant le degré de finesse. Elles ont devant elles une machine de bois, faite comme le boisseau des Boutonniers, & lorsqu'il se rencontre des chiffons crottés, elles les grattent avec un couteau fait exprès avant que de les jetter dans les cases de la caisse ; on en fait ordinairement quatre classes séparées, qu'on appelle grobin fin, grobin second, grobin troisiéme ; pour le reste, ce sont des chiffons que la saleté empêche de reconnoître jusqu'à-ce qu'ils ayent été lavés. Voyez les Pl. de Papeterie.

TRIER, en terme de Raffineur ; c'est l'action de séparer en plusieurs tas ou monceaux, les différentes especes de matieres, selon les différentes qualités qui se trouvent dans un même barril. Pour faire ce triage, c'est ordinairement sur la couleur qu'on se regle ; cependant il y a des cas où l'on a plus besoin d'expérience que d'yeux. C'est quand le grain est assez fin pour faire juger de sa bonté indépendamment de sa couleur. Cette variété de couleur & de qualité vient des différentes couches du barril, pendant lesquelles le syrop a filtré à-travers la matiere, & taché la plus proche des parois du barril en y séjournant.

TRIER, en terme de Vergettier, c'est mettre ensemble les soies, ou les plumes de même grosseur.


TRIÉRARQUES. m. (Antiq. d'Athènes) ; ce mot triérarque, signifie par lui-même commandant de galere ; mais l'usage lui donna dans Athènes une autre signification. On entendit par ce mot, les citoyens aisés qui étoient obligés comme tels, & à proportion de leurs richesses, d'équiper à leurs dépens un certain nombre de vaisseaux. Quelle belle police pour l'emploi des richesses au bien public ! Dès qu'un bourgeois avoit dix-huit mille livres de bien, il étoit triérarque, & armoit un vaisseau ; il en armoit deux, s'il avoit deux fois la valeur de ce bien ; mais il n'étoit pas obligé d'en armer au-delà de trois. Quand il ne se trouvoit pas assez de bourgeois qui pussent financer en particulier autant de dix-huit mille livres qu'il falloit de vaisseaux, on associoit plusieurs citoyens, pour faire ensemble ce qu'un seul auroit fait ; mais personne ne pouvoit se plaindre. Le bourgeois qui vouloit se faire décharger de cette dépense, n'avoit qu'à justifier qu'un autre étoit plus riche que lui ; le plus riche étoit mis à la place du dénonciateur.

On peut juger aisément de ce détail, que le nombre des triérarques dut varier selon les besoins de l'état, & la nécessité des conjonctures. D'ailleurs, il se faisoit des vicissitudes continuelles dans les fortunes des familles, qui changeoient nécessairement la triérarchie, & la bouleversoient. Par toutes ces raisons, on fixa finalement le nombre des triérarques à douze cent hommes ; & voici de quelle maniere on s'y prit. Athènes étoit composée de dix tribus : on nomma donc pour fournir à la dépense des armemens, six vingt citoyens des plus riches de chaque tribu ; de cette maniere chacune des dix tribus fournissant six vingt hommes, le nombre des triérarques monta à douze cent.

Toutes les contradictions apparentes qui regnent dans les récits des anciens sur les triérarques, ne naissent que des changemens qui se firent dans la triérarchie, avant qu'elle fût fixée ; & comme chaque auteur en a parlé selon l'état où elle se trouvoit de son tems, ils en ont presque tous parlé différemment ; voilà l'explication du cahos que Scheffer & autres commentateurs ont trouvé si difficile à débrouiller. (D.J.)


TRIESTE(Géog. mod.) ville d'Italie, dans l'Istrie, sur le golfe de même nom, à dix milles au nord de capo d'Istria, avec une citadelle toute moderne. L'impératrice, reine de Hongrie, à fait augmenter les fortifications de Trieste, & aggrandir le port dont le mouillage n'étoit pas bon. Elle a rendu ce port franc, & y a établi des chantiers pour la construction des vaisseaux. Cette ville a été bâtie des ruines de l'ancienne Tergeste, & elle étoit évêché dans le vj. siecle sous Aquilée.

On peut consulter l'Istoria di Trieste, del P. Ireneo della Croce, dans laquelle il fait l'éloge de quelques savans qui y sont nés, mais qui maintenant sont à peine connus dans la république des lettres. Long. 31. 50. latit. 45. 52. (D.J.)


TRIÉTERIDES. f. terme de Chronologie, espace, nombre, ou révolution de trois années. Selon Censorin, de die natali, c. xviij. l'année étoit disposée de sorte que tous les trois ans on ajoutoit un mois intercalaire, les deux premieres années étant de douze mois, & la troisieme, qu'on nommoit la grande-année, étoit de treize mois. Cette période de trois ans s'appelloit triéteride, mot formé de , trois, & de , année. (D.J.)


TRIÉTERIEou TRIÉTÉRIQUES, s. f. plur. (Antiq. grecq.) fêtes de trois en trois années que faisoient les Béotiens & les Thraces en l'honneur de Bacchus, & en mémoire de son expédition des Indes qui dura trois ans. Cette solemnité étoit célébrée par des matrones divisées par bandes, & par des vierges qui portoient les thyrses ; les unes & les autres saisies d'enthousiasme ou d'une fureur bacchique, chantoient l'arrivée de Bacchus pendant le cours de cette fête, qui finissoit par des sacrifices en l'honneur du dieu. Triéteries est formé de deux mots grecs ; , trois, & , année. (D.J.)


TRIEULE, ou LE TRIEUX, (Géog. mod.) petite riviere de France, dans la Bretagne. Elle se jette dans la Manche à trois lieues de Tréguier. (D.J.)


TRIFANUM(Géog. anc.) lieu d'Italie, dans la Campanie. Tite-Live, l. VIII. c. xj. dit que ce lieu étoit entre Sinuessa & Minturnae. (D.J.)


TRIFILERIEen terme d'Epinglier, n'est autre chose qu'un banc garni d'une filiere, à-travers laquelle passe le fil qu'on tire par des tenailles qui sont prises par un crochet, répondant à une bascule qu'un ouvrier foule en avançant la tenaille de chaque coup. Il y a encore des trifileries à l'eau, dont les bascules sont foulées par roues. Voyez l'article ÉPINGLIER, où l'on a décrit une de ces trifileries, & l'article GROSSES-FORGES, où l'on a décrit l'autre.


TRIFOLIUM(Jardinage) voyez CYTISUS.


TRIFORMIS DEA(Mythol.) la déesse à trois faces, ou à trois têtes ; c'étoit Hécate, qui, selon Servius, présidoit à la naissance, à la vie & à la mort. Entant qu'elle présidoit à la naissance, elle est appellée Lucine ; entant qu'elle a soin de la santé, on l'appelle Diane ; le nom d'Hécate lui convient en ce qu'elle préside à la mort. (D.J.)


TRIGABOLI(Géog. anc.) peuples toscans, que Polybe place à l'embouchure du Pô. LÉander, descr. di tutta Ital. p. 344. prétend que les Trigaboles habiterent anciennement entre les deux bouches du Pô, appellées Magna-Vacca & Volana. (D.J.)


TRIGAMIES. f. (Gram. & Jurisprud.) est le crime de celui qui épouse en même tems trois femmes, comme la bigamie est le crime de celui qui en a deux ; ce crime est compris sous le terme de poligamie. Voyez BIGAMIE & POLIGAMIE. (A)


TRIGES. f. terme d'Antiquaire, char à trois chevaux. La trige n'étoit tirée que par deux chevaux, ainsi c'étoit proprement une bige ; mais elle avoit un troisieme cheval attaché aux deux autres par une laisse ou une longe, comme un cheval de main, apparemment pour changer. La trige ne se voit sur aucun monument ancien : elle a cependant été très-long-tems en usage à Rome dans les jeux du cirque, mais chez les Grecs on l'abandonna de bonne heure. Le troisieme cheval de la trige s'appelloit , selon Hésychius, & , selon Denys d'Halicarnasse. Stace, dans sa Thébaïde, l. VI. vers. 461. l'appelle en latin equus funalis, cheval de laisse ou de longe. Trévoux. (D.J.)


TRIGLAS. m. (Mythol.) femme à trois têtes, que les anciens habitans de la Lusace adoroient. On nourrissoit dans son temple un cheval noir qui étoit spécialement consacré à la déesse ; & lorsqu'il y avoit demeuré quelques années, le prêtre qui en prenoit soin le menoit à la guerre pour en tirer des présages. (D.J.)


TRIGLOCHINESVALVULES, voyez TRICUSPIDES.


TRIGLYPHES. m. (Archit.) espece de bossage par intervalles égaux, qui, dans la frise dorique, a des gravures entieres en angles, appellées glyphes ou canaux, & séparés par trois côtes d'avec les deux demi-canaux des côtés. Il a dans le milieu deux cannelures ou coches en triangle, & deux demi-cannelures sur les deux côtés. On appelle côte ou listel chaque espace qui est entre les deux cannelures. Les triglyphes sont distribués sur la frise dorique, de façon qu'il y en a toujours un qui répond sur le milieu des colonnes, & qui a de largeur le demi-diametre de la colonne prise sur le pié. Le mot triglyphe vient du grec triglyphos qui a trois gravures. (D.J.)


TRIGONEadj. en Astronomie, signifie l'aspect de deux planetes lorsqu'elles sont éloignées l'une de l'autre de la troisieme partie du zodiaque, c'est-à-dire de 120 degrés. On appelle plus communément cet aspect trine. Voyez TRINE.

TRIGONE des signes, c'est un instrument dont on se sert en gnomonique, pour tracer les arcs des signes.

Pour bien entendre la construction & l'usage de cet instrument, sur lequel est tracée la projection de l'écliptique sur le colure des solstices, il faut se souvenir que l'écliptique fait avec l'équateur un angle D de 23d. 28'. 40''. fig. 8. n°. 5. dont la projection sur le plan du colure des solstices est l'angle F D ; que la ligne F est tout-à-la-fois l'intersection de l'écliptique de l'équateur & du colure des équinoxes, & que l'axe A B lui est perpendiculaire. Concevons à présent que toute la sphere tourne sur le diametre A B ; les extrêmités de la ligne décriront un cercle D C qui est l'équateur, & chaque point de l'écliptique décrira un parallele : avec cette différence que les lignes menées du centre F de la sphere jusqu'à ces points ne seront pas perpendiculaires à l'axe A B ; comme, par exemple, la ligne F qui fait avec l'axe l'angle A F de 66d. 31'. 20''. complément de l'obliquité de l'écliptique, les angles A F II & A F sont les complémens de la déclinaison des lignes II & .

Puisque les lignes F , F II, F , font avec l'axe un angle qui n'est pas droit, il suit qu'elles décriront chacune la surface d'un cône ; & c'est l'intersection de ces surfaces coniques & du plan du cadran que l'on appelle les arcs des signes, lesquels sont par conséquent des sections coniques. Voyez la fig. 18. n°. 1.

En projettant les déclinaisons D, II n, o, sur le colure des solstices, on a la figure D , fig. 8. n °. 2. & en ajoutant l'angle D pour la moitié australe de l'écliptique, on a la figure du trigone, dans laquelle on doit remarquer que les lignes D , D , qui répondent aux tropiques, font ensemble un angle D de 46d. 57'. 20''. double de l'obliquité de l'écliptique, & que toutes les autres lignes intermédiaires répondent à deux signes, parce que, tant dans la partie boréale que méridionale de l'écliptique, il y a deux signes qui ont même déclinaison, comme on peut le voir dans la table suivante :


TRIGONELLAS. f. (Hist. nat. Bot.) ce genre de plante établi par Linnaeus, renferme le foenugrec des autres botanistes ; en voici les caracteres. Le calice est formé d'une seule feuille, en cloche, légérement découpée en cinq segmens, pointus, & à-peu-près égaux ; la couronne de la fleur est légumineuse, & semble formée de trois pétales ; l'étendart est ovale, obtus, & recourbé en arriere, ensorte que ses deux aîles semblent former une fleur à trois pétales ordinaires ; le pétale inférieur est très-court, obtus, & occupe le milieu ; les étamines sont des filets courts, formant deux corps ; les sommets sont simples ; le germe du pistil est ovale, oblong ; le stile est simple & droit ; le stigma est pareillement simple ; le fruit est une gousse applatie, de forme ovale, oblongue, & contenant plusieurs graines arrondies ; la seule forme de la fleur est suffisante pour distinguer ce genre de plante de tous les autres de cette classe. Linnaei, gen. plant. p. 362. Tournefort, inst. p. 270. Rivin, p. 487. (D.J.)


TRIGONELLE(Hist. nat.) espece de coquille fossile qui est d'une forme triangulaire.


TRIGONOMÉTRIES. f. (Géom.) est l'art de trouver les parties inconnues d'un triangle, par le moyen de celles qu'on connoit. Voyez TRIANGLE.

Connoissant par exemple les deux côtés A B, A C & un angle B, on trouve par la trigonométrie les deux autres angles A, C, & le troisieme côté B C. Pl. de la trigonométrie, fig. 2.

Le mot de trigonométrie signifie proprement mesure de triangle ; il est composé du mot grec , triangle, & de , mesure. Cependant il ne signifie pas aujourd'hui la mesure de l'aire des triangles, ce qui appartient à la partie de la géométrie qu'on appelle planimétrie ; mais il veut dire la science qui traite des lignes & des angles des triangles.

La trigonométrie est de la plus grande nécessité dans la pratique ; c'est par son secours qu'on vient à bout de la plûpart des opérations de la géométrie pratique, & de l'astronomie. Sans cette science nous ignorerions encore la circonférence de la terre, les distances & les mouvemens des astres ; nous ne pourrions point prédire leurs éclipses, &c. On peut donc dire sans exagération, que la trigonométrie est un art par lequel une infinité de choses naturellement cachées, & hors de la portée des hommes, ont été manifestées à leur intelligence : quiconque l'ignore ne peut faire aucun progrès dans les mathématiques mixtes, & se trouve arrêté à tout moment dans la physique.

La trigonométrie, ou la résolution des triangles, est fondée sur la proportion mutuelle qui est entre les côtés & les angles d'un triangle, cette proportion se détermine par le rapport qui regne entre le rayon d'un cercle, & certaines lignes que l'on appelle cordes, sinus, tangentes, & sécantes. Voyez SINUS, TANGENTE, CANTEANTE.

On observera que tous les problêmes trigonométriques peuvent se résoudre par le seul secours des triangles semblables, sans employer les sinus ou leurs logarithmes ; mais cette méthode, quoique rigoureusement démontrée à l'esprit, n'est pas aussi savante, ni aussi sure, & aussi expéditive dans la pratique, que celle des sinus : on a même fait voir dans les institutions de géométrie, qui se vendent chez de Bure l'ainé, à Paris, que l'on pouvoit, sans faire usage des sinus, ni même des triangles semblables, déterminer les distances inaccessibles, horisontales, élevées au-dessus de l'horison, ou inclinées au-dessous ; trouver la valeur d'un angle inaccessible ; mener une parallele à une ligne inaccessible, &c. & cela avec la simple connoissance de ces deux propositions ; les trois angles d'un triangle, pris ensemble, sont égaux à la somme de deux angles droits ; & dans un triangle, les angles égaux sont opposés à des côtés égaux ; de sorte qu'en deux jours de géométrie l'on peut se mettre en état d'entendre toute la théorie de la trigonométrie rectiligne, ce qui est d'un assez long détail par les autres méthodes : on remarquera aussi dans ces institutions, que tous les problêmes de la trigonométrie, qui emploient les sinus, peuvent se résoudre par cette proposition unique : les sinus des angles sont entr'eux comme les côtés opposés à ces angles.

Le rapport des sinus & des tangentes au rayon, est quelquefois exprimé en nombres naturels, & forme alors ce qu'on appelle la table des sinus naturels, tangentes, &c.

Quelquefois aussi il est exprimé en logarithmes, & en ce cas c'est ce qu'on appelle la table des sinus artificiels ou logarithmiques, &c. Voyez TABLE.

Enfin ce rapport est aussi exprimé par des parties prises sur une échelle, qu'on appelle alors la ligne des sinus des tangentes, &c. Voyez LIGNE & ECHELLE.

La trigonométrie est divisée en trigonométrie rectiligne, & en trigonométrie sphérique. La premiere ne regarde que les triangles rectilignes ; la seconde considere les triangles sphériques.

La trigonométrie rectiligne est d'un usage continuel dans la navigation, l'arpentage, la géodésie, & autres opérations géométriques. Voyez MESURE, ARPENTAGE, NAVIGATION, &c.

La trigonométrie sphérique est plus savante ; elle est d'usage principalement dans l'astronomie, & les arts ou les sciences qui en dépendent, comme la géographie & la gnomonique. Elle passe pour être extrêmement difficile, à cause du grand nombre de cas qui la compliquent ; mais M. Wolf en a écarté les plus grandes difficultés. Cet auteur ne s'est pas contenté de faire voir que tous les cas des triangles peuvent être résolus par les méthodes ordinaires, en employant les regles des sinus & des tangentes ; mais il a donné une regle générale, par laquelle tous les problêmes des triangles rectilignes & sphériques sont résolus ; il enseigne même à résoudre les triangles obliquangles avec autant de facilité que les autres. On trouvera sa méthode au mot TRIANGLE.

La trigonométrie rectiligne est l'art de trouver toutes les parties d'un triangle rectiligne, par le moyen de quelques-unes de ces parties que l'on suppose données.

Le principe fondamental de cette trigonométrie, consiste en ce que les sinus des angles sont entr'eux dans le même rapport que les côtés opposés. Voyez l'application de ce principe à plusieurs cas des triangles rectilignes, à l'article TRIANGLE.

La trigonométrie sphérique est l'art par lequel trois des parties d'un triangle sphérique étant données, on trouve toutes les autres. Qu'on connoisse par exemple, deux côtés & un angle, on trouvera les deux autres angles & le troisieme côté. Voyez SPHERIQUE.

Voici les principes de la trigonométrie sphérique, suivant la réforme ou la doctrine de Wolf. 1°. Dans tout triangle sphérique A B C, rectangle en A, le sinus total est au sinus de l'hypothénuse B C ; (Pl. trigon. fig. 31.) comme le sinus de l'un des deux angles aigus C, est au sinus du côté opposé A B ; ou comme le sinus de l'angle B, au sinus de son côté opposé A C : d'où il suit que le rectangle sous le sinus total, & sous le sinus d'un de ces côtés, est égal au rectangle sous le sinus de l'angle opposé à ce côté, & sous le sinus de l'hypothénuse.

Comme c'est ici la doctrine de M. Wolf, il est nécessaire d'expliquer quelques termes qui sont particuliers à cet auteur. Supposant le triangle rectangle B A C (Pl. de trigonom. fig. 33.), il appelle partie moyenne celle qui se trouve entre deux autres, considérée comme extrêmes : ainsi prenant les côtés A B, B C, pour extrêmes, l'angle B sera la partie moyenne : si les parties que l'on considere comme extrêmes sont contiguës avec la moyenne, ou que l'angle droit A se trouve entre la moyenne & l'une des extrêmes, il les nomme parties conjointes. Par exemple, B étant la partie moyenne, A B & B C seront les parties conjointes. Si A B est moyenne, A C & B seront les conjointes : si c'est le côté B C, en ce cas les angles B C, le seront : est-ce l'angle C, on aura pour conjointes les côtés B C, C A : enfin si le côté A C est moyenne, l'angle C & le côté A B seront les parties conjointes.

Mais si entre les parties qui sont à la place des extrêmes, & la moyenne, il se trouve quelqu'autre partie différente de l'angle droit, alors il les appelle parties disjointes : par exemple, l'angle B étant la moyenne, le côté A C, & l'angle C seront les disjointes : car entre la partie moyenne B & l'extrême C, se trouve l'hypothénuse B C ; entre la moyenne B & l'autre extrême A C, il y a le côté A B, outre l'angle droit A, que l'on ne considere point ici : ainsi le côté A B étant moyenne, le côté B C, & l'angle C seront les parties disjointes : si c'est le côté B C, les disjointes seront A B, A C. Quand ce sera l'angle C, l'angle B, & le côté A B, seront les disjointes : enfin si le côté A C est la moyenne, le côté B C, & l'angle B seront les parties disjointes. Cela supposé, dans tout triangle rectangle A B C (fig. 32.), dont aucun côté n'est un quart de cercle ; si on prend les complémens des côtés A C, ou A C à la place de ces côtés, le rectangle du sinus total, par le co-sinus de la partie moyenne, est égal au rectangle des parties disjointes ou extrêmes.

D'où il suit 1°. en employant les sinus logarithmiques à la place des naturels, que le sinus total ajouté avec le co-sinus de la partie moyenne, est égal à la somme des sinus des parties disjointes.

2°. Puisque dans le triangle rectiligne A B C (fig. 32.), le sinus total est à l'hypothénuse B C, comme le sinus de l'angle B ou C au sinus du côté opposé A C ou A B : si au-lieu des sinus des côtés, on prend les côtés mêmes, il sera encore vrai, dans ce cas, que le co-sinus de la partie moyenne A C ou A B ; ou bien que A C ou A B joint au sinus total sera égal à la somme des sinus des parties disjointes B ou C, & B C ; c'est-à-dire au sinus B ou de C, ajouté avec B C même.

C'est-là ce que Wolfius appelle regula sinuum catholica, ou la premiere partie de la regle générale de la trigonométrie, par le moyen de laquelle tous les problèmes de la trigonométrie sphérique & de la rectiligne, peuvent être résolus, quand on ne veut se servir que de sinus. Mylord Napier est le premier inventeur de cette regle ; mais il avoit employé les complémens de l'hypothénuse B C (fig. 22.), & les angles B & C aulieu de l'hypothénuse & des angles mêmes : ensorte qu'il énonce sa regle de la maniere suivante.

Le sinus total, avec le sinus de la partie moyenne, est égal aux co-sinus des parties opposées ou disjointes : pour employer les termes de Wolfius. Mais dans cette regle l'harmonie qui est entre la trigonométrie sphérique & la rectiligne, n'est pas aussi apparente que dans la regle précédente.

3°. Dans un triangle sphérique quelconque A B C (fig. 29.), dont aucun côté n'est un quart de cercle, le sinus total est au sinus du côté adjacent A C, comme la tangente de l'angle adjacent C est à la tangente du côté A B.

Ainsi la co-tangente de l'angle C est au sinus total comme le sinus total est à la tangente de l'angle C ; & parce que le sinus total est à la tangente de l'angle C, comme le sinus A C est à la tangente A B, la co-tangente de l'angle C sera au sinus total, comme le sinus du côté adjacent A C, est à la tangente du côté opposé A B : par conséquent le rectangle du sinus total, par le sinus de l'un des côtés A C, est égal au rectangle de la tangente de l'autre côté A B, par la co-tangente de l'angle C, opposé au même côté : de même le rectangle du sinus total & du sinus du côté A B, sera égal au rectangle de la tangente du côté A C, & de la co-tangente de l'angle B.

4°. Dans tout triangle rectangle sphérique A B C, dont aucun côté n'est un quart de cercle, si, à la place des complémens des côtés A B & A C au quart de cercle, ou des excès de ces côtés sur le quart de cercle, on prend ces côtés mêmes, le rectangle du sinus total, & du co-sinus de la partie moyenne, sera égal au rectangle des co-tangentes des parties conjointes.

De-là il suit 1°. qu'en prenant les sinus & les tangentes logarithmiques, au-lieu des naturels, le sinus total ajouté avec le co-sinus de la partie moyenne, sera égal à la somme de co-tangentes des parties conjointes. 2°. Puisque dans un triangle rectiligne rectangle A B C, on se sert de tangentes pour déterminer l'angle C, les côtés A B, A C étant donnés ; en disant, si le sinus total est à la co-tangente de l'angle C comme A B en A C : il sera donc vrai dans tout triangle rectangle rectiligne (en prenant à la place des sinus & des tangentes des côtés, les côtés mêmes), que le sinus total ajouté avec le co-sinus de la partie moyenne, c'est-à-dire avec A C, est égal à la somme des co-tangentes des parties conjointes, c'est-à-dire au côté A B ajouté avec la co-tangente de C, ou avec la tangente de B.

C'est là la regle que M. Wolf appelle regula tangentium catholica, & qui fait la seconde partie de la regle générale de la trigonométrie, par laquelle on résout tous les problèmes de la trigonométrie, tant rectiligne que sphérique, quand on veut se servir des tangentes.

La regle de mylord Napier, équivalente à celle-ci, est que le sinus total ajouté avec le sinus de la partie moyenne, est égal à la somme des tangentes des parties contiguës ou conjointes.

C'est donc une regle générale dans la trigonométrie tant sphérique que rectiligne (en observant les conditions supposées, c'est-à-dire, en prenant dans les triangles sphériques, les complémens des côtés A B & A C, au-lieu des côtés mêmes ; & dans les triangles rectilignes les côtés mêmes à la place de leurs sinus ou de leurs tangentes), que dans tout triangle rectangle le sinus total ajouté au co-sinus de la partie moyenne est égal aux sommes des sinus des parties disjointes, ou à la somme des co-tangentes des parties conjointes.


TRIGONON(Musiq. des anc.) instrument de musique des anciens, en grec . Il venoit originairement des Syriens, selon Juba, cité par Athénée ; c'étoit de ces Orientaux que les Grecs l'avoient emprunté. Sophocle en parloit dans ses Mysiens, au rapport du même Athénée, comme d'un instrument phrygien. Platon & Aristote en font mention en plusieurs endroits : ce qui suffit pour détruire la conjecture d'un moderne, qui regarde le livre des problèmes, comme faussement attribué au dernier, & fort postérieur à ce philosophe, par cette seule raison qu'il y est parlé du trigonum, instrument asiatique inconnu pour lors, selon lui, à la Grece entiere ; mais nous ne savons rien de particulier touchant sa figure : la harpe est le seul instrument vulgaire qui puisse nous représenter le trigone des anciens. En effet, c'est un véritable triangle, dont un des angles forme le pié ou la base, & dont le côté opposé à cet angle, sert de chevillier, pendant que l'un des deux autres côtés fait office d', ou de ventre, le long duquel les cordes sont attachées. (D.J.)

On trouvera au mot TRIANGLE une application de cette regle, à la résolution des différens cas des triangles sphériques ; ce qui contribuera à l'éclaircir. Chambers. (E)


TRIHEMIMERISS. f. (Littérat.) semiternaria, espece de césure dans les vers latins, qui arrive lorsque après le premier pié du vers, il reste une syllabe impaire, par laquelle commence le pié suivant, comme dans ce vers :

Ille latus niveum molli fultus hyacintho.

Voyez CESURE.


TRIHEMITONS. m. est en Musique, le nom que donnoient les Grecs à l'intervalle que nous appellons tierce mineure ; ils l'appelloient aussi quelquefois hémiditon. Voyez HEMITON, SEMI - TIERCE, INTERVALLE. (S)


TRIJUMEAUXen Anatomie, nom des nerfs de la cinquieme paire, ou nerfs innominés.

La cinquieme paire des nerfs qui est la plus considérable des dix paires qui sortent de la base du crâne, a des usages & des distributions plus étendues, & elle sert tout-à-la-fois pour la sensation, le mouvement, le toucher & le goût. Elle envoie des branches nonseulement aux yeux, au nez, au palais, à la langue, aux dents, à la plus grande partie de la bouche & du visage, mais aussi à la poitrine, au bas-ventre, aux intestins, &c. & cela par le moyen des intercostaux ou grands lymphatiques, qui sont formés en partie par les rameaux qui viennent de ce nerf, d'où il arrive un consentement ou une sympathie entre ces différentes parties du corps. Voyez les Planches anat. & leur explic. Voyez aussi CONSENTEMENT.

Ces nerfs naissent antérieurement des parties latérales de la protubérance annulaire par plusieurs filets, qui forment deux gros troncs, un de chaque côté, qui après avoir percé la dure-mere, s'enfonce dans le sinus caverneux, où il forme une espece de plexus applati. Voyez SINUS CAVERNEUX & PLEXUS.

Le tronc se divise ensuite en trois branches, dont l'une entre dans l'orbite, & se nomme ophthalmique de Willis ; la seconde sort par le trou rond, ou trou maxillaire supérieur, & s'appelle maxillaire supérieure ; la troisieme enfin qui porte le nom de maxillaire inférieure, sort par le trou ovale, ou trou maxillaire inférieur. Voyez ORBITE, TROU, ROND, &c.

Le nerf ophthalmique, ou nerf orbitaire se subdivise en trois rameaux ; un frontal & supérieur, un interne ou nasal, & un externe ou lacrymal.

Le rameau frontal ou sourcilier se porte tout le long de la partie supérieure de l'orbite, donne quelques filets à la graisse qui environne le globe de l'oeil, aux membranes voisines, & au muscle releveur de la paupiere, ensuite il passe par le trou sourcilier, & se distribue sur le tronc, où il communique avec un rameau de la portion dure.

Le rameau interne, ou rameau nasal du nerf orbitaire, se porte du côté du nez, & jette un filet qui communique avec le ganglion lenticulaire de la troisieme paire ; il passe ensuite sur le nerf optique, & se glisse entre l'adducteur & le grand oblique de l'oeil, d'où il gagne le grand angle de l'oeil, & jette un filet dans le trou orbitaire, qui rentre dans le crâne, & se plonge de nouveau, en s'unissant avec un filet des nerfs olfactifs par les trous antérieurs de la lame cribleuse dans le nez ; le nerf nasal se distribue à la caroncule lacrymale, au sac lacrymal, aux portions voisines du muscle orbiculaire & aux tégumens.

Le rameau externe ou nerf lacrymal se distribue principalement à la glande lacrymale.

Le nerf maxillaire supérieur se divise en trois principaux rameaux.

Le premier, ou sous-orbitaire, se glisse tout le long du canal de la portion inférieure de l'orbite, sort par le trou orbitaire externe, se distribue à la levre supérieure & aux gencives ; il communique avec un rameau de la portion dure.

Le second, ou le rameau palatin, sort par le trou palatin postérieur, se distribue au palais.

Le troisieme, ou rameau spheno-palatin, passe par le trou spheno-palatin, & se distribue à la partie postérieure des narines.

Le nerf maxillaire inférieur, après sa sortie du crâne, fournit quatre rameaux ; le premier se distribue au muscle crotaphite ; le second communique avec la portion dure, & se distribue à l'oreille externe ; le troisieme communique de même, & se jette dans les muscles masseter, buccinateur ; le quatrieme se distribue au muscle pterigoïdien interne, aux glandes buccales, & aux autres parties voisines, &c. après cela le nerf maxillaire fournit avant son entrée dans le conduit de la mâchoire inférieure, un rameau nommé petit nerf lingual, ou petit hypoglosse, qui se distribue à la langue ; il entre ensuite, & après avoir donné un filet à chaque dent, il sort par le trou mentonnier, & se distribue aux différentes parties du menton.


TRILATEREadj. dans la Géométrie, se dit d'une figure qui a trois côtés. Ce mot est peu en usage, celui de triangle est le seul usité.


TRILEUCUM(Géog. anc.) promontoire d'Espagne, que Ptolémée marque sur la côte septentrionale, entre Flavium Brigantium, & l'embouchure du fleuve Métarus ou Méarus.


TRILLIONS. m. c'est la dénomination que l'on donne en Arithmétique, au chiffre qui se trouve dans la cinquieme classe, ou cinquieme ternaire, quand il s'agit de numération. Ainsi on dit (nombre, dixaines, centaines), premiere classe.

(Mille, dixaines de mille, centaines de mille), seconde classe.

(Million, dixaines de million, centaines de millions), troisieme classe.

(Billion, dixaines de billions, centaines de billions), quatrieme classe.

(Trillions, dixaines de trillions, centaines de trillions), cinquieme classe, &c. comme on le voit dans l'exemple suivant :

Voyez NUMERATION. (O)


TRILOGIES. f. (Littérat.) assemblage de trois pieces de théatre que, chez les anciens, les poëtes dramatiques étoient obligés de présenter lorsqu'ils vouloient disputer à leurs concurrens le prix de la tragédie. Plutarque, dans la vie de Solon, dit que ces sortes de combats littéraires ne commencerent qu'après le tems de Thespis. Depuis on ajouta à ces trois pieces une quatrieme appellée satyrique. Voyez SATYRIQUE & TETRALOGIE ; Voss. instit. poët. lib. II. c. xjx. pag. 92.

Le grammairien Aristophane avoit aussi partagé les dialogues de Platon en trilogies, & quelques-uns prétendent que Platon lui-même les avoit divisés de la sorte.


TRIMANIUM(Géog. anc.) ville de la basse Moesie, sur le Danube, selon Ptolémée, liv. III. chap. x. Il semble à Ortélius, que Drimago occupe aujourd'hui la place de cette ville. (D.J.)


TRIMESTRES. m. (Gramm. & Jurisprud.) est un espace de trois mois ; le premier trimestre pour les études, ou pour le service dans un tribunal, ce sont les trois premiers mois de l'année, selon le tems auquel elle commence ; le second trimestre ce sont les trois mois suivans ; & ainsi des deux autres trimestres.

Une compagnie trimestre est celle dont les officiers sont distribués en quatre colonnes, qui servent chacune pendant trois mois, comme les compagnies semestres sont celles où l'on sert six mois. (A)


TRIMÈTRES. m. (Prosod. latine) vers ïambiques. La vîtesse de l'ïambe a fait que quoique ce vers soit de six piés, on l'appelle trimètre, vers de trois piés, parce que en le scandant on a joint deux piés ensemble, les breves donnant cette facilité ; ainsi dans ce vers ïambique de Terentianus :

Adesto ïambe praepes, & tui tenax.

Au-lieu de le mesurer en six :

Ades | t'ïam | be prae | pes & | tui | tenax. |

On l'a mesuré en trois :

Adest'ïam | be praepes & | tui tenax. |

Jugatis per dipodiam binis pedibus, ter feritur, ait Victorinus. (D.J.)


TRIMICHIS. m. (Hist. mod.) nom que les Anglo-Saxons donnoient au mois de Mai, parce que dans ce mois ils trayoient leurs vaches trois fois par jour.


TRIMODIES. f. (Littérat.) espece de sac de la forme d'un cône renversé, dans lequel les laboureurs chez les Romains, mettoient leurs semences, & qu'ils portoient pendu à leur cou quand ils ensemençoient les terres. Ce sac étoit nommé trimodia, parce qu'il contenoit trois boisseaux. (D.J.)


TRIMONTIUM(Géog. anc.) ville de la grande-Bretagne. Ptolémée la donne aux peuples Selgovae. Cambden croit que c'est présentement Atterith en Ecosse.


TRINACIA(Géog. anc.) ville de Sicile, & qui n'est connue sous ce nom que par Diodore de Sicile, liv. XII. c. xxjx. dont quelques exemplaires même lisent Trinacria. Ces deux noms ayant été ceux de l'île de Sicile, on pourroit soupçonner que le nom de cette ville, qui étoit Tiracia, se corrompit dans la suite des tems, & que de Tiracia, on fit Trinacia & Trinacria.

Cluvier, Sicil. antiq. l. II. c. xiij. dit que le vrai nom de la ville étoit Tiracia, parce que Pline, l. III. c. viij. appelle ses habitans Tiracienses. Cette ville, selon Diodore de Sicile, étoit riche, puissante, & considérée comme la premiere de l'île. Elle tint toujours tête à celle de Syracuse ; & lorsque celle-ci eut réduit sous son joug toutes les autres villes de l'île, les habitans de Tiracia, quoique seuls à défendre leur liberté, ne laisserent pas d'en venir à une bataille contre ceux de Syracuse. Ces derniers remporterent la victoire, firent leurs ennemis esclaves, pillerent toutes leurs richesses, & raserent leur ville ; mais elle fut rétablie dans la suite. (D.J.)


TRINASI MAENIA(Géog. anc.) Pausanias, l. III. c. xxij. dit : A la gauche de Gythée, en avançant quelques trente stades dans les terres, on trouve les murs de Trinase. Je crois que c'étoit autrefois non une ville, mais un château qui avoit pris son nom de trois petites îles qui sont de ce côté-là. Environ quatre-vingt stades plus loin, étoient les ruines de la ville d'Hélos. Ptolémée, l. III. c. xvj. aulieu de Trinasus, écrit Trinassus, & en fait un port dans le golfe Laconique. (D.J.)


TRINEadj. en Astrologie, est l'aspect ou la situation d'un astre par rapport à un autre lorsqu'ils sont distans de cent vingt degrés. On l'appelle quelquefois trigone, & on le représente par le caractere . Voyez TRIGONE.


TRINEMEIS(Géog. anc.) bourg de l'Attique sous la tribu Cécropide. Il donnoit la naissance à la petite riviere de Cephissus, dont Strabon parle, & qu'il semble confondre avec celle que d'autres appellent Eridan.


TRINESIA(Géog. anc.) île de l'Inde en-deçà du Gange. Ptolémée, l. VII. c. j. la marque dans le Golfe colchique, & Castald veut que le nom moderne soit Rhésiphe.


TRINGLES. f. (instrumens d'Ouvriers) piece de bois longue & étroite, qui sert à plusieurs marchands, ouvriers & artisans, soit pour y suspendre plusieurs sortes de marchandises, soit pour travailler à leurs ouvrages. La tringle des marchands bouchers est bordée par en-haut d'un rang de clous à crochet, pour y pendre à des allonges la viande dépecée ; elle a aussi par en-bas une toile blanche de toute sa longueur, d'environ trois quarts d'aune de large, sur laquelle cette viande est proprement arrangée. On appelle cette toile, une nappe à boucherie. Les tringles des chandeliers, épiciers, merciers, &c. n'ont souvent que des clous, de même que celles des bouchers, mais quelquefois ce sont des chevilles de bois avec un mantonnet. (D.J.)

TRINGLE, (Archit. civile) c'est un petit membre en forme de regle, d'où pendent ce qu'on appelle les gouttes dans l'ordre dorique. Il est immédiatement au-dessous de la plate-bande de l'architrave, & répond directement à chaque triglyphe.

TRINGLE, s. f. (Hydraul.) dans la pompe aspirante on fait passer une tringle de fer tout le long du tuyau montant. Dans la foulante il y a des tringles de fer appellées chassis, qui donnent le mouvement aux pistons, & qui sont attachées aux manivelles, soit simples soit à tiers-points.

TRINGLES, dans les Brasseries, ce sont de petits chevrons de trois pouces en quarré, que l'on met sur les sommiers de la tournaille, qui sont à deux ou trois pouces de jour, & sur lesquels est placé l'aire de crin sur laquelle on étend le grain pour secher.

TRINGLE, (terme de Boucher) les bouchers appellent tringle, une barre de bois qui est au-dessus de leur étale, & où il y a des clous à crochets pour pendre la viande. Trévoux.

TRINGLE de la table, (Manufactur. de glaces) dans les manufactures de glaces de grands volumes, on appelle tringles de la table à couler, deux grandes pieces de fer aussi longues que la table, qui se placent à discretion des deux côtés pour regler la largeur de la glace. C'est sur les tringles que porte le rouleau de fonte qui détermine l'épaisseur de la piece. (D.J.)

TRINGLE, (Menuiserie) espece de regle longue, qui encastrée & scellée au dessous des corniches des chambres, sert à porter la tapisserie, & à divers usages dans la menuiserie.

TRINGLE à ourdir, (terme de Nattiers) ce sont deux fortes & longues pieces de bois, sur lesquelles ils bâtissent & ourdissent leurs nattes, c'est-à-dire, sur lesquelles de plusieurs cordons de nattes qu'ils cousent ensemble avec de la ficelle, ils font des pieces de la largeur & longueur qui leur sont commandées. (D.J.)

TRINGLE à dorer, (Relieur) c'est un bout de latte proportionné à la grandeur du livre, épais de 3 lignes par en haut, & d'une ligne d'épaisseur par en bas. Voyez les Pl. & les fig. du Relieur. Elle sert à mettre entre les feuillets & le carton du livre qu'on veut dorer sur tranche, lorsqu'on le serre dans la presse à dorer. Voyez PRESSE à dorer. Pl. de la Reliure.

Tringle ou regle de fer qui sert à rabaisser les cartons sur le devant du volume, se met en-dedans du livre quand il est rogné, pour ôter le trop de largeur du carton, & ne lui laisser que le bord ordinaire ; ainsi on dit rabaisser. Voyez les Planches de la Reliure.

TRINGLE, (terme de Serrurier) verge de fer qu'on accroche aux pitons des colonnes d'un lit, & où l'on met des anneaux pour y attacher des rideaux qu'on tire & que l'on ferme par ce moyen. (D.J.)

TRINGLE, (terme de Vitrier) les vitriers se servent aussi de tringles pour dresser & enfermer leurs panneaux. Elles sont ordinairement de fer, mais quelquefois simplement de bois. On les coupe en angles par les deux bouts, afin qu'elles puissent mieux se dresser d'équerre. (D.J.)


TRINGLERv. act. (Menuis.) c'est tracer une ligne droite avec le cordeau frotté de pierre blanche, noire ou rouge, pour la façonner. (D.J.)


TRINGLETTESS. f. pl. (Vitrerie) piece de verre dont on compose les panneaux des vitres. C'est aussi un outil de fer en forme de petit couteau émoussé, dont les vitriers se servent pour ouvrir leur plomb ; le plus souvent ce sont des morceaux d'ivoire, d'os ou de buis, de quatre ou cinq pouces de long, plats & arrondis par le bout. (D.J.)


TRINITAIRESS. m. (Hist. eccl.) terme qui a des significations extrêmement variées & arbitraires.

On s'en sert souvent pour marquer toutes sortes d'hérétiques & sectaires qui pensent différemment des catholiques sur le mystere de la sainte Trinité. Voyez TRINITE.

Quelquefois ce terme est restraint plus immédiatement à quelque classe particuliere d'hérétiques, & dans ce sens les trinitaires se confondent souvent avec les unitaires. Voyez UNITAIRES.

Quelquefois on l'applique aux orthodoxes eux-mêmes par opposition aux antitrinitaires qui nient ou combattent la doctrine de la Trinité. C'est dans ce sens que les Sociniens & d'autres ont coutume de donner le nom de trinitaires aux athanasiens, c'est-à-dire, aux catholiques & aux protestans qui professent sur la Trinité la doctrine contenue dans le symbole attribué à S. Athanase. Voyez ANTITRINITAIRES & SYMBOLE.

TRINITAIRES, s. m. pl. (Hist. eccl.) est aussi le nom d'un ordre religieux institué à l'honneur de la sainte Trinité, & pour la rédemption des captifs chrétiens qui sont en esclavage chez les infideles.

On les appelle en France Mathurins, parce que la premiere église qu'ils ont eu à Paris étoit sous l'invocation de S. Mathurin. Ils sont habillés de blanc, & portent sur la poitrine une croix mi-partie de rouge & de bleu. Les trinitaires font profession & un voeu particulier de s'employer à racheter les chrétiens détenus esclaves dans les républiques d'Alger, de Tripoli, de Tunis, & dans les royaumes de Fez & de Maroc. Ils ont une regle qui leur est particuliere, quoique plusieurs historiens les rangent au nombre des communautés qui suivent la regle de S. Augustin.

Cet ordre prit naissance en 1198, sous le pontificat d'Innocent II. Les fondateurs furent S. Jean de Matha & S. Felix de Valois. Le premier étoit natif de Faucon en Provence ; le second étoit apparemment originaire de la petite province de Valois, & non pas de la famille royale de ce nom, qui ne commença que plus d'un siecle après ; réflexion que n'ont pas faite les auteurs qui pour illustrer ce saint, l'en font descendre.

Gauthier de Chastillon fut le premier qui leur donna une place dans ses terres, pour y bâtir un couvent qui dans la suite devint le chef-lieu de tout l'ordre. Honoré III. confirma leur regle. Urbain IV. nomma l'évêque de Paris & d'autres prélats pour les réformer, & la réforme fut approuvée par Clément IV. en 1267.

Cet ordre possede environ 250 maisons distribuées en treize provinces, dont six se trouvent en France, trois en Espagne, trois en Italie, & une en Portugal. Ils ont eu autrefois un couvent en Angleterre, un en Ecosse, & un troisieme en Irlande.

Dans les chapitres généraux tenus en 1573 & 1576, on ordonna une réforme qui fut suivie quelque tems après par Julien de Nantonville, & par Claude Aleph, deux hermites de S. Michel ; mais le pape Grégoire XIII. leur permit depuis de prendre l'habit de trinitaires, & dans la suite leur hermitage fut changé en une maison de l'ordre.

En 1609 le pape Paul V. leur permit de bâtir de nouvelles maisons, & d'introduire la réforme dans quelques-unes des anciennes. En 1635 Urbain VIII. commit par un bref le cardinal de la Rochefoucauld pour mettre la réforme dans toutes les maisons de l'ordre ; ce qui fut exécuté en vertu d'une sentence où la réforme étoit contenue en huit articles, dont les principaux étoient que ces religieux eussent à observer la regle primitive approuvée par Clement IV, à s'abstenir de viandes, à porter des chemises de laine, à aller à matines à minuit, &c.

En 1454 on avoit aussi fait une réforme parmi ceux de Portugal.

L'habit des trinitaires est différent dans les différentes provinces.

TRINITAIRES DECHAUX ou DECHAUSSES, (Hist. ecclésiast.) est une réforme de l'ordre des trinitaires qui se fit en Espagne dans le chapitre général tenu en 1594, où il fut résolu que chaque province établiroit deux ou trois maisons pour y observer la regle primitive, pratiquer de plus grandes austérités, porter de plus gros habits, &c. de sorte cependant qu'on laissa à ces réformés la liberté de retourner à leur ancien couvent quand bon leur sembleroit.

Dom Alvarez Basan ayant intention de fonder un monastere à Val de Pegnas, & desirant qu'il fût occupé par des trinitaires déchaux, on convint d'ajouter à la réforme la nudité des piés, afin que les trinitaires profitassent de cet établissement.

Ensuite la réforme fit des progrès dans les trois provinces d'Espagne, & enfin elle fut introduite en Pologne & en Russie, de - là en Allemagne & en Italie.

En France il y a aussi des trinitaires déchaux établis par Frere Jérome Hallies, lequel ayant été envoyé à Rome pour y solliciter la réforme telle qu'on l'avoit premierement établie en Espagne, obtint encore du pape la permission d'y ajouter un habit grossier & la nudité des piés. Il commença cette réforme par le couvent de S. Duys à Rome, & par celui d'Aix en Provence.

En 1670 les religieux de cette réforme eurent assez de maisons pour en former une province ; de sorte que la même année ils tinrent leur premier chapitre général.

TRINITAIRES RELIGIEUSES, (Hist. ecclésiastiq.) Il y a aussi des religieuses de la sainte Trinité établies en Espagne par S. Jean de Matha lui - même qui leur bâtit un couvent en 1201. Celles qui prirent d'abord l'habit n'étoient que des oblates qui ne faisoient point de voeux ; mais en 1201 le monastere fut rempli de véritables religieuses sous la direction de l'Infante Constance, fille de Pierre II. roi d'Aragon, qui fut la premiere religieuse & la premiere supérieure de cet ordre.

Françoise de Romero, fille de Julien de Romero, lieutenant général des armées d'Espagne, établit aussi des religieuses trinitaires déchaussées à Madrid, vers l'an 1612. Son dessein étant de fonder un monastere d'augustines déchaussées, elle rassembla un certain nombre de filles, & les logea, pour un tems, dans une maison qui appartenoit aux trinitaires déchaux, & qui étoit située dans le voisinage. Comme ces filles alloient à l'église de ces religieux, & qu'elles s'étoient mises sous la direction du pere Jean-Baptiste de la Conception, leur fondateur, la connoissance qu'elles firent avec ce religieux, & les services qu'elles en reçurent, les engagerent à changer la résolution qu'elles avoient prise de se faire augustines ; elles demanderent à leur directeur l'habit de son ordre, ce qu'il leur accorda.

Mais l'ordre s'étant opposé à ce dessein, & ayant refusé de prendre ces filles sous sa jurisdiction, elles s'adresserent à l'archevêque de Tolede qui leur permit de vivre suivant la regle de l'ordre des trinitaires ; desorte qu'elles en prirent de nouveau l'habit en 1612, & commencerent leur noviciat.

Enfin il y a encore un tiers-ordre de trinitaires. Voyez TIERS-ORDRE.


TRINITÉTRINITé

Trinité ainsi considérée, Trinitas ou Trias, est le mystere de Dieu même subsistant en trois personnes, le Pere, le Fils, le Saint-Esprit, réellement distinguées les unes des autres, & qui possedent toutes trois la même nature numérique & individuelle. Voyez DIEU, PERSONNE, &c.

C'est un article de la foi chrétienne qu'il n'y a qu'un seul Dieu, & cette unité est tout le fondement de la croyance des chrétiens. Mais cette même foi enseigne que cette unité est féconde, & que la nature divine sans blesser l'unité de l'être suprême, se communique par le Pere au Fils, & par le Pere & le Fils au Saint-Esprit : fécondité au reste qui multiplie les personnes sans multiplier la nature.

Ainsi le mot trinité renferme l'unité de trois personnes divines réellement distinguées, & l'identité d'une nature indivisible. La Trinité est un ternaire de personnes divines, qui ont la même essence, la même nature & la même substance, non-seulement spécifique, mais encore numérique.

La théologie enseigne qu'il y a en Dieu une essence, deux processions, trois personnes, quatre relations, cinq notions, & la circumincession que les Grecs appellent . Nous allons donner une idée de chacun de ces points, qu'on trouvera d'ailleurs traités dans ce Dictionnaire, chacun sous son titre particulier.

1°. Il y a donc en Dieu une seule essence, une seule nature divine qui est spirituelle, infinie, éternelle, immense, toute-puissante, qui voit tout, qui connoît tout, qui a créé toutes choses, & qui les conserve. Vouloir diviser cette nature, c'est établir ou le manichéisme, ou le trithéisme, ou le polythéisme. Voyez MANICHEISME, &c.

2°. Il y a en Dieu deux processions ou émanations, savoir celle du Fils, & celle du Saint-Esprit. Le Fils tire son origine du Pere, qui est improduit, & le S. Esprit tire la sienne du Pere & du Fils. La procession du Fils s'appelle génération, celle du S. Esprit retient le nom de procession. Voyez GENERATION, &c.

Le Fils procéde du Pere par l'entendement, ou par voie de connoissance : car Dieu se connoissant lui-même de toute éternité, nécessairement & infiniment, produit un terme, une idée, une notion ou connoissance de lui-même, & de toutes ses perfections, qui est appellée son Verbe, son Fils, l'image de sa substance, qui lui est égal en toutes choses, éternel, infini, nécessaire, &c. comme son Pere.

Le Pere regarde son Fils comme son Verbe, & le Fils regarde son Pere comme son principe ; & en se regardant ainsi l'un & l'autre éternellement, nécessairement & infiniment, ils s'aiment nécessairement, & produisent un acte de leur amour mutuel.

Le terme de cet amour est le S. Esprit, qui procéde du Pere & du Fils par voie de spiration, c'est-à-dire de volonté, d'amour & d'impulsion, & qui est aussi égal en toutes choses au Pere & au Fils. Voyez PERE, FILS & S. ESPRIT.

Ces processions sont éternelles, puisque le Fils & le S. Esprit qui en résultent, sont eux-mêmes éternels. Elles sont nécessaires & non contingentes, car si elles étoient libres en Dieu, le Fils & le S. Esprit qui en émanent seroient contingens, & dès-lors ils ne seroient plus Dieu. Enfin elles ne produisent rien hors du Pere, puisque le Fils & le S. Esprit qui en sont le terme, demeurent unis au Pere sans en être séparés, quoiqu'ils soient réellement distingués de lui.

3°. Chaque procession divine établit deux relations ; l'une du côté du principe, ou de la personne de qui une autre émane ; & l'autre du côté du terme ou de la personne qui émane d'une autre personne divine.

La paternité est une relation fondée sur ce que les théologiens scholastiques appellent l'entendement notionel, par lequel le Pere a rapport à la seconde personne qui est le Fils. La filiation est la relation par laquelle la seconde personne, c'est-à-dire le Fils, a rapport au Pere. Ainsi la premiere procession qu'on nomme génération, suppose nécessairement deux relations, la paternité & la filiation. Voyez PATERNITE & FILIATION.

La spiration active est la relation fondée sur l'acte notionel de la volonté, par laquelle la premiere & la seconde personne regardent ou se rapportent à la troisieme. La spiration passive, ou procession prise dans sa signification stricte, est la relation par laquelle la troisieme personne regarde ou se rapporte à la premiere & à la seconde. Par conséquent la seconde procession, qui retient proprement le nom de procession, forme nécessairement deux relations ; la spiration active & la spiration passive. Voyez SPIRATION.

Ou pour exprimer encore plus clairement ces choses abstraites. La premiere personne qui s'appelle Pere, a en qualité de Pere, un rapport réel de paternité avec le Fils qu'il engendre. La seconde personne qui s'appelle Fils, a en qualité de Fils, un rapport réel de filiation avec le Pere qui le produit. La troisieme personne qui s'appelle le Saint-Esprit, a en qualité de Saint-Esprit, un rapport réel de spiration passive avec le Pere & le Fils, parce qu'il en procéde. Le Pere & le Fils qui produisent le S. Esprit, ont en qualité de principe du S. Esprit, un rapport réel de spiration active avec cette troisieme personne qui émane d'eux.

4°. Par personne on entend une substance individuelle, raisonnable ou intellectuelle, ou bien une substance intellectuelle & incommunicable. Voyez PERSONNE.

Quoique dans les premiers siecles on ait disputé sur la signification du mot hypostase, quelques peres le rejettant pour ne pas paroître admettre en Dieu trois natures ; cependant selon l'usage reçu depuis long-tems dans l'Eglise & dans les écoles, le mot hypostase est synonyme à celui de personne. Il y a donc dans la sainte Trinité trois hypostases, ou trois personnes, le Pere, le Fils & le S. Esprit, qui sont constituées par les relations propres & particulieres à chacune d'elles. En sorte qu'excepté ces relations, toutes choses leur sont connues. C'est de-là qu'est venu cet axiome en Théologie : omnia in divinis unum sunt, ubi non obviat relationis oppositio, c'est-à-dire qu'il n'y a point de distinction dans les personnes divines, lorsqu'il n'y a point d'opposition de relation. Ainsi tout ce qui concerne l'essence ou la nature leur est commun, il n'y a que les propriétés relatives qui regardent proprement les personnes. Relativa nomina Trinitatem faciunt, dit S. Fulgence, lib. de Trinit. essentialia vero nullo modo triplicantur.

Ainsi si la puissance est quelquefois attribuée au Pere, la sagesse au Fils, & la bonté au S. Esprit ; & de même si l'on dit que les péchés d'infirmité ou de foiblesse sont commis contre le Pere, ceux d'ignorance contre le Fils, ceux de malice contre le S. Esprit, ce n'est pas à dire pour cela que ces attributs ne soient pas communs aux trois personnes, ni que ces péchés les offensent moins directement l'une que l'autre. Mais on leur attribue ou rapporte ces choses par voie d'appropriation, & non de propriété ; car toutes ces choses sont communes aux trois personnes, d'où est venu cet axiome : les oeuvres de la sainte Trinité sont communes & indivises, (c'est-à-dire elles conviennent à toutes les personnes divines), mais non pas leurs productions ad intra (comme on les appelle), par la raison qu'elles sont relatives.

Par appropriation on entend l'action de donner à une personne divine, à cause de quelque convenance, un attribut qui est réellement commun à toutes les trois. Ainsi dans les Ecritures, dans les épîtres des apôtres, dans le symbole de Nicée, la toute-puissance est attribuée au Pere, parce qu'il est le premier principe, & un principe sans origine, ou principe plus élevé. La sagesse est attribuée au Fils, parce qu'il est le terme de l'entendement divin, auquel la sagesse appartient. La bonté est attribuée au S. Esprit, comme au terme de la volonté divine à laquelle appartient la bonté.

Le Pere est la premiere personne de la sainte Trinité, par la raison que le Pere seul produit le Verbe par l'acte de son entendement ; & avec le Verbe il produit le S. Esprit par l'acte de sa volonté.

Il est bon de remarquer ici que le S. Esprit n'est pas ainsi appellé à cause de sa spiritualité, qui est un attribut commun à toutes les trois personnes ; mais à cause de la spiration passive qui lui est particuliere à lui seul. Spiritus, quasi spiratus.

Ajoutez à cela, que quand une personne de la sainte Trinité est appellée premiere, une autre seconde, une autre troisieme, ces expressions ne doivent point s'entendre d'une priorité de tems ou de nature, qui emporteroit avec elle quelqu'idée de dépendance, ou de commencement dans le tems ; mais d'une priorité d'origine ou d'émanation, qui consiste en ce qu'une personne produit l'autre ; mais de toute éternité, & de telle sorte que la personne qui produit ne peut exister, ni être conçue sans celle qui est produite.

5°. Il suit de ce que nous avons dit, que dans la Trinité il y a des notions ; & par notion l'on entend une marque particuliere, ou un caractere distinctif qui sert à distinguer les trois personnes, & l'on en compte cinq. La paternité, qui distingue le Pere du Fils & du S. Esprit. La filiation, qui distingue le Fils des deux autres personnes divines. La spiration active, qui distingue le Pere & le Fils d'avec le S. Esprit, & la spiration passive, qui distingue le S. Esprit du Pere & du Fils. Quelques théologiens prétendent que ces quatre notions suffisent, & que le Pere est assez distingué du Fils par la paternité, & du S. Esprit par la spiration active ; mais le plus grand nombre ajoute encore pour le Pere l'innascibilité. En effet, elle seule donne une idée juste & totale du Pere, qui est la premiere des trois personnes divines. Cette premiere personne est improduite, & qui dit simplement pere, n'énonce pas une personne non engendrée : quiconque est pere, peut avoir lui-même un pere.

6°. La circumincession, ou , est l'inexistence intime des personnes divines, ou leur mutuelle existence l'une dans l'autre. Car quoiqu'elles soient réellement distinguées, elles sont cependant consubstantielles ; c'est pourquoi J. C. dit dans S. Jean, ch. xiv. Quoi, vous ne croyez pas que je suis dans le Pere, & que le Pere est en moi ? L'identité d'essence que les Grecs appellent , & la consubstantialité avec la distinction des personnes, sont nécessaires pour la circumincession. Voyez CIRCUMINCESSION.

Telle est la foi sur le mystere de la sainte Trinité, & telles sont les expressions consacrées parmi les Théologiens pour expliquer ce mystere, autant que les bornes de l'esprit humain peuvent le permettre. Car on sent d'abord combien il en surpasse la foible portée, & qu'on ne sauroit trop scrupuleusement s'attacher au langage reçu dans une matiere où il est aussi facile que dangereux de s'égarer, comme l'a dit S. Augustin : in iis ubi quaeritur unitas trinitatis, Patris, & Filii, & Spiritûs-Sancti, nec periculosius alicubi erratur, nec laboriosius aliquid quaeritur. lib. I. de Trinit. c. j.

En effet, il est peu de dogmes qui ayent été attaqués avec tant d'acharnement & de tant de différentes manieres par les ennemis du christianisme. Car sans parler des Juifs modernes qui le nient hautement pour ne pas reconnoître la divinité de Jesus-Christ, & sous prétexte de maintenir l'unité d'un Dieu qui leur est si expressément recommandée dans l'ancienne loi, comme si l'on n'y trouvoit pas des traces suffisantes de ce mystere ; parmi les autres hérétiques, les uns l'ont combattu dans toutes ses parties en niant la trinité des personnes ; d'autres, ne l'ont attaqué qu'en quelques points, soit en multipliant ou en diversifiant la nature divine, soit en niant l'ordre d'origine qui se trouve entre le Pere, le Fils & le Saint-Esprit.

Sabellius & ses sectateurs qui ont paru dans le iij. siecle de l'Eglise, les Spinosistes & les Sociniens qui se sont élevés dans ces derniers tems, en ont nié la possibilité & la réalité. La possibilité, parce qu'ils prétendent qu'il implique contradiction qu'il y ait en Dieu trois personnes réellement distinguées les unes des autres, & que ces trois personnes possedent une seule & même nature numérique & individuelle. La réalité, parce qu'ils s'imaginent qu'il n'en est fait aucune mention dans les livres saints. Suivant eux, c'est la même personne divine ou le même Dieu qui est nommé Pere, Fils & Saint-Esprit dans les Ecritures. Pere, entant qu'il est le principe de toutes choses & qu'il a donné l'ancienne loi. Fils, entant qu'il a daigné instruire de nouveau les hommes par Jesus-Christ qui étoit lui-même un pur homme. Saint-Esprit, entant qu'il éclaire les créatures raisonnables, & qu'il les échauffe du feu de son amour.

Jean Philoponus est le premier qu'on connoisse avoir multiplié la nature divine dans les trois personnes de la sainte Trinité. Il enseignoit, selon Nicephore hist. l. XVIII. que le Pere, le Fils & le Saint-Esprit avoient la même nature spécifique, en ce qu'ils possédoient tous trois la même divinité ; mais il ajoutoit que la nature divine ne se trouve pas une en nombre dans ces trois personnes & qu'elle y est réellement multipliée. Erreur que l'abbé Faydit a renouvellée dans le dernier siecle. Arius, prêtre d'Alexandrie & Macédonius, patriarche de Constantinople, ont soutenu ; l'un, que le Verbe n'étoit pas consubstantiel au Pere ; l'autre, que le Saint-Esprit n'étoit pas Dieu comme le Pere & le Fils. Deux points que les Ariens modernes ou Antitrinitaires ont aussi avancé dans ces derniers tems. Enfin les Grecs pensent que le Saint-Esprit ne procede que du Pere & nullement du Fils.

A ces différentes erreurs, les Orthodoxes opposent. 1°. Les écritures qui établissent évidemment l'existence de ce mystere, & par conséquent sa possibilité dont la raison seule n'est pas juge compétent. 2°. Les décisions de l'église & sa tradition constante. 3°. Les recherches & les raisonnemens d'un grand nombre de Théologiens, soit protestans, soit catholiques, qui ont approfondi ces matieres dans les disputes avec les Sociniens, de maniere à faire voir que les interprétations que ceux-ci donnent aux Ecritures sont fausses, forcées & également contraires à l'esprit & à la lettre des livres saints. On peut consulter sur ce point les PP. Petau & Thomassin, MM. Bossuet, Huet & Witasse ; & parmi les Protestans, Abadie, la Place, Bullus, Hoornebeck, &c.

TRINITE PHILOSOPHIQUE, nous entendons par ce terme, les divers sentimens répandus dans l'antiquité sur une trinité d'hypostases dans la divinité.

En effet, parmi les payens, plusieurs écrivains semblent avoir eu quelque notion de la Trinité. Steuch. Eugub. de Peren. Philos. lib. I. c. iij. observe qu'il n'y a rien dans toute la théologie payenne qui ait été ou plus approfondi, ou plus généralement avoué par les Philosophes que la Trinité. Les Chaldéens, les Phéniciens, les Grecs & les Romains ont reconnu dans leurs écrits que l'être suprême a engendré un autre être de toute éternité, qu'ils ont appellé quelquefois le fils de Dieu, quelquefois le verbe, quelquefois l'esprit & quelquefois la sagesse de Dieu, & ont assuré qu'il étoit le créateur de toutes choses. Voyez FILS.

Parmi les sentences des Mages descendans de Zoroastre, on trouve celle-ci, ; le pere a accompli toutes choses & les a remises à son second esprit. Les Egyptiens appelloient leur trinité hempta, & ils l'ont représentée comme un globe, un serpent & une aîle joints dans un symbole hiéroglyphique. Le P. Kircher & M. Gale supposent que les Egyptiens avoient reçu cette doctrine du patriarche Joseph & des Hébreux.

Les Philosophes, dit S. Cyrille, ont reconnu trois hypostases ou personnes. Ils ont étendu leur divinité à trois personnes, & même se sont quelquefois servis du mot trias, trinité. Il ne leur manquoit que d'admettre la consubstantialité de ces trois hypostases, pour signifier l'unité de la nature divine à l'exclusion de toute triplicité, par rapport à la différence de nature, & de ne point regarder comme nécessaire de concevoir quelqu'infériorité de la seconde hypostase, par rapport à la premiere ; & de la troisieme, par rapport aux deux autres. Voyez HYPOSTASE.

Plotin soutient, Ennecad. V. lib. I. cap. viij. que cette doctrine est très-ancienne, & qu'elle avoit déja été enseignée, quoiqu'obscurément par Parmenide. Il y en a qui rapportent l'origine de cette opinion aux Pythagoriciens, & d'autres l'attribuent à Orphée, qui a nommé ces trois principes Phanés, Uranus & Chronus. Quelques savans ne trouvent pas vraisemblable que cette trinité d'hypostases soit une invention de l'esprit humain, & M. Cudworth, entr'autres, juge qu'on peut en croire Proclus, qui assure que c'est une théologie de tradition divine, , & qu'ayant été donnée aux Hébreux, elle est passée d'eux à d'autres nations, parmi lesquelles elle s'est néanmoins corrompue ; & en effet, il est fort probable que les Hébreux l'aient communiquée aux Egyptiens, ceux-ci aux Phéniciens & aux Grecs, & que par laps de tems, elle se soit altérée par les recherches mêmes des Philosophes, dont les derniers, comme c'est la coutume, auront voulu substituer & ajouter de nouvelles découvertes aux opinions des anciens. Il est vrai, d'un autre côté, que le commerce des philosophes grecs avec les Egyptiens, ne remonte qu'au voyage que Pythagore fit en Egypte, où il conversa avec les prêtres de ce pays, ce qui ne remonte pas plus haut que l'an du monde 3440, & il y avoit alors plus de mille ans que les Hébreux étoient sortis d'Egypte. Il eût été par conséquent fort étonnant que les Egyptiens eussent conservé des idées bien nettes & bien pures de la trinité ; & ils n'en purent gueres donner que de confuses à Pythagore, sur un dogme qui leur étoit, pour ainsi dire étranger, puisqu'ils avoient eux-mêmes considérablement obscurci ou défiguré les principaux points de leur propre religion.

Quoi qu'il en soit, les Philosophes qui admettoient cette trinité d'hypostases, la nommoient une trinité de dieux, un premier, un second, un troisieme dieu. D'autres ont dit une trinité de cause, de principes ou de créateurs. Numenius disoit qu'il y a trois dieux, qu'il nomme le pere, le fils & le petit - fils. Philon, tout juif qu'il étoit, a parlé d'un second dieu. Cette tradition fut exprimée en termes impropres & corrompus en diverses manieres parmi les payens. Il y eut quelques Pythagoriciens & quelques Platoniciens qui dirent que le monde étoit la troisieme hypostase dont il s'agissoit, de sorte qu'ils confondoient la créature & le créateur. On ne peut pas les excuser, en disant qu'ils entendoient principalement parlà l'esprit ou l'ame du monde, puisque s'il y avoit une ame du monde, qui conjointement avec le monde sensible composât un animal, il faudroit que cette ame fût une créature. 2°. Il y eut encore quelques philosophes des mêmes sectes, qui croyant que les différentes idées qui sont dans l'entendement divin, sont autant de dieux, faisoient de la seconde hypostase un nombre infini de divinités. 3°. Proclus & quelques nouveaux Platoniciens établirent un nombre infini de henades ou d'unités qu'ils plaçoient au-dessus de leur premier esprit qui faisoit leur seconde hypostase, & plaçoient de même une infinité de noës ou d'esprits au-dessus de la troisieme hypostase, qu'ils nommoient la premiere ame. De-là vinrent une infinité de dieux subalternes ou créés dans leur théologie, ce qui les jetta dans l'idolâtrie & dans la superstition, & les rendit les plus grands ennemis du christianisme.

Mais de tous les anciens philosophes, aucun ne s'est exprimé sur cette trinité d'hypostases plus formellement que Platon. Ce philosophe établit trois Dieux éternels, & qui ne sont pas des choses abstraites, mais des êtres subsistans. On peut voir là-dessus sa seconde épître à Denys. La deuxieme hypostase de Platon, où l'entendement est aussi sans commencement. Il assuroit la même chose de la troisieme hypostase, nommée l'ame. Il y a là-dessus des passages remarquables de Plotin & de Porphyre, qui disent que la seconde existe par elle-même & est le pere d'elle-même, . Plotin en particulier a expliqué ce mystere, en disant qu'encore que la seconde hypostase procede de la premiere, elle n'a pas été produite à la maniere des créatures, ni par un effet arbitraire de la volonté divine ; mais qu'elle en est sortie comme une émanation naturelle & nécessaire. Les trois hypostases de Platon sont non-seulement éternelles, mais aucune d'entr'elles ne peut être détruite. Enfin elles renferment également tout l'univers, c'est-à-dire, qu'elles sont infinies & toute-puissantes. Cependant ce philosophe admettoit entr'elles une espece de subordination ; l'on agitoit dans les écoles platoniciennes à-peu-près les mêmes difficultés qui ont donné tant d'exercice à nos théologiens. Le P. Petau Dogm. théolog. tom. II. l. I. c. j. après avoir expliqué le sentiment d'Arius, a soutenu que cet herésiarque étoit un véritable platonicien ; tandis que M. Cudworth prétend au contraire que c'est S. Athanase qui a été dans les sentimens de Platon. Il faut avouer que l'obscurité de ce philosophe & de ses disciples, donne lieu de soutenir l'un & l'autre sentiment. Voyez le Clerc, Bibliot. chois. tom. III. art. j.

Voilà sans doute ce qui a donné lieu à quelques modernes d'avancer que les peres de la primitive église avoient puisé leur doctrine sur la trinité dans l'école de Platon ; mais le P. Mourgues & le P. Balthus, jésuites, qui ont approfondi cette matiere, montrent qu'il n'y a rien de si absurde que de supposer que c'est la trinité de Platon qui a été adoptée dans l'Eglise, & que d'avoir recours au prétendu platonisme des peres, pour décréditer leur autorité par rapport à ce dogme. En effet, outre que toutes les vérités fondamentales qui concernent ce mystere sont contenues dans l'Ecriture & ont été définies par l'Eglise, quelle qu'ait été l'opinion des peres considérés comme philosophes, elle n'influe point sur le dogme de la Trinité chrétienne, qui ne dépend nullement des opinions de la philosophie ; & l'on peut faire, puisque l'occasion s'en présente, les trois remarques suivantes sur cet article de notre foi. 1°. La Trinité que nous croyons, n'est point une trinité de noms & de mots, ou de notions de métaphysique, ou de conceptions incompletes de la divinité ; cette doctrine a été condamnée dans Sabellius & dans d'autres : c'est une trinité d'hypostases, de substances & de personnes. 2°. C'est qu'encore que la deuxieme hypostase ait été engendrée par la premiere, & que la troisieme procede de l'une & de l'autre ; ces deux dernieres ne sont pas néanmoins des créatures, mais sont coëternelles à la premiere. 3°. C'est que ces trois hypostases ne sont réellement qu'un seul Dieu, non-seulement à cause du consentement de leurs volontés, (ce qui ne feroit qu'une unité morale), mais encore à cause de leur mutuelle union de substance, que les anciens ont nommées circumincession, ou inexistences , ce qui emporte une unité réelle & physique.

Quoiqu'on ne puisse trouver d'autres exemples d'une semblable union dans les créatures ; puisque deux substances diverses font un seul homme, trois hypostases divines peuvent bien faire un seul Dieu. Ainsi quoiqu'il y ait dans ce dogme une profondeur impénétrable, il ne renferme pourtant point de contradiction & d'impossibilité. Au reste, il semble que la providence divine ait conservé la trinité selon le systême des Philosophes dans le monde payen, jusqu'à ce que le christianisme parut, pour lui préparer une voie par laquelle il pût être reçu des habiles gens. Cet article est en partie tiré des mémoires de M. Formey, historiographe de l'académie royale de Prusse.

TRINITE, (fête de la très-sainte) fête solemnelle que l'on célebre dans l'Eglise romaine, en l'honneur du mystere de la Trinité, le premier dimanche après la fête de la Pentecôte.

Quoique de tout tems on ait honoré ce mystere, & que tout le culte des Chrétiens consiste à adorer un Dieu en trois personnes, cependant la fête particuliere de la Trinité est d'une institution assez recente. Vers l'an 920, Etienne, evêque de Liége, fit dresser un office de la Trinité, qui s'établit peu à peu dans diverses églises. On célébroit ordinairement la messe de la Trinité dans les jours qui manquoient d'office ; mais le pape Alexandre II. ne voulut approuver aucun jour particulier pour la fête de la sainte trinité, quoiqu'elle fût établie dans plusieurs églises particulieres. Alexandre III. déclara sur la fin du xije. siecle, que l'Eglise romaine ne connoissoit point cette fête. Pothon, moine de Prom, qui vivoit dans le même siecle, en combattit l'usage, & il fut encore vivement attaqué dans le xiije. siecle ; cependant le concile d'Arles, tenu en 1260, l'établit pour sa province. On croit que ce fut au xjv. siecle, que l'église de Rome reçut la fête de la Trinité, sous le pontificat de Jean XXII. & que ce pape la fixa au dimanche qui suit immédiatement la Pentecôte, mais ce fait est fort douteux : car le cardinal Pierre d'Ailly, sollicita en 1405, Benoît XIII. pour l'établissement de cette fête, & Gerson dit que de son tems l'institution en étoit encore toute nouvelle. Les Grecs n'ont point encore la fête solemnelle de la Trinité, ils en font seulement l'office le lundi, le lendemain de la Pentecôte. Baillet, vies des saints, hist. des fêtes mobiles.

TRINITE, (critiq. sacrée) ce mot est reçu pour désigner le mystere de Dieu en trois personnes, le pere, le fils & le saint-esprit. Il me semble qu'il y auroit de la témérité d'entreprendre d'expliquer ce dogme, parce que vû le silence des écrivains sacrés, les explications ne peuvent être qu'arbitraires, & chacun a droit de forger la sienne. De-là vient que S. Hilaire par son expression trina deitas, trouva tout autant de censeurs que d'approbateurs, qui disputerent vainement sur un sujet dont ils ne pouvoient se former d'idée. Aussi Chilpéric I. monarque singulier, si le portrait que nous en a fait Grégoire de Tours est fidele, voulut donner un édit pour défendre de se servir même à l'avenir du terme de trinité, & de celui de personne en parlant de Dieu. Il condamnoit le premier terme parce qu'il n'étoit pas dans l'Ecriture, & proscrivoit le second, parce qu'étant d'usage pour distinguer parmi les hommes chaque individu, il prétendoit qu'il ne pouvoit en aucune maniere convenir à la divinité. (D.J.)

TRINITE, fraternité ou confrairie de la sainte, est une société instituée à Rome par saint Philippe de Néry, en 1548, pour avoir soin des pélerins qui viennent de toutes les parties du monde, se rendre dans cette ville capitale, pour visiter les tombeaux des apôtres saint Pierre & saint Paul. Voy. FRATERNITE.

Ceux qui composent cette société, ont une maison où ils entretiennent pendant l'espace de trois jours non - seulement les pélerins, mais aussi les pauvres convalescens, & ceux qui étant sortis trop-tôt de l'hôpital, pourroient être sujets à des rechûtes.

Cet établissement fut d'abord fait dans l'église de S. Sauveur, in campo, & ne consistoit qu'en quinze personnes qui tous les premiers dimanches du mois se trouvoient dans cette église, pour pratiquer les exercices de piété prescrits par saint Philippe de Néry, & pour entendre ses exhortations ; en 1558, Paul IV. donna à la fraternité l'église de saint Benoît, que les freres intitulerent du nom de la sainte Trinité. Depuis ce tems-là, ils ont bâti & joint à l'église un hôpital très-vaste, pour les pélerins & malades convalescens.

Aujourd'hui cette fraternité est très-considérable, & la plûpart de la noblesse de Rome de l'un ou de l'autre sexe, lui fait l'honneur d'en être membres.

La congrégation de la sainte Trinité consiste en douze prêtres, établis dans l'hôpital de la fraternité pour prendre soin des pélerins & de ceux que l'on a coutume d'y entretenir.

Comme les fréquens changemens de prêtres donnoient occasion à une partie des différens qui s'élevoient dans cet hôpital, sur la conduite spirituelle & sur l'instruction des pélerins ; les gardiens & administrateurs pour y établir une plus grande uniformité, y formerent une congrégation de douze prêtres qui logent aujourd'hui dans un quartier de l'hôpital, & y vivent en communauté comme dans un monastere.

TRINITE, (ordre de la sainte) Voyez TRINITAIRES.

TRINITE CREEE, filles de la, (Hist. des ord. relig.) c'est le nom bien étrange des religieuses de la société de S. Joseph. Ces filles avoient une maison à la Rochelle qui y fut établie en 1659 ; cinq ans après les soeurs de cette maison ayant eu envie d'embrasser l'état régulier, firent des voeux, & jetterent les fondemens d'un ordre pour lequel on dressa des regles & des constitutions, qui furent imprimées à Paris en 1664, sous le titre de regle des filles de la Trinité créée, dites religieuses de la congrégation de saint Joseph, instituée pour l'éducation des filles orphelines dans la ville de la Rochelle. Cette seule maison de la Rochelle fait jusqu'ici tout cet ordre. (D.J.)

TRINITE maison de la, (Hist. mod. d'Angl.) the trinity-house ; c'est ainsi qu'on appelle en Angleterre, une célebre confrairie, corporation, ou compagnie de gens de mer, à qui l'usage & la législature ont confié plusieurs articles de police, concernant la navigation des côtes & des rivieres, & particuliérement ce qui regarde le lamanage & le lestage des navires.

Elle doit son origine à Henri VIII, qui, par des lettres-patentes du mois de Mars de la quatrieme année de son regne, incorpora les mariniers anglois, sous le nom de maîtres gardiens, & assistans de la société de la très-glorieuse Trinité, Master Wardens, and assistans of the guild fraternity, or Brothers hood of the most glorious, and individual triniti ; c'est le titre singulier qu'on lui donna.

Cette confrairie fut érigée dans la paroisse de Deptford-Strand, au comté de Kent, où elle eut sa premiere maison ; depuis elle en a élevé quelques autres en divers endroits, qui sont celles de Newcastle sur la Tine, dans le Northumberland. Celle de Kingstone-sur Hull, dans l'Yorck-Shire, & celle des cinq ports. La maison de Deptford-Strand, est comme le chef lieu de la confrairie.

L'acte du parlement passé sous Elisabeth, attribue à la maison de la Trinité, le droit de placer sur les côtes d'Angleterre, les tonnes, les bouées, les balises & les fanaux qu'elle juge à propos, pour la sûreté de la navigation, & l'autorise à donner aux gens de mer, la permission d'exercer sur la Tamise, le métier de batelier ; sans que qui que ce soit puisse leur apporter aucun empêchement.

La corporation de la trinité est composée d'anciens & de jeunes confreres. Il y a trente-un anciens, le nombre des jeunes n'est pas limité. Tout marinier peut prétendre d'y être admis. On tire les anciens du nombre des jeunes. Quand une fois ils ont été élus, ils conservent cette qualité toute leur vie, à moins que par quelque malversation, ils ne se fassent casser. On choisit annuellement entr'eux un maître, quatre gardiens, & huit assesseurs. Le pouvoir accordé à la corporation par la couronne, s'exerce par le maître, les gardiens, les assesseurs, & les anciens.

On leur remet quelquefois des causes maritimes à juger, & l'on s'en tient à leur jugement. De plus, la cour de l'amirauté les charge d'instruire certains procès, & de les rapporter.

La corporation de la trinité, indépendamment de plusieurs franchises, jouit du privilége exclusif de fournir des pilotes, pour conduire les navires hors de la Tamise & du Medway, jusqu'aux dunes, & des dunes dans le Medway & dans la Tamise. Elle peut faire tel réglement qu'elle juge nécessaire pour le bon ordre, le soutien & l'augmentation de la navigation, & des mariniers. Elle a droit d'appeller devant elle, tout maître, pilote, ou homme de mer employé dans un vaisseau sur la Tamise, & de condamner à une amende ceux qui refusent de comparoître. Quoique la police de la Tamise, depuis le pont de Londres jusqu'à la mer, soit particulierement de son ressort, ses soins ne laissent pas de s'étendre encore au-delà ; mais la Tamise en est l'objet principal, à cause que le courant du commerce y est plus animé.

La corporation a deux hôpitaux en Deptford-Strand, & un à Mile-End, pour le secours des matelots. Elle doit ces trois édifices au chevalier Baronet Richard Brown de Sayes-Court, au capitaine Richard Maples, & au capitaine Henry Mudel ; les noms des bienfaiteurs de leur pays doivent passer à la postérité.

Indépendamment de ces trois fondations, la confrairie de la Trinité fait de petites pensions par mois à plus de deux mille matelots, ou à leurs veuves. Ces charités montent annuellement à cinq mille & quelquefois six mille livres sterlings. Non-seulement cette corporation aide les mariniers que la vieillesse ou les accidens mettent hors d'état de gagner leur vie, mais elle étend même ses aumônes sur tous les gens de mer qui languissent dans l'indigence, soit par défaut d'occupation, soit par quelqu'autre raison.

Le produit d'un grand nombre d'amendes, appliquées au profit de la corporation ; les droits qu'elle perçoit pour les fanaux, les bouées, les balises, le lestage ; les donations des confrairies & des personnes charitables, sont les sources d'où sortent les fonds qui la mettent en état de faire de pareilles libéralités. Enfin les services importans que cette société rend au public, lui ont mérité, que les Anglois ne prononcent point son nom, sans l'accompagner de l'épithete d'éminente, & c'est une qualification des plus honorables. (D.J.)

TRINITE, île de la, (Géog. mod.) grande & belle île de l'Amérique équinoxiale, dans le golfe de Paria, sur la côte de la nouvelle Andalousie, au midi des Antilles ; elle peut avoir environ 100 à 120 lieues de circuit ; sa figure est à-peu-près celle d'un triangle, dont le plus petit côté est tourné à l'occident & fait un angle rentrant, formant une grande baie très-profonde ; cette île appartient aux Espagnols, & quoique son terrein soit extrêmement fertile, à peine est-elle peuplée. L'intérieur du pays est couvert de forêts, remplies d'une multitude d'arbres d'une grosseur énorme ; on y trouve beaucoup d'acajoux d'une beauté admirable, dont on se sert pour construire de grands canots & des pirogues d'une seule piece, qui peuvent porter trente & quarante hommes, même plus ; ces arbres servent encore à former des madriers & des planches de plus de 30 piés de longueur, qu'on emploie utilement à border des bâtimens de mer & à d'autres usages.

Les habitans de la Trinité trouvent abondamment dequoi vivre à la façon du pays, la terre leur fournit naturellement beaucoup de fruits ; ils peuvent cultiver du manioc, du maïs & des légumes de toutes especes, le poisson, les crabes & le gibier ne leur manquent pas ; du reste, ils sont si misérables par leur paresse & par le peu de commerce qu'ils font, que le gouverneur, quoique plus opulent que les autres habitans, reserve ses souliers pour s'en parer les jours de cérémonie.

TRINITE, île de la, (Géog. mod.) ou isla della Trinidad, île de l'Amérique méridionale, dans la mer du Sud, sur la côte de la Terre-ferme, au nord de l'embouchure de l'Orénoque. Elle appartient aux Espagnols ; on lui donne 25 lieues de long, sur 18 de large, mais l'air y est mal - sain, à cause qu'il est ordinairement chargé de brouillards. Colomb a découvert cette île en 1498 ; la petite ville de Saint-Joseph est sa capitale. Latit. mérid. 9. latit. septent. 10. 30. suivant les cartes hollandoises. (D.J.)

TRINITE, la, (Géog. mod.) ou comme disent les Espagnols, la Trinidad, ville de l'Amérique méridionale, dans la Terre-ferme, au nouveau royaume de Grenade, sur le bord oriental de la riviere de la Magdalena, à 24 lieues de Santa-Fé. Latitude 5. 30. (D.J.)

TRINITE ou TRINIDAD, (Géog. mod.) ville ou bourgade de l'Amérique méridionale, dans la nouvelle Espagne, sur la côte de la mer du sud, au gouvernement de Guatimala, & à 4 lieues du port d'Acaxutla, vers le sud-ouest, dans un terroir fertile en cacao. C'est un lieu de grand trafic, où toutes les marchandises qui viennent du Pérou & de la nouvelle Espagne sont transportées. (D.J.)

TRINITE, la, (Géog. mod.) Trinidad, petite ville de l'île de Cuba, en Amérique. Elle est sur une riviere poissonneuse. Son port est accessible & commode ; son négoce consiste en tabac qui est très-bon. (D.J.)


TRINIUM(Géog. anc.) fleuve d'Italie. Pline, l. III. c. xij. le marque dans le pays des Trentani. On le nomme présentement Trigno. (D.J.)


TRINIUMGELDS. m. (Hist. mod.) c'est une espece de compensation qui fut en usage parmi les Anglosaxons, pour punir de grands crimes dont on ne pouvoit être absous, qu'en payant trois fois une amende. Voyez ARGENT. (D.J.)


TRINO(Géog. mod.) ville d'Italie, dans le Montferrat, proche le Pô, à 8 milles de Casal. Elle est fortifiée à la moderne, & a été cédée au duc de Savoye en 1631. par le traité de Quierasque. Long. 25. 52. lat. 45. 10. (D.J.)


TRINOBANTES(Géog. anc.) selon César, Bell. gall. l. V. c. xx. Trinovantes, selon Tacite, Trinoantes, selon Ptolémée, l. II. c. iij. peuples de la Grande-Bretagne. Ils habitoient, selon quelques-uns, aux environs de Londres ; d'autres les mettent dans le pays appellé depuis Essex ; & d'autres veulent qu'ils ayent habité le Middelsex.

Les Trinobantes voyant que César s'approchoit de leur pays, lui envoyerent des députés pour lui demander la paix. En même tems, ils le supplierent de prendre sous sa protection Mandrubatius, leur roi, qui s'étoit retiré dans les Gaules, lors de la mort d'Immanuantius son pere, à qui Cassivellaunus avoit ôté la vie, après lui avoir enlevé ses états. César promit de leur envoyer Mandrubatius, à condition qu'ils lui fourniroient des vivres, & qu'ils lui livreroient quarante ôtages, à quoi ils obéirent sur le champ. Les Trinobantes furent des premiers qui se souleverent contre les Romains du tems de Néron. (D.J.)


TRINOMEen terme de Mathématiques, est l'assemblage de trois termes, ou monomes, joints les uns aux autres par les signes + ou -. Tels sont a + b - c, a 2 b + c a d - b 3, &c.


TRINQUARTS. m. terme de Charpenterie, petit bâtiment qui sert à la pêche du hareng, que les François font dans la Manche ; les trinquarts sont depuis douze jusqu'à quinze tonneaux. (D.J.)


TRINQUETS. m. terme de Marine ; c'est le second mât de la galere. Voyez GALERE.


TRINQUETINS. m. terme de Marine ; c'est le bordage extérieur le plus élevé de la galere.


TRINQUETTES. f. terme de Marine, voile triangulaire qu'on met à l'avant de certains vaisseaux.


TRINQUILIMALE(Géog. mod.) forteresse de l'île de Ceylan, dans la partie orientale de l'île, à l'entrée de la baie de Trinquilimale, ou de Los Arcos, sur une pointe qui avance dans la mer, du côté du nord. Long. suivant le P. Noël, 100. 58. 45. lat. 8. 50. (D.J.)


TRIOS. m. musique à trois parties principales ou récitantes. Cette espece de composition passe pour la plus excellente, & doit aussi être la plus réguliere de toutes. Outre les regles générales du contre-point, il y en a de particulieres pour le trio, qui ne laissent pas d'être rigoureuses, mais dont la parfaite observation fait du trio la plus agréable de toutes les harmonies. Ces regles découlent toutes de ce principe, que l'accord parfait étant formé de trois sons différens, il faut dans chaque accord, pour remplir l'harmonie, distribuer tous ces trois sons, autant qu'il se peut, entre les trois parties du trio. A l'égard des dissonnances, comme on ne les doit jamais doubler, & que leur accord est composé de plus de trois sons, c'est encore une plus grande nécessité de diversifier & de bien choisir les sons qui les doivent accompagner.

De-là ces diverses regles, de ne passer aucun accord sans faire entendre la tierce ou du-moins la sixte ; par conséquent d'éviter de frapper à la fois la quinte & l'octave ; de ne pratiquer l'octave qu'avec beaucoup de précaution ; d'éviter la quarte autant qu'il est possible ; car toutes les parties d'un trio bien composé, doivent, étant prises de deux en deux, former toujours des duo parfaits ; de-là, en un mot, toutes ces petites regles de détail, qu'on pratique même sans les avoir apprises, quand on en connoît suffisamment le principe.

On doit se rappeller ici ce que j'ai dit au mot DUO. Ces termes duo & trio s'entendent seulement des parties principales & obligées, & l'on n'y comprend point les accompagnemens ni les remplissages ; de sorte qu'une musique à quatre ou cinq parties, peut fort bien n'être qu'un trio. (S)


TRIOBOLES. m. (Monnoie d'Athènes) , nom de poids & de monnoie grecque, pesant ou valant trois oboles. On donnoit à Athènes, à ceux qui assistoient aux assemblées du peuple, un triobole, pourvu qu'ils n'y vinssent point trop tard. Voyez Petit, de Leg. att. III. tit. I. Le triobole étoit la moitié de la dragme, ou du denier. (D.J.)


TRIOCTILES. m. en Astrologie, est l'aspect ou la situation de deux planetes par rapport à la terre, quand elles sont éloignées l'une de l'autre de trois octantes ou huitiemes parties d'un cercle, c'est-à-dire, de 135 degrés.

Cet aspect, que quelques-uns nomment sesquiquadrant, est un des nouveaux aspects que Kepler a ajoutés aux anciens. Voyez ASPECT.


TRIOCULUS(Mythol.) il y avoit dans le temple de Minerve à Corinthe, un Jupiter en bois, qui avoit deux yeux comme la nature les a placés aux hommes, & un troisieme au milieu du front. On peut raisonnablement conjecturer, dit Pausanias, que Jupiter a été représenté avec trois yeux, pour signifier qu'il regne premierement dans le ciel, comme on le croit communément ; secondement dans les enfers, car le dieu qui tient son empire dans ces lieux souterreins, est aussi appellé Jupiter par Homere ; troisiemement, sur les mers, comme le témoigne Eschyle : " je crois donc que quiconque a fait cette statue, lui a donné trois yeux, pour nous apprendre qu'un seul & même dieu gouverne les trois parties du monde, que les poëtes disent être tombées en partage à trois dieux différens. (D.J.) "


TRIODIONS. m. (Eglise grecque) nom d'un livre ecclésiastique, qui est à l'usage de l'église grecque, & qui comprend l'office d'une partie de l'année. On nomme ce livre triodion, parce qu'il contient les hymnes ou odes à trois strophes ; l'hymne même s'appelle aussi par cette raison triodion, comme celle qui n'a que deux strophes se nomme diodion, & celle qui en a quatre, tetrodion. On peut consulter Leo Allatius, Meursius, & Suicer, sur ce breviaire des Grecs. (D.J.)


TRIODUS(Géog. anc.) les Grecs donnoient ce nom à un lieu où aboutissoient trois chemins : c'est ce que les Latins appellent trivia. Pausanias, liv. VIII. c. xxxvj. parle d'un de ces lieux qui étoit dans l'Arcadie sur le mont Ménalien. Ce fut dans ce lieu que les Mantinéens, par le conseil de l'oracle de Delphes, enleverent les os d'Arcas, fils de Callisto. (D.J.)


TRIOLETS. m. (Botan.) nom vulgaire de l'espece de treffle, qu'on nomme aussi treffle sauvage jaune, ou mieux encore lotier. Voyez LOTIER. (D.J.)

TRIOLET, (Poésie franç.) les François nomment ainsi une piece de huit vers sur deux rimes, & la bonté de la piece consiste dans l'application heureuse qui se fait des deux premiers vers qui sont comme un refrain. Il faut pour cela qu'ils rentrent bien dans le triolet, & qu'ils tombent au vrai lieu des pauses, dit St. Amant, qui a expliqué les regles austeres du triolet dans un triolet même. Comme le caractere de cette espece de rondeau est d'être plaisant & naïf, on n'en fait guere pour des éloges, ou sur des sujets graves, mais on les emploie volontiers pour un trait de satyre ou de raillerie. Exemple :

Que vous montrez de jugement,

De prévoyance & de courage !

Vous allez au feu rarement ;

Que vous montrez de jugement !

Mais on vous voit avidement

Courir des premiers au pillage.

Que vous montrez de jugement,

De prévoyance & de courage !

Voici un triolet d'un goût encore préférable, c'est le joli triolet de Ranchin :

Le premier jour du mois de Mai

Fut le plus heureux de ma vie.

Le beau dessein que je formai,

Le premier jour du mois de Mai !

Je vous vis & je vous aimai.

Si ce dessein vous plut, Sylvie,

Le premier jour du mois de Mai.

Fut le plus heureux de ma vie.

Rien n'est si doux, ni si naïf. (D.J.)


TRIOMPHALadj. (Gram.) qui a rapport au triomphe. On dit, robe triomphale, char triomphal, marche triomphale, art triomphal.

TRIOMPHALE, colonne, (Archit.) colonne qui étoit élevée chez les anciens en l'honneur d'un héros, & dont les joints étoient cachés par autant de couronnes qu'il avoit fait d'expéditions militaires. Chacune de ces couronnes avoit son nom particulier chez les Romains, comme palissaire, qui étoit bordée de pieux, pour avoir forcé une palissade ; murale, qui étoit ornée de créneaux ou de tourelles, pour avoir monté à l'assaut ; navale, chargée de proues & de pouppes de vaisseaux, pour avoir vaincu sur mer ; obsidionale ou graminale, de la premiere herbe qu'on trouvoit, & que les Latins appelloient gramen, pour avoir fait lever le siege ; civique, de chêne, pour avoir ôté des mains de l'ennemi un citoyen romain ; ovante, de myrthe, qui marque l'ovation ou petit triomphe ; & triomphale, de laurier, pour le grand triomphe. Procope rapporte qu'il fut élevé dans la place appellée Augustaeum, devant le palais impérial de Constantinople, une colonne de cette sorte, qui portoit la statue équestre de bronze de l'empereur Justinien. (D.J.)

TRIOMPHALE, pierre, (Littérat.) c'étoit une coutume assez ordinaire chez les anciens, de faire graver sur la pierre des faits historiques, & de consacrer aux dieux ces monumens, pour en conserver la mémoire à la postérité. Telles étoient les pierres nommées triomphales, où les noms de ceux qui avoient mérité l'honneur du triomphe, étoient marqués. On en usoit de même dans les dangers pressans, & dans les maladies fâcheuses, si l'on avoit éprouvé le secours des dieux ; on gravoit alors sur le marbre ou sur la pierre, le bienfait qu'on avoit reçu, pour servir de témoignage d'une reconnoissance éternelle. (D.J.)


TRIOMPHATEURS. m. (Hist. anc.) celui à qui l'on a accordé les honneurs du triomphe.


TRIOMPHAUXJEUX, (Antiq. rom.) on nommoit jeux triomphaux, ceux qu'on représentoit à l'occasion de quelque triomphe. Voyez TRIOMPHE. (D.J.)


TRIOMPHE(Hist. rom.) cérémonie & honneur extraordinaire accordé par le sénat de Rome & quelquefois par le peuple, pour récompenser un général qui par ses actions & ses victoires avoit bien mérité de la patrie.

Romulus & ses successeurs furent presque toujours en guerre avec leurs voisins, pour avoir des citoyens, des femmes & des terres. Ils revenoient dans la ville avec les dépouilles des peuples vaincus : c'étoient des gerbes de blé & des troupeaux, objets d'une grande joie. Voilà l'origine des triomphes qui furent dans la suite la principale cause des grandeurs où parvint la ville de Rome.

Le mot triomphe tire son origine de , qui est un des noms de Bacchus conquérant des Indes. Il fut le premier qui dans la Grece, selon l'opinion commune, institua cette réception magnifique qu'on faisoit à ceux qui avoient remporté de grands avantages sur les ennemis. Les acclamations du soldat & du peuple qui crioient après le vainqueur : io triumphe, ont donné naissance au mot triumphus, & étoient imitées du io triambe Bacche, qu'on chantoit au triomphe de Bacchus.

Tant que l'ancienne discipline de la république subsista, aucun général ne pouvoit prétendre au triomphe, qu'il n'eût éloigné les limites de l'empire par ses conquêtes, & qu'il n'eût tué au-moins cinq mille ennemis dans une bataille, sans aucune perte considérable de ses propres soldats ; cela étoit expressément porté par une ancienne loi, en confirmation de laquelle il fut encore établi par une seconde ordonnance qui décernoit une peine contre tout général qui prétendroit au triomphe, de donner une liste fausse du nombre des morts, tant dans l'armée ennemie, que dans la sienne propre.

Cette même loi les obligeoit avant que d'entrer dans Rome, de prêter serment devant les questeurs, que les listes qu'ils avoient envoyées au sénat, étoient véritables. Mais ces loix furent long-tems négligées, & traitées de vieillerie, & comme hors d'usage. Alors l'honneur du triomphe fut accordé à l'intrigue & à la faction de tout général de quelque crédit qui avoit obtenu quelque petit avantage contre des pirates ou des bandits, ou qui avoit repoussé les incursions de quelques barbares sauvages, qui s'étoient jettés sur les provinces éloignées de l'empire.

C'étoit une loi dans la république de Rome qu'un général victorieux & qui demandoit le triomphe, ne devoit point entrer dans la ville avant que de l'avoir obtenu.

Il falloit encore, pour obtenir le triomphe, que le général eût les auspices, c'est-à-dire, qu'il fût revêtu d'une charge qui donnoit droit d'auspices ; & il falloit aussi que la guerre fût légitime & étrangere. On ne triomphoit jamais lorsqu'il s'agissoit d'une guerre civile.

Le général qui avoit battu les ennemis dans un combat naval, avoit les honneurs du triomphe naval. Ce fut C. Duillius qui les eut le premier l'an 449, après avoir défait les Carthaginois : car c'est à-peu-près dans ce tems-là que les Romains mirent une flotte en mer pour la premiere fois. L'honneur que l'on fit à Duillius fut d'élever à sa gloire une colonne rostrale, rostrata, parce qu'on y avoit attaché les proues des vaisseaux : on en voit encore aujourd'hui une inscription dans le capitole.

Comme pour triompher, il falloit être général en chef, lorsqu'il n'y eut plus d'autre général ou chef que l'empereur, les triomphes lui devoient être réservés. Cependant, comme le dit très-bien M. l'abbé de la Bletterie, Auguste en habile politique, accoutumé à tout attendre & à tout obtenir du tems, ne se hâta point de tirer cette conséquence. Au contraire il prodigua d'abord le triomphe, & le fit décerner à plus de trente personnes. Mais enfin l'an de Rome 740 Agrippa, soit par modestie, soit pour entrer dans les vues d'Auguste, qu'il seconda toujours d'aussi bonne foi que s'il eût approuvé la nouvelle forme de gouvernement ; Agrippa, dis-je, ayant remis sur le trône Polémon, roi de la Chersonese taurique, n'écrivit point au sénat, & refusa le triomphe.

L'exemple d'Agrippa, gendre d'Auguste, & son collegue dans la puissance tribunitienne, eut force de loi : on sentit que l'on faisoit sa cour au prince en s'excluant soi-même de cet honneur ; & les bonnes graces d'Auguste valoient mieux que les triomphes. Ceux qui commandoient les troupes, quelques victoires qu'ils eussent remportées, n'adresserent plus de lettres au sénat, & par-là sans exclusion formelle, le triomphe devint un privilege des empereurs & des princes de la maison impériale.

En privant les particuliers de la pompe du triomphe, on continua de leur accorder les distinctions qui de tout tems en avoient été la suite ; c'est-à-dire, le droit de porter la robe triomphale à certains jours & dans certaines cérémonies, une statue qui les représentoit avec cet habillement, & couronnés de lauriers, enfin quelques autres prérogatives moins connues qui sont renfermées dans ces paroles de Tacite : Et quidquid pro triumpho datur.

Auguste, pour faire valoir & pour annoblir cette espece de dédommagement dont il étoit inventeur, voulut que Tibere, quoique devenu son gendre après la mort d'Agrippa, se contentât des ornemens triomphaux, au-lieu du triomphe que le sénat lui avoit décerné : ce ne fut que long-tems depuis, & pour d'autres victoires, qu'il lui permit de triompher.

Le dernier des citoyens qui soit entré dans Rome en triomphe, est Cornelius Balbus, proconsul d'Afrique, neveu de ce Cornelius Balbus connu dans l'histoire par ses liaisons avec Pompée, Cicéron & Jules-César. Balbus, le neveu, triompha l'an de Rome 735, pour avoir vaincu les Garamantes, chez qui les armes romaines n'avoient point encore pénétré. Deux singularités caractérisent son triomphe : 1°. Balbus est le seul, qui, n'étant citoyen romain que par grace, & n'ayant pas même l'avantage d'être né dans l'Italie, ait obtenu le plus grand honneur auquel un romain ait pu aspirer. 2°. Nul particulier n'eut cet honneur depuis le jeune Balbus. On ne sauroit alléguer sérieusement contre cette proposition l'exemple de Bélisaire qui triompha six cent ans après à Constantinople sous le regne de Justinien.

Il arrivoit quelquefois, que, si le sénat refusoit d'accorder le triomphe, à cause du défaut de quelque condition nécessaire, alors le général triomphoit sur le mont Albain. Papirius Massa fut le premier qui triompha de cette maniere l'an 522 de Rome.

Lorsque les avantages qu'on avoit remportés sur l'ennemi ne méritoient pas le grand triomphe, on accordoit au général le petit triomphe, nommé ovation : celui qui triomphoit ainsi, marchoit à pié ou à cheval, étoit couronné de myrthe, & immoloit une brebis. Il n'étoit pas même nécessaire d'être général d'armée, & d'avoir remporté quelque victoire pour obtenir ce triomphe ; on le décernoit quelquefois à ceux qui n'étant chargés d'aucune magistrature ni d'aucun commandement en chef, rendoient à l'état des services signalés.

Aussi trouvons-nous qu'un particulier obtint cet honneur l'an de Rome 800, quarante-septieme de Jesus-Christ, plus de cinquante ans depuis l'établissement de la monarchie ; je parle d'Aulus Plautius qui sous les auspices de Claude, avoit réduit en province la partie méridionale de la grande-Bretagne. L'empereur lui fit décerner le petit triomphe, alla même au-devant de lui le jour qu'il entra dans Rome, l'accompagna pendant la cérémonie, & lui donna toujours la main. Aulo Plautio etiam ovationem decrevit, ingressoque urbem obviam progressus, & in capitolium eunti, & indè rursùs revertenti latus texit, dit Suétone. L'histoire ne fait mention d'aucune ovation qui soit postérieure à celle de Plautius.

Au reste, peu de personnes étoient curieuses d'obtenir ce triomphe, tandis que le grand triomphe étoit l'objet le plus flatteur de l'ambition de tous les Romains. Comme on jugeoit de la gloire d'un général par la quantité de l'or & de l'argent qu'on portoit à son triomphe, il ne laissoit rien à l'ennemi vaincu. Rome s'enrichissoit perpétuellement, & chaque guerre la mettoit en état d'en entreprendre une autre.

Lorsque le jour destiné pour le triomphe étoit arrivé, le général revêtu d'une robe triomphale, ayant une couronne de laurier sur la tête, monté sur un char magnifique attelé de quatre chevaux blancs, étoit conduit en pompe au capitole, à travers la ville. Il étoit précédé d'une foule immense de citoyens tous habillés de blanc. On portoit devant lui les dépouilles des ennemis, & des tableaux des villes qu'il avoit prises & des provinces qu'il avoit subjuguées. Devant son char marchoient les rois & les chefs ennemis qu'il avoit vaincus & faits prisonniers.

Le triomphateur montoit au capitole par la rue sacrée. Lorsqu'il étoit arrivé, il ordonnoit qu'on renfermât ses prisonniers, & quelquefois qu'on en fît mourir plusieurs. A la suite de ces prisonniers, étoient les victimes qu'on devoit immoler. Ceux qui suivoient le triomphateur de plus près, étoient ses parens & ses alliés. Ensuite marchoit l'armée avec toutes les marques d'honneur que chaque militaire avoit obtenues du général. Les soldats couronnés de lauriers, crioient, io triumphe, qui étoit un cri de joie ; ils chantoient aussi des vers libres, & souvent fort satyriques contre le général même.

On trouve dans les anciennes bacchanales quelques traces de cette licence. Elle regnoit dans les saturnales, dans les fêtes appellées matronales, & presque dans tous les jeux. Ceux du cirque en particulier avoient leurs plaisans dans la marche solemnelle qui se faisoit depuis le capitole. Denys d'Halicarnasse dit que cette coutume bizarre ne venoit ni des Ombriens ni des Lucaniens ni des anciens peuples d'Italie, & que c'étoit une pure invention des Grecs qu'il compare à l'ancienne comédie d'Athènes.

Quelle que soit l'origine de cet usage, il est certain qu'il avoit lieu dans les triomphes, comme on le voit par le récit des historiens. Tite-Live, l. XXXIX. parlant du triomphe de Cn. Manlius Volso, qui avoit dompté les Gaulois d'Asie, dit que les soldats firent comprendre par leurs chansons, que ce général n'en étoit point aimé. Pline, liv. XIX. c. viij. observe que les soldats reprocherent à Jules-César son avarice pendant la pompe d'un de ses triomphes, disant hautement qu'il ne les avoit nourris que de légumes sauvages, & lorsque ce même dictateur eut réduit les Gaules, parmi toutes les chansons qui se firent contre lui, pendant la marche du triomphe, il n'y en eut point de plus piquante que celle où on lui reprochoit son commerce avec Nicomede, roi de Bithynie. Gallias Caesar subegit, Nicomedes Caesarem. Ecce Caesar nunc triumphat qui subegit Gallias. Nicomedes non triumphat, qui subegit Caesarem. On ne l'épargna pas non plus sur toutes ses autres galanteries, & c'étoit tout dire, que de crier devant lui ; Urbani, servate uxores, moechum calvum adducimus. Suétone & Dion Cassius, liv. XLIII. nous rapportent tous ces détails.

Lorsqu'il n'y avoit point de prise du côté des vertus, on se rabattoit sur la naissance, ou sur quelqu'autre défaut. Nous en avons un exemple remarquable dans le triomphe de Ventidius Bassus, homme de basse extraction, mais que César avoit élevé à la dignité de pontife & de consul. Ce général triomphant des Parthes, selon le rapport d'Aulu-Gelle, l. I. c. iv. on chanta pendant la marche cette chanson : concurrite omnes augures, aruspices, Portentum inusitatum, conflatum est recens : mulos qui fricabat, consul factus est.

Velleius Paterculus, raconte que LÉpide ayant proscrit son frere Paulus, ceux qui suivoient le char de triomphe, mêlerent parmi leurs satyres ce bon mot, qui tombe sur une équivoque de la langue latine : de Germanis, non de Gallis triumphant duo consules. Martial, l. I. épigr. 4. après avoir prié Domitien de se dépouiller, pour lire ses ouvrages, de cette gravité qui séyoit à un empereur, ajoute que les triomphes même souffrent les jeux, & que le vainqueur ne rougit pas de servir de matiere aux railleries :

Consuevere jocos vestri quoque ferre triumphi,

Materiam dictis nec pudet esse ducem.

Enfin, pour que le triomphateur ne s'enorgueillît pas de la pompe de son triomphe, on faisoit monter sur le même char un esclave préposé pour le faire souvenir de la condition humaine, si sujette aux caprices de la fortune. Il avoit ordre de lui répéter de tems-en-tems ces paroles, respice post te ; hominem memento te ; cet esclave est nommé ingénieusement par Pline, carnifex gloriae, le bourreau de la gloire. Derriere le char pendoient un fouet & une sonnette.

Ce qu'il y a de plus étrange, c'est que dans ce même jour où le triomphateur étoit revêtu de l'autorité souveraine, il y avoit tel cas où les tribuns du peuple pouvoient le renverser de son char, & le faire conduire en prison.

Valere Maxime nous rapporte que la faction de ces magistrats plébéiens ayant formé cette entreprise violente contre Claudius, dans la marche de son triomphe, sa fille Claudia, qui étoit une des vestales, voyant qu'un des tribuns avoit déja la main sur son pere, se jetta avec précipitation dans le char, & se mit entre le tribun & son pere, qu'elle accompagna jusqu'au capitole.

Cette action arrêta la violence du magistrat, par cet extrême respect qui étoit dû aux vestales, & qui à leur égard ne laissoit qu'au pontife seul, la liberté des remontrances & des voies de fait.

Le général après avoir parcouru la ville jonchée de fleurs & remplie de parfums, arrivoit au capitole, où il sacrifioit deux taureaux blancs ; & mettoit une couronne de laurier sur la tête de Jupiter, ce qui s'observa dans la suite, quoiqu'on ne triomphât point. On faisoit après cela un festin auquel on invitoit les consuls, mais seulement pour la forme, car on les prioit de n'y pas venir, de peur que le jour même que le général avoit triomphé, il n'y eût dans le même repas quelqu'un au-dessus de lui.

Telle étoit la cérémonie du triomphe ; mais pour mettre sous les yeux du lecteur la description de quelque triomphe superbe, nous choisirons celle qu'ont fait les historiens du triomphe de César après la prise d'Utique, & d'Auguste après la victoire d'Actium. César brilla par quatre triomphes réunis, qui durerent quatre jours.

Le premier destiné au triomphe des Gaules, fit voir aux Romains dans plusieurs tableaux, les noms de trois cent nations, & de huit cent villes, conquises par la mort d'un million d'ennemis qu'il avoit défaits en plusieurs batailles. Entre les prisonniers paroissoit Vercingentorix, qui avoit soulevé toutes les Gaules contre la république.

Tous les soldats romains suivoient leur général couronné de laurier, & en cet équipage il alla au capitole, dont il monta les degrés à genoux ; quarante élephans rangés de côté & d'autre, portant des chandeliers magnifiques garnis de flambeaux. Ce spectacle dura jusqu'à la nuit, à cause que l'aissieu du char de triomphe rompit, ce qui pensa faire tomber le vainqueur, lorsqu'il se croyoit au plus haut point de sa gloire.

Le second triomphe fut de l'Egypte, où parurent les portraits de Ptolomée, de Photin & d'Achillas, qui réjouirent fort le peuple. Le troisieme représentoit la défaite de Pharnace, & la fuite de ce roi, qui excita parmi le peuple de grands cris de joie, & plusieurs railleries contre le vaincu ; c'est-là que fut employée l'inscription veni, vidi, vici ; mais au quatrieme triomphe, la vue des tableaux de Scipion, de Pétréïus, & de Caton qui étoit peint déchirant ses entrailles, fit soupirer les Romains. Le fils de Juba, encore fort jeune, étoit du nombre des prisonniers ; Auguste lui rendit dans la suite une partie du royaume de son pere, & lui fit épouser la jeune Cléopatre, fille de Marc-Antoine.

Dans tous ces triomphes, on porta tant en argent qu'en vases & statues d'orfévrerie pour soixante & cinq mille talens, qui font 12 millions 650 mille liv. sterlings, à 210 livres sterlings le talent ; il y avoit mille huit cent vingt-deux couronnes d'or, qui pesoient vingt mille quatorze livres, & qui étoient des présens qu'il avoit arrachés des princes & des villes après ses victoires.

C'est de cette somme immense qu'il paya à chaque soldat, suivant ses promesses, cinq mille drachmes, environ cinq cent livres ; le double au centurion ; & le quadruple aux tribuns des soldats, ainsi qu'aux commandans de la cavalerie ; & pour leur retraite après la guerre, il leur donna des héritages dans plusieurs endroits séparés de l'Italie.

Le peuple se ressentit aussi de sa prodigalité ; il lui fit distribuer par tête quatre cent deniers, dix boisseaux de blé, & dix livres d'huile ; ensuite il traita tout le peuple romain à vingt-deux mille tables.

Afin que rien ne manquât à la pompe de ces fêtes, il fit combattre jusqu'à deux mille gladiateurs, sous prétexte de célebrer les funérailles de sa fille Julie. Il fit représenter les jours suivans, toute sorte de pieces de théatre, où les enfans des princes de l'Asie danserent armés. Le cirque fut aggrandi par son ordre, & environné d'un fossé plein d'eau. Dans cet espace, toute la jeune noblesse de Rome représenta les jeux troyens, tant à cheval que sur des chars à deux & à quatre chevaux de front.

A ces divertissemens succéderent ceux de la chasse des bêtes qui dura cinq jours. On fit paroître ensuite deux armées campées dans le cirque, chacune de cinq cent soldats, vingt éléphans, & trois cent cavaliers, qui représenterent un combat. Les athletes à la lutte & au pugilat remplirent deux jours entiers.

Enfin pour dernier spectacle, sur un lac creusé exprès dans le champ de Mars, deux flottes de galeres équipées de mille hommes, donnerent au peuple le plaisir d'un combat naval. Ces fêtes attirerent tant de monde à Rome, que la plûpart furent obligés de camper dans les places publiques ; plusieurs personnes, & entr'autres deux senateurs, furent étouffés dans la presse.

Le triomphe d'Auguste, après ses victoires d'Actium & d'Alexandrie, ne fut guere moins superbe, quoique par une feinte modération, il crût devoir retrancher une partie des honneurs que le decret du sénat lui accordoit, n'ayant point voulu, par exemple, que les vestales abandonnassent le soin de leur religion, pour honorer son triomphe, & laissant au peuple la liberté de sortir au-devant de lui, ou de se tenir dans leurs maisons, sans contraindre personne. Au milieu de cette modération affectée, il fit son entrée triomphante, l'an 725 de la fondation de Rome, s'étant fait donner le consulat pour la quatrieme fois. Il borna son triomphe à trois jours de suite.

Le premier jour, il triompha des Pannoniens, des Dalmates, des Japides, & des peuples de la Gaule & de l'Allemagne, voisins de ceux-là ; le second, de la guerre d'Actium, & le troisieme, de celle d'Alexandrie.

Ce dernier triomphe surpassa les deux autres en magnificence. On y admiroit un tableau, qui représentoit d'après nature la reine Cléopatre couchée sur son lit, où elle se faisoit piquer le bras par un aspic. On voyoit à ses côtés le jeune Alexandre & la jeune Cléopatre ses enfans, vêtus d'habits magnifiques. Le char de triomphe éclatant d'or & de pierreries, suivoit celui du tableau ; Auguste y étoit assis, paré de sa robe triomphale, toute de pourpre en broderie d'or, tel qu'on avoit vu autrefois le grand Pompée triomphant de l'Asie, de l'Afrique & de l'Europe, c'est-à-dire, de toute la terre connue, faisant porter devant lui plus de quatorze cent millions en argent, & menant trois cent princes & rois captifs qui précédoient son char. Auguste n'apportoit guere moins de richesses à l'état que Pompée en avoit apporté, si l'on en croit Dion, Plutarque & Suétone.

Après avoir fait distribuer quatre cent sesterces par tête au peuple, ce qui montoit à plus de dix millions d'or, en comptant cinq cent mille hommes ; il donna plus de cinquante millions à son armée, & cependant il remit tant d'argent dans l'épargne, que l'intérêt fut reduit de 6 à 2 pour cent, & que le prix des fonds haussa à proportion.

Il remplit les temples de Jupiter & de Minerve, ainsi que les grandes places de Rome, des plus riches monumens de l'Egypte & de l'Asie, & fit mettre dans le temple de Vénus une statue de Cléopatre qui étoit d'or massif ; de sorte que cette reine après sa mort, se trouva tellement honorée par ses propres vainqueurs, qu'ils placerent ses statues jusques dans leurs temples.

Il y avoit dans celui-ci une chapelle dédiée à Jules-César, où étoit la statue de la Victoire ; c'est autour de cette statue, qu'Octave fit attacher les plus riches dépouilles d'Alexandrie.

En politique habile, il demanda que son collegue au consulat, Apuleius, fût assis auprès de lui, & qu'il n'y eût point de distinction dans la marche entre les sénateurs & les autres magistrats de la république. Aux deux portieres de son char, marchoient à cheval Marcellus & Tibere, le premier à la droite, & Tibere à la gauche. Ils entroient l'un & l'autre dans leur quatorzieme année ; mais Marcellus attiroit les regards de tout le monde par la noblesse de sa figure, telle que Virgile la dépeint dans son Enéïde.

Egregium formâ juvenem fulgentibus armis !

Qui strepitus circà comitum ! quantum instar in ipso est !

D'ailleurs les Romains qui vénéroient sa famille, & qui honoroient la vertu d'Octavie, le regardoient avec plaisir, comme devant un jour succéder à l'empire.

Cette fête fut suivie des jeux troyens, où le jeune Marcellus surpassa tous les autres, par son adresse & par sa bonne mine. Auguste donna ensuite des combats de gladiateurs qu'il tira d'entre les prisonniers faits par ses généraux sur les peuples barbares qui habitoient vers l'embouchure du Danube. Il est inutile de parler des spectacles, des jeux & des festins qui furent prodigués dans Rome tant que dura la fête. Le peuple la termina en allant fermer le temple de Janus pour marque d'une paix universelle ; chose si rare, que Rome ne l'avoit vu que deux fois depuis sa fondation.

Depuis Auguste, l'honneur du triomphe devint un apanage de la souveraineté. Ceux qui eurent quelque commandement, craignirent d'entreprendre de trop grandes choses. Il fallut, dit M. de Montesquieu, modérer sa gloire, de façon qu'elle ne reveillât que l'attention, & non pas la jalousie du prince. Il fallut ne point paroître devant lui avec un éclat, que ses yeux ne pouvoient souffrir.

Quoi qu'il en soit, on peut juger par les deux exemples que nous venons de citer, quelle étoit la pompe du triomphe chez les Romains. Il semble que les guerres d'à-présent soient faites dans l'obscurité, en comparaison de toute cette gloire ancienne, & de tout cet honneur qui réjaillissoit autrefois sur les gens de guerre.

Nous n'avons pour exciter le courage que quelques ordres militaires, & qu'on a encore rendu communs à la robe & à l'épée, quelques marques sur les armes, & quelques hôpitaux pour les soldats hors d'état de servir par leur âge ou par leurs blessures. Mais anciennement les trophées dressés sur les champs de bataille, les oraisons funebres à la louange de ceux qui avoient été tués, les tombeaux magnifiques qu'on leur élevoit, les largesses publiques, le nom d'empereur que les plus grands rois ont pris dans la suite, les triomphes des généraux victorieux, les libéralités que l'on faisoit aux armées, avant que de les congédier ; toutes ces choses enfin étoient si grandes, en si grand nombre, & si brillantes, qu'elles suffisoient pour donner du courage, & porter à la guerre les coeurs les plus timides. Pourquoi tous ces avantages n'ont-ils point été transmis jusqu'à nous ? Pourquoi cet appareil de gloire n'est-il plus que dans l'histoire ? C'est que les honneurs du triomphe ne conviennent qu'aux républiques qui vivent de la guerre, & que cette ostentation seroit dangereuse dans une monarchie, où les rayons de la couronne royale absorbent tous les regards. (D.J.)

TRIOMPHE, arc de, de Constantin, (Hist. anc. & mod.) je renvoye d'abord le lecteur au mot ARC de triomphe : & j'ajoute ensuite avec l'abbé du Bos au sujet de l'arc de triomphe de Constantin, que ce n'est autre chose que le monument de Trajan déguisé.

Quand le sénat & le peuple romain voulurent ériger à l'honneur de Constantin cet arc de triomphe, il ne se trouva point apparemment dans la capitale de l'empire un sculpteur capable d'entreprendre l'ouvrage. Malgré le respect qu'on avoit à Rome pour la mémoire de Trajan, on dépouilla l'arc élevé autrefois à son honneur de ses ornemens ; & sans égard à la convenance, on les employa dans la fabrique de l'arc qu'on élevoit à Constantin.

Les arcs triomphaux des Romains n'étoient pas, comme les nôtres, des monumens imaginés à plaisir, ni leurs ornemens des embellissemens arbitraires, qui n'eussent pour regles que les idées de l'architecte. Comme nous ne faisons pas de triomphes réels, & qu'après nos victoires, on ne conduit pas en pompe le triomphateur sur un char précédé de captifs ; les sculpteurs modernes peuvent se servir, pour embellir leurs arcs allégoriques, des trophées & des armes qu'ils inventent à leur gré. Les ornemens d'un de nos arcs triomphaux peuvent ainsi convenir la plûpart à un autre arc ; mais comme les arcs triomphaux des Romains ne se dressoient que pour éterniser la mémoire d'un triomphe réel, les ornemens tirés des dépouilles qui avoient paru dans un triomphe, & qui étoient propres pour orner l'arc qu'on dressoit, afin d'en perpétuer la mémoire, n'étoient point propres pour embellir l'arc qu'on élevoit en mémoire d'un autre triomphe, principalement si la victoire avoit été remportée sur un autre peuple, que celui sur qui avoit été remportée la victoire, laquelle avoit donné lieu au premier triomphe, comme au premier arc.

Chaque nation avoit alors ses armes & des vêtemens particuliers très-connus dans Rome. Tout le monde y savoit distinguer le Dace, le Parthe, & le Germain, ainsi qu'on savoit distinguer les François des Espagnols il y a cent cinquante ans ; & quand ces deux nations portoient encore des habits faits à la mode de leur pays. Les arcs triomphaux des anciens étoient donc des monumens historiques ; ce qui exigeoit une vérité historique, à laquelle il étoit contre la bienséance de manquer.

Néanmoins on embellit l'arc de Constantin de captifs parthes, & des trophées composées de leurs armes & de leurs dépouilles ; mais Constantin n'avoit encore rien à démêler avec cette nation. Enfin on orna l'arc avec des bas-reliefs, où tout le monde reconnoissoit encore la tête de Trajan.

Comme on ne pouvoit pas le composer entierement de morceaux rapportés, il fallut qu'un sculpteur de ce tems-là fît quelques bas reliefs qui servissent à remplir les vuides. Tels sont les bas-reliefs qui se voyent sous l'arcade principale : les divinités qui sont en-dehors de l'arc, posées sur les moulures du ceintre des deux petites arcades, ainsi que les bas-reliefs écrasés, placés sur les clés de voûte de ces arcades : toute cette sculpture, qu'on distingue d'avec l'autre en approchant de l'arc, est fort au-dessous du bon gothique ; quoique suivant les apparences, le sculpteur le plus habile de la capitale de l'empire y ait mis la main. (D.J.)

TRIOMPHE, char de, (Antiq. rom.) le char de triomphe des Romains étoit rond comme une tour ; c'est ce qui paroît par les médailles, & par l'arc de Titus à Rome. Ce char étoit ordinairement d'ivoire, portabit niveis currus eburneus equis ; vous serez sur un char d'ivoire traîné par des chevaux blancs, dit Tibulle ; mais le haut du char étoit tout doré. Eutrope en parlant du char de triomphe de Paul Emile, dit qu'il triompha sur un char tiré par quatre chevaux, aurato curru, quatuor equis triumphatur. (D.J.)

TRIOMPHE, jeu de la, s. f. ce jeu a diverses manieres de se jouer qui se ressemblent toutes en quelque chose, & différent cependant par plusieurs points essentiels ; nous parlerons de chacune de ces manieres ; voici celle dont on le joue à Paris.

On prend un jeu de piquet ordinaire, dont les cartes conservent leur rang & leur valeur, à la reserve de l'as qui n'est supérieur qu'au dix & aux autres cartes au-dessous : ce jeu se joue un contre un, deux contre deux, trois contre trois, ou même plus. Ceux qui sont ensemble se mettent d'un côté de la table, & leurs antagonistes occupent l'autre. Ceux du même parti se communiquent leur jeu de la vue seulement, quoiqu'assez communément l'un désigne à l'autre la carte qu'il doit jouer, mais les bons joueurs ne le font pas. Quelquefois aussi les joueurs qui sont ensemble sont placés vis-à-vis l'un de l'autre à chaque coin de la table, & ne peuvent en aucune façon se découvrir leur jeu ni s'avertir de paroles ou de gestes. Mais soit que l'on joue de la sorte, à communiquer, ou un contre un, l'on bat d'abord les cartes, & l'on tire à la plus haute, ou à la plus basse, au gré des joueurs, pour voir à qui fera. Un parti ordonnant toujours à son adversaire de faire, s'il a droit, parce qu'il y a du désavantage. Après avoir battu & fait couper les cartes à l'adversaire, on les distribue jusqu'au nombre de cinq, de la maniere qu'il plaît à celui qui les donne, à deux d'abord, & trois ensuite ; ou à trois d'abord & deux ensuite, ou même encore autrement. Quand les joueurs & lui ont leurs cartes, il tourne la premiere du talon s'il en reste, & la derniere de celles qu'il se donne à lui-même, soit qu'il reste un talon ou non. Ensuite le premier jette telle ou telle carte de son jeu, dont les autres joueurs fournissent s'ils en ont de plus hautes, ou coupent avec de la triomphe faute de carte de la couleur de celle qu'on leur a joué, & celui des deux partis qui a fait trois levées marque un jeu, & deux s'il les fait toutes. Voyez VOLE.

Il est permis à un parti qui ne croit pas faire trois levées, & qu'il craigne que son adversaire ne fasse la vole, de lui offrir ou lui donner le jeu, qu'il perd double s'il ne fait pas la vole qu'il a entreprise.

Lorsque le jeu est trouvé faux, on refait, mais les coups précédens sont bons. Celui qui donne mal démarque un jeu de ceux qu'il a, s'il n'en a point il ne compte point le premier qu'il fait, ou bien le parti contraire le marque. Celui qui ne leve pas quand il le peut perd un jeu ; de même que celui qui ne coupe pas quand il a de la triomphe, à moins qu'on n'en ait jetté une plus haute que la sienne. Celui qui renonce perd deux jeux. Celui qui change ses cartes avec son compagnon, ou en prend des levées déjà faites perd la partie : il en est de même de ceux qui quittent la partie avant qu'elle soit finie.

Autre maniere de jouer à la triomphe. Dans cette maniere de jouer à la triomphe, chaque joueur joue pour soi, mais les as sont les premieres cartes du jeu & enlevent les rois, ceux-ci les dames, & ainsi des autres ; celui qui fait a le privilege de prendre l'as s'il est triomphe en y mettant telle autre carte de son jeu à la place, & toutes les autres de la même couleur qui seroient au-dessous de cet as, pourvu qu'il y remit autant de cartes de son jeu. Les autres joueurs ont le même privilege à l'égard des autres triomphes qu'ils peuvent prendre avec l'as qu'ils ont dans la main, aux mêmes conditions & aux mêmes charges.

Autre maniere de jouer la triomphe. Ce jeu de la triomphe est plus connu dans les provinces que le précédent, il a les mêmes regles ; on le joue avec le même nombre de cartes ; ce qui le rend différent du premier, c'est qu'on y peut jouer cinq comme quatre, & trois comme deux, chacun jouant pour soi ; & lorsque deux des joueurs font deux mains, c'est celui qui les a fait le premier qui compte le jeu, au préjudice de l'autre : ceux qui font des fautes les payent, comme dans le jeu précédent.


TRIOMPHER(Langue françoise) ce verbe se dit élégamment au figuré pour subjuguer, surmonter, vaincre. La philosophie, dit M. de la Rochefoucaut, triomphe aisément des maux passés & des maux à venir, mais les maux présens triomphent d'elle. L'hypocrisie triomphe tous les jours de la vertu. Ce verbe s'emploie encore noblement pour exceller en quelque chose. Quand il est sur cette matiere il triomphe, c'est-à-dire il excelle. Il triomphe sur la générosité, sur la délicatesse des sentimens. Enfin triompher se prend aussi en mauvaise part pour tirer vanité des vices. Tibere à Rome, comme dans l'île de Caprée, triomphoit de ses déréglemens & de sa perfidie. (D.J.)


TRIONESS. f. pl. en Astronomie, est une sorte de constellation ou assemblage de sept étoiles qui sont dans la petite ourse. Voyez OURSE.

Les septem triones ont donné au pole du nord la dénomination de septentrion. Voyez NORD, POLE, &c.


TRIONTOLE, (Géog. mod.) petite riviere d'Italie, au royaume de Naples, dans la Calabre citérieure. Elle a sa source près du bourg d'Acri, & se perd dans le golfe de Tarente, près du cap de Trionto : cette riviere est l'Hylias des anciens. (D.J.)


TRIONUMS. m. (Hist. nat. Botan.) nom donné par Linnaeus, au genre de plante que Ruppius appelle bammia ; en voici les caracteres. Le calice particulier de la fleur est double ; l'extérieur est composé de douze feuilles très-minces ; l'intérieur est formé d'une seule feuille en tuyaux, & qui se divise à l'extrêmité en cinq quartiers. La fleur est à cinq pétales faites en coeur au sommet, & qui croissent ensemble au fond de la fleur ; les étamines sont nombreuses, formant d'abord un seul cylindre, & se séparant en plusieurs filets vers leur extrêmité ; les bossettes sont faites en forme de rein ; le germe du pistil est arrondi ; le stile est fort délié, mais il se termine par cinq stigma obtus & recourbés ; le fruit est ovale, sillonné de cinq rayures, & composé de cinq loges ; les graines sont nombreuses & taillées en rein. Linnaei, Gen. plant. p. 383. Ruppii, Flora Jenensis, pag. 16. (D.J.)


TRIOPHTALMUS(Hist. nat.) nom donné par Pline à une pierre, sur laquelle on voyoit la figure de trois yeux.


TRIOPIOou TRIOPIA, (Géog. anc.) c'est le premier nom qu'ait eu la ville de Gnide ; de-là vient que l'on trouve Apollo triopius, templum triopium, & mare triopium, pour l'Apollon de Gnide, le temple de Gnide, & la mer qui baigne le territoire de Gnide. Scylax parle aussi d'un promontoire sacré dans la Carie, qu'il nomme . Le scholiaste de Théocrite appelle ce même promontoire Tripon, & dit que les Doriens y tenoient une assemblée de religion & des jeux en l'honneur des nymphes, d'Apollon & de Neptune. Le promontoire Triopon ou le promontoire de Gnide fut ainsi nommé de Triopé, fils d'Abas ; il s'appelle présentement Capo-Erio. (D.J.)


TRIOPTERISS. f. (Hist. nat. Botan.) genre de plante ainsi nommée par Linnaeus ; voici ses caracteres. Le calice est fort petit, mais durable ; il est composé d'une seule feuille découpée en cinq segmens. La fleur est formée de six pétales égaux, de forme ovale, entourée de trois autres petits pétales d'égale grandeur entr'eux ; les étamines sont deux filets attachés au calice, & qui s'élevent au-dessus des pétales de la fleur ; leurs bossettes sont simples ; le germe du pistil est partagé en trois ; les stiles sont pareillement au nombre de trois, & simples ; les stigma sont obtus ; il n'y a point de fruit qui contienne les graines ; elles sont nues, au nombre de trois, creusées sur le dos, aîlées dans les bords, & ressemblant dans le commencement qu'elles sortent à de petites pétales de fleurs. Il faut remarquer ici, que ce que nous avons nommé pétales dans cette description, n'en sont pas en réalité, ce sont les aîles du germe, car les étamines sont placées dessous ; mais comme elles ressemblent beaucoup à des pétales, nous nous sommes servis de ce mot pour faciliter plus aisément à un jeune botaniste le moyen de distinguer ce genre de plante. Linnaei, Gen. plant. pag. 195. (D.J.)


TRIOSTEOSPERMUMS. m. (Hist. nat. Botan. exot.) ou gicacuanha, voici son caractere. Sa fleur est tubuleuse, & n'a qu'une feuille divisée en cinq segmens rondelets ; son calice est à cinq pieces. Il y en a un second placé sur l'embryon : celui-ci dégenere en un fruit rondelet, charnu, & contenant trois semences dures, larges à leur partie supérieure, & étroites par le bas. Miller le nomme triosteospermum latiore folio, flore rutilo, Hort. Elth. (D.J.)


TRIPS. f. (Hist. nat. Litholog.) c'est le nom donné par les Hollandois à la pierre que les François appellent tourmaline. Voyez cet article.


TRIPARTITIONS. f. (Arithmét. & Géom.) c'est l'action de diviser une grandeur quelconque en trois parties égales, ou d'en prendre la troisieme partie. Voyez TRISECTION.


TRIPES. f. (Manufacture) sorte d'étoffe veloutée qui se manufacture sur un métier, comme le velours ou la peluche, dont le poil qui fait le côté de l'endroit est tout de laine, & la tissure qui en forme le fond est entierement de fil de chanvre. La tripe s'employe à divers usages, mais particulierement à faire des meubles, à couvrir des souliers d'enfans, & des pelotes pour les Chapeliers qui s'en servent à lustrer leurs chapeaux. Furetiere dit qu'il y a de l'apparence que ce mot vient de l'espagnol terciopelo, qui veut dire velours, parce que c'est en effet du velours de laine. Savary. (D.J.)

TRIPES, s. f. pl. terme de Boucher, on appelle ainsi à Paris les abattis & issues des boeufs & moutons, que les Tripiers & marchandes Tripieres achetent des Bouchers, pour les nettoyer, laver, faire cuire, & ensuite les vendre & débiter, soit en gros, soit en détail. Les tripes & abattis de boeufs consistent aux quatre piés ; à la pance, qu'on appelle gras-double ; au feuillet, autre partie des entrailles, que les Tripieres nomment communément le pseautier ; à la franche-mulle ou caillette ; & à la fraise, qui comprend le mou ou poumon, le foie & la rate ; le palais de boeuf est aussi du nombre des issues. Celles du mouton sont la tête garnie de sa langue, les quatre piés & la caillette. Savary. (D.J.)


TRIPERGOLA-LAGO(Géog. mod.) c'est le nom que donnent les Italiens au lac Averne, si fameux chez les anciens, & qui est dans la terre de Labour, à un bon mille du lac Lucrin. Du tems d'Auguste, il y avoit un port qu'on nommoit Portus-Julius ; car Suétone & Paterculus nous apprennent que cet empereur fit faire un port du lac Lucrin & du lac Averne. (D.J.)


TRIPÉTALEFLEUR, (Botan.) une fleur tripétale est une fleur à trois feuilles, qu'on appelle pétales, pour les distinguer des feuilles des plantes. Voyez FLEUR. (D.J.)


TRIPHOLINUSTRIPHOLINUS

Te Trifolinus ager fecundis vitibus,

Suspectumque jugum Cumis.

Martial, l. XIII. épigr. 114. parle aussi de ces mêmes vins :

Non sum de primo, fateor, Trifolina lyoeo,

Inter vina tamen septima vitis ero.

(D.J.)


TRIPHTHONGUES. f. assemblage de trois sons, qui ne font qu'une syllabe.


TRIPHYLIE(Géog. anc.) Triphylia, Tryphalia, Triphylis, contrée du Péloponnèse, dans l'Elide. Polybe, l. IV. c. lxxvij. qui écrit Tryphalia, la met sur la côte du Péloponnèse, entre l'Elide & la Messénie, & y marque entr'autres les villes Samicum, Lepreum & Hypana ; il paroît que la Triphylie & la Trypalie étoient la même contrée. De toutes les villes de la Triphylie, il n'y avoit que celle de Samicum qui fût maritime, les autres étoient dans les terres. Mais d'où vient à cette contrée de l'Elide le nom de Triphylie ? Du mot grec , gens, parce que trois différens peuples s'y réunirent, & ne firent plus qu'un seul corps. (D.J.)


TRIPIERS. m. (Fauconnerie) c'est un des noms qu'on donne aux oiseaux de proie, qu'on ne peut affairer ni dresser, & qui donne sur les poules & les poulets. Le milan & le corbeau sont des oiseaux tripiers, ou absolument des tripiers qui sont de mauvaise affaire. Fouilloux. (D.J.)


TRIPIERES. f. (Comm. de Bouch.) marchande qui vend des tripes & des issues de boeufs & de moutons échaudées, ou, pour mieux dire, à demi-cuites. Trévoux. (D.J.)


TRIPLEadj. en Musique, sorte de mesure dans laquelle les mesures, les tems ou les aliquotes des tems se divisent en trois parties égales.

On peut réduire à deux classes générales ce nombre infini de mesures triples, dont Bononcini, Lorenzo, Penna & Brossard, après eux, ont sur chargé, l'un son musico prattico, l'autre ses alberi musicali, & le troisieme son dictionnaire ; ces deux classes sont la mesure ternaire ou à trois tems, & la mesure à deux tems ou binaire, dont les tems sont divisés selon la raison sous- triple.

Nos anciens Musiciens regardoient la mesure à trois tems comme beaucoup plus excellente que la binaire, & lui donnoient, à cause de cela, le nom de tems ou mode parfait. Nous avons expliqué aux mots MODE, PROLATION, TEMS, les différens signes dont ils se servoient pour exprimer ces mesures, selon les diverses valeurs des notes qui les remplissoient ; mais quelles que fussent ces notes, dès que la mesure étoit triple ou parfaite, il y avoit toujours une espece de note qui, même sans point, remplissoit exactement une mesure, & se divisoit en trois autres notes égales, une pour chaque tems. Ainsi dans la triple parfaite, la breve ou quarrée valoit non deux, mais trois semi-breves ou rondes, & ainsi des autres especes de mesures triples. Il y avoit pourtant un cas d'exception ; c'étoit, par exemple, lorsque cette breve étoit précédée ou suivie immédiatement d'une semi-breve ; car alors les deux ensemble ne faisant qu'une mesure juste, dont la semi-breve valoit un tems ; c'étoit une nécessité que la breve n'en valût que deux, & ainsi des autres mesures.

C'est ainsi que se formoit les tems de la mesure triple ; mais quant aux subdivisions de ces mêmes tems, elles se faisoient toujours selon la raison sousdouble ; & je ne connois point d'anciennes musiques où les tems soient divisés en trois parties égales.

Les modernes ont aussi plusieurs mesures à trois tems de différentes valeurs, dont la plus simple se marque par un 3, & se remplit d'une blanche pointée, faisant une noire pour chaque tems. Toutes les autres sont des mesures appellées doubles, à cause que leur signe est composé de deux chiffres. Voyez MESURES.

La seconde espece de triple est celle qui se rapporte, non au nombre des tems de la mesure, mais à la division de chaque tems en raison sous- triple. Cette mesure est, comme je viens de le dire, de moderne invention, & peut se subdiviser en deux classes ; mesures à deux tems, & mesures à trois tems ; dont les dernieres peuvent être considérées comme mesures doublement triples ; savoir 1°. par les trois tems de la mesure, & 2°. par les trois parties égales de chaque tems.

Les triples de ces dernieres especes s'expriment toutes en mesures doubles.

Voici donc une récapitulation de toutes les mesures triples en usage actuellement : celles que j'ai marquées d'une étoile, sont moins usitées en France.

1°. Triples de la premiere espece, c'est-à-dire dont la mesure est à trois tems, & chaque tems divisé selon la raison soudouble,

2°. Triples de la seconde espece, c'est-à-dire dont la mesure est à deux tems, & chaque tems divisé selon la raison sous- triple,

Ces deux dernieres mesures se battent à quatre tems.

3°. Triples composées, c'est-à-dire dont la mesure est à trois tems, & chaque tems encore divisé en trois parties égales,

Voyez au mot MESURE, Planche & fig. des exemples de la plûpart de ces mesures triples. (S)

TRIPLE DROIT, (Jurisprud.) c'est lorsqu'on paye trois fois le droit. Le double ou triple droit est une peine ordonnée par les édits bursaux, en cas de contravention. (A)

TRIPLE NECESSITE, (Hist. mod.) suivant les anciennes coutumes d'Angleterre, c'étoit une taxe dont aucune terre ne pouvoit être exempte, & qui avoit pour objet la milice ou la nécessité de fournir des soldats, la réparation des ponts, & l'entretien des châteaux ou forteresses.

Quand les rois donnoient à l'Eglise des terres qu'ils exemptoient de toute charge & de tout service séculier, ils faisoient insérer ces trois exceptions dans les lettres, après la clause de l'exemption. Voyez PONTENAGE.


TRIPLÉadj. (Mathém.) on appelle ainsi le rapport que des cubes ont entr'eux : les solides semblables sont en raison triplée de leurs côtés homologues, c'est-à-dire, comme les cubes de ces côtés ; il ne faut pas confondre une raison triplée avec une raison triple. La raison triple est le rapport d'une grandeur à une autre grandeur qu'elle contient ou dans laquelle elle est contenue trois fois ; or il est très-évident que le rapport des cubes, qui est la raison triplée, est fort différent ; ainsi le rapport de 1 à 8 est une raison triplée de 1 à 2 ; & le rapport de 3 à 1 est une raison triple. (E)

TRIPLE, adj. en Musique, un intervalle triplé est celui qui est porté à sa triple-octave. Voyez INTERVALLE, OCTAVE. (S)


TRIPLICITou TRIGONE, chez les Astrologues, est une division des signes qu'ils ont imaginée & introduite dans leur art, suivant le nombre des élémens. Chaque division contient trois signes. Voyez SIGNE.

On confond souvent triplicité avec trine aspect ; cependant à parler strictement, ce sont deux choses fort différentes ; car triplicité ne se dit que par rapport aux signes, & au contraire trine aspect s'entend proprement des planetes. Voyez TRINE.

Les signes de triplicité sont ceux qui sont de même nature, & non pas ceux qui sont en trine aspect. Ainsi le lion, le sagittaire & le bélier sont des signes de triplicité, parce qu'on suppose que ces signes sont tous de feu.


TRIPLIQUE(Jurisprud.) est une troisieme réponse qui est faite à quelque plaidoyer ou écrit ; les défenses sont la premiere réponse à la demande ; les répliques sont la réponse aux défenses ; les dupliques sont la réponse aux répliques, & les tripliques la réponse aux dupliques.

L'ordonnance de 1667 a abrogé l'usage des dupliques & tripliques, au moyen de quoi, si l'on en fait encore quelquefois, elles ne doivent pas passer en taxe. Voyez DEMANDE, DEFENSES, DUPLIQUES, REPLIQUE, FRAIS, SALAIRES, TAXE. (A)


TRIPODISQUELE, (Géog. anc.) Tripodiscus, village du Péloponnèse dans l'Attique, sur le mont Géranien, avec un temple dédié à Apollon. Pausanias, l. I. c. xlij. rapporte ainsi l'histoire.

Sous le regne de Crotopus, roi d'Argos, Psamathé sa fille accoucha d'un fils qu'elle avoit eu d'Apollon ; & pour cacher sa faute à son pere qu'elle craignoit, elle exposa cet enfant. Le malheur voulut que les chiens des troupeaux du roi ayant trouvé cet enfant le dévorassent. Apollon irrité suscita contre les Argiens le monstre Poene, monstre vengeur qui arrachoit les enfans du sein de leurs meres & les dévoroit. On dit que Coraebus touché du malheur des Argiens, tua ce monstre ; mais la colere du dieu n'ayant fait qu'augmenter, & une peste cruelle désolant la ville d'Argos, Coraebus se transporta à Delphes pour expier le crime qu'il avoit commis en tuant le monstre. La Pythie lui défendit de retourner à Argos, & lui dit de prendre dans le temple un trépié, & qu'à l'endroit où ce trépié lui échapperoit des mains, il eût à bâtir un temple à Apollon, & à y fixer lui-même sa demeure. Coraebus s'étant mis en chemin, quand il fut au mont Géranien, sentit tomber son trépié, & là il bâtit un temple à Apollon, avec un village qui de cette particularité fut nommé le Tripodisque. (D.J.)


TRIPOLIS. m. ou TERRE DE TRIPOLI, (Hist. nat. Minéralogie) en latin Tripela, terra Tripolitana. C'est ainsi qu'on nomme une terre argilleuse & ferrugineuse qui est rude au toucher, comme du sable, qui devient plus dure & plus compacte dans le feu, ce qui caractérise les argilles, & qui est ou grise, ou blanche, ou jaunâtre.

Le nom qu'on donne à cette terre, vient de ce qu'autrefois on en tiroit beaucoup des environs de la ville de Tripoli en Barbarie ; mais aujourd'hui on en trouve dans toutes les parties de l'Europe qui ne le cede en rien à celle de Barbarie.

La rudesse des parties qui composent le tripoli, fait qu'on l'employe avec succès pour polir les métaux, le verre & les glaces. Les Fondeurs s'en servent aussi pour faire des moules, parce que cette terre est très-propre à résister à l'action du feu. Pour que le tripoli soit d'une bonne qualité, il faut qu'il soit pur & dégagé de grains de sable, qu'il soit tendre & facile à pulvériser.

M. Neumann ayant mis deux onces de tripoli en distillation dans une cornue exposée à feu nud, a obtenu deux drachmes d'esprit de sel, & il s'attacha une petite portion de sel ammoniacal dans le col de la rétorte. M. Zimmermann y a aussi trouvé une petite portion d'acide vitriolique.

Cette terre mise dans l'eau régale lui donne une couleur jaune, ce qui a fait soupçonner à quelques alchymistes que le tripoli contenoit de l'or qu'ils croyent voir par-tout ; mais cette couleur vient des parties ferrugineuses dont cette terre est mêlée ; une preuve de cette vérité, c'est que le tripoli devient rougeâtre par la calcination. Cependant on ne veut point nier qu'il ne puisse se trouver des particules d'or accidentellement mêlées avec cette substance, ce seroit pourtant se tromper que d'espérer en tirer assez pour se dédommager des frais de l'opération. Stahl a trouvé le tripoli astringent & dessicatif comme toutes les substances martiales. (-)

TRIPOLI état de, (Géog. mod.) l'état de Tripoli est borné au nord par la mer Méditerranée, à l'orient par l'Egypte, au midi par le pays des Béréberes, & à l'occident, partie par le royaume de Tunis, partie par le Bilédulgérid ou pays des Dattes, & partie par le pays de Gadamis ; cet état est divisé en divers quartiers ; il possede sur la côte de la province de Tripoli, le pays de Mserata, le golfe de la Sidre, la côte de Derne, &c. Il a dans les terres quelques cantons & déserts. La ville de Tripoli est la capitale de tout l'état.

Les femmes de Tripoli ne ressemblent point aux égyptiennes dont elles sont voisines ; elles sont grandes, & font consister la beauté dans une taille excessivement longue. Elles se font, comme les femmes arabes, des piquures sur le visage, principalement aux joues & au menton. Elles estiment beaucoup les cheveux roux, comme en Turquie, & elles font même peindre en vermillon les cheveux de leurs enfans.

La république de Tripoli subsiste par son commerce d'étoffes & par celui du safran qui se tire du mont Garian situé au midi de la ville de Tripoli, & où il est admirable ; mais la principale richesse des habitans vient de leurs pirateries. Elles furent si grandes dans le dernier siecle contre les François, que Louis XIV. n'en put obtenir raison qu'en faisant bombarder la capitale par le maréchal d'Estrées, vice-amiral. (D.J.)

TRIPOLI, (Géog. mod.) ou Tripoli de Barbarie, ville d'Afrique, dans la Barbarie, sur la côte de la Méditerranée, dans la province de même nom, entre Zoara & Lebda.

La ville de Tripoli a le titre de royaume sans en être un ; mais cette qualification lui vient de quelques princes qui s'en emparerent, & s'arrogerent le titre de roi. Le nom de Tripoli étoit anciennement le nom d'un canton où se trouvoient trois villes remarquables, & de-là vient qu'il y a plusieurs autres cantons, qui portent ce même nom par la même raison.

Le pays de Tripoli de Barbarie fut nommé la Tripolitaine du tems des Romains, & ce nom lui fut continué du tems des Vandales. Les Arabes s'en emparerent sous le regne des califes, dont les lieutenans conquirent toutes les côtes de l'Afrique le long de la Méditerranée, & même une partie considérable de l'Espagne.

Ce pays, ainsi que la ville, resta dans une assez grande obscurité jusqu'au commencement du seizieme siecle. Alors dom Pedro de Navarre, général de Ferdinand le catholique, profitant des troubles qui regnoient dans la ville, s'en rendit maître, & y fit un riche butin sur les Maures. Quelque tems après les chevaliers de S. Jean de Jérusalem ayant perdu l'île de Rhodes, Charles-Quint leur donna en 1528 l'île de Malthe, ainsi que Tripoli qui étoit frontiere de leur île ; mais Soliman forma une puissante armée navale qui battit la place avec quarante pieces de canon, & le gouverneur se vit obligé de la rendre à l'amiral Dragut. Les Turcs y établirent un bacha dont l'autorité diminua peu-à-peu. Enfin Mamet-Bey, rénégat grec, de l'ancienne maison des Justiniani, eut le crédit d'y établir son autorité, & d'y commander en souverain. Depuis ce tems-là Tripoli s'est gouvernée en république, sous la protection du grand seigneur, à qui l'on envoie une espece de tribut ; cette république a pour chef un général qu'on nomme dey, & qui est élu par la milice.

Tripoli est aujourd'hui bien fortifiée ; mais on n'y boit que de l'eau de cîterne, & le blé y est rare, parce que le terroir est aride, sablonneux, & souvent même inondé par la mer. On fabrique dans cette ville des étoffes de soie & d'assez bons camelots. Son commerce étoit autrefois beaucoup plus brillant. Long. suivant Cassini, 30. 36'. 45''. latit. 30. 53'. 40 ''. & suivant le P. Feuillée, Long. 31. 2'. 30''. latit. 32. 54. (D.J.)

TRIPOLI, (Géog. mod.) ville d'Asie, dans la Syrie, sur la côte, & à trois quarts de lieue de la Méditerranée. Elle est ceinte de murailles, particulierement vers la mer, sur le bord de laquelle elle a quelques tours quarrées avec du canon pour se défendre contre les corsaires ; elle est fort peuplée de turcs & de juifs, qui y font un grand commerce de soie. On y compte quatre maisons de religieux francs. Long. 56. 32. latit. 34. 10.

La Tripoli d'Asie est une ville très-ancienne située dans le canton que les anciens nommoient Phénicie, entre Botrys au midi, & Arca au septentrion, & sur le bord d'une riviere qui descend du Liban. Il en est parlé dans le second livre des Macchabées, xiv. 1, où il est dit que trois jours après la mort d'Antiochus Epiphanes, Démétrius, fils de Séleucus, à qui le royaume de Syrie appartenoit de droit, s'enfuit de Rome, & vint aborder à Tripoli.

Le nom de Tripoli signifie en grec trois villes, parce qu'en effet elle étoit composée de trois villes éloignées l'une de l'autre de la longueur d'un stade. L'une de ces villes étoit aux Arcadiens, l'autre aux Sidoniens, & la troisieme aux Tyriens. Il y a grande apparence qu'avec le tems ces trois villes n'en formerent plus qu'une, par le moyen des maisons que l'on bâtit entre les espaces qui les séparoient. On a plusieurs médailles d'Antoine avec Cléopatre, d'Auguste, de Néron, de Trajan, de Sévere & d'Heliogabale, avec ce mot, , & une de Julie Soaemie, où on lit : . (D.J.)

TRIPOLI, (Géog. mod.) village d'Asie, dans l'Anatolie, à trois milles de la mer-Noire, & à 36 de Cérasonte. Arrien & Polybe en parlent ; la riviere qui se jette dans la mer-Noire au-dessous de ce village, portoit apparemment le même nom que la ville qui subsistoit du tems de Pline. (D.J.)


TRIPOLIRen terme de Bijoutier, c'est donner le troisieme poli à un ouvrage avec la matiere de ce nom bien pulvérisée & détrempée dans de l'huile ou de l'eau.


TRIPOLIS(Géog. anc.) 1°. contrée du Péloponnèse dans l'Arcadie. Elle fut ainsi nommée des trois villes qui s'y trouvoient ; savoir, Callio, Dipoeus & Nomaeris.

2°. Contrée ou ville du Péloponnèse, dans la Laconie, selon Tite-Live, l. XXXV. c. xxvij. il ne dit point si c'étoit une seule ville ou une petite contrée dans laquelle il se trouvoit trois villes, comme dans la Tripolis de l'Arcadie. Il semble néanmoins que c'étoit une petite contrée formée de trois villes ou bourgs : car Tite-Live dit qu'on y enleva une grande partie d'hommes, & beaucoup de bétail. Aucun autre auteur ne connoît cette Tripolis.

3°. Tripolis, contrée de la Thessalie, selon Tite-Live, l. XXXXII. c. liij. Elle prenoit son nom des trois villes, Azorum, Pythium & Doliche, qui s'y trouvoient. C'est la Tripolis qu'Etienne le géographe met dans la Perrhébie, mais de quelle Perrhébie entend-il parler ? Il y en avoit une au pié de l'Olympe, une autre au pié du Pinde ; y en avoit-il une aussi au pié des monts Cambuniens ? C'est ce qu'il faudroit savoir pour pouvoir tout concilier.

4°. Tripolis, ville de l'Asie mineure, sur le Méandre, & la premiere ville de la Carie, selon Ptolémée, l. V. c. ij. Etienne le géographe la met aussi dans la Carie ; mais les notices épiscopales & celles des provinces de l'empire la marquent dans la Lydie. Pline, l. V. c. xxjv. nomme ses habitans Tripolitani. M. Spanheim, p. 888, rapporte l'inscription d'une ancienne médaille, qui prouve que cette ville étoit sur le Méandre : Tripoleiton Maiandr. c'est-à-dire, les Tripolitains du Méandre, ou sur le Méandre.

5°. Tripolis, lieu fortifié dans le Pont, sur le bord du Pont-Euxin, selon le Périple d'Arrien, p. 17, entre Zephyrium & Argyria, à quatre-vingt-dix stades du premier de ces lieux, & à vingt stades du second. (D.J.)


TRIPOLITAINELA, (Géog. anc.) Tripolitana regio, ou Tripolis ; contrée d'Afrique, sur la côte de la mer Méditerranée qui la baignoit au nord. Elle avoit à l'orient le fleuve Cinyphus, la Libye intérieure au midi, & le fleuve Triton à l'occident. Procope dit que cette province étoit habitée par des Maures qui étoient alliés des Romains, c'est-à-dire, qui entretenoient la paix avec les Romains. La Tripolitaine est connue dans les auteurs ecclésiastiques, comme une province qui renfermoit quelques évêchés. (D.J.)


TRIPOLIUMS. m. (Hist. nat. Botan.) genre de plante nommé par Tournefort, aster maritimus palustris, coeruleus, salicis folio. Inst. R. H. 481, & communément en françois boucage.

Cette plante s'éleve à la hauteur d'une coudée ou d'une coudée & demie ; sa racine est fibreuse ; les feuilles sont assez semblables à celles du limonium majus, elles sont plus étroites, mais à-peu-près de la même longueur, traversées de côtes comme celles du plantain, unies, épaisses, grasses, tirant quelquefois sur le bleu, & placées irrégulierement autour de la tige, & sur les branches. Ses fleurs croissent au sommet branchu de la tige ; elles sont attachées à l'extrêmité des rejettons, purpurines ou bleues, & tombent en duvet. Les tripolium majus & minus ne different qu'en grandeur. Le tripolium flore nudo est fort commun aux environs de Bristol. (D.J.)


TRIPOLUS(Géog. anc.) lieu de l'île de Crete & celui de la patrie de Plutus, selon Hésiode, Diodore de Sicile, l. V. c. lxxvij. dit la même chose. (D.J.)


TRIPONTIUM(Géog. anc.) lieu d'Angleterre. L'itinéraire d'Antonin le marque sur la route de Londres à Lincoln, entre Isanavatia & Vennonae, à douze milles du premier de ces lieux, & à neuf milles du second. Cambden veut que Tripontium soit Towcester, & que ce lieu soit déplacé dans l'itinéraire d'Antonin. Mais M. Thomas Gale, Brit. p. 69. a fait voir que Tripontium ne pouvoir être autre chose que Dowbridge, près de Lilburne. (D.J.)


TRIPOTS. m. (Paumier) lieu où l'on s'exerce à jouer à la paume ; les tripots sont de grandes places couvertes & entourées de murs des quatre côtés, du-moins jusqu'à la hauteur de quinze piés. Au-dessus il y a de distance en distance de gros piliers de bois pour soutenir le plancher & la charpente de la couverture. L'espace vuide qui est entre la charpente & le haut des murs est garni tout - autour de filets ou rézeau de ficelles, tendus pour arrêter les balles qu'on y jette, qui tombent dans une galerie pratiquée en-haut tout-autour des murs. On y met aussi de grands rideaux de toile pour empêcher le soleil de faire mal aux yeux des joueurs. Le tripot est pavé de carreaux de pierre de même largeur ; au milieu du tripot est une corde tendue dans sa largeur, & qui le sépare en deux parties égales. Le long d'un des grands côtés regne un mur à hauteur d'appui, au-dessus duquel sont placés de distance en distance des poteaux qui soutiennent un toit couvert de planches, qui est ménagé à la hauteur d'environ 6 piés. Ce côté s'appelle la galerie ; l'autre grand côté est un mur tout uni dans les tripots appellés quarrés ; mais il y a un tambour vers la grille, dans les tripots appellés dedans. Des deux petits côtés, l'un a un mur avancé élevé jusqu'à la hauteur de 6 piés, & surmonté d'un toit de planches appuyé contre le grand mur ; à un des angles, & immédiatement au-dessous du toit, est un grand trou appellé la grille. Le quatrieme côté du tripot est construit différemment dans les quarrés & dans les dedans. Dans les dedans, c'est un mur avancé, haut de 6 piés, & surmonté d'un toit, comme de l'autre côté opposé, à l'exception que celui-ci est ouvert depuis la hauteur de trois piés jusqu'au toit. Dans les quarrés, ce quatrieme côté est un mur tout uni ; à un de ces bouts par terre est une petite ouverture qu'on appelle le trou, & à l'autre bout de ce mur est une planche enfoncée dans le mur, & qu'on appelle l'ais. La galerie est pavée avec des chassis de bois faits en forme de barres un peu éloignées les unes des autres, afin que les balles qu'on jette dans la galerie puissent passer par ces ouvertures, & se rendre dans un endroit où le paumier va les chercher quand il en a besoin.


TRIPTOLÉMES. m. (Mytholog.) fils de Céleus & de Néera, ou de Métanire, fut ministre de Cérès. Sa fable est agréablement conçue. L'hospitalité de Céleus pour Cérès est récompensée ; elle rend la vie à son fils par un seul baiser, le nourrit de son lait divin, se charge de son éducation, lui montre l'agriculture, lui fait présent d'un char tiré par des dragons, & se propose enfin de le rendre immortel, en purifiant son corps de ce qu'il avoit de terrestre.

Cette jolie fable simplifiée signifie introduction du culte de Cérès dans la Grèce par Triptolème, roi d'Eléusis ; ce prince se fit initier des premiers dans les mystères de la déesse, & passa par toutes les épreuves usitées. Il établit l'agriculture dans ses états ; son char tiré par des dragons aîlés, c'est un vaisseau qui porte du blé en différentes contrées de l'Attique, pour apprendre aux habitans à le semer & à le recueillir.

Triptolème, dit Justin, trouva l'art d'ensemencer les terres ; ce fut à Eléusis qu'il en produisit l'invention, & ce fut aussi à l'honneur de cette invention, qu'on établit des nuits pour les initiations. Les Athéniens honorerent par reconnoissance Triptolème comme un dieu ; ils lui érigerent un temple, un autel, & lui consacrerent une aire à battre le blé. (D.J.)


TRIPUDIUMS. m. (Littérat.) c'est le nom latin dont on se servoit en général pour exprimer l'auspice forcé, c'est-à-dire, l'auspice qui se prenoit par le moyen des poulets qu'on tenoit dans une espece de cage, à la différence des auspices qui se prenoient quelquefois lorsqu'un oiseau libre venoit à laisser tomber quelque chose de son bec ; lorsqu'en prenant les auspices par les poulets sacrés, il leur étoit tombé du bec quelque morceau de la pâte qu'on avoit mise devant eux ; cela s'appelloit tripudium solistimum, ce qui étoit regardé comme le meilleur augure qu'on pût avoir. Il y avoit encore le tripudium sonivium, dont le nom est tiré du son que faisoit en tombant à terre par accident quelque chose que ce fût ; alors on tiroit des présages bons ou mauvais, selon la qualité du son. (D.J.)


TRIPYRGA(Géog. mod.) nom que les habitans d'Athènes donnent aujourd'hui à un lac marécageux de la Morée, environ à une lieue d'Athènes. Ce lac ou marais étoit nommé, selon Xénophon, Phalaraea palus, & il y avoit auprès un lieu nommé Tripyrgia, à cause de trois tours qui y étoient bâties. Du nom de ce lieu on a formé celui du lac, & de Tripyrgia on a fait par corruption Tripyrga. M. Wheler, voyage d'Athènes, l. III. p. 207. croit que ces trois tours pouvoient être des restes de la ville Limes. Du-reste, ajoute-t-il, ce lac s'étend en long du-moins une lieue & demie sur la côte, & il sort de son extrêmité orientale un petit ruisseau qui se jette dans la mer, assez proche de la baie de Phalara, où il y a une petite église ruinée, appellée S. Nicolo. C'est apparemment ce lieu qui s'appelloit autrefois Colias promontorium. (D.J.)


TRIQUE-MADAMES. f. (Botan.) nom vulgaire du sedum minus luteum, folio acuto, de C. B. & de Tournefort. C'est une espece de petite joubarbe, qui pousse des tiges tendres, rampantes, revêtues de beaucoup de feuilles épaisses, oblongues, grasses, pointues, bleuâtres, ou rougeâtres, remplies de suc ; ses fleurs sont à plusieurs pétales disposées en rose, au sommet des branches, de couleur jaune ; il leur succede un petit fruit composé de cinq graines. On cultive cette plante dans les jardins, parce qu'on en mêle dans les salades ; mais elle croît naturellement sur les murailles, & ailleurs. (D.J.)


TRIQUEBALLES. m. (Art milit.) machine très-simple qui sert dans l'artillerie à transporter du canon. Elle est composée d'une grande fleche de bois ou timon appuyé sur un aissieu à deux roues parderriere, & sur un avant-train par-devant. On attache le canon sur cette fleche avec une chaîne de fer ou de bons cordages. Mémoires d'Artillerie de Saint-Remy. (Q)


TRIQUERv. act. (Comm.) séparer une chose d'avec une autre : il signifie aussi quelquefois mêler plusieurs choses ensemble.

Dans ce dernier sens, les ordonnances de la ville de Paris, chap. iij. défendent aux marchands de triquer, & mêler les marchandises de différens prix & qualités ; & dans l'autre signification, les mêmes ordonnances enjoignent aux marchands de bois à brûler qu'on empile dans les chantiers, de triquer & séparer le bois blanc & de l'empiler à part. Dictionnaire de Commerce.


TRIQUETS. m. (Charpenterie) échafaud fait de plusieurs pieces de bois réunies ensemble, qui s'applique contre les murs, & qu'on appelle autrement chevalet. Il faut pour échafauder deux triquets qu'ils s'attachent avec des cordages, & s'éloignent l'un de l'autre suffisamment par la longueur des planches qu'on met dessus.


TRIREMES. m. (Littérat.) triremis, galere, bâtiment, vaisseau des Romains, qui avoit de chaque côté trois hommes sur chaque rame, quelque nombre de rames qu'il eût d'ailleurs ; messieurs le Baif & Dacier tiennent pour l'hypothèse des étages de rames les uns sur les autres. Ils citent en leur faveur des médailles, & la colonne trajane, où ce fait n'est pas de la derniere évidence ; je sai même que Scheffer & plusieurs autres savans, ont essayé à force de supputations mathématiques, de trouver une combinaison & un arrangement, pour prouver que la chose n'est pas impossible ; mais quelque effort que l'on fasse, & de quelque maniere que l'on dispose ces étages, soit en files perpendiculaires, soit en files obliques, soit en forme de rampe, je ne crois pas, avec Scaliger, Saumaise, & le P. Sanadon, qu'on réussisse jamais à nous montrer une possibilité pratique, c'est-à-dire, qui puisse être d'un usage aisé, constant, & uniforme ; sans quoi tout ce système se réduit à une spéculation vaine & stérile, qui ne décide rien, & qui ne touche pas même à la question. (D.J.)


TRISACRAMENTAIRESou TRISACRAMENTAUX, s. m. pl. (Hist. ecclés.) nom que l'on a donné à une secte de religionnaires qui n'admettent que trois sacremens. Voyez SACREMENT.

Il y a eu plusieurs trisacramentaires parmi les protestans qui admettoient le Baptême, l'Eucharistie, & l'Absolution, comme sacremens.

M. Chambers observe qu'on confond mal-à-propos les Anglois avec les Trisacramentaires, parce qu'on suppose qu'ils regardent l'ordination comme un sacrement ; mais quelle que soit l'opinion des Anglois sur ce point, il est sûr que les épiscopaux regardent la Confirmation comme un sacrement, & que d'ailleurs ils comptent pour sacremens le Baptême & l'Eucharistie ; ainsi l'on peut à cet égard les comprendre parmi les Trisacramentaires.


TRISAGIONS. m. dans l'histoire ecclésiastique, est le nom qu'on donne à une hymne où le nom de saint est répété trois fois.

Ce mot est grec, composé de , trois, ou trois fois, & d', saint.

Le trisagion proprement dit est composé de ces paroles, sanctus, sanctus, sanctus, Dominus Deus sabaoth. Saint, saint, saint, Seigneur Dieu des armées, comme nous les lisons dans Isaïe, c. vj. . 3. & dans l'Apocalypse, c. jv. de ces mots l'Eglise a formé un autre trisagion, qu'on chante dans l'église latine seulement le jour du Vendredi-saint, avant l'adoration de la croix. Il est conçu en ces termes : sanctus Deus, sanctus fortis, sanctus immortalis, miserere nobis, que les Grecs ont rendu par ceux-ci, ; saint Dieu, saint puissant, saint immortel, ayez pitié de nous ; qu'ils répétent souvent non-seulement dans l'office, mais encore dans leurs prieres particulieres.

Pierre Gnaphée ou le Foulon, patriarche d'Antioche dans le v. siecle, y fit ajouter ces paroles qui crucifixus est propter nos ; attribuant ainsi la passion non-seulement au fils, mais aussi aux deux autres personnes de la sainte Trinité, & prononça anathème contre ceux qui refuseroient de dire la même chose ; mais le pape Félix III. & les Catholiques rejetterent cette addition qui autorisoit manifestement les erreurs des Patripassiens. Voyez PATRIPASSIENS & THEOPASCHITES.

Ce dernier trisagion exclusivement aux paroles que Pierre le Foulon y vouloit ajouter, commença à être en usage dans l'église de Constantinople, d'où il passa dans les autres églises d'orient, & ensuite dans celles d'occident.

S. Jean Damascene, Codin, Balsamon, & d'autres disent que le trisagion fut introduit à Constantinople à l'occasion d'un terrible tremblement de terre, arrivé la trente - cinquieme année de l'empire de Théodose le jeune, & du tems du patriarche Proclus ; que celui-ci ayant ordonné une procession solemnelle, où l'on chanta pendant plusieurs heures de suite le kyrie eleison, Seigneur, ayez pitié de nous, un enfant fut élevé en l'air, où il crut avoir entendu les anges chanter le trisagion ; que cet enfant à son retour, ayant raconté la chose, le peuple commença aussi-tôt à chanter cette hymne, avec d'autant plus d'ardeur, qu'il attribuoit la calamité présente aux blasphèmes que les hérétiques de Constantinople vomissoient contre le fils de Dieu, & qu'incontinent après ce fléau cessa. Asclépiade, Cedrenus, le pape Félix III. & Nicéphore, racontent la même chose.

Quelques efforts que fît Pierre le Foulon pour introduire dans le trisagion l'addition dont nous avons parlé, cet hymne subsista toujours dans sa pureté primitive, & est demeuré tel dans les offices latins, grecs, éthiopiques, mozarabiques, ou autres qui l'ont adopté.


TRISANTO(Géog. anc.) fleuve de la grande Bretagne ; Ptolémée, l. II. c. iij. marque son embouchure sur la côte méridionale de l'île, entre Magnus-Portus, & Novus-Portus. C'est présentement Hampton-Water, autrement le port de Southampton, à l'embouchure du Tost. (D.J.)


TRISECTIONS. f. (Géom. & Algebr.) division d'une chose en trois parties.

Ce terme est principalement employé en Géométrie pour la division d'un angle en trois parties égales.

La trisection géométrique des angles, telle que les anciens la demandoient, c'est-à-dire en n'employant que la seule regle & le compas, est un de ces problêmes qu'on a cherché en vain depuis plus de deux mille ans, & qui à cet égard, ainsi que la duplication du cube, peut être comparé à la quadrature du cercle.

La solution de ce problême dépend d'une équation du troisieme degré. On en peut voir le calcul & le détail dans différens ouvrages, entr'autres dans l'application de l'Algebre à la Géométrie de M. Guisnei, & dans le dixieme livre des sections coniques de M. le marquis de l'Hôpital. Nous ne croyons pas qu'il soit nécessaire de la donner ici ; mais il sera bien plus utile pour nos lecteurs d'examiner pourquoi ce problême est du troisieme degré.

Soit, fig. 13 d'Algebre, un cercle A C B D ; on propose de diviser en trois parties égales l'arc A B, dont la corde est A B ; on nomme le rayon du cercle r, la corde A B, a, & la corde inconnue A C du tiers de l'arc x ; & on parvient, comme on le peut voir dans les ouvrages cités, à une équation qui monte au troisieme degré, & dans laquelle x a trois valeurs réelles ; par conséquent le problême a trois solutions. Il paroît cependant au premier coup d'oeil qu'il devroit n'en avoir qu'une ; car il n'y a certainement qu'une seule & unique valeur possible de la corde A C qui soutend le tiers de l'arc A B. Mais on fera réflexion que l'équation algébrique à laquelle on parvient, ne renferme point les arcs A B, A C, mais simplement leur corde ; & que par conséquent x n'est pas seulement la corde du tiers de l'arc A C B, mais la corde du tiers de tout arc qui a A B pour corde : or tous les arcs qui ont A B pour corde sont, en nommant C la circonférence, les arcs A C B, A C B + c, A B C + 2 c, A C B + 3 c, A C B + 4 c, A C B + 5 c, &c.

Et c - A C B ou A D B, 2 c - A C B, 3 c - A C B, 4 c - A C B, &c.

Maintenant je dis que la division de tous ces arcs en trois, fournit trois cordes différentes, & jamais plus de trois. Car 1°. soit le tiers de l'arc A C B, z, le tiers de l'arc A C B + c, y, le tiers de l'arc A C B + 2 c, u, cela donnera trois arcs différens qui auront chacun leurs cordes : voilà donc trois cordes différentes, & par conséquent les trois racines de l'équation. 2°. Il sembleroit d'abord que le tiers des autres arcs doit avoir chacun sa corde, & que par conséquent le problême auroit une infinité de solutions ; mais on remarquera que l'arc A C B + 3 c a pour tiers c + z, dont la corde est la même que celle de y ; que l'arc A C B + 4 c a pour tiers c + z, dont la corde est la même que celle de y ; que l'arc A B C + 5 c a pour tiers c + u dont la corde est la même que celle de u, & ainsi de suite. De même on trouvera que A D B ou c - A C B a pour tiers c - u, parce que 3 c - 3 u = 3 c - 2 c - A B C. Or la corde de c - u est la même que celle de u. Par la même raison la corde du tiers de 2 c - A C B sera la même que celle de y, & celle de 3 c - A C B la même que celle de z, & ainsi de suite ; donc la division à l'infini de tous ces arcs en trois, donne trois cordes différentes, & n'en donne pas plus de trois. Voilà pourquoi le problême est du troisieme degré.

Si on divisoit un arc en quatre parties, on trouveroit une équation du quatrieme degré, & on pourroit prouver de la même maniere qu'en effet cette division donne quatre cordes différentes, & jamais plus : la division d'un angle en cinq parties égales donnera par la même raison une équation du cinquieme degré, & ainsi de suite. Il nous suffit d'avoir ici mis le lecteur sur la voie, il pourra trouver facilement de lui-même la démonstration générale. Elle est fondée sur ce que l'arc A C B étant divisé en n parties, la corde de la ne partie de n c + A C B sera la même que la corde de la ne partie de A C B. (O)


TRISIDIS(Géog. mod.) ville de la Mauritanie tingitane ; elle étoit dans les terres, selon Ptolémée, liv. IV. ch. ij. Marmol la nomme Tenzert.


TRISMEGISTEadj. (Hist. anc.) surnom donné à l'un des deux Hermés ou Mercures rois de Thebes en Egypte. On croit que c'est au second, qui étoit contemporain de Moïse, le premier ayant regné vers le tems du déluge ; cependant on les confondoit assez souvent eu égard à la science ; car les Egyptiens se reconnoissoient redevables à l'un & à l'autre de plusieurs inventions utiles. Ce mot formé du grec , trois fois, & , très-grand, exprimoit que l'Hermès, ainsi surnommé, avoit été un grand philosophe, un grand-prêtre & un grand roi, ou qu'il avoit également approfondi les secrets de la nature, les mysteres de la religion & les ressorts de la politique.

TRISMEGISTE, (Fondeur de caracteres d'Imprimerie) seizieme des corps sur lesquels on fond les caracteres d'Imprimerie ; sa proportion est de six lignes mesure de l'échelle : il est le corps double du gros romain. Voyez PROPORTION des caracteres d'Imprimerie, & l'exemple à l'article CARACTERES. Le trismegiste ne faisoit point un corps dans l'Imprimerie ; le sieur Fournier le jeune en a fait un, qu'il a placé entre le gros & petit canon dans les proportions qu'il a données aux caracteres ; il l'a fait pour donner un corps double au gros romain, & pour rendre parlà la correspondance des caracteres plus générale.


TRISMIS(Géog. anc.) ville de la basse Moesie ; Ptolémée, liv. III. ch. x. la nomme entre les villes qui étoient au voisinage du Danube. C'est la ville Trosmis de l'itinéraire d'Antonin, qui la marque sur la route de Viminacium à Nicomédie. (D.J.)


TRISMOSS. m. (Médecine) est une convulsion du muscle temporal, qui fait grincer les dents. Voy. CONVULSION, &c.


TRISOLYMPIONIQUEadj. (Hist. anc.) athlete qui avoit remporté trois fois le prix aux jeux olympiques. Ce mot est composé de , trois, , jeux olympiques, & de , victoire, trois fois vainqueur à Olympie.

On érigeoit aux trisolympioniques des statues de l'espece de celles qu'on nommoit iconiques, & qui étoient de grandeur naturelle, prérogative qu'on n'accordoit point au commun des athletes. Pour les autres récompenses & marques d'honneur qui leur étoient accordées dans leur patrie, nous en avons parlé au long sous le mot OLYMPIONIQUES.


TRISPASTONS. m. en méchanique, est une machine qui a trois poulies, ou un assemblage de trois poulies pour soulever de grands fardeaux. Voyez POULIE & MOUFLE. Ce mot est composé de , trois, & , traho, je tire.


TRISSETRISSE


TRISTou TRIS, (Géog. mod.) île de l'Amérique septentrionale dans la nouvelle Espagne, sur la côte méridionale de la baie de Campêche, au couchant de l'île de Port-Royal, dont elle n'est séparée que par un canal ou crique très-étroite. Cette île est petite, basse & déserte.


TRISTEadj. voyez l'article TRISTESSE.

TRISTE, l'arbre, (Hist. nat. Botan.) arbre des Indes orientales qui croît sur tout vers la côte de Malabar. Son nom lui vient, dit-on, de ce qu'il perd ses fleurs au moment où celles des autres arbres s'épanouissent au soleil. Ces fleurs sont semblables au jasmin blanc, sinon qu'elles ont le pié jaune. Cet arbre ne vient que d'une hauteur médiocre. Ses feuilles sont petites, d'un verd foncé & d'un goût âpre.


TRISTENA(Géog. mod.) bourg de la Morée, dans la Scanie, anciennement Nenica. Il est à quinze ou seize milles au midi de Corinthe, à l'entrée & au nord de la forêt de Tristena, autrefois la forêt Némée. (D.J.)


TRISTESSES. f. (Morale) Ciceron définit la tristesse, l'opinion d'un grand mal présent, & tel que celui qui l'éprouve croit qu'il est juste & même nécessaire de s'affliger. Nos jours seront toujours malheureux, dit-il, si nous ne luttons de toutes nos forces contre cette passion, que la folie suscite comme une furie pour nous tourmenter. " Je n'aime point cette passion, dit Montagne, quoique le monde ait entrepris comme à prix fait, de l'honorer de faveur particuliere ; ils en habillent la sagesse, la vertu, la conscience ; bizarre habillement toujours nuisible, & toujours fâcheux ! " (D.J.)


TRISYLLABIQUEou TRISYLLABE, adj. (Gramm.) qui est composé de trois syllabes. On dit un pié trisyllabique, un vers trisyllabique.


TRITAEOPHYES(Lexicograph. médic.) , de , tierce, & , être de même nature ; épithete d'une sorte de fievre qui ressemble beaucoup à la fievre tierce, d'où elle tire son nom. Elle vient le troisieme jour, & arrive presque à son plus haut période ; ensorte qu'on la distingue de la tierce proprement dite, de la tierce allongée, & de la demi-tierce, & qu'elle tient une espece de milieu entre toutes celles-là.

Galien, Comm. II. in VI. Epid. dit aussi que peut s'employer, comme une épithete commune à toutes les fievres qui ont leur accès ou leur retour périodique le troisieme jour.

Erotien expliquant ce mot, pense que c'est une fievre qui donne des signes des approches de ses paroxysmes, & dont les intervalles sont réguliers, mais qui n'arrive jamais à sa perfection ; on l'appelle aussi demi-tierce. Ce mot se trouve souvent dans Hippocrate. (D.J.)


TRITE, en Musique, est, en comptant de l'aigu au grave, la troisieme corde du tétracorde dans l'ancien système. Comme il y avoit cinq différens tétracordes, il y auroit dû avoir autant de trites ; mais ce nom n'étoit en usage que dans les trois tétracordes supérieurs : pour les deux premiers, voyez PARYPATE.

Ainsi il y avoit trite hyperboleon, trite diezeugmenon, & trite synnemenon. Voyez SYSTEME, TETRACORDE, &c.

Boëce dit que le système n'étant encore composé que de deux tétracordes, on donna le nom de trite à la cinquieme corde qu'on appelloit aussi paramese, c'est-à-dire à la seconde en montant du deuxieme tétracorde ; mais que Lychaon, samien, ayant inséré une nouvelle corde entre la sixieme ou paranete, & la trite, celle-ci perdit son nom qui fut donné à cette nouvelle corde. Pour entendre ceci, il faut supposer que le second tétracorde n'avoit que trois cordes auparavant, & un espace vuide entre la trite & la paranete ; ce que Boëce auroit dû expliquer. (S)


TRITÉE(Géog. mod.) Tritea, ville du Péloponnèse, dans l'Achaïe propre, selon Strabon, liv. VIII. pag. 341. Hérodote, Plutarque, Polybe, Thucydide & Etienne le géographe, font mention de cette ville. Pausanias, liv. VII. c. xxij. qui écrit Tritia, dit qu'elle étoit en terre ferme, à six-vingt stades de Pherae, & qu'elle étoit de la dépendance de Patra, parce qu'Auguste l'avoit ainsi voulu.

Avant que d'entrer dans la ville, ajoute-t-il, on voit un magnifique tombeau de marbre blanc, plus précieux encore par les peintures de Nicias, que par les ouvrages de sculpture dont il est orné. Une jeune personne d'une grande beauté est représentée assise dans une chaise d'ivoire : à côté d'elle est une de ses femmes qui lui tient une espece de parasol sur la tête : de l'autre côté, c'est un jeune garçon qui n'a point encore de barbe ; il est vêtu d'une tunique, & d'un manteau de pourpre par-dessus ; près de lui est un esclave, qui d'une main tient des javelots, & de l'autre des chiens de chasse qu'il mene en lesse.

Les auteurs ne s'accordoient pas sur la fondation de cette ville. Les uns lui donnoient pour fondateur Celbidas, originaire du Cumes en Opique : d'autres disoient que Tritia, fille du fleuve Triton, après avoir été prêtresse de Minerve, fut aimée du dieu Mars, & que de ce commerce naquit Menalippus, qui bâtit une ville, & du nom de sa mere l'appella Tritia.

On voyoit dans cette ville un temple que les gens du pays nommoient le temple des grands dieux. Leurs statues n'étoient que de terre : on célébroit leur fête tous les ans avec les mêmes cérémonies, que les Grecs avoient coutume de pratiquer à la fête de Bacchus.

Minerve avoit aussi son temple à Tritia, avec une statue de marbre, & qui étoit d'un goût moderne du tems de Pausanias : les habitans prétendoient qu'anciennement il y en avoit une autre qui avoit été portée à Rome. Ces peuples observoient religieusement de sacrifier tous les ans au dieu Mars & à Tritia.

On ne connoît, dit Pausanias, liv. VI. c. xij. dans toute la Grèce, d'autre ville du nom de Tritée, que celle qui est en Achaïe. Il se peut faire néanmoins, ajoute-t-il, que du tems d'Hégésarque, Tritée fut une ville d'Arcadie, & qu'elle en ait été démembrée, comme quelques autres qui sont soumises au gouvernement d'Argos. Pausanias fait cette remarque parce que dans une ancienne inscription, les habitans de Tritée étoient qualifiés Arcadiens ; ce qui pouvoit être vrai dans le tems que cette inscription avoit été faite. (D.J.)


TRITHÉISMES. m. (Théolog.) opinion des Trithéistes, ou hérésie de ceux qui admettent trois Dieux. Voyez DIEU & TRINITE.

Le Trithéïsme consiste à croire qu'il y a non-seulement trois personnes en Dieu, mais aussi trois essences, trois substances ou hypostases & trois Dieux. Voyez PERSONNE, HYPOSTASE, &c.

Il s'est trouvé beaucoup de personnes, qui dans la crainte de donner dans le Trithéïsme, sont tombés dans le Sabellianisme ; d'autres, qui pour éviter le Sabellianisme, sont devenus Trithéïstes : tant il est difficile de garder un juste milieu dans une matiere si délicate. Voyez SABELLIENS.

Ainsi, dans la fameuse dispute entre le docteur South & le docteur Sherlock, on juge que le premier est tombé dans le Sabellianisme, en soutenant trop à la rigueur l'unité de Dieu, & l'autre dans le Trithéïsme, en soutenant la trinité d'une maniere trop absolue.

Jean le Grammairien, surnommé Philoponus ou amateur du travail, passe pour être l'auteur de la secte des Trithéïstes. Il paroît du-moins qu'il étoit très-zèlé défenseur de ce système. Il vivoit sous l'empire de Phocas. Leonce & George de Pisidie combattirent ses écrits.


TRITICIRILE, (Géog. mod.) riviere de Perse ; elle traverse la province de Chusistan, & se jette dans le golfe Persique. C'est le Mosoeus des anciens. (D.J.)


TRITICUMS. m. (Hist. nat. Botan.) on a déjà donné les caracteres de ce genre de plante, d'après Tournefort, au mot froment. Voici comme Ray le caractérise.

Ses fleurs sont, dit-il, hermaphrodites, à pétales, à étamines simples & mâles, avec leurs testicules propres, foibles & minces, dans lesquels l'ovaire est placé, garni d'une paire de tubes skirrheux & recourbés, enveloppés de deux feuilles pétaloïdales, quelquefois barbues, avec un appendice long, aigu, foible, tantôt uni, tantôt velu ; & de plus, avec deux feuilles concaves qui tiennent lieu de calice. Ces fleurs sont placées sur un pédicule, & forment sur un même axe, un épi fort serré. La semence est oblongue & large.

Dans le système de Linnaeus, le calice de ce genre de plante est un tuyau composé de deux écailles, qui contiennent les fleurs dans un court épi ; les feuilles du calice sont de forme ovale & obtuses ; la fleur est de la grosseur du calice ; la bâle extérieure qui la contient, est concave, obtuse & pointue ; l'intérieure est lisse & applatie : les étamines sont trois filets capillaires ; leurs bossettes sont oblongues, & fendues aux extrêmités ; le germe du pistil est de forme turbinée ; les stiles sont au nombre de deux, très-fins & recourbés ; les stigma sont aîlés ; la fleur renferme la graine jusqu'à sa maturité, & pour lors elle s'ouvre, & la laisse sortir ; la graine est unique, ovale, oblongue, obtuse aux deux bouts, convexe d'un côté, & profondément sillonnée de l'autre. Toute plante qui réunit ces caracteres, soit que son grain soit mangeable ou non, doit être rangée sous le genre du triticum. Linnaei, Gen. plant. p. 16. (D.J.)


TRITIUM-TUBORICUM(Géog. anc.) ville de l'Espagne-tarragonoise, selon Ptolémée, l. II. c. vj. qui la donne aux Varduli. Il y a grande apparence que c'est le Titium-Tobolicum de Pomponius-Méla, l. III. c. j. & il ne seroit pas impossible que ce fût la ville Tritium, que l'itinéraire d'Antonin marque entre Varia & Olbia, à dix-huit milles du premier de ces lieux, & à égale distance du second. (D.J.)


TRITOGENIE(Mythol.) surnom qu'on donne à Pallas, parce qu'elle étoit sortie de la tête de Jupiter ; ce mot est formé de , tête, & de , je nais, je sors. (D.J.)


TRITOLITHERMES DE, (Hist. des Eaux minéral.) les thermes de Tritoli, en latin thermae tritulae, sont situés dans le royaume de Naples, à l'endroit où étoit autrefois la ville de Bayes. Il y a là une grotte souterraine, divisée en sept galeries. On n'y sauroit demeurer long-tems sans éprouver une sueur, qui, selon l'avis des Médecins, est salutaire contre l'hydropisie. On a besoin d'un flambeau & d'un guide dans ces galeries, parce qu'elles sont si basses en certains endroits, qu'on est obligé de marcher à quatre pattes. Le terrein y est brûlant. Tous les jours cette grotte se remplit & se désemplit d'une eau très-chaude, ou pour mieux dire, cette eau s'abaisse & s'éleve en suivant le flux & le reflux de la mer.

Au haut de la montagne, sous laquelle cette grotte se trouve, il y en a une autre plus haute, mais dont l'air n'est pas moins chaud. Au reste, les bains de Tritoli sont appellés, je ne sais pourquoi, les bains de Ciceron. L'on y voyoit autrefois à fleur de terre, de petits réservoirs qui étoient remplis par différentes eaux. Près de-là il y avoit des statues, qui ayant la main sur une des parties de leur corps, faisoient connoître à quoi l'eau de chaque réservoir étoit propre. (D.J.)


TRITONS. m. (Hist. nat. Ornithol.) nom sous lequel le P. Nieremberg a décrit un bel oiseau commun dans l'isle Hispaniola, & qui est célebre pour la beauté & la variété de son chant. (D.J.)

TRITON, (Géog. anc.) nom de plusieurs marais, rivieres, & lieux :

1°. C'est le nom d'un marais de l'Afrique propre ; d'un marais au pié du mont Atlas ; d'un marais de la Thrace ; & d'un marais de la Cyrénaïque.

2°. Triton, est le nom d'une ville de la Libye ; d'une ville de la Béotie ; & d'un lieu de l'Asie mineure, sur le bord de la Propontide.

3°. Triton, étoit un fleuve de l'isle de Crete, à la source duquel la tradition fabuleuse vouloit que Minerve fût née, & qu'elle en eût pris le surnom de tritogénie.

4°. Torrent de la Béotie, qui selon Pausanias, l. IX. c. xxxiij. couloit près du rivage d'Alalcomène.

5°. Fontaine de l'Arcadie, dans le territoire de la ville d'Aliphere. Les habitans de cette ville avoient, au rapport de Pausanias, l. VIII. c. xvj. une dévotion singuliere pour Minerve, dans la persuasion où ils étoient, que cette déesse avoit pris naissance chez eux, & qu'elle y avoit été nourrie. (D.J.)

TRITON, s. m. (Belles-Lettres) dans la fable, demi-dieu marin que les anciens regardoient comme le trompette de Neptune, dont il portoit les ordres d'une mer à l'autre. Voyez DIEU.

Les Poëtes & les Peintres le représentent avec une figure d'homme, nageant jusqu'aux reins, & le bas du corps terminé par une queue de dauphin, tenant à la main une conque marine, dont il sonne comme d'une trompette.

Quelques anciens lui donnent pour pere Neptune, & pour mere Amphitrite ; d'autres, la nymphe Salmacis. Numenius, dans son livre de la Pêche, le fait fils de l'Océan & de Thétis, & Lycophron le croit fils de Nerée.

Quoiqu'Hésiode & les Mythologistes ne parlent que d'un seul Triton, les Poëtes en ont imaginé plusieurs, auxquels ils donnent la fonction de précéder les dieux marins, & sur-tout le char de Neptune & celui de Vénus aphrodite, en sonnant de leur conque. C'est ainsi qu'on les introduisoit souvent sur les théâtres des anciens, & dans les naumachies ou représentations des combats de mer.

En effet, on ne se contentoit pas de faire servir les Tritons en qualité de trompettes dans le cortege de Neptune, on en faisoit aussi les tenans & les supports de son char ; c'est-à-dire, de la conque marine sur laquelle il parcouroit les mers, comme on le voit dans Virgile, Eneid. l. X. v. 209. Ovid. Metamorph. l. I. v. 333. & dans une médaille de l'empereur Claude.

Les Poëtes donnent ordinairement aux tritons la charge de calmer les flots, & de faire cesser les tempêtes. On lit dans le premier livre des Métamorphoses d'Ovide, que Neptune voulant faire retirer les eaux du déluge, ordonna à Triton de sonner de la trompette, au bruit de laquelle toutes les eaux rentrerent au sein de la mer.

Il n'est pas douteux que la fable des Tritons ne tire son origine des hommes de mer ; car il paroît, après ce que nous avons dit dans l'article des Syrenes, qu'il n'est guere possible de révoquer en doute l'existence d'êtres semblables à ces hommes de mer. Voyez SYRENE.

TRITON, s. m. en Musique, est un intervalle dissonant qu'on peut appeller aussi quarte superflue, parce qu'il est formé de trois degrés diatoniques, c'est-à-dire de quatre sons. Voyez QUARTE. Son intervalle est de trois tons, ainsi que celui de la fausse quinte ; cependant les rapports n'en sont pas égaux, car celui du triton n'est que de 32 à 45 ; cela vient de ce que parmi les semitons qui forment ces deux intervalles, il y en a plus de majeurs dans la fausse quinte. Voyez FAUSSE-QUINTE.

Mais la plus considérable des différences de la fausse quinte & du triton, c'est que celui-ci est une dissonance majeure que les parties sauvent en s'éloignant, & la fausse-quinte une dissonance mineure que les parties sauvent en s'approchant.

L'accord du triton n'est qu'un renversement de l'accord sensible dont la dissonance est portée à la basse ; d'où il s'ensuit que cet accord ne se doit placer que sur la quatrieme note du ton, qu'il doit s'accompagner de seconde & de sixte, & que la basse descendant toujours d'un degré pour sauver la dissonance, & la note sensible montant de même, le triton se sauvera de la sixte. Voyez SAUVER. (S)


TRITONIAS. f. (Mytholog.) c'est la même que Pallas Tritogénie ; on donne aussi le surnom de Tritonia à Vénus, parce qu'elle est souvent portée par des tritons. (D.J.)


TRITONOS(Géog. anc.) petite ville de la Doride. Tite-Live, l. XXVIII. c. vij. dit qu'elle fut prise par Philippe de Macédoine. (D.J.)


TRITOPATORIESS. f. pl. (Antiq. grecq.) , solemnité religieuse dans laquelle on adressoit des prieres pour les enfans aux , aux dieux généthliaques, c'est-à-dire, qui présidoient à la génération, & qu'on nommoit aussi quelquefois . (D.J.)


TRITTYARQUESS. m. (Antiq. grecq.) , magistrats athéniens qui avoient l'intendance & la direction de la troisieme partie d'une tribu. Potter, archoeol. groec. tom. I. pag. 78. (D.J.)


TRITURATIONen Pharmacie, est l'action de réduire un corps solide en poudre subtile. On l'appelle aussi lévigation, pulvérisation, &c. Voyez POUDRE, BROYEMENT, LEVIGATION, &c. Ce mot est formé du latin triturare, broyer, qui vient de tero, frotter, piler, briser.

La trituration des bois, des écorces, des minéraux, & des autres corps durs & secs se fait dans des mortiers de fer.

On emploie aussi ce terme quand on parle de briser, d'atténuer & de diviser en petites parties des matieres humides. La trituration des corps humides se fait dans des mortiers de marbre ou de pierre, avec des pilons de bois, de verre, d'yvoire, &c.

Boerhaave observe que la trituration a une force merveilleuse pour dissoudre certains corps, & qu'elle les rend aussi fluides que s'ils étoient fondus par le feu ; de cette maniere si on broie la poudre de myrrhe avec le sel de tartre, ils se dissoudront mutuellement l'un l'autre. Si on broie dans un mortier de la limaille de fer nouvelle & brillante avec le double pesant de soufre bien pur, le fer se dissoudra tellement, que si on le lave avec de l'eau, il donnera un vitriol de mars. Voyez FER & VITRIOL.

L'or trituré longtems dans un mortier avec le sel de tartre donne une sorte de teinture, & trituré avec le mercure dans un mortier de verre, il se résout entierement en une liqueur purpurine, & devient un très-puissant remede.

Le docteur Langelotte a écrit un traité fort curieux sur les grands effets de la trituration dans la chymie. Il décrit une façon particuliere qu'il employoit pour triturer l'or, & au moyen de laquelle il pouvoit le rendre aussi fluide que par le moyen du feu, & faire un or potable par le seul mouvement d'un moulin. Voyez OR & AURUM.

Cet auteur, dans les Transactions philosophiques, parle de la maniere dont il trituroit l'or, & décrit deux machines ou moulins philosophiques servant à cet effet, avec l'eau desquels dans l'espace de quatorze jours, il réduisoit une feuille d'or en une poudre brune, mettant ensuite cette poudre dans une cornue peu profonde qu'il plaçoit sur un feu de sable, il augmentoit le feu par degrés, & donnoit à la fin un feu violent. Il avoit par ce moyen quelques gouttes fort rouges, qui étant mises en digestion per se, ou avec de l'esprit-de-vin tartarisé, donnoient un véritable or potable.

L'auteur attribue en grande partie le succès de cette opération au sel de l'air qui durant le broyement se mêle abondamment, & s'unit avec l'or.

TRITURATION, se dit aussi, en Médecine, de l'action de l'estomac sur les alimens, qui les rend propres à la nutrition. Voyez ESTOMAC, &c.

Quelques médecins prétendent que la digestion se fait par la trituration, & non par la fermentation ; autrement que l'estomac ne fait autre chose que de broyer & atténuer les alimens pour les rendre propres à la nutrition. Voyez l'article DIGESTION, où cette matiere est traitée amplement.

Ce système fit beaucoup de bruit, il y a quelques années, étant soutenu par le docteur Pitcarn & par d'autres ; mais il paroît qu'il est maintenant fort tombé. La doctrine de la trituration n'est pas nouvelle. Erasistrate l'a soutenue anciennement dans toute son étendue, & les modernes n'ont fait que la renouveller.

Elle fut inventée du tems d'Hippocrate, c'est-à-dire, dans un tems où l'anatomie étoit encore peu connue, & c'est ce qui lui donna du cours. Certains médecins de ce tems-là croyoient que l'estomac n'étoit simplement que le réservoir des alimens solides ou secs : que ces alimens après avoir été délayés & broyés dans la bouche, étoient de nouveau broyés plus parfaitement dans l'estomac, & par ce seul moyen étoient convertis en chyle, mais que la boisson ne pouvant pas être broyée à cause de sa liquidité, alloit dans les poumons & non dans l'estomac, où à raison de sa quantité, elle auroit plutôt nui à la digestion qu'elle n'y auroit aidé.

Hippocrate, comme nous voyons dans son quatrieme livre des maladies, s'éleva fortement contre une opinion si visiblement contraire à la raison & à l'expérience ; & il nous apprend que s'il se donna cette peine, c'est parce qu'une telle erreur avoit déja beaucoup de partisans. Elle ne put pas tenir longtems contre les raisons d'Hippocrate, & sa chûte fut suivie de la ruine entiere du système de la trituration dont elle étoit le fondement.

Mais Erasistrate la releva ; & cette doctrine après avoir été soutenue durant quelque tems, retomba dans l'oubli, d'où quelques auteurs modernes ont tâché inutilement de la retirer.

TRITURER LE GRAIN, (Critiq. sacrée) c'est l'action de séparer le grain d'avec la paille ; cette manoeuvre s'opéroit en deux manieres chez les Juifs, soit avec des trainaux ou chariots armés de fer, soit plus ordinairement en faisant fouler le grain par des boeufs qui brisoient la paille avec la corne de leurs piés. Comme on donnoit des muselieres à ces animaux afin qu'ils ne pussent toucher aux grains qu'ils fouloient, & que cependant l'ouvrage étoit fort pénible pour ces pauvres bêtes ; Moïse voulant inspirer aux Juifs des sentimens d'humanité à cet égard, défendit par une loi expresse de mettre des muselieres aux boeufs qu'on employoit à ces travaux fatiguans. S. Paul tire de cette loi la conséquence qu'il est juste que les ministres de l'évangile soient nourris aux dépens de ceux qu'ils instruisent. Au reste l'Ecriture fait quelquefois allusion à la maniere de broyer le blé par le secours des boeufs : témoin ce passage du prophete Michée, iv. 15. " leve-toi, fille de Sion, je te donnerai une corne de fer, & tu froisseras plusieurs peuples ". (D.J.)


TRIULATTI(Géog. anc.) peuples des Alpes, que Pline, l. III. c. xx. met au nombre de ceux qui furent subjugués par Auguste. Le P. Hardouin croit qu'ils habitoient dans le diocèse de Sénez, vers le bourg d'Alloz. (D.J.)


TRIUMFETTES. f. (Hist. nat. Botan.) triumfetta, genre de plante à fleur en rose, composée de plusieurs pétales disposés en rond. Le pistil sort du calice, & devient dans la suite un fruit dur, sphérique & hérissé de pointes, qui contient quatre semences anguleuses. Plumier, nova plant. Amer. genera. Voyez PLANTE.

Miller en compte deux especes, le triumfetta, fructu echinato racemoso. Plum. nov. gen. La seconde, triumfetta fructu echinato racemoso, minor.

La premiere de ces plantes est fort commune à la Jamaïque, & dans plusieurs autres contrées de l'Amérique. La seconde est rare, & ne se trouve qu'en quelques endroits. Les fleurs de ces plantes sont petites, jaunes, assez semblables à celles de l'aigremoine, & c'est par cette raison qu'on les a mises dans la même classe : ces fleurs croissent en branches aux extrêmités des rejettons ; elles ne sont pas fort belles, aussi ne les cultive-t-on que dans les jardins où l'on se propose de répandre de la variété.

La premiere s'éleve à six ou sept piés de haut ; sa tige est ligneuse ; elle se divise vers le haut en plusieurs branches, dont chacune produit un épi ou un bouquet de fleurs. Ses feuilles sont assez larges, & ressemblent à celles de la malvinda major. La seconde espece s'éleve rarement à plus de trois piés ; ses feuilles sont plus petites que celles de la premiere. Sa tige est ligneuse, mais non branchue, & la plante entiere est à tous égards plus petite que la précédente.

Dans le système de Linnaeus, le genre de plante appellé triumfetta, n'a point de calice, à-moins qu'on ne donne ce nom à la fleur même ; elle est composée de quatre pétales droits, concaves, obtus à leur extrêmité, & recourbés en arriere ; comme ils tombent d'abord après qu'ils sont ouverts, il paroît de-là que ce sont plutôt les pétales de la fleur, que les feuilles du calice ; les étamines sont seize filets droits, égalant la fleur en hauteur, & finissant en pointe aiguë ; les bossettes sont simples ; le germe du pistil est arrondi ; le stile est simple, & de la longueur des étamines ; le stigma est fendu en deux ; le fruit est une capsule ronde, armée de toutes parts d'épines crochues ; elle contient quatre loges, dans chacune desquelles sont deux semences convexes d'un côté, & anguleuses de l'autre. Il est très-rare cependant qu'il y ait deux graines d'une même loge venant à maturité. Linnaeus, Gen. plant. p. 243. Plumier, Gen. 8. (D.J.)


TRIUMPILINI(Géog. anc.) peuples d'Italie, selon Pline, l. III. c. xx. qui nous apprend qu'ils faisoient partie des Euganei. Ils habitoient la vallée que l'on appella de leur nom Trompla, ensuite Trompia, & que l'on connoît aujourd'hui sous le nom de Troppia. Pline un peu plus bas met les Triumpilini au nombre des nations des Alpes, dont Auguste triompha. (D.J.)


TRIUMVIRTRIUMVIR

TRIUMVIRS, des colonies, (Hist. rom.) triumviri coloniae deducendae, magistrats préposés pour établir des colonies.

Ces sortes de magistrats se créoient dans une assemblée du peuple par tribus : toutes les fois que les Romains envoyoient des colonies dans les pays qu'ils avoient soumis, pour maintenir les peuples dans l'obéissance & les empêcher de secouer le joug, on choisissoit des magistrats qu'on appelloit ou duumvirs, ou triumvirs, ou décemvirs, selon le nombre dont ils étoient composés. Quand par un ordonnance du peuple, ou par un decret du sénat, on avoit déterminé la colonie & fait le choix de ceux qui la devoient remplir, on chargeoit les triumvirs de la conduire : c'étoit à eux de l'établir, de faire le département des terres qui lui étoient adjugées, & d'assigner à chacun ce qu'on lui donnoit en propre à cultiver ; après cela, ils traçoient avec une charrue les limites du terrein, dont ils avoient fait le partage. On voit des monumens de cette institution sur les médailles, où l'établissement des colonies est marqué par une charrue attelée de boeufs. (D.J.)

TRIUMVIRS de nuit, (Hist. rom.) triumviri nocturni ; c'étoient de bas officiers préposés pour la police de la nuit. Auguste voulant s'affermir sur le trône, s'appliqua à rétablir l'ordre & la sûreté de la ville de Rome, où il y avoit eu autrefois des triumvirs, dont l'emploi étoit de maintenir le repos public pendant la nuit, & de veiller aux incendies ; c'est par cette derniere raison qu'ils furent appellés triumviri nocturni ; mais comme il étoit difficile que ces officiers pussent suffire à ces deux choses, Auguste créa sept cohortes, dont il en établit une pour veiller dans deux quartiers de Rome, & leur donna un chef qu'il appella proefectus vigilum, dignité mentionnée dans plusieurs inscriptions anciennes, qui ont été rapportées par Panvinius, de civitate Romanâ. (D.J.)

TRIUMVIRS CAPITAUX, (Hist. rom.) Voyez TREVIRS CAPITAUX. (D.J.)

TRIUMVIRS MONETAIRES, terme de monnoies des Romains, officiers, directeurs ou surintendans, préposés chez les Romains à la fabrique des monnoies.

On sait que du tems de la république, l'intendance de la monnoie étoit commise à trois officiers ou magistrats, qu'on nommoit triumviri auro, argento, aeri, flando, feriundo. Jules-César en ajouta un quatrieme comme nous l'apprenons de plusieurs médailles qui portent l'image de ce prince ; mais sous Auguste les choses furent remises sur l'ancien pié, & les triumvirs monétaires continuerent de mettre leur nom sur les monnoies qu'ils faisoient frapper ; c'est un fait dont les médailles d'Auguste nous instruisent.

Il n'est pas vraisemblable qu'il y ait eu à Rome des triumvirs monétaires préposés par l'empereur à la fabrication des especes d'or & d'argent, & d'autres triumvirs nommés par le sénat, pour avoir soin de la fabrication des espèces de bronze ; car les mêmes officiers ont pû avoir l'intendance de toute la monnoie qui se frappoit à Rome, quoiqu'ils fussent obligés de demander l'approbation de l'empereur pour le type des monnoies d'or & d'argent, & l'approbation du sénat pour le type de la monnoie de bronze.

Au reste, il n'est guere possible de douter que la disposition de la monnoie n'ait appartenu aux empereurs, puisqu'on trouve sur une infinité de médailles, moneta Aug. & moneta Augg. De plus, Stace dans les vers qu'il a faits, pour consoler Hétruscus de la mort de son pere, qui après avoir été affranchi par Tibere, étoit devenu intendant de l'empereur, dispensator Caesaris : Stace, dis-je, nous apprend qu'Hétruscus avoit été chargé de la matiere qui devoit être employée à frapper des monnoies au coin des empereurs.

Quae divûm in vultus igni formanda liquescat

Massa, quid Antoniae scriptum crepetigne monetae.

Il est donc vrai que la monnoie d'or & d'argent appartenoit plus particulierement à l'empereur ; en effet, outre que la marque de l'autorité du sénat ne se trouve que très-rarement sur ces deux métaux, une inscription découverte à Rome sur la fin du seizieme siecle, & rapportée dans Gruter, prouve ce fait d'une maniere évidente. Cette inscription qui est du tems de Trajan commence ainsi : Fortunae Aug. sacrum officinatores monetae aurariae, argentariae Caesaris.

Il falloit donc que la monnoie d'or & d'argent dépendît plus particulierement de l'empereur, puisque sans cela les monétaires en bronze auroient été joints aux monétaires des deux autres métaux. On peut tirer cette même conséquence de ce que Sévere Alexandre ayant réduit les impositions à la trentieme partie de ce qu'elles étoient sous Heliogabale, voulant faire aussi un changement dans le poids & dans le module de la monnoie, il est dit qu'il fit frapper des demi-sols & des tiers de sols d'or ; mais on n'ajoute pas qu'il ait entrepris de rien changer dans la monnoie de bronze, apparemment parce qu'il ne voulut pas être accusé d'empiéter sur les droits du sénat.

Remarquons qu'après Auguste on ne trouve plus sur les médailles le nom des triumvirs monétaires ; mais il ne faut pas croire pour cela que ces emplois ayent été supprimés ; car parmi les titres donnés dans une ancienne inscription à un Q. Hedius Rufus Lollianus Gentianus, qui vivoit du tems de Sévere & de Caracalle, on lit celui de III. Vir. AA. A. FF. & on trouve un L. Antronius Vagonius Prosper III. Vir. Monetalis, dans une autre inscription rapportée par Reinesius, & que Sperlingius croit plus moderne que la précédente. Les ouvriers qui travailloient à la monnoie sous les ordres des triumvirs, étoient ou des affranchis ou des esclaves ; c'est pour cela que dans un ancien monument, ils sont nommés officinatores, & nummularii officinarum argentariarum familiae monetariae ; on les appelloit en général monetarii, officinatores monetae, & nummularii officinatores monetae.

On les divisoit en plusieurs classes ; les uns, nommés signatores, gravoient les coins ; les autres, appellés suppostores, avoient soin de mettre la piece de métal entre les quarrés ; d'autres, appellés malleatores, la frappoient avec le marteau ; il est fait mention de ces trois sortes d'ouvriers conjointement dans une inscription de Gruter.

Il y avoit outre cela d'autres ouvriers chargés de la fonte & de la préparation des métaux qu'on apportoit en masse ou en lingots aux hôtels des monnoies. Ceux-ci se nommoient flatores, ou flatuarii, auri & argenti monetarii.

Quelques-uns étoient chargés de la vérification du titre & du poids des especes, on les appelloit exactores auri, argenti, aeris, & c'est pour cela qu'on lit exagium solidi sur certaines médailles d'Honorius & de Valentinien III. qui paroissent avoir servi d'une espece de pié-fort, pour vérifier les sols d'or qu'on frappoit du tems de ces empereurs, comme on peut le voir dans la dissertation de M. du Cange sur les médailles du bas-âge : le chef de ces ouvriers est appellé optio dans quelques inscriptions, du-moins en cas qu'il y en eût quelqu'un au-dessus de celui qui portoit ce nom, les anciens monumens ne nous en ont pas conservé le souvenir.

Ce sont là tous les noms qui soient parvenus jusqu'à nous, des personnes employées dans les monnoies des Romains ; car il faut bien se garder de confondre, comme a fait Sperlingius, les monétaires avec ceux qui sont appellés sur d'anciens marbres, argentarius coactor, auri lustralis coactor, procurator, subprocurator, defensor aurariarum. Les premiers étoient des receveurs chargés du recouvrement de l'or & l'argent que les sujets de l'empire devoient payer au trésor impérial ; les derniers étoient des officiers préposés à la fouille des mines d'or qu'on découvroit sur les terres de l'empire.

Dans le bas-empire, il n'est plus fait mention des triumvirs monétaires, & le S. C. ne se trouve plus comme auparavant sur les monnoies de bronze. Cela fait juger que les empereurs, en attribuant à leur dignité le droit exclusif de faire battre monnoie, abolirent les trois charges de ceux qui présidoient à cet emploi, & qui vraisemblablement n'étoient pas nommés sans l'approbation du sénat. Ce changement, selon les apparences, arriva sous Aurélien, contre qui les monétaires s'étoient révoltés.

Dans la suite, il paroît par la notice des deux empires que la monnoie fut dans le département du surintendant des finances, appellé comes sacrarum largitionum. On établit pour-lors dans chaque monnoie particuliere un directeur, que la notice appelle procurator monetae, & Ammien Marcellin, praepositus monetae : au-dessus de celui-ci étoit le chef des monétaires, à qui on donnoit le nom de primarius monetariorum. Il est vrai que la notice ne parle point des différentes monnoies établies dans l'empire d'Orient, & qu'elle n'en nomme que six dans l'Occident, celle de Siscia, d'Aquilée, de Rome, de Lyon, d'Arles & de Treves. Cependant l'exergue des médailles du bas-empire nous prouve qu'il y en avoit un bien plus grand nombre. Notices de M. le baron de la Bastie. (D.J.)


TRIUMVIRATS. m. (Hist. rom.) c'est le nom latin que l'histoire à consacré à l'association faite par trois personnes, pour changer le gouvernement de la république, & s'en emparer contre les loix de l'état.

Etat de Rome sur la fin de la république. Rome montée au faîte de la grandeur, se perdit par la corruption, par le luxe, par des profusions qui n'avoient point de bornes. Avec des desirs immodérés, on fut prêt à tous les attentats ; &, comme dit Salluste, on vit une génération de gens qui ne pouvoient avoir de patrimoine, ni souffrir que d'autres en eussent. Sylla, dans la fureur de ses entreprises, avoit fait des choses qui mirent Rome dans l'impossibilité de conserver sa liberté. Il ruina dans son expédition d'Asie toute la discipline militaire : il accoutuma son armée aux rapines, & lui donna des besoins qu'elle n'avoit jamais eu ; il corrompit une fois des soldats qui devoient, dans la suite, corrompre les capitaines.

Il entra à main armée dans Rome, & enseigna aux généraux romains à violer l'asyle de la liberté. Il donna les terres des citoyens aux soldats, & il les rendit avides pour jamais ; car dès ce moment il n'y eut plus un homme de guerre qui n'attendît une occasion qui pût mettre les biens de ses concitoyens entre ses mains.

Dans cette position, la république devoit nécessairement périr ; il n'étoit plus question que de savoir comment & par qui elle seroit abattue. Trois hommes également ambitieux effaçoient alors les autres citoyens de Rome, par leur naissance, par leur crédit, par leurs exploits, & par leurs richesses, Cnéïus Pompéïus, Caïus Julius César, & Marcus Licinius Crassus.

Caractere de Crassus. Ce dernier de la maison Licinia, & célébre par sa mort chez les Parthes, étoit fils de Crassus le censeur. Ne pouvant vivre en sûreté à Rome, parce qu'il avoit été proscrit par Cinna & Marius, il se sauva en Espagne, où Vibius, un de ses amis, le tint caché pendant huit mois dans une caverne. De-là il se rendit en Afrique auprès de Sylla, qui lui donna d'abord la commission d'aller dans le pays des Marses, pour y faire de nouvelles levées ; mais comme il falloit passer dans différens quartiers de l'armée ennemie, Crassus avoit besoin d'une escorte, il la demanda à Sylla. Ce général, qui vouloit accoutumer ses officiers à des entreprises hardies, lui répondit fierement : " Je te donne pour gardes ton pere, ton frere, tes parens, & tes amis qui ont été massacrés par nos tirans, & dont je veux venger la mort ". Crassus touché de ce discours, & plein du desir de se distinguer, partit sans répliquer, passa au-travers de différens corps de l'armée ennemie, leva un grand nombre de troupes par son crédit, vint rejoindre Sylla, & partagea depuis avec lui tous les périls & toute la gloire de cette guerre.

Dans le même tems, le jeune Pompée n'ayant pas encore vingt-trois ans, tailla en pieces la cavalerie gauloise aux ordres de Brutus, joignit Sylla avec trois légions, & se lia d'amitié & d'intérêt avec Crassus.

Sylla devenu dictateur perpétuel, ou, pour mieux dire, le maître absolu de Rome, disposa souverainement des biens de ses concitoyens, qu'il regardoit comme faisant partie de ses conquêtes ; & Crassus, dans cette confiscation, eut le choix de tout ce qui pouvoit flatter son avarice : Sylla, aussi libéral envers ses amis, que dur & inexorable envers ses ennemis, se faisoit un plaisir de répandre à pleines mains les trésors de la république sur ceux qui s'étoient attachés à sa fortune. Voilà la principale source des richesses de Crassus.

Elles n'amollirent point sa valeur. Il y avoit déja trois ans que la guerre civile duroit en Italie, avec autant de honte que de désavantage pour la république, lorsque le sénat lui en donna la conduite. La fortune changea sous cet habile général ; il rétablit la discipline militaire, défit les troupes de Spartacus, & remporta une victoire complete.

De retour à Rome l'an 683, sa faction se réunit à celle de Pompée ; & comme il avoit passé par la charge de préteur, il fut élu consul. On déféra la même dignité à Pompée, quoiqu'il ne fût que simple chevalier, qu'il n'eût pas été seulement questeur, & qu'à peine il eût trente-quatre ans ; mais sa haute réputation & l'éclat de ses victoires couvrirent ces irrégularités ; on ne crut pas qu'un citoyen qui avoit été honoré du triomphe avant l'âge de vingt-quatre ans & avant que d'avoir entrée au sénat, dût être assujetti aux regles ordinaires.

Il sembloit que Pompée & Crassus eussent renoncé au triomphe, étant entrés dans Rome pour demander le consulat ; mais, après leur élection, on fut surpris qu'ils prétendissent encore au triomphe, comme s'ils étoient restés chacun à la tête de leurs armées. Ces deux hommes également ambitieux & puissans vouloient retenir leurs troupes, moins pour la cérémonie du triomphe, que pour conserver plus de force & d'autorité l'un contre l'autre. Crassus, pour gagner l'affection du peuple, fit dresser mille tables où il traita toute la ville, & fit distribuer en même tems aux familles du petit peuple du blé pour les nourrir pendant trois mois. On ne sera pas surpris de cette libéralité, si l'on considere que Crassus regorgeoit de richesses, & possédoit la valeur de plus de sept mille talens de bien, c'est-à-dire plus de trente millions de notre monnoie ; & c'étoit par ces sortes de dépenses publiques que les grands de Rome achetoient les suffrages de la multitude.

Pompée de son côté, pour renchérir sur les bienfaits de Crassus, & pour mettre dans ses intérêts les tribuns du peuple, fit recevoir des loix qui rendoient à ces magistrats toute l'autorité dont ils avoient été privés par celles de Sylla.

Enfin ces deux hommes ambitieux se réunirent, s'embrasserent ; & après avoir triomphé l'un & l'autre, ils licencierent de concert leurs armées.

Caractere de Pompée. Mais Pompée attira sur lui, pour ainsi dire, les yeux de toute la terre. C'étoit, au rapport de Cicéron, un personnage né pour toutes les grandes choses, & qui pouvoit atteindre à la suprême éloquence, s'il n'eût mieux aimé cultiver les vertus militaires, & si son ambition ne l'eût porté à des honneurs plus brillans. Il fut général avant que d'être soldat, & sa vie n'offrit qu'une suite continuelle de victoires. Il fit la guerre dans les trois parties du monde, & il en revint toujours victorieux. Il vainquit dans l'Italie Carina & Carbon du parti de Marius ; Domitius, dans l'Afrique ; Sertorius, ou pour mieux dire Perpenna, dans l'Espagne ; les pirates de Cilicie sur la mer Méditerranée ; & depuis la défaite de Catilina, il revint à Rome vainqueur de Mithridate & de Tigrane. Par tant de victoires & de conquêtes, il acquit un plus grand nom que les Romains ne souhaitoient, & qu'il n'avoit osé lui-même espérer.

Dans ce haut degré de gloire où la fortune le conduisit comme par la main, il crut qu'il étoit de sa dignité de se familiariser moins avec ses concitoyens. Il paroissoit rarement en public ; & s'il sortoit de sa maison, on le voyoit toujours accompagné d'une foule de ses créatures, dont le cortege nombreux représentoit mieux la cour d'un grand prince, que la suite d'un citoyen de la république. Ce n'est pas qu'il abusât de son pouvoir, mais dans une ville libre on voyoit avec peine qu'il affectât des manieres de souverain.

Accoutumé dès sa jeunesse au commandement des armées, il ne pouvoit se réduire à la simplicité d'une vie privée. Ses moeurs à la vérité étoient pures & sans tache : on le louoit même avec justice de sa tempérance ; personne ne le soupçonna jamais d'avarice, & il recherchoit moins dans les dignités qu'il briguoit la puissance, qui en est inséparable, que les honneurs & l'éclat dont elles étoient environnées.

Deux fois Pompée retournant à Rome, maître d'opprimer la république, eut la modération de congédier ses armées avant que d'y entrer, pour s'assûrer les éloges du sénat & du peuple ; son ambition étoit plus lente & plus douce que celle de César : il aspiroit à la dictature par les suffrages de la république ; il ne pouvoit consentir à usurper la puissance, mais il auroit désiré qu'on la lui remît entre les mains. Il vouloit des honneurs qui le distinguassent de tous les capitaines de son tems.

Modéré en tout le reste, il ne pouvoit souffrir sur sa gloire aucune comparaison. Toute égalité le blessoit, & il eût voulu, ce semble, être le seul général de la république, quand il devoit se contenter d'être le premier. Cette jalousie du commandement lui attira un grand nombre d'ennemis, dont César, dans la suite, fut le plus dangereux & le plus redoutable ; l'un ne voulut point d'égal, comme nous venons de dire, & l'autre ne pouvoit souffrir de supérieur. Cette concurrence ambitieuse dans les deux premiers hommes de l'univers causa les révolutions, dont nous allons indiquer l'origine & le succès à la suite du portrait de César.

Caractere de César. Il étoit né de l'illustre famille des Jules, qui, comme toutes les grandes maisons, avoit sa chimere, en se vantant de tirer son origine d'Anchise & de Vénus. C'étoit l'homme de son tems le mieux fait, adroit à toutes sortes d'exercices, infatigable au travail, plein de valeur, & d'un courage élevé ; vaste dans ses desseins, magnifique dans sa dépense, & libéral jusqu'à la profusion. La nature, qui sembloit l'avoir fait naître pour commander au reste des hommes, lui avoit donné un air d'empire, & de la dignité dans ses manieres. Mais cet air de grandeur étoit tempéré par la douceur & la facilité de ses moeurs. Son éloquence insinuante & invincible étoit encore plus attachée aux charmes de sa personne, qu'à la force de ses raisons. Ceux qui étoient assez durs pour résister à l'impression que faisoient tant d'aimables qualités, n'échappoient point à ses bienfaits : & il commença par gagner les coeurs, comme le fondement le plus solide de la domination à laquelle il aspiroit.

Né simple citoyen d'une république, il forma, dans une condition privée, le projet d'assujettir sa patrie. La grandeur & les périls d'une pareille entreprise ne l'épouvanterent point. Il ne trouva rien audessus de son ambition, que l'étendue immense de ses vues. Les exemples récens de Marius & de Sylla lui firent comprendre, qu'il n'étoit pas impossible de s'élever à la souveraine puissance : mais sage jusque dans ses desirs immodérés, il distribua en différens tems l'exécution de ses desseins. Doué d'un esprit toujours juste, malgré son étendue, il n'alla que par degrés au projet de la domination ; & quelque éclatantes qu'ayent été depuis ses victoires, elles ne doivent passer pour de grandes actions, que parce qu'elles furent toujours la suite & l'effet de grands desseins.

A peine Sylla fut-il mort, que César se jetta dans les affaires : il y porta toute son ambition. Sa naissance, une des plus illustres de la république, devoit l'attacher au parti du sénat & de la noblesse ; mais neveu de Marius & gendre de Cinna, il se déclara pour leur faction, quoiqu'elle eût été comme dissipée depuis la dictature de Sylla. Il entreprit de relever ce parti qui étoit celui du peuple, & il se flatta d'en devenir bien-tôt le chef, au-lieu qu'il lui auroit fallu plier sous l'autorité de Pompée, qui étoit à la tête du sénat.

Sylla avoit fait abattre pendant sa dictature les trophées de Marius. César n'étoit encore qu'édile, qu'il fit faire secrétement par d'excellens artistes la statue de Marius, couronné par les mains de la Victoire. Il y ajouta des inscriptions à son honneur, qui faisoient mention de la défaite des Cimbres, & il fit placer de nuit ces nouveaux trophées dans le capitole. Tout le peuple accourut en foule le matin pour voir ce nouveau spectacle. Les partisans de Sylla se récrierent contre une entreprise si hardie ; on ne douta point que César n'en fût l'auteur. Ses ennemis publioient qu'il aspiroit à la tyrannie, & qu'on devoit punir un homme qui osoit de son autorité privée relever des trophées, qu'un souverain magistrat avoit fait abattre. Mais le peuple dont Marius s'étoit déclaré protecteur, donnoit de grandes louanges à César, & disoit qu'il étoit le seul qui, par son courage, méritât de succéder aux dignités de Marius. Aussi les principaux de chaque tribu ne furent pas long-tems sans lui donner des preuves de leur dévouement à ses intérêts.

Après la mort du grand pontife Métellus, il obtint cet emploi, passa avec facilité à la préture, & en sortant de cette charge, le peuple lui déféra le gouvernement de l'Espagne.

César en possession de ce gouvernement, porta la guerre dans la Galice & dans la Lusitanie, qu'il soumit à l'empire Romain ; mais dans cette conquête il ne négligea pas ses intérêts particuliers. Il s'empara par des contributions violentes, de tout l'or & l'argent de ces provinces, & il revint à Rome chargé de richesses, dont il se servit pour se faire de nouvelles créatures, par des libéralités continuelles ; sa maison leur étoit ouverte en tout tems ; rien ne leur étoit caché que son coeur, toujours impénétrable même à ses plus chers amis.

On ne doutoit point qu'il ne se fût mis à la tête de la conjuration de Catilina, si elle eût réussi ; & ce fameux rebelle qui croyoit ne travailler que pour sa propre grandeur, se fût vu enlever le fruit de son crime, par un homme plus autorisé que lui dans son propre parti, & qui avoit eu l'adresse de ne lui laisser que le péril de l'exécution. Cependant le mauvais succès de cette entreprise, & le souvenir de la mort des Gracques, assassinés aux yeux de la multitude qui les adoroit, lui firent comprendre que la faveur seule du peuple ne suffisoit pas pour le succès de ses affaires : & il jugea bien qu'il ne s'éleveroit jamais jusqu'à la souveraine puissance, sans le commandement des armées, & sans avoir un parti dans le sénat.

Formation du premier triumvirat. Ce corps si auguste étoit alors partagé entre Pompée & Crassus, ennemis & rivaux dans le gouvernement ; l'un le plus puissant, & l'autre le plus riche de Rome. La république tiroit au-moins cet avantage de leur division, qu'en partageant le sénat, elle tenoit leur puissance en équilibre, & maintenoit la liberté. César résolut de s'unir tantôt avec l'un, tantôt avec l'autre, & d'emprunter pour ainsi-dire leur crédit de tems-en-tems, dans la vue de s'en servir pour parvenir plus aisément au consulat & au commandement des armées. Mais comme il ne pouvoit ménager en même tems l'amitié de deux ennemis déclarés, il ne songea d'abord qu'à les réconcilier. Il y réussit, & lui seul tira toute l'utilité d'une réconciliation si pernicieuse à la liberté publique. Il sut persuader à Pompée & à Crassus de lui confier, comme en dépôt, le consulat, qu'ils n'auroient pas vu sans jalousie passer entre les mains de leurs partisans. Il fut élu consul avec Calphurnius Bibulus, par le concours des deux factions. Il en gagna secrétement les principaux, dont il forma un troisieme parti, qui opprima dans la suite ceux mêmes qui avoient le plus contribué à son élévation.

Rome se vit alors en proie à l'ambition de trois hommes qui, par le crédit de leurs factions réunies, disposerent souverainement des dignités & des emplois de la république. Crassus toujours avare, & trop riche pour un particulier, songeoit moins à grossir son parti, qu'à amasser de nouvelles richesses. Pompée content des marques extérieures de respect & de vénération que lui attiroit l'éclat de ses victoires, jouissoit dans une oisiveté dangereuse, de son crédit & de sa réputation. Mais César plus habile & plus caché que tous les deux, jettoit sourdement les fondemens de sa propre grandeur, sur le trop de sécurité de l'un & de l'autre. Il n'oublioit rien pour entretenir leur confiance, pendant qu'à force de présens il tâchoit de gagner les sénateurs qui leur étoient les plus dévoués. Les amis de Pompée & de Crassus devinrent sans s'en apperçevoir les créatures de César : pour être averti de tout ce qui se passoit dans leurs maisons, il séduisit jusqu'à leurs affranchis, qui ne purent résister à ses libéralités. Il employa contre Pompée en particulier, les forces qu'il lui avoit données, & ses artifices mêmes ; il troubla la ville par ses émissaires, & se rendit maître des élections ; consuls, préteurs, tribuns, furent achetés au prix qu'ils mirent eux-mêmes.

Etant consul, il fit partager les terres de la Campanie, entre vingt mille familles romaines. Ce furent dans la suite autant de cliens, que leur intérêt engagea à maintenir tout ce qui s'étoit fait pendant son consulat. Pour prévenir ce que ses successeurs dans cette dignité pourroient entreprendre contre la disposition de cette loi, il en fit passer une seconde, qui obligeoit le sénat entier, & tous ceux qui parviendroient à quelque magistrature, de faire serment de ne jamais rien proposer au préjudice de ce qui avoit été arrêté dans les assemblées du peuple pendant son consulat. Ce fut par cette habile précaution qu'il sut rendre les fondemens de sa fortune si sûrs & si durables, que dix années d'absence, les tentatives des bons citoyens, & tous les mauvais offices de ses envieux & de ses ennemis, ne la purent jamais ébranler.

Cimentation de ce triumvirat. Mais comme il craignoit toujours que Pompée ne lui échappât, & qu'il fût regagné par le parti des républicains zélés, il lui donna sa fille Julie en mariage, comme un nouveau gage de leur union. Pompée donna la sienne à Servilius, & César épousa Calpurnie, fille de Pison, qu'il fit désigner consul pour l'année suivante. Il prit en même tems le gouvernement des Gaules avec celui de l'Illyrie, pour cinq ans. On décerna depuis celui de la Syrie à Crassus, qui le demandoit dans l'espérance d'y acquérir de nouvelles richesses, en quoi il réussit, car il doubla les trente millions qu'il possédoit. Pompée obtint l'une & l'autre Espagne, qu'il gouverna toujours par ses lieutenans, pour ne pas quitter les délices de Rome.

Ils firent comprendre ces différentes dispositions dans le même décret qui autorisoit le partage des terres, afin d'en intéresser les propriétaires à la conservation de leur propre autorité. Ces trois hommes partagerent ainsi le monde entier. Voila la ligue qu'on nomma le premier triumvirat, dont l'union, quoique momentanée, perdit la république. Rome se trouvoit en ce malheureux état, qu'elle étoit moins accablée par les guerres civiles que par la paix, qui réunissant les vues & les intérêts des principaux ; ne faisoit plus qu'une tyrannie.

L'usage donnoit un gouvernement aux consuls à l'issue du consulat, & César de concert avec Pompée & Crassus, s'étoit fait déferer celui de la Gaule CisAlpine, qui n'étoit pas éloigné de Rome. Vatinius, tribun du peuple, & créature de César, y fit ajouter celui de l'Illyrie, avec la Gaule Trans-Alpine ; c'est-à-dire la Provence, une partie du Dauphiné & du Languedoc, que César souhaitoit avec passion, pour pouvoir porter ses armes plus loin, & que le sénat même lui accorda, parce qu'il ne se sentoit pas assez puissant pour le lui refuser.

Il avoit choisi le gouvernement de ces provinces comme un champ de bataille propre à lui faire un grand nom. Il envisagea la conquête entiere des Gaules, comme un objet digne de son courage & de sa valeur, & il se flatta en même tems d'y amasser de grandes richesses, encore plus nécessaires pour soutenir son crédit à Rome, que pour fournir aux fraix de la guerre. Il partit pour la conquête des Gaules, à la tête de quatre légions, & Pompée lui en prêta depuis une autre, qu'il détacha de l'armée qui étoit sous ses ordres, en qualité de gouverneur de l'Espagne & de la Libye.

Les guerres de César, ses combats, ses victoires, ne sont ignorés de personne. On sait qu'en moins de dix ans, il triompha des Helvétiens, & les força de se renfermer dans leurs montagnes qu'il attaqua ; & qu'il vainquit Arioviste, roi des Germains, auquel il fit la guerre, quoique ce prince eût été reçu au nombre des alliés de l'état ; qu'il soumit depuis les Belges à ses loix ; qu'il conquit toutes les Gaules, & que les Romains sous sa conduite, passerent la mer, & arborerent pour la premiere fois les aigles dans la Grande-Bretagne.

On prétend qu'il emporta de force, ou qu'il réduisit par la terreur de ses armes, huit cent villes ; qu'il subjugua trois cent peuples ou nations, qu'il défit en différens combats trois millions d'hommes, dont il y en eut un million qui furent tués dans les batailles, & un autre million faits prisonniers ; détail qui nous paroîtroit exagéré, s'il n'étoit rapporté sur la foi de Plutarque, & des autres historiens romains.

Ambition & conduite de César. Il est certain que la république n'avoit point encore eu un plus grand capitaine, si on examine sa conduite dans le commandement des armées, sa rare valeur dans les combats, & sa modération dans la victoire. Mais ces qualités étoient obscurcies par une ambition démesurée, & par une avidité insatiable d'amasser de l'argent, qu'il regardoit comme l'instrument le plus sûr pour faire réussir ses grands desseins. Depuis qu'il fut arrivé dans les Gaules, tout fut vénal dans son camp ; charges, gouvernemens, guerres, alliances, il trafiquoit de tout. Il pilla les temples des Dieux, & les terres des alliés. Tout ce qui servoit à augmenter sa puissance, lui paroissoit juste & honnête ; & Cicéron rapporte qu'il avoit souvent dans la bouche ces mots d'Euripide : " s'il faut violer le droit, il ne le faut violer que pour régner ; mais dans des affaires de moindre conséquence, on ne peut avoir trop d'égards pour la justice ".

Le sénat attentif sur sa conduite, vouloit lui en faire rendre compte, & il envoya des commissaires jusques dans les Gaules, pour informer des plaintes des alliés. Caton au retour de ces commissaires, proposa de le livrer à Arioviste, comme un désaveu que la république faisoit de l'injustice de ses armes, & pour détourner sur sa tête seule, la vengeance céleste de la foi violée. Mais l'éclat de ses victoires, l'affection du peuple, & l'argent qu'il savoit répandre dans le sénat, tournerent insensiblement les plaintes en éloges. On attribua ses brigandages à des vûes politiques ; on décerna des actions de graces aux dieux pour ses sacrileges ; & de grands crimes couronnés de la réussite, passerent pour de grandes vertus.

César devoit ses succès à sa rare valeur, & à la passion que ses soldats avoient pour lui. Il en étoit adoré, ils le suivoient dans les plus grands périls, avec une confiance bien honorable pour un général. Ceux qui sous d'autres capitaines n'auroient combattu que foiblement, montroient sous ses ordres un courage invincible, & devenoient par son exemple d'autres césars. Il les avoit attachés à sa personne & à sa fortune, par le soin infini qu'il prenoit de leur subsistance, & par des récompenses magnifiques. Il doubla leur solde ; & le blé qu'on ne leur distribuoit que par rations réglées, leur fut donné sans mesure. Il assigna aux vétérans des terres & des possessions. Il sembloit qu'il ne fut que le dépositaire des richesses immenses qu'il accumuloit tous les jours, & qu'il ne les conservoit que pour en faire le prix de la valeur, & la récompense du mérite. Il payoit même les dettes de ses principaux officiers, & il laissoit entrevoir à ceux qui étoient engagés pour des sommes excessives, qu'ils n'auroient jamais rien à craindre de la poursuite de leurs créanciers, tant qu'ils combattroient sous ses enseignes. Soldats & officiers, chacun fondoit l'espérance de sa fortune, sur la libéralité & la protection du général. Par - là les soldats de la république devinrent insensiblement les soldats de César.

Son attention n'étoit pas bornée à s'assurer seulement de son armée. Du fond des Gaules il portoit ses vûes sur la disposition des affaires, & jusque dans les comices, & les assemblées du peuple, il ne s'y passoit rien sans sa participation. Son crédit influoit jusque dans la plûpart des délibérations du sénat. Il avoit dans l'un & l'autre corps des amis puissans, & des créatures dévouées à ses intérêts. Il leur fournissoit de l'argent en abondance, soit pour payer leurs dettes, ou pour s'élever aux principales charges de la république. C'étoit de cet argent qu'il achetoit leurs suffrages, & leur propre liberté. Emilius Paulus étant consul, en tira neuf cent mille écus, seulement pour ne s'opposer point à ses desseins pendant son consulat. Il en donna encore davantage à Scribonius Curion, tribun du peuple, homme factieux, habile, éloquent, qui lui avoit vendu sa foi, & qui pour le servir plus utilement, affectoit de n'agir que pour l'intérêt du peuple.

Rupture de Pompée avec César. Pompée ouvrit enfin les yeux, & résolut de ruiner la fortune de César. La jalousie du gouvernement, & une émulation réciproque de gloire, les firent bientôt appercevoir qu'ils étoient ennemis, quoiqu'ils conservassent encore toutes les apparences de leur ancienne liaison. Mais Crassus qui par son crédit & ses richesses immenses, balançoit l'autorité de l'un & de l'autre, ayant été tué dans la guerre des Parthes, ils se virent en liberté de faire éclater leurs sentimens. Enfin la mort de Julie fille de César, qui arriva peu de tems après, acheva de rompre ce qui restoit de correspondance entre le beau-pere & le gendre.

César demanda qu'on lui continuât son gouvernement, comme on avoit fait à Pompée, ou qu'il lui fût permis, sans être dans Rome, de poursuivre le consulat. Il ajouta dans la même lettre, que si Pompée prétendoit retenir le commandement, il sauroit bien se maintenir de son côté à la tête de son armée ; & qu'en ce cas, il seroit dans peu de jours à Rome pour y venger ses propres injures, & celles qu'on faisoit à la patrie. Ces dernieres paroles remplies de menaces, parurent au sénat une vraie déclaration de guerre. Lucius Domitius fut nommé sur le champ pour son successeur, & on lui donna quatre mille hommes de troupes, pour aller prendre possession de son gouvernement ; mais César dont les vûes & l'activité étoient incomparables, avoit déja prévenu ce décret, par la hardiesse & la promtitude de sa marche.

César usurpe la tyrannie par les armes. La même frayeur qu'Annibal porta dans Rome après la bataille de Cannes, César l'y répandit lorsqu'il passa le Rubicon. Pompée éperdu, ne vit dans les premiers momens de la guerre, de parti à prendre que celui qui reste dans les affaires désespérées : il ne sut que céder & que fuir ; il sortit de Rome, y laissa le trésor public ; il ne put nulle part retarder le vainqueur, il abandonna une partie de ses troupes, toute l'Italie, & passa la mer.

César entra dans Rome en maître, & s'étant emparé du trésor public, où il trouva environ cinq millions de livres de notre monnoie, il se mit en état de poursuivre Pompée & ses partisans ; mais ce général du sénat qui vouloit tirer la guerre en longueur, pour avoir le tems d'amasser de plus grandes forces, passa d'Italie en Epire, & après s'être embarqué à Brindes, il aborda dans le port de Dirrachium. César ne l'ayant pu joindre, se rendit maître de toute l'Italie, en moins de 60 jours.

Le détail & le succès de la guerre civile n'est point de mon sujet. On sait que l'empire ne coûta pour ainsi dire à César, qu'une heure de tems ; & que la bataille de Pharsale en décida. La perte de Pompée, qui périt depuis en Egypte, entraîna celle de son parti. L'activité de César, & la rapidité de ses conquêtes, ne donnerent point le tems de traverser ses projets. La guerre le porta dans des climats différens. La victoire le suivit presque par-tout, & la gloire ne l'abandonna jamais.

On parle beaucoup de la fortune de César ; mais cet homme extraordinaire avoit tant de grandes qualités, sans aucun défaut, quoiqu'il eût bien des vices, qu'il eût été difficile, que quelqu'armée qu'il eût commandée, il n'eût été vainqueur, & qu'en quelque république qu'il fût né, il ne l'eût gouvernée.

Tout plie sous sa puissance. Tout plia sous sa puissance, & deux ans apres le passage du Rubicon, l'an 696, on le vit rentrer dans Rome maître de l'univers. Il pardonna à tout le monde ; mais la modération que l'on montre après qu'on a tout usurpé, ne mérite pas de grandes louanges.

Le sénat à son retour, lui décerna des honneurs extraordinaires, & une autorité sans bornes, qui ne laissoit plus à la république qu'une ombre de liberté. On le nomma consul pour dix ans, & dictateur perpétuel. On lui donna le nom d'empereur, le titre auguste de pere de la patrie. On déclara sa personne sacrée & inviolable. C'étoit réunir & perpétuer en lui, la puissance & les privileges annuels de toutes les dignités de l'état. On ajouta à cette profusion d'honneurs, le droit d'assister à tous les jeux dans une chaire dorée, & une couronne d'or sur la tête ; & il fut ordonné par le decret, que même après sa mort, on placeroit toujours cette chaire & cette couronne dans tous les spectacles, pour immortaliser sa mémoire.

Mais la plûpart des sénateurs ne lui avoient décerné tous ces honneurs extraordinaires dont nous venons de parler, que pour le rendre plus odieux, & pour le pouvoir perdre plus surement. Les grands sur-tout qui avoient suivi la fortune de Pompée, & qui ne pouvoient pardonner à César la vie qu'il leur avoit donnée dans les plaines de Pharsale, se reprochoient secrétement ses bienfaits, comme le prix de la liberté publique ; & ceux qu'il croyoit ses meilleurs amis, ne reçevoient ses graces que pour approcher plus près de sa personne, & pour le faire périr plus surement.

Il en abuse & périt. Il essaya pour ainsi dire le diadème ; mais voyant que le peuple cessoit ses acclamations, il n'osa hazarder d'affermir la couronne sur sa tête ; cependant il cassa les tribuns du peuple, & fit encore d'autres tentatives pour le conduire à la royauté : mais on ne peut comprendre qu'il pût imaginer que les Romains pour le souffrir tyran, aimassent pour cela la tyrannie.

Il commit beaucoup d'autres fautes, en témoignant le peu d'égards qu'il avoit pour le sénat, & en choquant les cérémonies & les usages de ce corps. Il porta son mépris jusqu'à faire lui-même les sénatusconsultes, & à les souscrire du nom des premiers sénateurs qui lui venoient dans l'esprit. " J'apprens quelquefois, dit Cicéron (Lettres famil. l. IX.), qu'un sénatus-consulte, passé à mon avis, a été porté en Syrie & en Arménie, avant que j'aie sçu qu'il ait été fait ; & plusieurs princes m'ont écrit des lettres de remercimens, sur ce que j'avois été d'avis qu'on leur donnât le titre de rois, que nonseulement je ne savois pas être rois, mais même qu'ils fussent au monde ".

En un mot, il étoit d'autant plus difficile que César pût défendre sa vie, qu'il y avoit un certain droit des gens, une opinion établie dans toutes les républiques de Grece & d'Italie, qui faisoit regarder comme un homme vertueux, l'assassin de celui qui avoit usurpé la souveraine puissance. A Rome surtout, depuis l'expulsion des rois, la loi étoit précise, les exemples reçus ; la république armoit le bras de chaque citoyen, le faisoit magistrat pour le moment, & l'avouoit pour sa défense. Brutus osa bien dire à ses amis, que quand son pere reviendroit sur la terre, il le tueroit tout de même s'il aspiroit à la tyrannie. En effet, le crime de César qui vivoit dans un gouvernement libre, n'étoit-il pas hors d'état d'être puni autrement que par un assassinat ? Et demander pourquoi on ne l'avoit pas poursuivi par la force ouverte, ou par des loix, n'étoit-ce pas demander raison de ses crimes ?

Il est vrai que les conjurés finirent presque tous malheureusement leur vie ; il falloit bien que des gens à la tête d'un parti abattu tant de fois, dans des guerres où l'on ne se faisoit aucun quartier, périssent de mort violente. De-là cependant on tira la conséquence d'une vengeance céleste, qui punissoit les meurtriers de César, & proscrivoit leur cause.

Conduite du sénat & d'Antoine après la mort de César. Après la mort de ce tyran, les conjurés ne firent rien pour se soutenir ; ils se retirerent seulement au capitole, sans savoir encore ce qu'ils avoient à espérer ou à craindre de ce grand événement ; mais ils virent bientôt avec amertume, que la mort d'un usurpateur alloit causer de nouvelles calamités dans la république.

Le lendemain LÉpidus se saisit de la place Romaine avec un corps de troupes, qu'il y fit avancer par ordre d'Antoine, alors premier consul. Les soldats vétérans qui craignoient qu'on ne répétât les dons immenses qu'ils avoient reçus, entrerent dans Rome. Le sénat s'assembla, & comme il étoit question de décider si César avoit été un tyran, ou un magistrat légitime, & si ceux qui l'avoient tué méritoient des peines ou des récompenses, jamais cet auguste conseil ne s'étoit tenu pour une matiere si importante & si delicate. Après plusieurs avis différens, on prit un tempérament pour contenter les deux partis. On convint qu'on ne poursuivroit point la mort de César ; mais on arrêta pour concilier les extrêmes, que toutes ses ordonnances seroient ratifiées : ce qui produisit une fausse paix.

Antoine dissimulant ses sentimens, souscrivit au decret du sénat. Les provinces furent distribuées en même tems ; Brutus eut le gouvernement de l'île de Crete ; Cassius de l'Afrique ; Trébonius de l'Asie ; Cimber de la Bithynie, & on confirma à Décimus Brutus, celui de la Gaule cisalpine, que César lui avoit donné. Antoine consentit même à voir Brutus & Cassius. Il se fit une espece de réconciliation entre ces chefs de parti : réunion apparente qui ne trompa personne.

Comme le sénat avoit approuvé tous les actes de César sans restriction, & que l'exécution en fut donnée aux consuls, Antoine qui l'étoit, se saisit du livre de raisons de César, gagna son secrétaire, & y fit écrire tout ce qu'il voulut : de maniere que le dictateur régnoit plus impérieusement que pendant sa vie ; car ce qu'il n'auroit jamais fait, Antoine le faisoit ; l'argent qu'il n'auroit jamais donné, Antoine le donnoit ; & tout homme qui avoit de mauvaises intentions contre la république, trouvoit soudain une récompense dans les prétendus livres de César.

Par un nouveau malheur, César avoit amassé pour son expédition, des sommes immenses, qu'il avoit mises dans le temple d'Ops ; Antoine avec son livre, en disposa à sa fantaisie.

Les conjurés avoient d'abord résolu de jetter le corps de César dans le Tibre : ils n'y auroient trouvé nul obstacle ; car dans ces momens d'étonnement qui suivent une action inopinée, il est facile de faire tout ce qu'on peut oser : cela ne fut point exécuté, & voici ce qui en arriva.

Le sénat se crut obligé de permettre les obseques de César ; & effectivement dès qu'il ne l'avoit pas déclaré tyran, il ne pouvoit lui réfuser la sépulture. Or c'étoit une coutume des Romains, si vantée par Polybe, de porter dans les funérailles les images des ancêtres, & de faire ensuite l'oraison funebre du défunt. Antoine qui la fit, montra au peuple la robe ensanglantée de César, lui lut son testament, où il lui prodiguoit de grandes largesses, & l'agita au point qu'il mit le feu aux maisons des conjurés.

S'ils furent offensés des discours artificieux d'Antoine, le sénat n'en fut guere moins piqué, & sans se déclarer ouvertement, il ne laissa pas de favoriser secrétement leurs entreprises, persuadé que la conservation du gouvernement républicain dépendoit des avantages de ce parti ; cependant Antoine s'acheminoit à la souveraine puissance, lorsqu'on vit arriver le jeune Octavius, petit-neveu de César, qui se présenta pour recueillir sa succession.

Arrivée du jeune Octavius à Rome. Il étoit fils d'un sénateur appellé Caius Octavius, qui avoit exercé la préture, & d'Atie, fille de Julie, soeur de César, qui avoit été mariée en premieres nôces à Accius Balbus, & ensuite à Marcus Philippus. Comme Octavius n'avoit pas encore dix-huit ans, César l'avoit envoyé à Apollonie, ville sur les côtes d'Epire, pour y achever ses études & ses exercices. Il n'y avoit pas six mois qu'il étoit dans cette ville lorsqu'il apprit que son grand-oncle avoit été assassiné dans le sénat. Ses parens & ses amis voulant opposer son nom à la puissance d'Antoine, lui manderent de venir à Rome pour y jouir du privilege de son adoption, & la faire autoriser par le préteur.

Au bruit de sa marche, les soldats vétérans auxquels César, après la fin des guerres civiles, avoit donné des terres dans l'Italie, accoururent lui offrir leurs services ; on lui apportoit de l'argent de tous les côtés, & quand il approcha de Rome, la plûpart des magistrats, les officiers de guerre, toutes les créatures du dictateur, & le peuple en foule sortirent au-devant de lui.

Ce jeune Octavius prit le nom de César, vendit son patrimoine, paya une partie des legs portés par le testament de son grand-oncle, & jetta avec un silence profond, les fondemens de la perte d'Antoine. Il se voyoit soutenu du grand nom de César, qui seul lui donneroit bien-tôt des légions & des armées à ses ordres ; d'un autre côté, Cicéron pour perdre Antoine son ennemi particulier, prit le mauvais parti de travailler à l'élévation d'Octavius, & au-lieu de faire oublier au peuple César, il le lui remit devant les yeux. Octavius se conduisit avec Cicéron en homme habile ; il le flatta, le consulta, le loua, & employa tous ces artifices dont la vanité ne se défie jamais. Prenant en même tems son intérêt pour regle de sa conduite, tantôt il ménagea politiquement Antoine, & tantôt le sénat, attendant toujours à se déterminer d'après les conjonctures favorables.

Il est certain qu'Antoine ne craignoit pas moins Octavius, que Brutus & Cassius ; mais il fut obligé de dissimuler, & de garder beaucoup de mesures avec le premier, à cause de l'attachement que lui portoient le peuple, les officiers, & les soldats qui avoient servi dans les armées du dictateur ; de-là toutes les réunions apparentes qu'ils eurent l'un avec l'autre, n'étoient pour ainsi-dire qu'une matiere d'infidélités nouvelles : tous deux ne chercherent longtems qu'à se détruire, chacun aspirant à demeurer seul à la tête du parti opposé à celui des conjurés.

Antoine tenant assiégé Decimus Brutus dans Modène, & refusant de lever le siege, le sénat irrité de sa rebellion, ordonna à Hirtius & à Pansa, consuls, ainsi qu'à Octavius, de marcher au secours de Decimus. Le combat fut long ; Antoine fut défait, & les deux consuls y périrent ; cependant le sénat songeant à abaisser Octave, fier du grand nom dont il avoit hérité, & du consulat qu'il avoit obtenu, mit Decimus Brutus à la tête des troupes de la république.

Union d'Octave, d'Antoine, & de LÉpidus. Ce fut alors qu'Octavius, extrêmement piqué de cette injure qui bridoit son ambition, songea sérieusement à se réconcilier avec Antoine quand l'occasion s'en présenteroit ; mais il attendit politiquement à se déterminer qu'il fût sûr du parti qu'embrasseroient LÉpidus & Plancus. Antoine gagna les soldats de LÉpidus, qui le reçurent la nuit dans leur camp & le reconnurent pour leur général. Plancus toujours esclave des événemens se déclara contre le sénat & contre Decimus Brutus. Antoine repassa les Alpes à la tête de dix-sept légions, arrêta Brutus dans les défilés des montagnes voisines d'Aquilée, & lui fit couper la tête.

Cette mort fut le motif, ou plutôt le prétexte de la réunion entre Octave & Antoine ; ils s'y trouverent enfin également disposés l'un & l'autre. Antoine venoit d'éprouver devant Modène ce que pouvoit encore le nom de la république ; & comme il désespéroit alors de s'emparer seul de la souveraine puissance, il résolut de la partager avec son rival. Octave de son côté craignoit que s'il différoit plus long-tems à se racommoder avec Antoine, ce chef de parti ne se joignît à la fin aux conjurés, comme il l'en avoit menacé, & que leurs forces réunies ne rétablissent l'autorité de la république ; ainsi la paix fut aisée à faire entre deux ennemis qui trouvoient un intérêt égal à se rapprocher. Des amis communs les firent convenir d'une entrevue ; la conférence se tint dans une petite île déserte, que forme, proche de Modène, la riviere du Panaro.

Formation du second triumvirat. Les deux armées camperent sur ses bords, chacune de son côté, & on avoit fait des ponts de communication qui y aboutissoient, & sur lesquels on avoit mis des corps-de-gardes. LÉpidus étant dans l'armée d'Antoine, se trouva naturellement à cette entrevue ; & quoiqu'il n'eût plus que le nom de général & les apparences du commandement, Antoine & Octave, toujours en garde l'un contre l'autre, n'étoient pas fâchés qu'un tiers, qui ne leur pouvoit être suspect, intervînt dans les différends qui pourroient naître entr'eux.

Ainsi LÉpidus entra le premier dans l'île, pour reconnoître s'ils y pouvoient passer en sureté. Telle étoit la malheureuse condition de ces hommes ambitieux, qui dans leur réunion même, conservoient encore une défiance réciproque. LÉpidus leur ayant fait le signal dont on étoit convenu, les deux généraux passerent dans l'île, chacun de son côté. Ils s'embrasserent d'abord, & sans entrer dans aucune explication sur le passé, ils s'avancerent pour conférer, vers l'endroit le plus élevé de l'île, & d'où ils pouvoient être également vus par leurs gardes, & même par les deux armées.

Ils s'assirent eux trois seuls. Octave en qualité de consul, prit la place la plus honorable, & se mit au milieu des deux autres. Ils examinerent quelle forme de gouvernement ils donneroient à la république, & sous quel titre ils pourroient partager l'autorité souveraine, & retenir leurs armées, pour maintenir leur puissance. La conférence dura trois jours ; on ne sait point le détail de ce qui s'y passa : il parut seulement par la suite, qu'ils étoient convenus qu'Octave abdiqueroit le consulat, & le remettroit pour le reste de l'année à Ventidius, un des lieutenans d'Antoine ; mais qu'Octave, Antoine, & LÉpidus, sous le titre de triumvirs, s'empareroient de l'autorité souveraine pour cinq ans ; ils bornerent leur autorité à ce peu d'années, pour ne pas se déclarer d'abord trop ouvertement les tyrans de leur patrie.

Partage de l'empire entre les triumvirs. Ces triumvirs partagerent ensuite entr'eux les provinces, les légions, & l'argent même de la république ; & ils firent, dit Plutarque, ce partage de tout l'empire, comme si c'eût été leur patrimoine.

Antoine retint pour lui les Gaules, à l'exception de la province qui confine aux Pyrénées, & qui fut cédée à LÉpidus avec les Espagnes. Octave eut pour sa part l'Afrique, la Sicile, la Sardaigne, & les autres îles. L'Asie occupée par les conjurés n'entra point dans ce partage ; mais Octave & Antoine convinrent qu'ils joindroient incessamment leurs forces pour les en chasser ; qu'ils se mettroient chacun à la tête de vingt légions ; & que LÉpidus, avec trois autres, resteroit en Italie & dans Rome, pour y maintenir leur autorité. Ces deux collegues ne lui donnerent point de part dans la guerre qu'ils alloient entreprendre, parce qu'ils connoissoient son peu de valeur & de capacité. Ils ne l'associerent au triumvirat, que pour lui laisser en leur absence, comme en dépôt, l'autorité souveraine, bien persuadés qu'ils se déferoient plus aisément de lui que d'un autre général, s'il leur devenoit infidele ou inutile.

Ils dresserent un rôle de proscrits & de récompenses. Leur ambition étoit satisfaite par ce partage ; mais ils laissoient à Rome & dans le sénat des ennemis cachés, & des républicains toujours zélés pour la liberté ; ils résolurent avant que de quitter l'Italie, d'immoler à leur sureté, & de proscrire les plus riches & les plus précieux citoyens ; ils en dresserent un rôle. Chaque triumvir y comprit ses ennemis particuliers, & les ennemis de ses créatures : ils pousserent l'inhumanité exécrable jusqu'à s'abandonner l'un à l'autre leurs propres parens, & même les plus proches. LÉpidus sacrifia d'abord sans peine son frere à ses deux collegues ; Antoine de son côté abandonna à Octavius le propre frere de sa mere ; & celui-ci consentit qu'Antoine fît mourir Cicéron, quoique ce grand homme l'eût soutenu de son crédit contre Antoine même. On mit dans ce rôle funeste Thoranius, tuteur d'Octave, celui-là même qui l'avoit élevé avec tant de soin. Plotius désigné consul, frere de Plancus, un des lieutenans d'Antoine, & Quintus son collegue au consulat, furent couchés sur la liste, quoique ce dernier fût beau-pere d'Asinius Pollio, partisan zélé du triumvirat ; ainsi tous les droits les plus sacrés de la nature & de la reconnoissance furent violés par ces trois scélérats.

On disposa des récompenses, & cet article étoit important pour retenir les troupes dans leur devoir. Il fut donc arrêté qu'on abandonneroit aux soldats en propriété les terres & les maisons de dix-huit des meilleures villes de l'Italie, qui furent choisies par les triumvirs, selon qu'ils avoient des sujets d'aversion contre ces misérables cités ; les plus grandes étoient Capoue, Reggium, Venouze, Benevent, Nocere, Rimini, & Vibone : tout cela fut reglé sans contestation.

Ils imitent Marius & Sylla dans leur proscription. Pour exécuter leurs vengeances avec éclat, ils imiterent la maniere dont Marius & Sylla en avoient usé. Elle consistoit à écrire en grosses lettres sur un tableau le nom des condamnés, & on affichoit ce tableau dans la place publique ; c'est ce qu'on appella proscription. De ce moment chacun pouvoit tuer les proscrits ; & comme leur tête étoit à fort haut prix, il étoit bien difficile qu'ils pussent échapper à des soldats animés par l'intérêt. Ces terribles articles étant signés, Octave sortit pour les déclarer aux troupes qui en témoignerent une extrême joie, & alors les soldats des trois armées se mêlerent, & se traiterent réciproquement.

Ainsi fut conclu cet exécrable triumvirat, dont les suites furent si funestes ; & pour en faire passer la mémoire jusqu'à la postérité, ils firent battre de la monnoie, où on voyoit d'un côté l'image d'Antoine ; Marc Antoine, empereur auguste, triumvir, & au revers trois mains qui se tenoient, les haches des consuls, & pour devise, le salut du genre humain.

Les triumvirs ayant ainsi établi leur autorité, dresserent le rôle des autres personnes qui devoient périr par leurs ordres ; & bien que la haine y eût grande part, l'intérêt y trouva aussi sa place. Ils avoient besoin de beaucoup d'argent pour soutenir la guerre contre Brutus & Cassius, qui trouvoient de puissantes ressources dans les richesses de l'Asie, & dans l'assistance des princes d'Orient ; au-lieu que ceux-ci n'avoient que l'Europe pour eux, sur-tout l'Italie épuisée par la longueur des guerres civiles. Ils établirent de grands impôts sur le sel, & sur les autres marchandises ; mais comme cela ne suffisoit pas, ils proscrivirent, ainsi que je l'ai dit, plusieurs des plus riches de Rome, afin de profiter de leur confiscation.

Decret de cette proscription. Le decret de la proscription commençoit en ces termes : " Marcus Lepidus, Marcus Antonius & Octavius César, élus pour la réformation de la république. Si la générosité de Jules-César ne l'avoit obligé à pardonner à des perfides, & à leur accorder, outre la vie dont ils étoient indignes, des honneurs & des charges qu'ils ne méritoient pas, après avoir été pris les armes à la main contre sa personne, il n'auroit pas péri si cruellement par leur trahison ; & nous ne serions pas forcés d'user de voyes de rigueur contre ceux qui nous ont déclarés ennemis de la patrie. Mais les entreprises détestables qu'ils ont machinées contre nous, la perfidie horrible dont ils ont usé à l'égard de César, & la connoissance que nous avons de leur méchanceté & de leur obstination dans des sentimens si odieux, nous obligent à prévenir les maux qui nous en pourroient arriver. "

Le reste contenoit une justification du procédé des triumvirs, fondée sur les avantages que Jules-César avoit acquis aux Romains par ses victoires, l'ingratitude de ses bienfaits, en un mot la nécessité de punir des ennemis, qui pourroient par leurs artifices rejetter la ville de Rome dans les malheurs de la division, durant qu'Octave & Antoine seroient occupés contre Brutus & Cassius : on appuyoit cette justification par l'exemple de Sylla.

Après avoir imploré l'assistance des dieux, ils concluoient ainsi : " que personne ne soit assez hardi pour recevoir, recéler ou faire sauver aucun des proscrits, sous quelque prétexte que ce soit, ni lui donner argent ou autre secours, ni avoir aucune intelligence avec eux, sous peine d'être mis en leur rang, sans espérance d'aucune grace. Quiconque apportera la tête d'un proscrit, aura deux mille écus, si c'est un homme libre ; & s'il est esclave, il aura la liberté & mille écus. L'esclave qui tuera son propre maître, aura outre cela le droit de bourgeoisie. On donnera la même récompense à ceux qui nous déclareront le lieu où un proscrit se sera retiré ; & le nom du dénonciateur ne sera couché sur aucun registre ni autre mémoire, afin que personne n'en ait connoissance ".

Quantité de leurs soldats arriverent à Rome avant la publication du decret, & tuerent d'abord quatre des proscrits, les uns dans leurs logis, & les autres dans la rue. Ils se mirent ensuite à courir par les maisons & par les temples : ce qui causa une frayeur générale. On n'entendoit que des cris & des pleurs ; & comme le decret n'étoit pas encore publié, chacun se persuadoit être du nombre des condamnés. Quelques-uns même tomberent dans un si grand desespoir, qu'ils vouloient envelopper la ville entiere dans leur perte, en mettant le feu par-tout. Pédius, pour empêcher ce malheur, fit publier qu'on ne cherchoit qu'un fort petit nombre des ennemis des triumvirs, & que tous les autres n'avoient rien à craindre. Le lendemain il fit afficher les noms des dix-sept condamnés ; mais il s'échauffa si fort à courir de tous côtés pour rassurer les esprits, qu'il en mourut.

Les triumvirs firent ensuite leur entrée dans la ville en trois différens jours. Octave entra le premier, Antoine le second, & Lepidus le troisieme ; chacun d'eux menoit une légion pour sa garde. La loi par laquelle ils s'attribuoient la même autorité que les consuls pour l'espace de cinq ans, & se déclaroient réformateurs de la république, fut publiée par Titius tribun du peuple ; & la nuit suivante, ils firent ajouter les noms de cent trente personnes à ceux qu'ils avoient déja proscrits.

Peu de tems après on en publia encore cent cinquante, sous prétexte qu'on les avoit oubliés. Ainsi le nombre des malheureuses victimes s'accrut jusqu'à trois cent sénateurs, & plus de deux mille chevaliers. Personne n'osoit refuser l'entrée de sa maison aux soldats qui cherchoient dans les lieux les plus secrets ; & la face de Rome ressembloit alors à celle d'une ville prise d'assaut, exposée au meurtre & au pillage. Plusieurs furent tués dans ce désordre sans être condamnés. On les reconnoissoit à ce qu'ils n'avoient pas la tête coupée.

Peinture de ces horreurs. Salvius tribun du peuple fut tué le premier sur la table où il traitoit ses amis, pour avoir abandonné trop légérement les intérêts d'Antoine, qu'il avoit d'abord soutenu contre Cicéron. Le préteur Minutius périt par l'imprudence de ceux qui l'accompagnoient par honneur, & qui le firent découvrir. Caepion se fit tuer les armes à la main après une vigoureuse résistance, & Veratinus rassembla plusieurs autres proscrits comme lui, avec lesquels il tua grand nombre de soldats, & se sauva en Sicile.

Statius proscrit à l'âge de quatre-vingt ans, à cause de ses grands biens, les abandonna au pillage, & mit le feu dans sa maison, où il se brûla. Emilius voyant des gens armés qui couroient après un misérable, demanda qui étoit ce proscrit ; un soldat qui le reconnut, répondit c'est toi-même, & le tua sur l'heure. Cilius & Decius ayant lû leurs noms écrits dans le tableau, se mirent à fuir étourdiment, & attirerent après eux des soldats qui les tuerent. Julius se joignit à des gens qui portoient un corps mort dans la ville, mais il fut reconnu & tué par les gardes de la porte, qui trouverent un porteur de plus qu'il n'y en avoit d'ordinaire.

Largus épargné par quelques soldats de sa connoissance, en rencontra d'autres qui le poursuivirent ; il se jetta dans les bras de ceux qui l'avoient sauvé, afin qu'ils gagnassent le prix qui leur appartenoit. Les gens les plus illustres se cachoient pour sauver leur vie dans les grottes, dans les aqueducs & les souterrains. On ne trouvoit que sénateurs, tribuns & autres magistrats fugitifs, cherchant des asyles de toutes parts.

On porta à Antoine la tête de Rufus proscrit, pour avoir refusé quelque tems auparavant de lui vendre une maison voisine de celle de Fulvie ; il dit que ce présent appartenoit à sa femme, & le lui envoya ; d'un autre côté, la femme de Coponius qui étoit fort belle, n'obtint d'Antoine la grace de son mari que par la derniere faveur.

Cicéron fut poursuivi dans ses terres par un certain Herennius, & par un tribun militaire nommé Popilius Lena, auquel il avoit sauvé la vie en plaidant pour lui ; ils le tuerent dans sa litiere à l'âge de 64 ans. Ainsi fut cimenté le triumvirat par le sang d'un des plus grands hommes de la république.

En un mot tout ce que la vengeance, la haine ou l'intérêt peuvent produire de plus tragique, parut dans les divers incidens de cette affreuse proscription. On vit des amis livrer leurs amis à l'assassinat ; des parens leurs parens ; & des esclaves leurs maîtres. On vit

Le méchant par le prix au crime encouragé ;

Le mari dans son lit par sa femme égorgé ;

Le fils tout degoutant du meurtre de son pere ;

Et, sa tête à la main, demandant son salaire.

Salassus fut trahi par sa femme ; Annalis & Thauranius, tous deux préteurs, furent vendus par leurs propres fils, & Fulvius fut livré par une esclave qu'il entretenoit.

Peinture de belles actions dans ce tragique événement. Mais aussi, tout ce que l'attachement, l'amour & la fidélité peuvent inspirer de plus généreux, parut au milieu de tant d'horreurs. On vit des soldats compatissans respecter le mérite ; on vit des esclaves se dévouer pour leurs maîtres, & des ennemis assez généreux risquer tout pour sauver la vie à leurs ennemis. On vit des femmes porter par les campagnes leurs maris sur leurs épaules, & s'aller cacher avec eux dans le fond des forêts. On vit des enfans s'exposer au glaive pour leurs peres, & des peres pour leurs enfans. Enfin, on vit de si grands traits d'héroïsme, qu'il sembloit que la vertu dans cette occasion vouloit triompher sur le crime.

Les femmes de Lentulus, d'Apuleïus, d'Antichus, se cacherent dans des lieux deserts avec leurs maris, sans vouloir jamais les abandonner.

Comme Reginus sortoit de la ville déguisé en charbonnier, sa femme le suivant en litiere, un soldat arrête la voiture ; Reginus revient sur ses pas pour prier cet homme de respecter cette dame. Le soldat qui avoit servi sous lui, le reconnut : " sauvez-vous, lui dit-il, mon général, je vous appellerai toujours ainsi, & je vous respecterai toujours, dans quelque misérable état que je vous voye ".

Ligarius se noya désespéré de n'avoir pu secourir son frere qu'il vit tuer devant ses yeux ; & la tendresse de pere fut funeste à Blavus, qui revint se faire massacrer pour tâcher de sauver son fils.

Arianus & Metellus échapperent au fer des assassins par les soins & le courage de leurs enfans. Oppius, qui avoit sauvé son pere infirme, en le portant de lieu en lieu sur ses épaules, en fut recompensé par le peuple qui le nomma édile : & comme il n'avoit pas assez de bien pour fournir à la dépense des jeux, non-seulement tous les ouvriers lui donnerent généreusement leurs peines & leur salaire ; mais la plûpart de ceux qui assisterent à ses spectacles, lui firent tant de présens, qu'ils l'enrichirent.

Junius dut son salut aux services de ses esclaves qui combattirent pour le défendre. Un affranchi poignarda le commandant de ceux qui venoient d'égorger son maître, & se tua du même poignard.

L'avanture de Restius ou de Restio est surprenante. Il avoit autrefois fait marquer d'un fer chaud le front d'un de ses esclaves pour s'être enfui. Cet esclave découvrit sans peine le lieu où il étoit caché, & vint l'y trouver. Restius crut être perdu, mais l'esclave le rassura : " crois-tu, dit-il, mon maître, que ces caracteres dont tu as marqué mon front, aient fait plus d'impression sur mon ame que les bienfaits que j'ai reçu de toi depuis ce tems-là " ? Il le conduisit dans un autre lieu plus secret, & l'y nourrit soigneusement, en veillant sans cesse à sa conservation ; cependant comme des soldats vinrent à passer plusieurs fois près de cet endroit, leurs allées & venues causerent mille frayeurs à l'esclave. Il suivit un jour ces soldats, & prit si bien son tems qu'il tua à leur vue un laboureur : les soldats coururent à lui comme à un assassin ; mais il leur dit, sans se déconcerter, que c'étoit son maître Restius proscrit par les loix, qu'il venoit heureusement de tuer, moins encore pour la recompense, que pour se venger des marques infâmes qu'ils voyoient sur son front. Ainsi l'esprit, le crime & l'héroïsme se réunirent dans un simple esclave, & son maître fut sauvé.

Mais la grandeur d'ame des esclaves d'Appion & de Méneïus fut sans tache : ils se dévouerent généreusement, & se firent tuer tous les deux, l'un dans une litiere, & l'autre sur un lit, avec les habits de leurs maîtres.

L'imagination féconde inventa toutes sortes de moyens pour échapper à la mort. Pomponius revêtit l'habit de préteur, habilla ses esclaves en licteurs, contrefit le seing des triumvirs, & prit un vaisseau pour passer en Cilicie. Un autre sénateur se fit raser, changea de nom, leva une petite école, & y enseigna publiquement tant que dura la proscription, sans que personne vînt à soupçonner qu'un maître d'école fût un illustre proscrit.

L'aimable & belle Octavie saisissoit de son côté toutes les occasions possibles d'arracher quelques victimes à la barbarie du triumvirat. La femme de Vinius compris dans la proscription, après avoir examiné les moyens de le sauver, l'enferma dans un coffre qu'elle fit porter à la maison d'un de ses affranchis, & répandit si bien le bruit qu'il étoit mort, que tout le monde en fut persuadé. Mais comme cette ressource ne calmoit point ses allarmes, elle saisit l'occasion qu'un de ses parens devoit donner des jeux au peuple, & ayant mis Octavie dans ses intérêts, elle la pria d'obtenir de son frere, qu'il se trouvât seul des triumvirs au spectacle. Les choses ainsi disposées, cette dame vint sur le théatre, se jette aux piés d'Octavius, lui déclare son artifice, & fait porter en sa présence le coffre même, d'où son mari sortit en tremblant. Tandis que tous les deux imploroient la clémence du triumvir, Octavie donna des louanges à cette action avec tant de graces & d'adresse, que son frere applaudissant à l'amour héroïque de cette dame, accorda la vie à son mari. Octavie n'en demeura pas là, elle loua si fort le courage de l'affranchi qui, recevant ce dépôt, avoit couru risque de périr lui-même, qu'elle engagea son frere à le recompenser, en le mettant au rang des chevaliers romains.

Triomphe de LÉpidus. Sur la fin des exécutions du triumvirat, LÉpidus s'avisa de vouloir triompher de quelques peuples que ses lieutenans avoient soumis en Espagne. La publication de ce triomphe portoit ces paroles remarquables : " à tous ceux qui honoreront notre triomphe par des sacrifices, des festins publics, & autres démonstrations de joie, salut, & bonne fortune. A ceux qui se conduiront autrement, malheur & proscription ". On peut s'imaginer que la joie fut universelle, tant la terreur étoit grande ! la cérémonie de ce triomphe fut honorée par plus de sacrifices & de festins, qu'il n'en avoit encore paru dans aucune occasion semblable, ni même dans toutes réunies ensemble.

Taxe exorbitante sur les hommes. Après la mort ou la fuite des proscrits, on mit en vente les biens de ces malheureux, c'est-à-dire leurs immeubles ; car les meubles avoient été pillés ; mais outre qu'il y eut peu de gens assez bas pour ruiner des familles désolées, personne ne vouloit paroître riche en acquérant dans un tems si dangereux ; cependant les triumvirs insatiables projetterent de lever pour la guerre d'Asie & de Sicile, la somme de deux cent mille talens, environ quarante-deux millions sterlings ; & pour y parvenir ils tournerent la proscription en une taxe exorbitante, sur plus de deux cent mille hommes, tant romains qu'étrangers.

Taxes sur les dames romaines. Ils comprirent dans cette taxe, quatorze cent des plus riches dames de Rome, meres, filles, parentes, ou alliées de leurs ennemis, & les alliances étoient tirées de fort loin. La plûpart de ces dames accablées par cette nouvelle injustice, vinrent en représenter les conséquences à la mere & aux soeurs d'Octave, qui les écouterent favorablement. La mere d'Antoine en usa de même, Fulvie seule rejetta leur requête. Elles prirent le parti de se rendre au palais des triumvirs, où d'abord elles furent repoussées par les gardes : mais elles insisterent avec tant de fermeté, & le peuple les soutint si hautement, que les triumvirs se virent contraints de leur accorder une audience publique. Alors Hortensia, fille du célebre Hortensius, le rival de Ciceron en éloquence, prit la parole au nom de toutes.

" Les dames, dit-elle, que vous voyez ici, Seigneurs, pour implorer votre justice & vos bontés, n'y paroissent qu'après avoir suivi les voyes qui leur étoient marquées par la bienséance. Nous avons recherché la protection de vos meres & de vos femmes ; mais nos respects n'ont pas été agréables à Fulvie. C'est ce qui nous a obligé de faire éclater nos plaintes en public contre les regles qui sont prescrites à notre sexe, & que nous avons jusqu'ici observées rigoureusement. Vous nous avez privées de nos peres & de nos enfans, de nos freres, & de nos maris. Vous prétendiez en avoir été outragés ; ce sont des sujets qu'il ne nous appartient pas d'approfondir. Mais quelle injure avez-vous reçue des femmes, pour leur ôter leurs biens ? Il faut aussi les proscrire, si on les croit coupables. Cependant aucune de notre sexe ne vous a déclarés ennemis de la patrie. Nous n'avons ni pillé vos fortunes, ni suborné vos soldats. Nous n'avons point assemblé de troupes contre les vôtres, ni formé d'oppositions aux honneurs, & aux charges que vous prétendiez obtenir. Et puisque les femmes n'ont point eu de part à ces actions qui vous offensent, l'équité ne veut pas qu'elles en ayent à la peine que vous leur imposez. L'empire, les dignités, les honneurs, ne sont pas faits pour elles. Aucune ne prétend à gouverner la république, & notre ambition ne lui attire point les maux dont elle est accablée. Quelle raison pourroit donc nous obliger à donner nos biens pour des entreprises où nous n'avons point d'intérêt ?

La guerre, continua-t-elle, à élevé cette ville au point de gloire où nous la voyons ; cependant il n'y a point d'exemple que les femmes y ayent jamais contribué. C'est un privilége accordé à notre sexe, par la nature même, qui nous exempte de cette profession. Il est vrai que durant la guerre de Carthage, nos meres assisterent la république, qui étoit alors dans le dernier péril. Cependant ni leurs maisons, ni leurs terres, ni leurs meubles, ne furent vendus pour ce sujet. Quelques bagues & quelques pierreries fournirent ce secours, & ce ne fut point la contrainte, les peines, ni la violence, qui les y obligerent, mais un pur mouvement de générosité. Que craignez vous à présent pour Rome, qui est notre commune patrie ? Quel danger pressant la menace ? Si les Gaulois ou les Parthes l'attaquent, nous n'avons pas moins de zele pour ses intérêts que nos meres ; mais nous ne devons pas nous mêler des guerres civiles. César ni Pompée ne nous y ont jamais obligées ; Marius & Cinna ne l'ont jamais proposé, ni Sylla même, qui le premier établit la tyrannie. "

Ce discours plein d'éloquence & de vérité confondit les triumvirs, & les obligea de congédier les dames romaines, en leur promettant d'avoir égard à leur requête. Le bruit des battemens de mains qu'ils entendirent de toutes parts fut si grand, que craignant une emeute générale s'ils ne tenoient parole, ils modérerent leur liste à quatre cent dames, du nombre de celles dont ils avoient le moins à redouter le crédit. Mais leurs soldats exercerent la levée des autres taxes avec tant de violences, qu'un des triumvirs même eut bien de la peine à réprimer leurs désordres.

Défaites de Brutus & de Cassius. Enfin le triumvirat enrichi par ses horribles vexations, diminua le nombre & la puissance des gens de bien. La république ne subsistoit plus que dans le camp de Brutus & de Cassius, & en Sicile auprès de Sextus, le dernier des fils du grand Pompée.

Octave & Marc-Antoine ne craignant plus rien de Rome, suivirent leurs projets, & passerent en Asie, où ils trouverent leurs ennemis dans ces lieux où l'on combattit trois fois pour l'empire du monde. Les deux armées étoient campées proche de la ville de Philippes, située sur les confins de la Macédoine, & de la Thrace. Après différentes escarmouches & de petits combats ; le jour parut qui devoit décider de la fortune & de la destinée des Romains.

Je n'entrerai point dans le détail d'une action qui a été décrite par divers historiens ; en voici l'événement. La liberté fut ensevelie dans les plaines de Philippes avec Brutus & Cassius, les chefs de leur parti ; Brutus défit, à la vérité, les troupes d'Octave ; mais Antoine triompha du corps que commandoit Cassius. Ce général croyant son collégue aussi malheureux que lui, obligea un de ses affranchis de le tuer ; & Brutus ayant voulu tenter une seconde fois le sort des armes, perdit la bataille, & se tua lui-même, pour ne pas tomber vif entre les mains de ses ennemis.

Il est certain que Brutus & Cassius se tuerent avec une précipitation qui n'est pas excusable, & l'on ne peut lire cet endroit de leur vie, sans avoir pitié de la république, qui fut ainsi abandonnée. Caton s'étoit donné la mort à la fin de la tragédie ; ceux-ci la commencerent en quelque façon par leur mort.

Après le décès de ces deux grands hommes, les triumvirs établirent leur empire sur les ruines de la république. Mais dans de si grands succès, Octave n'avoit contribué à la cause commune que par des projets, dont encore il cacha toujours à ses deux collégues, les motifs les plus secrets. Il n'eut point de honte la veille du combat d'abandonner le corps qu'il commandoit, & déserteur de sa propre armée, il alla se cacher dans le bagage, pendant qu'on étoit aux mains. Peut-être qu'il se flattoit que les périls ordinaires dans les batailles & le courage d'Antoine, le déferoient d'un collégue ambitieux, ensorte que sans s'exposer, il recueilleroit le fruit de la victoire. Mais c'est faire trop d'honneur à son esprit aux dépens de sa lâcheté. Ce qui prouve qu'il n'agit en cette occasion que par la vive impression de la peur, c'est qu'on sait toutes les railleries qu'il eut depuis à essuyer de la part d'Antoine.

Défaite de Sextus Pompée. Il ne restoit des débris de la république, que le jeune Pompée, qui s'étoit emparé de l'île de Sicile, d'où il faisoit des incursions sur les côtes d'Italie. Il étoit question de le déposséder d'une retraite qui en servoit encore à plusieurs illustres proscrits, dont le but étoit de relever le parti de la liberté. Mécoene réussit à tirer d'Antoine les vaisseaux qu'il possédoit, quoique ce triumvir eût un grand intérêt à maintenir le jeune Pompée, dans une île qui lui servoit comme de barriere contre l'ambition toujours redoutable de son rival. Sa flotte étant formée & confiée au commandement d'Agrippa, cet habile capitaine se met en mer, va chercher l'ennemi, bat les lieutenans de Pompée, le défait lui-même en plusieurs occasions, & le chasse enfin de cette île.

Octave dépouille LÉpidus de l'autorité. Octave alors victorieux de tous les républicains par l'épée & la bravoure d'un soldat de fortune qui lui étoit dévoué, crut qu'il étoit tems de rompre avec ses collégues, pour régner seul. Il les attaqua l'un après l'autre. La perte de LÉpidus ne lui couta que quelques intrigues. Ce triumvir peu estimé de ses soldats, s'en vit abandonné au milieu de son camp. Octave s'en empara par ses négociations secrettes, & sous différens prétextes, il dépouilla son collégue de l'autorité souveraine. On vit depuis ce triumvir réduit à mener une vie privée & malheureuse.

Il défait ensuite Antoine à Actium, & reste seul maître de l'Empire. Antoine adoré de ses soldats, maître de la meilleure partie de l'Asie & de l'Egypte entiere, & qui avoit de puissans rois dans son parti & dans son alliance, donna plus de peine à Octave. Mais sa perte vint de ce qui devoit faire sa principale ressource. Ce grand capitaine enivré d'une passion violente pour Cléopatre reine d'Egypte, imagina qu'il trouveroit en Orient autant de forces contre son collégue, en cas de rupture, qu'il rencontroit de charmes dans le commerce qu'il entretenoit avec cette princesse. Cet excès de confiance lui fit négliger le soin de Rome & de l'Italie, le centre de l'Empire ; son rival s'en prévalut, & y établit son autorité.

La jalousie du gouvernement, si naturelle entre des puissances égales en dignité, les brouilla souvent ; tantôt Octavie, femme d'Antoine & soeur d'Octave, & tantôt des amis communs les réconcilierent : mais à la fin ils prirent les armes l'un contre l'autre : on en vint aux mains ; & la bataille navale qui se donna près d'Actium décida de l'Empire du monde entre ces deux célebres rivaux. Octave victorieux poursuivit Antoine jusques dans l'Egypte, & le réduisit à se tuer lui-même. Par sa mort, & l'abdication forcée de LÉpidus, qui avoit précédé de six ans la bataille d'Actium, Octave se vit au comble de ses desirs, seul maître & seul souverain. Il établit une nouvelle monarchie sur les ruines de la liberté, & vint à bout de la rendre supportable à d'anciens républicains. Les historiens qui ont écrit presque tous du tems & sous l'empire de ce prince, l'ont comblé de louanges & d'adulations ; mais c'est sur les faits, c'est sur les actions de sa vie qu'il faut le juger.

Caractere d'Auguste. Auguste (puisque la flatterie a consacré ce nom à Octave) étoit d'une naissance médiocre par rapport à la grandeur où il est parvenu ; son pere étoit à peine chevalier romain ; mais sa mere Accie, étant fille de Julie, soeur de Jules-César, lui acquit l'adoption de ce dictateur.

Sa taille étoit au-dessous de la médiocre, & pour réparer ce défaut naturel, il portoit des souliers fort hauts. Il avoit d'ailleurs la figure agréable, les sourcils joints, les dents peu serrées & rouillées, les yeux vifs & difficiles à soutenir, quoiqu'il affectât dans ses regards une douceur concertée.

Il étoit incommodé d'une foiblesse à la cuisse gauche, qui le faisoit tant-soit-peu boiter de ce côté-là. Il pâlissoit & rougissoit aisément, changeant à sa volonté de couleur & de maintien ; ce qui l'a fait comparer ingénieusement par un de ses successeurs (l'empereur Julien) au caméléon, qui se rend propres toutes les couleurs qui lui sont présentées.

Son génie étoit audacieux, capable des plus grandes entreprises, & porté à les conduire avec beaucoup d'adresse & d'application. Pénétrant, toujours attentif aux affaires, on voit dans ses desseins un esprit de suite, & qui savoit distribuer dans des tems convenables l'exécution de ses projets. Fin politique, il crut dès sa jeunesse, que c'étoit beaucoup gagner, que de savoir perdre à-propos. Tantôt ami d'Antoine, & tantôt son ennemi, son intérêt fut constamment la regle de sa conduite, attendant toujours à se déterminer d'après les conjonctures favorables. Il tâchoit de couvrir ses vices & ses défauts, par l'art infini qu'il avoit de se donner les vertus qui lui manquoient.

Profond dans la connoissance de sa nation, il eut assez de souplesse dans l'esprit, de manege dans toutes ses démarches, & de modération feinte dans le caractere pour subjuguer les Romains. Il y réussit en leur persuadant qu'ils étoient libres, ou du-moins à la veille de l'être. Il fit semblant de vouloir se démettre de l'empire, demanda tous les dix ans qu'on le déchargeât de ce poids, & le porta toujours. C'est par ces sortes de finesses qu'il se faisoit encore donner ce qu'il ne croyoit pas assez avoir acquis. Tous ses réglemens visoient à l'établissement de la monarchie, & tous ceux de Sylla au milieu de ses violences, tendoient à une certaine forme de république. Sylla, homme emporté, menoit violemment les Romains à la liberté ; Auguste, rusé tyran, les conduisoit doucement à la servitude.

Cependant la crainte qu'il eut avec raison d'être regardé pour tel, l'empêcha de se faire appeller Romulus, & soigneux d'éviter qu'on pensât qu'il usurpoit la puissance d'un roi, il n'en affecta point le faste.

Il choisit pour successeur, je ne sai par quel motif, un des plus méchans hommes du monde ; mais se regardant comme un magistrat qui feint d'être en place malgré lui-même, il ne commanda point, il pria la nation, il postula, qu'au-moins on lui donnât pour collégue, supposé qu'il le méritât, un fils capable de soulager sa vieillesse, un fils qui faisoit toute sa consolation. Travaillant toujours à faire respecter les loix dont il étoit le maître, il voulut que l'élection de Tibere fût l'ouvrage du peuple & du sénat, comme la sienne, disoit-il, l'avoit été. Tibere lui fut donc associé l'an de Rome 766. & de J.C. la douzieme.

Il donna plusieurs loix bonnes, mauvaises, dures, injustes. Il opposa les loix civiles aux cérémonies impures de la religion. Il fut le premier qui, par des raisons particulieres, autorisa les fidéicommis. Il attacha aux libelles la peine du crime de lése-majesté. Il établit que les esclaves de ceux qui auroient conspiré, seroient vendus au public, afin qu'ils pussent déposer contre leurs maîtres. Vous voyez par-là, les soins attentifs qu'il prend pour lui-même.

Il sut remettre l'abondance dans la capitale, & tâcha de gagner la populace par des jeux, des spectacles, & des largesses, souvent médiocres, mais bien ménagées. Apprenant que certaines loix qu'il avoit donné effarouchoient le peuple, il ne les cassa pas, mais pour en détourner les réflexions, il rappella Pylade que les factions avoient chassé.

Il fit passer sans succès Aelius Gallus d'Egypte en Arabie pour s'emparer du pays ; mais les marches, le climat, la faim, la soif, les maladies perdirent l'armée ; on négocia avec les Arabes, comme les autres peuples avoient fait, & le temple de Janus fut fermé de nouveau.

Mécénas, son favori, content d'une vie délicieuse, & desirant de faire goûter le gouvernement d'Auguste, s'attacha tous ceux qui pouvoient servir à sa gloire ; poëtes, orateurs, historiens ; il les combloit de caresses & de bienfaits, & les produisoit à son maître ; on exaltoit chez lui les louanges du prince ; Horace & Virgile les répandoient par les charmes de la poésie.

D'un autre côté, Auguste disposant de tous les revenus de l'état, bâtit des temples dans Rome, & l'embellit de beautés si magnifiques, qu'il méritoit par-là d'en être l'édile. Mais c'est le maître du monde que je dois ici caractériser.

Lorsque les troupes avoient les armes à la main, il craignoit leur révolte, & les ménageoit. Lorsqu'il fut en paix, il craignit les conjurations, & toutes les entreprises lui parurent suspectes. Ayant toujours devant les yeux le destin de César, il s'éloigna de sa conduite pour éviter son sort ; il refusa le nom de dictateur, ne parla que de la dignité du sénat, & de son respect pour la république ; mais en même tems il portoit une cuirasse sous sa robe, & ne permettoit à aucun sénateur de s'approcher de lui que seul, & après avoir été fouillé.

Incapable de soutenir de sang froid la vue du moindre péril, il ne montra du courage que dans les conseils, & partout où il ne falloit point payer de sa personne.

Toutes les victoires qui l'éleverent à l'empire du monde, furent l'ouvrage d'autrui. Celle de Philippe est dûe au seul Antoine. Celle d'Actium, aussi-bien que la défaite de Sextus Pompée, sont l'ouvrage d'Agrippa. Auguste se servit de cet officier, parce qu'il étoit incapable de lui donner de l'ombrage, & de se faire chef de parti.

Pendant un combat naval, il n'osa jamais voir les flottes en bataille. Couché dans son vaisseau, & les yeux tournés vers le ciel, comme un homme éperdu, il ne monta sur le tillac, qu'après qu'on lui eut annoncé que les ennemis avoient pris la fuite.

Je crois, dit M. de Montesquieu, qu'Auguste est le seul de tous les capitaines romains qui ait gagné l'affection des soldats, en leur donnant sans cesse des marques d'une lâcheté naturelle. Dans ce tems-là, les soldats faisoient plus de cas de la libéralité de leur général, que de son courage. Peut-être même que ce fut un bonheur pour lui, de n'avoir point eu cette valeur qui peut donner l'empire, & que cela même l'y porta : on le craignit moins. Il n'est pas impossible que les choses qui le deshonorerent le plus, aient été celles qui le servirent le mieux. S'il avoit d'abord montré une grande ame, tout le monde se seroit méfié de lui ; & s'il eût eu de la hardiesse, il n'auroit pas donné à Antoine le tems de faire toutes les extravagances qui le perdirent.

Les gens lâches sont ordinairement cruels, c'étoit aussi le caractere d'Auguste. Sans parler des horreurs de la proscription où il eut la plus grande part, & dont même il prolongea le cours, je trouve dans l'histoire, qu'il exerça seul cent actions plus cruelles les unes que les autres, & qui ne peuvent être excusées par la nécessité des tems, ou par l'exemple de ses collegues.

Après la bataille de Philippe, dans laquelle il ne paya pas de sa personne, il mit en usage des horreurs bien étranges envers de malheureux prisonniers qui lui furent présentés. L'un d'eux qui ne requéroit de lui que la sépulture, en reçut cette réponse consolante, " que les oiseaux le mettroient bientôt en état de n'en avoir pas besoin. "

Il fit égorger un pere & un fils, sur ce qu'ils refusoient de combattre ensemble, & dans le tems qu'ils lui demandoient la grace l'un de l'autre de la maniere du monde la plus touchante. Aussi quand on conduisit les autres prisonniers enchaînés devant Antoine & lui, ils saluerent tous Antoine, lui marquerent leur estime, & l'appellerent empereur ; au lieu qu'ils chargerent Auguste de reproches, d'injures & de railleries ameres.

Le saccagement de Péruge prise sur Lucius Antonius, fait frémir l'humanité. Auguste abandonna à ses soldats le pillage de cette ville, quoiqu'elle eût capitulé ; les violences y furent si grandes, que les historiens les plus flatteurs ne pouvant les déguiser, en ont rejetté la faute sur la fureur des soldats victorieux ; mais au-moins ne sont-ils pas coupables de la mort des trois cent qui composoient le sénat de cette ville, & qu'Auguste fit égorger de sang froid. Comme ils lui eurent été présentés enchaînés, ils lui demanderent leur grace pour être restés dans le parti d'un homme auquel ils avoient les plus grandes obligations, & qui d'ailleurs avoit été long-tems son ami & son allié ; il leur répondit, vous mourrez tous : immédiatement après cette réponse, aussi barbare que laconique, ils furent exécutés.

On dit qu'après le décès d'Antoine, il fit tuer son fils Antyllus, qui s'étoit refugié dans le mausolée que Cléopatre avoit élevé à son pere.

Dans les premieres années de son regne, Murena, Egnatius Rufus, M. LÉpidus fils de son ancien collegue, & tant d'autres, furent du nombre de ses victimes. Il fit exécuter Procillus son affranchi, qui avoit été très-avant dans ses secrets, sous le prétexte de ses liaisons avec des femmes de qualité. En un mot, on comptoit peu de jours qui ne fussent marqués par l'ordre de ce monstre, de la mort de quelque personne considérable. Comme les conspirations renaissoient sans cesse, qu'on me permette le terme, du sang & de la cendre de ceux qu'il immoloit, il pouvoit bien se tenir à lui-même le discours que Corneille met dans sa bouche :

Rentre en toi-même, Octave....

Quoi tu veux qu'on t'épargne, & n'as rien épargné !

Songe aux fleuves de sang où ton bras s'est baigné !

De combien ont rougi les champs de Macédoine ?

Combien en a versé la défaite d'Antoine ?

Combien celle de Sexte ? & revois tout d'un tems

Peruge au sien noyée, & tous ses habitans.

Remets dans ton esprit après tant de carnages,

De tes proscriptions les sanglantes images,

Où toi-même des tiens devenu le bourreau,

Au sein de ton tuteur, enfonças le couteau.

Cinna, act. IV. scen. iij.

Il est vrai que ce prince après tant d'exécutions, prit le parti de pardonner à Cinna, mais ce fut par les conseils de Livie ; & peut-être craignit-il dans Cinna le nom de son ayeul maternel, le grand Pompée, dont les partisans cachés dans Rome étoient nombreux & puissans.

Je cherche des vertus dans Auguste, & je ne lui trouve que des crimes, des défauts, des vices, des ruses, & des bassesses. Ne croyons pas cependant les accusations d'Antoine, qui lui reprocha que son adoption avoit été la récompense de ses impudicités. Je n'ajoute pas plus de foi à l'épître ad Octavium, qu'on attribue à Cicéron, où il est dit que la servitude de Rome est le prix d'une prostitution. Audiet C. Marius impudico domino parere nos, qui ne militem voluit nisi pudicum : audiet Brutus eum populum, quem ipse primo, postquam progenies ejus à regibus liberavit, pro turpe stupro datum in servitutem, &c. Mais ce qui semble plus fort, est le témoignage de Suétone, qui rapporte que depuis César, il avoit servi de Ganimede à Hirtius, le même qui fut consul avec Pansa ; c'est pourquoi le peuple romain entendit avec tant de plaisir ce vers récité sur le théâtre :

Videsne ut Cynaedus orbem digito temperet ?

On doit mettre au rang de ses artifices les propositions d'accommodement qu'il fit faire à Cléopatre pour la trahir & la mener à Rome en triomphe. Dangereux pour toutes sortes de commerces, & en même tems capable des plus bas artifices, il faisoit l'amoureux des femmes des sénateurs, dans le dessein d'arracher d'elles le secret de leurs maris.

Plein d'une vanité desordonnée, il se fit décerner les honneurs divins. Il vouloit passer pour fils & pour favori d'Apollon, se faisant peindre sous la figure de ce dieu ; & dans ses festins, comme dans ses statues, il en prenoit l'habit & tout l'équipage ; c'est ce que les Romains nommoient les mensonges impies d'Auguste, impia Augusti mendacia. Quelqu'un dit là-dessus, que s'il étoit Apollon, c'étoit l'Apollon qu'on adoroit dans un quartier de la ville, sous le nom de Tortor, le bourreau.

Cet Apollon romain étoit superstitieux à l'excès. Il ajoutoit foi aux songes, & aux présages les plus ridicules. Il craignoit si fort le tonnerre qu'il éleva un temple à Jupiter tonnant, près du capitole ; & comme ce temple ne le rassuroit pas encore, il s'alloit cacher sous des voûtes à la moindre tempête ; & par surcroit de précaution, il portoit sur lui une peau de veau marin, pour se garantir des effets de la foudre.

Il mourut à Nole en Campanie, l'an de Rome 767. Le jour de sa mort il se démasqua lui-même en demandant à ses amis, s'il avoit bien joué son rôle dans le monde : Ecquid iis videretur, mimum vitae commodè transegisse ? On lui répondit sans doute par des témoignages d'admiration & de douleur ; mais il auroit dû savoir que la poésie dramatique met sur la scène des personnages de son ordre, comme on mettroit un bourreau carthaginois dans un tableau qui représenteroit la mort de Régulus. Passons au caractere du second triumvir, j'entends de Marc-Antoine.

Caractere d'Antoine. Il étoit fils de Marc-Antoine le Crétique, & de Julie de la maison des Jules ; sa famille, quoique plébéïenne, tenoit un rang distingué parmi les meilleures de Rome. Son ayeul étoit le fameux Marc-Antoine l'orateur, qui fut la victime des vengeances de Marius. La mere d'Antoine épousa en secondes nôces Cornelius Lentulus, homme de grande qualité, que Cicéron fit mourir parce qu'il étoit un des chefs de la conjuration de Catilina. Cette mort tragique alluma dans le coeur de sa femme une mortelle haine contre Cicéron, & lui inspira des sentimens de vengeance, auxquels elle fit participer Antoine ; c'est-là sans doute une des premieres causes de l'inimitié cruelle qui dura toujours entre ces deux hommes, & qui fut si fatale à Cicéron.

Marc-Antoine avoit une figure agréable, la taille belle, le front large, le nez aquilin, beaucoup de barbe & de force de tempérament, exprimée sur tous les traits de sa figure.

Plein de valeur & de courage, il se fit connoître de bonne heure par son génie & par ses exploits militaires. Etant encore jeune, il commanda un corps de cavalerie dans l'armée de Gabinius contre les Juifs, & Josephe nous apprend que dans celle contre Alexandre, fils d'Aristobule, il effaça tous ceux qui combattoient avec lui. Ce fut dans ce pays-là qu'il forma son style sur le goût asiatique, qui avoit beaucoup de conformité avec sa vie bruyante.

Il étaloit un faste immense dans ses dépenses, une folle vanité dans ses discours, du caprice dans son ambition démesurée, & de la brutalité dans ses débauches. Plus guerrier que politique, familier avec le soldat, habile à s'en faire aimer, prodigue de ses richesses pour ses plaisirs, ardent à s'emparer de celles d'autrui, aussi promt à récompenser qu'à punir, aussi gai quand on le railloit, que quand il railloit les autres.

Fécond en ressources militaires, il réussit dans la plus grande détresse où il se soit trouvé, à gagner les chefs de l'armée de LÉpidus ; il entra dans son camp, se saisit de lui, l'appella son pere, & lui laissa le titre de général.

Il savoit souffrir plus que personne, la faim, la soif, & les incommodités des saisons ; il devenoit supérieur à lui-même dans l'adversité, & les malheurs le rendirent semblable à l'homme de bien.

Lorsqu'il eut répudié sa seconde femme, il s'attacha à la comédienne Cythéris, affranchie de Volumnius, qu'il menoit publiquement dans une litiere ouverte, & la faisoit voyager avec lui dans un char traîné par des lions. C'étoit la mode de son siecle, quoiqu'il ait plû à Cicéron d'enrichir de ce tableau particulier, la plus belle de ses Philippiques. Vehebatur in essedo tribunus plebis ; lictores laureati antecedebant, inter quos apertâ lecticâ, mima portabatur ; quam ex oppidis municipales, homines honesti, obviam necessariò prodeuntes, non noto illo & mimico nomine, sed Volumniam consalutabant : sequebatur rheda cum lenonibus : comites nequissimi ; rejecta mater amicam impuri filii, tanquam nurum sequebatur. Philipp. 11.

Mais laissant à part l'attachement passager d'Antoine pour Cythéris, pour peu qu'on examine sa vie, on avouera que c'étoit un homme sans délicatesse, sans principes & sans moeurs, également livré au luxe & à la débauche, abîmé de dettes & rongé d'ambition ; il s'attacha politiquement à César qui le reçut très-bien ; le connoissant pour un excellent officier, il lui confia les postes les plus importans, & ne cessa pas même de l'employer, quoiqu'il eût assez mauvaise opinion de son ame, & qu'il sût que ses débordemens en tout genre étoient excessifs. Il est vrai qu'il se vît une fois obligé de lui donner un grand sujet de mortification, en permettant qu'on l'assignât, & qu'on saisît ses biens pour le payement du palais de Pompée, dont il s'étoit rendu adjudicataire sans vouloir en payer un denier.

Antoine fut si piqué du jugement de César, qu'étant à Narbonne, il forma avec Trebonius le dessein de le tuer. On ignore ce qui les empêcha d'exécuter ce projet, ni si César en eut connoissance ; ce qu'il y a de certain, c'est qu'Antoine rentra dans ses bonnes graces, qu'il fut son collegue dans son cinquieme consulat ; & qu'alors il servit de tout son pouvoir dans la fête des Lupercales, le desir secret qu'avoit le dictateur d'être déclaré roi ; cependant vers le tems de la conspiration, on ne doutoit guere qu'il ne fût prêt à le sacrifier dans l'espérance de remplir sa place, au lieu que les conjurés en tuant ce tyran, vouloient abolir la tyrannie. Ils crurent même qu'il falloit immoler Antoine avec César ; mais Brutus s'y opposa par principe de justice, car il n'avoit jamais eu pour lui la moindre estime, comme il paroît dans cet endroit d'une de ses lettres à Atticus, où il lui dit : Quamvis vir sit bonus, ut scribis, Antonius, quod numquam existimavi.

Sextus Pompée, fils du grand Pompée, avoit des raisons personnelles pour penser comme Brutus, de la probité d'Antoine. On raconte que dans une treve qu'il fit avec lui & avec Octave, ils se donnerent tous trois consécutivement à manger : quand le tour de Pompée vint, Antoine, toujours railleur, lui demanda dans quel endroit il les recevroit ; dans mes carines, répondit Sextus, in carinis meis ; ce mot équivoque signifioit son vaisseau, & les carines de Rome, où étoit bâtie la maison de son pere, dont Antoine avoit été dépossédé après s'en être indignement emparé.

Transportons-nous avec lui en Orient, où il s'avisa de disposer en despote suivant la fougue de ses caprices, des états & de la vie des rois, dépouillant les uns, nommant d'autres en leur place ; & pour donner des marques de sa puissance monstrueuse, il mit aux fers Artabase, roi d'Arménie, qu'il avoit vaincu par surprise, le conduisit en triomphe dans Alexandrie, & fit décapiter publiquement Antigone, roi des Juifs.

Dans la fureur de sa passion pour Cléopatre, il lui donna la Phénicie, la basse Syrie, l'île de Cypre, une partie de la Cilicie, l'Arabie heureuse, en un mot, provinces sur provinces, & royaumes sur royaumes, sans s'embarrasser des volontés du sénat & du peuple romain.

Les profusions extravagantes de ses fêtes, épuisoient les revenus de l'empire, le mettoient hors d'état d'entretenir les armées, & l'obligeoient de vexer par de nouveaux impôts, les peuples soumis à son gouvernement.

Cléopatre sut si bien enchaîner sa valeur féroce, qu'elle tint tous ses talens militaires assujettis à l'amour qu'elle lui inspira. Un seul de ses regards imposteurs, un seul accent de sa voix enchanteresse, suffisoit pour l'abattre à ses piés. Cependant elle n'étoit plus dans sa premiere jeunesse ; mais elle avoit trouvé le secret de conserver sa beauté. Sa magnificence extraordinaire plaisoit aux yeux d'Antoine, & son esprit souple se portoit à toutes sortes de caracteres avec tant de facilité, qu'elle ne manquoit jamais de séduire quand elle l'entreprenoit. Elle avoit déja autrefois subjugué César, & l'on dit encore que le fils aîné du grand Pompée soupira long-tems pour ses appas.

Elle ne craignit qu'un moment la jeunesse, les charmes & le mérite d'Octavie dans son voyage d'Egypte ; & c'est alors qu'elle crut n'avoir rien de trop, pour faire de son amant un mari infidele. Elle prodigua ses richesses, ou en présens pour les amis d'Antoine, & pour ceux qui avoient quelque pouvoir sur son esprit, ou en espions pour découvrir les sentimens de son coeur, & ses démarches les plus cachées. Enfin, les délices d'Egypte l'emporterent sur Rome, & les prestiges de son art triompherent de la vertu d'Octavie.

Après son départ, l'amour d'Antoine pour Cléopatre prit de nouvelles forces, & il se persuada qu'elle avoit pour lui les mêmes sentimens. Il ignoroit le commerce secret qu'elle entretenoit avec Dellius. Les soupçons, peut-être bien fondés, qu'il avoit conçu dans le séjour qu'ils firent à Samos, s'évanouirent, & l'adresse de Cléopatre effaça de son esprit toutes ces idées importunes. Il ne jugea plus de ses sentimens que par les plaisirs qu'elle lui faisoit goûter, & de sa reconnoissance, que par les tendresses qu'elle lui marquoit.

Cet amour aveugle rendit son nom & sa valeur inutiles. Il fut le prétexte de la guerre d'Octave, qui arracha à Antoine plusieurs de ses plus illustres partisans, parce qu'on étoit persuadé à Rome, que s'il devenoit le maître, il transporteroit en Egypte le siege de l'empire, & tout le monde conclut à le dépouiller de ses dignités.

Les troupes d'Octave s'embarquent, & s'avancent en diligence. Cléopatre équipe une armée navale, pompeuse s'il en fut jamais, qu'elle unit à celle d'Antoine pour soutenir cette guerre, dont elle est, dit-elle, la seule cause. Elle étale tous les trésors qu'elle possede, & les destine à l'entretien des troupes. La bataille d'Actium se donne ; il y avoit sur les rivages plus de deux cent mille hommes, les armes à la main, attentifs à cette tragédie.

On combattoit sur le golfe de Larta avec chaleur de part & d'autre, quand on vit 60 bâtimens de la reine d'Egypte équipés avec magnificence, cingler à toutes voiles vers le Péloponnèse. Elle fuit, & entraîne Antoine avec elle. Il est du-moins certain que dans la suite elle le trahit. Peut-être que par cet esprit de coquetterie inconcevable des femmes, elle avoit formé le dessein de mettre à ses piés un troisieme maître du monde.

Antoine abandonné, trahi, désespéré, résolut, à l'exemple de Timon, de se séquestrer de tout commerce avec les hommes. L'île d'Anthirrodos, située en face du pont d'Alexandrie, lui parut favorable à ce dessein ; il y fit élever une jettée qui avançoit considérablement dans la mer. Sur cette jettée, il bâtit un palais qu'il nommoit son timonium ; le rapport qu'il trouvoit entre l'ingratitude qu'il avoit éprouvée de la part de ses amis, & celle que cet athénien en avoit aussi souffert, lui avoit, disoit-il, donné de l'inclination pour sa personne, & du goût pour le genre de vie qu'il avoit mené. Il ne l'imita cependant que pendant peu de tems, sortit de cette retraite avec autant de légereté qu'il y étoit entré, & alla rejoindre sa Cléopatre à Alexandrie, résolu de faire de nouveaux efforts, pour balancer encore la fortune d'Octave ; tel fut son aveuglement, qu'il vit perdre ses dernieres espérances, sans pouvoir haïr le principe de son malheur.

Tant de capitaines, & tant de rois qu'il avoit aggrandis ou faits, lui manquerent ; & comme si la générosité avoit été liée à la servitude, une troupe de gladiateurs & deux affranchis, Eros & Lucilius, lui conserverent une fidélité héroïque. Dans ce triste état on lui fait un faux rapport de la mort de Cléopatre ; il le croit, perd tout courage, se trouble, & conjure Eros de le tuer. Cet affranchi possédé d'une funeste douleur, se poignarde lui-même, & jette en mourant le poignard à son maître, qui s'en saisit, s'en frappe, & tombe à son tour. Un de ses gens arrive, dans l'instant de cette catastrophe, bande sa plaie, & lui apprend que Cléopatre vivoit encore.

Il se fait porter aux piés de la tour où elle étoit enfermée. Ce fut un spectacle touchant de voir le maître de tant de nations, un des premiers capitaines de son siecle, illustre par ses faits d'armes & par ses victoires, expirant, porté par des gladiateurs, & élevé dans un panier au haut de la tour où Cléopatre lui tendoit les bras, à la vue de toute la ville d'Alexandrie, dont les cris & les larmes exprimoient la douleur & l'étonnement.

Cléopatre en se réfugiant dans cette tour, avoit fait semer d'avance le bruit de sa mort, bien résolue de se tuer, soit qu'elle se reprochât d'avoir perdu un homme qui lui avoit pendant dix ans sacrifié l'empire du monde, ou qu'elle vît ses nouveaux projets démentis. Quoi qu'il en soit, le triste état d'Antoine lui fit verser un torrent de larmes. " Ne pleurez point, madame, lui dit-il, je meurs content entre les bras de l'unique personne que j'adore ". Tel fut à l'âge de 53 ans la fin d'un homme ambitieux, qui avoit désolé la terre, & que perdirent les égaremens de l'amour. J'ai peu de chose à dire du troisieme triumvir.

Caractere de LÉpidus. LÉpidus (Marcus Aemilius), sortoit de la maison Aemilia, la plus illustre entre les patriciennes ; c'est celle qu'on citoit ordinairement pour la splendeur, & pour la quantité de triomphes & de dignités. Ainsi LÉpide portoit un grand nom, considéré dans le sénat, & très-honoré dans la république, mais il le ternit honteusement par ses vices & par ses crimes.

C'étoit un esprit borné, ambitieux, sans courage, un homme vain, fourbe, avare, & qui ne possédoit aucune vertu, nullam virtutibus tam longam fortunae indulgentiam meritus. La fortune l'éleva, & le soutint quelque tems dans le haut poste de triumvir, sans aucun mérite de sa part ; mais aussi cette même fortune lui fit éprouver ses revers, & le remit dans l'état d'opprobre où il passa les dernieres années de sa vie. Il avoit été trois fois consul, savoir l'an 708, 709 & 713 de Rome.

Dès qu'il fut revêtu de cette énorme puissance que lui donna le rang superbe de triumvir, qu'il avoit joint à la charge de grand-pontife, tant de pouvoir & de dignités l'étourdirent. Cet étourdissement s'accrut encore lorsque les deux autres triumvirs le fixerent à Rome pour y commander à toute l'Italie, au peuple, & au sénat qui distribuoit ses ordres dans les provinces : cependant il auroit dû comprendre qu'on ne le laissoit à Rome que par son peu de capacité pour la guerre.

Aussi quand les deux autres triumvirs, après la bataille de Philippe, se partagerent de nouveau le monde, ils ne lui donnerent que très-peu de part à l'autorité ; & tandis qu'Antoine prit l'orient, Octave l'Italie & le reste de l'empire, LÉpidus fut obligé de se contenter de son gouvernement des Espagnes ; & comme toutes les troupes étoient dévouées à ses deux collegues, il fallut qu'il partît seulement avec quelques légions, destinées pour sa province.

Bientôt après, Octave ayant sur les bras en Sicile les restes du parti de Pompée, LÉpidus le tira de peine avec plusieurs légions qu'il lui amena, & qui déciderent de la victoire. Le succès tourna la tête de cet homme vain, il montra peu d'égards pour son collegue, & lui fit dire de se retirer de Sicile où il n'avoit plus rien à faire. Octave qui trouvoit toujours des ressources dans ses ruses, dissimula cette injure, & gagna par tant de récompenses & de promesses plusieurs chefs de l'armée de LÉpide, qu'ils abandonnerent leur général, & le livrerent entre ses mains.

Conduit à la tente d'Auguste, il oublia son nom, sa naissance & son rang. Il lui demanda lâchement la vie avec la conservation de ses biens. Auguste n'osa pas lui refuser sa priere, de peur d'irriter toute une armée dont il avoit besoin de gagner les coeurs. Mais quand il eut assuré son autorité, il dépouilla LÉpidus du pontificat. Le reste de la vie de ce triumvir se passa dans l'obscurité ; & sans-doute bien tristement, puisqu'il se voyoit le malheureux objet de l'indulgence hautaine d'un ancien collegue. Cependant on est bien aise de l'humiliation d'un homme qui avoit été un des plus méchans citoyens de la république, sans honneur & sans ame, toujours le premier à commencer les troubles, & formant sans-cesse des projets où il étoit obligé d'associer de plus habiles gens que lui.

Conclusion. Voilà le portrait des trois hommes par lesquels la république fut abattue, & personne ne la rétablit. Malheureusement Brutus, à la journée de Philippe, se crut trop-tôt sans ressource pour relever la liberté de la patrie. Il se considéra dans cet état, comme n'ayant pour appui que sa seule vertu, dont la pratique lui devenoit si funeste : " Vertu, s'écria-t-il, que j'ai toujours suivie, & pour laquelle j'ai tout quitté, parens, amis, biens, plaisirs & dignités, tu n'es qu'un vain fantôme sans force & sans pouvoir. Le crime a l'avantage sur toi, & desormais est-il quelque mortel qui doive s'attacher à ton inutile puissance " ! En disant ces mots, il se jetta sur la pointe de son épée, & se perça le coeur.

Vitaque cum gemitu fugit indignata sub umbras.

L'article du triumvirat qu'on vient de lire, & que j'ai tiré de plusieurs excellens ouvrages, pouvoit être beaucoup plus court ; mais je me flatte qu'il ne paroîtra pas trop long à ceux qui daigneront considérer que c'est le morceau le plus intéressant de l'histoire romaine. Aussi les anciens l'ont-ils traité avec amour & prédilection. (D.J.)


TRIUNadj. (Théolog.) tres in uno, est un terme qu'on applique quelquefois à Dieu pour exprimer l'unité de Dieu dans la trinité des personnes. Voyez TRINITE.


TRIVENTO(Géog. mod.) en latin Treventum, petite ville d'Italie, au royaume de Naples, dans le comté de Molise, sur le Trigno, à 28 lieues au nord-est de Naples, avec un évêque qui ne releve que du saint siege. Long. 32. 10 latit. 41. 47. (D.J.)


TRIVIA(Mythol.) surnom de Diane ou d'Hécate, parce qu'on la faisoit présider sur les lieux qui aboutissent à trois chemins, ou parce qu'elle est la même que la lune. (D.J.)


TRIVIALadj. (Gram.) bas, commun, qui appartient à tout le monde. On dit une pensée triviale.


TRIVICUM(Géog. anc.) ville d'Italie, dans la Campanie, selon quelques - uns, & dans la Pouille, selon d'autres, chez les Hirpins, à l'orient d'hiver d'Ariano, mais de l'autre côté de l'Apennin. Trivicum devint dans la suite un siege épiscopal. Le nom moderne est Trevico, située à 28 milles de Bénevent.

Je ne crois point que le Trivicum des Hirpins soit le Trivicum d'Horace, l. I. sat. 5, v. 79, puisqu'il ne la qualifie que de méchante ferme, villa, qui devoit son nom à sa situation, parce qu'elle étoit apparemment sur les confins de trois villages, comme on appelle trivium une place qui termine trois rues.

Trivicum, la ville de Campanie, n'est point dans l'itinéraire d'Antonin, parce qu'elle n'étoit pas sur la voie appienne. (D.J.)


TROADE(Géog. anc.) contrée de l'Asie mineure, ainsi nommée de la fameuse ville de Troie sa capitale. Si on prend le nom de Troade pour tout le pays soumis aux Troïens, ou pour le royaume de Priam, il se trouvera qu'elle comprenoit presque toute l'étendue de pays que l'on entend sous le nom des deux Mysies, & sous celui de petite Phrygie ; mais si on la restreint à la province où étoit la ville de Troie, & qui étoit la Troade propre, elle se trouvera ne comprendre que le pays qui est entre la Dardanide au nord, & au nord oriental le pays des Leleges, à l'orient méridional l'Hellespont, & la mer Egée au couchant. Ptolémée, liv. V. ch. ij. qui renferme la Troade dans la petite Phrygie, y met les lieux suivans :

2°. Troade, en latin Troas, ville de l'Asie mineure, dans la Troade, ou dans la petite Phrygie sur la côte de l'Hellespont vis-à-vis de l'île de Ténédos. Cette ville fut aussi quelquefois appellée. Antigonia & Alexandrina : ipsa Troas Antigonia dicta, nunc Alexandrina, dit Pline, l. V. c. xxx. Quelquefois on joint les deux, Alexandria-Troas. S. Paul étant allé à Troade en l'an de l'ére vulgaire 52, eut la nuit cette vision. Un homme de Macédoine se présenta devant lui, & lui fit cette priere : passez en Macédoine, & venez nous secourir. Il s'embarqua donc à Troade, & passa en Macédoine. Ce voyage de S. Paul s'exécuta lorsqu'il alloit à Jérusalem où il fut ensuite arrêté. L'apôtre fut encore quelques autres fois à Troade ; mais on ne sait rien de particulier de ce qu'il y fit. Voyez Act. xx. 5. 6. & II. Corinth. ij. 14. Il avoit laissé à Troade chez un nommé Carpe, quelques habits & quelques livres, qu'il pria Timothée de lui apporter à Rome en l'an 65 de l'ére vulgaire, peu de tems avant sa mort, arrivée en l'an 66. Voyez II. Timoth. jv. 13. Act. xvj. 8. & suiv. (D.J.)


TROCECHANGE, PERMUTATION, (Synonymes) troc, selon M. l'abbé Girard, est dit pour les choses de service, & pour tout ce qui est meuble ; ainsi l'on fait des trocs de chevaux, de bijoux & d'ustensiles. Echange se dit pour les terres, les personnes, tout ce qui est bien fonds ; ainsi l'on fait des échanges d'états, de charges & de prisonniers. Permutation n'est d'usage que pour les biens & titres ecclésiastiques ; ainsi l'on permute une cure, un canonicat, un prieuré avec un autre bénéfice de même ou de différent ordre, il n'importe. (D.J.)


TROCARou TROISQUARTS, s. m. instrument de Chirurgie, poinçon d'acier, long d'environ deux pouces & demi, exactement rond, emmanché par son extrêmité postérieure dans une petite poignée faite en poire, terminé par l'extrêmité antérieure en pointe triangulaire. C'est des trois angles tranchans qui forment la pointe de cet instrument qu'il tire son nom. Les auteurs latins le nomment acus triquetra. Voyez fig. 4. Pl. XXVI.

Le poinçon dont nous venons de parler, est renfermé dans une cannule d'argent proportionnée à son volume. L'extrêmité antérieure de la cannule est ouverte non-seulement par le bout, mais encore par les côtés, pour donner une issue plus facile aux matieres liquides épanchées dans quelque capacité. Cette cannule doit être taillée extérieurement en biseau, afin qu'elle s'adapte si juste au commencement de la pointe triangulaire du poinçon, qu'elle n'excede sa grosseur que le moins qu'il est possible. Par ce moyen le trocar armé de sa cannule pénetre plus aisément les parties qu'il doit diviser, & cela épargne beaucoup de douleur au malade.

La partie postérieure de la cannule est une plaque exactement ronde, dont la face postérieure est un peu cave, & l'antérieure un peu convexe. Voyez la fig. 3. Pl. XXVI. Cette plaque est percée de deux petits trous pour pouvoir passer des fils en anse, afin d'assujettir au besoin la cannule par une ceinture circulaire.

M. Petit a perfectionné la construction de cet instrument. Il a fait allonger le pavillon de la cannule en forme de cuillier, terminée en bec d'aiguiere, pour faciliter la sortie du fluide, & empêcher qu'il ne coule sur la peau. Voyez fig. 1 & 2. Pl. XXVI. Cet avantage seroit de petite considération, parce que les fluides épanchés forment une arcade en sortant de la cannule, sur tout dans l'opération de la paracenthese ou ponction au ventre des hydropiques, voyez PARACENTHESE ; mais cet allongement a une utilité marquée, & relative à une autre addition que M. Petit a faite au trocar ; c'est une petite rainure qui s'étend extérieurement tout le long de la cannule. Cette dépression est fort avantageuse pour l'ouverture des dépôts internes, des tumeurs enkistées & autres cas où l'on est fort aise de connoître la nature du fluide épanché avant que de se déterminer à faire une opération. Et lorsqu'on veut imiter la cannelure longitudinale qui se trouve à la surface extérieure de la cannule, elle sert à conduire le bistouri ; & la gouttiere de la partie postérieure sert de piece de pomme ou de manche à la cannule qui remplit parfaitement l'office de sonde cannelée.

On se sert du trocar dans l'opération de l'hydrocele. Voyez HYDROCELE. Dans ce cas, quelques chirurgiens ont un trocar plus menu & plus court que celui que nous venons de décrire pour la paracenthese.

M. Foubert se sert d'un grand trocar, Pl. IX. fig. 1. dont la cannule, fig. 2. est ouverte pour pratiquer sa méthode de tailler. Voyez cette méthode & les instrumens qui lui sont particuliers, au mot TAILLE.

M. Petit a imaginé un trocar pour les contre-ouvertures, voyez Pl. XXIII. fig. 2. Sa cannule est ronde, garnie d'une rainure sur le long de son corps, & de deux yeux à son extrêmité pour y passer une bandelette. La construction du manche de ce trocar est semblable à celle du pharingotome. Voyez PHARINGOTOME.

M. Foubert s'est servi aussi du trocar courbe pour faire la ponction de la vessie au-dessus de l'os pubis, dans le cas de l'impossibilité absolue de sonder les malades attaqués de rétention d'urine, & pour aller à l'urgent, attendu que les bougies se frayent une route dans la vessie par la voie naturelle. M. Flurant, chirurgien de Lyon, où il jouit d'une réputation méritée, se sert d'un pareil trocar pour le même cas ; mais il fait la ponction par l'intestin rectum : c'est une opération nouvelle dont il est l'auteur, & qui a eu des succès. Ses observations sont insérées dans l'ouvrage d'un de ses confreres, intitulé, mêlanges de Chirurgie, publié en 1760. (Y)


TROCHAIQUEadj. (Littérat.) en poésie grecque & latine, est une espece de vers composé de trochées, ou dans lequel ce pié-la domine le plus, comme l'ïambe dans le vers ïambique. Voyez IAMBIQUE & TROCHEE.

La dix - huitieme ode du second livre des odes d'Horace, est composée de plusieurs strophes de deux vers dont le premier est trochaïque dimetre catalectique, c'est-à-dire trochaïque, composé de trois trochées & d'une syllabe à la fin, comme :

Non ebur, neque aurum

Largiora flagito.

Truditur dies die.


TROCHANTERS. m. en Anatomie, est le nom que l'on a donné à deux apophyses situées à la partie supérieure du fémur, voyez APOPHYSE. La plus grosse s'appelle grand trochanter, & la plus petite, petit trochanter. Le grand trochanter est situé à la partie postérieure de la tête du fémur ; on remarque dans la face de cette apophyse qui regarde la tête, une cavité.

Le petit trochanter est situé intérieurement au-dessous de la tête du fémur. Voyez nos Pl. d'Anat. avec leur explication. Voyez aussi l'art. FEMUR.

Ce mot signifie littéralement rotator, rouleur. Il est formé du verbe grec , roto, je cours, je tourne en rond. Ce mot a été donné aux deux apophyses dont il s'agit, parce qu'elles donnent attache aux tendons de la plûpart des muscles de la cuisse, entre lesquels sont les obturateurs qui la font mouvoir en rond. Voyez OBTURATEUR.


TROCHÉES. m. (Littérat.) dans la poésie grecque & latine, est une espece de pié consistant en deux syllabes, dont la premiere est longue & la seconde breve, comme dans les mots vd & mns. Voyez PIE.

Le trochée est l'ïambe renversé, & produit absolument un effet contraire ; car celui-ci est vif & léger, & le trochée est mou & languissant, comme sont toutes les mesures qui sautent d'une syllabe longue à une breve. Voyez IAMBIQUE. Quelques - uns donnent au trochée le nom de chorée, parce qu'il convient au chant & à la danse. Ils donnent aussi le nom de trochée aux tribraques. Voyez TRIBRAQUE. Quintilien, l. X. c. jv.


TROCHESS. f. (Vener.) ce sont des fumées qui sont à-demi formées ; quand elles sont grosses & molles, elles marquent un cerf de dix cors.


TROCHETS. m. (Jardin.) se dit d'un paquet de poires toutes sorties d'un même bouton. Nos poires, dit-on, viennent par trochets.

Trochets se dit encore quand on seme sur une planche des piés dans des trous faits avec le plantoir de pié en pié.


TROCHILES. m. (Archit.) , poulie ; c'est une moulure ronde & creuse entre les tores de la base d'une colonne ; on la nomme autrement scotie. Voyez SCOTIE. (D.J.)


TROCHILITES. m. (Hist. nat. Litholog.) coquille fossile & univalve, plate à son ouverture, mais se terminant en une pointe en volute. Il y en a de lisses, d'autres sont épineuses ou hérissées de pointes.


TROCHINI(Géog. anc.) c'est le nom d'un des trois peuples gaulois qui allerent s'établir dans la Galatie, selon Pline, l. V. c. xxxij. Les Trochini fixerent leur demeure à l'orient de la Galatie, près du fleuve Halijs, où ils posséderent la partie de cette contrée qui regarde le Pont-Euxin, & celle qui touche la Cappadoce. Ils avoient trois bonnes forteresses : savoir, Tavium, Mitridatium & Danala. (D.J.)


TROCHISQUES. m. en Pharmacie, est une forme de remede, faite pour être tenue dans la bouche & s'y dissoudre peu-à-peu.

Le trochisque est proprement une composition seche, dont les principaux ingrédiens, après avoir été mis en poudre très-fine, sont incorporés dans une liqueur convenable, comme dans des eaux distillées, du vin, du vinaigre, ou dans des mucilages, & réduits en une masse, dont on forme de petits pains ou de petites boules, comme l'on veut, & qu'on fait sécher à l'air loin du feu.

Il y a différentes sortes de trochisques, & qui ont différentes vertus : il y en a de purgatifs, d'altérans, d'apéritifs, de fortifians, &c.

Les auteurs latins les nomment pastilli, rotulae, placentulae, orbes, orbiculi ; & les françois les nomment souvent tablettes, pastilles. Voyez TABLETTES, PASTILLES, &c.

Les principaux trochisques sont ceux d'agaric, de réglisse, de noix muscade, de succin, de rhubarbe, de myrrhe, de roses, de camphre, de squille, de vipere, &c. Ceux de coloquinte se nomment trochisques d'alhandal, mot pris des Arabes qui appellent la coloquinte handal.

On peut mettre une infinité de remedes sous la forme de trochisques : mais il est inutile de multiplier le nombre de ces sortes de préparations ; les remedes agissent plus sûrement sous d'autres formes ; & en général les Praticiens font peu d'usage des trochisques.

Quelques charlatans emploient beaucoup cette forme pour déguiser leur spécifique, pour vendre bien cher des drogues qu'ils ont à vil prix. Mais ils font un grand tort au public ; car ils cachent sous ce voile la violence & l'acrimonie de leurs préparations infernales qui deviennent pour les entrailles un vrai poison.

TROCHISQUE ESCAROTIQUE, (Mat. médic. & Pharm.) Voyez MERCURE.

TROCHISQUE, de minium, (Mat. médic.) l'ingrédient vraiment actif de cette composition officinale étant un sel mercuriel ; savoir le sublimé corrosif : nous en avons traité à l'article MERCURE, mat. méd. & pharm. Voyez cet article.

TROCHISQUE DE SCILLE, (Mat. méd.) Voyez SCILLE.


TROCHITES. f. (Hist. nat.) c'est le nom qu'on donne à un fragment d'un corps marin, ainsi nommé parce qu'il ressemble à une petite roue : en effet ils sont cylindriques à l'extérieur, ont un trou au centre d'où partent des rayons. Les trochites sont des fragmens de l'entrochite qui est composée d'un amas d'articulations qui tiennent les unes aux autres, & dont l'assemblage forme un corps cylindrique & long. Les trochites ont été souvent regardées comme des astéries ou comme des pierres étoilées.


TROCHLÉATEURS. m. en Anatomie, est un nom que l'on a donné au muscle grand oblique de l'oeil, parce qu'il passe dans une membrane en partie cartilagineuse qui lui sert de poulie. Voyez OBLIQUE & OEIL, NERFS TROCHLEATEURS, Voyez ' a>PATHETIQUES.


TROCHOIDES. f. en Géométrie, est une courbe dont la génération se conçoit ainsi. Si une roue ou un cercle se meut avec un mouvement composé d'un mouvement en ligne droite & d'un mouvement circulaire autour de son centre, & que ces deux mouvemens soient égaux, un point de la circonférence de ce cercle décrira pendant ce mouvement une courbe appellée trochoïde. Ainsi le clou d'une roue qui tourne décrit une trochoïde.

La trochoïde en est appellée la base.

La trochoïde est la même courbe qu'on appelle autrement & plus communément cicloïde, dont on peut voir les propriétés, &c. sous l'article CICLOÏDE.

On appelle aussi trochoïde une courbe F A figure 85. Pl. Géom. dans laquelle les ordonnées A O seroient égales aux arcs correspondans F d du cercle F d c ; & cette derniere courbe est aussi nommée compagne de la cicloïde, ou courbe des arcs. M. Pitot a donné la quadrature d'une portion de cette courbe dans les Mém. de l'acad. de 1724.

La trochoïde ne differe pas essentiellement de la courbe des sinus. Si les ordonnées de la courbe sont augmentées en raison de n à I, la courbe se nomme alors trochoïde allongée. M. Taylor a prétendu que cette courbe étoit celle que formoit une corde de musique mise en vibration. Sur quoi voyez les Mém. de l'acad. de Berlin 1747, 1749, 1750. (O)


TROCHOLIQUES. f. (Méchan.) terme peu usité, par lequel quelques auteurs anciens entendent cette partie des Méchaniques qui traite des propriétés de tous les mouvemens circulaires. Ce mot vient du grec , tourner.


TROCHOS(Géog. anc.) village du Péloponnèse, sur le chemin d'Argos à Tégée. A la gauche de ce village on trouvoit le fort Cenchrée, ainsi nommé, à ce que croit Pausanias, l. II. c. xxjv. de Cenchreus qui étoit fils de Piréne. C'est-là que l'on voyoit la sépulture commune de ces Argiens qui défirent l'armée de Lacédémone auprès d'Hysies. Ce combat fut donné du tems que Pisistrate étoit archonte à Athènes. (D.J.)


TROCHURES. f. (terme de Chasse) Il se dit des bois de cerfs, lorsqu'ils se divisent en trois ou quatre cors ou épois au sommet de la tête, comme un trochet de fleurs ou de fruits. Trévoux. (D.J.)


TROCHUS(Gymnas. médic.) Mercurialis qui a beaucoup parlé du trochus, avoue qu'il est très-difficile de s'en former une idée bien claire. Il croit qu'il y en avoit de deux especes ; l'une en usage pour les Grecs, & l'autre pour les Romains.

L'exercice du trochus ou cerceau étoit divisé en deux especes, tant parmi les Grecs que parmi les Romains. La premiere étoit nommée par les Grecs , qui veut dire agitation du cerceau, suivant Oribase l. collect. VI. ad Julian. Celui qui devoit faire cet exercice, prenoit un grand cercle autour duquel rouloient plusieurs anneaux, & dont la hauteur alloit jusqu'à l'estomac. Il l'agitoit par le moyen d'une baguette de fer à manche de bois. Il ne le faisoit pas rouler sur la terre, car les anneaux insérés dans la circonférence ne l'auroient pas permis ; mais il l'élevoit en l'air, & le faisoit tourner audessus de sa tête, en le dirigeant avec sa baguette : voilà pourquoi Oribase dit qu'on n'agitoit pas le cerceau suivant sa hauteur, mais transversalement.

Le mouvement communiqué au cerceau étoit quelquefois très-rapide ; & alors on n'entendoit pas le bruit des anneaux qui rouloient dans la circonférence. D'autres fois on l'agitoit avec moins de violence, afin que le son des petits anneaux produisît dans l'ame un plaisir qui procurât un agréable délassement. Cette réflexion d'Oribase nous apprend que le jeu du cerceau étoit regardé comme un exercice très-capable de contribuer en amusant à la santé du corps. Il y en avoit une seconde espece, dans laquelle au-lieu de se servir d'un grand cercle, on en employoit un beaucoup plus petit. Il paroît que c'est proprement le trochus des Grecs & des Romains.

Xénophon nous en apprend l'usage, en parlant d'une danseuse qui prenoit à la main douze de ces cerceaux, les jettoit en l'air, & les recevoit en dansant au son d'une flûte. Il n'est point parlé dans ce passage des petits anneaux insérés dans la circonférence du trochus : mais il en est fait mention dans plusieurs épigrammes de Martial.

Les deux espèces de cerceaux dont on vient de parler, ne différoient entre eux que par la grandeur. On les distingue avec peine, quand ils sont simplement représentés sur des bas-reliefs. Mercurialis en a fait graver un, dont Ligorius lui avoit envoyé le dessein, d'après un monument élevé en l'honneur d'un comédien. La circonférence est chargée de huit anneaux, à l'un desquels est attachée une sonnette, & outre cela de neuf fiches ou chevilles, qui fort lâches dans leurs trous, augmentoient le bruit des anneaux, & produisoient le même son que les baguettes qui traversoient les sistres.

Sur un tombeau gravé dans le recueil de Pietro Santi-Bartoli, on voit un cerceau qui a des anneaux, des chevilles, & de plus un oiseau qui paroît y être attaché : singularité qui ne donneroit lieu qu'à des conjectures bien vagues. (D.J.)


TROENES. f. (Hist. nat. Bot.) ligustrum, genre de plante à fleur monopétale en forme d'entonnoir ; le pistil sort du calice ; il est attaché comme un clou à la partie inférieure de la fleur, & il devient dans la suite un fruit presque rond, mou & plein de suc ; ce fruit renferme le plus souvent quatre semences plates d'un côté, & relevées en bosse de l'autre. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.

TROENE, ligustrum, arbrisseau qui vient communément en Europe dans les haies, les bois & les lieux incultes, où sa hauteur ordinaire est de six ou huit piés, mais avec quelque culture on peut le faire monter jusqu'à douze piés. Il se garnit de quantité de branches qui sont menues, flexibles & fort droites. Il a l'écorce unie & cendrée ; ses racines s'étendent & tracent beaucoup. Ses feuilles sont lisses, oblongues, pointues & sans aucune dentelure ; elles sont placées opposément sur les branches, & leur verdure est un peu brune. Ses fleurs viennent en grappes au bout des branches dans le commencement du mois de Juin ; elles sont blanches, odorantes, de longue durée & d'un aspect assez agréable. Les fruits qui succedent, sont des baies rondes, molles, noires & fort ameres, qui renferment quatre semences anguleuses d'un goût fort désagréable. Ces baies sont en maturité à la fin de l'automne, & elles restent sur l'arbrisseau pendant tout l'hiver. Le troëne se trouve presque partout ; il est très-robuste ; il vient promtement, il réussit dans toutes sortes de terreins, quoique cependant il se plaise particulierement dans ceux qui sont pierreux & humides ; il se multiplie aisément par tous les moyens connus, & il n'est nullement sujet à être attaqué par les insectes.

Le troëne étoit fort en usage dans le dernier siecle, pour faire de petites haies ou de moyennes palissades, & on lui faisoit prendre quantité d'autres formes ; mais il a passé de mode, soit parce qu'il est trop commun, ou plutôt parce que ses rameaux poussent trop vigoureusement, & qu'ils prennent une direction trop horisontale : ce qui exige de fréquentes attentions pour le tailler & lui conserver une forme réguliere. Cependant quelques gens l'admettent encore, parce qu'il se soutient bien de lui-même, qu'il est de longue durée, & qu'il réussit dans des endroits serrés, ombragés, & dont le terrein est de si mauvaise qualité, que d'autres arbrisseaux ne pourroient pas y venir ; mais ce qui n'est pas moins à son avantage, c'est que ses feuilles sont toutes les dernieres à tomber, & que souvent elles restent sur l'arbrisseau pendant tout l'hiver, lorsqu'il n'est pas rigoureux.

On tire quelques services des baies du troëne pour les arts. On en fait une couleur noire & un bleu turquin dont les Teinturiers se servent, & sur-tout les enlumineurs d'estampes ; on en peut faire d'assez bonne encre, & les frélateurs les emploient quelquefois pour donner de la couleur au vin ; mais fort au dépens du goût. Enfin ces baies sont la derniere ressource des oiseaux dans les rudes & longs hivers. On fait aussi quelque usage en médecine de la feuille & de la fleur de cet arbrisseau, qui sont détersives, astringentes & antisceptiques.

Le bois du troëne est blanc, dur, souple & assez durable. On s'en sert utilement pour des perches de vigne, & on en trouve souvent de huit & dix piés de longueur. On l'emploie aussi à faire la poudre à canon, & les Vanniers font usage des jeunes branches de l'arbrisseau dans quelques-uns de leurs ouvrages.

Variété du troëne. 1. Le troëne commun. 2. Le troëne panaché de jaune. 3. Le troëne panaché de blanc. Ces deux arbrisseaux panachés ont de l'agrément dans ce genre ; on peut les multiplier de branche couchée, de bouture & de greffe. On doit avoir attention de les mettre dans un terrein sec, si l'on veut en conserver la bigarrure. L'arbrisseau panaché de blanc est un peu plus sensible au froid que les autres sortes.

4. Le troëne toujours verd. Quoique cet arbrisseau soit originaire d'Italie, il est cependant aussi robuste que l'espece commune. On le qualifie toujours verd, parce que ses feuilles ont un peu plus de tenue, & qu'il faut un hiver très-rigoureux pour les faire tomber. Mais ce n'est pas là ce qui constitue la seule différence de ce troëne avec le commun ; il fait un plus grand arbre qui s'éleve à 15 ou 18 piés. Ses feuilles sont plus larges & d'un verd plus foncé ; ses grappes de fleurs sont plus grandes & d'une blancheur plus parfaite, & ses baies sont plus grosses & d'un noir plus luisant. Quand on ne cultiveroit pas ce troëne pour l'agrément qu'il a de plus, il seroit toujours fort utile de le multiplier pour son bois qui fourniroit plus de ressources.

TROENE, (Mat. méd.) on ne fait point, ou on fait très-rarement usage du troëne intérieurement ; cependant quelques auteurs recommandent le suc des feuilles & des fleurs jusqu'à la dose de quatre onces, & la décoction jusqu'à six ou huit contre le crachement de sang, les hémorrhagies & les fleurs blanches. On les emploie très-utilement à l'extérieur en gargarisme dans les ulceres de la bouche, inflammations & excoriations de la luette, de même que dans le relâchement & la chûte de cette derniere partie. On s'en sert aussi dans les aphtes ou ulceres de la gorge, ou dans les ulceres des gencives. Geoffroy, Mat. méd.


TROEZENou TROEZEN, (Géog. anc.) en grec , & par Polybe ; ville du Péloponnèse, dans l'Argolide, sur la côte orientale, un peu au-delà du promontoire Scyllaeum, à l'entrée du golfe Saronique ; le territoire de cette ville est nommé Troëzénide par Thucydide. Voici la description de la ville par Pausanias.

Dans la place de Troézene, dit cet historien, l. II. c. xxxj. & xxxij. on voit un temple & une statue de Diane conservatrice ; les Troézéniens assuroient que ce temple avoit été consacré par Thésée, & que l'on avoit donné ce surnom à la déesse, lorsque ce héros se sauva si heureusement de Crete, après avoir tué Astérion, fils de Minos. Dans ce temple il y a des autels consacrés aux dieux infernaux.

Ces autels cachoient, à ce qu'on disoit, deux ouvertures : par l'une de ces ouvertures Bacchus retira Sémélé des enfers, & par l'autre Hercule emmena avec lui le cerbere. Derriere le temple étoit le tombeau de Pithée, sur lequel il y avoit trois sieges de marbre blanc, où l'on dit qu'il rendoit la justice avec deux hommes de mérite, qui étoient comme ses assesseurs. Près de là on voyoit une chapelle consacrée aux muses : c'étoit un ouvrage d'Ardalus, fils de Vulcain, que les Troëzéniens disoient avoir inventé la flûte ; & de son nom on appella les muses Ardalides. Ils assuroient que Pithée enseignoit dans ce lieu l'art de bien parler, & on voyoit un livre composé par cet ancien roi. Au-delà de cette chapelle il y avoit un autel fort ancien ; la tradition vouloit qu'il eût été consacré par Ardalus. On y sacrifioit aux muses & au Sommeil ; car de tous les dieux, disoient-ils, c'est le Sommeil qui est le plus ami des muses.

Auprès du théatre on voyoit un temple de Diane Lycéa bâti par Hippolyte. Pausanias juge que ce surnom de Diane venoit, ou de ce qu'Hippolyte avoit purgé le pays des loups dont il étoit infesté, ou de ce que par sa mere il descendoit des Amazones, qui avoient dans leur pays un temple de Diane de même nom. Devant la porte du temple étoit une grosse pierre appellée la pierre sacrée, & sur laquelle on prétendoit qu'Oreste avoit été purifié du meurtre de sa mere par d'illustres personnages de Troézene au nombre de neuf ; assez près de là on trouvoit plusieurs autels peu éloignés les uns des autres : l'un consacré à Bacchus sauveur, en conséquence d'un certain oracle : un autre à Thémis, & que Pithée lui-même avoit consacré : un troisieme avoit été consacré au Soleil le libérateur par les Troézéniens, lorsqu'ils se virent délivrés de la crainte qu'ils avoient eue de tomber sous l'esclavage de Xerxès & des Perses. On y voyoit aussi un temple d'Apollon Théorius, & qui passoit pour avoir été rétabli & décoré par Pithée. C'étoit le plus ancien des temples que connût Pausanias. La statue qu'on y voyoit étoit un présent d'Auliscus, & un ouvrage du statuaire Hermon, natif du pays ; on y voyoit encore les deux statues des Dioscures ; elles étoient de bois & aussi de la main d'Auliscus.

Dans la même place il y avoit un portique orné de plusieurs statues de femmes & d'enfans, toutes de marbre : c'étoient ces femmes que les Athéniens confierent avec leurs enfans aux Troézéniens, lorsqu'ils prirent la résolution d'abandonner Athènes, dans l'impossibilité où ils étoient de la défendre contre les Perses avec le peu de forces qu'ils avoient sur terre. On n'érigea pas des statues à toutes, mais seulement aux plus considérables d'entr'elles.

Devant le temple d'Apollon on remarquoit un vieil édifice appellé le logis d'Oreste, & où il demeura comme séparé des autres hommes, jusqu'à ce qu'il fût lavé de la tache qu'il avoit contractée en trempant les mains dans le sang de sa mere ; car on disoit que jusque-là aucun Troëzénien n'avoit voulu le recevoir chez lui ; desorte qu'il fut obligé de passer quelque tems dans cette solitude, & cependant on prenoit soin de le nourrir & de le purifier jusqu'à ce que son crime fût entiérement expié ; & même encore du tems de Pausanias, les descendans de ceux qui avoient été commis à sa purification, mangeoient tous les ans à certains jours dans cette maison. Les Troézéniens disoient qu'auprès de cette maison, dans le lieu où l'on avoit enterré les choses qui avoient servi à cette purification, il avoit poussé un laurier qui s'étoit toujours conservé depuis ; & entre les différentes choses qui avoient servi à purifier Oreste, on citoit particulierement l'eau de la fontaine d'Hippocrène ; car les Troézéniens avoient aussi une fontaine Hippocrène.

On voit aussi au même lieu une statue de Mercure Polygius, devant laquelle ils assuroient qu'Hercule avoit consacré sa massue faite de bois d'olivier. Quant à ce qu'ils ajoutent, dit Pausanias, que cette massue prit racine, & poussa des branches, c'est une merveille que le lecteur aura peine à croire. Quoi qu'il en soit, ils montrent encore aujourd'hui cet arbre miraculeux ; & à l'égard de la massue d'Hercule, ils tiennent que c'étoit un tronc d'olivier qu'Hercule avoit trouvé auprès du marais Saronique. On voyoit encore à Troézene un temple de Jupiter sauveur, bâti, à ce qu'on disoit, par Aëtius, lorsqu'il avoit pris possession du royaume après la mort de son pere.

Les Troézéniens donnoient comme une merveille leur fleuve Chrysorrhoès, qui durant une sécheresse de neuf années que tous les autres tarirent, fut le seul qui conserva toujours ses eaux, & qui coula à l'ordinaire. Ils avoient un fort beau bois consacré à Hippolyte, fils de Thésée, avec un temple où l'on voyoit une statue d'un goût très-ancien. Ils croyoient que ce temple avoit été bâti par Diomede, qui le premier avoit rendu des honneurs divins à Hippolyte. Ils honoroient donc Hippolyte comme un dieu. Le prêtre chargé de son culte étoit perpétuel, & la fête du dieu se célébroit tous les ans. Entr'autres cérémonies qu'ils pratiquoient en son honneur, les jeunes filles, avant que de se marier, coupoient leur chevelure, & la lui consacroient dans son temple. Au reste ils ne convenoient point qu'Hippolyte fût mort, emporté & traîné par ses chevaux ; & ils se donnerent bien de garde de montrer son tombeau ; mais ils vouloient persuader que les dieux l'avoient mis dans le ciel au nombre des constellations, & que c'étoit celle qu'on nommoit le conducteur du chariot.

Dans le même lieu il y avoit un temple d'Apollon Epibaterius, & qu'ils tenoient avoir été dédié sous ce nom par Diomede, après qu'il se fut sauvé de la tempête qui accueillit les Grecs lorsqu'ils revenoient du siege de Troie. Ils disoient même que Diomede avoit institué le premier les jeux pithiques en l'honneur d'Apollon. Ils rendoient un culte à Auxesia & à Lamia, aussi bien que les Epidauriens & les Eginetes ; mais ils racontoient différemment l'histoire de ces divinités ; selon eux, c'étoient deux jeunes filles qui vinrent de Crete à Troézene, dans le tems que cette ville étoit divisée par des partis contraires ; elles furent les victimes de la sédition, & le peuple qui ne respectoit rien, les assomma à coups de pierre ; c'est pourquoi on célébroit tous les ans un jour de fête qu'on appelloit la lapidation.

De l'autre côté c'étoit un stade nommé le stade d'Hippolyte ; & au-dessus il y avoit un temple de Vénus surnommée la regardante, parce que c'étoit delà que Phedre éprise d'amour pour Hippolyte, le regardoit toutes les fois qu'il venoit s'exercer dans la carriere ; c'est aussi là que l'on voyoit le myrte qui avoit les feuilles toutes criblées ; car la malheureuse Phedre possédée de sa passion, & ne trouvant aucun soulagement, trompoit son ennui en s'amusant à percer les feuilles de ce myrte avec son aiguille de cheveux. Là se voyoit la sépulture de Phedre, & un peu plus loin celle d'Hippolyte ; mais le tombeau de Phedre étoit plus près du myrte. On y remarquoit aussi la statue d'Esculape faite par Timothée ; & l'on croyoit à Troézene que c'étoit la statue d'Hippolyte. Pour la maison où il demeuroit, je l'ai vue, dit Pausanias ; il y avoit devant la porte une fontaine dite la fontaine d'Hercule, parce qu'on disoit que c'étoit Hercule qui l'avoit découverte.

Dans la citadelle on trouvoit un temple de Minerve Sthéniade ; la déesse étoit représentée en bois. C'étoit un ouvrage de Callon, statuaire de l'île d'Egine. En descendant de la citadelle, on rencontroit une chapelle dédiée à Pan le libérateur, en mémoire du bienfait que les Troézéniens reçurent de lui lorsque par des songes favorables il montra aux magistrats de Troézene le moyen de remédier à la famine qui affligeoit le pays. En allant dans la plaine, on voyoit sur le chemin un temple d'Isis, & au-dessus un autre temple de Vénus Acréa ; le premier avoit été bâti par les habitans d'Halicarnasse, qui avoient voulu rendre cet honneur à la ville de Troézene, comme à leur mere. Pour la statue d'Isis, c'étoit le peuple de Troézene qui l'avoit fait faire.

Dans les montagnes du côté d'Hermione, on rencontroit premierement la source du fleuve Hilycus, qui s'étoit appellé autrefois Taurius : en second lieu, une roche qui avoit pris le nom de Thésée, depuis que ce héros, tout jeune encore, la remua pour prendre la chaussure & l'épée de son pere, qui les avoit cachées dessous : car auparavant elle se nommoit l'autel de Jupiter Sthénius. Près de-là, on montroit la chapelle de Vénus, surnommée Nymphée, bâtie par Thésée, lorsqu'il épousa Hélene. Hors des murs de la ville, il y avoit un temple de Neptune Pythalmius, surnom dont la raison est que ce dieu dans sa colere, inonda tout le pays des eaux salées de la mer, fit périr tous les fruits de la terre, & ne cessa d'affliger de ce fléau les Troézéniens, jusqu'à ce qu'ils l'eussent appaisé par des voeux & des sacrifices.

Au-dessus étoit le temple de Cérès législatrice, consacré, disoit-on, par Althepus. Si on alloit au port, qui étoit dans un bourg nommé Célenderis, on voyoit un lieu appellé le berceau de Thésée, parce que c'étoit-là que Thésée étoit né. Vis-à-vis on avoit bâti un temple au dieu Mars, dans le lieu même où Thésée défit les Amazones. C'étoit apparemment un reste de celles qui avoient combattu dans l'Attique contre les Athéniens commandés par ce héros.

En avançant vers la mer Pséphée, on trouvoit un olivier sauvage nommé le rhachos, tortu ; car ils donnoient le nom de rhachos à tous les oliviers qui ne portoient point de fruit ; & ils appelloient celui-ci tortu, parce que c'étoit autour de cet arbre, que les renes des chevaux d'Hippolyte s'étoient embarrassées ; ce qui avoit fait renverser son char.

Il y avoit deux îles qui dépendoient de Troézene ; savoir l'île de Sphérie, depuis nommée l'île sacrée, & celle de Calaurée. Une bonne partie du pays de Troézene étoit, à proprement parler, un isthme qui avançoit considérablement dans la mer, & qui s'étendoit jusqu'à Hermione.

Les Troézéniens faisoient tout ce qu'ils pouvoient pour donner d'eux une grande idée. Ils disoient que leur premier roi s'appelloit Orus, & qu'il étoit originaire du pays ; mais je crois, dit Pausanias, l. II. c. xxx. que le nom d'Orus est plutôt égyptien que grec. Quoi qu'il en soit, ils assuroient qu'Orus avoit regné sur eux, & que de son nom le pays avoit été appellé l'Orée, qu'ensuite Althepus, fils de Neptune & de Leis, qui étoit fille d'Orus, ayant succédé à son ayeul, toute la contrée avoit pris le nom d'Althépie. Ce fut sous son regne que Bacchus & Minerve disputerent à qui auroit le pays sous sa protection, & que Jupiter les mit d'accord en partageant cet honneur entre l'un & l'autre. C'est pour cela qu'ils honoroient Minerve Poliade, & Minerve Sthéniade, donnant deux noms différens à la même divinité, & qu'ils révéroient Neptune sous le titre de roi ; même l'ancienne monnoie de ce peuple avoit d'un côté un trident, & de l'autre une tête de Minerve. Nous avons encore des médailles qui prouvent ces deux faits ; Goltzius cite une médaille frappée à Troézene, où l'on voit d'un côté un trident, & une autre médaille des Troézéniens avec ce mot , c'est-à-dire, Minerve, protectrice de la ville.

A Althépus succéda Saron ; celui-ci, suivant la tradition, bâtit un temple à Diane Saronide, dans un lieu où les eaux de la mer forment un marécage ; aussi l'appelloit-on le marais Phoebéen. Ce prince aimoit passionnément la chasse : un jour qu'il chassoit un cerf, il le poursuivit jusqu'au bord de la mer. Le cerf s'étant jetté à la nage, le prince s'y jetta après lui, & se laissant emporter à son ardeur, il se trouva insensiblement en haute mer, où épuisé de forces, & lassé de lutter contre les flots, il se noya. Son corps fut apporté dans le bois sacré de Diane, auprès de ce marais, & inhumé dans le parvis du temple. Cette avanture fut cause que le marais changea de nom, & s'appella le marais Saronique.

Après le retour des Héraclides dans le Péloponnèse, les Troézéniens reçurent les Doriens dans Troézene, je veux dire ceux des Argiens qui y voulurent venir demeurer ; ils se souvenoient qu'ils avoient été soumis eux-mêmes à la domination d'Argos ; car Homere dans son dénombrement dit qu'ils obéissoient à Diomede. Or Diomede & Eurialus, fils de Mécistée, après avoir pris la tutele de Cyanippe fils d'Egialée, conduisirent les Argiens à Troie. Quant à Sthénélus, il étoit d'une naissance beaucoup plus illustre, & de la race de ceux qu'on nommoit Anaxagorides : c'est pourquoi l'empire d'Argos lui appartenoit. Voilà ce que l'histoire nous apprend des Troézéniens ; on pourroit ajouter qu'ils ont envoyé encore diverses autres colonies de part & d'autre.

Ptolémée, l. III. c. xvj. parle d'une ville du Péloponnèse dans la Messénie, qui portoit aussi le nom de Troézene : Enfin, Pline, l. V. c. xxix. parle d'une troisieme Troézene. Cette derniere avoit pris son nom d'une colonie de troëzéniens, qui, à ce que dit Strabon, l. XIV. p. 656. vint autrefois habiter dans la Carie. (D.J.)


TROGILORUM-PORTUS(Géog. anc.) port de la Sicile, près de la ville de Syracuse ; il en est parlé dans Tite-Live, l. XXV. c. xxiij. & dans Thucydide, l. VI. p. 413. (D.J.)


TROGLODYTESS. m. pl. (Géog.) dans l'ancienne Géographie, c'étoient des peuples d'Ethiopie, qu'on dit avoir vécu dans des caves souterraines ; ce mot est formé du grec , caverne, & de , subeo, j'entre.

Pomponius Méla rapporte qu'ils ne parlent point, mais qu'ils crient ou ne font entendre que des sons sans articulation, qu'ils vivent de serpens, &c. Tzetzés les appelle ichthyophages ou mangeurs de poisson. Montanus croit que c'est le même peuple que l'Ecriture appelle Ghanamins, & Pintianus sur Strabon, veut que l'on écrive ce nom sans l, Trogodytes.

Si l'on en croit quelques modernes, tels que les peres Kircher & Martin, il n'y a pas encore longtems qu'il y avoit à Malthe des troglodytes, c'est-à-dire, des especes de sauvages séparés de tous les autres habitans, & vivant entre eux dans une vaste caverne, proche d'une maison de plaisance du grand-maître. Ils ajoutent qu'il y en a en Italie près de Viterbe, & en divers endroits des Indes, & qu'on en a trouvé qui n'avoient jamais vu la lumiere du soleil.

Troglodytes est encore le nom donné par Philastre à une secte de juifs idolâtres, qui selon lui se retiroient dans des cavernes souterraines pour adorer toute sorte d'idoles. Cet auteur & son éditeur tirent du grec, comme nous avons fait ci-dessus, le mot de Troglodytes ; mais ils paroissent se tromper dans l'attribution qu'ils en font à cette secte ; car ils se fondent sur la vision rapportée par Ezéchiel, chap. viij. . 8. 9. & 10. Or dans cette vision, il ne s'agit nullement de cavernes souterraines, mais du temple même que les 70 vieillards avoient choisi pour en faire le théâtre de leurs impiétés, ou, comme porte le verset 12. l'endroit secret de leur chambre, in abscondito cubiculi sui. Ainsi le nom de Troglodytes est très-mal appliqué à cet égard, & ne convient point du tout à la secte dont il est mention dans ce prophete.


TROGUES. f. (Draperie) c'est la chaîne préparée par les ourdisseurs pour la fabrique des draps mêlangés : chaque trogue contient en longueur de quoi ourdir & fabriquer deux pieces de drap ; avant de les délivrer au tisserand pour les monter sur son métier, on les colle avec de la colle de Flandre, puis on les laisse quelque tems sécher, & avant qu'elles soient tout-à-fait seches, on en sépare les fils avec un peigne de fil de fer. Savary. (D.J.)


TROIA(Géog. anc.) ce mot, outre la célebre ville de Troie, est donné par Etienne le géographe à d'autres villes ; 1°. à une ville de la Chaonie, dans la Cestrie. Virgile, Aenéïd. l. III. v. 349. en parle ; 2°. à une ville d'Egypte, voisine du mont Troicus ; mais Strabon ne lui donne que le titre de village ; 3°. à une ville de la Cilicie ; 4°. à une ville d'Italie, située au fond du golfe Adriatique, chez les Vénetes. Tite-Live, l. I. c. j. n'en fait pas une ville ; il dit seulement qu'on donna le nom de Troia, au lieu où Anténor & ses compagnons débarquerent dans ce quartier. L'on nomma de même Troia, l'endroit du territoire de Laurentum où Enée prit terre en arrivant en Italie. (D.J.)


TROICUS-MONS(Géog. anc.) montagne d'Egypte, selon Etienne le géographe ; Strabon, liv. XVII. p. 809. dit que cette montagne se trouve au voisinage du lieu où l'on avoit tiré les pierres dont les pyramides avoient été faites, & que c'est auprès de cette montagne qu'étoit la ville Troja. Cette montagne est la même que Ptolémée, l. IV. c. v. nomme Troici lapidis mons ; c'est aussi la même qu'Hérodote, l. II. n °. 8. appelle Arabicus-mons. (D.J.)


TROIE(Géog. anc.) Troia ou Ilium, ville de l'Asie mineure, la capitale de la Troade. Voyez ILIUM.

Horace appelle cette ville sacrée, sacrum Ilium, & Virgile la nomme la demeure des dieux, divûm domus, non-seulement, parce que ses murailles avoient été bâties de la main des dieux, mais encore parce qu'il y avoit dans son enceinte un grand nombre de temples.

Troie immortalisée par les poëtes, étoit bâtie sur le fleuve Scamandre ou Xanthus, en Phrygie, à 3 milles de la mer Egée. Cette ville n'a eu que six rois, sous le dernier desquels elle fut prise & brûlée par les Grecs, deux cent cinquante-six ans après sa naissance.

Dardanus l'a fondée l'an du monde 2524, & régna trente-un ans ; Erichthonius en régna soixante-cinq ; Tros soixante-dix ; c'est de lui que cette ville prit le nom de Troie ; elle se nommoit auparavant Dardanie. Ilus qui lui succeda, régna cinquante-quatre ans ; c'est de son nom que la forteresse de Troie s'appelle Ilium. Laomedon régna trente - six ans ; il bâtit les murailles de Troie des trésors de Neptune & d'Apollon. Priam régna quarante ans. L'an du monde 2794. Paris, fils de Priam, enleva Hélene, femme de Ménélaüs, roi de Lacédémone. Les Grecs après avoir demandé plusieurs fois qu'on rendît Hélene, déclarerent la guerre aux Troïens & commencerent le siege de Troie, qui fut prise & brûlée dix ans après, l'an du monde 2820. avant l'ere vulgaire 1184 ans, & 431 ans avant la fondation de Rome.

On prétend que cette guerre si cruelle prenoit son origine de plus haut. On dit qu'il y avoit une guerre héréditaire, entre la maison de Priam & celle d'Agamemnon. Tantale, roi de Phrygie, pere de Pélops, & bisaïeul d'Agamemnon & de Ménélaüs, avoit enlevé il y avoit long-tems Ganimede, frere d'Ilus. Cet Ilus, grand-pere de Priam, pour se venger d'une injure qui le touchoit de si près, dépouilla Tantale de ses états, & l'obligea de se réfugier en Grece, où s'établirent ainsi les Pélopides qui donnerent leur nom au Péloponnèse. Paris, arriere - petit - fils d'Ilus, enleva Hélene par une espece de représailles, contre Ménélaüs, arriere-petit-fils du ravisseur de Ganimede.

Il faut cependant se souvenir toujours qu'il y a mille fables mêlées dans tout ce que les poëtes nous disent du siege de Troie & des premiers héros de cette guerre, & qu'ainsi il ne faut pas trop compter sur ce qu'ils débitent d'Achille, d'Ajax, d'Ulysse, de Paris, d'Hector, d'Enée, & de tant d'autres. Quant au fameux cheval de bois, dit Pausanias, l. I. c. xxiij. c'étoit certainement une machine de guerre, inventée par Epeus & propre à renverser les murs, telle que celles auxquelles on donna dans la suite le nom de bélier ; ou bien, continue Pausanias, il faut croire que les Troïens étoient des stupides, des insensés, qui n'avoient pas ombre de raison.

Il ne reste aucuns vestiges de cette ancienne ville ; on voit à la vérité dans le quartier où elle étoit des ruines considérables ; mais ce sont les ruines de la nouvelle Troie, & non celles de l'ancienne. En approchant de ces ruines, on trouve quantité de colonnes de marbre rompues, & une partie des murailles & des fondemens le long de la côte. Il n'y a rien d'entier, tout est renversé ; ce qui est le moins ruiné se trouve sur le bord de la mer, rongé par l'air, & mangé des vents salés qui en viennent.

Un peu plus loin, on voit le bassin du port, avec une muraille sur la côte ; elle étoit sans-doute ornée de colonnes de marbre qui sont à présent toutes brisées sur la terre, & dont les piés qui restent autour, font juger que le circuit du port étoit d'environ quinze cent pas. L'entrée de ce port est aujourd'hui bouchée de sable.

On ne sauroit dire que ce soit le port de l'ancienne Troie, ni que les antiquités que l'on voit soient de plus vieille date que le tems des Romains. Belon & Pietro della Valle assurent avec beaucoup de confiance que ce sont les ruines de la fameuse Troie : mais ils se trompent, ce sont les ruines de l'Ilium moderne qu'Alexandre le grand commença à bâtir, & que Lysimaque acheva ; il l'appella Alexandrie, & elle fut ensuite une colonie des Romains.

Un peu au-delà du port, on trouve divers tombeaux de marbre, avec la tête d'Apollon sur quelques-uns, & sur d'autres des boucliers sans aucune inscription. M. Spon a remarqué que ces tombeaux sont de la même forme que ceux des Romains qui sont en France dans la ville d'Arles, ce qui prouve que ce ne sont pas les tombeaux des premiers Troïens, comme Pietro della Valle se l'est imaginé.

Un peu plus haut au midi du port, il y a deux colonnes couchées par terre ; elles ont chacune 30 piés de long ; une troisieme en a 35 ; celle-ci qui est rompue en trois morceaux est de marbre granite d'Egypte, & a un diametre de 4 piés 9 pouces. Le grand-seigneur, Mahomet IV. fit enlever de ce lieu une grande quantité de colonnes pour la fabrique de la mosquée neuve de la sultane mere.

En allant encore plus le long de la côte, on passe au-travers de plusieurs débris ; ce sont les restes d'un aqueduc qui conduisoit l'eau au port. A quelque distance de-là, est un canal ou fossé, long, étroit & profond, ouvrage de l'art, & fait apparemment pour laisser entrer la mer, afin que les vaisseaux allassent jusqu'à la ville ; mais il est aujourd'hui à sec. Au-dessus, un peu à la droite, on voit d'autres masures considérables qui découvrent la grandeur de la ville. Il y a un théâtre, des fondemens de temples & de palais, avec des arcades autour, & des voûtes sous terre. On y trouve encore debout une partie d'un petit temple rond qui a une corniche de marbre au-dedans. Tout proche sont trois carreaux de marbre, faits en façon d'autel ou de piédestal, avec des inscriptions qui ne different que dans les derniers caracteres, comme VIC. VII. VIC. VIII. & VIC. IX. il suffit de rapporter l'une des trois.

DIVI JULI FLAMINI C. ANTONIO. M. F. VOLT. RUFO FLAMINI. DIVI AUG. COL. CL. APRENS ET COL. JUL. PHILIPENS EORUNDEM ET PRINCIPI ITEM COL. JUL. PARIANAE TRIB. MILIT. COH. XXXII. VOLUNTARIOR. TRIB. MIL. LEG. XIII. GERM. PRAEF. EQUT. ALAEI. SCUBULORUM VIC. VII.

Ces inscriptions sont à l'honneur de Caïus Antonius Rufus, fils de Marcus de la tribu Vollinie, prêtre de Jule & d'Auguste César, fait chef de la colonie d'Apri, par Claudius ; & de Philippi, par Julius, comme aussi de la colonie Parium, par Julius, & mestre-de-camp de la cohorte 32 des volontaires, commandant de la légion 13 appellée germina, & capitaine de la premiere aîle de cavalerie des scubuli.

La derniere ligne de chacune de ces inscriptions n'est pas aisée à expliquer. M. Spon a cru pourtant que VIC. VII. VIC. VIII. & VIC. IX. signifioient vicus septimus, vicus octavus & vicus nonus, c'est-à-dire la septieme, la huitieme & la neuvieme rue, où ces statues avoient été placées, à l'imitation des rues de Rome.

Troie, colonie des Romains, fondée par Auguste, & qui en avoit pris le nom de colonia augusta Troas, avoit apparemment ses quartiers & ses tribus comme la ville de Rome.

Selon les apparences, le quartier le plus habité de la ville, étoit sur le plus haut d'une colline, que l'on monte insensiblement depuis le rivage, environ à 2 milles de la mer. On voit en cet endroit quantité de masures, de voûtes, & un théâtre, mais particulierement trois arcades, & des pans de murailles qui restent d'un bâtiment superbe, dont la situation avantageuse & l'étendue, font connoître que c'étoit le palais le plus considérable de la ville. Je ne veux pas croire, dit M. Spon, comme le disent ceux des environs de Troie, que c'étoit le château du roi Priam ; car je ne le tiens pas plus ancien que le tems des premiers empereurs romains. Ce bâtiment étoit presque tout de marbre, & les murailles ont 12 piés d'épaisseur. Au-devant de ces arcades, qui paroissent avoir soutenu une voûte, il y a une si prodigieuse quantité de quartiers de marbre entassés les uns sur les autres, qu'on peut aisément juger par-là de la hauteur, & de la beauté de ce palais.

Le terroir des environs de Troie est tout inculte, à la reserve de quelques endroits où il croît du coton. Le reste n'est que broussailles, ronces, épines & chênes verds ; & on peut dire aujourd'hui ce que Lucain disoit de son tems :

Jam sylvae steriles & putres robore trunci

Assaraci pressere domos, & templa deorum

Jam lassâ radice tenent, ac tota teguntur

Pergama dumetis.

Le Pays des environs nourrit des lievres, des cailles & des perdrix qui y sont en abondance. On y voit aussi un oiseau de la grosseur de la grive, ayant la tête & la gorge d'un jaune éclatant, & le dos & les aîles d'un verd gai, comme un verdier, le bec & la tête comme la grive, & aussi gros que les ortolans en France. On y trouve encore un autre oiseau d'une autre espece, mais qui n'est pas beaucoup plus gros. Il est fait comme un héron, & tacheté comme un épervier, avec un long bec, de longues jambes, des griffes, & une crête de plumes sur la tête. (D.J.)


TROIENSJEUX, (Antiq. rom.) ludi trojani ; exercice militaire que les jeunes gens de qualité célébroient à Rome dans le cirque, à l'honneur d'Ascagne : Virgile en a fait la description la plus brillante dans le V. livre de l'Enéide, depuis le vers 545. jusqu'au vers 604. voici comme il la termine.

Hunc morem, hos cursus, atque haec certamina primus

Ascanius, longam muris cum cingeret Albam,

Rettulit, & priscos docuit celebrare latinos :

Quo puer ipse modo, secum quo Troïa pubes,

Albani docuere suos : hinc maxima porrò

Accepit Roma, & patrium servavit honorem :

Trojaque nunc, pueri, Trojanum dicitur agmen.

" Lorsqu'Ascagne eut élevé les murs d'Albe-la-longue, il établit le premier en Italie cette marche & ce combat d'enfans : il enseigna cet exercice aux anciens Latins, & les Albains le transmirent à leur postérité. Rome, au plus haut point de sa grandeur, plein de vénération pour les coutumes de ses ancêtres, vient d'adopter cet ancien usage ; c'est de-là que les enfans, qui font aujourd'hui à Rome ce même exercice, portent le nom de troupe troïenne. "

Dion dit que lorsqu'Octave célebra l'apothéose de Jules-César, un an après sa mort, il donna au peuple romain un spectacle semblable à celui de cette cavalcade de jeunes gens, & que depuis il le réitéra. C'est pour flatter Auguste, que Virgile fait ici célébrer par Enée les jeux appellés Troïens, renouvellés par cet empereur alors triumvir, après la victoire d'Actium, c'est-à-dire l'an 726. de Rome. Trojae, dit Suétone, (in Aug. c. xliij.) ludum edidit frequentissimè, majorum minorumve puerorum delectu ; prisci decorique moris existimans, clarae stirpis indolem sic notescere. Auguste croyoit que cet exercice ancien & convenable à la jeunesse, donnoit aux enfans de condition de la république, l'occasion de faire briller leur adresse, leur bonne grace, & leur goût pour la guerre.

Virgile saisit encore ici l'occasion de faire sa cour à toute la noblesse romaine, en faisant remonter l'origine de leurs jeux jusqu'à cette troupe de jeunes gens qu'Enée mene avec lui en Italie, & que le poëte montre aux Romains, comme les auteurs de leurs principales maisons. On juge bien que celle d'Auguste s'y trouvera. Atis, dit le poëte, tendrement aimé d'Ascagne, marche à la tête de la seconde bande troïenne ; les Attius du pays des Latins tirent de lui leur origine.

Alter Atys, genus undè Atyi duxere coloni

Parvus Atys, parvoque puer dilectus Iulo.

Or Julie, soeur de Jules-César, avoit été mariée à M. Attius Balbus. Elle fut mere d'Atia, femme d'Octavius, qui eut Octave Auguste. Ainsi pour plaire à ce prince, le poëte ne manque pas de donner une origine des plus illustres aux Attius qui étoient d'Aricie, ville du Latium.

Les jeux troïens renouvellés par Auguste, commencerent à décheoir sous Tibere, & finirent sous l'empereur Claude. (D.J.)


TROISterme d'Arithmétique, nombre impair, composé d'un & deux, en chiffre arabe, il s'exprime par cette figure 3 ; en chiffre romain de cette maniere III, & en chiffre françois de compte ou de finance, ainsi iij. Savary. (D.J.)

TROIS POUR CENT. On nomme ainsi en France, un droit qui se paye au fermier du domaine d'occident sur toutes les marchandises du cru des îles & colonies françoises de l'Amérique, même sur celles qui proviennent de la traite des negres, ainsi qu'il a été statué par un arrêt du conseil du 26 Mars 1722. Dictionn. de Commerce.

TROIS COUPS, terme de Rubanier, dans le galon où l'on veut épargner le filé, en ne laissant paroître qu'un coup en-dessous, contre deux en-dessus, l'ouvrier marche à trois coups, c'est-à-dire partant de la main gauche, il va à la droite ; de cette droite il retourne à la gauche ; & enfin de cette gauche à la droite, où il change de marche pour repartir de la main droite & continuer de même ; par ce moyen, il y a toujours un coup en-dessous contre deux en-dessus, ce qui forme un envers.

TROIS QUARRES, en terme d'Eperonnier, est une grosse lime, de figure triangulaire, ainsi appellée, parce qu'elle a trois pans ou quarres.

TROIS, DEUX, UN, en termes de Blason, se dit de six pieces disposées, trois en chef sur une ligne, deux au milieu, & une en pointe de l'écu.

Illiers en Beauce, d'or, à six annelets de gueules, 3, 2, 1.

TROIS - CHAPITRES, les, (Hist. ecclésiast.) c'est ainsi qu'on a nommé les trois articles, qui furent le sujet de tant de disputes ecclésiastiques pendant tout le sixieme siecle, & qui regardoient Théodore de Mopsueste. On engagea l'empereur Justinien à condamner 1°. Théodore de Mopsueste & ses écrits, 2°. les écrits de Théodoret contre saint Cyrille, 3°. la lettre d'Ibas. L'empereur publia en 545 la condamnation sur ces trois points, qu'on nomma les trois-chapitres, en sous-entendant peut - être le mot de dissention. L'année suivante 546, ils furent aussi condamnés dans un concile de Constantinople. On prononça une nouvelle sentence de condamnation plus solemnelle encore en 553, dans le second concile de Constantinople ; mais tandis que l'Orient se déclaroit contre les trois-chapitres, presque tout l'Occident en prit la défense, & l'on vit un schisme dans l'Eglise sur des objets misérables. De quelle utilité, dit M. Dupin, étoit-il de condamner les trois-chapitres, & pourquoi les défendre avec opiniâtreté ? Pourquoi s'excommunier & se persécuter mutuellement à ce sujet ? L'empereur Justinien a la foiblesse de se prêter aux intrigues de Théodore, évêque de Césarée, & trouble la paix de l'Eglise par des conciles inutiles. On détourne les évêques d'Orient & d'Occident de la conduite de leurs diocèses, pour remplir leurs esprits de contestations frivoles, qui aboutirent à faire exiler & persécuter des personnages célebres qui eussent rendu de grands services à l'Eglise. C'est ainsi que les hommes, pour satisfaire leurs passions, ont sacrifié de tout tems les intérêts de la religion à des vues particulieres de vengeance. (D.J.)

TROIS-ÉGLISES, (Géog. mod.) lieu de Perse, digne de remarque, en entrant dans ce royaume par l'Arménie. Il y a dans ce lieu, qui est à neuf milles d'Erivan, un célebre monastere de religieux, dont l'église est dédiée à S. Grégoire l'illuminateur. Les moines des Trois-Eglises sont arméniens, & font des souris moqueurs quand on leur parle de réunion avec le siege de Rome. La campagne qui est autour de leur monastere, peut donner, par ses agrémens & sa fertilité, une idée du paradis terrestre. (D.J.)

TROIS-RIVIERES, les, (Géog. mod.) petite ville de l'Amérique septentrionale, au Canada, à 27 lieues de Québec, entre cette ville & Montréal, sur un côteau de sable, au pié duquel coule le fleuve de S. Laurent. Il y a dans son voisinage une riche mine de fer. Latit. 46. (D.J.)


TROISIEMEadj. (Gram.) ce qui dans un ordre de choses succede aux deux premieres. Cet homme est la troisieme personne après le roi. Il est difficile qu'un homme & une femme soient long-tems seuls ; l'amour ne tarde pas à être le troisieme.


TROJA(Géog. mod.) ville d'Italie, au royaume de Naples, dans la Capitanate, au pié de l'Apennin, sur le Chilaro, à 10 milles de Bovino, & à 30 au sud-ouest de Manfredonia, avec un évêché suffragant de Bénévent. Long. 32. 56. latit. 41. 20. (D.J.)


TROKI(Géog. mod.) palatinat de Pologne, dans la Lithuanie. Il est borné à l'orient & au nord par le palatinat de Wilna ; au couchant, par la Prusse & la Poldaquie. Il envoie aux dietes du royaume deux sénateurs, dont l'un est palatin & l'autre châtelain. La capitale porte son nom. (D.J.)

TROKI, (Géog. mod.) ville de Pologne, dans la Lithuanie, capitale du palatinat de même nom, au milieu des marais, à 8 lieues au couchant de Wilna. Elle fut bâtie par Gédimir, grand-duc de Lithuanie, en 1321. Les Moscovites la ravagerent en 1655. Long. 43. 50. latit. 54. 33. (D.J.)


TROLLE(Vénerie) aller à la trolle, c'est découpler les chiens dans un pays de bois, pour quêter & lancer une bête que l'on veut courre, sans avoir été la détourner.


TROLLERv. act. (Agriculture) c'est faire une espece de clisse avec des branches d'arbres sur des pieux frappés en terre, & lacés comme un panier ; quand on fait une clisse pour fermer une étable, on la terrasse. (D.J.)


TROMBES. f. (Physiq.) est un météore extraordinaire qui paroît sur la mer, qui met les vaisseaux en grand danger, &c. & qu'on remarque très-souvent dans un tems chaud & sec ; les Latins l'appellent typho & sypho. Voyez METEORE.

La trombe est une nuée condensée, dont une partie se trouvant dans un mouvement circulaire, causé par deux vents qui soufflent directement l'un contre l'autre, tombe par son poids, & prend la figure d'une colonne, tantôt conique, tantôt cylindrique. Elle tient toujours en - haut par sa base, tandis que la pointe regarde en-bas.

" On ne sauroit examiner ces trombes de mer avec toute l'exactitude requise ; car comme les Marins n'ignorent pas le danger auquel ils sont alors exposés, ils les évitent autant qu'il leur est possible. On n'a pourtant pas laissé d'observer qu'elles sont creuses en-dedans & sans eau, parce que la force centrifuge pousse hors du centre les parties internes, qui se meuvent alors d'un mouvement rapide & circulaire, avec lequel le tourbillon est emporté comme autour d'un axe. La surface interne qui est creuse, ressemble assez bien à une vis d'Archimede, à cause de l'eau qui tombe par son propre poids, & qui tournant en même tems avec beaucoup de rapidité, fait effort pour se jetter en-dehors par sa force centrifuge, ou pour s'éloigner davantage du centre de mouvement. Plusieurs parties aqueuses se détachent de la circonférence, & forment la pluie qui tombe tout-autour du tourbillon. Cette colonne ne tombe cependant pas toujours en-bas, elle ne s'arrête pas non plus, mais elle est quelquefois emportée par le vent inférieur, lorsqu'il est le plus fort, de sorte qu'elle est comme suspendue obliquement à la nuée ; il arrive quelquefois qu'étant ainsi suspendue, elle forme une courbure ou angle, ou qu'elle paroît double, comme dans la fig. 3. de Physique. Lorsque l'un des deux vents inférieurs est plus fort que l'autre, le tourbillon est emporté par le vent qui souffle avec le plus de violence, & flotte par conséquent au-dessus de la mer & de la terre ferme. Lorsqu'il se tient suspendu au-dessus de la mer, & qu'il est presque descendu sur sa surface, il s'éleve de la mer une autre petite colonne B, qui va à la rencontre de la supérieure. En effet, comme la trombe est creuse en-dedans, & qu'elle ne contient autre chose qu'un air fort raréfié, puisque les parties s'éloignent continuellement du centre, & que l'air fait aussi la même chose, l'athmosphere comprime alors la mer par son propre poids, & la fait monter vers la trombe qui se trouve suspendue tout vis-à-vis. Il en est de même à cet égard, comme à l'égard de l'eau que l'on presse dans une pompe lorsqu'on leve le piston. De-là vient que l'air s'insinue dans ces cavités entre la mer & la partie inférieure du tourbillon, & qu'il emporte tous les corps légers, qu'il éleve ensuite dans le tourbillon. Il en tombe alors une quantité prodigieuse d'eau qui fait monter celle de la mer, de sorte qu'il se forme tout-à-l'entour du tourbillon une épaisse bruïne C, fig. 7. qui s'éleve comme une vapeur qui bout. Par-tout où ce tourbillon tombe, il y cause de grandes inondations par la prodigieuse quantité d'eau qu'il répand. Il en tombe même quelquefois de la grêle. Les dégâts qu'il cause sont affreux : il met tout sens-dessus-dessous, il force & réduit en pieces les corps les plus forts, il arrache les arbres les plus gros, il rompt & brise leurs branches quelque grosses qu'elles soient, il renverse les vaisseaux qu'il fait périr, & même beaucoup plus vîte que s'ils étoient frappés de quelque coup de vent le plus impétueux ". Mussch. Ess. de phys. §. 1688.

Les trombes sont fort fréquentes auprès de certaines côtes de la Méditerranée, sur-tout lorsque le ciel est fort couvert & que le vent souffle en même tems de plusieurs côtés ; elles sont plus communes près des caps de Laodicée, de Grecgo & de Carmel, que dans les autres parties de la Méditerranée.

Mais il faut distinguer, dit M. de Buffon, deux especes de trombes : la premiere, qui est la trombe dont nous venons de parler, n'est autre chose qu'une nuée épaisse, comprimée, resserrée & réduite en un petit espace par des vents opposés & contraires, lesquels soufflant en même tems de plusieurs côtés, donnent à la nuée la forme d'un tourbillon cylindrique, & font que l'eau tombe tout-à-la-fois sous cette forme cylindrique ; la quantité d'eau est si grande & la chûte en est si précipitée, que si malheureusement une de ces trombes tomboit sur un vaisseau, elle le briseroit & le submergeroit dans un instant. On prétend, & cela pourroit être fondé, qu'en tirant sur la trombe plusieurs coups de canons chargés à boulets, on la rompt, & que cette commotion de l'air la fait cesser assez promtement ; cela revient à l'effet des cloches qu'on sonne pour écarter les nuages qui portent le tonnerre & la grêle.

L'autre espece de trombe, continue M. de Buffon, s'appelle typhon ; & plusieurs auteurs ont confondu le typhon avec l'ouragan, sur-tout en parlant des tempêtes de la mer de la Chine, qui est en effet sujette à tous deux, cependant ils ont des causes bien différentes. Le typhon ne descend pas des nuages comme la premiere espece de trombe, il n'est pas uniquement produit par le tournoiement des vents comme l'ouragan, il s'éleve de la mer vers le ciel avec une grande violence ; & quoique ces typhons ressemblent aux tourbillons qui s'élevent sur la terre en tournoyant, ils ont une autre origine. On voit souvent, lorsque les vents sont violents & contraires, les ouragans élever des tourbillons de sable, de terre, & souvent ils enlevent & transportent dans ce tourbillon les maisons, les arbres, les animaux. Les typhons de mer au contraire restent dans la même place, & ils n'ont pas d'autre cause que celle des feux souterrains ; car la mer est alors dans une grande ébullition, & l'air est si fort rempli d'exhalaisons sulfureuses que le ciel paroît caché d'une croute couleur de cuivre, quoiqu'il n'y ait aucun nuage, & qu'on puisse voir à-travers ces vapeurs le soleil & les étoiles ; c'est à ces feux souterrains qu'on peut attribuer la tiédeur de la mer de la Chine en hiver, où ces typhons sont très-fréquens. Voyez Acta erud. Lips. supplem. tome I. pag. 405. Hist. nat. génér. & part. tome I.

Voici ce que dit Thévenot, dans son voyage du Levant. " Nous vîmes des trombes dans le golfe Persique, entre les îles Quésomo, Laréca, & Ormus. Je crois que peu de personnes ont considéré les trombes avec toute l'attention que j'ai faite, dans la rencontre dont je viens de parler, & peut-être qu'on n'a jamais fait les remarques que le hasard m'a donné lieu de faire ; je les exposerai avec toute la simplicité dont je fais profession dans tout le récit de mon voyage, afin de rendre les choses plus sensibles & plus aisées à comprendre.

La premiere qui parut à nos yeux étoit du côté du nord ou tramontane, entre nous & l'île Quésomo, à la portée d'un fusil du vaisseau ; nous avions alors la proue à grec-levant ou nord-est. Nous apperçumes d'abord en cet endroit l'eau qui bouillonnoit & étoit élevée de la surface de la mer d'environ un pié, elle étoit blanchâtre, & au - dessus paroissoit comme une fumée noire un peu épaisse, de maniere que cela ressembloit proprement à un tas de paille où on auroit mis le feu, mais qui ne feroit encore que fumer ; cela faisoit un bruit sourd, semblable à celui d'un torrent qui court avec beaucoup de violence dans un profond vallon ; mais ce bruit étoit mêlé d'un autre un peu plus clair, semblable à un fort sifflement de serpens ou d'oies ; un peu après nous vîmes comme un canal obscur qui avoit assez de ressemblance à une fumée qui va montant aux nues en tournant avec beaucoup de vîtesse, ce canal paroissoit gros comme le doigt, & le même bruit continuoit toujours. Ensuite la lumiere nous en ôta la vue, & nous connumes que cette trombe étoit finie, parce que nous vîmes qu'elle ne s'élevoit plus, & ainsi la durée n'avoit pas été de plus d'un demi-quart d'heure. Celle-là finie nous en vîmes une autre du côté du midi qui commença de la même maniere qu'avoit fait la précédente ; presqu'aussi-tôt il s'en fit une semblable à côté de celle-ci vers le couchant, & incontinent après une troisieme à côté de cette seconde ; la plus éloignée des trois pouvoit être à portée du mousquet loin de nous ; elles paroissoient toutes trois comme trois tas de paille hauts d'un pié & demi ou de deux, qui fumoient beaucoup, & faisoient même bruit que la premiere. Ensuite nous vîmes tout autant de canaux qui venoient depuis les nues sur ces endroits où l'eau étoit élevée, & chacun de ces canaux étoit large par le bout qui tenoit à la nue, comme le large bout d'une trompette, & faisoit la même figure (pour l'expliquer intelligiblement) que peut faire la mamelle ou la tette d'un animal tiré perpendiculairement par quelque poids. Ces canaux paroissoient blancs d'une blancheur blafarde, & je crois que c'étoit l'eau qui étoit dans ces canaux transparens qui les faisoit paroître blancs ; car apparemment ils étoient déja formés avant que de tirer l'eau, selon que l'on peut juger par ce qui suit, & lorsqu'ils étoient vuides ils ne paroissoient pas, de même qu'un canal de verre fort clair exposé au jour devant nos yeux à quelque distance, ne paroît pas s'il n'est rempli de quelque liqueur teinte. Ces canaux n'étoient pas droits, mais courbés à quelques endroits, même ils n'étoient pas perpendiculaires, au contraire, depuis les nues où ils paroissoient entés, jusqu'aux endroits où ils tiroient l'eau, ils étoient fort inclinés, & ce qui est de plus particulier, c'est que la nue où étoit attachée la seconde de ces trois ayant été chassée du vent, ce canal la suivit sans se rompre & sans quitter le lieu où il tiroit l'eau, & passant derriere le canal de la premiere, ils furent quelque tems croisés comme en sautoir ou en croix de saint André. Au commencement ils étoient tous trois gros comme le doigt, si ce n'est auprès de la nue qu'ils étoient plus gros, comme j'ai déjà remarqué ; mais dans la suite celui de la premiere de ces trois grossit considérablement ; pour ce qui est des deux autres, je n'en ai autre chose à dire, car la derniere formée ne dura guere davantage qu'avoit duré celle que nous avions vûe du côté du nord. La seconde du côté du midi dura environ un quart - d'heure ; mais la premiere de ce même côté dura un peu davantage, & ce fut celle qui nous donna le plus de crainte, & c'est de celle-là qu'il me reste encore quelque chose à dire ; d'abord son canal étoit gros comme le doigt, ensuite il se fit gros comme le bras, & après comme la jambe, & enfin comme un gros tronc d'arbre, autant qu'un homme pourroit embrasser. Nous voyions distinctement au-travers de ce corps transparent l'eau qui montoit en serpentant un peu, & quelquefois il diminuoit un peu de grosseur, tantôt par le haut tantôt par le bas. Pour-lors il ressembloit justement à un boyau rempli de quelque matiere fluide que l'on presseroit avec les doigts, ou par haut, pour faire descendre cette liqueur, ou par bas, pour la faire monter, & je me persuadai que c'étoit la violence du vent qui faisoit ces changemens, faisant monter l'eau fort vîte lorsqu'il pressoit le canal par le bas, & la faisant descendre lorsqu'il le pressoit par le haut. Après cela il diminua tellement de grosseur qu'il étoit plus menu que le bras, comme un boyau qu'on allonge perpendiculairement, ensuite il retourna gros comme la cuisse, après il redevint fort menu ; enfin je vis que l'eau élevée sur la superficie de la mer commençoit à s'abaisser, & le bout du canal qui lui touchoit s'en sépara & s'étrécit, comme si on l'eût lié, & alors la lumiere qui nous parut par le moyen d'un nuage qui se détourna, m'en ôta la vue ; je ne laissai pas de regarder encore quelque tems si je ne le reverrois point, parce que j'avois remarqué que par trois ou quatre fois le canal de la seconde de ce même côté du midi nous avoit paru se rompre par le milieu, & incontinent après nous le revoyions entier, & ce n'étoit que la lumiere qui nous en cachoit la moitié ; mais j'eus beau regarder avec toute l'attention possible, je ne revis plus celui-ci, il ne se fit plus de trombe, &c.

Ces trombes sont fort dangereuses sur mer ; car si elles viennent sur un vaisseau, elles se mêlent dans les voiles, ensorte que quelquefois elles l'enlevent, & le laissant ensuite retomber, elles le coulent à fond, & cela arrive particulierement quand c'est un petit vaisseau ou une barque, tout-au-moins si elles n'enlevent pas un vaisseau, elles rompent toutes les voiles, ou bien laissent tomber dedans toute l'eau qu'elles tiennent, ce qui le fait souvent couler à fond. Je ne doute point que ce ne soit par de semblables accidens que plusieurs des vaisseaux dont on n'a jamais eu de nouvelles ont été perdus, puisqu'il n'y a que trop d'exemples de ceux que l'on a su de certitude avoir péri de cette maniere ".

On peut soupçonner, dit M. de Buffon, qu'il y a plusieurs illusions d'optique dans les phénomènes que ce voyageur nous raconte ; mais on a été bien aise de rapporter les faits tels qu'il a cru les voir, afin qu'on puisse les vérifier, ou du-moins les comparer avec ceux que rapportent les autres voyageurs ; voici la description qu'en donne le Gentil dans son voyage autour du monde.

" A onze heures du matin, l'air étant chargé de nuages, nous vîmes autour de notre vaisseau, à un quart de lieue environ de distance, six trombes de mer qui se formerent avec un bruit sourd, semblable à celui que fait l'eau en coulant dans des canaux souterrains ; ce bruit s'accrut peu-à-peu, & ressembloit au sifflement que font les cordages d'un vaisseau lorsqu'un vent impétueux s'y mêle. Nous remarquâmes d'abord l'eau qui bouillonnoit & qui s'élevoit au-dessus de la surface de la mer d'environ un pié & demi ; il paroissoit au - delà de ce bouillonnement un brouillard, ou plutôt une fumée épaisse d'une couleur pâle, & cette fumée formoit une espece de canal qui montoit à la nue.

Les canaux ou manches de ces trombes se plioient selon que le vent emportoit les nues auxquelles ils étoient attachés, & malgré l'impulsion du vent, non-seulement ils ne se détachoient pas, mais encore il sembloit qu'ils s'alongeassent pour les suivre, en s'étrécissant & se grossissant à mesure que le nuage s'élevoit ou se baissoit.

Ces phénomènes nous causerent beaucoup de frayeur, & nos matelots au-lieu de s'enhardir, fomentoient leur peur par les contes qu'ils débitoient. Si ces trombes, disoient-ils, viennent à tomber sur notre vaisseau, elles l'enleveront, & le laissant ensuite retomber, elles le submergeront ; d'autres (& ceux-ci étoient les officiers) répondoient d'un ton décisif, qu'elles n'enleveroient pas le vaisseau, mais que venant à le rencontrer sur leur route, cet obstacle romproit la communication qu'elles avoient avec l'eau de la mer, & qu'étant pleines d'eau, toute l'eau qu'elles renfermoient tomberoit perpendiculairement sur le tillac du vaisseau & le briseroit.

Pour prévenir ce malheur on amena les voiles & on chargea le canon ; les gens de mer prétendant que le bruit du canon agitant l'air, fait crever les trombes & les dissipe ; mais nous n'eumes pas besoin de recourir à ce remede ; quand elles eurent couru pendant dix minutes autour du vaisseau, les unes à un quart de lieue, les autres à une moindre distance, nous vîmes que les canaux s'étrécissoient peu-à-peu, qu'ils se détacherent de la superficie de la mer, & qu'enfin ils se dissiperent ". Page 191. tome I.

Il paroît, dit M. de Buffon, par la description que ces deux voyageurs donnent des trombes, qu'elles sont produites, au-moins en partie, par l'action d'un feu ou d'une fumée qui s'éleve du fond de la mer avec une grande violence, & qu'elles sont fort différentes de l'autre espece de trombe qui est produite par l'action des vents contraires, & par la compression forcée & la résolution subite d'un ou de plusieurs nuages, comme les décrit M. Shaw, pag. 56. tom. II.

" Les trombes, dit-il, que j'ai eu occasion de voir, m'ont paru autant de cylindres d'eau qui tomboient des nues, quoique par la réflexion des colonnes qui descendent ou par les gouttes qui se détachent de l'eau qu'elles contiennent & qui tombent, il semble quelquefois, sur-tout quand on est à quelque distance, que l'eau s'éleve de la mer en-haut. Pour rendre raison de ce phénomène, on peut supposer que les nues étant assemblées dans un même endroit par des vents opposés, ils les obligent, en les pressant avec violence, de se condenser & de descendre en tourbillons ".

Il reste beaucoup de faits à acquérir, continue M. de Buffon, avant qu'on puisse donner une explication complete de ces phénomenes ; il paroît seulement que s'il y a sous les eaux de la mer des terreins mêlés de soufre, de bitume & de minéraux, comme l'on n'en peut guere douter, on peut concevoir que ces matieres venant à s'enflammer, produisent une grande quantité d'air, comme en produit la poudre à canon ; que cette quantité d'air nouvellement généré, & prodigieusement rarefié, s'échappe & monte avec rapidité, ce qui doit élever l'eau, & peut produire ces trombes qui s'élevent de la mer vers le ciel ; & de même si par l'inflammation des matieres sulfureuses que contient un nuage, il se forme un courant d'air qui descende perpendiculairement du nuage vers la mer, toutes les parties aqueuses que contient le nuage peuvent suivre le courant d'air, & former une trombe qui tombe du ciel sur la mer ; mais il faut avouer que l'explication de cette espece de trombe, non plus que celle que nous avons donnée par le tournoiement des vents & la compression des nuages, ne satisfait pas encore à tout, car on aura raison de nous demander pourquoi l'on ne voit pas plus souvent sur la terre comme sur la mer de ces especes de trombes qui tombent perpendiculairement des nuages. Hist. nat. gen. & part. tom. I. Voyez l'analyse de l'air de M. Halles, & le traité de l'artillerie de M. Robins.

L'histoire de l'académie, année 1737, fait mention d'une trombe de terre qui parut à Capestan près de Béziers ; c'étoit une colonne assez noire qui descendoit d'une nue jusqu'à terre, & diminuoit toujours de largeur en approchant de la terre où elle se terminoit en pointe ; elle obéissoit au vent qui souffloit de l'ouest au sud-ouest ; elle étoit accompagnée d'une espece de fumée fort épaisse, & d'un bruit pareil à celui d'une mer fort agitée, arrachant quantité de rejettons d'olivier, déracinant des arbres, & jusqu'à un gros noyer qu'elle transporta jusqu'à 40 ou 50 pas, & marquant son chemin par une large trace bien battue, où trois carrosses de front auroient passé. Il parut une autre colonne de la même figure, mais qui se joignit bientôt à la premiere, & après que le tout eut disparu, il tomba une grande quantité de grêle. Ibid.

Cette espece de trombe paroît être encore différente des deux autres ; il n'est pas dit qu'elle contenoit de l'eau, & il semble, tant par ce qu'on vient d'en rapporter, que par l'explication qu'en a donnée M. Andoque lorsqu'il a fait part de ce phénomene à l'académie, que cette trombe n'étoit qu'un tourbillon de vent épaissi & rendu visible par la poussiere & les vapeurs condensées qu'il contenoit. Voyez l'hist. de l'académ. an. 1727, pag. 4. & suiv. Dans la même histoire, année 1741, il est parlé d'une trombe vue sur le lac de Genève ; c'étoit une colonne dont la partie supérieure aboutissoit à un nuage assez noir, & dont la partie inférieure qui étoit plus étroite, se terminoit un peu au-dessus de l'eau. Ce météore ne dura que quelques minutes, & dans le moment qu'il se dissipa on apperçut une vapeur épaisse qui montoit de l'endroit où il avoit paru, & là même les eaux du lac bouillonnoient & sembloient faire effort pour s'élever. L'air étoit fort calme pendant le tems que parut cette trombe, & lorsqu'elle se dissipa il ne s'ensuivit ni vent ni pluie. " Avec tout ce que nous savons déjà, dit l'historien de l'académie, sur les trombes marines, ne seroit-ce pas une preuve de plus qu'elles ne se forment point par le seul conflit des vents, & qu'elles sont presque toujours produites par quelque éruption de vapeurs souterraines, ou même de volcans, dont on sait d'ailleurs que le fond de la mer n'est pas exempt. Les tourbillons d'air & les ouragans, qu'on croit communément être la cause de ces phénomenes, pourroient donc bien n'en être que l'effet ou une suite accidentelle. Voyez l'hist. de l'académ. an. 1741. pag. 20 ".


TROMBONES. m. (Musiq. instrum.) nom que les Italiens donnent à une espece de trompette ; il y en a de plusieurs grandeurs qui servent à exécuter diverses parties de la musique. Il y en a une petite qui peut servir pour la haute-contre, & la partie notée qui lui est destinée s'intitule ordinairement trombone. 1°. Il y en a une autre un peu plus grande qu'on nomme trombone maggiore, qui peut servir pour la taille ; on intitule sa partie trombone. 2°. Il y en a une troisieme encore plus grande nommée par les Italiens trombone grosso qu'on pourroit suppléer par nos quintes de violons & de hautbois ; on intitule sa partie trombone. 3°. Enfin il y en a une qui est la plus grande de toutes, qui se fait entendre sur-tout dans le bas ; on intitule sa partie trombone. 4°. On lui donne ordinairement la clé de Fut fa sur la quatrieme ligne, mais aussi fort souvent sur la cinquieme ligne d'en-haut, à cause de la gravité & profondeur de ses sons. Brossard. (D.J.)


TROMBUSS. m. terme de Chirurgie, petite tumeur qui survient à l'occasion d'une saignée. Voyez TRUMBUS. (Y)


TROMELIA(Géog. anc.) ville de l'Achaïe, selon Athénée : cette ville donnoit son nom à un excellent fromage qui s'y faisoit, & que les anciens nommoient Tromelius caseus. (D.J.)


TROMENTUS-CAMPUS(Géog. anc.) campagne d'Italie. Festus dit qu'elle avoit donné son nom à la tribu Tromentine. Plusieurs anciennes inscriptions font mention de cette tribu. Elle fut, selon Tite-Live, l. VI. c. v. une des quatre tribus qui furent ajoutées aux vingt - une anciennes, l'an 368 de la fondation de Rome. On croit que Tromentus-Campus étoit dans l'Etrurie. (D.J.)


TROMPES. f. (Conchyl.) ce mot désigne la partie inférieure du buccin ; coquille que les Hollandois appellent trompette. (D.J.)

TROMPES DE FALLOPE, en Anatomie, sont deux canaux qui partent du fond de la matrice, l'un d'un côté, l'autre de l'autre, & qui aboutissent aux ovaires : elles ont beaucoup de part dans les opérations de la conception. Voyez CONCEPTION.

On les appelle tubae, c'est-à-dire, trompes à cause de leur forme ; parce qu'à leur commencement ou à leur extrêmité qui est dans la matrice, elles sont si étroites, qu'on auroit peine à y introduire une aiguille à tricoter ; mais à mesure qu'elles s'avancent vers les ovaires, elles deviennent plus grosses, & sont enfin assez larges pour y mettre le doigt ; d'où elles se contractent encore, & aux extrêmités qui sont proches des ovaires, elles s'étendent comme un feuillage qui est garni tout-autour d'une frange faite d'un nombre infini de petites fibres qui ressemblent assez au pavillon d'une trompette.

Les trompes de Fallope ont quatre ou cinq pouces de long : elles sont composées d'une double membrane qui vient des membranes internes & externes de l'uterus. Leur extrêmité vers l'ovaire, dans le tems de la conception, tems auquel toute la trompe se dilate, s'attache à l'ovaire & l'embrasse, quoique dans un autre tems elle paroisse en être un peu distante & ne toucher que superficiellement avec sa frange le côté inférieur de l'ovaire.

L'usage de ces trompes est de transporter la semence, ou plutôt les oeufs de la femme & des autres animaux, des testicules ou ovaires dans l'uterus ou la matrice. Voyez OVAIRE & MATRICE.

Elles sont composées pour la plus grande partie de fibres charnues dont les unes sont longitudinales & les autres circulaires, & d'un tissu de veines & d'arteres qui forment une espece de corps réticulaire ou creux, qui est semblable au clitoris. Cette structure les rend capables de dilatation & de contraction, suivant la quantité & l'obstacle que le sang y apporte ; & par conséquent, suivant la maniere dont elles se redressent & embrassent l'ovaire pendant le coït ; ce qu'elles ne peuvent pas faire dans leur état naturel. Voyez GENERATION.

Elles tirent leur dénomination de Fallope de Modène, qui mourut en 1562, & qu'on regarde comme celui qui les a découverts le premier : cependant nous trouvons que Rufus d'Ephèse en a fait une description exacte, long-tems avant Fallope.

Les oeufs ou embryons sont quelquefois arrêtés dans les trompes de Fallope, sans pouvoir descendre dans la matrice. Voyez FOETUS.

On en a souvent trouvé des exemples dans les dissections : mais le plus remarquable est celui qu'a rapporté Abraham Cyprianus, célebre médecin d'Amsterdam, dans une lettre adressée à monsieur Thomas Millington, dans laquelle il fait une description de la maniere dont il tira un foetus de vingt & un mois, hors de la trompe de Fallope, d'une femme qui a vécu & a eu plusieurs enfans depuis cette opération. Voyez Planch. anat. (Myol.) fig. 9. c. c. & fig. 11. e. e.

Il est fait mention, Mem. de l'Acad. royale des Sc. année 1702. de deux observations sur un foetus humain trouvé dans une des trompes de la matrice, année 1712 ; d'une autre, sur un foetus renfermé dans un sac formé par la membrane externe de la trompe droite.

TROMPE D'EUSTACHE, est le canal de communication entre la bouche & le tympan de l'oreille. Valsalva lui donne ce nom de sa figure, & c'est Eustache qui l'a découvert. Voyez OREILLE & BOUCHE.

TROMPE, (Hist. nat. des Insectes) en latin lingua, promuscis, partie de la bouche des insectes ; cette partie s'appelle autrement le syphon ou la langue des insectes. Aristote la nomme trompe, par allusion à celle des élephans, & c'est sous cet ancien nom, que nous en parlerons ici fort briévement.

Quelques insectes, comme les grillons sylvestres, la portent entre leurs tenailles. Il y en a qui peuvent la retrécir & l'étendre selon leur volonté.

Les papillons la portent fort adroitement entre les deux tiges ou lames barbues, qui servent à la cacher & à la garantir ; & d'autres la couchent sous leur ventre, qui pour cet effet a une petite cannelure, où elle est en sureté. Les punaises des arbres sont dans ce cas ; elles ont une fente dans laquelle elles couchent leur trompe.

Cette trompe des insectes n'est pas toujours d'une égale longueur ; les uns l'ont fort courte, & dans les autres elle est plus longue que tout le corps : telle est encore la trompe des papillons, qui est un chef-d'oeuvre en son genre. Quand elle est étendue, sa longueur excede celle de l'animal même, & il la roule & la déroule cependant avec une vîtesse incroyable.

Quand on regarde la trompe de quelque insecte au-travers d'une loupe, l'on découvre qu'elle est finement travaillée, & d'une maniere proportionnée à leur genre de vie ; toutes les parties en sont disposées avec tant d'art, qu'il n'y a rien de trop, ni de trop peu.

Dans plusieurs insectes elle est renfermée dans une espece de fourreau, dont le bout pointu leur sert à percer les choses qui contiennent leur nourriture. Quand ils l'ont fait, ils ouvrent ce fourreau, & appliquent la trompe dans l'ouverture afin de tirer le suc qui y est. Elle leur sert donc, comme on le voit, de syphon pour attirer les liqueurs dont ils font leur aliment ; & outre cela elle leur sert à piquer & à blesser comme on pourroit le faire avec une lancette.

Quoique cette trompe soit si petite, qu'on ne sauroit l'appercevoir sans le secours d'une loupe ; elle est néanmoins si forte, qu'elle peut sans peine percer le cuir le plus dur & le plus épais. La trompe du moucheron, par exemple, a cet avantage.

La trompe des cousins, des mouches & de divers autres insectes, leur sert seulement pour sucer le sang des animaux, & les autres liqueurs dont ils se nourrissent ; ce qu'ils font de cette maniere : leur trompe étant un tuyau disposé de telle sorte qu'il se plisse pour s'accourcir, & qu'il étend ses plis pour s'allonger, il arrive que quand l'insecte veut tirer le sang d'un animal, il allonge sa trompe & cherche dans la peau un pore ouvert pour l'y introduire, & l'y fourrer assez avant pour trouver le sang qui monte dans la cavité de la trompe, par le moyen de la dilatation qui arrive au corps de l'insecte. (D.J.)

TROMPE, (Archit.) espece de voûte en saillie qui semble se soutenir en l'air. Elle est ainsi nommée, ou parce que sa figure est semblable à une trompe, ou conque marine, ou parce qu'elle trompe ceux qui la regardent, & qui ne connoissent point l'artifice de son appareil.

Trompe dans l'angle ; trompe qui est dans le coin d'un angle rentrant ; il y en a une dans la rue de la Savaterie à Paris, que Philibert de Lorme avoit faite pour un banquier. Voyez son architecture, liv. IV. chap. xj.

Trompe de Montpellier ; espece de trompe dans l'angle qui est en tour ronde & différente des autres trompes en ce qu'elle a de montée deux fois la largeur de son ceintre. On en voit dans Montpellier, où cette trompe a été inventée ; une autre au quartier du palais qui est barlongue ; elle est plus estimée que l'autre. Elle a environ 7 piés de large sur 11 de long.

Trompe en niche ; trompe concave en maniere de coquille, & qui n'est pas réglée par son profil, comme la trompe qui porte le bout de la galerie de l'hôtel de la Vrilliere, rue neuve des Bons-Enfans à Paris. On la nomme aussi trompe sphérique.

Trompe en tour ronde ; trompe dont le plan sur une ligne droite rachette une tour ronde par le devant, & qui est faite en maniere d'éventail ; telles sont les trompes de l'extrêmité de la galerie de l'hôtel de la Feuillade, à la place des Victoires à Paris.

Trompe ondée ; trompe dont le plan est ceintré en onde par sa fermeture. Telle est la trompe du château d'Anet, qui a été démontée de l'endroit où Philibert de Lorme l'avoit bâtie, pour servir de cabinet au roi Henri II. & remontée en une autre place avec beaucoup de soin par Girard Vyet, architecte du duc de Vendôme.

Trompe réglée ; trompe qui est droite par son profil ; il y en a une derriere l'hôtel de Duras, près la place Royale à Paris.

Trompe sur le coin ; c'est une trompe qui porte l'encoigneure d'un bâtiment pour faire un pan coupé au rez-de-chaussée. Il y a une de ces trompes au village de Saint-Cloud ; mais la plus belle qui ait été construite, est celle qui est au bout du pont de pierre sur la Saône à Lyon, ouvrage de M. Desargues, qui est un monument de sa capacité dans l'art de la coupe des pierres. Daviler. (D.J.)

TROMPE, (Pyrothecn.) une trompe est une assemblage de plusieurs pots-à-feu, les uns au-dessus des autres, & qui partent successivement ; de maniere que le premier en jettant sa garniture, donne feu à la composition lente du porte-feu du second, & ainsi des autres. On en fait à autant de reprises que la longueur du fourreau en peut contenir, mais communément à cinq ou six.

Les trompes sont peu en usage dans les feux de terre ; on n'en fait guere que pour les tirer à la main, & s'amuser à diriger leur garniture où l'on veut ; mais on les emploie beaucoup dans les feux sur l'eau, soit pour faire vomir du feu à un monstre marin, soit pour en former ce qu'on appelle des barrils de trompes dans les auteurs de Pyrotechnie, car il n'est pas possible d'entrer ici dans ces petits détails. (D.J.)

TROMPE, (terme de Mercier) on dit à Paris guimbarde ; sorte d'instrument composé seulement de deux petites lames de laiton ou d'acier, réunies avec une languette au milieu qui fait ressort, & qu'on touche lestement avec les doigts, tandis qu'on la tient entre les dents ; elle rend un frémissement ou bourdonnement sourd musical par le mouvement de la langue & l'ouverture de la bouche. (D.J.)

TROMPE, cors de chasse, petit & grand.


TROMPERv. act. (Gramm.) surprendre, séduire, décevoir, abuser de l'ignorance, de la confiance, de la crédulité, de la facilité de quelqu'un. Il est plus honteux de tromper, que d'être trompé. A force d'être fin, on se trompe soi-même. Ma fuite a trompé sa vengeance. Les ennemis ont trompé sa prudence.

TROMPER un cheval à la demi-volte d'une ou de deux prises, (Maréchal.) cela arrive, par exemple, si le cheval maniant à droite, & n'ayant encore fourni que la moitié de la demi-volte, on le porte un tems en avant avec la jambe de dedans, & on reprend à main gauche dans la même cadence qu'on avoit commencé ; par-là on regagne l'endroit où la demi-volte avoit été commencée à droite, & on se trouve à gauche. On peut tromper un cheval à quelque main qu'il manie. Voyez VOLTE, DEMI-VOLTE, &c.


TROMPETTEOISEAU, (Hist. natur. Ornithol.) l'oiseau appellé trompetero par les Espagnols, dans la province de Maynas, est le même qu'on nomme agami au Para & à Cayenne. Il est fort familier, & n'a rien de particulier que le bruit qu'il fait quelquefois, qui lui a valu le nom d'oiseau trompette. C'est mal-à-propos que quelques-uns ont pris ce nom pour un chant ou pour un ramage ; il paroît qu'il se forme dans un organe tout différent, & précisément opposé à celui de la gorge. Mém. de l'acad. des Scienc. année 1745. (D.J.)


TROMPILLONS. m. (Coupe des pierres) c'est la naissance, le milieu d'une trompe, qui est au sommet du cône dans les coniques, & au pole de la sphere dans les sphériques. C'est une pierre d'une seule piece qu'on est forcé de faire ainsi pour occuper la place de plusieurs extrêmités de voussoirs en pointe, qui seroient tellement aigus, qu'on ne pourroit les tailler & les poser sans risque de les casser.

On appelle aussi trompillons les petites trompes faites de plusieurs pieces sous les quartiers tournans de certains escaliers.


TRONSAINT -, (Géog. mod.) ville d'Allemagne, dans l'évêché de Liége, capitale de la Hasbaye, aux frontieres du Brabant. Long. 22. 53. lat. 50. 40. (D.J.)


TRONCS. m. (Bot.) Le tronc est la partie des plantes qui naît de la racine, & qui ordinairement soutient les feuilles, les fleurs, & les fruits ; on distingue deux sortes de tronc qui sont la tige & le chaume.

La tige est simple ou composée. La tige simple est celle qui se continue sans interruption depuis le bas de la plante jusqu'au haut ; elle est dénuée ou garnie de branches & de feuilles ; elle s'éleve droit ou obliquement, en s'entortillant, ou en se pliant ; elle se panche, elle retombe, ou elle rampe, ou elle pousse des sarmens ; elle est vivace, en arbrisseau, en sous-arbrisseau, ou annuelle ; elle est cylindrique, à deux angles, à trois angles, &c. à plusieurs angles ; elle est cannelée, en gouttiere, lisse, velue, raboteuse, ou hérissée de poils.

La tige branchue pousse des branches latérales qui montent, ou qui s'écartent ; elle a de grosses branches, quantité de petits rameaux ; elle porte des supports, ou elle est prolifique ; elle a d'ailleurs tous les attributs de la tige non branchue.

La tige composée est celle qui se perd en se ramifiant ; elle se divise en deux branches ; elle se partage en deux rangs de branches, ou elle se sousdivise.

Le chaume est une tige fistuleuse & garnie de feuilles, qui porte ordinairement des épis ou des panicules comme dans les graminées ; le chaume est entier, ou branchu, uniforme, articulé, écailleux, dénué ou garni de feuilles. flor. paris. Prodr.

TRONC, en Anatomie, signifie le buste du corps humain, à l'exclusion de la tête & des membres. Voyez BUSTE.

Tronc se dit aussi du corps principal d'une artere ou d'une veine, à la différence de ses branches & de ses rameaux. Voyez VEINE & ARTERE.

Ce mot se dit particulierement de certaines parties de l'aorte & de la veine cave. Voyez les Planches anat. Voyez aussi AORTE & VEINE CAVE.

TRONC, s. m. (Archit.) c'est le fût d'une colonne, & le dé d'un piédestal.

TRONC, (terme d'église) coffre de bois ou de fer, fixé dans un endroit de l'église, & fermant à la clé ; le haut de ce coffre est fait en talud, ayant au milieu une fente pour recevoir les aumônes que les gens de bien donnent aux pauvres de la paroisse. Les troncs furent établis en France dans les églises au commencement du xiij. siecle par Innocent III. afin que les fideles y pussent déposer leurs aumônes en tout tems.


TRONCHES. f. (Archit.) grosse & courte piece de bois comme un bout de poutre, dont on peut tirer une courbe rampante pour un escalier. (D.J.)


TRONCHETen terme d'Orfevre en grosserie, c'est proprement le billot sur lequel se montent les bigornes, les tas & les boules de toutes especes. Le tronchet est percé à cet effet de trous de diverses grandeurs. Voyez Pl. & fig.

TRONCHET, s. m. (terme de Tonnelier) sorte de gros billot ordinairement élevé sur trois piés, servant à doler & à hacher. (D.J.)


TRONCHONS. m. (Hist. nat.) poisson de mer, large, court, applati & sans écailles ; il a le dos bleu & le ventre blanc ; il ressemble au lampugo par ses nageoires, à l'exception de celle du dos, qui, au lieu de s'étendre sur toute sa longueur, ne commence que vers le milieu. Voyez LAMPUGO. Le tronchon a sur les côtés du corps deux traits placés l'un audessus de l'autre, qui s'étendent depuis la tête jusqu'à la queue ; le trait supérieur est courbe. Rondelet, hist. nat. des poissons, I. part. liv. VIII. ch. xix. Voyez POISSON.


TRONÇONS. m. (Archit.) morceau de marbre ou de pierre, dont deux, trois ou quatre posés de lit en joint, forment le fût d'une colonne. On appelle colonne par tronçons, une colonne faite de trois ou de quatre morceaux de pierre ou de marbre, différens des tambours, parce qu'ils sont plus hauts que la largeur du diamêtre de la colonne. On en fait aussi de tronçons de bronze, chacun d'un jet, dont les joints sont recouverts par des ceintres de feuilles. Daviler. (D.J.)

TRONÇON, s. m. (Hydraul.) se dit d'un tuyau de grais séparé, qui a deux piés de long, que l'on encastre avec un autre de même longueur, & que l'on joint par des noeuds de filasse & de mastic. (K)

TRONÇON, (Maréchal.) le tronçon de la queue n'est autre chose que les vertebres de la queue vers la croupe. On enveloppe le tronçon de la queue des chevaux avec un morceau de cuir qu'on appelle trousse-queue. Voyez TROUSSE-QUEUE.

TRONÇON, (Hist. mod.) mot dérivé du latin truncus ; c'est une espece de bâton fort court, que portent les rois, les généraux, & les grands officiers militaires, comme la marque de leur autorité. Voyez BATON DE COMMANDEMENT.


TRONÇONNÉadj. dans le Blason, signifie une croix ou autre chose coupée par morceaux & démembrée, desorte cependant que toutes les pieces conservent la forme d'une croix, quoiqu'elles soient séparées les unes des autres par un petit intervalle. Voyez CROIX.


TRONEvoyez THRONE.

TRONE, s. m. (Comm.) sorte de poids : c'étoit autrefois ce qu'on appelle aujourd'hui en Angleterre troy weight ou poids de douze onces à la livre. Voyez POIDS.


TRONIERES. f. (Artillerie) c'est une ouverture qu'on fait dans les batteries & attaques de places pour tirer le canon. Les tronieres doivent être larges de trois piés par-dedans, & distantes l'une de l'autre de vingt piés. On les ouvre dans la terre naturelle, quand on fait des batteries de pieces enterrées. Les tronieres & épaules doivent être faites & élevées avant que l'ennemi s'en apperçoive. Il faut que la premiere planche de l'esplanade joignant la barbe de la troniere, soit de neuf piés. (D.J.)


TRONIS(Géog. anc.) petite contrée de la Phocide, au pays des Dauliens. On y voit, dit Pausanias, l. X. c. iv. le tombeau d'un héros que ces peuples regardent comme leur fondateur. Les uns disent que c'est Xantippe, homme de réputation à la guerre ; & les autres que c'est Phocus, petit-fils de Sisyphe. Ce héros, quoiqu'il fût, étoit honoré tous les jours par des sacrifices ; on faisoit couler le sang des victimes dans son tombeau par une ouverture destinée à cet usage ; & les chairs de ces victimes étoient consumées par le feu. (D.J.)


TRONQUÉadj. (Gram.) voyez TRONQUER.

TRONQUE, adj. (Géom.) on appelle pyramide tronquée une pyramide dont on a retranché la partie supérieure par un plan, soit parallele à la base, soit incliné d'une maniere quelconque. Il en est de même d'un cône tronqué.

Ce mot vient du latin truncare qui signifie ôter une partie du tout. C'est du même mot que sont dérivés tronc, tronçon, &c. Chambers.

Dans la fig. 5, n°. 2 d'arpentage, la partie de la pyramide quadrangulaire comprise entre les plans B, b, & de la hauteur A a, est une pyramide tronquée.

Pour en trouver la solidité, faites usage du théorème suivant : soit B le côté donné de la plus grande base (tab. d'Arpent. fig. 5, n °. 2.), b le côté de la plus petite base, A la hauteur du corps tronqué : supposons enfin que B '& b 'représentent les aires de ces deux bases, & que la hauteur totale de la pyramide a + A = H.

1°. Pour trouver a, dites B - b. b. : : A ((A b)/(B b)) ou (A b)/x Maintenant B'H vaut le triple de la pyramide, à cause qu'une pyramide n'est que le tiers d'un prisme de même base & de même hauteur, & b'a est le triple de la pyramide supérieure ; ainsi (BH - ba)/3 est l'expression de la solidité de la pyramide tronquée. Voici le théorème énoncé en langage ordinaire.

Multipliez la base inférieure par la hauteur totale ; ôtez de ce produit la base supérieure multipliée par la hauteur de la pyramide supérieure que l'on a enlevée, & prenez le tiers de ce reste, vous aurez la solidité de la pyramide tronquée.

Vous pouvez suivre la même méthode à l'égard d'un cône tronqué, excepté que vous aurez un peu plus de peine à trouver les bases circulaires dont l'aire demande plus de calcul ; encore ne peut-on avoir cette aire que par approximation. Voy. CONE. Chambers. (E)

TRONQUE, en termes de Blason, se dit des arbres coupés par les deux bouts.


TRONQUERv. act. (Gram.) c'est ôter à une chose considérée comme un tout une portion qui la défigure, dépare ou rend incomplete. Un morceau de poésie tronqué, un passage tronqué, un livre tronqué, un arbre tronqué.


TRONSOND(Géog. mod.) nom d'une contrée, d'un cap & d'un détroit de la Norwege.

La contrée de Tronsond est dans la partie septentrionale de la Norwege, au gouvernement de Wardhus. Le cap & le détroit sont aussi situés dans le même lieu ; le cap est couvert de plusieurs îles, à l'occident, au nord & à l'orient. (D.J.)


TRONTINO LE(Géog. mod.) riviere d'Italie, au royaume de Naples, dans l'Abruzze ultérieure. Elle arrose Teramo, & se perd dans le golfe de Venise. On croit que c'est le Juvantius des anciens. (D.J.)


TROPAEA(Géog. anc.) ou ad Tropaea, ville d'Italie, chez les Brutiens, au voisinage du port d'Hercule. Etienne le géographe place cette ville dans la Sicile : cela vient de ce que de son tems les auteurs donnoient à cette partie d'Italie le nom de Sicile. Dans les actes des conciles, cette ville est simplement nommée Tropaea, nom qu'elle conserve encore aujourd'hui. (D.J.)


TROPAEA AUGUSTI(Géog. anc.) ville de la Ligurie. Ptolémée, l. III. c. j. la donne aux Marseillois, & la met entre le port d'Hercule & celui de Monaco. Quelques-uns veulent que ce soit aujourd'hui Torbia ou Turbia, & d'autres Villa-Franca. (D.J.)


TROPAEA DRUSI(Géog. anc.) ville de la Germanie, selon Ptolémée, l. II. c. ij. Elle étoit à moitié chemin entre la Sala & le Rhin, dans l'endroit où Drusus, selon Ortélius, qui a cru mal-à-propos que cette ville étoit l'endroit dont Dion-Cassius, l. XV. a voulu parler sous le nom de Trophées de Drusus. Il n'étoit point question alors de ville dans ce lieu-là. Les Romains après leur victoire y firent un retranchement où ils éleverent un trophée des armes des vaincus, & mirent au-bas les noms de toutes les nations qui avoient eu part à la défaite. Dans la suite il put s'y former une ville, puisque Ptolémée y en marque une. (D.J.)


TROPAIRES. m. (terme de Rubriq.) le tropaire, dans l'église grecque, étoit un verset qui se chantoit après les heures, & qui pour l'ordinaire étoit à l'honneur du saint dont on faisoit la fête ce jour-là. On chantoit en certains jours des canons, c'est-à-dire, des hymnes composés de trente tropaires, & quelquefois plus. Les tropaires se chantoient sur le ton des hymnes qui en faisoient la premiere partie, & leur servoient d'antienne. Antimus & Tymoclès avoient composé la plûpart des tropaires. Voyez, si vous voulez, le glossaire de Meursius & le trésor ecclésiastique de Suicer. (D.J.)


TROPATAINE(Géog. anc.) contrée d'Asie, dans la Moesie. Ptolémée, l. VI. c. ij. l'étend depuis le pays des Geli-Margasi jusqu'à celui des Amariaci. Ce mot Tropatène est corrompu d'Atropatène. (D.J.)


TROPES. m. (Gram.) " Les tropes, dit M. du Marsais (Trop. part. I. art. iv.), sont des figures par lesquelles on fait prendre à un mot une signification qui n'est pas précisément la signification propre de ce mot... Ces figures sont appellées tropes, du grec , conversio, dont la racine est , verto. Elles sont ainsi appellées, parce que, quand on prend un mot dans le sens figuré, on le tourne, pour ainsi dire, afin de lui faire signifier ce qu'il ne signifie point dans le sens propre. Voyez SENS. Voiles, dans le sens propre, ne signifie point vaisseaux, les voiles ne sont qu'une partie du vaisseau : cependant voiles se dit quelquefois pour vaisseaux. Par exemple, lorsque, parlant d'une armée navale, je dis qu'elle étoit composée de cent voiles ; c'est un trope, voiles est là pour vaisseaux : que si je substitue le mot de vaisseaux à celui de voiles, j'exprime également ma pensée, mais il n'y a plus de figure.

Les tropes sont des figures, puisque ce sont des manieres de parler qui, outre la propriété de faire connoître ce qu'on pense, sont encore distinguées par quelque différence particuliere, qui fait qu'on les rapporte chacune à une espece à part. Voyez FIGURE.

Il y a dans les tropes une modification ou différence générale qui les rend tropes, & qui les distingue des autres figures : elle consiste en ce qu'un mot est pris dans une signification qui n'est pas précisément sa signification propre... Par exemple, il n'y a plus de Pyrénées, dit Louis XIV.... lorsque son petit-fils le duc d'Anjou, depuis Philippe V. fut appellé à la couronne d'Espagne. Louis XIV. vouloit-il dire que les Pyrénées avoient été abîmées ou anéanties ? nullement : personne n'entendit cette expression à la lettre & dans le sens propre ; elle avoit un sens figuré... Mais quelle espece particuliere de trope ? Cela dépend de la maniere dont un mot s'écarte de sa signification propre pour en prendre une autre. "

I. De la subordination des TROPES & de leurs caracteres particuliers. (Ibid. part. II. art. xxj.) " Quintilien dit que les Grammairiens, aussi-bien que les Philosophes, disputent beaucoup entre eux pour savoir combien il y a de différentes classes de tropes, combien chaque classe renferme d'especes particulieres, & enfin quel est l'ordre qu'on doit garder entre ces classes & ces especes. Circa quem (tropum) inexplicabilis, & grammaticis inter ipsos & philosophis, pugna est ; quae sint genera, quae species, quis numerus, quis cui subjiciatur. Inst. orat. lib. VIII. cap. vj.... Mais toutes ces discussions sont assez inutiles dans la pratique, & il ne faut point s'amuser à des recherches qui souvent n'ont aucun objet certain ".

[Il me semble que cette derniere observation de M. du Marsais n'est pas assez réfléchie. Rien de plus utile dans la pratique, que d'avoir des notions bien précises de chacune des branches de l'objet qu'on embrasse ; & ces notions portent sur la connoissance des idées propres & distinctives qui les caractérisent : or cette connoissance, à l'égard des tropes, consiste à savoir ce que Quintilien disoit n'être encore déterminé ni par les Grammairiens, ni par les Philosophes, quae sint genera, quae species, quis numerus, quis cui subjiciatur ; & loin d'insinuer la remarque que fait à ce sujet M. du Marsais, Quintilien auroit dû répandre la lumiere sur le système des tropes, & ne pas le traiter de bagatelles inutiles pour l'institution de l'orateur, omissis quae mihi ad instituendum oratorem pertinent cavillationibus. Une chose singuliere & digne de remarque, c'est que ces deux grands hommes, après avoir en quelque sorte condamné les recherches sur l'assortiment des parties du système des tropes, ne se sont pourtant pas contentés de les faire connoître en détail ; ils ont cherché à les groupper sous des idées communes, & à rapprocher ces grouppes en les liant par des idées plus générales : témoignage involontaire, mais certain, que l'esprit de système a pour les bonnes têtes un attrait presque irrésistible, & conséquemment qu'il n'est pas sans utilité. Voici donc comment continue le grammairien philosophe. Ibid. ]

" Toutes les fois qu'il y a de la différence dans le rapport naturel qui donne lieu à la signification empruntée, on peut dire que l'expression qui est fondée sur ce rapport appartient à un trope particulier.

C'est le rapport de ressemblance qui est le fondement de la catachrèse & de la métaphore ; on dit au propre une feuille d'arbre, & par catachrèse une feuille de papier, parce qu'une feuille de papier est à-peu-près aussi mince qu'une feuille d'arbre. La catachrèse est la premiere espece de métaphore ". [Cependant M. du Marsais, en traitant de la catachrese, part. I. art. j. dit que la langue, qui est le principal organe de la parole, a donné son nom par métonymie au mot générique dont on se sert pour marquer les idiomes, le langage des différentes nations, langue latine, langue françoise ; & il donne cet usage du mot langue, comme un exemple de la catachrèse. Voilà donc une catachrèse qui n'est point une espece de métaphore, mais une métonymie. Cette confusion des termes prouve mieux que toute autre chose la nécessité de bien établir le système des tropes. ] " On a recours à la catachrèse par nécessité, quand on ne trouve point de mot propre pour exprimer ce qu'on veut dire ". [Voilà, si je ne me trompe, le véritable caractere distinctif de la catachrèse : une métaphore, une métonymie, une synecdoque, &c. devient catachrèse, quand elle est employée par nécessité pour tenir lieu d'un mot propre qui manque dans la langue. D'où je conclus que la catachrèse est moins un trope particulier, qu'un aspect sous lequel tout autre trope peut être envisagé.] " Les autres especes de métaphores se font par d'autres mouvemens de l'imagination, qui ont toujours la ressemblance pour fondement.

L'ironie au contraire est fondée sur un rapport d'opposition, de contrariété, de différence, &, pour ainsi dire, sur le contraste qu'il y a ou que nous imaginons entre un objet & un autre ; c'est ainsi que Boileau a dit (sat. ix.) Quinault est un Virgile. " [Il me semble avoir prouvé, article IRONIE, que cette figure n'est point un trope, mais une figure de pensée.]

" La métonymie & la synecdoque, aussi-bien que les figures qui ne sont que des especes de l'une ou de l'autre, sont fondées sur quelqu'autre sorte de rapport, qui n'est ni un rapport de ressemblance, ni un rapport du contraire. Tel est, par exemple, le rapport de la cause à l'effet ; ainsi dans la métonymie & dans la synecdoque, les objets ne sont considérés ni comme semblables ni comme contraires ; on les regarde seulement comme ayant entr'eux quelque relation, quelque liaison, quelque sorte d'union : mais il y a cette différence, que, dans la métonymie, l'union n'empêche pas qu'une chose ne subsiste indépendamment d'une autre ; au lieu que, dans la synecdoque, les objets dont l'un est dit pour l'autre ont une liaison plus dépendante ; l'un est compris sous le nom de l'autre ; ils forment un ensemble, un tout.... "

[Je crois que voilà les principaux caracteres généraux auxquels on peut rapporter les tropes. Les uns sont fondés sur une sorte de similitude : c'est la métaphore, quand la figure ne tombe que sur un mot ou deux ; & l'allégorie, quand elle regne dans toute l'étendue du discours. Les autres sont fondés sur un rapport de correspondance : c'est la métonymie, à laquelle il faut encore rapporter ce que l'on désigne par la dénomination superflue de métalepse. Les autres enfin sont fondés sur un rapport de connexion : c'est la synecdoque avec ses dépendances ; & l'antonomase n'en est qu'une espece, désignée en pure perte par une dénomination différente.

Qu'on y prenne garde ; tout ce qui est véritablement trope est compris sous l'une de ces trois idées générales ; ce qui ne peut pas y entrer n'est point trope, comme la périphrase, l'euphémisme, l'allusion, la litote, l'hyperbole, l'hypotypose, &c. J'ai dit ailleurs à quoi se réduisoit l'hypallage, & ce qu'il faut penser de la syllepse.

La métaphore, la métonymie, la synecdoque, gardent ces noms généraux, quand elles ne sont dans le discours que par ornement ou par énergie ; elles sont toutes les trois du domaine de la catachrèse, quand la disette de la langue s'en fait une ressource inévitable : mais, sous cet aspect, la catachrèse doit être placée à côté de l'onomatopée ; & ce sont deux principes d'étymologie, peut-être les deux sources qui ont fourni le plus de mots aux langues : ni l'un ni l'autre ne sont des tropes. ]

II. De l'utilité des TROPES. C'est M. du Marsais qui va parler. Part. I. art. vij. §. 2.

1°. " Un des plus fréquens usages des tropes, c'est de réveiller une idée principale, par le moyen de quelque idée accessoire : c'est ainsi qu'on dit, cent voiles pour cent vaisseaux, cent feux pour cent maisons, il aime la bouteille pour il aime le vin, le fer pour l'épée, la plume ou le style pour la maniere d'écrire, &c. "

2°. " Les tropes donnent plus d'énergie à nos expressions. Quand nous sommes vivement frappés de quelque pensée, nous nous exprimons rarement avec simplicité ; l'objet qui nous occupe se présente à nous avec les idées accessoires qui l'accompagnent ; nous prononçons les noms de ces images qui nous frappent : ainsi nous avons naturellement recours aux tropes, d'où il arrive que nous faisons mieux sentir aux autres ce que nous sentons nous-mêmes. De-là viennent ces façons de parler, il est enflammé de colere, il est tombé dans une erreur grossiere, flétrir la réputation, s'enivrer de plaisir, &c. "

[Les tropes, dit le P. Lamy (rhét. liv. II. ch. vj.) font une peinture sensible de la chose dont on parle. Quand on appelle un grand capitaine un soudre de guerre, l'image du foudre représente sensiblement la force avec laquelle ce capitaine subjugue des provinces entieres, la vîtesse de ses conquêtes & le bruit de sa réputation & de ses armes. Les hommes, pour l'ordinaire, ne sont capables de comprendre que les choses qui entrent dans l'esprit par les sens : pour leur faire concevoir ce qui est spirituel, il se faut servir de comparaisons sensibles, qui sont agréables, parce qu'elles soulagent l'esprit, & l'exemptent de l'application qu'il faut avoir pour découvrir ce qui ne tombe pas sous les sens. C'est pourquoi les expressions métaphoriques prises des choses sensibles, sont très-fréquentes dans les saintes Ecritures. Lorsque les prophetes parlent de Dieu, ils se servent continuellement de métaphores tirées de choses exposées à nos sens.... ils donnent à Dieu des bras, des mains, des yeux ; ils l'arment de traits, de carreaux, de foudres ; pour faire comprendre au peuple sa puissance invisible & spirituelle, par des choses sensibles & corporelles. S. Augustin dit pour cette raison.... Sapientia Dei, quae cùm infantiâ nostrâ parabolis & similitudinibus quodammodo ludere non dedignata est, prophetas voluit humano more de divinis loqui ; ut hebetes hominum animi divina & caelestia, terrestrium similitudine, intelligerent. ]

3°. " Les tropes ornent le discours. M. Fléchier voulant parler de l'instruction qui disposa M. le duc de Montausier à faire abjuration de l'hérésie, au lieu de dire simplement qu'il se fit instruire, que les ministres de J. C. lui apprirent les dogmes de la religion catholique, & lui découvrirent les erreurs de l'hérésie, s'exprime en ces termes : tombez, tombez, voiles importuns qui lui couvrez la vérité de nos mysteres : & vous, prêtres de J. C. prenez le glaive de la parole, & coupez sagement jusqu'aux racines de l'erreur, que la naissance & l'éducation avoient fait croître dans son ame. Mais par combien de liens étoit-il retenu ?

Outre l'apostrophe, figure de pensée, qui se trouve dans ces paroles, les tropes en font le principal ornement : tombez voiles, couvrez, prenez le glaive, coupez jusqu'aux racines, croître, liens, retenu ; toutes ces expressions sont autant de tropes qui forment des images, dont l'imagination est agréablement occupée. "

(Par le moyen des tropes, dit encore le P. Lamy (loc. cit.) on peut diversifier le discours. Parlant long-tems sur un même sujet, pour ne pas ennuyer par une répétition trop fréquente des mêmes mots, il est bon d'emprunter les noms des choses qui ont de la liaison avec celles qu'on traite, & de les signifier ainsi par des tropes qui fournissent le moyen de dire une même chose en mille manieres différentes. La plûpart de ce qu'on appelle expressions choisies, tours élégans, ne sont que des métaphores, des tropes, mais si naturels & si clairs, que les mots propres ne le seroient pas davantage. Aussi notre langue, qui aime la clarté & la naïveté, donne toute liberté de s'en servir ; & on y est tellement accoutumé, qu'à peine les distingue-t-on des expressions propres, comme il paroît dans celles-ci qu'on donne pour des expressions choisies : Il faut que la complaisance ôte à la sévérité ce qu'elle a d'amer, & que la sévérité donne quelque chose de piquant à la complaisance, &c. La sagesse la plus austere ne tient pas long-tems contre les grandes largesses, & les ames vénales se laissent éblouir par l'éclat de l'or.... Ces métaphores sont un grand ornement dans le discours.]

4°. " Les tropes rendent le discours plus noble : les idées communes, auxquelles nous sommes accoutumés, n'excitent point en nous ce sentiment d'admiration & de surprise qui éleve l'ame : en ces occasions on a recours aux idées accessoires, qui prêtent, pour ainsi dire, des habits plus nobles à ces idées communes. Tous les hommes meurent également ; voilà une pensée commune : Horace a dit (1. od. 4.) : Pallida mors aequo pulsat pede pauperum tabernas regumque turres. On sait la paraphrase simple & naturelle que Malherbe a fait de ces vers :

La mort a des rigueurs à nulle autre pareilles ;

On a beau la prier,

La cruelle qu'elle est se bouche les oreilles

Et nous laisse crier.

Le pauvre en sa cabane, où le chaume le couvre,

Est sujet à ses lois ;

Et la garde qui veille aux barrieres du louvre,

N'en défend pas nos rois.

Au lieu de dire que c'est un phénicien qui a inventé les caracteres de l'Ecriture, ce qui seroit une expression trop simple pour la poésie, Brébeuf a dit : Pharsale, l. III.

C'est de lui que nous vient cet art ingénieux,

De peindre la parole & de parler aux yeux,

Et par les traits divers des figures tracées

Donner de la couleur & du corps aux pensées. "

[Ces quatre vers sont fort estimés ; dit M. le cardinal de Bernis ; (disc. à la tête de ses poésies diverses) cependant, ajoute M. l'abbé Fromant (suppl. de la gramm. gén. part. II. ch. j.) le troisieme est très-foible, & les regles exactes de la langue ne sont point observées dans le quatrieme : il faudroit dire, de donner de la couleur, & non pas donner. Cette correction est très-exacte ; & l'on auroit encore pu censurer dans le troisieme vers, les traits divers des figures, ainsi qu'on le trouve dans la plûpart des leçons de ce passage : j'ai sous les yeux une édition de la Pharsale, faite à Rouen en 1663, qui porte, comme je l'ai déjà transcrit, par les traits divers des figures ; ce que je crois plus régulier. Cependant M. l'abbé d'Olivet a conservé de dans la correction qu'il a faite des deux derniers vers, en cette maniere.

Qui par les traits divers de figures tracées,

Donne de la couleur & du corps aux pensées.

Lucain avoit ennobli à sa maniere la pensée simple dont il s'agit, & l'avoit fait avec encore plus de précision : lib. III. 220.

Phoenices primi, famae si creditur, ausi

Mansuram rudibus vocem signare figuris. ]

5°. " Les tropes sont d'un grand usage pour déguiser les idées dures, désagréables, tristes, ou contraires à la modestie ".

6°. " Enfin les tropes enrichissent une langue, en multipliant l'usage d'un même mot ; ils donnent à un mot une signification nouvelle, soit parce qu'on l'unit avec d'autres mots auxquels souvent il ne se peut joindre dans le sens propre, soit parce qu'on s'en sert par extension & par ressemblance, pour suppléer aux termes qui manquent dans la langue ". [On peut donc dire des tropes en général, ce que dit Quintilien de la métaphore en particulier : (Inst. VIII. vj.) Copiam quoque sermonis auget, permutando aut mutuando quod non habet : quòdque difficillimum est, praestat ne ulli rei nomen deesse videatur ].

" Mais il ne faut pas croire avec quelques savans, (M. Rollin, traité des études, tom. II. pag. 426. Ciceron, de oratore, n°. 155. alit. xxxviij. Vossius, Inst. orat. lib. IV. cap. vj. n. 14.) que les tropes n'aient d'abord été inventés que par nécessité, à cause du défaut & de la disette des mots propres, & qu'ils aient contribué depuis à la beauté & à l'ornement du discours, de même à-peu-près que les vêtemens ont été employés dans le commencement pour couvrir le corps & le défendre contre le froid, & ensuite ont servi à l'embellir & à l'orner. Je ne crois pas qu'il y ait un assez grand nombre de mots qui suppléent à ceux qui manquent, pour pouvoir dire que tel ait été le premier & le principal usage des tropes. D'ailleurs ce n'est point là, ce me semble, la marche, pour ainsi dire, de la nature ; l'imagination a trop de part dans le langage & dans la conduite des hommes, pour avoir été précédée en ce point par la nécessité. "

Je pense bien autrement que M. du Marsais à cet égard ; ce n'est point là, dit-il, la marche de la nature : c'est elle-même ; la nécessité est la mere des arts, & elle les a tous précédés. Il n'y a pas, dit-on, un assez grand nombre de mots qui suppléent à ceux qui manquent, pour pouvoir dire que le premier & le principal usage des tropes ait été de completer la nomenclature des langues. Cette assertion est hasardée, ou bien l'auteur n'entendoit pas assez ce qu'il faut entendre ici par la disette des mots propres.

Rien ne peut, dit Locke, nous approcher mieux de l'origine de toutes nos notions & connoissances, que d'observer combien les mots dont nous nous servons dépendent des idées sensibles, & comment ceux qu'on employe pour signifier des actions & des notions tout-à-fait éloignées des sens, tirent leur origine de ces mêmes idées sensibles, d'où ils sont transférés à des significations plus abstruses pour exprimer des idées qui ne tombent point sous les sens. Ainsi les mots suivans, imaginer, comprendre, s'attacher, concevoir, &c. sont tous empruntés des opérations des choses sensibles, & appliqués à certains modes de penser. Le mot esprit, dans sa premiere signification, c'est le souffle ; celui d'ange signifie messager ; & je ne doute point que si nous pouvions conduire tous les mots jusqu'à leur source, nous ne trouvassions que, dans toutes les langues, les mots qu'on employe pour signifier des choses qui ne tombent pas sous les sens, ont tiré leur premiere origine d'idées sensibles.

Aux exemples cités par M. Locke, M. le président de Brosses en ajoute une infinité d'autres, qui marquent encore plus précisément comment les hommes se forment des termes abstraits sur des idées particulieres, & donnent aux êtres moraux des noms tirés des objets physiques : ce qui supposant analogie & comparaison entre les objets des deux genres, démontre l'ancienneté & la nécessité des tropes dans la nomenclature des langues.

" En langue latine, dit ce savant magistrat, calamitas & aerumna signifient un malheur, une infortune : mais dans son origine, le premier a signifié la disette des grains, & le second, la disette de l'argent. Calamitas, de calamus, grêle, tempête qui rompt les tiges du blé. Aerumna, de aes, aeris. Nous appellons en françois, terre en chaume, une terre qui n'est point ensemencée, qu'on laisse reposer, & dans laquelle, après qu'on a coupé l'épi, il ne reste plus que le tuyau (calamus) attaché à sa racine : de-là vient qu'on a dit chommer une fête, pour la célébrer, ne pas travailler ce jour-là, se reposer ; " (chaumer un champ, veut dire en arracher le chaume, & c'est pour différencier ces deux sens, que l'on écrit chommer une fête.) " De-là vient le mot calme pour repos, tranquillité ; mais combien la signification du mot calme n'est-elle pas différente du mot calamité, & quel étrange chemin n'ont pas fait ici les expressions & les idées des hommes !

En la même langue incolumis, sain & sauf, (qui est sine columnâ) ; expression tirée de la comparaison d'un bâtiment qui, étant en bon état, n'a pas besoin d'étaie.

Diviser (dividere), vient de la racine celtique div (riviere) : le terme relatif diviser a été formé sur un objet physique, à la vue des rivieres qui séparoient naturellement les terres : de même de rivales, qui se dit dans le sens propre, des bestiaux qui s'abreuvent à une même riviere, ou à un même gué, on en fait au figuré rivaux, rivalité, pour signifier la jalousie entre plusieurs prétendans à une même chose.

Considérer, c'est regarder un astre ; de sidus, sideris. Refléchir, c'est plier en deux, comme si l'on plioit ses pensées les unes sur les autres, pour les rassembler & les combiner. Remarquer, c'est distinguer un objet, le particulariser, le circonscrire en le séparant des autres, de la racine allemande mark (borne, confin, limite) ".

J'omets, pour abréger, quantité d'autres exemples cités par le même académicien, & j'en viens à une observation qu'il établit lui-même sur ces exemples. " Remarquez en général, dit-il, qu'il n'est pas possible, dans aucune langue, de citer aucun terme moral dont la racine ne soit physique. J'appelle termes physiques les noms de tous les individus qui existent réellement dans la nature : j'appelle termes moraux les noms des choses qui, n'ayant pas une existence réelle & sensible dans la nature, n'existent que par l'entendement humain qui en a produit les archétypes ou originaux. Peut-être pourroit-on dire à la rigueur, que les mots pli & marque ne sont pas des noms de substance physique & réelle, mais de mode & de relation ; mais il ne faut pas presser ceci selon une métaphysique trop rigoureuse : les qualités & les substances réelles peuvent bien être rangées ici dans la classe du physique, à laquelle elles appartiennent bien plus qu'à celle des purs êtres moraux.

Citons encore un exemple tiré de la racine sidus, propre à montrer que les termes qui n'appartiennent qu'au sentiment de l'ame, sont tous tirés des objets corporels ; c'est le mot desir, syncopé du latin desiderium, qui, signifiant dans cette langue plus encore le regret de la perte que le souhait de la possession, s'est particulierement étendu dans la nôtre au dernier sentiment de l'ame : la particule privative de précédant le verbe siderare, nous montre que desiderare, dans sa signification purement littérale, ne vouloit dire autre chose qu'être privé de la vue des astres ou du soleil ; le terme qui exprimoit la perte d'une chose si souhaitable, pour l'homme, s'est généralisé [par une synecdoque de la partie pour le tout], pour tous les sentimens de regret ; & ensuite [par une autre synecdoque de l'espece pour le genre] pour tous les sentimens de desir qui sont encore plus généraux : car le regret n'est que le souhait de ce que l'on a perdu ; & le desir regarde aussi-bien ce que l'on voudroit obtenir, que ce que l'on ne possede plus. Ces deux exemples sont d'autant plus frappans que les deux expressions considerare & desiderare n'ayant rien de commun dans l'idée qu'ils présentent, ni dans l'affection de l'ame, & se trouvant chacun précédé d'une particule qui les caractérise, on ne pourroit les tirer ainsi tous deux de siderare, si le développement de l'opération de l'esprit, dans la formation des mots, n'avoit été tel qu'on vient de le décrire ".

Il seroit aisé de multiplier ces exemples en très-grand nombre : [& j'en supprime effectivement une quantité considérable dont M. le président de Brosses a enrichi ses mémoires] " ceux-ci doivent suffire aux personnes intelligentes pour les mettre sur les voies de la maniere dont procede la formation de ces sortes de termes qui expriment des idées relatives ou intellectuelles. Pour leur démontrer qu'il n'y en a point de cette espece qui ne viennent d'une image d'un objet extérieur, physique & sensible ; c'est qu'étant difficile de démêler le fil de ces sortes de dérivations, où souvent la racine n'est plus connue, où l'opération de l'homme est toujours vague, arbitraire, & fort compliquée ; on doit, en bonne logique, juger des choses que l'on ne peut connoître, par celles de même espece qui sont si bien connues, en les ramenant à un principe dont l'évidence se fait appercevoir par-tout où la vue peut s'étendre. Quelque langue que l'on veuille parcourir, on y trouvera dans la formation de leurs mots, le même procédé dont je viens de donner des exemples pris de la langue françoise ".

Qu'est-ce autre chose que des tropes & des métaphores continuelles, qui favorisent cette formation des termes intellectuels ? la comparaison & la similitude y sont sensibles : or il est constant que les hommes ont eu besoin de très-bonne heure de cette espece de termes ; & il n'y a presque pas à douter que l'expédient de les prendre par analogie dans l'ordre physique, ne soit aussi ancien & ne vienne de la même source que le langage même. Voyez LANGUE. Nous pouvons donc croire que les tropes doivent leur premiere origine à la nécessité, & que ce que dit Quintilien de la métaphore, est vrai de tous les tropes, savoir que praestat ne ulli rei nomen deesse videatur.

" La vivacité avec laquelle nous ressentons ce que nous voulons exprimer, dit avec raison M. du Marsais (loc. cit.), excite en nous ces images ; nous en sommes occupés les premiers, & nous nous en servons ensuite pour mettre en quelque sorte devant les yeux des autres, ce que nous voulons leur faire entendre.... les rhéteurs ont ensuite remarqué que telle expression étoit plus noble, telle autre plus énergique, celle-là plus agréable, celle-ci moins dure ; en un mot ils ont fait leurs observations sur le langage des hommes " [& l'art s'est établi sur les procedés nécessaires de la nature : les différens degrés de succès des moyens suggérés par le besoin, ont servi de fondement aux regles fixées ensuite par l'art, pour ajouter l'agréable à l'utile].

" Pour faire voir que l'on substitue quelquefois des termes figurés à la place des mots propres qui manquent, ce qui est très-véritable, Ciceron, de oratore, lib. III. n. 155. aliter xxxviij. Quintilien, Inst. l. VIII. c. vj. & M. Rollin, tom. II. pag. 246. qui pense & qui parle comme ces grands hommes, disent que c'est par emprunt & par métaphore qu'on a appellé gemma le bourgeon de la vigne, parce, disent-ils, qu'il n'y avoit point de mot propre pour l'exprimer. Mais si nous en croyons les étymologistes, gemma est le mot propre pour signifier le bourgeon de la vigne, & ç'a été ensuite par figure que les Latins ont donné ce nom aux perles, & aux pierres précieuses. Gemma est id quod in arboribus tumescit cùm parere incipiunt, à geno, id est, gigno : hinc margarita & deinceps omnis lapis pretiosus dicitur gemma.... quod habet quoque Perottus, cujus haec sunt verba " : lapillos gemmas vocavere à similitudine gemmarum quas in vitibus sive arboribus cernimus ; gemmae enim propriè sunt populi quos primò vites emittunt ; & gemmare vites dicuntur, dum gemmas emittunt (Martinii, lexic. voce gemma). " gemma oculus vitis propriè. 2. gemma deindè generale nomen est lapidum pretiosorum (Bas. Fabri, thesaur. voce gemma). En effet, c'est toujours le plus commun & le plus connu qui est le propre, & qui se prête ensuite au sens figuré. Les laboureurs du pays latin connoissoient les bourgeons des vignes & des arbres, & leur avoient donné un nom avant que d'avoir vu des perles & des pierres précieuses ; mais comme on donna ensuite par figure & par imitation ce même nom aux perles & aux pierres précieuses, & qu'apparemment Cicéron, Quintilien, & M. Rollin ont vu plus de perles que de bourgeons de vignes, ils ont cru que le nom de ce qui leur étoit plus connu, étoit le nom propre, & que le figuré étoit celui de ce qu'ils connoissoient moins ".

III. De la maniere de faire usage des tropes. C'est particulierement dans les tropes, dit le P. Lamy, (rhét. l. II. c. iv.) que consistent les richesses du langage ; aussi comme le mauvais usage des grandes richesses cause le déreglement des états, le mauvais usage des tropes est la source de quantité de fautes que l'on commet dans le discours : c'est pourquoi il est important de le bien regler, & pour cela les tropes doivent surtout avoir deux qualités ; en premier lieu, qu'ils soient clairs, & fassent entendre ce qu'on veut dire, puisque l'on ne s'en sert que pour rendre le discours plus expressif : la seconde qualité, c'est qu'ils soient proportionnés à l'idée qu'ils doivent réveiller.

I. Trois choses empêchent les tropes d'être clairs. 1°. S'ils sont tirés de trop loin, & pris de choses qui ne donnent pas occasion à l'ame de penser d'abord à ce qu'il faut qu'elle se représente pour découvrir la pensée de celui qui parle. Pour éviter ce défaut, on doit tirer les métaphores & autres tropes de choses sensibles & qui soient sous les yeux, dont l'image par conséquent se présente d'elle-même sans qu'on la cherche. La sagesse divine, qui s'accommode à la capacité des hommes, nous donne, dans les saintes Ecritures, un exemple du soin qu'on doit avoir de se servir des choses connues à ceux qu'on instruit, lorsqu'il est question de leur faire comprendre quelque chose de difficile. Ceux qui ont l'esprit petit, & qui cependant osent critiquer l'Ecriture, y condamnent les métaphores & les allégories qui y sont prises des champs, des pâturages, des brebis, des chaudieres ; ils ne prennent pas garde que les Israélites étoient tous bergers, & qu'ainsi il n'y avoit rien qui leur fût plus connu que le ménage de la campagne. Les prêtres, à qui l'Ecriture s'adressoit particulierement, étoient perpétuellement occupés à tuer des bêtes dans le temple, à les écorcher, & à les faire cuire dans les grandes cuisines qui étoient autour du temple. Les écrivains sacrés ne pouvoient donc pas choisir des choses dont les images se présentassent plus facilement à l'esprit des Israélites.

2°. L'idée du trope doit être tellement liée avec celle du mot propre, qu'elles se suivent, & qu'en excitant l'une des deux, l'autre soit renouvellée. Le défaut de cette liaison est la seconde chose qui rend les tropes obscurs.

3°. L'usage trop fréquent des tropes est une autre cause d'obscurité. Les tropes les plus clairs ne signifient les choses qu'indirectement ; l'idée naturelle de ce que l'on n'exprime que sous le voile des tropes, ne se présente à l'esprit qu'après quelques réflexions ; on s'ennuie de toutes ces réflexions, & de la peine de deviner toujours les pensées de celui qui parle. On ne condamne pourtant ici que le trop fréquent usage des tropes extraordinaires : il y en a qui ne sont pas moins usités que les termes naturels ; & ils ne peuvent jamais obscurcir le discours.

II. Si je veux donner l'idée d'un rocher dont la hauteur est extraordinaire, ces termes grand, haut, élevé, qui se disent des rochers d'une hauteur commune, n'en feront qu'une peinture imparfaite ; mais si je dis que ce rocher semble menacer le ciel, l'idée du ciel, qui est la chose la plus élevée de toute la nature, l'idée de ce mot menacer, qui convient à un homme qui est au-dessus des autres, forment l'idée de la hauteur extraordinaire que je ne pouvois exprimer d'une autre maniere ; mais l'image auroit été excessive, si je ne disois que le rocher semble menacer le ciel : & c'est ainsi qu'il faut prendre garde qu'il y ait toujours quelque proportion entre l'idée naturelle du trope & celle que l'on veut rendre sensible.

" Il n'y a rien de plus ridicule en tout genre, dit M. du Marsais, Trop. part. I. art. 7. §. 3. que l'affectation & le défaut de convenance. Moliere, dans ses précieuses, nous fournit un grand nombre d'exemples de ces expressions recherchées & déplacées. La convenance demande qu'on dise simplement à un laquais, donnez des sieges, sans aller chercher le détour de lui dire, voiturez-nous ici les commodités de la conversation, (sç. ix.) De plus les idées accessoires ne jouent point, si j'ose parler ainsi, dans le langage des précieuses de Moliere, ou ne jouent point comme elles jouent dans l'imagination d'un homme sensé, [parce que les idées comparées n'ont entr'elles aucune liaison naturelle] : le conseiller des graces (sç. vj.), pour dire, le miroir : contentez l'envie qu'a ce fauteuil de vous embrasser (sç. ix.) pour dire, asseyez-vous.

Toutes ces expressions tirées de loin & hors de leur place marquent une trop grande contention d'esprit, & font sentir toute la peine qu'on a eue à les rechercher : elles ne sont pas, s'il est permis de parler ainsi, à l'unisson du bon sens, je veux dire qu'elles sont trop éloignées de la maniere de penser de ceux qui ont l'esprit droit & juste, & qui sentent les convenances. Ceux qui cherchent trop l'ornement dans le discours, tombent souvent dans ce défaut sans s'en appercevoir ; ils se savent bon gré d'une expression qui leur paroît brillante & qui leur a couté, & se persuadent que les autres doivent être aussi satisfaits qu'ils le sont eux-mêmes.

On ne doit donc se servir de tropes que lorsqu'ils se présentent naturellement à l'esprit ; qu'ils sont tirés du sujet ; que les idées accessoires les font naître, ou que les bienséances les inspirent : ils plaisent alors ; mais il ne faut point les aller chercher dans la vue de plaire.

Il est difficile, dit ailleurs notre grammairien philosophe, part. III. art. 23. en parlant & en écrivant, d'apporter toujours l'attention & le discernement nécessaires pour rejetter les idées accessoires qui ne conviennent point au sujet, aux circonstances & aux idées principales que l'on met en oeuvre : de-là il est arrivé dans tous les tems que les écrivains se sont quelquefois servis d'expressions figurées qui ne doivent pas être prises pour modeles.

Les regles ne doivent point être faites sur l'ouvrage d'aucun particulier ; elles doivent être puisées dans le bon sens & dans la nature ; & alors quiconque s'en éloigne, ne doit point être imité en ce point. Si l'on veut former le goût des jeunes gens, on doit leur faire remarquer les défauts aussi-bien que les beautés des auteurs qu'on leur fait lire. Il est plus facile d'admirer, j'en conviens ; mais une critique sage, éclairée, exempte de passions & de fanatisme, est bien plus utile.

Ainsi l'on peut dire que chaque siecle a pu avoir ses critiques & son dictionnaire néologique. Si quelques personnes disent aujourd'hui avec raison ou sans fondement, (dict. néol.) qu'il regne dans le langage une affectation puérile ; que le style frivole & recherché passe jusqu'aux tribunaux les plus graves : Ciceron a fait la même plainte de son tems, (Orat. n. 96. aliter xxvij.) est enim quoddam etiam insigne & florens orationis, pictum & expolitum genus, in quo omnes verborum, omnes sententiarum illigantur lepores. Hoc totum è sophistarum fontibus defluxit in forum, &c.

Au plus beau siecle de Rome, selon le P. Sanadon, (Poés. d'Horace, tome II. p. 254.) c'est-à-dire au siecle de Jules-César & d'Auguste, un auteur a dit infantes statuas, pour dire des statues nouvellement faites : un autre, que Jupiter crachoit la neige sur les Alpes ; Jupiter hibernas canâ nive conspuit Alpes. Horace se moque de l'un & de l'autre de ces auteurs, II. sat. vers. 40. mais il n'a pas été exemt lui-même des fautes qu'il a reprochées à ses contemporains ". [Je dois remarquer qu'Horaoe ne dit pas Jupiter, mais Furius (qui est le nom du poëte qu'il censure) hibernas canâ nive conspuit Alpes. ]

" Quintilien, après avoir repris dans les anciens quelques métaphores défectueuses, dit que ceux qui sont instruits du bon & du mauvais usage des figures ne trouveront que trop d'exemples à reprendre : Quorum exempla nimiùm frequenter reprehendet, qui sciverit haec vitia. (Instit. viij. 6.)

Au reste, les fautes qui regardent les mots, ne sont pas celles que l'on doit regarder avec le plus de soin : il est bien plus utile d'observer celles qui péchent contre la conduite, contre la justesse du raisonnement, contre la probité, la droiture & les bonnes moeurs. Il seroit à souhaiter que les exemples de ces dernieres sortes de fautes fussent plus rares, ou plutôt qu'ils fussent inconnus ". (B. E. R. M.)


TROPÉA(Géog. mod.) en latin Tropaea, ad Tropaea, ville d'Italie, au royaume de Naples, dans la Calabre ultérieure, sur le sommet d'un rocher, à 12 milles de Mileto, 40 de Messine, & 45 de Reggio. Son évêché est suffragant de Reggio. Long. 33. 40. latit. 38. 40. (D.J.)


TROPÈSSAINT -, (Géogr. mod.) ville de France, en Provence, au diocèse de Fréjus, sur la Méditerranée, où elle a un port, à 24 lieues au levant de Marseille, & à 6 au sud-ouest de Fréjus. Long. 24. 20. latit. 43. 17. (D.J.)


TROPHÉES. m. (Archit.) c'étoit chez les anciens un amas d'armes & de dépouilles des ennemis, élevé par le vainqueur dans le champ de bataille, & qu'on a ensuite représenté en pierre ou en marbre, comme les trophées de Marius & de Sylla au capitole, & dont on fait usage en architecture, pour décorer un bâtiment avec des attributs militaires.

Les trophées antiques sont formés d'armes grecques & romaines ; ceux qu'on employe aujourd'hui sont composés d'armes de diverses nations de notre tems. On voit de ces trophées isolés à l'arc de triomphe du fauxbourg S. Antoine, & sur la balustrade du château de Versailles. On en fait aussi en bas-relief, comme à la colonne trajane, & à l'attique de la cour du Louvre. La beauté des uns & des autres consiste principalement dans le choix, la disposition & le rapport qu'ils doivent avoir au dessein général de l'édifice. Il y en a de différentes especes. Nous allons définir dans les articles suivans les principaux.

Trophée de Marine. Trophée composé de pouppes & proues de vaisseaux, de becs & éperons de galeres, d'ancres, de rames, de flammes, pavillons, &c.

Trophée de musique. Trophée composé de livres & d'instrumens de musique.

Trophée des Sciences. C'est un trophée formé de livres de science, de spheres, de globes, & d'instrumens à observer les astres.

Trophée rustique. Trophée composé d'instrumens servant au labourage & au ménage rustique.

Le mot trophée vient du latin trophaeum, qui vient, selon Vossius, du grec trope, fuite de l'ennemi. Daviler. (D.J.)

TROPHEE, s. m. (Antiq. grecq. & rom.) tropaeum, en grec de , fuite. Un trophée n'étoit dans son origine qu'un tronc de chêne dressé, & revêtu des dépouilles ou armes des ennemis vaincus, comme d'une cuirasse, de boucliers, de javelots & d'une casque. De-là vient le nom de trunci, que Virgile donne à ces trophées, dans la description qu'il en fait, indutosque jubet truncos hostilibus armis ; & selon que la forme s'en voit assez souvent dans les médailles.

C'est d'où l'on recueille que ce n'étoit pas seulement une coutume romaine, comme quelques savans le prétendent, mais c'étoit aussi un usage grec de faire les trophées d'un tronc de chêne revêtu des armes des ennemis. On peut le voir entr'autres au revers de la médaille d'Agathocles, roi de Sicile ; & dans deux autres médailles, l'une d'Alexandre, l'autre de son pere Philippe, qui ont chacune au revers la figure d'un homme nud devant un trophée, de la façon de ceux dont je viens de parler, c'est-à-dire non d'une colonne de pierre ou de marbre, mais d'un chêne paré des dépouilles des vaincus ; que si Philippe & Alexandre ne se sont point fait dresser eux-mêmes des trophées, parce que ce n'étoit pas la coutume des Macédoniens, comme Pausanias le prétend dans ses béotiques, néanmoins les villes de Grèce ou d'autres n'ont pas laissé d'en élever à leur honneur, & de les faire graver dans leurs médailles. Ce n'est pas cependant que les Grecs n'ayent fait aussi des trophées d'autre sorte, & quelquefois d'airain pour plus de durée, selon le même Pausanias. Quant aux ornemens ajoutés quelquefois à ces trophées, & qu'on remarque aussi sur les médailles, nous en dirons un mot dans la suite.

Les trophées portoient d'ordinaire les noms des ennemis ou peuples vaincus, inimicaque nomina figi, comme dit Virgile, & les exemples en sont fréquens dans les historiens, les poëtes & les anciennes médailles.

Ces trophées mêmes se multiplioient selon le nombre des peuples vaincus par le général, suivant l'exemple de Pompée, que Dion rapporte en parlant d'un magnifique trophée de ce conquérant qui portoit la fastueuse inscription, non d'un peuple vaincu, mais de orbe terrarum, ou du monde subjugué.

Pausanias, l. IV. parle d'un trophée qu'Epaminondas, par ordre de l'oracle, fit dresser avant la journée de Leuctres, c'est-à-dire avant les Lacédémoniens vaincus & à leur vue.

Le nom grec , ou qui porte des trophées, donné en premier lieu aux dieux, comme on peut voir dans Pollux, fut dans la suite des tems consacré entre les autres titres des empereurs, ce qui paroît en particulier par la médaille de Pescennius Niger avec l'inscription, invicto imp. tropaea ; cette coutume de dresser des trophées passa des Grecs aux Romains, & même y fut d'abord introduite par Romulus, comme les historiens de sa vie le remarquent.

Les vainqueurs dressoient à leur gloire un trophée des vaincus. Les Grecs montrerent l'exemple, & ils avoient coutume de le faire après la victoire au lieu même de la bataille & de la défaite des ennemis. L'histoire de Thucydide en fournit plusieurs exemples.

Pour les Romains, ils ne se contenterent pas de cet honneur, ils firent porter ces trophées en triomphe, comme Dion entr'autres le remarque de Pompée, au retour de la guerre contre Mithridate. C'est ce qui se voit encore à l'oeil de deux médaillons ; l'un du cabinet du roi, qui représente le triomphe de Marc-Aurele & de L. Verus, après les exploits de ce dernier dans l'Arménie & contre les Parthes, où on voit un trophée porté devant le char des triomphans. L'autre médaillon est de Caracalla, où nonseulement il y a un trophée avec deux captifs attachés, porté dans une espece de char avant celui du triomphant, mais de plus on voit un soldat qui marche au-devant, portant un autre trophée sur l'épaule, à l'exemple de Mars ou de Romulus.

On peut y ajouter l'usage de dresser ces trophées en des places publiques & sur le capitole, de les consacrer à leurs dieux, & entr'autres à Jupiter Férétrius, ou à Mars, témoin Virgile, tibi rex gradive tropaeum ; pour ne pas parler de la coutume d'orner les vestibules ou portiques de leurs maisons, des armes ou autres dépouilles des ennemis vaincus, c'est ce qui donna lieu à cette harangue de Caton l'ancien, citée par Festus, qui avoit pour titre, de spoliis, ne figerentur, nisi quae de hostibus capta essent ; la chose est connue ; en cela même les Romains ne firent que suivre l'exemple d'autres peuples, & en particulier de leurs premiers fondateurs, témoin Virgile, parlant du palais du roi Priam, barbarici postes auro spoliisque superbi.

Nous avons une médaille de Romulus à pié, portant son trophée sur l'épaule, ce qui arriva aussi à Cornelius Cossus & à Claudius Marcellus, qui porterent eux-mêmes leurs trophées, d'où vient que Virgile dit :

Indutosque jubet truncos hostilibus armis

Ipsos ferre duces.

Mars & la Victoire sont encore représentés avec un trophée sur l'épaule, & les autres dieux sont chargés pareillement sur l'épaule des marques de leurs dignités ou de leur distinction, comme Diane d'un carquois, Apollon d'une lyre ou d'un arc, Hercule de sa massue, Jupiter de la foudre, Bacchus d'un thyrse, & Vulcain d'un marteau qu'il tient levé audessus de l'épaule, & qui est prêt à battre l'enclume. On en voit plusieurs échantillons dans les médailles. Il y en a aussi de Trajan, qui le représentent tenant sur les épaules les trophées des victoires qu'il avoit remportées sur les Getes & les Parthes.

J'ai dit ci-dessus qu'un trophée n'étoit ordinairement qu'un tronc de chêne ; de-là viennent les mots de quercus ou truncus, dont les poëtes latins se servent d'ordinaire pour désigner des trophées. Ainsi les trophées n'étoient quelquefois qu'un tronc de chêne avec un bouclier au-dessus, ou un tronc revêtu d'une cuirasse, au-haut d'un casque & aux deux côtés d'un bouclier, comme sont d'ordinaire les trophées que Mars - Gradivus porte sur l'épaule, ou qui se voient dans les médailles de Trajan, ou même avec une cuirasse sans bouclier.

Les trophées sont aussi souvent accompagnés de javelots, outre les boucliers, le casque & la cuirasse.

Enfin l'on voit dans les anciens monumens des trophées ornés & embellis d'un amas de toutes sortes d'armes ou de dépouilles des ennemis vaincus, comme de cuirasses, de boucliers de différentes façons, d'épées, de javelots, de dragons ou enseignes militaires, de maillets, de carquois, avec des fleches ; c'est ce qui est sculpté dans les trophées de la colonne de Trajan & de Marc-Aurele.

M. Spanheim, dans son bel ouvrage des Césars de l'empereur Julien, nous donne la représentation gravée par Picard, d'un de ces magnifiques trophées, qui se voit encore aujourd'hui à Rome au capitole, & qu'on attribue à Trajan, attendu le lieu d'où il a été tiré. C'est-là que l'on voit ce tronc, ce trophée superbe, ou ces intestina tropaeorum, comme parle Tertullien, tout couvert d'un casque ouvragé, & d'ailleurs revêtu d'une veste ou chlamys, avec quantité d'ornemens, de carquois, de fleches, de boucliers soutenus par des figures aîlées, & autres embellissemens de sphinx, de tritons, de centaures, &c. on en a gravé des estampes.

Le but des trophées étoit de les dresser comme des monumens durables des victoires remportées sur les ennemis. Il étoit si peu permis de les arracher, que les Athéniens crurent avoir un sujet suffisant de renouveller la guerre aux Corinthiens, sur ce que ceux-ci avoient enlevé un de leurs trophées, comme Aristide le remarque dans son oraison à la louange d'Athènes, in Panathén. p. 209. c'est encore ce qui nous est spécifié bien clairement dans une médaille romaine, qui nous représente Mars portant un trophée, avec l'inscription remarquable, aeternitas.

Les soldats romains avoient aussi le pouvoir & la coutume d'étaler dans la partie de leurs maisons la plus remarquable, les dépouilles qu'ils avoient prises sur les ennemis, comme Polybe le remarque.

Enfin les trophées devinrent des types de monnoies ou de bas-reliefs, tels qu'on en voit encore plusieurs sur l'escalier du capitole ; c'étoient aussi des figures de métal ou de marbre isolées & posées sur une base, & l'on sait qu'un grand nombre de cette espece faisoient un des ornemens de la ville de Rome. Tels furent les changemens qu'on fit aux trophées.

Dans les siecles héroïques & chez les Grecs, les trophées, comme nous l'avons dit, n'étoient qu'un tronc d'arbre revêtu des armes des vaincus. Enée, après sa premiere bataille où il avoit tué Mezence, éleve un trophée, Aeneid. l. XI. vers. 5.

Ingentem quercum, decisis undique ramis,

Constituit tumulo, fulgentiaque induit arma,

Mezenti ducis exuvias ; tibi, magne, tropaeum,

Belli potens : aptat rorantes sanguine cristas

Telaque trunca viri, & bis sex thoraca petitum

Perfossumque locis ; clypeumque ex aere sinistrae

Subligat, atque ensem collo suspendit eburnum.

On les dressoit sur le champ de bataille aussi-tôt après la victoire ; il étoit d'abord défendu de les faire d'aucune matiere durable, comme de bronze ou de pierre ; ce fut sans doute par privilege qu'on permit à Pollux, après la victoire qu'il remporta sur Lyncée, d'en ériger un de cette espece, & ce trophée se voyoit encore à Lacédémone du tems de Pausanias.

L'inscription des trophées étoit simple, noble & modeste, ainsi que toutes les inscriptions des beaux siecles de la Grece ; il n'y avoit que deux mots, le nom des vainqueurs & celui des vaincus. Othryadès resté seul après la fuite des Argiens, se traîne percé de coups sur le champ de bataille, recueille les armes, dresse un trophée avant de mourir, & écrit de son sang sur son bouclier : J'ai vaincu.

Ces monumens exposés à toutes les injures de l'air périssoient bientôt, & on s'étoit fait une loi de les laisser tomber d'eux-mêmes sans les réparer. Plutarque, dans ses questions romaines, quest. xxxvj. demande pourquoi entre toutes les choses consacrées aux dieux, il n'y a que les trophées qu'il soit d'usage de laisser dépérir : " Est-ce, dit-il afin que les hommes voyant leur gloire passée s'anéantir avec ces monumens, s'évertuent sans cesse à en acquérir une nouvelle ? ou plutôt parce que le tems effaçant ces signes de discorde & de haine, ce seroit une opiniâtreté odieuse de vouloir, malgré lui, en perpétuer le souvenir. Aussi, ajoute-t-il, n'a-t-on pas approuvé la vanité de ceux qui, les premiers entre les Grecs, se sont avisés de dresser des trophées de pierre & de bronze ". Peut-être ces peuples qui mériterent la censure de cette nation douce & polie, sont les Eléens ; du - moins je trouve dans Pausanias qu'il y avoit à Olympie un trophée d'airain, dont l'inscription portoit que les Eléens l'avoient érigé après une victoire gagnée sur Lacédémone.

Le même auteur nous apprend encore, que ce n'étoit pas la coutume des Macédoniens d'ériger des trophées après leur victoire. Caranus fondateur de leur monarchie, ayant vaincu Cissée prince voisin, avoit dressé un trophée : un lion sortant du mont Olympe renversa ce monument, & le détruisit ; le roi de Macédoine tira une leçon de cet événement ; il fit réflexion qu'il avoit eu tort d'insulter aux vaincus, & de se priver lui-même de l'espérance d'une réconciliation ; aussi, ajoute Pausanias, dans la suite ni ce prince, ni aucun de ses successeurs, ne dressa jamais de trophée, pas même Alexandre, après ses éclatantes victoires sur les Perses & sur les Indiens.

Les Romains, dont la politique se proposoit d'accoutumer au joug les peuples vaincus, & d'en faire des fideles sujets, furent longtems sans reprocher aux ennemis leur défaite par des trophées, & Florus ne manque pas de leur faire honneur de cette modération. Domitius Aenobarbus & Fabius Maximus ipsis quibus dimicaverant in locis, saxeas erexere turres, & desuper exornata armis hostilibus tropaea fixere ; quùm hic mos inusitatus fuerit nostris : nunquam enim populus romanus hostibus domitis, victoriam suam exprobravit.

Le premier dont l'histoire romaine fasse mention (car on ne doit pas regarder comme de vrais trophées, ni les dépouilles opimes, ni celles des Curiaces que le vainqueur fit porter devant lui) le premier trophée, dis-je, fut celui que dressa C. Flaminius en l'honneur de Jupiter, après avoir vaincu les Insubriens l'an de Rome 530. il étoit d'or & placé dans le capitole. Cent ans après C. Domitius Aenobarbus, & Q. Fabius Maximus Allobrogicus, dresserent sur les bords de l'Isere ceux dont il est parlé dans le passage de Florus que nous venons de citer. Après la prise de Jugurtha, Bocchus étant venu à Rome, érigea dans le capitole des trophées en l'honneur de Sylla ; ce qui piqua vivement Marius, & alluma de plus en plus dans son coeur cette jalousie meurtriere qui fit couler tant de sang. Sylla en dressa deux lui-même dans les plaines de Chéronée, après la défaite de Taxile, lieutenant de Mithridate.

Pompée ayant terminé la guerre contre Sertorius, dressa des trophées sur les Pyrénées avec des inscriptions fastueuses. Cette vanité déplut aux Romains ; & ce fut pour y opposer une apparence de modestie, que César traversant les Pyrénées après la guerre d'Afranius, se contenta de construire un autel auprès des trophées de Pompée.

Un passage de Xiphilin, dans la vie de Néron, nous fait connoître que les trophées dont nous venons de parler, ne sont pas les seuls qui ayent été élevés à Rome sous les consuls. Lorsque cet auteur représente le ridicule infamant dont Néron chargeoit les sénateurs mêmes, en les forçant de faire le rôle de comédiens, ou de combattre contre les bêtes ; il donnoit, dit-il, en spectacle sur le théatre & dans l'arène, les Furius, les Fabius, les Porcius, les Valériens, ces illustres familles dont le peuple voyoit encore les trophées.

Mais les plus célebres qu'il y ait eu à Rome du tems de la république, sont les deux trophées de Marius, en mémoire de ses deux victoires ; l'une remportée sur Jugurtha, l'autre sur les Cimbres & les Teutons ; ils étoient de marbre dans la cinquieme région, dite Esquiline, élevés sur deux arcs de brique qui posoient sur un reservoir de l'aqua marcia ; Properce les appelle les armes de Marius.

Jura dare statuas inter & arma Marii.

Sylla les renversa contre l'ancien usage, qui ne permettoit pas de détruire, ni même de déplacer les trophées. César dans son édilité, les releva ; le quartier de Rome où ils étoient, en conserve la mémoire ; on l'appelle encore aujourd'hui il Cimbrico, entre l'église de saint Eusebe & de saint Julien, sur le mont Esquilin ; cette tradition n'a pas été interrompue.

Pétrarque, dans la seconde épître de son sixieme livre, parlant de ce lieu dit, hoc Marii cimbrium fuit. Nardini pense que ces trophées furent depuis transportés dans le capitole, & il censure Ligorius qui croit mal-à-propos que les trophées du capitole sont de Domitien. Les monumens de ce prince furent, selon Suétone & Xiphilin, abattus par ordre du sénat aussitôt après sa mort. D'autres antiquaires prétendent cependant que les trophées de marbre qui se voyent au capitole, ne sont pas ceux de Marius, mais qu'ils appartiennent à Trajan ; cette question nous importe fort peu.

Après la destruction de la liberté publique, à proportion que la vertu diminua, les récompenses de la vertu & les marques d'honneur, se multiplierent dans la personne des empereurs. Auguste en donna comme le signal par le trophée qu'il fit ériger à sa gloire sur les Alpes, & dont l'inscription se lit dans Pline, l. III. c. xxiv. Ce ne fut plus en Italie & dans les provinces, que trophées de pierre, de marbre, de bronze ; les colonnes trajane & antonine, qui sont des tours rondes avec un escalier pratiqué en-dedans, sont de vrais trophées ; Xiphilin raconte que Néron ayant ôté la vie à Domitia sa tante paternelle, employa une partie des biens de cette dame, à dresser de magnifiques trophées, qui subsistoient encore du tems de Dion, c'est-à-dire, sous Alexandre Sévere. Xiphilin dit qu'après la prise de Jérusalem, on décerna à Vespasien & à Titus des arcs de triomphes chargés de trophées. Comme le tems & les accidens endommageoient sans cesse ces sortes de monumens, quelques-uns furent réparés, & c'est ce qu'on voit par des médailles.

Quant aux trophées élevés par les modernes en l'honneur des rois conquérans, ils me paroissent assez semblables à ceux des empereurs dont je viens de parler ; ce sont autant de monumens de désolations, de désastres, & de vaine gloire. (D.J.)

TROPHEES D'EMILIEN, (Géog. anc.) en latin trophaeum Q. Fabii Maximi Aemiliani ; Strabon, lib. IV. nous apprend que près du lieu où l'Isere se jette dans le Rhône, Q. Fabius Maximus Aemilien, dont l'armée n'étoit pas de trente mille hommes, défit deux cent mille gaulois, & éleva sur le champ de bataille un trophée de pierre blanche. (D.J.)

TROPHEES DE POLLUX, (Géog. anc.) ces trophées étoient dans la ville de Sparte ; quand on a passé le temple d'Esculape, dit Pausanias, on voit les trophées que Pollux, à ce qu'on croit, érigea lui-même après la victoire qu'il remporta sur Lyncée. (D.J.)

TROPHEES des Romains & de Sylla, (Géogr. anc.) on voit, dit Pausanias, l. IX. c. xxxix. dans la plaine de Chéronée en Béotie, deux trophées qui ont été érigés par les Romains & par Sylla, pour une victoire remportée sur Taxile, général de l'armée de Mithridate. (D.J.)

TROPHEE en Peinture & Sculpture, étoit anciennement l'imitation des trophées que les anciens élevoient des dépouilles de leurs ennemis vaincus ; ce n'étoit qu'un amas d'armes & d'armures, ou autre attirail de guerre. Maintenant l'on fait des trophées généralement de tous les instrumens qui servent aux sciences, aux arts, & au luxe, & chacun de ces trophées porte le nom de la science ou de l'art auquel les instrumens qui le composent sont utiles ; trophée d'astronomie, de Musique, de Jardinage, &c. On fait des trophées bacchiques qui représentent des treilles, des pots, des verres, des bouteilles, &c. on en fait de bal, où l'on représente des masques, des castagnetes, des tambours de basques, des habits de caractere ou de fantaisie. Il y a des trophées de modes qui réunissent tous les ajustemens d'hommes & de femmes que le caprice peut suggérer. On fait des trophées de folie, composés de marottes, de sonnettes, de grelots, de papillons, de fumée, ou brouillards, &c. Enfin, on fait des trophées de tous les êtres physiques ou moraux qui sont susceptibles de signes qui les caractérisent.

TROPHEE, argent de, (Jurisp.) est un droit que paient tous les ans les locataires des maisons dans les provinces d'Angleterre, pour fournir à la milice, des harnois, tambours, drapeaux, &c.


TROPHONIENSJEUX, (Littérat.) jeux publics qui se donnoient un jour de l'année, en l'honneur de Trophonius, & dans lesquels la jeunesse de la Grece venoit étaler son adresse. Il est vrai qu'aucun auteur peut-être, ne parle de ces jeux, outre Julius Pollux ; encore ne dit-il point en quelle ville on les célébroit. Mais on l'apprend d'un marbre qui est à Mégare, & qui porte qu'on les faisoit à LÉbadée ; cette ville de Grece en Béotie, étoit d'ailleurs très-célebre par l'oracle même de Trophonius. (D.J.)


TROPHONIUS(Mythol.) fils d'Erginus roi des Orchoméniens, est bien célebre dans l'histoire par son oracle en Béotie, lequel se rendoit avec plus de cérémonies que ceux d'aucun dieu, & qui subsista même assez longtems après que tous ceux de la Grece eurent cessé. Voyez donc ORACLE DE TROPHONIUS.

TROPHONIUS, bois sacré de, (Géog. anc.) le bois sacré de Trophonius étoit dans la Béotie, à une petite distance de la ville de LÉbadée. On disoit, selon Pausanias, l. IX. c. xxxix. qu'un jour Hercine jouant en ce lieu avec la fille de Cérès, laissa échapper une oie qui faisoit tout son amusement ; Proserpine ayant couru après, attrapa cette oie qui s'étoit allé cacher dans un antre sous une grosse pierre, de dessous laquelle on vit aussi-tôt couler une source d'eau, d'où se forma un fleuve qui, à cause de cette avanture, eut aussi nom Hercine. On voyoit encore du tems de Pausanias, sur le bord de ce fleuve, un temple dédié à Hercine, & dans ce temple la statue d'une jeune fille, qui tenoit une oie avec ses deux mains. L'antre où ce fleuve avoit sa source, étoit orné de deux statues qui étoient debout, & qui tenoient une espece de sceptre, avec des serpens entortillés à l'entour, de sorte qu'on les auroit pris pour Esculape & Hygéia. Mais peut - être que c'étoit Trophonius & Hercine, car les serpens ne sont pas moins consacrés à Trophonius qu'à Esculape. On voyoit aussi sur le bord du fleuve le tombeau d'Arcésilas, dont on disoit que les cendres avoient été apportées de Troie par LÉitus.

Dans le bois sacré de Trophonius voici ce qu'il y avoit de plus curieux à voir ; premierement le temple de Trophonius, avec sa statue qui étoit de Praxitele. Cette statue, aussi-bien que la premiere dont il a été parlé, ressembloit à celle d'Esculape ; en second lieu, le temple de Cérès surnommée Europe, & une statue de Jupiter le pluvieux, qui étoit exposée aux injures du tems. En descendant, & sur le chemin qui conduisoit à l'oracle, on trouvoit deux temples ; l'un de Proserpine conservatrice, l'autre de Jupiter roi : ce dernier étoit demeuré imparfait, soit à cause de son excessive grandeur, soit à cause des guerres qui étoient survenues, & qui n'avoient pas permis de l'achever ; dans l'autre on voyoit un Saturne, un Jupiter & une Junon ; Apollon avoit aussi son temple dans ce bois.

Quant à l'oracle de Trophonius, on en trouvera l'article à-part, au mot ORACLE. (D.J.)

TROPHONIUS, oracle de, (Hist. des oracles) oracle fameux dans la Béotie, lequel se rendoit avec plus de cérémonie que ceux d'aucun dieu, & subsista même assez long-tems après que tous ceux de la Grece eurent cessé.

Trophonius dont l'oracle portoit le nom, n'étoit cependant qu'un héros, & même suivant quelques auteurs, un brigand & un scélérat. Il étoit fils ainsi qu'Agamede, d'Erginus roi des Orchoméniens : ces deux freres devinrent de grands architectes. Ce furent eux qui bâtirent le temple d'Apollon à Delphes, & un édifice pour les trésors d'Hyriéus. En construisant ce dernier bâtiment, ils y avoient pratiqué un secret, dont eux seuls avoient connoissance : une pierre qu'ils savoient ôter & remettre sans qu'il y parût, leur donnoit moyen de voler chaque nuit l'argent d'Hyriéus, lequel le voyant diminuer sans qu'on eut ouvert les portes, s'avisa de tendre un piege autour des vases qui renfermoient son trésor, & Agamede y fut pris. Trophonius ne sachant comment le dégager, & craignant que s'il étoit mis le lendemain à la question, il ne découvrit le mystere, lui coupa la tête.

Sans entrer dans la critique de cette histoire, qui semble être une copie de celle qu'Hérodote raconte au long d'un roi d'Egypte, & de deux freres qui lui voloient son trésor par un semblable stratageme, je dois observer que Pausanias ne nous apprend rien de la vie de Trophonius, & qu'il dit seulement que la terre s'étant entr'ouverte sous ses piés, il fut englouti tout vivant dans cette fosse, que l'on nomma la fosse d'Agamede, & qui se voyoit dans un bois sacré de LÉbadée, avec une colonne que l'on avoit élevée au-dessus.

Son tombeau demeura quelque tems dans l'oubli, lorsqu'une grande sécheresse affligeant la Béotie, on eut recours à l'oracle de Delphes ; mais Apollon qui vouloit reconnoitre le service que lui avoit rendu Trophonius en bâtissant son temple, répondit par sa Pythie que c'étoit à Trophonius qu'il falloit avoir recours, & l'aller chercher à LÉbadée. Les députés s'y rendirent en effet, & en obtinrent une réponse qui indiqua les moyens de faire cesser la stérilité. Depuis ce tems on consacra à Trophonius le bois dans lequel il étoit enterré, & au milieu de ce bois on lui éleva un temple où il recevoit des sacrifices, & rendoit des oracles. Pausanias qui avoit été lui-même consulter l'oracle de Trophonius, nous en a laissé une description fort ample, dont voici l'abrégé.

LÉbadée, dit cet historien, est une ville de Béotie au-dessus de Delphes, & aussi ornée qu'il y en ait dans toute la Grece : le bois sacré de Trophonius n'en est que fort peu éloigné, & c'est dans ce bois qu'est le temple de Trophonius, avec sa statue de la main de Praxitele.

Lorsqu'on vient consulter son oracle, il faut pratiquer certaines cérémonies. Avant que de descendre dans l'antre où l'on reçoit la réponse ; il faut passer quelques jours dans une chapelle dédiée au bon Génie & à la Fortune. Ce tems est employé à se purifier par l'abstinence de toutes les choses illicites, & à faire usage du bain froid, car les bains chauds sont défendus ; ainsi on ne peut se laver que dans l'eau du fleuve Hercine. On sacrifie à Trophonius & à toute sa famille, à Jupiter surnommé Roi, à Saturne, à une Cérès Europe, qu'on croyoit avoir été nourrice de Trophonius ; & on ne vit que de chairs sacrifiées.

Il falloit encore consulter les entrailles de toutes les victimes, pour savoir si Trophonius trouvoit bon qu'on descendît dans son antre ; sur-tout celles du bélier, qu'on immoloit en dernier lieu. Si les auspices étoient favorables, on menoit le consultant la nuit au fleuve Hercine, où deux enfans de douze ou treize ans lui frottoient tout le corps d'huile. Ensuite on le conduisoit jusqu'à la source du fleuve, & on l'y faisoit boire de deux sortes d'eau ; celle de LÉthé qui effaçoit de l'esprit toutes les pensées profanes, & celle de Mnémosyne qui avoit la vertu de faire retenir tout ce qu'on devoit voir dans l'antre sacré. Après tous ces préparatifs, on faisoit voir la statue de Trophonius, à qui il falloit adresser une priere : on étoit revétu d'une tunique de lin, ornée de bandelettes sacrées ; ensuite de quoi on étoit conduit à l'oracle.

Cet oracle étoit sur une montagne, dans une enceinte de pierres blanches, sur laquelle s'élevoient des obélisques d'airain. Dans cette enceinte étoit une caverne de la figure d'un four, taillée de main d'homme. Là s'ouvroit un trou assez étroit, où l'on ne descendoit point par des degrés, mais avec de petites échelles. Lorsqu'on y étoit descendu, on trouvoit encore une petite caverne, dont l'entrée étoit assez étroite : on se couchoit à terre ; on prenoit dans chaque main certaines compositions de miel, qu'il falloit nécessairement porter : on passoit les piés dans l'ouverture de cette seconde caverne, & aussi-tôt on se sentoit entraîné au-dedans avec beaucoup de force & de vîtesse.

C'étoit-là que l'avenir se déclaroit, mais non pas à tous de la même maniere ; les uns voyoient, les autres entendoient. On sortoit de l'antre couché à terre, comme on y étoit entré ; & les piés les premiers. Aussi-tôt on étoit mis dans la chaise de Mnémosyne, où l'on demandoit au consultant ce qu'il avoit vu ou entendu : de-là on le ramenoit, encore tout étourdi, dans la chapelle du bon génie, & on lui laissoit le tems de reprendre ses sens ; enfin il étoit obligé d'écrire sur un tableau, tout ce qu'il avoit vu ou entendu, ce que les prêtres apparemment interprétoient à leur maniere.

Ce pauvre malheureux ne pouvoit sortir de l'antre qu'après avoir été extrêmement effrayé ; aussi les anciens tiroient de la caverne de Trophonius, la comparaison d'une extrême frayeur, comme il paroît par plusieurs passages des Poëtes, & entr'autres d'Aristophane. Ce qui augmentoit encore l'horreur de la caverne, c'est qu'il y avoit peine de mort pour ceux qui osoient interroger le dieu sans les préparatifs nécessaires.

Cependant Pausanias assure qu'il n'y avoit jamais eu qu'un homme qui fût entré dans l'antre de Trophonius, & qui n'en fût pas sorti. C'étoit un espion que Démétrius y avoit envoyé, pour voir s'il n'y avoit pas dans ce lieu saint quelque chose qui fût bon à piller. Son corps fut trouvé loin de-là, & il y a apparence que son dessein étant découvert, les prêtres le massacrerent dans l'antre même, & le firent sortir par quelque issue, par laquelle ils entroient eux-mêmes dans la caverne sans qu'on s'en apperçût. Pausanias ajoute à la fin : " ce que j'écris ici, n'est pas fondé sur un ouï-dire ; je rapporte ce que j'ai vu arriver aux autres, & ce qui m'est arrivé à moi-même ; car pour m'assurer de la vérité, j'ai voulu descendre dans l'antre, & consulter l'oracle ".

Il faut terminer ce récit par les réflexions dont M. de Fontenelle l'accompagne dans son Histoire des oracles. Quel loisir, dit-il, n'avoient pas les prêtres pendant tous ces différens sacrifices qu'ils faisoient faire, d'examiner si on étoit propre à être envoyé dans l'autre ? Car assurément Trophonius choisissoit ses gens, & ne recevoit pas tout le monde. Combien toutes ces ablutions, ces expiations, ces voyages nocturnes, & ces passages dans des cavernes étroites & obscures, remplissoient-elles l'esprit de superstition, de frayeur & de crainte ? Combien de machines pouvoient jouer dans ces ténébres ? L'histoire de l'espion de Démétrius nous apprend qu'il n'y avoit pas de sureté dans l'antre, pour ceux qui n'y apportoient pas de bonnes intentions ; & de plus qu'outre l'ouverture sacrée, qui étoit connue de tout le monde, l'antre en avoit une secrette qui n'étoit connue que des prêtres. Quand on s'y sentoit entraîné par les piés, on étoit sans doute tiré par des cordes, & on n'avoit garde de s'en appercevoir en y portant les mains, puisqu'elles étoient embarrassées de ces compositions de miel qu'il ne falloit pas lâcher. Ces cavernes pouvoient être pleines de parfums & d'odeurs qui troubloient le cerveau ; ces eaux de LÉthé & de Mnémosyne pouvoient aussi être préparées pour le même effet. Je ne dis rien des spectacles & des bruits dont on pouvoit être épouvanté ; & quand on sortoit de-là tout hors de soi, on disoit ce qu'on avoit vu ou entendu à des gens qui profitant de ce désordre, le recueilloient comme il leur plaisoit, y changeoient ce qu'ils vouloient, ou enfin en étoient toujours les interpretes. (D.J.)


TROPIQUESS. m. terme d'Astronomie, ce sont deux petits cercles de la sphere, paralleles à l'équateur, & passant par les points solsticiaux, c'est-à-dire par des points éloignés de l'équateur de 23 degrés 1/2 environ. ME & NL représentent ces cercles dans les Planches d'Astronomie, fig. 52.

Les tropiques sont les cercles paralleles à l'équateur, que le soleil atteint lorsqu'il est dans sa plus grande déclinaison, soit septentrionale, soit méridionale. Voyez ECLIPTIQUE & OBLIQUITE, &c.

Celui de ces deux cercles qui passe par le premier point de cancer s'appelle tropique du cancer. Celui qui passe par le premier point du capricorne est le tropique du capricorne. Voyez CANCER & CAPRICORNE.

Tropique vient de qui signifie tour ; on l'a nommé ainsi à cause que le soleil, après s'être écarté continuellement de l'équateur, se rapproche de ce cercle lorsqu'il a atteint le tropique.

Si N D exprime l'obliquité de l'écliptique, E N sera la distance des deux tropiques, laquelle est double de la plus grande déclinaison, ainsi la distance des deux tropiques est d'environ 47 degrés, & c'est aussi la largeur de la zone torride ou brûlante, que ces deux tropiques renferment.

Le soleil est vertical aux habitans du tropique du cancer le jour du solstice d'été, & le jour du solstice d'hiver, aux habitans du tropique du capricorne.

Les tropiques ont divers usages considérables ; ils renferment la route du mouvement du soleil dans l'écliptique ; ce sont comme deux barrieres que cet astre ne passe jamais. C'est dans les mêmes cercles que le soleil fait le plus long & le plus court jour de l'année, de même que la plus longue & la plus courte nuit. Ils marquent les lieux de l'écliptique où se font les solstices, & auxquels le soleil a sa plus grande déclinaison, sa plus grande & sa plus petite hauteur méridienne. Ils montrent dans l'horison les plus grandes amplitudes orientales & occidentales du soleil, & dans le méridien sa plus grande & sa plus petite distance du zénith pour les habitans de la sphére oblique. Ils renferment l'espace de la terre, que l'on nomme zone torride ou brûlée, parce que les rayons du soleil tombant à plomb sur cette zone, y causent d'excessives chaleurs. Ils marquent sur l'horison quatre points collatéraux, l'orient & l'occident d'été, l'orient & l'occident d'hiver ; & la distance de ces mêmes points au lever & au coucher équinoxial, montre les plus grandes amplitudes du soleil, dont on vient de parler. Enfin, ils déterminent les limites de la zone torride & des zones temperées : suivant les observations, toute la variation de l'obliquité de l'écliptique ne va pas au-delà de 24 min. Copernic l'a observé de 23 deg. 28 min. Tycho Brahé, de 23 deg. 31 min. & elle est à présent moindre que 23 deg. 29 min. M. Formey.

On a cette distance par observation, en retranchant la hauteur méridienne du soleil dans le solstice d'hiver, de sa hauteur méridienne dans le solstice d'été. Voyez ECLIPTIQUE, SOLSTICE, &c.

Tropique est aussi adjectif. Année tropique. Voyez ANNEE.

TROPIQUE, oiseau du, (Hist. nat. Ornithol.) c'est un oiseau que l'on ne trouve, soit en mer, soit vers les côtes, que vers les tropiques. Il est de la grosseur d'un pigeon, il a la forme d'une perdrix. Son plumage est tout blanc, à l'exception de quelques plumes des aîles qui sont d'un gris clair ; son bec qui est court est d'une couleur jaune ; il a sur le croupion une longue plume ou un tuyau d'environ 7 à 8 pouces de long, qui lui tient lieu de queue. Telle est la description qu'on donne de cet oiseau dans la nouvelle Espagne ; mais il y a apparence que l'on en trouve de différentes especes, ils sont connus sous les noms de paille-en-cu ou fétu-en-cu. Voyez PAILLE-EN-CU.

TROPIQUES, s. m. pl. (Hist. ecclés.) nom d'une secte ancienne d'hérétiques.

S. Athanase dans sa lettre à Serapion, appelle ainsi les Macédoniens qu'on appelloit autrement dans l'orient pneumatomaches, & il leur donne ce titre, parce qu'ils expliquoient par tropes & dans un sens figuré les passages de l'Ecriture, où il est fait mention du S. Esprit, pour prouver, comme ils le prétendoient, qu'il n'étoit qu'une vertu divine, & non pas une personne. Voyez MACEDONIENS.

Quelques controversistes catholiques ont aussi donné le nom de Tropiques ou de Tropistes aux sacramentaires qui expliquent les paroles de l'institution de l'Eucharistie, dans un sens de trope ou de figure. Voy. EUCHARISTIE.


TROPITESS. m. pl. (Hist. ecclés.) sectes d'hérétiques, qui, selon Philastre, soutenoient que le Verbe avoit été converti en chair ou en homme, & par conséquent qu'il avoit cessé d'être Dieu en s'incarnant. Voyez INCARNATION.

Ils fondoient leur opinion sur le passage de S. Jean, le Verbe a été fait chair, qu'ils entendoient mal, comme si ces paroles signifioient, que le Verbe avoit éte converti en chair, & non pas que le Verbe se fût revêtu de la chair & de la nature humaine.


TROPOEA(Mythol.) surnom donné à Junon, parce qu'elle étoit censée présider aux triomphes ; & que dans ces sortes de cérémonies, on lui offroit toujours des sacrifices. (D.J.)


TROPOEOLUMS. m. (Hist. nat. Bot.) c'est dans le système de Linnaeus le nom du genre de plante appellée par Tournefort, cardamindum ; & par Bauhin, nasturtium indicum. En voici les caracteres : le calice est formé d'une seule feuille, divisée en cinq segmens, droits, déployés, pointus, colorés, & dont les deux inférieurs sont plus étroits que les autres ; ce calice tombe. La fleur est à cinq pétales arrondis, insérés dans les divisions du calice ; les deux pétales supérieurs sont fendus aux bords, les trois autres sont velus & très-allongés ; les étamines sont huit filets courts, inégaux, finissant en pointe aiguë ; les bossettes des étamines sont droites, oblongues & à quatre loges ; le germe est arrondi, sillonné & formé de trois lobes ; le stile est simple, droit, & de la longueur des étamines ; le stigma est aigu & fendu en trois ; le fruit est composé de trois capsules convexes, sillonnées d'un côté, & angulaires de l'autre ; les graines au nombre de trois, sont aussi bosselées d'un côté, & angulaires de l'autre ; mais cependant en quelque maniere arrondies sur le tout, & profondement sillonnées. Linnaei, gen. plant. pag. 158. (D.J.)


TROPOEUS(Mythol.) surnom donné à Jupiter, par la même raison que celui de Tropoea à Junon ; il y a des auteurs qui font venir ce mot du grec , je change, comme qui diroit, Jupiter qui change, qui renverse les états à sa fantaisie. (D.J.)


TROPPAU(Géog. mod.) en latin moderne, Oppavia, ville d'Allemagne, dans la Silésie, capitale du duché de même nom, sur la riviere d'Oppa, & sur celle de Mohr, dans une agréable plaine, à 30 lieues au sud-est de Breslau. Les Danois prirent cette ville en 1626 ; les Impériaux, en 1627 ; les Suédois, en 1642. Long. 35. 44. lat. 50. 6. (D.J.)


TROQUES. f. (Gram. & Comm.) terme de commerce, qui n'est guere en usage que dans les colonies françoises du Canada, où il signifie la même chose que troc ou échange. Aller faire la troque avec les habitans de Quebec, de Mont-Real, &c. c'est porter des marchandises d'Europe pour échanger avec les pelleteries & autres choses, qu'on tire de cette partie de l'Amérique septentrionale. Dict. de Comm.


TROQUERfaire un troc, échanger une chose contre une autre. Dans la nouvelle France, on dit faire la troque. Voyez TROC & TROQUE. Id. ibid.

TROQUER les aiguilles, terme d'Epinglier ; c'est les faire passer les unes après les autres sur un morceau de plomb, pour faire sortir avec un poinçon un petit morceau d'acier qui est resté dans la tête après qu'elles ont été percées. Savary. (D.J.)


TROQUEURcelui qui est dans l'habitude de troquer. Voyez TROQUER.

TROQUEUR, s. m. en terme de Cloutier, faiseur d'aiguilles courbes ; c'est une espece de poinçon, dont on se sert pour faire le trou de l'aiguille qui n'étoit que marqué & pour le rendre quarré, en frappant l'aiguille des deux côtés sur le troqueur.


TROSLY(Géog. mod.) en latin du moyen âge, Trosleium & Drosleium, village de France, au diocèse de Soissons. Je ne parle de ce village, que parce qu'il s'y est tenu des conciles en 909, 921, 924, & 927. Comme on connoît aujourd'hui deux Trosly dans le diocèse de Soissons, l'un sur la rive gauche de la riviere d'Aisne, en allant de Soissons à Compiegne ; l'autre voisin de Couci, & à l'extrêmité du diocèse de Soissons, en allant à Blérancourt ; on ignore lequel des deux Trosly a été celui de la tenue des conciles, dont nous venons d'indiquer les époques. M. de Valois, est pour le premier Trosly ; dom Mabillon & dom Germain tiennent pour le second. Dans le dernier Trosly, il y a encore deux églises paroissiales, & entre ces églises, on voit les vestiges d'un ancien château ; c'est à-peu-près toutes les conjectures que l'on peut apporter en faveur du sentiment de dom Mabillon & Dom Germain. (D.J.)


TROSSETROSSE


TROSSULUM(Géog. anc.) ville d'Asie, dans l'Etrurie, au voisinage du pays des Volsques. Un corps de cavalerie romaine s'étant emparé de cette ville, on donna aux cavaliers le nom de Trossuli ; mais selon Pline, liv. XXXIII. ch. ij. qui rapporte la même chose, ce titre d'honneur devint bien-tôt un titre d'ignominie, dont les cavaliers eurent honte à cause de l'équivoque du mot ; car dans ce tems là trossulus signifioit un homme délicat & effeminé ; le nom moderne est Trossulo, selon LÉandre. (D.J.)


TROTS. m. en terme de Manege, est un des pas naturels du cheval, qu'il forme en élevant deux jambes en l'air, & en posant les deux autres à terre dans le même tems, & en forme de croix de S. André, de sorte qu'en marchant il leve alternativement la jambe de derriere d'un côté, & en même tems la jambe de devant de l'autre côté, en laissant l'autre jambe de derriere & l'autre jambe de devant à terre jusqu'à ce qu'il ait posé les deux premieres.

Moins un cheval leve ses piés de terre, plus il a le trot franc, court & égal ; quand il leve les jambes lentement, c'est un signe qu'il bronche ou qu'il est estropié ; quand il serre ou qu'il croise le pas, cela marque qu'il est fautif ou qu'il s'entre - heurte les jambes, & qu'il est sujet à se donner des atteintes ; s'il allonge le pas, c'est un signe de nerf-ferrure ; & lorsqu'il a le pas inégal, c'est une marque de fatigue & de lassitude.


TROTERv. n. (Maréchal.) c'est aller le trot. troter des épaules, se dit d'un cheval qui trote pesamment. Troter légerement, c'est le contraire. Troter autour du pilier, c'est un exercice qu'on fait faire aux poulains pour les débourrer.

TROTER, terme d'Oiselerie, il se dit du marcher des oiseaux de marécages, lequel est différent des autres, qui ne vont qu'en sautant. Trévoux. (D.J.)


TROTEUou TROTEUX, en terme d'Académie, signifie un cheval qui ne peut aller que le trot. Voyez TROT.


TROTOIRS. m. (Gram.) chemin élevé, qu'on pratique le long des quais & des ponts, pour la commodité de ceux qui vont à pié.


TROUS. m. (Gram.) c'est en général toute ouverture pratiquée naturellement ou par art à quelque chose que ce soit.

TROU, (Architect.) nom général qu'on donne à toute cavité en pierre & en plâtre, creusée quarrément, dans laquelle on scelle des pattes, gonds, barreaux de fer, &c. & que les tailleurs de pierre & les maçons marchandent par nombre à chaque croisée, porte, vitrail, &c. Les trous se font en menuiserie avec des instrumens pointus, comme poinçons, forêts, vrilles, &c. En maçonnerie avec des tarieres, des pinces, des marteaux, des pics, &c. (D.J.)

TROU, en Anatomie, est un nom qui se donne à des cavités qui percent d'outre en outre ; on s'en sert aussi quelquefois pour exprimer l'orifice d'un canal. Voyez CANAL.

Le trou de la membrane du tympan. C'est une fente qui se trouve à la membrane du tympan ou du tambour de l'oreille, qui permet à l'air, à la fumée, &c. de passer de dedans la bouche dans le tambour par la trompe d'Eustache. Voyez OREILLE.

Cette fente est très-petite ; elle part obliquement de la partie supérieure de la membrane du tympan, proche l'apophyse du marteau. On prouve mieux l'existence de ce trou quand il y a quelque ulcere au palais & que le malade se bouche le nez & la bouche, & qu'il oblige ainsi l'air de se porter dans les oreilles & de sortir par la fente du tympan, que par aucun examen anatomique. Voyez TYMPAN.

Trou ovale ou trou botal, ou trou qui se trouve dans le coeur du foetus, & qui se ferme après sa naissance. Voyez nos Planches anat. & leur explic. Voyez FOETUS. Il naît au-dessus de la veine coronaire, proche de l'oreillette droite, & passe directement dans l'oreillette gauche du coeur. Voyez COEUR.

Le trou ovale est une des choses particulieres au foetus, & par où il differe de l'adulte ; il sert à la circulation du sang du foetus jusqu'à ce qu'il puisse respirer & que les poumons soient dilatés. Voyez RESPIRATION.

Leon Botal, d'Astien Piémont, a le premier décrit exactement, en 1562, l'usage de ce trou. Lorsqu'il décrit la circulation du sang, il assure que le trou ovale est une des voies par où le sang, dans le foetus, est porté du ventricule droit dans le ventricule gauche.

Les anatomistes modernes approuvent cette découverte, & regardent tous le trou ovale comme absolument nécessaire pour la circulation du sang dans le foetus. Voyez CIRCULATION.

A l'ouverture du trou il y a une espece de membrane flottante qui ressemble à une valvule, mais elle n'en fait point l'office, car elle ne peut point empêcher le sang de passer d'une oreillette dans l'autre. Suivant M. Winslow cette membrane ne sert qu'à fermer le trou lorsque le foetus est né.

C'est un sentiment unanimement reçu, que le trou ovale peut quelquefois rester ouvert, même dans les adultes ; nous en avons beaucoup d'exemples rapportés par différens auteurs.

Le docteur Connor assure qu'il a trouvé un trou botal à demi-ouvert dans une fille âgée de quatre ou cinq ans, & il le trouva assez grand dans une fille qu'il ouvrit à Oxford pour laisser passer une tente. Dissert. médic. & phys. de Stap. oss. coat.

L'exact M. Cowper ajoute, qu'il a souvent trouvé le trou botal ouvert dans les adultes. Anat. app. f. 3.

Des anatomistes de Paris observent, que le trou ovale reste toujours ouvert dans le veau marin, c'est pour cela qu'il peut rester pendant si longtems sous l'eau.

Ceux qui ont été rappellés à la vie après avoir resté long-tems sous les eaux, ou après avoir été pendus, étoient peut-être dans ce cas. Voyez NOYE. mais M. Cheselden rejette sans hésiter toutes ces autorités, & il soutient que ni dans les animaux adultes, soit terrestres, soit amphibies, ce trou n'est jamais ouvert.

Il dit que quand il commença à disséquer qu'il pensoit comme les autres auteurs au sujet du trou botal, mais qu'il s'apperçut par la suite qu'il avoit pris l'orifice de la veine coronaire pour le trou ovale, & il pense que les autres auteurs qui assurent qu'il est toujours ouvert dans les amphibies, ont donné dans la même méprise que lui, parce qu'après nombre de recherches faites avec exactitude, il n'a jamais trouvé ce trou ouvert dans ces animaux. Voyez AMPHIBIES.

Et il ne peut pas croire que l'ouverture de ce trou pût mettre ces animaux en état de vivre sous l'eau comme le foetus vit dans la matrice, à-moins que le canal artériel ne fut aussi ouvert. Cheseld. Ap. phys. thesl. l. IV. c. vij.

On vient de voir que le trou ovale a une valvule, qui dans le foetus laisse passer le sang d'une oreillette du coeur dans l'autre, & qu'après la naissance de l'enfant elle se colle peu-à-peu à la circonférence de ce trou, & ne permet plus cette communication qui étoit entre les deux oreilles ; cependant M. Hunauld a fait voir à l'académie le coeur d'un sujet de 50 ans, où cette valvule collée exactement comme elle devroit être, à la circonférence du trou ovale, étoit percée dans son milieu d'une ouverture d'environ trois lignes de diametre, & par conséquent donnoit au sang un passage d'une oreillette dans l'autre, aussi libre qu'avant la naissance, si elle avoit toujours été collée, & presque aussi libre, si elle ne l'avoit pas toujours été. L'ouverture de la valvule n'avoit été produite ni par un déchirement, ni par une suppuration, & cela se reconnoissoit facilement à son rebord. Il est nécessaire que le trou ovale soit ouvert dans le foetus qui ne respire pas, mais il n'est peut - être pas également nécessaire qu'il soit fermé quand on respire. En 1740 M. Duhamel a lû à l'académie une seconde observation de M. Aubert, médecin de la marine à Brest, qui confirme exactement celle de M. Hunauld ; toute la différence est que le sujet de M. Hunauld avoit cinquante ans, & celui de M. Aubert trente.

La valvule que nous avons dit se coller quelque tems après la naissance au bord du trou ovale, paroît une partie bien nécessaire à la circulation du sang dans le foetus ; cependant M. Lieutaud dit l'avoir vû manquer entierement dans un foetus de neuf mois. (D.J.)

TROUS DU CRANE, (Anatomie) comme dans une grande ville il y a différentes portes, au moyen desquelles les habitans de la campagne communiquent avec ceux de la ville pour les besoins réciproques ; de même dans le crâne il se rencontre différens trous, au moyen desquels il entre, par divers canaux, la nourriture pour le cerveau, & il en sort par d'autres les esprits préparés dans cet organe, & qui sont nécessaires pour exécuter les mouvemens du corps ; Keill a fait l'énumération de tous ces trous, mais il importe encore plus de savoir qu'ils offrent, comme les autres parties du corps, des jeux & des variétés de la nature ; j'en citerai seulement deux ou trois exemples.

On rencontre quelquefois, contre l'ordinaire, un trou ou canal à la partie inférieure & antérieure des os pariétaux, par lequel passe une branche de la carotide externe, qui va distribuer ses rameaux à la dure-mere.

Les temporaux ont communément cinq trous extérieurs ; l'un d'eux est situé de chaque côté derriere l'apophyse mastoïde ; ce trou, quoique considérable, ne se rencontre dans quelque sujet que d'un côté, & d'autres fois point-du-tout.

L'occipital a d'ordinaire sept trous, au nombre desquels il y en a deux considérables qui répondent aux fosses jugulaires, & cependant ils ne se trouvent quelquefois que d'un côté ; M. Hunauld, Mém. de l'acad. 1730, a remarqué au sujet de ces deux trous, que celui du côté droit est ordinairement bien plus grand que celui du côté gauche ; & comme le diametre du sinus latéral droit est aussi d'ordinaire à proportion plus grand que celui du gauche, cet académicien en conclut que la saignée de la jugulaire du côté droit est différente par son effet de celle du côté gauche ; mais il falloit conclure seulement, qu'en ce cas le sang s'évacuoit plus promtement du côté droit dans le même tems donné. (D.J.)

TROUS D'AMURES, (Marine) voyez AMURES.

TROUS D'ECOUTES, (Marine) trous ronds percés en biais dans un bout de bois, en maniere de dalots, par où passent les grandes écoutes.

TROU, (Horlogerie) outil à rapporter des trous : c'est un instrument représenté dans nos Planches de l'Horlogerie, dont les Horlogers se servent lorsqu'ils ont besoin de refaire un trou dans une platine (ou comme ils disent de le reboucher), dans le même endroit précisément où il étoit avant. Ce qu'il y a d'essentiel dans cette opération, c'est de déterminer deux points fixes sur la platine dont on connoisse la distance au centre du trou. Voici comment on les détermine avec cet outil. La piece m o mobile sur les deux pivots TT est continuellement poussée à-travers le trou V de m vers o, au moyen du ressort r qui appuie dessus en m, de façon que la pointe o de cette piece deborde toujours les autres P P ; ainsi faisant entrer cette pointe dans le trou que l'on veut reboucher, on abaisse ensuite les deux autres P P, & on les presse un peu contre la platine, au moyen de quoi elles marquent deux points ; le trou étant rebouché, on représente l'outil sur la platine en élevant la pointe o, de façon qu'il n'y ait que les deux autres qui portent dessus cette platine, & on les fait rentrer bien précisément dans les mêmes points ou petits trous qu'elles avoient marqués ci-devant ; cela étant fait, on lâche la pointe o dont l'extrêmité fort aiguë marque un petit point dans le même endroit précisément où étoit le centre du trou avant de l'avoir bouché, puisque la distance entre ce centre & ces points a été prise d'une maniere invariable par ces trois pointes O & P P. Dans cet outil la pointe O communément n'est ni mobile, comme elle est ici, ni dans une même ligne ; elle est seulement un peu plus longue que les deux autres, & forme avec elles une espece de triangle. Cette disposition lui donne un grand défaut, parce que les trous que l'on rebouche, étant plus ou moins grands, la pointe o y entre plus ou moins avant ; d'où il arrive que le point que cet outil donne (en s'en servant de la même maniere approchant que du précédent), n'est point au centre du trou que l'on a bouché, mais dans l'arc du cercle décrit par la pointe O dans ces différentes situations ; pour peu qu'on y fasse attention, on en concevra la raison facilement, & pourquoi on a donné à cet outil la disposition représentée dans la figure ; cet instrument est en général fort utile en ce qu'il épargne beaucoup de peine à l'ouvrier.

TROU DU TAMPON, les Fondeurs appellent ainsi le trou par lequel le métal sort du fourneau pour entrer dans l'écheno. Il est fait en forme de deux entonnoirs joints l'un contre l'autre par leurs bouts les plus étroits. On bouche celui qui est du côté du fourneau, avec un tampon de fer de la figure de l'ouverture qu'il doit remplir, & que l'on met par le dedans du fourneau avec de la terre qui en bouche les joints ; de sorte que le tampon étant en forme de cône, le métal ne peut le pousser dehors. Voyez FONDERIE & les Planches de la fonderie des figures équestres.

TROU, (Jardinage) est l'ouverture que l'on creuse pour planter les arbres proportionnément à leur force ; on les fait de six piés en quarré pour les plus grands arbres ; ordinairement ils ne sont que de trois ou quatre piés en quarré, & leur profondeur se regle suivant la qualité de la terre. Voyez PLANTER.

TROU, terme de jeu de Paume, c'est un petit trou d'environ un pié en quarré, pratiqué au-bas d'un des murs du bout d'un jeu de paume au niveau du pavé. Lorsqu'une balle entre dans le trou de volée ou du premier bond, le joueur qui l'a poussée, gagne quinze.

TROU-MADAME, s. f. (Jeux) espece de jeu où l'on joue avec des petites boules ordinairement d'ivoire, qu'on tache de pousser dans des ouvertures en forme d'arcades marquées de différens chiffres. Jouer au trou-madame, c'est, dit Richelet, jouer à une sorte de jeu composé de treize portes & d'autant de galeries, auquel on joue avec treize petites boules. On appelle du même nom l'espece de machine ouverte en forme d'arcades, dans lesquelles on pousse les boules.


TROUBADOURou TROMBADOURS, s. m. (Littérat.) qu'on trouve aussi écrit trouveors, trouveours, trouverses & trouveurs, nom que l'on donnoit autrefois, & que l'on donne encore aujourd'hui aux anciens poëtes de Provence. Voyez POESIE.

Quelques-uns prétendent qu'on les a appellés trombadours ; parce qu'ils se servoient d'une trompe ou d'une trompette dont ils s'accompagnoient en chantant leurs vers.

D'autres préferent le mot de troubadours qu'ils font venir du mot trouver, inventer, parce que ces poëtes avoient beaucoup d'invention, & c'est le sentiment le plus suivi.

Les poésies des troubadours consistoient en sonnets, pastorales, chants, satyres, pour lesquelles ils avoient le plus de goût, & en tensons ou plaidoyers qui étoient des disputes d'amour.

Jean de Notre-Dame ou Nostradamus qui étoit procureur au parlement de Provence, est entré dans un grand détail sur ce qui concerne ces poëtes.

Pasquier dit qu'il avoit entre les mains l'extrait d'un ancien livre qui appartenoit au cardinal Bembo, & qui avoit pour titre : les noms d'aquels firent temons & syrventes. Ils étoient au nombre de 96, & il y avoit parmi eux un empereur, savoir Frédéric I. deux rois, Richard I. roi d'Angleterre, & un roi d'Aragon, un dauphin de Viennois & plusieurs comtes, &c. non pas que tous ces personnages eussent composé des ouvrages entiers en provençal, mais pour quelques épigrammes de leur façon faites dans le goût de ces poëtes. Les pieces mentionnées dans ce titre & nommées syrventes, étoient des especes de poëmes mêlés de louanges & de satyres, dans lesquels les troubadours célébroient les victoires que les princes chrétiens avoient remportées sur les infideles dans les guerres d'outre-mer.

Pétrarque au iv. chapitre du triomphe de l'amour, parle avec éloge de plusieurs troubadours. On dit que les poëtes italiens ont formé leurs meilleures pieces sur le modele de ces poëtes provençaux, & Pasquier avance positivement que le Dante & Pétrarque sont les vraies fontaines de la poésie italienne, mais que ces fontaines ont leur source dans la poésie provençale.

Boucher, dans son histoire de Provence, raconte que vers le milieu du douzieme siecle les troubadours commencerent à se faire estimer en Europe, & que la réputation de leur poésie fut au plus haut degré vers le milieu du xiv. siecle. Il ajoute que ce fut en Provence que Pétrarque apprit l'art de rimer, qu'il pratiqua & qu'il enseigna ensuite en Italie.

En effet outre les différentes sortes de poésies que composerent les troubadours, même dès la fin du xj. siecle, ils eurent la gloire d'avoir les premiers fait sentir à l'oreille les véritables agrémens de la rime. Jusqu'à eux elle étoit indifféremment placée au commencement, au repos ou à la fin du vers ; ils la fixerent où elle est maintenant, & il ne fut plus permis de la changer. Les princes de ce tems-là en attirerent plusieurs à leurs cours, & les honorerent de leurs bienfaits. Au reste ces troubadours étoient différens des conteurs, chanteurs & jongleurs qui parurent dans le même tems. Les conteurs composoient les proses historiques & romanesques ; car il y avoit des romans rimés & sans rimes ; les premiers étoient l'ouvrage des troubadours, & les autres ceux des conteurs. Les chanteurs chantoient les productions des poëtes, & les jongleurs les exécutoient sur différens instrumens. Voyez JONGLEURS.

" Les premiers poëtes, dit M. l'abbé Massieu dans son histoire de la poésie françoise, menoient une vie errante, & ressembloient du-moins par-là aux poëtes grecs. Lorsqu'ils avoient famille, ils menoient avec eux leurs femmes & leurs enfans qui se mêloient aussi quelquefois de faire des vers ; car assez souvent toute la maison rimoit bien ou mal à l'exemple du maître. Ils avoient soin encore de prendre à leur suite des gens qui eussent de la voix pour chanter leurs compositions, & d'autres qui sussent jouer des instrumens pour accompagner. Ecoutés de la sorte ils étoient bien venus dans les châteaux & dans les palais. Ils égayoient les repas ; ils faisoient honneur aux assemblées, mais surtout ils savoient donner des louanges, appât auquel les grands se sont presque toujours laissés prendre ". Hist. de la poésie françoise, pag. 96.

" Quelquefois, dit M. de Fontenelle, durant le repas d'un prince on voyoit arriver un trouverse inconnu avec ses menestrels ou jongleours, & il leur faisoit chanter sur leurs harpes ou vielles les vers qu'il avoit composés. Ceux qui faisoient les sons, aussi bien que les mots, étoient les plus estimés. On les payoit en armes, draps & chevaux, & pour ne rien déguiser, on leur donnoit aussi de l'argent ; mais pour rendre les récompenses des gens de qualité plus honnêtes & plus dignes d'eux, les princesses & les plus grandes dames y joignoient souvent leurs faveurs. Elles étoient fort foibles contre les beaux esprits ". Histoire du théatre franç. pag. 5. & 6., Oeuv. de M. de Fontenelle, tom. III.

Les plus célebres troubadours sont Arnaud Daniel, né dans le xij. siecle à Tarascon ou à Beaucaire ou à Montpellier, d'une famille noble, mais pauvre, auteur de plusieurs tragédies & comédies, & entr'autres d'un poëme intitulé, les illusions du paganisme, des poésies duquel Pétrarque a bien su profiter. Anselme Faydit, Hugues Brunet, Pierre de Saint-Remi, Perdrigon, Richard de Noues, Luco, Parasols, Pierre Roger, Giraud de Bournel, Remond le Proux, Rutheboeuf, Hebers, Chrétien de Troies, Eustaceli peintre, &c.

Ces troubadours brillerent en Europe environ 250 ans, c'est-à-dire, depuis 1120 ou 1130, jusqu'à la fin du regne de Jeanne I. du nom, reine de Naples & de Sicile, & comtesse de Provence, qui mourut en 1382. Alors défaillirent les Mécènes, & défaillirent aussi les poëtes, dit Nostradamus. D'autres voulurent suivre les traces des premiers troubadours, mais n'en ayant pas la capacité, ils se firent mépriser ; de sorte que tous ceux de cette profession se séparerent en deux différentes especes d'acteurs ; les uns sous l'ancien nom de jongleurs, joignirent aux instrumens le chant ou le récit des vers, & les autres prirent simplement le nom de joueurs, joculatores, ainsi qu'ils sont nommés dans les anciennes ordonnances.

M. l'abbé Goujet, de qui nous empruntons ceci, remarque que parmi ces poëtes il y en eut qu'on nomma comiques, c'est-à-dire comédiens, parce qu'en effet ils jouoient eux-mêmes dans les pieces qu'ils composoient, & peut-être dans celles qu'ils débitoient à la cour des rois & des princes où ils étoient admis. Suppl. de Moreri.


TROUBLES. m. (Gram.) état contraire à celui de paix, de tranquillité, de repos. On dit le trouble de l'air, le trouble des eaux, le trouble des provinces, les troubles d'une maison, le trouble des passions, de la conscience, du coeur, de l'esprit. Il y avoit dans toutes ses actions ce trouble que cause toujours l'amour vrai dans l'innocence de la premiere jeunesse : les discours de celui qui aime, sont accompagnés d'un trouble plus séducteur que tout ce qu'il dit.

TROUBLE, (Jurisprud.) est l'interruption qui est faite à quelqu'un dans sa possession.

Pour acquérir la prescription il faut entr'autres choses avoir joui sans trouble pendant le tems fixé par la loi.

Le trouble est de fait ou de droit.

On entend par trouble de fait celui qui se commet par quelque action qui nuit au possesseur, comme quand un autre vient prendre possession du même héritage, qu'il le fait labourer ou ensemencer, qu'il en fait recolter les fruits, ou lorsqu'il empêche le premier possesseur de le faire.

Le trouble de droit est celui qui sans faire obstacle à la possession de fait, empêche néanmoins qu'elle ne soit utile pour la prescription, comme quand on fait signifier quelque acte au possesseur pour interrompre sa possession.

Celui qui prétend avoir la possession d'an & jour, & qui intente complainte, déclare qu'il prend pour trouble en sa possession d'an & jour l'acte qui lui a été signifié, ou l'entreprise faite par son adversaire, il demande d'être maintenu dans sa possession ; & pour réparation du trouble, des dommages & intérêts. Voyez COMPLAINTE, POSSESSION, PRESCRIPTION. (A)

TROUBLE, (Pêcherie) filet de pêcheurs dont on ne se sert guere qu'en hiver, pour aller pêcher le long des rivages en l'enfonçant sous les bordages, ce qui ne pouvant s'exécuter sans troubler l'eau, a donné le nom au filet. Il est fait en demi-rond, que forme un morceau d'orme autour duquel le filet de la trouble est attaché ; une fourchette de bois à deux ou trois fourchons soutient le morceau d'orme & sert de manche : on ne s'en sert que de dessus le bateau. Ce filet a ordinairement huit à neuf piés de hauteur. Savary. (D.J.)


TROUBLÉEadj. (Mathémat.) on dit que des grandeurs sont en raison troublée, quand étant proportionnelles, elles ne le sont pas dans le même ordre où elles sont écrites. Supposons les trois nombres 2, 3, 9, dans un rang, & trois autres 8, 24, 36, dans un autre rang proportionnel aux trois précédens, mais dans un ordre différent ; en sorte que 2 soit à 3 : : 24 est à 36, & 3 est à 9 comme 8 est à 24, on dit en ce cas que ces grandeurs sont en raison troublée. Voyez RAISON. Chambers. (E)


TROUCHET(instrument de Tonnelier) c'est une espece de gros billot de bois construit comme le moyeu d'une roue ; il est plat par en-haut, & porté par en-bas sur trois piés. Les tonneliers s'en servent pour doler leurs douves, c'est-à-dire pour les dégrossir.


TROUETTEvoyez GARDON.


TROUPEBANDE, COMPAGNIE, (Synon.) plusieurs personnes jointes pour aller ensemble font la troupe. Plusieurs personnes séparées des autres pour se suivre & ne se point quitter, font la bande. Plusieurs personnes réunies par l'occupation, l'emploi ou l'intérêt, font la compagnie.

On dit une troupe de comédiens, une bande de violons, & la compagnie des Indes.

Il n'est pas honnête de se séparer de sa troupe pour faire bande a part ; & il convient ordinairement de prendre le parti de la compagnie où l'on se trouve engagé. Girard. (D.J.)

TROUPES, (Art milit.) on appelle du nom général de troupes toutes sortes de gens armés & assemblés pour combattre.

Les troupes sont composées principalement de deux sortes de personnes ; savoir de simples combattans & d'officiers.

Les simples combattans sont ceux qui ne sont chargés d'aucune autre chose que d'employer leur personne & leur force dans les fonctions de la guerre.

Les officiers sont ceux qui outre l'obligation de simples combattans, doivent encore être employés à la conduite des troupes, & à y maintenir l'ordre & la regle.

Les troupes sont formées de gens destinés à combattre à pié, & d'autres à combattre à cheval. On ne mêle pas confusément ces deux especes de combattans. On fait combattre ensemble les gens de pié, de même que ceux de cheval ; on les partage en différens corps, appellés bataillons pour les premiers, & escadrons pour les seconds. Il y a des troupes qui combattent à pié & à cheval, suivant l'occasion ; voyez INFANTERIE, CAVALERIE, DRAGONS, ESCADRON, BATAILLON & EVOLUTION.

Outre les troupes de cavalerie & d'infanterie dont on vient de parler, il y a des troupes légeres composées de l'une & l'autre espece, dont l'objet est d'aller à la découverte, de roder continuellement autour de l'ennemi pour épier ses démarches, le harceler, &c. Ces troupes différent des autres en ce qu'elles ne sont pas, comme celles-ci, destinées à combattre en ligne.

Les troupes d'un état sont nationales ou étrangeres. Il y a plusieurs inconvéniens à en avoir un trop grand nombre d'étrangeres ou d'auxiliaires dans les armées ; car outre qu'elles coûtent plus que les nationales, elles sont plus difficiles à conduire, & bien plus difficiles à ramener lorsque l'esprit de sédition & de mutinerie s'y introduit. " Les premiers Romains, dit un auteur célebre, ne mettoient point dans leurs armées un plus grand nombre de troupes auxiliaires que de romaines ; & quoique leurs alliés fussent proprement des sujets, ils ne vouloient point avoir pour sujets des peuples plus belliqueux qu'eux-mêmes. Mais dans les derniers tems nonseulement ils n'observerent pas cette proportion des troupes auxiliaires, mais même ils remplirent de soldats barbares les corps des troupes nationales, ce qui contribua beaucoup à leur décadence. " Voyez sur cette matiere le commentaire sur Polybe de M. le chevalier Folard, tom. II. pag. 379. les réflexions militaires de M. le marquis de Santa-Cruz, tom. I. ch. xj. & suiv. &c.

Les troupes que chaque état entretient doivent être proportionnées à sa richesse & au nombre d'habitans qu'il contient, autrement il est difficile de les entretenir long-tems.

Suivant M. le président de Montesquieu, " une expérience continuelle a pu faire connoître en Europe, qu'un prince qui a un million de sujets, ne peut, sans se détruire lui-même, entretenir plus de dix mille hommes.

On doit, dit M. de Beausobre sur ce même sujet, établir une proportion entre la quantité de troupes à entretenir, & celle des citoyens que l'on a. Quoiqu'un prince puisse en ménager une partie par un supplément de troupes étrangeres, ce supplément casuel ne doit pas le dispenser d'observer cette proportion dans son état : il doit regarder comme un gain de soulager les nationaux d'une partie des occasions qui peuvent en diminuer le nombre, sans cependant laisser perdre le goût des armes, & le point d'honneur de la nation. Les Carthaginois périrent pour avoir outré ce ménagement, & rendu leurs citoyens paresseux. Jusqu'à Auguste les Romains observerent très-exactement la proportion entre les légions des citoyens & celles des alliés. Les empereurs ayant négligé cette proportion, elle fut perdue de vue & s'évanouit avec l'empire.

Un état, continue le même auteur, qui auroit de grandes villes dont les terres devroient être nécessairement cultivées, où il y auroit beaucoup d'employés, d'artisans, de célibataires, de magistrats, d'ecclésiastiques, de fabriquans, de littérateurs, & qui contiendroit vingt millions d'ames, ne pourroit pas entretenir plus de deux cent mille hommes sous les armes, c'est-à-dire en arracher un plus grand nombre à la culture des terres, aux arts & aux professions nécessaires à l'intérieur de l'état ; encore faudroit-il que cet état n'essuyât pas de longues guerres, & fût fondé sur des loix qui encourageassent la population. Sans ces deux conditions on auroit peine à en entretenir cent mille.

Il faut considérer les hommes qui composent la milice, comme vivant beaucoup moins que les autres, comme célibataires, & les plus vigoureux d'entr'eux comme incapables de faire la guerre avec l'activité réquise dès qu'ils ont fait vingt campagnes. Otez de ces vingt millions d'ames les femmes, les vieillards, les enfans, les hommes hors d'état de servir par leurs infirmités & leur défaut de force ou de courage ; ceux qui sont mal conformés ; les gens exempts du service par leur aisance, les charges & les emplois ; les ecclésiastiques, les magistrats & gens de loix, & les hommes en état de travailler dont les provinces ont besoin, & vous verrez qu'il ne vous en restera pas davantage pour porter la guerre au-dehors & pour l'entretenir. Plus un état est étendu, moins il est peuplé à proportion d'un petit ; plus il est urbanisé, & moins il contient de soldats.

Rome ne renfermoit aucun cultivateur. Les esclaves y composoient la classe des domestiques & celle des artisans. Le célibat y étoit regardé avec ignominie ; les citoyens, à l'exception d'un très-petit nombre de prêtres & d'augures, n'étoient destinés qu'aux armes, & elles étoient unies aux charges du gouvernement. Sur la fin du regne d'Auguste cette capitale contenoit quatre millions cent trente-sept mille citoyens inscrits dans le dénombrement, & d'âge à être admis aux charges ou dans la milice ; le total du peuple de tout âge & de tout sexe étoit de treize millions cinquante-un mille cent soixante-dix-huit ames. La milice composée de citoyens n'étoit que de cent quatre-vingt-sept mille deux cent cinquante, tant infanterie que cavalerie, en sorte que le nombre des ames étoit à celui des soldats, comme 75 ou 76 est à 1 ; il auroit été au-moins de 150 à 1, si l'ancienne Rome eût eu en citoyens le nombre de domestiques & de célibataires de toute condition qu'on trouve dans les villes modernes ". Tableau militaire dec Grecs imprimé à la suite du commentaire sur Enée le tacticien.

Ce n'est pas tant le grand nombre de troupes qui fait la sûreté des états, que des troupes bien disciplinées, & commandées par des chefs consommés dans l'art de la guerre. Les Romains firent toutes leurs conquêtes avec de petites armées, mais bien exercées dans toutes les manoeuvres militaires. " Car une armée formée & disciplinée de longue main, dit un grand capitaine, quoique petite, est plus capable de se défendre & même d'acquérir, que ces armées qui ne s'assurent que sur leur grand nombre. Les grandes conquêtes se sont presque toujours faites par les armées médiocres, comme les grands empires se sont toujours perdus avec leurs peuples innombrables ; & cela parce que ceux qui avoient à combattre ces armées si nombreuses, ont voulu leur opposer une exacte discipline & un bon ordre, & les autres ayant négligé toute bonne discipline & ordre, ont voulu récompenser ce défaut par le grand nombre d'hommes, qui leur a causé toute confusion, & n'a servi qu'à les faire perdre plus honteusement ". Traité de la guerre par M. le duc de Rohan.

Que l'exacte discipline puisse suppléer avantageusement au nombre des troupes, c'est ce que les Grecs & ensuite les Romains ont fait voir dans le degré le plus évident. Les premiers avec leurs petites armées surent vaincre celles de Xerxès & de Darius infiniment plus nombreuses ; & les autres celles de Mithridate & des autres princes de l'Asie qui avoient armé des peuples entiers contre eux. Les anciens bien persuadés que le nombre de troupes sans une bonne discipline ne fait rien à la guerre, ne négligeoient rien pour mettre les leurs en état de ne rien trouver d'impossible, & quels que fussent leurs soldats, ils savoient en faire de bonnes troupes. Lorsque Scipion eut le commandement de l'armée romaine en Espagne, les troupes étoient mauvaises & découragées, parce qu'elles avoient souvent été battues sous les autres généraux. Ce grand homme s'appliqua d'abord à les remettre sous les loix de la discipline, & il trouva bientôt ensuite le moyen de prendre Numance, qui jusque-là avoit été l'écueil de la valeur romaine. C'est par-là que Belisaire se distingua sous Justinien, & qu'il fut le boulevard de l'empire. Avec un général qui avoit toutes les maximes des premiers Romains, il se forma, dit l'illustre auteur de l'esprit des loix, une armée telle que les anciennes armées romaines. Voyez DISCIPLINE MILITAIRE & EXERCICE. (Q)


TROUPEAUXTROUPEAUX

Il en est de la maniere d'élever ces animaux en différens climats, comme de la culture des plantes pour lesquelles chaque climat a ses pratiques différentes ; en sorte que ce qu'on pratique pour les troupeaux dans un pays ne doit pas être suivi dans les autres. Ceux des pays méridionaux, par exemple, ne doivent pas être traités comme ceux des septentrionaux. En ceux-ci les troupeaux restent pendant tout l'hiver sans sortir des bergeries. Dans les autres il est assez rare qu'ils restent enfermés pendant quelques jours de suite. Il pleut, il neige, &c. souvent ou pendant long-tems dans les septentrionaux ; il est rare qu'il pleuve longtems de suite dans les méridionaux ; il est plus rare encore qu'il y neige, & que la neige couvre long-tems de suite la surface de la terre. D'un autre côté les pays méridionaux sont ordinairement exposés à la secheresse vers le printems & l'été, tandis que les septentrionaux jouissent alors d'un tems favorable aux productions de la terre. D'où s'ensuit en général que les troupeaux des pays froids ont besoin pour l'hiver d'une abondante provision de nourriture dans les bergeries, & que ceux des pays chauds en demandent beaucoup moins, puisque ceux-ci ont l'avantage de manger alors une nourriture plus succulente & de leur goût, la prenant eux-mêmes sur les plantes ; aulieu que ceux des pays froids vivant enfermés, ne peuvent se nourrir que des plantes qui ont perdu une partie de leurs sucs par le desséchement qu'exige le moyen de les conserver. Au contraire les troupeaux des pays méridionaux trouvant vers la fin du printems, & plus encore vers l'été les arbustes durcis & les herbes desséchées par les ardeurs du soleil, & par conséquent sans cette fraîcheur salutaire à leur embonpoint, dépérissent, tandis que ceux des septentrionaux jouissent alors de la fraîcheur des plantes, de leur abondance, & sont à l'abri des ardeurs du soleil. Par où l'on voit que les soins & les précautions doivent être différens dans ces différens climats, & que les climats intermédiaires exigent des soins qui participent de ces deux extrêmes, ce qu'il n'est possible de fixer que par des observations faites en chacun d'eux par des personnes intelligentes, & non par des bergers, dont la plûpart ne suivent que la routine. C'est pourquoi n'ayant été à portée d'observer que les usages de mon climat, je me renfermerai à ne parler que de ce coin de la terre si privilégié par la nature à cet égard, selon de très-anciennes observations, pour donner quelques réflexions qui peuvent être de quelque utilité, parce que peu de chose en cette matiere peut produire des grands biens à l'état, les laines du Roussillon & du diocèse de Narbonne, sur-tout celles de la montagne de la Clape, étant les seules, de l'aveu des fabricans & de l'inspecteur général des manufactures de la province de Languedoc, propres à remplacer celles d'Espagne dans la fabrique des Londrins pour les échelles du Levant.

Les plus grands troupeaux de ce climat sont partagés en trois parties. Dans l'une sont les brebis ; dans l'autre les moutons, & la troisieme n'a que les agneaux lorsqu'ils sont sevrés. L'on y reserve du terroir destiné à ces troupeaux la partie la plus fertile en pâturages & la moins pénible pour les brebis, sur-tout quand elles sont avancées dans la grossesse, ou qu'elles alaitent, ou quand elles approchent du tems d'entrer en chaleur. La partie la plus rude est destinée pour les moutons. Les agneaux sevrés participent souvent aux avantages des brebis, & de moins en moins à mesure qu'ils deviennent forts, pour prendre le supplément de leur nourriture sur ce qui est le moins rude qu'on destine aux moutons.

On mêle les béliers avec les brebis dès les premiers jours du mois d'Août, & nous voyons ordinairement que les premiers agneaux naissent au commencement du mois de Janvier suivant, & qu'il en naît plusieurs encore dans le mois d'Avril. Voici ce qui s'ensuit.

Quand l'automne & l'hiver sont doux, & les plantes humectées de tems-en-tems, les arbres, les arbrisseaux, & les aromates en sont plus touffus ; les brebis se portent bien, & les agneaux naissent avec de l'embonpoint ; ils sont alaités tendrement & abondamment ; ils croissent vîte : on les voit caracoler & bondir en troupes dans les bergeries, peu de jours après leur naissance ; dès que leurs meres sont aux champs, où elles restent chaque jour huit, neuf, dix, jusqu'à douze heures de suite ; les agneaux enfermés pendant la foiblesse de leur âge, mangent alors des provisions délicates ; ils préférent avec avidité des feuilles d'olivier, de l'yeuse, qu'on leur coupe à mesure ; ils ne passent guere au-delà d'un mois à vivre de cette façon ; ils suivent ensuite leurs meres pour commencer à paître avec elles. Ils sont disposés ainsi à soutenir les épreuves de la sécheresse quand le printems & l'été en affecte les plantes.

Les choses changent quand l'automne & l'hyver sont rudes, parce que les plantes étant alors dans une espece d'engourdissement, les brebis n'y trouvent qu'une foible nourriture ; elles perdent peu-à-peu l'embonpoint que la transmigration, dans des pays gras pendant l'été, leur avoit donné ; certaines avortent, & les agneaux qui naissent des autres sont la plûpart maigres, les meres les rejettent (il n'y a que la violence qui les fait accueillir), le lait leur manque, malgré les secours artificiels des provisions qu'on leur donne ; enfin les agneaux souffrent, ils en deviennent plus foibles & languissans ; il est rare de les voir jamais, à quelques-uns près, dans un état heureux, & il en est peu de ceux qui naissant les derniers, & trop avant dans le printems, résistent à la sécheresse de cette saison ; le lait leur manque alors, ils ne trouvent pas, quand ils peuvent manger, de quoi brouter sur nos plantes déjà désséchées, de-sorte que la chaleur venant les assaillir, & étant sevrés en même-tems que les premiers nés, ils ne peuvent les suivre qu'avec peine dans les campagnes, ils s'épuisent & périssent avant que d'arriver à l'automne prochaine.

Nous venons de dire que les brebis rejettoient leur agneaux : on les contraint de les accueillir en les enfermant dans une petite case faite exprès avec des claies, & en les y attachant avec une corde qui les embrasse au milieu du corps : on y met l'agneau qu'elle reçoit enfin, ni l'un ni l'autre ne pouvant s'échapper. C'est là où il faudroit soulager la misere & exciter la tendresse par des avoines, des orges, des herbes succulentes, &c. c'est-là aussi où les bergers infideles contraignent de même les beaux agneaux de leurs maîtres à prendre leurs brebis qui en ont eu de misérables, ou qui les ont perdus.

Tout ce qui précéde, nous prescrit qu'il faut que les brebis se portent bien, autant que cela dépendra de nous, eu égard à leurs descendans, indépendamment de tous les autres avantages, & que cet état est à rechercher, sur-tout dans le tems de leurs penchans à la génération, parce qu'il amene vîte à celui de s'accoupler, & fait devancer par conséquent dans l'arriere-saison pour mettre bas leur fruit ; de cette façon les premiers nés se fortifient mieux, & les derniers ne périssent pas.

Quels sont les moyens qu'on emploie pour se procurer cet état favorable des brebis ? les uns ont accoutumé ou de faire passer leurs troupeaux dans les montagnes verdoyantes en tout tems, & la plûpart pendant l'été, dans les plaines fertiles pour y faire manger les herbes qui naissent dans les champs, les épis échappés aux glaneuses, & le chaume. Voici les effets funestes & ordinaires, quand les bergers sans la moindre prudence, & sous le prétexte d'engraisser vîte leurs troupeaux, les laissent paître à leur gré. Ces animaux venant de souffrir la faim & souvent la soif dans les lieux de leur demeure ordinaire, à cause de la sécheresse qui desseche les herbes & les autres plantes dont ils font leur nourriture, & n'ayant pu quitter des lieux si incompatibles alors avec leurs besoins, parce que les moissons sont encore répandues dans les champs où ils doivent se réparer : ces animaux, dis-je, se jettent avec avidité sur cette espece d'abondance, & s'en remplissent ; un grand nombre creve d'indigestion, sur-tout là où les épis n'ont pas été bien ramassés, parce que le grain, en s'enflant dans l'estomac, leur cause sans-doute une espece de suffocation d'autant plus promte, que la soif, suite ordinaire, en les faisant boire immodérément sans opposition des bergers, augmente l'enflure des grains. Il est encore un autre danger dont la mort est aussi la suite, mais dont les effets sont plus lents. Les pâturages gras sont souvent sujets à l'humidité, elle s'y conserve plus avant dans le jour, selon qu'ils sont enfoncés & privés des rayons du soleil ; de maniere que si nos troupeaux y paissent avant l'évaporation de l'humidité qui affecte les plantes, ils en contractent une maladie qui semble tenir de la pulmonie, qu'on appelle dans le pays le gam, & dont ils meurent après avoir langui pendant plusieurs mois. Tous ces endroits seroient bien moins dangereux aux troupeaux sous des bergers sages & vigilans ; mais presque tous paresseux, ne comptant pour rien le danger, & aussi avides de les engraisser que ces animaux sont voraces, s'y laissent tromper. Il faut donc se garantir de ces lieux dangereux, étant plus raisonnable de se retirer sans perte, & avec moins d'embonpoint, que de périr en l'acquérant.

Revenons à la naissance des agneaux. Mêler trop-tôt les brebis avec les beliers, c'est hâter la conception des plus vigoureuses, tandis que celles d'un tempérament foible, quoique également ou plus empressées, ne conçoivent que trois ou quatre mois plus tard ; de sorte que les agneaux premiers nés ont déjà profité des fourrages ensemencés, & de l'étalage des feuilles des plantes de nos guérets & de nos montagnes, quand les autres naissent : il ne reste presque aux derniers nés, pour être nourris, que le lait de leurs meres toujours insuffisant alors : on les livre à suivre bientôt leurs meres pour aller paître ensemble comme les autres suivent les leurs ; il faut parcourir beaucoup d'étendue, à cause des consommations antérieures, pour fournir à la nourriture de tous ; les plus jeunes manquent de force & restent les derniers du troupeau ; les premiers nés en profitent, ils mangent, ils dévorent presque tout, & ne laissant chaque jour aux traineurs que les parties les plus grossieres, ceux-ci ne pouvant fournir à ces marches trop longues pour eux, s'épuisent pour attraper une foible subsistance ; ils succombent enfin.

On vit dans cette espece d'indifférence pour ces animaux, & l'on n'a d'autre ressource que celle de les hasarder, quand on ne veut ou l'on ne peut pas les vendre. Il y a cependant un moyen bien simple d'éviter ou du moins de diminuer cette perte : séparons ces derniers nés & leurs meres du troupeau, pour les faire paître sans partage dans la meilleure partie & la moins éloignée de nos pâturages ; nous devons même leur ménager, s'il est possible, des fourrages tendres, leur donner des provisions enfermées, soit des foins les plus fins, des luzernes, des esparsets, soit des avoines ou des orges, afin de hâter leur bonne constitution ; la réussite dédommagera de ces frais. Il seroit peut-être plus avantageux d'avoir des moyens de les alaiter abondamment ; je me suis bien trouvé plusieurs fois d'avoir des chevres pour suppléer à la disette de lait des brebis, mes agneaux les plus foibles ayant resisté, tandis que la plûpart de leurs contemporains, manquant de cette ressource, ont péri : on ne peut être détourné de cette pratique, que par la vue d'économie & pour éviter les ravages des chevres par-tout où elles broutent.

On trouve un autre moyen pour n'avoir pas des foibles agneaux, ou d'en avoir beaucoup moins ; en mêlant plus tard les beliers avec les brebis, les plus ardentes conserveront leur penchant, quoique satisfait plus tard, & celles à qui le leur aura fait porter le plus loin la conception, acheveront de rendre plus court l'intervalle des premiers nés aux derniers ; de cette maniere les premiers nés étant plus jeunes, & ayant moins de consistance, auront moins dévoré la nourriture destinée pour les uns & les autres ; cette nourriture d'ailleurs sera plus abondante, parce qu'elle commencera à être dévorée plus tard ; les plus jeunes en trouveront encore assez, que les premiers nés n'auront pas eu le tems de manger, & nos campagnes moins dévorées causeront moins de fatigues aux derniers nés pour trouver leur subsistance.

Ces précautions cependant peuvent bien ne pas suffire, en suivant la pratique ordinaire de sevrer en même-tems tous les agneaux malades comme les sains, les derniers nés comme les premiers : on manque ainsi contre la pratique la plus naturelle : on devroit par analogie faire pour ces animaux qui méritent nos soins à tant d'égards, comme nous faisons pour nos enfans : on les alaite pendant un tems assez limité pour ceux d'un bon tempérament ; mais on le prolonge selon les circonstances, quand les enfans sont valétudinaires. N'auroit-on pas raison de blâmer une mere qui faisant deux enfans de neuf à dix mois de terme l'un de l'autre, s'aviseroit de les sevrer tous deux le même jour, dans les climats même où l'on alaite jusqu'à l'âge de deux ans les enfans bien constitués ? & si ce procédé est blâmable, combien ne l'est pas celui des bergers qui ayant des agneaux nés au commencement du mois de Mai, les sevrent le même jour que ceux du mois de Janvier, vers le commencement du mois de Juillet ? (car il faut que les brebis commencent dès-lors à s'engraisser pour accueillir les beliers dans le mois d'Août suivant) : on a par-là des agneaux, les uns âgés de six mois, les autres seulement d'environ deux, quand on les sevre. En quel tems d'ailleurs se fait cette cruelle séparation d'avec leurs meres ? pendant les grandes chaleurs si propres à causer des épuisemens mortels aux plus foibles, & lorsque les subsistances diminuent chaque jour.

Il faudroit donc se garder de priver de leur mere ces derniers nés, & reserver, ainsi que nous l'avons dit ci-dessus, un coin de gras pâturage à ces meres & à leurs petits.

Nous avons une ressource plus sûre, & dont il faut tâcher d'accompagner les autres, pour n'avoir pas de ces derniers nés trop tard ; ne gardons pas des vieilles brebis ; la nature en elles, quoique bien déchue de sa vigueur, ne leur ôte pas le penchant à la génération, elles le satisfont en même-tems que les autres, mais elles engendrent plus tard, quoiqu'on leur ait départi avec abondance pendant l'hiver & le printems précédent, de cette nourriture reservée pour toutes les brebis : on en perd beaucoup malgré ces graces particulieres.

Suivons maintenant les agneaux sevrés, jusqu'à ce que ceux de l'année suivante prennent leur place ; c'est une année bien dangereuse pour eux ; il en périt souvent, & la perte s'étend jusque aux vigoureux ; ce n'est que par des soins assidus & des secours de nourriture artificielle, & des pâturages choisis, que nous pouvons diminuer leurs dangers. Préservons les du froid & des pluies, ménageons leur, contre les tems rudes, des pâturages où ils soient abriés ; ne les fatiguons pas ; donnons leur quelque brebis vigoureuse pour leur servir de guide dans leur marche ; leur stupidité en a besoin pour aider la voix du berger qui les mene ; elle seule ne pouvant réussir, il y joint les mauvais traitemens toujours dangereux ; ayant ménagé ainsi leur foiblesse jusqu'à la saison prochaine des nouveaux agneaux qu'on va sevrer, on sépare alors les mâles des femelles, pour remettre celles-ci au berger des anciennes brebis, & les mâles en passant au troupeau des moutons, subissent bien-tôt le même état de mouton ; on ne reserve pour rester belier pour toute leur vie, que quelques-uns des mieux faits & des plus vigoureux, de laine fine & blanche, ayant des oreilles longues, en vue d'en avoir des pareils pour y pouvoir avec un emporte-piece, y imprimer le sceau du maître. S'il en est parmi les uns & les autres, certains dont l'état soit valétudinaire, on les associe aux nouveaux venus ou aux brebis, pour vivre mieux à leur aise & se fortifier. Le tems de renouveller les galanteries de nos troupeaux étant arrivé, on voit quelquefois des jeunes brebis que nous avons incorporées avec les anciennes, certaines dont le tempérament vigoureux & comme anticipé leur permet d'accueillir les beliers ; la prudence & l'expérience condamnent cet usage, parce que devenant pleines, elles affoiblissent leur tempérament, & la plûpart durent peu. Il est des bergers qui par cette raison, séparent toutes les jeunes brebis d'avec les vieilles, lorsqu'on veut mêler les beliers avec les anciennes, pour ne les livrer toutes ensemble que quand elles ont atteint l'âge de trois ans.

Toutes les brebis, même les jeunes, ne donnent pas des agneaux tous les ans ; certaines sont stériles pour une ou deux années, & d'autres pour toujours ; elles aideroient, restant mêlées avec les fécondes, à consommer les bonnes nourritures destinées à celles-ci : on les sépare chaque année, à mesure qu'on les reconnoît, pour les réunir au troupeau de moutons destinés à se nourrir des autres pâturages.

Les pâturages où se trouvent nos plus grands troupeaux sont dans les campagnes entremêlées de terres pour le labourage, de terres incultes, & de montagnes ; en celles-ci croissent des arbrisseaux, à l'ombre & autour desquels végetent des herbes douces, assez verdoyantes pendant l'hiver & une bonne partie du printems, se desséchant pendant le reste de l'année plus ou moins, selon la qualité du terroir & le degré de sécheresse.

Les champs, après la moisson, poussent aussi des herbes dès que la pluie y tombe ; ils peuvent quelquefois suffire à nourrir les troupeaux, avec le foible secours des arbustes qu'elle fait revivre, & que les chaleurs avoient épuisés. Quand ces pluies nous manquent avant ou peu après la recolte, il faut (on le fait par précaution pendant les étés) faire transmigrer nos troupeaux dans les montagnes éloignées, où l'humidité & le tems frais entretiennent des pâturages toujours verdoyans, ou bien se contenter, sans les changer de climat, de les faire descendre dans les plaines fertiles, pour les y nourrir pendant l'été : on conserve ainsi pour leur retour à la demeure ordinaire, des herbages propres à leur conserver l'embonpoint acquis dans ces plaines ; les pluies d'automne survenant, elles augmentent ces pâturages des champs & des montagnes, & faisant développer de nouvelles graines, nos guérets donnent ainsi des herbages pour l'hiver, servant comme de régal chaque jour, partie par partie pendant quelques heures, aux brebis & aux agneaux, tour-à-tour jusqu'à la fin du premier labour de ces guérets : on reserve pour une partie du printems quelque coin de terre le plus herbu, pour subvenir à l'entretien des meres & de leurs descendans, quand les fourrages ensemencés pour les nouveaux agneaux ou pour les bêtes malades, sont mangés. Les terres incultes & les montagnes suppléent à tout le reste pendant certaines années ; aulieu qu'il se consume beaucoup de provisions quand elles sont rudes.

Nous avons des terres, des montagnes dont la qualité & l'exposition produisent des arbrisseaux & des aromates toujours verdoyans, faisant le fond principal de la nourriture des troupeaux ; tels sont le kermès, appellé vulgairement garrouille, dont ils mangent les feuilles quoique hérissées de pointes sur leur contour, & les glands qu'ils aiment beaucoup ; tels sont aussi les romarins, dont les feuilles & les fleurs leur sont si agréables, & dont la conservation contribue par leurs parties dont ils se dépouillent annuellement comme le kermès, à fortifier, en se réduisant en terreau, toutes les herbes qui les environnent. Il est d'un dommage infini pour nos troupeaux, que certains seigneurs de la montagne de la Clape, permettent à tous les habitans de plusieurs villages de détruire à grand force ces arbustes indispensables & presque l'unique ressource pendant l'hiver pour la nourriture de ces animaux ; l'objet de ces permissions est de retirer la plus foible des retributions des paysans qui transportent sans cesse à Narbonne ces plantes, pour entretenir le feu des pauvres familles ; feu qui aussi peu utile que celui de la paille, & aussi facile à s'enflammer, augmente leur pauvreté en la soulageant dans le moment par la modicité du prix : on travailleroit pour leur intérêt, & en même tems pour la conservation & l'augmentation des troupeaux, si l'on interdisoit ces permissions qu'un foible intérêt a introduites depuis peu, & qui frappe directement contre la partie la plus précieuse des manufactures de Languedoc, & en même tems contre l'agriculture. Il est aisé de voir que cela diminue les engrais nécessaires aux terres cultivées de ces montagnes qui, toutes légeres, ne donnent que des pauvres récoltes & peu d'herbes dans les guérets, si indispensables dans l'hiver pour fournir, comme nous venons de l'expliquer, des nourritures aux brebis & à leurs agneaux.

C'est ici le lieu de parler des abeilles. La fleur des romarins dure, en se renouvellant, pendant huit à neuf mois de l'année. C'est celle que les abeilles recherchent par préférence à toutes les autres ; c'est aussi celle qui donne le miel le plus parfait ; c'est perdre tous ces avantages en arrachant ces plantes, comme c'est détruire visiblement les troupeaux, au lieu de faire les derniers efforts pour les conserver. L'exposition des bergeries n'est pas indifférente pour y concourir ; on cherche pour leur emplacement des monticules qui ne soient pas dominées de trop près par d'autres hauteurs pour en détourner apparemment l'humidité qui y seroit produite par les transpirations, & pour y conserver un air sain ; on paroît d'ailleurs assez indifférent à l'exposition quant au soleil. J'ai remarqué cependant que les agneaux qu'on tient enfermés pendant que leurs meres sont aux champs, vont toujours se placer vis-à-vis les ouvertures par lesquelles le soleil échauffe les bergeries, cherchant le plus grand jour, & surtout une chaleur bienfaisante propre à les défendre des rigueurs du froid qui les tient engourdis, couchés & immobiles. Cela nous indique l'exposition à donner aux bergeries. Il faut tourner les longues faces au midi, y pratiquer les portes & les fenêtres, les abajours, & n'en faire aux autres faces que les indispensables, surtout en celles qui sont tournées aux vents, dont il faut tâcher de se garantir, soit par-là, soit en plaçant les bergeries de façon à en être à l'abri. Il vaut mieux faire les bergeries longues & étroites pour remplir ces deux conditions à l'avantage des troupeaux, & on diminuera ainsi la hauteur des pignons, & par conséquent la grandeur sans diminuer l'étendue du sol ; la transpiration, les excrémens & le souffle des animaux échauffera mieux les bergeries. On fera bien, quand ces pignons seront trop hauts, de les retrancher par un plancher qui sera propre à y déposer des fourrages en provision, & à intercepter les frimats qui se font sentir à-travers les toits.

Il est donc nécessaire de procurer la chaleur à nos bergeries pendant l'hiver, au lieu qu'elle est dangereuse pendant le tems chaud. On y respire alors un air échauffé, piquant & mauvais, toujours nuisible aux troupeaux qu'on y enferme pendant la nuit : ce qui nous doit porter à les faire parquer, indépendamment des avantages résultans pour nos terres ; il est fâcheux que la paresse de nos bergers l'emporte sur une raison aussi forte. Les moins indolens se contentant de parquer vers le mois de Mai, au lieu de commencer vers le mois de Mars, & souvent plus tôt, selon la constitution favorable de l'année. On se fonde sur ce délai à parquer, en ce que l'on craint que la pluie survenant dans la nuit, il faudroit que les troupeaux, quelque grande qu'elle fût, la supportassent, & qu'il en périroit beaucoup ; on en est si prévenu, que nos bergers la redoutent pendant le jour en toute saison, au point qu'ils se rapprochent des bergeries dès que le tems leur paroît un peu ménaçant. Il est pourtant vrai que les troupeaux des environs de Montpellier où la température de l'air differe peu de celle du climat dont il est question, parquent presque toute l'année sans qu'on en ressente de plus grands inconvéniens. Les qualités des laines rendroient-elles différens les effets de cette bonne pratique, & seroit-elle seulement pernicieuse pour les troupeaux à laine fine ? Il est du-moins certain que l'humidité qui les imbibe, y dure plus long-tems, parce que les poils en sont plus fins & plus serrés, donnant par-là plus de difficulté à l'air de pénétrer dans l'épaisseur de la toison, & à l'eau de s'en écouler.

Il s'ensuit cependant, en ne parquant que tard, un autre desavantage. Les sols des bergeries deviennent humides, à mesure qu'on avance dans la belle saison, parce que les troupeaux se nourrissant beaucoup des herbes fraîches, font des excrémens & rendent des urines à proportion : cela produit comme une espece de glu qui s'attache à la laine des flancs, & plus encore à celle des fesses sur laquelle ils se couchent. On voit alors du crotin arrondi pendre au derriere & grossir comme des noix jusqu'au tems de la toison, matiere nuisible sans doute aux parties qui en sont affectées, rendant la laine plus courte & d'une couleur brûlée, au point qu'on la met à part, & qu'on ne la vend guere au-delà de la dixieme partie du prix de celle du reste de l'animal. La plus belle est celle qui se trouve vers le milieu des flancs ; elle diminue de beauté à mesure qu'elle se trouve à la partie que les excrémens atteignent ; celle qui couvre le dos, vaut moins que celle des flancs, soit à cause que le suint y abonde moins, soit parce que la poussiere qu'élevent les troupeaux en marchant, y tombant, se mêle à demeure avec elle en descendant jusque sur la peau, & cause beaucoup de peine aux tondeurs, quand les ciseaux parviennent à ces endroits. La laine des flancs n'est pas sujette à retenir cette poussiere à cause de la direction des poils de la laine en ces parties qui est de haut vers le bas, au lieu qu'ils vont presque verticalement en remontant vers l'échine.

Cette poussiere qu'on ne peut empêcher de s'élever sous les troupeaux, d'autant plus abondamment que la terre est seche, a fait naître à certains bergers l'envie d'en augmenter le volume sur leurs troupeaux au tems de la toison, afin que pesant davantage & la vendant en suint, ils ayent plus d'argent. Ils cherchent pour cela un champ labouré dont la terre soit légere, seche & d'un sable extrêmement fin ; ils y resserrent leurs troupeaux, & les forçant de courir ou marcher vîte en cet état, il s'éleve un tourbillon de poussiere qui les couvre & se dépose dessus d'autant plus abondamment, qu'un vent arriere favorise leur course.

Il est encore une autre malversation moins connoissable & bien souvent pernicieuse au maître du troupeau : elle consiste à l'enfermer la veille du jour qu'on veut les tondre, dans la bergerie où l'on le contraint d'occuper beaucoup moins de place qu'à l'ordinaire, afin que suant avec abondance pendant la nuit, le suint remplisse mieux les vuides des fils de la laine & la rende plus pesante. Cette transpiration est si abondante quelquefois, qu'il périt plusieurs de ces pauvres bêtes sur la place. Il est pourtant essentiel d'enfermer les troupeaux pendant cette nuit-là, parce que s'ils parquoient, la fraîcheur empêcheroit la transpiration suffisante, & les tondeurs le lendemain matin ne trouvant pas la laine assez humide pour la tondre légerement, la besogne seroit mal faite, plus difficile, & souvent les animaux blessés avec les ciseaux ; on verroit sur la peau comme des sillons de laine trop éminens en pure perte ; il faut donc enfermer les troupeaux, mais les laisser dans la bergerie avec la même aisance qu'auparavant. La transpiration qui en resulte, est reconnue si nécessaire, qu'on préfere de les laisser enfermés & à jeun perdant tout le jour de la toison, pour la conserver ou la produire, afin qu'ils ne sentent pas l'air extérieur avant que d'être tondus. Le jeûne cruel ne finit cependant que vers le coucher du soleil, tems auquel la journée des ouvriers finissant aussi, laisse encore un tems suffisant pour faire paître frugalement ces animaux ; s'il étoit plus long, le jeûne causeroit l'indigestion. Cette pratique est une espece d'épreuve dont les effets peuvent nuire. Les bêtes moins vigoureuses devroient être tondues les premieres, afin de les faire paître en troupeau d'abord après.

Je finis en expliquant comment on peut connoître la qualité de nos laines en les voyant sur l'animal. Elle y est crevassée sur tous, y formant sur le dos des bandes distinctes dans le sens de la tête à la queue, & des especes de zones ceignant les flancs & le cou dans une direction verticale ou à-peu-près, séparées entr'elles par des sillons ou crevasses ouvertes à la surface de la laine se réduisant à rien sur la peau. Chaque zone est entrecoupée de-près-en-près par des petits sillons en tous les autres sens. Tous ces sillons sont plus ou moins ouverts, selon la posture de l'animal ; ils sont plus grands quand il marche ou qu'il est couché, que quand il est debout en repos, ou qu'il regarde. Ils sont plus étroits & plus nombreux sur l'animal à laine fine que sur celui qui l'a moins fine & plus grossiere, parce qu'en celui-là la laine y est plus courte. Il en est de ces différentes largeurs des sillons comme de la grandeur des degrés de deux différens cercles, les plus grands degrés se trouvant dans celui dont le rayon est plus grand. Ils sont plus nombreux, parce que les fils en sont plus fins, & qu'il y en a un plus grand nombre à étendues égales de la peau de l'un & de l'autre, ensorte qu'ayant moins de vuide sur l'animal à laine fine entre les fils pour se rapprocher & s'unir, il faut nécessairement qu'ils se mettent, pour ainsi dire, en plus petits flocons qu'en l'animal qui les a plus gros & plus distans entr'eux. Le plus de finesse des fils & leur plus grande proximité étant plus propre à arrêter la transpiration appellée le suint ; la laine en est plus pesante, quoique moins longue. Ce suint est si abondant, surtout dans le printems, qu'il se distingue singulierement sur l'animal à laine fine vers la jointure de ses épaules ; on le voit alors comme couler le long de la laine qu'il réduit là en une forme appellée par les bergers des aiguillettes, ressemblante assez à la frisure que les Perruquiers appellent en béquille. Article de M. BARTHES le pere, de la société royale des Sciences de Montpellier.


TROUSSES. f. (Art milit.) espece de carquois où les arbalétriers & les archers mettoient leurs fleches. Le pere Daniel rapporte, dans l'histoire de la milice françoise, un mémoire du tems de Louis XI. concernant l'armure des francs archers, par lequel on voit que leurs trousses devoient être garnies au-moins de dix-huit traits. Voyez CARQUOIS. (Q)

TROUSSE, (Art milit.) grosse & longue botte de fourrage verd du poids de cinq à six cent livres, qu'on fait dans les fourrages en campagne pour la nourriture des chevaux dans le camp.

Chaque cheval qui revient du fourrage, est chargé d'une trousse & du cavalier qui le mene, qui est assis ou achevalé dessus. Voyez FOURRAGE. (Q)

TROUSSES DE QUEUES DE CHEVAL, en terme d'Aiguilletier, est un ruban de laine fendu en deux, dont chaque partie se termine par une touffe de laine éfilée & d'une autre couleur, qui est attachée au ruban par un fer à embrasser. Voyez FER A EMBRASSER.

TROUSSE, s. f. (terme de Barbier) espece d'étui de cuir ou d'étoffe à deux, à trois ou à quatre divisions, dans l'une desquelles on met les rasoirs, dans une autre les peignes, dans une autre les ciseaux, &c. (D.J.)

TROUSSES, s. f. pl. (Charpent.) ce sont des cordages de moyenne grosseur dont on se sert pour lever de petites pieces de bois & autres médiocres fardeaux. (D.J.)

TROUSSE, s. f. (Fendrie) c'est ainsi qu'on appelle chaque assemblage de taillans ou de couteaux de la machine à fendre le fer.

TROUSSES, s. f. (terme de mode) espece de haut-de-chausses qui ne pend point en-bas, & qui serre les fesses & les cuisses ; elles font partie de l'habit de cérémonie des chevaliers de l'ordre ; c'étoit-là le haut-de-chausse qu'on portoit au seizieme siecle. (D.J.)


TROUSSE-QUEUES. m. (Maréchal.) on appelle ainsi une espece de sac ou d'enveloppe dans laquelle on enferme la queue des chevaux de carrosse qui ont tous leurs crins, pour que la queue ne se crotte ni ne se salisse point. On met aussi un trousse-queue aux chevaux sauteurs pour la tenir en état, & empêcher qu'ils n'en jouent. Il est aussi long que le tronçon de la queue, & s'attache par des contresanglots au culeron de la croupiere & à des courroies qui passent entre les cuisses du cheval & le long des flancs jusqu'aux contresanglots de la selle.


TROUSSEAUS. m. (Gram.) nippes qu'une mere donne à sa fille, quand elle la marie, au-delà de sa dot. On en use de même avec celles qui entrent en religion.

On dit un trousseau de clés, pour un paquet de clés enfilées dans une corde ou un anneau qu'on appelle clavier.

TROUSSEAU, s. m. (terme de Fondeur) longue piece de bois taillée en cône, c'est-à-dire, plus menue par un bout que par l'autre, sur laquelle on forme les moules des pieces de canon.

TROUSSEAU, (terme d'ancien monnoyage) signifioit, lorsque l'on monnoyoit au marteau, le coin où étoit l'empreinte de l'effigie, laquelle fut long-tems précédée par une croix.

Le trousseau étoit long d'environ sept à huit pouces ; après avoir posé le flanc sur la pile avec la main gauche, on posoit le trousseau sur le flanc à plomb des empreintes, & le tenant perpendiculairement de la main droite, on donnoit plusieurs coups sur ce trousseau avec une espece de marteau ou maillet de fer ; en conséquence le flanc se trouvoit monnoyé des deux côtés ; mais si quelque endroit étoit mal empreint, on réitéroit les coups de marteaux jusqu'à ce que le flanc fût monnoyé, autant bien que cette mauvaise manutention le pouvoit permettre. Voyez PILE.


TROUSSEQUINS. m. (terme de Sellier) piece de bois cintré qui s'éleve sur l'arçon du derriere d'une selle, & qui sert à en affermir les battes. (D.J.)


TROUSSERv. act. (Gram.) relever, replier, remonter plus haut. On trousse ou mieux retrousse un habit trop long ; une femme troussée est plus immodeste qu'une femme nue.

TROUSSER, terme de galere, (Marine) c'est se courber en-dedans.

TROUSSER, (Maréchal.) se dit d'un cheval qui a des éparvins secs qui lui font trop lever les jarrets, à quelque allure que ce soit.

TROUSSER, en terme de Cuisine, c'est appliquer les pates d'un animal sur sa cuisse, ou les passer dans un trou qu'on fait près de chacune d'elles, & amener le bout des aîles sur son dos en les retournant.


TROUTEvoyez TRUITE.


TROUVAILLES. f. (Gram. & Jurisprud.) dans l'ancienne coutume d'Orléans signifie épave. Voyez ÉPAVE.

Droit de trouvaille, dans les coutumes de la mer, est la part qui appartient à ceux qui ont trouvé ou sauvé des marchandises perdues. (A)


TROUVERRENCONTRER, (Synon.) nous trouvons, dit l'abbé Girard, les choses inconnues, ou celles que nous cherchons. Nous rencontrons les choses qui sont à notre chemin, ou qui se présentent à nous, & que nous ne cherchons point.

Les plus infortunés trouvent toujours quelques ressources dans leurs disgraces. Les gens qui se lient aisément avec tout le monde, sont sujets à rencontrer mauvaise compagnie.

Trouver se dit dans un sens très-étendu au figuré ; il signifie quelquefois inventer. Newton a trouvé le calcul des fluxions ; d'autrefois il signifie donner son jugement sur quelque chose. MM. de Port-Royal trouvent que Montagne est plein de vanité. (D.J.)


TROUVERES. m. (Poés. prov.) vieux mot françois, synonyme de troubadour. Voyez TROUBADOUR.

C'est le nom que l'on donnoit autrefois, & que l'on donne encore aux premiers poëtes provençaux, inventeurs des syrventes, satyres & chansons, que les menétriers alloient chanter chez les grands. On appelloit aussi les trouveres trouvours & trouveurs.

Le président Fauchet nous apprend qu'il y avoit autrefois en France des personnes qui divertissoient le public sous les noms de trouveres, chanterres, conteurs, jougleurs ou jugleurs, c'est-à-dire menestriers chantant avec la viole. Les trouveres composoient les chansons, & les autres les chantoient ; ils s'assembloient & alloient dans les châteaux. Ils venoient, dit Fauchet, aux grandes assemblées & festins donner plaisir aux princes, comme il est expliqué dans ces vers tirés du tournoiement de l'antéchrist, composé au commencement du regne de S. Louis, par Huon de Mery.

Quand les tables oitées furent,

Cil jugleur enprès esturent ;

Sont vielles & harpes prises

Chansons, lais, vers & reprises,

Et de geste chanté nos ont.

Et escuyer, antéchrist font

Rebarder par grand deducit.

Ils ne chantoient pas toujours ; souvent ils récitoient des contes qu'ils avoient composés, & qu'ils appelloient fabliaux. Voyez FABLIAU. (D.J.)


TROYE(Géog. anc.) Troja, Ilium, voyez TROIE.


TROYE-GEWICHTS. m. (Commerce) on nomme ainsi en Hollande ce qu'on appelle en France poids de marc. Voyez POIDS & MARC. Dictionnaire de Commerce.


TROYES(Géog. mod.) ville de France en Champagne, dont elle est capitale, sur la Seine, à 26 lieues au midi de Rheims, & à 35 au sud-est de Paris.

Troyes a quatorze paroisses, deux abbayes d'hommes & une de filles, un séminaire gouverné par les prêtres de la mission, & dont le revenu est de quarante-cinq mille livres. Il y a dans cette ville élection, maréchaussée & siege présidial. Il y a aussi une commanderie de Malthe, dont le revenu est de douze mille livres ; enfin on y voit plusieurs couvens de religieux & de religieuses. Son commerce a été autrefois très-florissant. Il consiste aujourd'hui en toiles, en blanchissage de cire, en chandelle & en vin. Les statuts des communautés de cette ville doivent être rectifiés à plusieurs égards, sur-tout en fait de maîtrise & de reglemens impossibles dans l'exécution.

Troyes manque de bonne eau à boire, & auroit besoin de fontaines publiques tirées de sources d'eaux vives. Son terroir produit des grains, des vins & des fruits en abondance.

Son premier évêque, S. Amatre, vivoit l'an 340. L'évêché est composé de 372 paroisses & de 98 annexes, divisées en huit doyennés sous cinq archidiacres. Cet évêché vaut vingt à vingt-quatre mille livres de rente. Long. suivant Cassini, 21. 31'. 30''. latit. 48. 15 '.

Troyes a pris son nom des peuples Celtes, Tricasses ou Trecasses, que César n'a point connus, mais qu'Auguste a dû établir en corps de peuple ou de cité, puisqu'il est le fondateur de leur ville principale, qu'il appella Augustobona ou Augustomana, nom qui a été en usage jusqu'au cinquieme siecle. Pline fait mention des Tricanes parmi les Celtes, sans nommer leur ville Augustobona ; mais Ptolémée la nomme. Ensuite le nom du peuple a prévalu, & Tricasses a été corrompu en Trecae, ensorte que les écrivains qui sont venus depuis Grégoire de Tours appellent toujours Troyes, Trecae.

Après la chûte de l'empire romain, cette ville passa au pouvoir des Francs ; & après la division de la France en Austrasie & Neustrie, Troyes fut de la Neustrie, ensorte que les rois de la Neustrie en ont toujours eu la propriété ou la souveraineté. Lorsqu'on institua une quatrieme lyonnoise sur le déclin de l'empire romain, la ville de Troyes fut mise sous cette province, voilà pourquoi les évêques de Troyes ont toujours jusqu'à présent reconnu celui de Sens pour leur métropolitain.

Jarchi ou Jarhi (Salomon), autrement nommé Isaacites, rabbin célebre du xij. siecle, étoit de Troyes, selon R. Ghédalia & la plûpart des autres chronologistes juifs. Il commença à voyager à l'âge de trente ans. Il vit l'Italie, ensuite la Grece, Jérusalem & toute la Palestine ; puis il alla en Egypte, & s'aboucha avec le rabbin Maimonides. Il passa en Perse, en Tartarie, en Moscovie, en d'autres pays septentrionaux, & enfin en Allemagne, d'où il revint dans sa patrie, ayant employé six années à ce grand voyage. Il se maria, & eut trois filles, qui épouserent de savans rabbins.

Les commentaires de Jarchi sur l'Ecriture sont fort estimés des juifs, & quelques-uns ont été traduits en latin par des chrétiens. Genebrard a publié à Paris en 1563 la version du commentaire sur Joël, & en 1570 celle du commentaire sur le cantique des cantiques. Arnaud de Pontac est l'auteur de la traduction latine des commentaires de Jarchi sur Abdias, sur Jonas & sur Sophonie, qui ont été imprimés à Paris l'an 1566, in -4°. Henri d'Aquin publia dans la même ville en 1522 le commentaire de Jarchi sur Esther, avec des notes. On a inséré finalement tous les commentaires de ce rabbin sur l'Ecriture dans les bibles de Venise & de Bâle. Enfin on a imprimé, avec le corps du thalmud, ses glosses sur ce grand livre. On met sa mort l'an 1173. Il est bon de remarquer que le rabbin Jarchi, Jarhi, Isaaki, Isaacites & Rasci sont le seul & même homme.

Parlons à présent de quelques-uns de nos savans chrétiens nés à Troyes.

Caussin (Nicolas), jésuite & confesseur de Louis XIII. s'est fait de la réputation par un ouvrage qu'il intitula, la cour sainte, imprimé en 1625, in -8°. ensuite en 1664 en deux volumes in -4°. enfin en 1680 en deux volumes in-fol. On a traduit cet ouvrage en latin, en italien, en espagnol, en portugais, en allemand & en anglois. Le P. Caussin favorisa la liaison du roi pour mademoiselle de la Fayette, liaison qui pouvoit servir à faire rappeller la reine-mere, & disgracier le cardinal de Richelieu ; mais le ministre l'emporta sur la maîtresse & sur le confesseur. Mademoiselle de la Fayette fut obligée de se retirer dans un couvent, & bientôt après en 1637 le P. Caussin fut arrêté, privé de son emploi, & relégué en basse Bretagne. Il ne revint à Paris qu'après la mort de son éminence, & mourut dans la maison-professe en 1651, âgé de 71 ans.

Cointe (Charles le), prêtre de l'oratoire, naquit en 1611, & mourut en 1681, à 70 ans, après avoir publié en latin les annales ecclésiastiques de France, en huit volumes in-fol. imprimés au Louvre par ordre du roi. Ces annales commencent à l'an 235, & finissent à l'an 835. Elles contiennent les decrets des conciles de France, avec des explications, le catalogue des évêques & leurs vies, les fondateurs, les privileges des monasteres, les vies des saints, les questions de doctrine & de discipline. C'est un ouvrage d'un prodigieux travail, d'une recherche singuliere, mais dénué de tout ornement, & qui ne se fait point lire avec plaisir. Le premier volume parut en 1666, & M. Colbert protégea l'auteur tant qu'il vécut.

Henrion (Nicolas,) né en 1663, mort en 1720, s'attacha à l'étude des médailles, & à la connoissance des langues orientales. Il fut aggrégé en 1701 à l'académie des Inscriptions ; cependant il n'y a rien sous son nom dans les mémoires de cette académie, & fort peu de choses dans son histoire.

Noble (Eustache le) naquit en 1643, & fit quantité de petits ouvrages en prose & en vers, qui eurent un grand cours. Il devint procureur général au parlement de Metz, où sa mauvaise conduite lui ayant attiré des affaires fâcheuses, il fut détenu plusieurs années en prison, & perdit sa charge. Il mourut à Paris en 1711, à 68 ans, si pauvre, que la charité de la paroisse de S. Severin fut obligée de le faire enterrer. Brunet, libraire, a recueilli ses oeuvres, & les a imprimées en vingt volumes in -12. c'est un mêlange d'écrits sacrés & profanes, d'historiettes & de pieces graves, de fables, de contes, & de traductions en vers des pseaumes, de satyres de Perse, de comédies, & d'épîtres morales.

Passerat (Jean), né en 1534, se rendit très-habile dans les Belles-Lettres, & joignit une rare politesse à beaucoup d'érudition. Il succéda à Pierre Ramus dans la chaire d'éloquence, & mourut en 1602, à 68 ans. On a de lui des commentaires sur Catulle, Tibulle & Properce, un livre de cognatione litterarum, des notes sur Pétrone, & des poésies latines, dont les vers marquent beaucoup de pureté de style.

On ne fait pas le même cas de ceux de l'abbé Boutard, compatriote de Passerat, né un siecle après, & mort à Paris en 1729, âgé de 75 ans. Cet abbé ayant composé en vers latins l'éloge de M. Bossuet, ce prélat lui conseilla d'en composer une autre à la gloire de Louis XIV. & se chargea de le présenter lui-même. Le roi récompensa l'auteur par une pension de mille livres, & M. Bossuet lui procura des bénéfices qui le mirent fort à son aise. L'abbé Boutard se trouvant riche, s'imagina avoir des talens extraordinaires pour la poésie. Il ornoit de ses vers tous les monumens érigés en l'honneur de sa majesté, & se croyoit obligé par état de ne laisser passer aucun événement remarquable du regne de ce prince, sans le célébrer ; cependant le public méprisa le poëte, sa versification commune, ses expressions impropres, & ses pensées obscures.

Mais MM. Pithou freres ont fait un honneur immortel à la ville de Troyes leur patrie. Pithou (Pierre), célebre jurisconsulte & l'un des plus savans hommes du xvj. siecle, naquit en 1539, & mourut à Nogent-sur-Seine en 1596, à 57 ans.

Personne, dit M. de Thou, n'a jamais mieux su ses affaires domestiques, qu'il savoit l'histoire de France & des étrangers. La mort de cet homme incomparable, ajoute-t-il, avec lequel je partageois mes soins, & à qui je communiquois mes études, mes desseins, & les affaires d'état, me fut si sensible, que je cessai entierement l'histoire que j'avois commencée ; & j'eusse tout-à-fait abandonné cet ouvrage, si je n'avois pas cru devoir cette marque de respect à sa mémoire, que d'achever ce que j'avois entrepris par ses conseils.

Dans le grand nombre d'ouvrages qu'il a composé ou qui sont sortis de sa bibliotheque, on estime singulierement son traité des libertés de l'Eglise gallicane, qui sert de fondement à tout ce que les autres en ont écrit depuis. La premiere édition de cet ouvrage conçu en 83 articles, parut à Paris en 1594, avec privilege. Les maximes qui y sont détachées & suivies par articles, ont en quelque sorte force de loix, quoiqu'elles n'en ayent pas l'authenticité. Le roi en a reconnu l'importance par son édit de 1719, où l'article 50. est rapporté. Les expéditionnaires en cour de Rome citent les articles de nos libertés dans leurs certificats. Comme M. Pithou avoit lu les anciens écrivains grecs & latins, & qu'il les avoit conférés avec les vieux exemplaires, il en a mis plusieurs au jour, & y a joint ses savantes notes. On lui doit encore des éditions de plusieurs monumens sacrés & profanes, des miscellanea ecclesiastica, quantité de collections historiques, le canon des écritures de Nicéphore, des fragmens de S. Hilaire, les coutumes du bailliage de Troyes, avec des annotations, &c.

Pithou (François), avocat au parlement de Paris, frere du précédent, fut comme lui, un homme d'une vertu rare, d'une modestie exemplaire, extrêmement habile dans les Belles-Lettres, dans le Droit, & pour couper court, l'un des plus savans hommes de son tems. Il ne voulut jamais que l'on mît son nom à aucun de ses ouvrages. Ce fut lui qui découvrit le manuscrit des fables de Phedre, & il le publia conjointement avec son frere pour la premiere fois. Ces deux illustres savans, les Varrons de la France, travaillerent toujours ensemble. François Pithou donna tous ses soins à restituer & à éclaircir le corps du droit canonique, ouvrage qui parut en 1687, & c'est la meilleure édition. Le Pithaeana est aussi de lui. Il est encore l'auteur de la comparaison des loix romaines avec celles de Moïse, & de l'édition de la loi salique, avec des notes. Il fut du nombre des commissaires qui reglerent les limites entre la France & les Pays-Bas. Il étoit né en 1544, & mourut en 1621, âgé de 77 ans. Le lecteur peut voir le catalogue des ouvrages de MM. Pithou, à la tête de leurs oeuvres imprimées en 1715 en latin.

Leur famille originaire de Vire en basse Normandie remontoit jusqu'à un Guillaume Pithou, qui est nommé entre ceux qui se croiserent pour la Terre-sainte en 1190 ; mais indépendamment de la noblesse le nom de cette famille fleurira dans la littérature, tant que les lettres subsisteront dans le monde. On peut dire de chacun des deux freres que j'ai nommés, un seul d'eux contenoit plusieurs savans, & ce qui est plus estimable que le savoir, chacun portoit également un attachement religieux à l'amour de la vérité. Pierre Pithou a eu plus d'historiens que n'en ont eu la plûpart des souverains. On en compte jusqu'à sept qui se sont fait un honneur de célébrer sa gloire, en écrivant sa vie ; mais M. Boivin le cadet a remporté le prix dans cette carriere. (D.J.)

TROYES, blanc de, blanc d'Orléans, blanc d'Espagne, &c. on appelle ainsi une préparation de craie que l'on divise en molécules fort fines, qu'on met en différentes formes de pains, & qu'on emploie dans les arts : nous croyons devoir entrer dans quelques détails instructifs sur la nature, la préparation, & les usages du blanc, & sur-tout de celui qui se fait à Troyes, & de celui qu'on prépare à Levereau, village à neuf lieues d'Orléans, que nous comparerons ensemble.

La matiere du blanc de Troyes se trouve en grande abondance dans un village nommé Villeloup, distant de Troyes d'environ 4 lieues du côté de l'ouest ; le sol dans les environs est une terre très-maigre & peu profonde, qui peut à-peine porter du seigle. Sous cette couche légere regne un gros massif de craie plein de fentes & de gerçures si fréquentes qu'on n'en peut tirer aucune pierre qui ait de la consistance & de la solidité, mais cette craie qui n'est point propre à bâtir devient une matiere infiniment précieuse par l'emploi que l'on en fait à Troyes pour la fabrique du blanc.

Les habitans de Villeloup commencent par tirer cette matiere en petits moëllons, & après l'avoir laissé essuyer à l'air, ils la battent avec des maillets armés de clous, & la réduisent en une poudre grossiere qu'ils passent au crible ; le blanc brute est ensuite voituré à Troyes, où les ouvriers qui l'achetent exigent, comme une condition très-essentielle, qu'il leur soit livré parfaitement sec, & dégagé de toute cette humidité dont il peut être imprégné dans la carriere. Il paroît que dans cet état requis de parfaite siccité, la matiere brute a plus de facilité à se laisser pénétrer plus intimement de l'eau dont on l'arrose, qu'elle se divise en molécules plus fines par l'action d'un fluide qu'elle boit avec plus d'avidité, & qu'en conséquence elle se réduit plus facilement en bouillie.

Les ouvriers emploient pour détremper leur craie l'eau blanche qui a déjà servi, & qu'on a tiré des opérations précédentes. Après qu'on a réduit la craie en bouillie, ce qui n'est pas long, vû l'extrême facilité avec laquelle la craie seche s'imbibe d'eau, on passe au moulin la bouillie après l'avoir long-tems brassée. Cette nouvelle manipulation a pour but de suppléer à ce que l'eau n'a pû faire par rapport à la division de la craie, de la réduire en une pâte composée de molécules très-fines, & capables de former des couches plus uniformes & plus brillantes lorsqu'on l'étend sur des surfaces unies, en un mot, de favoriser tous les effets du blanc.

Le moulin qui sert à cet usage est assez semblable à celui avec lequel on broye la moutarde, & on le fait jouer de la même maniere ; il est composé de deux meules de seize à dix-sept pouces de diamêtre, qui sont des fragmens des vieilles meules de moulins à blé. La meule supérieure qui a environ deux pouces & demi d'épaisseur, a au centre une ouverture d'un demi-pouce de diametre, à laquelle est adaptée une écuelle percée, où l'ouvrier jette de tems-en-tems sa bouillie de craie ; la matiere descend peu-à-peu entre les meules, & s'écoule après la trituration en formant un filet continu par une ouverture latérale pratiquée dans la cage qui renferme le tout. Plus la matiere est fondue & réduite & les meules serrées, plus le blanc qui passe est affiné. Les différens degrés d'attention que les ouvriers apportent à toutes ces préparations décident de la finesse du blanc ; un ouvrier peut en faire passer au moulin jusqu'à six cent livres par jour, mais il en fait passer un tiers moins de celui qui a acquis la derniere perfection.

Les peintres de bâtimens ou autres ouvriers qui veulent ménager la dépense du blanc de céruse, & qui n'ont pas besoin de préparations à l'huile, demandent quelquefois du blanc de la plus grande finesse, afin d'avoir moins de peine à le broyer sur le marbre, & qu'il fasse un meilleur effet. Lorsqu'il sera employé dans ces cas, l'ouvrier prévenu pour répondre aux intentions du peintre, ou plutôt du barbouilleur, est obligé de passer trois fois la matiere du blanc par le moulin.

On verse dans des tonneaux la bouillie de craie qui a éprouvé la trituration du moulin, & on la laisse reposer pendant sept ou huit jours ; la matiere craïeuse se précipite insensiblement au fond du tonneau, & l'eau qui s'en désaisit surnage, de sorte qu'on peut l'épuiser à mesure avec une écuelle ; c'est cette eau que l'on emploie à détremper la matiere brute comme nous l'avons observé plus haut.

La sédiment craïeux qui se dépose au fond des tonneaux ne parvient pas de lui-même à un état de consistance assez considérable pour qu'on puisse le manier aisément & le réduire en pain, quand même on voudroit former la craie en cet état dans des moules, les pains qui en résulteroient seroient exposés à se gercer en séchant ; la consistance de la craie est alors telle à-peu-près que celle de la chaux lorsqu'elle est universellement fondue. Pour parvenir donc à donner à la craie le degré de consistance & de desséchement convenable, l'ouvrier étend sa matiere, qui est fort molasse, sur des treillis qu'il place au-dessus d'un lit de blanc brut. C'est ici le point le plus délicat de sa manipulation & d'un procédé qui suppose une sagacité bien digne de l'attention des Physiciens & des Philosophes, pour le dire en passant, c'est cette physique usuelle qui mérite le plus notre étude, sur-tout lorsqu'elle présente le résultat des essais journaliers & traditionels appliqués aux arts ; je dis donc que la poussiere de la craie brute qui est fort seche attire puissamment & boit l'humidité surabondante du sédiment craïeux, ensorte que celui-ci parvient en vingtquatre heures à une consistance de pâte très-maniable. L'ouvrier n'a besoin pendant tout ce tems que de remuer une fois seulement sa matiere, afin que toutes ses parties soient exposées également à l'action de la terre absorbante, & que la pâte s'affine également dans toute sa masse. Je ferai remarquer ici une vérité assez importante, prouvée par tous ces essais multipliés, qui est que l'air agit moins efficacement & moins promtement que la matiere brute & seche pour dégager l'eau de la craie imbibée.

Enfin l'ouvrier forme avec les mains seules des pains de sa pâte de craie, dont la figure est celle d'un parallelepipede émoussé par les côtés ou arêtes, les plus gros n'excedent pas trois livres ; pour le débit en détail on en fait des pains arrondis en forme de mamelle.

Il ne reste plus maintenant qu'à exposer la maniere dont on fait sécher les pains nouvellement formés, & il y a encore une petite manipulation fort fine & fort physique. Comme les pains ont six faces, il n'y en a que cinq qui puissent être exposées à l'air, le pain étant posé sur la sixieme ; si celle-ci ne séchoit pas dans la même progression que les autres, peut-être y auroit-il à craindre des gerçures, ou au-moins on seroit dans la nécessité de retourner souvent les pains. Mais par une suite de procédés & de réflexions l'ouvrier a senti qu'il éviteroit tous ces inconvéniens & ces embarras en posant ces pains nouvellement formés sur des moëllons secs de la craie de Villeloup de trois ou quatre pouces d'épaisseur. Le moëllon séche l'humidité & en enleve autant que l'air, ils en prennent une si grande quantité qu'il leur faut un beau jour d'été pour se sécher & être en état de recevoir de nouveaux pains. C'est dans l'endroit le plus élevé des maisons & le plus exposé à l'action de l'air, que les vinaigriers (car ce sont eux qui à Troyes sont attachés à cette besogne) préparent le blanc, & qu'ils conservent la vieille eau blanchie qui doit détremper le blanc brut ; ils ne travaillent à cette fabrique que depuis le mois d'Avril jusqu'à la fin du mois d'Octobre ; la moindre gelée dérangeroit tout le travail, & dissoudroit même les pains nouvellement formés.

Les pains une fois séchés sont extrêmement fragiles ; les molécules qui les forment n'ayant point naturellement de viscosités qui puissent les lier entre elles, & les ouvriers ne faisant entrer aucune espece de colle dans leur préparation, il est nécessaire que les parties craïeuses soient unies seulement par une juste position qui est l'ouvrage de l'eau, cette non-viscosité paroît même un point important par rapport à la bonté du blanc. De toutes les différentes carrieres de craie qui se trouvent aux environs de Troyes, & qui fournissent des matériaux propres pour les édifices, il n'y a que celle de Villeloup dont la craie ait été jusqu'à présent accueillie par les ouvriers, comme ayant toutes les qualités requises pour se prêter à toutes leurs opérations. Quelques - uns ayant voulu épargner les frais de voiture, avoient tenté de préparer la craie tirée des carrieres plus voisines de Troyes ; mais ils ont trouvé plus de difficulté à la façonner que la matiere de Villeloup, & moins de blancheur dans les pains qui en provenoient. Quelques cantons de Villeloup fournissent même de la craie dans laquelle les ouvriers rencontrent des marques de viscosité sensibles, qui l'empêche de passer facilement au moulin, & qui en général la rend peu susceptible de se prêter à toutes leurs manipulations.

Il paroît donc que toutes les qualités requises par nos ouvriers pour la matiere du blanc sont ; 1°. qu'elle soit très-blanche ; 2°. qu'elle soit tendre & friable ; 3°. qu'elle ne soit point visqueuse ; 4°. qu'elle soit exempte de toute terre ou pierre étrangere, tels que les petits graviers ou molécules ferrugineuses ; les ouvriers prétendent qu'il ne faudroit qu'un grain de gravier gros comme une tête d'épingle pour arrêter l'ouvrage du moulin & les obliger à le démonter ; la craie de Villeloup réunit toutes ces qualités ; elle donne le plus beau blanc, elle est sans aucun mêlange, & se prête à tous les procédés essentiels dont nous venons de donner les détails.

Ces considérations nous conduisent naturellement à faire mention du blanc qui se façonne au Cavereau, village à 9 lieues au-dessous d'Orléans, sur la Loire, & dont M. Salerne, médecin à Orléans, & correspondant de l'académie des Sciences parle, dans un discours inséré, tom. II. p. 5. des mémoires présentés à cette académie ; il nous apprend que cette craie du Cavereau est grasse & liée, propre à se détacher en masse comme la marne, & que les habitans de Cavereau la mêlent par petits tas, qu'ils pétrissent à piés nuds en ôtant toutes les petites pierres & en y jettant de l'eau à différentes reprises. Après cette premiere préparation ils en forment des rouleaux gros comme le bras, puis ils les coupent au couteau par morceaux de la longueur d'environ quatre à cinq pouces, pour les mouler quarrément & uniment en les tapant sur une petite planche. Tel est, ajoute-t-il, le blanc d'Espagne qu'ils nomment grand blanc ou blanc quarré, à la différence d'une autre sorte qu'ils appellent petit blanc ou blanc rond ; le dernier est effectivement arrondi en forme de mamelle, il est plus fin & plus parfait que le précédent, parce qu'étant façonné à la main, il contient moins de gravier ou de pierrettes. Ce travail dure jusqu'a la vendange, ou jusqu'au commencement des froids & des mauvais tems, alors ils le cessent, parce qu'il faut un beau soleil pour sécher le blanc.

Après ces détails de la préparation du blanc au Cavereau, on peut se convaincre aisément que les différences sont à l'avantage du blanc façonné à Troyes ; il paroît d'abord que la viscosité est très-marquée dans la craie de Cavereau, ainsi que le gravier & autres pierres dures, & grumeaux terreux, ochreux, &c. J'ai vû moi-même dans ce village la matiere du blanc, c'est une marne blanche, douce au toucher, qui boit l'eau avec avidité, & se résout en pâte qui se pêtrit aisément ; je l'ai trouvé mêlée pour-lors de petits débris de cos & de silex qui coupent quelquefois les doigts des ouvriers qui la pétrissent ; cette propriété qu'elle a de se pêtrir & de se réduire en une pâte molle qui s'allonge sous les piés, semble indiquer une qualité argilleuse qui lie les parties, & permet de sécher les pains au soleil sans qu'ils se gercent ; en un mot elle a tous les caracteres de la marne, les pains d'ailleurs se séchent très-aisément, parce que la marne quitte l'eau plus facilement que la craie ; en conséquence de ces imperfections dans la matiere premiere, les manipulations ne s'y exécutent pas avec les attentions scrupuleuses dont on use à Troyes ; on voit bien que le mêlange des petites pierres ne permettroit pas de faire usage du moulin ; les différentes qualités du blanc d'Orléans dépendent, à ce qu'il paroît, du plus ou moins de gravier qui s'y trouve mêlé ; aulieu qu'à Troyes tout est égal, à la trituration près ; enfin les ouvriers de Troyes évitent le soleil, & y suppléent par un procédé très-ingénieux, qui n'est peut-être pas nécessaire au Cavereau, vû la viscosité de la craie, car l'action du soleil qui séche les pains du Cavereau, feroit gercer ceux de Troyes.

Je soupçonne que le nommé Vignereux, qui le premier a façonné le blanc au Cavereau, & qui y a laissé beaucoup de ses descendans, comme le rapporte M. Salerne, est un homme sorti de Troyes, car il y a encore dans un fauxbourg de Troyes une famille de ce nom ; cet homme aura reconnu une certaine analogie entre la matiere marneuse du Cavereau & le blanc de Troyes, mais ou il n'étoit pas instruit du procédé des artisans de Troyes, ou plutôt il aura trouvé une matiere peu susceptible de leurs préparations par les raisons que nous avons détaillées.

Instruit de tous ces faits, j'ai été curieux de comparer ensemble les effets du blanc de Troyes avec ceux du blanc d'Orléans, & d'après la plus légere inspection & les usages les plus communs, il n'y a pas lieu d'hésiter à donner la préférence à celui de Troyes, les couches du blanc de Troyes sont plus uniformes, plus brillantes, plus blanches, parce que les molécules en sont plus fines & sans aucun mêlange de grumeaux pierreux, tels qu'on les découvre aisément à l'oeil dans les pains d'Orléans ; enfin si l'on emploie le blanc de Troyes comme terre absorbante, il y a tout lieu de croire que la matiere n'ayant aucune viscosité, & étant d'ailleurs réduite en molécules plus fines que celles du blanc d'Orléans, doit avoir des effets beaucoup plus complets & beaucoup plus promts, car les terres absorbantes agissent en proportion de la division de leurs parties ; d'ailleurs les petites pierres & silex du blanc d'Orléans peuvent déchirer les étoffes & les parties ochreuses, les tacher, lorsqu'on emploie le blanc pour les dégraisser.

Depuis quelque tems on débite à Paris des pains de blanc encore plus grossier que celui d'Orléans, sous le nom abusif de blanc d'Espagne ; la matiere de ce blanc se tire proche de Marly & au-dessous de Meudon, on la détrempe dans des tonneaux, on la brasse, & l'on tire l'eau chargée des molécules craïeuses qu'on laisse reposer ensuite, & on forme les pains du sédiment qu'on fait sécher comme ceux du Cavereau, la craie paroît fort grasse au toucher, mêlée de matiere ochreuse.

L'usage du blanc est assez connu, on en blanchit les appartemens ; il sert, comme nous l'avons dit, de terre absorbante pour dégraisser les serges, les draps, les couvertures, au-lieu de les blanchir au soufre ; on en met aussi une premiere couche avec de la colle sur les moulures qu'on se propose de dorer ; il sert aussi de base pour étendre certaine préparation terreuse colorée.

La matiere brute voiturée à Troyes vaut 4 à 5 sols le boisseau du pays ; les ouvriers prétendent qu'il en faut trois boisseaux pour un cent pesant, mais on en peut douter, si l'on considere que le boisseau de Troyes contient 20 pintes du pays, qui correspondent à 24 pintes de Paris ; & comme on mesure comble la matiere brute du blanc, il est à présumer que le boisseau contient alors 26 pintes de Paris ; il ne paroît pas vraisemblable qu'ils emploient 78 pintes de blanc pour un cent pesant ; quoi qu'il en soit, le blanc d'une médiocre qualité se vend actuellement 25 à 30 sols le cent ; & le plus parfait quelquefois jusqu'à 40 & 45 sols le cent pesant pris en gros. Cette marchandise est plus chere en tems de paix. Le blanc brut augmente aussi de prix à proportion. Les vinaigriers de Troyes en font des envois dans tout le royaume, & même en Allemagne. Voyez Mémoires de l'académie des Sciences, année 1754, & les Ephémérides troyennes, année 1759. Article de M. DESMARAIS.


TRUAGE(Jurisp.) Voyez ci-devant TREU.


TRUANDS. m. (Lang. franç.) truand, truande, truander, truandaille, sont de vieux mots qui étoient autrefois fort en usage, comme il paroît par le roman de la Rose, Villon, l'auteur de la comédie de Pathelin, & autres.

Truand signifioit un mendiant valide qui fait mêtier de gueuser ; truander, demander l'aumône par fainéantise, par libertinage ; truandaille, nom collectif pour dire de la gueuserie, des gueux, des vauriens : ce mot se trouve dans la vieille bible des noëls.

Vous n'êtes que truandaille,

Vous ne logerez point céans.

Truande s'est dit encore dans le dernier siecle au figuré, pour une salope.

Ah ! truande, as-tu bien le courage

De me faire cocu à la fleur de mon âge. Mol.

Ces mots pourroient donc bien venir de truillon, qui en langage celtique ou bas-breton, signifie guenille. Nicod prend aussi le mot de truand pour un bateleur.

Borel a dit trualté pour gueuserie. Il ajoute que truand, truande, truandaille, se prennent pour des souillons, des souillones, & comme qui diroit, tripiers, tripieres, triperia, d'où vient la rue de la Truanderie, qu'on appelloit anciennement par cette raison, vicus Trutenariae, selon le chartulaire de S. Lazare. (D.J.)


TRUAUS. m. (Mesure de continence) cette mesure tient un boisseau & demi ; elle est d'usage en certains cantons du royaume. Dictionnaire des arts. (D.J.)


TRUBICELA, (Géogr. mod.) riviere de Pologne, au palatinat de Kiovie. Elle se jette dans le Borysthène, à deux milles germaniques au-dessous de Péreslaw. (D.J.)


TRUBLEVoyez PALETTE.

TRUBLE ou TROUBLE, qu'on appelle en quelques endroits étiquette, (Pêche) c'est un petit filet de pêcheur, qui a à - peu - près la figure d'un grand capuchon à pointe ronde, dont l'ouverture est attachée à un cerceau, ou à quatre bâtons suspendus au bout d'une perche : on s'en sert pour pêcher les écrevisses, & aussi pour d'autres poissons. On amorce la truble avec une poignée de vers de terre, qu'on enfile par le milieu du corps, & qu'on lie pour pendre au haut de ce filet, de sorte qu'ils soient à demi-pié du fond du filet quand on le plonge dans l'eau.


TRUBRIDGE(Géog. mod.) bourg à marché d'Angleterre, dans le Wiltshire. Il est renommé par ses ouvrages de laine. (D.J.)


TRUCHEMENTS. m. (Gramm.) interprete commun entre deux personnes qui parlent des langues différentes.

TRUCHEMENT, (Hist. rom.) en latin interpres. Quoique presque tous les Romains entendissent & parlassent le grec, cependant les gouverneurs de province avoient toujours avec eux un truchement, même dans les provinces où on parloit grec, comme dans la Sicile, dans l'Asie mineure, dans la Macédoine, parce qu'il leur étoit défendu de parler une autre langue que la latine, lorsqu'ils étoient en fonction. On peut citer pour preuve Cicéron, à qui l'on reprocha d'avoir parlé grec dans le sénat de Syracuse, pendant qu'il étoit questeur en Sicile. La république entretenoit aussi des truchemens dans les villes de commerce, & sur-tout dans les ports de mer, pour la commodité des étrangers de différentes nations qui y abordoient. (D.J.)

TRUCHEMENT, (Hist. mod.) dans les contrées du Levant signifie un interprete ; ce sont ordinairement des Grecs & des Arméniens qui remplissent cette fonction à la cour du grand-seigneur. Voyez DROGMAN.


TRUCHSESS. m. (Hist. mod.) nom d'une des quatre anciennes & principales charges de l'empire de Constantinople, & de celui d'Allemagne. On appelloit autrefois celui qui en étoit revêtu, praepositus mensae regiae : on l'a nommé ensuite archi-dapifer. La fonction de l'archi-truchses en Allemagne, au couronnement de l'empereur, consiste aujourd'hui à porter sur la table de ce prince, entre deux plats d'argent, une piece du boeuf qu'on rôtit tout entier à cette solemnité. Autrefois les empereurs donnoient cet emploi, selon leur choix, à quelque prince de l'empire, jusqu'à-ce que cette charge fût attachée à la maison Palatine, qui la perdit ainsi que l'électorat en 1623 ; mais elle lui fut rendue en 1708, & depuis elle repassa à la maison de Baviere en 1714. La charge de truchses héréditaire de l'Empire sous l'archi- truchses, appartient aux comtes de Waldebourg. Voyez ARCHI-DAPIFER. Codin, de offic. aulae Constantinopol. Fauchet, de l'orig. des dignités. Supplém. de Moreri, tome II.


TRUDEN(Géog. mod.) petite ville d'Allemagne, dans le cercle de Westphalie, au diocèse de Liege, entre Tongres & Tirlemont. L'évêque de Liege en est co-seigneur avec l'abbaye des Bénédictins, que S. Trudo fonda dans cette place, l'an 647.


TRUEC(Géog. mod.) en latin du moyen âge Truccia ; bourg de l'île de France. Landry maire du palais, gagna à Truec en 593, la bataille donnée entre l'armée de Clotaire II. roi de France, & l'armée de Childebert roi d'Austrasie. Mais quel est l'endroit où s'est donnée cette bataille, & où par conséquent doit-on placer le bourg de Truccia ? La plûpart des modernes, entr'autres Mrs. de Valois, de Cordemoi, & le P. Daniel, croient que Truccia est Trouci ou Droissi, sur la Demete ; cependant Trouci est dans le Laônois, & l'histoire dit que Truccia étoit dans le Soissonnois, au royaume de Neustrie. M. Robbe a assez bien prouvé dans une dissertation sur ce sujet, que Truec étoit dans le Soissonnois, sur la rive gauche de l'Aisne, & qu'il se nomme aujourd'hui Presle le commun. (D.J.)


TRUELLES. f. (Maçonn.) outil de fer poli, ou de cuivre, emmanché dans une poignée de bois, qui sert à un maçon pour rendre unis les endroits de plâtre frais, & à prendre le mortier dans le baquet. Il y a des truelles triangulaires, dont deux côtés sont tranchans pour gratter & nettoyer les enduits de plâtre au sas, & dont l'autre côté est bretté ou brételé, c'est-à-dire a de petites hoches en maniere de scie, pour faire des brétures, gravures, ou raies qui imitent celles de la pierre de taille en badigeonnant. (D.J.)

TRUELLE BRETEE, s. f. terme de Maçon, sorte de truelle particuliere qui a des dents, & qui sert aux maçons pour nettoyer le plâtre, lorsque le mur est enduit. (D.J.)

TRUELLE, en terme de Raffinerie de sucre, est un outil semblable à celui des maçons, excepté que celui-ci a le coude bien plus long. On s'en sert pour faire les fonds, Voyez FONCER ; pour ramasser dans les poëlettes ce qui se répand par-dessus les bords des chaudieres. Voyez POËLETTES, & les syrops qu'on renverse souvent par accident. Voyez les Pl. de Raffinerie du sucre.


TRUENTUS(Géog. ancien.) riviere d'Italie, dans le Picenum. La ville Asculum-Picenum (Ascoli), capitale du pays, étoit bâtie sur ses bords, dans l'endroit où elle reçoit le fleuve Castellanum. A son embouchure étoit un lieu fortifié nommé castrum Truentinum. Pline, l. III. c. xiij. qui nomme le château Truentum, parle aussi de la riviere qui lui donnoit son nom. Strabon, l. V. p. 241. fait mention de la riviere sous le nom de , Truentinus amnis, & y met une ville de même nom. Le nom moderne de cette riviere est Tronto. (D.J.)


TRUFFES. f. (Hist. nat. Bot.) tuber ; genre de plante qui ne sort pas hors de terre, & qui n'a ni racines, ni tiges, ni feuilles. La truffe est ordinairement arrondie, & couverte d'une écorce inégale, raboteuse & hérissée de tubercules en pointes de diamant. Sa substance est dure, calleuse & interrompue par un grand nombre de fentes sinueuses, de sorte qu'elle paroit divisée en plusieurs parties, comme la noix muscade ; elle est remplie de capsules molles, en forme de vessies, arrondies & très-petites, qui renferment chacune deux, trois ou quatre semences rondes ou arrondies, & dont la surface est inégale. Micheli nova plant. amer. genera. Voyez PLANTE.

TRUFFE, (Botan.) genre de plante dont voici les caracteres connus ; les truffes sont d'une substance charnue, fongueuse, de forme irréguliere, croissant en terre ; elles sont quelquefois séparées, & quelquefois réunies ensemble.

S'il y a des animaux, qui ont peu l'air d'animaux, il ne faut pas être surpris qu'il y ait aussi des plantes qui n'en ont pas la mine. Les truffes sont de ce nombre ; elles n'ont ni racines, ni filamens qui en tiennent lieu, ni tiges, ni feuilles, ni fleurs apparentes, & nulle apparence de graine. Il faut pourtant qu'elles jettent des semences pour se multiplier. En un mot, il faut que ce soit des plantes. Elles méritent bien par leur singularité, qu'on recueille ici ce qu'en ont écrit quelques physiciens, & M. Geoffroy entr'autres, qui a fait un mémoire sur leur nature.

Tous les corps qui paroissent végéter, se peuvent partager généralement en deux classes. La premiere, de ceux à qui il ne manque rien de tous les caracteres des plantes. La seconde, de ceux à qui il en manque quelques-uns. Parmi ces derniers, les uns manquent de fleurs apparentes, comme le figuier dont on croit la fleur renfermée au-dedans du fruit. D'autres manquent de fleurs & de graines apparentes, comme la plûpart des plantes marines dont on soupçonne les semences renfermées dans des vésicules particulieres. D'autres n'ont que des feuilles sans tige, comme le lichen, le lactuca marina, & le nostoch. D'autres ont des tiges sans feuilles, comme les euphorbes, la presle, le litophyton, &c. D'autres enfin, n'ont pour ainsi dire, aucune apparence de plantes, puisqu'on n'y distingue ni feuilles, ni fleurs, ni graines. De ce genre sont la plûpart des champignons, les éponges, les morilles & sur-tout les truffes, qui de plus n'ont point de racines. Les Botanistes les ont rangées dans l'ordre des plantes, parce qu'on les voit croître & multiplier ; ils ne doutent point qu'elles n'aient dumoins les parties essentielles des plantes, si elles n'ont pas les apparentes, de même que les insectes ont la partie essentielle à l'animal, quoique la structure apparente en soit différente.

Cette sorte de plante est une espece de tubercule charnu, couvert d'une enveloppe ou croûte dure, raboteuse, chagrinée, & gercée à sa superficie, avec quelque régularité, telle à-peu-près qu'on l'apperçoit dans la noix de cyprès. Elle ne sort point de terre ; elle y est cachée à environ un demi-pié de profondeur. On en trouve plusieurs ensemble dans le même endroit, qui sont de différentes grosseurs. Il s'en voit quelquefois d'assez grosses pour être du poids d'une livre ; & ces dernieres sont rares.

Il ne paroît pas que les anciens aient connu notre truffe, car ils décrivent la leur de couleur rougeâtre, & d'une surface lisse ; espece de truffe qui est encore commune en Italie, & qu'on appelle truffe sauvage, mais dont on ne fait aucun cas. Il est vrai cependant que les Romains recevoient quelquefois une truffe blanche d'Afrique, qu'ils estimoient singulierement pour son odeur ; ils la nommoient truffe de Libye, & les Grecs fort peu au fait de toutes les productions africaines, appelloient celle-ci misy cyrénaïque.

Avicenne met au rang des meilleures truffes, celles qui sont en-dedans de couleur blanchâtre, ou pour mieux traduire le terme qu'il employe, de couleur de sable, faisant allusion au sable grisâtre qui étoit en usage de son tems. Pline dit avec peu d'exactitude, que les truffes de Libye étoient plus charnues que les autres. Theophraste s'exprime bien mieux, en disant que leur chair étoit d'un excellent parfum, pour les distinguer des truffes de la Grece qui étoient insipides. Comme les truffes de Libye venoient dans les sables brûlans de cette région, on les appelloit truffes sablonneuses ; & Martial y fait allusion, lorsqu'il décrit les meilleures truffes, comme faisant des crevasses sur la surface du terrein. Il est vrai, que nous ne voyons point que la terre se fende dans les endroits où elle porte des truffes ; & Pline lui-même assure que les truffes sont enfouies en terre, sans donner aucune indication de leur place ; il a sans doute raison pour les truffes romaines, & le fait est également vrai pour les nôtres ; mais puisque Martial parle des truffes de Libye, il faudroit avant que de le censurer, savoir si les truffes d'Afrique fendent ou non, le terrein des endroits où elles se trouvent ; & c'est surquoi nous avons par hazard le témoignage de LÉon l'Africain. Cet auteur qui est fort exact dans son détail des truffes de Libye, rapporte qu'on reconnoît les endroits qui produisent des truffes, par la surface de la terre, élevée en petites mottes, & fendue en un grand nombre de crevasses ; mais laissons les truffes d'Afrique, pour parler de celles de l'Europe qui sont sous nos yeux, & de caractere bien différent.

Les bonnes sont communes en Italie, en Provence, en Dauphiné, dans le Languedoc, l'Angoumois, & le Périgord, où elles sont les meilleures. Il en croît aussi en Bourgogne & aux environs de Paris. Il en vient dans le Brandebourg, & en d'autres endroits d'Allemagne ; M. Hatton a le premier découvert les truffes de Northampton, province d'Angleterre, & Morton les a décrites dans son histoire naturelle du pays.

On remarque que les truffes viennent plus ordinairement dans les terres incultes, de couleur rougeâtre & sablonneuse, quoi qu'un peu grasses. On les trouve au pié & à l'ombre des arbres ; on les trouve aussi quelquefois entre des racines, des pierres, & quelquefois en pleine terre. Leur arbre favori est le chène ou le chène verd, ou le chène blanc, comme l'orme est celui de la morille.

On commence à voir des truffes au premier beau tems qui suit les froids, plus tôt ou plus tard, suivant que le tems est doux, mais à la suite du grand hiver, elles ont été très-rares. Elles ne paroissent dans leur naissance, que comme de petits pois ronds, rouges au-dehors, & blancs en-dedans ; ces pois grossissent peu-à-peu. C'est depuis ce tems-là, qu'on commence à tirer de la terre celles qu'on nomme truffes blanches. Elles sont insipides d'elles-mêmes, & on les fait sécher pour entrer dans les ragouts, parce qu'elles se gardent mieux séches que les marbrées.

C'est l'opinion commune, que les truffes qui ont été une fois déplacées ne prennent plus de nourriture, quand même on les remettroit dans la même terre d'où on les a tirées ; mais si on les y laisse jusqu'à un certain point sans les déranger, elles grossissent insensiblement ; leur écorce devient noire, chagrinée, ou inégale, quoi qu'elles conservent toujours leur blancheur au-dedans ; jusqu'à ce point, elles ont très-peu d'odeur & de saveur, & ne peuvent encore s'employer qu'en ragoût ; & c'est toujours ce qu'on appelle premieres truffes blanches, dont il ne faut point faire une espece différente des marbrées & des noires, que l'on recueille depuis l'automne jusque en hiver après les premieres gelées, car ce ne sont que les mêmes à différens points de maturité.

La truffe blanche est dans son premier état, comme une plante qui est tout-à-la fois racine, tige & fruit, dont le parenchime se gonfle de toutes parts, & dont les parties se développent insensiblement. A mesure que la truffe se gonfle, l'écorce se durcit, se gerce en différens endroits, pour donner plus de nourriture à la masse qui est plus grosse ; alors la truffe change de couleur, & de blanche qu'elle étoit, on la voit insensiblement se marbrer de gris, & on n'apperçoit plus le blanc que comme un tissu de canaux qui se répandent dans le coeur de la truffe, & qui viennent tendre aux gerces de l'écorce.

La matiere grise qui est renfermée entre ces canaux, étant considérée au microscope, paroît être un parenchime transparent, composé de vésicules. Au milieu de ce parenchime, on voit des points noirs, ronds, séparés les uns des autres, qui ont tout l'air d'être des graines nourries dans ce parenchime dont elles ont obscurci la couleur, & où il n'y a que les vaisseaux & quelques cloisons qui sont restées blanches.

Lorsque les truffes sont venues à ce point de maturité, elles ont une très-bonne odeur & un très-bon goût. La chaleur & les pluies du mois d'Août les font mûrir plus promtement ; c'est ce qui peut avoir donné lieu à quelques auteurs de dire que les orages & les tonnerres les enfantoient. En effet, on ne commence à fouiller les bonnes truffes, que depuis le mois d'Octobre jusqu'à la fin de Décembre, & quelquefois jusqu'au mois de Février, où pour lors elles sont marbrées ; au lieu que celles que l'on ramasse depuis le mois d'Avril, jusqu'au mois de Juillet & d'Août, ne sont encore que blanches. Si on manque à ramasser les truffes lorsqu'elles sont à leur point de maturité, elles se pourrissent : c'est alors que l'on peut observer la reproduction de la truffe, parce qu'au-bout de quelque tems, on trouve plusieurs amas d'autres petites truffes qui occupent la place de celles qui sont pourries. Ces jeunes truffes prennent nourriture jusqu'aux premiers froids. Si la gelée n'est pas forte, elles passent l'hiver, & forment de bonne heure les truffes blanches du printems.

Le grand froid de 1709 est encore une preuve de ce qu'on vient d'avancer, puisqu'on n'a vû des truffes que dans l'automne de la même année ; les plus avancées qui auroient dû paroître au printems, ayant péri par la rigueur de la saison, au lieu que l'année précédente, elles avoient été très-communes.

On ne remarque ni chevelu, ni filamens de racines aux truffes qu'on tire de terre. Elles en sont enveloppées de maniere, qu'elles y impriment les traces de leur écorce, sans y paroître autrement attachées. Elles sont sujettes comme les autres racines, à être percées de vers ; celui qui s'attache à la truffe est un ver blanc assez menu, & différent de ceux qui naissent de leur pourriture : par la suite, il forme une féve renfermée dans un nid tissu d'une soie blanche fort déliée. Il en sort quelque tems après une mouche bleue, tirant sur le violet, qui s'échappe de la truffiere, par des gerçures qu'on y observe. Dès qu'on apperçoit de ces sortes de mouches, on les regarde comme un indice certain qu'il y a des truffes dans l'endroit autour duquel on les voit voltiger ; mais nous ferons un article à part du ver de truffe.

Quand une truffe cuite a été piquée du ver, on s'en apperçoit à l'amertume qu'elle a au goût ; & en y faisant un peu d'attention, on reconnoît que l'endroit de la piquure est plus noir que le reste, & que c'est de-là que vient cette amertume, le reste de la truffe ayant un bon goût. Si on l'ouvre crue à l'endroit de la piquure, on y découvre aisément le nid du ver, & un espace autour sans marbrure, d'une couleur différente du reste de la truffe, & qui approche de celle du bois pourri.

On a observé avec le microscope la superficie des truffes, & on a remarqué que certains points blancs qui s'y trouvent, étoient autant de petits insectes qui les rongent. Ils suivent les sillons de l'écorce pour pouvoir tirer plus de nourriture ; ces insectes sont blancs & transparens, de figure ronde à-peu-près comme les mites. Ils n'ont que quatre pates & une fort petite tête, ils marchent même assez promtement.

Ces insectes se nourrissent du suc nourricier de la truffe ; la preuve est qu'on en a trouvé qui s'étoient retirés dans le canton qu'avoit habité un ver, ils étoient devenus quoique transparens, d'une couleur de caffé, telle que celle de l'endroit où le ver avoit niché. Il est à remarquer que la terre qui produit la truffe ne porte point d'autres plantes au-dessus de la truffiere ; la truffe en soustrait le suc nourricier, ou peut-être par son odeur fait périr, & empêche les herbes d'y pousser. Cette derniere raison paroît assez probable, d'autant que la terre qui porte la truffe sent la truffe. Les paysans en certains endroits font un tel profit sur le débit des truffes, que cela les rend soigneux de découvrir les truffieres ; en sorte qu'ils deviennent très-habiles en ce métier.

Ils connoissent l'étendue d'une truffiere à ce qu'il n'y croit rien, & que la terre est nette de toute herbe. En second lieu, suivant la qualité de la terre, lorsque la truffiere est abondante, elle se gerce en différens endroits. Ils la reconnoissent encore, à ce qu'elle est plus légere ; ils la reconnoissent enfin, à ces petites mouches bleues & violettes dont j'ai parlé, & à une autre espece de grosses mouches noires, longues, différentes des premieres, qui sortent des vers qui s'engendrent de la pourriture de la truffe, & tout semblables à ceux qui naissent de toute autre matiere pourrie.

Il y a une habileté à fouiller les truffes, sans les couper, sur-tout lorsqu'elles sont grosses. Pour les tirer, les paysans ont une espece de houlette ; dans d'autres endroits, ils ne s'en rapportent point à eux-mêmes pour cette recherche, mais ils ont recours à un moyen dont parle Pline & d'autres auteurs. Il faut savoir, que les porcs sont fort friands de truffes ; on se sert donc d'un de ces animaux qu'on dresse à les chercher, & à les tirer. Il faut être promt à leur ôter les truffes qu'ils découvrent, & leur donner quelque chose à la place pour les récompenser, sans quoi ils se rebuteroient, & laisseroient-là une chasse qui leur seroit infructueuse. Dans le Montferrat, ils ont des chiens dressés à cette chasse ; il en est de même en Angleterre, & cette derniere méthode a ses avantages.

Voilà en général les observations de M. Geoffroi sur la truffe. Je vais présentement en déterminer les especes d'après Tournefort ; il en compte deux, qu'il distingue par leur figure. La premiere, est la ronde, dont on voit la figure dans ses élémens de Botanique, la même que celle qui est dans Mathiole & dans les autres Botanistes. Cette espece est celle que l'on mange en ce pays, & qui est connue de tout le monde. La seconde espece est celle que Mentzelius nomme dans son pugillus rariorum plantarum, truffes d'Allemagne, tubera subterranea testiculorum formâ. Cette truffe est différente des autres par sa figure, & par sa couleur interne, qui, au rapport de cet auteur, est d'un roux tirant sur le verdâtre, semblable à la couleur interne des vesses de loup de nos bois : peut-être que s'il les eût ouvertes en d'autres tems, il les eût trouvées d'une autre couleur. Il les compare même à une matiere qui change de couleur comme elles. Mentzelius découvrit cette espece dans les mois d'Août & de Septembre, qui est le tems où elles ne sont pas encore mûres, & en un certain canton de la marche de Brandebourg.

Sur ce pié-là, nous n'avons encore en Europe que deux especes de truffes qui différent par le port extérieur, & nous ne devons point prendre les variétés de couleurs internes, ni les différentes grosseurs pour des caracteres de différentes especes, puisque les racines ou les pierres qu'elles rencontrent en grossissant, leur peuvent donner différentes formes. La truffe est donc une plante & non point une matiere conglomerée, ou un excrément de la terre, comme Pline l'a pensé, en rapportant pour preuve une histoire d'un gouverneur de Carthagène, qui en mordant une truffe, trouva sous ses dents un denier. Cette preuve n'est point suffisante, puisque le hasard peut avoir fait que la truffe en grossissant, ait enveloppé ce dernier, comme on voit arriver pareilles choses à certains arbres, de la végétation desquels on est persuadé. Il me paroît même que Pline ne savoit à quoi s'en tenir, puisqu'il rapporte ensuite, que l'on observoit que les truffes ne venoient auprès de Mételin dans l'île de Lesbos, que quand le débordement des rivieres en apportoit les semences d'un endroit nommé Tiares, dans la terre ferme d'Asie où il y avoit des truffes en quantité.

Peut-être que l'on pourroit multiplier les truffes en tentant différens moyens, puisque nous les voyons multiplier dans la terre. Cette reproduction nous confirmeroit l'opinion que les graines sont renfermées dans l'intérieur de la truffe, & que ce sont ces graines & ces points ronds qui forment le parenchime de la truffe. Ce parenchime est soutenu par des fibres qui vont irrégulierement de la circonférence au centre, & tout traversé par des canaux blancs qui forment la marbrure de la truffe. Quelquefois ces canaux s'étendent en formant des plaques blanches, composées de vésicules transparentes plus déliées que les autres ; en sorte que vues de côté, elles forment une surface unie, blanche ; considérées perpendiculairement, elles laissent discerner à-travers elles, des points noirs ; si ces points sont les graines de la truffe, il est probable que les plaques blanches en sont comme les fleurs, y ayant toute apparence que les fleurs doivent être renfermées dans la truffe avec les graines.

Quoique les fibres de la truffe soient fort déliées, elles ne laissent pas toutes ensemble, d'avoir assez de force pour résister quelque tems à l'effort que l'on fait en les tirant en long. On les observe mieux dans une truffe passée que dans une autre, parce que le tissu charnu étant flétri, laisse appercevoir les locules qu'elles occupoient, & qui rend en les exprimant, le suc dont elles étoient chargées. Si au contraire on tire ces fibres de côté, elles se déchirent en se séparant en plusieurs lames dans le sens des fibres. Une preuve que ce sont des fibres, c'est que l'endroit qui a été gâté par le ver, étant vu au microscope, paroît être semblable à du bois pourri ; en sorte que ce ne sont plus que des fibres ou des lames sans suc, sans vésicules, & sans les points qui sont peut-être les graines. On les trouve comme criblées aux endroits où ces matieres auroient dû être ; d'où l'on peut conjecturer que les vers ou les insectes ont soustrait le suc nourricier, puisque les insectes de la truffe ont la même couleur que la truffe dans l'endroit qu'ils ont piqué.

Au reste, tout ceci n'est que pure conjecture ; car nos physiciens étant rarement à portée d'une truffiere, n'ont point encore cherché, comme il conviendroit, à approfondir tout ce qui concerne la végétation de la truffe. Ce ne sont pas les paysans qui découvriront ce mystere, moins encore ces personnes voluptueuses qui font leurs délices de ce mets, & qui, comme disoit Juvenal de leurs semblables,

Libidinis alimenta per omnia quaerunt.

(D.J.)

TRUFFE, (Diete) quoique la truffe contienne une assez bonne quantité de matiere alimenteuse, cependant son goût très-relevé est cause qu'on l'emploie principalement à titre d'assaisonnement ou d'irritamentum gulae.

La consistance naturelle de la truffe qui est d'un tissu dur & serré, n'empêche point qu'elle ne soit de facile digestion. On n'observe point dans les pays où elles croissent abondamment, & où on en mange beaucoup, qu'elle cause des indigestions, ni même qu'elle fatigue l'estomac. Le véritable inconvénient de leur usage est d'échauffer considérablement, mais cependant sans exciter la soif qui est le plus importun de tous les accidens de l'échauffement proprement dit.

La vertu d'exciter l'appétit vénérien qu'on leur attribue est très-réelle ; elle s'y trouve même en un degré fort énergique. Ainsi elles ne conviennent certainement point aux tempéramens sanguins, vifs, bouillans, portés à l'amour, ni à ceux qui sont obligés par état à s'abstenir de l'acte vénérien.

Une observation rapportée à l'article POULE D'INDE (diete), voyez cet article, semble prouver que le principe aromatique de la truffe est anti-septique ou assaisonnant. (b)

TRUFFE DE CERF, (Botan.) espece de champignon nommé tuber cervinum, ou cervi boletus, par J. B. 111. 851. Lycoperdastrum tuberosum, arrhizon, fulvum, cortice duriore, crasso, & granulato ; medullâ ex albo purpurascente ; semine nigro, crassiore, Mich. nov. gen. plant. 220. n°. 10. tab. 99. fig. 4. Cette espece de champignon ou de truffe, est de la grosseur d'une noix, quelquefois d'une noisette, & même plus petite, arrondie, raboteuse, inégale ; d'une substance qui n'est ni dure, ni molle, & d'un noir pourpre ; elle est couverte d'une écorce semblable à du cuir, grise, rousse, semée de petits grains par-dessus, renfermant en-dedans une substance fongueuse, d'un blanc tirant sur le pourpre, subdivisée & distribuée en des cellules cotonneuses & molles, remplies de très-petites graines, qui font une masse, & qui sont attachées par des filamens. Cette même substance ayant donné sa graine mûre, se resserre, & forme un petit globule.

Lorsque cette truffe est récente, elle a un goût & une odeur forte & muriatique ; mais lorsqu'elle est seche & gardée depuis quelque tems, elle n'en a presque point de sensible. Elle naît sous la terre comme les autres truffes, sans racines, au-moins visibles. On la trouve dans les forêts épaisses & les montagnes escarpées d'Allemagne & de Hongrie ; les cerfs en sont friands ; étant attirés par son odeur, ils grattent la terre où elle est cachée pour la découvrir & la manger. (D.J.)

TRUFFE vers des, (Hist. nat.) espece de vers qui se transforment en mouches, & qui avant leur métamorphose, vivent dans les truffes, & s'en nourrissent. Ces sortes de vers qui vivent dans les truffes, sont souvent cause qu'elles nous arrivent à Paris très-corrompues ; car ils logent dans la truffe comme d'autres vers dans la viande. S'ils ne donnent pas toujours à la truffe le premier degré de corruption, au-moins en accelerent-ils les progrès. Lorsqu'on en presse quelqu'une entre les doigts, qui est trop avancée, on y sent des endroits qui cédent, qui se sont ramollis ; qu'on ouvre ces endroits, ordinairement on y trouvera des vers. Ils sont assez petits, & de ceux dont le bout postérieur est plan comme celui d'un cylindre. Ce bout a deux tubercules bruns, placés sur la même ligne, plus près de la partie supérieure que de l'inférieure, qui sont les deux stigmates postérieurs. Ces vers sont blancs & transparens ; aussi lorsqu'on regarde le dessus de leur partie antérieure, on voit distinctement les deux tiges noires des deux crochets noirs dont ils sont armés.

Ils piochent la truffe avec ces crochets, comme d'autres vers piochent la viande avec les leurs ; leur anus qui est aisé à trouver, est en-dessous du ventre, près du bout postérieur ; il jette une matiere blanche & gluante, qui aide peut-être à faire corrompre la truffe ; chaque ver est toujours entouré de cette liqueur épaisse. Quand ils ont pris tout leur accroissement, & ils l'ont pris en peu de jours, ils quittent la truffe comme les autres quittent la viande, & pour la même fin ; je veux dire pour chercher un lieu propre à leur transformation ; ils entrent en terre, & au bout de douze heures, ils sont transformés dans leur coque, qui est de couleur de marron.

La coque du ver des truffes, comme celle de tous les vers de leur classe, est faite de leur peau, & a de même, à-peu-près la forme d'un oeuf. Ce qu'elle a de particulier, c'est que son bout antérieur est un peu applati ; il a moins de diametre de dessus endessous, que d'un côté à l'autre. Dans l'étendue de cette portion applatie, chaque côté est bordé par une espece de cordon, analogue à celui des coques des vers de la viande, mais qui dans celle-ci, va jusqu'au bout. Le cordon finit pourtant à un des stigmates antérieurs ; mais ces stigmates sont sur la ligne droite par laquelle le bout plat est terminé. Au milieu de ce bout, paroissent des plis disposés comme ceux d'une bourse, qui entourent l'ouverture par laquelle le premier anneau est rentré en-dedans.

L'espece de ver dont nous venons de parler, n'est pas la seule qui mange les truffes ; elle donne encore de la nourriture à d'autres vers semblables à ceux qui mangent les champignons ; ce sont des vers sans jambes, qui ont le corps jaune, & la tête noire & écailleuse. Réaumur, Hist. des insectes, tome IV. page 374. (D.J.)


TRUFFETTES. f. (Toilerie) nom que l'on donne à certaines toiles blanches faites de lin, qui approchent assez de la qualité de celles qu'on nomme toiles demi-Hollande. (D.J.)


TRUFFIERES. f. (Agriculture) c'est ainsi qu'on nomme dans les pays chauds, comme en Languedoc, en Provence, en Périgord, un terrein particulier où viennent les truffes ; on connoît ce terrein par expérience, & parce qu'il n'y croît dessus presque point d'herbe. (D.J.)


TRUGUou TUGUE, s. f. (Marine) espece de faux tillac ou de couverte, qu'on fait de caillebotis, & que l'on éleve sur quatre ou six piliers au - devant de la dunette, pour se garantir du soleil ou de la pluie. Il est défendu de faire cette couverte de planches, & le roi veut qu'elle soit faite avec des tentes soutenues par des cordages.


TRUIE(Mythol.) cet animal étoit la victime la plus ordinaire de Cérès & de la déesse Tellus. On sacrifioit à Cybèle une truie pleine. Lorsqu'on juroit quelque alliance, ou qu'on faisoit la paix, elles étoient confirmées par le sang d'une truie ; c'est ainsi que Virgile représente Romulus & Tatius, se jurant une alliance éternelle devant l'autel de Jupiter, en immolant une truie, caesâ porcâ. (D.J.)


TRUITETRUITTE, TRUITE DE RIVIERE, TROUTTE, s. f. (Hist. nat. Ichthyol.) trutta, poisson d'eau douce que l'on pêche dans les étangs, les rivieres, les ruisseaux, &c. & qui varie un peu pour la couleur, selon les différens pays.

La truite en général ressemble beaucoup au saumon ; elle a la tête courte & arrondie, l'ouverture de la bouche grande, & le bec obtus ; le corps est épais & terminé par une queue large, les mâchoires n'ont qu'un simple rang de dents, mais il y en a sur le palais. Les côtés du corps ont des taches d'un très-beau rouge, le dos est brun & marqué de taches noires, parmi lesquelles il s'en trouve quelquefois de rouges. Ce poisson se plait dans les petites rivieres où il y a beaucoup de pierres, & dont les eaux sont claires & froides ; il se nourrit de poissons & de vers ; sa chair est ferme, un peu dure & excellente. Rai, synop. meth. piscium. Rondelet, des poissons de riviere, chap. ij. Voyez POISSON.

TRUITE SAUMONEE, poisson d'eau douce, qui ne differe du saumon qu'en ce qu'il est plus petit, & qu'il n'a pas la queue fourchue. Voyez SAUMON.

La truite saumonée a rarement plus de 20 pouces de longueur, sa chair n'est pas rouge comme celle du saumon, & elle a un goût désagréable. Gesner & Aldrovande font mention sous le nom de trutta lacustris, d'une espece de truite saumonée bien différente de la précédente ; ces auteurs disent qu'on en pêche dans le lac de Genève, qui pesent trente-cinq à quarante livres, & même qu'on en trouve dans le lac de Locarno de l'état de Milan, qui pesent jusqu'à cent livres. Le dos de ces truites saumonées est d'un beau verd bleuâtre ; la nageoire du dos a beaucoup de taches noires, & la queue est fourchue ; leur chair est rouge & de bon goût. Rai, synop. meth. piscium. Voy. POISSON.

TRUITE, (Diete) la chair de ce poisson est d'un goût exquis, délicieux, & fort nourrissante, elle est meilleure en été qu'en toute autre saison.

La graisse est adoucissante, dissolvante, résolutive, bonne pour les taches, les rousseurs du visage, pour les taches de petite verole, pour la surdité, les bruissemens d'oreille, pour les taches & les cataractes des yeux ; elle soulage dans les hémorrhoïdes, les rhagades, les gerçures de l'anus, dans les ulceres du sein & les fissures du mamelon. Lemeri, dict. des drogues.

TRUITE, (Pêche) on la pêche avec une seine qui traverse la riviere : on halle ce filet d'un bord & d'autre ; il n'y a que trois hommes employés à cette manoeuvre ; un homme de chaque côté, & un dans un bateau pour mieux gouverner le filet, qui a deux brasses de hauteur, & environ 40 de long. Voyez SEINE.

TRUITE, (Brass.) est une espece de cage quarrée, placée sur la cheminée du fourneau de la touraille ; elle est à carneaux tout-autour, & couverte en comble ; elle sert à recevoir la fumée qui sort par les carneaux & se répand dans toute la touraille. Il y en a qui sont faites de fer & d'autres de brique.

TRUITE, adj. terme de Manege ; épithete du cheval, qui sur un poil blanc a des marques de poil noir, bai ou alezan, particulierement à la tête & à l'encolure. (D.J.)


TRUITÉEPIERRE, (Hist. nat.) nom donné par quelques naturalistes allemands à une espece de pierre semblable à de l'albâtre, remplie de taches noir âtres & luisantes, qui font que cette pierre ressemble à la peau d'une truite saumonée. C'est la même pierre que d'autres ont nommé pierre tigrée. Voyez Bruckmann, epistol. itinerariae centuria I.


TRULLES. f. terme de Pêche ; sorte de grand havenet dont on se sert dans la Garonne ; cet instrument est assez semblable aux grands bouts de quiévres ; il est monté de même sur deux longues perches croisées, tenues ouvertes au moyen d'une petite traverse de bois ; le sac est amarré aux deux côtés des perches, & à une traverse de corde qui est à l'extrêmité de ces perches ; il forme une espece de poche dans le fond ; les mailles de l'entrée peuvent avoir environ 15 lignes ; on ne se sert de cet instrument que durant le printems, & de marée montante ; les pêcheurs les traînent, & poussent devant eux à - peu près de la même maniere que ceux qui se servent de bouteux & de bout de quievres, pour faire la pêche des chevrettes.

Avec des mailles aussi serrées, & la manoeuvre que font ceux qui pêchent avec cet instrument, rien ne peut être plus abusif ; puisque tout ce qui monte avec la marée est arrêté & pris, à cause de la petitesse des mailles de la trulle, dont rien ne peut évader.

TRULLE, la, (Géog. mod.) ou la Trouille, petite riviere des Pays-bas, dans le Hainaut. Elle traverse Mons, & se jette bientôt après dans la Haisne, audessus de S. Guillain. (D.J.)


TRULLIZATIONS. f. (Archit.) Vitruve, l. VII. c. iij. appelle ainsi toute sorte de mortier travaillé avec la truelle au-dedans des voûtes ou des hachures qu'on fait sur la couche de mortier pour retenir l'enduit du stuc. (D.J.)


TRULLOTTES. f. terme de Pêche ; sorte de chaudiere ou d'engin avec lequel on prend du poisson ; les pêcheurs qui se servent de cet instrument font la pêche de la même maniere que les pêcheurs de l'amirauté de Caux la font avec leurs petites chaudieres ; mais leurs trullottes sont différemment construites ; ce sont deux petits bâtons de 18 à 20 pouces de long, passés au - travers d'un morceau de bois quarré, sur 2 pouces de large & un pié de haut ; le petit sac de ret qui forme cet instrument est amarré aux bouts de la petite croisiere ; on met des appâts dans le fond pour y attirer les chevrettes, avec une pierre qui y est amarrée, pour faire caler la trullotte, que l'on releve de tems-en-tems au moyen d'une corde d'une brasse environ, frappée sur le bout du morceau de bois au travers duquel passe la croisée ; le bout de la corde qui y est amarrée est soutenue à fleur d'eau par une petite bouée de liege, par laquelle, au moyen d'une petite fourche, on releve la trullotte de tems-en-tems ; cet instrument ressemble assez à une espece de croc où l'on pend la viande pour la conserver au frais, les pêcheurs font cette petite pêche à pié à la basse-eau, n'ayant aucun bateau.


TRULLUMS. m. (Hist. ecclésiastique) mot barbare qui signifie dôme ; on s'en sert principalement dans cette phrase usitée parmi les théologiens, le concile in trullo.

On donne proprement ce nom, non pas au sixieme concile général assemblé à Constantinople en 680, quoiqu'il fût tenu dans le trullum ou dôme du palais des empereurs, mais au concile tenu en 692 dans le même lieu dont ce concile a retenu le nom, on l'appelle aussi concilium quini-sextum, parce qu'il est une suite des cinquieme & sixieme conciles généraux. Voyez QUINI-SEXTA.

Le trullum, ou comme l'appelle M. Fleury, le trullus, étoit proprement un vaste sallon où se tenoit ordinairement le conseil d'état des empereurs de Constantinople. On peut juger de son étendue par le nombre des évêques qui assisterent aux conciles, au premier, il s'y trouva l'empereur en personne & plus de 160 évêques ; au second on comptoit 211 évêques.

On croit que ce nom trullus ou trullum vient du latin trulla, coupole, & qu'on avoit appellé ainsi la salle en question, parce qu'elle étoit voutée en coupole. Voyez COUPOLE.


TRUMEAou TREMEAU, s. m. (Archit.) partie du mur de face entre deux croisées, qui porte le fond des sommiers des plates-bandes. Les moindres trumeaux sont érigés d'une seule pierre à chaque assise. (D.J.)

TRUMEAU, terme de Miroitier ; il se dit des glaces qui se placent dans l'entre-deux des croisées que les architectes nomment trumeaux, d'où ces miroirs ont pris leur nom.


TRUS(Glossaire françois) trus ou trut veut dire en françois impôt, tribut. Selon M. de Boulainvilliers, Charles le Chauve mit un impôt sous ce nom, par lequel chaque maison devoit payer une certaine somme, lorsqu'on apprenoit la nouvelle de quelque descente des Normands. De ce mot trus, dit Pasquier, vint celui de truander, pour dire gourmander & souler ; parce que ceux qui sont destinés à exiger les tributs, sont ordinairement gens fâcheux, qui ont peu de pitié des pauvres, sur lesquels ils exercent les mandemens du roi. Il y a quelque apparence qu'on donna le nom de truanderie aux rues où les bureaux de ces fermiers & receveurs étoient établis. (D.J.)


TRUSIONS. f. (Médec.) c'est ainsi qu'on nomme le mouvement du sang du coeur au corps par les arteres ; & son retour du corps au coeur par les veines s'appelle mouvement progressif & circulaire.


TRUSQUINS. m. (outil d'Arquebusier) ce trusquin est une targette de bois longue d'un pié & large & épaisse d'un pouce, qui est percée à deux pouces du haut d'un petit trou quarré, dans lequel passe en croix une petite targette de fer du calibre du trou ; cette targette est un peu recourbée d'un bout & un peu aiguë ; cet outil sert aux Arquebusiers pour marquer des raies droites sur des bois de fusil & des plaques de fer.

TRUSQUIN, est un instrument ou outil dont se servent les Charpentiers à mettre les bois d'épaisseur. Voyez Pl. du Menuisier, & l'article MENUISERIE.

TRUSQUIN D'ASSEMBLAGE, s. m. (Menuiserie) outil dont les Menuisiers se servent pour marquer l'épaisseur des tenons & la largeur des mortaises qu'ils veulent faire pour assembler leurs bois, afin que les unes répondent aux autres. Cet outil est de bois composé de deux pieces ; l'une est une espece de regle d'un pouce d'équarrissage & de dix ou douze de longueur, qu'on appelle la tige ; l'autre est une très-petite planche ou morceau de bois plat, peu épais, d'environ quatre pouces en quarré, à-travers lequel passe la regle, ensorte néanmoins qu'on puisse l'avancer ou le reculer à volonté ; c'est sur la tige qu'est la pointe à tracer. On appelle trusquin à longue pointe un trusquin qui n'a qu'une pointe, mais très-longue ; il sert à courroyer du bois, & à pouvoir atteindre dans les fentes ou flâches que le bois peut avoir. (D.J.)


TRUSTÉES. f. (Mesure de continence) on s'en sert en quelques lieux de Bretagne, particulierement dans toute l'étendue de la prevôté de Nantes, pour le commerce des sels qui s'y vendent ordinairement au cent des trustées. Vingt-cinq trustées font environ un muid, mesure nantoise. Savary. (D.J.)


TRUTou TRUTTE, voyez TRUITE.


TRUTINATRUTINA


TRUTULENSISTRUTULENSIS


TRUXILLO(Géog. mod.) ville d'Espagne, dans l'Estramadoure, dans les montagnes, à dix lieues de Mérida, à 25 lieues au sud-ouest de Tolede, avec une citadelle. Jean II. roi de Castille a érigé Truxillo en ville en 1431. Elle a six paroisses & plusieurs monasteres. Son terroir nourrit des brebis dont la laine est très-précieuse. Long. 12. 38. latit. 39. 10. (D.J.)

TRUXILLO, (Géogr. mod.) ville de l'Amérique méridionale, dans le Pérou, audience de Lima, proche la mer du Sud, avec un port qui en est à deux lieues, & où l'ancrage n'est pas bon. François Pizaro fonda cette ville l'an 1553. Son terroir abonde en figues, pommes, grenades, oranges & vignes. Long. 298. latit. mérid. 7. 30. (D.J.)

TRUXILLO, (Géog. mod.) ville de l'Amérique septentrionale, dans la nouvelle Espagne, au gouvernement d'Honduras, sur la côte du golfe du même nom ; son port est au fond de la baie. Son terroir est fertile en fruits excellens, & en vins qu'on recueille deux fois l'année. Long. 292. 16. latit. 15. 38. (D.J.)


TRYCHNUSS. m. (Hist. nat. Botan. anc.) c'est la même plante que le strychnus, nom du solanum ou morelle. Les Grecs l'ont appellé , & les Latins semblablement ont abandonné à leur exemple le initial, comme ils ont fait dans plusieurs autres mots ; c'est ainsi qu'ils ont écrit milax pour smilax, maragdus pour smaragdus, &c.

Dioscoride voulant distinguer le solanum qui rend furieux, du solanum qui cause l'assoupissement, & qui sont, comme on sait, deux plantes vénéneuses, appelle l'une trychnos, & l'autre strychnos ; mais c'est-là un mauvais jeu de mots inconnu même dans la langue grecque.

Théocrite parle aussi du trychnus, mais il entend par ce mot une plante qui porte un fruit mangeable, & une plante différente des deux solanum vénéneux ; car c'est notre lycopersicon ou pomme d'amour, que la plûpart des botanistes ont effectivement placée, jusqu'à Tournefort, entre les especes de solanum.

Théophraste distingue aussi trois especes de trychnus, & dit que la troisiéme donne un fruit bon à manger. Aujourd'hui encore les juifs, les Italiens, les Espagnols & les Portugais mangent tous la pomme d'amour, ou le fruit du lycopersicon, & ils en font grand cas en salade, avec du sel & du poivre. Les derniers écrivains grecs ont abandonné le mot strychnus & trychnus, en leur substituant le terme melintzanion, qui est peut-être emprunté de l'italien melanzana. (D.J.)


TRYou TRYME, (Géog. mod.) ville d'Irlande, dans la province de Leinster, au comté d'Est-Meath dont elle est la capitale, à six milles de la Boyne. Elle a le droit de tenir marché public, & envoie deux députés au parlement de Dublin. (D.J.)


TRYPHERAS. f. en Pharmacie, est un nom qui a été donné à différens remedes, surtout du genre narcotique. La grande tryphere est composée d'opium, de canelle, de cloux de girofles & de plusieurs autres ingrédiens. On l'emploie pour fortifier l'estomac, pour arrêter les cours de ventre, & pour certaines maladies de la matrice. Ce mot est formé du grec , délicat, parce que ces sortes de remedes agissent doucement & agréablement, ou selon d'autres, parce qu'ils procurent du repos à ceux qui en usent.

La tryphere sarracénique & la tryphere persienne ainsi nommées parce qu'elles furent premierement introduites, l'une par les Sarrasins, & l'autre par les Persans, sont toutes deux de doux purgatifs.


TSANGOU-MANGHITSS. m. (Hist. nat. Bot.) plante de l'île de Madagascar, qui est une espece de scolopendre ; ses feuilles sont longues & étroites, rangées de côté & d'autres ; elles répandent une odeur très-aromatique.


TSAPHARIS. m. (Mat. méd. des anc.) nom donné par quelques-uns à la cadmie que Dioscoride appelle placitis, c'est-à-dire crouteuse, parce qu'elle forme une espece de croute aux côtés des fourneaux. Sérapion s'est bien trompé quand il a dit que la cadmie étoit une production naturelle. (D.J.)


TSAR(Hist. de Russie) ce mot signifie roi dans toute la bible en langue sclavone, & les étrangers lui ont substitué le mot czar, qui est une corruption de celui de tsar. Dans la bible sclavone traduite du grec, il y a sept cent ans, longtems avant que les ducs de Russie prissent le titre de tzar, les rois Pharaon, Saül, David, &c. sont appellés tzar ; il n'y a point dans cette langue de différence entre roi & empereur.

Le premier qui prit le titre de tzar, fut Iwan Wasiélewitz, aïeul de Ivan Basilowitz, qui reprit le titre qu'avoit porté son grand-pere, se qualifiant czar de Casan, d'Astracan & de Sibérie, comme aussi powelitel & samoderschetz de toutes les Russies. Le premier de ces deux derniers mots signifie imperator ou général, & le dernier veut dire souverain. Ces titres ont été donnés à tous les successeurs de Basilowitz jusqu'en l'année 1721, que l'archevêque de Novogrod persuada au czar Pierre I. de changer le titre russien de powelitel en latin, & de se qualifier empereur ; & quoique toutes les puissances lui eussent toujours donné ce titre en langue russienne, il causa dès le moment qu'il fut latinisé, de grandes contestations en Europe ; mais le vainqueur de Charles XII. les fit cesser par sa puissance. (D.J.)


TSCHAROS LE(Géog. mod.) peuples sauvages de l'Amérique méridionale, au Paraguai. Les détails que le P. Sepp jésuite, donne de ce peuple dans les lettres édifiantes, ne sont pas assez vraisemblables pour y ajouter foi ; ce qu'il y a de sûr, c'est que les missionnaires n'ont encore rien opéré sur la conversion des Tscharos, mais ils vivent avec eux sans les troubler ni les persécuter, & c'est quelque chose. (D.J.)


TSE-KINS. m. (Porcelaine de la Chine) espece de vernis qu'on met à la Chine sur la porcelaine pour lui donner une couleur de caffé ou de feuilles mortes.

Pour faire ce vernis, on prend de la terre jaune commune, on lui donne la même façon qu'au pétunse ; & quand cette terre est préparée, on n'en emploie que la matiere la plus déliée qu'on jette dans de l'eau, dont on forme une espece de colle aussi liquide que le vernis ordinaire appellé pé-yéon, qui se fait de quartiers de roches. Ces deux vernis, le tse-kin & le pé-yéon se mêlent ensemble, & pour cela ils doivent être également liquides. On en fait l'épreuve en plongeant le pétunse dans l'un & dans l'autre vernis. Si chacun de ces vernis pénétre son pétunse, on les juge propres à s'incorporer ensemble.

On fait aussi entrer dans le tse-kin du vernis ou de l'huile de chaux & de cendres de fougere préparées, de la même liquidité que le pé-yéon ; mais on mêle plus ou moins de ces deux vernis avec le tse-kin, selon que l'on veut que le tsekin soit plus clair ou plus foncé : c'est ce qu'on peut connoître par divers essais ; par exemple, on mêlera deux tasses de la liqueur tsekin avec huit tasses du pé-yéon, puis sur quatre tasses de cette mixtion de tsekin & de pé-yéon, on mettra une tasse de vernis fait de chaux & de fougere. Coutume d'Asie. (D.J.)


TSE-SONGS. m. (Hist. nat. Botan. exot.) nom chinois d'un arbre qui tient du cyprès & du genievre. Le tronc qui a environ un pié & demi de circuit, pousse des branches qui se partagent en une infinité d'autres, & forment un buisson verd, épais & touffu ; ses feuilles sont longues, étroites, piquantes, disposées le long des rameaux par files, tantôt au nombre de cinq, & tantôt au nombre de six. Les rameaux qui sont couverts de ces feuilles longues, se trouvent principalement en-dessous & au-bas des branches, tout le haut & le dessus n'étant que cyprès.

L'écorce de cet arbre est un peu raboteuse, d'un gris-brun tirant sur le rouge en certains endroits ; le bois est d'un blanc rougeâtre, semblable à celui de genievre, ayant quelque chose de résineux ; ses feuilles, outre l'odeur d'un cyprès, sont d'un goût fort amer mêlé de quelque âcreté.

Ses fruits sont verds, ronds & un peu plus gros que les baies de genievre, d'un verd olivâtre & d'une odeur forte ; ils sont attachés aux branches par de longs pédicules ; ils contiennent deux grains roussâtres en forme de petits coeurs, & durs comme les grains de raisin. (D.J.)


TSHINCAS. m. (Hist. nat. Botan. exot.) espece de giroflier des Moluques, caryophillus ramosus vel dentatus. Joh. Bod. à Stapel. D'autres auteurs hollandois appellent cette plante caryophillus regius, parce que les petits princes & les nobles des îles moluques en font une estime qui va jusqu'à la superstition pour sa forme singuliere & sa rareté ; ils prétendent qu'il n'y a que deux especes de tshinca dans le monde ; ils sont tous deux caryophylliferes, & ne différent des arbres de ce genre que par la grandeur ; leur fruit n'est cependant autre chose que le caryophyllus ou girofle aromatique ordinaire divisé en plusieurs cornes qui croissent par degrés, mais qui n'ont point de calices ronds, & qui portent des fleurs. Il n'est pas étonnant que ces sortes de végétaux monstrueux soient fort rares. (D.J.)


TSI-CHUS. m. (Hist. nat. Botan.) c'est ainsi que les Chinois nomment l'arbre qui leur fournit la liqueur dont ils font les vernis si estimés par les Européens. Ce mot en chinois signifie l'arbre à l'huile, nom qui lui a été donné à cause de la liqueur semblable à de l'huile, qui en découle par les incisions qu'on lui fait ; elle tombe peu-à-peu comme la térébenthine des pins ; mais l'arbre en donne une plus grande quantité quand on y fait des incisions ; cependant elles le font mourir en peu de tems. On fait bouillir cette liqueur pour lui donner de la consistance. Les émanations qui partent de cette liqueur, qui est le vernis de la Chine, sont très-dangereuses ; les hommes qui s'occupent à la recueillir, prennent les plus grandes précautions pour s'empêcher de les recevoir, soit par la respiration, soit dans les yeux, ils prennent des précautions même pour que la liqueur ne tombe point sur leurs mains, malgré cela ils sont sujets à des inflammations des yeux, à des ulceres & quelquefois à des maladies funestes. Voyez VERNIS.


TSIEM-TANIS. m. (Hist. nat. Botan. exot.) mixa pyriformis, ossiculo trispermo. Raii. C'est un très-grand arbre qui croît au Malabar ; son écorce est échauffante, incise les humeurs visqueuses & pituiteuses, les attenue, & évacue les eaux dans l'hydropisie ; si on la réduit en poudre avec la pulpe de son fruit, elle produit la guérison des fievres intermittentes qui viennent d'humeurs viciées & tenues surabondantes. (D.J.)


TSIKUDSEN(Géog. mod.) une des neuf provinces de la contrée de l'empire du Japon, dans le pays de l'ouest. Cette province est divisée en vingtquatre districts, & a quatre journées de longueur du sud au nord ; c'est un pays médiocrement bon, & qui a plusieurs manufactures de porcelaine. (D.J.)


TSIKUNGO(Géog. mod.) une des neuf provinces de la contrée de l'empire du Japon, dans le pays de l'ouest. Cette province a cinq journées de longueur du sud au nord, & est partagée en dix districts. Son pays produit en abondance du blé, du ris & des pois. Les côtes lui donnent du poisson, des écrevisses, & du coquillage. On y fait beaucoup de confitures, qui sont estimées dans les autres provinces. (D.J.)


TSIMADANS. m. (Hist. nat. Botan.) arbre de l'île de Madagascar, dont la feuille a des propriétés qu'on vante contre les maux de coeur, la peste & toutes les maladies contagieuses.


TSIMANDATSS. m. (Hist. nat. Bot.) plante de l'île de Madagascar, dont les voyageurs ne nous apprennent rien, sinon que les négres s'en servent pour guérir la maladie vénérienne. Il seroit à souhaiter que ceux qui nous ont transmis les noms des plantes exotiques, nous eussent en même tems donné la maniere de s'en servir.


TSINS. m. (Hist. nat. Minéralogie) nom donné par les Chinois à une substance minérale d'un bleu foncé, assez semblable à du vitriol bleu, qui se trouve dans quelques mines de plomb, & que l'on croit contenir quelques portions de ce métal. Les Chinois s'en servent pour peindre en bleu leur porcelaine, & ils l'emploient comme un fondant, qui fait pénétrer les autres couleurs dans la pâte de la porcelaine. Cette substance se trouve, dit-on, aux environs de Canton & de Pékin. Les peintres en émail se servent aussi de cette matiere dans leurs émaux, & l'on en applique sur de l'argent, mais elle s'en détache aisément. Quand on en met sur la porcelaine, il faut qu'elle soit ensuite remise au feu pour recuire.

Avant d'employer le tsin, on ne fait que le pulvériser sans le calciner, comme cela se pratique d'ordinaire ; on le bat ensuite dans beaucoup d'eau pour en séparer la terre & les parties étrangeres, après quoi on laisse la poudre tomber au fond de l'eau qui n'en est point colorée ; quant à la poudre, elle n'est plus bleue, comme avant que d'avoir été pulvérisée, mais elle est d'un gris cendré ; mais après avoir été recuite, elle redevient d'un très-beau bleu. La matiere qui s'est précipitée au fond de l'eau se seche & se conserve ; pour en faire usage, on ne fait que la mêler avec de l'eau gommée, & on l'applique avec un pinceau sur la porcelaine qu'on veut peindre. Voyez le recueil des observations sur les coutumes de l'Asie.


TSIN-SES. m. (Hist. mod.) c'est ainsi que l'on nomme à la Chine les lettrés du troisieme ordre ; grade qui répond au docteur de nos universités ; on n'y parvient qu'après un examen qui se fait à Pékin, dans le palais de l'empereur, qui préside en personne à l'assemblée, & qui donne souvent lui - même le sujet sur lequel les candidats doivent composer. Cet examen ne se fait que tous les trois ans, & l'on n'admet au doctorat qu'un petit nombre de kiu-gins, ou lettrés du second ordre. La réception se fait avec une pompe extraordinaire ; chacun de ceux qui ont été reçus docteurs, reçoit de l'empereur une coupe d'argent, un parasol de soie bleue, & une chaise très-ornée pour se faire porter. Les noms des nouveaux docteurs sont inscrits sur de grands tableaux qu'on expose dans la place publique. Dès qu'ils sont admis, on s'empresse d'aller instruire leurs familles de l'honneur qu'elles ont reçu ; ces couriers sont très-bien récompensés ; les villes où les docteurs sont nés, prennent part à la gloire de leurs citoyens, & célebrent cet événement par de très-grandes réjouissances. Les noms des docteurs s'inscrivent dans un régistre particulier, & c'est parmi eux que l'on choisit les personnes qui doivent occuper les premieres charges de l'empire ; il n'est point surprenant qu'un état administré par des hommes qui ont consacré leur tems à l'étude de la morale, des loix & de la philosophie, surpasse tous les autres par la sagesse de son gouvernement.


TSINGALAHAS. m. (Hist. nat.) espece de scorpion fort dangereux qui se trouve dans l'île de Madagascar. Il habite toujours dans les marais & les eaux dormantes ; il s'attache aux bestiaux & aux chiens qu'il tue, & dont il suce le sang.


TSIOS. m. (Mesur.) c'est chez les Japonois un espace de 60 brasses.


TSIO-TEIS. m. (Hist. nat. Bot.) c'est un mirthe du Japon qui est sauvage ; il a de longues feuilles ; le même, suivant Kaempfer, que le mirthe commun d'Italie de Gaspard Bauhin.


TSIOMPAou CIAMPA, ou CHIAMPA, (Géog. mod.) petit royaume d'Asie. Il est borné au levant & au midi par la mer, au couchant par le royaume de Camboye, & au nord par le désert de la Cochinchine.

Nous ne connoissons de ce royaume ni les villes, ni les rivieres, ni les montagnes. Nous savons seulement que son roi est tributaire de celui de Cochinchine. Ses sujets sont idolâtres, & vivent dans de misérables cabanes de bois. (D.J.)


TSITSIHIS. m. (Hist. nat.) espece d'écureuil d'une couleur grise, qui se trouve dans l'île de Madagascar. Ils demeurent dans les creux des arbres, & jamais on n'a pu parvenir à les apprivoiser.


TSJASKELAS. m. (Hist. nat. botan.) arbre des Indes orientales qui est une espece de figuier ; son écorce sert en quelques endroits à faire des cordes d'arcs. On en tire aussi une couleur rouge propre à la teinture.


TSJELAS. m. (Hist. nat. Bot. exot.) arbre du Malabar qui s'éleve fort haut ; son tronc pousse un grand nombre de branches qui s'étendent au loin circulairement. Son fruit n'a point d'odeur ni de goût ; il croît sur les branches, entre les feuilles, sans pédicule, il est de la forme & de la grosseur de la groseille, & contient quantité de petits grains rougeâtres. Les auteurs de l'hort. malab. en font une espece de figuier qu'ils nomment ficus malabarica, fructu ribesii formà & magnitudine. (D.J.)


TSJERIAM-COTTAMS. m. (Hist. nat. Botan. exot.) fructus indicus, baccifera, fructu racemoso, cuspidato, riberium simili monopyreno. Hort. malab. C'est un arbrisseau toujours verd qui croît au Malabar, & dont le fruit ressemble assez à notre groseille. Ses feuilles bouillies dans l'eau donnent un gargarisme qui dissipe le gonflement des gencives & les raffermit. On prépare de son écorce bouillie dans du petit lait avec de la graine de cumin, un autre gargarisme qu'on dit être un lent remede contre les aphthes. Ray. (D.J.)


TSJEROE-KATOUS. m. (Hist. nat. Botan. exot.) grand & bel arbre du Malabar ; son tronc est fort gros, ses branches sont nombreuses, & s'étendent très-loin ; son bois est blanchâtre, compacte, couvert d'une écorce brune & lanugineuse ; il rend par des incisions une larme rougeâtre, glutineuse, odoriférante, très âcre, & que la chaleur du soleil noircit. Sa racine est couverte d'une écorce obscure, sans odeur, d'un goût onctueux, acrimonieux & caustique. On exprime aussi de ses feuilles un suc rougeâtre, âcre, brûlant, & qui ulcere la peau.

Ses fleurs sont pentapétales, blanches, tendres, odoriférantes, âcres, chaudes au goût ; elles sont suivies d'un petit fruit rond & oblong, qui est d'abord verd, ensuite bleu, & cotonneux à mesure qu'il mûrit. Il est d'un bleu noir dans sa maturité, & plein d'une pulpe brunâtre, succulente, glutineuse, âcre & caustique. Au milieu de cette pulpe est un noyau qui contient une amande blanchâtre, onctueuse, âcre & fort amere.

Cet arbre croît dans toutes les contrées du Malabar. M. Commelin l'appelle prunifera malabarica, fructu racemoso, parvo, acri, succo tinctorio. Hort. malab. On le cultive dans les champs semés de riz pour en écarter les oiseaux, à cause de ses qualités pernicieuses. Les teinturiers se servent du suc de son fruit avec de la chaux, pour teindre leur coton mêlé. (D.J.)


TSJEROE-POEAMS. m. (Hist. natur. Botan. exot.) arbor baccifera malabarensibus, racemosa, tripetala, fructu oblongo, tricocco, calice excepto. Hort. malab. C'est un petit arbre fort bas, dont le tronc est verd en-dedans, blanchâtre en-dehors, & revêtu d'une écorce noirâtre ; il jette un grand nombre de branches noueuses. Sa racine est jaunâtre, couverte d'écorce rougeâtre, d'une odeur & d'un goût desagréable ; ses feuilles sont pointues, oblongues, unies, d'un verd obscur, luisantes en-dessus, verdâtres & cotonneuses en-dessous. Ses fleurs sont à trois pétales. Il s'éleve du milieu d'elles un pistil oblong & d'un verd tirant sur le jaune. Quand les fleurs sont tombées, il leur succede des baies rondelettes à trois panneaux, vertes, placées dans des calices, pleines de semences, d'un verd cendré, & dont les cellules sont séparées par des pellicules membraneuses. (D.J.)


TSJEROM-CARAS. m. (Hist. nat. Botan. exot.) arbrisseau de Malabar, qui s'éleve à la hauteur de sept à huit piés ; son tronc pousse un grand nombre de petites branches armées d'épines droites, & rangées circulairement ; sa racine est rougeâtre, odoriférante & amere ; ses fleurs naissent dans les aisselles des feuilles ; elles sont verdâtres, sans odeur, & placées dans un petit calice verd divisé en cinq lobes pointus ; elles sont suivies de baies applaties, rondes, à deux panneaux, couronnées d'un ombilic, pleines d'une pulpe verte & amere. Ces baies contiennent deux semences oblongues, placées à quelque distance l'une de l'autre. Cet arbuste est nommé dans le jardin de Malabar, frutex baccifera indica, flosculis ad foliorum exortum confertis, fructu dicocco. (D.J.)


TSJOCATTIS. m. (Hist. nat. Botan. exot.) arbre nommé dans l'Hort. malab. frutex baccifera, malabarensis, fructu calyculato, tetracocco, umbellato ; cet arbre ne s'éleve qu'à 12 piés de hauteur ; son tronc pousse un grand nombre de petites branches ligneuses ; son bois est blanchâtre, revêtu d'une écorce rougeâtre ; sa racine est blanche, amere, & aromatique. Ses feuilles sont rondes, oblongues, pointues, légerement dentelées, épaisses, fortes, unies, d'un verd noirâtre en-dessus, & verdâtre en-dessous. Ses fleurs sont jaunâtres, sans odeur, & placées au sommet des branches, en forme d'ombelles. Ses baies sont à trois panneaux, & quelquefois davantage, d'abord verdâtres, mais rouges lorsqu'elles sont mûres, fixées dans un calice rouge & noirâtre ; d'un goût acide ; elles contiennent ordinairement quatre semences blanchâtres en forme de rein, & d'une amertume qui n'est pas désagréable. On employe dans le pays la décoction des fleurs & des baies pour raffermir les gencives. (D.J.)


TSONG-MING(Géog. mod.) île de la Chine, dans la province de Kiangnang, dont elle n'est séparée à l'ouest que par un bras de mer, qui n'a que 5 à 6 lieues.

Cette île n'étoit anciennement qu'un pays sauvage & désert, tout couvert de roseaux. On y reléguoit les bandits & les scélérats, dont on vouloit purger l'empire. Les premiers qu'on y débarqua se trouverent dans la nécessité, ou de périr par la faim, ou de tirer leurs alimens du sein de la terre. L'envie de vivre les rendit actifs. Ils défricherent cette terre inculte ; ils en arracherent les plantes inutiles ; ils semerent le peu de grains qu'ils avoient apporté ; & ils ne furent pas long-tems sans recueillir le fruit de leurs travaux. Au bout de quelques années une partie du terroir qu'ils avoient cultivé, devint si fertile, qu'elle leur fournit abondamment de quoi vivre.

Dans la suite des tems, plusieurs familles chinoises, qui avoient de la peine à subsister dans le continent, se transporterent dans l'île, & sortirent de l'indigence.

L'air du pays est assez tempéré, parce que sa chaleur excessive est modérée par des pluies qui tombent en abondance, surtout au milieu de l'été. Toute la campagne est aujourd'hui semée de villages & de maisons. La volaille y abonde, ainsi que le riz, malgré la difficulté de sa culture. On donne à cette île 20 lieues de long, & 5 à 6 de large. Elle est située sous le 33 degré de latitude nord. (D.J.)


TSONG-TUS. m. (Hist. mod.) ce mot est chinois, on le donne aux vice-rois qui commandent à deux ou trois provinces, au-lieu que les vice-rois ordinaires, qui n'ont qu'une seule province dans leur district, se nomment Tu-yen. Les Européens disent som-tout ou som-tok par corruption.


TSUSSIMA(Géog. mod.) île appartenante à l'empereur du Japon, & qui l'a réunie à sa couronne, après l'avoir conquise dans la guerre du dernier siecle contre les habitans de Corée ; c'est une petite île qui n'a qu'une journée & demie de longueur, & qui d'ailleurs n'est pas fertile ; mais elle est fameuse par le grand nombre d'idoles qu'on y adore. (D.J.)


TU FAN(Géogr. mod.) vaste pays de la Tartarie chinoise. Voyez SI-FAN.


TUVOUS, (Synonymes) nous ne nous servons aujourd'hui qu'en poésie du mot tu, ou quelquefois dans le style soutenu, ou en faisant parler des barbares.

Plusieurs personnes trouvent que ce singulier avoit plus de grace dans la bouche des anciens que le mot vous, que la politesse a introduit, & qu'ils n'ont jamais connu ; mais le meilleur est de les adopter tous les deux. Comme il y a des occasions où le mot tu choque réellement, il en est d'autres, où il fait un meilleur effet que le mot vous ; c'est une richesse dans nos langues modernes, dont les anciens étoient privés, car étant toujours forcés de se servir de ce singulier tu, ils ne pouvoient faire sentir ni les moeurs, ni les passions, ni les caracteres, au-lieu que c'est un avantage que fournissent ce singulier & ce pluriel, employés à-propos avec discernement, & lorsque les occasions demandent l'un préférablement à l'autre. Voici donc le parti que prennent les bons traducteurs ; partout où il faut faire sentir de la fierté, de l'audace, du mépris, de la colere, ou un caractere étranger, ils emploient le mot tu ; mais dans tous les autres cas, comme quand un sujet parle à son roi qui lui est supérieur, ils se servent du mot vous, pour s'accommoder à notre politesse qui le demande nécessairement, & qui est toujours blessée de ce singulier tu, comme d'une familiarité trop grande.

Par exemple, dans la vie de Romulus par Plutarque, quand on mene Rémus à Numitor, Rémus dit à ce prince : " Je ne te cacherai rien de tout ce que tu me demandes, car tu me parois plus digne d'être roi que ton frere " : ce singulier tu as plus de grace que le vous, à cause du caractere de Rémus, qui a été élevé parmi des pâtres, qui est vaillant & fougueux, & qui doit témoigner de l'intrépidité & de l'audace.

Lorsque Caton dit à César, tiens ivrogne, en lui rendant la lettre de sa soeur, il n'y auroit rien de plus froid que de lui faire dire, tenez ivrogne. Quand LÉonidas parle à Alexandre, & qu'il lui dit : " lorsque vous aurez conquis la région qui porte ces aromates " : vous est là bien meilleur que tu ; mais quand Alexandre, après avoir conquis l'Arabie, écrit à LÉonidas, " je t'envoie une bonne provision d'encens & de myrrhe " ; je t'envoie, vaut mieux que je vous envoie. De même quand le prophète de Jupiter Ammon dit à Alexandre, " ne blasphème pas, tu n'as point de pere mortel " ; le mot vous rendroit la réponse foible & languissante. C'est un prophète qui parle, & il parle avec autorité.

Vaugelas, dans sa traduction de Quinte-Curce, a toujours observé ces différences avec beaucoup de raison & de jugement : Alexandre dit vous, en parlant à la reine Sisigambis ; & la reine Sisigambis dit tu en parlant à Alexandre ; & cela est nécessaire, pour conserver le caractere étranger ; cette différence de tu à vous, donne à la traduction de Lucien, par M. d'Ablancourt, une grace que l'original ne peut avoir ; car que le philosophe cynique dise tu à Jupiter, & que tous ceux de la même secte se tutoyent, cela peint leur caractere, ce que le grec ne peut faire. Qu'on mette vous au-lieu de tu chez des cyniques, toute la gentillesse sera perdue. (D.J.)


TUALS. m. (Diete & Hist. nat.) c'est le nom que les habitans des îles Moluques donnent à une liqueur blanche comme du lait, qui découle du palmier sagoutier, par les incisions que l'on fait à ses branches. Les Indiens boivent cette liqueur ; elle est très-douce lorsqu'elle est récente ; si on la fait bouillir, elle donne par sa fermentation une liqueur semblable à de la biere ; on peut aussi lui faire prendre le goût du vin & du vinaigre.


TUBAou TUBAON, (Géog. mod.) ville des Indes, dans l'île de Java, sur la côte septentrionale, près de Bantam ; c'est la plus belle & la plus forte place de toute l'île. Ses habitans trafiquent en soie, en toiles de coton, en camelots, &c. mais ils vont tout nuds de la ceinture en haut, & portent un poignard à leur ceinture. Long. 130. latit. mérid. 5. 30. (D.J.)


TUBANTES(Géog. anc.) peuples de la basse-Germanie au-delà du Rhin, connus de Strabon, l. VII. sous le nom de Tubantli, & de Ptolémée, l. II. c. xj. sous celui de Tubanti. Alting croit que le nom Germain étoit Tho-Benthen, & qu'il leur avoit été donné, parce que c'étoit une troupe de gens qui changeoient souvent de demeure, ce qu'on appelle encore aujourd'hui bende ou bande.

Cluvier, géogr. ant. l. III. c. xij. a prouvé que les Tubantes avoient d'abord habité dans les pays appellés aujourd'hui les comtés de Ravensberg & de la Lippe, & le village de Bent-dorp pourroit bien retenir le nom de ces anciens habitans. De ce pays-là ils passerent dans les terres qui sont entre le Rhin & la Sala, & que les Romains, avec le secours des Tenchtheri & des Usipii, enleverent aux Ménapiens, & abandonnerent à leurs soldats.

Il est à croire qu'après la défaite des Marses & des Bructeres, les Tubantes allerent occuper une partie de leur pays, sur les deux bords de la riviere de Wecht, avant que les Chamaves & les Ampsibariens s'y fussent établis. Trop de lieux portent dans ce quartier là le nom de ces peuples, pour qu'on puisse douter qu'ils y ayent fait quelque demeure. On y voit Bentlagen, qui signifie le camp des Tubantes, outre Bentlo, Bentinge, Bente, & peut-être encore quelques autres. Tout cela porte Alting à conclure que les Tubantes ont habité tout le pays qui est entre l'Ems & le comté de Bentheim, y compris ce comté & la seconde Salique (Solland), ou cette partie de l'Over-Issel, appellée aujourd'hui Twente, du nom de ces peuples.

C'est peut-être la raison pourquoi dans la notice des dignités de l'empire, les Tubantes sont joints avec les Saliens. Du reste, on ne trouve point que les Tubantes se soient depuis transportés ailleurs, à moins qu'ils ne soient entrés dans l'alliance des Francs, alliance qui a pu faire perdre leur nom, comme elle a fait perdre ceux de tant d'autres peuples. M. d'Audifret a cru sur les anciens itinéraires que Zwol devoit être leur demeure ; & sur ce qu'Appien en dit, Cluvier a cru que c'étoit Doesbourg. (D.J.)


TUBES. m. (Phys.) tuyau, conduit ou canal, est un cylindre creux en-dedans, fait de plomb, de fer, de bois, de verre, ou d'autre matiere, qui sert à donner passage à l'air ou à quelqu'autre fluide.

Ce terme s'applique ordinairement à ceux dont on se sert en Physique, Astronomie, Anatomie, &c. Dans les autres cas ordinaires, on se sert plus ordinairement du mot tuyau. Voyez TUYAU.

M. Varignon a donné, dans les mémoires de l'académie des Sciences, un essai sur les proportions nécessaires des diametres des tubes, pour donner précisément une quantité déterminée d'eau. Le résultat de ce mémoire revient à ces deux analogies ; que les diminutions de vîtesse de l'eau, occasionnées par ses frottemens contre les parois des tubes, sont comme les diametres, les tubes étant supposés également longs ; & que la quantité d'eau qui sort des tubes, est, comme la racine quarrée de leurs diametres ; mais cette regle doit être regardée comme beaucoup plus mathématique que physique. Car on ne connoît point exactement à beaucoup-près la quantité de frottement que l'eau souffre contre les parois d'un vase dans lequel elle coule. Il est même fort difficile de déterminer le mouvement d'un fluide qui coule dans un tube non-cylindrique, abstraction faite des frottemens, & ce ne sera tout-au-plus qu'après bien du tems & des expériences réiterées qu'on viendra à bout de donner sur cette matiere des regles précises, & de déterminer les loix du mouvement d'un fluide dans un tube de figure quelconque, & ayant égard à toutes les causes qui alterent son mouvement, comme l'adhérence de ses parties, le frottement de ces parties contre le vase, &c. Voyez FLUIDE, FONTAINE, FROTTEMENT, &c.

Pour ce qui regarde les tubes des barometres & des thermometres, voyez BAROMETRE & THERMOMETRE. A l'égard de l'ascension des liqueurs dans des tubes capillaires, voyez ASCENSION & CAPILLAIRE.

TUBE DE TORRICELLI, voyez TORRICELLI. (O)

TUBE, en Astronomie, se dit quelquefois au-lieu de télescope ; mais plus proprement de cette partie du télescope, dans laquelle on met les verres lenticulaires, & par laquelle on les dirige & on les met en oeuvre. Voyez TELESCOPE.

La bonté d'un tube étant de grande importance pour la bonté d'un télescope, nous donnerons ici la maniere de le construire.

Construction d'un tube pour un télescope. Les principaux points auxquels il faut avoir égard, sont, que le tube ne soit point incommode par sa pesanteur, ni sujet à se déjetter & à déranger la position des verres ; d'où il s'ensuit qu'aucune espece de tube ne peut servir dans tous les cas.

1°. Si le tube est petit, il vaut mieux qu'il soit fait de plaques de cuivre, minces, couvertes d'étain, & formées en tuyaux propres à entrer les uns dans les autres.

2°. Pour les longs tubes, le fer seroit trop pesant : c'est pourquoi on aime mieux les faire de papier. Ainsi on tourne un cylindre de bois de la longueur du papier qu'on veut employer, & d'un diametre égal à celui du plus petit tuyau ; on roule le papier autour de ce cylindre jusqu'à ce qu'il soit d'une épaisseur suffisante. Quand un tuyau est sec, on en fait d'autres de la même maniere, observant toujours que le dernier serve d'étui à son plus proche voisin, jusqu'à ce qu'on en ait assez pour la longueur du tube qu'on veut faire. Enfin aux extrêmités des tuyaux, on doit coller des anneaux de bois, afin de pouvoir les tirer plus facilement.

3°. Comme les rouleaux de papier sont sujets à renfler à l'humidité, de façon à ne pouvoir pas être tirés, & à se relâcher dans le tems sec, ce qui les fait vaciller, & que dans l'un & l'autre cas il est fort aisé que la situation des verres se trouve dérangée ; voici la meilleure maniere de fabriquer ces tubes. Collez un parchemin autour d'un cylindre de bois, & ayez soin que le parchemin du côté où il est appliqué sur le cylindre soit peint en noir, pour empêcher les rayons réfléchis de faire aucune confusion. Prenez de petites lames de bois de hêtre bien fines, & les tournant au tour en cylindre, collez-les avec soin au parchemin, couvrez cet étui de bois avec du parchemin blanc, & faites un petit anneau ou rebord à son extrêmité en-dehors ; faites ensuite un autre tuyau par-dessus le premier, & ensuite un autre jusqu'à ce que vous en ayez assez pour la longueur du tube.

Aux extrêmités intérieures de chaque morceau du tube, placez une virole de bois, afin que les rayons superflus frappent sur les côtés & se perdent. Il sera à propos de garnir les viroles d'une vis dans les endroits où l'on doit placer les verres. Ayez un étui de bois pour couvrir le verre objectif, & le garantir des saletés ; & plaçant l'objectif dans sa virole, appliquez-le avec une vis au tube. Enfin ayez un étui de bois d'une longueur égale à la distance à laquelle l'oculaire est de la prunelle, & placez-le à l'autre extrêmité du tube.

On a dit plus haut, à l'article second, que les longs tubes devoient se faire de papier ; mais depuis plus de trente ans, on en a fait de fort longs de laiton bien écroui, comme de 4, 5, 6, 8 piés &c. de long, tant pour des télescopes ordinaires, que pour des télescopes de réflexion, & on doit toujours préférer les tubes de laiton bien écroui aux autres, lorsqu'ils ne sont pas d'une grandeur extraordinaire, & qu'on veut avoir un tube qui ne se déjette point, & qui reste constamment le même. Voyez SECTEUR. (T)

TUBE, terme d'Emailleur, c'est un tuyau de verre gros & long à volonté, dont les Emailleurs se servent pour aviver le feu de leur lampe, en le soufflant à la bouche, lorsqu'ils travaillent à des ouvrages qui ne sont pas de longue haleine, & qu'ils ne veulent point se servir du soufflet à émailleur.

Les Emailleurs ont encore plusieurs autres tubes pour souffler & enfler l'émail ; ce sont des especes de sarbacanes dont ils se servent, à proportion comme les Verriers se servent de la felle pour souffler le verre.

TUBE, en terme de Lunettier, c'est le tuyau qui sert pour les verres des lunettes de longue vue. On le partage ordinairement en plusieurs morceaux qui s'emboîtent les uns dans les autres. On en fait de carton, de fer-blanc & de légers copeaux de bois. Voyez LUNETTE, LUNETTIER & MOULE.

TUBES, (Lutherie) dans les grands tuyaux d'anches des orgues, sont des tuyaux de même forme & étoffe que le tuyau à la partie inférieure, dès qu'ils sont soudés, la noix, la bague ; & comme si le tuyau d'anche ne devoit pas avoir plus de longueur, on place le corps du tuyau dans la table dans laquelle, à cause de la forme conique de ces deux pieces, il s'ajuste exactement, ensorte que le vent qui vient par l'anche dans la table passe dans le corps du tuyau, comme s'il étoit d'une seule piece. Voyez la fig. 53. Pl. d'Orgue, qui représente un tube coupé par la moitié par un plan qui passe par son axe.


TUBÉRAIRES. f. (Hist. nat. Botan.) tuberaria, par J. B. & par Tournefort, helianthemum, plantaginis folio perenne. C'est en effet une espece d'héliantheme. Elle pousse une tige à la hauteur de plus d'un pié, ronde, environnée en sa partie d'en-bas d'un coton blanc, & garnie de feuilles nerveuses, opposées l'une à l'autre, semblables à celles du plantin, mais couverte dessus & dessous d'une laine blanche ; sa sommité se divise en petites branches qui soutiennent des fleurs à plusieurs pétales jaunes, auxquelles il succede un fruit presque rond, contenant des semences rondelettes. Cette plante croît aux lieux montagneux & chauds : elle passe pour être astringente. (D.J.)


TUBERCULEen Anatomie, nom dont on se sert pour caractériser quelques éminences. Voyez ÉMINENCE.

On remarque à la partie moyenne de la face interne de l'occipital un tubercule. Voyez OCCIPITAL.

TUBERCULES QUADRIJUMEAUX, en Anatomie, nom particulier de quatre petites éminences qui se tiennent toutes ensemble, comme n'étant qu'un seul corps, situé derriere l'union des couches des nerfs optiques. Les antérieurs sont un peu plus arrondis & un peu plus larges, & on les appelle nattes, & les postérieurs testes.

TUBERCULE, (Médecine) ce terme employé quelquefois pour exprimer des petites tumeurs qui paroissent sur la surface du corps, a été plus particulierement consacré dans le langage de la Médecine interne, pour désigner des concrétions lymphatiques qu'on a souvent observées dans les poumons des personnes mortes de phthisie ; voyez ce mot. Morton, auteur d'une excellente phthisiologie, fondé sur un grand nombre d'observations cadavériques, & appuyé de raisons assez plausibles, pense que ces concrétions ou tubercules sont la cause la plus ordinaire de la phthisie, sur - tout de celle qu'on apporte en naissant, héritage funeste transmis par des parens malsains, & qui se perpétue de génération en génération jusqu'à la postérité la plus reculée.

Les tubercules ne se manifestent par aucun signe exactement caractéristique, & qui ne puisse convenir à d'autres affections. Les moins équivoques & qui servent communément à juger de leur présence, sont 1°. une toux seche qui persiste pendant très-long-tems, & qu'accompagnent souvent le dégoût, perte d'appétit, & vomissement après le repas. 2°. La difficulté de respirer, qui augmente par le mouvement, la course, au point que ces malades sont prêts à suffoquer après qu'ils ont marché un peu vîte, ou monté des endroits fort élevés. 3°. Le changement de la voix qui devient plus grêle, plus aiguë, rauque & clangens, c'est-à-dire semblable à celle des grues. 4°. La gêne, l'oppression, le sentiment d'ardeur que ces malades sentent dans la poitrine, ou entre les deux épaules, souvent un poids plus sensible d'un côté que de l'autre. 5°. Enfin un commencement de fievre lente. On pourroit aussi tirer des lumieres pour confirmer le diagnostic des tubercules de l'état du malade & de ses parens ; cette disposition phthisique est marquée par un col grêle, allongé, par des rougeurs au visage, par une poitrine étroite & resserrée, par une maigreur constante, & par des constipations opiniâtres ; si le malade est né de parens phthisiques, s'il a eu des freres ou des soeurs, dans lesquels on ait reconnu sûrement une phthisie tuberculeuse, tous ces signes ramassés décideront assez sûrement le genre de sa maladie, ou la présence des tubercules ; mais il est rare que l'on puisse rassembler tous ces signes, il est aussi très-difficile de bien connoître cette maladie, & il est très-ordinaire de la voir confondre par des médecins qui jugent avec trop de précipitation, avec le catarrhe ou les dérangemens du foie ; aussi a-t-on souvent déclaré phthisiques, pulmoniques des gens qui avoient le poumon très-sain, & chez qui le foie seul étoit altéré : cette erreur est d'une très-grande conséquence dans la pratique, car les remedes indiqués dans ces deux cas sont tout-à-fait différens ; elle est cependant très-commune, j'y ai vu tomber, il n'y a pas long-tems, des praticiens d'une très-grande réputation, qui, sur ces signes trompeurs de tubercules, avoient décidé la phthisie & la mort prochaine dans un malade, & par les remedes peu convenables ordonnés sur cette fautive indication, rendoient tous les jours la maladie plus grave & plus opiniâtre, & l'auroient enfin, justifiant leur prognostic, rendu mortelle, si un nouveau médecin n'avoit mieux connu la source & le siege du mal qui étoit dans le foie, & administré des remedes opposés qui eurent le succès le plus promt & le plus heureux.

On distingue trois états ou périodes dans les tubercules ; savoir, 1°. lorsqu'ils se forment & qu'ils ne sont que des concrétions indolentes plus ou moins dures ; 2°. lorsqu'ils s'enflamment, deviennent douloureux, & excitent de l'ardeur ; 3°. enfin lorsqu'ils s'ulcerent, que la suppuration s'établit & fournit la matiere des crachats purulens. Ces trois états sont démontrés par l'ouverture des cadavres, on voit les tubercules dispersés dans le parenchyme des poumons, parcourir successivement ces périodes, & dans des tems différens ; les uns seront encore durs, tandis que d'autres seront enflammés, & il s'en présentera ailleurs déja détruits par la suppuration ; on a tiré de cette suppuration la distinction de la phthisie commençante, confirmée & désespérée. Voyez PHTHISIE.

La cause la plus commune des tubercules est une disposition héréditaire qui affecte également les tumeurs & le tissu des poumons ; il peut se faire aussi que les rhumes négligés, les catarrhes, les autres affections de poitrine, les virus vénériens & scrophuleux, leur donnent naissance ; ceux qui sont produits par ces causes accidentelles sont bien moins dangereux & plus faciles à guérir, que ceux qui dépendent d'un vice des solides & des fluides né avec le malade que l'âge n'a fait que développer, & que les excès dans différens genres, l'usage immodéré du vin & des liqueurs fortes, & sur-tout les débauches, augmentent considérablement.

C'est un préjugé reçu chez presque tous les praticiens, qu'il ne faut attaquer ces tubercules que par des adoucissans, des laitages, des mucilagineux, &c. & qu'il faut s'abstenir avec soin des apéritifs ; il faut, disent-ils, envelopper, invisquer, engaîner la lymphe âcre, & prendre garde de ne pas en augmenter par des médicamens chauds le mouvement & l'activité ; mais ils ne font pas attention que par cette méthode, loin de détruire ces concrétions, ils ne font que les augmenter, qu'ils dérangent en même tems l'estomac, donnent lieu à des mauvaises digestions ; nouvel obstacle à la guérison, & enfin qu'aucun malade traité par cette méthode n'en rechappe. C'est pourquoi il faut, laissant à part toutes ces idées ridicules & dangereuses de théorie boerhaavienne, consulter l'observation, la seule maîtresse dans la pratique ; elle nous apprendra qu'on peut sans crainte avoir recours à des remedes un peu énergiques, incisifs, sur-tout à des stomachiques amers & même à des légers martiaux ; les sudorifiques doux ou diaphorétiques paroissent très-bien indiqués par cette observation lumineuse, qui nous apprend que le défaut de transpiration est une cause fréquente des tubercules, ou du-moins un symptome qui l'accompagne assez constamment, & que son rétablissement est un des signes les plus assûrés de guérison ; c'est à produire cet effet que réussissent admirablement les eaux minérales sulfureuses de Bareges, de Cauterets, de S. Laurent, les eaux bonnes, &c. l'antimoine diaphorétique, l'antihectique de Poterius, & autres préparations de cette classe si célébrée par leurs auteurs, & par le vulgaire des médecins crédules, sont des remedes absolument inefficaces dans le cas présent ; peut-être auroient-ils quelque effet, s'il s'agissoit de détruire les acides dans les premieres voies : enfin on doit beaucoup compter pour dissiper cette maladie & prévenir la phthisie, ou l'étouffer dans le berceau, sur la promenade, l'exercice, les voyages, les changemens d'air, l'équitation ; sans doute les eaux minérales qu'on va prendre sur les lieux & les pélerinages, doivent à ces secours beaucoup de leur vertu. Lorsque les tubercules sont enflammés, il est à propos de modérer un peu l'activité des remedes, & d'insister sur les délayans ; le petit-lait, le lait d'ânesse, celui de vache coupé avec des plantes béchiques, diaphorétiques, avec le lierre terrestre, la squine, le capillaire, &c. sont assez appropriés. Lorsque la suppuration est formée, il faut mêler à ces remedes l'usage des baumes, on peut encore tenter les eaux minérales sulfureuses, mais il y a peu d'espérance. Si quelque virus a produit & entretient les tubercules, il faut recourir au spécifique, & ne pas s'épouvanter dans les tubercules vénériens de la qualité échauffante du mercure ; il peut seul guérir la maladie, on aura seulement la précaution de le donner à moindre dose, & à de plus grande distance. Le traitement qui convient aux deux derniers états des tubercules qui constituent proprement la phthisie, doit se trouver exposé plus au long à cet article, nous y renvoyons le lecteur muni de ces principes. (m)

TUBERCULE, s. m. (Conchyl.) en latin tuberculum ; les tubercules chez les conchyliologistes désignent des boutons, des tubérosités, des éminences régulieres & rondes, plus grandes que les verrues, & qui se distinguent sur la robe des coquilles. (D.J.)

TUBERCULE, s. m. terme de Jardinier, les Jardiniers nomment ainsi une racine qui vient en forme de navet, & que les Botanistes appellent racine tubereuse. (D.J.)


TUBEREUSES. f. (Hist. nat. Bot.) nom donné à la plante entiere & à sa fleur ; nous en parlerons, comme fleuriste, dans un article à part, &, comme botaniste, nous observerons que c'est l'espece du genre des hyacinthes, que Tournefort appelle hyacinthus orientalis, indicus, tuberosâ radice.

La tige de cette belle plante s'éleve à la hauteur de trois ou quatre piés ; elle est grosse comme le petit doigt, droite, ronde, ferme, nue, lisse, creuse en-dedans ; ses feuilles sont au-bas de sa tige, longue d'environ six pouces, étroites, épaisses, charnues, vertes, luisantes, se répandant au large ; ses fleurs naissent au sommet formées en tuyau long qui s'évase en haut, & se découpe en six parties, leur couleur est un blanc de lait ; leur odeur suave parfume les appartemens où l'on met cette fleur ; sa racine est tubéreuse, & toute la plante est remplie d'un suc visqueux.

C'est M. de Peyresc qui a eu le premier des tubéreuses en France. Un P. minime qu'il avoit envoyé à ses frais en Perse, lui apporta en Provence la premiere plante de tubéreuse qu'on ait vu dans ce royaume. M. Robin la fit connoître à Paris, en en élevant des oignons au jardin royal. (D.J.)

TUBEREUSE, (Jard. fleuriste) le bouquet de cette belle fleur ne se déploie pas tout - à - la - fois : mais comme les choses les plus belles veulent être vues long-tems, elle n'ouvre d'abord que quelques-uns de ses pétales qui sont d'une blancheur éclatante. Les dernieres fleurs ne sont pas moins belles que les premieres, ensorte qu'on jouit encore des tubéreuses durant toute l'automne.

Quand la fleur des tubéreuses est passée, on renverse le pot qu'on met dans un lieu sec pour en tirer l'oignon, & le garder pendant l'hiver à l'abri de la gelée, pour le replanter au commencement du printems. Cette plante se multiplie d'oignons bien choisis qu'on met dans des pots de moyenne grandeur, remplis d'une terre composée de deux tiers de terreau, & un tiers de terre à potager bien fine, le tout mêlé ensemble. On plante les oignons un doigt avant dans cette terre, laissant l'autre partie de l'oignon pour être couvert de terreau pur. On met ces pots dans une couche chaude, & on les couvre de cloches jusqu'à ce que l'air soit adouci, en arrosant la plante de-tems-en tems.

Après que les tubéreuses ont poussé & qu'on les a ôtées de dessus la couche, il faut placer les pots à une bonne exposition, car les tubéreuses aiment le soleil. A mesure qu'elles poussent leurs montans, on y fiche aux piés de petites baguettes pour les y attacher avec du jonc, & éviter que la charge de ces fleurs qui naissent au sommet des tiges ne les rompe en les faisant plier.

On plante les tubéreuses en Février pour avoir de leurs fleurs en Mai, & on en plante au mois de Mai pour en avoir en fleur pendant l'automne. Les Parfumeurs font un grand usage de ces belles fleurs ; & les dames délicates ont bien de la peine à supporter l'excellente odeur qu'elles répandent dans leurs petits appartemens. (D.J.)

TUBEREUSE, racine, (Botan.) les Botanistes nomment racines tubéreuses celles qui sont grosses, charnues, plus épaisses que les tiges de la plante, de figure irréguliere, & qui n'ont aucun des caracteres de bulbeuses. (D.J.)


TUBEROIDESS. f. (Hist. nat. Botan.) nom donné par M. du Hamel à une plante parasite, qui tire sa nourriture de l'oignon du safran, s'attache à sa substance, & la fait périr. Cette plante végete à la maniere de la truffe, c'est-à-dire qu'elle ne paroît point au - dehors, mais naît, croît & se multiplie dans l'intérieur de la terre, & cela par des racines qui poussent de nouveaux tubercules. M. du Hamel n'a pu découvrir ni fleurs, ni graines à cette plante ; elle pousse de longs filets en terre avec de petits tubercules lanugineux ; la couleur intérieure de sa chair est en été d'un rouge brun, & en hiver d'un noir légerement marbré de rouge ; enfin elle renferme quelquefois dans sa substance des corps étrangers, comme du gravier, ou de petites mottes de terre endurcie. Mém. de l'acad. des Sciences, an. 1728. (D.J.)


TUBILUSTRES. m. (Antiq. rom.) tubilustrium festus, ou tubilustrium sacrorum ; fête qu'on célébroit chez les Romains ; la tradition mythologique étoit que Minerve vint au monde le dix-neuf de Mars, & ce jour-là lui fut consacré par cette raison ; quatre jours après, c'est-à-dire le vingt-trois, on faisoit la fête dont il s'agit ici, tubilustrium sacrorum, parce qu'on y purifioit les instrumens de musique, & les trompettes qui servoient aux sacrifices. Dans la suite on réunit ces deux fêtes, en y enfermant les trois jours qui les séparoient, & l'on appella tout ce tems-là quinquatria, soit parce que cette fête commençoit le cinquieme jour inclusivement après les ides, soit à cause de la cérémonie tubilustrale qui se faisoit le dernier jour, car les anciens Latins disoient quinquennare, pour lustrare, purifier. (D.J.)


TUBINGEN(Géog. mod.) ville d'Allemagne, en Souabe, dans le duché de Wirtemberg, sur le Necker, à quatre milles de Stutgard au sud-ouest, & à douze au couchant d'Ulm. On croit que cette ville a été bâtie au commencement du sixieme siecle, mais elle a été aggrandie en 1482, par le duc de Wirtemberg, Eberhard le barbu, qui y avoit établi en 1477 une université à laquelle il accorda de grands privileges. Le territoire de cette ville est diversifié par quelques vignobles, des prés, des terres labourables, des collines & des vallées. Long. suivant Cassini, 26. 56. 15. latit. 48. 34. Long. suivant Sickard, 26. 46. 30. latit. 48. 34. (D.J.)


TUBULAIRES. f. (Hist. nat. Bot.) Tournefort fait un genre de plante de cette espece de madrepore, qui croît sous l'eau, imitant le corail par sa dureté, & qui est composée d'un grand nombre de petits tubes placés à côté les uns des autres. Boerhaave caractérise ce corps maritime, corallus affinis, alcyonium fistulosum, rubrum ; c'est d'après J. B. 3. 808. (D.J.)

TUBULAIRE, s. f. (Hist. nat. Lithol.) tubularia ; nom qu'on donne à une espece de lithophyte ou de corps marin cannelé & celluleux, qui forme comme un amas de paille d'avoine & rempli d'articulations ou de jointures. Voyez TUBULITE.


TUBULITES. f. (Hist. nat. Litholog.) espece de lithophyte ou de corps marin, qui n'est qu'un amas de tuyaux qui sont ou droits ou entortillés comme des vers, & que pour cette raison on nomme aussi tuyaux vermiculaires. On en trouve dans le sein de la terre qui sont pétrifiés ; on en rencontre aussi dans la mer, ce sont des loges d'animaux. Les tubulites sont composées de tuyaux qui sont ou placés régulierement les uns à côté des autres, comme des tuyaux d'orgue, ou arrangés confusément ; ces tuyaux sont ou cylindriques, ou hexagones, ou pentagones, ou quadrangulaires, ou en chaînette & par articulation.


TUBURBIUM(Géog. du moyen âge) ville d'Afrique. Il y avoit en Afrique deux villes appellées Tuburbium, l'une surnommée la grande Tuburbe, & l'autre la petite ; toutes deux voisines, & toutes deux de la province proconsulaire ; mais la notice des évêchés d'Afrique n'en connoît qu'une épiscopale, dont elle nomme l'évêque Benenatus tuburbitensis. (D.J.)


TUCCI(Géogr. anc) ville de l'Espagne bétique. Ptolémée, l. II. c. iv. la donne aux Turdules. Pline, l. III. c. j. la surnomme Augusta-gemella. Strabon, l. III. p. 141. nomme simplement cette ville Tucis. (D.J.)


TUCHÉ(Mythol.) est le nom qu'Homere a donné à la Fortune, & dont les Grecs se sont toujours servi depuis ; cependant bien-loin d'en créer une déesse toute puissante, qui exerce son empire sur les choses humaines & les fait réussir à son gré, il ne lui attribue aucune autorité, aucune fonction ; tandis qu'il déclare que Pallas & Enyo présidoient aux combats, Vénus aux nôces, & Diane aux accouchemens. Mais Bupalus, grand architecte & grand sculpteur, ayant fait le premier une statue de Tuché, pour la ville de Smyrne, s'avisa de la représenter avec une étoile polaire sur la tête, & tenant de la main gauche la corne d'abondance, comme des symboles de son pouvoir. A Egine on représenta cette déesse ayant à ses côtés l'Amour avec des aîles. Sa statue à Athènes tenoit entre ses bras le dieu Plutus, sous la forme d'un enfant ; idée ingénieuse de mettre le dieu des richesses entre les bras de la Fortune, comme si elle étoit sa mere & sa nourrice ! enfin les Romains, à l'exemple des Grecs, révérerent cette divinité sous quantité d'épithètes magnifiques. Voyez FORTUNE.


TUCKÉAS. m. (Poids de Turquie) on s'en sert à Mocha, ville d'Arabie. Quarante tuckéa font un mann, dix manns font le tressel, & quinze tressels font le bahar qui est un poids de 420 livres. (D.J.)


TUCUMANLE, (Géog. mod.) province de l'Amérique méridionale. Elle est bornée à l'orient par la province de Chaco, & celle de Rio-de-la-Plata ; au couchant par les montagnes du Pérou & du Chili ; au nord par la province de Santa-Cruce de la Sierra ; au midi par les pays de Cuyo-Chimito & des Pampas. Cette contrée est habitée par trois nations de sauvages ; les Espagnols y ont plusieurs bourgades ; comme Saint-Salvador, Saint-Miguel, Saint-Jago ou Estero. Le pays abonde en cire, en miel, en coton & en pastel. (D.J.)


TUCUYO(Géog. mod.) ville de l'Amérique, dans la terre ferme, au gouvernement de Vénézuela, & dans la vallée de même nom. Sa richesse consiste en troupeaux, en coton, & en cannes de sucre. Long. 311. 30. latit. 7. 32. (D.J.)


TUDELA(Géog. mod.) ville d'Espagne dans la Navarre, capitale d'une merindade, à la droite de l'Ebre qu'on y passe sur un pont, à 4 lieues de Tarragone, à 15 au midi de Pampelune, & à 60 au nord-est de Madrid. On y compte dix paroisses, mais dépeuplées, & plusieurs couvens. Alphonse I. roi de Navarre & d'Aragon, la prit sur les Maures & lui accorda des privileges. Son terroir est fertile & produit d'excellent vin. Long. 16. 20. latit. 42. 6.

Benjamin de Tudele, ainsi nommé de Tudela, lieu de sa naissance, étoit un célebre rabbin du douzieme siecle, qui voyagea d'imagination dans la plûpart des pays du monde, pour y visiter les synagogues des juifs, & connoître à fond leurs rits & leurs coutumes. On a publié sous son nom ce voyage fabuleux, imprimé d'abord à Anvers en 1575. in - 8°. mais il faut lire ce même ouvrage traduit en françois, avec des éclaircissemens curieux, par M. Baratier, Amst. 1734. en 2. vol. in -8°. (D.J.)


TUDER(Géog. anc.) ville d'Italie dans l'Umbrie citérieure, selon Strabon, l. V. p. 227. Pline, l. III. c. xiv. & Silius Italicus, l. VI. v. 645. Paul Diacre, l. IV. c. viij. & quelques autres auteurs du moyen âge, écrivent Tudertum. Ses habitans sont appellés Tudertes par Pline, l. II. c. lvij. & Tudertini dans une ancienne inscription rapportée par M. Spon, p. 183. Le nom moderne de cette ville est Todi. Frontin lui donne le titre de fida colonia Tuder. (D.J.)


TUDESQUE, LANGUE(Hist. des langues mod.) langue que l'on parloit à la cour après l'établissement des Francs dans les Gaules. Elle se nommoit aussi Franctheuch, Théotiste, Théotique ou Thivil. Mais quoiqu'elle fût en regne sous les deux premieres races, elle prenoit de jour en jour quelque chose du latin & du roman, en leur communiquant aussi de son côté quelques tours ou expressions. Ces changemens même firent sentir aux Francs la rudesse & la disette de leur langue ; leurs rois entreprirent de la polir, ils l'enrichirent de termes nouveaux ; ils s'apperçurent aussi qu'ils manquoient de caracteres pour écrire leur langue naturelle, & pour rendre les sons nouveaux qui s'y introduisoient. Grégoire de Tours & Aimoin parlent de plusieurs ordonnances de Chilperic, touchant la langue. Ce prince fit ajouter à l'alphabet les quatre lettres grecques . c'est ainsi qu'on les trouve dans Grégoire de Tours. Aimoin dit que c'étoient , X, . & Fauchet prétend sur la foi de Pithou, & sur celle d'un manuscrit qui avoit alors plus de cinq cent ans, que les caracteres qui furent ajoutés à l'alphabet, étoient l' des Grecs, le , le , & le des Hébreux ; c'est ce qui pourroit faire penser que ces caracteres furent introduits dans le Franctheuch pour des sons qui lui étoient particuliers, & non pas pour le latin à qui ses caracteres suffisoient. Il ne seroit pas étonnant que Chilpéric eût emprunté des caracteres hébreux, si l'on fait attention qu'il y avoit beaucoup de Juifs à sa cour, & entr'autres un nommé Prisc qui jouissoit de la plus grande faveur auprès de ce prince.

En effet, il étoit nécessaire que les Francs en enrichissant leur langue de termes & de sons nouveaux, empruntassent aussi les caracteres qui en étoient les signes, ou qui manquoient à leur langue propre, dans quelque alphabet qu'ils se trouvassent. Il seroit à desirer, aujourd'hui que notre langue est étudiée par tous les étrangers qui recherchent nos livres, que nous eussions enrichi notre alphabet des caracteres qui nous manquent, sur-tout lorsque nous en conservons de superflus, ce qui fait que notre alphabet peche à la fois par les deux contraires, la disette & la surabondance ; ce seroit peut-être l'unique moyen de remédier aux défauts & aux bisarreries de notre orthographe, si chaque son avoit son caractere propre & particulier, & qu'il ne fût jamais possible de l'employer pour exprimer un autre son que celui auquel il auroit été destiné.

Les guerres continuelles dans lesquelles les rois furent engagés, suspendirent les soins qu'ils auroient pu donner aux lettres, & à polir la langue. D'ailleurs les Francs ayant trouvé les loix, & tous les actes publics écrits en latin, & que les mysteres de la religion se célébroient dans cette langue, ils la conserverent pour les mêmes usages, sans l'étendre à celui de la vie commune ; elle perdoit au-contraire tous les jours, & les ecclésiastiques furent bientôt les seuls qui l'entendirent ; les langues romane & tudesque, toutes imparfaites qu'elles étoient, l'emporterent, & furent les seules en usage jusqu'au regne de Charlemagne. La langue tudesque subsista même encore plus long-tems à la cour, puisque nous voyons que cent ans après, en 948, les lettres d'Artaldus, archevêque de Rheims, ayant été lues au concile d'Ingelheim, on fut obligé de les traduire en théotisque, afin qu'elles fussent entendues par Othon roi de Germanie, & par Louis d'Outremer, roi de France, qui se trouverent à ce concile. Mais enfin la langue romane qui sembloit d'abord devoir céder à la tudesque, l'emporta insensiblement, & sous la troisieme race elle fut bientôt la seule & donna naissance à la langue françoise. Voyez ROMANE. Mémoires des Inscriptions, tom. XV. (D.J.)


TUE-CHIENS. m. (Hist. nat. Bot.) nom vulgaire de la plante nommée par Tournefort apocynum aegyptiacum, floribus spicatis, & en françois apocyn. Voyez APOCYN. (D.J.)


TUE-LOUPS. m. (Hist. nat. Bot.) c'est la plante nommée par Tournefort, aconitum foliis platani, flore luteo pallescente, en françois aconit. (D.J.)


TUE-VENTS(terme de Tailleur d'ardoise) petites cabanes mobiles faites en forme de guérites, sous lesquelles les fendeurs & tailleurs d'ardoise se mettent à couvert. (D.J.)


TUERv. act. (Gram.) faire mourir de mort violente ; les soldats tuent justement dans une guerre juste ou injuste ; c'est le souverain qui employe leur bras, qui est un meurtrier : on dit que le grand froid a tué les insectes, que l'on se tue à travailler, que les péchés tuent l'ame, qu'une couleur en tue une autre, qu'une liqueur se passe ou se tue, &c. qu'on tue le tems.

TUER, DETRUIRE, (Peinture) lorsque dans un tableau il y a divers objets de même couleur, & frappés de lumieres également vives, ces objets se tuent & se détruisent, en s'empêchant réciproquement de briller & de concourir à l'effet total qui doit résulter de leur union. Voyez TOUT-ENSEMBLE. On dit encore que les couleurs d'un tableau sont tuées, lorsque l'impression de la toile sur laquelle on les a mises, les a fait changer, ou lorsque changeant la disposition d'un tableau, on place des parties lumineuses sur celles qui étoient ombrées, les dessous tuent ou détruisent les dessus.


TUEREDUCHE DE, (Géog. mod.) province de l'empire russien. Elle est bornée au nord & au couchant par le duché de Novogorod ; au levant par le duché de Rostow, & au midi par le duché de Moscou, & par la province de Rzeva. Elle a eu longtems ses princes particuliers ; mais le czar Jean-Basile la réunit à ses états en 1486.

TUERE, (Géog. mod.) ville de l'empire russien, capitale du duché de même nom, au confluent du Wolga & de la Tuertza. Long. 53. 50. lat. 56. 15.


TUERJOCKou TERSOK, (Géog. mod.) ville de Moscovie, dans le duché de Tuere, près de la riviere de Tuertza, à 10 milles polonois de la ville de Tuere.


TUEROBIUSou TUEROBIS, (Géog. anc.) fleuve de la Grande-Bretagne. Ptolémée, liv. II. c. iij. marque son embouchure sur la côte occidentale, entre celle du fleuve Stucia & le promontoire Octapitarum. Le nom moderne de ce fleuve est Tiuy, selon Cambden. (D.J.)


TUERTALA, (Géog. mod.) riviere d'Espagne, au royaume de LÉon. Elle a sa source dans les montagnes des Asturies, & va se perdre dans le Duero au dessous de Zamora.


TUERTZALA, (Géog. mod.) riviere de Russie. Elle a sa source dans le duché de Novogorod, & se jette dans le Wolga, près de la ville de Tuere, à laquelle elle donne son nom.


TUESIS(Géog. anc.) ville de la Grande-Bretagne, selon Ptolémée, liv. II. c. iij. qui la donne aux Vocomagi. On croit que c'est aujourd'hui Barwick, dans le Northumberland.


TUFS. m. (Hist. nat. Litholog.) tophus, lapis tophaceus ; c'est ainsi qu'on nomme une pierre légere, spongieuse, & communément remplie de trous, dont la couleur varie ainsi que la consistance par les parties étrangeres qui s'y trouvent mêlées. Ces pierres sont formées par le limon entraîné par le courant des eaux, qui s'est déposé lorsque les eaux sont devenues plus tranquilles, & qui après qu'elles se sont retirées tout-à-fait, a pris une consistance dure comme celle d'une pierre.

On sent aisément que le tuf doit être très-varié, ainsi que le limon dont il est formé, voyez l'article LIMON ; tantôt il est fistuleux, spongieux & poreux comme de la pierre ponce ; tantôt il est compacte comme de la pierre à bâtir ; quelquefois il est épais, d'autresfois il est très-mince ; il est tantôt plus, tantôt moins mêlé de cailloux, de sable & de gravier ; souvent il est coloré par l'ochre & par des parties ferrugineuses ; tantôt il est calcaire ; tantôt il est argilleux ; il varie aussi pour la figure & pour le tissu ; souvent on y remarque des empreintes de plantes qui ont été détruites, & qui n'ont laissé dans la pierre ou dans le tuf que les trous dans lesquels elles se sont moulées ; c'est ce qui se voit sur-tout dans le tuf de Langensaltza, décrit par M. Schober, dont il parle dans l'article TOURBE, auquel on renvoie le lecteur.

Comme c'est sur-tout aux débordemens des rivieres que le tuf doit son origine, on voit que cette pierre doit former des couches qui s'étendent sous terre dans les endroits qui ont été autrefois inondés. Il y a quelquefois plusieurs couches de tuf les unes au-dessus des autres ; les intervalles qui sont entre elles sont remplis de terre ou de pierres d'une nature différente de la leur ; cela vient de ce que les débordemens qui les ont produits se sont quelquefois succédés à des intervalles de tems très-considérables. D'autrefois les tufs ou dépôts se touchent immédiatement, & se distinguent par leurs différentes couleurs, parce que les rivieres ont en différens tems charrié des terres ou un limon diversement coloré.

Les endroits anciennement inondés par les rivieres, & où le tuf s'est formé, se sont recouverts de terre par la suite des tems, & l'on en a fait des terres labourables ; mais pour qu'elles rapportent, on est obligé de briser le tuf, parce qu'il empêcheroit la croissance des racines, sur-tout lorsqu'il est proche de la surface ; mais lorsqu'il est profondément en terre, ou lorsque la couche de terre qui est pardessus est fort épaisse, on est dispensé de ce travail.

On voit par ce qui précede, que le tuf se forme de la même maniere que les incrustations, c'est-à-dire par un dépôt des particules terreuses, sablonneuses & grossieres que les eaux avoient détrempées & entraînées avec elles. Voyez INCRUSTATION.

Le tuf quand il est solide, est une pierre très-bonne pour bâtir, sur-tout pour les voûtes, parce qu'elle est fort légere ; comme elle est raboteuse & poreuse elle prend très-bien le mortier. (-)

TUF, (Draperie) grosse étoffe de très-bas prix, qui a environ demi-aune de large, & dont la chaîne est de fil d'étoupe de chanvre, & la trème de ploc ou poil de boeuf filé. Cette étoffe sert ordinairement aux tondeurs de drap à garnir les tables à tondre. Dict. du Comm. (D.J.)


TUFFOS. m. (Hist. nat. Botan. exot.) nom donné par les peuples de Guinée à une plante de leur pays, dont ils se servent en décoction pour se laver les yeux enflammés ; c'est une espece de corona solis, ou fleur de soleil, nommée par Petiver, flos solis guineensis, folio glabro, flore minore. Elle ressemble beaucoup à quelques fleurs du soleil d'Amérique, dont les sauvages mangent les graines, & tirent une huile propre à différens usages. Philosop. transact. n°. 232. (D.J.)


TUGIA(Géog. anc.) ville d'Espagne, entre Castulo & Traxinum. Elle donne son nom à la montagne que Pline nomme Tugiensis saltus, & qu'on appelle présentement Sierra-di-Alcaraz.


TUGMA(Géog. anc.) ville de l'Inde au-delà du Gange. Ptolémée, liv. II. c. vij. qui lui donne le titre de métropole, la place près du Gange.


TUGUCou TEUGUC, s. f. (Marine) c'est une espece d'auvent placé au-devant de la chambre de poupe ou de la dunette d'un vaisseau.

On appelle encore de ce nom une sorte d'impériale supportée par six ou-bien huit fourchettes de fer placées sur la partie de derriere des canots passagers qui font communément le trajet du fort Saint-Pierre de la Martinique au fort Royal de la même île. Ces tugucs sont construites d'un chassis de menuiserie un peu ceintré dans sa largeur, & couvert d'une grosse toile gaudronnée ; elles sont si basses qu'elles ne permettent pas à ceux qui sont dessous de se tenir autrement qu'assis ou couchés.


TUGUSS. m. (Hist. nat. Botan. exot.) plante d'un doux aromate, fort estimé en Orient, & que le pere Camelli croit être le véritable amomum des anciens. Le fruit de cette plante qui vient en bouquet, sa forme oblongue & le goût aromatique de ses graines, semblent appuyer fortement l'opinion du savant botaniste de l'Italie.

Le tugus s'éleve à la hauteur de huit ou neuf coudées. Ses feuilles répandent une odeur aromatique des plus suaves ; elles sont de forme oblongue, traversées de nervures & de grosses veines, & couvertes en-dessous d'un fin duvet blanc. Les fleurs croissent en bouquets rouges de la largeur de la main, ayant quelque chose de plus en longueur, & sortent de la racine, ou de la principale tige de la plante. Le fruit qui succede aux fleurs n'est autre chose que leur calice grossi, & contenant les semences. Comme ce calice ne forme qu'une couverture très-tendre & très-mince, & que les semences qu'il renferme sont délicieuses, les insectes & les oiseaux les dévorent avant leur maturité, en sorte qu'on n'en peut cueillir que très-peu sur les lieux mêmes. Chaque fruit du tugus contient six ou sept graines, qui sont de forme oblongue, rougeâtres, & d'une saveur aromatique également douce & flatteuse.

Les naturels du pays sont aussi fous de ces graines, que les anciens l'étoient de l'amomum ; & les jeunes dames les enfilent & les portent en bracelets ; quelquefois elles mêlent les graines alternativement avec des perles, ou des grains de corail rouge ; elles nomment ces bracelets caropi. Elles croient qu'un collier de ces graines est un préservatif contre le mauvais air, & contre la morsure des serpens ; mais dans ce dernier cas, elles défont leur collier, & mangent les graines du tugus qui le formoient.

Le bouquet du fruit du tugus ressemble beaucoup avant sa maturité au faux amomum de Garcias, ressemblance qui s'évanouit quand le fruit est entierement mûr.

Le pere Camelli a joint à ce détail dans les transactions philosophiques, la figure de la plante tirée dans le pays. Du premier coup d'oeil elle ne paroît point être l'amomum des anciens, car Dioscoride & Pline nous disent que les feuilles de la plante amomum sont semblables à celles de la grenade, & la figure du P. Camelli les représente beaucoup plus larges & beaucoup plus grandes. Mais cette difficulté paroîtra bien foible si l'on considere que Dioscoride, Pline & les autres anciens auteurs s'intéressoient fort peu à la plante qui donnoit ce fruit précieux, & que d'ailleurs ils ne l'ont jamais vue ; les feuilles dont ils parlent ne sont point les grandes & belles feuilles de la plante même, ce sont de petites & courtes feuilles assez semblables en réalité à celles de la grenade, mais qui sont toujours adhérentes aux bouquets des fruits, que l'on envoyoit de cette maniere à Rome. Philos. transact. n°. 248. p. 2. (D.J.)


TUIAPUTEJUBAS. m. (Hist. nat. Ornithol.) espece de perroquet du Brésil, tout verd, mais de nuances différentes ; son verd est foncé sur les aîles, pâle-jaunissant sur le ventre, & clair sur le reste du corps. Il est de la grosseur d'une hirondelle ; sa queue est très-longue ; ses yeux sont gros, noirs, & ont tout-autour ainsi que le bec, un cercle d'un verd jaunâtre ; son bec est noir & crochu ; sa tête est marquetée d'une tache de plumes d'un jaune doré. Marggravii hist. Brasil. (D.J.)


TUIÉTÉS. m. (Hist. nat. Ornithol.) nom d'une espece de perroquet du Brésil de la grosseur d'une alouette, & qui est d'un verd-pâle mêlé de bleu ; le commencement & le bout de ses aîles est bleu ; son croupion est aussi marbré d'une tache bleue ; sa queue est fort courte ; son bec est petit, crochu & d'un rouge pâle ; ses jambes & ses piés sont gris. Marggravii hist. Brasil. (D.J.)


TUILAGES. m. (terme de Tondeur de draps) c'est la derniere façon que les tondeurs donnent aux draps après qu'ils ont fait passer le cardinal & la brosse par-dessus l'étoffe. Ils appellent le tuilage, le définitif de leur ouvrage. (D.J.)


TUILES. f. (Art méchaniq.) matiere à bâtiment ; c'est une sorte de pierre mince, artificielle & laminée, dont on se sert pour couvrir les toîts des maisons ; ou pour parler plus proprement, c'est une sorte de terre glaise, pétrie & moulée dans une juste épaisseur, séchée & cuite dans un four, comme la brique, destinée à couvrir les maisons. Voyez BRIQUE, COUVERTURE.

Ce mot est françois, & dérive du latin tegula, qui signifie la même chose.

M. Leybourn dit que les tuiles se font d'une terre qui vaut mieux que celle de la brique, & qui approche davantage de la terre des Potiers.

Suivant l'ordonnance dix-sept d'Edouard IV. la terre à tuiles doit être béchée, ou tirée avant le premier de Novembre, taillée, moulée & retournée avant le premier Février ; & on ne peut en faire des tuiles, ou leur donner la derniere façon, avant le premier de Mars. Il faut aussi l'épurer & en ôter les pierres, la marne & la chaux. Pour ce qui est de la maniere de cuire les tuiles, voyez l'article BRIQUE.

A l'égard de l'usage qu'on fait des tuiles après la cuisson, quelques-uns les mettent sécher en sortant du four, sans les couvrir de mortier, ni d'autre chose. D'autres les mettent dans une espece de mortier, fait de torchis & de fiente de cheval. Il y a des endroits où on les met dans la mousse, comme dans le comté de Kent.

Il y a des tuiles de différentes façons, suivant les différentes manieres de bâtir. Savoir, les tuiles plates ou à crochet, faîtieres, cornieres, de gouttieres, courbes ou flamandes, lucarnieres, astragales, traversieres & hollandoises.

Les tuiles plates ou à crochet, sont celles dont on se sert ordinairement pour couvrir les maisons, & qui pendant qu'elles étoient encore molles, ont été jettées dans un moule. Elles sont de figure oblongue, & suivant l'ordonnance dix-sept d'Edouard IV. chap. iv. elles doivent avoir dix pouces & demi de long, six pouces & un quart de large, un demi-pouce & un demi-quart d'épais. Mais ces dimensions ne s'observent point à la rigueur dans toutes les tuileries.

Les tuiles faîtieres, de toît ou courbes, servent à couvrir les faîtages des maisons ; leur forme est circulaire, & large comme un demi-cylindre. Pline les appelle laterculi, & suivant l'ordonnance elles doivent avoir treize pouces de long, & leur épaisseur doit être la même que celle des tuiles pleines ou unies.

Les tuiles cornieres ou gironnées se mettent sur les angles, arêtes ou encoignures des toîts. A l'égard de leur formation, on les façonne d'abord pendant qu'elles sont molles, comme les tuiles plates ; mais on leur donne une figure quadrangulaire, dont les deux côtés sont des lignes droites, & les deux extrêmités des arcs circulaires, l'une des extrêmités étant un peu concave, & l'autre un peu convexe ; desorte que si l'on en ôtoit un angle, elles deviendroient triangulaires. Mais avant de les faire cuire, on les plie sur un moule en large, comme les tuiles faîtieres. On leur fait un trou à l'extrêmité étroite, pour y passer le clou en les attachant, & on les pose de façon que leur extrêmité étroite se trouve attachée par le haut. Suivant l'ordonnance elles doivent avoir dix pouces & demi de long, avec une largeur & une épaisseur proportionnée.

Les tuiles de gouttieres ou creuses se mettent dans les gouttieres ou descentes des toîts. On les fait comme les tuiles angulaires, si ce n'est que les angles de l'extrêmité large se retournent en forme de deux aîles. On ne leur fait point de trou, mais on les pose l'extrêmité large en-haut, sans les attacher avec des clous. Elles se font sur le même moule que les tuiles angulaires, & elles ont les mêmes dimensions de leur côté convexe : chacune de leurs aîles ont quatre pouces de large, sur huit pouces de long.

Les tuiles courbes ou de Flandres, servent à couvrir les angars, appentis & toutes sortes de bâtimens plats. Elles ont la forme d'un parallélogramme oblong, comme les tuiles plates. Mais elles sont pliées par leur largeur en avant & en arriere, en forme d'une S, & l'une de ses deux arches a pour le moins trois fois l'épaisseur de l'autre. Cette arche épaisse se pose toujours par-dessus, & l'arche mince d'une autre tuile couvre la carne de l'arche épaisse de la premiere. Elles ne sont point percées pour des clous, mais elles sont pendues aux lattes par un bouton de leur propre terre. Elles ont pour l'ordinaire quatorze pouces & demi de long, & dix pouces & demi de large.

Quand elles sont cuites, elles ne peuvent avoir moins de treize pouces & demi de long, sur neuf & demi de large, & un demi-pouce d'épais.

Les tuiles lucarnieres consistent dans une tuile plate, & une piece triangulaire d'une même tuile, dressée en rectangle sur un côté de la tuile plate, & contournée en arche d'un autre côté qui se termine en pointe. Ces tuiles sont de deux sortes ; dans l'une la piece triangulaire se leve du côté droit, & dans l'autre du côté gauche de la tuile plate. Ces deux sortes ont chacune deux especes, quelques-unes ayant une tuile plate en entier, & d'autres n'ayant qu'une demi- tuile plate. Mais dans toutes ces especes la tuile plate a deux trous pour des clous, du côté où est le large bout de la piece triangulaire.

On les met dans les gouttieres, entre le toît & les côtés des lucarnes, la partie plate étant posée sur le toît, & la partie triangulaire étant dressée perpendiculairement aux côtés de la lucarne. Elles sont excellentes pour garantir les chambres de l'humidité, & cependant l'usage n'en est peut-être connu que dans le comté de Sussex. Les dimensions de la partie plate sont les mêmes que celles de la tuile plate ; la partie triangulaire est de la même longueur ; une de ses extrêmités a six pouces de large, & l'autre n'a point de largeur, étant terminée en pointe.

Les tuiles astragales ressemblent à tous égards, aux tuiles plates, si ce n'est que leurs parties inférieures sont en forme d'astragale, c'est-à-dire en demi-cercle, avec un quarré de chaque côté.

Les tuiles traversieres sont des especes de tuiles irrégulieres, dont on a rompu les trous, ou l'un des bas angles. On les pose par le bout rompu, en-haut, sur les solives auxquelles on ne sauroit pendre des tuiles.

Les tuiles hollandoises ou flamandes sont anciennes ou modernes ; les premieres servoient à garnir ou paver les âtres, estrades & coins des cheminées : elles étoient peintes, & représentoient des figures antiques, & le plus souvent des soldats. Quelques-unes étoient en compartimens, & quelquefois avec des devises moresques ; mais leurs desseins & leurs couleurs n'approchent point de la beauté des modernes.

En Angleterre les âtres sont élevés d'un, deux ou trois piés, sur-tout dans les cuisines ; & la plûpart des cheminées des chambres n'ont point de manteau ou chambranle : ces sortes de tuiles s'appellent à Paris des carreaux de faïance.

Celles-ci se maçonnent communément dans les jambages des cheminées, au-lieu d'y mettre des pierres angulaires. Elles sont bien vernies, quelques-unes sont toutes blanches ; mais celles qui sont peintes sont infiniment mieux dessinées & colorées que les anciennes. L'une & l'autre espece semblent être faites de la même argille que notre poterie de terre blanche & vernie. Quelques-unes des anciennes ont quatre pouces & un quart en quarré, & plus de trois quarts d'un pouce d'épais ; quelques-unes des modernes ont six pouces & demi en quarré ; & trois quarts d'un pouce d'épais.

TUILE, terme de Tondeur, les Tondeurs de draps appellent ainsi une sorte de petite planche ordinairement de bois de sapin, d'environ deux piés & demi de long, & large de quatre pouces, sur un côté de laquelle est étendue & appliquée une espece de mastic, composé de résine, de grès & de limaille de fer passée au sas. (D.J.)

TUILE, en terme d'Orfevre en grosserie, c'est une espece de lingotiere composée de deux plaques de fer, montées sur un chassis de même, environnées d'un lien d'une seule piece, dans lequel on les presse plus ou moins avec des coins, selon que l'on a plus de matiere à y jetter. Cette machine paroît d'abord plus commode qu'une lingotiere, parce qu'elle rend la matiere, d'une forme qui approche plus de celle qu'on veut lui donner ; mais elle la rend venteuse. Voyez les Pl. & les fig.

TUILE dont les Facteurs d'orgue se servent pour poser la soudure & la poix-résine avec lesquelles ils soudent les tuyaux d'étain & de plomb, est une de ces tuiles communes dont on couvre les maisons. On étend les fers à souder en les frottant plusieurs fois sur la soudure qui est sur la tuile, lorsqu'ils sont chauds & non ardens. Voyez SOUDURE & FERS A SOUDER.


TUILEAUS. m. pl. (Tuilerie) les tuileaux sont des morceaux de tuiles cassées, dont on fait les voûtes des fours, & les contre-coeurs des âtres de cheminée. On s'en sert aussi pour sceller en plâtre des corbeaux, des gonds & autres pieces de fer : on en fait encore du ciment.


TUILÉECOQUILLE, (Conchyliol.) concha imbricata ; coquille dont les cavités sont faites en forme de tuiles creuses, en latin imbrices. (D.J.)


TUILERc'est parmi les Tondeurs, polir & lustrer l'étoffe quand elle a été tondue, couchée & brossée, pour en ôter le duvet s'il y en avoit encore par hasard.


TUILERIES. f. (Architect. rustiq.) grand bâtiment accompagné de fours, & d'un hâle où l'on fait la tuile. Le hâle est un lieu couvert & percé de tous côtés de plusieurs embrasures par où le vent passe pour donner du hâle, & faire sécher à l'ombre la tuile, la brique & le carreau, avant que de les mettre au four. On ne peut point se servir pour cela des rayons du soleil, parce qu'il les gerce & les gauchit. On donne aussi à la tuilerie le nom de briqueterie. (D.J.)


TUILERIES(Hist. mod.) le jardin du Louvre porte le nom de jardin des Tuileries, parce que c'étoit autrefois une place où l'on faisoit des tuiles. Cependant sous le nom de Tuileries on n'entend pas seulement ce jardin, mais aussi un palais superbe dont la façade répond à toute la largeur du jardin. Ainsi l'on a dit pendant la minorité du roi régnant, que sa majesté logeoit aux Tuileries.

Le palais des Tuileries est joint au Louvre par une longue & large galerie qui regne le long du bord septentrional de la Seine, & qui a vûe sur cette riviere.

Ce magnifique édifice fut commencé en 1564, par Catherine de Médicis veuve d'Henri II. & du tems de sa régence pendant la minorité de Charles IX. Il fut fini par Henri IV. & orné par Louis XIV. Louis XIII. avoit aussi beaucoup embelli le jardin des Tuileries ; mais ce fut sous Louis XIV. que le fameux le Nôtre en dirigea les nouvelles plantations, & qu'on y plaça la plûpart des grouppes & des statues qu'on y voit aujourd'hui.


TUILIERS. m. un artisan qui façonne & cuit les tuiles : chez les Anglois on appelle tuilier, l'artisan qui les employe, ou le couvreur en tuiles.

Les tuiliers & briquetiers, ou poseurs de tuiles & de briques, se formerent en corps la dixieme année de la reine Elisabeth, sous le nom de maîtres & gardes de la société d'hommes libres du secret & de l'art de tuilerie & de briqueterie. Voyez BRIQUE.


TUIN(Géog. mod.) petite ville des Pays-bas, d'entre Sambre & Meuse, au bord méridional de la Sambre. Quoique cette petite ville ou bourg soit située dans le Hainaut, elle appartient au diocèse de Liége. (D.J.)


TUISTONS. m. (Mytholog.) les anciens germains le regardoient comme l'auteur de leur nation, & disoient qu'il étoit fils de la Terre, c'est-à-dire qu'on ignoroit son origine. Il donna des loix aux Germains, les poliça, établit des cérémonies religieuses parmi eux, & il s'acquit de la part de son peuple, tant de vénération, qu'après sa mort il fut mis au rang des dieux. Une des principales cérémonies de son culte étoit de chanter ses louanges qu'on avoit mises en vers. César croit que c'étoit Pluton qu'on honoroit sous le nom de Tuiston. (D.J.)


TUITIRICAS. m. (Hist. nat. Ornithol.) perroquet du Brésil, un peu plus gros que l'espece ordinaire. Il est par-tout d'un très-beau verd, seulement plus foncé sur le dos & sur les aîles qu'il n'est ailleurs. Son bec est extrêmement crochu, & d'un rouge-pâle ; ses yeux sont noirs ; ses jambes sont bleues ; sa queue n'est qu'un peu plus longue que les aîles fermées. Cette espece de perroquet est fort recherchée au Brésil, parce qu'il apprend aisément à parler, qu'on les apprivoise jusqu'à manger dans la bouche. Marggravii, Hist. brasil. (D.J.)


TULBENTOGLANS. m. terme de relation, nom que porte celui d'entre les pages du grand-seigneur qui a soin de son turban ; cet honneur appartient au cinquieme page de la cinquieme chambre. Du Loir.


TULINGIENSLES, (Géog. anc.) Tulingi, peuples de l'ancienne Gaule. César, l. I. c. v. les met dans le voisinage des Helvétiens ; ils habitoient, selon quelques-uns, le pays nommé aujourd'hui la Lorraine ; &, selon d'autres, c'étoient les habitans des comtés de Stulingen & de Nellenburg. (D.J.)


TULIPES. f. (Hist. nat. Bot.) tulipa ; genre de plante à fleur liliacée, composée de six pétales disposés de façon qu'elle ressemble à un vase par sa forme. Le pistil occupe le milieu des pétales, & devient dans la suite un fruit oblong qui s'ouvre en trois parties, & qui est divisé en trois loges. Ce fruit renferme deux rangées de semences plates, & placées les unes sur les autres. Ajoutez aux caracteres de ce genre, que la racine est composée de plusieurs tuniques, & qu'elle est fibreuse à sa partie inférieure. Tournefort. I. R. H. Voyez PLANTE.

Personne n'ignore que le nom de tulipe se donne également à la plante & à sa fleur ; mais les Botanistes, laissant aux curieux le plaisir de cultiver la fleur, s'attachent à caractériser la plante entiere, & ils ont bien su le faire d'une maniere aussi nette que solide.

La tulipe, disent-ils, est un genre de plante bulbeuse, qui pousse une seule tige à la hauteur d'environ un pié, ronde, moëlleuse, accompagnée de deux ou trois feuilles longues, assez larges, épaisses, dures, ondoyées à leurs bords, terminées en pointe. Cette tige porte en son sommet une seule fleur, grande, belle, à six pétales, peu évasés, formant souvent un ventre plus large que l'ouverture, ornée de couleurs magnifiques, jaune, ou blanche, ou purpurine, ou rouge, ou variée. Lorsque cette fleur est passée il paroît un fruit oblong & triangulaire, divisé en trois loges, remplies de semences orbiculaires, rougeâtres, fort applaties. La racine de la tulipe est une grosse bulbe jaunâtre ou noirâtre, composée de plusieurs tuniques qui s'emboîtent les unes dans les autres, & cette bulbe est garnie de fibres en sa partie inférieure.

On voit clairement par cette description les caracteres de la tulipe ; sa fleur est en forme de lis exapétale, en godet, nue, seule au sommet de la tige, droite, garnie de six étamines ; elle embrasse l'ovaire qui dégénere en un fruit oblong, chargé de semences applaties, couchées les unes sur les autres, formant un double rang ; ce fruit est garni d'un tube sensiblement velu ; la tige de la plante est environnée de feuilles larges ; sa racine est bulbeuse, & revêtue d'une tunique ; sa partie fibreuse se divise en filets.

Ce genre de plante est des plus étendus en especes. Tournefort en compte quatre-vingt-treize, qui produisent tous les jours quelques nouvelles variétés de couleur. Gesner a décrit la premiere tulipe qui fut apportée de Constantinople en Europe en 1590. Aussi le nom tulipe paroît turc. Ménage dit que cette plante s'appelle en Turquie tulibent, à cause de la ressemblance qu'elle a avec la figure du tulbent, que nous appellons ici turban ; mais une remarque plus curieuse, c'est qu'on observe dans le mois d'Octobre au fond de l'oignon des tulipes, une tulipe entiere ; sur la tige de cette tulipe qui n'a pas encore trois lignes de haut, on découvre déjà la fleur qui ne doit paroître que dans le mois d'Avril suivant : on compte les six pétales de cette fleur, les étamines, les sommets, le pistil ou le jeune fruit, les capsules, & les semences qu'elles renferment. Qui ne croiroit après tout cela, que toutes ces parties étoient renfermées dans un espace encore plus petit, qui n'a pû se rendre visible qu'à mesure que le suc nourricier en a dilaté les moindres parties ? (D.J.)

TULIPE, (Jardin des Fleuristes) les curieux ne considerent la tulipe que comme fleur, & disent qu'il ne lui manque qu'une odeur agréable pour en faire la plus belle fleur du monde, qui en déployant ses variétés infinies, efface toutes les autres depuis le mois de Mars jusqu'à la fin de Mai.

Les caracteres des bonnes tulipes consistent selon les Fleuristes, dans leur nouveauté, la beauté de leurs couleurs, la force & la hauteur de leur tige, la forme de leur fleur qui doit être ovoïde, sans finir en pointe ; une belle tulipe doit donc avoir :

1°. Une forte tige, qui ne soit ni trop haute ni trop basse ; la portée ordinaire du plus grand nombre des belles tulipes regle la taille de sa tige, elle doit être assez forte dans sa hauteur, & cependant n'être pas trop grosse.

2°. La fleur doit être composée de six pétales, trois dedans & trois dehors ; les pétales de dedans doivent être plus larges que ceux de dehors, autrement ce seroit un défaut.

3°. Le fond de la fleur doit être proportionné au sommet, & les bords des pétales doivent être arrondis & non pointus.

4°. On n'estime point la tulipe dont la forme est belle en entrant en fleur, mais qui deux ou trois jours après s'allonge & se gâte.

5°. On dédaigne celles qui étant fleuries renversent leurs feuilles par-dedans ou par-dehors, qui se gaudronnent ou confinent.

6°. Le pétale de la fleur doit être épais & étoffé pour durer long-tems en fleur ; une tulipe qui dure peu n'est point considérée, quelque beauté qu'elle ait ; & les tulipes dont les pétales sont minces, grillent par l'ardeur du soleil avant que d'être fleuries.

7°. Quoique toutes les tulipes aient du dos, celles qui en ont le moins sont les plus estimées.

8°. Les couleurs bisarres passent pour les plus belles ; les plus nuancées font les plus beaux panaches. Plus leurs couleurs s'éloignent du rouge, plus elles sont à priser, parce que les fleurs font de plus beaux effets, avec cette exception néanmoins que les rouges à fond blanc ont leur mérite. Parmi les rouges, les couleurs de feu & de grenade sont les plus belles. Les sortes bisarres à fond tout blanc, & les grises à fond tout jaune sont fort recherchées. Plus le coloris est satiné, plus il est estimé ; s'il est terne, c'est un très-grand défaut. Les tulipes qui étant fleuries ne conservent point leurs belles couleurs pendant dix ou douze jours, ne doivent guere être prisées ; celles qui les gardent jusqu'à la fin de la fleur le sont beaucoup.

9°. Les plus petits fonds sont les meilleurs pour faire de beaux panaches. Les fonds qui panachent le mieux sont d'une même couleur, tant dedans que dehors. Il faut bien comprendre cette regle ; c'est tout le fin de la connoissance pour le jugement le moins incertain de ce que doivent faire les couleurs.

Le dehors du fond sont les plaques cerclées ou étoilées, qui sont au-bas des feuilles dans le vase ; le dedans du fond, c'est l'épaisseur même du bas des feuilles qui est couverte par la plûpart, desorte que si les plaques sont blanches, & qu'en les levant avec l'ongle, ce dedans qu'elles couvrent soit jaune, ce jaune en montant dans le panache, s'éteint en passant par le blanc de la plaque.

10. Les étamines doivent être brunes & non pas jaunes, mais il importe peu de quelle couleur sont les pivots.

On divise généralement les tulipes en deux classes, prises du tems qu'elles fleurissent. La premiere classe est composée des tulipes printanieres, & la seconde des tulipes tardives. Il se trouve d'autres tulipes qu'on appelle méridionales, parce qu'elles fleurissent entre les printanieres & les tardives, mais il n'est pas besoin d'en faire une classe séparée.

Les tulipes printanieres ne sont ni si belles, ni si hautes, ni aussi diversifiées que les tardives, car les fleuristes qui les élevent d'oignons de Flandre & de Hollande, les bornent à quarante & une, qui sont connues chacune par un nom du pays.

La classe des tulipes tardives est si nombreuse, qu'il n'est pas possible d'en faire une liste ; il s'en trouve de si diversement colorées, qu'il est impossible aux Peintres d'en imiter la variété ; & quoique leur couleur, comme couleur, soit des moindres en beauté, néanmoins ce sont les plus estimées, comme seules capables de se changer en mieux, & comme les meilleures pour cueillir les graines.

On distingue aussi diverses sortes de tulipes panachées, auxquelles on a donné les noms de paltodi, morillon, agathe, marquetrine, &c. cette derniere emporte le prix sur les autres, sur-tout quand ses panaches détachés sans aucune diminution, naissent en leurs couleurs, & sont arrêtés par un petit bord, comme un filet de soie.

Il se trouve aussi des tulipes jaspées, c'est-à-dire dont les diverses couleurs sont mêlangées ensemble, comme dans le jaspe. Il se voit des tulipes que l'on peut dire doubles, parce qu'elles portent jusqu'à plus de vingt pétales. Il s'en voit qui ont les pétales de la fleur de deux couleurs. Les parangonées sont celles qui reviennent tous les ans nettement panachées.

Les tulipes panachées doivent avoir les mêmes qualités que les simples couleurs, quant au verd, à la tige, à la forme, & au fond. Le premier panache est celui qui vient par grands traits, de différentes figures, bien coupées, & séparées de leurs couleurs, & qui ne prend point de fond. Le second est le panache qu'on nomme à yeux, qui est par de grandes pieces emportées nettement, & qui ne vient point du fond. Le troisieme est celui qui vient en grande broderie bien détachée de ses couleurs, & qui ne prend point du fond. Il est parfaitement beau quand il vient sur des bisarres bien nuancés. Le quatrieme est celui de petite broderie ; quand il est net & qu'il perce bien ses couleurs, il est agréable ; mais il ne l'est que sur les bisarres qui ont plusieurs nuances, quand il vient sur les autres couleurs il ressemble trop au drap d'or ou au drap d'argent. Les autres panachées, dont le panache prend du fond, ne laissent pas d'être quelquefois assez belles, quand elles sont bien nettes, & partagées de leurs couleurs. Toutes les panachées qui sont également partagées & entrecoupées de panaches & de couleurs sont les plus agréables, chacune en son espece.

Je n'entrerai point dans la culture des tulipes, ce détail me meneroit trop loin, & d'ailleurs il a été épuisé par Miller dans son Dictionnaire du jardinage, & par Morin dans son livre de la culture des fleurs, imprimés à la fin des ouvrages de la Quintinie. Je ne parle point des traités publiés en flamand & en hollandois, les deux peuples du monde les plus curieux en ce genre.

On sait en particulier avec quel amour les Hollandois ont autrefois cultivé les tulipes, avant leur goût pour les oeillets & les oreilles d'ours. Dans l'année 1634, & les cinq suivantes, on vit en Hollande, & particulierement à Harlem, un trafic de tulipes si singulier, qu'il ressembloit assez à celui qu'eurent les actions en 1719 & en 1720. On fit monter le prix de ces fleurs à des sommes si exorbitantes, que s'il n'en restoit des monumens indubitables, la postérité auroit peine à croire une pareille extravagance. Plusieurs bourgeois quitterent leur boutique & leur commerce pour la culture des tulipes. Munting nous a laissé les détails d'un marché fait par un particulier pour une seule tulipe nommée le vice-roi ; l'acheteur n'ayant point d'argent, donna pour cette rare tulipe deux lasts de froment (trente-six septiers mesure de Paris), quatre lasts de riz, quatre boeufs gras, douze brebis grasses, huit cochons engraissés, deux muids de vin, quatre tonneaux de biere, deux tonneaux de beurre, mille livres pesant de fromage, un lit, des habits, & une grande tasse d'argent, le tout estimé à deux mille cinq cent florins, c'est-à-dire à plus de cinq mille livres de notre monnoie.

Dans le même tems, un autre particulier offrit 12 arpens de bonnes terres pour un oignon de tulipe, qu'on ne voulut pas lui céder. On fit dans une vente publique neuf mille florins d'une collection de tulipes d'un fleuriste. Un habitant de Bruxelles avoit un petit jardin, dans lequel, par une vertu singuliere (apparemment celle de gravats bien pilés) les tulipes simples se changeoient en belles tulipes panachées ; on apporta à cet homme des racines de toutes parts en pension à un très-haut prix, pour être élevées chez lui. Enfin la folie des tulipes fut si grande, que les Etats-généraux prirent cette affaire en considération, & ayant trouvé qu'elle étoit également nuisible aux particuliers & au commerce en général, ils arrêterent cette folie par des loix expresses des plus sérieuses. (D.J.)


TULIPIERS. m. (Hist. nat. Bot.) genre de plante dont voici les caracteres. Ses fleurs sont composées de plusieurs feuilles, rangées, à ce que quelques auteurs disent, comme dans la tulipe ; son pistil part du centre ; il est environné d'un grand nombre d'étamines, & il dégénere en un fruit écaillé, ou en cône droit. On peut ajouter à ces caracteres, que ses feuilles sont pour la plûpart angulaires, concaves dans la partie supérieure, & terminées par deux pointes, comme si l'extrêmité avoit été divisée avec des ciseaux. Miller en nomme deux especes ; 1°. tulipifera arbor virginiana, H. L. tulipier de Virginie ; 2°. tulipifera virginiana, laurinis foliis aversâ parte rore coeruleo tinctis, coudi baccifera, Pluk. Phyt. tulipier à feuilles de laurier.

La premiere espece est fort commune en Amérique, où elle s'éleve à une grande hauteur ; mais de tous ceux qu'on cultive en Angleterre, il y en a très-peu qui aient pris quelque force ; on le tient dans des caisses, & on serre les caisses avec beaucoup de soin pendant l'hiver : malgré tous ces soins il profite peu, & ne produit point de fleurs. Il y a une cinquantaine d'années qu'on en planta un dans un lieu champêtre, au milieu des jardins du comte Peterborough, à Parsons-Gréen, proche Fulham ; les progrès prodigieux qu'il fit en quelques années, détromperent les curieux sur la maniere dont ils cultivoient cet arbre ; il ne tarda pas à produire des fleurs ; il subsiste encore, & produit tous les ans en grande quantité. Si quelques-unes de ses branches commencent à se sécher, il y a tout lieu de croire que cela provient de ce qu'il est trop serré par d'autres arbres qui l'environnent, dont les racines s'entrelacent avec les siennes, & qui le privent d'une partie de sa nourriture. Il donne aussi des cônes, mais qui ne sont pas assez parfaits pour que les semences qui y sont contenues soient fécondes.

Il y a encore quelques autres tulipiers qui ont produit des fleurs pendant plusieurs années, mais ils ne sont pas devenus fort gros ; le plus haut de tous ceux que j'ai vus, excepté à Parsons-Gréen, n'avoit pas plus de vingt-cinq piés, au-lieu que celui de milord Peterborough s'est élevé à cinquante piés, & a le tronc d'une grosseur proportionnée à sa hauteur. Ce tronc est nud ; ce n'est qu'au-dessus de quarante piés qu'il commence à pousser, ce qu'il faut peut-être attribuer, ainsi que je l'ai dit, au voisinage des autres arbres dont il est trop serré ; car j'ai remarqué que par-tout où le tulipier avoit la liberté de s'étendre, il poussoit promtement des branches, & s'élevoit moins. Il en est de cet arbre, ainsi que du plane, il part de son milieu un rejetton droit, qui croît à-peu-près de la même maniere dans l'un & l'autre de ces arbres.

Il ne faut pas s'imaginer que ces fleurs soient fort semblables à la tulipe, comme ont fait quelques personnes peu attentives, & sur-tout les habitans de l'Amérique, qui ont nommé cet arbre, auquel les Européens ont conservé le nom qu'ils lui ont trouvé. Je n'ai point entendu dire que le tulipier fleurisse en aucune contrée de l'Europe qu'en Angleterre.

M. Catesby dit dans son histoire naturelle de la Caroline, qu'il y a des tulipiers en Amérique, qui ont jusqu'à trente piés de tour ; que leurs branches sont inégales, irrégulieres, & font un grand nombre de coudes ; ce qui rend cet arbre reconnoissable à une grande distance, même lorsqu'il est dépouillé de ses feuilles. On le trouve dans la plûpart des contrées de l'Amérique méridionale, depuis le cap de Florida, jusqu'à la nouvelle Angleterre, où son bois est d'un grand usage.

Le tulipier à feuilles de laurier est maintenant très-rare en Angleterre ; il y avoit jadis plusieurs de ces arbres dans les jardins de l'évêque de Londres à Fulham, & dans ceux de la duchesse de Beaufort à Chelsea : mais ils sont tous péris ; ensorte qu'il n'en reste plus qu'un dans les jardins de M. Pierre Collinson à Peckam ; il a donné les trois dernieres années un grand nombre de fleurs.

On trouvera une fort bonne figure de la plante du tulipier, qui avoit ce nom lorsqu'on l'apporta en Angleterre, dans la troisieme partie de l'histoire naturelle de la Caroline de M. Catesbi, sous le nom de magnolia, lauri folio, subtus albicante. Il dit que c'est un petit arbre qui s'éleve rarement à plus de seize piés de haut ; que son bois est blanc, spongieux, & couvert d'une écorce blanche ; que ses feuilles ressemblent à celles du laurier commun ; qu'elles sont d'un verd pâle en-dessus, & blanches en-dessous ; que ses fleurs commencent à paroître en Mai ; qu'elles sont blanches & odoriférantes ; qu'elles durent pendant la plus grande partie de l'été, & remplissent les bois de leur odeur ; qu'après la chûte des fleurs, leur pistil dégenere en un fruit conique, de la grosseur d'une bonne noix, tout couvert d'éminences, & plein de semences grosses comme des feves françoises, qui ont une amande couverte d'une peau mince & rouge ; que ces semences sortent de leurs cellules, sans tomber à terre ; qu'elles demeurent suspendues par de petits filamens blancs, d'environ deux pouces de long. Ce qui forme un fort beau spectacle, c'est que son fruit qui est verd d'abord, devient rouge en mûrissant, & finit par être brun ; que cet arbre naît dans des lieux humides, & des terres bourbeuses ; mais, ce qu'il y a de singulier, c'est que si on le transplante dans des lieux secs, il devient plus beau, plus régulier, & donne plus de fleurs & de fruits ; qu'il se dépouille ordinairement de ses feuilles en hiver, à-moins qu'il ne soit fort doux.

On en a découvert une autre espece, nommée par le pere Plumier, magnolia amplissima, flore albo, fructu caeruleo. C'est un des plus beaux arbres qu'il y ait en Amérique, où il croît dans les lieux humides & marécageux : il s'éleve quelquefois à la hauteur de soixante piés & davantage ; ses feuilles sont beaucoup plus larges que celles du laurier commun ; elles sont d'un verd léger, fort larges, blanchâtres, & odoriférantes. Son fruit ressemble à la premiere espece de tulipier, mais il est plus grand ; il porte ses semences de la même maniere ; ensorte que cet arbre n'est jamais plus beau à voir, que depuis le mois de Mai jusqu'au mois de Décembre. Cependant comme il est toujours verd, il forme un assez bel aspect, même en hiver ; ses feuilles croissent promtement, & sont placées sur des pédicules droits ; ce qui les fait paroître avec avantage, notre climat n'étant pas trop froid pour lui ; je ne doute point que dans quelques années on ne le voye avec plaisir chargé de fleurs dans les jardins de quelques curieux, où on le cultive, où il a supporté le froid des trois derniers hivers, & où il profite admirablement tous les ans. (D.J.)


TULLES. f. (Commerce) espece de dentelle commune qui sert à faire des manchettes, mais plus communément ce qu'on appelle entoilage. Il y en a en soie & en fil ; celle en soie a le même emploi que celle en fil.

TULLE, (Géog. mod.) en latin du moyen âge Tutela, ville de France, capitale du bas Limousin, au confluent des rivieres de Correse & de Solan, à 15 lieues au sud-est de Limoges, & à 118 au midi de Paris, dans un pays rempli de montagnes & de précipices.

C'est aussi par cette raison, que d'anciens moines s'y établirent, pour y former dans le x. siecle un monastere qui procura la fondation de la ville de Tulle. Les princes qui ont possédé le Limousin, s'attribuerent le haut domaine de cette ville, & les rois de France leur ont succédé.

Tulle est aujourd'hui décorée d'un évêché, d'un présidial, & d'une élection : l'évêché fut érigé par le pape Jean XXII. en 1317 ; il n'a que huit lieues d'étendue, & le revenu est de douze à quatorze mille livres ; l'évêque est aussi seigneur de la ville, qui porte le titre de vicomté. Long. 19. 20. latit. 45. 15.

Cette ville a été fort illustrée par M. Baluze (Etienne) qui y naquit en 1630. C'est un des plus savans hommes du xvij. siecle, & un des auteurs qui a rendu le plus de services à l'Eglise & à la république des Lettres, par les soins qu'il prit de rechercher de tous côtés les anciens manuscrits, de les conférer avec les éditions, & de les donner ensuite au public avec des notes pleines d'érudition. On lui doit le recueil du capitulaire de nos rois, les oeuvres de S. Cyprien, les conciles de la Gaule narbonnoise, la concorde du sacerdoce & de l'empire de M. de Marca, l'édition des épîtres d'Innocent III. en 2. vol. in-fol. qui parurent en 1682. Outre cela, il a mis au jour six volumes in-8 °. de différentes pieces, intitulées Miscellanea. C'est encore lui qui a formé le recueil des manuscrits de la bibliotheque de Colbert. Il a travaillé jusqu'à l'âge de 88 ans, qu'il termina par sa mort à Paris, en 1718.

M. Baluze écrivoit bien en latin, & étoit très-versé dans l'histoire ecclésiastique & prophane. Il donna en 1708, l'histoire généalogique de la maison d'Auvergne, & fut exilé pendant quelque tems, pour avoir soutenu dans cet ouvrage les prétentions du cardinal de Bouillon, qui se croyoit indépendant du roi, & qui fondoit son droit sur ce qu'il étoit né d'un prince souverain, dans le tems que Sedan appartenoit encore à ce prince.

Le jésuite Jarrige (Pierre) n'a pas fait beaucoup d'honneur à la ville de Tulle sa patrie. Il étoit un des fameux prédicateurs de son ordre, mais un mal-honnête homme, qui pour se venger de ne pas obtenir les emplois dont il se croyoit digne, vint en Hollande, abjura sa religion, & mit au jour un livre qu'il intitula, les jésuites mis sur l'échaffaud, livre dans lequel il les traita d'une maniere si outrageante, que jamais il n'étoit arrivé à leur société rien de si mortifiant, dit un auteur calviniste. Le pere Ponthelier ramena cet esprit fougueux ; il rentra en 1650 dans la communion romaine, s'établit chez les jésuites d'Anvers, & publia sa rétractation.

M. Melon (N.) mort à Paris en 1738, étoit natif de Tulle ; la cour l'employa dans des affaires très-importantes ; son principal ouvrage est un Essai politique sur le Commerce, dont la seconde édition est meilleure que la premiere. (D.J.)


TULLUM(Géog. anc.) montagne de l'Illyrie, selon Strabon, l. IV. p. 207. Lazius dit que le nom moderne est Delez, & que les habitans du pays la nomment Telez. (D.J.)


TULN(Géog. mod.) petite ville d'Allemagne, dans la basse Autriche, proche la riviere de même nom, à quatre milles de Vienne ; son terroir produit du blé & du vin. Long. 34. 6. latit. 48. 22.

C'est à Tuln que fut inhumé le comte de Habsbourg, devenu empereur sous le nom de Rodolphe I. pour avoir, dit-on, prêté son cheval à un curé. Sa fortune étoit singuliere par plus d'un endroit ; il avoit été grand-maître-d'hôtel d'Ottocare roi de Bohème ; dès qu'il fut sur le trône impérial, il pressa ce roi de lui rendre hommage : le roi répondit qu'il ne lui devoit rien, qu'il lui avoit payé ses gages. (D.J.)

TULN LA, (Géog. mod.) riviere d'Allemagne, dans la basse Autriche ; elle a sa source au quartier du bas Vienner-Wald, arrose la ville de Tuln, & se jette dans le Danube. (D.J.)


TULONIUMou TULLONIUM, (Géog. anc.) ville de l'Espagne tarragonoise ; Ptolémée qui la marque dans les terres, la donne aux Varduli. L'itinéraire d'Antonin la met sur la route de l'Espagne dans l'Aquitaine ou d'Asturica à Bordeaux, entre Suissatium & Alba, à sept milles du premier de ces lieux, & à douze milles du second. (D.J.)


TULSK(Géog. mod.) petite ville d'Irlande, dans la province de Connaught, au comté de Roscommon ; elle est environ à trois milles au sud-ouest d'Elphin, & à treize milles au sud de Roscommon. Elle envoie deux députés au parlement de Dublin. (D.J.)


TUMBEvoyez VIVE.


TUMBEZ(Géog. mod.) vallée de l'Amérique méridionale, au Pérou, dans le gouvernement de Quito. Quoique cette vallée soit traversée par une riviere qui lui donne son nom, son terroir est très-peu fertile, parce qu'il n'y pleut jamais. (D.J.)


TUMEFACTIONS. f. est l'action de s'enfler, ou de s'élever en tumeur. Voyez TUMEUR.

Il arrive souvent dans la gonorrhée des inflammations & des tumefactions des testicules, soit par la foiblesse des vaisseaux, les mouvemens violens, l'usage indiscret des astringens, le défaut de purgation, soit par quelqu'autre cause semblable. Voyez GONORRHEE.


TUMEN(Géog. mod.) ville de l'empire russien, dans la Sibérie, sur la riviere de Tuca, à 50 lieues au sud-ouest de Tobolskoi. Ses habitans sont presque tous tartares, & payent leur tribut au czar en pelleteries. (D.J.)


TUMEURtumor, oris, s. f. terme de Chirurgie, c'est une élévation contre nature qui survient à quelque partie du corps. Ce mot vient du latin tumere, s'enfler, se gonfler.

Les tumeurs sont formées 1°. par l'accumulation & le séjour de quelque humeur ; ce sont alors des tumeurs humorales, nommées apostèmes, lorsqu'elles attaquent les parties molles, voyez APOSTEME ; & EXOSTOSE, lorsqu'elles affectent les parties dures, voyez EXOSTOSE. Il y a des tumeurs qui sont causées par le déplacement de quelques parties organiques. Ce sont des hernies lorsque la tumeur est faite par des parties molles, voyez HERNIES ; & des luxations, lorsque les parties dures ont souffert quelque dérangement. Voyez LUXATION.

La troisieme classe de tumeurs reconnoît pour cause la présence de quelque corps étranger. On entend par corps étrangers toutes les choses qui n'entrent point actuellement dans la composition de notre corps. Les uns sont formés au-dedans de nous, les autres viennent du dehors ; les uns & les autres peuvent être animés ou inanimés.

Ceux qui sont formés chez nous sont de deux especes. Les uns se sont formés d'eux-mêmes : telles sont la pierre dans les reins, dans les ureteres, dans la vessie, dans la vésicule du fiel, ou dans toute autre partie du corps ; la môle dans la matrice, les vers & autres insectes dans les intestins, ou dans quelqu'autre partie. Les autres sont devenus corps étrangers, parce qu'ils ont séjourné trop long-tems dans le corps : tel est un enfant mort dans la matrice ; ou parce qu'ils se sont séparés du tout, telles sont les esquilles des os, une escare, &c.

Les corps étrangers venus de dehors, sont entrés dans le corps en faisant une division, ou sans faire de division. Un dard, une balle de fusil, un éclat de bombe, & tous les corps portés avec violence sont dans le premier cas. Ceux qui entrent sans division, sont les corps de toute espece qui s'introduisent dans les ouvertures naturelles ; telles que le nez, les yeux, le gosier, les oreilles, l'anus, le vagin, l'uretere, la vessie.

Quelques-uns mettent au rang des corps étrangers l'air qui, en s'insinuant dans l'interstice des parties, forme des tumeurs qui tirent différens noms, suivant les différentes parties qu'il occupe. Voyez EMPHYSEME.

Tous les corps étrangers doivent être tirés dès qu'il est possible de le faire, de crainte que ceux qui sont engendrés dans le corps, tels que les pierres de la vessie, n'augmentent en volume, ou que ceux qui sont venus de dehors n'occasionnent, par leur pression, des accidens qui empêchent leur extraction, ou qui la rende difficile.

Il y a différentes manieres d'extraire les corps étrangers. On ne peut tirer les uns que par une ouverture qu'on est obligé de faire, comme la lithotomie, pour l'extraction de la pierre urinaire. Voy. TAILLE. On peut tirer les autres sans faire aucune division.

Si on tire un corps étranger par l'endroit par lequel il est entré, cette maniere s'appelle attraction ou expulsion. Si au contraire on le fait sortir par une ouverture opposée à celle où il est entré, cette maniere s'appelle impulsion.

La diversité des corps étrangers qui peuvent entrer, les différens endroits où ils se placent, les moyens singuliers qu'il faut quelquefois inventer pour en faire l'extraction, enfin les accidens que ces corps étrangers occasionnent, demandent quelquefois de la part des chirurgiens beaucoup de génie & d'adresse. On trouve, dans le premier volume des mémoires de l'académie royale de Chirurgie, un grand mémoire très-intéressant sur les différens moyens de procurer la sortie des corps étrangers de l'oesophage, par M. Hevin, secrétaire de cette académie pour les correspondances, & premier chirurgien de madame la dauphine.

Avant que de faire l'extraction d'un corps étranger de quelque espece qu'il soit, on doit se rappeller la structure de la partie où il est placé ; s'informer & s'assûrer, s'il est possible, de la grosseur, de la grandeur, de la figure, de la matiere, de la quantité, de la situation du corps étranger, & de la force avec laquelle il a été poussé dans le corps, s'il est venu de dehors : il faut outre cela mettre le malade & la partie dans une situation commode, & telle que les muscles soient dans un état de relâchement, & enfin faire choix des instrumens les plus convenables pour en faire l'extraction.

Les corps étrangers entrés & engagés dans quelque ouverture naturelle, doivent être tirés promtement. On doit auparavant faire des injections d'huile d'amande-douce pour lubrifier le passage, & faciliter par ce moyen la sortie du corps. Quant aux corps étrangers qu'on ne peut tirer sans faire de division, ou sans aggrandir l'ouverture déjà faite par le corps, voyez INCISION, CONTRE - OUVERTURE & PLAIE avec corps étranger.

Les instrumens dont on se sert pour faire l'extraction des corps étrangers sont les curetes, pour tirer ceux qui sont engagés dans l'oreille ou dans l'urethre ; les différentes especes de repoussoir & de pincettes pour tirer ceux qui sont engagés dans le gosier ; les tenettes, les pinces de différentes especes pour tirer les pierres, les balles, & autres corps semblables. Voyez TIREBALLE. Lorsque le corps étranger peut être saisi avec les doigts, ils sont préférables à tout autre instrument. Voyez CORPS ETRANGERS, & sur ceux qui sont dans la trachée artere, l'article TRACHEOTOMIE. (Y)


TUMULTUAIRETUMULTUEUX, (Synon.) il semble qu'il y ait au propre quelque différence entre ces deux mots, le premier signifiant ce qui se fait à la hâte, avec trouble, sans ordre ; tumultueux désignant plus ce qui se fait avec sédition ; une assemblée tumultuaire, une assemblée tumultueuse, ne disent donc pas précisément la même chose. Les mutins sortirent tumultuairement du camp ; les rebelles s'assemblerent tumultueusement. Mais tumultueux au figuré veut dire confus, ému, en désordre, & il s'employe mieux que tumultuaire. Il est difficile d'appaiser une passion aussi tumultueuse que la vengeance. Si la naissance de l'amour est tumultueuse, ses progrès le sont encore davantage. (D.J.)


TUMULTUS(Langue latine) les Romains donnoient le nom de tumulte aux guerres les plus dangereuses, & qui mettoient la république en péril. Dans la révolte des alliés, le péril parut si grand aux Romains, qu'il fut déclaré qu'il y avoit tumulte. On publia que la guerre des Gaulois étoit tumulte, tumultus. (D.J.)


TUNBRIDGE(Géog. mod.) bourg d'Angleterre, dans le comté de Kent, à quinze milles de Rochester, & à vingt-cinq milles de Londres, sur la Medway. Il y a un château qui fut bâti par Richard de Clare, qui avoit eu Tunbridge par échange pour Brion en Normandie. Ce bourg est fort renommé par ses eaux minérales, & par l'affluence de gens de qualité qui viennent les boire, s'amuser, & y prendre de l'exercice dans une saison convenable.

C'est un plaisir, dit Pavillon dans une lettre à madame Pélissari, que d'être malade dans ce pays, car sitôt qu'on l'est, ou qu'on croit l'être, ou qu'on veut l'être, on vous envoie aux eaux de Tunbridge ; or ce Tunbridge est la plus charmante médecine que l'on puisse prendre ; c'est une fontaine au bout d'une foire aussi magnifique que celle de S. Germain. Il faut avoir la complaisance de croire que ceux qui y vont boivent de ces eaux, & qu'ils en ont besoin.

Ce qui m'en fait douter, c'est que ceux qui les prennent,

Sont à jouer assiduement ;

Caquetent sans cesse, ou toujours se promenent,

Et ne pissent que rarement.

Mille fraîches beautés parent la promenade,

Et l'on trouveroit en ce lieu

Plus malaisément un malade

Qu'un homme sain à l'Hôtel-dieu.

Comme j'étois surpris de voir tous ces prétendus malades en si bonne santé, je demandai avec empressement, continue Pavillon, de quel mal cette fontaine guérissoit ; mais je n'en pus être éclairci. Pour toute réponse, les uns haussoient les épaules, les autres me rioient au nez, &c. Il finit en disant à madame Pélissari : " Enfin, madame, ce pays est si beau & si bon, que si par hasard quelque magicien, selon l'ancienne coutume, me détient ici enchanté durant deux ou trois mille ans, je vous prie de ne me plaindre point, & d'attendre patiemment mon retour ".

Ces lieux sont pour moi pleins d'appas,

Je n'y vois ni procès, ni moine, ni misere,

On y sonne très-peu ; l'on n'y travaille guere,

Et l'on y fait de longs repas.

(D.J.)


TUNDESS. m. (Hist. mod. superstit.) les Japonois désignent sous ce nom des prêtres revêtus d'une dignité ecclésiastique de la religion de Budsdo, qui répond à celle de nos évêques. Ils tiennent leurs pouvoirs & leur consécration du souverain pontife de leur religion appellé siaka, voyez cet article ; c'est l'empereur séculier du Japon qui nomme ces tundes, le siaka confirme son choix, & leur accorde le droit de dispenser dans les cas ordinaires, & d'appliquer aux vivans & aux morts les mérites des dieux & des saints.

Les tundes ne communiquent point sans restrictions, un pouvoir si étendu aux prêtres ordinaires. Ils ont communément la direction de quelque riche monastere de bonzes, qui leur fournissent les moyens de soutenir avec splendeur la dignité de leur état. Voyez SIAKA.


TUNEBRIUM(Géog. anc.) promontoire d'Espagne, dans le royaume de Valence, entre les villes Altea & Denia. Les anciens l'appelloient Artemisium, du nom de la ville la plus célebre du voisinage, & Ferraria, à cause des mines de fer qui s'y trouvoient. On lui donne aujourd'hui le nom de capo Martino ou punta del Emperador. (D.J.)


TUNERTUNAGE, TUNES, (Hydraulique) ce sont des harts, composés de trois brins ou verges de 15 piés de long, pour serrer les tiers de fascines qui se posent les uns sur les autres, de maniere qu'ils forment un lit de 18 à 20 pouces d'épaisseur. Ces tunes s'attachent autour des piquets de 12 piés de long verticalement, & enfoncés à coup de maillet pour les serrer les uns contre les autres, afin d'affaisser le fascinage, on remplit l'intervalle que les tunes laissent entr'elles de pierres plates & dures posées de champ. (K)


TUNGS. m. (Hist. des insectes) nom qu'on donne chez les Guaranis, peuples de l'Amérique méridionale, à un petit insecte qui les désole, & qui s'insinue peu-à-peu entre cuir & chair, principalement sous les ongles ; là il fait son nid & dépose ses oeufs, qui venant à éclorre, rongent toutes les parties voisines, & produisent de fâcheux ulceres. On est averti de l'endroit où ils sont nichés, par une violente démangeaison qu'on y sent. Le meilleur remede, est d'ouvrir la partie avec la pointe d'une lancette, d'en tirer la vermine, de dessécher ensuite la plaie, & la cicatriser ; c'est le même insecte que les Espagnols nomment pico, & les François, chique. Voyez CHIQUE. (D.J.)


TUNGRI(Géog. anc.) peuples de la Gaule belgique, selon Ptolémée, liv. II. ch. ix. qui leur donne Atuacutum pour capitale. Tacite, hist. liv. IV. & V. fait aussi mention de ces peuples. Ce sont les mêmes que les Eburones, ce qui fait que César ne fait point mention des Tongres, parce qu'il ne les connoît que sous le nom d'Eburons ; & Pline, liv. IV. c. xvij. au contraire, nomme les Eburons Tongres.

Ils sont communément appellés Germains par les Gaulois, des mots gerra, guerre, & de man, homme, c'est comme qui diroit homme de guerre.

Les Tungri habitoient les pays de Liége, de Cologne, de Juliers, de Limbourg, de Namur, & partie du Luxembourg. Du tems de César, ces pays étoient occupés par les Condrusiens & les Segniens auprès du Rhin. Les Carésiens & les Poemanes étoient à l'occident : les Eburons étoient entre les Segniens & la Meuse. Dans la suite les Ubiens, Ubii, les Suniques Sunici, les Aduaticiens Aduatici, posséderent entr'eux toute cette étendue de pays.

Les Ubii occuperent le territoire de Cologne, & partie de Juliers. Leurs villes étoient Agrippina Col. aujourd'hui Cologne ; Ara ubiorum, aujourd'hui Bonn ; Novesium, Nuys ; & Gelduba, Geldub, village qui a retenu l'ancien nom.

Les Sunici habitoient Limbourg, & partie de Juliers, ils avoient deux villes. Theuderium, à présent Tudder, & Coriovalum qu'on nomme maintenant Valgenbourg.

Les Aduatici tenoient le comté de Namur, & partie du Brabant. Ils avoient pour villes principales Geminiacum, aujourd'hui Gemblours, & Perviciacum, village qu'on nomme à présent Pervis. (D.J.)


TUNGRIENSS. m. pl. (Hist. anc.) peuple de l'ancienne Gaule, qui du tems de César, habitoit la partie du pays de Liége où est la ville de Tongres.


TUNGRORUM FONS(Géog. anc.) eaux minérales dans la Gaule belgique, au pays des Tongres, selon Pline, l. XXXI. c. ij. qui en parle en ces termes : Tungri civitas Galliae, fontem habet insignem plurimis bullis stillantem, ferruginei saporis ; quod ipsum non nisi in fine potus intelligitur. Purgat hic corpora, tertianas febres discutit, calculorumque vitia. Eadem aqua igni admota, turbida fit, ac postremo rubescit. Personne ne doute que Pline ne parle de la fontaine si connue aujourd'hui sous le nom d'eaux de Spa, & qui se trouve dans le diocèse de Liége, pays qu'habitoient les anciens Tongres. (D.J.)


TUNGSTEENS. m. (Hist. nat. Minéral.) les Suédois donnent ce nom à une pierre ferrugineuse ou mine de fer, qui ressemble à la mine d'étain en crystaux de la forme du grenat. Cette substance est très-pesante & très-difficile à réduire, cependant on en a tiré jusqu'à trente livres de fer par quintal : on a de la peine à la faire entrer en fusion, en y joignant du borax ou du sel alkali fixe ; mais le sel fusible de l'urine la fait fondre très-promtement, alors on obtient une scorie noire. On trouve différentes variétés de cette substance, il y en a de rougeâtre ou couleur de chair, de jaune, & de couleur de perle ; elle varie aussi pour le tissu, on en trouve qui est très-compacte & d'un grain très-fin, il y en a d'autre qui ressemble à du spath & qui a un coup d'oeil gras à sa surface. Voyez l'Essai d'une nouvelle minéralogie, publiée en Suédois en 1758. (-)


TUNICATUSTUNICATUS


TUNIQUES. f. (Botan.) les Botanistes appellent tuniques, les différentes peaux de certaines plantes, telles, par exemple, que celles d'un oignon, qui sont emboîtées les unes dans les autres ; ils se servent aussi quelquefois du mot de tunique, pour signifier simplement une enveloppe. (D.J.)

TUNIQUE, en Anatomie, est un nom qui se donne aux membranes, qui enveloppent les vaisseaux & différentes autres parties des moins solides du corps. Voyez les Planches d'Anatomie.

Les yeux sont principalement composés d'un certain nombre d'humeurs qui sont contenues dans des tuniques, rangées l'une sur l'autre, comme la tunique albuginée, la cornée, la rétine, &c. Voyez OEIL, ALBUGINEE, &c.

TUNIQUE VAGINALE, voyez VAGINALE.

TUNIQUE ACINIFORME, est la même que la membrane uvée de l'oeil. Voyez UVEE.

TUNIQUE VITREE, (Anatom.) c'est la même que la tunique arachnoïde ou crystalloïde, ou capsule du crystallin. Voyez ARACHNOÏDE.

M. Petit s'est fort étendu sur cette tunique, à laquelle il a donné un mémoire entier, dont voici le précis.

C'est une membrane qui enveloppe tout le crystallin, mais une membrane si déliée, que d'habiles anatomistes en ont nié l'existence, ou du moins en ont douté. Elle n'est effectivement guere moins fine dans l'homme qu'une toile d'araignée ; aussi quelques-uns l'appellent-ils arachnoïde. Elle est une fois plus épaisse dans le boeuf que dans l'homme, & encore plus dans le cheval. Elle seroit par conséquent moins difficile à démontrer dans ces animaux, & ce seroit une assez forte présomption qu'elle devroit se trouver dans l'homme ; mais on l'y démontre aussi, & même sans injection, quoique ce fût d'ailleurs une chose assez surprenante, qu'une membrane si fine pût être injectée. Elle peut l'être cependant, & Ruysch y est parvenu ; elle reçoit quelquefois une injection naturelle, c'est-à-dire qu'il s'y fait une inflammation, que ces vaisseaux plus remplis de sang ou de la liqueur qu'ils portent, deviennent visibles, & qu'on apperçoit leur distribution & leurs ramifications.

Le crystallin de l'homme, revêtu de sa membrane ou capsule, paroît moins transparent à sa partie antérieure qu'à la postérieure ; mais s'il en est dépouillé, sa transparence est égale des deux côtés.

Le ligament ciliaire se termine & s'attache à la partie antérieure de la capsule par des fibres qu'il y jette, & par les vaisseaux qu'il y fournit, ces vaisseaux ne sont que des lymphatiques. Quand il paroît du sang dans cette membrane, c'est par quelque accident particulier, comme lorsque dans un accouchement difficile, la tête de l'enfant a été violemment comprimée au passage, & que le sang a été obligé de s'insinuer dans des canaux qui ne lui étoient pas destinés.

La tunique vitrée se nourrit donc de cette lymphe, qui lui est apportée par les vaisseaux qu'elle reçoit du ligament ciliaire. On voit qu'il s'est épanché une partie dans la cavité de la capsule, entre cette membrane & le crystallin.

M. Petit l'a toujours trouvée transparente, tant dans l'homme que dans les animaux, même dans les sujets qui avoient des cataractes. La cornée & la membrane hyaloïde trempées dans l'eau bouillante, dans les esprits acides, &c. y perdent leur transparence, la membrane vitrée y conserve la sienne, elle ne la perd que dans l'esprit de-nitre, encore s'y dissout-elle le plus souvent, plutôt que de la perdre. Hist. & mém. de l'acad. 1730. (D.J.)

TUNIQUE, s. f. (Antiq. rom.) espece de chemise des hommes & des femmes romaines.

La tunique étoit un habillement commun aux hommes & aux femmes, mais la forme en étoit différente. Les femmes avoient accoutumé de les porter beaucoup plus longues que les hommes, & lorsqu'elles ne leur donnoient pas toute la longueur ordinaire, c'étoit sortir de la modestie de leur sexe, & prendre un air trop cavalier ; infrà mulierum, suprà centurionum.

Juvenal, en parlant d'une femme qui se pique à-tort & à-travers de bel esprit, qui au commencement du repas se jette sur les louanges de Virgile, pese dans la balance le mérite de ce poëte & la gloire d'Homere, trouve des excuses pour Didon lorsqu'elle se poignarde, décide la question du souverain bien : Juvenal, dis-je, ajoute que puisqu'elle affecte ainsi de paroître savante, il seroit juste qu'elle retroussât sa tunique jusqu'à demi-jambe, c'est-à-dire, qu'elle ne se montrât alors que dans l'équipage d'un homme.

Crure tenùs medio tunicas succingere debet.

Non-seulement les tuniques des dames étoient distinguées par la grandeur, elles l'étoient aussi par des manches, qu'il n'étoit permis qu'à elles de porter. C'étoit parmi les hommes une marque de mollesse dont les tems de la république n'avoient point montré d'exemple. César ne put pas même sur cela se mettre à l'abri des reproches ; mais ses moeurs étoient aussi efféminées que son courage étoit élevé ; & nous ne devons point tirer à conséquence l'exemple d'un homme, que Curion le pere dans une de ses harangues avoit non-seulement nommé le mari de toutes les femmes, mais aussi la femme de tous les maris.

La tunique prenoit si juste au cou, & descendoit si bas dans les femmes pleines de retenue, qu'on ne leur voyoit que le visage. Catia n'étoit point du nombre de ces sortes de femmes, à ce que dit Horace :

Matronae praeter faciem nil cernere possis,

Caetera, ni Catia est, demissâ veste tegentis.

Elle laissoit à découvert cette partie des épaules qui est jointe au bras ; Ovide disoit que cet étalage séyoit aux femmes blanches, & qu'il autorisoit les émancipations.

Hoc ubi vidi,

Oscula ferre humero, quà patet usque libet.

Lorsque le luxe eut amené l'usage de l'or & des pierreries, on commença impunément à montrer encore la gorge ; la vanité gagna du terrein, & les tuniques s'échancrerent davantage ; souvent les manches, au rapport d'Elien, n'en étoient point cousues, & du haut de l'épaule jusqu'au poignet, elles s'attachoient avec des agraffes d'or ou d'argent, de telle sorte qu'un côté de la tunique posant à demeure sur l'épaule gauche, l'autre côté tomboit négligemment sur la partie supérieure du bras droit ; ainsi les tuniques étoient ouvertes par les côtés, à-peu-près comme nos chemises d'hommes.

Leur nombre s'augmenta chez les Romains, d'abord parmi les hommes dont les femmes suivirent l'exemple ; mais le goût en forma la différence ; la premiere étoit une simple chemise, la seconde une espece de rochet, & la troisieme, c'est-à-dire celle qui se mettoit par-dessus, se nommoit stole. Voyez STOLE.

Du tems de Séneque la tunique des dames romaines étoit très-fine. Voyez-vous, dit-il, ces habillemens de soie que portent nos dames ; qu'y découvrez-vous qui puisse défendre ou le corps ou la pudeur ? Celle qui peut les revêtir, osera-t-elle jurer qu'elle ne soit pas nue ? On fait venir à grands frais de pareilles étoffes d'un pays où le commerce n'a jamais été ouvert, & tout cela pour avoir droit d'étaler en public des objets qu'en particulier on n'ose montrer à ses amans qu'avec quelque réserve.

Il ne manquoit plus à Séneque qu'à nous instruire de la couleur de la tunique des dames romaines, selon ce même esprit de galanterie & de volupté qui corrompoit les moeurs de son siecle, & dans lequel Ovide ne recommandoit que la convenance avec le teint. La tunique noire, dit-il, sied bien aux blanches, & la blanche sied bien aux brunes. Nous ne marions pas volontiers de même ces deux dernieres couleurs. Est-ce que la fantaisie régloit le goût des Romains, ou qu'elle détermine le nôtre ? C'est tous les deux ; car en tout tems la fantaisie a décidé des goûts, des modes & de la beauté. (D.J.)

TUNIQUE, s. f. (terme de Chasublier) vêtement dont les diacres & soûdiacres se servent en officiant. La tunique ne differe de la dalmatique que par les manches qui sont plus longues. La tunique est aussi une sorte de veste dont les rois de France sont revêtus à leur sacre sous leur manteau royal. (D.J.)

TUNIQUE, surtout, ou cote d'armes pour être portée sur l'armure du corps. Voyez COTE D'ARMES.

La tunique est proprement un petit surtout de taffetas, court & fort large, sur lequel on a peint ou brodé des armes, comme en portent les hérauts d'armes ; autrefois les officiers généraux militaires en portoient aussi sur leurs armures pour se distinguer de leurs subalternes. Voyez ARMES.


TUNIS ETAT DE(Géog. mod.) état d'Afrique, dans la Barbarie, sur la côte de la mer Méditerranée, qui le baigne au nord & à l'orient. Il a au midi divers peuples arabes, & au couchant le royaume d'Alger & le pays d'Essab. Cet état répond à-peu-près à l'ancien état de Carthage, tel qu'il étoit avant les grandes conquêtes qu'il fit dans la suite ; mais il s'en faut bien que les Tunisiens ne soient les mêmes que les Carthaginois.

On divise aujourd'hui cet état en huit contrées, qui comprennent chacune diverses bourgades, qui pour la plûpart ont été ruinées par les Arabes. De ces bourgades les unes sont sur la côte, & les autres dans les terres.

Le terroir de l'état de Tunis est un peu plus fertile que celui de Tripoli ; mais son gouvernement est à-peu-près le même. Il est avantageux à la régence de Tunis d'être toujours en bonne intelligence avec la régence d'Alger, qui manque rarement de profiter de tous les troubles qui arrivent dans la régence de Tunis. Il semble que les Maures soient un ennemi aussi dangereux ; mais ces peuples partagés entre divers souverains ne songent qu'à jouir en paix de leurs pays, & ne remuent que quand on les chagrine par les impots & autres vexations. La régence de Tripoli ne s'avisera point d'attaquer celle de Tunis ; les forces sont trop inégales en pareil cas ; mais si Tunis vouloit se ressaisir de l'ancienne domination qu'elle a eue sur Tripoli, il seroit difficile qu'elle réussit, parce qu'alors elle ne seroit pas plutôt embarrassée dans cette guerre, que ses voisins fondroient sur elle.

A parler généralement, l'état de Tunis n'est nullement propre à faire de grandes conquêtes. Les dignités de dey, de bey & de bacha partagent trop l'autorité quand elles sont divisées ; & si quelqu'un les réunit, il peut compter d'attirer sur lui l'envie de tous ses sujets. Le gouvernement tel qu'il est établi, est exposé à un flux & reflux perpétuel, & à des orages qui renversent les plus hautes fortunes. Sinan bacha après avoir fait la conquête de l'état de Tunis, le mit sous la protection du grand-seigneur, & y établit un nouveau gouvernement, avec une milice de cinq mille turcs divisés en plusieurs compagnies ; mais le gouvernement fondé par Sinan bacha a aussi éprouvé un grand nombre de vicissitudes. (D.J.)

TUNIS, royaume de, (Géog. mod.) royaume d'Afrique, dans la Barbarie, dont il étoit le quatrieme, & le dernier du côté de l'orient. Il comprenoit autrefois les provinces de Constantine, de Bugie, de Tunis, de Tripoli & d'Essab, & avoit plus de six vingt lieues de longueur le long de la mer ; mais Essab n'est plus aujourd'hui de ses dépendances ; Tripoli fait un royaume à part ; & Bugie & Constantine sont incorporées au royaume d'Alger ; ainsi Tunis a conservé seulement les villes du ressort de son état. Voyez TUNIS état de, TUNIS ville de. (D.J.)

TUNIS, ville de, (Géog. mod.) anciennement Tunes, ville d'Afrique en Barbarie, capitale du royaume de même nom, dans une plaine, sur le lac de la Goulette, à 4 lieues de la mer, & à 145 au nord est d'Alger.

Les rues & les places de cette ville sont fort bien ordonnées ; mais sa plus grande force consiste dans le nombre de ses habitans, pour la plûpart artisans, entre lesquels se distinguent les tisserans, qui font la meilleure toile d'Afrique. Il n'y a dans cette ville aucun moulin à vent ni à eau, point de fontaines, point de ruisseaux, point de puits, mais seulement de grandes cîternes où se rendent les eaux de pluie, tant pour boire que pour le service de chaque maison.

Il ne manque pas de mosquées dans Tunis ; les anciens colleges qui y étoient, sont la plûpart ruinés. Les maisons n'ont qu'un étage, & sont toutes en terrasse, afin de faire mieux écouler l'eau de pluie dans les cîternes. Les vestibules sont frais & propres, parce que les hommes y demeurent la plûpart du tems à faire leur négoce, pour empêcher leurs amis ou leurs gens d'entrer dans l'appartement de leurs femmes. Les fauxbourgs, au nombre de trois, sont extrêmement peuplés, & renferment deux à trois mille maisons.

Les dehors de la ville contiennent d'amples jardins ou vergers remplis de citronniers, d'orangers & d'oliviers, qui sont soigneusement cultivés. Près du lac est un arsenal, avec un chantier pour la construction des galeres. De l'autre côté du lac, sur le bord de la mer, est la forteresse de la Goulette, & le canal par où l'eau entre dans le lac. Longit. 28. 25. latit. 36. 42.

Tunis est ancienne, & le pays qui en dépend, répond à l'Afrique proconsulaire des Romains. Elle fut possédée par les Carthaginois, par les Romains, ensuite par les Vandales qui la saccagerent du tems de S. Augustin. Les Arabes mahométans releverent cette ville, & l'embellirent de plusieurs édifices, quoiqu'ils aient été depuis fixer leur demeure trente lieues plus loin dans le pays, où ils bâtirent Carvan.

Les Almohades devinrent alors maîtres de Tunis, dont ils furent dépossédés par Abu Férez, qui par ses conquêtes prit le titre glorieux de roi d'Afrique & de Tunis. Après la mort de son fils, les rois de Fez se rendirent si puissans, qu'ils se firent reconnoître pour souverains par tous les mahométans d'Afrique ; cependant les rois de Tunis se maintinrent dans leurs états jusqu'à Muley Hascen, qui en fut chassé par Barberousse II. lorsqu'il reprit cette ville sur les Espagnols en 1535.

Barberousse étoit un homme étonnant ; il mourut chargé d'années en 1547, après avoir ravagé à plusieurs reprises toutes les côtes d'Italie. A l'âge de 80 ans il s'occupoit encore à Constantinople à mettre sa flotte en mer, sans que son âge, la grosseur & la pesanteur de son corps eussent pu le guérir de l'amour des femmes.

En 1570, Aluch Ali, gouverneur d'Alger, s'empara de Tunis au nom du grand-seigneur ; mais quelque tems après dom Juan d'Autriche débusqua les turcs de cette place, & établit pour gouverneur de la ville Gabriel Villon, & Pedro Carrero eut le commandement de la Goulette. Enfin le sultan Amurat que l'agrandissement des Espagnols inquiétoit, équipa une flotte des plus formidables sous la conduite de l'amiral Ochiali, & leva une puissante armée de terre sous les ordres du bacha Sinan. Les Turcs emporterent de vive force la Goulette & la citadelle de la ville dont ils sont demeurés en possession depuis ce tems : ce qui mit fin au royaume de Tunis qui avoit duré trois cent soixante-dix ans.

C'est devant Tunis que S. Louis finit ses jours en 1270, à 56 ans. Aucun roi de France ne fit paroître plus de valeur, plus de justice & plus d'amour pour son peuple. Les statuts de ce prince pour le commerce, une nouvelle police établie par lui dans Paris, sa pragmatique sanction qui assura la discipline de l'église gallicane, l'érection de ses quatre grands bailliages auxquels ressortissoient les jugemens de ses vassaux, & qui paroissent être l'origine du parlement de Paris, ses réglemens & sa fidélité sur les monnoies ; tout indique que la France eût été florissante sous ce monarque, sans le funeste préjugé des croisades qui causa ses malheurs, & qui le fit mourir sur les sables d'Afrique. Voyez sa vie & son caractere au mot POISSY, Géog. mod. (D.J.)


TUNJA(Géog. mod.) ville de l'Amérique, dans la Terre-ferme, au nouveau royaume de Grenade, capitale de la province de même nom, sur le haut d'une montagne, à 20 lieues de Santa-Fé. Latit. 5. (D.J.)


TUNNOCELUM(Géog. anc.) ville de la grande Bretagne. Il en est parlé dans la notice des dignités de l'empire, sect. 63, où on lit, tribunus cohortis primae Aeliae classicae Tunnocelo. Cambden dit que c'est présentement Tinnmouth. (D.J.)


TUNQUIN LE(Géog. mod.) royaume d'Asie, dans les Indes. Il est borné au nord & au levant par la Chine, au midi par le golfe & le royaume de la Cochinchine, au couchant par le royaume de Laos.

Tunquin est un des plus considérables royaumes de l'Orient, par son étendue, par sa population, par sa fertilité & par les richesses du monarque qui le gouverne. On lui donne trois cent lieues de longueur, & cent cinquante de largeur. La plus grande partie de ce pays consiste en de spacieuses plaines, entourées de montagnes qui produisent de l'eau, des lacs, des étangs & des rivieres en abondance ; de-là vient qu'on y fait de grandes récoltes de riz, qui ne croît & ne parvient à sa maturité qu'à force d'eau.

Les Tunquinois sont en général de moyenne taille ; ils ont le teint basané comme les Indiens, mais avec cela la peau si belle & si unie, qu'on peut s'appercevoir du moindre changement qui arrive sur leur visage lorsqu'ils pâlissent ou qu'ils rougissent : ce qu'on ne peut pas reconnoître sur le visage des autres indiens. Ils ont communément le visage plat & ovale, le nez & les levres assez bien proportionnés, les cheveux noirs, longs & fort épais ; ils se rendent les dents aussi noires qu'il leur est possible. La chevelure noire, déliée & négligée est celle qu'ils estiment davantage ; mais leurs bonzes, qui sont leurs prêtres, se rasent la tête.

Le peuple va presque nud la plus grande partie de l'année. Les plus riches portent au lieu de chemise, une soutanelle de soie qui leur pend jusqu'aux genoux, & par-dessus une longue robe légere. Les bonzes portent par magnificence une sorte de pourpoint à rézeaux, & leurs femmes, au lieu de bonnet, ont une demi-mitre ornée tout-autour d'un rang de grains de verre ou de crystal, de différentes couleurs, enfilés avec quelque symmétrie.

Les maisons des Tunquinois sont toutes de bois & de chaume ; les cloisons sont de roseaux nommés bambu, goudronnés ensemble ; le plancher est de terre bien battue, & le toît est couvert de paille.

Tout est réglé chez les Tunquinois, comme chez les Chinois, jusqu'aux civilités qu'ils se doivent les uns aux autres ; il n'est pas permis de se présenter chaussé chez le roi ; il faut y aller piés nuds sans souliers ; lui seul se sert de pantoufles ; & son fils même, quand il va lui rendre visite, se déchausse à la porte, où il trouve un page avec de l'eau qui lui lave les piés. Il est encore défendu à qui que ce soit de se servir de son éventail en présence du roi ; & quoique la chaleur soit extrême, tout le monde met son éventail dans la manche, tenant ses mains en repos dans une des manches de sa robe, toutes deux couvertes & appliquées sur la poitrine.

Lorsqu'on entre dans la salle d'audience, avant que de joindre le roi pour le saluer, on est obligé de faire quatre génuflexions, les deux genoux en terre ; après la quatrieme on se leve, & joignant les mains avec les doigts entrelacés l'un dans l'autre, & couvertes des manches de la robe de dessus, on les porte en cette posture jusque sur la tête ; alors après une petite inclination qui est la derniere, on salue le monarque, en disant " vive le roi l'espace de deux mille ans ".

Lorsque les grands mandarins, après avoir eu audience, prennent congé de ce prince, ils sortent avec empressement de sa chambre, & s'en retournent chez eux en courant ; s'ils en usoient autrement, ce seroit une incivilité inexcusable. Au Tunquin, tous les mandarins civils & militaires sont eunuques, & c'étoit autrefois la même chose à la Chine pour les gouverneurs des villes.

On ne se sert point de sieges dans le Tunquin pour la conversation ; on s'y contente d'une natte que l'on étend sur la terre. Les personnes distinguées s'entretiennent sur une espece d'estrade élevée d'un pié & couverte d'une belle natte au lieu de tapis. Si quelqu'un de leur même condition leur rend visite, ils lui donnent place sur la même estrade, & s'il est inférieur, ils le font asseoir plus bas sur une natte double, la donnant simple aux personnes de médiocre condition, & ne laissant que la terre sans natte à ceux qui sont de la populace. Ils ne traitent jamais d'affaires en se promenant, mais toujours assis ou debout, sans remuer les mains. Si un tunquinois en rencontre un autre qui lui soit égal, il le salue, en disant, je me réjouis avec vous ; & s'il le regarde comme étant d'un rang au-dessus de lui, il lui donne la main gauche par honneur, pour lui témoigner que s'il se conserve la liberté de la droite, c'est pour le défendre contre ceux qui le voudroient insulter.

Leurs festins sont sur des tables rondes comme un tambour pour les gens de qualité, mais si basses que pour y manger commodément il faut être assis à terre, & avoir les jambes croisées. La chair de cheval ne leur déplait pas, non plus que celle du tigre, du chien, du chat, de la taupe, de la couleuvre, de la chauve-souris, de la civette & autres. Ils mangent indifféremment les oeufs des cannes, d'oies, de poules, sans s'embarrasser s'ils sont couvés ou frais. Ils sont fort sales dans leurs repas, & ne se lavent jamais les mains devant ni après, à cause que tout ce qu'on sert sur leurs tables, est coupé par morceaux, & que pour les prendre, ils ont deux petites baguettes d'ivoire ou de quelque espece de bois solide, de la longueur d'un demi-pié ; ils s'en servent au lieu de cuilleres & de fourchettes. C'est pour cela que l'on n'y voit ni serviettes, ni nappes, & qu'il leur suffit que leurs tables rondes soient peintes de ces beaux vernis rouges & noirs, que l'on tâche inutilement d'imiter ailleurs. Ils boivent beaucoup ; & quoique leur vin ne se fasse ordinairement que de riz, il est aussi violent que l'eau-de-vie.

Les procès sont examinés, comme à la Chine, dans différens tribunaux de mandarins ; mais les mandarins lettrés ont le pas sur ceux d'épée ; ils deviennent conseillers d'état, gouverneurs de province & ambassadeurs. Quoique l'on puisse appeller des grands tribunaux au tribunal de la cour, on en exclud ceux que des crimes énormes, comme l'assassinat, font condamner tout de suite à mort. La maison du mandarin supplée aux prisons publiques dans les provinces ; il s'y trouve des chaînes, des menottes, & d'autres semblables instrumens de fer.

Tous les supplices sont dans le Tunquin d'une barbarie recherchée, excepté pour les nobles qu'on se contente d'étrangler, parce que c'est dans ce pays-là le genre de mort le moins infame. On assomme les princes du sang d'un coup de massue de bois de santal qu'on leur décharge sur la tête.

Dans les maladies où le mal augmente malgré les remedes, on a recours au magicien qui invoque le secours du démon, en obligeant le malade de lui offrir des sacrifices, dont lui magicien prend toujours la premiere part. Lorsqu'il abandonne le malade, on s'adresse à quelque sorciere pour en avoir soin. Le malade étant mort, les parens approchent de son lit une table chargée de viandes suivant leurs facultés, & l'invitent à en manger avec eux. Ensuite les prêtres des idoles viennent réciter leurs prieres d'un ton si languissant & si rude, qu'on croiroit entendre des chiens qui hurlent. Enfin les devins indiquent l'heure & le lieu de l'ensevelissement.

La dépense en est incroyable pour les grands ; mais rien n'est au-dessus de la magnificence avec laquelle se font les obseques du roi de Tunquin ; tous les vassaux du royaume sont obligés de porter le deuil vingt-sept jours, avec défense de plaider, de faire des noces & des festins pendant tout le tems du deuil. Il est défendu de même pendant trois ans d'accompagner aucune fête même les plus solemnelles, d'instrumens, de chansons, de danses & de toutes marques de réjouissance.

Il y a dans ce royaume des mines d'or, d'argent & d'autres métaux ; mais le roi ne permet pas qu'on ouvre celles d'or. On tire du pays des soies, du musc, des bois de santal, d'aloës, &c. Les Hollandois y portent en échange de ces marchandises, des épiceries, des draps & d'autres étoffes.

Il est inutile d'entrer dans de plus grands détails sur ce royaume ; on peut consulter, mais avec une foi réservée, les lettres édifiantes & la relation du royaume de Tunquin donnée par le P. Marigni. (D.J.)


TUNTOBRIGA(Géog. anc.) ville de l'Espagne tarragonoise. Ptolémée, liv. II. ch. vj. la donne aux Callaïques bracariens, & l'on croit que c'est aujourd'hui le village de Bargua de Regoa, dans la province de Tra-los-montes en Portugal.


TUNUPOLONS. m. (Hist. nat. Ophiolog.) nom d'une petite espece de vipere des Indes orientales, connue principalement dans l'île de Ceylan ; sa peau imite le satin fin lustré, & richement ombré de brun. Rai, synops. animal.


TUNZA(Géog. mod.) petite riviere de la Turquie dans la Romanie. Elle se décharge dans l'Archipel près de la ville d'Eno, du côté de l'orient. Tunza est le nom moderne du fleuve Taenarum des anciens.


TUOLA(Géog. anc.) fleuve de l'île de Corse. Ptolémée, liv. III. c. ij. marque son embouchure sur la côte orientale de l'île, entre Tutela-Ara & la ville Mariana. C'est aujourd'hui le Golo. (D.J.)


TUPINAMBASLES, (Géog. mod.) nation de l'Amérique méridionale, autrefois dominante dans une partie du Brésil, aujourd'hui réduite à une poignée d'hommes, sous le nom de Topayos, sur le bord d'une grande riviere qui vient du Brésil, & se décharge dans l'Amazone.


TUPUTAS. m. (Hist. nat. Ornithol.) oiseau d'Amérique de la grosseur du faisan, & qui vit dans les broussailles. Le pere Nieremberg dit absurdement de cet oiseau, qu'il n'a point de chair, & que tout son corps n'est qu'un assemblage de vers vivans entre sa peau & ses os ; ce bon pere aura pris l'état maladif d'un de ces oiseaux pour être son état naturel, & ensuite il a exagéré cet état. (D.J.)


TURALA, (Géog. mod.) riviere de Sibérie dans l'empire russien. Elle a sa source dans cette partie du mont Caucase qui sépare la Sibérie de la Russie, à 59 degrés 30 minutes de latitude, au nord du royaume de Casan, & courant de-là à l'est-sud-est, elle va se joindre à la riviere de Tobol, à 57. 40. de latitude. Cette riviere est fort poissonneuse, & ses rives abondent en toutes sortes de gibier.


TURANOLE, (Géog. mod.) riviere d'Italie au royaume de Naples, dans l'Abruzze ultérieure. Elle a sa source près de Tagliacozzo, & va se jetter dans le Velino, un peu au-dessous de Rieti. On prend cette riviere pour le Telonus des anciens.


TURBA(Géog. anc.) ville d'Espagne, selon Tite-Live, l. XXXIII. c. lxjv. Ce pourroit bien être, dit la Martiniere, la même ville que Ptolémée, liv. II. c. vj. nomme Turbula, & qu'il donne aux Bastitans. (D.J.)


TURBANS. m. (Hist. mod.) c'est la coëffure de la plûpart des orientaux & des nations mahométanes. Il consiste en deux parties, savoir le bonnet & le bourlet ou la bande qui est de linge fin, ou de taffetas artistement plié & entortillé autour de la partie inférieure du bonnet.

Ce mot vient de l'arabe dar ou dur, dal ou dul, qui signifie entourer, & de bond ou bend, qui veut dire bande, bourlet, ou écharpe ; de sorte que durband ou turband ou tulbend, ne signifie autre chose qu'une écharpe, ou bande liée en rond, & c'est ce bourlet qui donne la dénomination à tout le turban.

Le bonnet est rouge ou verd, sans bord, tout uni, & plat par dessus, mais arrondi par les côtés, & piqué ou fourré de coton, mais il ne couvre point les oreilles, une longue piece de linge ou de coton très-fin l'enveloppe depuis le milieu de sa hauteur jusqu'à sa naissance sur le front, & forme une infinité de plis sur le bourlet.

Il y a beaucoup d'art à donner bon air au turban, & parmi les orientaux c'est un commerce ou une profession particuliere, comme est parmi nous la fabrique des chapeaux, ou plutôt le métier de coëffeuses.

Les émirs qui se prétendent de la race de Mahomet, portent leurs turbans tout-à-fait verds, & eux seuls parmi les turcs ont le privilege de l'avoir entierement de cette couleur, qui est celle du prophete. Ceux des autres turcs sont ordinairement rouges avec un bourlet blanc. Les gens de qualité, & ceux qui aiment la propreté sont obligés de changer souvent de turban.

M. de Tournefort remarque que le turban est à tous égards une coëffure très-commode, elle est même plus avantageuse à la guerre que nos chapeaux, parce qu'elle tombe moins facilement, & peut plus aisément parer un coup de tranchant.

Le turban du grand-seigneur est aussi gros qu'un boisseau, & les Turcs l'ont en si grande vénération qu'à peine osent-ils y toucher. Il est orné de trois aigrettes, enrichi de diamans & de pierres précieuses. Il y a un officier appellé tulbent-oglan, chargé expressément de le garder & d'en avoir soin. Le turban du grand-vizir n'a que deux aigrettes, aussi-bien que ceux de plusieurs officiers qui les portent plus petits les uns que les autres. Quelques-uns ne portent qu'une aigrette, d'autres n'en ont point du tout.

Le turban des officiers du divan est d'une forme particuliere, & on l'appelle mugenezek. Nous avons observé que le bourlet du turban des Turcs est de toile blanche, celui des Persans est de laine rouge & de taffetas blanc rayé de rouge, & ce sont-là les marques distinctives de la religion différente entre ces deux peuples. Voyez MANDIL.

Sophi roi de Perse, qui étoit de la secte d'Ali, fut le premier qui adopta cette couleur, pour se distinguer des turcs qui sont de la secte d'Omar, & que les Persans regardent comme des hérétiques. Voyez KINIBASCH.

TURBAN, (toilerie de coton) les turbans sont des toiles de coton rayées, bleues & blanches, qui se fabriquent en divers endroits des Indes orientales ; on leur donne ce nom parce qu'elles servent à couvrir ou faire l'habillement de tête qu'on nomme un turban. Elles sont propres pour le commerce de Guinée ; leur longueur n'est que de deux aunes sur une demi - aune de large. Leur véritable nom est des brauls. Dict. du Com. (D.J.)


TURBES. f. (Gramm. & Jurisp.) du latin turba, qui signifie troupe ou attroupement de personnes, d'où l'on a fait en françois turbe, & quelquefois tourbe, tourbiers.

La turbe, ou enquête par turbe, étoit une enquête que l'on faisoit anciennement pour constater quelque fait ou quelque usage ; on convoquoit les habitans d'un lieu, ou autres personnes, que l'on entendoit pour avoir leur avis ou témoignage sur ce qui faisoit l'objet de l'enquête, & leur avis ou déposition étoit rédigé collectivement, à la différence des enquêtes ordinaires où les témoins sont entendus séparément, & leur déposition rédigée de même. La confusion qui s'élevoit ordinairement dans l'assemblée des turbiers & les autres inconvéniens que l'on y a reconnus, ont fait que l'usage de ces sortes d'enquêtes a été abrogé par l'ordonnance de 1667.

A ces enquêtes ont succédé des actes de notoriété que l'on demande aux officiers d'un siege, aux avocats, procureurs ou autres personnes, selon la nature de l'affaire. Voyez ACTE DE NOTORIETE, ENQUETE, NOTORIETE. (A)

TURBE, s. f. (Hist. mod.) c'est ainsi que les Turcs nomment une espece de tour ou de colonne qu'ils élevent sur les tombeaux. On les laisse communément ouvertes par le haut ; cette ouverture sert à recevoir la pluie qui arrose les fleurs & les plantes odoriférantes dont ces tombeaux sont ornés, & l'on y met une grille de fer ou de cuivre pour empêcher les oiseaux d'y faire leurs nids ou de s'y loger. Voyez Cantemir, Hist. ottomane.


TURBIERS. m. (Gramm. & Jurisp.) étoit celui qui donnoit son avis ou déclaration dans une enquête par turbe. Voyez ci - devant ENQUETE & le mot TURBE. (A)


TURBINES. f. (terme de Menuisier) espece de jubé qui est élevé dans les églises, & où se placent pour chanter quelques religieux. On le dit aussi des lieux destinés pour les orgues & pour les choeurs de musiciens. (D.J.)


TURBINÉETURBINÉE

Les turbinées ne sont point si pointues que les vis ; ils ont le corps gros, la bouche large, & souvent très-allongée. De plus les coquillages turbinées ont cela de particulier, que les parties basses de leurs coquilles prennent le contour de la tête, & qu'elles remuent leurs couvertures, en-dedans très-égales & très-polies, en-dehors souvent très-raboteuses ; leur chair est moins attachée à la coquille que celle de tous les autres poissons ; elle n'y tient que par un point au sommet.

Les parties extérieures sont ordinairement composées d'une tête & de deux cornes qui se couchent & s'étendent seulement le long du museau. Ils portent par le même mouvement la nourriture en-dedans. Deux trompes semblables à celles des mouches leur tiennent lieu de langue ; ces trompes en ont la figure, & sont si fermes qu'elles percent de même que l'aiguillon des mouches, ce qu'il y a de plus dur. Leurs yeux sont de petits globes charnus placés à chaque côté de la tête ; mais qui n'ont pas plus d'effet que les yeux cachés de la taupe.

Il faut encore remarquer que les turbinées suivent assez le contour & les régularités de leurs couvertures ; leur corps devient raboteux, strié, cannelé sur l'extrêmité du contour ; il n'atteint jamais le sommet intérieur de leur vis ; quand ils sont âgés, cette partie se remplit d'une matiere pierreuse, pareille à celle qui a formé la coquille ; leurs muscles leur tiennent lieu d'ossemens, & au-lieu de sang ils ont une humeur baveuse. (D.J.)


TURBINITES(Hist. nat.) ce sont des coquilles univalves, longues & en volute, que l'on nomme aussi quelquefois strombites. Elles sont très-communes. On les appelle aussi volutites.


TURBITHS. m. (Botan. exot.) turbedh par les Arabes, & par les Grecs modernes ; c'est une racine des Indes orientales, ou l'écorce d'une racine séparée de sa moëlle ligneuse, desséchée, coupée en morceaux oblongs, de la grosseur du doigt, résineux, bruns ou gris en-dehors, blanchâtres en-dedans, d'un goût un peu âcre & qui cause des nausées.

On doit choisir celle qui est un peu résineuse, nouvelle, grise en-dehors, unie, non ridée, blanche en-dedans, non cariée, & qui n'est pas trop couverte en-dehors de gomme ou de résine ; car les imposteurs ont coutume de frotter à l'extérieur avec de la gomme ou de la résine, les morceaux de cette racine, afin qu'elle paroisse plus gommeuse.

La plante s'appelle convolvulus indicus, alatus, maximus, foliis ibisco non nihil similibus, angulosis, turbith officinarum, Hort. Lugd. Bat. turpethum repens, indicum, foliis althaeae, C. B. P.

Cette racine qui a plus d'un pouce d'épaisseur, se plonge dans la terre à trois ou quatre coudées en serpentant beaucoup : elle est ligneuse, partagée en quelques branches, couverte d'une écorce épaisse & brune ; cette écorce étant rompue, laisse échapper un suc laiteux, gluant, qui desséché devient une résine d'un jaune pâle, d'un goût douçâtre d'abord, ensuite piquant, & excitant des envies de vomir. Du collet de cette racine partent des tiges sarmenteuses, branchues, garnies de quatre feuillets membraneux, différemment entortillés, ligneuses à leur origine, de la grosseur du doigt, roussâtres, longues de six ou sept aunes ; quelques-unes sont couchées sur terre, & d'autres en s'élevant se lient par différentes circonvolutions aux arbres & aux arbrisseaux voisins.

Ces tiges portent des feuilles qui ont chacune une queue aîlée, & creusée en gouttiere ; elles sont assez semblables à celles de la guimauve, molles, couvertes d'un peu de duvet court & blanchâtre, anguleuses, crenelées sur leurs bords, & un peu pointues. De l'aisselle des feuilles qui se trouvent près de l'extrêmité des rameaux, naissent des pédicules plus longs que les queues des feuilles, plus fermes, qui ne sont point aîlés, ni creusés en gouttiere, & qui portent trois ou quatre têtes oblongues & pointues.

Chaque tête est un bouton de fleur dont le calice est composé de cinq petites feuilles vertes, panachées de rouge, duquel sort une fleur d'une seule piece, blanche, semblable pour la figure & la grandeur à celle du grand liseron ordinaire. L'intérieur de cette fleur est rempli de cinq étamines pâles, & d'un stile porté sur la tête de l'embryon. La fleur étant passée, l'embryon grossit, devient une capsule à trois loges, séparées par des cloisons membraneuses & remplies de graines noirâtres, arrondies sur le dos, anguleuses d'un autre côté, & de la grosseur d'un grain de poivre.

Cette plante pullule dans les lieux couverts, humides, sur le bord des fossés, derriere les buissons, & dans les autres endroits champêtres loin de la mer, dans l'île de Ceylan & le Malabar.

Pour en faire usage en médecine, on recueille les grosses racines pleines de lait & de beaucoup de résine ; les racines qu'on nous envoie sont tirées de Guzarate où il y en a une grande abondance.

Ce puissant hydragogue paroît avoir été inconnu à Dioscoride & aux anciens Grecs. Les arabes sont les premiers qui en ayent fait mention, quoiqu'ils semblent fort incertains sur son origine. Serapion a tellement ignoré cette origine, qu'il transcrit mot-pour-mot l'histoire du tripolium donnée par Dioscoride, à laquelle il joint ensuite celle qu'il a tirée des Arabes, qui ont décrit le vrai turbith. Il est cependant évident que le turbith des boutiques & des Arabes, n'est pas le tripolium de Dioscoride, parce que le turbith dont on use communément, n'a aucune odeur, & qu'il ne laisse pas une si grande âcreté après qu'on l'a goûté.

Avicenne, selon l'interprétation de Saumaise, écrit qu'on trouve dans les boutiques, sous le nom de turbith, des morceaux de bois, plus ou moins gros, apportés des Indes, gris, blancs, longs, unis en-dehors, creux en - dedans, comme des morceaux de roseau, faciles à broyer, & qui étant écrasés, ne laissent aucune nervure ; il est assez vraisemblable, par cette description, qu'Avicenne connoissoit le turbith des Indes, mais il ne dit rien de son origine. Selon Mesué, le turbith est la racine d'une plante qui a les feuilles de la férule, & qui est pleine de lait. Il établit deux turbiths, l'un sauvage, l'autre cultivé ; & parmi ces deux especes, il distingue le grand, le petit, le blanc, le jaune & le noir ; mais nous ne connoissons point toutes ces différentes especes de turbith. Mesué confond le turbith indien avec les autres racines des plantes férulacées.

Actuarius nomme deux sortes de turbith, l'un noir, & l'autre blanc, que quelques-uns croient être l'alypum de Dioscoride ; quelques modernes ont prétendu que le tithymale myriéniste est le turbith des Arabes ; d'autres la scammonée d'Antioche ; d'autres les différentes especes de thapsie. Enfin Garzias a trouvé dans l'orient la racine qu'on emploie tous les jours dans les boutiques pour le véritable turbith, & il en a découvert l'origine ; ensuite le fameux Herman, qui a rendu des grands services à la Botanique, a décrit très-exactement cette plante dans son catalogue des simples du jardin de Leyde ; c'est aussi sa description que nous avons empruntée.

Le turbith est regardé comme un cathartique efficace dans la paralysie, l'hydropisie & autres maladies chroniques qui dépendent d'une surabondance d'humeurs épaisses & gluantes ; on le donne alors en substance depuis quinze grains jusqu'à une drachme, & en infusion depuis une drachme jusqu'à trois. Cependant c'est un remede suspect, parce qu'il excite des coliques, qu'il agite l'estomac, & qu'il atténue le corps par son action ; on tâche en vain d'y remédier par des aromatiques & des stomachiques, on diminue par-là la force du remede, sans corriger ses effets ; on n'est guere plus avancé en le mêlant avec d'autres purgatifs ; mais ceux-là sont encore moins sages qui l'ont banni de la pratique médicinale, pour lui substituer les racines de certaines plantes dangereuses, telles que sont le laserpitium foliis lobatis de Morisson, qui est le thapsia offic. apium pyrenaicum thapsiae facie, I. R. H. thapsia, sive turbith garganicum, semine latissimo, J. B. & semblables. Il est fou d'employer ces sortes de racines qui enflamment par leur âcreté la gorge, l'estomac, les intestins, & qui sont des purgatifs beaucoup plus violens que le turbith dont on peut du - moins tempérer l'action avec sûreté. (D.J.)

TURBITH bâtard, (Botan.) c'est la même plante que la thapsie. Voyez THAPSIE. (D.J.)

TURBITH minéral, (Chymie & Mat. méd.) cette préparation chymique destinée à l'usage médicinal, est aussi connue sous le nom de précipité jaune, & elle est un sel neutre formé par l'union de l'acide vitriolique & du mercure, vraisemblablement au point de saturation. Voyez MERCURE Chymie, RCURE Mat Mat. méd. (b)


TURBOTRHOMBE, ROMBO, BERTONEAU, s. m. (Hist. nat. Ichthyolog.) rhombus ; poisson de mer plat, dont Rondelet décrit deux especes ; il nomme la premiere turbot piquant, parce qu'il a des aiguillons ; & la seconde turbot sans piquans, parce qu'il est lisse.

Le turbot piquant a la figure d'un lozange ; il est plat, il reste sur les côtés, il a des aiguillons sur toute la face supérieure du corps, & principalement sur la tête ; cette face entiere est brune & a une ligne noire qui s'étend depuis la tête jusqu'à la queue ; la face inférieure est blanche ; les nageoires sont noires en-dessus & blanches en-dessous ; la bouche est grande & dépourvue de dents ; il y a deux barbillons à la mâchoire inférieure ; le corps est bordé de chaque côté par une nageoire qui s'étend jusqu'à la queue ; elle a plus de hauteur au milieu de sa longueur qu'aux extrêmités. Ce poisson est fort goulu, il se nourrit d'autres poissons & principalement de crabes ; sa chair est un peu dure & cassante, c'est un mets très-délicat. Les turbots de l'Océan sont plus grands que ceux de la Méditerranée ; on en pêche qui ont jusqu'à cinq coudées de longueur, quatre de largeur, & un pié d'épaisseur.

Le turbot sans piquans ne differe du précédent qu'en ce qu'il n'a point du tout d'aiguillons, & qu'il est plus large & plus mince : on lui a donné le nom de barbut, dans plusieurs provinces de France, & celui de pansar en Languedoc. Voyez BARBUT. Rondelet, hist. nat. des poissons, premiere partie, liv. XI. c. j. & xj. Voyez POISSON.

TURBOT, (Littérat.) Juvenal, sat. 4. nous a laissé la description très-vive & très - satyrique d'une séance de conseil, qui fut tenue dans le château d'Albe, au sujet d'un turbot monstrueux, dont on avoit fait présent à Domitien. Falloit-il couper ce poisson, ou le faire cuire tout entier ? c'est le sujet de la délibération ; il fut conclu que l'on feroit sur le champ un vase de terre assez grand pour le contenir, & qu'il y auroit désormais des potiers à la suite de la cour. Heureux les Romains, si dans le conseil de l'empereur on n'eût décidé que des questions de cette espece ! mais on y condamnoit à mort les plus illustres citoyens, ou l'on y prenoit la résolution de les faire condamner par le sénat. Le château d'Albe, dit Tacite, étoit regardé comme la citadelle du tyran (Domitien). La Bletterie, sur Tacite. (D.J.)


TURCAE(Géog. anc.) peuples qui habitoient aux environs des Palus Méotides, selon Pomponius Méla, l. I. c. xix. & Pline, l. VI. c. vij. Dans l'histoire Miscellanée, ils sont placés au voisinage des portes caspiennes. Les Huns, dit Eustathe, sont appellés Turcae par les Perses. Il y en a qui veulent que ces peuples soient les Cyrtii de Strabon. On convient assez généralement qu'ils tiroient leur origine des Scythes qui habitoient les monts Caucase, entre le pont Euxin & la mer Caspienne. Si nous nous en rapportons à Chalcondyle, leur nom signifie des hommes qui menent une vie champêtre. Ainsi ce pourroit être là l'origine du nom des Turcs & des Turckmanns. (D.J.)


TURCIES. f. (Archit. hydraul.) espece de digue ou de levée en forme de quai, pour résister aux inondations. On disoit autrefois turgie, du latin turgere, enfler, parce que l'effet de la turcie est d'empêcher le débordement des eaux enflées. (D.J.)


TURCKHEIM(Géog. mod.) petite ville de France, dans la haute Alsace, près de Colmar. Elle étoit libre dans son origine. L'électeur palatin l'a possédée par engagement, ensuite les archiducs d'Autriche ; enfin elle fut cédée à la France en 1648, & M. de Turenne remporta sous ses murs une grande victoire sur les impériaux, en 1675. (D.J.)


TURCKMANNSLES, (Géog. mod.) peuple d'Asie, issus des anciens habitans du pays de Turquestan, qui quitterent leur pays natal vers le onzieme siecle, dans l'intention de chercher fortune ailleurs. Ils se partagerent en deux branches ; les uns passerent au nord de la mer Caspienne, & vinrent occuper la partie occidentale de l'Arménie, qu'on appelle encore présentement le pays des Turcomanns, & les peuples qui l'habitent Turckmanns occidentaux. Les autres tournerent tout droit au sud, & vinrent s'établir vers les bords de la riviere d'Amu, & vers le rivage de la mer Caspienne, où ils occupent encore un grand nombre de bourgades & de villages dans le pays d'Astrabath, & dans celui de Charass'm. Ce sont là les Turckmanns orientaux.

Les descendans des Turckmanns occidentaux se rendirent fort puissans dans les siecles passés, & furent même pendant quelque tems les maîtres de la Perse, mais depuis que les sophis se sont emparés de ce trône, & que les Turcs se sont rendus maîtres de tout le pays qui est à l'occident du Tigre, les Turckmanns occidentaux ont perdu leur puissance, & une partie de leur liberté ; ils occupent encore à l'heure qu'il est les plus belles campagnes aux environs de l'Euphrate.

Ils n'ont aucune demeure fixe, vivent sous des tentes d'un gros feutre, & ne subsistent absolument que de leur bétail, dont ils ont des troupeaux sans nombre ; ils sont d'une taille haute, ont le teint basané ; mais le sexe chez eux a le sang assez beau. En hiver ils portent de longues robes de peaux de brebis, & dans l'été des vestes de toile de coton, à la façon des caftans des Turcs. Ils professent grossierement le mahométisme, & ont leurs chefs particuliers auxquels ils obéissent. Ils sont souvent aux prises avec les Curdes, leurs voisins à l'orient, & avec les Arabes qui confinent avec eux au sud, parce que ces deux nations voisines viennent fréquemment écorner leurs troupeaux, & enlever leurs femmes & leurs filles.

Les Turckmanns orientaux sont plus basanés que les occidentaux, & ressemblent davantage aux Tartares. Ceux d'entr'eux qui sont établis dans le pays d'Astrabath, suivent pour la plûpart la secte d'Ali, & ceux qui habitent dans le pays de Charass'm, se conforment aux pratiques des Tartares Osbeck, sur la religion ; cependant les uns & les autres s'en mettent fort peu en peine, outre qu'ils sont braves & remuans. Le chef de chaque tribu jouit chez eux des mêmes prérogatives que chez les autres Tartares. Les Turckmanns tant occidentaux qu'orientaux, peuvent armer quarante à quarante-cinq mille hommes.


TURCOCHORI(Géog. mod.) lieu de la Livadie, au nord du mont Parnasse, & où il y a un kan. Avant que d'arriver à Turcochori, en venant de Livadia, on passe trois rivieres qui se joignent & se rendent dans le marais Copaïde, appellé présentement étang de Livadia, ou de Topoglia. Une de ces rivieres est le Cephissus qui prenoit sa source vers Lilaea ; ces rivieres arrosoient le territoire d'Elatée, dont il ne reste pas même le nom. Turcochori paroît néanmoins avoir été anciennement quelque chose d'assez considérable ; car on y voit beaucoup de fragmens, de colonnes, & de marbres antiques. Ce lieu n'est presque habité que par des Turcs qui y ont une mosquée, & il y a hors du village une chapelle pour les Grecs. (D.J.)


TURCOPOLIERS. m. (Hist. de Malthe) dignité dans l'ordre de Malthe, qui ne subsiste plus depuis que l'Angleterre a secoué le joug de Rome. Avant ce tems-là, le turcopolier étoit le chef de cette langue. Il avoit en cette qualité le commandement de la cavalerie & des gardes de la marine. Turcopoli signifioit anciennement dans le levant un chevau-léger ; aujourd'hui les fonctions de turcopolier sont déférées en partie au sénéchal du grand-maître. (D.J.)


TURCS MOIS DE(Calendrier des Turcs) l'année des Turcs (car on a oublié d'en parler ailleurs), est de trois cent cinquante-quatre jours, partagés en douze lunes ou mois, lesquels ne commencent qu'à la nouvelle lune ; ces mois sont alternativement l'un de trente jours & l'autre de vingt-neuf. Le premier qui est de trente jours, s'appelle muharem ; le second sefer, & n'est que de vingt-neuf jours ; le troisieme rebiulleuvel ; le quatrieme rebiul-ahhir ; le cinquieme giama-zillemul ; le sixieme giamazil-ahhir ; le septieme regeb ; le huitieme chaban ; le neuvieme ramazan ou ramadan ; le dixieme chuval ; le onzieme zoulcadé ; le douzieme zoulhigé. Ces mois ne suivent pas le cours des saisons, parce qu'ils ne s'accordent pas avec le cours du soleil, & les années turques sont plus courtes de onze jours que les nôtres : ainsi leur ramazan ou carême, qui prend le nom du mois où il se trouve, remonte tous les ans de pareil nombre de jours ; delà vient qu'il parcourt à la longue toutes les saisons. Voyez RAMAZAN. (D.J.)


TURDÉTAINSLES, (Géogr. anc.) Turdetani, peuples d'Espagne. Leur pays, selon Strabon, l. III. p. 139. s'appelloit Bétique, du nom du fleuve Bétis qui l'arrosoit, & on le nommoit aussi Turdetanie, du nom des peuples qui l'habitoient. Strabon dit encore que les habitans s'appelloient Turdetani & Turduli, dont quelques-uns ne faisoient qu'un seul peuple ; mais que d'autres distinguoient les Turdetani des Turduli, & que Polybe entr'autres mettoit les Turdetani au nord des Turduli. Du tems de Strabon les Turdétains & les Turdules, étoient regardés comme le même peuple, & il ne paroissoit aucune distinction entr'eux.

Les Turdétains étoient regardés pour être les plus savans & les plus éclairés d'entre les Espagnols ; ils avoient dans leur langue d'anciennes histoires & des loix écrites en vers ; aussi passoient-ils pour les plus polis de toute la contrée, à cause du commerce qu'ils avoient avec les étrangers, & particulierement avec les Phéniciens. Ceux-ci, lorsqu'ils y aborderent la premiere fois, trouverent l'argent si commun parmi les Turdétains, que tous les ustensiles de ce peuple étoient de ce métal. Les Phéniciens leur donnerent de petites bagatelles de clinquaillerie contre leurs métaux, & ils faisoient dans cet échange un gain prodigieux.

On dit que cette abondance d'argent si surprenante de la Bétique, venoit d'un embrasement des Pyrénées, arrivé un peu avant que les Phéniciens connussent l'Espagne. Des bergers avoient mis le feu à une forêt des montagnes, qui s'étoit répandu partout avec une si grande force, qu'il avoit consumé les arbres jusqu'à la racine, & fondu les minieres qui étoient cachées dans la terre.

On croit que les Phéniciens ayant fait alliance avec les Hébreux, du tems d'Hiram, roi de Tyr, ami de David & de Salomon, leur découvrirent les richesses de l'Espagne, & que dans la suite les rois d'Israël & de Juda y envoyoient de tems - en - tems des flottes. L'Ecriture appelle ce pays Tharsis, du nom de l'une de ses principales villes qui étoit près de la mer & entre les deux bras du Boetis, ou du Guadalquivir. C'est là où se faisoit le plus grand commerce.

Les Turdétains, dit Strabon, l. III. c. cxxxix. & suiv. étoient civilisés, & quand ils furent sous l'obéissance des Romains, ils prirent les moeurs de leurs vainqueurs, & oublierent leur propre langage, tant ils aimerent celui des Romains. Leur province surpassoit les autres, non-seulement en richesses, mais en honnêteté. On portoit de leur pays dans le reste de l'Espagne, quantité de froment, de vin & d'huile, des pois, du miel, de la cire, du safran, & même on emportoit de-là à Rome une grande quantité de vermillon & de laines très-fines. (D.J.)


TURDÉTANIENou TURDULIENS, s. m. pl. (Hist. anc.) peuples qui du tems des Romains habitoient en Espagne, la Bétique ou Andalousie, & une partie de la Lusitanie ou du Portugal.


TURDULESLES, (Géog. anc.) Turduli. Il y a eu anciennement plusieurs peuples de ce nom en Espagne. Pline, l. III. c. j. dans un endroit, dit que les Turdules habitoient la Lusitanie, & l'Espagne tarragonoise ; & dans un autre endroit il les met seulement dans la Lusitanie. Selon Strabon, liv. III. c. cxxxix. les Turdules étoient les mêmes que les Turdétains, & habitoient la Bétique. Ptolémée fait deux peuples des Turdétains & des Turdules, & il indique comment se divisoit leur pays. (D.J.)


TURENNE(Géog. mod.) petite ville de France dans le Bas-Limousin, à deux lieues de Brive, & à quatre de Tulle, avec titre de vicomté & un château. Cette vicomté, qui a huit lieues de long sur sept de large, a long-tems appartenu en toute souveraineté à la maison de Bouillon, & finalement a été vendue en 1738 au roi, qui l'a réunie à la couronne. Long. 19. 17. latit. 45. 10. (D.J.)


TURFAN(Géog. mod.) ville de la grande Tartarie, au royaume de Cialis sur la route de Casgar à la grande muraille de la Chine, entre Cialis & Camul. Long. 113. 7. latit. 39. 43. (D.J.)


TURIA(Géog. anc.) 1°. riviere d'Espagne, selon Salluste, qui dit qu'elle arrosoit la ville de Valence. C'est par conséquent aujourd'hui le Guadalaviar & non le Guadalquivir, comme le veut M. Corneille.

2°. Turia, riviere ou ruisseau d'Italie. Ce ruisseau n'est guere connu que de Silius Italicus, l. XIII. v. 5. qui en parle ainsi :

.... Nulla toedens ubi gramina ripae

Turia deducit tenuem sine nomine rivum,

Et tacitè Tuscis inglorius affluit undis.

On croit cependant que c'est la même riviere que Tite-Live, l. XXVI. c. xj. met à six milles de Rome ; mais Sigonius & Gronovius, au lieu de ad Turiam fluvium, lisent ad Tutiam fluvium. (D.J.)


TURIASO(Géog. anc.) & TURIANO, selon Pline, ville de l'Espagne-tarragonoise. Ptolémée, l. II. c. vj. la donne aux Celtibères. C'est aujourd'hui Taraçona ou Tarazona. (D.J.)


TURIN(Géog. mod.) ville d'Italie, capitale du Piémont, dans une agréable plaine au confluent du Pô & de la Doria-Riparia, à 36 lieues au sud-est de Chamberi, à 27 au nord-est de Gènes, à 30 au sud-est de Milan, & à 157 au sud-est de Paris. On compte dans Turin dix églises paroissiales, & un grand nombre de couvens de l'un & de l'autre sexe. L'église du couvent des capucins est peut-être la plus magnifique que ces religieux aient en Europe.

Cette ville étoit évêché dès l'an 380, & fut érigée en métropole par Sixte IV, ce qui fut confirmé par LÉon X. l'an 1215. Ses suffragans sont, Yvrée, Salusses, Trossano & Mondovi ; le chapitre est composé de vingt-cinq chanoines, dont cinq sont les premieres dignités.

L'académie de Turin a été fondée en 1505. On y enseigne la Théologie, le Droit, les Mathématiques & la Médecine. Les jésuites y ont un college, mais ils ne peuvent enseigner publiquement. Long. suivant Cassini, 25. 11. 30. latit. 44. 50.

Turin prit le nom de ses peuples appellés Taurini par Pline, l. III. c. 17. Ils descendoient des Liguriens, & pouvoient avoir tiré eux-mêmes leur nom du taureau qui étoit dans leurs enseignes. Annibal ruina cette ville parce qu'elle avoit refusé de s'allier avec lui ; & comme c'étoit la place la plus forte de ce quartier, sa ruine jetta une telle crainte dans l'esprit des peuples voisins, qu'ils se soumirent d'abord que ce général parut. Jules-César y établit une colonie romaine, & l'appella Colonia Julia. Auguste par vanité changea ce nom en celui de Taurinorum Augusta, nom sous lequel Ptolémée, Pline & autres l'ont connue. On a d'anciennes inscriptions où il est parlé de cette ville sous deux noms : Julia Augusta Taurinorum. Jupiter custos Augustae Taurinorum. P. Rutilius Aug. Taurinorum proconsul. On peut consulter sur les antiquités de Turin Marmora taurinensia, Taurini 2 vol. in -4°.

Après que Turin eut été long-tems soumise aux Romains, elle tomba dans la décadence de l'empire sous la puissance des Barbares, qui ravagerent l'Italie. Les Goths, les Huns, les Erules & les Bourguignons, la posséderent successivement. Elle appartint aux Lombards, lorsque ceux-ci s'emparerent de la Gaule-cisalpine ; & elle fut la capitale d'un des quatre duchés qui composerent le royaume de Lombardie. Quelques-uns de ces ducs devinrent rois d'Italie, entre autres le duc Agilulphe, qui conjointement avec sa femme Théodélinde, fit bâtir l'église cathédrale sous l'invocation de saint Jean-Baptiste, & la dota richement.

Lorsque Charlemagne eut détruit le royaume des Lombards en Italie, il paroît qu'il établit le marquis de Suze à Turin, pour y garder le passage des Alpes, & pour contenir les peuples voisins dans l'obéissance. Les successeurs de Charlemagne leur ayant continué la même charge, les marquis de Suze se la rendirent héréditaire, & devinrent maîtres dans Turin, en qualité de feudataires de l'Empire. Ce pouvoir subsista jusqu'à ce que Ulric Mainfroi, le dernier des marquis de Suze, étant mort vers l'an 1032, la ville de Turin passa sous la puissance des comtes de Savoye, par le mariage d'Adélaïde, fille d'Ulric Mainfroi, avec Oddon, comte de Maurienne & de Savoye : leurs descendans en ont toujours joui depuis, excepté durant quelques tems de troubles.

Les François prirent Turin en 1536, sous Charles-le-Bon, & ne la rendirent qu'à la paix de 1562, au duc Philibert, qui la choisit pour sa résidence, & qui en fit la capitale de ses états. Le comte d'Harcourt la prit encore en 1640 ; on vit à ce siége une chose fort extraordinaire, savoir la citadelle assiégée par le prince Thomas, maître de la ville, la ville assiégée par le comte d'Harcourt, & le comte d'Harcourt assiégé lui-même dans son camp par le marquis de Leganez. Dans la guerre du commencement de ce siecle, le duc de la Feuillade ouvrit la tranchée devant cette ville le 3 Juin 1706 ; mais le prince Eugene, après une longue & pénible marche, força les lignes des François, s'empara de leur artillerie, & fit lever le siége.

Le duc Philibert avoit fortifié Turin ; mais le duc Charles Emanuel I. rendit sa capitale digne du nom d'Auguste qu'elle porte ; il en aggrandit l'enceinte, & prit soin de l'orner au-dedans d'édifices magnifiques, & d'ouvrages au-dehors propres à sa défense : le palais ayant été brûlé en grande partie l'an 1659, Charles Emanuel II. le répara, l'embellit, & l'augmenta considérablement.

Rien n'est plus riant que les avenues & la situation de Turin. Elle l'emporte à ces deux égards sur presque toutes les villes d'Italie, aussi bien que par la beauté de ses bâtimens uniformes, de ses places, & de ses rues tirées au cordeau ; il est vrai que son pavé est mauvais, mais par le moyen d'une riviere qui coule dans le plus haut quartier de la ville, on peut jetter un petit ruisseau dans toutes les rues, & balayer toutes les ordures : le directeur ouvre l'écluse toutes les nuits, & distribue l'eau à volonté dans tous les quartiers de la ville. (D.J.)

TURIN, province de, (Géog. mod.) en latin Taurinensis ager ; province particuliere du Piémont ; c'étoit un duché du tems des Lombards, qui avoit son duc particulier qui résidoit à Turin, selon Paul Diacre. (D.J.)


TURIVA(Géog. anc.) satrapie des Bactriens. Les Grecs, dit Strabon, l. XI. p. 117. s'étant rendus maîtres de la Bactriane, la diviserent en satrapies, du nombre desquelles l'Asponie & la Turive leur furent enlevées par les Parthes eucratides. (D.J.)


TURLOTTES. f. (Pêche) est le nom que l'on donne à une sorte de pêche, qui est la même que la pêche à la ligne. Pour faire cette pêche, il est essentiel de savoir la maniere d'enfiler l'hameçon dont on veut se servir, & d'attacher l'amorce. Pour cela, il faut avoir un hameçon & un bout de fil-d'archal jaune, de la grosseur d'une fine épingle, qu'on plie en deux, & qu'on tortille de maniere qu'il fasse un petit chaînon, au bout duquel on laissera un petit anneau. A l'égard des deux bouts du fil d'archal qui resteront du chaînon, on doit les attacher à la queue de l'hameçon avec de la soie ou du fil, ensorte que ce qui sera attaché ne descende pas plus bas que l'endroit vis-à-vis le crochet de l'hameçon. Cela fait, il faut faire un cornet d'un gros carton, ou si l'on veut de terre à potier, dont le dedans ne soit pas plus large que la grosseur d'un tuyau d'une grosse plume à écrire, & de la longueur environ d'un petit doigt ; ensuite passer à-travers du cornet l'hameçon attaché au fil d'archal, puis faire ensorte que toute la queue de l'hameçon de puis l'endroit vis-à-vis le crochet, & environ la longueur d'un travers de doigt du chaînon, soit cachée dans le cornet, & emplir ledit cornet de plomb fondu, en tenant l'hameçon par le bout du chaînon, afin que ce qui doit être enchassé se trouve dans le milieu, & enveloppé également partout, après quoi on arrondit les deux extrêmités du plomb. L'hameçon ainsi accommodé, il faut avoir un fer de la longueur de quatre pouces ou environ, qui soit fait de maniere qu'on puisse faire entrer dans la queue le bout d'un bâton de la longueur d'une canne, & qu'il y ait au bout un petit anneau par lequel il soit aisé de faire passer la ficelle, & la ligne sera faite. Pour pêcher on prend un petit poisson, on lui passe le chaînon dans la gueule & dans le corps, par l'anneau qui ressortira par l'endroit par lequel le poisson rend son excrément, & on fait ensorte que ce poisson avale tout ce qui est couvert de plomb ; ensuite on tourne la pointe de l'hameçon du côté de l'ouie, & on attache le poisson avec du fil en trois endroits, savoir au-dessus des ouies, au milieu du corps, & au-dessus de la queue. L'amorce ainsi disposée, on passe par l'anneau de fer le bout de la ficelle dont il faut avoir dix ou douze brasses entortillées autour d'un morceau de bois, & on attache cette ficelle à l'anneau du chaînon, ce qui acheve la ligne dont on doit se servir : en voici l'usage.

On tient de la main droite le bâton, & de la main gauche le paquet de ficelle qu'on détortille autant qu'il est nécessaire pour jetter dans la riviere l'amorce, qu'il faut laisser aller à fond, & la faire sautiller en secouant la ligne par sauts ; & lorsque le brochet donne sur l'amorce, on doit la lui laisser prendre & emporter, & lui fournir de la ficelle jusqu'à ce qu'il soit arrêté. Il faut lui donner le tems d'avaler le goujon, & ensuite le sonder doucement en retirant la ligne ; & si l'on sent de la résistance, c'est signe que le brochet n'a pas abandonné l'appât : alors on retire en donnant un petit saut à la ligne par le mouvement du bâton, pour enferrer le brochet que l'on ramene ensuite aisément à bord, en retirant la ligne peu-à-peu : cette façon de ligne est excellente pour pêcher le brochet.


TURLUPINADES. f. (Abus des langues) une turlupinade est une équivoque insipide, une mauvaise pointe, une plaisanterie basse & fade prise de l'abus des mots. Voyez JEU DE MOTS, ÉQUIVOQUE, POINTE, QUOLIBET.

Malgré notre juste mépris des turlupinades, je n'approuverois pas ces esprits précieux que ces sortes de pointes dans la société irritent sans-cesse, lors même qu'on les dit par hasard, & qu'on les donne pour ce qu'elles sont. Il ne faut pas toujours vouloir resserrer la joie de ses amis dans les bornes d'un raisonnement sévere ; mais je ne saurois blâmer un homme d'esprit qui releve finement la sottise de ces turlupins, dont tous les discours ne sont qu'une enchaînure de pointes triviales, & de vaines subtilités. On se trompe fort de croire qu'on ne sauroit éviter les quolibets & les fades plaisanteries, sans une grande attention à tout ce que l'on dit. Quand, dès sa jeunesse, on a tâché de donner un bon tour à son esprit, on contracte une aussi grande facilité à badiner judicieusement, que ceux qui se sont habitués aux plaisanteries insipides, en ont à railler sans délicatesse & sans bon sens. (D.J.)


TURLUPINSS. m. pl. (Hist. ecclés.) secte d'hérétiques ou plutôt de libertins, qui faisoient publiquement profession d'impudence, soutenant qu'on ne devoit avoir honte de rien de ce qui est naturel, & par conséquent l'ouvrage de Dieu ; aussi ils alloient nuds par les rues, & avoient commerce avec les femmes publiquement, comme les anciens cyniques.

Ils se nommoient la société des pauvres, & se répandirent en Angleterre & en France sur la fin du xiv. siecle. Quelques-uns disent qu'on leur avoit donné le nom de turlupins, parce qu'ils n'habitoient d'autres lieux que ceux qui pouvoient être également habités par des loups. Voyez ADAMITES.

Cependant ils oserent s'établir à Paris, & y dogmatiser sous le regne de Charles V. On y en brûla plusieurs avec leurs livres, ainsi que le rapportent Guaguin dans la vie de ce prince, & du Tillet dans sa chronique de France sous Charles V.


TURMES. f. (Art milit.) c'étoit chez les Romains, un petit corps de cavalerie, de trente jusqu'à trente-deux maîtres, rangés sur quatre de hauteur. (Q)


TURNEREturnera, s. f. (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleur monopétale, en forme d'entonnoir & profondément découpée ; le calice de cette fleur a deux cornes : le pistil sort de ce calice ; il est attaché comme un clou à la partie inférieure de cette fleur, & il devient dans la suite un fruit presque rond, ou en forme de toupie, qui s'ouvre en trois parties, & qui renferme des semences arrondies, & attachées à de petits filamens ou à un placenta. Plumier, nova plant. amer. genera. Voyez PLANTE.

Miller en compte deux especes ; la premiere, turnera frutescens ulmifolia ; la seconde, turnera frutescens folio longiore & mucronato.

Ces plantes sont toutes deux originaires des contrées chaudes de l'Amérique. La premiere espece a été trouvée par le P. Plumier à la Martinique, & a pris son nom de turnera, de celui du docteur Turner, médecin anglois qui vivoit sous le regne de la reine Elisabeth, & qui a mis au jour un herbier, où il décrit sur-tout les plantes d'usage.

L'autre espece a été découverte par M. Hans-Sloane, chevalier baronet, qui l'a dessinée dans son histoire naturelle de la Jamaïque, sous le nom de cistus urticae folio, flore luteo, vasculis trigonis. Mais ces deux sortes ont été observées par le docteur Guillaume Houstoun, dans plusieurs parties de l'Amérique. (D.J.)


TURNHOUT(Géog. mod.) ou TOURHOUT, petite ville des Pays-bas, dans la Campine, avec seigneurie & une collégiale, dont le chapitre fut fondé en 1398, par Marie de Brabant, duchesse de Gueldres. Turnhout a été bâtie par Henri IV. duc de Brabant, vers l'an 1212. Les Espagnols furent taillés en pieces près de cette ville en 1596, par le prince Maurice de Nassau. Le quartier de Turnhout est de la dépendance de la ville d'Anvers, & comprend quinze villages. Long. 22. 37. lat. 51. 14. 30.

Dridoens (Jean), en latin Driedus, théologien du xvj. siecle, étoit natif de Turnhout, & mourut dans sa patrie en 1535. Ses ouvrages théologiques, écrits en latin, ont été imprimés plusieurs fois à Louvain, en 4 vol. in-fol. & in -4°. mais on ne les recherche plus aujourd'hui. (D.J.)


TUROBRICA(Géog. anc.) ville de l'Espagne bétique, selon Pline, l. III. c. 1. on croit qu'elle étoit au voisinage d'Alcantara.


TURONES(Géog. anc.) ou TURONI, anciens peuples de la Gaule, sur le bord de la Loire. César, l. VIII. c. xlvj. dit qu'il mit deux légions in Treveris, ad fines Carnutum, ut omnem regionem conjunctam Oceano continerent. Il faut lire, comme lisent effectivement les meilleures éditions, Turonis, c'est-à-dire dans le pays des Turoni, voisins des Chartrains d'un côté, & de l'autre voisins des cités Armoriques ou maritimes. Lucain, l. I. v. 437. leur donne l'épithete d'instabiles :

Instabiles Turonos circumsita castra coercent.

Ils avoient une ville que Ptolémée appelle Caesarodunum, mais qui prit dans la suite le nom du peuple ; car Sulpice Sévere, dialog. III. c. viij. & Grégoire de Tours, l. X. c. xxix. la nomment Turoni. Les Turoni sont les peuples du diocèse de Tours. Voyez TOURS. (D.J.)


TURQUESTAN(Géog. mod.) ou TURKESTAN, grand pays d'Asie. Il est borné au nord par la riviere de Jemba ; à l'est par les états du Contaisch, grand chan des Callmoucks ; au sud par le pays de Charass'm, & la grande Boucharie ; à l'ouest par la mer Caspienne. Il peut avoir environ 70 lieues d'Allemagne de longueur, & un peu moins en largeur ; mais ses limites étoient beaucoup plus étendues avant que Gingis-chan se fût rendu le maître de toute la grande Tartarie. Le Turquestan dans son état actuel, est partagé entre deux chans de Tartares, tous deux mahométans ainsi que leurs sujets. Le fleuve Sihon traverse tout le pays du sud-ouest au nord-ouest. La capitale se nomme aussi Turquestan. Long. 72-77. lat. 42. 46. (D.J.)

TURQUESTAN ou TURKESTAN, (Géog. mod.) ville d'Asie, capitale du pays de même nom, sur le fleuve Sirr. Elle est la résidence d'un chan des Tartares pendant l'hiver, quoique ce ne soit qu'un méchant trou. Long. 74. 25. latit. 45. 30. (D.J.)


TURQUETTE(Botan.) c'est le nom vulgaire de la plante que les botanistes appellent herniaria. Voyez HERNIAIRE ou HERNIOLE, Botan. (D.J.)


TURQUIETURQUIE

TURQUIE pierre de, (Hist. nat.) cos turcica, nom donné par quelques naturalistes à une pierre à aiguiser, d'un blanc grisâtre, dont les parties sont d'une grande finesse ; on y met de l'huile quand on veut s'en servir pour affiler des couteaux ou d'autres instrumens tranchans. Son nom lui a été donné, parce qu'on l'apporte de Turquie.

TURQUIE, (Géog. mod.) vaste empire, un des plus grands de l'univers, qui s'étend en Europe, en Asie, & en Afrique. On lui donne ordinairement huit cent lieues d'orient en occident, & environ sept cent du septentrion au midi.

Les premiers turcs qui habiterent la Turcomanie aux environs de l'Arménie inférieure, étoient des tartares turcomans dont le morzar ou chef, Ordogrul, mourut l'an de l'hégire 687, & de Jesus-Christ 1288. Il eut pour fils Osman ou Othman, homme plein d'ambition & de bravoure, qui jetta les fondemens de l'empire que nous appellons par corruption l'empire ottoman. Il fit de grandes conquêtes tant en Asie qu'en Europe, profitant des querelles qui regnoient entre les soudans de Perse & les Sarrazins. Il sut encore se servir à-propos de la désunion de tous les petits souverains qui s'étoient appropriés de grandes provinces, & qui en qualité de membre de l'empire grec, usurpoient le titre de duc, de despote & de roi. Ces petits souverains n'eurent point d'autre ressource dans leur desespoir, que de se jetter entre les bras des Turcs, de s'accommoder à leurs loix, à leurs rits & à leurs principes.

Enfin Osman porta ses vues sur la ville de Burse, capitale de la Bithynie, pour y établir son nouvel empire. Charmé de cette ville située proche de la mer Marmara, au pié de l'Olympe, dans une agréable plaine arrosée d'eaux minérales, froides & chaudes, en un mot, une des plus belles contrées du monde ; il y fixa sa résidence, & y bâtit un palais qui justifie par sa structure que le luxe dans ce tems-là n'excédoit point les revenus. Il fit aussi construire plusieurs mosquées, dans une desquelles est son tombeau.

L'empire ottoman s'est prodigieusement augmenté sous le regne de dix-neuf empereurs, depuis Osman jusqu'à Mahomet IV. & sous le gouvernement de 115 premiers vizirs jusqu'à la mort de Cara Mustapha, qui fut l'auteur du siege de Vienne. Mahomet IV. fit la conquête de Naisel, de Candie, de Kaminieck & de Zegrin, ensorte que le circuit de l'empire ottoman en 1680 s'étendoit à l'occident des deux côtés du Danube, jusqu'à 16 lieues de la capitale de l'Autriche.

Si l'on compare l'empire turc avec l'ancien empire romain, on sera surpris de voir l'espace qu'il occupe sur la carte ; mais qu'on examine ensuite les états qui composent ce dernier empire, on en connoîtra toute la foiblesse. On verra que le sultan n'est point maître absolu d'une partie : qu'une autre est stérile & inhabitée : que d'autres provinces sont plutôt sujettes de nom que de fait ; telles sont la Mecque & le pays d'Iémen ; ainsi tout le vaste terrein de l'Arabie déserte & de l'Arabie heureuse ne sert qu'à diminuer les forces du grand-seigneur.

Les trois républiques de Tripoli, de Tunis & d'Alger se disent pour la forme dépendantes du sultan ; mais quand elles envoient leurs vaisseaux pour grossir la flotte ottomane, ils sont bien payés ; encore arrive-t-il qu'ayant reçu l'argent, leurs escadres ne sortent point de la Méditerranée.

Tout le pays qui est au bord de la mer Noire, depuis Azac jusqu'à Trébisonde, ne procure d'autres avantages à sa Hautesse que celui d'avoir quelques havres dont elle ne profite point. Le chan de la Crimée n'enrôle des tartares qu'avec l'argent de la Porte. De plus, la contrée d'Azac jusqu'au fort du Boristhène, est un véritable désert, entre la Moscovie & la Tartarie Crimée. Les tartares de ces contrées, loin de fournir aucun tribut au grand-seigneur, reçoivent de l'argent de lui, lorsqu'il leur demande des troupes ; il est même obligé de payer des garnisons en plusieurs places pour tenir ces mêmes tartares en respect.

Les pays de l'Ukraine & la Podolie jusqu'à la riviere de Bog, sont totalement ruinés. Les provinces tributaires de la Moldavie & de la Valachie sont gouvernées par des sujets du rit grec. Les tributs qu'on y perçoit, tombent plus au profit des ministres que du trésor public ; outre cela la Porte est obligée d'y soudoyer des garnisons onéreuses pour contenir tant de peuples.

C'est un grand embarras dans l'empire ottoman que de pouvoir gouverner en sûreté un état composé de nations si éloignées de la capitale, & si différentes par rapport au langage & par rapport à la religion. On peut facilement comprendre que de ce grand nombre de nations différentes, on ne sauroit tirer des milices pour défendre solidement l'empire, à moins qu'à chaque fois les bachas n'enrôlent à bas prix la plus vile populace, & des chrétiens même, faute d'autres sujets. Pour ce qui est des troupes de la Moldavie & de la Valachie, les Turcs ne s'en servent qu'à grossir leur armée, à dispenser les braves soldats de certains emplois desagréables, & conserver l'usage d'avoir ces troupes infideles hors de leur pays sous les yeux d'une armée, lorsque la Porte est en guerre avec les puissances chrétiennes.

La souveraineté du grand-seigneur est à la vérité despotique, & ce prince n'en est que plus malheureux ; car lorsque tout le corps de la milice de Constantinople se trouve réuni sous les ordres de l'ulama, ce monarque despotique passe du trône au fond d'un cachot, si on ne l'étrangle pas tout-de-suite lui & son vizir. Venons à d'autres détails.

L'exercice des loix & de la justice est confié dans ce grand empire à des juges de différens ordres. Les moins considérables de tous sont les cadis, ensuite les mollas, & puis les cadileskers, dont les sentences sont portées devant le mufti en derniere instance. Ces juges sont distribués dans tout l'empire par départemens ; & la dignité de cadilesker est partagée en deux : l'une pour l'Europe, & l'autre pour l'Asie. Ce corps de juges qui a le mufti pour président, est nommé ulama ; & les affaires considérables qui regardent la religion & l'état, sont de son ressort.

On parvient au grade de cadilesker après avoir passé par les offices subalternes de la judicature. Le mufti est choisi du nombre des cadileskers par la faveur du sultan, & encore plus par celle du vizir ; & lorsque ces deux grands officiers sont unis, ils peuvent faire la loi au grand-seigneur même.

L'ordre qui concerne le maniement des finances, est si bien établi dans cet empire, soit pour les charges, soit pour les registres, que quelque puissance chrétienne que ce soit trouveroit de quoi s'instruire, en retranchant quantité d'abus qui s'y glissent.

Le gouvernement militaire politique est divisé en deux parties principales, savoir l'Europe & l'Asie, sous le nom de Romélie & d'Anatolie. On a conservé dans chacune de ces deux parties du monde, les mêmes divisions qu'elles avoient lorsque la Porte les conquit. Ce qui étoit royaume, l'est encore ; ce qui n'étoit que province, ce qui n'étoit que département, est encore aujourd'hui sur le même pié. Ces grands gouvernemens ont le titre de bachalas, dont quelques-uns portent le caractere de vizir ; d'autres sont de simples bachas qui peuvent quelquefois être du rang des vizirs ou des beglerbegs ; & tant qu'ils sont en charge, ils prennent le nom de la capitale où est leur résidence.

Les provinces sont partagées en plusieurs départemens gouvernés par un officier qu'on nomme sangiac ; & ceux-ci ont sous eux un certain nombre de zaïms & de timariots. Ils sont tous également subordonnés au bacha de la province ou aux vizirs des royaumes, qui donnent audience publique une fois la semaine, accompagnés des premiers officiers de la judicature, des finances & de la milice, pour entendre les plaintes des zaïms & des timariots, des sujets chrétiens, qu'on nomme indifféremment raja, c'est-à-dire sujets, & des juifs qu'on appelle gisrit.

La sévérité des loix est une suite d'un gouvernement arbitraire, où tout dépend de la volonté de ceux qui commandent. De-là résulte en Turquie l'oppression des peuples & leur servitude. Tout dans ce royaume appartient en propre au grand-seigneur. Il est le maître absolu des terres, des maisons, des châteaux & des armes, desorte qu'il en peut disposer comme il lui plait. Les terres appartenant ainsi de droit au sultan, il en fait le partage entre les soldats, pour les récompenser de leurs travaux ; ces récompenses s'appellent timars, & ceux qui les obtiennent, sont obligés à proportion du revenu, d'entretenir des hommes & des chevaux pour le service du grand-seigneur à la guerre. Il n'y a que les terres destinées à des usages religieux, qui n'appartiennent point au sultan ; ensorte qu'un bacha peut en mourant (même comme criminel de lése-majesté) donner valablement ses biens à une mosquée.

Toutes les fois qu'il y a un nouvel empereur, on le conduit avec pompe dans un endroit des fauxbourgs de Constantinople, où le mufti lui donne sa bénédiction, & le grand-seigneur promet de défendre la religion musulmane & les loix de Mahomet. Aussitôt le premier vizir, les vizirs du banc & les bachas font une profonde inclination, baisent le bas de la veste de sa hautesse avec un respect extraordinaire, & le reconnoissent ainsi pour leur véritable empereur.

Les grands officiers de l'empire sont le premier vizir ou vizir-azem, entre les mains duquel est toute l'autorité ; les vizirs du banc au nombre de six, siegent avec le grand-vizir dans le divan, mais ils n'ont aucune voix délibérative ; aussi ne sont-ils pas sujets aux révolutions de la fortune, parce que leurs richesses sont médiocres, & que leurs charges ne les obligent point de se mêler des affaires dangereuses de l'état.

Les beglerbegs ou bachas ont sous leur jurisdiction divers gouvernemens, des agas & plusieurs autres officiers. Le sultan donne pour marque d'honneur à chacun de ces beglerbegs trois enseignes que les Turcs appellent tug ; ce sont des bâtons au haut desquels il y a une queue de cheval attachée, & un bouton d'or par-dessus. Cette marque les distingue d'avec les bachas qui n'ont que deux de ces enseignes, & d'avec les sangiacs qui portent aussi le nom de bachas, mais qui n'en ont qu'une. Les gouvernemens des beglerbegs, qui ont sous eux diverses provinces nommées sangiacs, sont de deux sortes ; les uns ont un revenu assigné sur leurs propres gouvernemens, & qui se leve par leurs propres officiers ; les autres sont payés du trésor du grand - seigneur. On compte vingt-deux beglerbegs de la premiere sorte, & six de la seconde.

Il y a cinq beglerbegs de la premiere sorte qui portent le titre de vizirs, c'est-à-dire conseillers. Ce sont le bacha d'Anatolie, celui de Babylone, celui du Caire, celui de Romanie & celui de Bude, qui sont les gouvernemens les plus riches & les plus considérables de l'empire ; les autres ont leur rang selon la date de l'érection de leurs gouvernemens ; car la possession la plus ancienne constitue le plus honorable gouvernement.

Le capoutan est l'amiral de la flotte du grand-seigneur ; il commande par-tout où le pouvoir du turc s'étend par mer. Il réside à Gallipoli, & a sous lui treize sangiacs.

Le mufti ou grand pontife, le reis-effendi ou chef des dépêches, & le defterdar ou grand-trésorier sont trois autres grands officiers de l'empire ottoman. Le grand-seigneur consulte le mufti par forme & pour s'accommoder à la coutume ; mais lorsque les sentences de ce pontife ne s'accordent pas avec les desseins du prince, il le prive de son pontificat, & donne cette charge à un autre, qui sait mieux faire répondre ses oracles aux intentions de son maître.

Le reis-effendi est toujours auprès du premier vizir, pour expédier les ordres, les arrêts, les lettres patentes & les commissions dans tous les différens endroits de l'empire. On ne sauroit croire combien il se fait dans son bureau de dépêches chaque jour, parce que le gouvernement des Turcs étant arbitraire, chaque affaire demande un ordre exprès à part, & même la plûpart des cours de justice ne se conduisent que par des ordres qu'elles reçoivent d'enhaut. Cette multitude d'affaires oblige le reis-effendi d'employer un grand nombre d'écrivains, & elle remplit ses coffres d'or & d'argent.

Le defterdar reçoit le revenu du grand-seigneur, paie les soldats, & fournit l'argent nécessaire pour les affaires publiques. Cette charge est différente de celle de trésorier du serrail ; car ce dernier ne pourvoit qu'à la dépense de la cour ; il reçoit les profits casuels, ainsi que les présens qu'on fait au grand-seigneur, présens qui sont aussi nombreux que considérables.

La milice de l'empire turc est prodigieuse, & constitue toute sa force. Elle est composée de zaïms qui sont comme des barons en certains pays, & de timariots, qui peuvent être comparés à ceux que les Romains appelloient decumani. Entre les gens qui composent toute la milice turque, les uns sont entretenus du revenu de certaines terres & de certaines fermes que le grand-seigneur leur donne ; les autres sont payés en argent, comme les spahis, les janissaires, les armuriers, les canonniers & les soldats de mer appellés léventis.

J'abrege toutes ces choses ; le lecteur peut consulter les mots VIZIR, BACHA, DEFTERDAR, AGA, SANGIAC, CADI, REIS-EFFENDI, LIAMET, TIMAR, &c.

Les loix civiles font partie de la religion chez les Turcs, & ne composent qu'un corps avec elle, parce que les Turcs se persuadent que les unes & les autres leur ont également été données par Mahomet. Les cérémonies, la doctrine & les loix de la religion turque sont renfermées dans trois livres qu'on peut appeller proprement le code & les pandectes de la religion des mahométans. Le premier est l'alcoran, le second l'assonah ou la tradition, avec les sentimens des sages ; le troisieme comprend les conséquences que l'on en tire. Mahomet a écrit l'alcoran, & a fait quelques loix pour le gouvernement civil ; le reste a été composé par ses quatre premiers successeurs, Abubeker, Omar, Osman & Aly. Les califes de Babylone & d'Egypte ont aussi été des interpretes de la loi de Mahomet, & leurs décisions étoient autrefois regardées comme d'autorité divine ; mais l'opinion que l'on avoit de leur autorité infaillible, s'étant perdue avec leur puissance temporelle, elle a été transportée au mufti.

Cependant quoiqu'il y ait une grande diversité entre les docteurs dans l'explication de leur loi, quiconque observe les cinq articles fondamentaux de leur religion, est reputé comme véritable fidele. Le premier de ces articles regarde la pureté extérieure de leurs corps & de leurs habits. Le second consiste à faire leurs prieres cinq fois le jour. Le troisieme oblige à jeûner le mois de Ramazan. Le quatrieme prescrit de donner la zécat, c'est-à-dire l'aumône. Le cinquieme recommande le voyage de la Mecque quand la chose est possible ; mais ils n'ont qu'un seul article de foi, savoir, qu'il n'y a qu'un seul Dieu, & que Mahomet est son prophete. Les autres cérémonies, comme la circoncision, l'observation du vendredi pour un jour de dévotion, l'abstinence de la chair de pourceau & du sang des animaux n'ont été recommandées que pour marques de l'obéissance d'un musulman.

Le mufti, dont j'ai déja dit un mot, est le chef principal de la religion des Turcs, & l'oracle de toutes les difficultés qui peuvent naître sur l'explication de leur loi. Le grand-seigneur le nomme, & dans les causes civiles & criminelles, il donne, quand il est consulté, son avis par écrit du oui ou du non, à quoi il ajoute ces mots bien sages, Dieu sait ce qui est meilleur. Lorsque ce papier est porté au cadi ou juge, il y conforme toujours son jugement, & la sentence s'exécute sans délai & sans appel. Aujourd'hui, on ne consulte guere le mufti que pour la forme ; le grand-vizir décide par lui-même & exécute ce qu'il a résolu, après quoi il demande l'approbation du mufti & le sens de la loi ; alors le mufti a un vaste champ pour trouver des interprétations, d'autant plus que c'est une maxime reçue, que la loi mahométane s'accommode aux tems & aux conjonctures.

Après la charge de mufti, celle de cadilesker est la plus considérable. Le cadilesker est non-seulement juge de la milice, mais il peut connoître de toutes sortes de causes & de procès entre toutes sortes de personnes.

Les mollas exercent la jurisdiction de juges, les uns sur une province entiere de beglerbegs, & les autres sur de petites provinces ; ces deux sortes de mollas commandent aux cadis de leur dépendance.

Les imans sont des prêtres de paroisses ; leur fonction consiste à appeller le peuple aux prieres, & à lui servir de guide dans les mosquées aux heures prescrites. Ils sont aussi obligés de lire tous les vendredis des sentences ou des versets de l'alcoran. Il y en a peu qui osent entreprendre de prêcher, à-moins qu'ils n'aient bien de la vanité, ou qu'ils ne croient avoir bien du talent ; ils laissent ce soin aux scheichs, & à ceux qui font profession de prêcher, & qui passent ordinairement leur vie dans les monasteres. Le mufti n'a point de jurisdiction sur les imans, pour ce qui regarde le gouvernement de leurs paroisses, car il n'y a à cet égard-là nulle supériorité, nulle hiérarchie entr'eux, chacun étant indépendant dans sa paroisse, mais ils sont sujets aux magistrats dans les causes civiles & criminelles.

On peut mettre les émirs au nombre des ecclésiastiques, parce qu'ils sont de la race de Mahomet. Pour marque de cette illustre origine, ils portent le turban verd, & jouissent de grands privileges. Ils ont deux officiers supérieurs, l'un se nomme nakth-escheref ; l'autre s'appelle alemdar, & porte l'enseigne verte de Mahomet, lorsque le grand - seigneur se montre en public. Voyez MUFTI, CADILESKER, MOLLA, IMAN, SCHEICH, EMIR, &c.

Les Turcs ont dans leur religion un grand nombre de sectes particulieres, mais il y en a deux générales qui divisent les mahométans ; savoir, celle qui est suivie par les Turcs, & celle qui est reçue par les Persans. L'intérêt des princes qui gouvernent ces deux peuples, & leur différente éducation, contribuent beaucoup à entretenir la haine que la diversité de leurs opinions a fait naître. La secte des Turcs tient Mahomet pour le plus considérable des prophetes, & celle des Perses estime qu'Aly lui doit être préféré.

Les Turcs vivent en général fort sobrement, & divisent le peu de nourriture qu'ils prennent en plusieurs repas. Le mouton est leur viande ordinaire la plus exquise ; ils mangent beaucoup de fruits, de légumes, de riz, de froment mondé, de miel & de sucre. Leur riz & leur froment mondé, font une nourriture légere, facile à digérer, & fort aisée à apprêter. Leurs tables sont bientôt dressées, tout le monde sait qu'ils mangent à terre.

Ils usent de différentes boissons pour compenser le vin qui leur est défendu par l'alcoran. Ces boissons sont ou purement naturelles, comme l'eau de puits, de riviere & de fontaine ; ou artificielles, qui consiste dans le laitage de plusieurs animaux, & dans les liqueurs froides & chaudes ; les plus ordinaires de celles-ci, sont le caffé & le salep qu'ils font avec de la racine de satirion. Leur plus exquise boisson est le sorbet, composé du suc de cerises & d'autres fruits. Ils boivent toujours assis, à-moins que la nécessité ne les oblige à se tenir debout. Ils mettent en été l'eau commune à la glace, lorsqu'ils peuvent en avoir, ou en jettent dans les vases de verre & de porcelaine dans lesquels ils boivent.

Les Turcs sont dans le fond plus portés au repos qu'à l'activité ; cependant ce naturel fait plus ou moins d'impression sur eux à mesure qu'ils habitent sous différens climats. Les Turcs asiatiques aiment beaucoup leur tranquillité ; au contraire, ceux de l'Albanie & de quelqu'autres parties de l'Illyrie, trouvent une vie active & laborieuse plus à leur goût. Ceux de Constantinople languissent dans une molle oisiveté, suivant l'usage des habitans des capitales ; les fatigues & les travaux sont pour les esclaves, & pour les gens réduits à une extrême pauvreté, comme sont les paysans grecs & arméniens.

Le sommeil est reglé chez les Turcs, de même que le sont les veilles par la distribution des heures pour les prieres. Quoiqu'ils cherchent toutes leurs commodités pour dormir, ils ne se deshabillent que rarement tout-à-fait ; ils gardent au lit leur habillement de dessous, & se couvrent la tête avec une écharpe plus grosse que celle qu'ils portent le jour. Ils font excès des bains sudorifiques, qu'ils répétent plusieurs fois la semaine, & joignent dans cet usage le motif de leur santé à celui de la préparation qu'exige la priere, comme si cette préparation requéroit de se procurer une sueur violente, qui ne tend qu'à les affoiblir. Il y a dans Constantinople seule, trente-trois bains chauds somptueusement bâtis, & qui pendant le jour ont des heures marquées pour les hommes, & d'autres pour les femmes. Ils affoiblissent encore leur constitution par des remedes violens qu'ils prennent pour s'exciter à l'amour, & qui ne font que nuire à leur santé, & les rendre incapables de soutenir les fatigues de la guerre.

Pour peu qu'ils aient de fortune, ils l'emploient volontiers à élever des mosquées, des fontaines sur le grand chemin, des ponts, & des hôtelleries publiques qu'on nomme caravenserais ; mais ils tâchent de faire ces établissemens de maniere qu'ils puissent apporter un certain revenu à leurs descendans. Un grand motif, outre celui de la religion, les détermine à ces sortes de fondations ; c'est que si le capital qu'ils y emploient restoit entre leurs mains, il seroit confisqué au plus tard après leur mort ; au lieu que dès qu'il est consacré à Dieu, aucune loi, ni même tout le pouvoir du sultan ne sauroient l'aliéner.

Dans Constantinople, il y a pour la priere du vendredi quatre cent quatre-vingt-cinq mosquées, dont sept sont nommées impériales, parce qu'elles ont été bâties par des empereurs turcs à grands frais. Toutes ces mosquées ont des revenus considérables. Il y a de plus dans chaque quartier, des endroits particuliers appellés meschites, ou mosquées ordinaires pour la priere. On en compte quatre mille quatre cent quatre-vingt-quinze, fréquentées uniquement par les Turcs.

Les inarets, especes d'hôpitaux où l'on donne à manger aux pauvres, selon l'ordre prescrit par les fondateurs, sont au nombre de cent, & il y a cinq cent quinze écoles publiques. Il arrive de-là qu'on ne voit point de mendians chez les Turcs, & que leurs fondations pieuses sont innombrables. Ils sont par principe de religion, hospitaliers, même envers les ennemis de leur culte. Ils vont se promener sur les grands chemins, avant midi & vers le soir, pour découvrir les passagers, & les inviter à loger chez eux.

Les chrétiens ont tort de les accuser de ne savoir pas lire, & d'entendre à peine l'alcoran, puisqu'ils n'ont tant d'écoles publiques que pour l'instruction. Ils n'ont point chez eux de savans qui ne sache à fond le turc, le persan & l'arabe. Ils s'appliquent beaucoup à la médecine, à la géométrie, à la géographie & à la morale. S'ils font imprimer peu d'ouvrages, c'est pour ne point empêcher leurs copistes qui sont en très-grand nombre de gagner leur vie.

La monnoie particuliere de l'empire commença de paroître l'an de l'hégire 65. Abdilmelik, roi de Damas, fut le premier de tous les mahométans qui fit battre monnoie ; on ne se servoit auparavant que de monnoies étrangeres. La monnoie turque est de trois sortes de métaux, d'or, d'argent & de cuivre. Elle n'a point d'autre marque, que certains caracteres qui désignent le nom du sultan régnant, de son pere, & quelques mots à sa louange, ou un passage de l'alcoran. La grande vénération que les Turcs ont pour le sultan, est cause qu'on ne met point son effigie sur la monnoie, parce qu'elle passe par les mains de tout le monde ; cependant cette vénération ne les a point empêché quelquefois de faire étrangler ce même sultan, pour le portrait duquel ils ont un si profond respect.

Le gouvernement turc facilite, protege le commerce dans l'empire, & ne charge point les marchandises de droits exorbitans. La Turquie fournit quantité de soie, de laine, de poil de chevre & de chameau, de coton brut & filé, de lin, de cire, d'huile, de bétail, de cendres, & de bois. La situation de l'empire, qui du côté de l'Asie, confine avec la Perse & l'Arabie-heureuse, est fort avantageuse au commerce. Les Turcs tirent de ces pays-là beaucoup de marchandises, qui se transportent dans les ports de l'Archipel, & se distribuent ensuite aux autres nations de l'Europe. Ces marchandises sont d'un côté des soies, des toiles de Perse & des Indes, des draps d'or, des pierreries, & des drogues médicinales ; de l'autre, ce sont des parfums, des baumes & du caffé qui viennent de l'Arabie-heureuse par la mer Rouge.

Leurs manufactures sont les tanneries, les pelleteries pour toutes sortes d'usages, & les chagrins. La teinture des soies, des laines & des peaux y est dans la derniere perfection pour l'éclat & la durée des couleurs. C'est de ces laines dont ils font leurs tapisseries ; & s'ils avoient des desseins bien entendus, on ne pourroit rien voir au monde de plus beau que leurs ouvrages en ce genre.

Les marchandises que les nations européennes fournissent aux Turcs, ne sont point d'un assez grand prix pour pouvoir être échangées avec les leurs, sans un retour considérable en argent comptant. Les Anglois, les François & les Vénitiens sont obligés de fournir beaucoup de comptant pour la balance.

La Porte ayant reconnu l'avantage qu'elle retiroit de son commerce avec les nations de l'Europe, a tâché de le faciliter. Dans cette vue, elle a accordé des privileges par les traités qu'elle a faits avec leurs souverains, qui depuis tiennent des ambassadeurs à Constantinople, pour veiller à l'observation de leur contenu. Ces ambassadeurs ont sous eux des consuls de leur nation dans les échelles principalement de l'Asie, & depuis le Caire jusqu'à Alep, aussi-bien que dans les villes méditerranées & dans les ports de mer, comme à Smyrne, à Tripoli de Sourie, à Saïde, à Alexandrie, & autres.

On ne leve en Turquie qu'un seul droit d'entrée fort modique, après quoi tout le pays est ouvert aux marchandises. Les déclarations fausses n'emportent même ni confiscation ni augmentation de droits. Tout le contraire se pratique en Europe ; les peines fiscales y sont très-séveres. C'est qu'en Europe le marchand a des juges qui peuvent le garantir de l'oppression ; en Turquie les juges seroient eux-mêmes les oppresseurs ; & le trésor de Constantinople ne retireroit rien. Que fera le marchand contre un bacha despote, qui confisqueroit ses marchandises ?

Le tribut naturel au gouvernement modéré est l'impôt sur les marchandises dont le commerçant fait les avances. En Angleterre il en fait de prodigieuses pour un seul tonneau de vin ; mais quel est le marchand qui oseroit faire des avances sur les marchandises dans un pays gouverné comme la Turquie ? & quand il l'oseroit, comment le pourroit-il avec une fortune suspecte, incertaine, ruinée ?

Pour que tout ne soit pas perdu dans un état despotique, il faut au-moins que l'avidité du prince soit modérée par quelque coutume. Ainsi, en Turquie, le prince se contente ordinairement de prendre trois pour cent sur les successions des gens du peuple. Mais comme le grand-seigneur donne la plûpart des terres à sa milice, & en dispose à sa fantaisie, comme il se saisit de toutes les successions des officiers de l'empire, comme lorsqu'un homme meurt sans enfans mâles, le grand-seigneur a la propriété, & que les filles n'ont que l'usufruit, il arrive que la plûpart des biens de l'état sont possédés d'une maniere précaire.

Comme en Turquie l'on fait très-peu d'attention à la fortune, à la vie, à l'honneur des sujets, on termine promtement d'une façon ou d'une autre toutes les disputes. La maniere de les finir est indifférente, pourvu qu'on finisse. Le bacha d'abord éclairci, fait distribuer, à sa fantaisie, des coups de bâton sur la plante des piés des plaideurs, & les renvoye chez eux. Ce n'est pas là la formalité de justice qui convient dans les états modérés, où l'on ne peut ôter l'honneur & les biens à aucun citoyen, qu'après l'examen le plus long & le plus réfléchi.

Un des fléaux de la Turquie qui dépend uniquement du climat, est la peste, dont le siege principal est en Egypte. On a imaginé dans les états de l'Europe un moyen admirable pour arrêter les progrès du mal ; on forme une ligne de troupes autour du pays infecté, pour empêcher toute communication ; on fait faire une quarantaine aux vaisseaux suspects ; on parfume les hardes, les papiers, les lettres qui viennent du lieu pestiferé. Les Turcs n'ont, à cet égard, aucune police ; ils voient les Chrétiens dans la même ville échapper au danger, dont ils sont eux seuls la victime. La doctrine d'un destin rigide qui regle tout, fait en Turquie du magistrat un spectateur tranquille : il pense mal-à-propos que Dieu a déja tout fait, & que lui n'a rien à faire.

Il faut lire sur l'empire ottoman l'histoire admirable qu'en a donné le chevalier anglois Paul Ricaut, & qui forme trois volumes in-folio. On peut y ajoûter pour les tems plus modernes l'histoire des Turcs, publiée par le prince Cantemire. (D.J.)


TURQUOISES. f. turcoides, turchesia, calaïs, jaspis aerizusa, (Hist. nat.) pierre précieuse bleue & opaque, ainsi nommée, parce qu'elle vient de Turquie.

Les Lapidaires distinguent les turquoises en orientales & en occidentales ; les premieres se trouvent, suivant Tavernier, en Perse près d'une ville appellée Necabour, à trois journées de Méched ; ce sont celles qu'on appelle turquoises de la vieille roche : il s'en trouve aussi, selon le même auteur, à cinq journées de chemin du premier endroit, elles ne sont point si estimées ; ce sont celles qu'on nomme turquoises de la nouvelle roche. Ainsi les orientales viennent de la Perse, des Indes & de la Turquie : les occidentales viennent de plusieurs endroits de l'Europe, d'Allemagne, de Bohème, d'Hongrie, de Silésie.

Les turquoises varient pour la couleur ; les plus belles & les plus estimées sont d'un bleu céleste, les autres sont d'un bleu plus clair, il y en a qui sont d'un bleu verdâtre ou tirant un peu sur le jaune.

M. de Réaumur, dans un mémoire inséré dans les mémoires de l'académie des Sciences de l'année 1715, a voulu prouver que les turquoises ne sont autre chose que des os d'animaux enfouis en terre, & qui ont été colorés par une dissolution de cuivre. Ce savant naturaliste appuie son sentiment par des os & des dents trouvés près de Simore, dans le bas Languedoc, qui n'ont point naturellement une couleur bleue, comme la turquoise, mais qui acquierent cette couleur, lorsqu'après les avoir fait sécher à l'air, on les met sous une moufle pour les chauffer dans un fourneau. Par ce moyen on développe la couleur de ces os, mais il faut les chauffer avec précaution, parce que sans cela un feu trop violent & trop subit les feroit exfolier.

On assure qu'un chymiste, nommé Jean Cassianus, avoit le secret de colorer artificiellement les os de mammoth qui se trouvent en Russie, & le célebre Henckel paroît avoir possédé le même secret. L'on voit en effet que le tissu d'un grand nombre de prétendues turquoises est le même que celui d'un os ou d'une dent, étant composé, comme eux, de lames appliquées les unes sur les autres. M. Hill dit aussi avoir fait des turquoises artificielles, qui ont trompé les Lapidaires. Voyez ses notes sur Théophraste.

De toutes ces expériences, on en a conclu très-précipitamment que toutes les turquoises n'étoient que des dents & des os d'animaux, mais il semble que l'on s'est trompé pour avoir voulu trop généraliser cette assertion, & nous allons faire voir que les vraies turquoises ne sont nullement des os, mais doivent être regardées comme de vraies pierres. En effet, M. Mortimer, secrétaire de la société royale de Londres, a fait voir à cette académie un morceau du turquoise, dans laquelle on ne remarquoit nullement le tissu osseux des prétendues turquoises de Languedoc ; c'étoit une vraie pierre, en forme de mamelon, semblable aux mamelons de l'espece d'hématite que l'on nomme pour cette raison hématite en grappe de raisin, haematites botryites ; M. Mortimer dit avec raison que c'est cette pierre qui mérite à juste titre d'être appellée la turquoise, & que l'on devroit la distinguer des os ou de l'ivoire coloré, qui ne peut être regardé que comme une turquoise bâtarde.

Le même auteur a trouvé que la vraie turquoise, dont il a montré un échantillon à la société royale, étoit très-chargée de cuivre ; cette pierre pulvérisée & trempée dans de l'esprit volatil de corne de cerf, a coloré cette liqueur d'un bleu foncé ; mise dans de l'eau-forte, ce dissolvant est devenu d'un beau verd, & en y trempant un fil de fer, ce fil devint de la couleur de cuivre. Quelques turquoises de cette nature mises dans un creuset, sont entrées en fusion sans qu'on leur eût joint d'addition, & se sont changées en une scorie vitreuse, tandis qu'à ce degré de chaleur les os ou l'ivoire eussent dû se calciner, vu que M. Mortimer avoit donné un feu très-violent. L'action du feu n'en rendoit pas la couleur plus belle ; & lorsqu'elle avoit été rougie, la pierre devenoit cassante.

L'échantillon que M. Mortimer montra à la société royale avoit 12 pouces de longueur, & 53 de largeur, & en quelques endroits 23 d'épaisseur ; cette pierre étoit inégale & rude par le côté par où elle avoit été attachée au rocher, mais la partie supérieure étoit remplie de mamelons lisses & unis.

Le chevalier Hans-Sloane avoit dans sa collection différens morceaux semblables de turquoises, dont un entr'autres qui venoit de la Chine, avoit 3 pouces de long, 23 pouces de large, & près de 13 d'épaisseur. Il possédoit outre cela des prétendues turquoises, ou plutôt de l'ivoire coloré en bleu, qui venoient de Languedoc & d'Espagne. Voyez les Transactions philosophiques, n °. 482. art. 17.

Ces faits prouvent clairement qu'on risque toujours de se tromper en voulant trop généraliser les choses dans l'histoire naturelle ; il faut en conclure qu'il y a deux especes de turquoises, les véritables sont des pierres, de la nature d'un grand nombre d'agates, de jaspes & de cailloux, que l'on trouve souvent en mamelons ; celle-là ne sont point sujettes à perdre leur couleur ou en changer, ce qui arrive aux turquoises bâtardes, ou à celles qui sont des dents ou des os pénétrés d'une dissolution cuivreuse. La vraie turquoise paroît, à la couleur près, être de la même nature que la malachite, qui est une pierre verte. Voyez l'article MALACHITE.

La pierre que nous nommons turquoise, étoit connue des anciens sous le nom de calaïs ou callaïs. Quelques-uns croient que Pline a voulu la désigner sous le nom de boreas, dont il dit que la couleur étoit semblable à celle du ciel du matin en automne ; les Grecs l'ont appellé . (-)

La turquoise n'entroit point dans le rational du grand-prêtre des juifs, quoique la paraphrase chaldaïque ait rendu le terme hébreu de l'Ecriture par celui de turkaia, qui approche fort de notre mot françois.

Cette pierre est regardée comme la premiere des pierres opaques ; sa couleur est bleue, mais d'un bleu qui tire sur le verd-de-gris en masse, & qui ne doit pas ressembler au bleu d'empois, comme disent les Jouaillers. Sa dureté égale à peine celle des crystaux ou celle des cailloux transparens ; mais il y en a de bien plus tendres les unes que les autres ; les plus dures, toutes choses d'ailleurs égales, sont les plus belles, & cela parce que la vivacité du poli est dans toutes les pierres proportionnée à la dureté.

Cependant celles d'une belle couleur, d'un poli vif, qui n'ont sur leur surface ni filets, ni raies, ni inégalités, & qui pesent plusieurs karats, sont très-cheres. Rosnel, jouailler, auteur d'un traité sur les pierres précieuses, à présent assez rare, apprécie les turquoises (qui rassemblent les qualités que nous venons de rapporter) sur le pié des éméraudes, c'est-à-dire presque autant que le diamant. Il est vrai qu'il est rare de trouver de ces pierres d'une grosseur un peu considérable sans défauts, & les défauts diminuent bien leur valeur ; le même Rosnel, qui a mis les parfaites à un si haut prix, n'estime qu'un écu (c'est-à-dire environ 6 liv. 12 sols de notre monnoie d'aujourd'hui) le karat de celles qui pesent peu, & qui pechent encore par quelqu'autre endroit.

Il n'est pas trop aisé de décider sous quel nom les anciens ont parlé de la turquoise ; ils ont caractérisé la plûpart des pierres d'une façon qu'il n'est pas possible de les reconnoître. Plusieurs modernes ne travaillent pas mieux pour la postérité : ne seroit-elle pas embarrassée de savoir quelle est la pierre que nous appellons aujourd'hui turquoise, quand elle trouvera dans Berqueu, jouailler de profession, qui par conséquent devoit avoir manié bien des turquoises en sa vie, que cette pierre est transparente, & qu'elle ne tient son opacité que du chaton dans lequel elle est sertie ? Cependant si quelque pierre est opaque, celle-ci l'est assûrément : les morceaux les plus minces qui sont à peine d'une demi-ligne d'épaisseur, considérés vis-à-vis le grand jour, n'ont aucune transparence. Je ne sai s'il est vrai que la turquoise des modernes soit la calaïs des anciens, cela me paroît fort douteux, parce que Pline dit expressément que la calaïs étoit verte.

Tavernier nous assûre qu'il n'y a d'autres turquoises orientales que celles de Perse, dont il distingue deux mines, l'une appellée la vieille roche, près du bourg qu'il nomme Nécabourg ; l'autre que l'on distingue par le nom de nouvelle roche, en est à cinq journées, & ces dernieres sont peu estimées. Les chevalier Chardin qui a fait un long séjour en Perse, confirme la relation du baron d'Aubonne, & distingue, comme lui, les deux sortes de turquoises persanes de la vieille roche & la nouvelle ; il ajoute que la vieille se tire des mines de Nicapour (que Tavernier nomme mal Nécabourg) & de Carasson, dans une montagne entre l'Hyrcanie & la Parthide, à quatre journées de la mer Caspienne. La nouvelle roche qui n'a été découverte que bien des siecles après la vieille, n'est point estimée des Persans, à cause que la couleur de la pierre n'est pas durable.

Toute la vieille roche se réserve pour le roi qui garde les plus belles, & vend ou échange les moindres. Cependant il n'est pas si difficile d'en avoir, parce que les ouvriers qui travaillent aux mines & les officiers qui y commandent pour le prince, en détournent souvent des plus belles, que, pour n'être pas découverts, ils ne vendent guere qu'aux marchands étrangers.

Il est cependant fort rare que nous voyions de vraies turquoises persanes un peu grosses ; de-là vient qu'on regarde comme une chose très-singuliere dans son genre celle qui étoit exposée dans la galerie du grand-duc de Toscane, & dont un ancien graveur fit un buste ; elle avoit près de trois pouces de haut ; tous les auteurs qui ont traité des pierres précieuses en ont parlé, & M. Mariette en a donné une description très-détaillée. Ainsi je crois que la topase de M. Mortimer n'étoit point une topase persane de la vieille roche.

Quoi qu'il en soit, la turquoise sort d'entre les mains de la nature, à-peu-près comme l'opale ; mais elle est tout-à-fait opaque, & il faut qu'elle soit taillée & polie par l'art, si on veut qu'elle soit également luisante dans toute sa superficie, & qu'elle acquiere une forme réguliere ; la plus naturelle, & celle qu'on lui donne, est la forme ronde ou ovale, en cabochon.

Les plus belles turquoises sont les plus saillantes, & celles qui étant les mieux conformées sont en même tems teintes d'un beau bleu céleste, sans aucun mêlange de blanc. Les turquoises européennes, & en particulier celles qu'on trouve en France, dans le Vélay & autres endroits du Languedoc, sont blanchâtres, & d'ordinaire traversées par des veines comme l'ivoire ; aussi nos turquoises ne sont d'aucun prix, & M. de Réaumur ne les a pas remises en valeur, malgré tous les efforts qu'il a faits pour y parvenir ; les turquoises de Perse ne sont point des os d'animaux auxquelles le feu donne la couleur bleue, ce sont des vraies pierres précieuses d'une nature très-différente & d'une toute autre origine.

On dit qu'avec le tems la turquoise perd sa couleur, & l'on marque outre cela certaines circonstances, dans lesquelles on a vu des turquoises changer subitement de couleur. On assûre encore qu'elles verdissent en vieillissant : cette opinion passe pour constante dans l'esprit de beaucoup de personnes, & M. de Réaumur lui-même s'en est déclaré le défenseur ; mais d'autres physiciens moins faciles à persuader regardent cette idée comme une fable, d'autant plus que ce changement de couleur seroit une singularité unique, puisque les autres pierres précieuses sont d'une couleur inaltérable. Selon ce dernier système, les turquoises qui sont verdâtres n'ont jamais cessé de l'être, c'étoit une imperfection de la pierre.

Il est certain que le merveilleux, dont on a chargé les récits des transmutations de couleurs de la turquoise, a dû véritablement choquer les amateurs de la vérité ; mais d'un autre côté, ils auroient tort de douter qu'il n'y ait des turquoises qui changent de couleur, & ce sont les turquoises européennes. On ne peut nier qu'il n'y ait des turquoises qui naissent verdâtres, mais toutes celles qui ont actuellement cette couleur ne l'ont pas toujours eue ; c'est une maladie qui attaque tantôt plus tôt, tantôt plus tard, nos turquoises occidentales ; on en voit assez fréquemment, qui, après avoir conservé pendant assez longtems leur couleur bleue, commencent insensiblement à tirer au verd : presque toujours le mal se manifeste par un point qui se fait appercevoir, ou dans la partie la plus éminente de la pierre, ou sur un des bords ; cet endroit affecté devient terne & pâlit, peu-à-peu le verd se montre, s'étend, &, comme une gangrene, il gagne toute la capacité de la turquoise ; si dans les commencemens on abat la tache en retaillant la pierre, on arrête le progrès du mal, mais il est rare qu'il ne fasse bientôt de nouveaux ravages. Il y a toute apparence qu'une turquoise qui se gâte ainsi, porte dans elle - même quelque partie métallique, quelque particule de cuivre qui se dissout, & qui se chargeant de verd-de-gris corrompt la couleur de la pierre. (D.J.)


TURREBAS. f. (Hist. nat. Botan. exot.) nom donné par les peuples de Guinée & d'autres parties de l'Afrique à une espece d'excellente truffe, qu'ils trouvent en abondance dans leurs déserts stériles, à cinq ou six pouces sous le sable. (D.J.)


TURRISTURRIS


TURRITISS. f. (Hist. nat. Bot.) genre de plante qui ne differe de la julienne qu'en ce que ses siliques sont applaties, & du geroflier qu'en ce que ses semences ne sont pas bordées ; enfin on le distingue du chou par le port de la plante & par ses siliques applaties. Voyez JULIENNE, GEROFLIER & CHOU. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.

Tournefort distingue sept especes de ce genre de plante. La plus commune nommée turritis vulgaris, en anglois the large tower-mustard, a la racine blanche, fibrée comme celle du plantain ; elle pousse de cette même racine des feuilles oblongues, velues, sinueuses en leurs bords, s'épandant çà & là par terre ; il s'éleve de leur milieu une tige à la hauteur de deux piés, ronde, ferme, solide, revêtue de petites feuilles pointues comme celles de la petite oseille, sans queues ; ses sommités ressemblent à celles de la juliane ; elles soutiennent de petites fleurs blanches à quatre pétales, disposées en croix : quand ces fleurs sont passées, il leur succede des gousses fort applaties qui renferment des semences menues, rougeâtres, âcres au goût. Cette plante croît aux lieux montagneux, pierreux, sablonneux, fleurit en Juin, & passe pour être incisive & apéritive. (D.J.)


TURSANLE, (Géog. mod.) pays de France dans la Gascogne. Il est borné au nord par les landes, au midi par le Béarn, au levant par le bas Armagnac, & au couchant par la Chalosse. Il comprend la petite ville d'Aire & celle de S. Sever, qu'on surnomme capitale de Gascogne. On appelle en latin le Tursan, Tursanum, & il a toujours eu les mêmes vicomtes que ceux de Marsan. Il vint au pouvoir des seigneurs de Béarn, comme plusieurs autres vicomtés du voisinage. (D.J.)


TURSI(Géog. mod.) en latin vulgaire Tursia ; petite ville d'Italie au royaume de Naples, dans la Basilicate, entre les rivieres d'Agri & de Sino, avec un évêché qui étoit auparavant à Anglona. Son terroir produit de l'huile, de l'anis, du safran & du coton. Long. 34. 8. lat. 40. 20.


TURTRELLEvoyez TOURTERELLE.


TURULIS(Géog. anc.) fleuve de l'Espagne tarragonoise. Ptolémée, liv. II. ch. vj. marque son embouchure dans le pays des Hédétains, entre l'embouchure du Pallantia & la ville Dianium. (D.J.)


TURUNTUS(Géog. anc.) fleuve de la Sarmatie européenne, selon Ptolémée, liv. III. chap. v. qui marque son embouchure entre celle du Rubon & celle du Chersinus. Cellarius, geogr. antiq. l. II. c. vj. croit que c'est aujourd'hui la riviere de Néva, appellée Weliko par les Moscovites.


TURZOou TURZA, (Géog. anc.) ville de l'Afrique propre, au midi d'Adrumete, selon Ptolémée, liv. IV. c. iij.


TUSCA(Géog. anc.) fleuve d'Afrique aux confins de la Numidie, selon Pline, l. V. c. iij. Le nom moderne est Guav-il-barbar, selon Jean LÉon. Ce fleuve séparoit la Numidie de l'Afrique propre, où commence aujourd'hui l'état de Tunis. (D.J.)


TUSCULANES. f. (Littérat.) c'est le titre que Cicéron a donné à un de ses ouvrages qu'il a nommé questions tusculanes, qui sont des disputes sur divers lieux communs de la philosophie morale. Comme la maison de campagne où l'on suppose que cet ouvrage fut composé, ou qu'on regarde comme la scène des disputes qu'il contient, se nommoit Tusculum, l'auteur en a pris occasion d'appeller ce recueil questions tusculanes. C'est ainsi que M. Huet, alors abbé d'Aulnay, & depuis évêque d'Avranches, a donné à un de ses livres qu'il avoit composé dans cette abbaye, le nom de quaestiones alnetanae. Au reste, les tusculanes de Cicéron forment cinq livres, dont le premier est sur le mépris de la mort, le second sur la patience ou la force d'esprit pour supporter les afflictions, le troisieme sur l'adoucissement des peines, le quatrieme sur les autres passions de l'ame, & le cinquieme enseigne que la vertu suffit pour rendre l'homme heureux. M. l'abbé d'Olivet, de l'académie françoise, a donné une fort belle traduction des tusculanes.


TUSCULUM(Géog. anc.) ville d'Italie dans le Latium, au nord de la ville d'Albe, à douze lieues de Rome, bâtie au haut d'une colline fort élevée par Télégone fils d'Ulysse & de Circé, dit Silius Italicus. Sa situation sur une colline lui a fait donner par Horace le surnom de supernum :

Superni villa candens Tusculi.

Strabon & Plutarque font le nom de cette ville de deux syllabes, & écrivent ; Ptolémée écrit , & tous les Latins Tusculum ; c'étoit un municipe auquel Cicéron donne l'épithète de clarissimum.

Marcus Porcius, l'un des plus grands hommes de l'antiquité, naquit l'an de Rome 519 à Tusculum. Il commença à porter les armes à l'âge de 17 ans, & il fit paroître non - seulement beaucoup de courage, mais le mépris des voluptés, & même de ce qu'on nomme les commodités de la vie. Il étoit d'une sobriété extraordinaire, & il n'y avoit point d'exercice corporel qu'il regardât au-dessous de lui. Au retour de ses campagnes, il s'occupoit quelquefois à labourer ses terres, équipé comme ses esclaves, se mettant à table avec eux, mangeant du même pain, & buvant du même vin qu'il leur donnoit. Mais en même tems il ne négligeoit pas la culture de l'esprit, & sur-tout l'art de la parole. Il vint à Rome, fut choisi tribun militaire par les suffrages du peuple, ensuite on le fit questeur, & de degré en degré il parvint au consulat & à la censure.

Sa sagesse lui fit donner le surnom de Caton, qui passa à ses descendans. Pour le distinguer des autres du même nom, on l'appelle tantôt priscus, l'ancien, parce qu'il fut le chef de la famille Porcia, & tantôt censorius, censeur, à cause qu'il exerça la censure avec une grande réputation de vertu & de sévérité : Horace l'appelle intonsus, parce que les anciens Romains ne se faisoient couper ni les cheveux, ni la barbe avant l'an de Rome 454, comme il paroît par les médailles consulaires qui précedent ce tems-là.

De ses deux femmes, Licinie & Salonie, il eut deux fils qui firent les branches des Liciniens & des Saloniens. Caton d'Utique étoit de la seconde branche, & l'arriere-petit-fils de Caton le censeur. Ce censeur n'avoit qu'un petit héritage dans le pays des Sabins ; mais dans ce tems-là, dit Valere Maxime, chacun se hâtoit d'augmenter le bien de sa patrie & non pas le sien, & on aimoit mieux être pauvre dans un empire riche, que d'être riche dans un empire pauvre.

Il harangua très-souvent, & il inséra dans son histoire romaine quelques-unes de ses harangues. Cette histoire, son ouvrage sur l'art militaire, & celui qu'il fit sur la Rhétorique ne nous sont point parvenus, mais ses livres d'agriculture se sont conservés. Au reste, il fut tout ensemble & grand orateur & profond jurisconsulte, deux qualités qui ne vont guere de compagnie. Cicéron dit de ce grand homme, l. III. de oratore : Nihil in hâc civitate, temporibus illis sciri discive potuit, quod ille non tum investigarit, & scierit, tum etiam conscripserit. On se formeroit de lui une fausse idée si l'on prétendoit que l'austérité seule se faisoit sentir dans ses harangues & dans ses conversations ; il savoit y mêler les agrémens & le badinage, mais il étoit bien-aise que l'on parlât souvent dans les entretiens ordinaires du mérite des hommes illustres.

Il fut accusé plusieurs fois en justice, & se défendit toujours avec une extrême force. " Comme il travailloit bien les autres, dit Plutarque, s'il donnoit la moindre prise du monde sur lui, il étoit incontinent mis en justice par ses malveillants, de maniere qu'il fut accusé 44 fois, à la derniere desquelles il étoit âgé d'environ quatre-vingt ans ; & ce fut là où il dit une parole qui depuis a été bien recueillie " : qu'il étoit mal aisé de rendre compte de sa vie devant des hommes d'un autre siecle que de celui auquel on avoit vécu. Cependant il fut toujours absous, comme Pline nous l'apprend, liv. VII. ch. xxvij. Itaque sit proprium Catonis quater & quadragies causam dixisse, nec quemquam saepius postulatum, & semper absolutum.

Il vécut 85 ans, & conserva jusqu'à la fin de sa vie une grande force de corps & d'esprit. Son tempérament robuste fit qu'il eut besoin de femme dans sa vieillesse ; & parce que son concubinage avec une jeune fille ne put demeurer caché autant qu'il vouloit, il se remaria & épousa la fille de Salonius, qui avoit autrefois été son greffier ; il faut lire cette anecdote dans Plutarque. Il fut bon mari & bon pere, & aussi exact à entretenir la discipline dans sa maison, qu'à réformer les désordres de la ville.

" Pendant qu'il étoit préteur en Sardaigne, dit Plutarque (je me sers toujours de la version d'Amyot), au-lieu que les autres préteurs avant lui mettoient le pays en grands frais, à les fournir de pavillons, de lits, de robes & autres meubles, & chargeoient les habitans d'une grande suite de serviteurs, & grand nombre de leurs amis qu'ils traînoient toujours quant & eux, & d'une grosse dépense qu'ils faisoient ordinairement en banquets & festoyemens ; lui au contraire y fit un changement de superfluité excessive en simplicité incroyable : car il ne leur fit pas coûter pour lui un tout seul denier, pource qu'il alloit faisant sa visitation par les villes à pié, sans monture quelconque, & le suivoit seulement un officier de la chose publique, qui lui portoit une robe & un vase à offrir du vin aux dieux ès sacrifices ".

L'inscription de la statue que le peuple romain lui érigea après sa censure, rendoit un témoignage bien glorieux à sa vertu réformatrice ; l'inscription étoit telle : A l'honneur de Marcus Cato censeur, qui par bonnes moeurs, saintes ordonnances & sages réglemens, redressa la discipline de la république romaine, qui commençoit déja à décliner & à se détruire. On sait bien cependant qu'insensible aux louanges & aux érections de statues, il répondit un jour à quelques-uns qui s'émerveilloient de ce qu'on dressoit ainsi des images à plusieurs petits & inconnus personnages, & à lui non : J'aime mieux, dit-il, qu'on demande pourquoi l'on n'a point dressé des statues à Caton, que pourquoi on lui en a dressé. Mais le lecteur aimera mieux lire cette belle réponse dans le latin d'Ammien Marcellin : Censorius Cato.... interrogatus quamobrem inter multos nobiles statuam non haberet : malo, inquit, ambigere bonos quamobrem id non meruerim, quam quod est gravius, cur impetraverim necessitate. Amm. Marcell. lib. XI. cap. vj. Enfin, le lecteur trouvera l'éloge complet de Caton dans le meilleur des historiens latins, Tite-Live, liv. XXXIX. ch. lx. & lxj. Sa vie a été donnée par Plutarque, & son article dans Bayle est extrêmement curieux. Je reviens à Tusculum.

Cette ville est encore célebre par les palais que plusieurs grands de Rome y éleverent à l'envi, mais surtout parce que Cicéron avoit dans son voisinage sa principale maison de plaisance. C'est dans cette aimable solitude que l'orateur de Rome oublioit ses triomphes & sa dignité. Tantôt il y assembloit une troupe d'amis choisis pour lire avec eux les écrits les plus rares & les plus intéressans ; tantôt il sondoit seul les secrets de la philosophie, & travailloit à enrichir son pays des lumieres des sages de la Grece. Rousseau le dit en de très-beaux vers :

C'est-là que ce romain, dont l'éloquente voix

D'un joug presque certain sauva la république,

Fortifioit son coeur dans l'étude des loix

Ou du Licée, ou du Portique ;

Libre des soins publics qui le faisoient réver,

Sa main du consulat laissoit flotter les rènes,

Et courant à Tuscule, il alloit cultiver

Les fruits de l'école d'Athenes.

Tusculum fut ruiné par l'empereur Henri ; c'est sur ses ruines que l'on a bâti le bourg de Frascati à une lieue de l'ancien Tuscule dans la campagne de Rome ; & c'est sur les ruines de la maison de plaisance de Cicéron qu'on a élevé l'abbaye de Grotta-Ferrata. Voyez FRASCATI & GROTTA-FERRATA. (D.J.)


TUSINTUSIN


TUSSILAGES. f. (Hist. nat. Botan.) il n'y a dans le système de Tournefort qu'une seule espece de ce genre de plante, tussilago vulgaris, I. R. H. 487. en anglois, the common coolts-foot. Sa racine est longue, menue, blanchâtre, tendre, rampante ; elle pousse plusieurs tiges à la hauteur d'environ un pié, creuses en-dedans, cotonnées, rougeâtres, revêtues de petites feuilles sans queue, pointues, placées alternativement ; elles soutiennent chacune en leur sommet une fleur, belle, ronde, radiée, jaune, ressemblante à celle de l'aster, avec cinq étamines capillaires & très-courtes, à sommets cylindriques ; à quoi succedent plusieurs semences oblongues, applaties, garnies chacune d'une aigrette. Après les fleurs naissent les feuilles, & ces feuilles sont grandes, larges, anguleuses, & presque rondes.

Cette plante croît aux lieux humides, comme aux bords des rivieres, des ruisseaux, des fontaines, des fossés, dans les terres grasses & un peu aquatiques. Elle fleurit au commencement de Mars, & sa fleur ne dure pas long-tems ; elle trace, & multiplie beaucoup dans les jardins. (D.J.)

TUSSILAGE, ou PAS D'ANE, (Mat. méd.) ce sont principalement les fleurs de tussilage qui sont d'usage en Médecine ; on se sert pourtant aussi quelquefois de ses feuilles, de ses racines, & de ses diverses parties, tant intérieurement qu'extérieurement.

Ces remedes tiennent un rang distingué parmi les béchiques ou pectoraux ; on les prescrit en infusion ou en décoction à la dose de trois ou quatre pincées pour chaque pinte de liqueur, soit seules, soit mêlées à d'autres remedes pectoraux. Voyez PECTORAL.

Cette tisane soit simple, soit composée, est un remede populaire contre le rhume.

On trouve dans les boutiques un syrop de tussilage simple, un syrop composé, auquel cette plante donne son nom, & une conserve faite avec les fleurs. On retire aussi de ses fleurs une eau distillée qui ne participe certainement point de leur qualité adoucissante ; car elles doivent cette qualité à une substance mucilagineuse, qui n'est rien moins que volatile. Le syrop de tussilage simple se prépare avec l'infusion ou la décoction des fleurs non mondées de leurs pédicules. Il possede toute la qualité adoucissante du tussilage, que le sucre augmente encore plutôt qu'il ne l'affoiblit ; on doit avoir précisément la même idée de la conserve. Le syrop de tussilage composé se prépare de la maniere suivante, selon LÉmeri, (Pharmac. univers.) prenez racine de tussilage demi-livre, feuilles & fleurs de la même plante quatre poignées, capillaire de Montpellier deux poignées, reglisse une once ; faites cuire dans huit livres d'eau commune jusqu'à la dissipation du tiers ; clarifiez la colature avec cinq livres de beau sucre, & cuisez en consistance de syrop selon l'art ; toutes les matieres employées dans ce syrop sont douées de vertus fort analogues, par conséquent le syrop de tussilage composé a les mêmes propriétés que le syrop de tussilage simple.

La racine de tussilage entre d'ailleurs dans le syrop de velar, les fleurs dans le syrop de grande consoude, dans celui de rossolis, & dans la décoction pectorale de la pharmacopée de Paris ; les fleurs & les racines dans les trochisques noirs de la même pharmacopée, &c.

Quant à l'usage extérieur de cette plante, on applique quelquefois ses feuilles pilées en forme de cataplasme sur les tumeurs inflammatoires, pour les relâcher & en diminuer la douleur. (b)


TUTANUSS. m. (Mytholog.) Varron met Tutanus au rang des dieux tutélaires ; mais il ne paroît pas que cette divinité ait fait fortune. (D.J.)


TUTELAS. f. (Antiq. rom.) on a découvert à Bordeaux les restes d'un ancien temple avec une inscription à la déesse Tutela, que l'on croit avoir été la patrone de cette ville, plus particulierement des négocians qui commerçoient sur les rivieres. Ce temple qu'on nomme aujourd'hui les piliers de Tutela, étoit un pérystile oblong, dont huit colonnes soutenoient chaque face, & six les deux extrêmités : chacune de ces deux colonnes étoit si haute, qu'elle s'élevoit au-dessus des plus hauts édifices de la ville. Louis XIV. fit abattre les voûtes de ce temple que le tems avoit déjà fort endommagées, pour former l'esplanade qui est devant le château-Trompette. (D.J.)


TUTÉLAIREadj. (Gram. & Littér.) du latin tutela, protection, défense, sûreté, est celui qui a pris quelque personne ou quelque bien en sa sauvegarde ou protection. Voyez GARDIEN & PROTECTION.

Les anciens tant grecs que romains, pensoient avoir des divinités tutélaires pour les empires, les villes, les familles. A Troie c'étoit le palladium ; à Athènes, Minerve ; à Rome, les boucliers sacrés de Numa, & dans chaque famille ses dieux lares ou pénates. Voyez LARES & PENATES.

C'est une opinion ancienne dans le Christianisme & fondée sur l'Ecriture, qu'il y a des anges tutélaires des royaumes, des villes, & même des personnes. Les Catholiques croyent que chaque fidele a depuis le moment de sa naissance un de ces anges tutélaires attaché à sa personne pour le défendre des tentations, le préserver des périls, & l'exciter à l'observation de la loi, & cette créance est un des motifs du culte religieux qu'ils rendent aux anges. Voyez ANGE, DEMON, GENIE, GARDIEN.

Le P. Antoine Macedo, jésuite portugais de Coimbre, a publié un grand ouvrage in-folio, sur tous les saints tutélaires de tous les royaumes, provinces, & grandes villes du monde chrétien, intitulé, Divi tutelares orbis christiani, & imprimé à Lisbonne en 1687. Voyez PATRON, SAINT, &c.


TUTELES. f. (Gram. & Jurisprud.) tutela, du latin tueri, est la puissance que quelqu'un a sur la personne & les biens d'un pupille mineur ou autre, qui par rapport à la foiblesse de son âge, ou à quelque autre infirmité ou empêchement, comme le furieux & le prodigue, n'est pas en état de veiller par lui-même à la conservation de ses droits.

La tutele des impuberes & singulierement celle des pupilles orphelins, dérive du droit naturel, qui veut que l'on pourvoye à la conservation de la personne & des biens de ceux qui ne sont pas en état de défendre leurs droits ; la tutele des mineurs puberes, & celle des autres personnes qui ont quelquefois besoin de tuteur, dérive du droit civil.

L'institution des tuteurs est fort ancienne, puisque nous voyons dans Tite-Live qu'Ancus Marcius, l'un des premiers rois de Rome, voulut que Tarquin l'ancien fût tuteur de ses enfans ; il est à présumer que cette tutele fut déférée par testament, & conséquemment que la tutele testamentaire est la plus ancienne de toutes.

Elle fut en effet autorisée par la loi des 12. tables, pater-familias uti legassit super pecuniâ tutelâve rei suae ita jus esto ; ce qui fait croire que la tutele testamentaire se pratiquoit chez les Grecs ; la loi des 12. tables ayant été formée par les décemvirs de ce qu'ils trouverent de meilleur dans les loix de ces peuples.

Le tuteur est donné à la personne & biens du pupille, ou autre personne soumise à la tutele, à la différence du curateur, qui n'est que pour les biens ; c'est pourquoi il importe beaucoup que le tuteur soit de bonnes moeurs, afin qu'il éleve son pupille dans les sentimens d'honneur & de vertu.

La tutele étant une charge publique, on contraint celui qu'elle regarde naturellement, de l'accepter.

On oblige aussi le pupille ou mineur d'avoir un tuteur, au lieu que dans les pays de droit écrit, on ne force point les mineurs puberes de prendre de curateur.

Le mineur peut seul & sans l'autorité & le consentement de son tuteur, faire sa condition meilleure ; mais il ne peut s'obliger seul, il faut que ce soit son tuteur qui le fasse pour lui.

On distingue en Droit trois sortes de tutele ; la testamentaire, la légitime, & la dative ; la premiere est celle qui est de force par le testament du pere ou de la mere ; la tutele légitime, celle qui est déférée par la loi au plus proche parent, ou à son défaut, au plus proche voisin ; la dative, celle qui est donnée par le juge, après avoir pris l'avis des parens.

Les tuteles testamentaire & légitime ont encore lieu dans quelques pays ; mais elles ont besoin d'être confirmées par le juge ; c'est pourquoi l'on dit communément qu'en France toutes les tuteles sont datives.

Le pere & la mere sont cependant tuteurs naturels de leurs enfans, & peuvent gérer sans être nommés par le juge.

On peut nommer un ou plusieurs tuteurs à une même personne, lui donner des tuteurs honoraires, & des tuteurs onéraires, donner au tuteur un conseil sans l'avis duquel il ne puisse rien faire, exiger du tuteur caution, s'il n'est pas solvable.

La fonction de tuteur étant un office public & civil, on ne peut pas y nommer une femme, à moins que ce ne soit la mere ou l'ayeule ; on présume que dans ces personnes la tendresse supplée ce qui pourroit leur manquer d'ailleurs ; mais on ne peut pas les contraindre d'accepter la tutele.

Tout tuteur nommé ou confirmé par le juge, doit prêter serment de bien administrer avant de s'immiscer dans l'administration.

Celui que l'on veut nommer tuteur, peut se faire décharger de la tutele s'il a quelque excuse légitime ; ces causes sont le grand nombre d'enfans ; il en falloit trois à Rome, quatre en Italie, & cinq dans les provinces ; l'âge de 70 ans ; la grande pauvreté ; l'exercice de quelque magistrature, même municipale ; un procès avec le mineur ; le défaut de savoir lire & écrire ; l'inimitié capitale ; une infirmité ordinaire ; l'absence pour le service public ; la profession des armes ou des arts libéraux.

Il y a des excuses qui ne sont que pour un tems, comme la charge de deux tuteles, la minorité de 25 ans, la recette des deniers publics, une maladie actuelle.

Son premier soin doit être de veiller à l'éducation du pupille ou mineur.

Il doit aussi administrer fidélement & diligemment les biens, & pour cet effet commencer par faire faire inventaire, faire vendre les meubles, placer les deniers oisifs, & faute de le faire dans un délai compétent, il en doit les intérêts, & même les intérêts des intérêts ; il doit écrire jour par jour sa recette & sa dépense, & la tutele finie, en rendre compte.

Dans quelques pays, comme en Normandie, les nominateurs du tuteur sont responsables de sa solvabilité ; ailleurs ils n'en sont point garants, à-moins qu'il n'y ait eu du dol de leur part.

En pays de droit écrit la tutele finit à la puberté ; en pays coutumier, à la majorité seulement, à-moins que le mineur ne soit plus tôt émancipé.

La tutele finit aussi par la mort du mineur, & par celle du tuteur, & par la mort civile de l'un ou de l'autre.

Elle finit encore, lorsque le tuteur est déchargé de la tutele à cause de quelque excuse légitime qu'il a, ou lorsqu'il est destitué comme suspect, soit pour ses mauvaises moeurs, soit pour malversation.

Pour les différentes sortes de tuteles & de tuteurs, voyez les subdivisions suivantes.

Voyez aussi au digeste les titres de administr. & peric. tut. & au code de administr. tut. & celui de peric. tut. & aux instit. de tutelis, & les autres titres suivans, Brillon, au mot tutele, le Tr. des minorités de Meslé. (A)

TUTELE à l'accroissement ou augment. Voyez TUTEUR à l'augment.

TUTELE actionnaire. Voyez TUTEUR actionnaire.

TUTELE aux actions immobiliaires. Voyez TUTEUR aux actions immobiliaires.

TUTELE des agnats, étoit chez les Romains une tutele légitime ou légale, qui étoit déférée au plus proche des parens paternels du mineur, qu'on appelloit agnati, agnat ; mais Justinien ayant par sa novelle 118. abrogé le droit d'agnation, la tutele légitime fut depuis ce tems déférée au plus proche parent paternel ou maternel. Voyez le chap. v. de la novelle 118. & ci-après l'article TUTELE légitime.

TUTELE attilienne. Voyez TUTEUR attilien.

TUTELE à l'augment. Voyez TUTEUR à l'augment.

TUTELE comptable. Voyez TUTEUR comptable.

TUTELE consulaire. Voyez TUTEUR consulaire.

TUTELE dative, selon le droit romain, étoit celle qui au défaut de la testamentaire & de la légitime étoit déferée par le magistrat en vertu de la loi attilia, pour ceux qui demeuroient dans la ville, & en vertu de la loi julia & titia pour ceux qui demeuroient dans les provinces. Voyez TUTEUR attilien, & TUTEUR suivant la loi julia & titia.

La même gradation est encore observée pour les tuteles en pays de droit écrit.

Mais dans la France coutumiere, toutes les tuteles sont datives, si ce n'est dans quelques coutumes particulieres qui admettent la tutele testamentaire.

Cependant si le pere ou la mere ont nommé un tuteur par testament à leurs enfans, il est ordinairement confirmé par le juge, & quand le pere ou la mere qui survit veut bien accepter la tutele de ses enfans, le juge lui donne ordinairement la préférence. Voyez TUTELE légitime, TELE testamentaireaire.

TUTELE aux enfans à naître. Voyez TUTEUR aux enfans à naître.

TUTELE fiduciaire étoit celle qui après le décès du pere tuteur légitime, qui avoit émancipé ses enfans impuberes, étoit déférée aux enfans majeurs qui étoient demeurés dans la famille, c'est-à-dire non-émancipés.

Mais cette sorte de tutele qui avoit encore lieu par le droit des institutes, fut supprimée par Justinien, lors de la derniere édition de son code, par lequel il ordonne que le droit d'agnation demeureroit entre les freres émancipés.

La tutele des peres n'étoit aussi au commencement que fiduciaire. Voyez TUTELE des patrons.

TUTELE ad hoc. Voyez TUTEUR ad hoc.

TUTELE honoraire. Voyez TUTEUR honoraire.

TUTELE pour l'instruction. Voyez TUTEUR pour l'instruction.

TUTELE légitime, signifie en général celle qui est déférée par la loi au plus proche parent du mineur, il y en avoit de quatre sortes chez les Romains, savoir celle des agnats, celle des patrons, celle des peres, parentum, & la tutele fiduciaire. Voyez TUTELE des agnats, des patrons, des peres, & fiduciaire.

Les tuteles légitimes des agnats ou parens paternels furent établies par la loi des douze tables, elles furent ensuite réglées par les loix de Justinien que l'on suit encore à cet égard en pays de droit écrit, du moins pour la tutele des peres & meres, à leur défaut au plus proche parent paternel ou maternel.

Quelques coutumes admettent la tutele légitime, telle que celle de Poitou, en faveur de la mere ; celle de Bourbonnois l'admet pour la mere, & à son défaut pour l'ayeul ou ayeule paternels & maternels, les paternels néanmoins préférés aux autres ; la coutume d'Auvergne y appelle la mere, mais elle lui préfére l'ayeul paternel, & même le frere des mineurs qui est majeur de vingt-cinq ans.

Quoique la loi appelle quelqu'un à la tutele, il doit néanmoins être confirmé par le juge, ainsi qu'il est dit dans la coutume d'Auvergne. Voyez ci-après TUTELE naturelle.

TUTELE suivant la loi julia, &c. Voyez TUTEUR suivant la loi julia, & TUTELE dative.

TUTELE mixte est celle qui dérive du testament du pere, & qui est confirmée par le juge : on l'appelle mixte parce qu'elle est tout-à-la-fois testamentaire & dative. Voyez Grégor. Tolos. tit. de tutelis.

TUTELE naturelle est celle qui appartient à quelqu'un, jure naturae, comme au pere & à la mere, par une suite de la puissance & autorité qu'ils ont sur leurs enfans ; c'est la premiere dans l'ordre des tuteles légitimes ; il en est parlé dans les coutumes de Bretagne, Tours, Poitou, Loudun. Voyez TUTELE LEGITIME, PUISSANCE PATERNELLE, GARDE.

TUTELE onéraire. Voyez TUTEUR onéraire.

TUTELE des patrons étoit chez les Romains une tutele légitime, établie par une interprétation de la loi des douze tables, qui étoit déferée au patron sur la personne de son affranchi, par la raison qu'il en étoit l'héritier légitime. Voyez aux institutes le tit. de legitimâ patron. tut.

TUTELE du pere, appellée en droit legitima parentum tutela, est celle qui à l'exemple du patron, étoit déferée au pere qui avoit émancipé ses enfans impuberes.

Elle a lieu en vertu d'une constitution de l'empereur Justinien.

Au commencement elle étoit seulement fiduciaire & n'étoit déferée aux peres sur leurs enfans impuberes émancipés, qu'au moyen d'une convention en la formule appellée fiducia.

Mais depuis elle fut rendue légitime, c'est-à-dire, de droit, en vertu de la constitution de Justinien, qui ordonna que de quelque maniere que les peres eussent émancipé leurs enfans, ils conserveroient toujours sur leurs personnes & leurs biens, tous les droits légaux, & qu'ainsi ils seroient vraiment tuteurs légitimes. Voyez instit. de legit. parent. tutelâ.

TUTELE permise ou permissive, permissiva : on donnoit quelquefois en droit ce nom à la tutele testamentaire, parce qu'il étoit permis au testateur de nommer le tuteur. Voyez Grégor. Tolos.

TUTELE perpétuelle, c'étoit chez les Romains, celle où étoient autrefois les femmes mêmes puberes & majeures.

Suivant la loi des douze tables, les femmes orphelines non-mariées, demeuroient perpétuellement sous la tutele soit de leur frere soit de leur plus proche parent paternel.

La loi attilia ordonna que le préteur & la plus grande partie des tribuns donnassent des tuteurs aux femmes & aux pupilles qui n'en avoient pas.

Il y avoit néanmoins cette différence entre les tuteurs des pupilles & ceux des femmes puberes, que les premiers avoient la gestion des biens de leurs mineurs, au-lieu que les tuteurs des femmes interposoient seulement leur autorité.

Quand la femme se marioit, elle passoit de la main ou puissance de son tuteur, en celle de son mari, ainsi elle étoit dans une tutele perpétuelle.

Mais la loi claudia ôta les tuteles légitimes des femmes, & ne soumit à la tutele que celles qui étoient pupilles & impuberes, & à l'égard des femmes mariées les droits du mari furent restraints ; il lui fut défendu d'aliéner la dot, sans le consentement de sa femme, & l'on permit à celle-ci de disposer de ses paraphernaux. Voyez le traité des minorités de Meslé, ch. iij. (A)


TUTELINAS. f. (Mythol.) divinité romaine qui veilloit à la conservation des moissons & des fruits de la terre déjà recueillis : on lui avoit érigé des statues, des autels, & un temple qui étoit sur le mont Aventin. (D.J.)


TUTEURS. m. (Gram. & Jurisprud.) tutor, quasi tuitor ac defensor, est celui qui est chargé de la tutele de quelqu'un, c'est-à-dire de veiller à l'administration de sa personne & de ses biens. Voyez ci-devant le mot TUTELE, & les subdivisions suivantes du mot TUTEUR.

TUTEUR à l'accroissement. Voyez ci-après TUTEUR à l'augment.

TUTEUR actionnaire, en Normandie, est le tuteur onéraire qui gere les affaires de la tutele, à la différence du tuteur honoraire qu'on appelle dans cette province tuteur consulaire, lequel n'est que pour le conseil. Voyez l'article 37. du reglement du parlement de Rouen sur les tuteles.

TUTEUR aux actions immobiliaires, est celui que l'on donne à un mineur émancipé, pour stipuler pour lui, tant en jugement que dehors, lorsqu'il s'agit de ses droits immobiliers.

TUTEUR attilien, attilianus tutor, étoit chez les Romains un tuteur datif, qui étoit établi au défaut de tuteur testamentaire & légitime, par la disposition du magistrat, en vertu de la loi attilia, pour les personnes demeurantes à Rome, de même qu'on en donnoit à ceux qui demeuroient dans les provinces, en vertu de la loi julia & titia.

Au commencement les tuteurs, en vertu de la loi attilia, étoient donnés dans la ville par le préteur appellé urbanus, & par la plus grande partie des tribuns du peuple.

Depuis, l'empereur Claude ordonna que les tuteurs seroient donnés extraordinairement par les consuls sur information.

Dans la suite, Marc-Antonin établit le préteur pour donner ces tuteurs, de maniere qu'il pouvoit les contraindre à gérer, & qu'il exigeoit d'eux qu'ils donnassent caution.

Enfin l'usage introduisit que le prefet de la ville & le préteur appellé urbanus, donnerent ces tuteurs, chacun dans leur district, savoir le prefet aux personnes qui avoient le titre de clarissimes, & le préteur aux autres. Voyez aux instituts le titre de attiliano tutore, &c.

TUTEUR à l'augment, augmento, on entend par-là non pas un tuteur nommé pour veiller à la conservation de l'augment de dot, mais celui qui étoit nommé en particulier pour gérer les biens échus au mineur depuis la premiere tutele déferée ; celui qui étoit ainsi nommé n'étoit pas tenu de veiller aux biens échus précédemment ; mais si l'on ne nommoit pas de nouveau tuteur, l'ancien étoit obligé de veiller à tout. Voyez la loi 9. ff. de administr. & peric. tut. §. 8. & 9.

TUTEUR comptable est celui qui touche les deniers du mineur, & qui doit en rendre compte ; tous les tuteurs onéraires sont comptables, les tuteurs honoraires ne le sont pas, parce qu'ils ne sont que pour le conseil.

TUTEUR consulaire, on appelle ainsi en Normandie le tuteur honoraire, parce qu'il n'est que pour le conseil. Voyez l'article 37. du reglement du parlement de Normandie sur les tuteles.

CO-TUTEUR, est celui qui est tuteur conjointement avec un autre.

TUTEUR datif. Voyez ci-devant TUTELE dative.

TUTEUR aux enfans à naître, est celui qui est nommé pour prendre les intérêts d'enfans qui ne sont pas encore nés, & pour lesquels cependant il y a des droits à conserver. Voyez TUTEUR à la substitution.

TUTEUR excusé est celui qui pour quelque cause légitime a obtenu d'être déchargé de la tutele qu'on vouloit lui déférer. Voyez aux instit. le tit. de excus. tut. vel curat.

TUTEUR fiduciaire. Voyez ci-devant TUTELE fiduciaire.

TUTEUR ad hoc est celui qui est nommé spécialement pour une certaine affaire, comme pour entendre un compte, faire un partage, intenter une telle action contre le tuteur ordinaire ; le pouvoir de ce tuteur est borné à ce qui fait l'objet de sa commission, & finit lorsqu'elle est remplie.

TUTEUR honoraire, est celui qui est nommé par honneur seulement, pour assister de ses conseils le mineur & son tuteur onéraire. Ces tuteurs honoraires ne sont pas obligés de se mêler de l'administration des biens du mineur, & quand ils ne l'ont pas fait, ils ne sont pas comptables ; cependant ils peuvent aussi gérer, à moins que cela ne leur ait été défendu expressément, & quand ils l'ont fait, ils sont comptables comme les autres.

TUTEUR pour l'instruction, notitiae causâ datus, c'étoit chez les Romains un affranchi que le pere nommoit pour instruire les tuteurs qui devoient gérer, la gestion ne lui étant pas déferée à cause de son peu de bien. Ce tuteur étoit néanmoins garant, si le mineur souffroit quelque préjudice, faute par lui d'avoir instruit les tuteurs onéraires, ou de les avoir déferés comme suspects. Voyez la loi 32. §. 1. de testam. tut. la loi 14. §. 6. de solut. & la loi 1. cod. de peric. tut. Parmi nous, on ne connoît point ces sortes de tuteurs, il y a seulement quelquefois des agens de la tutele, comme chez les Romains, ce qu'ils appelloient adjutores tutelae, comme qui diroit aides de tutele.

TUTEUR légitime. Voyez ci - devant TUTELE légitime.

TUTEUR suivant la loi julia & titia, étoit chez les Romains celui qui étoit donné en vertu de ces loix, dans les provinces, à ceux qui n'avoient ni tuteur testamentaire, ni tuteur légitime. Le gouverneur étoit d'abord le seul qui conférât ces tuteles ; dans la suite ce droit fut communiqué aux officiers municipaux, au cas que la fortune du pupille fût modique, de maniere néanmoins qu'ils ne se faisoient point sans l'ordre du gouverneur ; que s'il s'agissoit de nommer un tuteur qui demeurât hors de leur ressort, ils ne le donnoient pas eux-mêmes, ils nommoient seulement au président quelques sujets idoines, entre lesquels il en choisissoit un. Enfin Justinien les dispensa d'attendre l'ordre du gouverneur, à condition néanmoins que si les facultés du mineur excédoient cinq cent écus, l'évêque de la ville, ou les autres personnes publiques seroient adjointes aux officiers municipaux pour la nomination du tuteur. Voyez aux instit. le tit. de attiliano tutore, & ci-devant TUTELE dative, & TUTEUR attilien.

TUTEUR naturel. Voyez ci-devant TUTELE naturelle.

TUTEUR né est celui qui est de droit tuteur naturel, comme les peres & meres le sont de leurs enfans.

TUTEUR notitiae causâ. Voyez ci-devant TUTEUR pour l'instruction.

TUTEUR onéraire est celui qui est véritablement chargé de la gestion de la tutele, à la différence du tuteur honoraire, lequel ordinairement ne gere point & ne fait que donner ses conseils. Voyez TUTEUR consulaire, TEUR honoraireaire.

TUTEUR au posthume, est celui qui est nommé pour veiller aux intérêts d'un enfant conçu, mais qui n'est pas encore né & dont le pere est mort.

PRO-TUTEUR est celui qui sans avoir été nommé tuteur, cependant en tient lieu & devient comptable comme s'il étoit véritablement tuteur ; tel est le second mari d'une femme qui étoit tutrice de ses enfans.

SUBROGE - TUTEUR : on entend par-là celui qui est nommé, à l'effet d'assister à la levée du scellé, à l'inventaire & à la vente des meubles ; lorsque le conjoint survivant est tuteur de ses enfans, on nomme en ce cas un subrogé-tuteur pour servir de contradicteur vis-à-vis du pere ou de la mere dont les intérêts peuvent être différens de celui des enfans.

TUTEUR à la substitution, est celui qui est nommé pour veiller aux droits d'une substitution qui n'est pas encore ouverte, ou pour veiller aux intérêts de ceux qui sont appellés au défaut du premier appellé, ou après lui.

TUTEUR suspect est celui qui gere frauduleusement ou négligemment la tutele, ou qui est de mauvaises moeurs. Il doit être destitué de la tutele, Instit. de suspectis tutor.

TUTEUR testamentaire. Voyez ci - devant TUTELE testamentaire. (A)

TUTEUR, (terme de Jardin.) les jardiniers nomment assez bien tuteur un gros pilier de bois ou appui qu'ils attachent au tronc d'un arbre pour le soutenir, & pour le faire monter plus droit. (D.J.)


TUTHIES. f. (Mat. médic. des anc.) cadmia fornacum ; Dioscoride & Pline, sur-tout le premier, se sont fort étendus sur la tuthie, & s'accordent ensemble à la définir un récrément de métaux qui s'attache aux parois & à la voute des fourneaux où l'on fond le métal ; ils regardent l'un & l'autre la cadmie comme un remede astringent, propre à déterger les ulceres sanieux, à les dessécher & à les cicatriser. Mais ils différent dans l'énumération des especes de cadmie. Pline dit que la cadmie botryitis rouge, étoit la meilleure de toutes les cadmies. Dioscoride ne fait aucune mention de cadmie rouge, & nomme une cadmie bleue dont Pline ne dit mot, comme la plus excellente de toutes. Il se peut bien néanmoins que la cadmie rouge de Pline, & la bleue de Dioscoride soient une seule & même substance. Les Grecs avoient coutume de nommer tout ce qui étoit bleu du mot cyanizusa, c'est-à-dire, ressemblant au cyanus (bluët des prés) en couleur ; ce mot , un peu mal écrit, pourroit être celui que Pline ou son secrétaire aura trouvé dans quelques auteurs grecs ou dans Dioscoride, & pour , il a traduit rouge, au lieu de bleu. Comme nous avons plusieurs inexactitudes de cette espece dans Pline, à l'égard des drogues mentionnées dans les autres naturalistes grecs, il me semble qu'il vaut encore mieux concilier ainsi son récit de la cadmie, que de supposer qu'il en connoissoit une espece particuliere, dont aucun autre écrivain n'a parlé. (D.J.)

TUTHIE, s. f. (Préparat. métallurg.) tuthia vulgaris, offic. cadmia fornacum, Agricol. C'est une crasse de la pierre calaminaire fondue avec le cuivre, au lieu que la cadmie des anciens ne venoit que du cuivre seulement. Ainsi la tuthie des boutiques est la pierre calaminaire, qui dans la fusion du cuivre se sublime à la partie supérieure du fourneau, où elle s'attache à des piques de fer, & forme une croute dure compacte, que l'on fait tomber en morceaux, semblables à des morceaux d'écorces d'arbres, sonores, polis intérieurement, d'une couleur tirant sur le jaune, parsemés extérieurement de beaucoup de petits grains, & de couleur de cendre, qui tire un peu vers le bleu.

Cette tuthie dont nous nous servons, est peut-être la même que celle des Arabes, puisque Serapion décrit une sorte de tuthie qui se fait & qui se ramasse dans des fourneaux, dans lesquels on jaunit le cuivre. Peut-être aussi que par le mot de tuthie, ils entendent la pierre calaminaire elle même ; tout cela n'est pas trop clair dans leurs livres.

On place la tuthie parmi les plus excellens remedes ophthalmiques ; car elle déterge, & desseche sans mordre. C'est pourquoi on la prescrit heureusement dans les ulceres de la cornée & des paupieres, dans la démangeaison des yeux, dans les ophthalmies invétérées, & pour guérir les yeux larmoyans.

On emploie rarement la tuthie sans être préparée. On la prépare en la mettant au feu, en l'éteignant trois ou quatre fois dans de l'eau rose, & en la pulvérisant sur le marbre, selon l'art. On en fait un collyre avec de l'eau-rose ; ce collyre est beaucoup meilleur que d'employer cette drogue dans les onguens qu'on nomme ophthalmiques. (D.J.)


TUTHOA(Géog. anc.) riviere du Péloponnèse, dans l'Arcadie. Le Ladon, dit Pausanias, liv. VIII. chap. xxv. reçoit la riviere de Tuthoa, auprès d'Hérée sur les confins des Thelphusiens ; & la campagne voisine du confluent des deux rivieres, s'appelle par excellence la plaine. (D.J.)


TUTIA(Géog. anc.) ville de l'Espagne citérieure. Ce fut selon Florus, lib. III. cap. xxij, une des villes que les Romains reprirent, après que Sertorius eut été assassiné, & que Perpenna eut été vaincu, & livré à Pompée. (D.J.)


TUTICUM(Géog. anc.) ville d'Italie, dans le pays des Salmites, selon Ptolémée, liv. III. ch. j. c'est l'Aquus Tuticus de l'itinéraire d'Antonin.


TUTINGEN(Géog. mod.) petite ville d'Allemagne, en Souabe, proche le Danube, & dans le domaine du duché de Wirtemberg. (D.J.)


TUTOYEMENTS. m. (Poésie dram.) le tutoyement qui rend le discours plus serré, plus vif, a souvent de la noblesse & de la force dans la tragédie ; on aime à voir Rodrigue & Chimene l'employer. Remarquez cependant que l'élégant Racine ne se permet guere le tutoyement, que quand un pere irrité parle à son fils, ou un maître à son confident, ou quand une amante emportée se plaint à son amant.

Je ne t'ai point aimé, cruel, qu'ai-je donc fait ?

Hermione dit :

Ne devois-tu pas lire au fond de ma pensée ?

Phédre dit :

Eh bien, connois donc Phedre & toute sa fureur.

Mais jamais Achille, Oreste, Britannicus, &c. ne tutoyent leurs maitresses. A plus forte raison, cette maniere de s'exprimer doit - elle être bannie de la comédie qui est la peinture de nos moeurs. Moliere en a fait usage dans le dépit amoureux, mais il s'est ensuite corrigé lui - même. Voltaire. (D.J.)


TUTRICES. f. (Gram. Juris.) est celle qui a la tutele de ses enfans ou petits - enfans ; les femmes en général ne peuvent être tutrices à cause de la foiblesse de leur sexe, on excepte seulement la mere, & à son défaut l'ayeule, lesquelles peuvent & ont droit d'être tutrices de leurs enfans & petits-enfans, parce que l'on présume que la tendresse maternelle supplée ce qui peut leur manquer d'ailleurs. Voyez FEMME, TUTELE, TUTEUR. (A)


TUTTI(Musiq. Italienne) terme italien employé dans la Musique, & qu'on marque par abréviation d'un T seulement ; ce terme est pour avertir que toutes les parties du grand choeur doivent chanter. Boissard. (D.J.)


TUTUCURINTUTOCORIN, TUTUCORY, (Géog. mod.) ville de la presqu'isle occidentale de l'Inde, sur la côte de la pescherie, entre le cap de Comorin, & le passage de Ramanor. Elle est très-peuplée, & c'est le seul endroit de la côte où les vaisseaux européens puissent aborder, cette rade étant couverte par deux isles qui en font la sureté. Les Hollandois y ont une forteresse, qui leur sert à faire un grand commerce sur toute cette côte. Latit. suivant le pere Noel, 8, 52. (D.J.)


TUTULUSS. m. (Littérat.) touffe de cheveux élevée au haut de la tête, & lié avec un ruban pourpre ; ce fut une mode de coëffer qui régna pendant quelque tems chez les hommes & les dames Romaines ; elle consista, en se perfectionnant, à arranger avec art ses cheveux sur la tête en forme de tour ; nous avons des médailles qui nous en donnent la représentation. (D.J.)


TUXIUM(Géogr. anc.) ville d'Italie, & la capitale des Samnites, selon Plutarque, parall. p. 315. Il dit que Fabius Fabricianus en pillant cette ville, en enleva la Vénus victorieuse qui y étoit adorée, & la fit porter à Rome. (D.J.)


TUY(Géogr. mod.) ville d'Espagne dans la Galice, sur une montagne, au pié de laquelle coule le Minho, vis-à-vis & tout proche de Valence, à 24 lieues au midi de Compostelle, & à 100 au nord-ouest de Madrid. Elle a titre de cité, avec une évêché suffragant de Compostelle, & son évêque jouit de quatre milles ducats de revenu. Comme c'est une place frontiere, on y tient toujours bonne garnison. Son territoire est très-agréable & très-fertile, outre que l'air y est tempéré. Long. 8. 55. latit. 41. 54. (D.J.)


TUYAUS. m. (Invention de Méchanique) canal ou conduit qui sert à faire entrer l'air, le vent, l'eau, & autres choses liquides dans quelques endroits, ou à les faire sortir. On fait des tuyaux d'étain, de plomb, de laiton, pour monter les orgues ; ces derniers sont en maniere de caisses quarrées, les autres sont ronds.

Les tuyaux pour la conduite & décharge des eaux & pour les machines hydrauliques, se font ordinairement de fer fondu, de plomb, de terre, & de bois. On emploie communément pour ceux-ci du bois de chêne ou d'aulne. Les tuyaux de fer se fondent dans les fonderies & forges de fer ; leur diametre est suivant la volonté de celui qui les ordonne, leur épaisseur proportionnée à leur diametre, & leur longueur comme de deux piés & demi à trois piés ; on les joint les uns aux autres par le moyen de quatre vis & de quatre écrous à chaque bout, en mettant entre deux pour étancher l'eau, du cuir ou du feutre d'un vieux chapeau.

Les tuyaux de terre se font par les potiers de terre ; ils s'emboîtent les uns dans les autres, ayant tous un bout plus large que l'autre. Pour les mieux unir & empêcher l'eau de s'échapper, on les couvre de mastic & de poix avec des étoupes ou de la filasse. Ils portent à-peu-près la même longueur que ceux de fer ; le diametre est à discrétion, l'épaisseur suivant le diametre.

Les tuyaux de bois se percent par des charpentiers-fontainiers, avec de grandes tarieres de fer de différentes grosseurs & figures qui se succedent les unes aux autres ; les premieres sont pointues & en forme de pique, comme les amorçoirs des charpentiers ; les autres ont une forme de cuiller par le bout, bien acérée & bien tranchante, & augmentent de diametre depuis un pouce jusqu'à six pouces & plus ; toutes se tournent avec une forte piece de bois semblable aux bois d'une tariere ordinaire ; ces tuyaux s'emboîtent les uns dans les autres ; ils se vendent à la toise.

L'on fait de deux sortes de tuyaux de plomb, les uns soudés & les autres sans soudure. Lorsque chaque table de plomb a été fondue de largeur, épaisseur & longueur convenables à l'usage qu'on en veut faire, & qu'elles ont été bien débordées, on les arrondit sur des rondins de bois avec des bourseaux & des maillets plats ; ces rondins sont des rouleaux de grosseur & longueur à discrétion, qui servent comme d'ame & de noyau aux tuyaux, & que l'on en tire lorsque l'ouvrage est arrondi. Les deux bords bien revenus l'un contre l'autre & se joignant parfaitement, on les gratte avec un grattoir, & ayant frotté de poix-résine ce qu'on a gratté, on y jette dessus la soudure fondue dans une cuiller, que l'on applatit avec le fer à souder, & que l'on rape avec la rape, s'il est nécessaire. Pour les petits tuyaux où la soudure ne s'emploie pas fort épaisse, on la fait fondre avec le fer à souder à mesure qu'on l'applique ; s'il y a des endroits où l'on ne veut pas que la soudure s'attache, on les blanchit de craie.

Comme il y a des tuyaux d'un si grand diametre & d'une épaisseur si considérable, qu'il seroit difficile de les souder sans les chauffer en - dedans ; les Plombiers ont pour cela des polastres, c'est-à-dire des especes de poëles quarrées, faites de cuivre fort mince, de deux ou trois piés de long sur quatre ou cinq de large & autant de haut, dont le fond est en rond. Ces poëles s'emplissent de braise, & avec un long manche de bois qu'elles ont à un bout, se coulent dans la cavité du tuyau, & s'arrêtent aux endroits que l'on veut chauffer pour les souder.

Il se fait aussi des tuyaux de cuivre par les fondeurs en sable & en terre ; ils servent particulierement aux corps des pompes pour l'élévation des eaux, & aux endroits des conduites où il y a des regards, & où l'on pose des robinets. (D.J.)

TUYAU AÉRIQUE, (Hist. des invent. modernes) plusieurs expériences réitérées ont prouvé que de longs tuyaux aériques, conduits à-travers les voutes ou plafonds des prisons, & hors de leurs toits, pour en faire continuellement sortir les mauvaises vapeurs qui s'exhalent des prisonniers, en empêchent effectivement la putréfaction, qui sans cela ne manqueroit pas d'avoir lieu, & même souvent de devenir contagieuse. C'est par cet heureux moyen qu'on a conservé à Londres la vie à quantité de prisonniers françois, & que l'on a sauvé de même un grand nombre de prisonniers anglois en France ; & je ne doute pas que si cette méthode facile & peu couteuse, étoit employée dans toutes les prisons d'Angleterre, on ne conservât la vie à une infinité de prisonniers, & que l'on ne prévînt par-là l'infection qu'ils apportent avec eux, lorsqu'ils comparoissent aux assises pour y être jugés annuellement, & qui ont souvent été fatales à leurs juges & aux assistans ; les habitans mêmes des villes où il y a des prisons, seroient par ce moyen à l'abri de la contagion qui en pourroit provenir.

On a d'ailleurs éprouvé l'utilité de ces tuyaux à l'égard des hôpitaux & des maisons de charité, où ils ont servi à augmenter le nombre des convalescens & à en accélérer la guérison, avantage nonseulement considérable pour les malades, mais encore pour le public, puisque de cette maniere un plus grand nombre de personnes peut y être admis, parce que la convalescence de ceux qui occupent les places y est plus promte : c'est-là, ce me semble, pratiquer efficacement le précepte du Sauveur, qui ordonne d'avoir soin des malades & des prisonniers.

On a encore étendu l'usage de ces mêmes tuyaux jusqu'aux appartemens qui sont ordinairement remplis de monde, les salles d'assemblée, les maisons des spectacles, &c. en faisant évaporer par leur moyen, le mauvais air que l'on y respire, & en y introduisant sans-cesse un air plus pur & plus frais ; le même succès s'est aussi fait sentir dans les fonderies des métaux, dont les exhalaisons sont si nuisibles.

L'ingénieux M. Yeoman est le premier qui en ait fait l'essai à la chambre des communes, & il a donné à ces tuyaux neuf pouces de diametre ; mais il n'en a donné que six à ceux qu'il a placés au-dessus de la prison du banc du roi dans Westminster-Hall : on les fait quelquefois plus larges & quelquefois plus étroits ; mais plus ils ont de largeur, & plus doivent-ils être longs pour faire sortir d'autant plus promtement les exhalaisons corrompues qui s'y élevent.

On a remarqué qu'en tenant au-dessus d'un tuyau placé sur la chambre des communes, l'un des bassins d'une balance, lequel n'avoit que deux pouces de diametre, la force de l'air qui en sortoit le faisoit élever de quatre grains au-dessus de son équilibre, lorsqu'il n'y avoit personne dans cette chambre ; mais quand il y avoit beaucoup de monde, ce bassin s'élevoit de plus de douze grains au-dessus de son équilibre, & toujours davantage à proportion du nombre de gens qui s'y trouvoient. Il paroît par-là combien ces tuyaux sont rafraîchissans & salutaires, puisqu'ils ne cessent d'emporter les vapeurs continuelles qui s'exhalent d'un grand nombre de corps différens & resserrés ; ces exhalaisons se montant pour chaque homme en Angleterre au poids de 36 onces en vingt - quatre heures, selon l'estimation qu'en a faite le docteur Keill de Northampton.

M. Yeoman a fait l'épreuve de ces tuyaux dans plusieurs hôpitaux, maisons de correction, prisons, & lieux d'assemblées publiques, & il a trouvé qu'on en a retiré de très-grands soulagemens ; c'est pour en rendre témoignage, & pour l'intérêt du public, que je crois devoir transcrire ces divers faits du Journal encyclopédique, Février 1761. (D.J.)

TUYAUX, (Hydraul.) les tuyaux sont des canaux ou conduites qui peuvent seuls servir aux eaux forcées & les conduire où l'on en a besoin ; ils se font ordinairement de fer fondu, de plomb, de terre, de bois, & de cuivre.

Les tuyaux de fer se fondent dans les fonderies & forges de fer ; il y en a à manchons & à brides, ces derniers sont les meilleurs. Leur épaisseur est proportionnée à leur diametre, qui ne passe pas dix-huit pouces ou deux piés, leur longueur est de trois piés & demi, ayant à chaque bout des brides avec quatre vis & quatre écrous où l'on met des rondelles de cuir entre deux & du mastic à froid ; ces tuyaux résistent à des élévations de 150 piés, & se cassent dans les rues d'une ville à cause du fardeau des voitures.

Les tuyaux de grès, de terre, ou de poterie sont bons pour les eaux à boire ; leurs tronçons sont de deux piés de long qui s'emboîtent par leurs virets avec du mastic chaud & de la filasse à leurs jointures sur l'ourlet ; on en fait de six pouces de diametre, & quand ils servent aux eaux jaillissantes on les entoure d'une chemise de chaux & ciment de six à sept pouces d'épaisseur.

Les tuyaux de bois se font de chêne, d'orme, & d'aulne, percés avec de grandes tarrieres de différentes grosseurs & figures, qui se succedent les unes aux autres ; les premieres tarrieres sont pointues en fer de pique, les autres sont faites en cuiller, augmentant de diametre depuis un pouce jusqu'à six ; toutes ces tarrieres se tournent avec une forte piece de bois semblable aux bras des tarrieres ordinaires. Les plus gros tuyaux de bois ne passent pas huit pouces de diametre ; on les frette de fer par un bout & on les affute par l'autre pour les emboîter, & ces joints sont recouverts de poix ou de mastic à froid ; ces sortes de tuyaux ne résistent long-tems que dans les pays marécageux.

Les tuyaux de plomb sont les plus commodes de tous, pouvant descendre, monter, & se couder sans être endommagés ; ils sont ou moulés ou soudés. Les soudés sont des tables de plomb pliées & dont les bords revenant l'un sur l'autre se joignent parfaitement ; on les arrondit sur des rondins ou rouleaux de bois de la grosseur & longueur à discrétion qui servent comme d'ame ou de noyaux aux tuyaux, & que l'on en tire lorsqu'ils sont bien arrondis. On répand ensuite sur leur joint de la soudure que l'on applatit avec le fer chaud ; ces tuyaux se font si grands & si gros que l'on veut ; les tuyaux moulés sont jettés dans un moule de la longueur de deux à trois piés qui pourroient en avoir douze si l'on vouloit en faire la dépense ; on les fait plus épais que les soudés à cause des soufflures ; ils sont meilleurs, mais ils coûtent davantage ; les moulés ne passent pas ordinairement six pouces de diametre, cependant on en fait de dix-huit pouces, ils s'emboîtent & se joignent l'un à l'autre par des noeuds de soudure.

Les tuyaux de cuivre ou de chauderonnerie dont la composition s'appelle potin, qui n'est autre que des lavures qui sortent de la fabrique du laiton, auquel on mêle du plomb ou de l'étain pour le rendre plus doux au travail, environ sept livres de plomb pour cent ; les ouvriers l'appellent potin gris ou arcot, il coûte moins que le potin jaune ; on y emploie souvent du cuivre rouge qui est le meilleur. Ces tuyaux sont des tables de cuivre étamées & bien battues que l'on plie en rond & dont on soude les morceaux emboîtés l'un dans l'autre par des noeuds de soudure plus fine que celle qui sert à joindre le plomb ; une crasse verte semblable au verd-de-gris les ronge, si l'on n'a soin de les nettoyer ; ils sont d'une longue durée, mais ils coûtent plus que tous les autres.

On dit encore un tuyau montant & descendant, qui sont ceux que l'on emploie pour conduire l'eau dans un réservoir & l'en faire descendre pour les jardins, ce qui se pratique dans les machines hydrauliques, ainsi que les tuyaux d'aspiration. Voyez MACHINE HYDRAULIQUE. (K)

TUYAU, (Hydr.) Proportion des tuyaux. C'est de la proportion des tuyaux avec les réservoirs & les ajutages que dépend la beauté des eaux jaillissantes ; il convient encore de regler cette proportion, & la grosseur que doivent avoir les tuyaux ou conduites par rapport à la quantité de fontaines qu'on a dessein de construire dans un jardin.

Plus les conduites sont grosses, & plus les jets d'eau s'élevent ; une autre maxime certaine est que les circonférences des cercles sont entr'elles en même raison que les quarrés de leurs diametres : ces regles servent infiniment dans toutes les formules hydrauliques.

Cette proportion dépend de la hauteur des réservoirs & de la sortie des ajutages, afin que la colonne d'eau puisse mieux surmonter la colonne d'air qui lui résiste avec tant de violence ; le trop de frottement dans les conduites menues par rapport aux gros ajutages, & aux bords des petits ajutages par rapport aux grosses conduites, a fait tenter des expériences sur lesquelles on a établi les deux formules suivantes.

Premiere formule : connoître le diametre d'une conduite proportionnée à la hauteur du réservoir & à la sortie de l'ajutage, pour que le jet monte à la hauteur qu'il doit avoir. L'expérience que l'on a faite, qu'un jet venant d'un réservoir de 52 piés de haut demandoit une conduite de 3 pouces de diametre & un ajutage de 6 lignes, a servi de regle à cette formule.

On veut savoir quel diametre aura la conduite d'un jet venant d'un réservoir de 20 piés de haut, & dont l'ajutage aura 12 lignes de diametre. Cherchez 1°. une moyenne proportionnelle entre le nombre 52, hauteur du réservoir donné par l'expérience, & le nombre 20 hauteur du réservoir dont on cherche le diametre de la conduite, vous trouverez par le calcul 32 environ ; mettez 52 au premier terme de la regle, 32 au second en négligeant le reste de la racine, puis prenez le quarré des 3 pouces de la conduite de l'expérience qui est 9 que vous mettrez au troisieme terme, & la regle faite, il viendra au quatrieme terme 5 28/52, qui font 5 1/2 environ, ce qui s'écrit ainsi 52, 32 : : 9, 5 1/2.

2°. Les ajutages étant connus l'un de 6 lignes venant de 52 piés de haut, l'autre de 12 lignes, venant de 20 piés de haut, on prendra leurs quarrés, qui seront 36 & 144, que vous mettrez aux deux premiers termes de la seconde regle, & au troisieme 5 1/2 trouvé dans la premiere regle, écrivez 36, 144 : : 5 1/2, x ; multipliez 5 1/2 par 144, vous aurez pour produit 792, qui, divisé par 36, vous donnera au quotient 22 pouces quarrés dont vous tirerez la raciné, & par la plus grande approximation vous aurez 34, en négligeant un reste de 71, & vous direz, le plus grand quarré contenu dans 34 est 25, dont la racine est 5 ; ainsi vous aurez 5 pouces pour le diametre de la conduite du jet proposé de 12 lignes d'ajutage venant d'un réservoir de 20 piés de haut.

Seconde formule. Quand on veut tirer plusieurs jets d'un même réservoir, il n'est pas nécessaire de faire autant de conduites que de jets ; une ou deux suffiront, pourvu qu'elles soient assez grosses pour fournir à toutes les branches de ces jets, de maniere qu'ils jouent tous ensemble à leur hauteur, sans faire baisser les autres.

Plusieurs branches ou tuyaux étant déterminés pour leur diametre, trouver celui de la maîtresse conduite où ils doivent être soudés, ensorte qu'il passe la même quantité d'eau dans les uns que dans les autres.

Si quatre conduites de 3 pouces de diametre sont nécessaires pour distribuer l'eau aux fontaines d'un jardin, sans être obligé de tirer du réservoir quatre tuyaux séparés, on réunira l'eau qui doit passer dans les quatre en une principale conduite, & on ne fera que souder dessus des branches ou fourches vis-à-vis des bassins qui doivent être fournis ; il s'agit de savoir quel diametre on donnera à cette maîtresse conduite.

Supposé que vous ayez quatre fourches de 3 pouces chacune, quarrez les diametres qui font 9 pouces en superficie, ajoutez la somme des quatre superficies, qui font 36, il faut en extraire la racine quarrée qui est 6, ce sera le diametre de la maîtresse conduite sur laquelle seront soudées les quatre fourches de 3 pouces chacune, & il passera autant d'eau dans la grosse que dans les quatre autres. On peut encore diminuer la grosse conduite proportionellement après chaque fourche, ce qui épargnera la dépense.

Si on avoit à fournir un rang de jets, que l'on appelle grilles d'eau, on laisseroit la grosse conduite dans toute sa longueur sans la diminuer, afin que les jets montent à la même hauteur : on ne cherche dans ces sortes de fontaines qu'à former de gros bouillons peu élevés. (A)

TUYAU de cheminée, (Architect.) c'est le conduit par où passe la fumée depuis le dessus du manteau d'une cheminée, jusque hors du comble. On appelle tuyau apparent le tuyau qui est pris hors d'un mur, & dont la saillie paroît de son épaisseur dans une piece d'appartement ; tuyau dans oeuvre, le tuyau qui est dans le corps d'un mur ; tuyau adossé, un tuyau qui est doublé sur un autre, comme on le pratiquoit anciennement ; & tuyau dévoyé, un tuyau qui est détourné de son à-plomb, & à côté d'un autre.

Les tuyaux de cheminée se font de plâtre pur, de brique ou de pierre de taille. Lorsqu'ils sont joints contre les murs, on y pratique des tranchées, & on y met des fentons de fer de pié-en-pié, & des équerres de fer, pour lier les tuyaux ensemble. Daviler.

TUYAU, se dit aussi, dans l'Ecriture, de la partie inférieure de la plume faite en forme de tube.

Il en est de trois sortes, les gros, les moyens & les petits.

Les gros ne sont pas ordinairement bons, les petits sont les meilleurs, mais leur forme irréguliere, jointe à leur petitesse, les font manier avec peine, de-là la nécessité de se servir des moyens plus maniables, & plus propres à répondre à l'action des doigts sur eux.

TUYAU, (Jardinage) c'est ainsi que l'on nomme la tige d'une plante légumineuse. Ces tuyaux n'ont pas la consistance aussi forte que le tronc des arbres, ce qui fait que la nature leur a donné fort peu de grosseur pour se soutenir, mais les a fortifiés d'espace en espace par des noeuds appellés genoux. Voyez GENOUX.

TUYAU, terme d'Organiste, il se dit des canaux dans lesquels entre le vent, qui produit le son & l'harmonie de l'orgue. On les fait la plûpart d'étain, tels que sont ceux de la montre, quelques-uns de plomb, comme le nazard, quelques-uns de laiton comme ceux à anches, & plusieurs de bois, comme ceux du bourdon & des pédales.

Le tuyau est composé de quatre parties. La premiere est son porte-vent, fait en forme de cône renversé & tronqué, dont la base est le corps, & l'ouverture du tuyau & de la languette ; & le sommet est ce qui entre dans le trou du sommier par où le vent du soufflet se communique jusqu'à la languette. La seconde partie est le corps du tuyau. La troisieme est la languette, qui est cette partie qui est taillée en biseau ou en talus, qui s'incline du quart d'un angle droit vers le corps du tuyau. C'est elle qui coupe & fend le vent, & elle est ainsi nommée, parce qu'elle sert de langue à la bouche des tuyaux pour les faire parler. Elle doit avoir le tiers de la hauteur de la bouche.

La languette qui couvre le concave du demi-cylindre des tuyaux à anche s'appelle échalote. L'ouverture du tuyau qui donne libre entrée au vent, s'appelle la bouche ou la lumiere. Elle doit avoir le quart de la largeur du tuyau, & aux tuyaux ouverts la cinquieme partie. Le morceau de bois qui bouche le tuyau, s'appelle tampon.

On appelle oreille de petites lames de plomb qu'on soude aux côtés des tuyaux bouchés, afin de les abaisser, ou de les relever, pour ouvrir ou ombrager leur bouche, & pour rendre les sons plus graves, ou plus aigus. On les appelle ainsi, parce qu'il semble qu'elles écoutent si les tuyaux sont d'accord.

Il y a des tuyaux de quatre sortes ; les uns sont ouverts, les autres sont bouchés. Ceux-ci rendent les sons deux fois plus graves, ou plus bas. Les tuyaux à anche sont de laiton avec une anche au milieu. Les tuyaux à cheminée sont des tuyaux bouchés, sur lesquels on applique un petit cylindre dont la circonférence est la quatrieme partie du tuyau. La hauteur d'un tuyau doit être quadruple de sa largeur ou circonférence.

Quand les tuyaux sont longs sans s'élargir en haut, on les appelle cromornes, & quand ils s'élargissent, on les nomme trompettes ou clairons.

On appelle la partie du tuyau, noyau d'orgue, celle où l'on fait rentrer l'anche avec son échalote, ou bien l'endroit ou il change de grosseur, comme il arrive au cromorne.

Les plus grands tuyaux parlent plus aisément & avec moins de vent que les petits ; parce que leurs bouches sont plus basses & plus étroites, & les trous de leurs piés, beaucoup moindres à proportion. Traité de l'orgue. (D.J.)

TUYAU, (Plombier) canal ou conduit qui sert à faire entrer dans quelqu'endroit ou à en faire sortir l'air, le vent, l'eau, & autres choses liquides.

Il y a des tuyaux d'étain, de plomb, de bois pour monter les orgues.

Les tuyaux qui servent pour la conduite & pour la décharge des eaux se font de fer, de plomb, de terre, ou de bois.

Les tuyaux de plomb sont de deux sortes, il y en a de soudés, & d'autres sans soudure. On ne parle ici que des tuyaux soudés, parce que l'on a expliqué ailleurs la fabrique des tuyaux de plomb sans soudure. Voyez PLOMBIER.

On prend une table de plomb, de la largeur, épaisseur & longueur convenable aux tuyaux qu'on veut faire, & après l'avoir bien débordée, on l'arrondit sur un tondin de bois, avec des bourseaux & des maillets plats. Quand les deux bords sont approchés l'un contre l'autre & bien joints, on les gratte avec un grattoir, & ayant frotté de poix-résine la partie qu'on a grattée, on y jette par-dessus la soudure fondue, & on l'applatit ensuite avec le fer à souder.

Pour les petits tuyaux où la soudure ne s'emploie pas fort épaisse, on la fait fondre avec le fer à souder à mesure qu'on l'applique.

Comme il y a des tuyaux qui ont tant de diametre & d'épaisseur, qu'il ne seroit pas facile de les souder sans les échauffer en-dedans, les plombiers ont pour cela des polastres, qu'on emplit de braise, & avec un long manche de bois qu'elles ont à un bout, on les insinue dans la cavité du tuyau aux endroits qu'on veut chauffer pour les souder.

TUYAU, (Soierie) ce sont des roseaux pour les étoffes unies, & de petits canaux de buis pour les étoffes façonnées. C'est là-dessus qu'on met la dorure ou la soie à employer dans l'étoffe.

TUYAU de mer, (Conchyliolog.) genre de coquille univalve dont voici les caracteres. Elle est de figure oblongue, terminée en pointe, & creuse en-dedans comme une corne. On nomme en latin cette coquille tubulus marinus, canalis marinus, parce qu'elle ressemble à un tuyau. On l'appelle encore dentale, à cause de sa prétendue ressemblance à la dent d'un chien, & antale, par rapport à la courbure en forme de croissant qu'a quelquefois cette coquille ; cependant pour plus de convenance, nous reserverons ces deux noms au coquillage.

Dans la famille générale des tuyaux de mer, on y met quatre classes ; 1°. les tuyaux rayés ; 2°. les tuyaux polis ; 3°. les tuyaux droits ; 4°. les tuyaux semblables à une corne peu courbée ; 5°. les tuyaux petits, polis sur la surface, & faits en croissant : quelques auteurs nomment ces derniers antales.

Nous ne connoissons qu'une seule espece de tuyaux rayés ; mais comme cette espece varie beaucoup en grosseur & en couleur, on l'a multipliée en plusieurs especes, qui ne sont que des variétés. D'ailleurs cette espece de tuyau prend une forme différente dans les cabinets des curieux, ce qui vient du poli qu'on lui donne, lequel en élevant ces raies & ces cannelures, fait paroître cette coquille totalement différente de ce qu'elle est naturellement.

Nous ne connoissons aussi qu'une seule espece de tuyaux droits, quoique variés par différens accidens.

Mais il y a plusieurs especes de tuyaux ou de dentales courbés ; on distingue dans ce nombre, 1°. le tuyau cornu, il prend exactement la forme d'une corne modérement courbée ; 2°. le tuyau fait en forme de racine ; 3°. le tuyau qui a la figure d'une racine de bistorte ; 4°. le tuyau en forme de rave ; 5°. le tuyau appellé communément dent de chien ; 6°. le tuyau nommé dent d'élephant ; 7°. le tuyau courbé de couleur blanchâtre ; 8°. le tuyau courbé verdâtre ; 9°. le purpurin ; 10°. le noirâtre.

On ne connoît que deux especes de tuyaux de la classe de ceux qu'on appelle antales ; savoir, 1°. l'antale blanc, & 2°. l'antale jaune : l'antale est plus petit que le dentale, & ses cannelures sont moins profondes ; les plus estimés viennent des Indes orientales.

L'arrosoir ou le pinceau de mer est de tous les tuyaux le plus distingué : on doit le regarder comme ayant un caractere spécifique, non pas seulement à cause de sa forme toute droite, mais par la singularité de sa tête percée en arrosoir. C'est cette espece de tuyau que quelques auteurs appellent phallus.

Il ne faut pas confondre les tuyaux de mer avec les vermisseaux de mer, qui sont si intimément joints ensemble, qu'ils ne paroissent qu'une masse confuse, Voyez VERMISSEAUX de mer.

Il me reste à parler de l'animal habitant de la coquille, que je nommerai dentale & antale, pour plus grande commodité.

Ces animaux sont toujours solitaires, & on ne les voit jamais adhérens & collés les uns contre les autres. Ils peuvent faire sortir de leur étui une partie de leur corps qui ne tient à rien, & même sortir entierement eux-mêmes, ainsi ils ont certainement un mouvement progressif. Le vermisseau solitaire est de même. Ceux qui sont en masse toujours adhérens & collés ensemble, ou attachés à quelque corps étranger, ne sortent jamais de la place, où le hazard qui a porté leur frai les fait naître, à moins qu'on ne les détache. Ces animaux font sortir de leur tuyau une partie supérieure, & ensuite ils la retirent d'environ 5 à 6 lignes.

Le tuyau de mer nommé le pinceau, l'arrosoir, le phallus, a la tête garnie d'une fraise & d'un gland percé de petits trous remplis d'une infinité de filets, qui ressemblent assez aux poils d'un pinceau. Sitôt que ce poisson est hors de l'eau, tous les filets tombent ; & vous voyez alors un tuyau blanc, mince & creux, qui va en diminuant jusqu'à l'autre extrêmité, formant quelques replis d'espace en espace. Comme il est percé dans le gros bout d'une infinité de trous, il peut fort bien s'appeller l'arrosoir, mieux du-moins que le brandon d'amour, qui est d'ailleurs un terme impropre & obscene.

Aucuns testacés ne se détachent plus facilement de leur coquille, quand ils le veulent, que ces animaux qui y sont flottans : cela est si vrai, qu'en introduisant un stilet par un des bouts des tubulaires, on les fait sortir par l'autre. Peut-être que dans cette opération le ligament qui les retient est si fragile qu'on n'y apperçoit aucune rupture. Leur forme tortueuse fait assez soupçonner qu'ils sont libres entierement dans leur étui, & qu'à l'exemple de la teigne, ils forment leur fourreau indépendant de leurs corps.

La plus grande partie du corps du dentale est couverte d'une teinte blanche, au-travers de laquelle percent plusieurs petits vaisseaux intestinaux d'un jaune foncé. Lorsque ce testacé est caché dans son étui, il se ramasse du côté de la tête ; mais lorsqu'il s'allonge, cette masse se développe : alors il se forme un bouton pyramidal qui se trouve enveloppé d'un capuchon ; à l'extrêmité du bouton est une très-petite ouverture par où le dentale prend la nourriture.

Comme le dentale reste presque toujours ensablé dans une attitude verticale ou perpendiculaire, il s'allonge de côté & d'autre jusqu'à la surface du terrein, sans que les flots de la mer puissent l'ébranler.

Lorsqu'il est à sec sur la greve, & qu'il craint de succomber à ses efforts, il fait sortir de la pointe tronquée de sa coquille (j'entends de celle opposée à la tête) une espece de filament ou jambe, dont l'étendue n'a que 5 à 6 lignes, & qui va un peu en serpentant, souvent en forme d'une petite poire. Il enfonce cette jambe dans le terrein, ce qui affermit sa coquille : il la termine dans une plaque ronde, dont les rebords présentent le calice d'une fleur à 5 pans. Cette partie, qui peut avoir un demi-pouce, & par laquelle il est à croire que passent les alimens, est très-blanche, & ne paroît en-dehors dans toute son étendue, qu'autant que la tête ne jouit pas de toute sa liberté.

Le dentale n'a point d'opercule, & pour se soustraire à ce qui pourroit extérieurement le blesser, il s'avance si avant dans un étui, qu'il n'est guere possible de le pouvoir atteindre.

L'antale qu'on ne trouve que rarement dans la plûpart des ports de mer, est présumé avoir la même construction & les mêmes habitudes ; l'analogie l'enseigne ainsi : on a déja dit qu'il étoit moins gros que le dentale ; & c'est la seule différence qu'on y peut trouver. Voyez Aldrovande, Jonston, mém. de l'académie des Sciences, & surtout la conchyliologie de M. Dargenville. (D.J.)

TUYAUX D'ORGUE, voyez ORGUE DE MER.

TUYAU CHAMBRE ou CLOISONNE, (Hist. nat.) tubulus concameratus, polythalamium, orthoceratites, c'est une coquille de forme conique, dont l'intérieur est séparé par des cloisons comme la corne d'ammon. Cette coquille ne se trouve que pétrifiée. Voyez l'article ORTHOCERATITE.


TUYERES. f. (Métallurgie) c'est ainsi qu'on nomme dans les fonderies, une espece de tuyau de cuivre, de fer fondu ou de tôle, dans lequel on ajuste le bec des soufflets qui doivent faire aller le feu dans les fourneaux où l'on traite les mines & les métaux. La tuyere se place à la partie postérieure du fourneau dans un trou quarré pratiqué pour la recevoir ; on lui donne toujours un peu d'inclinaison de haut-en-bas, afin qu'elle dirige le vent des soufflets sur la mine en fusion ; cette disposition est une chose essentielle pour que la fusion se fasse convenablement. Lorsqu'on se sert de deux soufflets à la fois, il faut aussi que la tuyere soit double.


TWEDELA, (Géog. mod.) riviere qui sépare l'Angleterre de l'Ecosse. Elle se jette dans la mer auprès de Berwick, sur les frontieres d'Ecosse. (D.J.)


TWENTE(Géog. mod.) canton des Pays-bas, dans la province d'Ovérissel, sur les confins de la Westphalie. Oldensel en est le chef-lieu. (D.J.)


TWESDALE(Géog. mod.) province de l'Ecosse méridionale, qui prend son nom de la riviere de Twede qui la traverse. Elle a environ 28 milles de longueur sur 18 de largeur. Ses montagnes sont couvertes de pâturages, où l'on nourrit de nombreux troupeaux ; ses rivieres & ses lacs abondent en poisson. Peebles est la capitale. (D.J.)


TYAHILLAUDcri de chasse, d'usage lorsque le cerf commence à dresser par les faites, & que le veneur en est certain ; c'est ainsi qu'il crie jusqu'à ce que les chiens soient arrivés à lui, & c'est ainsi que crient les piqueurs lorsqu'ils voyent ce cerf.


TYAN(Géog. mod.) petite ville d'Irlande, dans la province d'Ulster, au comté d'Armagh, sur les frontieres du comté de Tyrone & de Monaghan. (D.J.)


TYANE(Géog. anc.) Tyana, ville de la Cappadoce, dans la préfecture tyanitide, selon Ptolémée, l. V. c. vj. Strabon, l. XII. p. 537, en fait la seule ville de cette préfecture. Pline, l. VI. c. iij. & Arrien, I. Peripl. connoissent aussi cette ville. Ce dernier dit qu'on la nommoit Thyana pour Thoana, nom qui lui avoit été donné par Thoas, roi de la Chersonese taurique.

Cette ville est principalement connue pour avoir donné la naissance à Apollonius, surnommé par cette raison, de Tyane, l'un des hommes du monde dont on a dit les choses les plus étranges ; & en effet il mena une vie fort extraordinaire. Il naquit vers le commencement du premier siecle, & dès l'âge de seize ans il se montra un observateur rigide de la regle de Pythagore, renonçant au vin, aux femmes, ne portant point de souliers, laissant croître ses cheveux, & ne s'habillant que de toile. Il fit élection de domicile dans un temple d'Esculape, où bien des malades alloient lui demander leur guérison. Il passa cinq ans sans parler, & ensuite après avoir donné une partie de son bien à un frere aîné & à des parens pauvres, il se mit à voyager presque dans toutes les parties du monde, condamnant dans sa route le luxe & les plaisirs, & recommandant les oeuvres de charité.

Il avoit coutume de dire qu'il étoit convenable de bien parler de tous les dieux quels qu'ils fussent, & il répétoit cette maxime principalement à Athènes, où plusieurs autels étoient dédiés à des dieux même inconnus. S'étant présenté à Eleusis pour être initié dans les mysteres, l'hyérophante le refusa d'abord, sous prétexte qu'il étoit magicien, & qu'il se vantoit de connoître les pensées des hommes. Vaincu néanmoins par le mécontentement général que son refus excitoit, il offrit de l'initier. Je le serai, lui répondit Apollonius, mais ce sera par un autre que vous : ce qui arriva, selon Philostrate, au bout de quatre ans. Il mourut fort âgé, sans qu'on ait pu savoir ni où ni de quelle maniere.

Sa vie a été amplement décrite par Philostrate ; l'édition que Morel en a donnée, est recherchée ; Vigenere en a fait une traduction françoise. Quoique cette vie contienne mille choses fabuleuses, on ne peut nier qu'Apollonius n'ait reçu de très-grands honneurs, & que sa réputation n'ait duré autant que le paganisme. Titus eut grande envie de s'entretenir avec ce philosophe ; car ayant pris Jérusalem l'an de Rome 823, & la 70e. année de l'ere chrétienne, il passa en Grece, & donna rendez-vous dans Argos à Apollonius de Tyane. Ses compatriotes lui bâtirent un temple après sa mort. Antonin Caracalla lui rendit le même honneur. Enfin Aurélien résolu de saccager Tyane, ne le fit pas, à cause qu'Apollonius lui apparut, & lui défendit de causer le moindre dommage à sa patrie. L'empereur non content d'obéir à cet ordre d'Apollonius, dit Vopiscus, lui voua une image, un temple & des statues. (D.J.)


TYANITIDE(Géog. anc.) Tyanitis, préfecture d'Asie, dans la Cappadoce. Strabon, l. XII. p. 537, qui la place au pié du mont Taurus, près des portes ciliciennes, dit qu'on la nommoit aussi Eusebia ad Taurum, qu'elle étoit fertile, & consistoit en plaines pour la plus grande partie. Tyane étoit sa capitale. (D.J.)


TYBIS. m. (Calend. égypt.) nom du cinquieme mois de l'année égyptienne ; il commence le 27 Décembre du calendrier julien. (D.J.)


TYCHOSYSTEME DE, (Astron.) c'est une supposition particuliere sur la disposition & le mouvement des corps célestes, qui tient un milieu entre le système de Copernic & celui de Ptolémée.

L'inventeur de ce système est Ticho Brahé, seigneur danois, dont nous parlerons ci-après à l'article URANIBOURG.

Dans ce système, ainsi que dans celui de Ptolémée, la terre est supposée au centre & fixe, le soleil & la lune tournent autour de la terre chacun dans leur orbite ; mais les cinq autres planetes sont supposées tourner autour du soleil. Par ce moyen les trois orbites des planetes supérieures renferment celles de la terre, au lieu qu'il n'en est pas de même des deux inférieures dont les distances au soleil sont moindres que celle du soleil à la terre. Ce système suppose les cieux fluides & composés de trois différentes spheres ; la premiere est mobile, & fait sa révolution en vingt-quatre heures ; la seconde est la sphere des planetes ; la troisieme est le firmament ou la région des étoiles fixes. Voyez la disposition des corps célestes dans cette hypothèse à la fig. 45 de la Planche de l'Astronomie.

Quelques astronomes modernes n'osant pas supposer de mouvement à la terre, trouvant d'ailleurs que le système de Ptolémée ne s'accorde point avec les phénomènes, & ne pouvant pas goûter cependant la supposition de Ticho des deux centres, ont imaginé un système qui tient en partie du système de Ptolémée, & en partie de celui de Ticho, non-seulement ils ont imaginé que le soleil & la lune se mouvoient autour de la terre, mais encore Saturne, Jupiter & Mars, en leur faisant parcourir à la vérité des épicycles. Quant aux planetes inférieures, ils les ont toujours supposées tourner autour du soleil, à cause que leurs phases & leurs phénomènes ne permettent point du-tout de les rapporter à la terre ; mais on voit assez que cette correction au système de Ticho suppose toujours deux centres ; & dès qu'on en admet deux, peu importe de faire tourner toutes les planetes autour du soleil, ou deux seulement ; cette supposition des deux centres est une des principales difficultés qu'on puisse faire contre le système de Ticho, rien n'étant plus contraire à l'harmonie générale qu'on observe dans les corps célestes, & à la loi de Kepler. Voyez SYSTEME, SOLEIL, LUNE, PLANETE, &c. Chambers. (D.J.)


TYCOKSIN(Géog. mod.) ville de Pologne, dans la Podlaquie, sur la riviere de Narew, avec un château fortifié & environné de marais. Long. 41. 24. latit. 52. 47. (D.J.)


TYDÉETYDÉE


TYKIRATS. m. (Calend. des Mores) nom que les Mores donnoient au deuxieme mois de l'année. Il commençoit le 28 Septembre de l'année julienne.


TYLANGIUM(Géog. anc.) ville du Péloponnèse, dans la Tryphilie, selon Polybe, l. IV. qui dans le même endroit appelle cette ville ; Stylangium, qui est selon les apparences, la véritable orthographe. (D.J.)


TYLEHURST(Géog. mod.) bourg d'Angleterre, en Berckshire, où naquit en 1627 (Guillaume) Lloyd, très-savant écrivain, qui de degré en degré devint évêque de S. Asaph, ensuite de Lichtfield & Coventry en 1692, & finalement de Worcester en 1699. C'est en occupant ce siege qu'il est mort en 1717, dans la 91 année de son âge. C'étoit un grand critique des auteurs grecs & latins, mais plus encore de nos livres sacrés. Profondément versé dans l'histoire & dans la chronologie, il a trouvé peu de maîtres à ces deux égards. Les matériaux qu'il avoit recueillis sur toutes sortes de sujets, avec un discernement délicat, remplissoient plusieurs volumes, où tout étoit disposé avec tant de méthode, qu'il en auroit peu coûté d'en faire des livres intéressans.

Il seroit trop long de donner ici le catalogue de ses ouvrages, c'est assez de dire que la plûpart roulent sur des matieres théologiques, qu'il a traité d'ordinaire en sermons peu connus des étrangers. Son essai sur les soixante-douze semaines de Daniel, est un livre très-curieux, quoiqu'il ne mérite pas, ce me semble, l'éloge qu'en a fait M. Marshal, en disant qu'il lui paroît infiniment meilleur qu'aucun autre qu'on ait jamais donné ; c'est pourquoi je me flatte qu'on sera bien aise de trouver ici les observations du chevalier Newton sur l'ouvrage de l'évêque de Worcester.

" J'ai lu, dit ce grand homme, l'écrit que mylord, évêque de Worcester, a envoyé au docteur Prideaux, & je l'ai trouvé plein d'excellentes remarques sur l'ancienne année ; mais il ne prouve pas qu'aucune nation ancienne se soit servie de l'année de douze mois & de trois cent soixante jours, sans la corriger de tems en tems sur le cours des astres, pour faire correspondre les mois au cours de la lune, & l'année à celui du soleil, & pour régler le retour des saisons & le tems des fruits de la terre.

Les premiers peuples, avant qu'ils se servissent de cycles artificiels, régloient leurs calculs du tems par le cours du soleil & de la lune, Genes. c. xiv. & pour savoir quels jours de chaque mois de l'année ils devoient célébrer leurs fêtes, & à quelle divinité, ils avoient besoin d'un calendrier ; & il étoit le plus naturel de donner dans ce calendrier trente jours à chaque mois lunaire, & douze mois lunaires à l'année solaire, parce que ce sont là les nombres ronds, qui approchent le plus du cours du soleil & de la lune. C'est ce qui fit que les anciens comptoient que les années luni-solaires étoient de douze mois, ou de 360 jours, & qu'ils diviserent l'écliptique en douze signes, & en 360 parties égales, qui correspondoient aux douze mois & aux 360 jours qu'ils croyoient que le soleil employoit à faire son tour dans le ciel.

Mais je ne trouve point, que par rapport aux affaires civiles, aucuns peuples aient suivi ce calendrier luni-solaire ; lorsqu'ils trouvoient qu'il différoit du cours du soleil & de la lune, ils le corrigeoient de tems en tems, retranchant un jour ou deux du mois toutes les fois qu'ils le trouvoient plus long que le tems de la révolution de la lune, & ajoutant un mois à l'année aussi souvent qu'ils s'appercevoient que douze mois n'atteignoient pas le tems du retour des quatre saisons & des fruits de la terre. Ainsi la correction du calendrier lunisolaire étoit l'affaire des prêtres. C'est à cette réforme du calendrier primitif, & pour le mettre de plus en plus d'accord avec les révolutions du soleil & de la lune, & n'être pas obligés d'y revenir si souvent, que tous les différens cycles d'année inventés depuis, doivent leur origine.

Après qu'ils eurent remarqué que douze mois lunaires ne suffisoient pas pour atteindre le point du retour du soleil & des saisons, ils ajouterent un mois à chaque seconde année, & formerent leur triétéride, nommée plus proprement diétéride. Et quand ils trouverent le cycle biennal trop long, & qu'il avoit besoin de correction une fois en huit ans, ils retrancherent un mois intercalaire une fois tous les huit ans, & formerent l'octoëtéride dont la moitié étoit leur tétraëtéride. Ces cycles étoient aussi anciens chez les Grecs que le tems de Cadmus, de Minos, d'Hercule idéen, & du grand Bacchus ou Osiris, ce qui semble indiquer qu'ils avoient été apportés en Grece par les colonies des Egyptiens & des Phéniciens, & par l'armée de Bacchus.

Dans la suite, quelques grecs changerent la maniere de placer les mois intercalaires, ayant découvert à la longue, que l'octoëtéride n'atteignoit pas le point du retour des saisons, & ne répondoit pas exactement au cours du soleil & de la lune, mais qu'elle avoit besoin d'être corrigée de tems en tems sur le cours du soleil, pour conserver la régularité des saisons.

Méton inventa le cycle de dix-neuf ans, dans lequel on ajoutoit sept mois en dix-neuf ans, & c'est ce cycle qui est encore en usage. A l'égard de la longueur des mois, quelques uns des grecs les faisoient alternativement de 29 & de 30 jours, & par le moyen de ce cycle ils étoient en état de compter exactement, sans avoir besoin de le corriger qu'une seule fois dans l'espace d'un an ou deux.

Les Chaldéens réduisoient l'année luni-solaire à un cycle de douze ans ; ainsi ils semblent avoir ajouté un mois à la fin de chaque troisieme année, & avoir à la fin de chaque révolution de douze ans, corrigé leur cycle sur le cours du soleil & de la lune : car tous les cycles d'année servoient à régler l'intercalation des mois.

L'année luni-solaire étant d'une longueur incertaine, & par cette raison peu propre aux usages astronomiques, les Egyptiens, lorsqu'ils s'appliquerent à observer les étoiles par rapport à la navigation, mesurerent la juste longueur de l'année solaire par le lever héliaque & le coucher des étoiles, & abandonnant l'année du calendrier, ils adopterent l'année solaire, qu'ils firent de 365 jours. Cette année fut reçue des astronomes de Babylone, par les mages de Perse, & par les Grecs dans leur ere de Philippe ; & elle devint l'année des Romains après la correction de Jules-César, qui ajouta un jour intercalaire tous les quatre ans. Enfin le pape Grégoire XIII. y a fait une nouvelle correction.

Mais les habitans de l'Arabie heureuse, se servant de l'ancienne année de douze mois lunaires, sans la corriger sur le cours du soleil, ont transmis aux nations mahométanes, une année proprement lunaire, en réglant leurs mois sur le cours de la lune.

Vous voyez donc que toutes les nations ont tâché de régler leur année sur le cours du soleil & de la lune, ou de l'un des deux ; par conséquent on ne peut admettre sans bonne preuve, qu'il y ait eu quelque peuple qui se soit servi d'une année de 360 jours, sans égard au cours d'aucun de ces deux luminaires. Simplicius dit dans son commentaire sur le premier livre d'Aristote intitulé, Physica Acroasis, apud Theodorum Gazam de mensibus : nous mettons le commencement de l'année ou au solstice d'été, comme le peuple de l'Attique ; ou à l'équinoxe de l'automne, comme les habitans de l'Asie ; ou au solstice d'hiver, comme les Romains ; ou à l'équinoxe du printems, comme les Arabes & ceux qui habitent du côté de Damas ; & nous mettons le commencement du mois ou à la pleine-lune, ou à la nouvelle lune. Il nous dit que l'ancienne année des Romains, des Grecs, des Asiatiques, des Syriens & des Arabes étoit luni-solaire, & s'accordoit avec le cours du soleil & de la lune.

C'est ainsi que l'année que les Israélites apporterent d'Egypte étoit luni-solaire, & commençoit en automne. Moyse en mit le commencement au printems, & le premier mois fut nommé abib, parce que le blé se formoit en épi dans ce mois-là. Diodore de Sicile nous dit aussi qu'Uranus, ancien roi d'Egypte & de Libye, se servoit de l'année lunisolaire. De même encore l'année que les Samaritains apporterent des provinces de l'empire assyrien, & les Juifs de Babylone, étoit luni-solaire, & commençoit au printems. Les Chaldéens étoient un peuple arabe, & les années arabiques étoient luni-solaires. Scaliger & d'autres nous apprennent que l'année ancienne, en usage en Perse, aux Indes, à la Chine & dans les îles voisines, étoit l'année luni-solaire. L'essence de cette espece d'année, est d'être composée de mois lunaires, & de périodes solaires.

Géminus nous dit que tous les anciens grecs, suivant l'autorité de leurs loix, & les décisions de leurs oracles, faisoient accorder leur année avec le cours du soleil, & leurs mois & les jours du mois avec le cours de la lune ; afin que les mêmes sacrifices tombassent toujours dans les mêmes saisons de l'année, & sur les mêmes jours du mois lunaire ; & qu'ils prétendoient que cela étoit agréable aux dieux, & conforme aux institutions & aux coutumes de leur pays.

Cicéron assure que les Siciliens & les autres grecs retranchent quelquefois un jour ou deux du mois (c'est-à-dire au mois du calendrier de 30 jours), & quelquefois l'allongent d'un jour ou deux, pour faire correspondre leurs jours & leurs mois avec le cours du soleil & de la lune. Censorin dit que les anciens peuples d'Italie avoient tous leurs différentes années, mais toutes corrigées sur l'année naturelle, par l'intercalation de leurs mois qui se faisoit différemment.

Par ce moyen, les anciennes fêtes & les solemnités des peuples de la Grece, de la Sicile & de l'Italie, qui se célébroient à de certains jours de certains mois (telles que les jeux olympiques & pythiques, les bacchanales, les céréales, &c.), tomboient toujours dans la même saison de l'année ; & l'année d'Hésiode commençoit dans l'été après le lever des Pléïades, & son mois lénaeon étoit un mois d'hiver, à en juger par la maniere dont il le représente. De la même façon, les mois des Asiatiques tomboient aussi dans les mêmes saisons ; car Galien dit : Quod tempus Romae est Septembris, Pergami apud nos Hyperheretaeus, Athenis vero mysteria, ea namque erant Boëdromione. La même chose avoit lieu par rapport aux jours & aux mois des Juifs.

Le sanhédrin publioit les nouvelles lunes, dès que la nouvelle lune paroissoit ; & lorsque le blé se trouvoit assez mûr pour en offrir les premiers fruits au milieu du 13e mois, ils ajoutoient ce mois à la vieille année, & commençoient la nouvelle au 14e mois. C'étoit par quelque arrangement pareil que les mois des années des Chaldéens tomboient aussi toujours dans les mêmes saisons ; car comme la diétéride, la tétraétéride & l'octoëtéride des Grecs tiroient leur origine de l'intercalation des mois, la dodécaétéride des Babyloniens venoit du même principe ; & le but de ces intercalations étoit d'ajuster l'année au cours du soleil, & d'empêcher les mois de s'éloigner de leur saison propre.

Suidas nous dit que 120 sares font 2220 ans ; selon les Chaldéens, le sare contenant 222 mois lunaires, qui font 18 ans & six mois. Dans ce calcul, douze mois lunaires font l'année des Chaldéens, & 18 de ces années & six mois (je crois qu'il parle de mois intercalaires), font le sare. Athénée, lib. XIV. nous dit d'après Bérose, que les Babyloniens célébroient annuellement la fête nommée sacoea, le seizieme jour du mois de loüs, c'est-à-dire le 16 du mois lunaire appellé loüs par les Macédoniens. Cette fête tomboit donc toujours dans la même saison de l'année, de même que le mois babylonien où elle se célébroit.

Lors donc que Cléobule, un des sept sages, Hippocrate, Hérodote, Aristote, Plutarque, Manethon, représentent l'ancienne année des Grecs, des Romains ou des Egyptiens, comme composée de douze mois égaux, ou de 360 jours ; que Cyrus par allusion à ce nombre de jours, fit couper la riviere de Gyndes en 360 canaux, & que les Athéniens ayant égard à ce même nombre de jours, dresserent 360 statues à Démétrius ; tout cela doit s'entendre de l'année du calendrier des anciens, avant qu'elle fût corrigée sur le cours du soleil & de la lune. Et lorsqu'ils avoient à Athènes quatre , désignant les quatre saisons de l'année ; douze , selon le nombre des mois ; & chaque , trente ; ils corrigeoient de tems en tems l'année sur le cours des astres, pour tenir les saisons dans leur ordre naturel.

Quand Hérodote intercale un mois de 30 jours tous les deux ans, cela doit être entendu de la diétéride des anciens continuée pendant 70 ans, sans correction sur le cours de la lune. Et quand Moyse calcule la durée du déluge par des mois de 30 jours, cela doit s'entendre de mois vulgaires, non rectifiés sur le cours de la lune, à cause de la pluie continuelle qui l'empêchoit de se montrer.

Quand David établit douze départemens de gardes, un pour chaque mois de l'année, il n'eut égard qu'aux mois vulgaires de l'année mosaïque, sans pourvoir aux mois intercalaires, parce qu'ils étoient incertains, & qu'ils pouvoient être remplis par les douze départemens ; celui qui auroit dû être de service le premier mois de l'année suivante, entroit en fonction dans le mois intercalaire quand il arrivoit, & le second département servoit alors le premier mois de l'année suivante.

Quand les Babyloniens disoient, au rapport de Diodore de Sicile, qu'il y avoit douze dieux principaux, assignant à chacun d'eux un mois & un signe dans le zodiaque, & que le soleil parcouroit ces douze signes chaque année, & la lune tous les mois, ils font connoître que l'année chaldéenne étoit solaire, qu'elle étoit composée de douze mois lunaires égaux, correspondans aux douze signes & à leurs degrés, & ils parlent des mois & des jours de l'année du calendrier, n'étant point corrigée par le cours du soleil & de la lune ; en faisant correspondre ces mois aux douze signes, ils les fixerent aux saisons de l'année, au moyen des corrections inventées pour cet usage.

Les Juifs, pendant leur séjour à Babylone, se servirent de cette année dans leurs contrats & dans leurs affaires civiles, & ils en rapporterent l'usage avec eux à leur retour de Babylone à Jérusalem, ayant toujours depuis donné à leurs mois les noms babyloniens, ce qu'ils n'auroient pas fait si leurs mois lunaires n'avoient pas été les mêmes que ceux des Babyloniens.

Il est donc évident que l'année luni-solaire avec son calendrier étoit fort ancienne & d'un usage universel ; Noé s'en étoit servi ; elle avoit passé de lui à sa postérité, & avoit donné lieu à la division du zodiaque en douze signes, & à l'invention de la diétéride, tétraétéride & des autres anciens cycles, pour éviter la peine de la corriger tous les mois sur la lune, & chaque année sur le soleil ; cette année a continué à être en usage en Egypte, jusqu'à l'établissement de leur année solaire de 365 jours ; en Chaldée & chez les nations voisines, jusqu'à l'expédition de Cyrus au-delà du Gyndes, & jusqu'à la prise de Babylone par ce prince ; en Grece jusqu'au tems des sept sages & de l'empire des Grecs & des Perses ; en Italie jusqu'au regne des Latins, & jusqu'à ce qu'enfin les Arabes en ont formé leurs années lunaires.

Je ne trouve point, conclut Newton, chez les anciens, d'année qui ne fût luni-solaire, ou solaire, ou lunaire, non plus que d'autre calendrier que ceux de ces années-là. Une de 360 jours n'est aucune de celles-là. Le commencement de cette année auroit parcouru toutes les saisons dans l'espace de 70 ans. Une révolution si remarquable auroit été marquée dans l'histoire, & ne doit pas être supposée sans en donner de bonnes preuves ". (D.J.)


TYLLINUSS. m. (Mythol.) dieu des Bresçans en Italie, & dont la figure a été déterrée dans le dernier siecle près de Brescia. Le Rossi qui l'a fait graver dans ses memorie Bresciane, dit que la statue de cette divinité fut mise en pieces l'an 840, par Rampat évêque de Brescia, & qu'elle n'avoit pour inscription que le nom du dieu à qui elle étoit consacrée.

Cette statue étoit de fer, la tête couronnée de laurier, appuyant le pié droit sur le crâne d'un mort, & tenant de la main gauche une pique de fer, terminée en haut par une main ouverte, sur laquelle on voyoit entre l'indice & le pouce un oeuf qu'un serpent entortillé dans la main venoit mordre : ce sont-là des symboles aussi obscurs que mystérieux. Ce pié appuyé sur une tête de mort & de laurier, marquoient-ils, comme le conjecture le pere Montfaucon, que Tyllinus triomphoit de la mort ? Mais qui sera l'antiquaire, ou le mythologiste assez hardi pour expliquer ce que signifie le serpent qui se jette sur l'oeuf que tient la main qui est au haut de la pique ? Avouons que principalement parmi les dieux topiques qui n'étoient guere connus que dans quelques villes particulieres qui les avoient choisis pour leurs patrons, il se trouve toujours des symboles inexplicables. (D.J.)


TYLOSISS. f. (Médec.) , callosité, dartre calleuse des paupieres, en latin callositas palpebrae ; espece de dartre des paupieres dans laquelle leur partie intérieure est ulcérée, avec des fentes & des duretés calleuses.

Cette maladie commence rarement par le bord des paupieres, quoique dans la suite ce bord vienne à s'ulcérer ; mais elle commence d'ordinaire par une chaleur & un prurit qui augmente de jour à autre, jusqu'à les rendre inégales & âpres, & finit enfin par y causer des ficosités, fentes, duretés & petits ulceres ; c'est alors une maladie très-opiniâtre & très-difficile à guérir. Sa cure demande les remedes généraux, un régime de vivre doux & rafraîchissant, la saignée, s'il y a pléthore, ainsi que la purgation, quand le mal est habituel. Pour ce qui est des remedes topiques, on usera d'abord de ceux qui humectent, amollissent & temperent l'acrimonie de l'humeur contenue dans les paupieres ; on vient ensuite à ceux qui détergent & desséchent les ulceres. Voyez Maître-Jan. (D.J.)


TYLUS(Géog. anc.) les géographes connoissent une ville & deux îles de ce nom, savoir :

1°. Tylus, ville du Péloponnèse sur le golfe de Messénie, entre les îles Tyrides & la ville de Leuctrum, selon Strabon, l. VIII. p. 350. qui dit que quelques-uns la nomment Oetilus. Pausanias, l. III. c. xxv. est de ce nombre.

2°. Tylus, île du golfe Persique. Arrien la place à deux jours de navigation de l'embouchure de l'Euphrate ; son nom moderne est Queximi ou Queixome.

3°. Tylus minor, île du golfe Persique, selon Pline, l. XII. c. x. qui la met à 10 milles de la grande Tylus ; cette île est nommée Arados par Strabon, & Arathos par Ptolémée. (D.J.)


TYMBALE LAS. f. (Art milit.) est une espece de tambour dont le cuir est tendu sur une caisse d'airain. Il étoit autrefois en usage à la guerre chez les Sarrasins ; il passa ensuite chez les François & chez les Anglois.

Il n'y a pas long-tems que cet instrument militaire est en usage dans nos armées, au-moins le pere Daniel prétend qu'on ne le trouve point dans nos histoires sous le regne de Henri IV. & sous celui de Louis XIII.

La tymbale nous est venue d'Allemagne. Juste-Lipse qui est mort en 1606, dit dans son traité de la milice romaine, que les Allemands s'en servoient de son tems. On en prit dans le combat aux Allemands en quelque occasion ; & il ne fut permis d'abord à aucun régiment françois de cavalerie d'en avoir qu'à ceux qui en avoient pris sur l'ennemi. Depuis on en a mis dans les compagnies de la maison du roi ; il n'y a que les mousquetaires qui n'en ayent point. La gendarmerie & les régimens de cavalerie légere en ont aussi dans la compagnie du mestre-de-camp, & dans les autres compagnies qui en ont enlevé aux ennemis.

Les tymbales sont deux especes de grands bassins de cuivre rouge ou d'airain, ronds par le fond & couverts par-dessus d'une peau de bouc qu'on fait tenir par le moyen d'un cercle de fer, & plusieurs écrous attachés au corps de la tymbale, & d'un pareil nombre de vis que l'on monte & démonte avec une clé. Les tymbales se tiennent ensemble par le moyen d'une courroie que l'on fait passer par deux anneaux qui sont attachés l'un devant & l'autre derriere le pommeau de la selle du tymbalier.

Les tymbales sont garnies de deux tabliers de damas ou de satin, aux armes du colonel, du prince, ou du mestre-de-camp à qui elles appartiennent. Quand il fait mauvais tems, on les couvre d'ordinaire d'un cuir de vache noir.

Le tymbalier bat avec des baguettes de bois de cornier ou de buis, longues chacune de 8 à 9 pouces. Elles ont chacune au bout une petite rosette de la grandeur d'un écu. C'est de l'extrêmité de ces petites rosettes que l'on frappe la tymbale, ce qui lui fait rendre un son plus agréable que si elle étoit frappée d'une baguette de tambour.

Le tymbalier, aussi-bien que le trompette, dans les marches & dans les routes, est à la tête de l'escadron, trois ou quatre pas devant le commandant ; mais dans les combats ils sont sur les aîles dans les intervalles des escadrons pour recevoir les ordres du major ou de l'aide-major. Le tymbalier doit être un homme de coeur qui doit défendre ses tymbales au péril de sa vie, comme le cornette & le guidon doivent faire pour leurs drapeaux. Histoire de la milice françoise.

TYMBALE, (terme de Paumier) espece de raquette de bois couverte de parchemin des deux côtés, dont on se sert pour jouer au volant.


TYMBALIERS. m. (Art milit.) le tymbalier bat avec des baguettes de bois de cornier ou de buis, longues chacune de huit à neuf pouces ; elles ont chacune au bout une petite rosette de la grandeur d'un écu ; c'est de l'extrêmité de ces petites rosettes que l'on frappe la tymbale, ce qui lui fait rendre un son plus agréable, que si elle étoit frappée d'une baguette de tambour.

Le tymbalier, aussi-bien que le trompette, dans les marches & dans les revues, est à la tête de l'escadron, trois ou quatre pas devant le commandant. Dans les combats, les tymbaliers sont sur les aîles dans les intervalles des escadrons pour recevoir les ordres du major ou de l'aide-major. Le tymbalier doit être un homme de coeur, qui doit défendre les tymbales au péril de sa vie, comme le cornette & le guidon doivent faire pour leurs drapeaux. (D.J.)


TYMBRES. m. en Musique, on appelle ainsi cette qualité du son par laquelle il est aigre ou doux, sourd ou éclatant.

Les sons doux ont ordinairement peu d'éclat comme ceux de la flûte ; les sons éclatans sont sujets à l'aigreur, comme les sons de la vielle ou du hautbois. Il y a même des instrumens, tels que le clavecin, qui sont à-la-fois sourds & aigres, & c'est le plus mauvais tymbre. Le beau tymbre est celui qui réunit la douceur à l'éclat du son ; on en peut donner le violon pour exemple. Voyez SON. (S)

TYMBRE, en termes de Blason, signifie la crête ou le cimier d'un écusson, ou tout ce qui se met au-dessus des armoiries, pour distinguer les degrés de noblesse ou de dignité ecclésiastique ou séculiere. Voyez CRETE & CIMIER.

Telle est la tiare papale, le chapeau de cardinal, la crosse, la mitre, la croix, les couronnes, les mortiers, & sur-tout les casques & héaumes, que les anciens appelloient plus particulierement tymbres, parce qu'ils ressembloient à une espece de cloche sans battant, qui en françois s'appelle un tymbre, ou parce qu'ils raisonnoient comme les tymbres quand on les frappoit ; du-moins c'est-là l'opinion de Loiseau, qui dérive ce mot de tintinnabulum. Voyez CASQUE & HEAUME.


TYMBRÉon appelle dans le Blason, armes tymbrées, celles qui n'appartiennent qu'aux nobles ; & l'écu tymbré, celui qui est couvert d'un casque ou d'un tymbre. Voyez TYMBRE.


TYMPANS. m. en Anatomie, la membrane du tympan est une peau mince & délicate, entiere, seche, transparente, qui ferme l'extrêmité du canal auditif, descend en-devant de la partie supérieure vers l'inférieure, de façon qu'elle fait un angle obtus avec l'une, & aigu avec l'autre, surtout dans l'adulte ; car dans le foetus elle est presque horisontale. Sa figure est elliptique, mais elle envoie une appendice obtuse supérieurement dans la fissure de l'anneau. Elle n'est donc ni ovale, comme l'ont voulu Casserius & Valsalva, & encore moins circulaire, comme le prétend Vieussens & Duverney. Son milieu avance comme un bouclier, est tiré tellement au-dedans, qu'il est cave du côté du canal, & conique vers la cavité du tympan. La peau & l'épiderme se séparent sans peine l'une de l'autre même dans l'adulte par la macération ; après quoi on trouve cette membrane seche, extérieurement couverte d'une lame fournie par le périoste du tympan, comme le démontre évidemment l'adhésion du manche du marteau ; ce périoste est au milieu de cette seche membrane, & cela paroît plus manifestement dans le foetus. Vieussens qui exclut cette tunique, & n'en admet que deux, n'a donc pas raison, non-plus que Valsalva, de rejetter le périoste auditif. Morgagni soutient ces trois lames ; Winslow prétend qu'on en peut distinguer quatre ou cinq. Les vaisseaux de cette partie injectés ressemblent à des branches d'arbres, & il n'est pas difficile de les injecter à la faveur de leur tronc qui vient par le canal auditif, & avec le muscle externe de Fabricius, comme le pensent Ruysch & Cassebohmius. On le voit en effet souvent venir des vaisseaux du périoste du tympan & de l'adhésion du manche du marteau, se reprendre de toutes parts ; il est probable qu'il y a deux couches de vaisseaux dont l'une appartient à la peau extérieurement collée à la membrane du tympan, & l'autre sert au périoste du tympan rampant intérieurement sur la même membrane.

Puisque la membrane du tympan est cave en son milieu, & qu'ainsi le sac borgne du canal de l'ouie se termine enfin en un tube conique, il ne peut aucunement être douteux qu'il se fasse de nouvelles réflexions dans la pointe même du cône.

Les ondulations de l'air externe doivent se communiquer, & au périoste de la cavité du tympan & au marteau, & à l'air interne, le périoste & le marteau étant continus à la membrane du tympan que cet air touche de près.

Le tympan, appellé vulgairement le tambour, est situé obliquement eu égard à la posture droite du corps, & regarde en-bas : de-là vient que nous entendons mieux les sons qui viennent d'en-bas, que ceux qui viennent d'en-haut. Voyez TAMBOUR.

La face externe du tympan est un peu enfoncée dans le milieu ; il est composé de deux ou trois lames. Il a un trou, ou du-moins une portion qui n'est pas attachée au cercle osseux, & qui laisse passer l'air, & dans quelques sujets la fumée du dedans de la bouche en-dehors. Voyez TROU.

Derriere la membrure du tympan est une cavité dans l'os pierreux, appellée caisse du tympan, & quelquefois simplement tympan. On y remarque quatre petits os ; savoir, le marteau, l'enclume, l'étrier & l'os orbiculaire. Voyez -les chacun sous son article particulier MARTEAU.

Au-dedans de la caisse du tympan, Vieussens a découvert une membrane très-mince, qui sert à former la porte du labyrinthe, & à empêcher toute communication entre l'air interne & l'air externe. La membrane du tympan a une branche considérable de nerfs, qui passe sur la face interne entre le marteau & l'enclume, & qui est appellée corde du tympan. Voyez CORDE.

Willis regarde la membrane du tympan comme une espece d'instrument préparatoire de l'ouie ; & il croit que sa fonction est de recevoir les premieres impressions des sons, & de les transmettre au cerveau duement modifiées & proportionnées à sa disposition. Voyez SONS, SENSATION, &c.

En effet, la fonction de la membrane du tympan par rapport à l'ouie, semble être la même que celle de la prunelle de l'oeil par rapport à la vue. La prunelle empêche qu'il n'entre dans l'oeil une trop grande quantité de rayons de lumiere ; elle les tempere, les adoucit, & les proportionne, pour ainsi dire, au sensorium, auquel elle les transmet. La membrane du tympan fait la même chose à l'égard des rayons sonores ; car si les uns & les autres tomboient immédiatement sur le sensorium, ils pourroient aisément blesser sa délicatesse. Voyez PRUNELLE.

La membrane du tympan à la vérité n'est pas l'organe propre de l'ouie ; mais elle fait que l'on entend mieux. Pour cela il est nécessaire qu'elle se tende ou se relâche dans le besoin, comme la prunelle ; & c'est à quoi servent les quatre osselets dont nous avons parlé ci-dessus, qui ont le même usage pour tendre ou relâcher la membrane du tympan, que les cordages d'un tambour à l'égard de cet instrument. Par le moyen de cette tension & de ce relâchement, la membrane du tympan s'accommode à tous les sons, violens ou foibles, de même que la prunelle à tous les degrés de lumiere. Voyez OUIE.

L'ingénieux docteur Holder a perfectionné cette théorie. Il conçoit que l'action du muscle qui tend ou relâche la membrane du tympan, le tient toujours dans un état de tension modérée. Mais lorsqu'il s'agit d'écouter, & de faire une attention particuliere à quelque son, alors l'action de ce muscle est plus forte, & la membrane du tympan plus tendue qu'à l'ordinaire, afin de faciliter le passage du son. Voyez ATTENTION.

Sur ce fondement le même auteur ayant entre ses mains un jeune homme sourd de naissance, & remarquant que son mal venoit d'un défaut de tension dans la membrane du tympan, il dit à sa mere de consulter les médecins pour savoir s'il n'y auroit pas moyen par quelques fumées astringentes ou autrement, de rendre à cette membrane sa tension nécessaire.

En attendant, il s'avisa d'un moyen passager, qui fut d'employer quelque son violent, comme de battre du tambour auprès du malade. Un pareil son tant qu'il continue, doit nécessairement distendre la membrane du tympan, en le poussant & le faisant enfler en-dehors, comme un vent frais enfle les voiles d'un vaisseau. L'expérience réussit selon l'espérance du docteur ; car tandis qu'on battoit fortement du tambour près du jeune homme, celui-ci entendoit les gens qui étoient près de lui, & qui l'appelloient doucement par son nom ; mais lorsqu'on cessoit de battre du tambour, il n'entendoit plus les mêmes personnes, quoiqu'elles l'appellassent à haute voix. Voyez SURDITE.

Ce qui montre néanmoins que la membrane du tympan n'est pas si nécessaire, c'est qu'il y a des exemples de gens qui entendoient parfaitement sans le secours de cette membrane. M. Cheselden rapporte qu'il rompit la membrane du tympan des deux oreilles d'un chien, qui ne laissa pas d'entendre. Il est vrai que quelque tems après les sons violens lui faisoient beaucoup de peine. Le même auteur ajoute que M. S. André l'avoit assuré qu'un de ses malades ayant eu cette membrane détruite par un ulcere qui avoit même fait sortir les osselets, ne laissa pas néanmoins de conserver l'ouie.

Corde du TYMPAN, voyez CORDE.

TYMPAN, s. m. (Architect.) mot dérivé du grec tympanon, tambour. C'est la partie qui reste entre les trois corniches d'un fronton triangulaire, ou les deux d'un fronton ceintré. Elle est quelquefois lisse, & quelquefois ornée de sculpture en bas-relief, comme au temple de Castor & de Pollux, à Naples, & au portail de l'église des peres Minimes, à Paris.

Tympan d'arcades, table triangulaire, placée dans les encoignures d'une arcade. Les plus simples tympans de cette espece n'ont qu'une table renfoncée, ornée quelquefois de branches de laurier, d'olivier, de chêne, &c. ou de trophées, festons, &c. comme au château de Trianon ; & ils conviennent aux ordres dorique & ionique. Les tympans les plus riches sont décorés de figures volantes, comme des renommées, ainsi qu'on en voit aux arcs de triomphe antiques ; ou de figures assises, telles que sont des vertus, comme dans l'église du Val-de-Grace ; ou des béatitudes, comme dans celle du college Mazarin, à Paris. Daviler. (D.J.)

TYMPAN de machine, (Méchan.) roue creuse qu'on nomme aussi roue à tambour, dans laquelle un ou plusieurs hommes marchent pour la faire tourner, & qui sert aux grues, aux calandres, & à certains moulins. (D.J.)

TYMPAN, (Imprimerie) grand & petit tympan, piece d'une presse d'imprimerie ; le premier est fait d'une feuille de parchemin collée sur le chassis de bois, attaché au bout du coffre par deux couplets ; c'est sur ce tympan après qu'il a été ramoiti avec une éponge trempée dans l'eau, que se marge ou se pointe la feuille de papier prête à passer sous presse : le petit tympan est aussi une feuille de parchemin collée sur un plus petit chassis, de bois ou de fer, qui s'enclave au revers du premier ; entre ces deux peaux ou tympans se mettent les blanchets, & le carton. Voyez POINTURES, BLANCHETS, CARTON, & les fig. & Pl. d'Imprimerie.

TYMPAN de menuiserie, (Menuis.) panneau dans l'assemblage du dormant d'une baye de porte ou de croisée, qui est quelquefois évidé, & garni d'un treillis de fer, pour donner du jour. Cela se pratique aussi dans les tympans de pierre. (D.J.)

TYMPAN de l'oreille, (Anatom.) Voyez membrane du tambour, au mot TAMBOUR. (D.J.)


TYMPANA(Hist. des suppl. des Grecs) supplice chez les Athéniens, par lequel un criminel étoit condamné à être attaché à un poteau pour y recevoir la bastonnade jusqu'à ce qu'il expirât. Potter, Archaeol. Graec. liv. I. c. xxv. tom. I. pag. 134. (D.J.)


TYMPANIA(Géog. anc.) ville du Péloponnèse, en Elide : Ptolémée, l. III. c. xvj. la marque dans les terres. Les habitans de cette ville sont appellés typanei par Pline, liv. IV. cap. vi. mais il les place dans l'Achaie. Ce pourroit être la même ville que Polybe, liv. IV. nomme tympanoea, & qu'il met dans la Triphilie ; & il y a apparence aussi que c'est la ville typaneae d'Etienne le géographe, qui la met pareillement dans la Triphilie. (D.J.)


TYMPANITES. f. (Médec.) c'est ainsi que l'on appelle une maladie où le bas-ventre est considérablement enflé & résonne comme un ballon, lorsqu'on le frappe ; on l'appelle aussi hydropisie seche, mais fort mal-à-propos, car cette hydropisie est sans eau ; s'il est permis de parler ainsi ; c'est ce que confirme l'ouverture des cadavres en qui on ne trouve pas une seule goutte d'eau dans la cavité du bas-ventre, ni dans le canal intestinal : bien des gens attribuent cette affection à la tension spasmodique du genre nerveux dans cette cavité, à l'accumulation du suc nerveux dans les nerfs de ses visceres qui distendant les membranes, y fait amasser l'air dans certains endroits, & l'empêche de circuler par les étranglemens qu'il cause dans certains endroits du canal ; mais cette idée est bien systématique, l'esprit animal y joue un trop grand rôle, pour qu'on la croie. Nous ne nions cependant pas que les spasmes convulsifs des nerfs ne concourent à cette maladie, & il est vraisemblable qu'elle dépend de la tension de ses parties, soit par l'obstruction du foie & de la rate qui retient le sang dans le bas - ventre, soit par les crispations des nerfs qui causent des étranglemens dans différens points du canal intestinal : mais la tension seule ne suffit pas ; l'air y entre pour quelque chose, le résonnement, le bruit que rend la cavité du bas-ventre quand on le frappe, sont des preuves palpables de ce que nous avançons.

L'air fera différentes explosions, il sera produit par les humeurs qui sont en stagnation dans les vaisseaux obstrués, il s'échappera des alimens, il distendra les parois de l'estomac, il roulera dans le canal intestinal, par l'étroitesse que produit dans les différens replis du canal la constriction ou la tension des membranes. Ainsi l'air s'amassant de plus en plus distendra les cavités, & augmentera la capacité du bas-ventre, jusqu'à lui donner une élevation énorme. Les cadavres morts de cette maladie ont les cavités remplies d'air, les vaisseaux obstrués chargés d'un sang noirâtre.

Cette maladie arrive dans tous les âges, elle est commune aux femmes après l'accouchement ; elle attaque les jeunes gens, les vieillards, les convalescens & sur-tout les hypochondriaques, tous ceux qui mangent beaucoup & qui digerent peu, sur-tout après de grandes évacuations, comme il arrive aux femmes en couches, & aux convalescens, tous ceux en qui les resserremens convulsifs des visceres retiennent l'air exprimé des alimens dans les cavités des intestins, ce qui arrive aux gens vaporeux, à ceux que l'application continuelle de l'esprit & le chagrin empêchent de digérer comme il faut.

Pour peu que l'on considere encore la situation des malades à qui la tympanite survient ; on verra qu'elle est la suite de beaucoup de maladies aiguës & chroniques, elle succede aux vieilles obstructions du mesentere, elle accompagne le carreau ou l'état skirrheux du mesentere dans les enfans qui sont à la mamelle, elle suit les dévoiemens opiniâtres, les dissenteries ulcéreuses, elle est l'effet de l'affection hypochondriaque invétérée, elle finit les maladies de consomption ; il est notoire que dans ces malades les humeurs sont en dissolution, les solides à demi putréfiés, & l'air échappé des molecules des uns & des autres occupe les cavités.

Les signes de cette maladie, sont les suivans : il survient une tension dans la région des lombes & une constipation opiniâtre, ensuite de laquelle le bas-ventre est considérablement distendu, le malade est sujet aux rapports, le pouls est inégal, l'appetit languissant & la soif excessive ; l'on sent dans les hypochondres & dans la région du nombril, une douleur poignante, mordicante, & une tension accompagnée de chaleur, on ne peut demeurer couché sur les côtés & la tumeur ne diminue point, lorsqu'on est couché sur le dos.

La tympanite fait une maladie dangereuse ; elle est absolument incurable, lorsqu'elle accompagne ou qu'elle suit l'hydropisie, à cause que la distention violente des intestins & des muscles épigastriques, en comprimant les veines retarde la circulation du sang, produit la constipation, supprime la transpiration ; la tympanite simple, lorsqu'elle est invétérée, & qu'on n'a pas soin d'y remédier sur le champ, dégenere dans les femmes & dans les enfans en une maladie chronique opiniâtre dont la mort est toujours la suite.

Le traitement s'exécute en employant les remedes cardiaques & stomachiques de même que les amers de tous genres ; après avoir fait précéder la saignée & les autres évacuans préliminaires, on peut employer les remedes aromatiques.


TYMPANOS. m. (Musiq. ital.) les Italiens se servent de ce terme pour désigner une paire de tymbales d'une grandeur inégale, & accordées à la quarte juste. La plus petite exprime le son de c-sol-ut, & la plus grande celui de g-re-sol, une quarte au-dessous. Cet instrument sert ordinairement de basse aux trompettes. D. des B. A. (D.J.)


TYMPANOTRIBAS. m. (Littérat.) , un joueur de tympanum ; mais ce terme désignoit au figuré chez les anciens une personne efféminée, plongée dans la mollesse. (D.J.)


TYMPANUMTYMPANUM

Le tympanum des Romains étoit un cuir mince, étendu sur un cercle de bois ou de fer, que l'on frappoit à-peu-près de la même maniere que font encore à présent nos bohémiennes. Quelques auteurs dérivent ce mot de , frapper ; Vossius le tire de l'hébreu toph. Il est du-moins certain que l'invention des tympanum vient de la Syrie, selon la remarque de Juvenal.

Jampridem Syrus in Tiberim defluxit Orontes

Et linguam & mores & cum tibicine chordas

Obliquas, nec non gentilia tympana secum

Vexit.

Ils étoient fort en usage dans les fêtes de Bacchus & de Cybele, comme on voit par ces vers de Catulle.

Cybeles Phrygiae ad nemora deae,

Ubi cymbalum sonat vox, ubi tympana reboant.

Hérodien, parlant d'Héliogabale, dit qu'il lui prenoit souvent des fantaisies de faire jouer des flûtes, & de faire frapper des tympanum, comme s'il avoit célébré les bacchanales.

Le lecteur trouvera la représentation de divers tympanum & cymbales des anciens dans le Musaeum romanum de Spon, l. II. sect. 4. tab. 7. & 8. & dans Agostini Gemme Antiche, part. I. p. 30. (D.J.)


TYMPHAEA(Géog. anc.) ville de la Thesprotie, selon Etienne le géographe. Strabon, l. VII. pages 326 & 327, ne connoît que les peuples qu'il nomme Tymphaei, & qu'il place vers les sources du Pénée. Selon Pline, l. IV. c. ij. les peuples Tymphaei étoient du nombre de ceux qui habitoient l'Etolie ; mais, l. IV. c. x. il met encore des Tymphaei dans la Bisaltie, ou du-moins entre le Strimon & l'Anius ; ce qui oblige d'en faire deux peuples différens. (D.J.)


TYMPHÉEGYPSE DE, tymphaïcum gypsum, (Hist. nat.) nom donné par les anciens naturalistes à une terre qui, sans avoir été calcinée, prenoit corps avec l'eau, comme fait le plâtre ou le gypse calciné. Ils l'appelloient aussi terra tymphaïca. Pline dit : Cognata calci res gypsum est ; plura ejus genera ; nam è lapide coquitur, ut in Syria ac Thuriis : & è terra foditur, ut in cypro & perrhibaeis ; è summâ tellure & tymphaïcum est ; lib. XXXVI. c. xxiij.


TYMPHRESTUS(Géog. anc.) montagne de la Thessalie. Strabon, l. IX. p. 433. la met au voisinage du pays des Dolopes. (D.J.)


TYNDARIDESS. f. (Mythol.) on nommoit ainsi Castor & Pollux, enfans de LÉda & de Tyndare, roi de Laconie. Castor se distingua dans la course & dans l'art de dresser les chevaux, Pollux dans l'exercice de la lutte. Aux jeux funebres de Pélops, la tradition des Eléens, suivie par Pausanias, fait remporter le prix de la course à pié à Castor, & celui du pugilat à Pollux. Jupiter, selon quelques poëtes, donna l'immortalité à Pollux qui la partagea avec Castor, ensorte qu'ils vivoient & mouroient alternativement.

Couple de déités bizarre,

Tantôt habitans du Ténare

Et tantôt citoyens des cieux.

Selon d'autres, ils furent placés au ciel, sous le signe des Gemeaux, dont la découverte se fit peut-être environ ce tems-là ; ce qui a donné lieu à la premiere fable de la mort & de la résurrection alternative de Castor & de Pollux, c'est que ces deux étoiles ne se montrent jamais ensemble. (D.J.)


TYNDARIUM(Géog. anc.) ville de Sicile, sur la côte septentrionale. Ptolémée, l. III. c. iv. la marque entre les embouchures des fleuves Hélicon & Tyméthus. Elle est nommée Tyndaris par Strabon, l. VI. p. 266. & par Pline, l. III. c. viij. qui lui donne le titre de colonie.

Dans une ancienne inscription, ses habitans sont nommés , Tyndarienses, & dans plus d'un endroit des verrines de Cicéron, Tyndaritani.

Diodore de Sicile, excep. leg. ex. lib. XXII. dit que Denys le tyran donna ce terrein aux Messéniens, qui y bâtirent la ville de Tyndaris. Cicéron, verr. 3. l'appelle nobilissima civitas : il la met au nombre des plus considérables de la Sicile, & il ajoute : ses habitans étoient les amis & les alliés du peuple romain. Pline, l. II. c. xcij. nous apprend que la mer avoit englouti la moitié de cette ville. Le reste est aujourd'hui détruit : on n'y voit plus qu'une église, appellée Sancta Maria in Tyndaro. (D.J.)

TYNDARIUM PROMONTORIUM, (Géog. anc.) promontoire de l'île de Sicile, sur la côte septentrionale. Il tiroit son nom de la ville de Tyndaris. (D.J.)


TYNNA(Géog. anc.) 1°. ville d'Asie, dans la petite Arménie. Ptolémée, l. V. c. vij. la marque parmi les villes de la préfecture de Cataonie.

2°. Fleuve de l'Inde, en-deçà du Gange. Ptolémée, l. VII. c. j. met son embouchure dans le pays des Arvares. (D.J.)


TYPES. m. (Gramm. & Théolog.) c'est la copie, l'image, ou la ressemblance de quelques modeles. Voyez MODELE, IMAGE.

Ce mot est formé du grec, , forme, figure.

Le terme type est moins en usage que ses composés prototype & archétype, qui signifient les originaux qui n'ont été faits d'après aucun modele. Voyez ARCHETYPE, PROTOTYPE, ECTYPE.

TYPE est aussi un terme scholastique, dont les Théologiens se servent souvent pour signifier un simbole, un signe ou une figure d'une chose à venir.

Dans ce sens, on emploie ordinairement le mot type relativement au mot antitype, , qui est la chose même dont une autre chose est le type ou la figure. Voyez ANTITYPE.

C'est ainsi que le sacrifice d'Abraham, l'agneau paschal, &c. étoient les types ou figures de notre rédemption. Le serpent d'airain étoit le type de la croix, &c.

Les types ne sont pas de simples conformités ou analogies que la nature fait naître entre deux choses d'ailleurs différentes, ni des images arbitraires, qui n'ont d'autre fondement que la ressemblance casuelle d'une chose à une autre. Il faut outre cela que Dieu ait eu une intention particuliere de faire un type, & qu'il ait déclaré expressément que ce type en est un ; ou que l'autorité de Jesus-Christ & des apôtres, ou celle d'une tradition constante ayent décidé que telle ou telle chose est type par rapport à telle ou telle autre, autrement, & s'il étoit libre à chaque particulier de mettre des types où il veut & où il juge à propos, l'Ecriture deviendroit un livre où l'on trouveroit tout ce qu'on voudroit.

M. Gale distingue les types en historiques & en prophétiques. Les derniers sont ceux dont les anciens prophetes se sont servis dans leurs inspirations. Les premiers sont ceux dans lesquels des choses arrivées ou des cérémonies instituées sous l'ancien Testament ont figuré d'avance, pronostiqué ou annoncé Jesus - Christ, ou des choses qui ont rapport à lui dans le nouveau Testament.

Les anciens peres de l'Eglise, aussi-bien que les critiques modernes, sont extrêmement partagés sur la nature & l'usage des types, & sur les représentations typiques qui se trouvent dans l'ancien Testament ; & c'est ce qui fait une des grandes difficultés que l'on a à entendre les anciennes prophéties, & à concilier l'ancien Testament avec le nouveau. Voyez PROPHETIE.

On ne peut disconvenir en effet qu'il n'y ait eû des types institués par la sagesse divine, pour être les ombres & les figures des choses à venir ; & quoique les hommes soient tombés, à cet égard, dans bien des excès, & que plusieurs se soient imaginés voir des types par-tout, comme Origene, qui trouvoit des mysteres jusque dans les chaudrons du tabernacle, on doit se contenter des plus sensibles & des plus frappans, ou de ceux dont l'application a déja été faite par une autorité supérieure en fait de religion. Mais il n'en faut point proposer sans les prouver autant qu'il est possible, & sans faire voir que ce sont en effet des types, afin de justifier la solidité du raisonnement des apôtres qui en ont tiré des argumens.

Un auteur moderne soutient que non-seulement les peres de l'Eglise, mais aussi S. Paul lui - même, étoient d'opinion que toute la religion chrétienne étoit connue dans l'ancien Testament, & accomplie dans l'histoire & dans la loi des juifs, & que ce testament & cette loi ne devoient être regardés que comme les types & les ombres du Christianisme. Dans cette vue il cite l'épitre aux Hébreux, chap. viij. 5. chap. x. 1. & celle aux Colossiens, chap. j. vers. 16. & 17. il ajoute que les loix rituelles de Moïse n'étant que des types & des ombres des choses réelles à venir, doivent être considérées comme des prophéties accomplies. C'est aussi le sentiment de M. Whiston & d'autres. Et le premier auteur, pour appuyer davantage son raisonnement, cite Jesus-Christ lui-même qui, en S. Matthieu, chap. xj. vers. 13. confirme les prophéties légales, en disant qu'il est venu accomplir la loi. Mais c'est abuser visiblement de l'Ecriture que d'employer ces passages à prouver que tout y est type & figure ; car lorsque S. Paul dit que Jesus-Christ est la fin de la loi, finis legis Christus ; il ne s'agit pas de savoir si Jesus-Christ y est figuré & prédit ; il est simplement question de montrer qu'il est le seul auteur de la justice que la loi ne pouvoit donner. Quand il dit aux Colossiens, que tout ce qui a été fait, n'a été fait que pour Jesus-Christ, omnia in ipso constant, & ne subsiste qu'en lui, il établit la divinité de Jesus-Christ, & il en donne pour preuve que tout ce qui existe, n'existe que par l'opération de sa toute-puissance. De même quand Jesus-Christ dit qu'il est venu accomplir la loi, cela s'entend des vérités de pratique qu'il venoit confirmer par ses exemples & par sa doctrine, & non simplement des figures qu'il venoit accomplir, comme si tout eût été type sous l'ancienne loi.

Cette affectation des figuristes a donné lieu à quelques écrivains peu favorables à la religion, d'observer que si les anciens & les modernes partisans du sens typique eussent formé le dessein de décrier le Christianisme, ils n'auroient pû mieux y réussir qu'en travestissant ainsi toutes choses en types & en prophéties. Il ne faut pas s'étonner, ajoutent-ils, que les athées & les déistes insultent à la crédulité des chrétiens, & qu'ils rejettent des preuves fondées sur de pareilles absurdités.

Mais on peut répondre à ces écrivains, que l'exemple des figuristes ne peut tirer à conséquence contre la solidité des véritables preuves de la religion. Car il n'est pas difficile de reconnoitre, à-moins qu'on ne veuille s'aveugler soi-même, la réalité de ce qu'on appelle types. Il est évident qu'il y en avoit beaucoup sous l'ancien Testament. Tels étoient les sacrifices, la personne du grand-prêtre, l'arche de Noé, &c. tels étoient les deux verges ou bâtons, dont il est parlé dans Zacharie, c. xj. vers. 7. 10. & 14. telle étoit la femme adultere d'Osée, c. j. vers. 2. ses enfans, vers. 46. Par ces types & par d'autres semblables, Dieu & le prophete ont dessein d'annoncer des événemens futurs, mais il faut observer ou que le prophete avertit en même tems le lecteur de prendre ces choses pour types, qu'il le met en état de les entendre de cette maniere, qu'il ne l'abandonne pas à ses propres conjectures après l'événement ou l'accomplissement de ces prophéties ; ou que les apôtres ont expliqué ces types conformément à la tradition des juifs ; & qu'en montrant qu'ils avoient été accomplis en Jesus-Christ, ils en ont tiré des argumens victorieux en faveur de la religion.

En effet les apôtres ont cité, en parlant de Jesus-Christ & des mysteres de la loi nouvelle, un grand nombre de passages de l'ancien Testament dans leurs écrits, mais ils ne les ont pas tous cités dans le même sens. Ils en ont cité quelques-uns dans le sens que la sagesse divine avoit intention d'exprimer en dictant les livres-saints, mais ils en ont cité aussi, sans qu'ils parussent avoir une destination particuliere & directe de Dieu, pour les vérités auxquelles ils les appliquoient. On en trouve plusieurs qu'ils n'ont appliqués à Jesus-Christ qu'à cause des traits de convenance & de ressemblance qui en autorisoient l'allusion & l'application, & qui avoient donné lieu aux Juifs de les entendre du Messie : c'est le sentiment de plusieurs peres, & entr'autres de S. Cyrille contre Julien : Paulus autem, dit ce pere, valde sapiens artifex ad introducendum divina, etiam illa quae de aliquibus aliis in scripturis dicta sunt, aliquoties ad manifestandum Christi sacramentum inducit. Verumtamen non illa separat ab iis personis in quas dicta esse cognovimus, sed neque omnia illorum ad Christum redigit, verum aliquam partem minimam aliquoties suscipit quam ipse possit sine ullo periculo artificiose ad suum referre propositum.

Le savant Maldonat admet le même principe, & s'explique ainsi très-nettement sur ce point. " Quand les apôtres, dit-il, remarquent que quelque prophétie de l'ancien testament s'est trouvé accomplie par ce qu'ils rapportent, ils ne l'entendent pas toujours de la même maniere ; cette expression peut être prise en quatre sens différens.

Le premier, qui est l'immédiat & le plus prochain, a lieu lorsque la chose s'accomplit proprement & à la lettre, selon qu'elle est prédite, comme quand S. Matthieu remarque, ch. j. que cette prophétie d'Isaïe, ch. vij. une vierge enfantera, &c. a été accomplie dans la Vierge Marie.

Le second qui est quelquefois plus éloigné, mais qui n'est pas moins direct & moins absolu dans l'intention du S. Esprit, a lieu lorsque la chose s'accomplit dans la chose figurée par le type, comme quand S. Paul applique à Jesus-Christ, Hébr. ch. j. vers. vj. ces paroles du premier livre des rois, ch. vij. dites immédiatement de Salomon, je lui tiendrai lieu de pere, & je le traiterai comme mon fils, parce que Salomon étoit la figure du Messie ; ou quand S. Jean observe, ch. xix. qu'on ne rompit point les os de Jesus-Christ à la passion, pour accomplir ce qui étoit dit de l'agneau paschal, Exod. XII. vous n'en briserez aucun os.

Le troisieme qui n'est qu'un sens accommodatice, a lieu lorsqu'on applique une prophétie à ce qui n'est ni l'objet immédiat de la prophétie, ni le type figuré par la prophétie, mais à une chose indifférente, parce qu'elle quadre aussi-bien à cette chose, que si elle avoit été faite pour elle, & qu'il y eût des preuves que le S. Esprit l'eût dirigée à signifier cette chose. Isaïe, par exemple, ch. xxix. semble borner le reproche que Dieu fait aux Juifs, de l'honorer du bout des levres, à ceux qui vivoient de son tems ; mais Jesus-Christ l'applique, Matth. xv. à ceux qui vivoient du sien, parce qu'ils ne valoient pas mieux que leurs peres.

Le quatrieme sens dans lequel les apôtres disent qu'une chose s'accomplit, c'est lorsque une chose étant déja faite en partie, elle s'acheve tout-à-fait, de sorte qu'il n'y a plus rien à desirer pour son accomplissement ". Maldonat, in . 15. cap. ij. S. Matthaei.

Ainsi il est certain que plusieurs des interprétations typiques & allégoriques de la loi, de l'histoire, & des cérémonies des Juifs, peuvent être rejettées sans donner aucun tour forcé, ni aucune atteinte au texte sacré de l'Ecriture, qui peut être expliqué par des principes plus naturels, plus intelligibles, & plus conformes aux regles de la grammaire, que ceux des figuristes modernes.

Le mot , comme nous l'avons observé, ne signifie autre chose qu'une copie ou une impression de quelque chose. Les Anglois dans leur version de la bible, l'ont rendu tantôt par le terme d'impression ou estampe, tantôt par celui de figure, quelquefois par le mot de forme, & quelquefois par celui de façon ou maniere.

C'est de-là aussi que le même terme s'employe au figuré, pour signifier un modele moral, & dans ce sens-là il ne signifie autre chose qu'un exemple ou une similitude. De même le mot dans l'Ecriture signifie une chose faite d'après un modele, & c'est ainsi que dans l'épître aux Hébreux, le tabernacle & le Saint des saints ayant été faits après le modele que Dieu avoit montré à Moyse, ils sont appellés antitypes, ou figure des vrais lieux saints. C'est encore dans le même sens que S. Pierre, en parlant du déluge & de l'arche de Noé, qui sauva huit personnes, appelle le baptême un antitype de cette arche, & par-là il n'exprime autre chose qu'une similitude de circonstances.

Les autres termes dont l'Ecriture se sert quelquefois pour marquer qu'un événement a été figuré d'avance par quelque chose qui a précédé, sont que l'on rend par imitation & exemple, & , ombre. S. Paul se sert souvent de ce dernier mot, & l'applique aux loix & aux cérémonies des Juifs, qu'il représente comme de simples ombres des choses à venir, ou des choses spirituelles & célestes. Ces expressions générales ont induit des auteurs à prêter à S. Paul un dessein qu'il n'avoit point en faisant ces comparaisons, & à conclure de-là que tous les rits de la loi de Moyse étoient autant de types, ou de choses destinées à signifier des événemens futurs, & que l'on doit trouver l'Evangile dans le pentateuque, tandis que S. Paul ne paroît avoir eu d'autre intention que de faire connoître les grands avantages que l'Evangile a sur la loi ancienne à différens égards, où l'un a autant de prééminence sur l'autre, que le corps ou la substance en a sur l'ombre. Voyez ACCOMMODATION.

Si l'ombre des choses à venir est la figure ou le type des événemens futurs, quels sont les événemens auxquels puissent avoir aucun rapport, les nouvelles lunes, ou le boire & le manger des Juifs ? ou comment la loi de Moyse composée de commandemens pour des personnes, tems, lieux, sacrifices, &c. pouvoit-elle signifier une dispense des mêmes choses sous l'Evangile, où ces mêmes choses, loin d'avoir été enjointes, ont été déclarées au contraire inutiles & superflues ? Voilà toutes les observations que l'on peut faire sur toutes les significations des termes dont se servent les auteurs du nouveau Testament, & par lesquels ils semblent avoir voulu exprimer quelque figure ou type d'événemens futurs, sous l'Evangile : d'où nous pouvons conclure 1°. que d'argumenter des types, c'est argumenter très-souvent d'exemples ou de similitudes ; le but des similitudes ou des comparaisons est simplement d'aider & de rendre quelques idées plus claires & plus fortes, de sorte qu'il est absurde de tirer des conséquences d'une similitude, ou d'inférer de quelque partie d'une similitude, autre chose que ce qui est absolument semblable. 2°. Que l'on ne sauroit prouver que toutes les cérémonies de la loi mosaïque ayent jamais été destinées à signifier des événemens futurs sous le regne du Messie. Les auteurs de l'ancien Testament n'en font aucune mention, quelques notions que puissent avoir eû là-dessus les écrivains qui les ont suivis immédiatement : on convient que les apôtres ont argumenté des rits de l'institution mosaïque, mais il paroît que souvent ils ne l'ont fait que par forme d'illustration & d'analogie.

Assurément il y a une similitude générale dans toutes les opérations ou distributions de la Providence, & une analogie des choses dans le monde naturel, aussi - bien que dans le monde moral ; d'où il est aisé d'argumenter par forme de parité, & même il est très-juste & très-commun de le faire ; mais de dire qu'une de ces opérations ou distributions ait toujours été faite pour en marquer ou signifier une autre qui devoit avoir lieu dans la suite, c'est ce qu'on ne pourra jamais prouver, à moins que Dieu ne l'ait revélé.

Nous savons que la terre promise étoit un lieu où les Juifs devoient jouir d'un doux repos, après toutes leurs peines & fatigues. Dieu se reposa lui-même le septieme jour après l'ouvrage de la création ; cependant quelqu'un a-t-il jamais imaginé de prétendre que le repos de Dieu après la création, signifie le repos des Juifs dans la terre promise ? & n'est - il pas aussi sensé de dire que le repos que Dieu prit le septieme jour, signifie l'entrée des Juifs dans la terre de Canaan, que de dire que le repos des Juifs dans cette terre, signifie le repos dont David fait mention dans ses pseaumes ? On ne prouvera pas non plus que tous ces événemens qui se succedent dans l'ordre de la providence, & qui ressemblent à quelques événemens qui ont précédé, soient destinés à être figurés d'avance. Si on peut le prouver, on sera bientôt d'accord que le repos des Juifs étoit le type du repos des chrétiens. C'est de la même maniere que nous devons entendre S. Paul, lorsqu'il dit, Jesus-Christ notre pâque a été immolé pour nous, & S. Jean Baptiste, lorsqu'il appelle notre Sauveur l'agneau de Dieu. Il y avoit là cette similitude de circonstances que Jesus-Christ fut immolé le même jour qu'on immoloit & qu'on mangeoit l'agneau paschal, qu'il mourut à-peu-près à la même heure du jour où les prêtres commençoient leurs sacrifices, & qu'on ne brisa aucun des os ni de l'un ni de l'autre ; & comme l'agneau paschal devoit être sans tache, de même Jesus-Christ étoit sans souillure. C'est par rapport à ces circonstances, & d'autres semblables, que S. Paul applique à Jesus-Christ le nom de Pâque.

C'est encore ainsi qu'on explique ce que S. Paul appelle le baptême des enfans d'Israël, dans la nue & dans la mer, & la comparaison qu'il fait du grand prêtre qui entroit tous les ans dans le lieu saint, avec Jesus-Christ qui est entré dans le ciel. Il est donc certain qu'il y a des types dans l'ancien Testament, mais il l'est également que tout n'y est pas type, & que plusieurs de ces types ne sont que des similitudes ou des allusions, & n'ont été employés que dans ce sens par les apôtres.

TYPE, s. m. (Théolog.) est aussi le nom que l'on a donné à un édit de l'empereur Constans II. publié en 648. pour imposer un silence général aux orthodoxes, aussi-bien qu'aux Monothélites, sur la question qu'on agitoit alors, s'il falloit reconnoître en Jésus-Christ deux opérations ou volontés, comme le soutenoient les Catholiques, ou s'il falloit n'y en admettre qu'une seule, comme le vouloient les Monothélites. Voyez MONOTHELITES.

On l'appella type parce que c'étoit une espece de formulaire de foi, ou plutôt un reglement auquel tout le monde devoit conformer sa conduite, en s'abstenant de parler des matieres controversées.

Le véritable auteur du type étoit Paul, patriarche de Constantinople, & monothélite, qui crut assez servir son parti en forçant par autorité les catholiques à n'oser publier leur foi, espérant que l'erreur feroit assez de progrès, tant qu'on ne la combattroit pas. En conséquence, il insinua à l'empereur Constans de supprimer l'ecthèse d'Héraclius, & de publier un édit pour imposer silence aux orthodoxes & aux monothélites ; mais sur-tout aux premiers qui se plaignoient vivement de l'ecthèse, comme favorable au monothélisme ; mais on sent que cette prétendue voie de pacification étoit injuste, & qu'elle opprimoit la vérité, sous prétexte d'éteindre les disputes : on croit cependant que Constans avoit donné cette loi à bonne intention, puisque dans le type même, après avoir ordonné le silence aux deux partis, il ordonne qu'on s'en tienne aux saintes Ecritures, aux cinq conciles oecuméniques, & aux simples passages des peres, dont la doctrine est la regle de l'Eglise, sans y ajouter, en ôter, ni les expliquer selon des sentimens particuliers. Mais quelles que fussent les intentions de l'empereur, il est certain que celles des monothélites étoient d'en abuser & de s'en prévaloir contre les catholiques. Aussi le pape Théodore ne tarda-t-il point à prononcer la sentence de déposition contre le patriarche Paul. Le type fut examiné dans le concile de Latran, tenu en 649, & l'on y prononça anathème contre tous ceux qui admettoient l'impiété du type & de l'ecthèse. Voyez ECTHÈSE.

TYPE, s. m. (Art numismatique) terme générique par lequel les médaillistes entendent l'empreinte qui est marquée sur la tête & le revers des médailles, comme symboles, figures de divinités, de génies, d'hommes, de femmes, d'animaux, & de choses insensibles. On explique toutes ces choses en détail au mot TETE & SYMBOLE, art numismat. (D.J.)


TYPÉE(Géogr. anc.) montagne du Péloponnèse, dans l'Elide. En allant de Scillunte à Olympie, dit Pausanias, l. V. c. vj. avant que d'arriver au fleuve Alphée, on trouve un rocher fort haut, qu'on appelle le mont typée. Les Eléens, ajoute t-il, ont une loi par laquelle il est ordonné de précipiter du haut de ce rocher, toute femme qui seroit surprise assister aux jeux olympiques, ou qui même auroit passé l'Alphée les jours défendus ; ce qui n'étoit jamais arrivé qu'à une seule femme nommée Callipatire, selon quelques-uns, & Phérénice, selon d'autres. Cette femme étant devenue veuve, s'habilla à la façon des maîtres d'exercice, & conduisit elle-même son fils Pisidore à Olympie. Il arriva que le jeune homme fut déclaré vainqueur : aussi-tôt sa mere transportée de joie, jette son habit d'homme, & saute par dessus la barriere qui la tenoit enfermée avec les autres maîtres. Elle fut connue pour ce qu'elle étoit, mais on ne laissa pas de l'absoudre en considération de son pere, de ses freres, & de son fils, qui tous avoient été couronnés aux jeux olympiques. Depuis cette aventure, il fut défendu aux maîtres d'exercice, de paroître autrement que nuds à ces spectacles. (D.J.)


TYPHOsorte d'ouragan. Voyez OURAGAN.


TYPHOÉES. m. (Mytholog.) monstre né de l'alliance de la Terre avec le Tartare. Il avoit cent têtes de serpent ; ses langues étoient noires ; un feu ardent partoit de tous ses yeux, & de toutes ses bouches sortoient des sons inéfables, tantôt intelligibles pour les Dieux, & tantôt semblables aux mugissemens des taureaux, ou aux rugissemens des lions, & qui faisoient retentir les montagnes de sifflemens effroyables.

Il ne naquit qu'après la défaite des Titans, & seroit le maître des dieux, si Jupiter honoré par l'olympe de la souveraineté, n'eût prévenu ce terrible monstre. Armé de son tonnerre, ce dieu, dit Hésiode, fait retentir la terre & les cieux ; la mer s'agite, & les flots se poussant impétueusement les uns les autres, viennent se briser contre les côtes ; la terre gémit, le ciel s'enflamme ; Pluton est troublé dans les enfers, & le bruit des carreaux de Jupiter va porter la terreur jusque sous le tartare, dans la ténébreuse demeure des Titans ; il s'élance de l'olympe, & brûle toutes les têtes du monstre qui tombant sous ses coups redoublés, est sur le champ précipité jusqu'au fond du tartare ; le feu dont ses têtes sont embrasées, se communique à la terre, qui fond comme de l'étain dans les fourneaux.

De Typhoée sont nés les vents nuisibles aux mortels, & différens de Notus, de Borée, & de Zéphire. L'origine de ceux-ci est divine, & leur utilité répond à l'excellence de cette origine ; mais les autres, soufflant sur la face de la mer, y font périr navires & nautonniers ; rien ne peut garantir de leur rage ceux qui ont le malheur d'en être surpris ; ils se répandent avec une égale fureur sur la terre, & leurs tourbillons impétueux renversent & détruisent tous les ouvrages des mortels. Voyez TYPHON. (D.J.)


TYPHOMANIES. f. en Médecine, est une maladie du cerveau, dans laquelle ceux qui en sont attaqués ne peuvent dormir, quoiqu'ils en aient grande envie ; ils sont couchés ayant les yeux fermés, disent des choses absurdes, & jettent les membres de côté & d'autre ; si on les touche, ils ouvrent d'abord les yeux, regardent de travers, & retombent dans une espece d'assoupissement, qui est interrompu par une foule d'idées fâcheuses.

La typhomanie est une espece de phrénésie & de léthargie compliquée, on l'appelle aussi coma vigil. Voyez COMA, PHRENESIE & LETHARGIE.

Le mot est formé du grec typhos, fumée, & mania, folie.


TYPHON(Physiq. générale) un typhon est un vent vif, fort, qui souffle de tous les points, varie de tous les côtés, & communément vient d'en-haut.

Il est fréquent dans la mer orientale, sur-tout dans celle de Siam, de la Chine, du Japon, & entre Malaca & le Japon. Il sort avec violence le plus souvent du point de l'ouest, & parcourant tout l'horison avec beaucoup de rapidité, il fait le tour en vingt heures ; il accroît de force de plus en plus ; il éleve la mer à une grande hauteur avec ses tournans, & chaque dixieme vague s'élevant plus que les autres, fait perdre aux gens de mer tout espoir de se sauver ; c'est pourquoi la navigation de l'Inde au Japon est fort dangereuse, de sorte que si de trois vaisseaux il en arrive un à bon port, on regarde cet événement comme un voyage heureux.

Le typhon régne le plus ordinairement en été, & il est plus terrible qu'on ne peut imaginer sans l'avoir vû ; de sorte qu'il n'est pas étonnant, que les côtés des vaisseaux les plus forts & les plus gros n'y résistent pas ; on croiroit que le ciel & la terre vont se replonger dans leur ancien cahos.

Il exerce sa furie sur terre comme sur mer, renverse les maisons, déracine les arbres, & emporte de gros vaisseaux jusqu'à un mille de la mer.

Il dure rarement plus de six heures ; dans l'Océan Indien, la mer est d'abord unie, mais il s'y éleve ensuite des vagues terribles. Ainsi près de la ville d'Arbeil en Perse, ce typhon éleve tous les jours à midi, dans les mois de Juin & de Juillet, une grande quantité de poussiere, & dure une heure.

La cause de ce typhon vient peut-être de ce que le vent soufflant vers un certain point, est arrêté & revient sur lui-même, & qu'ainsi il tourne en rond, comme nous voyons que l'eau forme un tourbillon, quand elle rencontre un obstacle ; ou bien cela peut venir des vents furieux qui se rencontrent l'un l'autre, qui rendent la mer unie, & cependant s'élancent contre les vaisseaux qui se trouvent entr'eux. Quand ce vent vient d'en-haut, on l'appelle catoegis.

Le typhon, dit le peintre des saisons, tournoie d'un tropique à l'autre, épuise la fureur de tout le firmament, & le terrible ectreplica regne. Au milieu des cieux faussement sereins, un puissant orage se prépare ; comprimé dans une petite tache de nuée, que l'oeil connoisseur peut seul apperçevoir : le fatal & imperceptible présage plein de feu & de malignes influences, est suspendu sur le sommet du promontoire, & rassemble ses forces. Le démon de ces mers le fait précéder d'un calme trompeur, propre à engager le matelot à confier ses voiles au zéphir qui l'accompagne. Tout-à-coup des vents rugissans, des flammes & des flots combattans, se précipitent & se confondent en masse. Le matelot demeure immobile ; son vaisseau, dont les voiles sont déployées, boit la vague, s'enfonce & se cache dans le sein du sombre abîme. Le redoutable Gama combattit contre un semblable typhon, pendant plusieurs jours & plusieurs nuits terribles, voguant sans cesse autour du cap orageux, conduit par une ambition hardie, & par la soif de l'or encore plus hardie. (D.J.)


TYPHONIS INSULA(Géog. anc.) île de la Méditerranée, aux environs de la Troade ; quelques-uns l'ont nommé Calydna. (D.J.)


TYPHOS(Médec. anc.) ; maladie décrite par Hippocrate, & dont il distingue cinq especes différentes.

La premiere est une fievre continue, qui affoiblit les forces, & qui est accompagnée de tranchées, d'une chaleur extraordinaire dans les yeux, & de la difficulté de parler.

La seconde espece de typhos, commence par une fievre tierce ou quarte, qui est suivie de maux de tête, de sputations, & de déjections de vers ; le visage est pâle, les piés, & quelquefois tout le corps s'enflent ; le malade sent de la douleur, tantôt dans la poitrine, & tantôt dans le dos ; il a des borborygmes, les yeux hagards, la voix foible & tremblante.

La troisieme espece de typhos, se montre par des douleurs aiguës dans les articulations, souvent même dans toutes les parties du corps, & ces douleurs produisent quelquefois l'immobilité des membres.

La quatrieme espece de typhos, est accompagnée de tension, d'enflure, & d'ardeur extraordinaire dans le bas-ventre, laquelle est suivie d'une diarrhée qui dégénere en hydropisie.

La cinquieme espece de typhos, se manifeste par une extrême pâleur sans aucune enflure. Au contraire, le corps est exténué, sec & affoibli. Le malade a les yeux creux, arrache le duvet qui tient à sa couverture, & est sujet, soit qu'il veille ou qu'il dorme, à des pollutions fréquentes ; ces symptomes réunis sont fort extraordinaires ; nous ne connoissons point ce dernier genre de typhos, & nous douterions beaucoup de l'exactitude du récit, si nous ne le tenions d'Hippocrate. (D.J.)


TYPIQUE(Liturg. grecq.) de , forme, regle ; livre ecclésiastique des Grecs, qui contient la forme de réciter l'office pendant toute l'année ; mais comme les Eglises ont beaucoup varié sur ce point, les typiques sont fort différens les uns des autres ; on peut consulter Allatius dans sa premiere dissertation sur les livres ecclésiastiques des Grecs. (D.J.)

TYPIQUE, fievre, (Médec.) febris typica ; on appelle fievres typiques, celles qui sont bien caractérisées par la régularité de leurs accès, de leur accroissement, de leur rémission & de leur période ; on les nomme ainsi, par opposition aux fievres erratiques, qui ne suivent point de régle dans leurs cours ; est l'ordre que tient une maladie. (D.J.)


TYPOGRAPHES. m. (Gram.) Imprimeur. Voyez ce mot.


TYPOGRAPHIES. f. (Gram.) art de l'Imprimerie. Voyez IMPRIMERIE.


TYPOLITEou PIERRES A EMPREINTES, (Hist. nat. Minéral.) impressa lapidea, typolitus, c'est ainsi que quelques naturalistes nomment des pierres sur lesquelles on voit des empreintes de substances du regne végétal ou du regne animal.

On trouve dans plusieurs pays des pierres sur lesquelles on remarque distinctement des empreintes de plantes ; c'est ordinairement dans des pierres feuilletées qu'on les rencontre ; les ardoises ou pierres schisteuses qui accompagnent communément les mines de charbon de terre, sont très-fréquemment remplies de différentes plantes, & surtout de celles qui croissent dans les forêts, telles que les fougeres, les capillaires, les roseaux, la prêle que l'on y distingue parfaitement. Scheuchzer & d'autres naturalistes nous ont fait de longues énumérations des plantes qui se trouvent de cette maniere. Mais une observation très-digne de réflexion, c'est que les plantes dont on trouve les empreintes sur des pierres de nos contrées, sont souvent tout-à-fait étrangeres à nos climats, & leurs analogues vivans ne se rencontrent que dans d'autres parties du monde. M. de Jussieu ayant eu occasion d'observer des pierres empreintes qui se trouvent à Saint-Chaumont en Lyonnois, trouva que les plantes qu'il y voyoit, ressembloient si peu à toutes celles qui croissent dans cette province & dans celles des environs, qu'il crut herboriser dans un monde tout nouveau. Voyez les mémoires de l'académie royale des Sciences, année 1718.

Les naturalistes qui attribuent au déluge universel tous les changemens arrivés à notre globe, n'ont pas manqué de le regarder comme l'auteur des pierres empreintes que l'on rencontre dans le sein de la terre. Scheuchzer a été plus loin ; ayant trouvé des pierres chargées des empreintes de quelques végétaux semblables à des épics de blé dans l'état où ils sont au printems, il a cru devoir en conclure que le déluge étoit arrivé dans cette saison ; mais il sera très-difficile d'expliquer par le déluge la raison pourquoi la plûpart des plantes que l'on trouve empreintes, sont exotiques ou étrangeres au climat où on les rencontre aujourd'hui ; il faut pour cela supposer que les climats ont changé, ainsi que les plantes qu'ils produisoient autrefois ; d'ailleurs le peu de durée du déluge ne permet point de croire que les eaux aient apporté ces plantes d'Asie ou d'Amérique, vû qu'elles n'auroient point eu le tems de faire un aussi long voyage, & que les végétaux ne flottent point avec beaucoup de rapidité.

Les feuilles & les plantes dont on voit les empreintes, sont ordinairement détruites & décomposées, & l'on ne trouve plus que le limon durci qui a pris leur place, & à qui elles ont servi de moules. La plûpart de ces feuilles empreintes sont étendues ; il est rare d'en voir qui soient roulées ou pliées, d'où quelques naturalistes n'ont pas manqué de conclure qu'elles avoient dû nager sur l'eau ; mais cette raison n'est rien moins que décisive, vu qu'une eau agitée peut aisément rouler & plier des feuilles ou des plantes.

Il ne faut point confondre avec les typolites ou pierres empreintes dont nous venons de parler, celles qui se trouvent dans le tuf, & qui ne sont produites que par incrustation, c'est-à-dire, par le dépôt qui s'est fait des parties terreuses contenues dans des eaux qui sont tombées sur des feuilles ou des plantes.

A l'égard des typolites, ou pierres qui portent des empreintes d'animaux, les plus ordinaires sont celles sur lesquelles on voit des poissons, telles que celles qui se trouvent sur une pierre feuilletée blanchâtre à Pappenheim. Voyez PAPPENHEIM pierre de. On doit aussi placer dans ce nombre la pierre schisteuse chargée d'empreintes de poissons, qui se trouve près d'Eisleben, dans le comté de Mansfeld, qui est une vraie mine de cuivre. Voyez MANSFELD, pierre de. (-)


TYR(Géog. anc.) ville d'Asie, dans la Phénicie, sur le bord de la mer, au midi de Sidon. Cette ville aussi célebre dans l'histoire sacrée, que dans l'histoire profane, est des plus anciennes, soit qu'elle ait la même ancienneté que Sidon, comme le prétend Quinte-Curce, soit qu'elle ait été bâtie depuis Sidon, comme le pense Justin, l. XVIII. c. iij.

Quelques critiques prétendent qu'il y avoit deux villes de Tyr, l'une plus ancienne connue sous le nom de Palae-Tyros, & l'autre plus nouvelle nommée simplement Zor ou Tyr. La premiere étoit bâtie sur le continent, à trente stades de la seconde, selon Strabon, l. XVI. C'est dans la premiere qu'étoit le temple d'Hercule, dont les prêtres de Tyr vantoient avec exagération l'antiquité à Hérodote ; & c'est dans ce temple que les Tyriens répondirent à Alexandre qu'il pouvoit venir sacrifier, lorsqu'il leur fit dire qu'il souhaitoit se rendre dans leur ville pour y offrir des sacrifices à Hercule. L'autre Tyr étoit dans une île vis-à-vis de l'ancienne, dont elle n'étoit séparée que par un bras de mer assez étroit. Pline, l. V. c. xix. dit qu'il n'y avoit que sept cent pas de distance de l'île à la terre ferme. Alexandre le grand combla tout cet espace pour prendre la ville, & l'île étoit encore jointe à la terre ferme du tems de Pline. Dans le même chapitre cet auteur donne dix-neuf mille pas de circuit au territoire de Tyr, & il y renferme la vieille Tyr.

Le nom de cette ville en hébreu est Zor ou Sor ; suivant une autre dialecte, c'est Syr ou Sar ; les Araméens qui ont coutume de changer la lettre s en t, disent Tor, Tur ou Tyr, & en ajoutant la terminaison grecque, on a fait , Tyrus. De Sar a été formé le nom national sarranus, qui dans les poëtes signifie la même chose que tyrius. Virgile, l. II. Georg. v. 506, s'en est servi dans ce sens :

Ut gemma bibat, & sarrano dormiat ostro.

Les Tyriens passoient pour être les inventeurs du commerce & de la navigation, & ils l'étoient en effet. Pendant que dans les autres empires il se faisoit un commerce de luxe, les Tyriens faisoient par toute la terre un commerce d'économie. Bochart a employé le premier livre de son Chanaan à l'énumération des colonies qu'ils envoyerent dans tous les pays qui sont près de la mer ; ils passerent les colonnes d'Hercule, & firent des établissemens sur les côtes de l'Océan.

Dans ces tems-là, les navigateurs étoient obligés de suivre les côtes, qui étoient, pour ainsi dire, leur boussole. Les voyages étoient longs & pénibles. Les travaux de la navigation d'Ulysse ont été un sujet fertile pour le plus beau poëme du monde, après celui qui est le premier de tous.

Le peu de connoissance que la plûpart des peuples avoient de ceux qui étoient éloignés d'eux, favorisoit les nations qui faisoient le commerce d'économie. Elles mettoient dans leur négoce les obscurités qu'elles vouloient ; elles avoient tous les avantages que les nations intelligentes prennent sur les peuples ignorans.

L'Egypte éloignée par la religion & par les moeurs, de toute communication avec les étrangers, ne faisoit guere de commerce au-dehors ; elle jouissoit d'un terrein fertile & d'une extrême abondance. C'étoit le Japon de ce tems-là ; elle se suffisoit à elle-même.

Les Egyptiens furent si peu jaloux du commerce du dehors, qu'ils laisserent celui de la mer Rouge à toutes les petites nations qui y eurent quelque part. Ils souffrirent que les Juifs & les Syriens y eussent des flottes. Salomon employa à cette navigation des tyriens qui connoissoient ces mers.

Josephe dit que sa nation uniquement occupée de l'agriculture connoissoit peu la mer ; aussi ne fut-ce que par occasion que les Juifs négocierent dans la mer Rouge. Ils conquirent sur les Iduméens Elath & Asiongaber, qui leur donnerent ce commerce ; ils perdirent ces deux villes, & perdirent ce commerce aussi.

Il n'en fut pas de même des Phéniciens ou des Tyriens ; ils ne négocioient point par la conquête ; leur frugalité, leur habileté, leur industrie, leurs périls, leurs fatigues les rendoient nécessaires à toutes les nations du monde. Ce sont les excellentes réflexions de l'auteur de l'esprit des loix.

Les Tyriens vendoient à tous les peuples de la terre les étoffes teintes en pourpre & en écarlate, dont ils avoient le secret ; & cette seule branche de commerce leur valoit un gain immense. Ulpien, fameux jurisconsulte, & né lui-même à Tyr, nous apprend que l'empereur Severe accorda aux Tyriens de grands privileges qui contribuerent encore à leur agrandissement. Ils peuplerent les villes de Biserte, de Tripoli de Barbarie & de Carthage. Ils fonderent Tartèse, & s'établirent à Cadix.

Mais pour parler de plus loin, l'Ecriture appelle Tyr dans son style oriental, une ville couronnée de gloire & de majesté, remplie de princes & de nobles qui avoient tant d'or & d'argent, que ces métaux y étoient aussi communs que la terre. Elle y est dite parfaite en beauté, & elle est comparée à un navire royal qui a été construit pour être un chef-d'oeuvre digne d'admiration.

La religion chrétienne y fit de grands progrès du tems des empereurs romains ; cette ville a eu le titre de métropole, & celui du premier siege archiépiscopal sous le patriarchat d'Antioche : ce qui fait qu'on l'a nommé Protothronos, ou premier siege.

Tyr est aujourd'hui entierement ruinée, au point même qu'on trouve à peine dans ses ruines de foibles traces de son ancienne splendeur, dans un si grand nombre de ses palais abattus, de ses pyramides renversées & de ses colonnes de jaspe & de porphyre rompues. Ses fortes murailles sont détruites, ses boulevards applanis, & les débris qui en restent, ne servent plus qu'à étendre & à sécher les filets de quelques pauvres pêcheurs. Enfin on ne trouve plus dans les masures de l'ancienne capitale de Phénicie, qu'une douzaine de maisons habitées par quelques turcs ou quelques arabes.

Cette ville a été assiégée deux fois par les chrétiens ; la premiere en 1112, par Baudoin I. sans succès, & la seconde en 1124 ; cette derniere fois les Chrétiens la prirent, & en demeurerent maîtres jusqu'en 1188, que Saladin l'attaqua, s'en empara, & la démolit de fond-en-comble. Le port de Tyr est fort vaste & à l'abri des vents du midi. Il reste ouvert à la tramontane ; mais sa tenue est bonne & son fond net.

Recapitulons en peu de mots les vicissitudes de Tyr. Bâtie sur les côtes de la Phénicie, dans une île éloignée de quatre stades du bord de la mer, peu de villes anciennes ont joui d'une plus grande célébrité. Reine des mers, suivant l'expression des écrivains sacrés, peuplée d'habitans dont l'opulence égaloit celle des princes, elle sembloit embrasser l'univers par l'étendue de son commerce ; ses vaisseaux parcouroient toutes les côtes de l'Afrique & de l'Europe, celles de la mer Rouge & du golfe Persique. Par terre, ses négocians trafiquoient au-delà de l'Euphrate, qui fut longtems le terme des connoissances géographiques des anciens. Le nombre de ses colonies l'a mise au rang des métropoles les plus illustres. Plusieurs, comme Utique & Carthage, ont joué de grands rôles ; d'autres, comme Cadix, subsistent encore avec éclat.

Tyr n'étoit pas moins guerriere que commerçante ; cet immense négoce qui fit sa gloire, & dont l'ingénieux auteur de Télémaque nous offre un magnifique tableau, étoit soutenu par des troupes nombreuses de terre & de mer. De fréquentes révolutions firent succéder plus d'une fois à ses prospérités les plus affreux malheurs. Salmanasar l'humilia, Nabuchodonosor la détruisit presque. Rétablie sous Cyrus, & plus brillante que jamais sous les rois de Perse, elle paya chérement l'honneur d'arrêter Alexandre dans sa course ; un siege meurtrier en fit un monceau de ruines.

De la domination des rois de Syrie, successeurs de ce conquérant, elle passa sous celle des Romains. Leur empire doux & tranquille favorisoit le commerce ; Tyr en profita pour se relever ; on la vit reparoître avec honneur, & devenir la principale ville de Syrie. Dans les siecles suivans elle éprouva sous les Sarrasins & les princes chrétiens, la même alternative de revers & de succès.

Enfin aujourd'hui elle a le sort de toutes les villes anciennes tombées au pouvoir des Turcs. Teucer de Cyzique avoit poussé l'histoire de cette ville jusqu'à son tems ; nous avons perdu son ouvrage, & personne ne l'a ni recommencé ni continué. Le chevalier Newton, Marsham & Perizonius ont établi la fondation de Tyr sous le regne de David ou de Nabuchodonosor ; & il faut avouer qu'il est bien difficile de renverser leur système.

Porphyre, célebre philosophe platonicien, naquit à Tyr dans le troisieme siecle, & mourut sous le regne de Dioclétien. Disciple de Longin, il fut l'ornement de son école à Athènes ; de-là il passa à Rome, & s'attacha au célebre Plotin, dont il écrivit la vie, & auprès duquel il demeura six ans. Après la mort de Plotin, il enseigna la philosophie à Rome avec une grande réputation ; il se montra très-habile dans les belles-lettres, dans la géographie, dans l'astronomie & dans la musique. Il nous reste de lui un livre en grec sur l'abstinence des viandes, & quelques autres écrits. Son traité contre la religion chrétienne fut refuté par Méthodius, évêque de Tyr, par Eusebe, par Apollinaire, par S. Augustin, par S. Jérôme, par S. Cyrille & par Théodoret. Voilà bien des réfutateurs ; mais l'ouvrage même n'est pas parvenu jusqu'à nous ; l'empereur Théodose le fit brûler en 388, avec quelques autres livres du même philosophe. (D.J.)

TYR, (Calend. éthiopien) nom du cinquieme mois de l'année éthiopienne. Il commence le 25 Décembre de l'année julienne.

TYR, (Mythol.) nom d'une divinité invoquée par les Celtes qui habitoient les royaumes du nord. C'étoit un dieu guerrier qui protégeoit les hommes vaillans & les athletes, & dispensoit les victoires. Le troisieme jour de la semaine lui étoit consacré, & il s'appelle encore aujourd'hui tyrs-dag, le jour de Tyr, ce qui répond au mardi, qui chez les Romains étoit consacré au dieu Mars. Il ne faut point confondre le dieu dont nous parlons avec celui que les peuples du nord appelloient Thor. Voyez son article.

TYR marbre de, (Hist. nat.) tyrium marmor, marbre blanc, fort estimé des anciens, & qui n'étoit point inférieur au marbre de Paros lorsqu'il étoit parfaitement pur. Quelquefois il avoit des veines d'un gris noirâtre.


TYRANS. m. (Politique & Morale) par le mot , les Grecs désignoient un citoyen qui s'étoit emparé de l'autorité souveraine dans un état libre, lors même qu'il le gouvernoit suivant les loix de la justice & de l'équité ; aujourd'hui par tyran l'on entend, non - seulement un usurpateur du pouvoir souverain, mais même un souverain légitime, qui abuse de son pouvoir pour violer les loix, pour opprimer ses peuples, & pour faire de ses sujets les victimes de ses passions & de ses volontés injustes, qu'il substitue aux loix.

De tous les fléaux qui affligent l'humanité, il n'en est point de plus funeste qu'un tyran ; uniquement occupé du soin de satisfaire ses passions, & celles des indignes ministres de son pouvoir, il ne regarde ses sujets que comme de vils esclaves, comme des êtres d'une espece inférieure, uniquement destinés à assouvir ses caprices, & contre lesquels tout lui semble permis ; lorsque l'orgueil & la flatterie l'ont rempli de ces idées, il ne connoît de loix que celles qu'il impose ; ces loix bizarres dictées par son intérêt & ses fantaisies, sont injustes, & varient suivant les mouvemens de son coeur. Dans l'impossibilité d'exercer tout seul sa tyrannie, & de faire plier les peuples sous le joug de ses volontés déréglées, il est forcé de s'associer des ministres corrompus ; son choix ne tombe que sur des hommes pervers qui ne connoissent la justice que pour la violer, la vertu que pour l'outrager, les loix, que pour les éluder. Boni quam mali suspectiores sunt, semperque his aliena virtus formidolosa est. La guerre étant, pour ainsi dire, déclarée entre le tyran & ses sujets, il est obligé de veiller sans cesse à sa propre conservation, il ne la trouve que dans la violence, il la confie à des satellites, il leur abandonne ses sujets & leurs possessions pour assouvir leur avarice & leurs cruautés, & pour immoler à sa sûreté les vertus qui lui font ombrage. Cuncta ferit, dum cuncta timet. Les ministres de ses passions deviennent eux-mêmes les objets de ses craintes, il n'ignore pas que l'on ne peut se fier à des hommes corrompus. Les soupçons, les remords, les terreurs l'assiégent de toutes parts ; il ne connoît personne digne de sa confiance, il n'a que des complices, il n'a point d'amis. Les peuples épuisés, dégradés, avilis par le tyran, sont insensibles à ses revers, les loix qu'il a violées ne peuvent lui prêter leur secours ; en vain réclame-t-il la patrie, en est-il une où regne un tyran ?

Si l'univers a vu quelques tyrans heureux jouir paisiblement du fruit de leurs crimes, ces exemples sont rares, & rien n'est plus étonnant dans l'histoire qu'un tyran qui meurt dans son lit. Tibere après avoir inondé Rome du sang des citoyens vertueux, devient odieux à lui-même ; il n'ose plus contempler les murs témoins de ses proscriptions, il se bannit de la société dont il a rompu les liens, il n'a pour compagnie que la terreur, la honte & les remords. Tel est le triomphe qu'il remporte sur les loix ! Tel est le bonheur que lui procure sa politique barbare ! Il mene une vie cent fois plus affreuse que la mort la plus cruelle. Caligula, Néron, Domitien ont fini par grossir eux-mêmes les flots de sang que leur cruauté avoit répandus ; la couronne du tyran est à celui qui veut la prendre. Pline disoit à Trajan, " que par le sort de ses prédécesseurs, les dieux avoient fait connoître qu'ils ne favorisoient que les princes aimés des hommes ".

TYRANS, LES TRENTE, (Hist. grecq.) on appelloit ainsi les trente hommes que les Lacédémoniens établirent dans Athènes pour la tenir en servitude ; mais Thrasibule forma le généreux dessein de les chasser d'Athènes, & y réussit. C'est là-dessus que Cornelius Nepos a dit ce beau mot de ce grand homme : " Plusieurs ont desiré, peu ont eu le bonheur de délivrer leur patrie d'un seul tyran, Thrasibule délivra la sienne de trente ". (D.J.)


TYRANNICIDES. m. (Lang. franç.) tyrannicida, dans les auteurs latins, signifie le meurtrier d'un tyran. M. d'Ablancourt a dit le premier tyrannicide dans sa belle traduction de Lucien, & il doit être approuvé par tous ceux qui ont du goût. (D.J.)


TYRANNIES. f. (Gouvern. politiq.) tout gouvernement injustement exercé sans le frein des loix.

Les Grecs & les Romains nommoient tyrannie le dessein de renverser le pouvoir fondé par les loix, & sur-tout la démocratie : il paroît cependant qu'ils distinguoient deux sortes de tyrannie ; une réelle, qui consiste dans la violence du gouvernement ; & une d'opinion, lorsque ceux qui gouvernent établissent des choses qui choquent la maniere de penser d'une nation.

Dion dit qu'Auguste voulut se faire appeller Romulus ; mais qu'ayant appris que le peuple craignoit qu'il ne voulût se faire roi, Auguste changea de dessein.

Les premiers Romains ne vouloient point de roi, parce qu'ils n'en pouvoient souffrir la puissance : les Romains d'alors ne vouloient point de roi, pour n'en point souffrir les manieres ; car quoique César, les triumvirs, Auguste, fussent des véritables rois, ils avoient gardé tout l'extérieur de l'égalité, & leur vie privée contenoit une espece d'opposition avec le faste des rois d'alors ; & quand les Romains ne vouloient point de rois, cela signifioit qu'ils vouloient garder leurs manieres, & ne pas prendre celles des peuples d'Afrique & d'Orient.

Dion ajoute que le même peuple romain étoit indigné contre Auguste, à cause de certaines loix trop dures qu'il avoit données ; mais que sitôt qu'il eut rappellé le comédien Pylade, chassé par les factions de la ville, le mécontentement cessa ; un pareil peuple sentoit plus vivement la tyrannie lorsqu'on chassoit un baladin, que lorsqu'on lui ôtoit toutes les loix ; il falloit bien qu'il tombât sous l'empire de la tyrannie réelle, & cet événement ne tarda pas.

Comme l'usurpation est l'exercice d'un pouvoir auquel d'autres ont droit, nous définissons la tyrannie l'exercice d'un pouvoir également injuste & outré, auquel qui que ce soit n'a aucun droit dans la nature : ou bien la tyrannie est l'usage d'un pouvoir qu'on exerce contre les loix au détriment public, pour satisfaire son ambition particuliere, sa vengeance, son avarice, & autres passions déréglées, nuisibles à l'état. Elle réunit les extrêmes ; & sur la tête d'un million d'hommes qu'elle écrase, elle éleve le colosse monstrueux de quelques indignes favoris qui la servent.

Cette dégénération des gouvernemens est d'autant plus à craindre, qu'elle est lente & foible dans ses commencemens, promte & vive dans la fin. Elle ne montre d'abord qu'une main pour secourir, & opprime ensuite avec une infinité de bras.

Je dis cette dégénération, cette corruption des gouvernemens, & non pas comme Puffendorf de la simple monarchie, parce que toutes les formes de gouvernement sont sujettes à la tyrannie. Partout où les personnes qui sont élevées à la suprême puissance pour la conduite du peuple, & la conservation de ce qui lui appartient en propre, employent leur pouvoir pour d'autres fins, & foulent des gens qu'ils sont obligés de traiter d'une toute autre maniere, là certainement est la tyrannie ; soit qu'un seul homme revêtu du pouvoir agisse de la sorte, soit qu'il y en ait plusieurs qui violent les droits de la nation. Ainsi l'histoire nous parle de trente tyrans d'Athènes, aussi-bien que d'un à Syracuse ; & chacun sait que la domination des décemvirs de Rome, n'étoit qu'une véritable tyrannie.

Partout où les loix cessent, ou sont violées par le brigandage, la tyrannie exerce son empire ; quiconque revêtu de la puissance suprême, se sert de la force qu'il a en main, sans avoir aucun égard pour les loix divines & humaines, est un véritable tyran. Il ne faut point d'art ni de science pour manier la tyrannie. Elle est l'ouvrage de la force, & c'est tout ensemble la maniere la plus grossiere, & la plus horrible de gouverner. Oderint dùm metuant ; c'est la devise du tyran ; mais cette exécrable sentence n'étoit pas celle de Minos, ou de Rhadamante.

Plutarque rapporte que Caton d'Utique étant encore enfant & sous la férule, alloit souvent, mais toujours accompagné de son maître, chez Sylla le dictateur, à cause du voisinage & de la parenté qui étoit entr'eux. Il vit un jour que dans cet hôtel de Sylla, en sa présence, ou par son ordre, on emprisonnoit les uns, on condamnoit les autres à diverses peines : celui-ci étoit banni, celui-là dépouillé de ses biens, un troisieme étranglé. Pour couper court, tout s'y passoit, non comme chez un magistrat, mais comme chez un tyran du peuple ; ce n'étoit pas un tribunal de justice, c'étoit une caverne de tyrannie. Ce noble enfant indigné se tourne avec vivacité vers son précepteur. " Donnez-moi, dit-il, un poignard ; je le cacherai sous ma robe ; j'entre souvent dans la chambre de ce tyran avant qu'il se leve ; je le plongerai dans son sein, & je délivrerai ma patrie de ce monstre exécrable. Telle fut l'enfance de ce grand personnage, dont la mort couronna la vertu. "

Thalès interrogé quelle chose lui paroissoit la plus surprenante, c'est, dit-il, un vieux tyran, parce que les tyrans ont autant d'ennemis qu'ils ont d'hommes sous leur domination.

Je ne pense pas qu'il y ait jamais eu de peuple, qui ait été assez barbare & assez imbécille pour se soumettre à la tyrannie par un contrat originel ; je sai bien néanmoins qu'il y a des nations sur lesquelles la tyrannie s'est introduite ou imperceptiblement, ou par violence, ou par prescription. Je ne m'érigerai pas en casuiste politique sur les droits de tels souverains, & sur les obligations de tels peuples. Les hommes doivent peut-être se contenter de leur sort ; souffrir les inconvéniens des gouvernemens, comme ceux des climats, & supporter ce qu'ils ne peuvent pas changer.

Mais si l'on me parloit en particulier d'un peuple qui a été assez sage & assez heureux, pour fonder & pour conserver une libre constitution de gouvernement, comme ont fait par exemple les peuples de la grande-Bretagne ; c'est à eux que je dirois librement que leurs rois sont obligés par les devoirs les plus sacrés que les loix humaines puissent créer, & que les loix divines puissent autoriser, de défendre & de maintenir préférablement à toute considération la liberté de la constitution, à la tête de laquelle ils sont placés. C'étoit-là l'avis non-seulement de la reine Elisabeth, qui n'a jamais tenu d'autre langage, mais du roi Jacques lui-même. Voici de quelle maniere il s'énonça dans le discours qu'il fit au parlement en 1603. " Je préférerai toujours en publiant de bonnes loix & des constitutions utiles le bien public & l'avantage de tout l'état, à mes avantages propres, & à mes intérêts particuliers, persuadé que je suis que le bien de l'état est ma félicité temporelle, & que c'est en ce point qu'un véritable roi differe d'un tyran. "

On demande si le peuple, c'est-à-dire, non pas la canaille, mais la plus saine partie des sujets de tous les ordres d'un état, peut se soustraire à l'autorité d'un tyran qui maltraiteroit ses sujets, les épuiseroit par des impôts excessifs, négligeroit les intérêts du gouvernement, & renverseroit les loix fondamentales.

Je réponds d'abord à cette question, qu'il faut bien distinguer entre un abus extrême de la souveraineté, qui dégénere manifestement & ouvertement en tyrannie, & qui tend à la ruine des sujets ; & un abus médiocre tel qu'on peut l'attribuer à la foiblesse humaine.

Au premier cas, il paroît que les peuples ont tout droit de reprendre la souveraineté qu'ils ont confiée à leurs conducteurs, & dont ils abusent excessivement.

Dans le second cas, il est absolument du devoir des peuples de souffrir quelque chose, plutôt que de s'élever par la force contre son souverain.

Cette distinction est fondée sur la nature de l'homme & du gouvernement. Il est juste de souffrir patiemment les fautes supportables des souverains, & leurs légeres injustices, parce que c'est-là un juste support qu'on doit à l'humanité ; mais dès que la tyrannie est extrême, on est en droit d'arracher au tyran le dépôt sacré de la souveraineté.

C'est une opinion qu'on peut prouver 1°. par la nature de la tyrannie qui d'elle-même dégrade le souverain de sa qualité qui doit être bienfaisante. 2°. Les hommes ont établi les gouvernemens pour leur plus grand bien ; or il est évident que s'ils étoient obligés de tout souffrir de leurs gouverneurs, ils se trouveroient réduits dans un état beaucoup plus fâcheux, que n'étoit celui dont ils ont voulu se mettre à couvert sous les aîles des loix. 3°. Un peuple même qui s'est soumis à une souveraineté absolue, n'a pas pour cela perdu le droit de songer à sa conservation, lorsqu'il se trouve réduit à la derniere misere. La souveraineté absolue en elle-même, n'est autre chose que le pouvoir absolu de faire du bien ; ce qui est fort contraire au pouvoir absolu de faire du mal, que jamais aucun peuple, suivant toute apparence, n'a eu intention de conférer à aucun mortel. Supposé, dit Grotius, qu'on eût demandé à ceux qui les premiers ont donné des loix civiles, s'ils prétendoient imposer aux citoyens la dure nécessité de mourir, plutôt que de prendre les armes pour se défendre contre l'injuste violence de leur souverain ; auroient-ils répondu qu'oui ? Il y a tout lieu de croire qu'ils auroient décidé qu'on ne doit pas tout souffrir ; si ce n'est peut-être, quand les choses se trouvent tellement disposées, que la résistance causeroit infailliblement les plus grands troubles dans l'état, ou tourneroit à la ruine d'un très-grand nombre d'innocens.

En effet, il est indubitable que personne ne peut renoncer à sa liberté jusque-là ; ce seroit vendre sa propre vie, celle de ses enfans, sa religion ; en un mot tous ses avantages, ce qui certainement n'est pas au pouvoir de l'homme.

Ajoutons même qu'à parler à la rigueur, les peuples ne sont pas obligés d'attendre que leurs souverains aient entierement forgé les fers de la tyrannie, & qu'ils les aient mis dans l'impuissance de leur résister. Il suffit pour qu'ils soient en droit de penser à leur conservation, que toutes les démarches de leurs conducteurs tendent manifestement à les opprimer, & qu'ils marchent, pour ainsi dire, enseignes déployées à l'attentat de la tyrannie.

Les objections qu'on fait contre cette opinion ont été si souvent résolues par tant de beaux génies ; Bacon,Sidney, Grotius, Puffendorf, Locke & Barbeyrac, qu'il seroit superflu d'y répondre encore ; cependant les vérités qu'on vient d'établir sont de la derniere importance. Il est à-propos qu'on les connoisse pour le bonheur des nations, & pour l'avantage des souverains qui abhorrent de gouverner contre les loix. Il est très-bon de lire les ouvrages qui nous instruisent des principes de la tyrannie, & des horreurs qui en résultent. Apollonius de Thyane se rendit à Rome du tems de Néron pour voir une fois, disoit-il, quel animal c'étoit qu'un tyran. Il ne pouvoit pas mieux tomber. Le nom de Néron a passé en proverbe, pour désigner un monstre dans le gouvernement ; mais par malheur Rome n'avoit plus sous lui, qu'un foible reste de vertu ; & comme elle en eut toujours moins, elle devint toujours plus esclave ; tous les coups porterent sur les tyrans ; aucun ne porta sur la tyrannie. (D.J.)


TYRAS(Géog. mod.) fleuve de la Sarmatie européenne. Hérodote, l. IV. c. lj. met sept fleuves entre le Danube & le Tanaïs. Le premier est le Tyrés ; car c'est ainsi qu'il écrit. Pomponius Méla, Ptolémée, Scymnus de Chio, & Ovide, l. IV. ex. Ponto, epist. 10. v. 50. disent Tyras :

.... Nullo tardior amne Tyras.

Selon Strabon, du fleuve Tyras à la derniere embouchure du Danube, il y avoit environ trois cent stades ; ce qui fait conclure que c'est aujourd'hui le Niester ou Dniester, nom qui paroît avoir été formé de celui de Danaster, dont se sert Jornandès, de reb. getic. c. v. Ptolémée, l. III. c. x. nous apprend que le fleuve Tyras servit de bornes entre la Dace & la Sarmatie. Sur le bord de ce fleuve, il y avoit une ville de même nom, appellée auparavant Ophiusa, selon Pline, liv. IV. ch. xij. ce qui est confirmé par le témoignage d'Etienne le géographe. (D.J.)


TYRBÉ(Ant. grecq.) ; fête que célebroient les peuples d'Achaïe en l'honneur de Bacchus. Le mot , trouble, confusion, indique assez que l'ordre ne régnoit pas beaucoup dans cette fête. Potter, archaeol. graec. l. II. c. x. t. I. p. 434. (D.J.)


TYREDIZA(Géog. anc.) ville de Thrace, selon Etienne le géographe. Hérodote, l. VII. écrit Tyrodiza, & la place sur la côte des Périnthiens. (D.J.)


TYRIMNUSS. m. (Mythol.) divinité de Thyatire, ville de Lydie. Il avoit son temple devant la ville pour la garder ; on faisoit des jeux publics en son honneur, mais c'est tout ce que nous apprend de ce dieu une inscription rapportée par M. Spon. (D.J.)


TYRISSA(Géog. anc.) ville de la Macédoine. Ptolémée, liv. III. chap. xiij. la marque dans l'Emathie ; le nom moderne est Ceresi, selon Mercator. Les peuples sont appellés Tyrisaei par Pline, l. IV. c. x. (D.J.)


TYRISTASE(Géog. anc.) Tyristasis ou Tiristasis, ville de la Chersonese de Thrace, vers la Propontide, au voisinage de la ville Crobyle, selon Pline, l. IV. c. ij. (D.J.)


TYRMIDAE(Géog. anc.) Etienne le géographe & Suidas donnent ce nom à une partie de la tribu Oeneïde ; & la liste de l'Attique publiée par M. Spon en fait un bourg de cette même tribu. Il en est fait mention dans une ancienne inscription, avec cette différence qu'il y a un e à la seconde syllabe ; aussi ce nom s'écrivoit-il de plus d'une maniere, puisque Harpocration l'écrit avec un ei. L'inscription dont il vient d'être parlé se trouvoit à Florence chez le marquis Richardi : voici ce qu'elle porte.


TYROMORPHITES. m. (Hist. nat. Litholog.) nom que quelques naturalistes ont donné à une pierre semblable à du fromage pourri.


TYRONou TYR-OWEN, (Géog. mod.) comté d'Irlande, dans la province d'Ulster. Ce comté a Lough-Neagh & Armagh à l'est ; Londonderry au nord & nord-ouest ; Monagham & Fremanagh au sud & sud-ouest : on donne à ce comté quarante-sept milles de longitude, sur trente-trois de large ; c'est un pays montagneux ; il n'a point de ville qui ait droit de tenir un marché public, mais il en a quatre qui envoient leurs députés au parlement de Dublin ; ce sont Straban, Omagh, Dungannon, & Agher. (D.J.)


TYROSISen Médecine, est une coagulation de lait caillé dans l'estomac, en forme de fromage. Voyez COAGULATION, CAILLE ; ce mot est formé du grec , caseus, fromage. Voyez FROMAGE.


TYROTARICHUS(Littérat.) c'étoit chez les Romains un mets fort grossier dont se nourrissoient les gens de la campagne, & qui étoit composé de fromage & de drogues salées, l'étymologie l'indique. Cicéron, dans ses lettres à Atticus, employe plusieurs fois ce mot pour désigner une table frugale. Ainsi, liv. XIV. épit. xvj. il dit à son ami : " Je vais aujourd'hui souper frugalement chez Poetus ". Ipse autem eo die in Poeti nostri tyrotarichum imminebam. Voyez aussi Epist. xvj. xvij. & xx. l. IX. fam. (D.J.)


TYRRHÈNES(Géog. anc.) Tyrrheni ; le nom de Tyrrhènes ou de Tyrrhéniens, paroît dans l'origine avoir été celui des habitans d'une partie de la Macédoine, qui s'étendoit jusqu'au Strymon, & qu'Hérodote appelle Crestonie, à cause de sa capitale Crestona. Insensiblement il reçut cette acception plus générale, il devint synonyme du nom Pélasge. Thucydide les confondoit ensemble, & quelques vers de Sophocle cités par Denys d'Halicarnasse, nous donnent lieu de penser que cette confusion étoit ordinaire chez les Athéniens. Des Pélasges de la Grèce il passa bien-tôt à ceux d'Italie, c'est-à-dire aux peuples d'origine grecque, plus anciens que les colonies helléniques ; on les nommoit tantôt Italiotes, tantôt Tyrrhènes, & c'est ce qu'on peut remarquer dans Denys d'Halicarnasse, qui voulant prouver aux Grecs que les Romains n'étoient point Barbares, attribue sans réserve aux Pélasges d'Italie tout ce que les anciens ont débité sur ceux de la Grèce. Par une suite de ce système, qui le jette quelquefois dans de fausses interprétations, il a changé le nom de Crestona en celui de Cortona, & confond les Tyrrhènes de la Crestonie avec ceux de la Toscane, malgré la précaution qu'Hérodote avoit eue de désigner ces derniers par leur voisinage avec l'Ombrie.

Cette erreur de Denys d'Halicarnasse a fait illusion à tous les critiques, & produit des faux systèmes sur l'origine des Toscans. Comme par une suite de la premiere méprise on avoit donné le nom de Tyrrhéniens à tous les Pélasges répandus en Italie, & qu'il se trouvoit sur les côtes de Toscane plusieurs de ces cités pélasgiques, entr'autres celle des Agylliens, très-connue des Grecs ; les Grecs peu-à-peu s'accoutumerent à désigner tous les Toscans sous le même nom. Ils les regarderent comme des Tyrrhéniens, & par conséquent comme des Pélasges ; parce que ne les connoissant pas eux-mêmes, il étoit naturel qu'ils les confondissent avec des peuples enclavés dans leur territoire, & qui ne cessoient d'entretenir quelque relation avec la Grèce. Mais ni les Toscans, ni même les Romains n'ont jamais connu ces dénominations : si quelques poëtes latins s'en servent, ce n'est que pour imiter les Grecs, & par la même licence qui rend les termes d'Ausonie & d'Hespérie communs dans nos poëtes françois.

Les Agylliens sont souvent appellés Tyrrhènes par les écrivains grecs. Hérodote leur donne indifféremment ces deux noms. Pindare en parlant des pirates qui troubloient le commerce de l'Italie & de la Sicile, désigne aussi sous ce nom de Tyrrhènes les Argylliens qu'il associe aux Carthaginois. L'auteur des hymnes attribués à Homere dit la même chose, & Thucydide parle du secours qu'ils envoyerent aux Athéniens dans la guerre de Sicile, la dix-neuvieme année de celle du Péloponnèse, un peu avant la ruine de Veïes par les Romains. (D.J.)


TYRRHENICATYRRHENICA

.... Tyrrhenica propter

Tarraco & ostrifero super addita Barcino ponto.

(D.J.)


TYRUS(Géog. anc.) île que Strabon, liv. VI. pag. 776. met dans le golfe Persique. Eustathe & Etienne le géographe connoissent cette île, & le dernier dit qu'Artémidore la nomme Tylos. Plutarque fait mention dans plusieurs endroits d'une île nommée Tylus, & qu'il place dans la mer Rouge, qui s'étendoit jusque dans le golfe Persique ; de cette façon Tyrus, Tylus, ou Tylos sont la même île.

Tyrus est encore le nom d'une île sur la côte de la Syrie, tout près du continent, selon Ptolémée, l. V. c. xv.

Etienne le géographe met une ville nommée Tyrus dans la Laconie, une autre dans la Lydie, & une troisieme dans la Pisidie. (D.J.)


TYSHASS. m. (Calend. éthiop.) c'est chez les Ethiopiens le quatrieme mois de l'année ; il commence le 27 Novembre de l'année Julienne. (D.J.)


TYSONGLANDE DE, (Anatom.) Tyson, membre de la société royale d'Angleterre, médecin de l'hôpital de Bethléem, & professeur d'Anatomie, a publié & nous a laissé différens petits traités ; il y a des glandes auxquelles on a donné son nom. Voyez GLANDES.


TYSTED(Géog. mod.) petite ville de Danemarck, dans le Nord-Jutland, au diocèse d'Alborg, dans le Hundborg, à trois lieues de la mer, sur le bord du Lymfiord. (D.J.)


TZANATLS. m. (Hist. nat. Ornith.) nom d'un oiseau d'Amérique décrit par le pere Nieremberg. Il dit que cet oiseau est couvert de grandes & belles plumes d'un verd admirable, & aussi lustré que dans le paon ; le dessus de ses aîles est noir, le dessous est d'un verd opaque ; sa tête est ornée d'une très-belle crête ; son gosier & sa gorge sont d'un rouge écarlate ; les grosses plumes des aîles sont fort longues, & brillantes par l'agréable variété de leurs couleurs. Les Indiens employent ces grosses plumes à décorer les statues de leurs dieux. Ray, Ornithol. pag. 303.


TZANGAE(Littérat.) nom donné par les anciens à des souliers faits en forme d'aigle, enrichis de pierres précieuses, & destinés à l'usage des seuls empereurs. (D.J.)


TZANIENS(Géog. anc.) Tzani, peuples voisins de l'Arménie. Procop. aedif. l. III. c. vj. dit que ces peuples étoient autrefois indépendans, qu'ils menoient une vie farouche, & adoroient des animaux. Ils habitoient dans des montagnes, voloient au-lieu de travailler, & n'étoient point accoutumés à l'agriculture. Il ne faut pas s'en étonner, leur terroir étoit stérile, toujours couvert de neige, & comme condamné à un hiver éternel. (D.J.)


TZANPAUS. m. (Hist. nat. Ornithol.) nom d'un oiseau d'Amérique, que les Espagnols tiennent en cage à cause de la beauté de son chant ; il est de la grosseur d'un étourneau ; sa poitrine & son ventre sont diaprés de blanc, de noir, & de gris ; son dos est bigarré de blanc, de noir, & de brun. Ray, Ornithologia. (D.J.)


TZAULES. m. (Hist. du bas empire) nom d'office à la cour des empereurs de Constantinople. Le grand tzaule étoit l'officier que l'on appelloit auparavant le grand-courier, le premier courier, parce qu'il portoit les ordres de l'empereur dans les provinces, & remplissoit alors quelquefois la charge de commissaire impérial. (D.J.)


TZCHALATZKILES, & LES TZUKTZCHI, (Géog. mod.) nom de deux peuples barbares & alliés qui habitent la Sibérie, à la pointe du nord-est de l'Asie, & vers le cap Suétoi-Nos ; ils sont les plus féroces de tout le nord de l'Asie. (D.J.)


TZCHOPPAUou ZSCHOPPA, (Géog. mod.) petite ville d'Allemagne, dans la Misnie, sur la riviere de même nom, proche d'Anneberg, dans une contrée fertile. (D.J.)


TZÉLAFÉE(Calendr. persan) ere ou époque des Persans ; elle commença le 14e. jour de l'année 1079, & fut substituée par l'ordre d'Alba-Artalan, sarrasin, roi de Perse, à l'ere Jezdégerdique, dont ce peuple s'étoit servi depuis l'an 632, que commença le regne d'Isdégerde III. le dernier de ses rois de la race des Sassanides. Le mot de tzélafée signifioit ere auguste ; mais aujourd'hui cette époque ne subsiste plus, & les Persans se servent du calendrier arabe. (D.J.)


TZÉNOGARou TZORNOGAR, (Géog. mod.) petite ville de l'empire russien, dans le royaume d'Astracan, à trois werstes de la ville d'Astracan, à la droite du Wolga, sur une montagne. Elle fut bâtie en 1627, & on y tient garnison, pour s'opposer aux courses des Tartares. (D.J.)


TZERKA LAou TZIRCHO, (Géog. mod.) riviere de l'empire russien en Jugorie ; elle prend sa source d'un lac voisin de Plavonicka, reçoit la Norbiga, & ensuite la Szilma, dans laquelle elle se perd pour aller grossir la Petzora. (D.J.)


TZETLANILE DE, (Géog. mod.) petite île de la mer Caspienne, à huit lieues de Terki. C'est une île stérile pour la plus grande partie, marécageuse, & seulement couverte de coquilles sur le rivage. Latit. 43. 5. (D.J.)


TZICATLINS. m. (Ophiologie) nom d'un très-beau serpent de l'Amérique méridionale ; selon le récit du pere Nieremberg, l. II. c. vij. il est long de neuf à dix pouces, gros comme le petit doigt, marqueté alternativement de bandes rouges & blanches qui se croisent ; ce serpent ne fait de mal à personne ; son nom signifie le serpent des fourmis, parce qu'il vit avec les fourmis, & peut-être en vit-il. (D.J.)


TZINITZIANS. m. (Hist. nat. Ornithologie) nom d'un oiseau d'Amérique, superbe par la variété & la richesse de ses couleurs. Il est de la grosseur d'un petit pigeon, dont il a la tête & le cou ; son bec est court, crochu, & d'une couleur pâle ; sa gorge & une partie du ventre, sont rouges ; mais le bas du dos près de la queue, étale un mêlange éclatant d'un beau bleu d'azur, & d'un blanc de satin ; la queue est verte en-dessus, & noire en-dessous ; ses aîles sont nuées de noir & de blanc ; ses épaules sont d'un verd admirable ; ses jambes & ses piés sont gris. Cet oiseau est fort commun sur les bords de la mer du Sud ; il vit de végétaux, ne chante jamais ; mais sa beauté fait qu'on veut en avoir en cage : les Indiens se servent de ses plumes à diverses sortes d'ouvrages, dont ils se parent. Ray, Ornithol. (D.J.)


TZTACTZONS. m. (Hist. nat. Ornithologie) nom d'une espece de canard d'Amérique, remarquable par le beau mêlange des couleurs de sa tête, qui offre aux yeux le pourpre, le bleu, le verd, & le blanc, d'un lustre de satin ; son corps est peint de blanc, de noir, & de gris ; ses jambes sont rouges ; ses piés sont plutôt faits pour nager que pour marcher ; aussi se trouve-t-il communément sur les lacs du Méxique. (D.J.)


TZURULUMou ZURULUM, (Géog. anc.) ville, ou plutôt, comme dit Zonare, château de Thrace, à moitié chemin, entre Constantinople & Andrinople ; les savans croyent que le nom moderne est Ziorlo, ou Zorli. (D.J.)